Marth Alain Marliac Larousse de la préhistoire à nosjours, une aventure qui continue . NI:OUTHIQUE M~SOUTHIClUe:

PALtOUTHIaUE

supérreur

PAlEOLITHIQUE moyen

AUSlralopithecu$ lIfricanUs

Homo habilis 1470-Man

RAMAPITHECUS actuel

-5000 ans l'agroculture Homo sapiens -8000an5 moderne

l'art - 35000 ans

paléanthropes de Palestine

•• 1, •

les sepultures

-100000 ans

le leu

- 2 mitions cr.....

5 mllliontl d'annfts il

- 50 millionsd'ann6es 1 Marthe etAlain Marliac

Larousse

LA PAËHISTOIRE. - 1 A Cécile et Renaud

Le préselll l'Olume appartient à la dernière édition (revue et corri8ée) de cel ouvraBC. La date du copyright menlionnée ci-dessous ne concerne que le dépôt à Washington de la première édition. © Librairie Larousse, 1979.

Librairie Larousse () limil~e. propril!tairc pour le Canada des droits d'p,ulcur el des marques de commerce Larousse. - Distributeur exclusif au Canada: les ~ditions Françaises Ine.• licencié Quanl au", droits d'aUleur cl usager inscrit des marques pour le Canada. © by S. P. A. D. E. M. el A. D. A. G. P.• 1979.

ISBN 2-03-051652-X Préface

Au cours de ces dernières années, la préhistoire a franchi le cercle des préhistoriens pour gagner le plus large public. Ce n'est pas dire que les générations précédentes n'ont pas connu l'existence de la science de l'homme d'avant l'Histoire. L'image de l'ancêtre-singe exerçant son talent de chasseur sur les mam­ mouths géants, pour faussée qu'elle soit, a nourri l'imagination et a établi les traits de l'homme primitif nu et apeuré dans des cavernes obscures et humides que, par surcroÎt, il devait disputer aux ours et aux félins monstrueux. On ne redira jamais assez que l'homme primitif ne vivait dans les grottes que là où il en existait d'habitables et qu'à toutes les époques il a su construire des abris en plein air et même planter sa tente dans les cavernes qui lui tenaient alors lieu de double toit. Le gibier, au moins dans les régions où il a vécu, devait être très abondant et, s'il a connu des périodes de disette, on peut penser que cela n'altérait pas son énergie et son plaisir de vivre. Les dangers dont il était menacé n'excédaient pas ceux qui ont menacé n'importe quelle popula­ tion africaine ou asiatique au temps, encore très proche, où les lions, les tigres et les panthères grouillaient dans la. savane ou dans la jungle.

L'homme «préhistorique ", d'ailleurs, est un personnage aux contours très imprécis, qui superpose pendant plus de deux millions d'années les formes humaines, de celles des austra­ lanthropes de l'ère tertiaire jusqu'à celles de l'homme moderne, en passant par les pithécanthropes et l'homme de Néanderthal. " faut bien se représenter que nous sommes le dernier élément d'une longue chaÎne dont chaque maillon diffère insensiblement du précédent. A chacune de ces stations correspondent un accroissement des possibilités du cerveau, serviteur de la main, et un perfectionnement des outils et de toutes les techniques manuelles. Ce développement simultané de l'homme et de ses œuvres forme la trame du livre de Marthe et Alain Marliac qui exposent avec clarté les différents moments de la grande aven­ ture de notre espèce.

ANDRÉ LEROI-GOURHAN

Professeur au Collège de 1 sommaire

1. LES AUSTRALANTHROPES de - 3000000 à - 600000 6 Un enfant d'un autre âge. Qui a inventé le galet aménagé? Une migraine de paléontologue. La brousse de nos ancêtres. Hordes ou groupes familiaux? L'Afrique, berceau ou cul-de-sac?

2. LES ARCHANTHROPES de - 600000 à -100000 34 De la poudre d'ancêtres. Les mystérieux Acheuléens. Journée de chasse il y a 300000 ans. La femme, gage de paix et d'entraide. L'homme et le feu. Prénéanderthaliens et présapiens.

3. LES PALÉANTHROPES de -100000 à - 35000 52 Une vie rude. Des gens adroits. Cavernes et camps de plein air. Une mandibule bavarde. Un enterrement au mois de juin. Que sont-ils devenus?

4. LES NÉANTHROPES . de - 35000 à - 8000 70

Un cc chez-soi» bien entretenu. La vie quotidienne en ce temps-là. La panoplie de nos ancêtres. Le mystère de Gargas. Un art symbolique. Premières cultures du post-glaciaire. Les vrais mésolithiques.

5. LE NÉOLITHIQUE de -8000 à -2500 112 L'homme s'enracine. La pierre nouvelle. Le premier art du feu. La déesse mère. Les morts et la maison. Étranges mégalithes. Menhirs et cromlechs. Le deuxième art du feu. Naissance de la civilisation. Les cités du Nouveau Monde.

6. UNE AVENTURE QUI CONTINUE 152 Cro-Magnon domestiqué. La femme est l'avenir de "homme. Plaidoyer pour le temps présent. L'homme de demain.

INDEX 158 UNEINCAOYABLEAVENTURE

L'aventure de l'homme Lorsqu'une explication du monde satisfait LA FIN DES POLÉMIQUES est si extraordinaire qu'on une société, il est toujours difficile de la réviser. Parce que les Foulbés croient que Il fallut bien des polémiques pour qu'on hésita longtemps à y croire. la Terre est plate et immobile, que la Lune admît, vers la fin du siècle dernier, que Pourtant, comme chacun est le séjour d'Allah, nous avons entendu les découvertes de la science concernant de nous s'interroge un jour un Foulbé nous demander s'il était prouvé l'âge de la Terre et l'histoire de l'homme sur l'origine de l'homme, que la Terre tourne et émettre ensuite des n'étaient pas incompatibles avec la foi en toutes les sociétés qui nous ont doutes sur le voyage interplanétaire un Dieu créateur, et que seules les moda­ d'Armstrong; et d'évoquer des truquages lités de la Création étaient mises en cause. précédés ont tenté de répondre à de télévision... tout plutôt qu'admettre la Dès lors, les fossiles que, jusque-là, on cette question. réalité d'un événement qui ne confirme avait considérés comme des «ieux de pas les croyances ancestrales. la nature", et les outils de pierre qu'on De même, parce que l'Ancien Tes­ croyait produits par l'orage et qu'on appe­ Pour l'Occident, l'homme a été cree tament nous donne Adam et Ève pour lait «pierres de foudre" prirent leur vraie par Dieu et introduit dans un monde déjà parents, Isaac de La Peyrère, qui publia signification. prêt à le recevoi r, où toutes les espè­ en 1655 un ouvrage sur les «pré-adami­ Boucher de Crèvecœur de Perthes ces animales étaient apparues en même tes", se vit accusé d'hérésie et dut faire imposa, le premier, l'idée que l'homme temps, telles que nous les connaissons, amende honorable auprès des autorités avait été contemporain d'espèces anima­ suivant la parole de Yahvé: «Que la Terre religieuses. Parce que, selon la Bible les disparues, puisque, dans une même donne des êtres vivants selon leurs espè­ croyait-on alors, l'âge de la Terre ne sem­ couche de terrain, des outils de pierre voi­ ces." Il nous semble difficile, aujourd'hui, blait pas remonter au-delà de 4004 ans sinaient avec des ossements d'animaux de nous contenter de la version biblique av. J.-C., le naturaliste Buffon dut, en 1779, dont l'espèce était éteinte. de la Création, et cependant c'est toute fuir Paris et les persécutions de la Sor­ Charles Darwin, dans son ouvrage Oe cette façon de penser qui a dû se modifier bonne pour avoir osé publier son ouvrage l'origine des espèces par voie de sélec­ pour aboutir à ce que nous savons de les Époques de la nature, où il évoquait tion naturelle (1859), affirma que l'homme l'histoire de l'homme. la très grande ancienneté de notre pla­ avait changé dans son aspect physique, Unique parmi les êtres vivants, nète et la possibilité que le temps eût au cours des âges, et que son origine se l'homme voit d'abord ce qui le sépare des amené l'apparition de nouvelles espèces. confondait avec cetle de tous les êtres animaux : langage, conscience de soi, À la même époque, "abbé Soulavie fut vivants. techniques, organisation sociale, religion. empêché par l'Académie des sciences de Sa «théorie de l'évolution" révolta Il se refuse donc à admettre qu'il est le publier ses travaux géologiques sur la longtemps les esprits: mal comprise, elle résultat d'une évolution qui l'a lentement vallée de l'Ardèche, qui démontraient que semblait ramener l'homme au niveau de éloigné de ses attaches avec le monde les eaux de la rivière (et non le Déluge) l'animal. En fait, elle éclairait le chemi­ animal, et que sa vie procède de la même avaient creusé la vallée durant des temps nement millénaire par lequel un être s'est humble origine que celle de ses frères qui dépassaient par trop la chronologie détaché de la condition animale pour inférieurs. inspirée de la Bible. aboutir à l'homme.

primaire 500 millions d'années

poisson placodérme

trilobite

libellule

amphibien seymouria méduse

6 .. Le « kanaga" porté par les Mythe de Prométhée (face anté- ~ Dogons est une stylisation de la rieure d'un sarcophage antique, forme humaine et symbolise la musée du Louvre). Création. Il n'est pas de société qui n'ait Les Dogons, ethnie du Mali, donné son explication de l'émer­ croient que le Dieu-père Amma gence de l'homme. Pour la Grèce a placé des germes dans la antique, la Terre, issue du Chaos, Terre-mère Lébé. Ces germes donna naissance à tous les êtres ont donné naissance à tous les vivants, mais c'est Prométhée hommes, mais l'un d'eux est sorti qui façonna les hommes avec de prématurément du sol et a provo­ la glaise et Athéna qui les anima qué le désordre sur la Terre. Pour de son souffle. Quand Promé­ son châtiment, il a été changé en thée vit les hommes nus, sans renard. défense, il les prit en pitié et déroba le feu du ciel pour le leur apporter en même temps que la « civilisation ".

.... L 'homme est apparu à la fin du reptiles aux invertébrés en pas­ Tertiaire, ère durant laquelle se sant par les amphibiens, nous sont développés les mammifè­ sommes encore loin des pre­ res, dont les primates. Les dino­ mières traces de la vie, qui saures et tyranosaures qu'on est apparue il y a 3 milliards voit au Secondaire n'ont jamais d'années. pu effrayer les hommes car ils Les temps géologiques repré­ avaient disparu longtemps avant sentés ici sont donc "récents ", l'apparition des primates. Si nous car notre planète est âgée de remontons dans le Primaire, des 5 milliards d'années. DUTEMPS L'IMPERCEPTIBLE OUVRAGE

Comme ils étudient l'histoire de "homme en avant", et même d'apparition ou de taines de millions d'années, n'ont jamais à travers des témoignages distants de disparition d'une espèce. À les lire, on changé, telle la méduse. D'autres ont plusieurs millénaires, les préhistoriens par­ peut croire que les choses se sont pro­ totalement disparu, tandis que certains se Ient volontiers de «progrès", de «bond duites subitement. Mais ils savent que les sont ramifiés en plusieurs espèces diffé­

Larousse (coll. Boubée) transformations physiques, repérables sur rentes. Comment cela a-t-il pu se pro­ les fossiles, se sont produites très len­ duire? tement, au cours de milliers d'années. Les Pour que des espèces se différencient changements intervenus dans la lignée à partir d'une origine commune, un chan­ hominienne n'ont pas été sensibles et ils gement doit intervenir dans l'acide nucléi­ ne nous paraissent aujourd'hui remarqua­ que d'un ou de plusieurs individus, ce qui bles qu'en raison des longues périodes qui amène une modification héréditaire du séparent les fossiles qui en témoignent. schéma de construction. On appelle cela une mutation. L'ORIGINE DES CHANGEMENTS Les changements provoqués par les mutations ne sont observables direc­ Pourtant, le temps n'est pas le seul fac­ tement que sur des êtres se reproduisant teu r de changements : les êtres vivants très rapidement : par exemple, chez les sont constitués de cellules qui contien­ mouches du vinaigre, dont on peut obte­ nent dans leur acide nucléique le schéma nir 40 générations en un an. selon lequel tous les êtres d'une même Certaines mutations négatives créent espèce sont construits. Ce schéma se un être si déficient qu'il meurt sans se transmet d'une génération à l'autre. Un reproduire; dans ce cas, le caractère dan­ être issu d'un père et d'une mère (repro­ gereux, n'étant hérité par personne, dis­ duction sexuée) reçoit des caractères de paraît. Il existe des mutations bénéfiques ses deux parents dans des proportions qui améliorent les capacités d'une espèce variables, c'est pourquoi on distingue sans et son adaptation à son milieu. Celles-là mal un homme d'un autre homme, bien s'étendent et, après quelques millénaires, que leur schéma biologique soit le même. il ne reste plus, dans un milieu donné, Il est des êtres qui, au travers de cen- que les descendants des premiers indi­ vidus qui en ont bénéficié. Le milieu naturel joue un rôle dans Trois lois ... l'évolution: quand les climats se modi­ r'_OI..... fient, les espèces exclusivement adaptées  Gravure du· XIX· siècle visant à ridiculiser au froid, à la chaleur ou encore à la • Loi de différenciation progres­ consommation d'aliments définis dispa­ Darwin. Quand il publia son livre «Sur l'ori­ sive. À partir d'un tronc commun, gine des espèces ", en 1859, le scandale fut raissent si elles ne bénéficient d'aucune à l'égal du succès. Pour avoir osé parler les espèces se séparent en bran­ mutation les rendant aptes à vivre sous de d'évolution, le savant devint la cible des ches. puis en rameaux. nouveaux climats. caricaturistes. 1/ est représenté ici se trans­ • loi de spéclaUsatlon. À partir formant peu iJ peu en oiseau. d'ancêtres aptes à vivre dans des UN ÊTRE NON SPÉCIALISÉ milieux divers. se forment des espè­ ces étroitement spécialisées qui ne La tendance évolutive de l'homme est le peuvent vivre que dans des milieux développement cérébral. Cette tendance a bien particuliers. atteint son maximum chez Homo sapiens, • Loi d'Irréversibilité de l'évolution qui, selon les termes du professeur André (ou orthogenèse). Quand des muta­ Leroi-Gourhan, a «échappé à la spéciali­ tions augmentent la spécialisation sation anatomique ». Son intelligence per­ d'une espèce, les individus modifiés met à "homme de s'adapter à des milieux prévalent sur ceux qui n'ont de vie différents et de faire face aux chan­ pas progressé. ce qu'on pourrait gements les plus inattendus. Il s'est donné encore traduire par la formule • qui toutes les spécialisations qu'il n'avait pas n'avance pas recule-. Seuls les (par exemple, il sait se déplacer dans les mutants prospèrent, les autres dis­ airs, dans l'eau et, sur terre, il peut dépas­ paraissent en quelques millénaires. ser la vitesse de tous les autres êtres vivants).

8 Par les fossiles de ses ancêtres, on sait cou encore, et cela, de génération en tique, car les girafes ainsi dotées attei­ que la girafe n'a pas toujours eu le cou génération, jusqu'à ce que la taille actuelle gnaient sans mal de hautes branches aussi long. Pour expliquer comment elle fût atteinte. Cette théorie est fausse. On et mangeaient plus que les autres. Bien a acquis ce caractère deux théories s'op­ sait aujourd'hui que les caractères acquis nourries, elles étaient plus solides et posent: par les parents au cou rs de leu r vie ne eurent des descendants plus nombreux 1. Influence du milieu naturel. Quand une sont pas transmis à leurs descendants; si parmi lesquels survécurent et se multi­ girafe avait dévoré les feuilles des bran­ vous obtenez, par entraînement, des mus­ plièrent, en priorité, les sujets qui avaient ches inférieures d'un arbre, elle devait éti­ cles très puissants et volumineux, vos le cou plus long. En effet, comme la rer le cou pour atteindre des branches enfants n'hériteront pas cette muscu­ nouvelle espèce broutait tout du haut en plus hautes. À cause de cette gymnasti­ lature. bas, celles qui avaient le cou moins long que, le cou de la girafe s'allongeait un peu. 2. Mutation et sélection naturelle. Une avaient du mal à se nourrir. Celles qui Par conséquent, elle mettait au monde des mutation ou des mutations successives héritaient du caractère .. long cou» pros­ girafons dotés d'un plus long cou. À leur changèrent le schéma de construction de pérèrent et, après quelques millénaires, il tour obligés d'étirer leur cou, ils avaient la girafe, et des spécimens à cou long ne resta plus que des spécimens de ce une descendance pourvue d'un plus long naquirent. Ce caractère était très pra- type, seuls capables de survivre.

9 UN ENFANT D'UN AUTRE AGE

Tandis qu'il s'habillait pour aller chez les hominiens. On recherchait donc à un mariage, le professeur le «chaînon manquant", c'est-à-dire un Raymond Dart, de l'université être qui eût un corps de singe et une tête d'homme pourvue d'un gros cerveau. Or de Witwatersrand (Johannesburg, l'australopithèque n'avait qu'un petit cer­ Afrique du Sud), reçut deux cais­ veau, l'aspect de sa face était simiesque. ses de fossiles extraits de la Cependant, il était bipède... et par là il se carrière de Taungs, où l'on avait distinguait nettement des singes. Un être déjà trouvé un crâne de singe à tête de singe sur un corps d'homme! La découverte du professeur Dart vint donc d'une variété disparue. à l'encontre de ce qu'on supposait et l'on n'accepta pas sans mal ce qu'elle révélait Le paléontologue jeta un coup d'œil et que, depuis, le professeur André Leroi­ dans l'une des caisses et remarqua un Gourhan a résumé ainsi : "L'homme a gros bloc de calcaire bréchique qui por­ débuté par les pieds." tait une empreinte de cerveau de primate. Mais ce cerveau paraissait un peu plus RELAIS DE LA MÂCHOIRE: LA MAIN grand que celui d'un singe... Oubliant le mariage auquel il devait Dans l'évolution, les primates ont réalisé Â assister, le savant continua d'examiner le un "bond en avant" grâce à la position Crâne et reconstitution imaginaire du profil de contenu des caisses et bientôt il trouva un assise qu'ils acquirent vers le milieu du l'enfant de Taungs. morceau de crâne qui s'adaptait exacte­ Tertiaire. En effet, cette posture leur per­ ment à l'empreinte. Décidément... la noce mit d'utiliser la main, organe très archaï• Quand il eut dégagé la face du fossile, le se fêterait sans lui! que possédé par certains mammifères. professeur Dart s'étonna de la hauteur du Il entreprit alors de dégager le fossile Les primates se servirent de plus en plus front de ce primate. " n'avait pas l'énorme bourrelet osseux en visière au-dessus des de sa gangue rocheuse, et, après 63 jours de la main, et de moins en moins de yeux que l'on avait observé chez le plus de travail minutieux, il découvrit enfin la leur museau, pour chercher et saisir ancien hominien alors connu : le .lliJhé­ face de cet être inconnu: un enfant de 5 la nourriture. Au cours des millénaires, canthrope. Chez un singe du même âge~--ie à 6 ans, dont les mâchoires portaient leur mâchoire diminua, leur face s'aplatit. bourreTêfosseux sus-orbitaire est déjà bien encore toutes les dents de lait et des Mais, comme le crâne est un ensemble en place. molaires sur le point de sortir. bien équilibré, le volume perdu à l'avant Le professeur Dart vit rapidement que fut regagné ailleurs : le crâne se déve­ son fossile n'était pas un singe. En effet, loppa vers l'arrière de la tête, permettant bien que le crâne de l'enfant de Taungs au cerveau de s'accroître. Grâce à cela, fût relativement petit, la position du trou les singes ,ant.hr.opo.ïdes sont les plus intel­ occipital (par où sort la moelle épinière et ligents des-·animaux, mais leurs mains ne où s'attache la colonne vertébrale) indi­ sont pas totalement libérées (ils sont obli­ quait que cet être marchait droit, sur deux gés de s'appuyer dessus pour se dépla­ pieds, alors que chez le singe le trou occi­ cer) et leur cerveau est resté à un stade pital, situé en arrière du crâne, indique de développement bien inférieur au nôtre. qu'il a quatre pieds. Pourtant, par pru­ Parmi les primates, l'ancêtre de dence, le professeur nomma son fossile l'homme a acquis, en plus, la bipédie Australopithecus africanus .- si nge afri­ permanente, ce qui a entièrement libéré cain-du - u . la main et permis le développement maxi­ mal du crâne et du cerveau. « L'homme BIPÈDE AVANT TOUT... est intelligent parce qu'il a une main", a-t-on dit. Il semble plus exact d'affirmer À l'époque de cette découverte (1924), que "homme est intelligent parce qu'il a l'opinion scientifique avait déjà admis que deux pieds! l'homme était l'aboutissement d'une évo­ Depuis 1936, les découvertes de fos­ lution couvrant des millénaires. Mais la siles d'australopithèques se sont multi­ plupart des savants pensaient qu'un gros pliées: elles ont apporté des arguments cerveau avait été acquis avant toute chose à la nouvelle compréhension de l'histoire par nos ancêtres et avait été la cause des humaine et l'on inclut désormais les aus­ changements physiologiques intervenus tralopithèques dans la lignée hominienne.

10 On appelle "pongidés" ou "singes anthropoï• des" les singes sans queue qui nous res­ semblent le plus, comme le gibbon, l'orang­ outan, le gorille et le chimpanzé (ci-contre). Quand on observe leur comportement, on pense volontiers « qu'il ne leur manque que la parole " ... En fait, il leur manque beaucoup de choses pour nous égaler!

Où com..ence noln histoire? Les prémices de l'humanité sont très anciennes, mais nos origines zoologiqpes sont enC0re mal con­ nues. s'n est vrai que, à partir d'un ancêtre commun (le tronc). deux branches se sont formées, celle des hominidés et celle des pongidés, on doit logiquement conclure, quand on trouve un pongidé fossile. qu'un hominidé lui était contemporain sur l'autre branche. Or. dans le Fayoum (Égypte). on a découvert un pongidé datant de 20 mllllons d'années. Cela signifie que. à la même époque, Il exis­ tait des hominidés dont une lignée devait aboutir à l'homme. Ces êtres, Crâne et départ de la colonne vertébrale: encore si peu humains, on a pensé a - chez l'Australopithéque; les reconnaltre dans J'oréopithèque, b - chez le gorille. Aussi loin qu'on remonte vers nos origines, le ramapithèque et le kenyapithè­ on trouve un étre bipéde; les courbures b Que dont on a exhumé des spé­ de la colonne vertébrale n'étaient peut-étre cimens en Italie, en Inde et en pas les mémes que chez l'homme actuel, et l'Australopithèque était un peu voûté, Afrique. Ils vivaient 11 y a 15 à 20 Les ossements de pied découverts a - bassin d'Australopithèque millions d'années. On croit pOUVOir ultérieurement permellent de déduire b - bassin de l'homme moderne leur attribuer une relative blpédie. qu'il marchait en s'appuyant surtout sur Le bassin de l'Australopithèque, comme Les australopithèques n'ont donc le bord externe du pied; ce qui devait lui le nôtre, était adapté au soutien des donner une allure dandinante, viscères abdominaux en position verticale pas surgi un beau jour dans le monde, se détachant soudain de leur condition animale pour devenir cc ancêtres... Mais l'étude de nos origines commence toujours par eux, parce qu'avec eux commence l'aventure des êtres capables de fabriquer des outils. SI VOUS VOUS POIS

1. Il existe plusieurs sortes de fossiles... 2. D'abord les animaux et les hommes 3. Ensuite, les empreintes de corps préservés de la décomposition ou de plantes pris dans la roche par le gel (mammouth de Sibérie) comme les ammonites, ou le cerveau ou les particularités chimiques du sol de l'enfant de Taungs. (hommes des Tourbières au Danemark) ou bien pris dans des résines fossiles comme l'ambre. Mais le plus souvent on ne retrouve que des ossements.

4. Enfin, les traces laissées sur le sol 5. Non. Nous faisons partie du même 6. Les primates ont tous une vue par les êtres qui ont disparu, ordre zoologique: les primates, stéréoscopique qui permet de percevoir comme l'empreinte de pied humain mais non de la même famille. la profondeur et le relief des choses de la grotte d'Aldène (Hérault). Nous avons peut-être avec le singe et de bien apprécier les distances, un ancêtre commun, encore inconnu ce qui favorise une bonne manipulation actuellement, vers le milieu du Tertiaire. des objets. Cela exige que les yeux Nous ne sommes donc que de lointains soient disposés de face, et non cousins. de chaque côté de la tête.

12 El DES QUESTIONS

En tout cela, l'homme est donc bien semblable aux autres primates. Mais, seul, il a acquis la bipédie.

7. Les extrémités des mammifères 8. L'utilisation de la main est favorisée 9. Certes, les singes peuvent parfois sont adaptées à une fonction définie par la faculté qu'ont certains primates se déplacer sur leurs seuls membres (sabot du cheval pour la course, (singes anthropoïdes et hominidés) inférieurs, mais jamais bien longtemps, nageoire du phoque pour la nage). de mouvoir leurs bras non seulement et tout montre qu'ils ne sont pas Chez les primates, la main n'est pas d'avant en arrière, mais encore faits pour ça. L'homme, lui, spécialisée pour une seule fonction. de bas en haut et sur le côté. a une bipédie permanente: il ne peut C'est un organe préhensile. se déplacer naturellement que debout.

10. Le squelette du singe ne lui 11. De même, les singes emploient 12. Enfin, nous possédons le langage permet pas la bipédie vraie: parfois des instruments, par exemple qui nous permet de fixer nos idées sa tête est entraînée en avant une paille pour attraper des termites. et de transmettre à autrui par l'obliquité de sa colonne vertébrale, Mais ils ne fabriquent pas réellement ce que nous savons. Les singes ses membres inférieurs restent fléchis, d'outils. Par ailleurs, il est rare les plus évolués n'ont qu'une trentaine ses pieds portent mal su r le sol. qu'ils mangent de la viande, de signes vocaux qui s'apparentent tandis que nous sommes omnivores. plus à un code qu'à un langage.

13 QUI AINVENTE LE GALET AMENAGE?

Habituellement, la classification avaient plutôt été prisés par écrasement, des êtres vivants s'établit d'après roulement et autres chocs naturels. À vrai dire, ils ne se distinguaient guère des les caractères biologiques et, plus cailloux aux formes variées qu'on ren­ particulièrement, d'après l'anato­ contre dans la nature. Cependant, sur un mie des sujets observés. Classer espace délimité, les galets « cassés» à l'australopithèque n'était donc pas une extrémité et intacts à l'autre étaient chose facile. Tous les spécimens trop nombreux pour provenir du hasard. De toute évidence, on les avait aménagés étudiés présentaient à la fois des pour obtenir des pointes et des tran­ traits simiens (relatifs aux singes) chants. Enfin, on remarqua qu'ils étaient et des caractères hominiens. faits de lâve et âe quartz, matériauX qui n'existaient pas sur l'emplacement de la trouvaille, mais qu'on rencontrait à 5 km de là. Autrement dit, ces galets tail­ lés avaient été apportés par leurs fabri­ Certes, la bipédie valait aux australo­ cants. Les galets aménagés de Sterkfon­ pithèques leur place dans les rangs des tein furent donc reconnus comme outils hominiens, mais on répugnait à voir un et attribués à un être plus évolué que « parent» dans cet être à mâchoire pro­ l'australopithèque. éminente et à petit cerveau. On s'avisa alors que la biologie, à elle DES CHASSEURS SANS ARMES? seule, ne pouvait départager les carac­ tères spécifiques de l'homme et du singe Cependant, chez l'australopithèque, le anthropoïde et l'on eut recours à un trait mode d'usure des dents dénonçait un humain particulier pour définir l'huma­ mangeur de viande. On avait souvent nité : est homme, ou près de le devenir, exhumé, avec ses restes fossiles, des l'être qui fabrique des outils. Ainsi une ossements de cochons, de gazelles, de particularité non anatomique prenait-elle canards, de rats et de lièvres, animaux valeur de critère pour la classification de taille médiocre pouvant constituer un zoologique d'une espèce. gibier facile. Les australopithèques chas­ saient donc. Mais avec quelles armes? DES OUTILS TRANSPORTÉS Le professeur Dart leur attribuait une industrie ostéodontokératique, c'est-à• Des outils, on ne pouvait croire que les dire constituée d'os, de dents et de cor­ australopithèques en eussent fabriqué. À nes : os brisés en pointe, mâchoires la rigueur, on leur prêtait une occasion­ d'animaux utilisées en racloirs, cornes nelle utilisation d'objets naturels, trou­ de bovidés ramassées en brousse. Là Â vés sur place et abandonnés sitôt après encore, simple utilisation d'objets natu­ Le chopper et le chopping-tool représentent usage: pierre pour ouvrir une noix, bran­ rels et non véritable façonnage d'outils. la forme la plus élémentaire de l'industrie de che pour tuer un petit animal. Comme on n'avait jamais trouvé d'aus­ la pierre taillée. Dans les alluvions de la vallée du Vaal tralopithèque accompagné de son maté­ (Afrique du Sud), aussi anciennes que les riel, on était en présence, dans une même australopithèques, on trouva, en 1956, des région et dans des terrains de même âge, galets de la grosseur d'une balle de tennis d'un être bipède sans outils d'une part, et qui avaient manifestement été taillés tout d'outils sans fabricant d'autre part. autour pour obtenir des arêtes tranchan­ Le savant Louis Leakey avait cepen­ tes. Mais on ne crut pas que l'australo­ dant son idée sur la question. Bien avant pithèque eût été assez intelligent pour les que les outils de fissent parler Examinées à la loupe binoculaire, avoir fabriqués. d'eux, il avait remarqué les innombrables les arêtes des outils de pierre On ne le reconnut pas non plus pour galets aménagés de la gorge d'Olduvai montrent souvent de minuscules inventeur des outils trouvés à Sterkfon­ (Tanzanie); il les avait étudiés et groupés abrasions. des écrasements ou des tein (Afrique du Sud) en 1956. D'ail­ sous l'appellation de pebble culture. Il traces d'usure qui donnent des leurs, en un premier temps, on jugea que était persuadé qu'un hominien proche des indications sur leur utilisation. les cailloux présentés par John Robinson australopithèques en était le fabricant..

14 p

A

La fabrication du galet aménagé le plus simple consiste il frapper un galet brut pour en détacher un éclat et obtenir ainsi un bout tranchant. L'impact du percuteur P (une autre pierre plus dure) est à 90· du plan galet. On obtient ici un chopper (A) .

A B

Si. après cette première opération, on décide d'enlever un autre éclat, on frappe pareillement le galet il proximltB du premier coup. On obtient un choPPlOg-tool (B).

En étudiant un à un ces outils, on se rend ~ compte qu'ils sont toujours taillés selon cer· tains modèles où l'on peut voir des tran­ choirs, des coupoirs et des graHoirs. Les fabricants taillaient leurs galets en vue d'une utilisation précise, et le façonnage de chaque type d'outils se transmettait de génération en génération - ce qui implique des moyens de communication vocaux ou gestuels, et, en tout cas, un minimum d'organisation sociale B c où ceux qui ne savent pas apprennent auprès de ceux qui savent. Entre un galet daté de - 2610000 ans (vallée de l'Omo) et un galet On peut continuer il tailler le galet, soit en frappant toujours du de - 1500000 ans des couches supérieures même côté (C), soit en alternant la perCUSSIon tantôt d'un côté, d'Olduvai, on remarque un progrès : il a tantôt de l'autre. Alors, on obtient un tranchant sinueux (C'). pourtant fallu un million d'années pour passer du fruste chopper au chopping-tool à mul­ tiples enlèvements. La technique de l'homme a connu un lent démarrage!

15 Sédiments lacustres

tuf volcanique

lave

•La stratigraphie d'Olduvai.

.... Le docteur Leakey dans la gorge d'Olduvai. La plaine de Serengeti, où est située la gorge d'Olduvai, fut d'abord occupée par des lacs, puis, brutalement, les cendres d'une éruption du volcan Ngorongoro la recouvrirent. Des lacs comblés il ne resta plus que des étangs et des marécages recouverts par des déchets volcaniques. Puis un séisme formidable sou­ leva la pleine entière. Climat humide et climat sec alternèrent. Sur 40 km, les eaux ont creusé la gorge d'Olduvai dévoilant sur ses flancs un empilement de couches de terrain de 100 m d'épaisseur, dans lesquelles on retrouve les ossements d'êtres qui vivaient il ya plus de 2500000 ans.

gré les efforts de Mary qui filtrait et faisait bouillir l'eau avant de l'acidifier au citron, UNE MIGRAINE le thé des Leakey gardait le fumet entê­ tant du fauve. DE PALEONTOLOGUE 28 ANS DE RECHERCHES! Lors de sa première prospection des lieux, en 1931, le docteur Leakey s'était Malgré son habitude du climat africain ­ tait chaque armée le Coryndon Museum convaincu de l'extraordinaire profusion il était né au et y avait été élevé de Nairobi, dont il était conservateur, de vestiges préhistoriques dans les sédi­ parmi les Kikouyous -, le docteur Leakey pour passer plusieurs semaines dans la ments d'Olduvai, et depuis, obstinément, n'était pas en forme, ce matin du 17 juillet gorge d'Olduvai, avec son épouse Mary. il y revenait chercher des fossiles. Il avait 1959. Il se sentait fiévreux et avait mal à Les Leakey installaient leur camp au bord déjà amassé un grand nombre d'osse­ la tête. La chaleur implacable qui régnait du défilé, entre des collines caillouteuses ments d'animaux et il s'étonnait de n'avoir dans la gorge d'Olduvai ne pouvait qu'ag­ et solitaires, où maraudaient parfois des encore jamais trouvé de fossile hominien. graver ses malaises. Aussi décida-t-il de lions. À leur point d'eau, unique à des Pas la moindre dent en 28 ans, alors que rester sous la tente. kilomètres à la ronde, s'abreuvait et se les galets aménagés abondaient. Cette Depuis 28 ans, le docteur Leakey quit- baignait un rhinocéros, si bien que, mal- malchance était d'autant plus irritante que

16 ... Machairodus, animal contemporain des aus­ tralopithèques.

Nombre de mammifères découvrent leurs ~ canines pour effrayer l'adversaire. Le buttle est défendu par ses cornes, les équidés par leur aptitude à la course. D'autres bêtes ont des défenses, des griffes, ou l'agilité, la rapi­ dité. La fragile antilope s'enfuit si soudai­ nement que son chasseur reste interdit. Le putois décourage l'attaquant par son odeur repoussante. Le serpent a son venin, la tortue sa carapace, et le caméléon se fond dans le paysage. Certains animaux intimident l'ad­ versaire en augmentant leur volume: le coq ébouriffe ses plumes, le chat, le chien et le babouin se hérissent, le gorille et l'ours se redressent, l'épinoche se gonfle... Peu d'êtres sont biologiquement aussi démunis que l'homme devant le danger.

les progrès de la physique nucléaire per­ UN HOMME EN 400 MORCEAUX mettaient désormais de dater les couches volcaniques de la gorge d'Olduvai et, du C'étaient bien des dents que Mary avait même coup, de connaître l'âge des cou­ vues luire dans la roche, des dents tou­ ches fossilifères intercalées. tes noires, brillantes et énormes, mais La fin du séjour approchait, et il y avait vraisemblablement hominiennes. Avant de fort à parier que, cette année encore, on toucher à la précieuse découverte, les plierait bagage sans avoir découvert le époux Leakey pleurèrent de joie. Ils mirent plus petit fragment de l'être qui avait taillé 19 jours à extirper le fossile de la roche les outils que l'on classait déjà comme et, afin de n'en perdre aucun fragment, ils industrie d'Olduvai. passèrent au crible des monceaux de La migraine diminuait encore les chan­ rocaille et de terre d'éboulis ramassés sur ces de découverte. Tant pis! ce serait pour la pente située au-dessous de leur décou­ l'année suivante! Mary partit seule pour le verte. Quand ils eurent terminé, ils avaient terrain de fouilles et le docteur Leakey, recueilli quelque 400 fragments... mais ils résigné, s'assoupit... Il se réveilla bientôt tenaient leur homme! Ils lui donnèrent en sursaut : au volant de la Jeep, Mary pour nom Zinjanthropus boisei (du terme revenait au camp à toute allure, fonçant arabe zinj, qui désigne l'Afrique orientale, droit à travers trous, caillous et brous­ du grec anthropos, qui signifie sailles. "Ça y est! elle a été mordue par "homme", et de Boise, nom du mécène un serpent 1", pensa le savant. Il n'eut pas qui finançait leurs recherches). le temps de se livrer à d'autres supposi­ tions. Mary stoppa devant la tente et, sans même arrêter le moteur, s'écria: "Je l'ai trouvé! Je l'ai trouvé!" Elle n'avait pas besoin de préciser. Le La stratigraphie est l'étude des stra­ docteur Leakey avait compris: Mary avait tes, ou couches de terrain super· enfin découvert le fabricant des outils posées. Logiquement, dans une d'Olduvai. Fièvre et migraine s'envolèrent coupe, la plus profonde couche est d'un seul coup. Le savant sauta dans la aussi la plus ancienne. Mais des Jeep et, arrivé sur le terrain, il se sentit phénomènes peuvent changer J'or­ même dans une forme si extraordinaire dre des strates : plissements. glis­ qu'il courut allègrement pour franchir les sements, éboulements. Intervention derniers mètres non carrossables jusqu'au humaine. lieu de la trouvaille.

LA PRËHISTOIRE. - 2 CHASSEUR OU GIBIER?

La découverte du zinjanthrope fit vie si paisible, comment expliquer qu'on tion, Robinson répondit : «parce qu'il ait trouvé près de lui des outils peu utiles n'employait pas d'outils.» Il lui fallait de grand bruit parce que, pour la à un végétarien? Et pourquoi reposait-il l'aplomb pour avancer cet argument alors première fois, des outils de pierre parmi des restes d'animaux dont les os qu'on avait trouvé des galets aménagés, étaient exhumés en association brisés montraient qu'on avait mangé le associés à des ossements de zinjanthrope. directe avec des ossements homi­ gibier jusqu'à la moelle? Ce mangeur de Mais il fit remarquer que, chaque fois niens et que, pour la première fois tubercules et de fruits aurait-il été pris, qu'on avait un Robustus avec outils, on parfois, de subits désirs de carnage? avait aussi, pas très loin et souvent con­ aussi, la datation était possible C'est peu probable. Aussi certains préhis­ temporain, un Africanus, plus évolué quoi­ (K 40/A 40 - voir ci-dessous) .. elle toriens pensent qu'il était plutôt là non que de souche plus ancienne, et qui révéla que le zinjanthrope avait comme chasseur, mais comme victime de utilisait depuis plus longtemps des outils vécu il y a quelque 1 750000 ans. la chasse, gibier du fabricant de chopp­ semblables. Jamais on n'avait pensé que ing-tools. Pour nombre de préhistoriens, le gra­ cile australopithèque (Africanus) serait l'homme fût si ancien... LES ROBUSTES ET LES GRACILES l'utilisateur des galets aménagés. Il aurait chassé et mangé le bipède robuste comme Le crâne d'Olduvai appartenait à un La liste des tres anciens fossiles s'est un quelconque gibier et l'aurait supplanté jeune d'environ 18 ans, comme l'indiquent beaucoup allongée depuis la découverte grâce à son intelligence. les fontanelles incomplètement ossifiées de Leakey, et l'analyse des spécimens et les dents de sagesse non abrasées. Il d'australopithèques conduit à les diviser possédait un cerveau à peine plus grand en deux groupes. Le premier comprend que celui des actuels singes anthropoïdes, des êtres de petite taille (1 m à 1,30 ml, mais volumineux par rapport à sa taille, graciles, sans crête sagittale, à bourrelet qui devait avoisiner 1,50 m. " avait une sus-orbitaire peu accusé, à petites molai­ mâchoire massive, dont les muscles puis­ res et fortes canines. On y classe sous sants s'attachaient à une arête osseuse l'appellation d'Australopithecus africanus située au sommet de la tête: la crête sagit­ les fossiles du même type que l'enfant de tale. Ses molaires, malgré leur grosseur, Taung. présentaient de nets caractères hominiens Le second groupe est constitué d'homi­ et leur usure dénotait une alimentation niens plus grands, plus lourds et plus frus­ plutôt végétarienne. tes, pourvus de grosses molaires, d'une On peut imaginer le zinjanthrope crête sagittale et d'un bourrelet sus-orbi­ vaquant tranquillement entre savane et taire. On les rassemble sous le nom de forêt, à la recherche de graines et de fruits, Paranthropus robustus. Ce groupe com­ comme le font les bandes de gorilles que prend, entre autres, les paranthropes de l'on voit de nos jours dans les clairières Kromdraai et de (Afrique du des forêts d'Afrique. Mais, s'il menait une Sud) trouvés par Broom et Robinson, ainsi que le zinjanthrope. 40/ 40 STAGNATION ET ÉVOLUTION Dans les roches volcaniques qui en Au long des temps. l'Africanus a changé contiennent, le potasslu rn 40 (K 40) dans son aspect: il a grandi, ses traits se se désintègre en se transformant en sont affinés. Le Robustus, lui, a perduré argon 40 (A 40) qui reste prisonnier plus d'un million d'années sans change­ dans la roche. Cela se fait selon une ment notable: stabilité telle que, au crâne cadence connue appelée période. du zinjanthrope, vieux de 1750000 ans, on Il faut en effet 1 milliard 300 mil­ a pu ajuster une mandibule de 500000 ans lions d'années pour que la désinté­ trouvée au lac Natron. gration soit complète. L'analyse. sur Pourtant, l'évolution humaine est un échantillon, du rapport K40/A 40 remarquable par sa rapidité. Tandis qu'il révèle la date de formation du sédi­ a fallu 58 millions d'années pour que ment. Ainsi peut-on dater, indirec­ l'Eohippus menât au cheval actuel, entre tement, tout fossile enfermé dans nous et le moins humain des fossiles cette roche. La méthode fut appli­ qu'on peut ranger sur notre arbre généalo­ quée pour cannaTtre l'Age du Zin­ gique, le ramapithèque, il ne s'est écoulé janthrope et, comme elle permet de que 15 à 20 millions d'années. reculer très loin dans le temps, on Pour quelle raison le Paranthropus l'utilise aussi pour dater les fossiles robustus n'évolua-t-il pas? À cette ques- de la vallée de l'Omo et de l'Afar, encore plus anciens. .& .& Crâne du zinianthrope. Reconstitution imaginaire du visage du zin· ianthrope.

Silhouette osseuse de Lucy. ~ De type gracilis, Lucy était une petite créature haute d'un mètre, qui mourut il l'âge de 20 ans environ, comme le montrent ses dents de sagesse non usées. Après 3 millions d'an­ nées de sommeil dans son linceul de roche, elle a fait un grand voyage: de l'Afar (Éthio- pie orientale), où elle fut découverte, elle fut transportée à Paris où elle a débarqué le parties retrouvées 21 Janvier 1975 empaquetée dans un sac de voyage. Lucy est l'australopithèque dont on possede le plus d'éléments: mandibule, morceaux de crâne, 7 côtes, 9 vertèbres, bras droit presque complet, moitié du bras gauche, plusieurs doigts, un fémur, des fragments de tibia, un demi-bassin et le sacrum (qui révèlent l'ap­ partenance au sexe féminin).

.... Pour quelques savants, les différences entre les deux formes d'australopithèques tiennent au sexe, le Robustus étant le mâle et l'Afri­ canus l'individu féminin d'une seule et même espèce. Mais les dissemblances sont si impor­ tantes entre les deux groupes que les paléon­ tologues reiettent l'hypothèse d'une simple différence sexuelle et supposent que seul le rameau Africanus avait quelque chance d'aboutir à l'homme, alors que la branche Robustus se serait éteinte il y a un demi­ million d'années.

19 Continuant ses fouilles à Olduvai, l.Jtakey trouva encori, en 1960, dans un U inférieur à celui du zinjanthrope, un fos­ sile dont les traits lui parurent bien plus évolués que ceux des australopithèques connus. La reconstruction de la calotte crâ• nienne permît de voir que le cerveau dè cet hominien avait un volume de 670 cm 3, alors que celui de Paranthropus robus­ tus ne dépassait pas 500 cm3 et que celui d'Afticanus atteignait. au maximum, 600 cm3 • Comme le fossile était accompa-

Un .....preeid' ... datation: le. trac de fission dans robsidienne L'obsidienne est un verre naturel d'origine volcanique. Elle contient des traces d'uranium 238 qui ten· dent à exploser en produIsant de minuscules traces de fis­ sion nucléaire. Au microscope, on compte ces traces sur une z.one précise de l'échantillon. Ensuite, on irradie le morceau d'obsidienne afin de provoquer l'" explosion .. de tous les atomes fissiles restants, puis l'on recompte les traces de cette fission totale. Puisque l'on sait à quelle vitesse elles se produÎsent dans des conditions naturelles. la différence entre le nombre de traces naturelles et celui des traces provo­ quées donne le temps écoulé entre la formation de J'obsidienne et le jour de son analyse. gné d'outils, Leakey se dit que, cette fois, il détenait pour de bon l'authentique inven­ teur des galets aménagés. Hardiment, il baptisa sa découverte Homo habilis (homme capable), ce qui revenait à pro­ mouvoir au rang d'homme cet être plus ancien et apparemment différent des aus­ tralopithèques.

HOMO HABILIS DESTITUÉ a Homo habilis ne devait pas rester longtemps sur ce piédestal. Pour la majo­ arcade dentaire: a - parabolique (hominienne) rité des paléontologues, ses dents étaient b . en U (simienne) trop semblables à celles d'Afrieanus, et le les formes intermedlaires marquent volume de son cerveau entrait dans la les etapes de l'evolution gamme des variations individuelles pos­ sibles chez les australopithèques. La plu­ part donnèrent donc Homo habilis pour une simple variante locale d'Afrieanus, sans doute plus avancée sur la voie de l'hominisation. Destitué de son titre, Homo habilis fut  considéré comme un banal Australopithe­ Le professeur Camille Arambourg, lors d'une eus afrieanus. Mais, en 1972, une étude campagne de fouilles. menée au C.N.R.S. par Nicole Petit-Maire face triturante des molaires et premolaires et Michel Chazon reprit la question de la tus sur un rameau cousin qui n'a pas eu a decoupage en Y (pongides) spécificité d'Homo habilis. La première de postérité. Afrieanus, lui, a pu donner b· decoupaÇje en 1 (hominiens) partie de cette minutieuse analyse des Homo habilis et, en même temps, se caractéristiques dentaires conclut au perpétuer encore sous la forme ancienne, bien-fondé de la conviction de Leakey : en suivant une évolution différente, dans Homo habilis mérite bien son nom et il une branche parallèle. Une espèce peut peut être distingué des australopithèques. en effet durer encore longtemps à côté les hominiens n'ont pas de Des découvertes récentes confi rmeront des formes nouvelles qui se sont déta­ ._ ._ cingulum peut-être les conclusions provisoires de chées d'elle. ibourrelet il la base de la couronne) cette étude : en août 1972, dans une L'existence d'Homo habilis, si elle est couche datée de - 2600 000 ans, sur la confirmée, n'implique pas non plus que V rive du lac Rodolphe (aujourd'hui lac cet être avancé ait été le seul fabricant Turkana, Kenya), un hominien fut exhumé d'outils et qu'on doive renvoyer Afrieanus par Richard Leakey, fils du célèbre paléon­ tout nu et sans armes dans la savane, tologue. Le crâne aurait une capacité de éventuel gibier de son semblable amélioré 3 880 cm , volume jamais atteint par un Homo habilis. D'ailleurs, comme le fait australopithèque et qui témoignerait du remarquer avec humour le paléontologue degré élevé d'évolution d'un contempo­ Yves Coppens, tant qu'on ne retrouvera rain d'Afrieanus. Cette" grosse tête» des pas de squelette tenant un caillou taillé temps premiers de notre" histoire» a reçu dans la main, la question demeurera l'appellation de 1470-Man (du numéro ouverte. 1470, qui lui fut alors attribué). Aussi, en attendant d'en connaître En 1974, la mission archéologique davantage, nous gardons tous ces homi­ chez les singes. les canines depassent les franco-américaine de Maurice Taïeb et niens dans notre parenté sous l'appella­ autres dents et leurs pointes se logent dans Carl Johanson mit au jour, dans l'Afar, à tion globale d'australanthropes. les diasthémes (espaces entre 2 dents l'est de l'Éthiopie, plusieurs mâchoires du maxillaire oppose) supérieures et une mandibule datées de Les dents nous renseignent aussi sur les ~ 4 millions d'années. Ce n'est pas tant habitudes alimentaires. l'ancienneté de ces pièces qui est extraor­ Les dents de Paranthropus robustus portent dinaire que l'aspect de ces mâchoires, qui souvent de microscopiques stries causées par .- semblent bien, cette fois, appartenir à des des grains de silice. Cela signifie qu'il se le volume de la cavité êtres du genre Homo. nourrissait, entre autres, de tubercules man­ pulpaire est très grand gés tels quels au sortir de terre. Les facettes chez les singes: c'est le taurodontisme: ANCÊTRES ET COUSINS d'usure indiquent la nature des aliments le le caractère. plus ou plus souvent consommés. La carie dénonce moins marque. situe un régime riche en sucre (baies, fruits, tuber­ dans l'evolution les L'australopithèque serait-il rejeté hors de cules sucrés). Enfin, diverses irrégularités formes intermédiaires notre lignée? Ce n'est pas si simple! On dans l'épaisseur de l'émail témoignent de la place généralement Paranthropus robus- durée des maladies.

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tquallur ,/ /' ,,, "/)/ "" ~ Fracture "" , ( " • Épanchement basaltique /,"" ::::::: Fossé d'eHondrement o km .. Carte d'Afrique montrant le tracé de la Rift Valley (d'après R. Furon). Cette longue zone d'effondrements terrestres serait la partie visible d'une immense ligne de fissures qui ceinture le globe, masquée par les océans mais repérable au sud de la Californie et en Irlande. La terre continue de gronder et des volcans de couver leur feu au long de la Rift Valley. Aussi certains géo­ logues estiment-ils que, dans quelques mil­ lions d'années, l'Éthiopie, le Kenya, la Tanza­ nie et le se détacheront du continent et deviendront des Îles, comme Madagascar.

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Il Y a quelque 15 millions d'an­ formèrent en régions arides et devinrent un obstacle séparant l'Afrique de l'Asie. nées, vers la fin du Tertiaire, Plus tard se forma aussi la mer Rouge une vaste forêt tropicale s'éten­ dans le fossé d'effondrement situé entre dait sans interruption de l'Afrique Afrique et Arabie. jusqu'en Inde. Géologues et cli­ À l'espace vital forestier des préhomi­ matologues révèlent que la Terre niens succéda donc un espace plus réduit, découpé en savanes parcourues par des connut dès lors nombre de crises herbivores et des carnassiers. C'est ce qui bouleversèrent le milieu dans milieu plus ouvert, plus riche, mais aussi lequel vivaient nos plus lointains plus dangereux que les australanthropes ancêtres préhominiens. durent dominer. Il est certain que seuls Il y a 5 millions d'années, la les plus adaptables purent y prospèrer. L'étude des gisements à australanthro­ ligne de faiblesse de la croûte pes révèle que les australopithèques terrestre qui traverse l'Afrique se légers (Africanus) fréquentaient un pay­ mit à craquer, à s'effondrer ou à sage sec, alors que les robustes se soulever pour laisser passer le (Paranthropus robustus) hantaient les .. Terence Spencer·Colonlic magma interne par de grands vol­ parties boisées et humides. Leur histoire est révélatrice : les 11 fallait à nos ancêtres assez d'astuce pour cans, qui existent encore (Nyira­ robustes végétariens bénéficiaient d'une échapper aux prédateurs ou aux animaux gongo, Ngorongoro, Kilimandjaro, vie plus nonchalante, dans un milieu plus hostiles. Une simple bande de babouins est déjà redoutable! Que dire alors du babouin mont Kenya). doux, plus paisible, car les grands carnas­ géant (Simopithecus) qu'ont dû rencontrer les siers ne s'aventurent guère en forêt et australanthropes ? chassent seu lement en savane. Il suffisait Ces formidables éruptions et tremble­ aux paranthropes de cueillir ce qu'of­ ments de terre créèrent ce qu'on appelle fraient en abondance arbres et plantes. aujourd'hui la Rift Valley, qui s'étire du Aucune organisation en bandes ne s'im­ Zambèze à Israël. Cette vallée, formée par posait car, en cas de danger - on est vite l'effondrement du sol, réoccupée par des hors de portée dans la forêt -, il n'est nul fleuves et des lacs (Malawi, Tanganyika), besoin de faire face en bloc. sépara en deux l'ancien monde uni­ Les robustes vivaient donc en harmo­ forme de la vaste pénéplaine forestière. nie avec leur environnement, mais ils en Jusqu'alors découpé selon le sens est­ étaient étroitement dépendants. Ils durè­ Datation zoologique ouest par de grands fleuves comme le rent très longtemps sans se modifier, Congo, l'espace fut brutalement redé­ mais aussi sans progresser, et ne purent Paléontologues et géologues datent coupé selon un axe nord-sud, et des survivre à l'assèchement progressif de aussI les couches de terrain par les paysages très divers se formèrent, des leurs zones de vie, ni faire face à la animaux fossiles qu'ils y rencon­ montagnes et des lacs apparurent qui concurrence d'autres espèces. trenl. Les coquillages et les mol­ entraînèrent la modification des climats lusques sont de bons Indicateurs de locaux. SURVIVRE... GRÂCE Â L'INTELLIGENCE climat, tels disparaissant en cas de La période qui va de - 5 millions à refroidissement. tels a.utres en cas - 35 000 ans fut donc bien chaotique: le Les graciles, quant à eux, eurent à comp­ de sécheresse. climat, jusqu'alors équilibré et monotone, ter avec un milieu plus hostile, où, pour SI les mammifères fournis­ se mit à osciller par phases alternati­ survivre, il fallait être vigilant, observa­ sent des données moins préci­ vement arides et pluvieuses, chaudes et teur, rusé, rapide et adroit. Ils évoluèrent ses, Ils caractérisent néanmoins une froides. rapidement, car la savane exigea d'eux à période. Amsi, le mastodonte ne la fois des outils-armes pour remédier à se trouve que dans le Quater­ UN NOUVEAU MILIEU l'absence d'armes naturelles et une vie en naire ancîen, l'éléphant mèridlonal bandes pour lutter contre les prédateurs. allant du Quaternaire moyen Jusqu'à Dans l'hémisphère Nord, l'avancèe ou le Les individus les plus intelligents avaient - 350000, suivi de l'éléphant anti­ recul des glaciers a marqué ces varia­ donc plus de chances de vivre et de se que et du mammouth. qui dispa­ tions climatiques, tandis que, en Afrique, reproduire et, corrélativement, les diffi­ raissent le premier vers - 80000 et déserts et savanes s'étendaient. Le nord cultés dont ils devaient triompher contri­ le second vers - 8000 de l'Afrique et le Moyen-Orient se trans- buaient à développer leur intelligence.

23 CHANGIM_NT DE REGIME

Nous considérons de nos jours qu'un certainement pas d'un seul coup. Les repas sans viande ne saurait être qu'une ancêtres des australanthropes qui s'aven­ collation. Pourtant notre organisme sem­ turèrent les premiers dans la savane ont ble plutôt construit pour supporter une peut-être commencé par ramasser des alimentation végétarienne. Notre denti­ morceaux de viande facilement détacha­ tion, dépourvue de grosses canines, ne bles sur des charognes de bêtes mortes peut, comme celle des carnassiers, déchi­ naturellement. Cela complétait leur menu queter aisément la chair crue; notre long composé de graines, de feuilles, de raci­ intestin fonctionne mal sans apport végé­ nes et, sans doute, d'insectes. tal; la graisse animale durcit nos artères On peut aussi supposer qu'ils atten­ et nous digérons mieux les graisses végé­ daient, comme les hyènes actuelles, qu'un tales. Enfin nous avons, devant le danger, grand carnassier fût repu pour s'emparer .. des réflexes physiologiques de peur que des restes de sa proie. La vie en bandes L'étude du comportement des primates ne connaissent pas les animaux spécia­ s'imposait déjà pour disputer les cha­ actuels montre qu'ils ne sont qu'occasionnel­ lisés pour la chasse. rognes à toutes les bêtes qui se servent lement carnivores et que, parmI eux, ce sont habituellement après l'animal chasseur. les babouins, singes adaptés à la vie sur le NOURRITURE ÉCONOMIQUE sol et en savane, qui chassent le plus. CHASSE À MAINS NUES Phénomène curieux, dans certaines bandes Pourtant les australanthropes, et sans de babouins, les mâles chassent systémati­ quement les lapins; dans d'autres, seule la doute avant eux leurs ancêtres, acquirent Quelques captures étaient possibles sans rencontre fortuite d'un animal est l'occasion le goût de la viande. Cette disposition, armes, mais il fallait que ce fussent de de tuer et de dévorer de la chair. Pareil­ parce qu'elle leur permettait de trouver de petits animaux, faciles à dépouiller avec lement, sans doute, les préhominiens se sont la nourriture dans des milieux très divers, mains et dents. Avec de la patience, on essayés à la chasse, et, de plus en plus, en les aida à s'adapter à la vie en savane. peut surprendre les oiseaux qui nichent ont fait le moyen prIncipal de se procurer de Le changement de régime ne se fit au sol, ou les petits mammifères rongeurs la nourriture. et fouisseurs. On parvient aussi à se saisir Les Bochimans tiennent leur nom des Hollan- ~ d'un canard sauvage au moment où il dais : bushmen signifie (( hommes des buis­ plonge, ou quand il s'ébat au sortir de sons". l'eau, juste avant l'envol. Repoussés dans le désert du Kalahari par l'invasion des Bantous et des Blancs en Afri­ Même un animal comme le lièvre n'est que du Sud, ils vivent dans ce milieu très aride pas imprenable. Leakey a réussi à en approximativement comme devaient vivre les attraper plusieurs à mains nues selon la australanthropes. Toutefois, ils ont, comme tactique qu'il décrit ainsi "Quand le tout Homo sapiens, une intelligence bien lièvre est sur le point de démarrer, ses supérieure à celle de nos ancêtres, et oreilles se rabattent complètement. Alors leurs armes sont autrement plus élaborées il foncera en plein à droite ou en plein à puisqu'ils chassent à l'arc. gauche. Si vous êtes droitier, vous vous précipiterez à droite et vous vous placerez donc sur un des deux trajets qu'il va automatiquement prendre. Vous avez une dernier bond d'une vingtaine de mètres. chance sur deux d'attraper "animal qui Puis elle se croit sauvée. Il suffit de faire court droit sur vous et qu'il suffit de un détour pour l'approcher par-derrière et ramasser au passage comme une balle de la "cueillir". cricket rasant le sol. Si vous le ratez, tout n'est pas perdu il va sûrement se fourrer ET DEVANT LES GROSSES BÊTES ? .. dans un buisson et y demeurer immobile, croyant vous avoir semé. Vous pourrez Mais une antilope, non plus que le porc alors le ramasser.» sauvage ou le jeune zèbre ne se peuvent Encore aujourd'hui, un Africain de dépouiller avec des dents d'hominiens et brousse qui voit une petite antilope, même des mains désarmées. Le babouin, dont s'il se trouve par hasard sans armes, ne les australanthropes fracassaient le crâne laissera pas passer cette «viande» sous pour en dévorer la cervelle, ne se lais­ ses yeux sans tenter de l'attraper, et bien sait sûrement pas capturer comme une souvent il y parvient. L'antilope court vite, gazelle 1 Les restes de ces gibiers trouvés mais pas longtemps. Elle s'échappe en avec les australopithèques montrent que une course de quelque 200 m, puis se fige ceux-ci employèrent de plus en plus armes aux aguets. Elle redémarre, pour de nou­ et outils et que, au cours des millénaires, veau stopper net après une centaine de ils devinrent assez bons chasseurs pour mètres. Elle peut encore s'éloigner en un s'attaquer au gros gibier.

Diverses techniques de chasse : à mains nues (affût, chasse au lièvre); avec armes (bâtons, massues, pierres). La viande, sous un faible volume, rassasie davantage que les aliments végétaux. Dans la savane où baies, fruits et feuilles sont plus rares qu'en forêt, surtout en saison sèche, mais où, en revanche, abondent les rongeurs et les herbivores de toutes tailles, le régime carné s'imposait. Marcher à l'aventure tout en guettant le gibier, s'immobiliser longuement sans HORIDES OU faire le moindre bruit, courir, sauter, ram­ per entre les hautes herbes sur un terrain accidenté et sous un soleil brülant, ne sont guère des exercices auxquels peu­ GROUPES FAMILIAUX? vent s'adonner des mères encombrées de petits. Le portage du bébé gêne la mobilité de l'australanthropienne. Le petit n'a pas le réflexe de s'agripper avec doigts et orteils, car son pied est construit pour marcher et non pour saisir, comme en témoigne le pied d'australanthrope trouvé à Olduvai et dont les os montrent que le gros orteil ­ qui manque -, à peine écarté des autres, n'est pas préhensile. Au demeurant, à quoi le petit se füt-il accroché s'il en avait eu l'instinct comme les bébés singes? Car on peut aussi bien imaginer l'australanthropienne dépourvue du pelage que certains lui attribuent géné­ reusement et penser que sa peau nue

... Structure d'Olduvai. Fouillant une couche datée de - 1800000 ans à Olduvai, Leakey rencontra des cailloux de basalte. Comme ils n'étaient pas façonnés, il n 'y attacha tout d'abord aucune attention. Mais leur nombre finit par l'intriguer, aussi décida-t-il de les laisser sur la couche, exac­ tement comme il les trouvait. Quand le déca- page fut terminé, il eut la surprise de consta­ ter que les cailloux étaient groupés en petits tas, ces tas formant eux-mêmes un demi­ cercle près d'une murette de pierre sèche. Il avait découvert le premier habitat d'austra- lanthropes connu. Ces tas de pierres constituaient-ils un simple brise-vent? Y avait-il une vraie hutte? Nul ne le sait. Mais on a là, à coup sûr, un lieu de vie. La construction d'une hutte ne demande pas plus d'intelligence que le façon• nage d'outils, aussi est-il plus que probable que les australanthropes aménageaient des abris.

... Site de Gomboré 1 à Melka·Kontouré (Éthio• pie). Il y a 1500000 ans, des australanthropes s'installèrent là, sur une plage sableuse de l'Awash. Ils occupèrent cette base pendant quelque temps, puis une crue du fleuve a tout recouvert d'alluvions. Jean et Nicole Chavail­ Ion ont mis au ;our ce qui reste d'un campe­ ment. C'est une plate-forme d'environ 10 m2, dégagée de toute pierre, et surélevée de 30 cm. Son bord abrupt forme un talus qui ne peut être naturel. Sur le côté, des cailloux dis­ posés en petits tas circulaires ont peut-être calé des branches. Plus loin, sont entassés des déchets de taille, des outils usagés, des ossements et des éclats utilisés. L'analyse des restes osseux du gibier montre que les chasseurs ont sélectionné des canines d'ani­ maux, des fragments osseux très pointus.

26 recouvrait une couche de graisse, comme la nôtre. Certes, tout le monde connaît des peu­ ples où les mères portent leu rs enfants su r le dos. Mais l'enfant ne se maintient pas seul: il est sanglé dans une étoffe ou un panier, objets déjà fort élaborés... Enfin, le bébé hominien demandait des soins: il fallait lui apprendre à se nourrir, à marcher; il fallait veiller à ce qu'il ne fût pas la proie d'un animal, ni agressé par insectes et scorpions.

NOURRITURE PARTAGÉE

En conséquence, on a tout lieu de croire que les australanthropiennes ne suivaient pas souvent les chasseurs dans leurs ran­ données, mais attendaient, en un point convenu, de les voir rapporter de la viande. Ainsi, contrairement à tous les autres primates chez qui règne le "cha­ cun pour soi" en matière alimentaire, l'hominien a dû partager sa nourriture, et l'on peut voir là l'origine de l'organisation familiale où les hommes nourrissent les petits et les femmes. La condition féminine chez les austra­ lanthropes n'était pas pour autant toute de passivité et d'attente: durant l'absence des mâles, les femmes s'adonnaient sans doute, avec les enfants en âge de les aider, à la cueillette de graines consommables, au ramassage d'insectes, de larves et de lézards, et peut-être préparaient-elles la "maison» pour la nuit. Car les australanthropes établissaient près des points d'eau des abris où demeuraient les faibles de la bande. Ainsi futures mères, mères et petits bénéfi­ ciaient-ils de meilleures conditions de reproduction et de croissance que chez les autres primates, où l'on abandonne ceux qui ne peuvent suivre le groupe. Outre les refroidissements dus aux nuits fraîches et aux pluies, les maladies n'étaient pas rares. Une étude américaine sur les maladies des primates conclut que la malaria, la dysenterie amibienne et la fièvre jaune existaient déjà au temps des australanthropes. Les dents du zin­ janthrope révèlent que sa santé était médiocre depuis son enfance et qu'il souf­ frit d'une longue maladie à rechutes qui, sans doute, l'emporta à l'âge de 18 ans.

1. Femme bochiman partant à la cueillette au (Afrique australe).

2. Les Bochimans n'installent pas de structu­ res durables: ils se déplacent constamment, se contentant d'un paravent de branchage. Les cases photographiées ici sont des demeu­ res imposées par le gouvernement sud·afri­ cain lors d'un recensement. L'AFRIQUE BERCEAU OU CUL-DE-SAC?

Rien n'est encore venu relever la a exhumé un fossile, le kenyapithèque, rare mais que l'on trouve encore dans le boutade de l'abbé Breuil selon daté de 15 millions d'années, intermé­ bassin du Congo, vivaient en Grèce il y laquelle le {( berceau de l'huma­ diaire entre formes simienne et homi­ a 25 millions d'années. Le cœlacanthe, nienne. La gorge d'Olduvai, de couche en qu'on croyait disparu depuis 70 millions nité est un berceau à roulettes ", couche, montre une continuité des austra­ d'années, fut aussi pêché près des côtes car la question du lieu de nos lanthropes au pithécanthrope, aussi bien d'Afrique. origines n'est pas résolue. dans les fossiles que dans le niveau tech­ L'Afrique pourrait donc être une terre nique des outils. d'asile où des australanthropes, venus Enfin, Yves Coppens a découvert, sur d'un autre point du monde, auraient duré Il existe une théorie, l'hologenèse, qui une rive du lac Tchad, un hominien (Tcha­ plus longtemps qu'ailleurs. L'ancienneté résout le problème en le supprimant: il n'y danthropus uxoris) qui confirmerait que, des fossiles de ce continent ne signifie pas aurait pas de berceau du tout; des homi­ loin de s'être cantonnés au sud et à l'est forcément que l'humanité y soit née. Le niens différents répartis dans le monde de l'Afrique, les australanthropes ont vécu ramapithèque de l'Inde et l'oréopithèque auraient évolué chacun pour son compte sur tout le continent, à l'exclusion de la d'Europe méritent autant que le Kenya­ et auraient simultanément abouti à l'Homo grande forêt de l'Ouest. pithèque de figurer près des racines de sapiens en divers points du globe. L'extension des hominiens se serait notre arbre généalogique. Mais les paléontologues nous rappel­ alors faite vers l'Asie à partir de l'Afrique lent que, selon toute vraisemblance, les par l'Arabie, et vers le sud de l'Europe par LES AUTRES CONTINENTS espèces naissent d'abord en un endroit la Turquie, car il existait peut-être un pont réduit et déterminé, puis s'étendent peu à terrestre au niveau des Dardanelles. À défaut de fossiles, la découverte de pe'J partout où leur vie est possible. choppers en Asie et en Europe y atteste Les tenants du «berceau Afrique" ont UNE TERRE D'ASILE? la présence humaine dans des temps de bons arguments: c'est en Afrique que reculés. L'absence de fossiles d'austra­ furènt découverts les plus anciens homi­ Pour d'autres auteurs, l'Afrique n'est pas lanthropes dans ces régions signifie seu­ niens, certains remontant à 4 millions un berceau, mais un refuge pour les lement qu'on ne les a pas encore trouvés d'années. En Afrique également vivent les espèces que menacent les changements - s'ils se sont conservés -, mais non singes les plus proches de l'homme, ce climatiques ou qui ne peuvent résister à qu'ils n'existent pas. qui suggérerait que la différenciation la concurrence d'êtres mieux adaptés. Car, ni en Asie ni en Europe, on s'est produite dans cette région. On y À l'appui de cette thèse, on remarque n'a, comme à Olduvai, une formidable que des tribus actuelles, dites «primi­ séquence de couches volcaniques favora­ Le dinotherium a disparu d'Eu­ tives" en raison de leu r retard technolo­ bles à la conservation et à la datation, et rope il y a 15 millions d'années, gique, sont souvent cantonnées dans des dont les niveaux sont accessibles grâce tandis qu'il a persisté en Afrique «fins de terre". C'est le cas des Bochi­ aux ravinements des eaux. Les dépôts jusqu'au début du Quaternaire. mans d'Afrique du Sud, des Fuégiens de intéressants sont souvent masqués par la pointe de l'Amérique du Sud et des des épaisseurs de sédiments telles que Esquimaux du Grand Nord. les fouiller reviendrait quasiment à soule­ Un autre argument avancé par J. Pive­ ver des montagnes. Olduvai et la vallée de teau est que des espèces animales dispa­ l'Omo restent des sites exceptionnels. rues dans l'hémisphère Nord se sont per­ Selon les découvertes, qu'on peut tou­ pétuées plus longtemps en Afrique. Par jours espérer, notre berceau risque encore exemple, le dinosaure subsista sur ce de rouler de l'Afrique au nord de l'Inde e continent au Tertiaire alors qu'il n'existait passant par le Moyen-Orient... plus ailleurs depuis le Secondaire. Des ancêtres de l'okapi, animal aujourd'hui

Dans le Massif central, à Chilhac, près d~ Brioude, le professeur Guth a découvert des galets aménagés, datés de -1 800 000 ans. Ce sont donc les plus vieux outils actuel­ lèment connus en Europe,

28 Trouvé en Toscane et daté de - 16 millions ~ d'années, l'oréopithèque se place sur la lignée qui mène à l'homme. Bien que les caractères de ce primate ne ;ustifient pas l'appellation d'homme donnée par la presse, son existence montre qu'en Europe vécurent aussi des êtres susceptibles de s'hominiser. Nomenclature des _stralanthropes les plus connus Les hominiens actuellement regroupés sous l'appellation d'aus­ tralanthropes ont reçu, lors de leur découverte, des noms divers qu'on a parfois changés depuis. Australo pithecus prometheus, par exemple, fut ainsi nommé parce qu'on le trouva associé à des traces de feu. Mais l'incendie, très vaste, prove­ nait d'un feu de brousse naturel. Afrique du Sud • Australopithecus africanus Dart, de Taung; • Australopithecus transvaalensis (ou Plesianthropus), de Sterkfontein; • Australopithecus prometheus, de ; • Australopithecus robustus (ou Paranthropus robustus), de Krom­ draai; • Paranthropus crassidens. de Swartkrans ; • Telanthropus. de Swartkrans. Afrique orientale • Zinjanthropus boisei, d'Olduvai; • Prezinjanthropus ou Homo habilis, d'Olduvai; • Australopithecus. de Peninj. Kenya' 1470-Man. Éthiopie Lucy (Afar). Afrique centrale' Tchadanthropus uxoris.

• Spécimens encore à l'étude. .- ~<'i!~~'"'~ ;.) .." .. .. i /..:.,~- -\ .::/1" :.;' ~~!~. ;)Îh'~'/') .~\ .;,\ 'C'-.:..~~J~\')l.. ' i'~:''; ·W.to!~ ~. (- . .... ?(" ... ",. ...".. -'.'. ~':"-._~. "-'~ .'f' ••.. :

vue antérieure vue latérale Australopithecus africanus

Plesianthropus Zinjanthropus crânes d'Australopithecus

30 UNE QUESTION CAPITALE•••

On a vu que les australanthro­ construction de leur espèce et ne doit Un couple de chercheurs américains, pes fabriquaient des outils, chas­ rien à la réflexion. Les animaux dressent Mr. et Mrs. Gardner, a révélé que, bien saient, construisaient sans doute leurs petits dans les limites imposées par qu'il possède un larynx aussi complexe ce schéma; ils suivent un programme que le nôtre, le chimpanzé ne parvient des abris, peut-être des huttes. génétique. Au-delà, ils ne sauraient leur pas à parler. Mais on peut lui enseigner Mais nous voyons aussi que enseigner quelque chose qui ne serait pas le langage des sourds-muets. Le chim­ les animaux chassent, aménagent directement utilisable pour leur survie. panzé des Gardner exprime donc, par ce leurs habitats, et qu'il leur arrive Cependant, on a observé que l'ani­ moyen, des choses assez complexes; il d'utiliser des instruments, ce qui mai est capable d'invention, du moins de utilise des signes gestuels qui sont de découverte: en Écosse", un oiseau décou­ véritables symboles. implique un minimum d'observa­ vrit un jour que le bouchon d'une bou­ Cependant, ce qu'il communique ne tion, car, pour casser une noix teille de lait cédait sous son bec. Les jours concerne que l'immédiat, car seul le lan­ avec une pierre, il faut avoir expé­ suivants, tous les bouchons des bouteilles gage donne la possibilité de situer une rimenté que la pierre est plus dure déposées devant les portes étaient crevés, action dans le temps, au passé ou au que la noix... et la crème bien entamée... futur; c'est ce qui le rend fondamentale­ De même, des savants japonais ont ment différent de tout système de signaux assisté à une «invention" chez des maca­ - aussi élaboré soit-il - et éminemment Devant leur nid de cire, on s'émerveille ques: un de ces singes se mit à laver, cha­ supérieur. Se repérer dans le temps exige de 1'« ingéniosité» des abeilles, on admire que jour, ses pommes de terre dans un en outre une mémoire et des facultés d'as­ l'habileté du tisserin qui entrelace des cours d'eau; bientôt tout le groupe de sociations de haut niveau, que le singe milliers d'herbes pour faire un nid léger macaques en fit autant. Dès lors, les n'atteint pas. et bien étanche, on s'étonne de 1'« intelli­ zoologues japonais entreprirent de provo­ Enfin, les signes qu'il utilise, le chim­ gence" des castors bâtisseurs de barra­ quer des progrès chez ces animaux: ils panzé ne les a pas inventés lui-même ­ ges, mais il ne viendrait à personne l'idée apprirent à l'un d'eux à jeter dans l'eau sans doute parce qu'il n'en éprouvait pas que leurs réalisations font de ces animaux du blé mélangé de sable, afin que le grain le besoin - et il n'est pas certain qu'il nos égaux. Car l'abeille ne sait que cons­ flottât. La famille de macaques adopta saurait les enseigner à ses congénères, truire ses alvéoles hexagonales; le tisse­ aussitôt le procédé. avec les notions qu'ils recouvrent, et qui rin serait incapable de copier le nid d'une Il semble donc qu'il y ait possibilité de n'ont pas forcément cours dans leur milieu hirondelle; les dons d'architecte du cas­ transmission d'une découverte chez les naturel. En forêt, le cri reste plus efficace tor ne s'appliquent qu'à la seule construc­ animaux. Mais, d'une part, 1'« invention" que de petits signes des mains. tion de son barrage. est due au hasard et non à la réflexion et, Le comportement de ces animaux est d'autre part, la transmission de l'expé­ SI LE CHIMPANZÉ PARLAIT... héréditaire; il entre dans le schéma de rience se fait par imitation. C'est que les animaux ne disposent pas Pou rtant, s'il nous advenait d'entendre 1. Quand une abeille a trouvé du nectar, elle de symboles pour désigner les choses, un chimpanzé nous dire clairement : revient vers sa ruche et, par une danse, elle expliquer leurs rapports et exprimer des indique à ses congénères le lieu de collecte, «Donne-moi la main", nous n'oserions sa distance et même, semble-t-i1, la nature du actions. Ils ne parlent pas. Certes, ils plus le traiter comme un singe. C'est sans nectar. On s'émerveille de cette puissance de poussent des cris, se lancent des appels, doute que la différence essentielle entre communication. Pourtant, ce code dansé est mais, là encore, ces sons n'ont qu'un l'homme et l'animal réside non seulement inscrit dans le programme génétique de l'in­ nombre limité de significations et ils font dans la fabrication de l'outil, mais encore secte, qui l'emploie instinctivement, sans partie du bagage génétique, comme la dans le langage. avoir à l'apprendre. L'abeille ne peut trans­ construction d'une seule espèce de nid. Il est possible que la communication mettre que des expériences concernant la humaine ait commencé par des cris et des récolte du pollen. Sa danse n'est pas un UN CAS TROUBLANT appels, et que plus les expériences à langage. transmettre se sont multipliées, plus les 2. Les fourmis ne parient pas plus que les Le cas du chimpanzé, dressé par ses maî• sons se sont diversifiés. Mais la genèse abeilles. Elles reconnaissent certaines tres à comprendre et à employer le lan­ du langage reste un mystère, tandis que odeurs qui les guident. gage des sourds-muets, déconcerte. son utilisation par un australanthrope peut Leur organisation est très relative, bien être examinée. qu'on les sache divisées en soldats et ouvriè­ res autour d'une reine. En fait, les opérations Les australanthropes parlaient-ils? hors de la fourmilière causent beaucoup de Le langage n'a pas pour seul but Cette question capitale, puisque sa pertes, en raison d'une certaine pagaille. C'est de permettre la communication avec réponse classe ces primates parmi les surtout le nombre qui maintient l'efficacité, nos semblables. Avant tout, les hommes ou les renvoie au monde des plutôt qu'une réelle organisation. mots, appliqués à nos impressions, animaux, fut longtemps éludée sous pré­ 3. Infatigables travailleurs, les castors permettent de mieux les fixer dans texte que rien ne permettrait jamais d'y abattent des arbres, bâtissent des huttes. la mémoire et de les évoquer, même répondre. Pourtant, en 1964, un savant, le Mais leur ouvrage le plus remarquable est la lorsque nous ne les ressentons plus. professeur André Leroi-Gourhan, la repre­ construction de barrages. nait et y répondait.

31 LA REPONSE

S'appuyant sur les découvertes de pour d'autres activités, cet organe fonc­ la neurologie, le professeur André tionne normalement. L'expression est ici atteinte au travers de la main, qui ne Leroi-Gourhan, dans son ouvrage parvient pas à rendre la parole intérieure le Geste et la parole, rappelle que par des signes graphiques convenus. La les zones du cerveau qui gou­ zone qui correspond à la main préside vernent la face et la main «parti­ donc bien, elle aussi, à la possibilité de cipent conjointement à l'élabora­ traduire en symboles ce qui est en nous. Qui n'a entendu dire, d'ailleurs, qu'un tion des symboles ». Il existe, dans enfant gaucher risque de devenir bègue si le cerveau, des centres qui vous l'on contrarie sa tendance naturelle? Cela donnent la faculté d'associer des vérifie le lien étroit qui existe entre la choses, de les comparer et de main et le langage. considérer leurs rapports.. d'au­ Nous savons aussi que l'oiseau qui transporte une herbe pour faire son nid tres nous permettent d'associer obéit à son instinct: de toutes les façons aussi des choses à des symbo­ dont l'herbe pourrait être utilisée, il n'en les, autrement dit d'utiliser des connaît qu'une, qui est inscrite dans son mots. Une autre zone commande programme génétique, et il n'en trouvera les gestes de la main dans l'écri­ pas d'autres. Le singe qui utilise une brindille pour attraper des termites asso­ ture, qui est l'expression linéaire cie deux choses qui sont sous ses yeux, de la pensée. c'est déjà un progrès. Chez l'homme, ni l'outil, ni sa forme, ni sa destination ne sont inscrits dans LA MAIN ET LE LANGAGE son programme génétique : les créa­ tions humaines peuvent être - et sont ­ Une maladie qu'on appelle aphasie extrêmement diverses, car non seulement trouble la faculté d'associer les mots aux l'homme est capable d'associations, mais choses qu'ils signifient; le malade n'est il sait les fixer par des symboles, les pas muet ni idiot, mais il ne peut exprimer traduire et les transmettre. par les mots convenus ce qu'il ressent ou On sait que le cerveau des austra­ pense; il emploie un mot pour un autre lanthropes comprenait les aires d'asso­ ou émet une suite de syllabes qui n'ont ciations et du langage. Mais les austra­ aucun sens. lanthropes pourraient avoir possédé les Un autre trouble, l'agraphie, empêche centres cérébraux nécessaires... et avoir le sujet atteint de coordonner les mouve­ été «trop bêtes" pour les utiliser. ments de sa main pour écrire, alors que, LE PROJET

Le cerveau du chimpanzé, même s'il n'a pas, C'est là surtout qu'intervient l'analyse du à proprement parler, de centre du langage, professeur André Leroi-Gourhan. Celui-ci comprend toutefois des centres d'associa­ démontre que la parole et la création d'un tions. Mais, sans les signes que lui enseigne objet ont un point commun: les deux son maître, signes qui sont eux-mêmes des opérations exigent que l'homme cc ait en symboles de mots, les associations dont il est tête" la chose ou l'action que désignera capable ne sortiraient pas de lui et s'évanoui· raient au fur et à mesure que lui viendraient le mot (sa signification), ou la forme d'autres impressions. Le singe n'apprend pas qu'aura l'outil selon sa destination, qui, spontanément ce langage. elle aussi, est prévue. L'enfant humain acquiert le langage natu· Quand l'australanthrope se saisit d'un rellement, au fur et à mesure de ses besoins. galet, il n'est pas nécessaire qu'il se dise: La possibilité de parler est génétique, la cc Tiens, voilà un beau galet! Je vais en structure du langage est culturelle, mais on faire un chopper", ni même qu'il se repré· peut penser que le besoin d'explication et de sente nettement l'outil terminé. Il n'y a compréhension dont naÎt le langage fait par­ pas forcément de formulation avec des tie de notre schéma de construction hérédi· taire (qu'il est génétique), puisque toutes les mots, ni même d'image précise comme sociétés, même les plus primitives, cherchent une photo daris sa tête. une explication de la vie humaine et, bien Mais, grâce à la mémoire 'où sont res­ souvent, lui assignent un but. tées des impressions antérieures de tran- chant (arêtes naturelles), il associe plu­ L'INTENTION ET LE GESTE Dans ce dessin, les proportions du corps sieurs choses : l'arête de pierre et sa humain suivent celles des aires du cerveau possibilité de trancher, puis le galet, qui Quand l'australanthrope détache un éclat qui y correspondent. Les aires qui président n'a aucun sens en lui-même, et l'outil qui du galet, c'est qu'il fait l'association aux mouvements de la face et de la main sont les plus étendues. n'existe pas encore. Par des gestes bien « enlèvement d'éclat = tranchant". En ordonnés, il va traduire, dans la matière, quelque sorte, son geste pour détacher l'outil qu'il a en tête. l'éclat contient déjà la signification « tran­ les propriétés et la fonction de l'outil qu'il chant", même si le mot n'existe pas dans a en tête, l'australanthrope peut ordonner LES SONS ET LES MOTS sa tête. Dès lors, le geste qu'il fait prend une succession de mots qui exprimeront valeur de symbole. Il n'est pas inscrit dans les impressions qui l'habitent. Le langage part du même procédé : les son programme génétique, il traduit une Les australanthropes avaient donc non sOfls n'ont aucun sens en eux-mêmes. chose, un projet qui est en lui. seulement la possibilité (aires du cer­ Ce que nous appelons « table", nous Le pouvoir de créer répond du pouvoir veau), mais aussi la capacité de parler pourrions l'appeler « chaise ». Or, asso­ de parler. Car l'invention du mot est de (traduction en symboles de ce qui est ciés à des significations précises, les sons même ordre: si l'australanthrope inscrit perçu ou ressenti). Et l'on peut présumer deviennent des symboles: les mots. Alors, l'outil dans le galet, qui n'a aucun sens, il - avec de fortes probabilités - qu'ils ils nous permettent d'évoquer des choses peut inscrire une chose dans un son qui utilisaient un langage à la mesure de leur (ou des événements) qui ne sont pas ne signifie rien par lui-même. À partir de niveau technique: un système rudimen­ forcément sous nos yeux. Mais, à ces ce moment, le mot, et non plus le geste, taire, sans doute, mais fait de mots qui, à sons, il faut d'abord qu'ont ait attribué un évoque la chose qui est là, ou qui pourrait leur tour, ont entraîné la formation de sens pour qu'ils deviennent des symboles. être là. Et, de même qu'il sait ordonner la chaînes de mots pou~ fixer la pensée et la L'australanthrope en était-il capable? succession de gestes qui donnera au galet transmettre.

LA PRÉHISTOIRE. - 3 33 QUIIDONSAn ou CHERCHER.••

L'australopithèque était encore le monde scientifique de l'époque, il espé­ inconnu lorsque Eugène Dubois, rait rencontrer une tête d'homme asso­ médecin hollandais, s'intéressa à la ciée à un corps de singe... Aussi, il crai­ paléontologie. Le "chainon manquant .. gnit d'être en possession d'un banal fos­ dont on parlait tant, Dubois décida, par sile de gibbon et continua ses recherches. déduction, qu'on le trouverait: Un jour, en 1891, il exhuma un fému r 1. dans une région ni atteinte ni boulever­ incontestablement humain, le fémur d'un sée par les glaciers; homme parfaitement bipède. Troublé, il 2. dans un pays où vivaient nos lointains étudia minutieusement la calotte crâ• parents, les singes anthropoïdes. Ce serait nienne et ce fémur, et conclut que les deux donc en Afrique, où l'on a des chimpanzés pièces provenaient d'un même être qu'il et des gorilles, ou bien en Asie, et plus appela Pithecanthropus erectus (Singe­ précisément en Indonésie, où subsistent homme debout). Dès lors, le chercheur gibbons et orangs-outans. se lança dans une tournée de conféren­ Ces certitudes auraient pu n'être ces pour présenter son "homme... On qu'une vue de l'esprit, une théorie comme "écouta, on examina son fossile, mais on il en est tant, n'apportant rien d'autre discuta, on douta beaucoup: le fémur et que des pointages sur une mappemonde... la calotte crânienne appartenaient-ils à un Mais, fait extraordinaire, unique dans l'his­ même homme? Dubois n'avait-il pas fait toire de la recherche scientifique, ce que des erreurs de stratigraphie énormes? Dubois avait déduit de ses lectures et de Comment pouvait-on supposer qu'un sa réflexion dans le calme d'un cabinet, il fémur aussi droit fût celui d'un être au allait le vérifier sur le terrain. crâne si réduit? Ces doutes ne furent pas En 1888, il s'engagea comme chirur­ du goût de Dubois. Vexé, fâché, il enferma gien dans la M~rine royale hollandaise son pithécanthrope dans un coffre et jura basée à Sumatra. C'était l'endroit rêvé, et de ne plus le montrer. pourtant ses fouilles dans la région le Le pithécanthrope fut donc séquestré déçurent : il ne trouva que des dents pendant 28 ans! d'orang-outan. Mais il apprit bientôt qu'un crâne LE CHAINON MANQUANT? humain fossile avait été mis au jour dans l'île de Java. Il manœuvra pour obtenir d'y En 1923, à la demande du gouvernement être envoyé. À Java, on lui montra le crâne de son pays, Dubois admit de libérer récemment trouvé. C'était une pièce peu son fossile et, de nouveau, il le présenta ancienne: là encore, il fut déçu, mais il ne au monde scientifique, accompagné du OCEAN se découragea pas quand il découvrit lui­ fragment de mandibule qui avait constitué PA CfFIQUE même, au lieu du cc chaînon manquant", sa première trouvaille, et d'un moulage qui un crâne exactement semblable et tout permettait d'évaluer la capacité crânienne aussi récent au village de Wadjak. du pithécanthrope: 900 cm 3. Bientôt, il put oublier les suspicions qui avaient accueilli SAI LANKA LE SINGE-HOMME DEBOUT sa découverte, car de nouvelles trouvail­ ( ....11Uf les, en Chine, vinrent confirmer l'exis­ Eugène Dubois se transporta à Trinil, au tence, sur le continent asiatique, d'hom­ bord du fleuve Solo qui creuse son lit mes semblables au pithécanthrope de dans d'épaisses couches de cendres et de Java. tuf volcaniques, dont on tirait parfois des Le fossile de Dubois n'était pas, ossements que les légendes du pays attri­ comme il le croyait, le chaînon manquant OCitAN buaient à des géants bénéfiques. Il trouva, entre un hypothétique ancêtre simiesque

lui aussi, des restes d'animaux fossiles, et l'homme, mais il était le premier repré­ INDIEN puis, en 1890, un morceau de mandibule sentant connu de la nappe humaine qui a (dont il ne parla pas avant 1924). suivi celle des australanthropes, bien que NDlNEL L'année suivante, le terrain lui livra une rien ne nous autorise à affirmer avec ZÉLANDE molaire et enfin une calotte crânienne. certitude que le pithécanthrope soit le Mais ces pièces ne ressemblaient en rien résultat d'une évolution à partir du type à ce qu'il attendait, puisque, comme tout australopithèque.

34 ... Site du pithécanthrope au bord du fleu"e Solo (lie de Ja"a) et, en dessous, coupe du terrain. Les sédiments "oleanlques où l'on trouva le fossile s'enfoncent lusqu'. 100 m de profon­ deur et contiennent des ossements d'hippo­ potames et d'éléphants. Les Indigènes. qui Il arrl"alt d'exhumer ces os énormes croyaient qu'Ils témoignaient de l'incarnation d'esprits prottlcteun sous forme de géants.

~terre végétale =.....

tuf volcan sableux

gisement du PITHÉCANTHROPE. + tuf volcan siliceux

r -'...~~uilles ~~ùŒ" SO:IO~:=;~~~~~~=~~==~~:~~§=:~=:::=~I~U~fs~d~U~rs~. ~ra~Y~és~d~e~b~la~n~c~ Les pièces osseuses du pithé­ conglomérat dit "de Lahar", à éléments volcaniques canthrope. Le fémur porte des excrois­ sances (exostoses) qui se produisent ------couches------:-----,...-..-,---marines avec bancs de coraux parlols après un traumatisme ou lors de diverses maladies infectieuses comme la tuberculose, la typhoïde ou les fiè­ vres éruptives. La forme de ce fémur suppose un bassin large, soutenant bien l'abdomen en position verticale. .... Les Îles d'Indonésie et l'Australie ont été, il Y nées; c'est pourquoi elle ne possède que des La calotfe crânienne montre un énorme a fort longtemps, partie intégrante du con­ mammifères marsupiaux, tel le kangourou. bourrelet sus-orbitaire continu, derrière tinent asiatique. L'Australie se détacha la Les îles d'Indonésie ont pu, quant à elles, lequel le crâne se rétrécit BU niveau première, avant l'extension des mammifères être peuplées par toutes sortes ·de mammifè­ des tempes. La molaire est très grosse, placentaires (dont les petits se développent res, dont des singes anthropoïdes et l'homme, mais de type humain. dans l'utérus), voici 90 à 70 millions d'an- avant de se séparer du continent.

35 .. Site de Chou-kou-tien (Chine). La colline du Dragon comportait de nombreuses cavernes et des failles comblées ou effondrées. Les chercheurs quadrillèrent le terrain avant de l'éventrer à la dynamite. I/s découvrirent que ce site avait été occupé par diffé­ rentes nappes humaines jusqu'à - 9000.

... Tête osseuse et reconstitution du visage du sinanthrope. Certains auteurs groupent les archanthropes sous l'appel/ation Homo erectus, mais les aus­ tralanthropes méritaient ce nom avant eux...

36 h ...... ' DE LA POUDRE Une mandibule recueillie à Sangi­ ran par Koenigswald, en 1941, 1u1 attribuée à une forme géante D'MellIES... de pithécanthrope (Meganthropus ou Plthecanthropus pa/eojavanl­ cus), en raison de l'épaisseur de l'os Au début du siècle, lorsqu'un Chi­ Durant des années, on fouilla et on qui dépasse non seulement celle ramassa des restes d'une cinquantaine des hominiens, mais aussi celle des nois se sentait fatigué, on lui con­ pongidés pour atteindre pratique­ seillait d'absorber une médecine d'individus, surtout des os crâniens et faciaux, mais aussi quelques os longs: ment l'épaisseur d'une mandibule particulière, très efficace et utili­ portions de fémur et d'humérus, l'en­ de très grand gorille mâle. sée depuis des siècles en Extrême­ semble étant daté d'environ 500 000 ans. Les dents sont aussi plus grandes Orient: une poudre grisâtre, aigre­ Selon certains paléontologues, le que chez le pithécanthrope, tout ell sinanthrope diffère peu du pithécanthrope présentant les mêmes caractères. Il lette, faite d'os et de dents broyés se peut qu'on ait là une preuve au pilon. On prisait tant de Java; entre ces deux archanthro­ ce pes, il n'existe que des «variations », pas de variations individuelles très mar­ remède que les commerçants chi­ plus importantes que celles qu'on observe quées à "intérieur du type pithé­ nois finançaient eux-mêmes la entre diverses races actuelles. canthrope plutôt qu un géant, car le recherche et la collecte, dans la volume de la mandibule ne témoi­ ET EN EUROPE ? .. gne guère de la taille. de son pos­ campagne,autour de Pékin, des sesseur. « dents de dragon" qui entraient Ces découvertes éclairèrent d'un jour dans sa composition. nouveau le plus ancien fossile humain jamais rencontré en Europe jusqu'alors: la mandibule de Mauer (Allemagne) pour laquelle on avait créé, lors de sa décou­ UN CIMETIÈRE DE DRAGONS verte en 1907, les vocables Homo heidel­ bergensis ou encore maueranthrope et Un géologue suédois, Anderson, décou­ euranthrope. Sa comparaison avec les vrit un jour une molaire humaine dans le spécimens présentés par Dubois et Black bocal d'une pharmacie chinoise. Il se établit que l'homme de Mauer représen­ renseigna sur sa provenance : on l'avait tait en Europe le même type d'homme, et recueillie sur la colline du Dragon, en la position de ce fossile sous 24 m d'allu­ haut de Chou-kou-tien, à 60 km de Pékin, vions en faisait aussi le contemporain de dans une grotte à demi comblée et que ses homologues d'Orient. l'on prenait pour un cimetière de dragons. Bien des spécialistes nomment Pithe­ Anderson se rendit sur les lieux avec des cantropus erectus l'homme de. Java, et amis dont l'un tomba effectivement sur Pithecanthropus sinensis celui de Chine. deux molaires prises dans la roche cal­ Nous préférons regrouper sous l'appel­ caire. Conscient de l'importance de cette lation d'archanthropes les hommes qui trouvaille, Anderson apporta ces pièces à vécurent d'environ - 600000 à - 100000. Davidson Black, jeune médecin qui se spécialisait en paléontologie et qui comp­ UNE MYSTÉRIEUSE DISPARITION tait trouver un jour, lui aussi, le «chaînon manquant», Les fossiles des sinanthropes connurent Le docteur Black réussit à organiser un sort mystérieux : en 1941, on les une expédition à Chou-kou-tien en 1927, embarqua sur un train qui devait rallier mais, parmi de nombreux fossiles d'ani­ Ts'ing-tao, où un bateau en partance pour maux disparus, on ne trouva cette année­ les USA devait les prendre en charge. là qu'une seule dent humaine, C'était Mais le train fut pris par les Japonais assez cependant pour que Black, con­ avant d'atteindre sa destination; quant au vaincu après de multiples mensurations et bateau, il sombra sans avoir reçu sa pré­ Mandibule de Mauer. comparaisons que cette dent appartenait cieuse cargaison. On sait que les Japo­ Cette pièce fut trouvée près de Heidei­ berg, en Allemagne, dans une couche à une espèce humaine très ancienne, nais recherchèrent les fossiles dans tout très profonde qui contenait aussi des créât l'appellation de Sinanthropus peki­ Pékin, ce qui signifie qu'ils ne les avaient ossements d'éléphant antique, de rhi­ nensis (homme chinois de Pékin). pas trouvés dans le train capturé. La nocéros étrusque, de machairodus et L'année suivante, dirigée par le docteur disparition de ces pièces demeure une d'ours. Selon certains auteurs, cette Pei, l'expédition récolta une moisson plus énigme, mais, heureusement pour l'his­ mandibule serait même plus ancienne abondante: des dents, mais surtout une toire de l'homme, de nombreux moulages que le sinanthrope et remonterait à calotte crânienne presque entière. Le des fossiles avaient été faits avant la environ 750000 ans. sinanthrope prenait forme. guerre et distribués dans divers musées.

37 La stature des archanthropes variait de 1,55 m à 1,65 m selon leur sexe. Le LES MYSTERIEUX front, surtout chez le type de Java, était très fuyant, presque absent, derrière un bourrelet sus-orbitaire continu, très volu­ mineux, formant visière au-dessus des ACHEULEENS yeux. Les mâchoires, projetées en avant, portaient une dentition qui présentait des traits archaïques. La mandibule s'effaçait sans marquer de menton. On remarque, durant les millénaires qui voient s'étendre cette humanité, d'impor­ tantes variations dans la capacité crâ• nienne, qui va de 900 cm 3 à 1100 cm3. L'accroissement du crâne entraîna sans doute, dès cette époque, un dimor­ deux trois quatre cinq et plus ... phisme sexuel (différence de structure enlèvements liée au sexe) plus prononcé, car la sélec­ tion naturelle a sûrement joué en faveur des femmes, dont le bassin permettait de . mettre au monde, sans dommage, des enfants à tête plus volumineuse, et dont les hanches élargies supportaient vail­ lamment le poids de la grossesse. L'aspect des archanthropes est plus (section) évolué, plus humain que celui des aus­ tralanthropes. Mais, à l'époque de leur (profil) • découverte, la comparaison avec leurs biface acheuléen prédécesseurs encore ignorés était impos­ sible. Aussi les jugea-t-on simiesques, Prenez un nodule de silex d'environ 30 cm de lon­ le pourtour du nodule. Cette taille laisse un profil malgré leur parfaite bipédie, et incapables gueur sur 15 cm de largeur, et, par suite de coups très sinueux, et les négatifs (creux produits par de fabriquer des outils. perpendiculaires portés avec un percuteur de pierre les enlèvements) sont profonds. dure, détachez des éclats larges et épais sur tout ET POURTANT•.•

Près du sinanthrope, le docteur Pei avait recueilli des outils qui semblaient frustes parce qu'ils étaient en quartzite, matériau médiocre pour la taille. On les trouva pourtant trop élaborés pour provenir du sinanthrope. C'est que, si l'on acceptait le sinanthrope pour auteur de cette indus­ trie lithique, il fallait alors reconnaître frappe tangentielle (face) (profil) (section) qu'il avait aussi lui-même utilisé les foyers • qui accompagnaient les outils. biface abbevillien Un peu partout en Europe et en Ce biface lourd, mal dégrossi, doit être repris avec frapper les bords non pas à 90°, mais tangentielle­ Afrique, on rencontrait, dans des couches un percuteur doux (bois ou os), qui enlèvera des ment. Votre geste doit être dirigé de l'extérieur de même âge que les pithécanthrope éclats plus minces et plus longs. Désormais, il faut vers le centre de l'objet. et sinanthrope, des outils qu'on a longtemps appelés «coups-de-poing" et qu'on dénomme aujourd'hui bifaces, car il est plus judicieux de les baptiser selon leur aspect (taillés sur les deux faces) que selon leur usage, qui a pu être fort divers. La première découverte de ces outils se produisit à Saint-Acheul (Somme). Aussi parle-t-on, pour la période de - 500000 à - 100000, d'industries acheuléennes et, par extension, on désigne comme acheu­ léens leurs mystérieux fabricants. La préparation du bord vous permettra d'obtenir un En 1954, un fossile proche du type profil rectiligne aigu et une silhouette bien régulière. sinanthrope, l'atlanthrope, vint éclairer la COMMENT FAÇONNER UN BIFACE ACHEULÉEN 7 situation : le professeur Arambourg le découvrit à Ternifine (Algérie) dans un

38 terrain daté de - 400000, et accompagné poing) est qualifié d'abbevillien (d'Abbe­ de bifaces et hachereaux acheuléens. Dès ville, Somme). Il semble avoir précédé lors, on put attribuer les outils acheuléens l'acheuléen,. mais aucune datation n'est à tous les archanthropes et reconnaître possible, car on ne le trouve que dans des au sinanthrope l'usage du feu. terrains bouleversés. Ensuite, les bifaces acheuléens s'affinè­ DES OUTILS DIVERS rent, s'allégèrent. Au cours des temps, ils s'aplatirent, leur profil tranchant devint En Asie, la tradition du chopping-tool à rectiligne, ils prirent souvent la forme tranchant sinueux persista; le matériau d'une amande de 12 à 15 cm de longueur ne permettait guère de fignolage. En Bir­ sur 6 à 7 cm de largeur. Ils servaient à manie, on utilisait du bois silicifié, qui se couper le bois, la viande, à ouvrir des os, délite lors du débitage, et, en Malaisie, du peut-être à gratter des peaux ou à écorcer quartzite dont la manière d'éclater est dif­ des branches. C'étaient plutôt des outils ficilement prévisible. En Inde, de grands à tout faire que des armes. éclats, grossièrement retouchés, étaient utilisés pour couper et racler. L'Afrique connut un type d'outil par­ Éclats clactoniens. ~ ticulier, allié au biface : le hachereau, Parallèlement à l'abbevillien et à l'acheuléen sans doute utilisé en couteau plutôt qu'en ancien, on a remarqué, dans certains sites, hache. en particulier à Clacton-on-Sea, en Angleterre, des industries presque entièrement consti­ Les premiers outils d'Europe résul­ tuées d'éclats. Ces éciats grossiers sont obte­ taient d'une taille tout autour d'un galet; nus par l'utilisation d'une frappe violente qui une partie ne porte pas d'enlèvements: provoque un bulbe de percussion épais. /ls c'est le talon, par où l'outil était saisi. sont parfois sommairement retouchés ou por­ Ce type de biface grossier (le coup-de- tent des encoches.

39 filant au loin par les côtés, avant l'arri­ 1. Site de Torralba (Espagne). vée de la ligne grondante de l'incendie. Ici furent trouvés les os fossilisés du gibier Quelques bêtes, affolées, chargèrent droit des archanthropes : plus de 30 éléphants, JOURNEE environ 25 chevaux, une demi-douzaine de devant elles, vers des mares au-delà rhinocéros, quelques aurochs et des cerfs. desquelles les attendaient des chasseu rs L'analyse des pollens fossiles prélevés armés de piques et de branches enflam­ dans le sol atteste qu'en cet endroit crois­ DE CHASSE mées. Paniqués, aveuglés par la fumée, les saient des roseaux, et qu'il s'agissait donc pachydermes s'avancèrent dans le maré­ d'un lieu très humide. À l'entour, la végétation cage. comprenait des pins et des ifs. ILYA Ce fut alors un beau tapage. Agitant Des traces de feu, éparses dans le sol leurs oreilles comme de larges feuilles, de la plaine - et ne se présentant pas du la trompe relevée, menaçante, les élé­ tout comme des vestiges de foyers domesti­ phants barrirent désespérément pendant ques -, suggèrent que les archanthropes incendièrent bois et broussailles pour mener 300000 plusieurs heures en essayant de se tirer les animaux dans la fondrière. de la vase où, inexorablement, s'enfon­ çaient leurs lourdes masses. Les jeunes 2. Site d'Ambrona (Espagne). ANS bêtes, moins lourdes, qui parvenaient à Ce site offre aussi un beau tableau de regagner la terre ferme, étaient repous­ chasse: plus d'une quarantaine d'éléphants, sées vers la fondrière par les chasseurs. entre autres gibiers, sans doute abattus par Les hommes cernaient maintenant le les mêmes chasseurs et selon la même tac­ Du haut d'une petite colline de Castille marécage. Légers, ils se tenaient pru­ tique que ceux de Torralba. Un seul crâne qu'on appelle aujourd'hui Torralba dei demment au bord de la fondrière où se d'éléphant a été retrouvé, troué à son som­ met. Curieusement, I!ne défense a été affùtée Mora, un groupe d'archanthropes obser­ débattaient les bêtes. Quand un éléphant comme une pointe de crayon. vait la plaine. Une autre bande d'hommes enlisé jusqu'au ventre donna tous les Les os alignés appartiennent à des bêtes les rejoignit bientôt, peut-être ceux qui signes de l'épuisement, ils le tuèrent à différentes et leur disposition dénote l'inter­ avaient leurs habitudes à 5 km de là, au coups de piques. Le corps massif de la vention humaine. On a pensé qu'ils mainte­ bord du rio Ambrona. On n'était jamais bête forma une île depuis laquelle ils naient au sol des peaux jetées sur des piquets trop nombreux pour une chasse à l'élé­ harcelèrent les autres éléphants et les ou des défenses (des cercles de pierres, tout phant! abattirent, des branches jetées sur la vase proches, ont aussi pu ;ouer ce rôle). Déjà, les lourds épieux étaient fin prêts. faisant pont d'une dépouille à l'autre. Mais l'endroit où ces os se trouvent était Dès l'aube, on avait cherché les branches très humide il y a 300000 ans; aussi peut-on interpréter cet alignement d'os comme un les plus droites, dans les bois les plus LA CURÉE pont posé sur la vase visqueuse. Dans un coin durs. On avait attendri au feu leurs extré­ de ce site gisait sur le flanc la moitié d'une mités pour les affûter facilement, puis on Alors commença le carnage. À coups de carcasse d'éléphant parce que les hommes avait durci les pointes en les présentant à bifaces, on ouvrit le cu ir épais des élé­ n'ont dépecé que le flanc accessible, l'autre la flamme, sans les brûler, juste le temps phants à l'encolure pour détacher les étant pris dans la vase. qu'il fallait. Il ne restait plus qu'à atten­ têtes, morceaux de choix où 5 kg de cer­ dre... velle pouvaient être mis à cuire, enfermés 2 La brume se levait, les pins embau­ dans le crâne comme dans un récipient. maient déjà, l'ombre de la colline dimi­ On ne dédaignait pas pour autant les nuait sur la plaine et l'on aperçut enfin autres morceaux. En faisant levier avec les troupeaux d'éléphants. Non loin, quel­ une pique introduite dans une blessure, ques rhinocéros broutaient, ainsi que des on agrandissait les ouvertures dans la chevaux. Mais aujourd'hui on s'en pren­ peau, et bifaces, lames de bois et d'os drait aux éléphants! entraient en action pour taillader, arra­ Les hommes suivirent longtemps des cher, découper la viande fumante. yeux le lent mouvement des troupeaux. Seules les parties que la vase rendait Quand les bêtes auraient bien mangé, inaccessibles étaient laissées sur place. elles voudraient boire et chercheraient Les hommes sortaient de là couverts de l'eau. Il convenait donc d'attendre qu'elles sueur, de sang et de boue, tout à la joie s'approchassent du marécage pour les des ripailles que procurerait cette viande. pousser vers une fondrière où l'on pourrait Pour quitter le marécage, il arrivait qu'ils les abattre sans prendre trop de risques. fussent obligés d'établir un pont avec de gros os. AU BON MOMENT... Parfois, le dépeçage prenait du temps et il fallait rester près de la fondrière Les archanthropes descendirent de leur jusqu'au lendemain. Alors, on dressait colline et se dispersèrent pour contourner hâtivement de précaires abris pour se le troupeau. Ils allumèrent des feux en protéger de la fraîcheur nocturne: peut­ prenant garde à la direction du vent : il être des peaux jetées sur des défenses fallait suivre l'incendie des broussailles plantées en terre et retenues au sol par qui poussait les bêtes en avant, mais non des os ou des pierres. On allumait des se laisser cerner par les flammes. feux pour éloigner les prédateurs et faire ~ Une partie du troupeau échappa en cuire quelques quartiers du gibier du jour. ~

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gros gibier à cause de l'excitation qu'ils trouvaient dans le défi aux bêtes énormes, L'UNION et pour avoir l'occasion d'éprouver leur courage. C'est prêter aux archanthro­ pes des préoccupations futiles s'accor­ dant mal avec la nécessité de survivre en FAIT groupe, dans un monde où l'on mourait déjà bien jeune et dont les dangers natu­ rels étaient suffisants pour qu'on n'en LA FORCE cherchât pas d'inutiles. LES PREMIERS" CLANS»

Si nous nous arrêtons à cette La chasse au gros gibier, déjà pratiquée reconstitution de chasse en Cas­ par les derniers australanthropes, fut sans doute dictée par la nécessité. Les groupes tille, sans pousser plus avant notre étaient plus importants et, pour nourrir réflexion, nous ne faisons que sui­ des hommes nombreux, il est plus écono­ vre un « safari" imaginaire qui ne mique d'abattre de grosses pièces; l'ef­ procure même pas l'émotion puis­ fort est supérieur, mais on obtient un sante qui nous étreindrait à la lec­ résultat considérable pour un temps de chasse à peu près égal. ture d'un récit de chasse d'He­ Ce choix a entraîné l'observation des mingway, ou au spectacle du cow­ mœurs animales, la mise au point, par boy qui tue un terrible serpent expériences successives, de tactiques qui d'un coup de fusil à l'instant mettaient en jeu la patience et la ruse, et extrême où le reptile va jeter surtout la faculté de coopérer avec ses se semblables. sur la belle Indienne... Dans le monde animal, même dans les sociétés de singes, les bandes constituent des groupes «étanches" dont l'organisa­ La grande chasse des archanthropes tion interne maintient la cohésion. Deux nous ramène au temps où l'homme ne bandes de singes d'une même espèce qui dominait guère la nature, mais en était se rencontrent sont deux mondes clos qui un élément parmi d'autres, où sa survie s'affrontent ou s'ignorent. Seul l'homme dépendait de son aptitude à vaincre ­ est capable d'échange, de coopération, avec des armes dérisoires - des animaux avec son semblable étranger. plus forts que lui et dotés de moyens La sélection naturelle a tendu, au cours naturels de défense auxquels il ne pouvait de l'évolution, à favoriser les individus les opposer que son intelligence. plus doués de mémoire, les plus aptes à user de leurs expériences passées pour L'ARCHANTHROPE DOMINE SA PEUR comprendre les situations qu'ils rencon­ traient, les plus prompts à réagir et les plus Pourtant, l'ancêtre que nous avons quitté capables de communiquer avec autrui. chasseur de petit gibier au niveau des Les archanthropes ont compris que australanthropes, le voici maintenant qui l'union fait la force et créé des alliances s'attaque aux éléphants, alors que tout entre groupes. De là naquirent peut-être nous assure qu'il pourrait continuer les premiers" clans" dont la solidarité se d'abattre de douces gazelles, d'assommer cimentait par l'échange de femmes. sans risques des petits rongeurs ou d'at­ traper des lapins inoffensifs, puisque ce gibier abonde toujours. L'homme est, physiologiquement, un être peu reux. Le danger accélère les bat­ tements de son cœur, fait ruisseler des sueurs froides dans son dos, le secoue de frissons et de tremblements. La peur le prend jusqu'aux entrailles et, quand elle ne le paralyse pas sur place, elle le pousse Quelques animaux de ce temps-là repré­ sentés à des échelles différentes. à fuir. En haut, de gauche à droite : mammouth, En chassant des bêtes effrayantes, les mégacéros, bouquetin, marmotte, lynx et archanth ropes ont donc attenté à la natu re loup. en dominant leur instinct. Des auteurs ont En dessous, de gauche à droite : renard, supposé qu'ils ont préféré la chasse au cheval de Stenon, sanglier, lion.

42 an•••,...... CO•••

Pithecanthropus erectus 1. Il, /1/ (Java). Meganthropus paleojavanicus (Java). Sinanthropus pekinensis (Chine). Homme de Lantian (Chine). Enfant de ModJokerto (Java). Homo heidelbergensis (Mauer, Allemagne). Homme de Tautavel· (France). Homme de Montmaurin (France). Homme du Lazaret (pariétal) [France). Homme de Vértessz611ôs (Hongrie). Homme chelléen d'Olduvai (Afrique). Atlanthropus mauritanicus (Algérie). Le Tchadsnthropus, encore il l'étude, est parfois donné comme archanthrope. Considérés comme paléanthropes, mais contemporains des archanthropes : hommes de Steinheim, Saccopastore. Swanscombe, Fontéchevade.

ExtensIon des archanÛlropes D Exlension des glaaers au Würm 0 Zones non habitées par J'homme

43 LA FEMME, GAG~ DE PAIX ET D'ENTRAI E

Les fruits de leur cueillette, En revanche, comme les occupations les petits animaux consommables féminines sont individuelles, l'absence qu'elles ramassaient consolaient et d'une femme au campement ne perturbe nourrissaient les hommes quand ils reve­ en rien les activités des autres; l'arrivée naient bredouilles, ou lorsqu'ils étaient d'une nouvelle, qui agit selon des habitu­ blessés et incapables de chasser. Leurs des inconnues, ne gêne personne, tandis paisibles occupations comprenaient cer­ que la venue d'un chasseur, qui ne com­ tainement, outre la taille d'outils domes­ prend rien à la tactique de ses compa­ tiques, l'entretien du feu, lourde respon­ gnons, est un handicap, voire un danger. sabilité dont dépendait la vie du groupe. Les femmes avaient une grande impor­ LA FEMME EST PRÉCIEUSE... tance puisque leur contribution matérielle était indispensable à l'équilibre du groupe. Une alliance se crée par des offrandes de Aussi, échanger des femmes entre bandes, prix: une femme apporte, en plus de sa c'était sceller une alliance, car on s'accor­ précoce aptitude aux travaux qu'on lui dait ainsi ce que l'on avait de mieux à destine, la valeur des chasseurs qu'elle donner. mettra au monde. En quittant leur groupe pour un autre, En somme, par leur diversité, les acti­ ... les femmes ont certainement véhiculé vités de la femme, en ce temps-là, favo­ Mariage gorane : transport de la fiancée. Les risaient son indépendance et en faisaient Goranes sont un peuple nomade du Sahara. connaissances, traditions et techniques, et Dans les régions où la survie est menacée ainsi participé à l'enrichissement culturel un être éminemment adaptable et recher­ par les maladies endémiques et une forte des groupes où elles s'intégraient. ché. mortalité infantile, la fécondité future des Les féministes d'aujourd'hui proteste­ On peut en outre penser que la nature ieunes filles est un bien précieux dont on ne ront peut-être: pourquoi ne pas supposer humaine des archanthropes leur épar­ se sépare que si l'on reçoit un dédomma­ l'inverse, c'est-à-dire l'échange de gar­ gnait la contrainte des amours saison­ gement : une autre fille, ou des biens. çons entre bandes? C'est possible... mais nières : au lieu d'être pris de frénésie Les biens de mariage attestent qu'un peu probable. amoureuse à un moment précis de l'an­ groupe abandonne à un autre ses droits sur née, hommes et femmes avaient la faculté les enfants d'une de ses filles. Si la compen­ sation matrimoniale fait défaut, les enfants L'APPRENTISSAGE DE L'ENFANT de s'unir au moment qu'ils choisissaient sont incorporés au lignage de la mère. et d'engendrer des enfants en toutes sai­ Plutôt qu'un présent inestimable, le petit sons. La femme pouvait dès lors être garçon constitue longtemps une charge constamment précieuse à l'homme. pour le groupe avant de se rendre utile à la chasse. Comme il est destiné à des activités violentes d'homme, les femmes 1. Mère et enfant bochimans (Afrique du Sud). L'élargissement de son bassin ne l'instruisent guère de leurs techni­ La mère est limitée dans ses activités par diminue la mobilité de la femme et ques de cueillette et de leurs occupations l'enfant qu'eUe seule peut nourrir pendant un la croissance de l'enfant humain maternelles. Aussi, il n'y participe qu'en à deux ans et qui, durant encore plusieurs est la plus lente qui soit dans le amateur peu efficace en attendant d'en­ années, demandera des soins attentifs. Le trer dans une équipe de chasse. rôle de « mère au foyer >J, même coupé de monde animal. Ces deux contrain­ Alors que dès l'âge de 6 ou 7 ans, une longues pérégrinations, fut longtemps une fonction vitale pour l'espèce. tes biologiques amenèrent très tôt petite fille sait accomplir à peu près nos ancêtres à établir une division toutes les tâches dont sa vie d'adulte sera 2. Chez les Pygmées, qui ne vivent que de des activités vitales: chasse pour remplie, le jeune garçon doit attendre chasse, l'épousée quitte son groupe pour les hommes, cueillette pour les d'avoir 10 ou 11 ans pour devenir chas­ celui de son mari. Souvent, des mariages seur, non parce que l'apprentissage de la croisés sont conclus : un frère et une sœur femmes. chasse est plus difficile, mais parce qu'il du groupe A épousent une sœur et un frère Ces deux formes de quête ali­ exige plus de force. Jusqu'à ce moment, du groupe B. Ces unions entre lignages diffé­ mentaire étant aussi indispensa­ le petit garçon est pratiquement impro­ rents évitent la consanguinité et maintiennent ductif. des liens entre les clans de chasseurs qui bles l'une que l'autre et complé­ sont dès lors tenus de s'entraider. L'échange d'adolescents déjà initiés à mentaires, il n 'y a pas lieu de Chez les archanthropes, l'échange des croire que les femmes étaient dans la chasse est encore plus improbable : femmes ne s'accompagnait sans doute pas de la cohésion d'une équipe de chasse est cérémonie, et les unions étaient peut-être ins­ un complet état de dépendance trop importante pour qu'on risque de la tables au niveau du couple, l'échange étant alimentaire vis-à-vis des hommes. détruire en se privant d'un chasseur. une affaire de groupes et non d'individus.

44 cr Les bestioles que les femmes attrapent ne four· ci nissent pas autant de viande qu'une gazelle... Mais W ~ elles peuvent en capturer tous les iours, à peu près c & n'importe où, et sans trop s'éloigner du camp.

Cl'" •Sol de cabane abbellllllenne (couche OK), Terra Amata (NIce). Des pIerres soulignent le contour de la cabane. Les surfaces IIldes de déchets et d'outils indiquent les endroIts de couchage. Le site de Terra Amata fut découllert par le préhistorIen H. de Lumley alors que des bull­ dozers défonçaient le terraIn. Des photos et des moulages furent faits de tous les sols d'occupation, les plus anciens que l'on connaisse en Europe.

Reconstitution d'une cabane abbellillienne. Puisque le foyer dellait être protégé du lient par une murette, on a tout lieu de croire que la cabane était faite de piquets et de branches qui laissaient passer les courants d'air. On suppose qu'une oUllerture dans le "toit" lais­ sait sortir la fumée. On a pu connaître la saison des séjours des archanthropes à Terra Amata en analysant les pollens fossiles des coprolithes (excréments fossiles).

La tente du Lazaret (Alpes-Maritimes). ~ Les pIerres qui maintenaient les peaux au sol délimitent le contour net des oUllertures de la tente. L'emplacement des litières a été repéré grâce à la présence de minuscules coquilles marines apportées allec les algues. Des fourrures réchauffaient les couches, car des griffes d'animaux à fourrure sont restées dans le sol près des coins de repos.

46 ~ Murene du foyer (couche OK), Te"e Amete. L'enely.e de. cendre. et chemon. du foyer d.montre que le. erchenthrope. chol.lue/ent du chIne et du bul. et dédelgne/ent le bol. de. r••lneux, ebondent den. cene r~/on.

rait sa réconfortante chaleur à tous, car, comme d'habitude, il serait allumé au cen­ tre de la hutte. Déjà, les femmes appor­ taient le bois de chauffage : du chêne et du buis dont les braises dureraient longtemps, plutôt que du pin qui brûle trop vite et produit de désagréables fumées noires. Chacun pouvait prendre un repos bien gagné avant la chasse du lendemain.

UN ABRI CONFORTABLE SUR LE MONT BORON

Toujours sur la Côte d'Azur, il y a UN DEUX-PlEeES 130000 ans (glaciation de Riss), d'autres archanthropes fréquentèrent la , sur la pente ouest du mont Boron à Nice. SUR LA cOn D'AZUR L'automne déjà froid annonçait un rude hiver. Il n'était plus question de pérégriner. Les hommes cherchaient à se L'organisation sociale dont témoi­ foyer. Le sable, apporté par le vent d'hiver, fixer jusqu'au printemps dans un coin où gne la chasse, nous la retrouvons recouvrait les reliefs de repas et les outils bouquetins, renards, lynx et marmottes usagés qu'ils avaient autrefois abandon­ assureraient l'ordinaire pendant la mau­ dans les habitats des archanthro­ nés sur place. Ils étaient chez eux... vaise saison. Malheureusement, des voû­ pes, et particulièrement à Terra mais tout était à faire! D'abord creu­ tes de la grotte suintait une pénible humi­ Amata, près de Nice. ser jusqu'aux anciennes cendres le foyer dité et le vent glacial s'engouffrait par La région n'offrait pas, alors, le ensablé et surtout « retaper .. la murette l'ouverture. On frissonnait. climat sec et ensoleillé qui lui de pierre destinée à protéger le feu des Pourtant, malgré ses inconvénients, le vents du nord-ouest. Ensuite, on passait site était tentant : le bouquetin abondait vaut aujourd'hui le nom de Côte aux choses sérieuses. dans la région. Or on était en novem­ d'Azur. Toutefois, la température bre, saison où les jeunes bouquetins sont était douce durant cet interstade POUR SE METTRE AU CHAUD assez grands pour constituer un bon (période plus chaude) de la gla­ repas, et encore assez petits pour se ciation de Mindel, et la végétation Chacun, muni de son biface le plus laisser prendre aisément. On trouva une solide, le plus frais, s'enfonçait dans les solution : construire un abri à l'intérieur était celle d'une zone tempérée. bois environnants qui bientôt retentis­ de la grotte, contre une paroi. Quelques Terra Amata présentait des avan­ saient de coups, de craquements, de bâtons disposés horizontalement sur des tages, car les chasseurs s 'y instal­ grands froissements de branches. On cas­ piquets fourchus maintiendraient un toit lèrent souvent : 21 niveaux d'oc­ sait, on coupait, on élaguait. Il ne restait et des murs de peaux. On trouva une cupation ont été relevés, dont ensuite qu'à tailler en pointe de bons astuce pour se garder du vent: on dirigea piquets, solides mais assez souples pour les ouvertures de la tente vers l'intérieur 11 sont sûrement les traces qu'on pût les courber. On les enfonçait de la grotte, en tournant le dos à l'entrée. d'un même groupe qui revenait aisément dans le sable de la plage et l'on Restait à aménager l'intérieur. On était là à chaque printemps, il y a retrouvait alors la bonne cabane tradition­ assez nombreux. Il fallait un « deux-piè­ 400000 ans. nelle : de forme ovale, spacieuse avec ces ces .. pour loger chacun selon la tradition. 11 à 15 m sur 4 à 6 m, mais, hélas! trop On décida donc de diviser la tente par aérée; le jour filtrant à travers les parois une cloison de peaux, chaque pièce ayant En arrivant dans ce lieu qu'ils connais­ promettait des courants d'air pour la nuit. son entrée indépendante. Afin de dormir saient bien, les hommes retrouvaient des Il convenait donc de disposer autour de confortablement, on disposa des algues traces de leur précédent passage: quel­ la cabane, à l'extérieur, des pierres qui marines autour des foyers; couvertes de ques piquets couchés à terre par le vent boucheraient les arrivées d'air. fourrures, elles devinrent d'excellentes et les pluies, et les grosses pierres du Heureusement, le feu du foyer donne- litières. L'hiver pouvait veni r...

47 L'HOME ET LE FEU

Nos ancêtres connaissaient le feu depuis la nuit des temps. Ils l'avaient vu naÎtre de l'éclair de la foudre, surgir des volcans et, fugace, jaillir en étincelles des pierres qu'ils taiIJaient. Comme tous les animaux, ils le redou­ taient et le fuyaient.

On ne sait rien de la conquête du feu, ni même à quel moment elle se produisit dans notre histoire. Nous devons certai­ nement aux archanthropes la maîtrise de cet élément. À notre avis, la « découverte" ne fut pas fortuite. Craintif, mais aussi curieux par nature, l'homme est allé délibérément au-devant de ce danger. Le feu seul venait à bout des bêtes dont l'homme avait tout §", à craindre; un tel pouvoir était enviable et ~ valait l'effort de se dominer : ce qui ~ l'effrayait tant, l'homme l'utiliserait pour :: vaincre les animaux. Réprimant sa propre ~ peur, il comprit et maîtrisa le phénomène. La conquête du feu représente donc une l'homme ait connu les effets de la cuisson guées le soin de préparer la pitance. Ils victoire sur l'instinct, qui détacha définiti­ avant même d'avoir maîtrisé le feu, car il apprirent dès lors à attendre leur nourri­ vement l'homme du monde animal. lui arrivait bien, de temps à autre, de ren­ ture, ce qui constitue une autre victoire sur Arme défensive pour protéger les lieux contrer des bêtes brûlées par un incendie l'instinct. Désormais, les membres d'un de repos, arme offensive au cours de la naturel et de goûter la viande ainsi traitée. groupe prirent leur repas tous ensemble, chasse, le feu fut aussi rempart contre les On peut également supposer que les lorsque la cuisson était terminée. intempéries, chaleur pour les corps nus. branches mises à brûler portaient parfois Aussi n'est-il pas surprenant que les plus des fruits qui éclataient au feu en livrant AU COIN DU FEU anciens foyers se trouvent dans des zones une chair devenue délicieuse. L'ode.ur qui étaient alors froides. même des mains passées au-dessus des Le foyer devint le point de réunion, le Il fut aussi lumière qui arracha les flammes, celle des corps échauffés noyés "coin du feu", le lieu où il fait bon être hommes à l'assujettissement des nuits et dans la fumée ont pu donner des indica­ ensemble. À la lueur des flammes, on des jours : avec le feu qui vainc les tions à nos ancêtres sur les modifications établissait le plan de chasse du lende­ ténèbres, on prolongea dans la nuit la qu'apporte la chaleur à la chair et les main, on échangeait des « trucs" concer­ période d'activité. Enfin, on put pénétrer inciter à présenter au feu leurs quartiers nant la taille des outils, on se partageait dans les cavernes et s'y abriter en toute de viande. les tâches. Et c'est peut-être là, auprès sécu rité. Quoi qu'il en soit, nos ancêtres prirent, des flammes mystérieuses, mobiles, chan­ il y a quelque 500000 ans, l'habitude de geantes, qui animaient des ombres sur UNE NOUVEAUTÉ: LA CUISINE faire cuire leurs aliments, et sans doute les cloisons de branches ou les parois abandonnèrent-ils très tôt cette charge des cavernes, que naquirent confusément, On ne sait comment la cuisson des ali­ aux femmes : revenus au campement dans les instants de silence où chacun ments s'imposa. Là encore, on évoque le fourbus, égratignés par les broussailles, s'absorbait dans la contemplation du feu, hasard: un homme fit, un soir, tomber sa parfois blessés, les hommes n'aspiraient les premières impressions esthétiques, les côtelette dans le foyer, il la rattrapa, la plus qu'au repos; ils jetaient à terre les premières questions sur la vie et la mort, mangea quand même et la trouva si suc­ lourdes pièces de gibier, allaient boire au là que l'homme acquit la conscience de culente qu'il transmit la recette à ses point d'eau, puis s'affalaient sur les litiè­ soi et sentit combien l'aventure humaine compagnons... Mais il est probable que res, laissant à leurs compagnes moins fati- était unique...

48 Z ai

... Tasaday allumant du feu. •Cette gravure, extraite de l'Homme primitif de La partie dormante de cet "allume-feu" est L. Figuier, semble situer la conquête du feu un morceau de bois dans lequel est creusé au temps d'Homo sapiens alors qu'elle est un trou. L'échauffement produit par la rotation bien plus ancienne. rapide et régulière d'une baguette de bois L'homme dut d'abord utiliser le feu, le ranimer introduite dans ce trou fait naÎtre le feu. Il est à partir de braises, et il s'astreignit à l'entre­ bien évident que, s'ils ont été utilisés par nos tenir continuellement, à le transporter avec ancêtres, ces "allume-feu" de bois n'ont pu lui. Ainsi, il le transmit de génération en se conserver dans le sol. génération avant de savoir le produire.

Sol d'occupation et foyer de Vértessz6116s ~ (Hongrie). Ces traces de feu sont les plus anciennes d'Europe et l'homme qui l'alluma (on n'a de lui qu'un fragment d'occipital) est peut-être plus ancien que le sinanthrope.

... Les Pygmées transportent le feu dans un récipient de terre recou­ vert de feuilles. Toutefois, ils savent parfaitement le produire. Ils considèrent seulement qu'il est plus commode de le conser­ ver car, dans la forêt humide, l'al­ lumage par frottement est long et diffici'e.

LA PRÉHISTOIRE. - 4 49 PRENEANDERTHALIENS n PRESAPIENS

Deux sujets féminins, datés d'en­ encore fuyant. Le volume cérébral atteint 3 viron - 150000 à - 130000 ans, 1 450 cm . Toutefois, la voûte aplatie qui peuvent difficilement entrer dans s'allonge vers l'arrière (dolichocéphalie) et l'épaisseur des os sont des traits archaï• une catégorie humaine bien défi­ ques qui semblent plutôt en faire un pré­ nie. curseur des paléanthropes, malgré l'as- 1 pect évolué qui vaut parfois à ce fossile 0 le titre de "présapiens ". Cela. d'autant ~ La première de ces dames est repré­ plus que son industrie. dite tayacienne ~ sentée par son crâne, exhumé à Stein­ (clactonien évolué), est déjà du façon- ~ heim (Allemagne) et associé à une faune nage sur éclat, ce qui marque un progrès de phase tempérée chaude. Ce crâne sur le biface acheuléen. Reconstitution• de la tête de l'homme de s'éloigne nettement du type archanthro­ . pien et se rapproche étrangement, par UNE FEMME AU CERVEAU ÉVOLUÉ certains traits, des formes modernes. Si la En s'appuyant sur les traces d'insertions ~ musculaires inscrites en creux dans les os du visière sus-orbitaire est encore impor­ Le fossile nommé « homme de Swans­ crâne et de la face, le professeur Guerassi­ tante et si la capacité crânienne demeure combe" (Kent, Angleterre). et qui est 3 mov a modelé la musculature faciale de ce faible (1070 cm ), tandis que la voûte pré­ celui ... d'une femme de 20 à 25 ans. n'offre fossile, qui est celui d'une femme, et a pu sente l'aspect aplati des formes archaï• que des restes très incomplets: occipital retrouver l'aspect de son visage. On l'appelle ques, l'arrière-crâne possède déjà l'arron­ et pariétal gauche. Sa datation est impré­ pourtant « l'homme de Stelnheim". dissement d'un occipital moderne, les cise: de - 180000 à - 120000 ans. La dents sont petites et il n'y a pas du tout de fragmentation des vestiges osseux ne per­ prognathisme (proéminence des mâchoi• met pas de savoir s'il existait ou non un res en avant); de plus, le front est légère­ bourrelet sus-orbitaire, et comme l'arrière­ ment bombé. Cependant, l'épaisseur des crâne est aussi arrondi que celui d'Homo os reste considérable. sapiens, on a voulu voir en ce spécimen Cet être se détache donc des une forme" présapiens ", dont nous des­ archanthropes et présente des caractères cendrions directement sans être passés dont l'évolution peut aussi bien mener, par le stade paléanthropien. par accentuation ou régression, au type Il est certain que le moulage endocrâ• paléanthropien qu'au type Homo sapiens. nien de ce fossile révèle un cerveau déjà L'aspect avancé et gracile peut, par ail­ très évolué et peu différent du nôtre, leurs, être tout simplement dû au sexe malgré son faible volume, 1 325 cm 3. On féminin de l'individu. peut du moins en conclure qu'une femme La femme d'Ehringsdorf (Allemagne) peut avoir un cerveau petit.... mais cepen­ On ne doit pas exclure que cer­ constitue un type proche du précédent, dant bien construit. tains traits, évolués ou régressifs, mais sa voûte crânienne est élevée, son Si tous ces fossiles sont incontesta­ ne soient que des variations ou des aberrations individuelles ne présu­ volume cérébral atteint 1450 cm3• son blement différents des archanthropes front est moins fuyant, bien qu'il porte un auxquels ils ne se rattachent que par leur mant en rien des caractères com· bourrelet sus-orbitai re développé. chronologie. il paraît néanmoins risqué de muns d'un groupe humain. Ainsi. On a voulu classer ces fossiles dans les distinguer du groupe des paléanthro­ l'un des auteurs de ce livre présente un groupe dit des" prénéanderthaliens». pes qui a succédé. D'une part, parce une anomalie peu fréquente : sa mais, en fait, il n'y a pas lieu de les sépa­ que tous ces témoignages osseux sont mandibule ne possède que les deux rer de la nappe des paléanthropes qu'ils minimes et fragmentaires et, d'autre part, Incisives centrales, Immédiatement annoncent. parce qu'il est évident que divers types flanquées des canines. C'est ont conduit d'une nappe humaine à l'au­ une particularité Individuelle sans PRÉCURSEUR DES PALÉANTHROPES tre. Importance, sauf qu'elle gêne "au­ Chez les types transitoires, des traits teur pour jouer de la flûte ou de la L'homme de Fontéchevade (Charente) est fort évolués évoquant déjà Homo sapiens clarinette 1 SI l'on découvrait dans représenté par une partie de frontal, une ont pu. de temps à autre, apparaître 20000 ans ceUe mandibule fossi­ calotte crânienne et un morceall de parié­ chez quelques individus et augmenter ou lisée, il serait erroné de considé­ tal appartenant à unindividu âgé de 40 à régresser selon les groupes. suivant les rer qU'elle définit un type humain 50 ans. Il ne semble pas avoir de mélanges de populations et le degré d'iso­ répandu au XX· siècle 1 visière sus-orbitai re. Le front élevé est lement ou d'extension géographiques.

50 51 PLUS DE RESSEMBLANCES QUE DE DIFFÉRENCES

Le paléanthrope mesurait environ 1,55 m. Il était trapu avec des membres courts et robustes, un thorax puissant et rond (en tonneau). Ce qui frappe dans la cons­ titution de sa tête, c'est le crâne doli­ chocéphale (allongé vers l'arrière) formant UN comme un chignon sur la nuque et dont la capacité égalait, voire dépassait celle de l'homme actuel. Sa forme comportait des COSAQUE? traits encore archaïques: prognathisme, bourrelet sus-orbitaire, front fuyant et menton très réduit. Comme les découvertes de fos­ Pourtant, même chez le paléanthrope siles se sont produites dans J'or­ occidental (qui est le néanderthalien pro­ dre inverse de l'évolution, du plus prement dit), d'aspect plus primitif que récent au plus ancien, la pre­ ses cousins du Moyen-Orient, le visage n'était pas si éloigné du nôtre que cer­ mière exhumation d'un crâne de tains artistes l'ont donné à penser. Les paléanthrope eut lieu à une épo­ illustrations qui montrent le néandertalien que où ni les australopithèques, voûté, doté de bras trop longs et de ni les pithécanthropes n'étaient jambes semi-fléchies, et la plupart des encore connus. dessins qui le veulent couvert de poils sont autant d'exagérations. Si le néander­ .& Crâne de l'homme de La Chapelle-aux-Saints Dans un monde scientifique qui thalien réincarné se promenait en ville, ignorait J'évolution, les fossiles (Corrèze). vêtu et coiffé comme nous, qui sait si Le préhistorien Marcellin Boule a publié une étaient alors considérés comme nous le remarquerions? description célèbre de ce fossile. Cette étude des "curiosités» nées des capri­ resta longtemps incontestée jusqu'à ce qu'un ces de la nature, des hasards de DE QUELLE ESPÈCE EST-IL DONC? nouvel examen, entrepris par deux méde­ cins, révélât que certains traits du squelette, la géologie. L 'homme, centre de Après les efforts faits pour repousser le jusqu'alors considérés comme typiques du la Création, ne pouvait qu'être paléanthrope loin de nous, en lui trouvant néanderthalien (jambes arquées), étaient dus, en fait, à une arthrose. apparu tel quel sur la Terre, et en qui les jambes arquées, qui le gros orteil Bien que de capacité égale ou supé­ préhensile, on assiste de nos jours une aucun cas on n'eût osé imaginer à rieure à celle d'Homo sapiens, le crâne du qu'il était le résultat de change­ polémique inverse: pour ou contre le clas­ paléanthrope n'a pu contenir un cerveau iden­ ments survenus partir d'ancêtres sement de cet homme dans une espèce tique au nôtre : le front très fuyant indique à bien définie, Neanderthalensis, ou dans que les lobes frontaux étaient réduits. Or, "sous-hommes ». une variété de Sapiens, Neanderthalensis selon les neurologues, cette partie préside à sapiens. la faculté d'imaginer et de contrôler ses émo­ UN CRÂNE DE BRUTE... Comme chez les populations actuelles tions. où les types physiques sont très divers à Puisque le chien et le loup, moins diffé­ Aussi la polémique fut-elle vive autour de l'intérieur d'une même race, l'humanité rents l'un de l'autre que le néanderthalien et nous-mêmes, sont classés dans des espèces la malheureuse calotte crânienne trouvéè de cette époque comprenait des groupes distinctes, il semble justifié de classer le en 1856 à Neanderthal (Allemagne). Ceux se différenciant du néanderthalien «clas­ néanderthalien dans une espèce différente des savants qui consentirent à lui accor­ sique" décrit plus haut. de la nôtre. der un peu d'humanité prétendirent qu'il Le paléanthrope découvert à Java s'agissait là d'un crâne d'hydrocéphale. (homme de Solo) ressemblait beaucoup Certains y virent même le crâne d'un au pithécanthrope. Les paléanthropes de Cosaque mort pendant la retraite de Mos­ Palestine et d' présentaient des traits cou! Bref, ce crâne ne pouvait provenir si proches de l'homme moderne que cer­ que d'une brute... tains auteurs évoquent un possible métis­ Cette découverte remettait l'homme à sage entre Homo sapiens et néander­ son humble place en le rattachant au thaliens. monde animal, en le soumettant aux lois Mais, pour qu'un tel croisement fût qui régissent tous les êtres vivants. Depuis possible, il eût fallu qu'Homo sapiens la publication de l'œuvre de Darwin, la existât déjà. Or on n'en a aucune trace les néanderthaliens de l'Ouest ont abouti découverte de plus d'une centaine d'au­ pour cette période. Les paléanthropes de à une impasse: ils ont disparu. tres fossiles de la même période, souvent Palestine, au crâne plus rond, au front Longtemps considéré comme le type en meilleur état, tant en Asie et en Afrique plus haut et presque dépourvu de bourre­ même de la "brute préhistorique ", le qu'en Europe, a permis de définir l'aspect let sus-orbitaire, représentent sans doute paléanthrope représente, dans la chaîne du paléanthrope qui vivait entre - 100000 le type" évolutif» du groupe. Leur bran­ des anth ropiens qui nous précédèrent, le et - 40000 ans. che a mené à Homo sapiens, tandis que dernier stade de l'évolution avant le nôtre.

52 t------,c ~ ::lf

... Dessin d'après E. Loth reconstituant la mus­ culature faciale d'un néanderthalien et dessin de son visage. L'insertion des muscles s'inscrit en creux dans les os, laissant des marques qui témoi­ gnent de leur volume et permettent de recons­ tituer leur forme. E. Loth a ainsi dessiné la musculature faciale d'un néanderthalien (a). Entre cet homme et nous, il y avait plus de ressemblances que de différences (b).

I/-~------Années Periodes Fossiles Industries 1 , 1 , /.,-; ...... 1 ,'" 40000 Neanderthaliens de Palesline , " .... ----- ..... , /"" 1 _-~~/ "... &:: ) 1 -- ...... _----- L~ Ch----) 100000 .. _---j

IIIQooo OLtO.hO" de RISs 2'- mOlli. ------:;:=- /- .--- y C- 0 '. ") ------CHRONOLOGIE DES PALËANTHROPES

1 ... Répartition des paléanthropes et extension des glaciers au Würm, période géologique durant laquelle vécurent les paléanthropes. En rouge, répartition des sites paléanthro­ piens connus. [qUll.ur

/

o Extension des glaciers au \AJürm Sites paléanthropes

53 •Paysage de steppe avec rhinocéros laineux Au temps des néanderthaliens, et rennes. Selon les phases climatiques, les l'Europe occidentale ressemblait néanderthaliens ont connu de rudes hivers, un peu l'Ukraine actuelle. La mais le gibier abondant prouve que la vie UNE VIE à était possible dans les régions où ils s'instal­ proximité des glaciers, qui des­ laient. cendaient jusqu'au milieu de l'Al­ Si l'on considère que 500 kg de viande suf­ fisent à nourrir 10 personnes pendant 1 mois, RUDE lemagne, donnait un climat plu­ et si l'on se souvient que les paléanthropes tôt froid où, après l'été, un long d'Europe risquaient de rester plusieurs jours hiver s'installait. Le blizzard blo­ sans chasser à cause des tempêtes de neige, on peut penser qu'ils conservaient de la quait parfois les hommes dans viande pour les jours difficiles. leurs abris durant plusieurs jours, ce qui laisse supposer que, comme les Esquimaux, les néandertha­ liens faisaient des réserves de viande en creusant des « réfrigé­ rateurs» dans la neige.

54

La vie animale n'était pas absente de ce paysage. Bien au contraire. Le bou­ quetin, le cerf, l'élan, le cheval sauvage, le bison, le rhinocéros laineux et le mam­ mouth abondaient. Par bandes de 6 à 12. les néanderthaliens guettaient les rennes aux passages favorables (défilés, gués) et les abattaient avec leurs piques armées d'une pointe de silex. Ils s'attaquaient aussi à des bêtes énormes comme le mammouth ou le rhinocéros. Provoquant la panique du gibier par le feu, par des hurlements et des gesticulations, ils le poussaient vers un fossé où le gros ani­ mai se brisait souvent un membre. Après la chasse, les bêtes tuées étaient fort habilement dépecées; les peaux con­ servées et traitées servaient à la protec­ tion corporelle et au couchage. Cette vie, qui peut sembler pleine de liberté, saine et aventureuse, constituait en fait un souci permanent pour les néan­ derthaliens, car cette dangereuse chasse était la condition même de leur survie. Une battue comportait des risques d'au­ tant plus graves que l'impotence ou la mort de quelques chasseurs représen­ taient une lourde perte pour le groupe. .. Entailles laissées sur les articulations Bien que de nos jours on connaisse VIEUX À 40 ANS... osseuses lors du dépeçage du gibier. L'étude des peuples qui vivent nus sous des cli­ de ces marques montre que les néander· mats très rigoureux - par exemple, les À lui seul, l'hiver européen décimait les thaliens étaient de remarquables bouchers puisque, de nos jours encore, le dépeçage Fuégiens qui n'emploient le feu que pour familles isolées sans provisions ou blo­ effectué par des professionnels et avec des cuisiner -, on peut penser que les néan­ quées accidentellement par la neige dans couteaux d'acier donne des marques toutes derthaliens prévoyaient des provisions de des espaces si vastes, si inhabités qu'une semblables à celles qui ont été tracées par combustible. Dans la steppe où certains étendue comme la France actuelle ne les outils de silex. Un tel soin prouve que les vivaient. cela n'était pas toujours facile: la devait guère compter plus de 30000 habi­ néanderthaliens tenaient à obtenir des peaux végétation se limitait à des arbres rabou­ tants répartis en groupes de 12 à 15 per­ intactes pour les utiliser. gris sur des étendues herbeuses, particu­ sonnes. Cela rendait difficiles les ren­ lièrement dans le nord et l'est de la contres entre groupes. Pourtant, elles pelle-aux-Saints était déjà un « vieillard» France et en Allemagne. Cependant, d'im­ se produisaient : les outils moustériens aux alentours de 40 ans... Enfin, les néan­ portantes forêts verdoyaient au long des et levalloisiens témoignent d'une grande derthaliens étaient, comme nous-mêmes, cours d'eau et, le plus souvent, les néan­ unité de culture. Sans doute les jeunes sujets aux maladies: sur certains fossiles, derthaliens s'installaient à proximité des hommes attendaient-ils le printemps avec on a décelé des marques d'arthrose et de rivières et fleuves. impatience pour partir à la recherche de rach itisme. chasseu rs susceptibles d'accepter leu rs Par ailleurs. les squelettes découverts LA CHASSE, UNE OCCUPATION VITALE sœurs et leurs filles en échange de fem­ dans la grotte de Krapina (Yougoslavie), mes qui apporteraient un sang nouveau cassés, dispersés et partiellement calci­ Les régions éloignées des glaciers jouis­ au groupe. nés, représentant une douzaine d'indi­ saient d'un climat plus supportable. Dans La mortalité avant 15 ans atteig nait vidus, laissent penser que les rencontres les vallées encaissées, comme celle de la environ 50 %; un individu ayant passé entre groupes étaient parfois violentes.... Dordogne, poussaient chênes, ormes, aul­ cet âge pouvait espérer vivre encore une ce qui s'ajouterait aux autres causes de nes et ronces; le climat y était plus doux. vingtaine d'années. L'homme de La Cha- mortalité élevée.

55 DES GENS ADRO TS

Parmi les outils des paléanthropes, témoigne du souci de perfection de l'arti­ étaient fabriqués sur place avec un maté­ une forme archaïque persiste: ce san néanderthalien. riau se trouvant à portée de la main. Cela permet deux hypothèses dont sont les bifaces moustériens de TOUTES SORTES D'OUTILS l'une n'exclut pas l'autre: les néandertha­ « tradition acheuléenne », qui con­ liens recouraient au médiocre silex des firment la transmission des tech­ Par l'étude statistique des outils collectés parois de cavernes les jours où ils étaient niques ancestrales d'une nappe dans différents sites, le professeur Bin­ empêchés d'atteindre leur filon habituel humaine à l'autre. ford a montré que, selon les couches, on de matière première; ils ne taillaient alors trouvait divers groupes d'outils: parfois, d'outils que pour une utilisation immé­ une majorité d'outils coupants à travers diate. plusieurs couches, puis, au contraire, une Ou bien cela suggère que les fem­ abondance soudaine de grattoirs dans mes, qui demeuraient au campement avec Mais bientôt. pour fabriquer leurs outils une série d'autres couches. Cela corres­ les enfants, taillaient elles-mêmes leurs et leurs armes, les paléanthropes utili­ pond-il à des peuplements différents ayant ustensiles au fur et à mesure des besoins sèrent deux techniques complémentaires occupé les mêmes lieux en des temps domestiques, utilisant pour cela le silex dont l'une, la technique leval/ois, sur­ différents, chacun ayant ses traditions et trouvé sur place (plus facile à travailler), prend par sa complexité : à partir d'un son « style"? Ou bien cela signifie-t-il pendant que les hommes traquaient le bloc de silex et par une série de gestes que, dans un même groupe, des coins gibier au loin et recherchaient, pour leurs bien ordonnés, nos lointains prédéces­ étaient attribués à chaque activité : ici armes, un matériau de meilleure qualité. seurs obtenaient de remarquables éclats grattage des peaux, là façonnage des pointus, longs et bien tranchants, dont ils armes de chasse, plus loin affûtage et se servaient pour la chasse au renne et au brûlage des épieux de bois? petit gibier. L'autre procédé, la technique mousté­ OUTILS POUR LA CUISINE ?... rienne, consistait à préparer un nucléus (bloc de silex) en forme de disque épais Poussant plus loin son analyse, le profes­ et à en extraire, en frappant tout autour, seur Binford classa à part les outils dont le plus grand nombre possible d'éclats il pense qu'ils servaient «à la cuisine". Il sans se soucier de leur forme. s'aperçut alors qu'ils étaient presque tous La première technique avait surtout faits dans du silex tiré directement des pour but, après différentes préparations, parois des grottes, autrement dit qu'ils Bifaces et grattoirs moustériens. d'extraire un éclat de forme définie : la ~ solide pointe levallois. La seconde, plus économique, permettait de détacher rapi­ dement d'un même bloc de silex des éclats de formes diverses capables de percer, de trancher, de gratter, selon les besoins du moment. Si l'on mesure le tranchant d'un biface acheuléen et qu'on met bout à bout les parties coupantes des éclats qu'on en a tirés, et si l'on fait la même opération pour les éclats détachés par l'un ou l'au­ tre des deux procédés néanderthaliens, on s'aperçoit que la longueur de tranchant, pour un même volume de silex est passée de 1 m à 4 m. Quel progrès! Il fallait au fabricant un bon niveau d'intelligence pour choisir le bloc à prépa­ rer, pour tailler correctement le dessus et le pourtour, tout en éliminant les défauts naturels du silex, et enfin pour façon• ner le plan de frappe en «chapeau de gendarme", préparation ultime permet­ tant d'obtenir, d'un seul choc, la fameuse pointe levallois. On a retrouvé des nucléus préparés et non utilisés à cause d'un défaut imprévu découvert en cours de façonnage, ce qui

56 Comment obtenir une pointe levallois?

Choisissez un bloc de matière première - de préférence du silex. car il se taille bien. Prenez-le de forme oblongue. si c'est possible. en prévision des gestes à venir. l 1 Ensuite munissez-vous d'un bâton de bois dur. d'environ 15 à 20 cm. comportant une extrémité épaisse. Placez le bloc sur vos genoux. protegés par un morceau de cuir. en mettant vers le haut la partie du bloc la plus plane. i 4. Maintenant. il faut ôter. en deux coups. deux éclats parallèles. C'est difficile 1

Le professeur François Bordes taillant un silex.

Chapeau de gendarme vu de côté.

1. Tapez. le long du bord. des coups secs. de façon à enlever des éclats tout autour du bloc. Il faut que ces éclats soient assez longs.

5. Tenez tournée vers le haut la partie évidée et. par deux petits ~ coups secs. enlevez deux petits éclats. sur l·épaisseur. de part et d'autre de la ligne de partage des éclats que vous avez ôtés précédemment. Vous façonnez ainsi un «chapeau de gendarme ". ~~ l ! • Vue de dessus. '. . ~ ~~~, :'., .

2. Tenant toujours le bloc (appelé «nucléus .. ) dans la méme 6. En frappant un coup sec sur ce chapeau de gendarme. vous position. tapez de côté sur la partie déjà épluchée. de façon à ôter obtiendrez un éclat particulier la fameuse pointe leval/a/s. des éclats sur la face du dessus. Chaque fois qu'un éclat part. vous faites légèrement tourner le blOC sur lui-méme. pour enlever le suivant A la fin. votre bloc aura un sommet évoquant une pointe de diamant

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3. Posez ensuite le bloc en travers sur vos genoux et tapez un coup 7. Si vous avez réussi .... essayez de tirer une deuxième pointe en sec sur une des extrémités. La partie taillée au sommet se détachera. frappant ce qui reste du chapeau de gendarme. décapitant parfois complètement le bloc c'est j'éclat leval/ois. Remarquez que son talon est facetté.

57 AUTOUR D'UN COIN-CUISINE CAVEIINES lET CAMPS Les néanderthaliens se préoccupaient peu de la propreté de leur logis. Leur ménage sommaire consistait à repousser sur le pourtour les débris alimentaires (os DE PLEIN AIR brûlés et cassés) et les résidus de la taille du silex. Ils n'éloignaient que ce qui ris­ quait de blesser les pieds. Leurs huttes circulaires étaient mon­ Parce que, plus qu'ailleurs, on a Leur (C intérieur», qui pouvait abri­ trouvé des sites dans des grottes tées sur des piquets de bois, calés avec ter de 12 à 25 personnes, s'organisait des ossements d'animaux ou des pierres. lieux qui, évidemment, autour d'un (C coin-cuisine» dont témoi­ Lorsqu'ils se retiraient dans une caverne, gnent encore des cendres et de gros­ conservent mieux les fossiles -, ils construisaient un pare-vent devant l'en­ ses pierres noircies. La fumée, comme de on a longtemps cru qu'en trée ou, parfois, une hutte à l'intérieur. nos jours dans les paillotes d'Afrique, se raison de la rigueur du cli­ Au cours des fouilles qui dégagèrent 28 répandait dans l'habitat avant de s'échap­ mat d'Europe les néandertha­ niveaux d'occupation néanderthalienne per par l'ouverture-porte et les interstices dans la grotte Combe-Grenai (Dordogne), du toit de feuilles, d'herbe ou de peau. liens étaient surtout troglodytes le professeur F. Bordes remarqua un petit et occupaient essentiellement les rond sombre sur la couche cendreuse. En NOMADES PAR LA FORCE DES CHOSES abris naturels d'où ils devaient décapant cette tache, il constata qu'elle auparavant déloger le formidable correspondait à un trou de 20 cm de Distincts des habitations pour séjours de ours des cavernes. profondeur sur 5 cm de diamètre. Du longue durée, on a pu repérer, en étu­ moulage qu'il fit en y coulant du plâtre, il diant les types d'outils abandonnés, des résulta une empreinte qui ressemble fort campements provisoires de chasse où les à l'extrémité pointue d'un piquet de bois. hommes, éloignés de leur base, dépe­ Cependant, on a découvert leurs outils Est-ce là la preuve qu'une hutte était çaient leurs prises, découpaient la viande un peu partout en Europe et, pourtant, les construite à l'intérieur de la grotte? La en morceaux portables à dos d'homme, et grottes sont plutôt rares sur ce continent. présence de ce piquet dans la tache taillaient des outils. Il faut donc en conclure que les néander­ cendreuse, près du foyer, position bien Certains habitats ont parfois été aban­ thaliens s'installaient aussi en plein air et dangereuse pour un pilier de cabane, s'ex­ donnés pendant plusieurs millénaires,

savaient construire des abris suffisants plique mal. Certains auteurs ont pensé que puis réoccupés ensuite. Ces (C absences» pour les protéger du froid quand besoin ce piquet soutenait une claie dressée au­ correspondent sans doute à des change­ était. dessus des flammes pour sécher la viande. ments climatiques. En effet, la dernière glaciation a connu des phases plus dou­ ces, plus chaudes, qui ont favorisé cer­ tains types de végétation aux dépens d'au­ tres, qui ont régressé. Les animaux subis­ saient ces changements: ils s'éloignaient ou s'étendaient là où la végétation pou­ vait les nourrir, et les chasseurs suivaient les animaux... Preuve de l'excellence du choix des néanderthaliens: nombre de leurs empla­ cements ont été plus tard adoptés par Homo sapiens. Nous verrons que leurs demeures deve­ naient parfois sépultures et que, dans la rude existence des néanderthaliens, morts et vivants restaient proches...

.... Plan de l'habitation paléanthropienne de Molodovo, en Ukraine. L'alignement en rond des débris indique la forme de la hutte ou de la tente. Les foyers (indiqués en noir) n'ont pas tous brûlé ensem­ ble, mais correspondent à des périodes diffé­ rentes d'occupation. En haut, à gauche, on voit les déchets alimentaires que les occu­ pants ont jetés par l'ouverture de l'habitation.

58 ... La vallée de la Vézère, aux Eyzies-de-Tayac. Les grottes, disséminées dans cette région mort de analyse de l'os Datation au C 14. calcaire, ont abrité pendant des millénaires l'organisme fossile Tout organisme vivant contient aussi bien des néanderthaliens que de nom­ du carbone, lequel comporte du - 22920 -17190 -11460 - 5 730 aujourd'hui breuses générations d'Homo sapiens. Les C 14 en proportion constante. À zones éloignées du front glaciaire ;ouissaient la mort de l'organisme, le C 14 d'un climat supportable qui a favorisé l'instal­ commence à se désintégrer et lation de l'homme. se raréfie à une cadence cons­ Cependant, de la forte proportion de fossiles tante qu'on appelle la période: découverts dans le sud-ouest de la France, il pour le C 14, elle est de 5730 ans. ne faut pas conclure que seule cette partie Ce qui signifie que, en 5730 ans, d'Europe était habitée, ni même qu'elle ait été un corps perd 50 % de son C 14, plus habitée que les autres zones de climat et que en 11 460 ans, il en perd semblable. L'abondance des sites préhisto­ 75 %. riques dans cette région tient au fait que les La datation consiste donc à hommes se sont installés dans des grottes, mesurer le C 14 restant dans ce qui a favorisé la conservation de leurs l'échantillon. Cette méthode traces et de leurs fossiles. proportion de C. 14 permet de reculer ;usqu'à D dans l'échantillon - 50000 ans.

59 Exhumée en 1865 à la , près de saient leur chasse à l'avance: en témoi­ Dinant (Belgique), cette pièce fut étudiée gnent le guet du gibier sur des passages UNE par le préhistorien Gabriel de Mortillet, repérés de saison en saison et la prévi­ qui la jugea dépourvue d'apophyses geni, sion de tactiques pour piéger les animaux. donc incapable de servir à l'articulation Il s'agit donc bien là d'un projet établi d'un langage. sur des observations antérieures. Or, une MANDIBULE Le savant remarqua aussi, très jus­ des caractéristiques essentielles de l'in­ tement, que le langage articulé distingue telligence humaine est d'utiliser les l'homme de l'animal: «Tous les hommes expériences passées, les connaissances BAVARDE savent se servir de la parole, déclara-t-il, emmagasinées dans la mémoire pour une même les plus primitifs. Mais en a-t-il meilleure compréhension du présent et la toujours été ainsi? La mandibule de la préparation des actes à venir. C'est la Naulette répond: Non!» On glosa abon­ possibilité de prévoir. Lors de sa découverte, la calotte damment à propos de cette mandibule de Cela implique l'existence d'une crânienne de Neanderthal avait muet qui pouvait répondre «non! ». mémoire collective, c'est-à-dire la possi­ soulevé de vives polémiques, mais bilité de transmettre, d'individu à individu, UNE MÉMOIRE COLLECTIVE un savoir augmenté à chaque génération. la première mandibule de même Cette transmission, quand les choses à type que l'on trouva, provoqua, Au cours d'un nouvel examen, les paléon­ faire connaître sont complexes, exige un elle aussi, une célèbre contro­ tologues reconnurent que la pauvre man­ langage également élaboré. verse... dibule possédait bien ses apophyses geni. Le professeur André Leroi-Gourhan a Encore que ce ne soit pas là le détail déci­ démontré la corrélation qui existe entre le sif pour témoigner de l'utilisation d'un lan­ geste et la parole. Et cela nous renseigne gage. Même chez le vivant, l'appareil pho­ davantage, à propos du langage de nos nateur, constitué du larynx, des cordes ancêtres, que la présence d'apophyses vocales, de la langue et des mâchoires, ne geni sur une mandibule. Psychologues et représente pas une indication suffisante, neurologues nous apprennent aussi que, car le langage n'est pas seulement affaire chez le jeune enfant, la sûreté de manipu­ de sons. lation évolue en même temps que pro­ Nous savons que les néanderthaliens, gresse l'apprentissage du langage. de même que les archanthropes, organi- DE L'USAGE DES MOTS

Le niveau de technicité des néandertha­ liens atteste donc que leur développement mental était suffisant pour leur permettre l'utilisation de symboles abstraits : les mots. De la complexité des opérations néces­ saires pour la fabrication d'une pointe levallois, on peut déduire que le langage des néanderthaliens ne se contentait pas de nommer les choses, mais savait, sans nul doute, exprimer les relations entre elles, leurs différences, leurs similitudes et leur histoire. Cela rel"dait possibles, aussi bien que les langues modernes, les repérages dans le nombre et dans le temps qui, en français, sont donnés par la conjugaison. .... Une «palabre» autour du feu. L'observation des chasseurs primitifs actuels, Esquimaux, Pygmées, Bochimans, nous apprend que, si la quête de nourriture les occupe essentiellement, elle est cependant loin d'absorber tout leur temps. Entre les chasses, ils disposent de longues journées qu'ils passent... à ne rien faire. Du moins en apparence, car ils bavardent, échan­ 1? gent des impressions, se racontent des his­ ~ toires, se souviennent ensemble, se transmet­ '7 lent des légendes, discutent des choses de la i vie... Les néanderthaliens devaient ainsi, les ~ jours tranquilles, parler de leurs expériences, :> s'expliquer le monde ou ils vivaient.

60 VI Enfin, les préoccupations non maté­ w CL. rielles, ramassage d'objets curieux, sépul­ 0 a: tures, montrent que les néanderthaliens J: spéculaient sur l'aspect des choses, la vie 1- Z 1 U et la mort, et ressentaient le besoin d'in­ w< terpréter les phénomènes naturels. Pour 35000 ans z cela, le langage était indispensable. c Il est certain que les divers groupes de ';:;'" Vl paléanthropes, dispersés de par le ~ ('Cl monde, ont parlé des langues différentes, CL. qui dérivaient peut-être elles-mêmes de "0'" langues pratiquées par les archanthropes. ~ Z Comme les langues changent au cours ~ 7 des temps selon les pays, les modes de ! Neanderth. d'Europe occidentale E CD vie, les voisinages... et les invasions, nous '0; J:I .. ~ Z c ne pouvons savoir si, dans l'infinité de '0; u Vl mots employés par les peuples d'au­ ci) C S ('Cl jourd'hui, il ne reste pas quelque terme < ~ IL "0'" Cf) inventé par des néanderthaliens. l "0'" 100000 ans 0 Arbre généalogique de "humanité. • l 0 > Cf) '"('Cl Bien qu'on ne puisse affirmer avec certitude '5 qu'une nappe humaine est issue de l'autre, ('Cl "0'" l- ? on note une progression continue des austra­ ?- l lanthropes à Homo sapiens, aussi bien dans "0'" l'anatomie que dans les techniques. l ~ - Moulage endocrânien de l'homme de La Chaise. .. 1. Région occipitale; Qi 2. Côté gauche, branche antérieure de l'ar­ ::J ('Cl tère méningée moyenne. ~ Les circonvolutions et l'irrigation artérielle du '"Q. cerveau laissent leurs marques, en creux, sur ~ "0'" ~ la partie interne de la boÎte crânienne. En ë E'" ('Cl E coulant de la matière plastique ou du plâtre c o dans les crânes fossiles, on obtient une image üï l fidèle du cerveau, qui nous donne des indica­ tions sur les facultés de nos ancêtres. '---- 600000 ans Vl ::J Q.

Ilu 1-

3 millions d'années

61 DES COLLECTIONNEURS?

La quête de nourriture était Dans l'histoire de l'homme, les néan­ la préoccupation maieure des derthaliens sont les premiers dont on peut deviner les réactions devant certains phé­ paléanthropes. Lorsqu'on a passé nomènes naturels. Étaient-ils sensibles à en revue leurs activités se rappor­ la beauté des choses? Tout le laisse tant à cette quête, il nous semble penser, et d'abord la perfection de leurs que nous connaissons bien ces outils dont l'esthétique n'ajoute rien à l'efficacité. hommes. Et pourtant, que savons­ Ceci implique, de la part de l'artisan nous de leurs sentiments, de leurs qui a façonné l'outil, un effort gratuit pour réflexions? obtenir des formes harmonieuses. ... Cérémonie chez des aborigènes (Australie). Scarifications ventrales au . ~ Les aborigènes dessinent sur le sol, sur les Signes tribaux ou signes d'initiation conférant boucliers ou sur le corps, selon le rite, le sexe aux ieunes le statut d'adulte, les scarifica­ ou la classe sociale des participants. Leurs tions (incisions superficielles) n'ont parfois dessins, abstraits et complexes, relatent l'ap­ qu'un but esthétique. Un colorant peut être parition des hommes sur Terre, ou le phéno­ aiouté, glissé sous la peau ou frotté sur la mène naturel célébré, ou encore une cosmo­ plaie, donnant une teinte, un relief ou une gonie (façon dont les gens expliquent l'Uni­ ligne en creux. Ces marques correspondent vers). Pour les Walbiri, chaque motif, chaque souvent à une classification entre ieunes et combinaison de traits a un sens. Les néan· adultes, membres de sociétés secrètes, et derthaliens ont peut-être ainsi tracé quelques s'inspirent de la cosmogonie du groupe. Les traits éphémères dont nous ne retrouvons néanderthaliens ont peut-être marqué ainsi que d'infimes traces (ocre). leurs corps.

DÉJÀ, LE GOÛT DE L'OBJET lage marqué d'une croix à Tata (Hongrie), des triangles et des cupules à Quelques découvertes montrent que les (Dordogne) et, à (Charente), un néanderthaliens ramassaient des objets disque de calcaire taillé, grand comme insolites et les rapportaient dans leurs une assiette, auquel on ne peut attribuer habitats, puisqu'on en a découverts qui, aucune utilisation pratique. Peut-être ces de toute évidence, n'appartenaient pas au signes et ces objets sont-ils autant d'ébau­ terrain occupé. Ainsi, on a trouvé à Arcy­ ches de significations symboliques? sur-Cure, au milieu d'objets moustériens, un bloc noduleux de pyrite de fer. On LE RESPECT DES MORTS peut imaginer un néanderthalien (ou une néanderthalienne) émerveillé par l'éclat On est d'autant plus tenté de le croire du métal, intrigué, retournant ce bloc qu'à ces maigres témoignages de leur dans tous les sens pour l'observer et, monde symbolique s'ajoute un fait capi­ content de sa trouvaille, décidant de le tal : les néanderthaliens enterraient leu rs ramener chez lui parce qu'il est étrange morts. On n'a jamais relevé de traces et joli. d'inhumation antérieures à cette époque De même, dans la sépulture de et il est probable que leurs prédécesseurs l'homme de La Chapelle-aux-Saints abandonnaient leurs morts. (Corrèze) était déposé un cristal de roche Que le corps soit exposé sur un échaf­ qui, par sa belle structure hexagonale et faudage (comme chez certains Amérin­ sa transparence constituait un objet pré­ diens), entouré de bandelettes (comme cieux. Enfin, un site moustérien d'Alsace chez les Fali du Cameroun), cousu dans a livré, dans un habitat, une «poupée une peau d'animal (comme chez les Mata­ de lœss» (concrétion calcaire naturelle), kam du Cameroun), qu'il soit embaumé peut-être rapportée par un néanderthalien (Égypte pharaonique), brûlé (Inde) ou en raison de sa forme féminine. inhumé (mondes judéo-chrétien et musul­ Dans des sites de cette époque, on a man), les raisons de ces rites sont souvent trouvé des traces d'ocre, matériau colo­ dictées par une même attitude face à la rant rouge, qui ne pouvait servir qu'à mort. Seuls dans la nature, les hommes des fi ns artistiques ou magiques et, sans accordent un soin particulier à la dépouille doute, à des peintures corporelles. de leurs semblables. Pour ce seul fait, De nos jours, lorsque nous voyons au déjà, le néanderthalien mérite bien le nom cinéma les Peaux-Rouges des westerns d'« homme ". danser, affublés de masques et de plu­ mes, le corps couvert de peinture, il nous arrive de sourire. Pourtant, ces décora­ tions, comme chaque geste de la danse, ont un sens: elles représentent symboli­ quement la légende de l'ancêtre créateur, ou l'organisation du monde, ou encore l'histoire propre du groupe. Nous ne savons rien des rites des néanderthaliens. Quelques indices évoquent pourtant de telles pratiques: un tas de 1 m de diamètre, constitué de Pierre à cupules de la Ferrassie. ~ boules de calcaire, a été exhumé à EI­ Il a fallu du temps pour creuser ces cupules, Guettar (Tunisie). Entre ces boules, les profondes comme un dé à coudre, avec des paléanth ropes avaient glissé des outi Is de outils de silex ou de bois dur. Tout ce travail silex et des fragments d'os. Ils ont égaie­ n'a pas été fait «pour rien ", et ces trous ont ment laissé des signes gravés: un coquil- certainement une signification.

63 UN NTERREMENT AU, MOIS DE JUIN

Par un jour d'été, il Y a environ de leur porte, dans des tombes sur les­ Danse de la mort chez les Sorongo (Côte- ~ 60000 ans, une famille néander­ quelles le linge est mis à sécher, où les d'Ivoire) enfants jouent et où les femmes s'as­ Les Sorongo célébrent leurs morts en dan­ thalienne perdit un des siens, tué soient pour bavarder. sant, parfois durant plusieurs jours. Brandis­ par un éboulement dans la grotte sant leurs bâtons de jet, ifs parcourent en rang un large cercle en sautant d'un pied sur de Shanidar (Iraq). Les proches du LA MORT: une fin ou un passage? l'autre chaque fois qu'un coup est donné sur défunt ressentirent vivement cette le lourd tam-tam. disparition et, pour manifester leur Comme nous, les néanderthaliens ont Nombre de primitifs dansent au cours des tenté de répondre à cette question fonda­ funérailles. Cela ne signifie pas qu'ifs se affection et leurs regrets, il allèrent mentale. Ils semblent avoir conçu l'au­ réjouissent. Ils manifestent peut-être ainsi cueillir alentour des brassées de delà comme un prolongement de leur leur soulagement d'être encore vivants mais, fleurs et couchèrent le mort au vie quotidienne. La dépouille du vieillard surtout, ifs éloignent d'eux l'angoisse de la de La Chapelle-aux-Saints était accompa­ mort en se livrant à des gestes répétitifs qui fond d'une fosse sur un lit d'ané­ absorbent le corps et assoupissent les tristes gnée, dans sa tombe, d'outils de silex, mones, de muscaris, de roses tré­ pensées. Nous ne savons pas si les néander­ d'une pièce de gibier (dont on a retrouvé thaliens en faisaient autant... mières et de séneçon. les os en connexion, ce qui signifie qu'on l'a enterrée avec de la chair autour), d'ossements de renne, de bison, d'auroch et d'un cristal de roche. Peut-être a-t-on voulu que le mort ne manquât de rien avait intérêt à en réduire les dimensions: Cette cérémonie nous émeut particuliè­ dans un autre monde et gardât un témoi­ il se peut donc que les néanderthaliens rement, nous, Occidentaux, qui fleuris­ gnage d'affection. Les morts de la Ferras­ aient replié et ligoté les corps pour qu'ils sons aussi nos tombes. Qui sait si sie (Corrèze) étaient également munis tiennent moins de place. cette pratique, plus ancienne qu'Homo d'éclats de silex. Quelques paléanthropes ont entouré sapiens lui-même, ne nous vient pas des S'il était regretté, le mort était-il néan­ les dépouilles d'enfants de signes parti­ paléanthropes? Outre l'intérêt esthétique moins redouté? Était-ce pour éviter son culiers. La tombe de l'enfant de Combe­ pour les fleurs, ce geste prouve une vie retour qu'on le ligotait parfois ou qu'on le Grenai (Dordogne) était surmontée de affective intense, la valeur de l'individu et recouvrait de pierres? Il est difficile de pierres; autour de l'enfant de Techik­ l'importance des rapports entre les mem­ répondre à cette question... Tach (Ouzbékistan, U. R. S. S.), on avait bres d'un groupe. L'homme et la femme de la Ferrassie planté en cercle des cornes de chèvres gisaient en position repliée; la femme sauvages; des monticules marquaient les LE MORT PARMI LES SIENS tenait même ses genoux dans ses mains. tombes d'enfants à la Ferrassie. Peut-être Le jeune homme du Moustier (Dordogne) craignaient-ils l'esprit des enfants morts, Les néanderthaliens plaçaient souvent les et le vieillard de La Chapelle-aux-Saints comme le redoutent, aujourd'hui encore, sépultures dans leurs habitats, comme furent également inhumés dans cette posi­ des tribus de l'Ouganda qui, pour empê­ pour garder au mort sa place parmi les tion. Ces postures, peu naturelles, sug­ cher les jeunes morts de revenir, plantent siens. Cela se retrouve de nos jours, par­ gèrent que des liens enserraient le corps. des épines à l'envers sur leurs tombes. ticulièrement chez les Ewondo du Came­ Toutefois, comme les fosses étaient diffi­ roun, qui enterrent leurs morts à 2 ou 3 m ciles à creuser avec des outils de silex, on UN CANNIBALISME RITUEL?

Laboratoire de Palynologie - Ar!. Leroi-Gourhan Enfin, le mort pouvait communiquer ses Pollen YU au microscope. vertus si l'on consommait la partie de son Les pollens ont un remarquable corps contenant «sa force", comme le pouvoir de conservation. On en e font aujourd'hui les Mélanésiens (Océa­ relrouvê de tres anciens. f05SIll· sés-dans la tern,. Dans un échan­ nie), qui extirpent et mangent le cerveau tillon de sol, les palynologues des morts pour s'en attribuer les qualités. recherchent au microscope et Le crâne néanderthalien du mont comptent les pollens tout en les Circé, en Italie, posé retourné près d'une Identifiant. Ils savent ainsi dire mandibule humaine (ne provenant pas du quelle était la flore 8 telle épo­ même corps) et entouré d'un cercle de que, donc quel ét.it 1. climat, et pierres, présentait tous les signes d'une en déduisent le type de faune trépanation post mortem : l'os occipital a po.sslble. Cela explique comment été enlevé après la mort, ce qui fait Mme A. Leroi-Gourhan a décou­ vert que la tombe de Shanldar supposer que l'encéphale a été extrait par etait fleur/e et comment elle a cette ouverture pour une cérémonie de pu déterminer le mois du décès cannibalisme rituel. L'absence d'outillage de ce néanderthalien, mais sans dans cette grotte indique que celle-ci ne pouvoir en connaltre l'annëe 1 fut pas habitée et qu'elle ne servit qu'à des rites mystérieux autour de ce crâne.

64

sut qu'ils enterraient leurs morts, attribuer à lieu rs sentiments métaphysiques toutes QUELQUES ENIGMES••• les choses bizarres rencontrées dans leu rs habitats. Ainsi. on a parlé de rites d'initia­ tion à propos de Toirano, mais la version du jeu paraît tout aussi vraisemblable. Était-ce un jour de printemps ce jour où Un maladroit se plantait dans la ligne de même si elle contrarie notre goût du une bande d'enfants néanderthaliens s'en­ tir, dos contre la cible. Tant pis pour lui! mystère en faisant des enfants néander­ gouffra dans la grotte de Toirano (Ligurie. On continuait. Il se baissait, se penchait, thaliens des gamins aussi enjoués que Italie)? Peut-être bien, car le sol d'argile gesticulait. Pan! Il prenait une boulette ceux d·aujourd'hui. de la grotte était mou. Quoi qu'il en fût. dans la figure! Enfin. il arrivait à se tirer cette argile était vraiment pratique. Il suffi­ de là.... mais dans quel état! Les rires UN CULTE DE L'OURS? sait d'en ramasser un peu et, en quelques résonnaient sous les voûtes: vraiment, on secondes, d'en façonner une boulette : s'amusait bien ce jour-là à Toirano! Toirano demeure une énigme. comme l'est cela faisait une balle formidable. On la Quand on sait l'importance universelle encore le Regourdou, en Dordogne. Dans lançait à son camarade... ou sur lui (car du jeu (même chez les animaux), on peut cette grotte, on a trouvé une vingtaine de on n'était pas raffiné dans ses manières, interpréter ainsi les découvertes de la crânes d'ours bien rangés dans une fosse en ce temps-là !). À l'autre de l'attraper. grotte de Toirano, découvertes qui se entourée de dalles disposées en caisson. ou de l'éviter! On pouvait aussi se mettre résument à ceci : un rocher maculé Des préhistoriens ont avancé qu'il tous à viser le même rocher. par l'éclatement de nombreuses boulettes s'agissait d'un culte rendu à I·ours. «Celui-là, au fond. qui ressemble à un d'argile lancées contre lui, certaines bou­ d'autres ont pensé que tes jeunes garçons ours! lettes ayant roulé à terre sans l'attein­ néanderthaliens étaient tenus d'affron­ - Non, à un bison, corrigea l'autre. dre; des empreintes de petits pieds dont ter cette terrible bête pour obtenir leur - Plutôt à un renne couché", estima le quelques-unes suggèrent qu'un enfant fut admission dans le groupe des chasseurs. troisième. adossé au rocher-cible; ledit rocher ayant L'énigme reste entière... Peu importe. On assommait «la bête), à une vague forme animale. Peut-être la vérité est-elle plus banale coups de boulettes. Quelquefois, on ratait Après avoir dénié aux néanderthaliens et qu'on a là un simple témoignage du le but, alors les cris, les railleries fusaient. leur part d'humanité, on a voulu, dès qu'on goût des néanderthaliens pour les tro-

66 phées, goût encore vivace chez les chas­ seurs d'aujourd'hui!

LE « CULTE DES MANDIBULES»

De la même façon, les mandibules étant les ossements le plus fréquemment ren­ contrés dans les fouilles, on a sup­ posé que les veuves néanderthaliennes conservaient la mandibule de leur défunt compagnon, et peut-être la portaient en sautoir. Mais, comme le remarque le pro­ fesseur André Leroi-Gourhan, on ne pense pas que les animaux vouaient un culte aux mandibules... et, pourtant, parmi leurs ossements, c'est aussi celui qu'on retrouve le plus souvent! Tout simple­ ment, la solidité particulière de cet os, qu'il soit humain ou animal, favorise sa conservation. On a dû renoncer au « culte des mandibules " ... Il convient donc de rester prudent dans les interprétations et de chercher l'expli­ cation des « énigmes" dans des gestes et activités naturels, plutôt que dans des cultes ou rites étranges.

Quand 1/ se dressait sur ses pattes de derrière, ~ dans l'attitude classique de la colère, l'ours des cavernes pouvait mesurer jusqu'à 2,30 m de hauteur. Un enfant néanderthalien n'eût donc pas pesé lourd devant lui! Comment les néanderthaliens, qui avaient besoin de toutes les forces disponibles pour la chasse, auraient-ils pu délibérément expo­ ser leurs jeunes garçons à un pareil monstre sous prétexte d'éprouver leur courage? Les survivants d'une telle « initiation ", en raison des blessures graves qu'on peut leur suppo­ ser, eussent mis des mois à se remettre avant d'être aptes à chasser, en admettant qu'ils n'eussent pas conquis, dans ce combat, en même temps que le prestige viril, quelque handicap irrémédiable... Certes, les néanderthaliens ont bel et bien tué des ours des cavernes. Sans doute tuaient-ils la bête pendant son sommeil hiver­ naI, directement dans sa tanière. 11 n'est pas exclu qu'il aient considéré l'ours, qui s'endort en hiver et se réveille au printemps, comme un signe des saisons, un symbole de résurrec­ tion. Ils peuvent aussi avoir enseveli le crâne de cet animal par circonspection en face de cet être sans queue qui se dressait sur deux pattes, utilisait ses « mains" et offrait ainsi quelque ressemblance avec l'homme.

a b c d e

Néanderthalien "classique" Cro-Magnon Taboun 1 (femme) Skülh V Oafzeh (enfant) de la Chapelle-aux-Saints (Homo sapiens)

---~--Paléanthropes de Palestine ----- j

68 Colin Turnbull a révélé au monde l'ago­ nie des Iks aux confins de l'Ouganda. La création d'une réserve sur leu r territoire de chasse et la répression aveugle du braconnage ne leur laissent pas de quoi subsister. La mère qui trouve un aliment ne le partage même plus avec son enfant; si l'un souffre, tous les autres en rient; les morts ne sont plus honorés et leurs dépouilles sont jetées dans un ravin. Des modifications brutales de l'envi­ ronnement amènent ainsi la fin de peuples entiers. Il n'est donc nullement certain qu'Homo sapiens ait commencé sa carrière euro­ péenne par un génocide. Le néandertha­ lien d'Europe a simplement échoué dans la survie; il s'est éteint pour des raisons encore indéterminées, parmi lesquelles ont pesé l'isolement géographique et les limites de l'intelligence de cette espèce.

Découverts récemment aux , les ~ Tasaday n'avaient jamais été en contact avec des civilisations plus avancées. Pour éviter de détruire leur équilibre de vie, il est interdit de fréquenter leur territoire, même pour étu­ dier leurs mœurs. La pénétration du métal dans leur monde, par exemple, leur ferait oublier l'usage de la pierre et les rendrait dépendants de leurs fournisseurs. Dès lors, ils quitteraient rapidement le milieu avec lequel, sans nos techniques, ils vivent en harmonie. Les Bindibus survivent tant bien que mal dans le désert de Gibson, en Australie. /ls suivent les pluies pour boire dans les mares, car ils ne fabriquent pas de récipients pour ~ conserver l'eau. On peut se demander si la r vie de leurs ancêtres n'était pas meilleure et ~ Ii s'ils n'ont pas perdu des techniques autrefois z.. connues.

• D'après doc. lime·Ure • Dr O. Thompson BILAN

L'HÉRITAGE D'HOMO SAPIENS porter mieux la tête (dont le poids s'est déplacé de l'avant vers l'arrière), que la Homo sapiens a en effet rapidement main a acquis une préhension plus fine et changé la face de la Terre et institué de le pied un meilleur appui sur le sol. Dans nouveaux rapports avec la nature. Tou­ l'ensemble, donc, le corps humain a peu tefois, ce serait ingratitude envers nos varié. Les modifications ont surtout affecté ancêtres plus lointains d'oublier qu'Homo la face et le crâne: l'appareil masticateur sapiens s'est appuyé sur leurs décou­ s'est réduit, tandis que le volume du vertes essentielles : fabrication d'outils crâne s'est accru. de pierre, langage, techniques de chasse, feu, traditions et croyances. UN CERVEAU BIEN FAIT La transformation physique n'a pas non plus été si soudaine qu'on pourrait le Bien que le cerveau d'Homo sapiens ne Pour évoquer l'apparition d'Homo croire. Entre le paléanthrope le plus récent pèse pas plus que celui de son prédéces­ et Homo sapiens le plus ancien dont on seur, il représente un progrès capital, car sapiens, on parle souvent possède des fossiles, il existe une lacune ce ne sont pas tant le volume et le poids d'" irruption", de "déferlement", de plus de 15 000 ans, ce qui représente du cerveau qui font l'intelligence que son d'" explosion du progrès ». Venu un temps trop court, du point de vue des organisation. Les paléanthropes avaient d'on ne sait où, grand, élancé, l'al­ paléontologues, pour que le deuxième encore un fort bourrelet sus-orbitaire. lure fière et le front haut, un groupe soit issu du premier. Cela empêchait leur cerveau de s'étendre Il est évident qu'on ne sau rait donner vers le front. Chez Homo sapiens, ce regard sagace illuminant son les néanderthaliens de l'Europe occiden­ "verrouillage frontal» n'existe plus et, visage merveilleusement humain, tale pour ancêtres d'Homo sapiens. Mais dans le cerveau, la partie nommée cor­ Homo sapiens serait arrivé, un si l'on se reporte aux paléanthropes de tex (écorce cérébrale) acquiert son déve­ peu à la manière de Zorro, pour Palestine, on voit que, dès - 60 000, ils loppement maximal. Sans gain réel de mettre de l'ordre et rayer de laissent prévoir une progression vers un matière cérébrale, le cerveau d'Homo nouveau type physique. Homo sapiens sapiens a dès lors bénéficié de transmis­ la Terre la "brute» néandertha­ semble le résultat d'une évolution à partir sions nerveuses supplémentaires, un peu lienne. Grâce à son génie, il aurait d'un stade paléanthropien, dont la rapidité comme un poste de télévision, sans chan­ balayé ses simiesques prédéces­ relative s'explique par l'accroissement et ger de format, reçoit de nouvelles chaînes. seurs, après quoi il aurait pu se le mouvement des populations. Le cortex frontal étendu d'Homo livrer, entre deux chasses glorieu­ Si nous faisons le bilan de l'évolution sapiens est le siège de la conscience corporelle de l'australanthrope à Homo lucide, de la réflexion, de la prévision et de ses, à sa distraction favorite : sapiens, nous constatons que la taille la maîtrise de soi, toutes facultés que l'hu­ peindre des chefs-d'œuvre sur les s'est élevée, que les courbures de la manité possédait depuis l'australanthrope, parois des cavernes. colonne vertébrale se sont dessinées pour mais à un degré bien moindre.

La charge suspendue montre la différence de force musculaire indispensable pour la sus­ pension de la tête sur la colonne vertébrale. Chez le singe, parce qu'il n'est pas bipède, les contraintes musculaires réduisent consi­ dérablement les possibilités d'expansion du crâne.

70 COMPARAISON DES CAPACITÉS CRÂNIENNES

1 "il Réduction de la face et augmentation du Plus on se rapproche d'Homo sapiens (4-7), volume crânien du cervidé à Homo sapiens. plus l'angle POS s'amenuise, passant de 6(}D chez l'australanthrope à 45°, voire 40° chez Le cerf (1) ne peut ni s'asseoir ni utiliser l'ex· l'homme moderne. La bipédie, en libérant les trémité de ses membres antérieurs (mains) mains, a délivré la mâchoire de son rôle -'~ B pour tenir sa nourriture. Ses extrémités sont préhenseur. Portée verticalement, la tête ne ~ spécialisées pour , son museau risque pas d'être entraÎnée par son poids 1 cerf pour saisir directement les aliments. Le mas­ vers le sol; les contraintes de suspension sif facial est donc important et laisse peu de disparaissent donc, laissant le crâne libre de place au crâne qui ne contient qu'un petit se développer vers l'arrière. cerveau. Le lion (2), lui, peut s'asseoir. Avec ses "mains ", il agrippe et maintient sa nourriture. Le massif facial est moins projeté à l'avant que chez les mammifères marcheurs. Le chimpanzé (3) s'assoit et même se redresse parfois sur ses membres inférieurs. Il se sert de ses mains pour saisir les ali· ments et les porter à sa bouche. En consé­ quence, sa face est plus réduite et, propor­ tionnellement à sa taille, le singe possède le plus gros cerveau qui soit chez les animaux, Développement de la boite crânienne de part mais que le défaut de bipédie vraie empêche et d'autre de son point d'équilibre, du chim­ 3 de se développer davantage. panzé à Homo sapiens. T chimbanzé

chimpanzé: 40° australanthrope : 45°

6 paléa~thrope

\

paléanthrope : 60° néanthrope (Homo sapiens) : 70° 7 Homo sapiens

71 LE PALEOLITHIQUE SUPERIEUR

Imaginons qu'un archéologue de la planéte Mars vienne dans 20000 ans explorer la Terre détruite et déserte. Parmi les ves­ tiges, il trouverait un grand nom­ bre de postes de télévision en Amérique, au Japon et en Europe. Découvrant ces objets pour la pre­ mière fois au bord de la Loire, par exemple, fleuve qu'en sa langue martienne il appellerait « Ixe ", il considérerait alors que les sites livrant des postes de télévision appartiennent à une «culture" qu'il qualifierait d'« ixienne ", appelant «Ixiens" tous les pos­ sesseurs de télévision. Et pour­ tant, Américains, Japonais et Euro­ péens se distinguent par la race, les langues et les coutumes.

Ainsi, les innovations dans les armes et l'outillage marquent les divisions du paléolithique supérieur en une succession de "cultures". Bien entendu, quand ils inventaient un nouvel outil, les hommes n'en abandonnaient pas pour autant les anciens modèles. C'est pourquoi, si l'on définit une culture préhistorique par la possession d'un outil particulier (fossile directeur), on y ajoute la connaissance de l'ensemble lithique dont fait partie cet outil. Les divisions du paléolithique sont une commodité pour les préhistoriens qui ne se fondent que sur les industries, car elles sont datables. Mais ces industries ne sont pas forcément le fait d'un type d'homme particulier, ni même d'un peuple défini. Des hommes qui façonnaient les mêmes outils ont certainement parlé des lan­ gues différentes et possédé des coutumes variées.

  • 72 Les nombreux sites de France et leur chronologie bien établie ser­ vent souvent de référence pour le palêolithique supérieur â d'autres régions qui ont connu des indus­ années avant J.-C. tries semblables ou proches (Belgi­ que, Espagne, Italie, Autriche, Mora­ moustérien (final) pointe Levallois vie, Ukraine, Proche-Orient). L'Afrique du Nord a longtemps - 37 000 conservé des techniques mousté­ riennes avant d'adopter le débitage 1---- - 35 000 d'éclats légers et de lames. Le reste de l'Afrique a persisté dans la tech­ nique du biface, créant par ce pro­ cédé de minces pointes et des outils châtelperronien couteau de Châtel perron efficaces, mals éloignés des "outils sur lames» de l'Eurasie occidentale. En Asie, en Inde, les outils légers ne sont apparus que vers - 17000, tandis qu'en Sibérie du Sud se sont - 30000 épanouies des cultures proches du magdalénien. A partir du paléolithique supé­ aurignacien rieur, toutes les dates indiquées excluent les 2000 ans de l'ère chré­ tienne: - 35000 avant Jésus-Christ, par exemple. correspond à - 37000 - 25000 avant le temps présent.

    gravettien pointe de la Font-Robert ORIGINALITÉS RÉGIONALES

    Cependant, certains" faciès» dans l'outil­ lage d'une époque témoignent de tra­ ditions techniques locales. Le profes­ -- -18000 seur André Leroi-Gourhan note que, pour 20 outils fondamentaux (couteaux, burins), on compte, rien qu'en Europe, solutréen feuille de laurier jusqu'à 200 variantes régionales. La pré­ histoire révèle ainsi que des diversifica­ tions ethniques ont très tôt existé, dont les outils ne nous laissent qu'une idée - 15 000 ----+------+------1 imprécise. Il n'y a donc rien que de très normal, de très humain, dans les aspects divers magdalénien des objets communs aux peuples actuels. ~I Le diamètre d'une assiette plate d'Angle­ - 9 000 terre, par exemple, est rarement inférieur 7-/---==:- ~ 1 à 27 cm, tandis qu'en France il ne dépasse azilien guère 25 cm, le vélo hollandais a une ",,' '\,------=:-j _ J allure originale; le format commercial harpon en bois de cerf d'un paquet de beurre allemand entre L difficilement dans un beurrier français. Mais, isolés de l'ensemble culturel auquel duction "en série" et par les contraintes Le paléolithique supérieur. ils appartiennent, un vélo ou une assiette du marché qui établit des" normes" de La chronologie donnée par ce tableau est sont aussi muets que les outils de la pré­ fabrication afin que les objets soient adop­ celle qu'adoptent nombre 'de préhistoriens histoire sur la personnalité des groupes tés sans inconvénients par les usagers de modernes. Mais des auteurs se réfèrent à la humains qui les utilisent. Pourtant, aussi pays divers (comment exporter un lave­ chronologie de l'abbé Breuil, qui groupait sous l'appellation aurignacien (ancien, moyen modestes soient-ils, ils s'incorporent, au vaisselle si le diamètre des assiettes varie et récent) des industries datant de - 35000 à même titre que la langue ou le style des d'un pays à l'autre ?). Aussi, les particula­ -20000 ans. Quelques ouvrages mentionnent maisons, à l'ensemble de traits qui font rités locales et même les styles régionaux aussi le périgordien, terme appliqué à l'en­ qu'un Breton est différent d'un Provençal, ne transparaîtront bientôt plus que dans semble des trois premières cultures du paléo­ qu'un Anglais est différent d'un Français. de rares produits artisanaux... et l'homme, lithique supérieur. Présente depuis le paléolithique supé­ à force de se vouloir à l'aise partout sur rieur, l'originalité technique propre à nos la planète, risque de ne se reconnaître régions disparaît, condamnée par la pro- nulle part" chez soi".

    73 QUELQUES HOMMES DE CE TEMPS-LA

    On a coutume, dès qu'il s'agit Crâne de l'homme de Cro-Magnon découvert ~ d'Homo sapiens, de citer d'abord en 1868 aux Eyzies-de-Tayac (Dordogne). l'homme de Cro-Magnon qui n'est pourtant pas le plus ancien repré­ (Moravie), bien qu'ils gardent quelques sentant de notre espèce. traits archaïques, comme une variante Le plus vieil Homo sapiens «orientale" de Cre-Magnon dont ils ont connu est l'homme de Combe­ la grande taille. Le squelette magdalé­ Capelle (Dordogne) qui vécut vers nien d'Obercassel (Allemagne) offre un mélange de traits cro-magnoïdes et néan­ -35000 et qui compte parmi derthaloïdes : sa face est moderne, mais les auteurs des industries châtel• son thorax a une forme «en tonneau". perroniennes. /! mesure 1,65 m. Ses arcades sourcilières sont D'OÙ VIENNENT encore fortement marquées, mais LES RACES ACTUELLES? ne forment pas de bourrelet. Ses Classer les fossiles selon la race reste une orbites, placées assez haut dans entreprise hasardeuse. Un œil exercé la face, affectent la forme sub-rec­ reconnaît aisément un crâne mongoloïde, tangulaire caractéristique d'Homo europoïde ou négroïde. Mais cela corres­ sapiens. Son nez est large, sa pond à une appréciation difficilement démontrable. Les mensurations, critères mâchoire modérément prognathe. scientifiques sur lesquels on aimerait se /! présente encore des traits néan­ fonder, ne réunissent finalement que des derthaloïdes. indications très générales tant les diffé­ rences raciales vraiment repérables sur le squelette sont infimes, et ce d'autant pll'S UN PARENT DE L'ORANG-OUTAN... qu'on les observe aussi entre des indi­ " vidus de même race. Le «vieillard" exhumé" en 1868 à l'abri de On sait toutefois que, au paléolithi­ Cre-Magnon, aux Eyzies-de-Tayac, ne res­ que supérieur, existaient les souches des semble pas du tout au portrait popularisé grands groupes raciaux actuels, sans par la chanson et selon lequel il était « un doute avec moins de différences dans les être bizarre, proche parent de l'orang­ couleurs de peau et la pilosité. On pense outan " ... Au contraire! S'il revenait parmi que tous les hommes actuels proviennent nous, rien ne le distinguerait de nos con­ d'une même lignée (peut-être originaire temporains. de l'Asie centrale) et que la diversification Cet homme, qui vécut vers - 30000, et raciale n'est intervenue qu'après l'acqui­ auquel on attribue les industries aurigna­ sition de la forme sapiens. ciennes, présente un crâne dolichocé­ Contrairement à ce que l'on croit phale (la longueur l'emporte sur la lar­ souvent, les climats ne sont guère res­ geur), des orbites sub-rectangulaires ponsables du phénomène de diversifica­ placées très bas sous le front et surmon­ tion. La cause réside plutôt dans l'iso­ tées d'arcades peu marquées. Le nez est lement géographique de populations étroit dans une face courte et carrée. La devenues de plus en plus denses. Au long taille de l'homme de Cre-Magnon atteint des millénaires, les populations circu­ 1,82 m, mais d'autres individus de l'épo­ lant toujours sur un même territoire dans que mesuraient jusqu'à 1,94 m. Des sujets une même région du globe acquièrent de même type se retrouvent, avec quel­ ce qu'on appelle un «capital génétique" ques variantes, durant tout le paléolithique assez uniforme qui conduit peu à peu à supérieur. la formation et au maintien d'un type L'homme de Menton (grotte du Cavil­ racial propre à la région, les formes inter­ lon), associé à des industries gravettien­ médiaires entre types divers se trouvant nes, appartient au type de Cre-Magnon. aux points de contact des régions, là où homme de Cra-Magnon On considère les fossiles de Predmost les métissages sont possibles.

    74 L'homme de Mechta el-Arbi (Algérie) repré­ sente une variante méditerranéenne issue de la même souche que l'homme de Cro-Magnon.

    homme de Mechta el-Arbi

    Considéré comme négroïde à cause de son large nez et de son prognathisme, ce crâne paraît fort juvénile alors que les dents de sagesse attestent un âge d'au moins 20 ans. La robustesse de la dentition dans une face trop exiguë pour la contenir explique le pro­ gnathisme, l'aplatissement de la face prove­ nant sûrement de déformations provoquées par la lourde dalle qui couvrait le squelette. De l'aspect "négroïde ", il ne reste que les bras, jugés courts par rapport aux jambes, chez cet aurignacien qui mesurait 1,60 m. C'est pourquoi son appartenance certaine à une race négroïde est fort contestée. D'émi­ homme "négroïde" de Grimaldi nents auteurs voient en ce fossile une forme archaïque de Méditerranéen.

    L'homme de Chancelade. D'abord pris pour l'ancêtre des Esquimaux, à cause d'un mauvais remontage des fragments de crâne, ce magdalénien de Chancelade représente une variante cro-magnoïde de petite taille (1,60 ml. Des précurseurs des races mongoloïdes ont été exhumés à Chou­ kou-tien, bien au-dessus des niveaux à sinanthropes.

    homme de Chancelade

    L'homme d'Asselar (Sahara). Non daté, mais venant du paléolithique supé­ rieur, il compterait parmi les ancêtres des Bochimans. C'est de la fin du paléolithique, vers -9000, que date l'homme d'Iwo Eleru (Nigeria) décrit comme un ancêtre des Noirs actuels. Le continent africain étant vaste et les populations peu nombreuses, il a fallu plus de temps et des migrations multiples pour qu'une race se constitue à partir de types initiaux variés, d'aspect australoïde, europoïde (comme les Éthiopiens) ou ressem­ blant aux Bochimans (qui auraient peut-être homme d'Asselar quelques traits mongoloïdes).

    75 Un foyer de l'habitation l, Pincevent (Monte­ reau, Seine-et-Marne). Il y a 10000 ans, un bras de la Seine coulait en amont du site et dégonflait le fleuve. Le paysage a changé, mais le gué de Pincevent existe toujours, bien qu'il soit plus profond qu'au temps où les rennes y venaient traver­ ser la Seine. Les magdaléniens, postés près du gué, abattaient les bêtes par centaines. Après quelques mois de chasse, ils s'en allaient en laissant sur place des outils et des reliefs de repas. Le moulage, réalisé par MM. Leroi-Gourhan, Brézillon et leur équipe, restitue le sol d'occu­ pation tel que l'ont abandonné les chasseurs. Autour de ce foyer, on voit des os de rennes, des déchets de taille, des outils. Sur la grosse pierre, un magdalénien s'est assis, près du feu, pour tailler le silex. Une crue de la Seine a recouvert l'ensemble de limon, et l'herbe a repoussé. Mais, plus tard, d'autres magdalé­ niens sont revenus sur les lieux et ont laissé aussi, de -12000 à -8800, de nombreux vestiges semblables.

    DE BONS ARCHITECTES

    Les habitats de Dolni Vestonice (Moravie, Tchécoslovaquie) témoignent de la fré­ quentation constante, entre - 29000 et -19000, d'un emplacement situé près d'une rivière au pied des monts Pavlov. Une des installations est un ovale de 15 m sur 9, pavé de galets et entouré de poteaux. Autour de ses 5 foyers alignés sur le grand axe, les nombreux débris de silex montrent que ce lieu servait d'atelier. Située à mi-pente sur la colline, une autre habitation révèle les qualités d'ar­ chitectes de ses constructeurs : pour remédier à l'obliquité du terrain, ils ont creusé dans la partie haute et remblayé la partie basse de manière à obtenir un sol plan de 6 m de diamètre. Une murette de pierre soutenait le remblai. Près du foyer central, une petite voûte de pierres noir­ cies par le feu faisait usage de four : à proximité, on a recueilli plus de 2000 mor­ ceaux d'argile cuite, fragments de figuri­ nes modelées, dont une tête de rhino­ UN "CHEZ-SOI" céros et une statuette féminine intactes. Près de ces habitats, un marais fossile a livré les ossements d'une centaine de BIEN ENTRETENU mammouths, abondance qui prouve que les chasseurs s'organisaient en collecti­ Là où c'était possible, les chasseurs s'installaient dans des cavernes. vités importantes. Non loin de là, à Pavlov, 11 huttes ou Souvent, ils implantaient leurs tentes juste à l'entrée pour profiter de la tentes ovales contiennent chacune plu­ lumière du jour. La plus ancienne installation fut reconnue à Arcy-sur­ sieurs foyers, alignés aussi sur le grand Cure (Yonne), dans un niveau châtelperronien de la . axe et accompagnés de petites fosses Oes dalles de calcaire entouraient l'aire circulaire de 4 m de diamètre, qu'on utilisait comme fours. des défenses de mammouth soutenaient la tente de peau. L'intérieur UN CONDUIT DE FUMÉE? était propre: on débarrassait régulièrement le foyer de ses cendres et les résidus de repas ou de taille du silex étaient jetés dehors sur un tas Les gisements superposés de Kostienki qui constituait la "poubelle ». (vallée du Don, U. R. S. S.) ont livré des

    76 Maison de Mezhirich reconstituée (musée de Kiev). Sur cette charpente d'os ingénieusement Bgencés, des peaux constituaient le toit et les parois.

    Reconstitution et plan d'une tente magdalé­ nienne de Plateau-Parrain (Dordogne). Le plan révèle lB forme cBrrée de la tente et l'emplacement de son ouverture. Le petit pavement intérieur comble une légère dépres­ sion du sol. habitations plus récentes (de - 20000 à - 14000) souvent ovales et très vastes, témoignant que les chasseurs vivaient en groupes cohérents et, loin d'errer sans cesse, aimaient à se fixer longtemps au même endroit. Dans une couche, elle­ même située au-dessus de vieux habitats circulaires, on a retrouvé les structures d'une installation de 34 m sur 15 divisée par des murettes en trois secteurs com­ prenant chacun trois feux. Au niveau XIX du même site, une habitation était creu­ sée dans le sol et un fossé, conduisant du foyer central jusqu'à l'extérieur, faisait office de cheminée horizontale en assu­ rant un appel d'air. Les maisons quadrangulaires de Timo­ novka (U. R. S. S.), profondément creusées dans le sol, étaient quasiment souterrai­ nes. Les chasseurs posaient de gros osse­ ments sur le toit de peau afin que le vent ne l'emporte pas. Une des maisons com­ " 0 prenait une pièce supplémentaire, non .. . o O(J ~c chauffée : c'était le "cellier» où l'on 00 rangeait des provisions et les ossements qu'on employait souvent comme combus­ tible dans cette région où le bois était rare.

    L'ESPACE AMÉNAGÉ, HUMANISÉ...

    Partout, Homo sapiens cherchait l'har­ monie et l'ordre; il arrive même qu'on retrouve les ossements triés, rangés par catégories: un tas de côtes de chevaux, un tas de défenses, un tas de crânes de mammouths. Quelquefois, les outils usa­ gés et les déchets divers sont enterrés dans des fosses. Pour Homo sapiens. l'habitat devient Plan d'une habitation de (Sibérie). ~ ,------donc plus qu'un repaire où l'on s'abrite Les six tentes de Malta, implantées vers du froid ou du danger. Par le soin qu'on - 9000, nous éclairent sur les mœurs de leurs apporte à sa construction et à son entre­ habitants : autour du foyer de droite, ce ne tien, il marque un lieu fondamentalement sont que poinçons, aiguilles à chas, grattoirs humain, nettement coupé de l'extérieur et statuettes féminines; auprès du foyer de par l'ordre qui y règne. C'est l'endroit où gauche, on relève surtout des figures anima­ les, des couteBux et des armes de chasse l'homme s'abstrait de la nature environ­ qu'on attribue logiquement aux hommes. Cha­ nante et trouve le réconfort de se senti r cun avait donc "son coin" dans la maison. o Q "chez soi» dans un espace limité, amé­ L'opposition et la complémentarité des sexes . ' .. ~ . ... ., nagé à sa mesure et selon les coutumes fondaient certainement l'organisation sociale du groupe au sein duquel il connaît la des chasseurs, et même l'interprétation de sécurité. l'univers dont témoigne leur art.

    77 LA VIE QUOTIDIENNE EN CE TEMPS-LA 1. Pour chasser, les hommes utilisaient " teinture .. des peaux, ou du moins à un quelqu'un en dernier avant de mourir? En la sagaie lancée par propulseur, ce nou­ frottage avec de l'ocre rouge, car les tout cas, l'outil, et jusqu'à ses débris, veau procédé évitant de trop approcher le habitats sont souvent imprégnés de ce méritait un soin spécial soit pour écarter gibier. colorant sur une grande épaisseur. Il n'est ses maléfices soit au contrai re pou r con­ Il est possible que les chasseurs se soient pas exclu que l'ocre ait aussi servi à des server son pouvoir bénéfique. parfois masqués et déguisés pour déjouer peintures corporelles. la méfiance des animaux. On suppose L'ocre était extrait avec de solides pics 3. Bien entendu, les archéologues n'ont aussi qu'ils creusaient des fosses et les façonnés dans les côtes du gros gibier. jamais retrouvé de vanneries dans les recouvraient de branchages pour piéger Par cuisson, les chasseurs en obtenaient sites. Mais le niveau technique des chas­ les animaux; en revanche, aucune décou­ des tons variant du jaune au violet. seurs du paléolithique supérieur laisse verte n'a jamais confirmé l'existence de Dans l'habitat châtelperronien d'Arcy-sur­ supposer qu'ils savaient tresser des pièges à poids. Cure, des boulettes d'ocre contenaient paniers de branchettes souples ou des outils usagés et même des débris de d'écorce. 2. Pour traiter les peaux, les femmes les silex enfermés, bien cachés au centre de Les femmes se livraient à la cueillette et grattaient, puis les étendaient à l'air pour la masse. On ne sait ce que cela signifie... au ramassage: graines, racines, feuilles, les faire sécher, bien étirées entre des Peut-être traitait-on ainsi l'outil qui avait algues, fleurs et fruits comestibles, œufs, piquets. servi à un rite ou à découper un animal oiseaux surpris au sol complétaient les Ensuite, elles procédaient peut-être à la ou bien encore qui avait été utilisé par menus.

    78 Elles entretenaient le feu et cuisinaient. Pour faire des tentes ou des vêtements, loques, puis des «médaillons» plats en Des pierres incandescentes jetées dans les peaux étaient finement cousues, ainsi forme de sole. l'eau d'une outre en amenaient l'ébulli­ qu'en témoignent les nombreux poinçons Enfin, les solutréens, mais surtout les tion. Ce sont aussi des pierres brûlantes à coudre et les aiguilles à chas en os ou magdaléniens, ont gravé des rondelles qu'on entassait dans les fours creusés en ivoire. Des crins de chevaux, de fines d'os et découpé le contour de figures dans le sol. Afin de ne pas en perdre la lanières de cuir, des nerfs et des tendons animales. Peut-être ces objets étaient­ chaleur, on recouvrait la fosse d'une peau. servaient de fil. ils groupés en colliers car, à Labastide, Au retour de la chasse, les hommes 18 contou rs de têtes de bouqueti ns ont étaient heureux de boire un liquide chaud 5. Apparues dès le châtelperronien, les été trouvés ensemble. où l'on avait peut-être fait macérer des parures comportaient des dents d'ani­ feuilles ou des graines. Les galets chauffés maux et des coquillages portés en pen­ 6. Si l'on en croit les gravures d'Angles­ au feu servaient aussi de radiateurs indivi­ dentif. Un trou ou une rainure assuraient sur-I'Anglin, de Lussac-lès-Châteaux et duels : provision de chaleur pour les le passage du lien. Les canines de cerf de Marsoulas, les hommes ne laissaient randonnées dans le froid, «bouillottes» le (<< croches») étaient si recherchées qu'on pas la barbe envahir leur visage. Peut­ soir sur la couche de fourrure. fabriquait une imitation si l'on n'en possé­ être se débarrassaient-ils de leur barbe dait pas de vraie: une «croche» taillée par un délicat brûlage, ou par une épila­ 4. La répartition des perles et des parures dans du bois de renne a été trouvée à tion menée sur le poil déjà long en utili­ dans les sépultures d'Homo sapiens nous Arcy-sur-Cure. sant comme pince une lame serrée contre éclaire sur la nature et la forme des Aurignaciens et gravettiens ont ajouté à la le pouce? habits. Les chasseurs portaient des panta­ «bijouterie» de petits galets plats et ova­ À moins que la représentation de visages lons et des vestes de fourrure assez sem­ les, des anneaux d'ivoire et d'os bordés imberbes n'ait été qu'une convention blables à ceux des Esquimaux actuels. d'incisions, et toujours portés en pende- artistique!

    79 LES SOLUTRÉENS LA PANOP lE Les solutréens délaissent un peu le travail de l'os, bien qu'on trouve les premières aiguilles à chas chez eux. Ils façonnent d'harmonieuses lames en forme de feuille DE NOS ANC!TRES de laurier pour armer leurs sagaies. La minceur de ces pièces admirables est obtenue par retouche rasante sur toute la surface.

    LES MAGDALÉNIENS

    Les industries magdaléniennes comptent parmi les plus riches. Les sagaies, d'abord larges et biseautées à la base, sont ensuite pourvues d'une fente longitudinale. Pour la pêche et pour la chasse, des har­ pons, d'abord à barbelures unilatérales Pour corriger la courbure des sagaies, héritée puis bilatérales, sont employés. Les aiguil­ de la forme des défenses, les chasseurs les les à chas, les poinçons foisonnent. Des passaient au feu, puis les redressaient à baguettes demi-rondes en bois de renne chaud en les forçant avec leur bâton percé, et en ivoire apparaissent, dont on ignore qui servait également à assouplir les lanières l'usage exact, ainsi que des spatules qui de cuir. furent peut-être des couteaux à neige. Dans l'outillage lithique (le matériau uti­ lisé est la pierre), on constate d'abord la L'abondance soudaine de l'outillage osseux et le débitage leptolithique présence de burins robustes, de perçoirs (c'est-à-dire d'éclats légers et de lames) marquent les industries et de raclettes dont l'état d'usure dénote d'Homo sapiens. le raclage de matériaux durs. On appelle À l'aurignacien, l'artisan obtient 8 m de tranchant d'un kilo de silex; badegoulien ou protomagdalénien cet au solutréen, il arrive à 14 m .. et, du même poids, les magdaléniens ensemble auquel s'ajoutent des sagaies à larges biseaux (en lancette) et qui marque tirent plus d'une centaine d'outils. Désormais, l'homme s'éloigne sans les débuts de la culture magdalénienne. souci des sources de matière première puisqu'une petite provision de Ensuite, apparaissent des burins dièdres, silex, peu encombrante, suffit à lui fournir armes et outils. C'est dont la partie active est déterminée par pourquoi l'on trouve des industries de silex, même dans lés régions deux enlèvements opposés, des grattoirs dépourvues de ce matériau. sur bout de lame et quelques lamelles à dos. S'y ajoutent plus tard des triangles à crans, peut-être destinés à gratter des LES CHÂTELPERRONIENS museau" destinés au travail de précision objets longs et cylindriques, des lames à sur os, ainsi que des burins busqués pour dos abattu, dont une à dos courbe qu'on Les châtelperroniens conservent encore le même usage. Leurs pointes de sagaies appelle" canif". quelques techniques moustériennes: les en ivoire sont d'abord fendues à la base, grattoirs sont épais, les lames peu nom­ plus tard elles prennent la forme d'un breuses. Ils fabriq uent un petit couteau losange. C'est à l'aurignacien qu'appa­ bien particulier, à dos courbe abattu par raissent les premiers bâtons percés. fines retouches : c'est le couteau de Châtelperron ; ils le transforment parfois LES GRAVETIIENS en burin en lui enlevant, d'un coup sec, un l, éclat épais dans un angle. Ils façonnent Une pointe à bord rectiligne abattu par aussi des poinçons en os et des pointes retouches caractérise l'outillage des gra­ de sagaies biconiques en ivoire. vettiens, ainsi que la pointe de la Font­ Robert (du nom du gisement de Corrèze) LES AURIGNACIENS qui ressemble à une fléchette. Des burins, dits" de Noailles" (du nom du site corré­ Les aurignaciens inaugurent le débitage zien), façonnés sur de petits morceaux de c de lames; ils convertissent ces lames, par lames, semblent propres à un groupe o retouches et troncatures (remplacement particu lier de gravettiens, car les autres o ~" d'une arête par une facette), en outils utilisent plutôt des burins d'angle amé­ c a:. divers: l'enlèvement de fines lamelles à nagés sur une grosse lame. Les pointes l'extrémité donne un grattoir sur bout de de sagaies comportent un biseau à la « Feuille de laurier" : cette pointe foliacée, lame; dans les déchets de taille, selon base pour faciliter la ligature sur une retouchée sur les deux faces, était utilisée leur forme, ils fabriquent des grattoirs «à hampe de bois. comme armature de sagaie au solutréen.

    80 Comment débiter ~ ~tl·:'''·(''''''hj~ i''.·;·~ali'·;1' ;:t#~ .... ·.; ...... des lames de Sl1ex? poinçon en os

    ~ ••. CH ~"'(è'~~":' L!"~

    pointe de sagaie burin sur couteau couteau de Châtelperron OUTILS CHATELPERRONIENS de Châtel perron g,"~",,,". t burin busqué grattoir caréné

    lame étranglée grattoir sur lame OUTILS AURIGNACIENS sagaie losangique l l

    ~:t;~ .-.... ,: ...... 1 . . burin sur lame tronquée burin (multiple) de Noailles Q pointe sur morceau de la Font-Robert de lame grattoir sur éclat 3 pointe de sagaie OunLS GRAVETTIENS ~ -~

    grattoir pointe à cran feuille à cran aiguille à chas L'extraction de lames s'effectue par per­ feuille de laurier cussion indirecte; en plus du percuteur il OUTILS SOLUTRÉENS faut un "tamponnoir" pointu, en bois dur ou en os. Cene percussion plus légère est aussi plus précise, car la pointe du tam­ ponnoir peut être dirigée à volonté. ~~~~~"'i~,,,~""i •• 1. Entamez le bloc à partir d'une surface .~ ~ ~ spatule plane, dite plan de frappe. L'impact donne U ou couteau à neige un éclat d'amorçage couvert de cortex ~ (surface de la pierre brute). bUrin bec pointe triangle ~ 2. Frappez à côté de la cicatrice ainsi faite de perroquet de Teyjat scalène ~ lamelle à dos (appelée négatif de l'éclat), cela enlève un et troncature bâton percé autre éclat long avec un peu de cortex, c'est un éclat de décorticage. Continuez ainsI en tournant pour éplucher tout le pourtour. 3. Frappez en posant la pointe du tampon­ noir entre deux négatifs. Vous obtenez une proto­ triangle lame. burin diédre harpon à crans 4. Poursuivez l'opération tout autour du canif perçoir râclette nucleus pour vous procurer un jeu de harpon OUTILS MAGDALÉNIENS lames minces, longues et étroites.

    LA PRÉHISTOIRE. - 6 81 MOURIR EN CE TEMPS-LA•••

    Sépulture de Saint-Germain-Ia-Rivière (Gironde). Sur cette femme de l'époque magdalénienne, qui mourut vers l'âge de 30 ans, on versa de l'ocre avant de fermer sa tombe, dont l'amé­ nagement• ressemble déjà à un dolmen.

    82 Les coutumes funéraires des chasseurs du paléolithique supérieur ne présen­ tent guère d'uniformité. Les positions des squelettes sont variables, l'orientation des tombes n'obéit à aucune règle. L'usage de l'ocre est fort répandu: on en trouve aussi bien dans les sépultu­ res de France que dans celles de Mora­ vie. Les préhistoriens les plus rigoureux reconnaissent que ce colorant provient quelquefois de la terre où fut creusée la tombe, surtout dans les habitats où, nous l'avons vu, l'utilisation massive de l'ocre teintait le sol sur une grande épaisseur. Il n'en reste pas moins établi que les chas­ seurs versaient souvent de l'ocre dans les tombes, soit au fond de la fosse puis sur la dépouille, soit seulement sur cette der­ nière, soit encore, si l'ocre manquait, uniquement su r la tête du défunt.

    POUROUOI DE L'OCRE ROUGE?

    On ne peut s'empêcher d'attacher à cet usage un sens symbolique lié à la couleur rouge, couleur du sang. Voulait-on rendre ainsi la couleur de la vie au défunt? Ou bien considérait-on l'ocre comme un pro­ duit bénéfique, indispensable pour affron­ ter un autre monde? Il existe peut-être une autre explica­ tion, car l'art paléolithique nous montre que l'ocre rouge sert à teinter les renfon­ cements, les fentes, les étrécissements des cavernes; il Y a sans doute un lien entre la coloration rouge de certaines c'est quand même continuer? Sans doute, Sépulture de Soungir 1 (U. R. S. S.). parties des grottes et celle du défunt qui puisque toutes les religions apportent l'as­ Le corps de cet homme de 50 ans fut déposé retou rne au sei n de la terre. ' surance d'une survie. sur un lit de braises incandescentes, ainsi Nos ancêtres croyaient-ils en une vie On peut donc admettre qu'à partir du qu'en témoignent les charbons trouvés au fond de la fosse et la carbonisation partielle future? La réflexion peut nous renseigner moment où il s'est interrogé, l'homme de ses os. Ensuite, on le recouvrit abon­ sur la signification des objets trouvés préhistorique n'a pas admis de «finir" damment d'ocre. Si les parures marquaient dans bien des tombes du paléolithique et avec la mort et a cru en la survie. Comme, l'importance sociale, cet homme devait être qui auraient pu, après tout, n'être enterrés depuis des millénaires, des objets person­ "quelqu'un ", car il portait, quand on l'enterra, avec les morts que par répugnance, parce nels, de la nourriture, des armes accom­ une vingtaine de bracelets, un collier de que les «affaires" des morts portent mal­ pagnent les morts dans la tombe et que, dents de renard, une pendeloque de pierre et heur, par exemple. du temps des pharaons à nos jours, ces une couronne (ou un bonnet ?). pratiques ne témoignent d'aucune répu­ Cousues sur son vêtement, plus de 1500 ron­ CONTINUER... APRÈS LA MORT gnance pour les effets du défunt, ni même delles d'ivoire perforées s'alignaient en six rangs horizontaux au niveau du tronc, des de la crainte que celui-ci revienne les genoux et des chevilles. Par l'étude de leur Les animaux perçoivent le danger et chercher, mais toujours d'affection et de répartition, on a pu reconstituer le vêtement reconnaissent la mort. Mais, comme ils ne soin, il faut bien croire que, lorsqu'un du défunt, cela d'autant plus que la terre de se conçoivent pas comme individus, ils chasseur préhistorique déposait une la fosse avait conservé l'empreinte des plis n'ont conscience d'aucun destin person­ sagaie ou des outils près d'un mort, il avait de son pantalon de fourrure. nel. Mémoire et symboles leur manquent le souci de ne pas laisser son sembla­ pour ressentir autre chose que les impres­ ble partir démuni pour un autre monde. sions fugaces du présent. De la mort de Le même souci le guidait peut-être leurs congénères, ils ne sauraient déduire encore pour parer le mort de colliers et le sort qui les attend. de couronnes; les sépultures de ce temps Seul, parmi les êtres vivants, l'homme montrent que les morts emportaient des sait sa mort inéluctable. Dès lors, il veut parures dans la tombe, soit qu'on en eût échapper à l'absurdité d'une existence volontairement orné la dépouille, soit que, condamnée, et le meilleur moyen n'est-il tout simplement, on enterrât le défunt pas de se convaincre que la vie n'a pas avec les parures qu'il arborait au moment de fin? Que descendre dans la tombe de son trépas.

    83 DES SQUELETTES TEMOINS DE LEUR TEMPS ?

    Les squelettes sont peu bavards... céphale. Peut-être naquit-il ainsi. Peut­ Pourtant, on leur a fait dire bien être que, peu après sa naissance, à la des choses sur les mœurs de suite d'une méningite, d'une encéphalite ou encore en raison d'une tumeur céré­ nos ancêtres! Le squelette teinté brale, son crâne s'était démesurément d'ocre et privé de crâne de "la développé et déformé sous la pression du Dame rouge de Paviland" (Pays trop abondant liquide céphalo-rachidien. de Galles) -" dame" qui est d'ail­ Comprimé par ce liquide, le cerveau de leurs un homme - fait couler l'enfant ne fonctionnait pas normalement, a et la mère dut se rendre à l'évidence : beaucoup d'encre... son petit était infirme et quasiment idiot. C'était bien triste! Le jeune infirme pesait sur la vie du groupe: on ne devait guère le laisser seul, il fallait le nettoyer, le nourrir, le transporter. Cependant, on prit soin de lui: sa dentition montre qu'il fut Les incisions qu'on remarque çà et là nourri aussi bien qu'un autre. Pourtant, il su r quelques crânes, les deux «coupes» mourut avant d'atteindre l'âge de 3 ans. Figurine d'ivoire découverte à Dolni Véstonice faites de calottes crâniennes trouvées en (Tchécoslovaquie). Charente (grotte du Placard) et à Istu­ De la légère dissymétrie de ce visage, sculpté ÉTRANGE PRATIQUE dans l'ivoire, quelques auteurs concluent qu'il rits (Pyrénées-Atlantiques) ont conduit des est le portrait d'une femme inhumée dans le auteurs à conclure que nos ancêtres se Sa dépouille fut l'objet d'une étrange même site et dont les restes osseux indiquent livraient à l'anthropophagie, rituelle ou opération. On ne sait si la tête fut section­ qu'elle était atteinte de paralysie faciale du alimentaire, la preuve la plus évidente née et décharnée tout de suite après la côté gauche. résidant, selon eux, dans l'aspect d'un mort, ce qui est probable, ou si l'on squelette de Predmost (Tchécoslovaquie), attendit que le temps et la nature fissent dont le découpage intentionnel est indé­ leur œuvre. Toujours est-il que l'on dislo­ niable. qua ce crâne d'infirme pour y découper, En fait, si l'anthropophagie, rituelle ou par l'intérieur, une rondelle de 4 cm de non, paraît certaine chez les paléanthro­ diamètre. pes, du moins chez le groupe qui laissa Que fit-on de cette relique? Nul ne le à Krapina (Yougoslavie) des ossements sait, car cette trépanation posthume est la néanderthaliens calcinés et écrasés, elle seule connue pour tout le paléolithique reste totalement indémontrée chez les supérieur. Peut-être considéra-t-on cette premiers Homo sapiens. La manipulation rondelle d'os comme un talisman propre après la mort, avant ou après décarnation, à protéger contre la maladie dont était peut avoir eu des raisons qui n'avaient mort l'enfant? Peut-être même la fit-on Le professeur André Leroi-Gou­ rien à voir avec le cannibalisme, cela porter en pendentif aux frères et sœurs de rhan suppose que bien des foyers d'autant plus que les indices révélant des l'infirme pour leur épargner un sort sem­ qu'on prétend allumés sur les pratiques mystérieuses sont l'exception. blable, ou à la mère pour lui éviter d'en­ tombes du paléolithique supérieur fanter un autre hydrocéphale? ... pour réchauffer le cadavre» ne UN ENFANT ANORMAL On peut encore supposer qu'on a voulu sont souvent que des vestiges d'oc­ garder, pour les mêmes raisons qui nous cupations ultérieures, ce que parais­ La découverte du docteur Jude dans le font conserver une mèche de cheveux ou sent confirmer les recherches du site de Rochereil (Dordogne) nous rensei­ une photo, un souvenir de cet enfant dont préhistorien Gérard Quéchon. gne sur le traitement réservé à la dépouille on avait peut-être, durant 3 ans, espéré la Oans une même couche archéo­ d'un défunt bien particulier, et nous conte guérison envers et contre tout?... logique. les fouilleurs ne peuvent en même temps une histoire un peu triste. En tout cas, rien ne dénote une prati­ distinguer un feu rituel allumé lors Aux environs de -11000, une famille que en vue d'un rite anthropophagique, d'un enterrement, d'un feu allumé magdalénienne fut rudement éprouvée et bien des traces mystérieuses sur d'au­ une dizaine d'années plus tard (ou par la maladie d'un enfant. Il ne marchait tres squelettes tiennent sans doute à quelques siècles après) pour faire ni ne parlait, bien qu'il eût bientôt 3 ans. des manipulations exceptionnelles sur les cuire le repas... Juste. à l'aplomb C'était pitié de voir son visage tout menu dépouilles d'individus que la maladie ou d'une sépulture invisible. quasiment écrasé par le poids de son des événements extraordinaires avaient énorme crâne, car cet enfant était hydro- rendus singuliers.

    84 Photo du crâne trépané du bébé magdalénien de Rochereil. Le professeur Valois a étudié ce fossile et conclu, après examen du biseau de l'incision, que la trépanation fut exécutée de l'intérieur vers l'extérieur, ce qui confirme deux choses: on effectua cette opération après la mort; on disloqua le crâne pour faciliter la pratique. Après ce prélèvement, le crâne fut enterré, posé sur deux pierres, à l'écart du reste du corps dont on n'a rien retrouvé.

    Crâne aux orbites obturées du Mas-d'Azil (Ariège). Ce crâne, dépourvu de sa mandibule, et qu'on estime être celui d'une magdalénienne de 12 ou 13 ans, fut séparé du corps et décharné. Dans les orbites vides, on glissa deux ron­ delles d'os. Était-ce pour simuler les yeux? Ou bien voulait-on rappeler un trait particu­ lier de cette personne, par exemple qu'elle était aveugle? Et que fit-on ensuite de cette relique si soigneusement préparée? Nul ne le sait car, dans le niveau magdalénien où on le trouva, le crâne gisait près d'un tas de détritus qui n'était sûrement pas sa place initiale.

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    MEl' Ol tJj-AIJF[JR7 TERRES NOUVE,LLES ,. " ALASKA Les cultures du paléolithique pothèse de l'avancée par la côte soulève supérieur d'Europe sont les mieux des doutes: les montagnes, qui en font de nos jours encore une région acciden­ ço~~ connues. Aussi, nous nous fon­ MER OE 8YfING () l,c"\S,(A. tée, étaient alors difficilement franchis­ dons sur leurs vestiges pour savoir sables. En conséquence, on tient souvent .& Détroit de Béring exondé (asséché). comment vivaient nos ancêtres. pour plus vraisemblable l'expansion par Durant la dernière glaciation, les eaux ont Toutefois, le reste du monde l'intérieur des terres. baissé de 85 m. Or une baisse de 36 m n'était pas vide. Homo sapiens Dans cette hypothèse, il suffit donc de suffisait déià pour que le détroit de Béring fût savoir quand se forma un couloir entre le à sec. occupait l'Afrique, où l'on trouve glacier des Rocheuses et le glacier de ses industries dès - 30000. L'Asie, l'Est dont la réunion verrouillait le pas­ l'Inde et la Chine ont livré des sites sage depuis - 22000. Selon les uns, un ~f/CIIr)lJé OcEAN - -', passage s'ouvrit vers - 9000, tandis que, / de cette période. Homo sapiens , '\, pour d'autres, la marche vers l'intérieur 1 , étendait son domaine jusqu'aux 1 1 1 ne devint possible que vers - 7000. , ~ /~--'-... confins des terres: dans la grotte 1 \ .... -...... - -_..-"'// \ \ de Niah, à Bornéo, qui n'était pas DES AMÉRICAINS PLUS ANCIENS \ 1 encore une Île, les témoignages de sa présence remontent à - 37000, Pourtant, fort en avant dans le conti­ et le Japon semble habité dès nent, on relève des industries incontes­ tablement datées de - 12000 (Sandia, - 20000. ;:, Nouveau-Mexique). L'homme de Tepex­ o pan vivait au Mexique vers - 9000 et, à la ,r ;:: , <: même époque, Homo sapiens occupait , " ENTRÉE EN AMÉRIQUE déjà l'extrême pointe de l'Amérique du /1 ~ / 'r Sud, comme en témoignent les industries L'Amérique elle-même s'ajoute au terri­ de la grotte de Feil (Patagonie) et d'En­ toire de l'humanité, La diversité des dates glefield (Chili). Si la thèse de l'avancée o C accordées à l'entrée de l'homme sur ce par l'intérieur se confirme, ces chasseurs m continent montre que le problème est dif­ de mammouths et de bisons (animaux fici le à résoud re. Préhistoriens et géolo­ venus d'Asie) descendaient donc de gens gues s'accordent cependant sur un point: arrivés avant - 22000, puisque le glacier l'homme est venu d'Asie en Amérique par continental a ensuite bloqué le passage o km 1000 _. A le détroit de Béring, à une époque où, les jusque vers - 8000. glaciers absorbant l'eau, le niveau des Si l'on considère aussi que la traversée

    ---' AIICTIOUE océans était bien plus bas qu'aujourd'hui. du Canada par les endroits libres de '- , Par le détroit de Béring, durant plusieurs glaces avant - 20000, puis l'occupation millénaires, on put aller à pied sec de d'un territoire s'étendant des États-Unis à \ Sibérie en Alaska. la Terre de Feu ont demandé du temps, il Mais, dans le Nouveau Monde, un faut bien admettre que l'entrée de / ­ \\ énorme glacier s'étendant des montagnes l'homme en Amérique s'est produite vers / " Rocheuses au Groenland barrait le pas­ - 30000, s'effectuant en vagues successi­ (/' "'\,:~:"'_.- sage sur toute la largeur du continent et ves de groupes divers jusque vers - 22000.

    \ s'opposait à l'expansion humaine. Ou bien Il n'est pas impossible non plus que \ ...... " ..... "1 \ les premiers venus se sont cantonnés en des groupes, arrivés plus tardivement en \ , ,, Alaska jusqu'à l'ouverture d'un couloir Alaska, aient réussi à franchir le glacier \" ,, dans ce glacier, ou bien ils ont emprunté continental - qui comprenait quelques """'\\ la côte du Pacifique pour gagner les îlots de terres libres - s'ils étaient tech­ y/' terres libres de glace au sud du Canada niquement évolués, bien équipés et endur­ .. / '- _/ actuel. cis par des habitudes de vie en milieu Bien qu'elle paraisse la plus simple glaciaire. et qu'elle soit couramment admise, l'hy- Quelques découvertes tendent à recu­ o C ler plus loin encore la venue de l'homme m en Amérique: le site de Lewisville (Texas) '" Glacier continental américain (A et B). À partir de - 22000, la masse du glacier a livré des charbons datés de - 37000, s'interposa entre l'Alaska et les États-Unis. mais les rapports de ces traces de feu (qui o km 1000 Puis, vers - 8000, le passage se rouvrit entre peut être naturel) avec les industries du __:':=::==::~ -.-!...__,,---_~ -=-_ïB1 le glacier des Rocheuses et le glacier de l'Est. même site sont mal établis.

    86 Industries américaines

    1. Pointes de Sandia.

    2. Pointe de Clovis.

    3. Pointe de Lucy.

    Les Indiens actuels appartiennent à des Des hommes, venus du Sud-Est asiatique, ont types fort divers et la plupart présentent des occupé l'Australie dès - 30000. Le Continent traits propres aux races jaunes. Vers - 5000, n'a pu être abordé que par voie maritime. Les 4. Pointes de Foisom. des contacts probables entre Amérique et chasseurs qui s'y installèrent possédaient Mélanésie ont encore augmenté la diversité donc des moyens de naviguer sur de courtes des souches qui participèrent à la formation distances. Du fait de leur isolement, leurs des types indiens actuels. descendants ont gardé des traits archaïques.

    87 . La caverne de Niaux, connue depuis des siècles, recevait de nombreux visiteurs LA PETITE FILLE et l'on considérait ses peintures comme une curiosité. En 1864, le docteur Garri­ gou, préhistorien, visita la grotte et ins­ crivit sur son carnet : ,,1/ Y a des dessins ET LES TAUREAUX sur les parois. Qu'est-ce que cela peut bien être?"

    Ce jour d'automne de 1833, trois ouvriers légendes savoyardes, dorment sous les gens du Moyen Âge qui auraient ramassé piochaient dans une carrière de Veyrier, montagnes. Du haut de leur expérience, ces antiques bois de renne dans des grot­ près d'Annecy. Tout à coup, un pan de ils l'affirmaient: c'était mauvais signe, on tes et autres lieux fréquentés par les hom­ falaise s'effondra et, derrière la pierraille devait dès lors s'attendre au pire 1 mes de la préhistoire? Mais les doutes écroulée, il n'y avait rien qu'un trou béant. Ces rumeurs n'effrayèrent pas le doc­ s'évanouirent rapidement devant le nom­ Le plus courageux s'y engagea. Bientôt, teur Mayor. Alerté, il vint de Genève pour bre d'objets décorés trouvés dans le sol un cri monta du trou où il venait de s'en­ explorer la grotte. Amateur de préhistoire, près d'outils de silex et, en 1867, l'Exposi­ gouffrer. Songeant aussitôt à un éboule­ il n'eut qu'à se féliciter de sa démarche, tion universelle ouvrit même un stand ment, les deux compagnons restés dehors car, parmi les ossements qui terrifiaient le spécial pour présenter ces pièces. s'apprêtaient à aller secourir leur cama­ village, il trouva un objet en bois de rade quand celui-ci réapparut. Il était tout renne décoré d'un bouquetin gravé. Ainsi, « TOROS! TOROS ! » pâle et tremblait, épouvanté. Le souffle se produisit la première découverte d'un court, il parvint à bredouiller « Là, dans «art mobilier» attribuable à nos ancêtres. L'admission assez facile d'un art mobilier le trou... c'est plein d'ossements!» D'autres trouvailles suivirent. Ouelques préhistorique rend incroyable le scepti­ On en parla dans les chalets; les vieux ergoteurs renâclèrent: n'était-on pas plu­ cisme têtu qui accueillit la découverte de savaient à quoi s'en tenir les carriers tôt en présence d'œuvres sculptées et l'art pariétal. avaient réveillé les monstres qui, selon les gravées par des Romains, ou bien par des À l'origine de la célèbre querelle qui

    88 peintures paléolithiques

    Altamira. Plan de la grotte et fresque du plafond. On supposa d'abord qu'un facétieux avait voulu jouer un tour à Sautuola en peignant ces bisons. « Mais pourquoi, répondait don Marcelino, puisque je risquais aussi bien de n'aller jamais dans cette partie de la grotte! n Certains sceptiques crurent découvrir le pot aux roses : Sautuola n 'hébergeait-il pas un peintre chez lui? Voilà qui expliquait tout! Le noble Espagnol avait payé cet artiste pour décorer la grotte. Troublé par cet argument, le professeur Villanova lui-même se détourna de celui qu'il avait jusqu'alors soutenu. Car­ tailhac refusa de visiter la grotte pour n'être pas mêlé à cette « vulgaire farce de rapin n ...

    Cette gravure de deux biches se suivant, ~ exécutée sur bois de renne, fut attribuée aux " Celtes n quand on la découvrit, en 1843, dans l'abri Chaffaud à Savigné (Vienne). agita le monde savant, nous trouvons Maria, une petite Espagnole de 5 ans que son père, don Marcelino de Sautuola, ... emmena un jour de 1878 dans la grotte d'Altamira, non loin de Santillana dei Mar. La fillette s'ennuyait ferme pendant que son père fouillait le sol. Pour se distraire, elle se promena de long en large, éclairée par la faible lueur de sa bougie. Tout en musardant, elle s'avança dans une large «salle» qui s'ouvrait sur sa gauche, pas très loin de l'entrée. Là, ses yeux, depuis quelques instants accoutumés à la pénombre, découvrirent quelque chose que les mêmes hommes eussent fabriqué Hélas, il en alla tout autrement 1 Émile d'extraordinaire : peints sur le plafond les outils de silex qu'il tirait du sol de la Cartailhac et Élie Massenat, sommités de la salle, des animaux la regardaient. grotte et peint les bisons de ce plafond. françaises de la préhistoire, se méfièrent Étonnée, un peu effrayée, Maria s'écria: Le préhistorien Villanova partagea sa des arguments du clérical Villanova. Par­ «Taros! Taros!» Son père accourut et, conviction et amena même le roi Alphonse tisans de la séparation de l'Église et de stupéfait, il vit ce que sa fille montrait du XII à visiter Altamira. On fêta Maria comme l'État, question qui divisait alors l'opinion doigt : des bisons tau rnoyaient au-des­ une héroïne. Il ne restait plus qu'à présen­ française, ils craignaient que ces peintu­ sus de sa tête, peints dans des cou­ ter la découverte au congrès d'archéolo­ res ne fussent l'œuvre de cléricaux dési­ leurs magnifiques 1 Des bisons 1 Seuls des gie qui se réunirait à Lisbonne en 1880. reux de ridiculiser les préhistoriens qui hommes contemporains de ces animaux Villanova et Sautuola pensaient que l'attri­ soutenaient la laïcité. Ils crièrent à l'im­ avaient pu en reproduire si fidèlement les bution des peintures d'Altamira aux hom­ posture 1 Et Sautuola fut traité comme un formes! Sautuola ne douta pas un instant mes préhistoriques irait alors de soi ... faussaire...

    89 Sans avoir convaincu personne, Sautuola mourut en 1888. La question de l'art UNE QUESTION pariétal semblait enterrée avec lui ... Et puis, en 1896, la querelle rebondit. Cette fois, ce fut Émile Rivière qu'on accusa de discréditer la préhistoire. Pourtant, ce D'ECLAIRAGE••• n'était pas un amateur : on lui devait d'importantes études et la découverte de l'homme de Menton. Et voilà qu'il préten­ dait, lui aussi, que les hommes préhisto­ riques décoraient leurs cavernes' Voici comment Rivière en vint à scan­ daliser ses confrères : en 1894, il remar­ qua près de la Mouthe (Dordogne) un abri fermé par une porte, dont "orientation favorable à l'habitat suggérait qu'il y trou­ verait des vestiges intéressants. Lapeyre, le propriétaire de l'abri transformé en remise, lui montra les lieux. Déception! Pas un foyer, pas un ossement! Rivière s'étonna. "J'en ai fait de l'engrais ", répondit l'agriculteur en apprenant ce que cherchait le visiteur... Le savant creusa un peu le sol: dents de rennes et ossements apparurent. Lapeyre l'autorisa à reve­ nir fouiller l'été suivant. Avant de rega­ gner Paris, Rivière chargea Bertoumeyrou, employé aux fouilles des Eyzies, d'empê­ cher éventuellement Lapeyre de modifier l'état des lieux.

    DES MERVEILLES DERRIÈRE LA REMISE

    Au printemps de 1895, Rivière reçut de Bertoumeyrou une lettre ahurissante: d'abord, trompant toute surveillance, Lapeyre avait entrepris d'agrandir sa remise. Ce faisant, il avait démoli la paroi du fond... et découvert derrière une grande caverne. Mais ce n'était pas tout 1 Lui-même, Bertoumeyrou, s'était engagé dans la cavité et, à quelque cent mètres, il avait vu des gravures sur les parois. Rendu sur place un peu plus tard, Rivière constata qu'un dépôt d'argile mil­ lénaire couvrait en partie les dessins. Les gravures dataient donc bien de la préhis­ toire! Il en convainquit plusieurs col­ lègues appelés à visiter la grotte. Pourtant, quand Rivière présenta un relevé des gravures à l'Académie des sciences l'année suivante, ce fut un beau tollé! Espérait-il vraiment faire croire que de si adroits dessins étaient l'œuvre de

    Lampes magdaléniennes. Nos ancêtres possédaient bien des lampes, creusées dans du grès ou des pierres cal­ caires, et parfois décorées. L'analyse des résidus qu'elles contiennent montre que du lard ou du suif servait de combustible d'éclai­ rage, la mèche étant constituée de poils d'animaux tressés ou de fibres végétales.

    90 Gravure des Combarelles (Dordogne). ~ Pomarel, bavardant un jour avec son beau­ père, fermier près des Combarelles, évoqua les gravures de la ~outhe dont les Parisiens s'étaient occupés. Etonné de cet intérêt pour de petits dessins, le beau-père annonça tran­ quillement: «Des gravures comme ça, il yen a plein derrière mon étable." Pomarel le savait : son beau-père logeait ses vaches dans l'entrée d'une grotte. Il alerta Denis Pey­ rony, instituteur aux Eyzies, lequel fit venir le docteur Capitan et l'abbé Breuil. Ensemble, ils dénombrèrent plus d'une centaine de gra­ vures dans la grotte. sauvages qui s'affublaient de colliers de dents et se vêtaient de peaux de bêtes! Allons donc 1 Massénat l'apostropha: Ber­ toumeyrou n'avait-il pas exploré la grotte le premier... , et tout seul? Arrivé sur les lieux trois mois plus tard, Rivière n'avait donc pas assisté lui-même à la découverte! Comment en garantissait­ il l'authenticité? Et puis, n'était-il pas étrange qu'on trouvât sans cesse de nou­ velles gravures dans cette grotte? Appa­ remment, Rivière ferait bien de la fer­ mer afin que leur nombre ne grandît pas 1

    PEINDRE DANS L'OBSCURITÉ? La découverte de Lascaux. Quatre Jeunes gens, en se promenant dans Enfin, aucune trace de suie n'indi­ les bois de Montignac (Dordogne) un jour quait l'utilisation prolongée d'une torche d'été 1940, remarquèrent un gros arbre qui enflammée qui, seule, eût éclairé correcte­ gisait au sol, racines en l'air. Ils s'approchè­ ment les parois au temps de la préhis­ rent et découvrirent l'entrée d'une caverne toire. Rivière put bientôt exhiber trois que l'arbre avait toujours masquée avant de fragments de grès, sortis du sol de la tomber. Ils s'avancèrent à l'intérieur, frottant Mouthe; réunis, ils formaient un godet de une allumette de temps à autre pour s'éclai­ 25 mm de profondeur. «C'est une lampe ", rer. C'est dans cette éphémère lueur qu'ils affirma-t-il. Inébranlables, les sceptiques aperçurent quelques peintures. Ils revinrent le lendemain, munis d'une bonne exigèrent une analyse chimique... dont on lampe. Cette deuxième exploration les mena ne connut le résultat que bien plus tard, devant des peintures si belles qu'ils s'en ému­ quand tout le monde admettait déjà l'art rent. Ils décrivirent ces merveilles à M. La­ pariétal. vai, l'instituteur du village. Celui-ci avertit J'abbé Breuil, Devant les peintures de Las­ LA VÉRITÉ VICTORIEUSE caux, l'abbé s'exclama: "C'est la chapelle Sixtine de la préhistoire J" Entre-temps, les opinions avaient changé. En novembre 1896, au cours de fouilles dans la grotte de Pair-non-Pair (Gironde), le préhistorien Daleau aperçut des traces bizarres sur les parois que le sol cachait auparavant et que ses excavations décou­ vraient désormais. Il jeta des seaux d'eau sur les parois: des gravures apparurent! Daleau invita carrément Cartailhac, le contradicteur de Sautuola, à examiner les dessins.. Cartailhac, devant les gravures encore à demi enterrées, comprit com­ bien il s'était trompé. Bien qu'il lui en coûtât, le savant reconnut publiquement son erreur dans un article intitulé Mea culpa d'un sceptique, ce qui ne manquait pas de grandeur de la part d'un homme qui arrivait en fin de carrière. DU BALBUTIEME'NT AU CHEF-D'ŒUVRE

    L'art paléolithique couvre DES ÉCOLES D'ART? MÊMES CROYANCES: MÊMES THÈMES 20000 ans et, comme toutes les Le geste de l'artiste correspondait donc à En outre, les ethnologues nous con­ créations humaines, il a connu une l'accomplissement d'un rite qui compor­ firment que des peuples actuels (Esqui­ progression continue que l'on suit tait encore la nécessité de représenter maux, par exemple) partagent les mêmes du balbutiement au chef-d'œuvre. des sujets bien définis: bisons, chevaux, traditions artistiques malgré les milliers de L'évolution des styles, déjà mise mammouths, bovidés divers, bouquetins kilomètres qui séparent leurs membres, et en évidence par l'abbé Breuil, a et, moins fréquemment, félins, ours, ren­ cela sans qu'un quelconque «grand maî• nes et cerfs. Le style qui marque chaque tre Il aille officier de groupe en groupe. permis au professeur André Leroi­ période est le même pour tous les grou­ Plutôt que des esquisses d'élèves, les Gourhan d'établir une chronolo­ pes, la même technique de dessin est galets de Limeuil sont des objets à usage gie, fondée sur les œuvres datées employée à des kilomètres de distance. individuel regroupant sur une petite sur­ avec certitude et qui distingue, On a voulu voir dans cette unité la preuve face les sujets traditionnellement repré­ après une période préfigurative, que des «écoles" d'art existaient, où les sentés dans les cavernes; ce sont, en chasseurs s'entraînaient, sous la férule quelque sorte, des "parois portatives ", des périodes définies par un style d'un grand maître, à dessiner les ani­ un peu comme les images pieuses d'au­ particulier qui est toujours en pro­ maux qu'ils reproduisaient ensuite dans jourd'hui qui rendent les saintes effigies grès sur celui de l'époque précé­ les cavernes. plus transportables que les statues de nos dente. À Limeuil (Dordogne), plusieurs centai­ églises. nes de galets couverts de dessins entre­ Une explication du monde largement mêlés ont été donnés pour des «carnets répandue, des croyances partagées par de croquis" d'apprentis artistes. Un exer­ tous les peuples de chasseurs, une reli­ cice étant plus aisément lisible sur une gion commune expliquent la persistance surface nette, on ne voit pas très bien des mêmes thèmes dans tout l'art paléo­ pourquoi les apprentis eussent superposé lithique et le fait que chaque style défi­ leurs essais jusqu'à obtenir un fouillis de nisse non un groupe ou un individu, mais figures inextricables - peu susceptibles toute une période. Les œuvres ont été créées par des artis­ de révéler les fautes ou les progrès -, tes bien outillés: pinceaux de poils d'ani­ quand l'abondance des galets dans la Flûte en os. Gravenien de Pair-nan-Pair. maux, bouchons de crin, pics et burins nature mettait à portée de leur main un Maîtres dans les arts graphiques, nos ancê­ pour la gravure et la sculpture. Sur la champ vierge pour chaque nouvelle ten­ tres aimaient aussi la musique, mais seuls palette, les ocres jaune, rouge, brun et tative. On ne voit d'ailleurs sur nulle paroi de rares instruments, comme ceNe ffûte, en violacé, naturels ou cuits, mêlés à de la de dessin reproduisant un des « croquis" témoignent, car tous ceux qui étaient en bois graisse voisinent avec le noir de manga­ de Limeuil. ont disparu. nèse et le blanc du calcaire ou du kaolin.

    PAS D'"ART POUR L'ART"

    On trouve souvent, dans une grotte, des œuvres de styles différents produites à des millénaires de distance; parfois, les plus anciennes représentations ont été modifiées de façon à les faire entrer dans l'ensemble le plus récemment créé, mais jamais elles ne sont effacées par les nou­ veaux venus. Cela dénote soit un respect particulier pour les œuvres des ancêtres, qu'on se contentait de recouvrir sans les détruire, soit que seul l'acte de peindre, de graver ou de sculpter importait, et non le résultat esthétique. Soucieux de «créer une œuvre d'art ", de s'exprimer indivi­ duellement, les artistes eussent nettoyé les parois ou choisi leurs parties encore vierges de dessins.

    92 Cheval. Détail de la tête. Gravure. Limeuil. STYLE IV RÉCENT Style IV récent. Représentations très réa­ \\ 1\1 il 11 1 l "( listes, beaucoup de mouvement: animaux en troupeaux, broutant, bondissant. Représenta­ tion plus fréquente du renne. Abandon pro­ - 8000 gressif des parois au profit de l'art mobilier. ", \,'OO '-71סס-1

    l' 1 1,1 .. 1 \ 1 1

    Cheval. Peinture. Lascaux. STYLE IV ANCIEN Style IV ancien. Proportions parfaites des sujets. Modelé rendu par taches de peinture et hachures. Esquisse du mouvement. Œuvres .OO placées profondément dans les grottesסס-1

    -13000

    Cheval. Peinture. Diverticule axial. Lascaux. STYLE III Style 11/. Modelé, et non plus seulement con­ tours, indiqué à la peinture. Détails soigneu­ sement rendus. Corps volumineux sur quatre membres courts. Extrémités bien différen­ -13000 ciées selon les espèces. Œuvres encore près de l'entrée des grottes, mais certaines tota­ -17000 lement privées de lumière du jour.

    Cheval. Gravure pariétale. Pair-non-Pair. STYLE Il Style 1/. Représentations animales bien lisibles, gravées sur parois à la lumière du jour, près de l'entrée des grottes. Quelques contours en peinture. Ligne de dos d'enco­ lure identique pour toutes les espèces, avec -17000 détails précisant l'animal : cornes, bosse, barbe, ramure, œil, crinière. Souvent seule­ ment deux pattes de profil. Extrémités rare­ - 21000 ment traitées. Vénus en bas relief et en ronde bosse.

    Gravure sur bloc. Abri Cellier. smEI Style 1. Gravures malhabiles sur blocs ou plaquettes de pierre. Figures animales aux contours frustes. Symboles féminins. - 22000 - 30000

    Arcy-sur-Cure. Os portant des incisions régu­ PÉRIODE PRÉFIGURAIIVI lières. Période préfigurative : incisions rythmées sur os long. - 29500 - 35000 COMMENT CROIRE ACETTE MAGIE?

    On attribue couramment un but magique dans la caverne ornée où, devant les QUAND LES CHIFFRES PARLENT... à l'art paléolithique: l'homme désireux de hommes déguisés en bêtes fantastiques faire une bonne chasse s'en allait dans et effrayantes, ils dansaient au pied des En effet, pourquoi le renne, abon­ une grotte et là, de sa main mutilée, il peintures, puis les lardaient de coups de damment chassé à cette époque, est-il peignait l'image du gibier qu'il voulait sagaies, avant de poser leur main sur le peu fréquent sur les parois? Comment tuer. Puis il marquait rageusement l'ani­ billot du sorcier qui leur tranchait quel­ expliquer que seulement 15 % des ani­ mai de "flèches H, de "pièges H, il traçait ques doigts, histoire de leur donner plus maux représentés portent des blessures? sur son flanc des blessures sanguino­ de chance à la chasse. Et pourquoi, s'il fallait seulement agir sur lentes et, confiant dans l'efficacité de ce La magie d'envoûtement prêtée à nos l'effigie des animaux, les artistes seraient­ rite d'envoûtement, il partait d'un bon pas ancêtres se fonde sur quelques figures ils allés, parfois en rampant, les peindre exécuter dans la réalité la scène figurée qui portent effectivement des blessures dans des endroits difficiles à attein­ su r la paroi. ou des traits fichés dans les flancs; mais dre? Quand ils avaient des surfaces bien Ou encore un sorcier peignait seul les surtout elle s'appuie sur la comparaison accessibles, pourquoi ont-ils délibérément animaux, et la saison de chasse s'ouvrait ethnologique : Peaux-Rouges, Aborigè­ choisi des parties si hautes qu'il leur a par des rites collectifs d'envoûtement au nes, Dogons" tuent" le gibier en image fallu grimper sur un échafaudage pour cours desquels on dansait en beuglant, avant la chasse. exécuter leurs œuvres? barrissant et bramant. Rien n'interdit de croire que nos Ou bien le grand sorcier présidait à ancêtres pratiquaient la magie. Mais leur LA CHASSE N'EXPLIQUE PAS TOUT... l'initiation de jeunes garçons en âge de art témoigne surtout d'une religion fon­ devenir chasseurs. Au son des gongs, dée sur un système complexe d'explica­ On a voulu voir aussi, dans l'art préhis­ rhombes et flûtes, on traînait les enfants tion du monde. torique, la reproduction de scènes de chasse réelles, animaux blessés, piégés, hommes masqués venant à l'appui de cette interprétation. Mais les dessins de "pièges" sont si imprécis qu'on les donne aussi pour des

    "huttes H, des "sacs à provision", ou pour des Garais analogues à ceux des westerns. La diversité des lectures rend bien compte du caractère abstrait de ces dessins et de leur fonction de symboles: des hommes qui savaient peindre si bien les animaux étaient tout aussi capables de représenter lisiblement leurs pièges ou leurs huttes. Il faut donc chercher ailleurs la signification de ces dessins. On peut supposer que les hommes préhistoriques se masquaient. Il est même possible qu'ils aient trompé la méfiance du gibier en s'affublant de ramures, de cornes ou de fourrures. Toutefois, on ne peut les soupçonner d'avoir cherché à passer pour de petits oiseaux ou des mammouths 1 Or quelques figures anthro­ pomorphes portent bec ou trompe. Vouloir tout expliquer par la chasse est imprudent. Dans cette optique... sans l'écriture pour expliquer son aspect, le Minotaure de la mythologie classique, cent fois représenté, ne serait-il pas con­ sidéré comme un déguisement de chas­ seur?

    Masques de Nouvelle·Guinée. Parfois, les masques représentent tout autre chose que ce qu'ils montrent: l'eau, le feu, la sagesse...

    94 Cheval gravé sur argile (Montespan, Haute­ Garonne). Ce cheval criblé de trous sert souvent d'exemple aux tenants de la magie d'envoû­ tement et l'on n'hésite pas à le prétendre lardé de coups de sagaie au cours d'une cérémonie d'initiation. Pourtant, l'exiguïté des lieux ne permettait pas le recul nécessaire au lancement de la sagaie. La régularité des trous comme leur précision indiquent qu'ils furent effectués méthodiquement avec un objet pointu, sans hâte et sans violence. Ils correspondent aux signes (blessures inclu­ ses) apposés sur d'autres représentations animales. À propos de l'opération dont cette figure fut l'objet, le professeur Leroi-Gourhan note qu'on peut aussi bien « l'imaginer dans l'am­ biance d'une cérémonie théâtrale que dans le calme d'un artiste peignant le martyre de saint Sébastien dans une église de cam­ pagne».

    Cet ours sans tête (modelage en argile, Mon­ tespan) a dû être complété par la fourrure et la tête de l'animal réel, car on a trouvé le crâne d'un ourson gisant entre ses pattes. Sans nier les blessures imposées à quelques effigies animales, il faut se garder de conclu­ sions générales quand les exemples en sont si rares... ~

    Que dirait un Martien Il devant un bas~relief antique montrant J'enlè­ vement d'Europe par un taureau? Décrirait-il des ,. rites magiques de péche" en voyant les poissons gra­ vés par les premiers chrétiens dans les catacombes? Parierait-li d'en­ voûtement d'un agneau chapeauté d'or? Privés de contexte. nos symboles ne répondraient guère du r che con­ tenu spirituel de nos religions Aussi est-if imprudent de voir dans les œuvres de nos ancêtres les témoins et les supports de pratIques visant à assurer le repas quotidien

    Scène du puits (Lascaux). Un bison blessé par une sagaie et perdant ses entrail/es, un homme étendu non loin d'un bâton crochu, un oiseau posé sur un bâton vertical, teUe est la description objective de cette scène, une des rares œuvres du paléo­ lithique qui semble effectivement raconter quelque chose, au point qu'on a cherché la tombe du chasseur auprès de la peinture... sans la trouver. La scène évoque peut-être un drame réel, mais eUe peut aussi bien il/ustrer un récit mythique.

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    LE MYSTERE DE GARGAS

    La visite de la grotte de Gargas (Hautes­ qu'un Bochiman, qui vient d'échapper à OU UNE MALADIE? Pyrénées) saisit toujours le visiteur. Pour­ un grand danger, offre deux doigts de sa tant, les gravures gravettiennes et les quel­ main gauche au Grand Esprit pour le On avait donc tout lieu de considérer que ques peintures magdaléniennes qu'elle remercier, les trois autres lui suffisant les mains de Gargas portaient la marque contient n'offrent rien de sensationnel. pour tenir son arc. de mutilations rituelles. Le docteur Salhy L'étrangeté du lieu émane des empreintes ne partage pourtant pas ce point de vue. physiques que nos semblables des temps DES CHASSEURS MUTILÉS? Pour lui, les doigts manquants ont été lointains ont apposées sur les parois: les emportés par une affection du type mala­ silhouettes de leurs mains sont là, devant L'ethnologie nous fournit ainsi maints die de Raynaud qui, affectant les vais­ nous, se détachant en clair sur fond rouge, exemples de mutilations rituelles et c'est seaux sanguins des extrémités, provo­ noir ou jaune. peut-être parce qu'on trouve plus rassu­ que la nécrose (mortification) et la chute Ces empreintes ont été effectuées" au rant de les attribuer à des sauvages qu'on des phalanges, le mal n'épargnant que le pochoir ", en passant un tampon de crin oublie que, en France, il n'y a pas si pouce. C'est là une hypothèse défendable imbibé de colorant tout autour et entre les longtemps, on observait encore des pra­ d'autant plus que cette maladie atteint doigts écartés de la main tenue contre la tiques semblables: un des auteurs de ce surtout les femmes... et que les mains de paroi. À première vue, on ne remarque livre se souvient des circonstances qui Gargas semblent, en majorité, féminines. que des mains gauches, ce qui implique­ firent sacrifier le petit doigt d'un de ses rait que les exécutants étaient droitiers. camarades d'école, dans un village lan­ UN DISPENSAIRE À GARGAS? En fait, un examen attentif révèle que des dais en 1948. Une maladie ravageait le mains droites, appliquées dos contre la troupeau d'oies des parents de ce gar­ De cette explication découle celle de paroi, figurent aussi aux endroits où la çon; consulté, le "rebouteux" du coin L.-R. Nougier qui pense qu'on projetait de paume s'étalerait difficilement. (un peu sorcier) ordonna l'amputation la peinture sur les mains (en soufflant Ces mains émeuvent... , mais créent un d'un doigt du gamin chaque fois que des dans un bois ou un os creux) non pour malaise: il leur manque des doigts! Nom­ bêtes crèveraient. On commença par l'au­ en dessiner l'empreinte, mais pour les breuses sont celles qui n'ont plus que le riculaire gauche. À titre de consolation, traiter contre la maladie. pouce : de l'index à l'auriculaire, tout l'enfant reçut une jolie montre. Heureu­ À part pour l'ocre rouge, de valeur semble tronqué au niveau de l'articulation sement, curé et instituteur intervinrent à rituelle indéniable, il serait quand même phalange-phalangine. Qu'est-ce que cela temps et la peur du gendarme fit bientôt étrange que la nature des remèdes contre signifie? préférer le vétérinaire à cette barbare con­ ce mal eût exactement coïncidé avec celle Comme tous les mystères, celui-ci a juration du mauvais sort. D'autres faits de des couleurs de la palette préhistorique: déjà fait couler beaucoup d'encre. Les ce genre ont été dénoncés par les jou r­ ocres divers, blanc, noir de manganèse... préhistoriens se sont d'abord tournés vers naux français voici à peine dix ans. Par ailleurs, le traitement devait souvent les primitifs actuels : on nota que, chez les Sioux Dakota, la femme se tranche un auriculaire à la mort de son mari;

    .. Groupe de mains de Gargas. L'observation attentive a révélé que certaines mains ont initialement été imprimées en entier (elles n'étaient donc ni mutilées ni malades), mais qu'on a ensuite volontairement corrigé en recouvrant de peinture la silhouette de quelques doigts, sans doute pour changer la signification du geste figuré par l'empreinte.

    Main entière au-dessus d'un cheval. Pech- ~ Merle (Lot). Une main, apposée entière comme ici, peut aussi bien représenter un animal qu'une mar­ que de possession sur le cheval (ou sur ce que le cheval symbolise lui-même), que la figura­ tion d'un geste de conjuration, de supplica­ tion, d'accord ou de rejet. L'imagination pro­ pose... et les statistiques disposent! Cela semble nuire il la poésie. Pourtant, obser­ ver et compter au lieu d'imaginer, analyser au lieu d'inventer apportent finalement une image bien plus émouvante de nos ancêtres, non plus parce qu'elle est celle de "bar­ bares ", mais, au contraire, par ce qu'elle contient de si semblable il nous!

    LA PRÉHISTOIRE. - 7 97 intervenir trop tard, car, dans l'hypothèse ment reconnaissable, aussi ne peuvent­ de la maladie, de nombreuses mains pré­ elles représenter que des gestes conven­ Ci-contre, de gauche à droite: senteraient un irrémédiable délabrement. tionnels. Vénus de Lespugue (Haute-Garonne) et En outre, le procédé n'expliquerait pas Or, si les mœurs des Bochimans ont Vénus de Dolnl Véstonice (Tchécoslovaquie). la présence des mains dans la grotte: un apporté de l'eau au moulin des tenants de En dessous: Vénus de Willendorf (Autriche). tronc d'arbre, le sol, la cuisse même du la mutilation rituelle, elles en ont apporté patient convenaient aussi bien pour y aussi à ceux qui voient dans ces sil­ Les statuettes de «Vénus ", datées de la fin appuyer la main au cours du traitement. houettes de mains la figuration de signes du gravettien, ont frappé l'imagination autant que les mains de Gargas. On a voulu voir en Sans compter qu'il eût été encore plus de chasse. En effet, quand ils doivent com­ elles des portraits de femmes hottentotes ou simple de tremper la main malade dans muniquer en silence pour ne pas effrayer bochimanes en raison de leur stéatopygie une outre pleine de médicament! le gibier, les Bochimans s'adressent des (développement graisseux de la région fes­ En admettant qu'on eût transformé la signes avec la main, l'orientation de celle­ sière). La ressemblance est bien vague et grotte en dispensaire pour faire bénéficier ci comme la position de chaque doigt l'occupation de l'Europe paléolithique par des les malades de son caractère sacré, point prenant une signification précise. gens de type bochiman reste à prouver... n'était besoin, cependant, de s'enfoncer De plus, le professeur Leroi-Gourhan a On donne aussi ces figurines pour des si loin en elle pour entreprendre un trai­ décelé une nette correspondance entre «mères ", des femmes au corps alourdi par tement qui n'eût rien perdu de son effica­ la fréquence des positions digitales par­ de nombreuses maternités, ce qui ne se justifie guère, car, en ce temps-là, les femmes cité, sans doute, à être appliqué plus près ticulières et la fréquence habituelle des menaient une vie fort active, aucun «gadget" de l'entrée, surtout si l'on songe que la bisons, chevaux et autres animaux des ménager ne leur économisait le mouvement, maladie de Raynaud affecte aussi fré­ œuvres paléolithiques. On peut raisonna­ la nourriture comprenait peu d'hydrates de quemment les pieds! Notons à ce propos blement penser que les mains de Gargas carbone (sucres) aussi, même après avoir mis qu'aucun pied ne figure sur les parois. représentent sur les parois les animaux beaucoup d'enfants au monde, une femme Doit-on penser qu'on négligeait de soi­ qu'elles eussent désignés par le même devait rarement engraisser à ce point... et la gner les pieds atteints? Ou faut-il croire geste au cours d'une chasse. mort l'emportait souvent avant l'âge actuel de qu'en ces temps bénis les gelures ou les l'embonpoint. maladies mutilantes des extrémités n'at­ ENCORE L'OCRE ROUGE Ci-contre, à l'extrême droite : dessins mon­ teignaient que les mains, alors que de nos trant la construction conventionnelle de ces jours elles touchent aussi nez, oreilles et Enfin, l'analyse montre non seulement figurines, d'après le professeur A. Leroi­ pieds? que le nombre de mains va croissant Gourhan. Enfin, on voit mal pourquoi les malades quand on s'enfonce dans la grotte, mais Personne n'oserait prétendre que les Égyp• eussent soigneusement évité de poser aussi que plus on va vers le fond plus tiens se déplaçaient en tenant leur corps de leurs mains là où d'autres s'étaient déjà la quantité de mains cernées de rouge face et leur tête de profil, ainsi que les montre soignés: aucune main ne se superposant augmente, au détriment des autres cou­ l'art de leur temps. Personne n'affirmerait que à une autre, cela impliquerait que chacun leurs. Le rouge, comme dans les sépultu­ les tableaux de Modigliani donnent l'image eût choisi son petit bout de paroi person­ res, joue donc ici encore un rôle particu­ réelle de la femme actuelle ou que les sculp­ tures de Giacometti reproduisent fidèlement nel pour exposer ses mains à la bénéfi­ lier. Le crescendo des figurations indique le corps de l'homme moderne... que peinture, quitte pour cela à pousser la volonté de les disposer selon les tra­ Les formes abondantes des Vénus de la jusqu'aux fins fonds de la grotte ou à se ditions qui régissaient le dessin dans préhistoire tiennent pareillement à des con­ livrer à quelques acrobaties pour apposer les cavernes. L'opération fut sans doute ventions artistiques. On portait l'accent sur sa main le plus haut possible. Belle per­ accomplie comme un rite, la taille des les attributs spécifiquement féminins, tandis formance pour des gens handicapés! mains nous apprend que seuls des ado­ que la tête et les extrémités étaient négligées L'emplacement des mains et la préci­ lescents ou des femmes (ou les deux) et et même absentes. Ces statuettes se rappor­ sion avec laquelle on les a détourées à la quelques très jeunes enfants y partici­ tent certainement à un culte de la fécondité. peinture indiquent clairement que l'opé­ pèrent. ration visait bien à en détacher les sil­ houettes et non à les traiter.

    PARLER AVEC LES MAINS

    Le rôle expressif de la main, son lien étroit avec la parole qu'elle accompagne et parfois remplace n'ont pas échappé à d'autres préhistoriens désireux de tirer au clair le mystère de Gargas. G. Luquet le premier, puis Saintyves et enfin le profes­ grue couronnée seur Leroi-Gourhan ont suggéré que les doigts manquants aux mains de Gargas girafe n'étaient pas amputés mais repliés! Un peu comme lorsque nous jouons à profiler avec nos mains des sujets en ombres chinoises, les gens de Gargas oreillard (chauve-souris) gnou auraient replié certains doigts pour lais­ ser sur les parois des silhouettes bien SIGNES DE CHASSE BOCHIMANS définies. Toutefois, aucune n'est franche-

    98 dessins montrant les conventions de construction des Vénus de la préhistoire

    Lespugue Kostienki Dolni Vestonice

    Willendorf Gagarino Grimaldi

    1. Galet (Laugerie-Haute, Dordogne); 2. Baguette demi-ronde (Isturits, Pyrénées­ Atlantiques); 3. Baguette (Laugerie-Haute); 4. Churinga australien. Autres objets-mystères: les os, les baguettes et galets marqués d'encoches ou de stries, présents dans toutes les cultures depuis le châtelperronien. Pour certains auteurs, ce sont là des marques de chasse: autant d'en­ coches que d'animaux abattus. Pour d'autres, "'Tf \ (r " rnplli ce sont des calendriers. Enfin, on interprète '\.\\~\"'~\\\\\\V\\\'\\,\\V\~ aussi ces incisions rythmiques comme sup­ \ . \ 1 ports d'un récit traditionnel ou d'une incanta­ tion rituelle, analogues au churinga australien qui porte des signes à suivre du doigt pour raconter un mythe. Chez nous, le chapelet per­ met aussi au geste d'accompagner la parole, de dénombrer et de rythmer les prières, mais .' ~", un "Martien" le prendrait peut-être pour un calendrier!

    99 Figuration féminine stylisée UN ART Vulve gravée de la Ferrassie (Dordogne). SYMBOLIQUE ,.

    Puisque nos ancêtres ne dessi­ On reproche à Mme Laming-Empe­ naient pas pour l'amour de l'art, raire et au professeur Leroi-Gourhan de puisque les 15 de figures d'ani­ «sexualiser" l'art paléolithique... Mais, % comme on ne peut réfuter les 64 % d'as­ maux blessés ne peuvent témoi­ sociations cheval-bison, on cherche à leur gner d'une magie de la chasse, on attribuer d'autres significations - bien­ doit admettre que leur art exprime mal, jour-nuit -, comme si la division la vision du monde qui fondait du monde vivant en deux groupes d'êtres opposés et complémentai res contenait leurs croyances, leurs rites et leurs quelque chose d'impudique... Comme si comportements. Les animaux qui elle n'allait pas de soi... ornent parois et objets ont été représentés dans un but que la L'IMAGE ET LE LANGAGE Préhistoire moderne s'efforce de On ironise aussi sur l'assimilation symbo­ retrouver. lique du bison à la femme, parce qu'une bête cornue, massive et brutale paraît évidemment à l'opposé de la féminité. En 1962, Mme· Laming-Emperaire fit C'est là un raisonnement naïf, car il n 'y a apparaître des faits non remarqués pas toujours analogie directe entre le jusqu'alors : loin d'être disposés au symbole et ce qu'il signifie: le poisson hasard, les sujets de l'art pariétal sont pla­ qui ralliait les premiers chrétiens ne rap­ cés selon la configuration de la caverne. pelle en rien la croix... La clef réside non Parallèlement, par l'étude de 72 en­ dans son aspect, mais dans son nom en sembles pariétaux, le professeu r And ré grec dont les 5 lettres correspondent aux Leroi-Gourhan prouvait, chiffres en main, initiales des mots Jésus-Christ Fils de que le couple cheval-bison est le plus fré­ Dieu Sauveur. Dans ce cas, le poisson est quent des groupes d'animaux, et qu'aussi l'équivalent d'un sigle. bien sur les objets que sur les parois le Il est fréquent qu'il y ait un lien plus bison semble un thème lié à la femme. Il grand entre une image et le langage mit en évidence le rôle symbolique des qu'entre l'image et l'objet réel qu'elle représentations animales en déchiffrant représente. L'écriture de l'Indus révèle les nombreux signes qui les accompa­ que les figures qui la composent n'ont gnent. pas de lien avec ce qu'elles montrent: le dessin d'un peigne se lit" femme", celui LES SIGNES ENFIN DÉCHIFFRÉS d'un bateau se lit «union", tout sim­ plement parce que les mots" peigne" et Ces signes, qui furent interprétés de diver­ «femme", dans les langues dravidiennes ses façons: flèches (alors que l'arc n'exis~ (sud de l'Inde et nord de Ceylan), com­ tait pas), pièges, huttes, sont le résultat de mencent par le même son, de même que stylisations successives qui, à partir de les termes" bateau" et "union" ont une dessins réalistes représentant les organes syllabe commune. féminins et masculins de la reproduction, Tous les temples d'une même religion se sont, au cours des âges, transformées obéissent à une organisation identique en signes abstraits correspondant en quel­ dans l'architecture et le décor. Les mêmes que sorte à nos actuels symboles: 9 et 0". thèmes s'y retrouvent. L'indéniable orga­ Ils sont apposés près des animaux ou sur nisation des représentations pariétales, eux, selon que, dans la pensée paléolithi­ l'existence de thèmes privilégiés dans les que, les espèces appartenaient au règne cavernes témoignent de leur rôle de sanc­ féminin ou masculin. Ainsi, le cheval res­ tuaire. Comme de nos jours, on trouve sortit au monde mâle, tandis que bison et dans cet art lié à la religion toutes les bovidés procèdent du monde féminin. Le dimensions: le professeur Leroi-Gourhan rôle symbolique des autres animaux varie: voit en Lascaux une cathédrale; il existait bouquetin, félin, cerf ou mammouth pren­ aussi de modestes sanctuaires, guère plus nent parfois la place du cheval. ornés que nos actuels oratoires.

    100 Évolutiondes signes, Lafemme et le bison du réalismeau symbolisme

    \li ..- ..- triangles triangles ~~-i.__~ à base supérieure à base inférieure 1 ...... ,_

    ... GJ[[] Isturits (Pyrénées-Atlantiques). Ba­ guette gravée sur les deux faces. ~ rectangles û ~ Sur l'une, deux bisons se suivant. Sur l'autre, deux femmes se suivant. ovales c1aviforme signes féminins

    ,, signes barbelés lignes de points de bison.

    bâtonnets (simples ou doubles)

    signes masculins

    Les principaux symboles masculins et fémi­ nins et l'interprétation du professeur André Leroi-Gourhan . • signes féminins : triangles, rectangles et ovales constituent des représentations plus ou moins schématiques du sexe féminin. Quant aux signes claviformes, ils sont le simple aboutissement de figures féminines courbées . • signes masculins : les représentations du phal1us offrent souvent des formes très évoluées. (D'après A. Leroi-Gourhan, "Préhistoire de l'art occidental n, Édit. Mazenod.)

    Lascaux (Dordogne). Panneau de la "vache ~ bondissant n. Pour MmeLaming-Emperaire, les animaux se rapporteraient peut-être à un sys­ tème totémique et aux alliances entre clans échangeurs d'épouses. Une femme du clan de la vache épousant un homme du clan du cheval mettrait au monde des enfants (les petits chevaux) qui appartiendraient au clan du père.

    101 signes masculins. Et, au fond de la grotte, été fréquentées que par ceux qui ont ils traçaient uniquement des figures du exécuté les dessins, et seulement à ce LE SEIN domaine mâle et des hommes, peut-être moment-là: on allait apposer dans le sein dans l'intention de féconder le corps de la terre les figures qu'il fallait - peut­ terrestre. être accompagnés d'enfants chargés de C'est aussi au plus profond de la terre, tenir les lampes - et le groupe de chas­ DE LA TERRE là où se termine le trajet souterrain, qu'on seurs savait que, dès lors, tout était en trouve des allusions à la fin inéluctable de ordre, car le rite était accompli. la vie: scènes dramatiques comme celle La religion paléolithique a certai­ Les anfractuosités, fentes et étré­ du « puits" de Lascaux, hommes et ani­ nement subi des fluctuations au cours des cissements des cavernes sont maux blessés ou bêtes redoutables, peut­ millénaires, quelques symboles ont perdu souvent peints en rouge et être symboles de mort, telles que rhino­ leur signification, d'autres sont apparus et accompagnés de symboles mas­ céros, ours, lions et félins divers. Avant le certains changeaient selon les régions, culins : chevaux ou signes. magdalénien, cette disposition voulue des mais, dans l'ensemble, il apparaît que figures existait déjà, souvent résumée en croyances et rites se rapportaient à la une seule « salle" : symboles masculins à vision d'un monde fondé sur les principes Sur les stalactites en forme de sein de l'entrée et au fond, symboles associés au féminin et masculin, sur le rôle maternel la grotte de Pech-Merle (Lot), nos ancê­ centre. de la Terre et sur le sort de l'homme entre tres ont figuré l'aréole en rouge; les mains Des habitats ont souvent été occupés la naissance et la mort. Résumé bien cernées de rouge de Gargas (Hautes-Pyré­ au pied même des figures, ce qui indique étroit d'une vie religieuse qui marquait nées) augmentent quand on avance vers le qu'elles n'effrayaient personne. Il semble toutes les activités des chasseurs comme fond de la cavité; cette couleur emplit qu'on ait parfois isolé les sanctuaires de en témoignent les animaux symboles gra­ aussi les blessures, dont le dessin évoque pleine lumière en tendant un rideau de vés sur d'humbles objets usuels. parfois très clairement un sexe féminin; peau ou en disposant des blocs de pierre Malheureusement, l'art ne nous informe quelques cavernes du début du paléo­ autour. Les cavernes ornées n'étaient sans que des grandes lignes de cette religion lithique ont été entièrement badigeon­ doute interdites à personne: des emprein­ sans nous renseigner sur la morale qui en nées de rouge... et c'est encore de l'ocre tes de pieds de femmes et d'enfants en découlait ni sur la spiritualité qui impré­ rouge qu'on verse sur les morts que l'on témoignent. Certaines n'ont visiblement gnait la pensée de nos ancêtres. couche en terre. Pour nos ancêtres, le rouge est bien la couleur du sang, de la vie, des profondeurs, de la féminité.

    UN CORPS VIVANT

    Les chasseurs du paléolithique ont sûrement assimilé la caverne à l'intérieur d'un corps féminin, sans doute parce qu'ils considéraient la Terre comme une entité féminine. Cette conception est d'ail­ leurs ancienne et répandue dans toutes les cultures. Quand, de nos jours, nous parlons du sein, du ventre, des entrailles de la Terre, sans oublier les galeries appe­ lées boyaux et les filons qu'on nomme vei­ nes, nous évoquons nous-mêmes la Terre comme un corps vivant.

    LE TRAJET HUMAIN

    Il est probable que, lorsqu'ils pénétraient dans une grotte, nos ancêtres avaient le sentiment d'entrer dans le corps d'où naissait toute vie et auquel retournaient les morts. Leur parcours souterrain figu­ rait sans doute le chemin qui mène l'homme de la naissance à la mort. À l'entrée des grottes, ils apposaient surtout Personnages masqués, dits "sorciers" ou des signes masculins et des animaux du "dieux", de la grotte des Trois-Frères règne mâle : cerfs, bouquetins, chevaux. (Ariège). Placées au fond de la grotte, comme tous les Dans le centre et dans les parties larges symboles masculins, ces figures semblent des « salles", ils associaient des signes et réunir sur un seul sujet les attributs des ani­ des symboles des deux sexes : chevaux, maux appartenant au domaine mâle: ramure bisons et femmes. Ils marquaient tour­ de cerf ou cornes de bouquetin, queue de nants et rétrécissements de rouge et de cheval, sexe de félin...

    102 10 L).: \) - \ ~ ~ ~])( (~§) \( (( .) \ YI!~ ':-J------' 1 3' f \·1

    1. Gravure sur plaquette. Lussac-Ies- 2. La « Dame" de Brassempouy (Landes). 3. Gravure pariétale. Marsoulas (Haute- Châteaux (Vienne). Sculpture sur ivoire. Garonne).

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    4. Gravure sur plaquette. Grotte de la Marche, 5. Gravure sur plaquette. Lussac-Ies- 6. Gravure sur même plaquette que le LusS8c-les-Châteaux. Châteaux (Vienne). numéro 4.

    103 LA FIN D'UNE EPOQUE

    L'art paléolithique qui, durant 20 000 ans, venues du sud, rendues plus mobiles par avait exprimé la pensée religieuse des le climat tempéré et déjà mieux adap­ chasseurs des temps glaciaires, s'éteignit tées au nouveau milieu? La question reste subitement vers - 10000. Certes, les der­ posée. Les rennes, eux, ne quittèrent bien­ nières œuvres, à la fin du magdalénien, tôt plus les régions qui sont aujourd'hui reprenaient les thèmes ancestraux (bison­ les leurs: nord de l'U. R. S. S. et des pays cheval et signes), mais sans brio, et certai­ scandinaves. Dans ces zones froides, on nes figures sont médiocres, comme exé­ relève des gravures exécutées en plein cutées sans conviction; quelques-unes ai r, su r des roches polies par les glaciers, sont même totalement informes et illi­ mais, sauf peut-être en Carélie (répu­ sibles. Puis l'art pariétal céda la place aux blique autonome de l'U. R. S. S.), ni les gravures sur plaquettes et galets, comme thèmes ni les styles ne sont comparables si les chasseurs désiraient transporter les à ceux de l'art paléolithique. images de leurs sanctuaires au cours de leurs déplacements, ce qui dénote déjà NOUVEAU MILIEU, NOUVELLES MŒURS des changements culturels, mais là encore nombre de gravures montrent une nette D'autres chasseurs restèrent sur place et dégénérescence. Comment cela s'expli­ s'adaptèrent à leur nouveau milieu, mais que-t-il? pour eux les animaux peints par les ancê­ tres ne furent bientôt plus que des bêtes LES RENNES S'EN VONT de légende. On peut s'étonner que des conditions Vers - 10000, les choses commencèrent à climatiques meilleures aient entraîné l'ex­ changer : déjà victimes des menées tinction de la brillante culture magdalé­ humaines, certains animaux se raréfièrent nienne. C'est pourtant compréhensible si mais, surtout, les migrations des rennes l'on songe que l'homme ne s'adapte à son devinrent capricieuses. D'année en année, milieu et n'agit sur lui que grâce à sa tech­ ils désertaient leurs régions habituelles nologie. Les armes paléolithiques étaient pour s'avancer de plus en plus vers le conçues pour tuer du gibier en terrain BESTIAIRE DU PALÉOLITHIQUE. nord. En quelques siècles, l'environne­ découvert, les chasseurs des temps gla­ 1. Tortue. Roc-Saint-Cirq-du Bugue. ment se modifia : là où l'on avançait ciaires devaient s'unir pour attaquer des 2. Salamandre. Laugerie-Basse. 3. Bison. La Madeleine. jadis sans crainte, on ne trouvait plus que animaux qui se déplaçaient en troupeau. 4. Tête de cheval. Mas-d'Azif. marécages et végétation touffue; des pays Ces techniques ne convenaient plus à la 5. Ours. Massat. entiers, autrefois parcou rus de bisons et chasse de bêtes dispersées en forêt. La de mammouths, se transformèrent pro­ chasse individuelle prit désormais plus A droite, fresques de Lascaux : cerfs et tau­ gressivement en forêts habitées de san­ d'importance, et la cohésion des grou­ reau noir. gliers et de cerfs. Le climat se réchauffait, pes en souffrit sans doute, ainsi que les les glaciers fondaient... valeurs traditionnelles. Dès lors, la porte fut ouverte à toutes les influences nou­ EN ROUTE VERS LE NORD velles. Carte des glaciers en - 8000 et en - 7000.

    Parmi les chasseurs, les plus tenaces, les plus attachés à un mode de vie millénaire suivirent les troupeaux de rennes vers le nord, au fur et à mesure que se retiraient les glaciers. C'est ainsi qu'on retrouve la trace de magdaléniens attardés, vers Limile des glaciers: - 9000, dans la région de Hambourg, qui ------8000 - -7000 était auparavant couverte par le glacier o km 500 et inhabitable. Venus du sud en quel­ ques siècles, ces chasseurs conservè­ rent encore quelque temps les techniques magdaléniennes, mais déjà l'art avait pres­ que disparu. Il fallait chaque année partir plus loin, aucune habitude, aucune tradi­ tion ne pouvaient résister à ce perpétuel AMSTflIbAM e8El\L1H changement. • Remontèrent-ils très au nord? Ou se IIIlUlŒLL~S mêlèrent-ils à d'autres populations PARIS. ­ l'flAGUE-

    104 Erich Lessing-Magnum

    105 PREMIERES CULTURES DU POST-GLACIAIRE

    Quelques auteurs ont autrefois prétendu L'ADAPTATION liens d'Italie et de Provence, contempo­ que, après le départ des derniers chas­ rains des derniers magdaléniens, étaient seurs de rennes, l'Europe occidentale était Après le retrait des glaciers, des chas­ déjà bien habitués à la flore et à la restée dépeuplée jusqu'aux temps néo­ seurs ont adapté leurs techniques au nou­ faune de climat tempéré quand ces condi­ lithiques; ils appelaient «hiatus» cette veau milieu. Ils sont qualifiés d'épipaléo­ tions s'étendirent au-delà de leurs régions. phase postglaciaire dont on ne savait lithiques parce qu'ils vivaient de chasse Cette adaptation favorisa sans doute leu r rien. Cependant, en 1887, on découvrit comme leurs ancêtres, que leurs indus­ expansion vers le nord et l'ouest, et il est au-dessus des niveaux magdaléniens du tries découlaient des techniques gravet­ probable que les aziliens bénéficièrent de Mas-d'Azif, une industrie, l'azilien, datée tienne et magdalénienne, même s'ils ne leur connaissance du milieu, car on relève de - 8500, qui montrait donc que, après poursuivaient plus le même gibier. maintes parentés entre les industries des le retrait des glaciers, l'Europe n'était pas Les aziliens, qui succédèrent aux mag­ uns et des autres. déserte. daléniens (sans être forcément leurs des­ Les montadiens, épipaléolithiques qui Les découvertes des cultures tardenoi­ cendants), habitaient encore des cavernes succédèrent aux romanelliens de Pro­ sienne et maglemosienne amenèrent les ou des abris-sous-roche. Ils façonnaient vence, tuaient encore des chevaux, des préhistoriens à créer le terme vague de des grattoirs et des «canifs» et taillaient aurochs et des cerfs vers - 9000 mais, au mésolithique (qui signifie «âge de la des harpons plats dans du bois de cerf. cours des deux millénaires suivants, les pierre moyenne »), appliqué indifférem­ Ils ont laissé des centaines de galets escargots prirent une place prépondé­ ment à toutes les cultures du postglaciaire peints de signes abstraits dont on ignore rante dans leur alimentation. précédant le néolithique. Mais, comme la la signification. durée des phases entre paléolithique et L'ESCARGOT, PLAT DE RÉSISTANCE néolithique varie selon les cultures et les EN PROVENCE régions, le mot mésolithique ne recouvre Contemporaines de l'azilien final et se pas un «âge» défini mais un mode de vie, Les rigueurs glaciaires ont épargné les prolongeant bien au-delà, les cultures du un stade cuttu rel. pays méditerranéens. Aussi, les romanel- sauveterrien et du tardenoisien ancien,

    Une chasse au cerf chez les aziliens. Entre - 8500 et - 7000, la forêt de bouleaux et de pins avait remplacé la steppe en Europe occidentale. On y chassait donc le cerf et non plus le renne. Les harpons aziliens conve­ naient bien à cette nouvelle chasse. Par la perforation de la base, la tête de harpon était reliée à une ligne fixée sur un manche. Ouand le chasseur projetait violemment son arme, la pointe restait fichée dans la bête tandis que le manche, au bout du lien, traînait derrière l'anÎmal blessé, entravant ses mouvements en se prenant dans les taillis et broussailles.

    106 Ces galets du Mas-d'Azil (Ariège), peints à l'ocre, ne laissent pas de poser un problème irritant: ces tracés ne correspondent ni à une stylisation ni à une schématisation de sujets naturels; on peut parler de dessins serpenti­ formes, mais non de serpents, de signes en feuille de fougère, mais non de plante réelle... Certains auteurs les rapprochent de l'art schématique du sud de l'Espagne, qui est cependant beaucoup plus tardif. Nous parta­ geons, quant à nous, l'avis de ceux qui prêtent à ces galets un rôle identique à celui des churingas australiens. fort répandues en Europe, sont caractéri­ sées par la tendance au microlithisme (façonnage de très petits éléments de silex), et il arrive qu'on trouve, dans un même niveau, des outils aziliens et sauve­ terriens associés. Tous ces vestiges sont accompagnés d'ossements d'animaux de zone tempérée: cerf, lapin, castor et de nombreuses coquilles de mollusques for­ mant des monticules (appelés kj6kken­ m6dding au Danemark, kaisuka au Japon, sambaqui en Amérique du Sud, escargo­ tières en Afrique du Nord et en Europe occidentale), l'ensemble montrant le pas­ sage de la chasse du gros au moyen et petit gibier, puis, de plus en plus, au ramassage de mollusques.

    DERNIERS CHASSEURS DE RENNES Un sacrifice chez les ahrensbourgiens. Les ahrensbourgiens du nord de l'Alle­ Le site de Stellmoor (Allemagne) a livré des magne, contemporains et successeurs des squelettes de /eunes rennes dans un sol qui était, au temps des ahrensbourgiens, le fond derniers hambourgiens (ces derniers étant d'un lac. Les os en connexion et les cailloux certainement des magdaléniens venus du associés aux vestiges osseux montrent que sud), chassaient encore le renne vers ces animaux ont été jetés entiers dans le lac, - 8000, car les vents ont retardé le boi­ lestés de pierres, sans doute au cours d'un sement de la région. Ils délaissèrent le sacrifice rituel au début ou à la fin de la travail de l'os et fabriquèrent de petites saison de chasse. pièces de silex qui ressemblent à des pointes de flèches, aussi pense-t-on qu'ils utilisaient déjà l'arc. Les swidériens de Pologne et d'U. R. S. S., les chasseurs de Rémouchamps (Belgique et Pays-Bas), ceux de Fosna et Komsa (Norvège) et les épipaléolithiques de Shan-Koba (Crimée, U. R. S. S.) possédaient aussi des pointes unifaciales à pédoncule pour armer des flèches, et l'ensemble de leurs industries se rattache à celui des ahrensbourgiens.

    Les peintures du Levant espa­ gnol, qu'on estime effectuées entre les Ville et Vie millénaires par des épipaléolithiques. attestent l'exis­ tence de l'arc, ce dont témoignent encore les industries lithiques de maintes cultures où l'on remarque des pièces qui ont pu être des armatures de flèches. HOMMES DES BOIS ET DES RIVIERES

    Entre - 6800 et - 5500, le climat se d'ambre et gravures de l'art arctique pour réchauffa encore et les eaux des le nord de l'Europe, art du Levant espa­ océans montèrent. L'Angleterre, qui était gnol au sud, et art rupestre des chasseurs jusqu'alors reliée au continent par une de tradition capsienne dans le Sahara, qui basse plaine, qui est devenue la Manche, n'était pas alors le désert qu'il est devenu se transforma en île. Partout surgirent de vers le Ile millénaire. nouvelles rivières riches en coquillages et Les montmorenciens et les campi­ en poissons. Le noisetier se répandit du gniens de France, les maglemosiens, les sud au nord de l'Europe, apportant un chasseurs de Sibérie et de l'Inde comptent Pêche erteb6l1ienne. Gravure sur rocher. appoint précieux à J'alimentation des habi­ parmi les premiers bûcherons de notre La navigation est bien plus ancienne que la culture d'Erteb6/1e puisque l'Australie fut tants. histoire. À côté de leurs microlithes on abordée vers - 30000. On ignore tout des Les épipaléolithiques, qui conservè­ trouve en effet de gros outils : haches­ premières embarcations, sans doute consti­ rent, parfois jusqu'à l'âge du bronze, le herminettes, pics en bois de cerf, gouges, tuées de matériaux périssables : peaux cou­ mode de vie de leurs ancêtres (chasse souvent emmanchés dans des bois de sues, bois ou fibres végétales. La navigation et pêche, cueillette et nomadisme saison­ cervidé. Les nasses de pêche étaient d'ail­ des erteb6/1iens a contribué aux échanges nier), n'étaient pas pour autant des attar­ leurs tressées en écorce et maintenues entre cultures d'Europe et peut-être ouvert le dés ni de misérables errants. par des flotteurs en bois léger. On fabri­ commerce de l'ambre. Ils s'installaient souvent le long des quait des charpentes pour les habitats rivages de la mer ou au bord des rivières, et les canots furent bientôt assez solides dans des huttes de bois ou sous des ten­ pour permettre aux ertebblliens de s'adon­ tes de peaux, ou bien dans des cabanes ner à la pêche au phoque et à la baleine constituées de boue séchée sur un treillis très loi n des côtes. de bois. La plupart édifiaient leurs habi­ tats directement sur les amas de coquil­ POUR MIEUX CHASSER les entassées depuis des générations et y enterraient même leurs morts. S'ils étaient La chasse ne fut pas abandonnée: d'Espa­ grands consommateurs de mollusques, ils gne en Sibérie, de la Norvège au Sahara, étaient aussi bons pêcheurs. Les micro­ les épipaléolithiques étaient armés d'arcs lithes, répandus aussi bien chez les tar­ dès le Vie millénaire. De plus, dès - 9000, denoisiens de l'Europe occidentale et ils domestiquèrent le chien qui les aida à 2 septentrionale que chez les capsiens de débusquer le gibier de forêt. l'Afrique du Nord, devinrent géomé­ triques, affectant des formes en trapèze, CULTE DES ANCÊTRES en triangle ou en feuille de gui. Engainés dans une rainure creusée au long d'un os Leurs coutumes funéraires rappellent ou d'un bois de cerf, ils armaient des souvent celles du paléolithique: les morts harpons fort efficaces. étaient ensevelis en position repliée et l'on versait de l'ocre sur leur dépouille. POUR MIEUX PÊCHER... Cependant, quelques groupes enterraient les têtes des morts à l'écart des corps et Les maglemosiens du Danemark et d'An­ d'autres, en particulier les capsiens, ont gleterre et les épipaléolithiques de Kunda même aménagé des crânes après décar­ (est de la Finlande) utilisaient des pirogues nation, pour les exposer comme objets du et des rames pour se déplacer sur les culte des ancêtres. Les épipaléolithiques rivières et dans les marais. Ils inventèrent d'Afrique pratiquaient l'avulsion dentaire: l'hameçon tel qu'on le fabrique encore. deux, parfois quatre incisives d'une même Partout, de nouvelles techniques appa­ mâchoire ou des deux étaient arrachées rurent, en particulier des filets à poids et dans le jeune âge. On ignore si cette des nasses pour la pêche. coutume répondait à un rite d'initiation ou si elle avait, comme chez les ethnies ENCORE L'ART africaines où elle persiste de nos jours, un but simplement esthétique... En effet, 1. Harpon constitué de microlithes Les témoignages d'activités artistiques actuellement, l'absence des incisives engainés dans du bois de cerf. 2. Hame­ sont variés : décorations géométriques est considérée, dans certains groupes, çon maglemoslen. 3. Herminette. sur pièces osseuses, quelques sculptures comme un embellissement.

    108 Têtes sculptées dans la pierre à Lepenski-Vir (Yougoslavie). Les pêcheurs du Danube de Lepenski-Vir, qui vivaient en sédentaires vers - 5500, ont laissé ces étranges têtes humaines dont les traits ressemblent fort à ceux du poisson.

    109 LES MESOLITHIQUES

    Tandis que les groupes d'Europe, DES CÉRÉALES AU MENU blé) et l'orge croissaient à l'état sauvage d'Afrique et de l'Asie continentale sur de vastes aires près desquelles les Vers - 10000, le paysage offrait des col­ hommes revenaient chaque année aux vivaient de chasse, de pêche, de lines bien arrosées, des forêts de chênes approches de l'été, à la fois pour protéger ramassage de mollusques et de et des prairies. Les hommes quittèrent ces zones des déprédations animales et cueillette itinérante, d'autres, au grottes et abris plus tôt qu'en Europe pour récolter les épis dès maturité. Ils Proche-Orient, s'adonnaient à la et, vers - 9000, nous les trouvons ins­ devaient alors reconstruire leurs habi­ collecte des céréales sauvages et tallés dans des villages semi-permanents tats à chaque retour. Ils demeuraient sur comme ceux de Ouadi en Natouf en Pales­ place jusqu'à épuisement des provisions entreprenaient la domestication de tine ou de Karim Shahir en Iraq. Ces de céréales, puis s'en allaient pêcher et la chèvre et du mouton. Ils ne petites agglomérations comprenaient des chasser ailleurs jusqu'au prochain été. pratiquaient pas encore l'agricul­ maisons circulaires de 5 à 8 m de dia­ Peu à peu, cependant, ils se sédentarisè­ ture, mais s'engageaient sur la mètre, dont murs et toits étaient faits de rent, sans doute dans le souci de s'appro­ voie qui y conduisait. Ces précur­ roseaux tandis que le sol était creusé sur prier définitivement les champs de graines 50 cm de profondeur. Des fosses carrées, sauvages qu'ils fréquentaient, mais aussi seurs d'un nouveau mode de vie dallées et entourées de pierres plates, certainement contraints par le bétail dont sont appelés les «mésolithiques n. servaient de foyers, d'autres, plus pro­ l'élevage ne pouvait s'effectuer que dans fondes, aux parois enduites d'une sorte les zones herbeuses. de ciment blanc très résistant, faisaient Les vestiges de cette phase transitoire office de silos. La chasse, la pêche, le PREMIER ÉLEVAGE se répartissent dans la zone où le réchauf­ ramassage des mollusques apportaient fement climatique se fit sentir le plus tôt: encore à ces mésolithiques l'essentiel de Les habitants de Zawi-Chemi (Iraq) et de au long des côtes de Syrie et de Palestine leur nourriture d'origine animale, mais Karim Shahir (Iraq) comptent parmi les jusqu'en Turquie, dans les vallées de l'Eu­ les silos, les faucilles, les meules et les premiers éleveurs de moutons. L'étude phrate et du Tigre en passant par l'Iraq et broyeurs relevés dans leurs habitats mon­ des ossements trouvés dans ces sites l', de la Caspienne au golfe Persique, trent l'importance des céréales dans leur révèle que les agneaux et les mères les régions que l'on groupe sous le nom de alimentation. plus vieilles étaient abattus chaque année, Croissant fertile. L'épeautre, l'amidonnier (ancêtre du le reste du troupeau étant conservé pour fournir du lait. La culture d'Hélouan, en Égypte, offre les mêmes caractéristiques que celles des natoufiens (Palestine). Les castelnoviens de Provence sont considérés comme les mésolithiques d'Europe car, alors qu'au­ cun contact entre eux et des popu la­ tions agricoles plus avancées ne peut être démontré, on remarque qu'ils avaient domestiqué le mouton vers - 6500. En revanche, les meules relevées dans les sites castelnoviens semblent avoir servi davantage au broyage de l'ocre qu'à celui des céréales. Les phases mésolithiques d'Amérique restent imprécises. Dans la vallée de Tehuacân, au Mexique, la courge et le piment étaient cultivés entre - 7200 et - 5200, l'alimentation se fondait sur la collecte de plantes sauvages, tandis que la chasse était plutôt délaissée.

    ... Niveau inférieur de Jéricho (Jordanie). Les premiers occupants du lieu, qui allait devenir la ville de Jéricho dont parle la Bible, furent des collecteurs de céréales de culture natoufienne qui n'avaient pas encore, vers - 7800, ,domestiqué d'autres animaux que le chien. A côté de leurs habitats en matériau léger, ils avaient édifié un sanctuaire en brique d'argile crue.

    110 1. On peut retoucher une lame, un morceau ~ de lame ou un éclat en utilisant un percuteur doux. Selon l'angle de l'impact, on obtient un tranchant mince ou plus ou moins abrupt : Comment eHectuer la retouche? a. retouche verticale; b. retouche oblique; c. retouche rasante. 2. Les retouches d'un bord donnent un tran­ a b chant régulier, denticulé ou à encoches : a. bord retouché; b. réaffuté; c. denticulé; d. à encoches. c 3. La retouche peut envahir plus ou moins complètement l'outil sur ses deux faces et selon son orientation être parallèle ou en écharpe : a. retouche partielle; b. couvrante; c. parallèle; d. en écharpe. 4. La retouche la plus fine s'effectue avec un retouchoir posé sur l'objet. On exerce une pression en deux temps, l'objet étant tenu à .... · . . la main ou posé. Le retouchoir peut être en

    .' ," bois dur ou en bois de cervidé ou en os. 2 . .:' m . " . [li":". 5. Souvent, pour obtenir un couteau où le · doigt puisse s'appuyer, on rogne par retouche ::,:,:. ,,:.:.'.: ..' [Jj ", ,", ".: .. ," ~.,.: .' abrupte un bord de la lame. Le bord ainsi m traité est alors dit abatlu. w bord retouché bord réaffûté bord denticulé bord encoché

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    5 La• faucille mésolithique, qui demeurera celle des agriculteurs du néolithique, est faite de ---+ ~ (section) microlithes engainés dans de l'os ou du bois, souvent fixés par de la résine. Son aspect lame à bord abattu lisse et brillant, le lustré des céréales, témoi­ gne de son usage pour la moisson des blés et orges sauvages.

    111 LA REVOLUTION NEOLITHIQUE

    Le terme néolithique signifie mode de vie qui durait depuis plusieurs danger; il sema des graines et entretint le millions d'années fut bouleversé et défini­ sol durant la croissance des plantes et, "nouvel âge de la pierre ». À ce tivement remplacé par un autre. après prélèvement sur la moisson des stade, la pierre polie devint fré­ semences nécessaires à la future récolte, quente. Cependant, cette techni­ DU PRÉDATEUR AU PRODUCTEUR il engrangea des provisions d'aliments que, qui était déjà pratiquée par végétaux qui non seulement lui épar­ les épipaléolithiques forestiers qui Depuis l'australanthrope, l'homme vivait gnèrent les pérégrinations de la cueillette, polissaient le tranchant de leurs en parasite de la nature : il tuait les mais aussi l'aidèrent encore à retenir près animaux qui passaient à sa portée, il de lui les animaux domestiques. haches, ne saurait à elle seule cueillait les végétaux comestibles qu'il Cette révolution, pour rapide qu'elle fût définir le néolithique. rencontrait; comme les animaux, il agis­ si on la compare à l'histoire antérieure de Gordon Childe, le premier, employa le sait en prédateur. l'humanité, ne s'est pas produite du jour mot « révolution» pou r défini r le néolithi­ À partir du néolithique, au lieu de piller au lendemain. On a vu les mésolithi­ que, mais, pour les hommes qui vécu­ la nature pour s'alimenter, l'homme inter­ ques du Proche-Orient demeurer jusqu'à rent en ces temps, l'époque n'avait rien vint sur elle pour produire sa nourriture: la récolte près des aires où croissaient les de révolutionnaire: ce terme s'entend à il domestiqua des animaux pour s'assurer céréales sauvages. Observant que le blé l'échelle des temps géologiques car, en une importante réserve de viande, dispo­ poussait mieux là où les herbes étaient une vingtaine de siècles seulement, le nible en toute saison et accessible sans rares, peut-être se mirent-ils à désherber

    ~ 1.

    ·/ blé sauvage '1 r blé cultivé J

    Le blé actuel dérive d'une espèce sauvage qui se multiplie par éclatement de l'épi: les grai­ nes se dispersent en deux semaines après ma­ turité et, si le vent souffle, les blés sauvages perdent leurs grains en deux jours. L'agricul­ ture a empêché la dispersion rapide des grai­ nes et brisé la régulation naturelle de la ger­ mination : les épis moissonnés par l'homme étaient forcément ceux qui éclataient le plus lentement, de ce fait les semences prélevées Broyeur et meule dormante. sur la récolte produisaient à leur tour des épis La partie active, ou broyeur, est une pierre Selon certains auteurs, c'est l'usage de ces à éclatement lent. Diverses mutations de la dure que le frottement a polie et arrondie. La meules qui révéla aux néolithiques les effets plante, la sélection et l'entretien du sol ont pierre plate, que le va-et-vient du broyeur a du frottement sur la pierre et les incita à polir favorisé l'épanouissement d'un blé plus gros. peu à peu creusée, est la meule dormante. leurs outils.

    112 ces champs naturels, mais toujours sans lissait une plante porteuse de 100 grains se préoccuper de semer? Ceux qui com­ semblables! prirent qu'il était important de se priver Cette jolie petite histoire s'oppose à ce d'une partie de la récolte pour ensemen­ que nous savons du progrès humain qui cer une aire plus grande ne se souciè­ se poursuit davantage sur l'acquis des rent peut-être pas, le «geste du semeu r" générations précédentes que sur l'éclair accompli, de sarcler leurs champs. L'agri­ de génie d'un inventeur unique. Depuis culture fut certainement le résultat d'une le temps qu'ils cueillaient des végétaux, série d'observations, de tâtonnements et les hommes savaient sûrement ce qu'il de découvertes infimes, et non pas une advient d'une graine enterrée, et, s'ils ne « invention» unique et subite. semèrent pas, c'est, d'une part, parce que leur milieu ne s'y prêtait pas et, d'autre DÉCOUVERTE FORTUITE? part, parce que la nécessité ne les y incitait pas : la chasse et la cueillette Une théorie la présente pourtant comme suffisaient depuis des millénaires à leur une découverte forfuite : mal protégés subsistance. de l'humidité, les derniers grains d'une L'innovation qui transforma le préda­ récolte mésolithique finirent par germer teur en producteur, et qui caractérise et devenir inconsommables. On les jeta donc le néolithique, ne pouvait se pro­ donc hors de l'habitation, sur un tas de duire qu'au moment où elle répondait à détritus... et, à la saison suivante, miracle 1 un besoin, et dans les endroits où les Des blés magnifiques se dressaient sur la conditions naturelles rendaient ce sys­ «poubelle" du village! Une ménagère se tème économique plus bénéfique que le rappela y avoir jeté du blé gâté avant système ancestral. l'hiver et ce fut l'illumination qui boule­ versa l'économie humaine : on comprit Jeune fille dogon: l'agriculture fut sans doute~ dès lors que du grain pourri en terre jail- à l'origine l'affaire des femmes.

    V.R S.S. MER NOIRE

    MER

    GR~CE CASPIENNE

    TURQUIE ,.,.;/~I~-----

    c9 l, lOIJ ",.,__r---- / scl' -1 IRAN 1) IRAK MER M t 0 / TER RAN t E / SYR'E U8A~f1.. J ( 'd. /1 .J ISRAtL!p ;1 fa'-~ ,~_.j JOROANIE o TrlllCLJrn t)OCO(ICuffi (blé! o Tfllicum dlcoccQldes (blél D HOrdeum spontaneum (orgel o Itm 500 ARABIE SAOUDITE

    Proche-Orient : répartit/on des blés et de 1. Shanldar l'orge sauvages,. sites néolithiques les plus 2. Zawi-Chemi anciens. La consommation de céréales sauvages chez 3. Karim-Shabir les mésolithiques provoqua certainement une 4. Mual/afat poussée démographique qui, à son tour, ren­ 5. Jarmo dit indispensable l'extension des aires pro­ ductrices de céréales. L'agriculture naquit 6. Natouf donc du besoin de nourrir plus de gens dans 7. Jéricho des régions cernées par le désert (même si 8. Ras Shamra Faucille néolithique. el/es étaient bien moins arides que mainte­ Bâtons à fouir, houes, et faucilles furent les nant) et où le gibier abondait moins que dans 9. Çatal Hüyük premiers instruments agricoles. les forêts d'Europe. 10. Hacilar

    LA PRÉHISTOIRE. - 8 113 l'HOMME ET SES BÊTES

    114 Dans les mêmes régions du Proche­ chaient pas à s'enfuir. Ils auraient conti­ Orient où croissaient naturellement les nué l'expérience en laissant les bêtes céréales, des troupeaux de moutons et de captives se reproduire jusqu'à la constitu­ chèvres vivaient à l'état sauvage, transhu­ tion d'un troupeau docile... mant régulièrement des plaines à la mon­ Le procédé n'a certes rien d'impossible

  • Les ouvrages de préhistoire foisonnent en proche, les rencontres avec des pas­ que leurs croyances leur fassent redouter de cartes où d'innombrables flèches indi­ teurs nomades, les importations d'objets ce qui est étranger; dans ce cas, seules quent l'origine et la diffusion des cultures et d'aliments par des navigateurs de la les invasions leur imposent des chan­ du néolithique. Il ne faut pas imaginer, Méditerranée, le colportage éventuel d'ob­ gements. en les regardant, qu'en ces temps obs­ jets par les chasseurs épipaléolithiques et À partir des plus anciens foyers agrico­ curs, des villages, voire des clans entiers, les récits ont sans doute davantage con­ les nés entre - 8000 et - 6000 au Proche­ pliaient bagage un beau jour et s'en couru à diffuser l'économie néolithique Orient, l'économie néolithique s'est répan­ allaient dans les pays lointains exhiber que les migrations des premiers agri­ due en tache d'huile sur l'Europe, l'Asie leurs merveilleux outils et convertir tes culteurs. centrale et l'Afrique du Nord, toutes populations à leur mode de vie... régions dont les sols se prêtaient à la Certes, l'existence de migrations LE GROUPE FACE À L'INNOVATION culture des céréales et dont la faune humaines est indéniable. Des disettes, des naturelle comprenait des espèces domes­ cataclysmes naturels (sécheresse, inonda­ Chaque groupe réagit aux innovations ticables. tion) ou l'épuisement des sols ont par­ selon sa personnalité et selon le profit Cela n'exclut pas que d'autres popula­ fois poussé des groupes à quitter leur qu'il en tire. La plupart empruntent à leurs tions aient instauré un système de produc­ pays d'origine pour s'implanter dans des voisins ou à de nouveaux venus ce qui tion agricole, indépendamment de toute régions plus propices à leurs activités. convient à leurs besoins et correspond à influence proche-orientale. Ce fut le cas Mais, le plus souvent, les migrations ont leurs possibilités. D'autres, sans y être des habitants de la vallée de Tehuacan été lentes et progressives. La pression contraints, adoptent en bloc les modes de (Mexique) qui, entre - 5200 et - 3400, démographique provoquait l'éclatement vie qui les séduisent (ce fut encore le cas cultivaient haricots, courges et maïs. des groupes et une lente avancée, de des Japonais qui, en 1871, décidèrent de génération en génération, sur les terres se développer sur le modèle techno-éco­ En Afrique du Nord, moutons et chèvres encore occupées par des chasseurs-cueil­ nomique occidental). Enfin, certains res­ étaient domestiqués dès - 5000. leurs qui parfois s'assimilaient aux nou­ tent réfractaires aux innovations, soit que Dans la vallée du Nil, certains sites méso­ veaux venus ou copiaient leurs méthodes. leur mode de vie les satisfasse, soit que lithiques témoignent de tentatives autonomes leur niveau technique ou leur milieu ren­ d'agriculture. Mais la région a reçu du Proche­ QUAND LES IDÉES VOYAGENT dent le changement difficile, soit encore Orient "essentiel des innovations.

    La diffusion d'un mode de vie, de croyan­ ces et de techniques (qui constituent une «culture») suit des voies diverses et bien souvent objets et idées voyagent sans que les hommes qui les ont « inventés» soient impliqués dans ce mouvement -les Japo­ nais, par exemple, adoptèrent l'écriture , MER/Mor 0 FLOMARI . FAYOUMû chinoise sans jamais être envahis par les 90Ellf rASA Chinois. Les rythmes de diffusion varient pour chaque trait culturel : les objets nouveaux pénètrent plus facilement un groupe qu'une nouvelle religion. Aussi l'intégration par un peuple d'un modèle de poterie n'entraîne pas son adhésion à ENNE07i(J o [SH SCHAH(INA8 la religion des inventeurs du modèle. KUAIITOUMO Il est donc probable que ceux que les préhistoriens sont convenus d'appeler « peuple du rubané» ou «peuple du car­ dial », d'après le style de leur poterie, étaient en fait des groupes divers au travers desquels se propageait, par simple contact ou par commerce, telle technique ou telle croyance. Des tentatives locales d'agriculture plus ou moins réussies, le troc entre les groupes, le voisinage, la transmission des informations et des expériences de proche

    116 OetAN MER

    DU NORD

    ATLANTIQUE

    Omal '1 RoessenC SpiennesO O. . Lindenthel OTripolj- oMichelsberg

    Birsmatlen Aic~hl ()Baden Ch Cot1aill&i ~Schussenried asseyo 0 0 ~l8uterach Chalain HorgenO Robenhausur CucuteniO R~C8dour ~za Lengytj AriusdO rtevo Fontbouisseo le Baume 0 . O· S8 . °Hamangia Vutedol' 0 GumelOltza 0 .00 Aren_ oFiorano o MER NOIRE Châteauneuf Candide " Vinte . lac Boian ODanilo 0 Sasso

    Molfetta Mateta:? Ne. Ni&omedia ------F////--/ SeSklBooimini oMueliefet Sielk Çete'-hOyük (~ersin ,'//__ ------;;;;.-u-;,;,o-"'" liJermo HacilarO 0 Samarrâ 0 StentlOello , o O Ras Shamru , le CrOlftsanl f~ 111p, o o O~os t) 3000 à 2000 av J C Khirokitia (!) 4000 à 3000 av J C iTell Ramad o 5000 à 4000 fi'" J -C o 6000 à 5000"v J.( Jéricho 0 i Cl 7000 à 6000 ôvJ .( Nato '0 \ o km 500 ~)T_II Beidah

    Le nouveau mode de vie s'est étendu à partir du Croissant fertile vers les zones à sols lourds et humides qu'il fallait « déforester" pour acquérir des champs et où l'adaptation des espèces cultivées a demandé plus de temps. L'extension vers l'Europe s'est effec­ tuée par les Balkans où des pêcheurs vIvaient déjà en sédentaires, et par la Méditerranée grâce au cabotage.

    Culture du taro à Dapango, au Togo. Dans les régions tropicales humides d'Afrique, de l'Amérique du Sud et du Sud-Est de l'Asie, dont le climat interdit la culture des céréales, l'igname, le taro ou la patate douce ont pu être cultivés dans des temps anciens.

    117 'L'HOMME S'ENRACINE

    L'économie de production obligea Les groupes qui préférèrent suivre le devaient durer, on les construisait en l 'homme à demeurer près des mouvement naturel des troupeaux - les matériaux solides pierre sèche (Médi­ pasteurs - continuèrent à mener une vie terranée), brique crue ou cuite (Proche­ sources de nourriture : champs nomade. Les hommes qui semaient, entre­ Orient), argile séchée sur un bâti de bois et troupeaux. La réponse à cette tenaient le sol et récoltaient sur un même (Europe) ou bois nu (zones lacustres). nécessité varia selon que l'élevage lieu devinrent sédentaires. D'abord, ils ne D'abord constituées d'un local unique, les ou l'agriculture dominait l'écono­ se fixèrent qu'entre semailles et moisson, maisons comprirent bientôt plusieurs piè­ mie locale. vivant de chasse, de pêche et de cueillette ces et dès lors le plan circulaire fut quand les réserves étaient finies. Puis ils abandonné pour le plan quadrangulaire. surent bientôt produire assez de grain Souvent, les fondations étaient en pierre. Fondations de maisons à Khirokitia (Chypre). pour disposer d'un stock suffisant jusqu'à Le sol, soigneusement aplani, recevait Les fondations de pierre, apparues au néo­ la prochaine récolte. Dès lors, ils s'instal­ parfois un enduit d'argile. Des silos creu­ lithique, isolaient la charpente de l'humidité lèrent sur un même lieu pour de longues sés dans le sol ou des poteries servaient en évitant son contact avec le sol. Le plan périodes. de réserves à grain. circulaire de l'habitat, hérité du paléolithique, fut rapidement abandonné dans la zone eura­ DES VILLAGES EUROPE ÉGALITAIRE siatique : s'il facilitait la construction en épar­ gnant les problèmes de jointure des angles, il empêchait une bonne utilisation de l'espace Les agriculteurs se regroupaient en petits Au début du néolithique du Proche-Orient, intérieur, car le mobilier, souvent à base de villages de 8 à 25 familles, selon la fer­ et plus longtemps encore en Europe, on lignes droites, ne pouvait suivre la courbure tilité du sol environnant et la proximité note que toutes les maisons d'un même des parois. des points d'eau. Puisque les maisons village se ressemblaient, aucune n'étant

    118 plus belle ni plus spacieuse que les autres. terres vierges ou désertées depuis assez d'ailleurs bien plus bas). Les nombreux Cela suggère qu'aucune différence sociale longtemps pour redevenir fertiles. Mais ils piquets qu'on relève dans le fond des lacs n'existait entre les gens. Les décisions demeuraient généralement toujours à l'in­ actuels constituaient les fondations et les concernant le village étaient sans doute térieur d'un même territoire, ce qui les parois d'habitats édifiés sur la terre ferme, prises en commun. Chacun participait ramenait invariablement à se réinstaller leur rôle de pilotis demeure fort incertain, aux tâches d'intérêt commun construc­ au même endroit. L'accumulation de leurs puisque l'analyse pollinique montre, sous tion de palissades pour les parcs à bes­ installations, chaque fois édifiées sur les une couche d'argile, la présence de mous­ tiaux ou de fossés autour du village pour décombres de constructions plus ancien­ ses apportées par l'homme à la base des le protéger des déprédations animales et nes, forme de véritables collines, qu'on maisons, au niveau où, selon la légende de la convoitise des nomades. nomme tells et qu'on retrouve du Proche­ des cités lacustres, se serait trouvé le Il n'existait d'ailleurs pas de propriété Orient jusqu'en Grèce fond des lacs. privée de la terre qui pût favoriser l'appa­ En Europe, les cultivateurs vivaient en rition de classes sociales l'agriculture communauté dans de vastes maisons de Plan du village de Dzejtun (Iran), - 4000. itinérante fut pratiquée jusqu'à ce que bois recouvert d'argile, groupées en villa­ fumure et assolement (qui consiste à lais­ ges que l'on reconstruisait régulièrement ser en friche la partie des champs qui a au même emplacement. déjà produit plusieurs récoltes) fussent connus. Quand les sols s'épuisaient, les LA LÉGENDE DES CITÉS LACUSTRES gens défrichaient plus avant autour du village, souvent en brûlant la forêt. Les légendaires" cités lacustres", mal­ gré les belles reconstitutions qu'on en a LA FORMATION DES TELLS faites, restent controversées: d'éminents archéologues estiment en effet que les Certains abandonnaient régulièrement maisons de bois étaient construites au leurs maisons (environ tous les 10 ans) bord des lacs et des étangs, et nullement et se transportaient plus loin, sur des au-dessus de l'eau (dont le niveau était

    --...

    Intérieur d'une maison il Skara Srae (Orcades). Presque souterraine, cette maison aux murs de pierre sèche ne contenait que du mobilier de pierre car, autant que de nos jours, le bois était rare aux Orcades il y a 4500 ans. Des pierres encadraient les lits situés de part et d'autre du foyer central où l'on brûlait de la tourbe. Au fond, un "pla­ card" servait au rangement, ainsi que les niches aménagées au-dessus des lits. Au sol, des boites constituées de pierres plates join­ toyées à l'argile recevaient l'eau. Les grandes pierres lisses servaient de siègesou de tables.

    119 LA PIERRE NOUVELLE

    L'agriculture nécessita de nouvelles tech­ teaux et perçoirs gardaient leurs vives une houe pour remuer la terre) : ce fut le niques, qu'il s'agît de défricher, de plan­ arêtes. Il en allait de même des armatures cas des néolithiques de Dimini, tandis que ter, de sarcler la terre ou de récolter, de de flèches et de lances souvent façonnées ceux de la culture de Starcevo fabri­ vanner et de moudre le grain. Dès le par retouches bifaciales. quèrent plutôt des outils polis asymé­ Vile millénaire, les industries des plus triques. anciens sites agricoles accusent une forte L'EUROPE Au ve millénaire, l'Europe centrale tendance au polissage: bols creusés dans adopta l'herminette des Balkans, mais les la pierre, haches et houes. C'était un L'Europe des Balkans garda aux outils un armatures de flèche, les petits grattoirs progrès, car la pierre polie n'accroche caractère particulier : les éléments de et les éléments de faucille montrent des pas la terre, ni la résine des arbres à faucille et instruments coupants de Thes­ emprunts aux techniques tardenoisiennes. abattre, ni les débris du grain à moudre; salie (Grèce) étaient en obsidienne, maté­ Au IVe millénaire, au travers des groupes de plus, elle a un pouvoir de pénétration riau qu'on faisait ~enir des Cyclades culturels qui voisinaient en ce carrefour plus grand et résiste mieux aux chocs. au travers de la mer Egée. Selon le mode de l'Eurasie. se propagea le modèle de la Mais tous les outils ne subissaient pas d'emmanchement adopté, les groupes hache-marteau. le polissage : les lames, lamelles, cou- préférèrent l'herminette (utilisée comme En Europe occidentale, les petits outils

    Polissage de la pÎelTe Les emmanchements

    5

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    ~+-- foret

    Pour emmancher les outils, il existait plu­ recevoir l'outil [branche coudée, intersection sieurs procédés: de deux branches] (5); • l'outil pouvait être fixé tel quel avec un lien; • l'outil était perforé pour recevoir le manche • le manche évidé (1) ou mortaisé (2) recevait (6). Ce travail pouvant se faire de deux 1. Ta1llez le nodule de silex selon la forme de l'outil qui était aussi fixé avec un lien ou avec façons: l'outil à obtenir (hache ou herminette). de la résine (3); - salt en utilisant un foret à archet : le 2. Frottez ensuite cette ébauche sur un polis­ • comme la perforation affaiblissait le mouvement de va-et-vient imprimé à l'archet soir fixe aux bonnes qualités abrasives : de manche, on Interposait souvent, entre celui-ci faisait tourner le foret pris dans une boucle préférence sur du grès. et l'outil, une gaine en bols de cervldé qui de la corde; 3. Terminez l'opération en frottant l'outil sur absorbait les chocs (4); - soit en aménageant deux trous coniques du sable humide pour obtenir un poli parfait. • le manche était calculé de manière à bien face à face et de part et d'autre de l'outil.

    120 sur lame, de tradition locale et d'origine le polissage de la pierre. Au IV· millénaire, L'AFRIQUE danubienne, voisinaient avec les outils de gros outils servaient surtout à agrandir lourds des campigniens, pics et haches les pâturages nécessaires aux troupeaux Les premières industries néolithiques en bois de cerf. Grattoirs, tranchets, her­ de ces populations dont l'économie resta d'Égypte s'inspirèrent des techniques pro­ minettes et têtes de flèches y prirent longtemps essentiellement pastorale. che-orientales, mais, au IV· millénaire, de bientôt des aspects propres à chaque Dans le nord de la Chine, les cultiva­ gros outils, de tradition locale, apparurent. groupe, ce qui créa une grande diversité teurs de millet fabriquaient un couteau À l'ouest du Nil, les nombreux pasteurs des modèles. à moissonner bien différent des faucilles et de rares agriculteurs utilisaient des Les pêcheurs de l'Europe du Nord cul­ connues ailleurs. L'industrie y évolua rapi­ microlithes de tradition capsienne accom­ tivèrent la terre tardivement, et sans doute dement vers le métal et influença la Chine pagnés d'un gros outillage semblable à sous l'influence de populations qui avan­ méridionale, où des haches à tenon, en celui de l'Égypte. cèrent vers leurs régions, de génération pierre, imitaient à la perfection les haches Au sud du Sahara, la grande forêt fit en génération, en défrichant les forêts. de bronze du nord. obstacle à la pénétration de l'agriculture Leur outillage imita donc les premiers L'Inde garda longtemps les gros outils et les haches-herminettes taillées qu'on y outils de métal apparus plus au sud. à tranchant poli des forestiers des régions retrouve en abondance sont souvent de tropicales, tandis que des agriculteurs date très récente. Laissant des vestiges de L'ASIE s'implantèrent dans la vallée de l'Indus en la Guinée au Cameroun, de l'Empire cen­ même temps que la métallurgie, ce qui trafricain au Ghana, le néolithique ouest­ La steppe "eurasiatique», qui court de rend difficilement discernables les indus­ africain, encore appelé « civilisation de la l'Ukraine à la Mongolie, connaissait aussi tries purement néolithiques. houe», fut fort tardif et très bref.

    René Delon Comment obtenir des microlithes?

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    2

    3

    Comment obtenir des micro/ithes ? 1. Entamez une lamelle par retouches soit du même côté (1), soit sur les deux bords (2). 2. Brisez à la main, au niveau des encoches, en imprimant un mouvement de flexion. 3. Retouchez les fragments pour obtenir des Trois haches polies. trapèzes, triangles ou demi-lunes (3).

    121 hautes températures que n'atteignaient BERCEAU DE CET ART pas leurs foyers et puis, pour ressentir le LE PREMIER besoin de contenants durables, il faut Les poteries les plus anciennes ont été avoir des vivres à y stocker.. fabriquées, vers - 6000, à Çatal Hüyük (Turquie), à Ras Shamra (Syrie) et à Nea NÉOLITHIQUE ET POTERIE Nicomedia (Grèce). Dans la même région, ART le plâtre apparut dans les enduits de sol La poterie n'est pas automatiquement liée et, à Tell-Ramad (Syrie), la chaux fournit à l'agriculture bien qu'on l'ait longtemps le matériau d'une tentative isolée des DU FEU considérée comme le critère essentiel récipients furent moulés et séchés, cons­ d'un établissement néolithique. Les der­ tituant la «vaisselle blanche", si fragile niers ertebblliens façonnaient des pote­ que l'expérience resta sans suite. Les chasseurs des temps glaciaires ries grossières à fond conique, alors que L'étude des poteries néolithiques voyaient bien que les parois des foyers la pêche fondait encore toute leur éco­ révèle que, dès l'origine, des différences creusés dans le sol devenaient résistantes, nomie; en revanche, les plus anciens régionales se sont affirmées, le décor, la et ceux de Dolnf Vêstonice faisaient dur­ niveaux de Natouf (Palestine), de Jéricho forme et la pâte variant d'un groupe à l'au­ cir au feu leurs statuettes d'argile : ils (Jordanie) et de Jarmo (Iraq) témoi­ tre selon les ressources et les préfé­ connaissaient donc l'effet du feu sur ce gnent d'une période d'économie agricole rences locales. Les archéologues distin­ matériau. Mais, comme les outres de peau sans céramique au Proche-Orient, durant guent donc les peuplements néolithiques et les vanneries convenaient bien, par leur laquelle les récipients étaient de pierre ou d'après les caractéristiques de leur pote­ légèreté, à leur vie nomade, l'idée ne leur de bois, phase qu'on appelle parfois pro­ rie. Cette technique atteignit l'Europe vint pas d'utiliser l'argile pour faire des tonéolithique ou encore néolithique pré­ occidentale en même temps que l'agricul­ récipients. D'ailleurs, la poterie exige de céramique. ture vers la fin du ve millénaire.

    1. Poterie de Byblos (Liban). 2. Poterie de Sia/k. Les formes et les décors de la céramique du Proche-Orient montrèrent, dès l'origine, des différences marquées selon les régions. D'abord modelée il la main et rappelant, par ses formes simples, les récipients de pierre et de bois, la poterie s'enrichit rapidement de décors par impression, lustrage et peinture. L'apparition du tour de potier, au cours du III" millénaire, donna à la céramique du Proche-Orient une perfection que les autres régions n'égalèrent pas avant longtemps.

    Poteries de Sesk/o (Grèce) : 1. Anciens; 2. Néolithique moyen. Apparentées il celles du Proche-Orient, les premières céramiques de Grèce ne compor­ taient pas de décor. Vers - 5000, des pein­ tures les ornaient, dont les motifs annon­ çaient déjil la grecque.

    Ces céramiques de la culture de Staréevo (V" millénaire) sont communes il la Bulgarie, il la Yougoslavie, il la Roumanie, il la Hongrie et au sud de l'Ukraine.

    122 UN ART DIFFICILE ciaux, séparés de la flamme, dans les­ quels ils savaient maintenir une tempéra­ Réussir une poterie n'est pas s; facile ture élevée durant 3 à 5 heures. qu'il y paraît. L'argile pure exige un long séchage au cours duquel elle se rétracte et DE LA POTERIE À LA MÉTALLURGIE se fendille, et sa cuisson entraîne fré­ quemment des fêlures ou l'éclatement. S'il y eut peut-être un temps où chaque Pour pallier ces inconvénients, les néo­ paysan fabriquait ses poteries selon des lithiques améliorèrent leur matériau de modèles et une technique en usage dans base en y incorporant du sable, des cen­ son village, le temps et le savoir-faire dres ou de la paille. Grâce à ces dégrais­ indispensables exigèrent bientôt qu'un sants, l'argile devint moins gluante et artisan, dispensé de tous autres travaux, moins molle, donc plus facile à modeler se spécialisât dans cette besogne. Et, et plus résistante à la cuisson. comme une invention n'intervient jamais Les premiers objets furent certainement que dans un milieu déjà préparé à la rece­ cuits à l'air libre, directement sur le foyer, voir par les découvertes et expériences ce qui donnait des poteries rouges à pâte antérieures, la maîtrise du feu acquise grossière et provoquait plus de 30% de par les premières générations de potiers casse. Une chaleur de 600 à 700°C est eut d'importantes conséquences quel­ nécessaire pour produire les poteries de que 1000 ans plus tard car, progressant qualité qu'atteignirent rapidement les néo­ jusqu'à de très hautes températures, elle lithiques. Ils apprirent donc à bien manier ouvrit la voie à la métallurgie. Poterie baya actuelle, Cameroun. En Afrique, le feu et construisirent des fours spé- la poterie est encore un artisanat vivace.

    Peut-être importée de Molfetta (sud de l'Italie) par des caboteurs de la Méditerranée, la poterie décorée d'impressions alignées de coquille de Cardium edule - pour cela appe­ lée cardiale -, se répandit au long des côtes en Ligurie, en Provence, au sud-est de l'Es­ pagne, au et en Mauritanie. Vers - 4000, les potiers du sud-ouest de la France l'imitèrent en remplaçant l'impression de cardium par des empreintes faites à l'on­ gle ou au poinçon.

    Poteries du rubané ancien et récent. Les céramiques à décor rubané linéaire (1) ou rubané poinçonné (2) étaient propres aux cultivateurs dits Danubiens, dont les tech­ niques et le mode de vie se répandirent en tache d'huile, du V· millénaire à l'âge du cui­ vre, de la Hongrie à l'Alsace et jusqu'en Belgi­ que en passant par la Pologne, la Bohême et l'Allemagne. Au cours des temps, des varian­ tes locales apparurent telles que la céra­ mique de R6ssen (3).

    Vase de Pan-chan, Chine (Ille millénaire).

    123 LA DEESSE MERE

    Si les techniques évoluent et se LA FEMME ET LA TERRE DES ANIMAUX différencient rapidement selon les L'importance de la femme dans l'appari­ Les animaux, comme aux temps gla­ groupes, il en va autrement de tion de l'économie agricole, son attache­ ciaires, tenaient aussi une grande place l'explication du monde qui fonde ment aux travaux de la terre - tandis dans les religions néolithiques, mais ce les croyances. La morale, les que les hommes s'occupaient probable­ sont surtout des bêtes d'élevage que l'on rites, les arts qui découlent d'une ment de la construction des maisons et a modelées en argile et qu'on offrait croyance varient, mais le fonde­ enclos, de la capture, de l'élevage et de sans doute aux puissances surnaturelles... "abattage des animaux - expliqueraient jusqu'à ce que l'abondance permît de ment persiste et apparaÎt au tra­ sans mal que les gens aient établi un sacrifier des animaux réels. vers des œuvres humaines. rapport entre la femme et la terre, et Les agriculteurs et éleveurs avaient assimilé la fécondité de l'une et la fertilité tout à craindre de la sécheresse, des de l'autre. orages, des inondations et des gelées. Ainsi, s'il demeure impossible de défi­ Toutefois, nous l'avons vu, les paléo­ Aussi cherchèrent-ils, par des rites divers, nir les religions et de décrire les rites des lithiques considéraient sans doute la terre à se concilier les puissances de la néolithiques, la permanence et la fré­ comme une entité féminine. Cette con­ nature, personnifiées et hiérarchisées dès quence de certains traits laissent suppo­ ception, qui avait soutenu leur art durant le Ille millénaire. Mais les haches polies ser que nombre de ces peuples parta­ 20000 ans, subsista et se transmit peut­ en miniature, les modèles réduits de poi­ geaient la même vision du monde et être... En tout cas, elle se renforça quand gnards que certains néolithiques portaient interprétaient pareillement les phénomè­ l'agriculture appela davantage l'attention en pendentif, en guise d'amulettes, mon­ nes naturels. des gens à la fois sur la terre et sur les trent bien qu'en dépit de ses craintes et phénomènes de reproduction. des mystères inexpliqués l'homme consi­ DES FIGURES FÉMININES La division du monde vivant en prin­ dérait son outil comme la meilleure des cipes mâle et femelle dont "union est protections. Du Proche-Orient à l'Afrique du Nord, des féconde est si évidente que les néolithi­ Balkans au nord de l'Europe, durant près ques en reprirent le thème; c'est pour­ de 4000 ans, les hommes ont façonné des quoi l'on a trouvé, en plus des statuet­ figurines féminines en pierre, en os, tes féminines, plusieurs représentations en argile crue ou en terre cuite, et de phallus. De même, le parcours des cela jusqu'en Asie. Ces statuettes, parfois hommes de la naissance à la mort, illus­ réduites à de schématiques évocations tré par l'art souterrain des chasseurs, des formes féminines, sont considérées semble reparaître, figuré autrement, à Petit poignard-amulette de Çatal-Hüyük. par les auteurs comme des représenta­ Çatal-Hüyük (Turquie) où des statuettes ~ tions de la déesse mère dont dépendait la représentant une femme en couches, une fécondité des hommes et de la terre. jeune fille et une vieille femme accom­ La divinité du personnage est suggérée pagnée d'un oiseau de proie évoquent les par l'abondance même de sa représenta­ mystères qui inquiètent l'homme: la nais­ tion, par le fait, aussi, que ses images ont sance, la vie, la mort. parfois été trouvées groupées en un même lieu, ce qui tend à prouver l'existence de sanctuaires. La qualité de mère attribuée à toute figure féminine, depuis le paléolithique, n'a rien que d'ordinaire, mais elle est plus apparente au néolithique, car cer­ tains modelages du Proche-Orient mon­ trent une femme en train d'acçoucher.

    Taureau. Peinture murale de Çatal-Hüyük. ~

    Qu'il fût idole, animal mythologique ou sym· bole d'une puissance naturelle, le taureau tenait une grande place dans la religion des néolithiques de Çatal-Hüyük, comme le con­ firment plusieurs peintures murales, la pré­ sence de véritables cornes de bovidés dans le site et les crânes de taureaux surmodelés ~ o voisinant avec des figurations féminines, par- ~ fois réduites aux seins. cii

    124 Diverses figuraI/ons de la déesse mère. Les représentations féminines des Cyclades évoluèrent vers un schématisme tel que les plus récentes affectent la forme d'un violon (1, 2 et 3). Découpée dans une plaquette d'os, cette figurine d'Almerla (Espagne) parait ins­ pirée des précédentes (4), et la même ten· dance au schématisme se retrouve en Inde (5 et 6). Nombre de statuettes ne comportaient pas de tête (7 et 8), peut-être par suite d'un interdit local sur l'image humaine ou encore parce qu'on ajoutait une tête modelée seu­ lement lors de cérémonies. Moins stylisée que les autres, la statuette de Tchécoslova­ quie garde plus de vie (9). Au néolithique récent et à l'âge du cuivre, apparurent les premières figurations de femmes portant un enfant (10 et 11), qui furent tout naturellement remplacées, à l'ère chrétienne, par les sta­ tues de la Vierge à l'Enfant.

    125 ... Sépulture en jarre de Byblos (IV- millénaire).

    repoussait les restes plus anciens pour faire de la place. En Palestine, au IV· millénaire, les ossements étaient mis dans un vase en forme de maison et déposés dans des hypogées creusés dans la roche. Les gens d'Hassuna et de Sialk (Iran) enfermaient les morts dans de grandes jarres de céramique pour les porter en terre. Les néolithiques d'Europe creu­ saient des hypogées dans la roche ou aménageaient des chambres en pierre sèche sous le sol.

    SÉPULTURES INDIVIDUELLES

    De nombreux groupes donnaient à cha­ cun de leurs morts une sépulture indivi­ duelle, parfois entourée et couverte de dalles, et certains marquaient l'endroit en entassant des pierres et de la terre en tumulus au-dessus de la tombe. Au cime­ tière de Tiszapolgar (Hongrie), 156 tom­ bes, toutes semblables, montrent qu'au­ cune différence sociale n'existait entre les gens.

    LA SURVIE

    Les hommes croyaient en une autre vie puisque les morts recevaient partout des offrandes: armes, outils, bijoux, vases et même, comme à Hamangia (Roumanie), des aliments. Auprès des corps de deux bébés enterrés ensemble dans une jarre, des parents avaient déposé une petite tim­ bale en terre cuite pour que les enfants pussent se désaltérer dans l'autre monde.

    LE CULTE DES ANCÊTRES

    Peut-être guidées par le souci de garder aux morts leur place dans la maison, quelques sociétés vouaient aux crânes LESMORTS des défunts un culte particulier. Ainsi, au centre des maisons néolithiques d'Hacilar (Turquie), des crânes, rangés sur des ET LA MAISON pierres plates, étaient exposés à la véné­ ration des vivants. À Jéricho, un crâne fut l'objet d'une Certains néolithiques enterraient les morts ton et pourtant l'Égypte pharaonique étrange pratique: les traits du défunt ont sous leurs maisons: ce fut notamment considéra plus tard comme une malédic­ été surmodelés sur la face osseuse et le cas des habitants de Jéricho et de tion d'être enseveli dans un tel linceul. peints en rouge, deux coquilles de cau­ Jarmo. D'autres, réservant aux sépultures Dans quelques tombes, la présence d'ocre ris simulant les yeux. Ce portrait marque un terrain particulier, hors du village, rouge dénote la persistance de rites paléo­ peut-être le plus ancien culte des ancê­ créèrent les premiers cimetières. Selon lithiques. tres. Il est possible qu'il corresponde à les groupes, les morts étaient allongés, des croyances selon lesquelles l'abon­ accroupis ou couchés en chien de fusil SÉPULTURES COLLECTIVES dance des récoltes dépendait du culte dans la position du sommeil, inhumés en rendu aux morts. Peut-être encore consi­ pleine terre ou bien enveloppés dans un Les sépultures étaient souvent collectives, dérait-on que la survie durait tant que les linge, une natte ou des peaux de bêtes. propres à un village ou seulement à une vivants gardaient le souvenir du défunt. Les néolithiques de Tasa (Égypte) cou­ famille. Le désordre des ossements indi­ Dans ce cas, son image conservée dans saient les morts dans une peau de mou- que qu'à chaque nouvelle inhumation on la maison garantissait le mort contre l'ou-

    126 bli.. et le néant. Il semble que seuls quelques individus aient eu droit à ce traitement post mortem : chef de famille ou de village, bâtisseur du village ou de la maison ou parent très aimé.

    NOUVEAUX TYPES PHYSIQUES

    Les ossements recueillis dans les sépul­ tures néolithiques nous renseignent aussi sur les modifications morphologiques intervenues depuis la fin des temps gla­ ciaires : de nombreux crânes ont dès lors perdu la dolichocéphalie primitive; au lieu d'être étroite et allongée vers l'arrière, la boîte crânienne devient aussi large que longue, l'arrondissement qui en résulte est appelé brachycéphalie. De même, l'étude des crânes néo­ lithiques montre comment la sédentarisa­ tion des populations, amenant les généra­ tions à vivre en milieu fermé, a provoqué l'endogamie (mariage avec des femmes du même groupe culturel dans le même ensemble de villages) et entraîné la for­ mation de types physiques bien différen­ ciés dans chaque région.

    ... Les gens de la culture dite S.D.M. (Seine Oise Marne), qui vivaient entre - 2400 et - 1600 dans le Bassin parisien, déposaient souvent leurs morts dans des hypogées creusés dans la roche tendre. Pour aménager l'hypogée des Mournouards, ils creusèrent (vers - 1800) deux salles séparées par un petit étrangle­ ment et mesurant ensemble plus de 5 m de longueur. Dirigée par le professeur A. Leroi-Gourhan, la fouille de ce site a ramené les squelettes de 60 individus brachycéphales. L'analyse de la position des vestiges montre que, pour faire de la place à chaque nouveau trépassé, ... on rangeait les ossements des précédents Plan des ossements de l'hypogée des Mour­ vers le fond et sur les côtés. Plusieurs paquets nouards (Marne). d'armatures de flèches en silex indiquent le dépôt, auprès des premières personnes inhu­ mées, de bouquets de flèches peut-être enfer­ mées dans des carquois. Aucune poterie n'ac­ compagnait les morts, mais on a trouvé un morceau de résine marqué d'une empreinte de vannerie. Les morts portaient des parures simples : colliers de perles de craie, de coquillages, de dents animales ou des pendeloques de nacre à double perforation. Les armes et outils (quelques haches et herminettes), offerts à l'inauguration de l'hypogée, étaient destinés ... à l'usage de tous les morts logés dans cette Crâne surmodelé de Jéricho. grotte artificielle.

    127 ETRANGES MEGALITHES

    Les mégalithes comptent parmi LES HYPOTHÈSES les plus singuliers vestiges de la Le mégalithisme européen, remarquable préhistoire. Aussi ont-ils de tout par le nombre et la taille de ses monu­ temps suscité l'étonnement et fait ments, remonte au milieu du IVe millé­ naÎtre maintes légendes, encore naire et se perpétua jusqu'à "âge du perceptibles dans les noms qu'ils cuivre, au début du Ile. ont reçus: Table des Marchands, Comme toute chose suppose un com­ mencement et, partant, un lieu d'inven­ Pierre des Fées, Lit des Géants. tion, on a évidemment cherché la source Au XIX" siècle, on les attribuait aux de ce mouvement architectural. Tels en Gaulois ou aux Celtes, et les dol­ voient "origine dans les « tholoï minoens" mens passaient pour des autels, de Crète, tels autres croient en une prove­ supports de sanglants sacrifices nance scandinave ou ibérique, tandis que divers auteurs attribuent le phénomène à humains, ou bien pour des tables l'invasion d'un unique « peuple des méga­ sur lesquelles étaient jurés les trai­ lithes» organisé, surdoué et mysté­ tés. rieusement disparu sans laisser plus de traces que ces pierres dressées. Pour d'autres encore, le mégalithisme serait l'effet d'une nouvelle religion prêchée par des « missionnaires» venus du Proche­ DES MOTS BRETONS Orient par voie maritime. Les préhistoriens modernes parlent Le menhir est une grande pierre fichée prudemment de convergence. Cela signi­ verticalement dans le sol. Plusieurs men­ fie que l'idée de dresser des pierres a hirs disposés en rangée forment un ali­ fort bien pu être conçue par des peu­ Un menhir de l'alignement de Kermaria, à Carnac. gnement.. placés en cercle, ils déter­ ples divers, éloignés dans l'espace comme minent un cromlech. Des blocs dressés dans le temps, pourvu que leur niveau couverts d'une ou de plusieurs tables technique leur permît de le faire. horizontales composent un dolmen ou Le christianisme s'efforça d'extirper une allée couverte. UN COURANT ARCHITECTURAL les rites très anciens qui se dérou­ Malgré leurs noms bretons, les méga­ laient ,autour des mégalithes. En lithes ne sont pas propres à la Bretagne, Les fouilles ont montré que le méga­ 435. l'Eglise interdit toute cérémo­ ni à la France, ni même à l'Europe. On lithisme n'était pas le fait d'une race nie concernant ces pierres et. en trouve ces monuments sur tous les conti­ unique puisque certains dolmens livrent 789, Charlemagne ordonna qu'on nents, sauf en Australie. Mais ils n'ont pas des crânes dolichocéphales et d'autres les détruisit. Devant la résistance partout la même fonction ni le même âge. des crânes brachycéphales. Les objets des populations, qui explique la per­ Les nombreux dolmens du sud de relevés confirment aussi qu'aucune civi­ sistance des monuments malgré les l'Inde datent du le' millénaire, tandis que lisation particulière n'est rattachable au interdits et les menaces. l'Église prit ceux du Proche-Orient, plus rares et plus phénomène. Le mégalithisme semble le parti d'en christianiser un certain petits, ont été érigés à la fin du IVe et au donc bien représenter un style architectu­ nombre, soit en y plantant une croix, début du 1lIB. Ceux d'Asie du Nord-Est, rai aussi répandu que le fut plus tard le soit en y gravant des motifs chré­ dressés entre le Ille siècle av. J.-C. et le roman ou le gothique. tiens, salt encore en transportant Vile siècle de notre ère, relèvent de la Si la fonction des menhirs, alignements des menhirs devant les églises ou protohistoire. Il en va de même, certai­ et cromlechs demeure mystérieuse, per­ même en les intégrant à leur archi­ nement, des menhirs et des cercles de sonne ne doute plus du rôle funéraire des tecture. Les légendes elfes-mêmes pierre rencontrés au sud du Sahara et dolmens et allées couvertes. Apparu dès subirent cette influence; pour nom· en Amérique. En Océanie, comme leurs l'homme de Neanderthal, le soin accordé bre de conteurs, ce fut la sainte ancêtres le faisaient déjà, les populations à la dépouille humaine a entraîné le désir Vierge. et non plus les fées, qui actuelles marquent des lieux particuliers d'établir les morts dans des structures porta les pierres dans son tablier à l'aide de pierres dressées : place de durables. Quoi qu'il en fût, l'idée ou la foi tout en filant. et la nuit de Noël se justice par exemple, et l'on ne peut pas qui poussèrent les hommes du néolithique substitua dans les récrts à la nuit du s'appuyer sur leurs coutumes pour expli­ à tant d'efforts devaient être de celles qui solstice d'été (de la Saint-Jean). quer celles des néolithiques d'Europe. soulèvent les montagnes!

    128 3

    1. Menhir. 2. Dolmen. 3. Alignement. 4. Cromlech. Dans les légendes bretonnes, les dolmens sont soit les maisons des korrigans, soit l'œuvre de fées qui auraient transporté les pierres dans leur tablier en filant la que­ nouille. Elles y reviendraient danser chaque soir à minuit. Dans d'autres régions, les mégalithes se rap­ portent à l'histoire de Gargantua: le dolm~n est son lit ou son tombeau, les menhirs "Sont des cailloux retirés de sa chaussure. Certains mégalithes ont longtemps eu la réputation de guérir la fièvre et les rhuma­ tismes ou d'assurer la fécondité des femmes qui les enlaçaient. Certains furent personni­ fiés (les Trois Chiens, de Rillé en Indre-et­ Loire, The Nine Ladies, en Angleterre). Et l'on prêtait à quelques-uns la faculté de se mou­ voir: à chaque Noël, le menhir de Pontivy se rendait à la rivière pour boire; ceux de Car­ nac s'en allaient à la mer prendre un bain une fois l'an; quant au mènhir de Gouvix (Cal­ .- vados), il tournait sur lui-même pendant toute 4 la nuit de Noël.

    LA PRÉHISTOIRE. - 9 129 TRAVAUX FORCES•••

    Véritables monuments, les dolmens com­ par de la pierre sèche et un lourd amas exagéré le nombre d'hommes indispensa­ prennent une chambre funéraire à de terre recouvre le dolmen. bles au déplacement des blocs. La dimen­ laquelle on accède par un couloir plus ou sion des pierres ne permettait pas la moins long, plus ou moins rectiligne, DES DOLMENS EN BOIS présence à leurs côtés d'un millier de tandis que l'allée couverte - formule gens. Une centaine d'hommes pour les dérivée du dolmen, souvent plus tardive Ce plan correspondait sans doute à des blocs de volume moyen, le quadruple et qu'on rencontre surtout à l'intérieur croyances sur le sort des morts, car il pour les plus lourds suffisaient, car des des terres - se réduit au seul couloir. La existait aussi des édifices semblables leviers, traîneaux, chemins de roulement chambre est parfois constituée de méga­ en bois. Ces «dolmens non construits et plans inclinés augmentaient la force lithes dressés sur lesquels repose une en dur", selon l'expression de François humaine, et il n'est pas exclu que l'on ait énorme dalle, mais ses parois peuvent Poplin, se rencontrent dans les régions également fait appel à la traction animale. aussi être montées en pierre sèche, la pauvres en roche, comme les Pays-Bas. L'énergie et l'ingéniosité déployées pro­ disposition des pierres aboutissant au venaient plus de la force d'une idée (et sommet à une voûte en encorbellement; ESCLAVAGE ? •. OU CONVICTION? du désir que chacun avait de bénéficier lorsque des dalles, dressées comme des lui-même d'une sépulture conforme aux cloisons, la divisent, on parle de On a affirmé que l'organisation néces­ règles religieuses) que des coups de fouet. « chambre compartimentée", Souvent, les saire à de tels travaux procédait d'une Le fait que la grande majorité des dol­ interstices entre les blocs sont comblés société esclavagiste, mais on a fortement mens recouvrent des sépultures collec-

    1~ c";"~;;:;:;, .....:...... (plan) b pierre soulevée

    " " :." " ~ point d'appui ~ ~r1"t:il (plan) (plan)

    6 ~ .. ,,~-- -- .... .// r~" .'''~ état ancien .. -...... ~ ~:.g ...... , ••--( . "" '", état actuel . \ ...... ", " &~""" ~, (coupe) ... ,.

    ..:~'~

    7 ~~) (Jl] )~ ?i~", GJ'...... ,-.:.-' \..•••) ~ .J ',...... ,ï \ 1. Dolmen simple. 2. Dolmen à couloir. 3. Allée '/"" I~--" ,,--. r--::': ~ \/ ,."--:' \ l ,/ \, _: r-JIl,,_' couverte. 4. Dolmen a chambre compartimen- \ ,,_' 1 l ".' ,1 ,• n tée. 5. Chambre voûte en encorbellement. .' /" 1 1 : \ 1 :: l' à '~! ~d J~ 6. Coupe de dolmen sous tumulus. 7. Tumulus ~!\------couvrant plusieurs dolmens. (plan)

    130 OU IDEE FORCE? tives où nulle différence sociale n'appa­ d'étranges pratiques: nombre d'entre eux sépultures S. O. M. et qui consiste en un raît entre les gens confirme le caractère ont subi l'ablation d'une petite rondelle T gravé jusqu'à l'os au-dessus du front, collectif et volontaire de ces travaux. d'os, découpée sur le vivant au couteau ce dessin correspondant peut-être à un Les supports de quelques dolmens por­ de silex. On ignore si cette opération tatouage. Quoi qu'il en fût, les traces de tent des gravures énigmatiques, signes, entrait dans des rites d'initiation ou si elle cicatrisation osseuse montrent que les arceaux, spirales, et certains édifices com­ visait un but thérapeutique (au 1er siècle gens guérissaient souvent de la trépana­ prennent un bloc artificiellement perforé. de notre ère, Aretê de Cappadoce préco­ tion, probablement grâce à des traite­ La taille du trou interdit le passage d'un nisait, pour soigner les migraines rebelles, ments empiriques à base de plantes ou de corps humain; aussi l'on suppose que les de " ronger l'os et percer le crâne jusqu'à minéraux absorbés ou appliqués en pan­ bâtisseurs l'aménageaient pour permettre la méninge » ••• ). Quelques médecins se sements. le dépôt d'offrandes ou pour faciliter le demandent toutefois si ces perforations ne va-et-vient des âmes des trépassés. C'est résulteraient pas de maladies causées par pourquoi il a reçu le nom de for de "âme. de microscopiques champignons (myco­ ses) qui provoquent parfois de telles Allée couverte de la Roche aux Fées. Une CURIEUSES CICATRICES lésions à l'emporte-pièce. version allongée du dolmen. Mais la maladie expliquerait mal une Dans plusieurs dolmens, allées couvertes autre forme de mutilation, observée sur­ En-dessous, ancienne allée couverte avec le et hypogées, des crânes témoignent tout sur des crânes jeunes et féminins des " for de l'âme ».

    Procédés de levage et de transport des pierres. 1. Pour se procurer des blocs de pierre, on les détachait en carrière â l'aide de coins de bois glissés dans une fente et aspergés d'eau pour provoquer leur gonflement et l'élargis­ sement maximal de la fente. 2. Pour soulever le bloc on lui adaptait une série de leviers jointifs (a) que l'on chargeait en queue (b). Quand la masse était soulevée, on glissait des cales dessous (c) afin de lui conserver cette position, puis on recom­ mençait l'opération après avoir terrassé pour rehausser l'appui des leviers (d). 3. Pour faire cheminer un bloc, on créait des plans inclinés sur le chemin â parcourir, on les corroyait â l'argile pour les rendre glis­ sants. Le bloc étant amené sur la partie haute du plan, on donnait une poussée au levier pour amorcer son départ. Sur une inclinaison convenable, le bloc pouvait glisser de lui­ même jusqu'en bas de la pente. La traction nécessaire â son déplacement était modérée, ce procédé demandant plus de temps que de force. 4. Il suffisait de répéter l'opération plusieurs fois pour faire avancer la pierre. 5. On pouvait même ainsi lui faire remonter des pentes. Toutefois, afin d'éviter que des blocs géants ne s'enlisent, on devait renfor­ cer les plans inclinés â l'aide de troncs d'ar­ bres avant de corroyer. 6. Pour redresser un menhir ou une paroi de dolmen, après avoir soulevé une extrémité aux leviers, on la posait sur un pivot (a) tandis qu'on appuyait l'autre contre une glissière, solide remblai corroyé dans la partie verti­ cale (b). Puis on creusait le sol sous cette extrémité du bloc (c). Par l'effet de son propre poids, le monolithe basculait, se redressait et s'enfonçait.

    131 Composant le plus .imposant des ensembles mégalithiques (2934 menhirs), les aligne­ ments de Carnac s'étendent sur 4 km.

    Stonehenge : état actuel et plan de l'état initial. Construit vers - 2000, le cromlech de Stone­ henge est le plus remarquable édifice de ce genre. L'analyse pétrographique a démontré que les pierres bleues de Stonehenge prove­ naient des Prescelly Mountains du Pembro­ keshire situées à 220 km de là. Le dépla­ cement de ces masses par traction humaine sur une pareille distance parait incroyable. Des géologues considèrent que les blocs ont pu être transportés par les glaciers plusieurs milliers d'années avant leur érection. On sup­ pose, plus généralement, que le transport a été effectué par bateau.

    Nord i / / / / / /

    / / 132 MENHIRS ET CROMLECHS

    Pierres brutes, solitaires ou alignées, éri­ comment ne pas songer à un cromlech à gées dans les endroits les plus divers, les propos des 12 pierres dont Moïse ordonna menhirs gardent leur secret. Les fouilles l'érection en descendant du Sina'l? au pied des menhirs et cromlechs livrent souvent des vestiges analogues à ceux DIVINITÉS? LIEUX SACRÉS? des dolmens, mais on ne saurait affirmer que menhirs et dolmens d'une même Des menhirs portent, gravée ou sculptée, région sont toujours contemporains. l'image d'une femme ou d'un homme qui Certains menhirs signalent nettement représentent peut-être des divinités. Des une sépulture sous dolmen ou allée cou­ faucilles, des haches et divers autres outils verte. On se perd en conjectures sur la figurés sur des menhirs sont peut-être fonction de tous les autres. Le rôle de des offrandes aux puissances représen­ cénotaphes érigés en souvenir de marins tées par les pierres dressées ou censées disparus en mer, acceptable dans les les habiter. zones côtières, n'expliquerait guère la Les cromlechs appartiennent aussi au fonction des nombreux menhirs rencon­ domaine religieux et des structures ana­ trés loin des rives. logues, édifiées en bois, marquent l'im­ Découvert par J. Boutrais, géographe à 1'0rs­ portance du plan circulaire de ces cons­ tom, ce cromlech entre dans un ensemble d'édifices similaires relevés dans la région de DES OBSERVATIONS tructions. On remarque qu'en général leur Nkambé au Cameroun et certainement érigés entrée est orientée sur le soleil levant au à l'époque historique. Des auteurs ont supposé que les menhirs moment du solstice, ce qui s'accorde avec D'après les populations actuelles, les pierres entraient dans les structures de vastes l'importance que les légendes donnent à dressées des régions tropicales ont des fonc­ observatoires et servaient de repères pour la nuit de la Saint-Jean. Le solstice d'été tions diverses selon les ethnies : certaines des visées astronomiques. Dans un article donnait sans doute lieu à des cérémonies marquent le lieu d'où partirent des émigrants, de la Recherche (1974), François Poplin a et festivités autour de ces pierres... que d'autres sont destinées à protéger les vil­ critiqué ces interprétations avec beaucoup l'Église assimila en instaurant les proces­ lages contre les voleurs ou contre les esprits de bon sens: sur le papier, ces théories sions champêtres des rogations. Les mou­ dangereux. sont plausibles, d'autant plus que l'abon­ vements des astres, et particulièrement la dance des menhirs dans certaines régions course apparente du soleil dans le ciel, fait qu'en traçant n'importe quelle ligne importaient forcément aux agriculteurs, droite sur une carte on en prend obliga­ puisque les saisons rythmaient leurs tra­ toirement plusieurs en enfilade. Sur le vaux. On ne saurait pour autant conclure terrain, elles sont difficilement crédibles à un culte du soleil. car, «sur l'horizon crénelé par les buis­ Il n'est pas certain non plus que tous sons et les bosquets", comment repérer les cromlechs aient été édifiés pour les des pierres hautes de quelques mètres... mêmes raisons. Certains servaient peut­ distantes de plusieurs kilomètres? Si l'on être de sanctuaires, tandis que d'autres ajoute à la gêne créée par la végétation pouvaient marquer un endroit bénéfique celle qu'oppose la brume, et si l'on rap­ que bêtes et gens devaient traverser pour pelle que rien ne prouve que tous ces obtenir santé et fécondité, ou bien com­ menhirs furent dressés à la même époque, mémorer un événement important pour la ces théories s'affaiblissent considérable­ communauté, ou encore constituer des ment. « pièges à esprits"..

    LA BIBLE AUSSI...

    Une seule chose demeure certaine : la Statues-menhirs des Maurels (Aveyron). somme d'efforts que représente l'érec­ On ignore la nature de l'objet rond et creux tion des menhirs implique de vivaces porté par ces figures, alors que l'objet en arc motivations religieuses. La persistance de cercle arboré par l'une d'elles est consi­ de croyances et de rites les concernant déré comme une fibule. Selon Varagnac, ce témoigne du caractère sacré des menhirs serait plutôt un foret à archet, la cupule et, sans que cela explique la signification mystérieuse serait alors destinée à subir le de toutes les pierres dressées, il n'est pas frottement rotatif de l'archet pour allumer du feu. Dans cette hypothèse, ces statues-men­ inutile de rappeler que la Bible mentionne hirs témoigneraient d'un culte du feu inclus l'érection de pierres brutes «non profa­ dans les religions mégalithiques et de rites nées par le ciseau". Jacob, après son d'allumage de « feux nouveaux" purificateurs rêve de l'échelle, dressa une pierre et dit: à la fin d'un cycle de quatre saisons ou en «Cette pierre est la maison de Dieu." Et cas d'épidémie.

    133 La connaissance et l'utilisation du métal sont bien plus anciennes : des petits LE DEUXIEME rouleaux de cuivre relevés à Çatal-Hüyük datent du début du Vie millénaire, des perles d'Ali Kosh (Iran) remontent au Vile et trois aiguilles du même métal gisaient ART DU FEU dans un niveau de la fin du Ville à Cayonu Tepesi (Turquie). Ces objets ne témoi­ gnent en rien d'une métallurgie, car ils furent façonnés par martelage de cuivre natif (trouvé tel quel). Or ce travail ne se distingue guère de celui de la pierre qui consiste en percussions et polissage. Les premiers artisans traitèrent le cuivre natif comme une pierre un peu particulière qui, au lieu de se casser sous le percuteur, s'aplatissait, se déformait, se pliait. Les tailleurs de silex pratiquaient souvent l'étonnement, c'est-à-dire qu'ils chauffaient la pierre pour faciliter son Cette hache de cuivre hongroise est le plus éclatement et sa taille; aussi suppose­ ancien objet de métal européen. t-on qu'en chauffant pareillement du cui­ vre natif les artisans s'aperçurent qu'il Selon la légende, la réduction du fil de métal rouge : le cuivre! devenait malléable et qu'un jour l'exposi­ minerai se/ait née de la coquette­ L 'histoire manque non pas de tion à une chaleur très forte leur révéla la rie d'une Egyptienne: par inadver­ poésie... mais de véracité. La cha­ fusion de ce métal. tance, elle laissa tomber dans le leur d'un foyer domestique ne suf­ Mais, là non plus, il ne s'agit pas feu le bâtonnet enduit de poudre fit pas réduire le minerai et l'on encore de vraie métallurgie, car celle-ci à consiste à tirer le métal du minerai. Or, si de malachite (minéral riche en cui­ ne sait en quel lieu exact apparut la découverte de la fusion du cuivre natif vre) avec lequel elle se fardait les la métallurgie, dont on peut seu­ avant celle de la réduction du minerai yeux. Le lendemain, dans la cen­ lement présumer qu'elle naquit semble logique, il en va autrement quand dre du foyer, elle découvrit son dans plusieurs cultures du Proche­ on sait que le cuivre fond à 1 OB3 oC tandis bâtonnet transformé en un beau Orient au début du IVe millénaire. que 700 à BOOac suffisent pour réduire le minerai. En raison de ses vertus colo­ rant'es, la présence de minerai de cuivre dans un four de potier a pu révéler la propriété de ce matériau qui, chauffé, Objets du complexe campaniforme. donnait du cuivre... et il n'est pas impen­ La transmission des objets de métal et des sable que la pratique de la réduction ait techniques en Europe semble attachée aux précédé celle de la fusion. déplacements des porteurs du gobelet cam­ paniforme (en forme de cloche). Venus du sud CONDITIONS D'APPARITION pointe bouton d'os de l'Espagne, où la métallurgie était pratiquée de flèche à perforation à Los Millares, ils s'étendirent en quelques La métallurgie apparut, comme l'agricul­ siècles à toute la zone méditerranéenne, en Europe centrale, en Angleterre et en Scandi­ ture, dans les régions favorables à sa navie. pratique là où les techniques de la Il s'agissait sans doute de colporteurs et céramique avaient entraîné la maîtrise de d'artisans ambulants qui fréquentaient les températures de plus en plus élevées et là carrefours du commerce des pierres à polir, où existait le minerai. de l'ambre et des objets de métal. Ils s'assi­ Les premières réalisations suscitèrent milaient aux populations locales dont on les des recherches car, dès le Ille millénaire, distingue cependant en raison de leur brachy­ d'autres métaux furent connus et les arti­ bracelet d'archer céphalie. Ils maniaient abondamment l'arc, sans apprirent à les allier. Ainsi, l'étain ainsi qu'en témoignent les bracelets d'archer ajouté au cuivre donna un métal plus dur, (plaquette de schiste) qu'ils mettaient pour protéger le poignet du retour de la corde. le bronze, que maints groupes d'Europe Avec le peuple des haches de combat (encore et d'Asie reçurent «tout trouvé" sans appelé cordé, car il décorait ses poteries en passer par le stade de recherches qui appuyant des cordes dans la pâte fraiche), permit son élaboration au Proche-Orient. poignard les campaniformes contribuèrent à la forma­ en cuivre tion d'une nouvelle culture : celle des gobe· LA TECHNIQUE SE RÉPAND lets en entonnoir. vase campaniforme La diffusion de la métallurgie se fit vers l'ouest et le nord par la mer Égée, l'Adria-

    134 tique et les Balkans, et vers l'est par la Russie et par la vallée de l'Indus où s'épanouit, vers - 2500, une civilisation qui usait du plomb, de l'argent. de l'or, du cuivre et du bronze. Toutefois, des objets de cuivre trouvés en Hongrie, Yougoslavie et Roumanie, et datés du V· millénaire, suggèrent la possibilité d'une invention indépendante dans ces régions riches en minerais. En Europe occidentale, que le cuivre atteignit vers - 2300 (France méditerra­ néenne), des groupes persistèrent dans le néolithique même à côté de ceux qui con­ naissaient déjà le bronze, et nombre d'en­ tre eux passèrent directement de l'âge de la pierre à celui du bronze sans traverser un stade chalcolithique (âge du cuivre).

    Masque en or de la culture mochica Pérou (de 100 à 800 de notre ère). Dans la région du lac Supérieur (États-Unis), des haches et poignards de cuivre étaient utilisés depuis - 2000 (Old Copper Culture). Tardive, et sans doute d'invention locale, la métallurgie en Amérique s'exerça longtemps sur l'or, métal qu'on ne trouve qu'à l'état natif.

    Cenlra de documentatlQn de la préhistoire alpine

    , 1. , 1 '"1 C·· 1 l '.

    1 et 2. Haches de combat (Bretagne et Scan­ dinavie). 3. Poignard en silex; manche en bois et pommeau de hêtre, enroulement en sapin. La concurrence du métal poussa les artisans de la pierre à copier les objets de bronze. Des mines de silex furent creusées, des ateliers furent créés: l'engouement pour tout ce qui rappelait le métal fit les beaux jours de l'ate­ lier du Grand-Pressigny (Indre-et-Loire) dont les lames de silex blond - couleur rappelant le cuivre - sont retrouvées jusque dans les zones lacustres de Suisse.

    135 QUELQUES INNOVATIONS••• 1. La palynologie a démontré la culture 2. Exécutées dans un point complexe vin. La culture de l'olivier fournissait de du lin et du chanvre dans divers sites; les pour orner l'encolure et le bord des man­ l'huile par pression des fruits à froid. Le fusaïoles - petits cônes de terre cuite ou ches du vêtement féminin présenté ci­ pommier semble avoir été cultivé très tôt de pierre, percés au centre et dont le avant, ces broderies témoignent de l'habi­ en Europe occidentale. poids entraîne la rotation du fuseau pen­ leté des femmes de ce temps. dant le filage - constituent les principa­ 5. Dans les régions du Proche-Orient cer­ les preuves de fabrication de textiles pen­ 3. La teinture des tissus s'effectuait par nées par le désert, on construisit des dant le néolithique, ainsi que les pelotes solution dans l'eau ou dans l'huile de diguettes en terre, des canaux d'irrigation de fil retrouvées dans divers sites lacus­ minéraux, jus de plantes, de fruits, et de en bois et sans doute creusa-t-on alors tres. Les premiers métiers à tisser n'étaient coquilles de murex. C'est certainement les premiers chadoufs (puits à balancier) guère que des cadres et ne comprenaient pour faciliter la teinture de la laine que tels qu'on peut encore en voi r. aucun mécanisme pour changer le plan l'homme sélectionna les moutons blancs. des fils de trame. 6. Apparue au Ille millénaire en Assyrie et Ces vêtements masculins et féminins de 4. Les ménagères du néolithique décou­ en Iran et repérée en Inde dès - 2500, la l'âge du bronze danois, trouvés dans des vri rent les effets de la fermentation tournette du potier, actionnée à la main, sépultures datées de - 1200, sont les plus avec un bouillon de céréales aigri, divers ne fut connue en Égypte qu'à la fin du anciens qui nous soient parvenus (car les mélanges et filtrages, elles produisirent le' millénaire. linges des momies égyptiennes étaient de la bière. D'essai en essai, elles surent des textiles non coupés). L'écorce frap­ utiliser la fermentation pour faire lever le 7. Des écrits égyptiens et sumériens prou­ pée et affinée par grattage était aussi pain. La culture de la vigne dans quelques vent que la charrue existait en - 3000. On utilisée dans la confection des vêtements. régions prouve que l'on savait faire du la repère en Chine vers - 1500. La traction

    136 6 7 8

    ••• DE CE TEMPS-LA animale apparut presque en même temps. des chars entraîna l'ouverture de pistes et n'en reste pas moins visible qu'à partir L'âne fut certainement le premier animal la formation de villages à leurs carrefours, de l'âge du bronze la plupart des groupes attelé pour tirer un traîneau, puis l'inter­ il accéléra les échanges et les migrations protégèrent leurs installations ou se fixè­ vention du joug permit d'atteler les bœufs à travers les terres. Les chars devinrent rent sur des éperons pour se mettre à par paire. un redoutable avantage dans les guerres. l'abri des envahisseurs. Cela montre que Mais sur de longues distances, le ba­ la guerre fut aussi, hélas! une innovation teau fut longtemps le principal moyen de 9. On n'a pas de preuve de la domesti­ de ce temps. Jusqu'alors la violence trou­ transport. La navigation s'enrichit d'abord cation du chameau avant le le' millénaire, vait à s'extérioriser dans la chasse et, s'il de la voile carrée de cuir au cours du IVe bien qu'un tombeau égyptien datant du arrivait qu'un homme en tuât un autre, millénaire, puis de la roue à palettes quel­ Ille ait livré un squelette de cet animal. cela restait une affaire entre particu­ ques siècles avant notre ère. Certains navi­ Quant au cheval, il fut longtemps élevé liers. La croissance démographique due à res avançaient à la rame et, au long des pour sa viande avant d'être monté ou l'agriculture suscita le besoin de terres fleuves, ils étaient parfois halés depuis les attelé. Animal de steppe, Je cheval fut nouvelles et la métallurgie entraîna la rives. C'est souvent par les bateaux que domestiqué en Asie centrale. nécessité de se procurer des minerais. Il se propagèrent les techniques nouvelles. fallait arriver les premiers sur les terrains 10-11. Vue aérienne d'un site fortifié de intéressants... ou en déloger les autres! 8. Ce modèle réduit de char en terre Windmill Hill. On ne doit certes pas consi­ Attaquer et détruire ses semblables devin­ cuite (culture des peuples de la hache de dérer toutes les enceintes circulaires amé­ rent alors des moyens normaux de se combat) révèle que, dès - 2500, la roue nagées autour des villages comme des procurer l'espace vital et la subsistance. raccourcissait les distances et autorisait constructions défensives, certaines étant Cette tâche prit tant d'importance qu'on le transport de lourdes charges. L'emploi nettement destinées à parquer le bétail. Il la confia à des spécialistes: les militaires.

    137 SECURITE ET DEPENDANCE

    Les premIeres sociétés néo­ LES PRÊTRES lithiques vivaient certainement Alors qu'au paléolithique il n'y avait guère en autarcie, c'est-à-dire qu'elles à attendre pour connaître sa chance à produisaient elles-mêmes, de la la chasse, les néolithiques, au contraire, matière première au produit fini, attendaient des mois le résultat de leur tous les biens dont elles usaient: travail, source de bien-être ou de misère nourriture, outils, tissus, pote­ pour toute l'année suivante. Dès lors, les pratiques magiques intervinrent pour ries. Les tra vaux s'effectuaient à apaiser l'inquiétude: des gens" connais­ l'échelle familiale au fur et à sant l'avenir" échangeaient leurs prédic­ mesure des besoins et, si l'on ne tions contre des biens; ils enseignaient le manquait de rien, il n'existait pas moyen de se concilier les dieux par des d'excédent non plus. cultes, des offrandes et des sacrifices. Leurs pratiques entrèrent aussi dans les choses dont un groupe ne pouvait se LES SURPLUS passer... Ces spécialistes devinrent des prêtres, Toutefois, à force d'expériences et d'in­ dispensés de travaux agricoles, chargés novations techniques (irrigation, fumure, d'appeler la bénédiction des dieux et sur­ charrue), l'agriculture progressa suffisam­ tout de veiller à l'observance des rites. ment, aussi nombre de groupes dispo­ Quand les calamités pleuvaient, ils dénon­ sèrent bientôt de surplus de grain et de çaient l'impiété des populations, exi­ bétail. Dès lors, non seulement ils les geaient des offrandes toujours plus abon­ "Vénus dans la forge de Vulcain ", par les échangèrent contre des biens d'origine dantes ou bien ils déclaraient que tous les frères Le Nain. étrangère (coquillages pour parures, obsi­ malheurs tenaient à la présence, dans le Peut-être parce qu'ifs pouvaient se détacher dienne, ambre, outils, minerais), mais voisinage, de groupes étrangers à leurs aisément de leur groupe d'origine pour propo­ encore ils purent assurer la subsistance dieux il convenait donc d'attaquer ces ser leurs services aiffeurs, les artisans furent de gens qui ne travaillaient pas direc­ voisins. En conséquence, les paysans utifisés sans être intégrés dans la société pay­ tement la production d'aliments : les devaient travailler davantage pour nourrir sanne productrice du surplus qui les nourris­ à sait, ni dans celles des puissants qu'ifs artisans, les militaires et les prêtres. les fabricants d'armes et les militaires. armaient. Ce phénomène intervint progressive­ Inventeurs, acteurs principaux du progrès ment dans un cercle d'interdépendance: PAUVRES PAYSANS technique, maitres d'arts capitaux sans les­ l'abondance dépendait des moyens tech­ quels if ne saurait y avoir ni civifisation, ni niques, lesquels augmentaient en quan­ Assujettis aux militaires par la crainte armes, ni chefs, les artisans eurent pourtant, tité et en qualité avec le temps donné aux des razzias, assujettis aux prêtres par la dès le départ, une place sociale dérisoire. artisans pour les créer, les artisans, à leur crainte des représailles divines, les agri­ Dans la mythologie classique, Vulcain, dieu tour, ne pouvant échanger produits et culteurs comme les artisans perdirent leur du Feu, est un être boiteux et bafoué qui vit sous terre. Pourtant, c'est lui qui forge la services qu'avec des sociétés disposant liberté d'antan. Ceux qu'ils entretenaient foudre dont s'arme le splendide et tout-puis­ de surplus. devinrent dominateurs, puis oppresseurs sant Jupiter. et principaux bénéficiaires du bien-être Ainsi que le remarque le professeur André LES PREMIERS MILITAIRES qu'apportait le progrès. Bien souvent prê­ Leroi-Gourhan, ce mythe montre combien, dès tre et guerrier se confondirent en une le début, l'artisan fut un "démiurge asservi", D'autre part, l'existence de surplus ali­ même personne: le roi, dont le pouvoir situation qui reste encore celle du tech­ mentaires auxquels s'ajoutaient les res­ procédait des dieux, ou qui était un dieu nicien, du travaiffeur manuel, injustement sources échangeables de l'environnement lui-même (comme le pharaon). moins rémunérés, moins honorés que tous les (bois dur pour construction navale, mine­ Ainsi, du besoin de se protéger contre autres. rais, pierres rares), excitait la convoitise ses semblables naquirent ce que la socio­ d'autres groupes et attirait les pillages. Il logie moderne appelle les" classes socia­ fallait donc surveiller et protéger les biens. les» et, puisque les guerres tenaient elles­ Les gens préposés à la défense d'une mêmes à l'explosion démographique pro­ société étaient déchargés de toute autre voquée par l'agriculture, on peut penser tâche et les surplus servaient donc encore que l'inégalité entre les hommes fut la à leur entretien. lourde rançon du progrès.

    138 Haut fourneau africain actuel. On prête au forgeron africain en maintes ~ ethnies des pouvoirs magiques tels qu'on le fait présider à la naissance et à la mort : il est alors à la fois accoucheur et croque-mort, et parfois il opère les circoncisions et les sca­ rifications. On le redoute donc, mais, comme contrepoids à son importance, on le méprise volontiers: il est" casté ", c'est-à-dire qu'il ne peut épouser que des filles ou des sœurs de forgerons, lesquelles ne sont acceptées nulle part ailleurs. Sa femme est souvent potière, ce qui concentre et isole les maîtres du feu dans la caste. Actuellement encore, nombre de ieunes Afri­ cains christianisés considèrent comme impen­ sable d'épouser une fille de forgeron. Chez les Kapsiki du Nord-Cameroun, le prétexte en est que « les forgerons mangent la viande des morts" (en fait, ils mangent la viande qu'on leur offre pour payer leurs services de croque­ mort) et, par extension sans doute, on pré­ tend qu'ils « 17Jangent des saletés" telles que lézards, cafards, chiens, serpents, ce qui est généralement faux. Ailleurs, ils sont souvent accusés de ne pas se nourrir comme tout le monde. Peut-être cela vient-il du fait que potiers et forgerons furent les premiers, dans les sociétés néolithiques, à tenir leur nourri­ ture d'autrui sans la produire eux-mêmes?

    139 NAISSANCE DE LA CIVILISATION

    Puisqu'il détenait son pouvoir des dieux, le chef ou le roi possédait les terres du groupe. Il prélevait des impôts sous forme de bétail, de grain et d'objets manufac­ turés. Le butin des razzias qu'il menait, les territoires conquis, les esclaves cap­ turés lui revenaient. Les surplus con­ vergeaient donc vers sa demeure. Il les employait à des travaux utiles à tous: construction de canaux, de greniers, importations indispensables à la région. Il entretenait et armait les militaires, protec­ teurs du groupe, garants de l'extension territoriale et soutiens de son pouvoi r. Il distribuait terres et esclaves aux plus valeureux, mais aussi aux devins talen­ tueux, aux prêtres. Il investissait aussi des richesses dans l'édification d'un temple, d'un palais ou d'un tombeau royal; l'édi­ fice se devait d'être richement orné et empli d'objets précieux.

    DE NOUVEAUX MÉTIERS

    Cela entraîna la création de nouvelles spécialités: aux potiers et aux métallur­ gistes s'ajoutèrent les tailleurs de pierre, les maçons, les charpentiers, les sculp­ teurs et peintres, les joailliers, les tisse­ rands, les brodeuses et les transporteurs.

    La cité de Mohenjo-Daro, établie dans la vallée de l'Indus, comprenait, à l'ouest, un vaste quadrilatère enfermant les greniers, le palais et les édifices luxueux. Un réseau de canalisations apportait l'eau à l'aggloméra­ tion. Cette ville s'étendait sur 2,5 km2• Plus au nord, la cité d'Harappa avait un périmètre de 4 km. On ya retrouvé l'empla­ cement de diverses boutiques, un grenier de 45 m sur 17 et la marque d'une hiérarchie sociale opposant de vastes habitations de deux étages, bâties en brique et comprenant des salles de bains, à des maisons de boue séchée de deux pièces sur cour!

    ... Fouilles d'Our (Mésopotamie). Sur cet emplacement, un village, puis une cité furent reconstruits de multiples fois depuis la fin du VI· millénaire jusque durant la période historique. Dans sa phase d'extension maxi­ male, la ville d'Our couvrait 60 ha et abritait environ 24000 habitants. La plaine alluviale de l'Euphrate, pauvre en bois et en pierre, était en revanche très fertile. Aussi les sur­ plus agricoles permirent d'y importer les pro­ duits qui manquaient à la cité. Exactement comme il est dit dans la Bible (à propos de la tour de Babel) -" ... et l'argile leur tint lieu de pierre" -, maisons et temples successifs furent bâtis en brique crue.

    140 Des caravaniers, des charretiers et des d'après l'organisation de son espace et à terre, l'homme entre, même s'il compte navigateurs importaient et exportaient des vivre selon cette interprétation. parmi les puissants, dans un cercle d'in­ objets finis ou des matières premières. Le terdépendance, chacun ayant désormais commerce exigeait encore des gens pour LE MONDE SÉDENTAIRE à agir ou à produire pour autrui. Certes, construire et réparer bateaux et chars, et les parts sont loin d'être égales... mais, d'autres pour assurer leur chargement. Comme l'a montré le professeur A. Leroi­ dans cette société organisée, dans cet Enfin, pour nourrir tout ce monde, vinrent Gourhan, le paléolithique percevait le espace humanisé, des hommes peuvent des marchands chargés de produits des monde à travers son itinéraire de chas­ se consacrer entièrement à d'autres acti­ champs, des boulangers, des bouchers, seur, l'organisation des figures peintes vités que la quête directe de nourriture. des poissonniers et des porteurs d'eau. dans sa caverne reflétait un trajet, et l'on Du temps ainsi libéré naquirent les Tous s'établissaient autour du temple, note que les mythes des chasseurs-cueil­ recherches, les découvertes, les inven­ auprès de la demeure des puissants d'où leurs actuels comprennent surtout des tions... Le progrès émane donc d'une provenaient les commandes. récits de cheminements. À l'opposé, l'uni­ inégalité première, qu'il ne saurait cepen­ vers du sédentaire est concentrique et dant justifier plus longtemps... LA CITÉ stable: au centre des champs, le village s'établit autour du centre constitué par le Occupée depuis le VIe millénaire, l'importante Ainsi, la sédentarisation autour du stock grenier. À son tour, la cité devient le bourgade de Çatal-Hüyük comme celle de alimentaire ou du temple, qui fit naître centre des villages et elle se construit Jéricho, en Palestine, témoigne de la précoce les premiers villages permanents, s'accen­ elle-même autour d'un centre: le temple, tendance des sédentaires à se regrouper tua quand les surplus d'une vaste région le palais. De même, la société civilisée autour d'un centre qui, ici, fut un sanctuaire. furent concentrés en un même lieu et s'ordonna autour du pouvoir et du capital Ce lieu de culte était un local de mêmes détenus par un petit nombre de person­ dont les symboles (palais et temple) domi­ dimensions que les habitats, mais décoré de nes. Roi, militaires, prêtres, marchands et naient la ville comme leurs détenteurs fresques et de modelages muraux. On circu­ artisans, serviteurs et esclaves - chacun dominaient la société. lait d'une maison à l'autre par les toits­ terrasses, la plupart des habitations n'ayant logeant dans une maison conforme à son pas d'ouverture sur le rez-de-chaussée. Dans rang - vivaient dans une vaste agglo­ INTERDÉPENDANCE cette agglomération, dont l'économie était mération parfaitement organisée, approvi­ encore essentiellement agricole, on ne repère sionnée, enfermée dans des murs défen­ Au lieu de dépendre des hasards de la guère de différence sociale entre les habi­ sifs, en général située au cœur d'un chasse ou de son activité sur son lopin de tants. ensemble de villages pourvoyeurs de den­ rées alimentaires. Cette agglomération, qui n'abritait plus que des gens détachés des travaux agricoles, constituait une cité. Progressivement instaurée entre le Ive et le III" millénaire, cette formule territo­ riale est venue comme un effet de la métallurgie et de la division du travail qui en découla. Avec elle, l'homme quittait l'état barbare pour la civilisation.

    UN PHÉNOMÈNE UNIVERSEL

    Sous prétexte que la civilisation se fonda sur l'inégalité et la renforça, il est aisé, il est de bon ton à notre époque de regret­ ter l'état antérieur, d'autant plus aisé que nous ne l'avons pas vécu. Toutefois, au contraire des systèmes égalitaires que l'homme a élaborés depuis - dont cer­ tains se sont imposés sur de vastes régions du monde avec leurs théoriciens, leurs milices et leurs martyrs -, la divi­ sion en larges échelons sociaux qui fonda la civilisation eut du moins l'excuse de se créer de manière empirique. Comme on retrouve le même pro­ cessus de la Mésopotamie à l'Indus, de la Gréce à la Chine, et plus tard en Afrique comme en Amérique, dès qu'une société agricole passe au stade de la métallurgie et de la cité, on peut supposer que ce processus découla naturellement de la vision du monde propre au sédentaire, l'homme tendant à interpréter l'univers

    141 PROLONGEMENT DELA MEMOIRE

    En Mésopotamie, dans le pays de DES AIDE-MÉMOIRE au cours du IVe millénaire, un instrument Sumer, le roi-prêtre, maÎtre des prolongeant la mémoire humaine: l'écri­ biens du temple. ne pouvait ni les Mais la liste du trésor était longue et chan­ ture. geait au fur et à mesure des besoins de Apparue à la suite de l'urbanisation, utiliser ni les distribuer sans savoir la cité, des importations et des récoltes. l'écriture semble la conséquence directe "où il en était ». Par exemple. rien Comme une mémoire d'homme ne peut de la civilisation. Elle intervint de même que pour le grain, il devait con­ tout retenir, les administrateurs prirent vers - 3000 en Égypte, puis dans la vallée naÎtre le contenu des greniers des l'habitude de tracer sur des tablettes d'ar­ de l'Indus en - 2500 et enfin en Chine dieux, ce qui restait après cha­ gile des dessins aide-mémoire. aux alentours de - 1000. Bien sûr, ces dessins devaient avoir le que prélèvement. ce qu'on pouvait même sens pour tous les serviteurs du DES IMAGES À DOUBLE SENS attendre des récoltes, la quantité temple, et leu r signification devait rester de grain nécessaire aux semailles, claire pour leurs successeurs. C'est pour­ On prétend souvent qu'au départ tous les celle qu'on distrairait pour fabri­ quoi ils convinrent ensemble des repré­ systèmes de notation furent entièrement quer de la bière, nourrir l'armée sentations et de leur sens. Par exemple, pictographiques, c'est-à-dire fondés sur ils décidèrent qu'un dessin de jarre repré­ la représentation directe des objets à ou entretenir des artisans. En con­ senterait un volume défini et que son con­ nommer. C'est assez vrai pour les plus séquence, il chargeait d'autres tenu serait précisé par quelques signes: antiques listes comptables sumériennes, prêtres de veiller sur tous les deux traits sur la jarre signifièrent que le mais comme nombre d'objets dessinés biens du dieu auquel était dédiée volume considéré concernait de l'orge, la cité. trois traits qu'il s'agissait de bière. Évaluation des récoltes. Peinture murale du C'est ainsi que les Sumériens créèrent tombeau de Ménéma (Thèbes). T

    142 dans les listes entraient aussi dans les précises qu'exigeait la construction d'un ne fut plus possible de rétribuer les gens scènes mythiques représentées sur les temple. On donna donc à la coudée une en leur donnant des mesures d'orge, mon­ murs des temples, sur les vases, sur les longueur stable et l'on arrêta qu'elle vau­ naie courante jusque vers - 2500. On se cylindres, leur image prit donc rapidement drait 5 doigts. Les poids furent aussi mit de plus en plus à payer en métal, un double sens: par exemple, une coupe divisés selon un principe simple et leur surtout en cuivre et en argent. Au début, pouvait déjà signifier offrande au dieu. utilisation implique donc l'existence de la les pièces ne portaient pas de marque et balance. ne représentaient que la valeu r du métal UN ABOUTISSEMENT Le temps aussi entra dans les compta­ au poids. On voit ainsi qu'en plus des bilités humaines : les Sumériens divi­ techniques tout était en place aux alen­ On remarque que l'écriture servit très vite sèrent le jour et la nuit en deux fois douze tours de - 3000 - écriture, mathé­ à exprimer des concepts abstraits. C'est heures, mais leur année, fondée sur les matiques, mesure du temps et écono­ qu'en fait elle répondait au profond besoin phases de la Lune, était trop courte. Les mie monétaire - pour mener l'aventure de l'homme de fixer non pas tant le nom Égyptiens créèrent, vers - 3000, le pre­ humaine, par un progrès de plus en plus des choses que leurs propriétés, leur sens mier calendrier solaire comprenant une multiple et rapide, au point où elle en est et leur place dans l'univers. L'écriture année de 365 jours (encore trop courte de aujourd'hui. n'est pas arrivée «dans le vide" comme six heures), les jours étant eux-mêmes une invention géniale et subite. Elle vint divisés en un nombre d'heures variable comme l'aboutissement de toutes les ten­ selon les saisons. tatives humaines pour conserver et exté­ rioriser la pensée à l'aide de symboles : LA MONNAIE Cette inscription sumérienne (2400 av. J.-C.), mots ou images. Les dessins et signes des provenant des fouilles du site de Tello, en Sumériens ordonnèrent seulement l'ex­ Enfin, l'urbanisation entraînait tant de Mésopotamie, mentionne un contrat d'achat pression graphique qui existait déjà, mais commerce et d'échanges de services qu'il d'esclave. Écriture cunéiforme. très librement composée dans l'art, en lui ... imposant de suivre le même déroulement linéaire que la parole.

    NOUVELLE INÉGALITÉ

    Dès lors, l'écriture prit le relais de l'art pour immortaliser la pensée humaine, raconter l'histoire des peuples et fixer les connaissances. Sans l'écriture, le monde ne serait pas ce qu'il est. Mais elle fut aussi à l'origine d'une nouvelle division de la société: écrire le nom d'une chose revenait à affirmer un pouvoir sur elle. Aussi les scribes et les puissants qui les employaient semblaient-ils détenir tout le savoir humain, et l'écriture, affaire de spécialistes placés près des dieux, entou­ rée d'une aura de prestige, de mystère et de crainte, contribua encore à séparer les «penseurs" des techniciens; avec elle se créa l'inégalité, encore si sensible aujourd'hui, entre travail manuel et travail intellectuel.

    LES CHIFFRES, LES MESURES ET LES TEMPS

    Les Sumériens convinrent aussi d'indi­ quer par des demi-cercles orientés de différentes façons les chiffres de 1 à 9, un cercle entier représentant 10, deux cercles valant 20. Un grand demi-cercle valait 60 s'il s'agissait de bière, mais se lisait 100 s'il était question de grain. Très vite on sut calculer surfaces et volumes, mais TI fut estimé à 3 chez les Sumériens et à (16/9)2 chez les Égyptiens. Par ailleurs, le doigt et la coudée, varia­ bles selon les individus, créaient des con­ fusions incompatibles avec les mesures

    143 Mythogrammes Évolution des pictogrammes ~ 9 j ~ .r- A l'œil: archaïque vers - 3000 - 2500

    B -,.,.,011- .-.J fT+~~---~ :tp:=-1~1r··"'--~+\\I-\\ ~ "'1" ~~ a~ ....."---' )-I! "1 1 1 1...:::::= _ '-=-' \--J ,•• _ .. _ ,.x,

    a b

    c

    A. Sumer. B. Égypte: a. hiéroglyphique; b. hiératique; C actuel archaïque c. démotique. C. Chine. À l'usage, les dessins se sont réduits à des Â., jen . l'homme (de profil) n1 1 schémas à peine reconnaissables, puis à des signes. Les Sumériens parvinrent rapidement li : l'homme (debout) ~ à ce stade, car ils utilisaient, pour tracer .:Z li les dessins dans l'argile crue, un bâtonnet de roseau taillé en biseau qui laissait des a;, yu: la pluie f.fu~~ empreintes en forme de clou (d'où l'appella­ tion cunéiforme, de cuneus, clou). ~ cheoiJ . la main i 1 1 Hiéroglyphes au pied d'un colosse représen­ tant Ramsès /1, à Louxor, en Haute-Égypte. T c Homo sapiens s'est très tôt exprimé par l'image, sculptée ou graphique. Nous avons vu qu'au paléolithique (a) les figures des parois symbolisaient autre chose que les animaux représentés et que des signes abs­ traits, dérivés de dessins réalistes, préci­ saient leur appartenance au monde féminin ou masculin. Tous les peuples sans écriture emploient ainsi des mythogrammes où les figures ne sont pas disposées en ligne, l'ensemble seul ayant une signification. Ainsi ce poids utilisé autrefois en Côte-d'Ivoire pour peser la pou­ dre d'or (b) signifie « Oiseaux de même plu­ mage s'assemblent ». Le mythogramme relevé sur un vase de Nazca (Pérou) (c) se rapporte à un serpent mythique rempli de poissons. Ce mythogramme est clair pour tous ceux qui partagent une explication du monde où entre le mythe de ce serpent, car, bien qu'il ne corresponde donc pas à des mots précis, il se rattache à un fond culturel; aussi, lorsque ce dernier disparaît, la signification de l'image se perd irrémédiablement. En revanche, il contient à lui seul toute une histoire (telle la croix qui évoque pour tout chrétien la Passion du Christ). Aujourd'hui, le mythogramme reste très employé dans l'art, dans la publicité et sur­ tout dans le dessin humoristique ou polé­ .....------0.. mique.

    Charles Lénars 144 Idéogrammes Glyphes aztèques

    l'eau

    l'œil

    l'eau+l'œil :Iarme Tlacochtectli 2 Tlacatectli 3 Tecuhtepec : pleurer 4 Teccalco : se plaindre : gémir : se lamenter

    : la femme (assise en position traditionnelle) ~ 6 Teccozcatlan 00 5 Tecmilco : le toit

    1 : la paix (femme i assise sous un toit)

    8 Tezcacoacalco 7 Tlacochcalcatl = Glyphes aztèques. La difficulté de l'écriture t' (rat) = rateau idéographique tient à ce qu'elle est un guide d' (rat) = radeau 1. Idéogramme sumérien: larme; pour la parole et non pas sa traduction exacte, d' (rat) = rat d'eau 2. Idéogramme chinois: paix. ce qui oblige constamment à créer de nou­ le même caractère" rat" étant phonogramme Les pictogrammes représentent directement veaux signes et de nouveaux assemblages dans les deux premiers cas et pictogramme les objets à nommer. Ils ne peuvent donc pour obtenir plus de précision. Par exemple, dans le troisième, le signe t' prenant une désigner que des choses concrètes, visibles; il existe une différence entre "pleurer" et valeur phonétique dans le premier cas, le c'est pourquoi on ne les trouve guère que "se lamenter", que l'idéogramme sumérien signe d' possédant, dans le troisième cas, dans des listes de comptes. "larme" ne restitue pas. non seulement une valeur phonétique, mais Pour exprimer des actions, des idées, les Or l'accumulation des signes serait allée à aussi un sens grammatical. Sumériens, les Égyptiens et, plus tard, les l'encontre du rôle de l'écriture, qui est d'allé­ Toutes les écritures anciennes ont trouvé des Chinois étendirent le sens des pictogrammes ger la mémoire en traduisant et en fixant son moyens, parfois très complexes, de se ratta­ pour en faire des idéogrammes. Par exemple, contenu dans des symboles utilisables et cher aux sons. Les glyphes aztèques n'ont à Sumer, le dessin puis le signe du pied signi­ reconnaissables à première vue. Aussi, pour pas échappé à cette évolution. Selon Joaquin fiaient aussi "se tenir debout, aller, venir, limiter la prolifération des symboles, les scri­ Galarza, qui les étudie, le dessin du diadème marcher, apporter n, tous termes qui, bien bes adaptèrent plusétroitement l'écriture à la (a) transcrit la syllabe tec ou tecu (mots de 1 entendu, avaient des prononciations diffé­ parole en créant des systèmes syllabiques: à 6), tandis que le dessin de la maison rentes, bien qu'ils fussent représentés par un au lieu de s'appliquer à l'objet représenté, un traditionnelle (b) transcrit la syllabe cal dans même signe. Un autre procédé consista à dessin ou un signe désignèrent des sons, en les mots 4, 7 et 8. grouper deux dessins pour créer un idéo­ général la première syllabe du nom de l'objet, Il semble qu'à partir du point où des procédés gramme. Par exemple, les Sumériens, en réu­ ou seulement le premier son-consonne. relièrent l'écriture à la parole le passage à nissant le signe de l'œil et celui de l'eau, La difficulté pour les déchiffreurs vient de ce l'alphabet ne demandait qu'un pas... Pourtant, créèrent l'idéogramme larme (a), qui signifiait que, à l'intérieur de ce système fondé sur le il ne fut jamais franchi par les premières encore"pleurer, gémir, se lamenter, se plain­ principe du rébus, on continua d'utiliser des écritures, le chinois restant fondé sur un dre n. Les Chinois, en apposant le signe du pictogrammes et idéogrammes portant tantôt système idéo-phonétique. Le premier alpha­ toit au-dessus du signe de la femme assise, leur valeur propre, tantôt une valeur phoné­ bet apparut vers - 1300 chez les Phéniciens créèrent l'idéogramme paix (b). tique, un peu comme si nous avions : et l'alphabet grec naquit vers - 800.

    LA PRÉHISTOIRE. -.10 145 APPARITION DU FER ET PROTOHISTOIRE

    On considère généralement que Des peuples d'Europe qui incinéraient La sépulture était recouverte d'un tumu­ l'écriture marque l'entrée des peu­ les morts et recueillaient leurs cendres lus, coutume qu'ils tenaient peut-être de ples dans l'histoire, car, à partir de dans des urnes qu'ils enfouissaient sous peuples installés en Russie du Sud, fami­ terre - et pour cela groupés sous le nom liers de ces tombes étayées par des pierres ce point, des documents écrits ­ de civilisation des champs d'urnes ­ ou des charpentes: les peuples des kour­ et non plus seulement des vesti­ possédaient quelques objets de fer. Mais ganes, qui durent eux-mêmes se déplacer ges archéologiques - témoignent c'est seulement avec la culture suivante, sous la pression d'une puissante civilisa­ de leur vie. On appelle protohis­ dite de Hallstatt, que s'ouvrit pour ces tion à l'art remarquable, celle des Scythes. toire la période durant laquelle des régions le premier âge du fer. C'est pen­ Les Celtes avancèrent vers l'ouest où, dant cette période, de - 900 à - 500, que, grâce à la supériorité de leurs grandes peuples ignorant encore l'écriture pour la première fois, un peuple de l'Eu­ épées de fer, ils colonisèrent ce qui devint furent cependant nommés, et rope sans écriture est nettement'défini et la Gaule; ils entrèrent en Espagne et parfois décrits, par ceux qui la nommé dans les écrits des Romains: le même en Grande-Bretagne. Ils eurent des possédaient. La protohistoire de peuple des Celtes. contacts avec les colonies phocéennes l'Europe correspond à l'âge du (Marseille) qui, comme leurs concurrentes LES CELTES grecques et phéniciennes, s'établissaient fer. tout autour de la Méditerranée pour faire Installés su r les routes de diffusion de le commerce de l'étain et du vin que PREMIER USAGE DU FER la technologie du fer, dans des régions l'on transportait alors dans des amphores riches en minerai et en sel (qu'on exploi­ cachetées. Les objets relevés dans les Le fer fut d'abord employé tel qu'on le tait déjà dans des mines), les Celtes de tombes celtes témoignent d'une intense trouvait dans les météorites tombées sur l'Europe centrale enterraient leurs chefs activité commerciale au long des rou­ notre planète; c'est pourquoi on en trouve avec leu rs chars, leurs chevaux, des objets tes dont les carrefours voyaient l'ins­ dans des sites très anciens, dans les pyra­ précieux et parfois avec leurs épouses et tallation d'agglomérations importantes, mides d'Égypte par exemple. Le minerai serviteurs sacrifiés pour la circonstance. comme Lutèce. de fer, très rèpandu, était bon marché; il ne nécessitait aucun alliage et il donnait un produit très dur. En revanche, il exi­ geait un travail complexe puisqu'on ne peut le couler. Après le fer météoritique, on utilisa le fer résiduel provenant de la fonte du cuivre (car le minerai cuprifère contient toujours un peu de fer), mais cela donnait un matériau peu résistant.

    UNE TECHNIQUE NOUVELLE

    Le fer dur s'obtient par réduction du minerai à SOOac (cette opération durant souvent trois jours), puis par martelage du produit de fusion à chaud. La première utilisation notable de fer ainsi produit date de - 1300 et fut le fait des Hittites d'Anatolie. La nouvelle technologie dif­ fusa depuis cette région vers le Proche­ Orient et vers l'Europe. Elle fut introduite en Grèce par les Doriens, vers - 1200, en Italie par les pré-Étrusques, vers -1000.

    Tombe de la Gorge-Meil/et (reconstitution exposée au musée de Saint-Germain-en­ Laye). Dans cette tombe de La Tene, deux guerriers furent inhumés l'un après l'autre, avec leurs chars et de riches offrandes. Auprès de cer­ taines tombes de La Tene, on trouve parlois une fosse contenant le squelette de chiens sacrifiés à la mort de leur maître.

    146 MALHEUR AUX VAINCUS! Vue générale de Biskupin (Pologne). Cette ville, construite au bord d'un lac, date Poursuivant leur expansion, les Celtes de la fin de l'époque des champs d'urnes, qui entrèrent dans la vallée du PÔ durant le vit l'expansion de la technologie du fer depuis le Proche-Orient jusqu'en Europe. deuxième âge du fer, période dite" de La Tène ", qui dura de - 500 à la naissance du Christ. Ils prirent Rome en 387, ville qu'ils ne libérèrent qu'en échange d'une rançon énorme, encore augmentée du poids de l'épée que le chef gaulois Bren­ nus jeta dans la balance où l'on pesait l'or, en s'écriant à l'endroit des Romains: Vae vietis! (Malheur aux vaincus 1). Ils attaquèrent également la Grèce et l'Asie Mineure. Leur art, dès lors influencé par les Scythes, se raffina. Ils fu rent sans doute les inventeurs du tonneau de bois, et d'une nouvelle technique: le cerclage des roues à chaud par une bande de fer (su r­ tout pour les chars de guerre). On note également en Gaule l'utilisation d'une moissonneuse mécanique. Leurs villes et Tableau montrant la parenté des langues villages s'enfermaient dans des remparts indo-européennes. de pierre et de pieux de bois (que les En suivant la transformation des mots d'ori· Romains appelèrent oppida). Aussi leur gine commune, on repère l'établissement au Proche-Orient et en Europe, au cours du siège posa, quelque deux siècles plus tard, III" millénaire, de peuples aux langues paren­ bien des problèmes aux légions de César tes groupés sous l'appellation d'Indo-Euro­ qui, pour les prendre, durent employer le péens. Ils paraissent avoir repoussé, assimilé feu. ou isolé des peuples de langues différentes, Il n'est donc pas étonnant que les tels que les Sémites, les Basques, les Fin­ Romains aient laissé des descriptions de nois, les Étrusques et les Ibères. la vie, des mœurs et des rites celtes, Parmi les peuples clairement attribuables au groupe indo-européen, on reconnaÎt, dès la ~ puisqu'ils eurent affaire à forte partie. De ~ leur c0té, même avant la conquête de seconde moitié du Il" millénaire, les Hittites César (- 58), les Celtes subirent l'in­ d'Anatolie, les Mèdes et les Perses de Méso- 6 potamie, les Scythes de Russie méridionale " fluence de Rome, comme en témoignent, et, plus tard, les Celtes, qui s'avancèrent ~ dès le ne siècle, des pièces d'or frappées d'Allemagne en Gaule, les Italiotes, qui s'éta- '; en Gaule mais portant, en lettres romai­ blirent en Italie, et les Achéens, qui accu- ~ nes, le nom de tribus celtes. paient la Grèce. ü

    français sanskrit grec latin vieil allemand russe moderne anglais moderne

    père pitar pater pater fadar father

    mère matar meter mater muotter mat' mother

    frère bhratar phrater frater bruder brat brother

    sœur svasar soror swislar sestra sisler

    mouton ashiva o(w)is ovis ouwi ov'ets

    joug yugam yeug yugum jok Vigo yoke

    manger asti esti est ist iest eat

    ciel-dieu divas dios deus

    jour-dieu diaus zeus yu (yovis) zies dien' day

    PARENT~ DES LANGUES INDO-EUROPÉENNES

    147 UN CONTINENT CONSERVATEUR

    L'Afrique, cet immense continent dation de Carthage. En conséquence, bien massif et conservateur, a reçu les qu'on ait longtemps pensé que l'Afrique occidentale devait sa connaissance du fer innovations néolithiques du Crois­ à Méroé, il semble plutôt qu'elle la doive sant fertile. Certes, on peut sup­ à l'Afrique du Nord d'où la technologie poser des tentatives autonomes de nouvelle diffusa vers le sud du Sahara, domestication des espèces locales dans le Sahel où quelques populations (tubercules en Afrique tropicale, pratiquaient l'agriculture (civilisations de la houe), et plus loin dans les pays de sorgho dans les savanes), mais le forêts où d'autres groupes continuaient Proche-Orient, déjà bien avancé de chasser ou de nomadiser derrière leurs dans la maÎtrise de la nouvelle troupeaux. économie, déversa très tôt ses Selon les secteurs, le fer ne fut connu er connaissances sur le continent en Afrique tropicale que du Ille au 1 siè­ cle av. J.-C. En Afrique australe, le fer africain. pénétra plus tardivement encore.

    CONTINENT ISOLÉ L'ÉGYPTE, LA NUBIE On ne sait exactement ce qui provoqua un .A L'adoption rapide du nouveau mode de tel retard en Afrique noire, mais on peut L '« Acropole)) de Zimbabwé. Ces structures étonnantes ne sont pas les vie par la Basse-Égypte souligne le fait supposer de multiples raisons: absence seules constructions de pierre de l'Afrique que les mésolithiques du delta étaient de compétition pour la vie dans un milieu australe, mais les plus imposantes. Elles sont déjà prêts à ce progrès. Certains sites, riche en gibier et ne supportant aucune les vestiges du centre religieux d'une commu­ un peu plus au sud (Kom-Ombo) mon­ pression démographique; peut-être diffi­ nauté villageoise établie depuis le IV· siècle trent d'ailleurs que la sédentarisation avait cultés dues aux maladies endémiques; de notre ère et qui connut le fer aux envi­ commencé vers -13000. L'Égypte entra barrière dressée par un désert de plus en rons de l'an mille. Par un curieux phénomène dans le néolithique vrai dès le ve millé­ plus sec et de plus en plus vaste, qui. d'acoustique, que les bâtisseurs surent mettre naire. Au IVe, elle connut un âge du cuivre s'opposa aux mouvements de populations à profit, toutes les paroles prononcées dans avec les civilisations de Badari et de et surtout aux contacts avec les zones ce monument descendent vers le temple elliptique construit bien plus bas dans la Nagada. Les objets luxueux relevés dans plus avancées. Entre - et - 5000 2500, plaine et où elles étaient certainement consi­ certains tombeaux de cette époque déno­ en effet, le Sahara, jadis herbeux et par­ dérées comme la voix des divinités. tent une précoce division en classes socia­ couru de pasteurs nombreux et même les et la concentration des richesses. Puis, peuplé de quelques agriculteurs, com­ très vite, avec la fondation de Memphis, mença à se dessécher et à refouler les l'Égypte entra dans la civilisation et dans populations vers le sud, les détachant l'histoire. Il lui fallut pourtant attendre le ainsi de celles du Nord qui progressaient. Vile siècle av. J.-C. pour connaître un âge du fer, car elle ne quitta l'âge du bronze UN ART DU BONHEUR que 1000 ans après la Mésopotamie. Plus au sud, dans un pays boisé et plus L'Afrique noire connut donc la difficulté sec, la Nubie, apparut alors la civilisation d'être coupée trop tôt des influences du de Méroé, héritière directe de l'Égypte et nord et ne put mener à bien, dans un qui, au 1er siècle de notre ère, devint la milieu défavorable, les expériences agri­ «Birmingham de l'Afrique", c'est-à-dire coles qu'elle a certainement tentées. Elle un puissant centre métallurgique, ainsi nous a cependant légué des milliers d'œu• qu'en témoignent en ce lieu les énormes vres admirables. L'étude de ses sociétés tas de scories, déchets de la fonte du fer. très diverses, qui vont de plusieurs mil- i2 La métallurgie du cuivre a précédé, en lions d'individus (Yoroubas du Nigeria) :;~. Afrique du Nord, celle du bronze et a à quelques centaines (Lélés du Tchad), ; pénétré jusqu'en Mauritanie. Le Maghreb, montre des techniques bien adaptées, al pour sa part, connut un âge du bronze des organisations sociales complexes, des ~ vers - 500, supplanté définitivement par philosophies élevées, des règles morales ~ le fer au Ille siècle av. J.-C., ce métal étant raffinées, et parfois un art du bonheur ~ importé par les Phéniciens depuis la fon- bien oublié dans le reste du monde. ~

    148 1 ~ '~ al.. c a:. Â Terre cuite de Nok (Nigeria). Cette belle sculpture témoigne d'une civili­ sation de l'âge du fer qui s'étendit sur le confluent Niger-Bénoué de 500 av. J.-C. à 400 apr. J.-C. et qui eut une influence sur les civilisations historiques qui fleurirent plus au sud, aux royaumes d'lfé et du Bénin. Peinture rupestre du Sahara. Bien des ~ hypothèses circulent à propos de l'apparte­ nance raciale des personnages peints par des pasteurs d'une phase néolithique saha­ rienne encore imprécisément datée. Était-ce des Peuls? Des Noirs? Ou un mélange de ces types physiques? Bien peu de témoigna­ ges archéologiques permettent de répondre à cette question. Méroé: vue des pyramides du nord de la ville. Née de l'Égypte, cette civilisation du fer fut tardivement connue des archéologues. Pour­ tant, ce qu'on appela aussi" le royaume de Kush" domina un temps l'Égypte et lui donna même sa XXV· dynastie. Elle dura de - 600 à + 300 de notre ère et son importance tint au volume du fer qui y était traité. Le site procu­ rait non seulement le minerai, mais aussi le bois pour les fours de fonte, tous matériaux qui manquaient à l'Égypte. Apprise des mer­ cenaires grecs de Psammétik Il, qui vint ;usqu'à Napata, la technologie du fer fut appli­ quée en grand avant le début de l'ère chré­ tienne et, de là, diffusa vers l'Afrique centrale. LES CITES DU NOUVEAU MONDE

    On imagine trop souvent que la civilisa­ civilisations au centre du Mexique, dont il tion fut apportée par les Eu ropéens en reste des monuments colossaux, comme Amérique et qu'ils ne rencontrèrent, lors à Teotihuacan, et la plus grande pyramide de la conquête, que des sauvages emplu­ du monde à Cholula. Certains de ces més, peinturlurés, hurlant en tourbillon­ peuples sont connus, comme les Zapo­ nant sur leurs chevaux, le tomahawk à la tèques, tandis que nous ignorons le nom main, dans une nature magnifiquement des autres. intacte, les forts construits par les Au cours du IXe siècle, les Toltèques immigrants témoignant seuls de l'œuvre participèrent à la renaissance de l'Empire humaine dans un paysage de «western » ••• maya qui élut pour capitale Chichén Itza Car les films ne nous montrent guère où se trouve le merveilleux temple des [ que les peuples qui, effectivement, persis­ Guerriers. L'Empire maya comme l'Empire _. taient dans les modes de vie ancestraux, aztèque (qui fonda , ville qui comp- ~ ~ comme les Dakotas de la plaine, chas­ tait déjà 500000 habitants), ne purent .8 seurs de bisons, les Kwakiutl du Nord, résister aux Espagnols qui profitèrent des ~ pêcheurs, et les Séminoles de Floride. dissensions entre tous ces royaumes. ~ Ces groupes n'utilisèrent d'ailleurs le che­ Dans les Andes, la civilisation Tiahua­ val qu'après l'avoir vu faire par les Espa­ naco (Bolivie) a laissé des édifices énor­ gnols; cette montu re accrut leu rs possibi­ mes, faits de blocs de pierre de plus de lités de chasse et contribua à améliorer 100 t, fixés parfois avec des crampons de leur vie. En Amérique du Sud vivent tou­ cuivre. Tiahuanaco, qui devait disparaître jours des peuples chasseurs, Guaranis, vers 1200 de notre ère, exerça une grande Arawak, Bororo... influence assez loin de son centre. Diverses riches cultures l'avaient pré­ DE RICHES CIVILISATIONS cédée : la culture de Chavin; la cul­ ture mochica, qui laissa, outre de grands Mais il existait aussi des empires autoch­ monuments, envi ron 100 000 vases dont tones, fondés sur la culture du maïs, et les décors permirent de reconstituer la vie leurs cités, bien que plus tardives qu'en de ces Indiens; et celle de Chimu, qui Mésopotamie, brillèrent d'un éclat aussi érigea la ville de Chanchan (18 km2) aux vif. quartiers délimités, avec jardins, réser­ La plus ancienne trace de civilisation voirs, pyramides et cimetières. semble être la pyramide de Cuicuilco qui, déjà au début de l'ère chrétienne, formait UN GRAND EMPIRE un tumulus de 123 m de diamètre et de 20 m de hauteur. Ensuite la civilisation Mais la plus célèbre civilisation du Nou­ olmèque, à laquelle on doit les têtes colos­ veau Monde est celle des Incas. Apparue sales d'Oaxaca, aujourd'hui enfouies dans au XIIIe siècle, elle créa un puissant empire La pyramide de Kukulcân à Chichén Itzâ la verdure, ainsi que les bas-reliefs de qui, du XVe siècle à l'arrivée des Espa­ correspond à la renaissance de l'Empire maya qui intégra des lors des éléments tolteques et Tres Zapotes, dura environ 1000 ans. gnols, réussit à dominer tout le Pérou et qui, de 987 à 1194 apr. J.-C., domina le L'Empire maya émergea au IVe siècle même à effacer les cultures et les langues Yucatân et le Guatemala. Des rivalités entre de l'histoire, avec ses hiéroglyphes, son précédentes. Pachacutec et Tupac Yupan­ cités conduisirent à l'effondrement et à la calendrier et ses monuments, qui de­ qui, vers 1438, portèrent l'expansion à disparition de la civilisation maya, que préci­ vaient, comme à Palenque ou à Chichén son maximum et organisèrent, depuis leur pita en 1697 la prise par les Espagnols de leur Itza, avoir un but religieux et administra­ capitale Cuzco, la vie de leurs sujets dans derniere forteresse, Tayasal. tif, la ville elle-même, composée d'ha­ ses moindres détails, tous dèpendant de bitations en matériau léger, s'étendant l'Inca suprême. L'absence d'écriture reste sage au-dessus d'une vallée encaissée, la tout autou r. Cette civilisation sans métal surprenante dans ce puissant royaume plus haute des tours semblant surgir du inventa le zéro, inconnu à la même époque qui n'utilisait que le quipu, cordelette rocher et le prolonger. en Europe. Elle périclita au Xe siècle de à nœuds fonctionnant comme un aide­ Le climat sec du Pérou a permis aux notre ère, probablement en raison de la mémoire. vêtements anciens de résister au temps : technique de l'agriculture sur brûlis, qui La célèbre ville de Machu Picchu, cons­ on a donc pu retrouver des tissus brochés, épuisa rapidement les sols. truite sur un escarpement, était entourée peints et brodés de toutes les époques, À peu près à la moitié de l'époque d'innombrables terrasses cultivées. Toute témoins d'un raffinement qui ne dut rien Maya, d'autres peuples fondèrent des cette maçonnerie s'intègre dans le pay- àu contact avec les Européens.

    150 Mur de la forteresse de Sacsahuamân Cuzco (Pérou). Temple de construction mégalithique éton­ nante (imbrication de blocs asymétriques dont certains ont 8 m de hauteur). Ce type de mur était réservé aux soutènements et aux grandes enceintes. Pour les bâtiments, les blocs étaient plus petits. Ces pierres parfois très dures (granite, syénite) furent taillées en 1200 apr. J.-C. au maillet de pierre.

    Peinture polychrome de Bonampak (maya ~ classique). Merveille de vitalité, cette scène décrit l'at­ taque d'une tribu inférieure et la capture des prisonniers.

    151 APRES UN LENT CHEMINEMENT

    Pendant plus minute résumerait le temps que mit le de 3 millions d'années paléolithique pour réaliser son progrès, et la technicité humaine à peine 20 secondes contiendraient le temps écoulé entre la première installa­ a stagné au niveau tion agricole et le premier pas humain sur du chopper. la Lune. L'explosion du progrès, venue Pendant 500000 ans après un lent cheminement biologique l'homme a vécu sur le progrès et technique, correspond à l'acquisition, représenté par le biface puis, en chez Homo sapiens, d'un cerveau au maximum de son poids et comptant les quelque 100000 ans, il a obtenu connexions nerveuses par milliards. ses outils en façonnant les éclats plutôt que la masse de silex. VERS UN SURHOMME ? ..

    L'évolution biologique continue-t-elle ou Le fruste chopper de l'australanthrope notre espèce a-t-elle atteint un stade par­ est le produit d'un cerveau peu déve­ fait? La science-fiction suggère fréq uem­ loppé; le biface de l'archanthrope repré­ ment une augmentation indéfinie du cer­ sente, d'une part, l'acquis de l'austra­ veau humain. Est-ce possible? Pour lanthrope (qui découvrit que la pierre répondre à cette question, il faut repren­ peut trancher) et, d'autre part, l'activité 9 h 18' 40" : chopper des australanthropes (1). dre notre histoire par où elle commença: d'un cerveau accru; les outils plus variés 11 h 58' 40" : pointe leval/ois (2). par les pieds... des paléanthropes correspondent à un La bipédie a libéré la main, la main a cerveau au maximum de son poids, mais 11 h 59' 40" : première installation agricole (3). libéré la mâchoire, la mâchoire a diminué encore obéré par l'incomplète ouverture et libéré ainsi plus de place pour le du cortex. 12 h : premier pas sur la Lune (4). cerveau. Le crâne d'Homo sapiens a un peu changé chez certaines populations L'ACCÉLÉRATION DE L'HISTOIRE au cours des temps postglaciaires: il s'est arrondi au lieu de rester étroit et long Pour satisfaire les mêmes besoins que vers l'arrière, cette modification n'entraέ ses prédécesseurs, en travaillant le même nant aucune augmentation de matière matériau, Homo sapiens a multiplié le cérébrale. nombre et le genre des outils, il a exploité Parmi nos contemporains, on note que au maximum le matériel osseux et inventé la dent de sagesse disparaît, que la le propulseur, première machine à décu­ face s'aplatit légèrement et que le front pler la force humaine. Il a installé des s'avance en surplomb. Ces transforma­ habitats ordonnés, il a traduit en images tions semblent correspondre à de mini­ et symboles sa vision du monde. mes aménagements pour mieux répartir le Le progrès technique a donc étroi­ poids du crâne sur la colonne vertébrale, tement suivi le rythme de l'évolution bio­ autrement dit elles seraient l'ultime étape logique, et chaque étape fut plus brève dans l'acquisition de la bipédie. Dès lors, que la précédente. Cette accélération de toute augmentation du cerveau ne saurait l'histoire n'est rien d'autre que l'accéléra­ provenir que d'un déséquilibre dans notre tion des innovations techniques. structure faciale et dans notre position. Il Ce mouvement s'explique puisque nous faudrait d'abord perdre toutes nos chaque progrès biologique intervenait sur dents et, surtout, il nous faudrait vivre un cerveau cumulant déjà le bénéfice des couchés, car notre charpente n'est pas améliorations précédentes, et que chaque faite pour supporter un crâne plus volumi­ innovation technique devenait la source neux; enfin, nous abandonnerions l'usage d'une multiplicité de nouvelles inventions, de nos mains, et nos pieds, devenus qui elles-mêmes permettaient à un plus inutiles, disparaîtraient... grand nombre d'hommes de vivre. Un être parvenu à ce stade, suppléant à Au mouvement ascensionnel qui con­ 1/ n'existe aucune différence biologique entre l'absence de membres grâce à son super­ duisit l'humanité du chopper à la pointe l'homme de Cro-Magnon, qui affrontait le cerveau, se déplaçant dans les espaces mammouth, et l'homme d'au;ourd'hui, qui levallois, donna une impul­ sidéraux par des moyens que notre frêle Homo sapiens prend le métro, l'auto, l'avion ou s'embarque sion formidable: à l'échelle du quotidien, pour un voyage interplanétaire. Sous le pagne cerveau actuel ne peut concevoir, un tel les temps qui virent la progression du du primitif actuel comme sous la combinaison être serait peut-être un surhomme... Il chopper aux industries néanderthaliennes du cosmonaute se trouve le corps du même aurait en tout cas changé d'espèce et ne représenteraient 2 h 40, tandis qu'une être : Homo sapiens. saurait être nommé Homo sapiens...

    152 CRO-MAGNON DOMESnQUE

    L 'homme moderne ne diffère LE BONHEUR DANS LES CAVERNES? guère de son ancêtre Cro­ Aussi l'on affirme volontiers que l'homme Magnan : comme lui, il reste un ne fut vraiment heureux qu'aux temps prédateur. préhistoriques. Si le bonheur est le résul­ tat d'un équilibre entre l'être et ce qui lui est extérieur, on peut croire que le chas­ seur préhistorique le connut pleinement. Mais son action sur le milieu naturel a Pourtant, nous ne sommes pas convain­ changé dans ses modalités et dans son cus de ce bonheur ancestral, car l'homme, amplitude, car l'homme ne se contente parce qu'il n'est pas un animal ordinaire, plus du strict nécessaire pour vivre. Ce ne put se contenter de cet équilibre natu­ que l'homme faisait autrefois à la nature, rel. Il analysa des phénomènes qui ne se la nature le lui rendait bien: aussi, l'in­ rapportaient pas à sa nourriture, et parmi fluence humaine sur son environnement eux celui qui réside dans la fin inéluctable ne dépassait pas celle du lion, du bison de tout être vivant. Dès lors, le bonheur ne ou du castor. fut plus qu'un état précaire, un état d'ou­ Lorsque la production de surplus libéra bli ... après lequel remontait l'angoisse de les gens des tâches d'acquisition alimen­ l'être qui sait où le temps le mène. Le taire, l'exploitation du milieu s'organisa bonheur de l'homme ne dépendit plus en fonction de besoins de plus en plus seulement de son accord avec la nature, éloignés des nécessités vitales, et cela mais de son aptitude à surmonter le avec des moyens de plus en plus effi­ hasard et à gagner du temps. Devant le caces, sur des étendues de plus en plus temps implacable, l'homme dut se con­ vastes, au point que notre planète ne vaincre de son immortalité et se considé­ compte guère d'endroit qui n'ait été, peu rer comme d'une autre essence que le ou prou, modifié par l'action de l'homme. reste du monde vivant. L'agressivité attachée depuis des millé­ naires à la quête de nourriture continue ILLUSOIRE RETOUR EN ARRIÈRE... de se déverser dans des inventions innom­ brables, mais, hélas, elle intervient aussi Si, rendant la planète aux éléments, dans les rapports d'Homo sapiens avec l'homme retournait aujourd'hui à l'âge son semblable: la guerre, inaugurée avec des cavernes, il n'en resterait pas moins la civilisation, sert encore à régler les habité par la même inquiétude, par le conflits. L'individu est inclus dans des même besoin de rejeter la promesse du systèmes hiérarchiques; souvent,il entre néant. Regretter les temps préhistoriques comme un rouage anonyme dans la revient à bercer des nostalgies inutiles machine sociale. Peu d'hommes produi­ car, si l'on admet qu'Homo sapiens con­ sent des choses directement indispen­ nut de tout temps l'inquiétude métaphy­ sables à la vie (aux États-Unis, l'agricul­ sique, l'inconfort matériel ne contribua ture proprement dite n'emploie que 6 % Bien des sports dangereux sont des manifes­ guère à l'en soulager. de la population). tations par lesquelles l'homme cherche à Ces regrets sont d'ailleurs un luxe que retrouver un pouvoir sur sa vie. se permettent ceux qui ne courent aucun LE PIÈGE Certains prêchent l'arrêt du progrès et le risque de se retrouver sous la hutte ouverte retour en arrière. Mais l'homme voudrait-il à tous vents, ou l'arme primitive à la main tenter l'aventure qu'il ne pourrait s'empêcher Protégé des caprices de la nature, maître de savoir ce qu'il sait. pour conquérir leur dîner. La vie" près d'un milieu modifié à sa convenance, R.-L. Stevenson a placé dans la poche de de la nature,. que nous envions aux l'homme a acquis une insolente sécurité. Robinson Crusoë, échoué sur une ile déserte, primitifs nous serait vite insupportable. Mais, du même coup, il s'est progressi­ un couteau, des clous et un grain de blé, vement glissé dans un piège car, cette c'est-à-dire tout ce qui fonde l'économie de L'harmonie millénaire entre action sécurité, il ne peut la connaître qu'au l'homme depuis qu'il ne chasse plus: agricul­ et pensée individuelles disparait : ture et outils de métal. Mais, même entiè­ sein d'une société organisée en puissante des hommes sont des n cerveaux .. machine, où le mouvement de chacun rement démuni sur son ile, Robinson eût Qui ne savent rien faire de leurs dix s'effectue dans un cadre limité et dans cultivé des graines locales, domestiqué des animaux, tissé des fibres végétales, il eût doigts; d'autres sont des n mains" : des buts définis, et à laquelle l'attachent cherché et fondu du minerai, il eût écrit sur leur pensée n'intervient pas dans non' plus seulement ses besoins fonda­ de l'écorce avec du charbon. Un Robinson de leur action, seul compte leur mou­ mentaux, mais encore des besoins artifi­ notre temps utiliserait la marée pour obtenir vement au rythme de la chaine de ciels et toujours nouveaux, à la fois créés du courant électrique. Nul ne peut retrouver fabrication. et satisfaits par ses techniques. l'état primitif d'ignorance...

    153

    LA FEMME EST L'AVENIR DE L'HOMME

    La soumission dans laquelle la femme fut celles qui offraient une bonne résistance longtemps maintenue fut un trait regret­ à l'effort non pas violent, mais continu. table de l'aventure humaine, et un drame Tandis que le travail des hommes particulièrement aigu quand elle en vint répondait à l'inattendu ou préparait l'ave­ à se projeter dans des symboles : pieds nir proche, celui des femmes assurait la bandés des Chinoises, Négresses à pla­ continuité, chacun complétant et permet­ teaux, visages voilés, mutilations diverses. tant l'exercice de l'autre. Pourtant, en soumettant la femme, l'homme n'a pas agi par décision volonta­ UNE TÂCHE ARDUE riste, mais suivi l'instinct zoologique, le mâle dominant les femelles (et les proté­ Aussi, quand les femmes méprisent les geant) chez tous les primates. La glorifi­ «tâches féminines» parce qu'elles sont cation ancestrale des qualités indispen­ souvent constituées de travaux répétitifs sables à la chasse se perpétua, même en vue de résultats éphémères (cuisine, quand elles devinrent moins nécessaires, lessive) ou incertains et lointains (éduca­ dans des coutumes dont l'instauration fut tion, enseignement, soins infirmiers), elles sans doute aussi imputable aux femmes vont à l'encontre des facultés qui les qu'à leurs compagnons. portèrent à survivre et à se reproduire. Qu'elles travaillent par nécessité ou par FAIBLES... MAIS INTELLIGENTES vocation, les femmes sont certes fondées à vouloir retirer de leur labeur les mêmes Comme rien n'est jamais entièrement avantages que les hommes. Mais il y a négatif dans l'aventure humaine, l'état outrance à prétendre" inférieur» le rôle féminin de dépendance participa à l'affi­ dans lequel, depuis la préhistoire, elles nement de l'analyse fondée sur des per­ furent "cantonnées». Car, si mettre les ceptions infimes: la fameuse intuition enfants au monde ne tient qu'à leur phy­ fémi nine, si souvent contestée, comme si siologie, les élever fut de tout temps une elle s'opposait à l'intelligence. En effet, ce tâche ardue - comportant de hautes que les femmes ne pouvaient savoir ou responsabilités, demandant des initiatives obtenir par le droit ni par la force, elles Jeunes Guinéennes se parant pour la fête. délicates -, et, parmi toutes les entre­ durent l'apprendre ou l'obtenir par leur Quelques femmes d'auiourd'hui se consi­ prises humaines, la plus importante et intelligence, particulièrement par l'obser­ dèrent traitées en "obiets" si l'on attend d'el­ l'une des plus vitales. les qu'elles soient belles à voir, prêchent la vation très fine et l'utilisation" diplomate» négligence, le vêtement «unisexe" et refu­ Prétendre que le rôle maternel et les des réactions humaines. sent tout artifice, toute parure, s'estimant tâches domestiques nuisent inévitable­ ainsi «plus naturelles ». Or elles vont en fait ment à la créativité est exagéré: l'instau­ DES RÔLES COMPLÉMENTAIRES contre la nature, celle-ci voulant que le mâle ration de l'agriculture paraît due aux fem­ ou la femelle - selon les espèces - change mes, de même que les" inventions" de la Il faut souhaiter que les jeunes généra­ de plumage, de robe, de chant ou d'odeur poterie et du tissage, que la découverte et tions saisissent que l'obtention du sta­ pour plaire au partenaire. Maquillage, par­ l'utilisation des effets de la fermentation. tut social, juridique et civique justement fums, parures et toilettes sont la transposi­ Certains modelages de Dolni Vêstonice revendiqué par les femmes, que l'heu­ tion, dans les techniques humaines, de ten­ ont peut-être été effectués par des fem­ dances naturelles. reuse possibilité d'avoir les enfants que mes, ainsi que des peintures dans les l'on veut au moment où on les veut ne maisons néolithiques, et les femmes ont doivent pas entraîner pou r autant la déné­ créé de magnifiques décors de poterie gation de la différence biologique. Car, si La chasse sélectionna, parmi les et tissé dans des étoffes de véritables un cerveau féminin est l'exacte réplique hommes, les plus forts, les plus inventifs œuvres d'art. d'un cerveau masculin et s'ils fonction­ et les plus disposés à la coopération, nent avec autant d'efficacité l'un que l'au­ toutes qualités alors hautement appré­ DES RESPONSABILITÉS MILLÉNAIRES tre, étant rigoureusement égaux dans les ciées par les femmes et qu'il n'y a pas lieu performances, il n'en reste pas moins vrai de présenter aujourd'hui comme autant Si la "libération» de la femme passe que l'être humain ne réside pas tout de défauts, puisqu'elles furent le moteur par le dénigrement et l'abandon des res­ entier dans son intelligence et qu'il doit du progrès humain. ponsabilités qu'elle assuma durant des compter aussi avec son. histoire zoolo­ Parmi les femmes, la nature favorisa les millénaires, c'est plus inquiétant pour gique et culturelle. plus aptes à supporter la lente gestation, l'humanité future que tous les dangers l'allaitement prolongé des enfants et leur habituellement dénoncés, car, le poète ... Soumise ou non, si la ~emme était depuis portage sur de grandes distances, les plus Aragon l'a dit, «la femme est l'avenir de touiours réduite à un rôle inférieur comment capables d'organiser intelligemment leurs l'homme ". Et l'homme élevé, non plus par expliquer qu'elle fut, depuis 30000 ans, si mouvements pour économiser leurs for­ une mère, mais par la machine sociale, souvent présente dans les œuvres d'art ? ces au cours des tâches domestiques, serait d'une autre espèce que Sapiens.

    155 PWDOYER POUR LE TEMPS PRESENT

    Les techniques et institutions créées par même temps qu'on lui reproche de n'avoir l'homme ont des effets qu'il n'avait pas pas encore vaincu le cancer, on l'accuse prévus. Aussi, des dangers le mena­ d'être responsable de la surpopulation. cent: pollution; épuisement des ressour­ Il en va ainsi de toutes les techniques, ces énergétiques et minérales; érosion de toutes les institutions : on en rêve des sols par déboisement; destruction des comme de l'impossible, on les obtient, on réactions des terres par introduction mas­ les utilise et on les critique 1 sive d'engrais; déséquilibre entre espèces végétales ou animales par monoculture LES RÊVEURS ONT LA PAROLE et traitements chimiques; prolifération de bactéries résistant aux remèdes trop C'est cependant dans ce dernier point que employés; délinquance accrue par les réside l'aspect positif de notre temps: en perturbations dues à la vie moderne et à la effet, les prévisions sur notre sort, sou­ surpopulation urbaine; solitude et misère vent catastrophiques, tiennent rarement des handicapés et des vieillards; crois­ compte du fait que toute société (libérale) sance démographique inquiétante; faim sécrète, en même temps que ses abus, dans le monde; disparité entre pays riches ses bienfaits et ses poisons, sa propre et pays pauvres, idéologies menant à des critique, sa propre mise en question. régimes totalitaires. Alors que les machines, que les armes, que la pollution nous envahissaient, des LE BON VIEUX TEMPS consciences se sont levées pour éclai­ rer l'opinion. Les" rêveurs» qui parlaient Pourtant, était-elle meilleure, notre d'énergie solaire trouvent aujourd'hui des société, quand les enfants étaient mariés auditeurs attentifs; les" maniaques" qui par leurs parents? Quand l'aîné d'une ~ prétendaient que détruire un boisement famille avait plus de droits que ses ~ entraîne des conséquences en série, les cadets? Était-elle plus juste quand la U "'''' ''''''iiiiI " alarmistes" qui criaient que tout chan­ religion avait force de loi (Inquisition, Les entreprises de dénonciation publique des gement n'est pas progrès, les" sentimen­ femmes brûlées pour sorcellerie)? Quand injustices, les comités de protection des sites, taux,. qui plaidaient pour un monde plus le siège des villes se faisait en affamant de l'environnement et des espèces mena­ juste, les" lâches" qui prétendaient que leur population, et leur conquête en pas­ cées, les mouvements contre la pollution, toute guerre peut être évitée, tous ont sant tous les habitants au fil de l'épée? contre le danger atomique, contre les abus de soulevé des mouvements dont le rôle, Peut-on vanter le temps où voler un pain la publicité, contre les sournoiseries de la dans la société, sera, à cou rt terme, aussi conduisait au bagne, où les condam­ consommation, contre le gaspillage, contre la indispensable que celui du thermostat qui nés traînaient un boulet au pied, où l'on faim dans le monde, rassemblent surtout des évite l'explosion de la chaudière. jeunes et leur action porte déjà des fruits. enchaînait les fous? Le temps où les Et si, à l'opposé de ceux qui vont, Noirs se vendaient au marché? Était-ce le maudissant notre temps et le disant pré­ bon temps celui où un ouvrier peinait Et qui, de nos jours, attribuerait serei­ curseur d'effroyables apocalypses, nous 15 heures pour gagner le prix d'un kilo de nement à la "nature des choses" les plaidons pour le temps présent, c'est pain? Celui où les enfants descendaient ravages d'une épidémie de peste comme parce qu'aujourd'hui, du chef d'État à dans la mine à 8 ans? Celui où l'on celle qui dépeupla l'Europe au XIVe siècle, l'écolier, les hommes savent qu'ils ne réprimait les grèves par le fusil? celle de Marseille en 1720, d'Égypte en peuvent plus longtemps bou leverser le 1799, de Chine en 1884 ou de Mandchou­ mi lieu dont ils tirent leu r vie, ni assurer LA POLLUTION, UN MAL ANCIEN rie en 1910? Qui redoute encore ces leur bien-être sans remédier à la misère maux, autrefois répandus chez nous : d'autrui. Sur le plan technique, en nous limitant aux populations décimées par la variole, la moyens protégeant la santé, qui aimerait tuberculose, le typhus? UN ESPOIR: LA JEUNESSE revenir à ce temps où les rues des vil­ Les règles d'hygiène, les vaccins, les les étaient autant de cloaques, chacun y antibiotiques ont fait reculer une pollution Et, puisque les jeunes comptent parmi les déversant son pot et ses eaux usées, où qui, pour n'être pas "chimique", n'en plus résolus à ne laisser saccager ni l'on glissait sur les ordures, où les esca­ était pas moins redoutable. De nos jours, leur vie, ni la planète, ce temps devient liers servaient régulièrement d'urinoirs? des pays exempts de pollution industrielle même celui de l'espérance. Car, loin d'être Qui trouverait bucolique la ferme où bêtes voient leurs habitants - et leur jeunesse frappé de décadence, le temps présent et gens dormaient ensemble, où le purin - mourir d'autres maux: paludisme, mal­ nous semble marqué par cette prise de s'infiltrait dans le puits, et dont les moyens nutrition, bilharziose, choléra... Et pour­ conscience. Pour les historiens de 2078, de production étaient trop rudimentaires tant, on reproche parfois à la médecine il apparaîtra sûrement comme le temps po ur éviter les fam ines que con nurent nos d'être pire que le mal parce que ses tech­ où l'homme s'interrogea sur lui-même, pays bien qu'ils fussent alors moins peu­ niques et remèdes, trop employés, peu­ comme le creuset où se forge sa volonté plés qu'aujourd'hui? vent affaiblir la santé. Paradoxalement, en de prendre son destin en main.

    156 L'HOMMEDEDEMAIN

    S'il n'utilise pas son invraisemblable pou­ " centre de préparation à une autre vie". voir de détruire son espèce, l'homme de Des films évoqueraient pour lui une sur­ demain peut prendre deux voies. vie enchanteresse avec un tel caractère d'authenticité que le spectateur, habitué à UN HOMME recevoir toutes ses connaissances des ENTIÈREMENT PROGRAMMÉ? appareils audio-visuels, ne distinguerait plus le faux du vrai et finirait par La pire serait celle qui mènerait à une offrir spontanément son bras à l'injection mégasociété uniformisée, où l'individu qui l'endormirait. Ainsi, l'homme mourrait n'interviendrait que pour entretenir le comme il aurait vécu sans s'en aper­ mouvement de la machine sociale. Dès sa cevoir. naissance, l'homme serait destiné à un Maintenus en vie par ces moyens artifi­ rôle défini et élevé pour le remplir, selon ciels, les hommes seraient-ils encore de les programmes planétaires de produc­ l'espèce Homo sapiens? tion. En cours de vie, le passage d'un "avenir" à un autre serait si difficile que NI UN SURHOMME, personne ne souhaiterait jamais changer NI UN HOMME NOUVEAU de sort, ce qui assurerait une paix sociale indéfinie. L'autre voie mènerait à un ordre plané­ L'homme absorberait sous forme de taire régissant des sociétés diversifiées où biscuits standardisés les éléments nutri­ l'humanité pourrait assumer ses possibi­ tifs indispensables; son activité se borne­ lités et ses contradictions. rait à conduire des machines qui traite­ Aucune innovation importante n'inter­ raient les matières premières jusqu'au viendrait sans étude de son impact sur le produit fini. Entre individus, les relations monde vivant. Aux plus démunis seraient s'établiraient strictement selon les affi­ distribués, non des surplus, mais des nités décelées par un ordinateur et, dans moyens de production. Le gaspillage des les groupes de compatibilité, les couples matières premières serait banni. Les hom­ se formeraient sur des critères sociaux, mes trieraient les ordures pour que papier, physiologiques et psychologiques définis, métal, verre, plastique soient réutilisés, afin que nul excès n'entre dans les atta­ les déchets organiques servant à faire chements humains. On reproduirait des de l'engrais. Les énergies, les minéraux enfants par fécondation en éprouvette et rares seraient justement répartis, l'énergie greffes sur des reproductrices anonymes, solaire, la géothermie, la force du vent pour que l'homme et la femme aient des devenant d'usage courant. rôles sociaux interchangeables. La paix se fonderait sur une bonne Comme, malgré une rigoureuse pro­ répartition des biens de la planète. Aussi, grammation de son bonheur, l'homme les États pourraient céder en partie leur ressentirait encore parfois sa curiosité pouvoir aux groupes régionaux. Les parti­ millénaire, son ancestral besoin d'aven­ cularismes locaux renaîtraient et l'indi­ ture, la société organiserait des séan- ~ vidu reprendrait sa place au sein de com­ ces offrant des impressions bizarres :

    157 A Qatal Hüyük, 113, 122, 125, 134, 141. INDEX abbevillien, 39, 46. Chapelle-aux-Saints (homme acheuléen, 38, 39, 56. de La), 52, 55, 63, 64. Afar, 18, 19,21. Chancelade (homme de), 75. agriculture, 86, 97, 106, 108, chasse, 14, 18, 24, 25, 26, 38, 111, 112, 113, 115, 116, 39, 40,41,42, 44, 47, 54, 117, 118, 119, 120, 121, 55, 60, 76, 104, 106, 107, 124, 136, 137, 138, 142, 108. 155. châtelperronien, 73, 74, 76, Altamira, 89. 80, 81. Ambrona, 39,40,41. chimpanzé, 31, 32, 34, 68, 71. anthropophagie, 64, 84. chopper, 15, 32, 38, 152. anthropoïde, 17. chopping-tools, 15, 17, 18,38, Arambourg (P'), 21, 38, 40, 41. 39. archanthropes, 34 à 51. Chou-kou-tien, 36, 37, 75. art, 62, 63, 83, 88, 89, 90, 91, cité, 140, 141, 142, 150, 151. 92, 93, 98, 99, 100, 101, c1actonien (éclat), 39. 102, 103, 104, 105, 106, climat, 23, 47, 53, 54, 55, 58, 107, 122, 123, 124, 125, 59, 86,87, 104, 106, 108. 128, 129, 134, 135, 138, cœlacanthe, 28. 148, 149, 150, 151, 154, Combarelles, 91. 155. crâne, 10, 11, 17, 18, 19, 20, aurignacien, 73, 74, 80, 81. 34, 35, 37, 38, 50, 52, 60, australanthropes, 6 à 33, 38, 61, 64, 68, 69, 70, 71, 73, 61, 70, 71. 74, 75, 84, 85, 109, 126, Australopithecus : 127, 130, 131, 152. - africanus, 17, 18, 20, 21, Cro-Magnon, 68, 74, 75, 152, 23,30. 153. - de Peninj, 30. comportement, 24, 30. - Prometheus, 30. Coppens (Yves), 28. - robustus, 18, 21, 23. cueillette, 23, 27, 108, 109, - Transvaalensis, 30. 110,111. australopithèque, 10, 11, 12, 14, 17, 18, 19,34. azilien, 73, 106. o Dart (P'), 10, 14. Darwin (Charles), 68. B datation, 17, 18,20,21,23,50, 59, 73, 86, 87, 114. babouin, 23, 24, ?5. dents, 10, 17, 19, 21, 24, 37, badegoulien, 80. 38, 50, 75. biface, 38, 39, 40,47, 56, 152. dinosaures, 7, 28. Bindibus, 69. dinothérium, 28. bison, 55, 56, 68, 86, 88, 89, Dogons, 7, 94, 113. 95, 100, 101, 102, 103, Dolnf Vêstonice, 76, 84, 122, 105. 155. Bochimans, 25, 28, 44, 75, 97, 98. E Boutrais (Jean), 133. Brassempouy (dame de), 103. écriture, 142, 143, 144, 145. Breuil (abbé), 28, 73, 91, 92. enfant, 10, 27, 44, 45, 64, 66. Brézillon (Michel), 76. élevage, 110,112,113,114, Buffon, 6. 115, 116, 117, 118, 119, 124. ertebôllien, 108, 122. Eyzies-de-Tayac (Les), 59, 68, c 75, 91. Cameroun, 63, 64, 121, 123, 133, 139. F campignien, 121. castelnovien, 110. Fayoum (région du), 11.

    158 femme, 27, 44, 45, 48, 50, 56, Leroi-Gourhan (P' André), 10, Omo (vallée de l'), 15, 18. rites, 62, 63, 64, 65, 83, 84, 94, 98,99,100, 101,102,124, 31, 32, 69, 67, 72, 73, 76, oréopithèque, 11, 29. 95, 96, 97, 98, 99, 102, 125, 154, 155. 84, 92, 95, 98, 1DO, 127, origine des espèces, 6, 8. 103, 107, 108, 124, 125, fémur, 19, 34, 35. 138. orthogenèse, 8. 126, 128, 129, 130, 131, feu, 46, 47, 48, 49, 58, 59, 76, Leroi-Gourhan (Arlette), 64. ostéodonkératique, 14. 133, 138, 139, 142, 146, 84, 139. levallois (technique), 56, 57. Our, 140. 147. fossile, 8, 10, 16, 18, 20, 23, Lucy, 19, 30. ours, 66, 67, 95, 105. Robinson, 18. 28, 34, 36, 37, 40, 41, 46, Lumley (H. de), 46. outils, 11, 12, 14, 17, 18, 23, 50, 52, 59, 64, 72, 73, 74, 32, 33, 38, 39, 50, 55, 56, s 75. M 57, 72, 73, 76, 77, 80, 81, Foulbés, 6. 86,87,106,107,108,110, savane, 22, 23, 24, 25. machaïrodus, 17. 111, 112, 113, 120, 121, secondaire (ère), 7, 28. main, 32, 33, 70, 96,97, 98, 99. 126,127,130,131,134, sélection naturelle, 6, 9, 42, G magdalénien, 73, 76, 77, 80, 135, 152. 152, 153. 81, 90, 91, 104. Serengeti (plaine de), 16, 22. galet aménagé, 12, 14, 15, 16, maglemosien, 108. silex, 55, 56, 57, 68, 69, 80, 81, 19, 20, 28, 38, 39, 92, 106, maladie, 21, 27, 35, 55, 84, 97, 88, 89, 135.• 107. 131, 156. p simien, 14. Gardner (Mr. et Mrs.), 31. Malawi (lac), 23. simopithecus, 23. Gargas, 96, 97, 98, 99. mammouth, 42, 55, 86, 105. Pair-non-Pair, 87, 91, 92, 93. Sinanthropus pekinensis, 36, gravettien, 73, 74, 76, 77, 80, mandibule, 18, 19, 20, 21, 33, paléanthropes, 52 à 69. 37, 38, 39. 81, 86, 92. 34, 37, 38, 50, 60, 61, 67. paléolithique, 72, 73, 74, 75, singes, 10, 11, 31, 34, 35, 70, Mas-d'Azil (Le), 85, 107. 104, 105. 71. Mauer (homme de), 37. paléontologie, paléontologue, Solo (fleuve), 34, 35, 52. H mégalithes, 128, 129, 130, 16, 17, 18,34,37. solutréen, 73, 80, 81. 131, 132, 133. Paranthropus : Soulavie (abbé), 6. habitation, 26, 27, 46, 47, 58, Melka-Kontouré, 26. crassidens, 30. Steinheim, 43, 50. 59,90,118,119,126,127, Méroé, 149. gracilis, 18, 19,23. Sterkfontein, 14, 30. 140,141. mésolithique, 106,110,111. robustus, 18, 20, 21, 23, Stonehenge, 132. hologenèse, 28. mesure, 143. 30. stratigraphie, 16, 18, 28. hominidés, 11. métal, métallurgie, 134, 135, pariétal, 88, 89, 90, 91, 92, 93, symboles, 32, 33, 63, 94, 95, hominien, 8, 14, 27, 28. 138, 139, 146, 147, 148, 94,95, 100,101,102, 103. 98,99, 100,101, 102, 124, Homo: 149. pêche, 108, 121. 125, 130, 131, 142, 143, erectus, 37. Mezhirich, 77. Pech-Merle (grotte de), 97, 144, 145. habilis, 20, 21. milieu naturel, 8, 9, 104, 152, 102. périgordien, 73. sapiens, 8, 25, 28, 50, 51, 153. T 52, 53, 59, 61, 64, 65, 68, 1470-man, 21, 30. Pincevent (Montereau), 72, 73, 76, 77. 69, 70, 71, 74, 75, 76, 77, Mohenjo-Daro, 140. Tanganyika (lac), 23. 84,86, 152, 156, 157. mort, 55, 63, 64, 65, 82, 83, 84, Pithécanthrope, 10,34,35,37, 43,52. Tanzanie, 14. 108, 124, 126, 127, 128, tardenoisien, 106. 129, 130, 131, 133, 146, pongidés, 11, 37. Poplin (François), 134. Tasadays, 49, 69. J 147. Tantavel, garde, 43. moustérien, 56, 73, 80. poterie, 122, 123, 126, 127, 136, 137. Taungs, 10. Java, 34, 35, 38. mutation, 8, 9. primaire (ère), 7. Tchadanthropus uxoris, 28, Jéricho, 110, 127, 141. primates, 10, 28, 31. 30,43. N programme génétique, 30, 31, Telanthropus de Swartkrans, 32, 33, 74. 18. K Néanderthal, 50, 51, 52, 53, Terra Amata, 46, 47. 5~ 55, 56, 5~ 6~ 61, 62, tertiaire (ère), 10, 23, 28. kenyapithèque, 11. 63, 64, 65, 66, 67, 68. théorie de l'évolution, 6, 8, Kilimandjaro, 23. néanthropes, 70 à 111. 152. Kikouyous, 16. néolithique, 112 à 151. a Torralba dei Mora, 40, 41. Niaux, 88. tyranosaure, 7. quaternaire (ère), 6, 23, 28. nourriture, 17, 24, 27, 44, 45, Quéchon (Gérard), 84. L 48, 54, 58, 106, 108, 109, VWZ 110, 112, 113, 115, 136, langage, 31, 32, 33, 60, 61, 137, 138. Vénus, 84, 88, 99, 101, 124, 100, 142, 143, 144,145. nucléus, 56, 57. R 125. Lascaux, 90, 91, 92, 95, 100. village, 118, 119, 140, 141, Lazaret (grotte du), 43, 47. o ramapithèque, 11, 18. 147. Leakey (Louis et Mary), 14, 16, renne, 42, 54, 55, 56, 67, 89, Willendorf (Vénus de), 98. 20, 21, 25, 26. Olduwaï (gorge d'), 14, 15,16, 104, 106, 107. Zinjanthropus boisei, 16, 18, Leakey (Richard), 21. 17,18,21,26,43. Rift Valley, 22, 23. 19, 20, 27.

    159 Cet ouvrage a été réalisé par Michel de France

    assisté de Isabelle Béchet Françoise Moulard Aooie Perrier-Robert

    et, pour l'illustration Jean-François Arrigoni-Neri sous la direction Avoine de Lucien Lallemand, Animex Productions le concours de Chantal Beaumont Frank Bouttevin Jacqueline Chartouni Jacques Cartier Louis de Cayeux Patrick Lestienne Loppé Jean-Claude Michel François Olivier

    Cartographie André Leroux

    Correction-révision Louis Petithory, chef des services de correction

    Pierre Aristide Bernard Dauphin

    Maquette Jean-Pierre Raulot

    Iconographie Mathilde Rieussec

    Studio photo Guy Motté, chef du service photo Gérard Le Gall, Mariano Aguayo, Michel Toulet.

    Couverture Jacques Fortin

    Fabrication Jacques Sabre, directeur technique • photogravure Michel Bonnet • impression Georges Flippe, Janine Mille • reliure Robert Fort, Marie-Pierre Vialfont

    L'éditeur et les auteurs tiennent à remercier le professeur André Leroi-Gourhan pour l'aide précieuse qu'il a bien voulu leur apporter au cours de la réalisation de cet ouvrage.

    L'éditeur remercie également, pour leur contribution, les éditions Denoël, Masson, et les éditions d'art L. Mazenod, ainsi que le musée de "Homme et le musée des Antiquités nationales, à Saint-Germain-en-Laye.

    PHOTOCOMPOSITION M. C. P. HERACLIO FOURNIER S.A. - VITORIA - SEPTEMBRE 1979 - Oépot légal 1979-3' - N° série Éditeur 10458­ IMPRIMÉ EN ESPAGNE (Printed in ). - 51652·8 1·81

    160 ANNËES 1000000 500000 300000 200000 100000 60000

    1111111

    GLACIATIONS

    mastodont

    Ela has trogonthieri

    é éphant méridional

    machairodus FAUNE Irogontherium

    hippopotamq major r---~-~-+- !hinocéros étrusque

    rhinocéros- de Merck

    lOUE INF~UR

    AUSTRALA ES 111r-+-----tA ~THRO-PES__+___

    abbevillien --~--~""",.I', acheuléen clactonien

    INDUSTRIES •

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    50000 40000 35000 30000 25000 20000 15000 10000 7800 5000 1

    mammouth (Elephas primigènius)

    éléphant antique

    rhinocéros laIneux (Tichorhinusl

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    Po OllTHtOUE IlIlu~H'QIJI~~:j1

    N~OPES

    moustérien technique Levallois

    aurignacien gravettien solutréen magdalénien

    azilien