Master de l’Ecole Polytechnique Mention Economie et Gestion Spécialité « Projet Innovation Conception »

Stratégies d’innovation pour une plateforme

émergente de la robotique humanoïde

Damien Oursel- Rapport Confidentiel

Octobre 2009 – août 2010 Entreprise partenaire : Aldebaran Robotics

Responsables entreprise : Stéphane Labrunie

Tuteurs de Master : Christophe Midler

Professeur responsable du Master Christophe Midler PIC :

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Remerciements

Je tiens à remercier Anne-Marie Bourcier et Bruno Maisonnier pour la confiance qu'il m'ont accordée en m'acceptant chez Aldebaran Robotics. De même je souhaite remercie Stéphane Labrunie pour sa confiance et le nouvel élan qu'il a su donner à mon travail. Travailler pour Aldebaran Robotics a été une expérience très enrichissante, d'un point de vue personnel et professionnel, et m'a aussi permis de profiter au mieux des enseignements du master PIC.

Je remercie également Patrick, Charlotte, Marine et Aurélien, avec lesquels j'ai eu grand plaisir à travailler, notamment sur l'aspect communautaire du . Je remercie par ailleurs Rodolphe Gelin, Stéphane Labrunie, Jean Michel Perbet, Bastien Parent, Bruno Maisonnier et Fabien Bardinet pour les éclairages qu'ils ont pu apporter sur ma réflexion, en entretien ou lors de réunions.

Je souhaite remercier Christophe Midler de m'avoir accepté dans ce passionnant master PIC, et aussi pour sa patience, sa compréhension et son soutien dans les moments un peu chahutés de mes projets de master.

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Stratégies d’innovation pour une plateforme émergente de la robotique humanoïde

Introduction En 2005, Bruno Maisonnier, polytechnicien ayant fait carrière dans la banque, crée son entreprise, Aldebaran Robotics, nommée d’après l’étoile Alpha Tauri, la plus brillante de la constellation du Taureau. 5 ans plus tard, l’entreprise a produit plus de 1000 humanoïdes pour plus de 250 clients dans le monde et héberge dans ses locaux une centaine de personnes qui y travaillent à temps plein.

En 5 ans, les fondateurs de l’entreprise et leurs employés ont réussi à concevoir, industrialiser et vendre un robot humanoïde de 58 centimètres de haut, appelé , parfaitement autonome et doté d’un environnement évolué de programmation. La jeune entreprise française, basée à Paris, s’est bien imposée comme une des stars du secteur émergent de la robotique pour les particuliers, au milieu d’acteurs comme Toyota, Sony ou Willow Garage, une entreprise travaillant pour l’armée américaine.

Mais l’aventure ne s’arrête pas là ; tous les projets, tous les discours et tous les employés d’Aldebaran Robotics sont tirés par la même ambition : imposer la robotique humanoïde et NAO comme un élément incoutournable du quotidien de chacun. Pour cela, il a fallu et il faudra explorer les usages et utilités possibles des robots humanoïdes comme NAO, développer et affiner les technologies et fonctionnalités nécessaires à ces usages, mais aussi survivre jusque là en trouvant des marchés d’appuis.

Ainsi les sujets autour de l’innovation ne manquent pas chez Aldebaran Robotics, du marketing à la production en passant bien sûr par la recherche et le développement. Même les services administratifs sont confrontés à une réalité frappante : le produit n’existe pas dans les réglementations internationales… C’est dire si le produit et le marché sont encore en pleine évolution et doivent encore se faire leur place.

Dès lors il faudra se concentrer sur les aspects qui nous intéressent : Quelle est la stratégie de déploiement envisagée par Aldebaran Robotics pour faire émerger la robotique pour les 3 particuliers? À partir de là, comment Aldebaran Robotics, qui reste une petite entreprise, peut-elle s’appuyer sur sa communauté pour développer les innovations technologiques dont elle a besoin ? Finalement, comment Aldebaran Robotics utiliser sa communauté d’utilisateurs pour co-concevoir les usages de NAO ?

Préambule

Dans un souci de clarté, nous allons détailler assez brièvement la trajectoire d’Aldebaran Robotics et décrire NAO, son produit phare. Sans cette description préalable, la suite du mémoire pourrait s’avérer difficile à suivre.

Aldebaran Robotics

La société a été créée en 2005 par Bruno Maisonnier. 5 ans plus tard, environ 700 robots ont été vendus, 1000 robots fabriqués et une centaine de salariés s’affairent dans les bureaux d’Aldebaran Robotics, situés dans le 14ème arrondissement de Paris.

Aldebaran Robotics a reçu de nombreux prix liés à l’innovation (en 2010 : Prix Hermès de l’innovation et Prix de la mécatronique innovante) et est régulièrement citée comme étant une start-up/entreprise de taille moyenne très prometteuse de l’industrie française.

Aldebaran Robotics est d’autre part le chef de file du centre de compétitivité de la robotique Cap Robotique et travaille avec un certain nombre de partenaires de Recherche et Développement particulièrement innovants comme A Cappella, Gostai, Webots ou STMicroelectronics.

La mission de l’entreprise est la suivante : « Create and deliver affordable, autonomous and easily programmable humanoid robots »

4 NAO

Projet :

Il a été conçu dans le but d’être vendu au grand public, mais n’a pour l’instant été vendu qu’à des institutions académiques et une trentaine d’ « alpha-testeurs ». Son prix de vente sur le marché académique est aux alentours de 12 000€, et aucune décision n’a été prise concernant son éventuel prix de vente au grand public.

Produit :

NAO est un robot humanoïde de 58 centimètres de haut, qui est doté d’un environnement de programmation et de multiples capacités, liées à la Figure 1: le robot NAO en version couleur gris clair multitude de ces capteurs et de ces actionneurs.

NAO peut « penser », grâce au processeur AMD Geode qu’il a dans sa tête, et à l’OS, appelé NAOQi qui tourne sur ce processeur.

NAO peut voir grâce à ses deux caméras, et analyser les images visionnées grâce à la puissance de calcul de son processeur.

NAO peut entendre grâce aux deux micros qu’il a dans la tête. Les signaux audios reçus sont traités par NAOQi et NAO peut reconnaître des mots dans plusieurs langues (dont le français, l’anglais et le chinois), ainsi que localiser la source d’un son.

NAO peut parler ou jouer de la musique, grâce à ses hauts parleurs et NAOQi, qui est doté d’un logiciel de synthèse vocale.

5 NAO est programmable, à plusieurs niveaux :

 On peut utiliser un logiciel de « programmation visuelle », appelé Choregraphe, en reliant des boîtes les unes aux autres ou en éditant manuellement des mouvements : cette méthode permet de faire de la programmation séquentielle sans rentrer une seule ligne de code.  Si l’on souhaite aller un peu plus loin dans la programmation, on peut créer ses propres boîtes Choregraphe : pour cela, il faut savoir écrire en Python et connaître les bases de fonctionnement de NAOQi.  Finalement, on peut modifier/éditer le firmware en y rajoutant soi-même des modules. Ce type de programmation se fait à l’aide du langage C++ et nécessite un certain niveau d’expertise.  En plus de ces outils de programmation propres à Aldebaran, l’environnement software de NAO est compatible avec des outils plus ou moins traditionnels de programmation, comme les logiciels Visual Studio et Microsoft Robotics Studio de Microsoft, le langage URBI dédié à la robotique créé par la société Gostai, …  Le tout est détaillé, expliqué, commenté dans une documentation mise à la disposition des utilisateurs et fournie en exemples, commentaires, etc.

Figure 2: Une capture d'écran du logiciel Choregraphe

6 L’ensemble de ces documents, fonctionnalités et logiciels constitue ce que l’on appelle le SDK (System Development Kit) de NAO. Ce SDK est conçu pour être cross-platform, c'est-à- dire qu’il fontionne sur les dernières versions de Mac, Linux (distribution Ubuntu) et de Windows.

Il existe une gamme de déclinaisons de NAO, qui possèdent plus ou moins de fonctionnalités hardware sans que cela ne nuise à l’uniformité de la plateforme software, avec un logiciel de simulation et bien sûr Choregraphe, l’interface graphique de développement pour NAO :

Figure 3: La gamme d'Aldebaran Robotics pour la recherche et l'éducation

7 I. NAO d’Aldebaran Robotics, un produit innovant sur un marché émergent a. La robotique, un marché émergent ? i. Histoire de la robotique ii. Analyse en terme de théorie de la conception iii. La robotique, le secteur du futur ? b. Le marché des innovateurs et early adopters : une rampe de lancement pour NAO ? i. Le marché de la recherche ii. Le marché des hobbyistes iii. Le marché de l’éducation c. L’impact de ces marchés sur les variables de conception de NAO i. Le hardware ii. Le software iii. Le service

II. Le management de l’innovation technologique chez Aldebaran Robotics: vers une gestion de plateforme? a. L’open innovation pour la recherche technologique chez Aldebaran Robotics i. Les relations ambigües avec l’open-source ii. Les relations avec les complémenteurs et la gestion des projets collaboratifs b. Les implications du choix d’une gestion de plateforme i. Les risques de la stratégie de plateforme ii. La mise en place d’une gestion de plateforme

III. Stratégies d’exploration des usages pour Aldebaran Robotics a. La mise en place d’un système d’échange et de co-conception des usages i. Les variables de conception du système d’échange ii. Le lancement du système d’échange d’usages et son utilisation à long terme b. La mise en place d’une stratégie de plateforme : comment lancer l’effet de réseau ? i. Entendre, identifier et isoler les différentes clientèles

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Première partie

Introduction La robotique, vue par beaucoup comme un des principaux secteurs industriels de demain, porte en elle, contrairement à ce que l’on entend souvent, une longue histoire. Baignés dans une certaine mythologie, les robots n’ont cependant jamais vraiment réussi à s’imposer auprès des particuliers. On peut expliquer cela par de nombreux facteurs, parmi lesquels le manque de technologies suffisamment performantes et le manque d’utilité perçue par les particuliers.

Or ces deux principaux facteurs d’échec sont en passe de disparaître. C’est en tous cas le credo d’Aldebaran Robotics, dont l’aventure vise à dépasser ces deux obstacles majeurs pour imposer la robotique domestique. Et Aldebaran Robotics n’est pas le seul acteur à penser ainsi : Bill Gates lui-même -entre autres Toyota et Honda- pense que la révolution de la robotique au 21ème siècle sera d’une importance équivalente à la révolution de l’informatique au 20ème siècle (Scientific American, 2006). Il y a donc déjà de la concurrence- de taille- sur ce marché qui doit encore se construire.

Dès lors comment Aldebaran Robotics, jeune pousse française en 2005, s’est-elle positionnée pour atteindre son statut actuel de leader européen sinon mondial de la robotique humanoïde? Comment inscrire l’histoire d’Aldebaran dans celle de la robotique ? Comment cette histoire a-t-elle interagi avec les paramètres de conception de NAO ?

I. NAO d’Aldebaran Robotics, un produit innovant sur un marché émergent ? a. La robotique, un marché émergent ? i. Histoire de la robotique

L’histoire industrielle de la robotique

Depuis les débuts de l’histoire de l’humanité, des inventeurs et génies ont cherché à créer des machines qui ressembleraient à l’homme et soit comme lui, capables d’accomplir de façon autonome une ou plusieurs tâches, souvent celles que l’homme ne souhaite pas, ou ne peut pas exécuter. Les exemples à travers l’histoire de telles machines automatisées ne

9 manquent pas : on peut citer les automates de Jaquet-Droz au 18ème siècle, mais ce serait oublier les automates fabriqués par les Grecs, les Egyptiens dans l’antiquité ou les vestiges japonais. Les leçons technologiques tirées de ces automates ont eu notamment comme descendants les montres et horloges automatiques.

En se concentrant un peu plus sur l’histoire récente de la robotique, on peut encore une fois identifier une grande constante : la robotique en tant que science est un « driver » de l’innovation dont les retombées industrielles sont nombreuses mais pour l’instant très spécialisées. Ainsi on peut identifier les trois phases suivantes :

1. La recherche avance sur un sujet donné. Par exemple, le contrôle et l’automatisme, ou la navigation 2. Une fois le savoir « stabilisé », un usage fiable est identifié : ainsi les avancées sur le contrôle et l’automatisme ont donné naissance à la robotique industrielle, et celles sur la navigation aux robots-aspirateurs, qui se promènent selon un bel algorithme aléatoire à la recherche de poussière à aspirer. 3. La recherche en robotique continue à avancer, avec pour horizon la création d’une machine qui soit aussi polyvalente que l’être humain.

On assiste ainsi en fait à la production de lignées de produits robotiques, tous des dérivés de la science qui cherche à créer une machine intelligente et polyvalente :

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Figure 4: La recherche en robotique et quelques une de ses lignées d'applications

Aujourd’hui, cette volonté quasiment démurgiaque continue à tirer l’innovation, à un niveau plus complet. Du phénomène purement mécanique des automates, on est passé à une fusion des différentes sciences apparues depuis : l’électronique, l’informatique, etc. Et ainsi à partir des automates en bois, des robots à forme humaine sont apparus, capables de marcher, de voir, d’entendre, de parler, d’interagir, etc. Les progrès réalisés notamment lors des 50 dernières années sont impressionnants et donnent naissance à de véritables réussites industrielles, comme l’aspirateur d’iRobot. Quelles sont ces grandes réussites ?

11 La robotique industrielle

Beaucoup de secteurs industriels qui produisent en usine à la chaîne, notamment l’automobile, ont adopté la robotique industrielle dans leur processus de fabrication. Ces entreprises n’ont pas recours aux robots industriels pour chacune des phases de fabrication, mais utilisent des robots pour certaines phases du soudage, de la peinture ou de l’assemblage par exemple.

Acquérir des robots industriels représente toujours un véritable investissement pour les entreprises qui les utilisent, et nécessitent un très haut niveau de compétence et de maîtrise du processus industriel. L’intérêt de ces robots est assez clair : ils sont capables d’exécuter de façon stable et précise des tâches répétitives. D’autre part, ils peuvent manipuler des objets lourds, ou être utiles dans des environnements hostiles à l’homme. Leur but n’est pas de remplacer les ouvriers mais plutôt de faciliter l’exécution de tâches réputées pénibles.

Ces robots ont très souvent une forme de bras poly articulé et sont dotés d’un environnement de programmation spécifique, et même parfois de capacités d’apprentissage. Ils sont souvent contenus dans des cages afin de protéger les utilisateurs et ouvriers de l’usine. La conception de ces robots reste très axée sur ses fonctionnalités et pas sur l’interaction : les robots industriels ne sont que très rarement interactifs.

Les entreprises qui produisent de tels robots sont souvent des géants industriels spécialisés dans l’instrumentation, l’automation et la mesure, comme par exemple l’entreprise suédoise ABB Robotics, ou l’entreprise allemande Kuka Robotics. C’est assez intéressant de constater que les axes d’amélioration des robots industriels semblent venir de l’optimisation de la consommation énergétique, de la sécurité au travail et l’ergonomie de la programmation du robot.

En plus des bras industriels, on retrouve aussi de la robotique industrielle dans la logistique des usines, sous la forme par exemple de véhicules autonomes qui circulent dans les usines et facilitent l’acheminement de pièces et de matériaux nécessaires à la fabrication du produit final.

Cette application des connaissances modernes en robotique est désormais plutôt répandue. Les compétences requises pour maîtriser ces technologies sont encore assez fortes et leur champ d’application reste assez restreint : il y a peu de risque de voir un bras industriel sortir 12 des usines ou écoles d’ingénieurs. Malgré cela, le fait que le secteur soit prospère et accueille de nombreuses grandes entreprises montre bien que la robotique industrielle a réussi à s’imposer au monde.

Les robots aspirateurs

Dans les années 80, Nolan Bushnell, qui avait avant cela fondé Atari et le Pizza Time Theater, a créée l’entreprise Androbot avec une poignée de mathématiciens, électroniciens et informaticiens. Cette entreprise a conçu plusieurs robots humanoïdes aux looks Figure 5: Une publicité pour les robots Androbot « futuristes » destinés à être des compagnons de jeu et pour l’éducation.

Si ces robots n’ont jamais véritablement percé et l’entreprise a arrêté d’en produire vers 1984, le projet annonçait un usage bien particulier puisqu’en effet les dernières versions des robots contenaient un aspirateur !

Quelques années plus tard, l’entreprise iRobot obtenait un très franc succès avec son robot-aspirateur Roomba, lancé en 2002. Sorte de disque sur roue, doté d’un aspirateur et d’un algorithme de navigation assez perfectionné (évitement d’obstacle, etc.), ce robot peut être lancé de façon autonome à la chasse de la moindre particule de poussière.

Assez peu interactif, mais d’utilisation très ergonomique, ce robot en a inspiré d’autres, tous construits peu ou prou sur le même modèle.

En 2009, plus de trois millions de Roomba ont été vendus, et l’entreprise iRobot, avec ses concurrents, se lance à l’assaut d’autres marchés et usages très proches : les robots tondeuses à gazon, les robots nettoyeurs de gouttière et de piscine, mais aussi les robots militaires télécommandables.

13 L’entreprise iRobot en est ainsi dans la phase de « bowling alley » décrite par Moore dans son livre Crossing the chasm. En capitalisant sur des connaissances héritées de la recherche en robotique (principalement de la navigation et de la mécatronique) et des usages qu’elle a réussi à imposer au marché, l’entreprise se diversifie en attaquant d’autres secteurs.

Le tableau ne serait pas complet si l’on ne soulignait pas le fait suivant : quelques version de Roomba ont été hackées et sont désormais officiellement programmable, ce qui convient aux nombreux bidouilleurs qui constituent le marché des hobbyistes en robotique.

Autres applications de la robotique

Bien sûr, les applications de la robotique ne sont pas exclusivement limitées à la robotique industrielle et les robots aspirateurs. On peut tracer rapidement quelques usages marginaux de la robotique.

Une autre application assez évidente de la robotique est conforme à la définition de robots présente dans le dictionnaire : ils peuvent travailler dans des environnements hostiles à l’homme. Ainsi retrouve-t-on des robots dans des zones dangereuses (mines à fort taux de radioactivité, zones sinistrées, zones radioactives, zones infestées de mines, etc.), en guerre (pour des missions de combat, de logistique ou d’espionnage). Ainsi par exemple on retrouve des drones d’espionnage dans les zones de guerre, etc. Une des sociétés phares de la robotique, Boston Dynamics, est ainsi quasiment intégralement financée par l’armée américaine, et a produit un robot appelé Black Dog, qui sera utilisé pour transporter du matériel…Les exemples ne manquent pas, et ces robots guerriers semblent être les soldats du futur, ce qui nous rapproche encore un peu plus de la science-fiction, mais a le mérite pour l’instant d’épargner des vies…On peut aussi penser aux robots qui sont conçus pour explorer la planète Mars en parfaite autonomie.

Plus prosaïquement, les robots sont aussi souvent utilisés pour des démonstrations de maîtrise technologique, ou de l’événementiel. En effet, c’est une des applications les plus directes de la fascination qu’ils engendrent sur une grande majorité du public. On peut citer par exemple Disneyland, qui fait une démonstration avec le robot ASIMO de Honda, ou les nombreux pavillons à l’exposition universelle sur lesquels il y avait des robots : l’Ile de France et la France avec NAO, le Japon avec les robots-musiciens de Toyota, etc. Les robots sont

14 souvent choisis parce qu’ils fascinent, mais aussi parce qu’ils représentent un élément plausible de la maison de demain.

Conclusion

La robotique industrielle et les robots aspirateurs sont les deux applications industrielles les plus connues de la recherche en robotique. Ce ne sont cependant pas les seules. On peut en effet également citer les robots-jouets, les robots-gadgets, les robots voués à la démonstration, etc.

Cependant afin de mieux comprendre ces différents marchés, il faut se pencher sur l’autre pendant de la robotique et de l’histoire des robots, à savoir la représentation collective qu’on en a, héritée de la Science-fiction entre autres sources.

La mythologie des robots

D’un autre côté, les robots stigmatisent et cristallisent tous les espoirs et toutes les craintes que peuvent avoir les humains par rapport au progrès technologique, Les robots exercent ainsi un attrait particulièrement fort sur les artistes, qui ont beaucoup écrit, réalisé, peint autour du sujet des machines intelligentes et de l’intelligence artificielle.

Le premier à avoir popularisé le terme de « robot » est Isaac Asimov, un écrivain américain d’origine russe, qui après des diplômes scientifiques et une courte carrière de militaire, s’est lancé dans la science-fiction. Son œuvre décrit la société du futur et se penche tout particulièrement sur l’impact que les technologies émergentes auront sur le quotidien des êtres humains. Il a notamment écrit un ensemble de nouvelles sur la robotique et les robots, appelée le Cycle des Robots. Son legs s’articule autour de deux apports majeurs : la popularisation du terme de « robot » et les 3 lois de la robotique.

Etymologiquement, le mot « robot » se rapproche du terme de travailleur (работник en russe) et évoque ainsi pour Asimov une machine autonome qui serait soumise à la bonne volonté de ses maîtres et dont la raison de vivre serait de protéger les êtres humains et l’humanité dans son ensemble.

Les trois lois de la robotique concernent des lois qui seraient ancrées dans l’intelligence artificielle des robots et sont les suivantes :

15 . Première Loi : « Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger. » ;

. Deuxième Loi : « Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi. » ;

. Troisième Loi : « Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi. »

Partant de ces trois lois, Asimov s’amuse à travers ses nouvelles à explorer les différentes réactions, forcément rationnelles, de robots n’ayant pas été prévus pour des cas de figure inattendus ou confrontés à des situations mettant ces lois en conflit.

Ces constats ont leur importance, puisqu’ils ont forgé la vision que tout le monde peut avoir des robots : un robot doit être utile, obéissant et exécuter des tâches impropres, pénibles ou répétitives que leurs maîtres ne souhaitent pas effectuer. Cette vision a notamment forgé dans le mental collectif une vision de robot majordome, qui passerait l’aspirateur, irait chercher des bières dans le réfrigérateur et repasserait le linge.

La Science-Fiction dans son ensemble n’est pas en reste et a donné naissance à de nombreux caractères robotiques très sympathiques, dotés d’une véritable intelligence artificielle, de sympathie, et même parfois d’une forte personnalité. On peut par exemple penser à des robots comme C3PO ou R2D2, les sympathiques compagnons d’Anakin puis de Luke Skywalker dans la Guerre des étoiles. Le robot Bender de la série Futurama, alcoolique notoire et doté d’un fort caractère, possède lui aussi de nombreuses capacités : il aime faire la cuisine, fumer des cigarettes, etc. C’est en fait beaucoup plus un homme qu’un robot. C’est d’ailleurs peut-être ce qu’on attend des robots au fond : d’être comme des humains ?

Il ne faut cependant pas rester sur un héritage aussi positif de la mythologie des robots dans l’imaginaire collectif. Les robots effrayent autant qu’ils fascinent : on se demande en effet ce que peut faire une machine dotée d’une intelligence de calcul supérieure ? Comment se prémunir des robots guerriers ? L’image de Terminator, le tueur à gages robotisé incarné par Schwarzenegger, trotte encore dans nos esprits.

Sans aller jusqu’à cet extrême dans lequel les machines seraient conçues pour nuire à l’humanité, on peut tout à fait craindre une situation dans laquelle un robot « buggerait » et 16 deviendrait nuisible, ou même serait détourné de l’usage pour lequel il a été conçu. Bref, les possibilités qu’un robot, qui n’est après tout qu’un ordinateur doté de senseurs (lui permettant de percevoir la réalité : micros, caméras, capteurs tactiles, etc.) et d’actuateurs (lui permettant de modifier la réalité : haut-parleurs, membres physiques animés par des moteurs, etc.), soit nuisible ne manquent pas, et sont bien présentes dans l’imaginaire collectif.

Ce débat entre les robots amis de l’homme, les robots ennemis de l’homme ou des robots dévoyés par des bugs ou des volontés de destruction ne manque pas d’intérêt, mais ce n’est pas le sujet de ce travail. Il relève d’ailleurs plutôt de la question philosophique du progrès et de la technique. Tout juste faut-il bien en tenir compte lors de la conception d’un robot comme NAO et de la gestion d’Aldebaran Robotics, d’autant plus que NAO a été pensé pour le service et l’aide aux particuliers.

Conclusion

L’histoire de la robotique, on l’a vu, est complexe et élaborée, à mi-chemin entre une tradition d’innovation industrielle et un questionnement philosophique sur le progrès et la technique. Aldebaran Robotics, lors de la phase de création du produit, a choisi de s’appuyer sur cette histoire pour concevoir un robot qui soit accepté par tous, mais aussi digne de la tradition industrielle de la robotique et capable de la dépasser.

Fabien Bardinet, directeur général adjoint d’Aldebaran Robotics, le dit lui-même : « le défi c’est de trouver un équilibre entre les possibilités offertes par les technologies actuelles et l’idée que l’imaginaire collectif se fait des robots ». Qu’est ce que cela signifie exactement en termes de théorie de l’innovation ? Comment NAO peut-il aider la robotique humanoïde domestique à s’imposer ?

17 ii. La robotique domestique, le secteur du futur ?

Le numéro de janvier 2007 du magazine Scientific American clame haut et fort la prophétie de Bill Gates : la robotique domestique, c’est pour bientôt ! Le fondateur de Microsoft a d’ailleurs joint le geste à la parole en créant un département robotique.

L’homme le plus riche du monde

Figure 6: Couverture de l'édition de janvier 2007 de Scientific American n’est pas le seul à le penser : Samsung et Honda ont annoncé qu’elles préparaient des robots domestiques pour l’année 2012.

Pourtant il reste bien des obstacles en travers de la route de la robotique domestique.

Quels sont-ils ? Sur la base de quels critères pourra-t-on estimer que la robotique domestique est prête pour s’imposer auprès du grand public ?

Aldebaran Robotics et la courbe de Moore

Dans son ouvrage fondateur, Crossing the Chasm: Marketing and Selling High-tech Products to Mainstream Customers (1991), Geoffrey Moore apporte à la courbe d’adoption de l’innovation de Rogers un ajout significatif. Selon lui, il existe un gouffre (un « chasm ») que les entreprises vendant des produits high-tech ont souvent du mal à franchir :

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Figure 7: Source: Crossing the chasm, Geoffrey Moore

Ce chasm est selon Moore le fait de la séparation entre deux relations à l’innovation technologique : certains consommateurs (les innovateurs et une partie des « early adopters ») sont intéressés par la technologie en soi, tandis que les consommateurs situés après le gouffre sont eux des pragmatiques et cherchent ce que la technologie va leur apporter en termes d’usage et d’utilité.

On constate assez facilement que la robotique humanoïde et domestique telle qu’elle est incarnée par Aldebaran Robotics ne s’est pas encore imposée auprès du grand public, et reste pour l’instant restreinte à un public très restreint.

Si l’on cherche à se baser sur l’analyse de Norbert Alter dans son livre Sociologie de l'entreprise et de l'innovation pour utiliser des critères économiques pour situer Aldebaran Robotics sur cette courbe, on peut estimer que l’on se situe quelque part entre le stade d’introduction sur le marché et le stade de croissance du marché :

Figure 8: Les différents stades du cycle de vie d'un produit (Source : Norbert Alter)

19 En effet, l’entreprise investit encore fortement en recherche et développement, et les volumes de vente, quoiqu’en forte croissance, se chiffrent encore en centaines.

Finalement, une brève analyse de NAO ainsi que certains retours d’expérience nous permettent d’avancer l’hypothèse suivante : il n’existe pas encore suffisamment d’usages pour satisfaire les pragmatiques.

Dès lors, nous pouvons situer Aldebaran Robotics et NAO juste avant le gouffre, intéressant pour l’instant un public d’innovateurs et de férus de robotique.

Si nous allons aborder plus tard comment l’entreprise se prépare pour le grand bond, il nous faut avant tout analyser le marché actuel de la robotique humanoïde et notamment les différents produits qui ont déjà essayé de franchir le gouffre, afin d’en tirer d’importantes leçons.

Nous allons profiter de cette analyse du marché de la robotique pour commencer à esquisser des usages possibles pour la robotique humanoïde et domestique grâce à la théorie C-K de Hatchuel, Masson et Weil, en explorant le concept de robot humanoïde, et en le segmentant par les usages.

Etat des lieux du marché de la robotique humanoïde et/ou domestique

Le marché de la robotique humanoïde reflète très bien la schizophrénie de l’histoire de la robotique humanoïde : il y existe un grand écart entre les prototypes-très couteux et élaborés- destinés à la recherche ou à des démonstrations et les robots compagnons, destinés à satisfaire les fantasmes hérités de la mythologie robotique.

20 Les prototypes évolués, reflets de l’état de l’art de la technologie robotique

L’ASIMO de Honda, l’HRP2 de l’AIST font partie des prototypes dotés de capacités et de technologies très évoluées. Ces robots, généralement conçus en collaboration entre un laboratoire de recherche spécialisé en robotique et une entreprise, n’ont trouvé que des marchés très limités.

Très coûteux -leurs prix d’achat, ou de location à l’année, se chiffrent en centaine de milliers de dollars, ils sont utilisés soit par des laboratoires de recherche qui cherchent des plateformes pour implémenter et tester leurs algorithmes, soit Figure 9: HRP-2, le robot par des entreprises comme Disneyland Floride qui cherchent à conçu par l'Intelligent Systems Research Institute égayer leurs différentes animations et spectacles.

Ces robots n’ont clairement pas été conçus pour un usage diffus, mais ils reflètent souvent l’état de l’art de la technologie robotique, et permettent aux entreprises et laboratoires de recherche de démontrer leur savoir-faire. Dès lors, il est difficile de parler véritablement d’un marché pour ces prototypes certes très évolués, mais pas vraiment conçus pour être industrialisés.

Les usages explorés ainsi nous permettent de tracer l’arbre conceptuel suivant :

Figure 10: Arbre C-K du concept de robot humanoïde à partir de la technologie existante

21 NB : Nous allons continuer à explorer et élaborer cet arbre au fur et à mesure de nos découvertes

Les robots compagnons, héritage incomplet de la mythologie de la robotique ?

De nombreuses entreprises ont déjà lancé sur le marché du grand public des robots humanoïdes ou à caractéristiques humanoïdes (un début de personnalité, la capacité d’exprimer des émotions, etc.). Chacun de ces robots rentre dans le cadre des usages imaginés par la mythologie robotique :

Figure 11: Arbre C-K du robot humanoïde hérité de la Science Fiction

Ainsi par exemple, Pleo, un robot en forme de dinosaure, vendu au prix de 350$ et commercialisé depuis quelques années, se positionne clairement comme un compagnon, doté d’émotions et de mimiques qui sont sensés susciter l’affection. La « tagline » de ce produit est ainsi

Figure 12: le robot Pleo « Pleo, the newest member of your family ». Ce dinosaure artificiel émet des grognements accompagnés de mouvements et visite le logement de ses utilisateurs. À l’usage, Pleo finit assez vite au placard de l’utilisateur, relégué à l’état de gadget technologique : son interactivité est assez limitée, ainsi que son « autonomie psychologique ».

Ce robot révèle à l’usage une caractéristique qui fait défaut à la plupart robots positionnés actuellement comme des compagnons : sa durée d’usage est assez limitée. En effet, le

22 compromis entre la technologie et le prix de fabrication n’a pas permis à ses fabricants de construire une véritable intelligence artificielle chez le robot. Plus précisément, alors que l’utilisateur s’attend à un véritable compagnon, à un « nouveau membre de la famille », il est forcément déçu par la variété des émotions, le fait qu’elles soient adaptées au contexte, etc. Chacune de ces caractéristiques que l’on va attendre d’un robot compagnon représente en effet un défi technologique conséquent, qui est encore plus important quand le robot est doué de parole.

Ayant rapidement constaté la difficulté qu’il y a à donner de la valeur et donc de la durée d’usage à un robot, d’autres entreprises ont affiné le concept de compagnon, en y intégrant des capacités d’apprentissage, en tentant d’améliorer l’interactivité du robot avec son utilisateur, ou même en intégrant les technologies d’internet. Ils ont en fait exploré l’arbre conceptuel suivant :

Plusieurs robots existants sont ainsi des incarnations des concepts explorés dans l’arbre ci- dessus :

23 NABAZTAG (Prix de vente : 69€) Ce lapin, qui se connecte à Internet, est une sorte d’incarnation réelle du « moi virtuel » : il peut se connecter aux comptes mail, facebook, twitter, etc. de son propriétaire et donne vie aux notifications liées à ces différents comptes. C’est une interface entre le monde réel et Figure 13: le lapin internet. Nabaztag La société qui le produisait (Violet) a été rachetée par Mindscape, des producteurs de jeux pour Nintendo notamment, ce qui laisserait penser qu’il pourrait peut-être devenir un compagnon de jeu. RoboSapien (Prix de vente : 99€ au lancement) Ce robot-jouet, vendu tout de même à plus de 3 millions d’exemplaires, ets préprogrammé et peut-être commandé à distance. Plusieurs versions en ont été fabriquées. D’autre part des logiciels ont été conçus pour améliorer la durée de vie pour l’utilisateur du Figure 14: produit. RoboSapien, le robot-jouet La société qui le produit (Wowee Robotics) fabrique une multitude de jouets du même genre, à mi-chemin entre Tamagotchis (avec des personnalités assez limitées) et jouets télécommandables.

Il existe d’autres produits illustrant les concepts explorés, mais ceux présentés représentent le mieux ce qui a pu être fait en terme de robots jouets et de robots interface réel/virtuel. Ils ont tous les deux obtenu de réels succès commerciaux, mais ne se sont pas imposés comme étant plus que des gadgets technologiques pour les férus de robotique ou tout simplement des jouets, offrant beaucoup moins que ce que l’on attend d’un robot.

Un cas très particulier mérite cependant d’être exploré, de par son originalité, l’intensité des moyens mis en œuvre pour le développer et la notoriété qu’il a acquise : c’est le chien AIBO, conçu et fabriqué par Sony de mai 1999 à janvier 2006.

24 Monographie du cas AIBO, le robot-chien de SONY

Figure 15: Sony AIBO ERS-7 (One of the latest releases) Le cas du robot-chien de Sony est intéressant à bien des égards : c’est le robot qui avait l’intelligence artificielle la plus développée, et sa trajectoire marketing révèle bien les enjeux de la robotique humanoïde domestique.

Alors qu’il était vendu à un prix compris entre 1500 et 2500 €, l’AIBO s’est tout de même écoulé à plus de 250 000 exemplaires à travers le monde. Ce fût malgré tout un succès en demi-teinte pour Sony qui se retira de la robotique en 2006.

Le projet : Le cahier des charges qui a guidé la conception d’AIBO insistait très fortement sur une notion qui peut sembler surprenante : l’AIBO ne devait servir à rien. Il ne devait être qu’un compagnon robotique.

AIBO était ainsi doté de micros, haut parleurs, caméras, connexion à internet, capable de se déplacer et autonome (il allait se recharger tout seul sur son promontoire). Il était de plus doté d’une véritable personnalité, appelée le « mind », dont plusieurs versions ont vu le jour, qui évoluait au fur et à mesure de la vie du robot et le faisait par exemple parfois désobéir aux ordres.

Finalement, AIBO était doté de quelques logiciels, qui permettaient par exemple à l’utilisateur d’apprendre de nouveaux mots à son robot, etc.

25 Les réactions du marché Avec la force de frappe de Sony et la fascination que peut avoir la communauté robotique mondiale, notamment au Japon, les premières ventes d’AIBO se sont écoulées à une vitesse impressionnante : les 3000 premiers exemplaires destinés au marché japonais se sont ainsi écoulés en 20 minutes ! Figure 16: Sony AIBO ERS-110, la toute première version

Au fur et à mesure des éditions, il semble que l’intérêt suscité par le produit se soit essoufflé, et les ventes ont décliné, jusqu’à l’arrêt de la production. Parmi les hypothèses avancées pour expliquer cette baisse d’intérêt, on retrouve souvent le fait que malgré la sophistication de la personnalité d’AIBO, le robot ne semblait pas avoir la valeur d’usage attendue (fantasmée) par les utilisateurs. Cette hypothèse est appuyée par le fait que Sony ait essayé de développer des applicatifs (lecture de mails, flux RSS, etc.) pour enrichir l’usage d’AIBO.

La grande majorité des encore utilisés aujourd’hui se trouvent dans le monde de la recherche, puisque le robot-chien a longtemps été la plateforme standard de la RoboCup, se hacke facilement et représente une plateforme abordable pour débuter la recherche en robotique.

Ainsi de façon intrigante, on peut constater qu’AIBO, qui ciblait directement le marché « post-chasm » avait une plus grande valeur d’usage pour les innovateurs et early adopters. AIBO a ainsi parcouru le chemin inverse à la courbe classique de l’adoption de l’innovation pour finir dans des laboratoires de recherche, et on n’en doute pas, les projets secrets de Sony.

D’autre part, un autre robot chien, le GENIBO, fabriqué par dasaRobot, une société coréenne, a repris toutes les caractéristiques de l’AIBO en essayant d’en améliorer certaines. Ce robot est disponible sur le marché depuis quelques années, sans que l’on ait une idée précise de son succès commercial.

26 Source: "Sony AIBO: The World's First ." Sony, Moon, Youngme E.

AIBO, pourtant le tout meilleur rapport qualité/prix qui ait existé dans la robotique domestique et soutenu par la force du groupe Sony, a lui-même subi la schizophrénie de la robotique, entre science et science-fiction. Positionné comme un compagnon qui satisferait les fantasmes, il a été rattrapé par la technologie existante et déçu les attentes du grand public. Son intérêt scientifique n’a par contre vraiment pas déçu.

NAO est particulièrement proche d’AIBO en ce sens là : conçu à l’origine pour être un robot domestique/compagnon, comme peut l’évoquer son design particulièrement « mignon » et séduisant, il n’a pour l’instant été vendu qu’à un nombre très restreint d’ « alpha-testeurs ». Les débouchés « naturels » qu’il a trouvés sont les marchés de la recherche et de l’éducation, ce que nous allons détailler plus tard.

Conclusion

La robotique domestique et humanoïde doit donc trouver son chemin pour s’imposer au grand public et s’imposer comme un secteur du futur.

L’écart entre l’état de l’art technologique (déjà très impressionnant) et le rêve hérité de la science fiction tend à se réduire mais n’est pas encore comblé. Mais de nombreux acteurs se sont déjà positionnés pour être bien présents le jour où la technologie rendra disponible à un prix correct des robots qui possèderont des caractéristiques proches de ce qu’on attend du concept de « robot humanoïde ». Aldebaran Robotics en fait partie et rêve de produire le premier robot à joindre ces deux courbes :

27

Le projet et le discours même de l’entreprise naviguent dans cette ambivalence : confrontés à la réalité technique des défis technologiques à relever, tous ceux qui travaillent par Aldebaran Robotics continuent pourtant à rêver d’applications futures particulièrement utiles et innovantes. Le discours d’Aldebaran Robotics consiste d’ailleurs à « faire rêver » une communauté d’aficionados et de personnes intéressées : le rêve ainsi colporté aide à convaincre les investisseurs, faire patienter la future clientèle et travailler pour des objectifs très ambitieux, ce qui motive les troupes.

Ce besoin de faire coller la technologie aux attentes des consommateurs (celles héritées de la science-fiction et de l’imaginaire collectif) est un défi auquel sont confrontées toutes les innovations dont la possibilité et les usages ont été évoqués dans la littérature. Il en est ainsi de la réalité augmentée, des hologrammes, etc. On peut identifier deux impacts importants sur ces innovations et leur conception :

 Tenir compte de l’attente « populaire » : les innovations existent dans l’imaginaire collectif avant d’être réelles demandent un réel travail d’identification de l’attente des clients. Une fois ce travail effectué, il faut se demander si l’on va chercher à satisfaire ses attentes ou si l’on va chercher à s’éloigner de l’imaginaire collectif pour proposer un produit qui soit moins évocateur, au risque de moins fasciner. 28  Le besoin d’habillage et de démonstrations : souvent, si la technologie n’est pas totalement prête pour un usage prédéfini, on peut s’arranger pour qu’elle « semble » l’être. Cette nécessité a poussé Bruno Maisonnier à recruter des personnes dont l’expertise semble pourtant bien éloignée de la robotique : acteurs, ergonomes, etc. D’autre part, il faut pouvoir démontrer les capacités de NAO, et encore une fois pour des produits innovants, la démonstration revêt une très grande importance

Au-delà des exigences technologiques, des applications et des usages, il subsistera toujours le critère économique. Le produit doit trouver un équilibre adéquat entre la valeur attendue (créée par l’image répandue des robots), la valeur perçue (la valeur d’usage réelle du robot : son interactivité, sa vie autonome, etc.), le prix auquel le client serait prêt à l’acheter, et celui auquel l’entreprise peut et veut vendre le robot.

b. Le marché des innovateurs et les dispositifs publics : une rampe de lancement pour NAO ?

Introduction

En attendant de trouver cet équilibre, il faut bien financer la quête et faire vivre les 100 salariés qui travaillent à la conception, production, etc. de NAO. Aldebaran Robotics, dont les concurrents sont a priori des entreprises avec une forte assiste financière arrive tout de même à survivre dans cet environnement. Quels enseignements peut-on en tirer ?

Il semble que la survie financière d’Aldebaran Robotics jusqu’à aujourd’hui tient principalement à deux facteurs :

 le produit, évolutif et qui va sûrement changer d’ici à son arrivée au grand public, est déjà un produit fini, industrialisé et utilisable pour le marché « pre-chasm » : Aldebaran Robotics illustre ainsi, conformément à ce que disait Moore, qu’il existe un marché avant le gouffre.  les dirigeants de l’entreprise, issus de la finance et de la banque, connaissent particulièrement bien les dispositifs destinés à financer l’innovation : dispositifs, projets collaboratifs et fonds d’investissement…

29 i. Le marché des innovateurs

Introduction

Dans son livre « Crossing the chasm », Geoffrey Moore évoque le fait qu’il existe bien un marché « pre-chasm » : les innovateurs et « early adopters » représentent une clientèle non négligeable pour une jeune entreprise. Ces clientèles ont souvent de l’argent à investir, mais aussi des exigences et un fonctionnement bien particuliers, dont il faut savoir se départir lorsqu’on cherche à diffuser l’innovation.

Le marché des innovateurs et des « early adopters » dans la robotique peut être divisé en deux facettes : celui de la recherche/éducation et celui des hobbyistes. Il se trouve que NAO n’était pas forcément adapté au marché des hobbyistes, qui semble être un marché plutôt restreint, où les budgets sont limités. En effet les hobbyistes sont un public bien particulier qui cherche à construire son propre robot, en allant de l’électronique jusqu’à la programmation. C’est un public pour lequel le plaisir, c’est autant le but (construire un robot doué de tel ou tel capacité), que le chemin (acheter les bons kits et les organiser de la bonne manière, etc.

En vendant environ 700 robots deux ans après la première industrialisation de NAO, Aldebaran Robotics rappelle aux entreprises innovantes qu’il existe bien un marché sur lequel on peut s’appuyer, même peu de temps après le lancement d’un produit, même si celui-ci est encore destiné à évoluer.

Quelles sont les caractéristiques de ce marché ? Comment ce marché interagit-il avec la stratégie à long terme d’Aldebaran Robotics ? Quels sont les profits qu’Aldebaran Robotics peut tirer de ce marché ?

NAO, une plateforme pour la recherche ?

En 2007, lors que le comité organisateur de la RoboCup a émis un appel d’offre pour remplacer l’AIBO de Sony, Aldebaran Robotics, qui n’avait alors que 2 ans, et dont le produit, NAO n’avait encore été ni vendu ni industrialisé. C’est donc un prototype qui a remporté un appel d’offre, face à des concurrents japonais, etc. Dans un souci de clarté, précisons avant tout ce en quoi consiste la RoboCup.

30 La RoboCup, championnat du monde de la recherche en robotique La RoboCup est une compétition annuelle dont la première manifestation a eu lieu en 1996 à Osaka. Cette compétition regroupe tous les ans des chercheurs en robotique qui ont préparé toute l’année avec leurs étudiants un ou plusieurs pour la compétition.

Il existe plusieurs compétitions, chacune organisée en plusieurs ligues : la RoboCup Soccer, la RoboCup Rescue et la RoboCup Junior. Nous allons nous intéresser plus particulièrement à la RoboCupSoccer, dont l’objectif annoncé, à moitié de façon humoristique, est que l’équipe des robots champions du monde en 2050 batte l’équipe des champions du monde de la FIFA.

Cette compétition comporte plusieurs ligues, dans lesquelles la taille et la forme des robots changent : la ligue Figure 17: Deux NAOs à la simulée, la ligue avec des robots de petite taille, la ligue RoboCup avec des robots de taille moyenne, la ligue des robots humanoïdes, et finalement la ligue de la plateforme standard (Standard Platform League). En dehors de la SPL, dans toutes les catégories, les participants doivent concevoir des robots autonomes, du hardware jusqu’au software en passant par l’algorithme permettant aux robots de jouer au football.

La Standard Platform League met aux prises une trentaine d’universités triées sur le volet qui travaillent toutes sur le même robot (AIBO de Sony puis NAO d’Aldebaran Robotics) : la compétition se joue ainsi sur le software et l’intelligence artificielle conçue pour le robot. Pour préparer au mieux la compéition, les équipes travaillant pour cette compétition abordent des sujets aussi variés que : la marche et donc la kinématique, la localisation (la capacité pour le robot à savoir où il se trouve), la vision (le robot doit voir la balle, ses adversaires et coéquipiers), les stratégies collaboratives (qui sont apparues en 2010…)…

31 Tous les ans, les participants à la RoboCup font des progrès étonnants, que ce soit sur le hardware ou sur le software. La compétition est ainsi chaque année l’occasion de faire un bilan de l’état de l’art de la technologie en robotique, de comparer les robots existants sur le marché et les savoir-faire des clients.

Le fait d’avoir été choisi comme la plateforme officielle pour SPL a eu plusieurs impacts sur la stratégie d’Aldebaran Robotics :

 La SPL a offert une visibilité et une reconnaissance du marché de la recherche en robotique. Aldebaran Robotics s’est ainsi rendu compte que NAO, s’il n’était pas encore un produit fini pour le grand public, pouvait être très utile pour les chercheurs, et être vendu tel quel (il restait alors à en définir la valeur).  La SPL offrait une base établie d’utilisateurs experts à Aldebaran Robotics, qui a pu ainsi s’inspirer des retours marché et algorithmes développés par et pour les RoboCuppers pour continuer à perfectionner son NAO.

Partant de là, Aldebaran Robotics a décidé d’investir pleinement le marché de la recherche, et NAO y comble un véritable besoin : les chercheurs en robotique, traitement du signal, intelligence artificielle, etc. ont souvent besoin de robots :

 Comme outil de travail : Pour tester les algorithmes qu’ils développent dans un environnement dynamique (c'est-à-dire dans lequel il peut arriver de l’imprévu), puis…  Comme outil de démonstration : le fait de pouvoir embarquer un logiciel ou un comportement sur le robot pour le jouer et que tout fonctionne correctement accorde beaucoup de valeur au travail effectué sur le robot.

Or ces besoins étaient rarement comblés, si ce n’est par des robots hackés, comme l’a longtemps été l’AIBO, ou par des robots construits pour l’occasion, ce qui faisait perdre du temps aux chercheurs, qui pour traiter un sujet comme la cartographie devait par exemple faire de la mécanique, de l’électronique, de la programmation bas-niveau, etc.

Dès lors NAO, grâce à la qualité du produit, son environnement évolué et ergonomique de programmation et sa polyvalence, a su s’imposer comme une plateforme standard, non seulement de la RoboCup, mais plus généralement de la recherche qui utilise des robots. 32 C’est ainsi qu’il est utilisé par des projets de recherche financés par l’Union Européenne, des travaux de laboratoires privés ou publics, ainsi que des centre de recherche et développement d’entreprises, pour explorer des sujets très variés, allant de la recherche en robotique pure jusqu’au traitement de l’autisme.

Le mot de plateforme n’est pas anodin ici. En effet, même si NAOQi ou les applications bureautiques de l’environnement de programmation ne sont pas « open-source », tout est très bien documenté, et permet aux utilisateurs de modifier, de façon modulaire et à plusieurs niveaux, les capacités du NAO qu’ils reçoivent comme étant une coquille vide.

Voici un schéma récapitulatif des différentes méthodes de programmation, et ainsi des différents niveaux auquel NAO et les logiciels alentour peuvent être considérés comme une plateforme.

On le voit, NAO est déjà une plateforme software : on peut y ajouter ses propres méthodes, applications, etc. de façon assez simple et modulaire. Peut-être qu’un jour NAO sera une véritable plateforme hardware, lorsqu’on pourra y apposer des OS différents de NAOQi. Cette solution n’a pour l’instant pas été adoptée pour une raison simple : les différents acteurs de la robotique et leurs pouvoirs de négociation n’étant pas encore bien établis, on ne peut prédire à l’avance s’il est plus important de maîtriser le hardware ou le software, il faut donc se positionner à l’avance sur tous les niveaux.

33 Le marché de la recherche : un marché de lead-users ?

Eric Von Hippel, professeur et chercheur à la MIT Sloan School of Management, est connu pour l’intérêt qu’il porte à l’innovation venant des utilisateurs. Il est notamment à l’origine du concept de « lead-user », qu’il définit comme un utilisateur ressentant des besoins bien avant le reste du marché, et qui bénéficierait grandement d’une solution à ses besoins.

Cette méthode – à contre-courant des méthodes traditionnelles de marketing, qui consistent à adresser les besoins de la grande majorité d’utilisateurs- est particulièrement adaptée aux produits innovants, pour lesquels il faut imaginer des usages pour mieux définir les fonctionnalités, etc.

Dès lors nous allons utiliser la méthodologie définie par Eric Von Hippel et voir à quel point elle est adaptée à Aldebaran Robotics. NAO possède-t-il les bons utilisateurs pour appliquer les théories de Von Hippel ? Si oui, Aldebaran Robotics a-t-il mis les bons outils en place pour exploiter au mieux ces « lead users » ?

Plus concrètement, et de façon adaptée à NAO et la robotique humanoïde, cette méthode consiste à s’entourer, questionner et écouter des utilisateurs leaders et précurseurs qui savent déjà à peu près de quoi sera fait « le robot de demain ».

→ Qui cela peut-il représenter pour NAO et Aldebaran Robotics ?

Une fois ce cercle d’utilisateurs innovants constitué, il faut leur donner les moyens de communiquer et de co-concevoir des technologies et usages sur et pour NAO. C’est ce que Von Hippel appelle des « user toolkits for innovation », qui permettent de déléguer au mieux l’innovation aux utilisateurs.

→Quels sont ces outils de partage de l’information pour NAO et Aldebaran Robotics ? Faut-il réellement les mettre en œuvre ?

Les chercheurs sont-ils des lead-users ?

Si tous les chercheurs achetant NAO sont prêts à mettre le prix pour acheter leur NAO, c’est bien que ce produit leur apporte des bénéfices très importants. Une des caractéristiques des « lead users » chers à Von Hippel est donc présente chez la plupart des cliens d’Aldebaran Robotics. Essayons de déceler chez les clients d’Aldebaran Robotics ceux qui ont un comportement de « lead users ». 34 On peut d’ores et déjà qualifier de « lead users » les entreprises qui ont acheté des NAOs pour voir comment elles pourraient intégrer des robots à leurs services. Dès lors NAO leur sert de prototype de robot domestique, leur permettant d’explorer les liens entre la robotique et le service qu’elles procurent à leurs clients.

On peut aussi sûrement qualifier de « lead users » les chercheurs comme par exemple Dimitar Dimitrov, Federico Pecora et Todor Stoyanov, qui explorent avec leurs élèves un prototype de maison du futur dans laquelle NAO s’intègrerait parfaitement, à mi-chemin entre majordome et domestique. Dans leur expérience, NAO accueille sa « maitresse », puis va lui chercher une canette de soda dans le frigidaire. Les exemples de tels usages ne manquent pas : ainsi les chercheurs de l’University of Connecticut, qui se demandent si les robots humanoïdes ne peuvent pas contribuer au traitement des enfants autistes, ou le groupe de recherche du Lutin (à la Cité des Sciences), qui explore avec l’entreprise Paraschool les usages possibles de NAO dans l’éducation avec les enfants. Chacun de ces groupes de chercheurs utilisent NAO non pas comme un produit final, mais plutôt comme un outil pour valider l’utilité des robots humanoïdes dans leur domaine de recherche. Ils utilisent en fait NAO comme une plateforme non finie (notamment du point de vue des applicatifs et des prérequis si nécessaire) dont ils aimeraient pouvoir établir le cahier des charges final.

Finalement, même ceux qui utilisent NAO non pas comme un prototype mais en tant que tel -c'est-à-dire une plateforme vide pour explorer la vision, la marche, etc.- peuvent avoir un comportement de « lead-users », quoique moindre : ils sont en train de jeter les bases des principes de l’intelligence artificielle des robots de demain, et peuvent donc avoir un avis très intéressant sur la qualité du processeur, des moteurs, des actuateurs ou du software.

Ainsi on peut facilement penser que la quasi-totalité des utilisateurs peut avoir un comportement de « lead-user », même si dans l’optique d’une vente au grand public, on peut se concentrer sur ceux qui utilisent NAO comme un prototype non fini pour explorer tel ou tel usage : ce sont eux qui seront le plus à même de dire de quel robot (senseur, capacités, interactions, etc.) ils ont besoin.

Il faudrait dès lors leur donner des outils (un « toolkit » ?) pour communiquer leur savoir et leurs progrès à Aldebaran Robotics ! D’autant plus que l’entreprise, du haut de ses 100 employés, avec une moyenne d’âge plutôt jeune et dont une grande partie a commencé à 35 travailler pour l’entreprise, manque à la fois des ressources, de l’expertise et peut-être du recul pour développer des applicatifs et/ou avoir une vision claire des pré requis nécessaires au bon développement de ces applicatifs.

Comment adapter la notion d’« user innovation toolkit » à Aldebaran Robotics et NAO ?

Un « toolkit » pour les utilisateurs comporte deux parties essentielles : un pan lié à la conception et création, et un pan lié à la communication des créations proposées par les utilisateurs. Or en ce qui concerne NAO, une première partie existe déjà : en effet, NAO est vendu avec un SDK (System Development Toolkit), déjà décrit ci-dessus, qui permet assez facilement de :

 Créer des logiciels pour le robot  Modifier la plateforme software de NAO

Dès lors il ne reste plus que les outils de partage et de communication à mettre en place. Lesquels sont-ils, existent-ils et qu’apportent-ils ?

Les outils de partage et de communication à mettre en place

Les échanges d’informations entre les concepteurs du produit et les « lead users » peuvent être multiples : feedbacks, suggestions d’améliorations ou de fonctionnalités nouvelles, retours sur les bugs, etc. Aldebaran Robotics a baeucoup à apprendre en s’appuyant sur la communauté d’utilisateurs et les mines d’informations qu’ils représentent : sur les usages, sur les capacités du robot, etc. L’entreprise apprend en même temps que ses clients la façon dont le robot est utilisé et donc comment il doit être conçu…

Plusieurs outils ont donc été mis en place à cet effet ; on peut les classer en deux catégories : les outils « online » et les outils « IRL » (in real life).

Les outils « online » sont principalement les forums dédiés aux différentes catégories d’utilisateurs et de « lead-users » pour le robot. Il en existe plusieurs, dédiés à plusieurs communautés et desquels on va donc tirer plusieurs types d’information.

Il existe donc un forum Grand Public, accessible à tout un chacun mais occupé principalement par des fans de robotique, de tous âges et de toute origine, que l’on peut considérer comme des « early adopters » ou « lead users » pour la robotique humanoïde

36 domestique. Ces personnes ne sont pas des clients actuellements, mais ils feront sûrement partie des tous premiers clients : pas un jour ne passe sans qu’ils ne demandent quand NAO sera disponible au grand public… Dès lors, le forum peut être utilisé comme une source d’informations quand aux attentes de ceux qui seront les premiers prescripteurs du robot. C’est d’ailleurs pour ça que ce forum est séparé en quatre catégories qui pourraient être des catégories de conception du cahier des charges : Général, Hardware, Chorégraphe (Software…), Comportements et Développements par les utilisateurs…

Il existe aussi un forum dédié aux clients/utilisateurs académiques de NAO, duquel l’entreprise peut s’inspirer pour recueillir des informations sur les bugs, les usages, les fonctionnalités manquantes, etc. Ce forum, qui est avant tout un espace de support et d’aide aux utilisateurs, est conçu autour des briques logicielles du robot et des thèmes de recherche qui en découlent. Il permet donc à l’entreprise d’apprendre un peu sur les travaux de recherche, usages, etc. du robot. Cependant il n’est pas parfait pour cela, puisque les utilisateurs ne font que remonter les problèmes auxquels ils sont confrontés et pas du tout les résultats qu’ils obtiennent grâce au robot. Nous allons voir plus tard (3ème partie) quels outils sont mis en place pour échanger le contenu créé sur et pour le robot, afin de combler ce manque et donc de structurer la communauté.

Les outils IRL (« in real life ») sont moins nombreux car plus coûteux et n’apportant pas forcément autant. On peut citer par exemple les conférences et les ateliers/formation organisés par l’entreprise. Si les conférences ont un réel intérêt commercial, elles ne permettent pas forcément un retour sur le robot très intéressant : elles donnent plutôt un retour sur le marché et l’intérêt des potentiels clients par rapport à NAO. Les ateliers et les formations organisés par l’entreprise pour ses clients et ses prospects sont par contre beaucoup plus enrichissants, et ce n’est pas sûr que l’entreprise en tire tout le profit qu’elle puisse en tirer. En effet on y voit les utilisateurs de NAO travailler sur le robot, ils y montrent leurs difficultés et ce avec quoi ils sont à l’aise, etc. Un réel retour à partir de ces « workshops » permettrait sûrement d’avoir un meilleur retour du marché et des clients sur le robot et par exemple sa facilité d’usage…

Le financement de l’innovation

Si Aldebaran Robotics est encore une entreprise qui recrute et croît aujourd’hui, c’est en partie grâce à sa maîtrise des processus de financement dont peuvent profiter les jeunes

37 entreprises innovantes. Par cet aspect, ainsi que par son histoire, Aldebaran Robotics illustre assez bien les différents leviers financiers qui permettent de financer les entreprises innovantes.

Sans trop rentrer dans le détail, ni dans un souci d’exhaustivité, citons dans un ordre plus ou moins d’arrivée ces différentes sources.

Le tout premier apport qui permet de créer l’entreprise est bien entendu l’argent que va apporter le fondateur et la « love money » (argent des proches). C’est cet argent qui constitue dans la plupart des entreprises la toute première (en ordre d’arrivée) source de financement, qui permet à l’entreprise de préciser son concept, d’affiner son business plan, bref, de commencer à travailler. De ce côté, Aldebaran Robotics n’est pas particulièrement innovante.

Au-delà de ça, l’entreprise, comme toutes les autres, se finance soit par l’ « equity », soit par la dette, selon ce que l’on cherche à financer et ce qui est disponible sur le marché à un prix raisonnable. Aldebaran Robotics a ainsi comme investisseurs extérieurs CDC Innovation et i- Source Gestion, deux sociétés de capital-risque ayant une certaine expertise dans les technologies de l’information. De plus, l’entreprise comme toutes les autres fait appel aux banques pour leur emprunter de l’argent.

Par contre, là où Aldebaran Robotics innove concernant son financement, c’est dans sa connaissance des dispositifs d’innovation, qu’ils soient européens ou français. Ainsi, on peut le constater sur le site Internet, l’entreprise est soutenue par l’Ile de France, via le dispositif PM’Up, via le CRITT (Centre Régional d’Innovation et de Transfert de Technologie) et par le dispositif Oséo-Anvar dont bénéficient les PME-PMI.

D’autre part, Aldebaran Robotics cherche toujours à accompagner des laboratoires partenaires dans l’élaboration de projets financés par l’Union Européenne ou d’autres institutions dans le cadre des grands plans de financement de la recherche. Ces projets sont pour l’entreprise l’occasion de :

 Collaborer avec des experts de la robotique sur des sujets qui peuvent être appliqués à NAO : la prosodie par exemple pour le projet GV-Lex, etc. Nous reviendrons sur les projets collaboratifs en tant qu’outils de l’ « open innovation » chez Aldebaran Robotics 38  Obtenir du soutien financier pour mener à bien des projets rentrant dans les plans stratégiques, qu’ils soient européens, régionaux ou français. Ainsi par exemple l’Ile de France a souhaité développer un robot humanoïde de grande taille (1m40) qui soit un prototype de robot destiné à l’assistance à la personne. Ce projet, qui intéressait bien sûr Aldebaran Robotics, qui possède quelques unes des compétences nécessaires au bon déroulement du projet, était doté d’un financement de quelques millions d’euros, dont Aldebaran Robotics a récupéré la moitié au titre du travail que l’entreprise va effectuer pour ce projet.

Je ne souhaite pas développer plus longtemps cette partie, pour des raisons de confidentialité ainsi que d’intérêt pour le lecteur, mais il est important d’insister sur le point suivant : il existe des dispositifs en France, en Europe, permettant de financer les entreprises qui portent des projets ambitieux et innovants. Aldebaran Robotics fait partie de ces entreprises et a su convaincre de nombreuses institutions de les accompagner dans le développement de l’entreprise, et quelque part de prendre part à la grande aventure de la robotique.

Si Aldebaran Robotics réussit aussi bien à convaincre les institutions et les investisseurs, ce n’est pas pour rien. Certes, la robotique est un secteur d’avenir, et le produit parle de lui- même, en éveillant la part de rêve de chacun, mais il ne faut pas négliger le travail effectué. En effet Le talent et le savoir-faire des membres de l’entreprise qui effectue du « lobbying » est au moins aussi impressionnant que les connaissances des ingénieurs de l’entreprise en kinématique inversée, par exemple, et a contribué au moins autant -sinon plus- au bon déroulement de l’aventure d’Aldebaran Robotics.

c. Quelle stratégie à long terme pour Aldebaran Robotics et NAO ? i. La « bowling alley » de Moore ?

Introduction : les parallèles entre la robotique et l’informatique des années 70

Aux yeux des fondateurs de l’entreprise, la robotique domestique en est aujourd’hui au même point que l’informatique dans les années 70. Or qu’est ce qui a permis le décollage de

39 l’informatique ? Plusieurs analyses circulent à ce sujet, mais souvent l’on y retrouve un point commun : la « killer app ».

L’informatique, exactement comme la robotique aujourd’hui, était dans les années 70 un ensemble de « coquilles vides ». Tout comme on le dit souvent chez Aldebaran Robotics à propos des capacités et usages possibles de NAO, « tout est [était] possible, il suffit [suffisait] de le programmer ». Ce constat est particulièrement vrai de la robotique et de l’informatique dans le sens où ce sont des technologies qui ne possèdent a priori que peu de limites d’applicatifs, et dont les usages n’évolueront qu’au rythme de ce que l’on y programme.

Or une « coquille vide », cela a peu d’intérêt pour le commun des mortels, qui n’apprécie une technologie si celle-ci peut lui être utile. Et la technologie, pour acquérir sa légitimité, doit donc trouver au moins une utilité bien établie. Ce que certains appelleront la « killer app », application, usage par lequel une technologie s’impose et se fait accepter par une base établie d’une masse critique. Pour l’informatique, ce fût – même si on peut en débattre – la combinaison de l’interface avec la souris et les tableurs pour entreprises. Il reste encore à trouver celle de la robotique…

En général, une fois la légitimité de l’innovation acquise grâce à sa « killer application », l’innovation se répand généralement dans d’autres secteurs, pour d’autres usages, etc., de plus en plus grand public. Ainsi par exemple, on l’a vu, l’informatique ne s’est pas limitée aux tableurs. Un autre exemple est celui de la membrane Gore-Tex, qui est passée du câblage de fils électriques aux « sweats » en laine polaire, après avoir parcouru bien des usages et des secteurs industriels. Cette phase marque le véritable avènement et une plus grande diffusion de l’innovation.

L’analyse de Moore : la « bowling alley » qui suit le « chasm »

Geoffrey Moore – dont nous avons cité le livre Crossing the chasm - a déjà bien analysé ce processus et préconisé des stratégies adaptées à chacune des phases de diffusion de 40 l’innovation. Il a d’ailleurs écrit son livre en tenant bien compte des moyens limités des entreprises qui sont en général concernées par le gouffre de Moore. Que nous enseigne-t-il ?

Selon Moore, il ne faut perdre ni trop de temps ni trop de ressources à essayer d’élaborer le bon usage, de trouver la « killer app » qui tombe parfaitement sous le sens, etc. Il faut, une fois que l’on a identifié un usage plausible (en terme financiers comme de marché), orienter l’ensemble des ressources de l’entreprise et mettre tous ses œufs dans le même panier, afin de tenter de s’imposer sur ce marché et quitte à devoir persévérer.

Cette étape est largement la plus risquée pour les petites entreprises qui travaillent dans des secteurs émergents, et est une décision difficile à prendre pour les dirigeants de l’entreprise. En effet, elle demande de lancer tout ce qui a été construit au préalable à quitte ou double sur un marché que l’on ne peut pas trop étudier.

C’est cependant une étape cruciale, à partir de laquelle on va construire la croissance future de l’entreprise. En effet, si l’innovation a réussi à s’imposer sur un premier marché, le reste vient selon Moore assez naturellement : d’un premier usage en découle un deuxième, puis un troisième, etc. C’est la « bowling alley », dans laquelle les quilles (métaphores des marchés) que l’on a faites tomber au début entrainent les autres à leur suite. Vient ensuite la période de la tempête, pendant laquelle les sollicitations-très nombreuses, peuvent menacer la santé de l’entreprise, si on y prête pas attention. Mais Aldebaran Robotics n’en est pas encore là.

Comment faut-il appliquer cela à NAO et à la robotique ? Est-ce possible d’appliquer cela à NAO ?

Les applications théoriques à NAO et Aldebaran Robotics

Introduction

Aldebaran Robotics n'a pour l'instant pas trouvé la "killer app" qui fera de NAO un objet incontournable de la vie de chacun. Cette recherche de l'application qui rendra le robot convaincant aux yeux des pragmatiques est le travail d'une équipe dédiée dans l'entreprise. Plusieurs voies sont explorées par cette équipe, dont nous ne pouvons pas dévoiler les résultats des travaux pour des raisons de confidentialité.

41 Cependant nous pouvons imaginer, avant de démarrer une exploration des usages grâce à la théorie C-K, que NAO devrai être doté d'une vie autonome et pas uniquement télécommandable. Cette capacité d'autonomie-pour peu qu'elle soit satisfaisante au niveau de l'usage- devrait constituer une importante partie de la valeur proposée au client. Un autre pan de la valeur qu'Aldebaran Robotics pourra apporter à ses clients sera la capacité à porter sur NAO des usages existants: la correspondance par mail, les réseaux sociaux, la capacité à se géolocaliser et à guider l'utilisateurs, la reconnaissance de musique, etc. Rachid Alami, chercheur au LAAS, un des plus importants laboratoires de robotique de France, prédit d'ailleurs que les premières applications domestiques des robots humanoïdes ne seront pas de nouveaux usages, mais plutôt "des usages existants exécutés par NAO plutôt que par votre téléphone, votre ordinateur ou votre GPS".

Exploration des usages pour un robot humanoïde domestique grâce à la théorie C-K

La particularité d’un robot humanoïde est censée être sa polyvalence : ses capacités doivent être proches de celles d’un être humain, alors qu’il ne reste qu’un ordinateur animé, doté d’actuateurs et de senseurs. Dès lors l’étendue des usages potentiels est immense : NAO devrait être capable de bien des choses, à condition d’être programmé pour. Ainsi un des leitmotiv d’Aldebaran Robotics est la phrase suivante : « la seule limite des capacités de NAO, c’est votre imagination ! »

La réalité est un peu différente : si le potentiel de NAO semble très large, ses capacités sont limitées par plusieurs facteurs :

- Le hardware : les choix de conception de NAO ont toujours été guidés par la recherche de l’optimum qualité/prix. Dès lors certains de ses senseurs n’offrent pas toujours des capacités suffisantes à des usages très précis, et les capacités de calcul ne sont pas infinies. - Le software : les capacités des robots sont encore limitées par l’état de l’art de la recherche en robotique. En effet sur certains points (comme par exemple l’apprentissage) la recherche n’arrive pas encore à imiter parfaitement les capacités des êtres humains. - Les applications : certaines applications ont déjà été testées, et ni leur ergonomie ni leur utilité ne sont encore très évidentes.

42 En fait, comme le dit Bastien Parent, responsable communication chez Aldebaran Robotics, « NAO est un décathlonien » : il est assez fort partout, mais très performant nulle part. Dès lors, il faut continuer à explorer le champ des possibles, ce qui est fait dans l’arbre C-K qui suit. Cette polyvalence, qui est son atout sur le marché de la recherche et de l’éducation, pourrait lui nuire, si on ne trouve pas d’usage satisfaisant les « pragmatiques » dont NAO soit capable.

Cet arbre conceptuel a été fait sur la base d’une polyvalence présupposée de NAO, en tant que robot humanoïde, sans tenir compte de ses limites de fonctionnalités dues, on le comprend, à sa non-spécialisation.

Figure 18: l'arbre C-K des usages possibles pour un robot humanoïde comme NAO

NB : Toutes les interactions entre l’espace C et l’espace K n’ont pas été représentées ici, afin de ne pas trop obscurcir le propos.

43 Conclusion

On le comprend bien, si la « killer app » pour NAO avait déjà été trouvé, elle aurait déjà été explorée, et NAO aurait été spécialisé pour cet usage. Jusqu’à présent, et tant que des usages-clés n’auront pas été trouvé, Aldebaran Robotics ne peut rien faire d’autre que continuer à améliorer les performances d’un robot « décathlonien », tout en explorant les possibles usages et applications.

Chacune des voies explorées dans cet arbre C-K ferait appel à de nombreux partenaires de recherche et de développement. Ainsi par exemple, se poser la question de savoir si NAO peut être un robot majordome nécessite de travailler en partenariat avec des entreprises travaillant dans la domotique, le service à la personne, le mobilier domestique, comme par exemple Moulinex ou Schneider Electric. Dès lors que l’on ne sait pas quel usage sera celui qui permettra à la robotique domestique de décoller, il est difficile d’investir tous ses œufs complètement un des concepts identifiés, au risque de ne pas choisir le bon… L’entreprise a donc choisi un certain nombre de dispositifs pour explorer les usages, ainsi que pour améliorer les capacités du robot, que nous détaillerons plus tard.

On le verra, ce sont les deux principaux axes de travail d’Aldebaran Robotics dans la réalisation de sa stratégie à long terme, qu’il convient d’expliciter ici.

ii. La vision à long terme

Introduction

C’est en continuant à tracer les parallèles entre l’industrie de l’informatique dans les années 70 et la robotique domestique d’aujourd’hui que l’on peut se faire une idée de la vision à long terme d’Aldebaran Robotics.

Prenons un exemple -pas tout à fait au hasard: celui de l’entreprise Apple, fondée en 1976 par trois salariés d’Atari, dont bien sûr Steve Jobs et Steve Wozniak. Cette entreprise aujourd’hui mondialement connue grâce à ses ordinateurs, lecteurs mp3 et téléphones bons à tout faire est un des leaders de l’industrie informatique depuis ses débuts. Elle a aussi grandement contribué à l’adoption par le plus grand nombre des ordinateurs et logiciels, en diffusant les technologies de la GUI (« Graphic User Interface ») et de la souris.

44 Le parallèle est particulièrement intéressant à tracer : Apple, de façon assez unique, a une stratégie tout intégré, depuis le début de son histoire, et persiste plus ou moins dans cette voie. L’entreprise vend du hardware au design innovant et attirant pour lequel elle a développé un software reconnu pour son ergonomie et son efficacité. Ces différentes caractéristiques ainsi qu’un marketing ambitieux ont engendré un quasi-fanatisme étonnant de la part de la plupart des utilisateurs. C’est peu ou prou le positionnement que souhaite atteindre Aldebaran Robotics.

Qu’est ce que cela indique concernant la stratégie à long terme d’Aldebaran Robotics ? Que peut-on citer comme horizons vers lesquels l’entreprise va déjà commencer à avancer ?

NAO, le produit et les services

La vision à terme de NAO et des services alentours est complexe et élaborée certes, mais surtout pas encore véritablement définie. Nous pouvons essayer ici d’en élaborer les principales caractéristiques.

NAO doit être un robot compagnon qui a réussi à prouver son utilité ou en tous cas sa valeur d’usage à ses usagers. Il saura acquérir cette valeur d’usage tout d’abord grâce à une intelligence artificielle tournée vers l’interaction avec l’utilisateur et son environnement (domotique, Internet, du mobilier même ?). Cette intelligence artificielle est censée le rendre adapté à son environnement, le doter d’une personnalité ainsi que de capacités d’apprentissage : le robot doit interagir, séduire et ce à long terme.

Toujours afin d’augmenter la valeur d’usage du robot, et de s’assurer que chaque client sera bien un prescripteur, NAO pourra s’alimenter ou être alimenté par l’utilisateur sur une base de données contenant des comportements développés par la communauté. Ces comportements pourront être gratuits ou payants.

Finalement, des accessoires et extensions hardware seront disponibles pour les utilisateurs de NAO qui veulent agrémenter leur quotidien avec le robot : des outils de communication entre machines, des habits, des meubles pour NAO, etc.

Roméo : un assistant à la personne ?

45 Le projet Roméo, dont nous avons parlé dans la sous-partie précédente, consiste à créer un robot humanoïde d’1m40 de haut, qui soit un assistant à la personne, destiné aux personnes âgées, malvoyantes ou en perte d’autonomie. Ce robot est conçu et développé par Aldebaran Robotics avec d’autres partenaires, comme Acapela, As an Angel, l’INRIA, le LAAS, etc. et financé par la région Ile de France.

Un premier prototype fonctionnel doit voir le jour avant la fin de l’année 2010, doté de certaines fonctionnalités. La version finale de Roméo doit être capable d’aider une personne à se déplacer ou à se relever, ainsi qu’à déplacer des objets. Il devra obéir à des commandes vocales et s’insérer sans être intrusif dans le quotidien de son propriétaire. La version finale ne sera a priori pas destinée à être tout de suite commercialisée, mais tout d’abord à être évaluée par des patients de l’institut de la Vision.

L’existence et les caractéristiques finales de ce robot auront un impact non négligeable sur la stratégie d’Aldebaran Robotics. Selon son prix et ses fonctionnalités, le robot pourra venir agrémenter la gamme d’Aldebaran Robotics, qu’elle soit destinée à la recherche ou au grand public.

Le projet Roméo est un projet très prospectif, mais il fait clairement partie de la volonté d’Aldebaran Robotics d’avoir à sa disposition une gamme de produits, faite de robots humanoïdes dotés de différentes capacités et plus ou moins spécialisés. D’autre part, ce projet montre toute la maturité en termes de gestion d’innovation de l’entreprise, qui cherche à capitaliser : entre NAO et ROMEO, il y a beaucoup de points communs. Ainsi par exemple ROMEO devrait se baser sur l’architecture de NAO, mais les développements faits pour ROMEO pourront aussi être réutilisés pour améliorer NAO.

Aldebaran Robotics, chef de file d’une

46 constellation de la robotique

L’entreprise est bien consciente des défis qui l’amèneront jusqu’à l’existence d’un robot domestique qui soit adopté par le grand public. Elle est aussi consciente de l’aura qui l’entoure, et de la fascination et de la passion que NAO peut faire naître chez beaucoup de gens. Finalement, grâce à Internet et aux nouveaux modes de communication, les entreprises commencent progressivement à mettre en place du management de communautés.

Ces trois facteurs ont fait émerger l’idée qu’Aldebaran Robotics pouvait s’imposer comme chef de file de la robotique domestique et/ou humanoïde française sinon européenne, grâce notamment à une gestion communautaire élaborée, qui comprendrait :

- La communauté de la robotique : salariés, fournisseurs, concurrents, représentants du monde de la recherche, d’associations, etc. Aldebaran Robotics commence d’ores et déjà à prendre ses marques dans ce rôle là en tant que membre fondateur du pôle de compétitivité Cap Robotique - La communauté des chercheurs/professeurs : la communauté des utilisateurs existants est une communauté dont le fonctionnement est particulier mais qui cherche cependant à se souder afin de faire progresser la connaissance en robotique et donc les capacités de NAO. C’est aussi à partir de cette communauté là que l’on peut s’adresser au marché de l’éducation, afin de populariser la robotique, - Sa communauté d’utilisateurs/développeurs : un des intérêts principaux de NAO résidera dans le fait qu’il soit programmable et capable d’ « apprendre » un comportement développé par un tiers. Il faudra dès lors réussir à stimuler cette base d’utilisateurs pour qu’il y ait du contenu intéressant dans une zone d’échange dédiée.

Le management communautaire prend une part de plus en plus importante dans la stratégie d’Aldebaran Robotics qui prend conscience de toute la valeur de prescription que peuvent avoir des communautés dynamiques. Le développement des communautés fait partie des piliers sur lesquels Aldebaran Robotics compte asseoir sa proposition de valeur, et réciproquement, l’existence de communautés productives et actives sera un témoignage du succès de l’entreprise à embarquer des partenaires, mais aussi des clients dans l’aventure de la robotique humanoïde.

47 Transition : Comme dans l’histoire, la robotique en est aujourd’hui à un point où une fois de plus, elle tire et symbolise l’innovation, de façon positive (NAO et l’assistance à la personne), comme négative (la vision des robots à boulons conçus pour la guerre). Comment Aldebaran Robotics peut-elle profiter de ce formidable moteur d’innovation pour améliorer en permanence les performances de ses produits ?

En parallèle de cela, Aldebaran Robotics a besoin d’améliorer de nombreuses fonctionnalités et/ou d’améliorer de nombreux processus dans le firmware de NAO. Il faudra en plus développer des applicatifs qui semblent utiles et valorisables aux yeux des utilisateurs finaux. Le tout en prenant bien garde à atteindre une certain équilibre entre les demandes des « lead-users » actuels et celles des futurs utilisateurs finaux.

Les ressources et compétences de l’entreprise, aussi excellentes qu’elles puissent être, ne peuvent suffire. Peut-être convient-il donc de s’allier avec d’autres partenaires technologiques pour améliorer de façon continue NAO. Les utilisateurs de NAOet clients actuels d’Aldebaran Robotics peuvent figurer en bonne place parmi ces partenaires technologiques avec lesquels il faut s’allier, grâce à leur statut de lead-user. Plusieurs options s’offrent dès lors à Aldebaran Robotics : l’open source, la gestion de plateforme. On verra qu’Aldebaran Robotics a choisi un chemin intermédiaire, proche de ces deux solutions, qui convient mieux à son histoire et ses ambitions.

48 II. Le management de l’innovation technologique chez Aldebaran Robotics: vers une gestion de plateforme? a. L’open innovation pour la recherche technologique chez Aldebaran Robotics i. Introduction : L’open innovation et Aldebaran Robotics

Introduction

Dans son livre Chesbrough, H. (2003), "Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from Technology" remet en cause la vision traditionnelle que l’on peut avoir de l’innovation en enterprise. En effet, selon lui, le plus important n’est pas d’être propriétaire de la technologie mais bien d’avoir construit le meilleur business model autour de cette technologie. Dès lors, l’essentiel ce n’est plus de développer la technologie en interne mais bien d’utiliser le meilleur des technologies qui sont développées, en interne comme en externe, afin d’atteindre un niveau de service satisfaisant pour la réalisation du business- model.

Il en va de même pour la commercialisation du produit développé : il faut s’appuyer sur ses marchés propres comme ceux des autres pour vendre sa technologie. Ainsi par exemple peut-on proposer son savoir-faire à d’autres entreprises : le but est bien entendu de diffuser l’innovation par tous les chemins qui le permettent.

Ce processus de développement et de déploiement de l’innovation est souvent schématisé sous la forme d’un « pipe »(tube) de projets, allant de la recherche jusqu’au marché :

49 Cette organisation de l’innovation peut s’appliquer à Aldebaran Robotics, du moins du point de vue de la recherche : toutes les technologies et les recherches utilisées sur NAO n’ont pas forcément été développées en interne.

Aldebaran Robotics est cependant encore une jeune entreprise, dans un secteur émergent, dont on ne sait trop comment il va se développer. Dès lors, l’open innovation n’est pas toujours le moyen utilisé, que ce soit dans la recherche ou le déploiement des innovations. Nous allons essayer de trouver, à l’aide de quelques projets phares dans l’entreprise, une typologie pour expliquer comment Aldebaran Robotics choisit si l’innovation sera ouverte ou fermée sur tel ou tel projet. Nous détaillerons par la suite les différents dispositifs sur lesquels Aldebaran Robotics fonde sa gestion de l’open innovation.

ii. Les relations ambigües avec l’open-source

Introduction

Le code informatique peut se présenter de deux façons :

- Par l’utilisateur, sous la forme d’un fichier binaire, exécutable mais non lisible - Par le développeur, sous la forme de lignes de code (du texte…), lisible mais devant être « packagé » pour être exécutable

La plupart des logiciels que nous utilisons sont uniquement exécutables, et les entreprises les ayant conçus puis vendus en gardent jalousement le code, dont elles considèrent qu’il fait partie de leur propriété intellectuelle. D’où leur appellation de logiciels « propriétaires ».

Certains logiciels sont par contre « open source » : cela signifie qu’en plus de la version exécutable, le code est disponible quelque part –sur Internet généralement-, proposé avec une licence qui permet de lire ce code, et même de le modifier si l’on en a envie, afin par exemple d’y rajouter des fonctionnalités.

Le fait qu’un logiciel soit propriétaire ou « open source » est dé corrélé du prix de vente du logiciel : un logiciel propriétaire peut être gratuit, de même qu’une licence pour un logiciel « open source » peut être vendue. Bien sûr, le fait qu’un logiciel soit « open source » ou propriétaire aura par contre une incidence sur le business model de l’entreprise : autant une entreprise ayant choisi un modèle propriétaire vend un droit d'exploitation de sa propriété intellectuelle, mais du coup limite a priori ces ressources de développement au périmètre de

50 l'entreprise, autant une entreprise travaillant dans l'open source peut s'appuyer sur une communauté dynamique de développeurs dotée d'outils collaboratifs, mais vend l' "industrialisation", la personnalisation, etc. d'un logiciel disponible gratuitement par ailleurs.

Pour une entreprise comme Aldebaran Robotics, qui ne possède pas des ressources infinies et investit énormément dans le software, la question de l’open-source se pose, d’un point de vue de l’ « open innovation » comme d’un point de vue de la vente.

L’ « open source » et l’ « open innovation » chez Aldebaran Robotics

L’innovation dans le software se distingue de l’innovation dans le hardware par une caractéristique essentielle : il ne coûte rien (si ce n’est de la mémoire) de copier, prototyper, etc. du code, qui n’est après tout que du texte ! Ce principe a libéré la voie pour la naissance de communautés de développeurs ayant une vision de l’économie et de la propriété intellectuelle très originaux.

Le principe de ces communautés est assez simple : on ne devrait jamais avoir besoin de faire des efforts pour « réinventer la roue ». En d’autres termes, si un développeur A a écrit du code permettant d’atteindre un objectif, un développeur B ayant besoin de ce code devrait y avoir accès gratuitement, que ce soit pour le copier, le modifier, s’en inspirer, etc. Il doit cependant respecter quelques règles de fonctionnement de la communauté : en rendant disponible le code développé autour du code originel, en documentant les éventuels changements. Le but étant qu’un développeur C ayant les mêmes besoins ou presque que B s’en inspire, y rajoute les fonctionnalités dont il a besoin, puis rende le code à la communauté, agrémenté de nouvelles fonctionnalités bien documentées. C’est selon ce principe –organisé et géré par une association ou une entreprise- qu’ont été développés par exemple toutes les distributions de Linux et/ou les navigateurs Chromium (dont s’inspire Google Chrome) et Mozilla Firefox.

Selon les licences choisies (BSD, GNU GPL, Creative Commons, etc.), les règles régissant la communauté peuvent légèrement différer, en fonction des axes suivants :

- Le respect de la paternité du code : le contributeur qui est à l’origine du code doit être reconnu par les réutilisateurs dans la plupart des licences, mais certaines ne l’impose pas,

51 - La possibilité de modifier : certains contributeurs préfèrent que leur code ne soit pas modifié, mais uniquement réutilisé tel quel, mais ce n’est pas toujours le cas, - La possibilité de réutiliser commercialement : un développeur peut décider que son code ne doit servir à enrichir personne – ou personne d’autre que lui, - Le partage tel quel : le contributeur à l’origine du code choisit lorsqu’il partage son œuvre si les dérivés de son code doivent être partagés selon les mêmes règles

Ces règles-qui peuvent sembler strictes- sont en fait très souples, notamment pour ce qui touche à la commercialisation de tels logiciels. En effet même si les logiciels développés sont disponibles gratuitement, beaucoup d’entreprises arrivent à vivre en reposant sur l’open- source, grâce à des services de personnalisation, d’industrialisation, de support ou des systèmes de licences doubles (voir une étude de Fabernovel :…) . C’est en partie le cas d’Aldebaran Robotics, qui utilise quand c’est possible des solutions « open-source » pour pouvoir travailler plus efficacement.

Un des énormes avantages de l’ « open source » pour les développeurs, c’est qu’il existe toujours quelque part une version gratuite –pas forcément finie ou industrialisable- et documentée du logiciel et/ou du code utilisé pour développer une technologie particulière. Ainsi dès que c’est possible de ne pas « réinventer la roue », et d’utiliser des logiciels gratuits pour travailler, Aldebaran Robotics, comme de nombreuses entreprises dans l’informatique, utilise de l’ « open-source ». Cette utilisation va des sites Internet de l’entreprise, développés grâce à un logiciel open-source, jusqu’aux outils de bureautique, puisque les trois quarts de l’entreprise utilisent Open Office, en passant par les outils d’édition de code, comme Eclipse.

L’autre principal avantage, c’est que depuis la naissance de l’informatique, de très nombreux développeurs ont travaillé et développé en open-source : il existe des projets open source pour un nombre inimaginable d’applications, de niveaux, de langages, etc. Cela permet- encore une fois- de ne pas « réinventer la roue » et d’utiliser le savoir existant, mis à disposition par la communauté pour en tirer les fonctionnalités voulues. Certaines parties de NAOQi ou des applications de bureautique reposent sur des logiciels licenciés parfois en « open source ». Cet usage de l’ « open source » est très répandu dans l’industrie informatique : Google, Apple (dont Mac OS repose sur des dérivés de Free BSD, un système « open-source »), etc.

52 Si une partie du travail effectué chez Aldebaran Robotics repose sur des outils ou projets « open source », les logiciels développés par l’entreprise restent propriétaires et disponibles uniquement sous un format binaire pour les clients. C’est un choix pragmatique, assez répandu dans l’industrie informatique, qui cherche à réduire les coûts et le temps de développement tout en gardant une certaine maîtrise sur la propriété intellectuelle et la distribution du software.

L’ « open-source », un produit attractif pour les clients d’Aldebaran Robotics ?

NAO est une « plateforme ouverte dans un environnement fermé », dit souvent Marc Duruy, responsable commercial de l’Europe et du Moyen-Orient pour Aldebaran Robotics. Cette formule commerciale a une signification plus profonde. L’entreprise a choisi une voie à mi- chemin entre l’ « open source » et le propriétaire qui convient bien à ses besoins, entre les usages de l’open source et la sécurité du logiciel propriétaire.

Les chercheurs en robotique sont pour la plupart des développeurs aguerris, qui connaissent bien les communautés « open source » et sont habitués à travailler dans un environnement régi selon les règles de l’ «open-source » : une plateforme doit être bien documentée, facilement interfacée avec les autres standards, aisément modifiable et évolutive. De plus le travail sur cette plateforme doit être dans l’idéal structuré autour d’une communauté, afin d’éviter les doublons (que plusieurs personnes travaillent en même temps sur le même sujet), de perdre du temps à réinventer la roue et donc de faire avancer au plus vite et au mieux la plateforme.

Le travail en communauté et l’ « open science »

Cet usage est très proche de ce que beaucoup appellent l’ « open-science ». Selon ce principe, l’ensemble du savoir créé et emmagasiné par la communauté scientifique devrait être accessible, gratuitement, à chacun. Dès lors que l’on souhaite créer un nouveau savoir, ce savoir doit être validé par la communauté (c’est le « peer reviewing ») avant d’être adopté puis mis à disposition de la communauté, dont le savoir a donc augmenté. Une fois ce savoir adopté, plus personne ne travaillera sur le même sujet si ce n’est pour contester ou approfondir la théorie. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de compétition en amont, lors de la création de nouvelles théories, entre les chercheurs qui souhaitent imposer leur travail, au contraire. Par contre, une fois qu’une théorie qui satisfait l’ensemble de la communauté voit

53 le jour, celle-ci est adoptée par tout le monde, et la plupart des chercheurs qui travaillaient le sujet changent de sujet de recherche.

Ce fonctionnement communautaire est très demandé par les utilisateurs de NAO, qui voudraient travailler à la marge et pouvoir s’appuyer sur le savoir emmagasiné par la communauté de chercheurs et professeurs qui travaillent sur NAO. Ainsi par exemple, pendant longtemps, un des sujets sur lequel les utilisateurs de NAO ont travaillé était la marche. Un des ingénieurs d’Aldebaran Robotics, David Goaillier, qui pour l’anecdote est un des tous premiers employés de l’entreprise et docteur en robotique, a réussi à concevoir un algorithme de marche très performant, et aisément modulable. Cet algorithme a été validé par les pairs (les chercheurs en robotique) qui ont pu dès lors se concentrer sur d’autres aspects de la recherche en robotique : la localisation, la cartographie, etc. Au-delà de l’exemple illustrant le fonctionnement de l’ « open science », cette anecdote révèle à quel point les utilisateurs de NAO sont bien les pairs des employés d’Aldebaran Robotics et peuvent être considérés comme des « lead users ».

L’élargissement des usages lié à l’ « open source » et la diffusion du code d’Aldebaran Robotics

Nombreux sont les clients qui ont réclamé à Aldebaran Robotics la publication des codes sources de NAOQi et autres applications développées par Aldebaran Robotics. Ce pour plusieurs raisons :

1. Pour développer certaines fonctionnalités qui leur sont utiles et qu’Aldebaran Robotics ne souhaite pas développer, ils ont besoin des codes pour avancer dans leur travail : par exemple, pour rendre les applications comme Choregraphe compatibles avec des OS 64-bits. 2. Pour travailler sur un niveau plus bas ou dans un autre cadre que celui autorisé par Aldebaran Robotics pour l’instant. Par exemple, certains clients aimeraient pouvoir prendre contrôle des cartes qui gèrent les moteurs, ou utiliser un autre

54 OS/framework, etc. que NAOQi ou les environnements gérés par le robot, et doivent hacker NAOQi pour ce faire.

Pour les besoins de type 1., on pourrait imaginer distribuer le code source des programmes développés chez Aldebaran Robotics uniquement aux clients nous ayant communiqué leurs besoins et envies, qui aurait par ailleurs donné leur accord pour ne pas communiquer le code source des programmes d’Aldebaran Robotics. Cela pourrait par exemple se présenter sous la forme d’une rubrique « Help requested » sur le site dédié aux clients académiques et permettrait de développer certaines fonctionnalités sans que cela pèse trop sur les ressources de l’entreprise. Une telle initiative représente toutefois certains risques :

- La diffusion du code développé en interne, dans le cas où le partenaire/client ne respecterait pas certains engagements de confidentialité et de non-diffusion du code. Certes on peut ensuite poursuivre le partenaire, mais les dégâts seraient faits et les choix stratégiques d’Aldebaran Robotics remis en cause par un partenaire de développement… - La qualité du produit final (Choregraphe pour un OS 64-bits par exemple, ou un module de vision spécifique) n’est pas assurée, à moins de dédier des ressources à la collaboration avec le partenaire, ce que l’entreprise ne peut pas toujours se permettre…On rejoint ici la question des choix entre « open innovation » et développement en interne.

Pour les besoins de type 2, le choix de refuser cette requête des clients relève de deux autres facteurs. Il s’agît tout d’abord d’une question de sécurité : en effet, les plus basses couches du software protègent le robot et les moteurs de nombreux types de panne, casse, etc. Mais c’est aussi un choix stratégique : il existe déjà des robots humanoïdes sur lesquels on peut faire de la programmation à très bas niveau et la valeur de l’offre d’Aldebaran Robotics est justement d’offrir un robot prêt pour l’usage, avec une offre plutôt verticale. Pouvoir modifier ces codes, ce serait accéder à un service qu’Aldebaran Robotics a pour l’instant choisi de ne pas offrir à ces clients, en se concentrant sur des usages plus haut niveau.

D’autre part, le code qui a été développé à tous les niveaux tient une part importante dans la valeur ajoutée que propose Aldebaran Robotics et est considéré comme de la propriété

55 intellectuelle propre, dont une diffusion gratuite représenterait un gâchis, ou une perte de revenus.

L’ « open source », une menace pour le business model d’Aldebaran Robotics ?

Si l’« open source » peut permettre de nombreuses économies – de temps et de ressources grâce au développement communautaire, d’argent grâce à sa gratuité intrinsèque -, il peut aussi présenter de nombreuses menaces pour le business model d’une entreprise qui vend, entre autres du software. D’ailleurs, le passage en « open source » d’une entreprise de software peut être un aveu d’échec de la par des fondateurs qui ne souhaitent pas voir la technologie qu’ils ont développé disparaître mais n’arrivent pas à l’imposer de façon propriétaire et payante.

Les menaces principales du passage en « open source » sont les suivantes :

 Les côtés négatifs de l’ « open source » d’un point de vue utilisateur  La perte de contrôle sur le produit  La perte de revenus liée à la gratuité du produit

À partir du moment où du software est disponible gratuitement, il peut perdre de la valeur aux yeux des clients, mais aussi soulever des doutes chez le client liés à certains défauts de l’ « open source » : y a-t-il une garantie de support, de maintenance, etc. ? Le produit est-il vraiment d’une qualité industrialisable, c'est-à-dire non buggé et lisible ? A-t-il été conçu « par des développeurs pour des développeurs », c'est-à-dire pas forcément très ergonomique ? Finalement, il peut y avoir des défauts de sécurité : on ne peut utiliser la solution classique de la « sécurisation par l’obscurité ». Ces risques peuvent donner une image négative à du software « open source »

Une autre menace liée à l’ouverture du code est celle de perdre le contrôle sur le produit. En effet, en ouvrant le développement du software d’Aldebaran Robotics, on s’expose à une perte de contrôle sur la qualité, les fonctionnalités et les usages du code écrit. Tout d’abord parce que ce code pourrait être réutilisé à d’autres usages non prévus, non envisagés et parfois même non voulus. Or cela est particulièrement gênant dans le cas d’un robot, qui a un véritable pouvoir d’action dans le monde et représenterait a priori un investissement de la part de l’utilisateur final. Par exemple, on ne souhaiterait pas que quelqu’un utilise la disponibilité du code pour percer la sécurité d’un NAO d’autrui et le dévoyer de son usage, 56 en le faisant saccager un appartement ou espionner une famille, au hasard... Une autre forme de perte de contrôle touche à la qualité et l’ergonomie du produit : une des raisons pour lesquelles Aldebaran Robotics souhaite garder la main sur son code, c’est pour s’assurer que le software qui tourne sur NAO porte bien la touche de l’entreprise, caractérisée par l’ergonomie et la facilité d’usage. La dernière forme de perte de contrôle serait la réutilisation du code par d’autres entreprises ou concurrents qui sauraient en profiter mieux qu’Aldebaran Robotics, ce qui pourrait représenter une dangereuse perte de revenus…

Faire passer son code en « open source », c’est aussi une menace d’ordre financier. S’il existe des business models plus ou moins viables reposant sur l’« open source » (doubles licences, support, personnalisation, etc.), le fait de ne pas vendre sa licence représente une perte de revenus non négligeable qui peut mettre en péril de jeunes entreprises comme Aldebaran Robotics. D’autre part, comme le souligne souvent Bruno Maisonnier pour expliquer son choix, l’avenir de la robotique domestique et/ou humanoïde est encore incertain et les rapports de force sont encore en train de s’établir. Il est donc bien difficile de savoir si la valeur sera au niveau du hardware ou plutôt au niveau du software. Passer le code d’Aldebaran Robotics en open source, ce qui est une décision difficilement réversible, pourrait ainsi galvauder des opportunités de bénéfice futur, et c’est un risque que les dirigeants de l’entreprise ne souhaitent pas prendre.

Conclusion

Ainsi, pour de multiples raisons, Aldebaran Robotics trace sa route à mi-chemin entre l’ « open source » et le logiciel propriétaire, en essayant de bénéficier au maximum des avantages des deux systèmes tout en cherchant à éviter leurs inconvénients. Ce choix, original et raisonné, révèle une fois encore la maturité de l’entreprise en terme de gestion de l’innovation.

iii. Les relations avec les complémenteurs et la gestion des projets collaboratifs

Introduction

Aldebaran Robotics, à l’instar d’autres entreprises ayant recours à l’ « open innovation », utilise, entre autres dispositifs, les projets collaboratifs pour explorer de nouveaux usages et

57 la réalisation de nouvelles technologies. Ces projets, souvent financés par des institutions, comme l’Union Européenne dans le cadre de ses plans de financement de la recherche ou la Région Ile de France, sont une vitrine pour Aldebaran Robotics : ils permettent, tout comme la robotique, de montrer des projets tangibles et reconnus de recherche sur lesquels NAO est utilisé comme plateforme robotique. Ils sont aussi l’occasion de fournir quelques robots à des partenaires prestigieux, particulièrement reconnus dans leur domaine de recherche, et ainsi d’asseoir encore plus la légitimité d’Aldebaran Robotics.

Cependant il serait réducteur de limiter l’intérêt des projets collaboratifs à une démarche commerciale. Bien au contraire, ces projets, qui traitent de sujets divers et variés, que nous allons décrire plus en détails, sont l’occasion pour Aldebaran Robotics d’avoir recours aux expertises de ses partenaires et de s’inspirer afin de développer un robot qui soit toujours plus performant et interactif pour ses usagers. Finalement, l’implication d’Aldebaran Robotics varie d’un projet à l’autre, et nous allons voir en quoi cela impacte les retombées des projets dans la stratégie d’innovation de l’entreprise.

Présentation des projets

Nous avons déjà parlé de Roméo, projet emblématique pour Aldebaran Robotics. Ce futur robot humanoïde d’environ 1m40, destiné à l’assistance à la personne, cristallise à lui seul tous les enjeux des projets collaboratifs. Ces enjeux peuvent être résumés à la question suivante : les retombées attendues d’un projet méritent-elles d’y allouer des ressources internes à l’entreprise ?

Les sujets de capitalisation entre Roméo et NAO sont potentiellement très nombreux : tout ce qui a été appris et développé, en terme d’interaction, de hardware, de software etc. sur NAO peut être une base pour Roméo. Réciproquement, le cahier des charges de Roméo demande de pousser un peu plus loin certaines des capacités de NAO. Cette exigence fonde l’idée que Roméo peut faire avancer NAO sur de nombreux points. D’autre part, Roméo peut représenter un produit dans l’avenir, mais à plutôt long terme.

GV-Lex, un projet conduit avec des entreprises partenaires, A Capella et As An Angel, ainsi que de nombreux laboratoires, travaille sur le récit par un robot (prosodie, gestuelle, etc.), dans le but d’améliorer l’interaction homme-robot. Ce projet se trouve clairement dans la « roadmap » d’Aldebaran Robotics et permettra, dans le cas où les résultats du projet sont probants, d’améliorer la voix de NAO, qui est encore un peu « robotique ». 58 Feelix Growing est un autre projet auquel l'entreprise a participé. Ce projet, financé par l'Union Européenne, avait pour objectifs de rendre NAO capable d'exprimer des émotions. De plus, il devait être doté de capacités d'apprentissage et d'interaction avec son environnement. Sur ce projet, Aldebaran Robotics ne participait que dans une certaine mesure: certaines des découvertes de l'entreprise en termes d'expressivité du robot ont été réutilisées, et a fourni des robots aux chercheurs participant au projet.

On pourrait citer encore d'autres projets: Yoji, etc., mais tâchons d'éviter de tomber dans une énumération stérile. Il faut par contre retenir qu'Aldebaran Robotics s'implique à différents niveaux dans les projets auxquels elle participe: du simple fournisseur de plateforme robotique, des employés d'Aldebaran Robotics peuvent aussi être responsable de la gestion de projet et tenus comme responsables de l'avancement (c'est le cas de Roméo), ou simplement responsables d'une sous-partie du projet (le développement d'un logiciel, Narrateur, pour le projet GV-Lex). Comment sont choisis ces différents niveaux d'implication et quelles sont les retombées de ces projets pour l'entreprise?

L’implication d’Aldebaran Robotics dans ces projets et leurs retombées industrielles

Il nous faut avant d'aller plus loin expliciter le cadre contractuel de ces projets. Puisqu'il s'agît de projets liés à la recherche, et que par définition, on ne trouve pas toujours, ces projets ne sont pas soumis à une obligation de résultats, mais plutôt des obligations "morales" de résultats: on n'est pas puni sur le coup si on n'engage pas les ressources nécessaires, même si cela peut nuire à la réputation de l'entreprise lors du prochain appel à projets... D'autre part, les projets choisis par les appels à projets sont choisis en fonction de trois critères: l'implication de l'utilisateur final dans le projet, l'implication

Il est toujours compliqué pour les ingénieurs de l'entreprise de libérer du temps pour ces projets dont l'application sur NAO n'est pas immédiate, alors que leurs échéances sont en général plutôt à court terme. C'est encore plus compliqué pour les dirigeants, qui n'ont pas envie de "perdre du temps" à adapter des travaux de recherche à NAO, puisque cela occupe pleinement des ressources: même sans contribuer intellectuellement, si l'on veut récupérer les trouvailles des chercheurs, il faut avoir suivi le projet, avoir réfléchi à une possible adaptation sur NAO, etc. Et faire confiance au laboratoire pour vendre sa technologie à un prix correct et de façon facilement industrialisable... 59 Autant d'aléas qui font que l'entreprise, si elle voit bien tout l'intérêt qu'elle a à participer à des projets collaboratifs, n'a pas les moyens d'en profiter pleinement: ces projets comportent un peu trop de risques et d'aléas, qui ne sont pas forcément tous dans les objectifs de l'entreprise. C'est pourquoi Bruno Maisonnier a décidé de formaliser une "roadmap" stratégique de l'entreprise, qui sert d'outil "objectif" pour déterminer si un projet mérite ou non que des ressources y soient allouées. Ainsi plus le projet fait partie de la "roadmap", plus les ingénieurs d'Aldebaran Robotics vont être impliqués dessus.

Concernant le rachat de technologies aux laboratoires et entreprises partenaires, la logique est assez proche. Le manque de ressources limite les possibilités de rachat de technologies, surtout quand celles-ci ne sont pas dans la "roadmap", ou immédiatement revendables. C'est d'ailleurs là tout l'intérêt de faire travailler les ingénieurs sur un projet: un ingénieur ayant bien suivi un projet sera capable d'imiter, comprendre et/ou réutiliser les résultats d'un projet presque mieux que si il avait dû utiliser une solution achetée à un laboratoire, qui est parfois mal packagée, mal expliquée, etc.

Paradoxalement, les projets collaboratifs ont cependant poussé l'entreprise à créer des nouveaux produits. En effet, liée contractuellement par des projets collaboratifs, l'entreprise a été obligée d'écouter les besoins de ses partenaires et donc parfois de développer des options hardware ou software particulières. Ces différentes options ont ensuite été transformées en options régulièrement proposées puis vendues aux clients. C'est le cas de la "tête laser", une tête dotée d'un laser permettant à NAO de mieux évaluer les distances et facilitant donc les algorithmes de cartographie. La tête stéréo, dotant NAO d'une vision stéréo, comme l'homme, doit aussi être conçue pour des partenaires de recherche, qui souhaitent pouvoir traiter un signal visuel similaire à celui que le cerveau humain reçoit. On s'aperçoit ainsi que les projets collaboratifs jouent un rôle inattendu, ou en tous cas pas toujours mis en valeur: ils permettent à l'entreprise de mieux connaître ses clients, et réciproquement, en forçant la collaboration.

Conclusion

Ainsi en conclusion, rappelons tout d'abord qu'un projet collaboratif permet de financer et d'explorer des voies de façon très prospective, très en amont. Dès lors, pour une entreprise de l'âge d'Aldebaran Robotics, il est normal que tous les projets n'aient pas encore 60 forcément eues de retombées industrielles directes, en dehors de la visibilité et des moyens qu'ils apportent.

Cependant, au fur et à mesure que la "roadmap" d'Aldebaran Robotics s'affine et se précise, les dirigeants de l'entreprise sont capables de discerner les projets qui feront avancer sa recherche de ceux qui ne lui apporteront pas grand chose, et réussissent donc à investir de plus en plus les ingénieurs de l'entreprise sur ces projets collaboratifs, ce qui augmente les capacités d'absorption de technologies, et devrait ainsi aboutir à des retombées industrielles importantes d'ici peu.

Ces projets de recherche ressemblent très fortement aux projets qu'explorent les grandes entreprises qui gèrent des plateformes, pour explorer de nouveaux usages, être en contact avec les "lead-users" et poser leur marque sur leur écosystème. Aldebaran Robotics n'est pas (encore) une entreprise de ce niveau là, mais elle prend tout de même le temps de mettre en place les outils et dispositifs de gestion de plateforme, sans avoir pour l'instant ni le temps ni les ressources de les laisser réellement impacter le produit et la stratégie de l'entreprise. On imagine cependant assez facilement que le jour où l'entreprise aura réellement des ressources à consacrer pleinement à ces projets, elle saura en tirer tous les fruits, tellement cela semble dans sa culture.

Ce dispositif de recherche prospective grâce à des projets collaboratifs est typique des gestionnaires de plateforme, type de stratégie avec laquelle Aldebaran Robotics flirte en permanence. Tentons donc d'évaluer plus en détail en quoi une stratégie de plateforme, , telle qu'elle est utilisée dans les industries du software et des microprocesseurs, pourrait aider Aldebaran Robotics à atteindre ses objectifs.

b. Les implications du choix d’une gestion de plateforme i. La mise en place d’une gestion de plateforme

Introduction

61 NAO est d’ores et déjà positionné sur le marché de la recherche comme une plateforme de programmation, au software très modulable. Qu’entend-on exactement par plateforme de programmation ?

Cette notion de plateforme fait vite penser aux différents gestionnaires de plateforme qui existent dans l’industrie informatique, ou liée à l’informatique : d’Intel à Sony, en passant par Apple et Google, chacun de ces acteurs a une stratégie que l’on peut nommer stratégie plateforme, dont nous allons tenter de restituer les tenants, les aboutissants et les conséquences pour Aldebaran Robotics.

En effet la notion de stratégie de plateforme est très séduisante pour Aldebaran Robotics, qui souhaite reposer sur des communautés de développeurs afin d’alimenter les utilisateurs en usages, etc., mais l’entreprise n’a pas les moyens des grandes entreprises gestionnaires de plateforme (Intel, Google, Apple,…). Quelles sont les parades inventées par la société pour combler ce manque et réussir quand même à faire jouer un effet de réseau ?

Eclairages théoriques et exemples sur les stratégies de plateforme

Dans leur livre Invisible Engines : how Software platforms drive innovation and transform industries, David S. Evans, Andrei Hagiu et Richard Schmalensee explorent les impacts des plateformes software sur les entreprises informatiques, la téléphonie, etc. Ce livre éclaire par des théories économiques l’émergence de différentes plateformes de software, qui sont aujourd’hui devenues des entreprises ou des secteurs industriels prospères : les consoles de jeux, les ordinateurs personnels, les téléphones « intelligents »…Si nous n’allons pas retracer chacun des exemples détaillés dans le livre, nous allons nous appuyer sur ce livre pour définir le concept de plateforme software puis décrire son fonctionnement.

Définition

Une plateforme c’est avant tout un marché à plusieurs faces, c'est-à-dire un type de marché qui s’organise autour de plusieurs types de clientèles aux besoins complémentaires. Le concept de marché biface, notamment, a été exploré par Jean Tirole et Jean-Charles Rochet, deux économistes français. Voici plusieurs exemples de marchés bifaces cités par Tirole et Rochet : les boîtes de nuit et les sites de rencontre, dans lesquelles les hommes viennent chercher des femmes et réciproquement, les cartes de crédit (pour lesquelles les utilisateurs

62 comme les commerçants payent), les journaux et d’autres formes de médias (pour lesquels les lecteurs, comme les annonceurs doivent payer), etc.

Les marchés sont régis par certaines règles bien particulières, qui les rendent particulièrement intéressants pour les industriels :

 Ils sont soumis à un effet de réseau, bénéficiant d’externalités directes (la valeur du produit est proportionnel au nombre d’utilisateurs du produit, comme par exemple le téléphone, qui n’a aucune valeur si on est seul à le posséder), ou indirectes (la valeur du produit augmente grâce aux compatibilités qu’il peut avoir avec d’autres marchés/produits (le téléphone qui va sur Internet, etc.). Une des questions qui se pose dès lors est de savoir comment atteindre la masse critique à partir de laquelle l’effet de réseau a lieu,  On peut atteindre la masse critique en subventionnant un des deux types de clientèle. Par exemple, les Ladies’ Night en boîte de nuit génèrent souvent de très bonnes affluences : les filles, intéressées, y vont en nombre, et les garçons savent qu’ils pourront les y trouver…Cette découverte donne un outil de plus aux entrepreneurs qui n’avaient à leur disposition que les solutions suivantes : inciter par des facteurs extérieurs (subventions, parrainages, etc.), ou créer un produit qui même sans effet de réseau saura attirer un nombre critique de consommateurs. Reste la problématique de l’œuf et de la poule : par quel marché faut-il commencer pour « amorcer la pompe » de l’effet de réseau ?

Evans et Schmalensee ont divisé ces marchés à plusieurs faces en quatre parties : les échanges, les moyens de transaction (cartes bleues, etc.), les médias soutenus par la publicité et les plateformes software. Qu’est ce que ces plateformes software ont de particulier par rapport aux autres marchés à plusieurs faces ?

Les plateformes software sont une base de travail qui permet d’écrire, d’utiliser ou de développer des logiciels. Elle peut être composée de hardware, d’un système d’exploitation et d’outils de développement de logiciels, serveurs, bases de données... Dès lors, elle attire deux types de clientèle soit les développeurs et les utilisateurs. Elles sont en général conçues, gérées, maintenues et industrialisées par les gestionnaires de plateforme.

63 L’effet de réseau engendré sur une plateforme software est bien particulier : plus il y a de logiciels développés pour une plateforme, plus cette plateforme va avoir de l’intérêt pour les utilisateurs finaux, qui y trouveront le contenu dont ils ont besoin. Par exemple, une console de jeux a peu d’intérêt pour un utilisateur si seulement quelques jeux sont disponibles. Réciproquement, plus il y a d’utilisateurs, plus la plateforme sera intéressante pour les développeurs qui pourront s’adresser via la plateforme à un marché plus large.

Le fait que les développeurs aient accès à un marché via la plateforme transforme les développeurs de contenus sur une plateforme en clients : les développeurs, tous comme les utilisateurs finaux, ne sont pas des fournisseurs mais des clients, qui vont payer des services de formation, certification, accompagnement, etc., ainsi que l’accès à un marché déjà bien structuré. Il faut donc élaborer une offre bien spécifique contre laquelle ils vont être prêts à payer une certaine somme.

Cette analyse, combinée à celles de Rochet et Tirole, permet de faire le constat que la plupart des plateformes software, tout comme les marché bifaces à effet de réseau, atteignent plus facilement un effet de réseau quand un des deux types de clientèle est subventionné. Ainsi par exemple, le marché des consoles de jeux subventionne les utilisateurs, qui achètent les consoles à prix coûtant si ce n’est à perte, afin que la base des utilisateurs, grandie par ce geste commercial, attire de nombreux développeurs. Celui des OS pour ordinateurs subventionne au contraire les développeurs, et fait payer le prix fort aux utilisateurs finaux. Pour amorcer l’effet de réseau, une des solutions reste toujours de subventionner un des deux types de clientèle.

Le gestionnaire de plateforme qui cherche à diffuser son environnement (synonyme de plateforme) doit donc élaborer en tenant compte d’exigences complémentaires : la plateforme doit convenir à la fois aux développeurs et aux utilisateurs à tous les points de vue. Au fur et à mesure des exemples développés par les auteurs de Invisible Engines, on comprend quels sont donc les axes de travail des gestionnaire de plateforme, les critères de succès qui font l’émergence d’une plateforme-ou son échec- et comment un gestionnaire de plateforme peut mettre toutes les chances de son côté pour faire jouer l’effet de réseau en sa faveur.

Les outils des gestionnaires de plateforme

64 Quand elle se positionne en tant que gestionnaire de plateforme, une entreprise doit mettre à sa disposition un certain nombre d’outils qui vont l’aider à créer puis entretenir l’effet de réseau tant recherché. On y retrouve globalement les « 4 P » du marketing : le produit, le placement, le prix et la communication, que l’on va utiliser pour créer un écosystème complexe, régi par un fonctionnement économique et des moyens d’échanges (discussion, produits, valeur…) propres.

Un(des) marché(s) à organiser

Une plateforme, on l’a compris, permet entre autres de mettre des logiciels développés par des tiers à disposition des utilisateurs finaux. Cet échange doit satisfaire, du point de vue de la valeur échangée, l’utilisateur, le développeur et le gestionnaire de la plateforme. La plateforme représente ainsi un marché à organiser.

Tout d’abord le gestionnaire de plateforme détermine à l’avance la nature des produits et services échangés. Ainsi par exemple, le format informatique, la taille, la gestion des langues, etc., des applications qui sont échangées sur des marchés d’applications pour mobiles sont l’objet de règles souvent nombreuses et explicitées par le gestionnaire de la plateforme auprès du développeur.

Les règles d’échange et de commercialisation entre le développeur et l’utilisateur sont elles aussi régies par le gestionnaire de la plateforme. Ces règles concernent les prix des logiciels, les conditions et moyens de paiement, les licences d’utilisation, le support, les potentielles atteintes à la garantie, les cas de réclamations, etc. L’entreprise qui gère la plateforme doit aussi définir à quel point l’application de ces règles est stricte et fermée, mais aussi quelles peuvent être les sanctions encourues par l’utilisateur ou le développeur qui n’a pas respecté les règles d’utilisation. Il doit en plus veiller à avoir construit les outils qui le permettront de veiller à ce que les règles sont bien respectées, et qui le permettront de sanctionner les mauvais comportements.

Le gestionnaire de la plateforme doit aussi s’assurer du bon équilibre économique de sa plateforme software, en veillant à ce que tous les acteurs de l’écosystème (les développeurs, les utilisateurs mais aussi le gestionnaire de la plateforme) y trouvent leur compte. Ce point est d’autant plus crucial qu’il peut engendrer ou tuer dans l’œuf un effet de réseau. Sans qu’ils donnent les clés du succès, les auteurs d’ « Invisible Engines » ont cité quelques échecs

65 notables qui illustrent des erreurs à ne pas commettre. Ainsi par exemple, certains fabricants n’ont pas subventionné le bon profil d’utilisateurs et n’ont donc pas réussi à engendrer d’effet de réseau. D’autre part, certains gestionnaires de plateforme n’accordant pas suffisamment de bénéfices aux développeurs n’ont pas réussi à les inciter à développer et ont nui à la valeur d’ensemble de leur plateforme. Finalement, certains gestionnaires n’ayant pas attiré suffisamment d’utilisateurs n’ont pas su inciter les développeurs qui n’y auraient pas trouvé leur compte. Les auteurs constatent aussi que le système de « pricing » choisi lors de l’émergence évolue très peu au cours de la vie de la plateforme.

Cet équilibre économique ressemble au schéma classique des marchés, au sens propre du terme, et le business model d’une plateforme évolue comme eux en fonction du nombre de clients. On retrouve ainsi des commerces de quartier, parfois chers et relativement intimistes, comme les applications qui ont été développées pour le robot AIBO, et des supermarchés des applications, comme l’App Store d’Apple, qui jusqu’aux têtes de gondole et au BFR positif, ressemble très fort au fonctionnement de la grande distribution.

Nous avons déjà parlé de l’ « open source », qui est une forme de plateforme au fonctionnement économique bien particulier. Cet exemple illustre que la valeur et le système économique ne sont pas uniquement financiers : la reconnaissance, le sentiment de participer à une aventure et d’appartenir à une communauté, etc., sont des systèmes de rétribution assez répandus. Leur fonctionnement économique repose sur d’autres principes, comme le support, la maintenance et la personnalisation.

Toutes ces règles et principes de fonctionnement, ainsi que leurs outils concrets de réalisation (système de paiement, canal de distribution des logiciels développés, etc.), qu’ils soient règlementaires ou économiques, ne suffisent pas à garantir l’émergence d’un effet de réseau mais leur qualité et leur cohérence font partie des pré-requis essentiels au bon fonctionnement d’une plateforme.

Des discours bien différenciés

Lorsque l’on est gestionnaire de plateforme, il faut bien songer à adresser des messages différents à ses différentes cibles. Le discours que l’on va tenir à des développeurs est vraiment différent de celui que l’on adresse aux utilisateurs finaux. Si le marketing et le discours tenu face à des utilisateurs finaux est assez classique, celui qu’une entreprise peut

66 tenir pour créer et faire émerger une communauté de développeurs l’est moins. Nous allons donc nous pencher sur le discours que les entreprises tiennent face aux développeurs, à travers les principes d’ « évangélisation », d’intéressement économique, les événements et services dédiés.

Le but d’une telle communication est de réussir à séduire les développeurs pour leur faire investir sur la plateforme. Il faut donc les convaincre qu’il sera facile, intéressant- financièrement comme d’un point de vue intellectuel-, rapide, motivant, etc. de développer pour la plateforme. Il faut que les développeurs aient une réelle volonté d’être formés à utiliser la plateforme comme un vecteur de business et comme un outil de travail, d’accompagner la plateforme dans sa croissance, bref, de participer à l’aventure de l’émergence de la plateforme.

C’est pour communiquer ce discours que la fonction d’ « évangéliste » s’est développée dans l’industrie informatique, en premier lieu chez Apple, derrière son responsable marketing Guy Kawasaki. L’évangélisation repose sur le principe que tout le monde cherche au fond à rendre le monde meilleur (« to make the world a better place »). C’est sur ce principe même que repose la communication vers les développeurs : aidez-nous à rendre le monde meilleur en développant sur notre plateforme, en adhérant à notre vision du service et in fine, de la société.

Le principe d’évangélisation a ensuite été appliqué à de nombreux produits, avec succès. Il repose sur les aller-retours (« feedbacks ») entre le fabricant et le consommateur, sur le partage de savoir, la création de « buzz » (par des rumeurs, le suspense…), la création de communautés dynamiques et impliquées (des blogs, des forums, des « réunions tupperware », etc.), le fait d’alimenter continuellement les clients en petites améliorations (des nouvelles fonctionnalités, du « debug », du contenu supplémentaire…), et surtout sur la création d’une vision commune du futur.

Appliqué aux plateformes (son application initiale), l’évangélisme se décompose en quatre axes : l’organisation des ventes, la régulation de l’écosystème, les « feedbacks » sur la plateforme, et l’intelligence globale du marché. Si nous avons déjà abordé les deux premiers points, répétons ici que la communication doit être claire et séduisante sur ce que le développeur a à gagner en investissant sur la plateforme et comment ses ventes et son développement pourront s’organiser autour de la plateforme. Les deux points suivants sont 67 liés à la concurrence. En effet les plateformes sont concurrentes les unes envers les autres, sur le marché des développeurs. Elles doivent donc se montrer plus dynamiques, plus à l’écoute des besoins des développeurs, plus évoluées, que les autres plateformes.

L’évangéliste, pour construire son discours, doit être bien conscient du fonctionnement économique classique des plateformes : les effets de réseau, les prophéties auto- réalisatrices (à force de convaincre des développeurs qu’une plateforme va être intéressante, elle le devient…), les coûts de transfert d’une plateforme à l’autre… À partir de ces connaissances, ils vont tenter de convaincre les développeurs que la plateforme :

 Possède un nombre important de complémentarités avec d’autres systèmes, et que ce nombre va aller croissant,  Garantit un retour sur investissement supérieur à la concurrence o En réduisant les coûts d’entrée et de sortie de la plateforme o En réduisant les coûts et les risques de développement sur la plateforme

 Va promouvoir et garantir des retours importants sur les contenus existant exclusivement sur la plateforme : il faut entretenir la volonté des développeurs à créer en premier, un contenu meilleur que les autres, qui sera distribué de façon exclusive sur la plateforme. Il faut attirer le first, best and only comme raison d’achat de la plateforme pour l’utilisateur final.

L'évangélisme a d'ailleurs emprunté à la religion quelques-uns de ses principes phares: des conférences pour développeurs (la WWDC d'Apple, les Google I/O, etc.) font office de messes animées par les grands prophètes du développement (les directeurs techniques et autres chefs de projet) sur la plateforme qui profitent de ces événements pour-encore et toujours- éduquer, former, convaincre des bienfaits de la plateforme pour les développeurs.

Des produits complémentaires, élaborés grâce à des échanges d'informations

On l'a compris, la valeur d'une plateforme pour les utilisateurs va dépendre du nombre de développeurs faisant du travail de qualité sur la plateforme, et réciproquement, la valeur d'une plateforme pour les développeurs va dépendre du nombre d'utilisateurs cherchant du contenu plus ou moins payant -l'achat de licences n'est pas le seul business model des développeurs, qui peuvent aussi se rémunérer via la publicité, un modèle de freemium, ou la présence de biens complémentaires.

68 Dès lors le gestionnaire de plateforme doit s'assurer de distribuer des produits bien complémentaires aux deux types de clientèles. Les développeurs vont ainsi hériter d'un SDK (System Development Kit), des règles de qualité qui régissent l'accès au marché, de règles de rémunération en fonction du succès du contenu qu'ils vont développer, mais aussi d'outils marketing et de communication à propos de leur produit. Ces règles peuvent avoir plusieurs niveaux, en fonction de la confiance entre le développeur et le gestionnaire de la plateforme, ou de leur importance réciproque.

Il existe ainsi par exemple des développeurs privilégiés pour chacune des consoles de jeux, qui ont un peu plus leur mot à dire sur le SDK, travaillent sur des prototypes avant que la plateforme ne soit publique, etc. D'ailleurs, ces développeurs sont les "lead-users" d'un certain aspect de la plateforme: en tant que tous premiers utilisateurs de la plateforme, leurs recommandations sont souvent écoutées de façon très attentive par les créateurs de la plateforme, qui doivent s'assurer qu'il va être facile de développer sur la plateforme.

Les utilisateurs hériteront eux de la plateforme dotée en général du contenu dit "natif": les applications développées par le gestionnaire de la plateforme et ses partenaires privilégiés. De même que pour les développeurs, il existe en général un cercle d'utilisateurs qui reçoit la plateforme en avance: ce sont les "bêta-testeurs", qui doivent faire des retours en général bien précis sur la qualité de la plateforme et de ses contenus, à l'usage.

Ces aller retour entre les développeurs, le gestionnaire de la plateforme et les bêta-testeurs concernent en général un nombre croissant de personnes et d'entreprises, afin de s'approcher de plus en plus d'une représentation correcte des attentes du marché. Une fois ces échanges d'informations entre développeurs, utilisateurs et gestionnaire de la plateforme, qui peuvent être longs et coûteux, effectués, la plateforme passe alors en phase d'industrialisation puis à la vente, déjà doté de contenu "certifié" à l'usage de qualité, mais aussi d'un environnement intéressant et ergonomique pour créer de nouveaux contenus.

Par ailleurs, il faut évoquer le fait que les produits sont complémentaires aussi du point de vue des prix et des systèmes de rémunération et de paiement des utilisateurs et des développeurs. Ainsi par exemple, dans les cas dans lesquels ce sont les utilisateurs sont subventionnés et ce sont les développeurs qui payent le plus, les développeurs payent pour accéder au SDK et à la communauté de développeurs, puis reversent des royalties au gestionnaire de la plateforme sur les jeux que les utilisateurs finaux achètent. On se retrouve 69 ainsi dans un écosystème viable, avec des fournisseurs et des consommateurs, le tout orchestré par le gestionnaire de plateforme.

Un positionnement clair et une cohérence d’ensemble

Jean-Michel Perbet, ancien directeur de Sony Europe et désormais responsable de la division « Grand Public » chez Aldebaran Robotics, avec qui j’ai longtemps discuté des marchés de plateforme, rappelle souvent que la meilleure garantie d’obtenir un effet de réseau pour une plateforme, c’est qu’elle soit de qualité. Ce qu’il veut dire par là, c’est que l’on aura beau créer le bon fonctionnement économique, les bonnes règles de fonctionnement, le bon discours, etc., tant que le produit en soi ne sera pas séduisant, le succès économique n’arrivera pas.

Dès lors il en incombe aux gestionnaires de plateforme de créer un produit attirant, qui avant même l’arrivée des logiciels tiers, séduit suffisamment les premiers utilisateurs pour qu’ils deviennent prescripteurs (il faut créer le « Bass Effect »). Pour cela, il est nécessaire de se pencher tout particulièrement sur la valeur d’usage initiale du produit. Ainsi par exemple les fabricants de consoles de jeux s’assurent que des jeux de qualité sont disponibles dès l’arrivée sur le marché de la plateforme, soit en les développant en interne (c’est le cas de Nintendo par exemple, qui distribue sa Wii avec le jeu Wii Sports), soit en les faisant développer par des partenaires de confiance (comme le fait Sony avec certains studios de développement et éditeurs de jeux).

Le contenu disponible dès la mise sur le marché de la plateforme doit ainsi satisfaire plusieurs critères : il doit illustrer toutes les capacités de la plateforme, être cohérent avec la ligne d’édition, l’ergonomie et le design général de la plateforme, et garantir suffisamment d’heures d’usage pour que l’utilisateur ait le sentiment d’avoir amplement rentabilisé son investissement. Cette exigence a un rôle critique dans le bon déploiement d’une plateforme. Les auteurs d’Invisible Engines soulignent dans leur livre que peu de plateformes ont réussi à se remettre d’un lancement moyen, et ce lancement dépend grandement de la valeur initiale du produit pour l’utilisateur final. C’est ce qui pousse les décisions sur les contenus initiaux des plateformes à être décidés par les plus grandes instances dirigeantes des entreprises : les premiers sites que l’on pouvait accéder avec l’i-mode, les premiers jeux sur Playstation, etc. ont souvent dû être validés par les membres du comité de direction de l’entreprise concernée. 70 La cohérence de l’ensemble ne se limite pas à cela, mais renvoie à d’autres sujets beaucoup plus généraux sur la qualité d’un produit, de son positionnement, son lancement, etc. que nous ne pouvons traiter ici.

Conclusion

Les auteurs d’Invisible Engines se gardent bien de donner des recettes miracles pour garantir la réussite d’une plateforme, mais ils donnent des clés de compréhension pour expliquer les différents dénouements qu’ont connus les divers gestionnaires de plateforme, et prévoient même, avant leur émergence, l’arrivée des « smartphones » et des « application stores », ce qui témoigne de leur clairvoyance.

Tous ces outils doivent créer un ensemble cohérent et viable, mais nécessitent des ressources, du temps et le respect d’une ligne directrice pour être mis en place, puis utilisés correctement. Une entreprise qui fait le choix de proposer une plateforme aux développeurs comme aux utilisateurs finaux, si elle s’ouvre à de nombreuses opportunités, se crée aussi de nouvelles contraintes, en même temps qu’elle s’expose à de nombreux risques.

!Fin de formule inattendue

71 ii. Les impacts d’une stratégie de plateforme pour Aldebaran Robotics

Pour analyser les impacts du choix d’une stratégie de plateforme pour Aldebaran Robotics, nous allons détailler les forces et les faiblesses de l’entreprise ainsi que les risques et les opportunités auxquels elle s’ouvre, grâce à une analyse SWOT.

Forces: Faiblesses:

 Aura de l'entreprise  Manque de ressources

 Compétence technique et avance  Visibilité moyenne de la "roadmap" technologique  Positionnement sur un marché  Identité forte du produit émergent

Opportunités: Risques:

 Démultiplication des forces de  Perte de valeur et de pouvoir dans développement d'usages l'écosystème de la robotique

 Recentrage des compétences de  Réorientation du cahier des charges l'entreprise et remise en cause des développements passés  Mutualisation du risque et des investissements  Refus des développeurs d'investir

Explicitons les différents points avancés.

Les forces de NAO pour une stratégie de plateforme

Si dans le futur proche une plateforme de robotique domestique et humanoïde doit émerger, ce pourrait bien être NAO. La concurrence en robotique humanoïde ne semble pas être encore au niveau, tout d'abord d'un point de vue technologique. Aucun robot humanoïde industrialisé à grande échelle pour un prix abordable n'a autant de capacités et d'interactivité que NAO. Le robot d'Aldebaran Robotics pourrait d'autant plus facilement être une plateforme que le robot sert déjà de plateforme pour les chercheurs et autres clients académiques.

72 Nous avons souligné plus haut que le produit devait être cohérent et suffisamment intéressant sans les apports des développeurs pour séduire les utilisateurs. Depuis le début, NAO a été conçu dans ce but, et l'entreprise compte bien sur le fait que NAO, doté de ses comportements natifs, justifiera à lui seul sa valeur d'achat. L'identité forte du produit devrait rassurer les développeurs qui cherchent une plateforme sur laquelle investir.

NAO possède une autre force qui pourrait l'aider à devenir une plateforme incontournable de la robotique humanoïde: ce robot est porté par Aldebaran Robotics. En effet l'entreprise, qui s'est positionnée de façon claire comme un des leaders présents et futurs de la robotique humanoïde, revendique sa capacité à faire naître puis entretenir tout un écosystème autour de ses robots. Elle en possède les moyens, technologiquement, puisqu'a priori personne ne connaît NAO beaucoup mieux que ses concepteurs: l'entreprise sera capable d'aider et de soutenir des développeurs qui investissent sur NAO. Elle en possède aussi l'aura, la volonté et le discours, cherchant à rallier le plus de monde possible à sa cause, et à faire vivre une aventure à ses différents partenaires. De plus, Bruno Maisonnier vise depuis le début de l’entreprise une entreprise qui repose sur ses communautés, par exemple sous la forme d’une gestion de plateforme, et commence à mettre en place les outils pour ce faire.

Les faiblesses de NAO et Aldebaran Robotics pour une gestion de plateforme

Gérer une plateforme exige d’une entreprise qu’elle mette à la disposition de ses clients un certain nombre d’outils, mais aussi qu’elle s’équipe de nombreux outils de communication, marketing, de support, etc. Il faut communiquer largement auprès de son réseau de développeurs, avoir des ressources pour les former et les accompagner dans leur développements, leur organiser des événements et mettre en place des outils de communication dédiés pour les tenir au courant de la « roadmap technologique », se doter d’un système de rétribution des développeurs, construire un écosystème, etc.

Tous ces efforts et outils demandent des ressources, beaucoup de ressources, et du temps de réflexion, de création et d’implémentation pour Aldebaran Robotics. Or l’entreprise, si elle grandit de façon exponentielle, ne possède pas encore ces ressources et n’a pas forcément beaucoup de marge de manœuvre pour les financer. D’autre part, la mise en place d’une stratégie de plateforme demande du temps, pour construire un environnement stable, mettre en place les outils, etc. Or, le temps presse et Aldebaran Robotics devra peut- 73 être bientôt faire face à de la concurrence, et de taille, puisque Samsung a annoncé récemment que l’entreprise souhaitait mettre à disposition du grand public un robot humanoïde à usage domestique vers 2012. Ainsi, du point de vue du temps comme de l’argent, une des faiblesses d’Aldebaran Robotics par rapport à la mise en place d’une stratégie de plateforme est le manque de ressources et une marge de manœuvre limitée.

Une des autres faiblesses potentielles d’Aldebaran Robotics vient de la stabilité technologique. En effet pour travailler, les développeurs ont besoin qu’une plateforme soit relativement stable. Cela signifie notamment que les APIs (Application Programming Interfaces, c'est-à-dire grosso modo les méthodes de programmation) doivent être bien documentées et relativement stables. De plus, il faut trancher de façon claire les problèmes de compatibilité, d’une version à l’autre de la plateforme. En effet, s’il est bon que la plateforme soit en perpétuelle amélioration, elle doit tout de même supporter le plus grand nombre de développements possibles, et notamment des développements qui ont été effectués pour des versions antérieures de la plateforme. Ainsi une gestion de plateforme efficace nécessite d’avoir un rythme régulier ainsi qu’un processus établi (annonces, formation, communication, etc.) de sorties de nouvelles versions, une politique claire de compatibilité hardware/software et rétrocompatibilité et finalement une certaine stabilité dans les méthodes et APIs.

Autant d’exigences qu’Aldebaran Robotics devra intégrer comme des contraintes de conception si elle souhaite de faire de NAO une véritable plateforme robotique attirant à la fois les développeurs et les utilisateurs finaux. Or pour l’instant, sans que l’on puisse déterminer les racines de ce problème, ces contraintes ne sont pas encore complètement intégrées dans la conception de nouvelles versions de l’OS ou du hardware. D’une version à l’autre, les APIs sont souvent chamboulées et tous les développements effectués par les clients nécessitent très souvent d’être recodés pour être compatibles avec les nouvelles versions de software.

Finalement, une des faiblesses d’Aldebaran Robotics vis-à-vis d’une éventuelle stratégie de plateforme est l’hypothétique émergence du secteur de la robotique. En effet, cela augmente le risque que les développeurs ont à investir sur la plateforme : les coûts d’entrée sont élevés, les possibilités de reconversion des compétences assez faibles tant qu’il n’y a pas de plateforme concurrente. Cela limite l’intérêt que les développeurs peuvent avoir à

74 investir sur NAO en tant que plateforme et représente une des faiblesses les plus importantes d’Aldebaran Robotics dans l’éventualité d’une stratégie de plateforme.

Les opportunités d’une stratégie de plateforme pour Aldebaran Robotics et NAO

Opter pour une stratégie de plateforme peut permettre à Aldebaran Robotics d’atteindre un grand nombre de ses objectifs stratégiques. Le premier est le développement d’usages et d’applicatifs. En effet l’entreprise ne possède a priori pas suffisamment de compétences et de ressources pour développer un éventail large et conséquent d’applications pour NAO. Dès lors, avoir recours à une stratégie de plateforme pour laisser des développeurs experts en ergonomie, en IHM (interaction homme machine) et en usages investir leurs propres ressources sur la plateforme. Ceci aura plusieurs effets positifs qui représentent des grandes opportunités pour Aldebaran Robotics.

La première grande opportunité est celle de déléguer la création d’usages à des experts des applications, qui sauront tirer le meilleur de NAO pour l’utiliser comme un compagnon de jeu, un assistant domestique, etc. De plus, ces entreprises et individus auxquels Aldebaran Robotics déléguera le développement d’une partie des applications auront aussi des compétences marketing de gestion de produit logiciel, une idée des prix qui pourront intéresser les développeurs, et aideront donc Aldebaran Robotics à structurer son écosystème. Finalement cela permet aussi de démultiplier les forces de développement et même leur motivation, en impliquant tout un chacun dans un meilleur développement d’applicatifs pour NAO.

Cette forme de « sous-traitance à des clients » (formulation paradoxale liée à la structure des plateformes) permettrait donc à Aldebaran Robotics de se centrer sur son cœur de métier et ses compétences clés, à savoir celle de construire un robot humanoïde programmable, doté d’un environnement de programmation très ergonomique. Ainsi l’entreprise pourrait se concentrer sur l’organisation de la plateforme et pas la conception du contenu, ce qui représente déjà une quantité de travail et un ensemble de risques non négligeables. Finalement cette forme de gestion du contenu permettrait à chacun de jouer son rôle : les développeurs travailleraient sur NAO puis donneraient leurs « feedbacks » à Aldebaran Robotics pour que l’entreprise sache bien quels sont les besoins des développeurs.

75 Finalement en essayant de créer un écosystème autour de NAO, Aldebaran Robotics implique d’autres acteurs dans l’écosystème NAO. Ces autres acteurs seront autant de forces poussant dans le même sens, investissant pour la même plateforme et cherchant à diffuser la même technologie, le tout dans un intérêt commun. Cette implication technologique et commerciale d’un plus grand nombre d’acteurs dans la plateforme représente un possible levier dans l’arrivée du robot NAO sur un marché grand public. C’est une gestion telle qui a permis l’éclosion de la micro-informatique au plus grand nombre. A contrario, c’est en refusant de payer les développeurs plus qu’Atari a perdu son monopole de fait sur les jeux vidéos hébergés par sa console de jeux. Il faut en effet démultiplier les forces de conception, d’imagination, de communication, et réunit non pas une PME parisienne de la robotique mais un réseau international de dizaines d’entreprises de passionnés de la robotique qui cherchent à diffuser la technologie.

Les menaces de la stratégie de plateforme pour Aldebaran Robotics

Le choix d’une stratégie de plateforme pour Aldebaran Robotics ne serait pas anodin, bien au contraire, et il pourrait faire peser sur l’entreprise de fortes menaces. En effet en impliquant d’autres acteurs dans sa destinée, Aldebaran Robotics s’exposerait à différentes menaces : la perte de contrôle sur son produit, sur le système de valeur créé au sein de l’écosystème ou même plus grave, la remise en cause de sa stratégie par les communautés sur lesquelles l’entreprise comptait s’appuyer.

En impliquant d’autres acteurs dans sa destinée, et en acceptant de ne plus être l’unique concepteur des usages du produit, Aldebaran Robotics s’expose à deux menaces, qui ne sont pas insolubles. La première de ces menaces est celle de perdre le contrôle de l’image du produit, dont les usages pourraient être dévoyés par les applications créées par les développeurs. À ce titre par exemple, il faut bien se souvenir qu’un robot peut agir sur le monde bien plus qu’un téléphone : il a une réalité physique bien plus prégnante et peut facilement nuire à l’environnement de son usager ou incarner des réalités physiques dont la symbolique peut être contraire à l’image que l’on veut projeter du robot. Ainsi par exemple, des chercheurs ont d’ores et déjà mis une vidéo de NAO sur un portail de vidéos pornographiques, ce qui bien entendu contraire à l’image que l’entreprise souhaite communiquer. NAO, en tant que plateforme, devient non plus uniquement le robot humanoïde d’Aldebaran Robotics, mais aussi un moyen, une incarnation pour des

76 développements tiers, et l’entreprise doit être prête à lâcher prise sur son robot, avec les risques que cela comporte.

Cette perte de contrôle peut aussi avoir un impact sur la valeur récupérée par l’entreprise. En effet, si Aldebaran Robotics cherche à créer un écosystème autour de son robot, en impliquant d’autres acteurs, elle peut potentiellement perdre le contrôle sur la valeur générée par le secteur de la robotique, en se faisant dominer par des acteurs plus performants dans le domaine du software, des applications ou des services accompagnant la vente du robot. Dans un secteur émergent, dont les contours et relations de force sont très peu établis, on ne peut affirmer avec certitude qu’Aldebaran Robotics gardera son rôle de leader et réussira à capter la majeure partie de la valeur dégagée par l’écosystème.

En ouvrant la plateforme NAO à de nouveaux développeurs, l’entreprise sera confrontée à des avis extérieurs, elle qui vit parfois en vase clos, en délivrant une plateforme vide à des utilisateurs souvent très experts, cherchant parfois plus à gagner du temps qu’à transformer le robot en interface de jeu ou de service. Ces avis peuvent être très positifs, mais ils peuvent aussi s’avérer très critiques sur la qualité de la plateforme, ce qui représenterait deux menaces différentes :

1. Les développeurs, déçus par la qualité de la plateforme, refusent d’investir dans l’aventure avec Aldebaran Robotics

Comme nous l'avons déjà dit, il faut tenir aux développeurs un discours bien particulier, afin de les convaincre d'investir sur la plateforme. Bien entendu, cela ne suffit pas, et il faut que le produit soit à la hauteur, du côté des développeurs. Le produit doit donc être facile à programmer, relativement stable et doté de puissantes capacités. De plus l'environnement de programmation, (les APIs et le SDK) doivent être bien documentés, ergonomiques et loti de capacités de support réactives et compétentes.

Si ce n'est pas le cas, les premiers développeurs risquent tout d'abord de ne pas réussir à développer du contenu de qualité, ce qui serait dommageable pour l'écosystème en général. De plus, le bouche à oreille, particulièrement important pour des produits innovants comme NAO, pourrait être mauvais et gêner le développement commercial du robot.

77 La version développeur d'un produit de plateforme est très importante, et on ne peut la négliger en supposant que les développeurs sont des fournisseurs, connaisseurs et tolérant les approximations techniques. Au contraire! Le principe d'une plateforme, c'est que les développeurs sont des clients, et pas des fournisseurs, et qu'il existe une réelle concurrence pour les développeurs. Finalement la valeur du produit pour l'utilisateur final dépend tellement du contenu tiers qu'il faut absolument veiller à faciliter le travail des développeurs.

L'histoire de plateformes passées confirme cette approche. Par exemple, le SDK de la Playstation 2 avait été un peu négligé par Sony, et les développeurs se plaignaient des difficultés qu'ils rencontraient à développer des jeux intéressants: les bugs de la plateforme étaient nombreux, et il n'était pas aisé d'exploiter l'ensemble des capacités de la plateforme. La console a donc été lancée avec un nombre de jeux dédiés assez faible, et les ventes ont peiné pendant quelques temps. Jusqu'à ce que Sony se décide à refondre le produit disponible pour les développeurs, ce qui leur a permis de concevoir beaucoup de jeux donnant plus de valeur à la console et ainsi à imposer la plateforme au plus grand nombre, au prix d'un lourd effort de refonte de l'environnement de programmation.

Miser à travers une stratégie de plateforme sur le développement de tiers pour imposer son produit, cela suppose d'avoir réussi à convaincre les développeurs tiers d'investir l'écosystème et de rentrer dans l'aventure. Ce risque n'est pas à négliger, et un discours autant qu'un produit bien précis doivent être élaborés pour maîtriser ce risque et favoriser au mieux le développement d'usages et de contenu sur le robot.

2. Les « feedbacks » des développeurs remettent en cause une grande partie des développements passés.

Quand NAO aura été vendu à des développeurs, ceux-ci auront sûrement des remarques sur la façon dont le robot et son environnement de programmation ont été conçus. Ces remarques peuvent remettre en cause les développements de façon plus ou moins importante, et faire apparaître des demandes et des "feature requests" plus ou moins impactants sur la structure software du robot.

78 Ces demandes peuvent représenter une menace dans la mesure où de trop nombreuses requêtes pourraient être couteuses et longues à implémenter, et ainsi retarder l'arrivée du robot sur le marché. On peut aussi imaginer des impacts techniques, puisque certaines requêtes auront peut-être des impacts signifiants sur l'OS de NAO: on ne peut cependant pas développer plus ce point là, n'étant pas devin.

Cependant, les coûts engendrés et les besoins exprimés par les développeurs ne doivent pas être considérés comme contre-productifs: les développeurs sont les premiers utilisateurs et premiers clients de la plateforme dans l'optique du grand public. Dès lors il s'agît de bien tenir compte du délai possible engendré par leurs besoins dans le plan de déploiement de NAO pour le Grand Public.

Conclusion

Aldebaran Robotics et ses dirigeants sont bien conscients des étapes à franchir avant d'imposer NAO ou ses descendants comme le robot humanoïde à usage domestique de demain. Si l'entreprise semble avoir choisi une stratégie de plateforme, elle n'a pour l'instant fait qu'en poser les prémices, faute principalement de moyens.

La stratégie de plateforme ne se suffit pas à elle même pour imposer le produit, mais elle propose quelques leviers importants de développement, si l'entreprise est prête à assumer les risques de l'ouverture de l'écosystème. Pour un produit aussi innovant que NAO, dont les usages restent tout particulièrement à inventer, cette stratégie représente un moyen de s'imposer comme un acteur incontournable non seulement dans le hardware, mais aussi pour le software et les usages.

Transition : Ainsi Aldebaran Robotics a choisi sa voie pour manager sa communauté et les innovations technologiques nécessaires au bon déroulement du projet de l’entreprise : imposer la robotique humanoïde et domestique à tout un chacun.

Cependant la route est encore longue avant d’atteindre cet objectif. En effet, en s’appuyant sur sa communauté de chercheurs et d’enseignants, Aldebaran Robotics et NAO n’ont fait pour l’instant que suivre-quoique de façon plus intense- la trajectoire traditionnelle de la robotique, qui tire l’innovation mais jamais ne s’impose.

Le risque majeur pour NAO serait, comme l’ont fait la plupart des autres innovations liées à la robotique, de « tomber » dans le gouffre de Moore, n’ayant pas réussi à trouver les usages 79 qui justifieraient l’achat d’un NAO pour les particuliers. Par exemple, si NAO se cantonnait à l’avenir uniquement à des rôles de gadget de décoration pour familles riches (comme le sont devenus les automates du 18ème siècle), d’outil publicitaire ou de support d’événements, les objectifs d’Aldebaran Robotics ne seraient pas complètement atteints.

Dès lors, il faut-comme le préconise Moore -explorer au mieux les différents usages possibles de NAO avant d’attaquer le marché du grand public. Cette exploration se fait à l’aide de plusieurs outils, dont certains sont particulièrement innovants, que nous allons détailler ici.

III. Stratégies d’exploration des usages pour Aldebaran Robotics a. La mise en place d’un système d’échange et de co-conception des usages i. Les variables de conception du système d’échange

Introduction

On a compris que pour réaliser au mieux sa stratégie, Aldebaran Robotics avait deux défis importants à relever: explorer au mieux les usages possibles de NAO avant de le vendre au grand public, et organiser un marché de plateforme pour stimuler la création d'usages et la valeur du robot.

Une des solutions envisagées pour répondre à ces deux défis est la création d'un outil web pour que les utilisateurs, qui en tant que "lead-users", ont la particularité d'être à la fois 80 concepteurs et utilisateurs, puissent s'échanger leurs travaux (développements, etc.) sur la plateforme NAO. Cet outil s'adressera de façon différenciée aux différents types de clientèle au départ, pour ensuite, grâce à un effet de capitalisation, être généralisé à tous les utilisateurs de NAO.

On voit à quel point cet outil peut avoir un rôle important dans l'implémentation de la stratégie de l'entreprise. Dès lors une méthode de conception méthodique a été utilisée pour élaborer ce projet. Explorons donc les variables de conception de ce projet.

Description

Ce projet, nommé NAO Store, puisqu'il doit permettre de poser les fondations du marché d'applications, qui tel l'App Store pour l'iPhone, enrichira quotidiennement la valeur de NAO pour l'utilisateur final, en distribuant des applications, des comportements et des outils de développement pour le robot.

Si il opposera un jour les développeurs aux utilisateurs finaux, qui seront chacun d'un côté différent du marché, les utilisateurs actuels du robot, étant des "lead-users" doivent pouvoir contribuer autant que télécharger du contenu sur le robot. De plus, Aldebaran Robotics a pour l'instant principalement un type de clientèle, ses clients académiques. On cherche donc à mettre en place un outil qui permettra les interactions suivantes:

Aldebaran Robotics Applications développées Dispositif d’échange TDs

TDs

Communauté Académique Applications pour usage

81 À terme, de nombreuses fonctionnalités doivent venir agrémenter ce dispositif. Nous les détaillerons cependant dans la prochaine étape.

Revenons ici sur les fonctionnalités de base qui ont régi la conception de cet outil communautaire de co-conception des usages. Cette application web a été conçue principalement avec une démarche de conception par scénario, comme il est d'usage lorsque l'on conçoit une interface sur écran.

Le dispositif web devait permettre de:

 Contribuer: les utilisateurs doivent pouvoir mettre à disposition des autres utilisateurs des travaux effectués sur le robot, que ce soit des cours, sous la forme de documents par exemple, des exemples de code, des bouts de logiciels ou des logiciels complets.

 Télécharger: un utilisateur de la plateforme doit pouvoir naviguer sur la plateforme pour y trouver les applications ou les cours qui l'intéressent, il doit voir du contenu qu'il ne cherche pas forcément mais qui peut l'intéresser ou rechercher des usages particuliers. Toutes les formes de navigation ont été prises en compte lors de la conception du dispositif afin de s'assurer de l'ergonomie et de la facilité d'usage pour les clients.

 Commenter/Communiquer: un outil communautaire n'est communautaire que s'il fait appel aux outils classiques du web communautaire. Il doit donc être possible pour les utilisateurs de communiquer entre eux, de commenter les contenus présents, de se créer un profil.

Finalement, le tout se doit d'être doté de règles de fonctionnement claires, dont le rôle est principalement de statuer sur les problèmes de propriété intellectuelle, de garantie du robot et de l'environnement de l'utilisateur, et plus tard, de paiement et de tarification.

Andrew MacAfee a créé pour décrire quelques unes des fonctionnalités de base du web 2.0 l'acronyme SLATES, pour Search, Links, Authoring, Tags, Extensions, Signals. Ces recommandations ont été longuement prises en compte pour détailler les fonctionnalités de l'application web, qui devait permettre de régir et de faire vivre une communauté de scientifiques autour du robot NAO.

82 D'autre part, la réflexion a été poussée un peu plus loin pour anticiper les besoins de demain. La valeur ajoutée d'un robot est fortement proportionnelle à son autonomie et sa faculté d'apprentissage. Il fallait donc que NAO soit capable d'interagir simplement avec la bibliothèque de comportements qui serait disponible sur le Web. Cette réflexion a mené les ingénieurs de l'entreprise à élaborer un logiciel qui permet aux utilisateurs de NAO de télécharger directement des applications sur le robot, mais aussi au robot de vérifier constamment s'il n'a pas de nouveaux contenus à télécharger. On imagine qu'un jour NAO téléchargera de façon autonome des comportements dont il pensera qu'ils pourront plaire à son maitre/possesseur.

Ces deux projets, menés de front, étaient accompagnés par une réflexion sur le contenu de la plateforme. En effet pour bien lancer une telle plateforme, on ne peut se permettre d'afficher une jolie coquille (l'application Web, etc.) qui soit parfaitement vide. En effet, un contributeur qui voit une plateforme vide peut être dissuadé s'il est amené à penser que la plateforme est inactive. La réflexion sur le contenu de la plateforme a aussi permis d'aborder les règles de fonctionnement de la plateforme: quels sont les produits échangés? quelle taille peuvent-ils faire? Sont ils gratuits, payants? Par quelles licences sont ils régis? Sont-ils certifiés? Quel impact leur utilisation peut avoir sur la garantie du robot? etc.

Finalement tout au long de la réflexion sur ce projet, il fallait réfléchir à la façon dont ce système allait interagir avec le reste des services d'Aldebaran Robotics. Comment facturer un comportement payant? Quels seront les login et mots de passe des utilisateurs de cette plateforme? Doit-on inviter tous les clients? Comment sera gérée et maintenue la plateforme, ainsi que ses bases de données? Comment utiliser les usages développés pour mieux connaître nos clients, améliorer la plateforme, etc.?

Conclusion

Une fois le cahier des charges établi, et les ressources alloués, nous nous sommes vite rendus compte de l'ampleur de la tâche. Tout ne pouvait pas être fait d'un jour à l'autre. Cependant, il faut le rappeler, parmi les grands particularités de l'informatique figurent la facilité et la gratuité de la copie et de la modification. Il a donc été décidé de déployer ce dispositif en plusieurs étapes, chacune tendant vers le même but final, mais ayant des objectifs un peu différents, avec une amélioration permanente des fonctionnalités.

ii. Le lancement du système d’échange d’usages et son utilisation à long terme 83 Introduction

On l'a vu, Aldebaran Robotics souhaite mettre en place un outil de partage qui évoluerait en marché d'applications et de comportements dans lequel des développeurs tiers mettrait à disposition des utilisateurs leurs développements, gratuitement ou de façon payante. Cependant elle ne possède pour l'instant ni la masse critique de développeurs, ni les utilisateurs finaux, ni le dispositif de marché, qu'elle doit encore mettre en place. Finalement elle doit aussi deviner les usages que les futurs développeurs et clients vont faire du robot, c'est à dire le type de développements qui vont être téléchargés sur NAO, ou par NAO.

Le dispositif de marché en lui-même nécessite une longue montée en puissance, avec la mise en place de fonctionnalités compliquées à mettre en place. Quelles sont les échéances que l'on va se fixer, et comment l'entreprise va-t-elle procéder pour s'assurer du développement de ce dispositif, de façon cohérente et adaptée aux clientèles visées?

L'échange communautaire pour l'"open science"

Le dispositif initial, doté des fonctionnalités de base décrite ci-dessus, permettra d'augmenter grandement la valeur d'usage de NAO pour les utilisateurs académiques, ainsi qu'à structurer une communauté qui, comme celle de l'"open source", ne souhaite pas "réinventer la roue". Finalement elle aidera l'entreprise à mieux connaître les usages que les clients font du robot, ainsi que faciliter les premiers pas d'utilisation du robot pour un professeur, qui trouvera dans cette bibliothèque de cours, documents et présentations de quoi faire des cours et apprendre à utiliser le robot.

Cette première plateforme sera déployée tout d'abord sous la forme d'une bêta, destinée à remplir la plateforme de contenus tiers et quelques contenus développés par Aldebaran Robotics, réservée à des clients dont l'implication dans la communauté est déjà avérée, et permettra de résoudre une première levée de bugs et de découvrir des fonctionnalités oubliées dans cette première maquette. On capitalisera alors sur la navigation sur le site internet (l'efficacité du moteur de recherche, des liens, des classements par date/note/nombre de téléchargements), la possibilité de commenter et de noter des contenus, la mise en ligne et le téléchargement des contenus ainsi que les moyens d'administration d'Aldebaran Robotics (les capacités de supprimer, éditer des contenus ou des utilisateurs et globalement de faire respecter les règles, les possibilités d'obtenir des statistiques d'utilisation, etc.), les interfaces en général... 84 Une deuxième étape sera de déployer cette plateforme à l'ensemble des utilisateurs académiques. Cette étape permettra de tester le dispositif à une plus grande échelle, et notamment de vérifier par exemple que la configuration des serveurs et des bases de données est suffisamment rapide. Cette étape nécessitera aussi une très bonne gestion des bases de données, puisque ce dispositif devra être disponible pour tous les clients académiques, mais pas aux intervenants extérieurs. Ce dispositif permettra toujours d'ajouter de la valeur au robot, grâce à la présence de contenu, mais il faudra pour le déployer avoir vérifié que les règles d'utilisation ne mettent en péril ni les utilisateurs, ni les robots, ni Aldebaran Robotics, notamment d'un point de vue légal.

En conclusion la généralisation de cette plateforme permettra d'obtenir un réel retour sur les utilisations que font les clients du robot et aussi de constituer une base de cours, exemples de code et modules pour NAO qui ne feront qu'enrichir la plateforme. Ces utilisateurs sont en général des militants de l' "open source" et de la gratuité de la science, il serait donc éventuellement malvenu de leur faire payer l'accès à certains contenus, d'autant plus qu'en général, la reconnaissance des pairs et le sentiment de faire avancer la communauté scientifique représente pour eux une rémunération en soi.

Les bêta-testeurs: un App Store pour des concepteurs/utilisateurs

Ces utilisateurs sont a priori plus intéressés par les applications et comportements que les universitaires. Ainsi déployer le dispositif d'échange pour eux permet de travailler sur le lien entre le robot et la base de données d'applications sur Internet. Il a donc été nécessaire de développer des modules spécifiques de téléchargement sur le robot, mais aussi de commencer à réfléchir à la façon dont NAO lancerait tel ou tel comportement qu'il a téléchargé.

Une première version permettra donc de vérifier que NAO est bien capable de télécharger des comportements qu'on lui a demandé de télécharger, de les lancer, etc. ainsi que d'alimenter la plateforme en applications et en usages. On pourra se faire une idée du type d'usages qui seront développées et utilisées sur le robot, ainsi que de l'usage qu'en feront les utilisateurs finaux...L'ergonomie les séduit-elle, etc.? Sachant que ce dispositif deviendra à terme payant, on pourra simuler dans cet environnement clos des systèmes de valorisation, avec de la monnaie virtuelle, ou au moins en affichant des prix, afin d'habituer les utilisateurs au fait que les contenus ont de la valeur et ne sont pas gratuits...Les défis

85 légaux, juridiques et marketing ne manquent pas sur ce projet: il faut définir les impacts sur les garanties, les termes d'utilisation du dispositif d'échange, mais aussi commencer à mettre en place un système de "contenu conseillé", qui témoigne du fait qu'Aldebaran Robotics a testé et apprécié le contenu proposé.

Une deuxième version devrait être interfacée avec un système de facturation et le marché réel commencerait à être mis en place, ne serait-ce que pour financer le système. D'autre part, cette phase devrait voir naître des éléments aussi importants que des abonnements pour des applications avec des contenus se mettant à jour tous les jours, comme les magasines d'informations, ou autres... Finalement, elle pourrait être l'occasion de voir NAO choisir tout seul le contenu qu'il juge approprié...

Conclusion: quel avenir pour ce projet?

De façon assez classique, plus les échéances de développement sont loin, plus le sujet et les fonctionnalités à développer sont floues. On ne peut donc pas vraiment rentrer dans le détail quand aux fonctionnalités qui seront développées plus tard. On peut cependant miser sur la présence de quatre zones, comme suit.

D'autre part, on peut imaginer à terme une convergence des différentes zones d'échange pour n'en constituer qu'une seule, dans laquelle la navigation sera aisée et ergonomique, entre les documents et les applications, mais aussi que les NAOs sauront puiser leurs nouveaux comportements et apprendre grâce à cette plateforme d'échange, en respectant les budgets et intérêts de ses utilisateurs.

On peut aussi imaginer que progressivement, la plateforme glissera d'un accès indifférencié pour les utilisateurs/contributeurs vers une différenciation des accès et des termes d'utilisation de la plateforme, grâce au développement de deux (voire plus) types de clientèle différenciés et fera partie intégrante de la stratégie de l'entreprise, au même titre que l'Android Market ou l'App Store sont des éléments de différenciation majeurs.

86 b. La mise en place d’une stratégie de plateforme : comment lancer l’effet de réseau ? i. Entendre, identifier et isoler les différentes clientèles

Introduction

Une des problématiques régulières concernant la stratégie de plateforme est celle de l'oeuf et de la poule: qui faut-il attirer en premier? Faut-il d'abord séduire les développeurs ou les utilisateurs? Une des réponses données par l'expérience et l'analyse économique de Michet&Tirole est de subventionner un des deux types de clientèle, mais cela ne donne pas d'indication temporelle. Le choix d'Aldebaran Robotics est simple. Une première phase de bêta-test a permis de vendre des robots à une trentaine d'utilisateurs, à l'état de coquille vide, c'est à dire doté d'aucune sorte de personnalité, de vie autonome et encore moins d'applicatifs. Les participants à cette "bêta" étaient principalement des développeurs, professionnels ou par intérêt, mais la plupart d'entre eux n'a pas réussi à apprivoiser la technicité du robot et beaucoup ont donc ressenti une légère déception à l'usage, d'autant plus que leur robot ne s'animait que grâce à leurs développements, et les quelques développements livrés par Aldebaran Robotics à un rythme variable. Cette bêta a donc apporté une réponse assez forte concernant le problème de l'oeuf et de la poule pour la plateforme NAO: il faut s'adresser à des développeurs pour créer des usages avant de re-proposer le robot à des utilisateurs finaux. Ces développeurs et utilisateurs ne seront cependant pas les seuls interlocuteurs avec lesquels Aldebaran Robotics devra collaborer dans sa gestion de plateforme. En effet si l'écosystème vient à grandir, il devrait se complexifier, et l'entreprise doit être prête à accueillir les différents acteurs qui viendront peut-être s'embarquer dans le sillage d'Aldebaran Robotics. Chacun de ces acteurs méritera une attention bien particulière et un produit, ou en tous cas, une approche dédiée.

La complexification d'un écosystème

Un des constats des auteurs d'Invisible Engines concerne la complexification progressive d'un écosystème au fur et à mesure qu'il grandit. En effet, plus une plateforme prospère, plus les différents acteurs qui peuvent en profiter cherchent à s'y joindre, ce qui démultiplie l'effet de réseau. Cette arrivée relativement progressive de nouveaux acteurs tend à diluer les responsabilités et la maîtriste de la plateforme, et doit être anticipée par Aldebaran

87 Robotics. Economiquement, le système reste généralement viable, puisque la taille du gâteau tend à augmenter au moins au même rythme que le nombre des acteurs cherchant à s'en tailler une part. Cependant les rapports de force peuvent être bouleversés...

Parmi les acteurs qui s'intéresseront à NAO si la plateforme monte en puissance, on peut penser aux possesseurs de contenu: les majors de musique, les détenteurs de scénarios de cinéma, ou de licences d'images de telle ou telle marque. En effet, ceux-ci pourront être intéressés par le fait de promouvoir leur produit, et leur contenu grâce à des applications sur le robot. On peut également penser aux agences publicitaires, qui verront sûrement des façons particulièrement innovantes de passer des annonces grâce à NAO. On peut aussi imaginer que le secteur de développeurs d'applications se dotera d'éditeurs, de producteurs, etc. et s'organisera ainsi en un réel secteur économique. Ce futur proche pour Aldebaran Robotics va mener à une complexification des discours, mais aussi sûrement à des partenariats stratégiques avec les acteurs les plus importants de ce secteur.

L'offre d'Aldebaran Robotics comprendra aussi sûrement du B2B2C, c'est à dire la vente de NAO et aussi peut-être de services dédiés de support, développement, etc. à des entreprises qui l'utiliseront dans le cadre des services qu'elles fournissent à leurs clients. Les demandes auxquelles l'entreprise est confrontée quotidiennement semble d'ailleurs aller dans ce sens. En effet, au fur et à mesure que l'image de NAO se répand dans le monde, grâce à l'Exposition Universelle ou à des communiqués de presse largement diffusés, des entreprises s'y intéresse pour l'intégrer dans leurs services. Ainsi NAO pourrait être votre prochaine caméra de surveillance, votre prochain conseiller clientèle, ou votre prochaine télécommande universelle à domicile.

Ce genre de ventes, dont le business model reste à établir, doit se faire de façon cohérente (au niveau des prix, etc.) avec la vision plateforme de NAO, même si on imagine que les utilisateurs finaux auront tous accès à un service de téléchargement de comportements. De tels partenariats auraient l'intérêt bien particulier de par exemple pouvoir diminuer le prix d'achat de NAO pour les utilisateurs finaux, tout comme les opérateurs subventionnent l'achat de smartphones. De plus, ils lanceraient la possibilité de faire des lignées de NAO, plus ou moins spécialisés dans tel ou tel registre d'usage.

88 Conclusion

L'intérêt de tous ces acteurs serait le même: faire grandir l'utilisation de NAO à travers le monde, afin de s'appuyer sur son image futuriste, ses capacités, etc. pour vendre, promouvoir et réaliser les services proposés par différents types d'entreprises, dans le cadre de partenariats sous formes diverses. S'il est difficile de prévoir ce qui va permettre l'émergence de la robotique humanoïde à usage domestique, l'entreprise doit se préparer et structurer ses offres envers les différents types de clientèle, notamment en tentant pour l'instant de faire converger les offres de service, par manque de ressources.

On peut bien imaginer que l'entreprise saura, comme elle l'a fait jusqu'à présent, s'adapter aux besoins des clients qu'elle rencontre et prospecte. Cependant, si l'entreprise souhaite se lancer dans un stratégie de plateforme, dans laquelle les prix de NAO et des services devraient varier d'un type de clientèle à l'autre, elle se doit d'élaborer un discours cohérent et spécifique à chacun des types de clientèle.

Conclusion Aldebaran Robotics est une entreprise particulièrement innovante qui cherche à créer son marché, confrontée à de nombreux défis pour l'implémentation de sa stratégie. Des défis 89 technologiques tout d'abord, puisqu'elle évolue dans un secteur particulièrement à la pointe de la technologie mais aussi de nombreux défis de découverte d'usages et de business model.

Cette position lui demande d'explorer de la façon la plus efficace possible les technologies disponibles et les usages envisageables, le tout en tentant de disperser au minimum ses ressources d'entreprise de taille moyenne. Ayant bien appris ses leçons de management de l'innovation, l'entreprise a su s'inspirer des théories d' "open innovation", de l' "open source" et de la gestion de plateforme (projets collaboratifs, et dispositif d'échange) afin d'utiliser l'expertise de ses utilisateurs, qui en tant que "lead users", peuvent renseigner l'entreprise sur les fonctionnalités dont ils ont besoin pour travailler.

L'entreprise est donc sur le principe, armée d'une gestion très mature de l'innovation. Cette maturité n'est dans les faits limitée que par les ressources propres à l'entreprise et les risques liés à une trop grande ouverture dans un secteur dont les contours sont encore très flous.

Nul ne peut prédire si le secteur de la robotique humanoïde à usage domestique, qui est finalement un choix technique audacieux, empli de rêves et de mythologie, permettra à l'entreprise d'atteindre ses objectifs, mais l'on peut affirmer avec certitude qu'elle se construit progressivement, avec ses moyens et sa particularité, les armes pour affronter les défis du futur, quels qu'ils soient.

Entre stratégie de plateforme et intégration verticale de la chaîne de la valeur ajoutée, entre "open innovation" et sauvegarde de la propriété intellectuelle, Aldebaran Robotics trace sa route, armée de son rêve et du bon sens de ses dirigeants, prête à représenter la France dans la guerre des robots de demain.

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Bibliographie Chesbrough, H. (2003), "Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from Technology"

Moore, Geoffrey (1991) Crossing the Chasm: Marketing and Selling High-tech Products to Mainstream Customers (1991)

David S. Evans, Andrei Hagiu et Richard Schmalensee, “Invisible Engines : how Software platforms drive innovation and transform industries” (2005)

Moon, Youngme E “Sony AIBO: The World's First Entertainment Robot." Harvard Business School.

Contrats pour les développeurs et Termes et Conditions d’Utilisation du SDK de l’iphone d’Apple (disponible sur le site Internet d’Apple)

Contrats pour les développeurs et Termes et Conditions d’Utilisation du SDK pour téléphones Android (Google) (disponible sur le site Internet

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