Benjamin MassieuBenjamin Massieu

Commando Kieffer La campagne oubliée Pays-Bas 1944-1945

1 Sommaire

Avant-propos ...... 6

Chapitre 1 – Le 1er BFMC : le bataillon aux deux débarquements ...... 10 Chapitre 2 – Le douloureux souvenir du raid de Wassenaar ( 28 février 1944) ...... 16 Chapitre 3 – Infatuate : une opération vitale pour la poursuite de la Libération de l’Europe ...... 20 Chapitre 4 – Retour sur le front ...... 24 Chapitre 5 – Le plan d’attaque ...... 28 Chapitre 6 – Jour J à Flessingue ...... 36 Chapitre 7 – La chute de Flessingue ...... 44 Chapitre 8 – L’achèvement de la conquête de l’île de ...... 50 Chapitre 9 – Les trois raids sur l’ïle de Schouwen ...... 60 Chapitre 10 – L’enquête et la lumière sur l’affaire du raid de wassenaar ...... 68 Chapitre 11 – Une amère sortie de guerre ...... 72 Chapitre 12 – Mémoire d’une campagne oubliée ...... 82

Conclusion ...... 84

Annexe 1 : Liste des commandos français ayant pris part à la campagne des Pays-Bas ...... 85 Annexe 2 : Sténographie de la conférence de presse tenue par le commandant Kieffer le jeudi 24 mai 1945 ...... 86

Sources ...... 98 Bibliographie ...... 99

Remerciements ...... 101

2 3 COMMANDO KIEFFER - LA CAMPAGNE OUBLIÉE LE PLAN D’ATTAQUE

Le choix du lieu du débarquement n’a pas été aisé. En effet, le seul secteur se endroit car il serait impossible à la première vague d’assaut de pénétrer jusqu’au fond prêtant idéalement à un débarquement est la plage de sable servant avant-guerre de de l’anse en raison de tous ces obstacles. L’intérêt se reporte donc vers l’ouest, vers la station balnéaire et se situant devant l’Hôtel Britannia. Malheureusement, cet hôtel digue de pierre en pente inclinée juste en face du Moulin d’Orange. C’est alors que a été transformé en point fortifié extrêmement bien défendu. De plus, quand bien plusieurs pilotes de la police de la naviga- même un débarquement réussirait sur ce point fortifié, partant de ce secteur, les tion de l’estuaire de l’Escaut viennent ap- troupes devraient emprunter une longue promenade surélevée en ciment est flanquée porter leur expertise des lieux. Ils confir- de blockhaus. La seule progression qui pourrait se faire passerait donc par une route ment que l’anse de l’Ooster of Dokhaven qui longe la mer et qui est balayée par le feu de multiples points fortifiés. Entre ce n’est en réalité qu’une grande cuvette de point et l’entrée du port, le littoral est couvert par un gigantesque mur qui empêche vase à marée basse. Le débarquement de- tout assaut. C’est un peu plus à l’est que se trouve la solution, En effet, sur un pro- vant se faire à marée haute lorsque celle- montoire situé à une centaine de mètres du rivage se trouve l’Orange Molen (Moulin ci commence seulement à baisser, une d’Orange) qui offre un point de repère parfait pour les barges. Au pied du moulin incertitude demeure sur la hauteur et se trouve une digue de pierre en pente inclinée. Un peu plus à l’est se situe la petite l’angle de déclivité véritable de la digue anse d’Ooster of Dokhaven, vestige d’un ancien port. C’est le lieu qui semble le plus et donc sur son possible franchissement. propice à un débarquement. La Royal Air Force se charge d’aller effectuer des pho- Les pilotes et civils connaissant bien les tographies de la baie pour mieux la repérer. Elles permettent de découvrir que tout lieux ne sont pas d’accord et les photos le périmètre de cette baie est couvert d’obstacles sous-marins et barré par des triples aériennes ne permettent pas d’être affir- rangées de barbelés. Cela compromet donc sérieusement le projet de débarquer à cet matif car elles semblent toutes prises sous un faux angle. Le capitaine Najhuijs, ins- Les soldats alliés positionnés à Breskens observent pecteur de police à la tête de la résistance Flessingue de l’autre côté de l’estuaire de l’Escaut. de Flessingue qui a pu s’échapper trois semaines plus tôt et a déjà apporté de Le port de Flessingue est un formidable point fort précieux renseignements sur le dispositif où les Allemands ont concentré des moyens défensifs ennemi, vient confirmer que cette anse parmi les plus puissants du mur de l’Atlantique. fournira un terrain suffisamment ferme pour les véhicules. La décision est donc prise de choisir ce lieu de débarquement que l’on rebaptise du nom de code Uncle Beach mais l’incertitude sur l’angle de la digue et la possibilité de la franchir demeurera jusqu’au moment de l’assaut. Le lieu du débarquement enfin choisi, il a fallu mettre au point un plan d’attaque afin de coordonner les mouvements des différentestroops vers leurs objectifs respec- tifs. Il apparait rapidement que les deux objectifs immédiats des commandos seront les secteurs baptisés « Dover » et « Bexhill » dont le contrôle permettra de couper toute communication entre la basse ville, où se trouvent les défenses côtières, et la haute ville où l’ennemi a positionné ses réserves. Ainsi, « Bexhill » et « Dover » entre leurs mains, les commandos pourront beaucoup plus facilement nettoyer le secteur de « Seaford ». La troop 6 aux ordres de Guy Vourc’h doit s’emparer du secteur de « Bexhill » situé à la jonction de la vieille ville et de la nouvelle, entre le lac artificiel de Spui of Binnenboezem et les chantiers navals. Des commandos équipés de mortiers de trois

4 5 COMMANDO KIEFFER - LA CAMPAGNE OUBLIÉE JOUR J À FLESSINGUE

Les commandos se lancent à l’assaut d’Uncle Beach. Un canon de 20 mm camouflé sur le promontoire de la zone codée « Brighton » (sur la gauche) ouvre alors le feu, suivi par des mitrailleuses. Dans leurs barges, les commandos français sont toujours accroupis, entendant les balles s’écraser sur la coque. C’est sous ce feu nourri que la première barge française atteint la plage à 6 h. Le commandant Kieffer est une nouvelle fois en tête : « Les chaînes grincent et nous nous élançons à travers le pont-levis à l’escalade de la digue. Des poteaux, à hauteur d’hommes, barrent la route; ils sont passés en un clin d’oeil et le flot de l’assaut s’engouffre dans le passage ouvert dans les barbelés. En débouchant à la tête de mon détachement de P.C. au haut de la digue, une scène comique nous attend. Agenouillés dans la boue tout autour de la position forte qu’ils occupaient quelques mi- nutes auparavant, une trentaine de Boches, les mains croisées derrière la nuque, ressem- blaient à de mauvais élèves punis en classe. Ce sont les premiers ennemis surpris par le faible détachement de commandos débarqués en tête. Ils n’ont pas eu le temps d’armer la pièce de 75 mm qui se trouve intacte dans la casemate. Ils comprennent fort bien que leur meilleur atout pour une vie sauve est de ne pas gêner notre action ; ils se sont agenouillés d’eux-mêmes. » Soudain, comme si les Flessingue s’illumine bientôt en raison des incendies. Les flammes claires des- autres Allemands venaient sinent le littoral. Tout à coup, le Moulin d’Orange apparaît avec ses grandes ailes de comprendre ce qui se devant ce brasier et indique la route aux LCA. Le timing est si précis que la première passait, la réponse se fait barge, arrivée avec une minute d’avance, est frappée par un obus « ami » qui la tra- violente. Le canon de 20 verse de part en part sans exploser, juste au-dessus de la ligne de flottaison. mm située dans le secteur Il est 5h45. Au moment précis où le barrage d’artillerie cesse, les premiers LCA at- de « Brighton » ainsi que teignent la plage à l’endroit prévu. La barge du détachement aux ordres du capitaine des mitrailleuses tirent un Rewcastle est la première arrivée. Elle atteint l’extrémité ouest de la plage, le long des feu extrêmement nourri chevaux de frise tout en évitant les obus amorcés et fixés à des poteaux de défense cô- sur les assaillants. Réné tière. Le moindre choc contre ces poteaux et c’est la déflagration assurée. Aussitôt, les Goujon, qui vient de dé- dix premiers commandos débarqués escaladent le mur et nettoient le premier point barquer, écrit : Les commandos tentent de traverser Bellamy Park où la fort ennemi qui se présente à eux avant même que les défenseurs n’aient eu le temps « Uncle Beach, où nous résistance ennemie est intense. de tirer un coup de feu. Ces commandos s’attaquent ensuite au cisaillage des barbelés sommes, est soumis à un feu puis, une fois la brèche ouverte, déroulent des bandes blanches pour indiquer aux intense et meurtrier. Les conditions du débarquement deviennent très vite infernales. Une suivants le passage sûr. des barges de la troop 5 du capitaine Lofi est touchée. Plusieurs blessés, les autres occupants Il s’avère finalement – puisque c’était l’une des grandes inquiétudes – que la digue de la barge font un débarquement mouillé. » est suffisamment inclinée vers la mer pour que son escalade soit possible. De plus, les L’une des barges transportant une section de la troop 4, celle des armes lourdes barges LCA, disposant d’une rampe pont-levis, peuvent ainsi y déposer directement dont deux mortiers de trois pouces ainsi que les radios des observateurs d’artillerie qui les commandos en leur évitant une baignade jusqu’au cou comme ce fut le cas en doivent appuyer la progression de la troop 6 aux ordres de Guy Vourc’h, va s’éventrer Normandie lors du débarquement depuis les barges LCIS. Ce sont donc des combat- un des pieux d’acier des défenses ennemies et coule alors qu’il n’y a plus que quelques tants à sec qui vont pouvoir s’élancer. centimètres d’eau de profondeur. Le sauvetage se fait sous un violent feu ennemi.

6 7 8 Les barges LCA déversent leur flot de commandos surUncle Beach, au pied du Moulin d’Orange. 9 COMMANDO KIEFFER - LA CAMPAGNE OUBLIÉE LA RÉÉDITION

grand drap jaune sur la dernière maison en leur possession de chaque côté de la rue Le 2 novembre au matin, Une colonne de prisonniers allemands est ramenée afin de se signaler. Le commandant Kieffer raconte : par les commandos. les commandos repartent à « Avec un sifflement terrifiant, un à un, volant parallèlement au rivage, lesTyphoons , l’assaut des dernières posi- tels des faucons sur la proie, plongeant à la verticale sur les dernières positions allemandes, tions tenues par les Allemands. leurs canons crachent du feu, et leurs torpilles, tirées par salves, les précèdent vers le but Les points de résistance de et, dans un éclatement successif, défoncent les toits et percent le ciment des casemates. On « Hove », « Worthing » et voit les Typhoons, au moment où la salve des torpilles va toucher l’objectif, se redresser « Dover » sont attaqués tan- brutalement et gagner le ciel en flèche. À peine la dernière torpille éclatée, les deux sections dis qu’un second bataillon des foncent respectivement chacune d’un côté de la rue et atteignent les deux dernières maisons King’s Own Scottish Borderers, faisant coin. » qui s’est rassemblé durant la Quelques Allemands encore vivants et passablement sonnés commencent à se nuit derrière les lignes des rendre. Ils sortent des maisons éventrées et se dirigent d’eux-mêmes vers l’arrière. troops 4 et 6, s’appuyant sur Les rafales continuent de crépiter depuis les meurtrières de la grosse casemate. Le « Bexhill », part à l’assaut de la second-maître Lavezzi et le commando Paillet entreprennent de poser une charge haute ville. explosive sur l’embrasure de l’entrée de la casemate et d’ainsi créer une ouverture qui En milieu de journée, permettra d’y jeter toutes les grenades nécessaires afin de nettoyer la position. les positions de « Hove » et « Au moment où le second-maître Lavezzi et Paillet bondissent pour couvrir les cent « Worthing » sont finalement mètres qui les séparent de la casemate, la lourde porte s’ouvre et un drapeau blanc apparaît conquises par les troop britan- au bout d’un bâton. Trois officiers, suivis d’une soixantaine de soldats allemands, sortent, niques 1 et 3 au prix de nombreuses pertes. Plus de trois cent soldats allemands sont les bras en l’air. La troop, arrivée au but pour l’assaut final, n’avait plus qu’un effectif de alors faits prisonniers. trois officiers et de quarante-sept hommes. Les pertes de notre commando, tués et blessés, La progression de la troop 5 d’Alexandre Lofi dans le couloir de « Dover » est sont de 20%, mais celles de l’ennemi dépassent cinq cents tués et blessés. Ils laissent en outre lente. Une casemate bétonnée et blindée balayant le boulevard conduisant à l’Hôtel entre nos mains un millier de prisonniers. » Britannia, seul passage par où il est possible d’attaquer et sur lequel les deux sections tentent donc de progresser, complique sérieusement les choses. La présence des deux commandants allemands de la région, l’un terrestre et l’autre naval, à l’hôtel Britannia où sont établis leurs postes de commandement, galvanise les soldats qui savent que la capture de l’état-major signifie la prise de la ville. À quelques mètres de ce point fort se trouve un autre blockhaus abritant un Flakvierling, un canon antiaérien uti- lisé contre l’infanterie. Toute progression par ce boulevard devient impossible. Les commandos se décident donc à avancer sans sortir des maisons. Les deux sections prennent chacune un côté de la rue et entament le nettoyage. Munis de leurs charges explosives, ils vont sauter les murs contigus afin de passer d’une maison à l’autre sans jamais se mettre à découvert dans la rue. Une section parvient à pénétrer dans un cinéma le long du boulevard. Gagnant le toit, elle y installe son lance-roquettes anti- chars PIAT et ouvre le feu sur le blockhaus ennemi. Tout comme à , cette arme se révèle inefficace sur ce genre de cible. Lofi envoie alors un radio sur le toit d’une maison pour demander l’assistance des chasseurs bombardiers britanniques Typhoons contre la casemate. Trente minutes plus tard, les avions arrivent au-dessus de l’objectif en rasant les maisons. Les commandos ont entre temps déployés un Les commandos français rassemblent les prisonniers.

10 11 12 13 En 2014, Flessingue a une nouvelle fois rendu hommage à ses libérateurs devant une foule impressionnante. Les néerlandais ont effectué une manoeuvre de débar- quement sur les lieux-mêmes de l’assaut du 1er novembre 1944. Les commandos René Rossey et Patrick Churchill (radio britannique du capitaine Vourc’h), très émus, ont ensuite inauguré ensemble le nouvel espace commémoratif.

14 15 Après la Normandie, l’autre grand fait d’arme du Commando Kieffer

« Commando Kieffer ». Deux mots, un mythe, qui évoquent un lieu et une date : Ouistreham, le 6 juin 1944. Dans l’ombre du Jour J, un autre grand fait d’arme des commandos de Philippe Kieffer est oublié : Flessingue, le er1 novembre 1944. Après leur éprouvante campagne de Normandie, les commandos français sont de nouveau déployés sur le front au début du mois d’octobre 1944. Cette fois, ils doivent débarquer à Flessingue sur l’île de Walcheren, l’un des plus formidables points de défense mis en place par les nazis. L’enjeu est crucial pour la poursuite de la guerre : sans le contrôle de l’Escaut, les Alliés ne pourront pas utiliser le port d’Anvers dont ils se sont emparés intact grâce à l’action de la résistance belge. Sans Anvers, c’est tout l’approvisionnement du front et donc la poursuite de la guerre et l’invasion de l’Allemagne qui se trouveront compromis. Au terme de violents combats, l’opération Infatuate aboutit à ce que le général Eisenhower qualifiera d’« un des faits d’armes les plus courageux et les plus audacieux de toute la guerre ». Mais la campagne des Pays-Bas est loin d’être terminée pour les commandos français qui poursuivent leurs opérations contre les îles néerlandaises où les Allemands se sont retranchés, jusqu’à la fin du conflit. C’est sur cette campagne longtemps oubliée et négligée derrière le seul symbole des Français du Jour J que ce livre se propose de revenir.

Historien, Benjamin MASSIEU étudie la Seconde Guerre mondiale et particulièrement l’his- toire de la Libre et de la Libération. Il est l’auteur d’une biographie de Philippe Kieffer saluée par la critique (Philippe Kieffer, chef des commandos de la France Libre, 2013) et ré- compensée par la médaille de l’Académie de Marine, le prix « Beau livre » de Marine & Océans décerné par l’ACORAM et le mention du jury du prix littéraire de la Résistance ; du livre Les Demoiselles aux pompons rouges (2014) ainsi que du livre Les Français du Jour J (2019), là encore salué par la critique pour avoir révélé pour la première fois la participation de 3 000 Français aux opérations du 6 juin 1944. 29,90 €

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