Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine

117-4 | 2010 Varia

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/abpo/1838 DOI : 10.4000/abpo.1838 ISBN : 978-2-7535-1520-8 ISSN : 2108-6443

Éditeur Presses universitaires de Rennes

Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2010 ISBN : 978-2-7535-1309-9 ISSN : 0399-0826

Référence électronique Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 | 2010 [En ligne], mis en ligne le 15 décembre 2012, consulté le 26 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/abpo/1838 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/abpo.1838

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© Presses universitaires de Rennes 1

SOMMAIRE

Archéologie, paysage et histoire d’une forêt du Néolithique à nos jours Le massif de Domnaiche-en-Lusanger (Loire-Atlantique) Jean-Claude Meuret

Présence et représentations de la Domnonée et de la Cornouaille de part et d’autre de la Manche D’après les Vies de saints et les listes généalogiques médiévales Bernard Merdrignac

Terrae incognitae Les incertitudes de la délimitation des espaces dans la Bretagne d’Ancien Régime Idéal théorique et réalités quotidiennes Philippe Jarnoux

Pour une histoire sociale de l’estran français Du XVIe siècle à la Seconde Guerre mondiale Gérard Le Bouëdec

Entre grande pêche et commerce Les reconversions des armements sous le Second Empire Jean-Michel Auffray

Cyrille Billard et Muriel Legris (dir.), Premiers néolithiques de l’Ouest. Jean-Noël Guyodo

ROBIN, Guillaume, L’architecture des signes. L’art pariétal des tombeaux néolithiques autour de la mer d’Irlande Jean-Noël Guyodo

JANKULAK, Karen, Geoffrey of Monmouth Bernard Merdrignac

Bernard Merdrignac, Hervé Bihan et Buron (dir.), À travers les îles celtiques Per insulas scotticas. Mélanges en mémoire de Gwénaël Le Duc Magali Coumert

DALARUN, Jacques (dir.), François d’Assise Ecrits, Vies, Témoignages Bernard Merdrignac

Chédeville, André, Pichot, Daniel (dir.), Des villes à l’ombre des châteaux Naissance et essor des agglomérations castrales en France au Moyen Âge Bernard Merdrignac

VISSIÈRE, Laurent, Sans poinct sortir hors de l’orniere. Louis de La Trémoille (1460-1525) Franck Mercier

Pic, Augustin et Provost, Georges (dir.), Yves Mahyeuc, 1462-1541. Rennes en Renaissance Bernard Merdrignac et Georges Provost

LAGADEC, Yann, PERREON, Stéphane, HOPKIN, David, La bataille de Saint-Cast (Bretagne, 11 septembre 1758) Entre histoire et mémoire Philippe Jarnoux

BEAUDUCEL, Christophe, L’imagerie populaire en Bretagne aux XVIIIe et XIXe siècles Daniel Giraudon

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HEUDRÉ, Bernard (dir.), DUFIEF, André (collaboration de), Souvenirs et observations de l’abbé François Duine Armelle Le Huërou

La recherche dans les universités de l’Ouest Liste des thèses et des mémoires de masters soutenus au cours de l’année 2009

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Archéologie, paysage et histoire d’une forêt du Néolithique à nos jours Le massif de Domnaiche-en-Lusanger (Loire-Atlantique)

Jean-Claude Meuret

NOTE DE L'AUTEUR

Avertissement : les deux noms propres de Domnaiche et de Briangault sont souvent cités avec des graphies différentes. La règle suivie est la suivante : chaque fois qu’il s’agit de la forêt ou du lieu-dit actuel, ils sont orthographiés selon la norme de l’IGN (Domnaiche et Briangault). Chaque fois qu’il s’agit d’une citation historique, c’est l’orthographe employée dans le texte ou la situation de l’époque qui est employée (Domnèche, Domnesche, Domenesche, Domenescha, Damnesche, BreilIngault, Briangaud, Briangord…).

Les forêts : des conservatoires archéologiques

1 Très différentes des milieux cultivés, du point de vue foncier, économique, floristique, mycologique, faunistique…, les forêts s’en distinguent aussi du point de vue de l’archéologie en général et de celle des paysages en particulier1. En effet, les pratiques de la sylviculture, surtout celle des espèces autochtones feuillues qui ont constitué jusqu’au XIXe siècle la quasi totalité des espèces de plaine – spécialement celle du chêne – diffèrent profondément de celles de l’agriculture. La différence tient d’abord à la durée des cycles végétatifs qui s’y comptent en décennies et même en siècles – 50 ans pour des conifères, un siècle et demi pour des chênes – contrairement aux espèces cultivées, le plus souvent annuelles. Elle tient aussi au mode de régénération, le plus souvent naturel et sans travail préalable du sol avant le XXe siècle. Il en résulte que les anomalies de topographie, les élévations ou les terrassements artificiels anciens s’y conservent pendant des siècles, sans transformation majeure. Au contraire, les milieux

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ouverts, de plus en plus intensément cultivés depuis le Néolithique – spécialement en plaineou sur des bas ou moyens plateaux – voient très rapidement disparaître les anomalies physiques du paysage, qu’elles soient naturelles ou surtout anthropiques : le fait est très visible dans le Grand-Ouest qui a connu une grande faim de terres aux XVIIIe et XIXe siècles, au moment du plein démographique des campagnes. La nécessité de produire des blés pour nourrir les bouches a alors fait que la moindre cavité devenue inutile (carrière, fossé, douve, mare…) ou la moindre élévation (motte, talus, rempart de terre, ruine de bâtiment, village abandonné…) a été comblée ou arasée pour être mise en culture.

2 C’est d’ailleurs en raison de ses très fortes densités démographiques anciennes que l’Ouest, et la Bretagne en particulier, possède aujourd’hui un des plus faibles couverts forestiers du territoire national. Or, la forêt est par son histoire même un milieu fossilisateur : en effet, la quasi-totalité des massifs qu’on nomme aujourd’hui forêts ne sont en rien des formations primaires qui seraient demeurées inchangées et vierges depuis leur mise en place naturelle et progressive après la dernière glaciation. Dans l’Ouest, quasiment toutes sont nées de la volonté d’un pouvoir politique et juridique de se constituer une réserve de bois, un territoire de chasse ou de pacage, en le plaçant hors du droit commun : c’est l’origine même du mot forêt (foris esta = ce qui est en dehors).

3 Ces décisions peuvent s’être placées à diverses époques, la mieux connue étant le Moyen Âge central, où l’on voit apparaître dans les textes des massifs systématiquement liés à un pouvoir, qu’il soit ducal, comtal, épiscopal ou châtelain : la forêt du Gâvre appartient aux ducs de Bretagne, celles de Teillay ou de Juigné aux seigneurs de Châteaubriant. Il suffit de parcourir quelques chartes de donation faites par tel ou tel seigneur à une abbaye ou un prieuré des XIe ou XIIe siècle pour le constater : sans cesse y reviennent des notions de droit de pacage, de panage, de bois mort, de bois vif, de chocagium (souches), etc., relevant toujours du seigneur châtelain. Depuis, la plupart de ces massifs n’ont que peu changé de superficie, sinon parfois à la lisière, par exemple, à l’occasion de quelques défrichements, d’empiètements agraires ou au contraire de reconquêtes de la forêt. Ce battement des lisières n’a cependant affecté que des superficies restreintes, à quelques remarquables exceptions près, la plus belle étant, pour la région, celle de l’abbaye-paroisse de La Roë (Mayenne). Ajoutons toutefois que des massifs peuvent avoir été mis en place à des époques autres, antérieures (basse Antiquité) ou postérieures (époque moderne voire contemporaine) et que leur aspect, leurs peuplements arborés, leur exploitation ont pu fortement varier. L’essentiel pour la prospection archéologique est qu’en laissant croître une forêt sur un territoire défini, ces pouvoirs ont gelé, fossilisé, les paysages et les aménagements humains que l’homme y avait précédemment mis en place : chemins, parcellaires, carrières, exploitations minières, retranchements de terre, constructions de pierre. C’est bien pour cela que les archéologues se doivent de porter un œil attentif à la forêt parce qu’ils pourront y voir fossilisés, des aménagements qui ont partout ailleurs été totalement aplanis, et auxquels ils n’accèdent au mieux qu’à partir de la photographie aérienne ou des opérations de fouille.

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La forêt de Domnaiche : nature, histoire et état de la recherche

4 Situé au nord-est du département de la Loire-Atlantique, ce massif s’étend sur 5 km d’est en ouest, 4 km du nord au sud, et 750 ha de superficie. Son altitude est comprise entre 43 m à la sortie de l’étang du château, pour le point le plus bas, et 77 m dans le bois de Quimper, pour son point culminant. Pas de relief nettement marqué sur ces formations anciennes et pénéplanées, mais seulement des pentes un peu plus fortes aux trois pointes du triangle de la forêt, la butte des Moulins à l’ouest, le bois de Quimper à l’est et Briangault au nord. Comme beaucoup de massifs de l’Ouest, il occupe donc une ligne de hauteurs aux sols plus rocheux et moins fertiles. Il en résulte une absence complète de cours d’eau permanent : le système hydrographique se résume à des fossés à sec en été qui drainent les eaux d’est en ouest vers l’étang de Domnaiche, puis vers la Chère, via le ruisseau de la Galotière.

Figure 1 : La forêt de Domnaiche, topographie, limites, lignes, chemins en 1844.

Lusanger (Loire-Atlantique) courbes de niveau / 5m

5 L’examen des cartes géologiques au 1/50 000 montre que le massif est installé dans la partie nord du synclinorium de Saint-Julien-de-Vouvantes, sur des formations palézoïques du silurien (S1 3 et S1). Mais comme souvent pour les régions enforestées, les géologues ont manqué de données de terrain visibles pour observer le sous-sol. La prospection a montré que les secteurs les plus élevés de la forêt correspondent à des affleurements de trois types : des grès blancs quartziteux très recristallisés, ceux qui ont servi à la construction du château de Domnaiche et qui peuvent venir du plateau du Bois-de-Quimper ; en vieillissant de plusieurs siècles, ils prennent une couleur plus ocre clair2. Puis des grès foncés bleu sombre à violacé, avec de nombreuses veinules de quartz blanc : ils forment l’affleurement de la butte des Moulins et constituent le menhir de la Pierre-de-Hochu qui s’y dresse. Mais on trouve aussi un pointement de

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quartzite clair bien visible à Briangault, et sur lequel fut installée une chapelle priorale au XIIe siècle. Hors de la forêt, vers le nord, la carte fait aussi mention de zones contenant des altérites ferruginisées, de type cuirasses latéritiques du tertiaire, de plus en plus abondantes vers Sion, Saint-Aubin et Ruffigné3. C’est le signe d’une forte présence du fer. Mais pas d’indications précises concernant l’exploitation ancienne de ce métal interstratifié ou en minières. Elle est pourtant bien visible en prospection, dans la forêt tout comme dans de nombreux autres secteurs du Castelbriantais. Elle explique bien sûr l’abondance des ferriers dans la forêt.

Figure 2 : Le parcellaire de la forêt de Domnaiche en 2010 Lusanger (Loire-Atlantique)

6 Dans un long article traitant du fer dans l’Ouest au Moyen Âge, nous avons abordé l’étude de cette forêt par le biais des textes des XIIe et XIIIe siècles. Au travers des actes, nous avons d’abord constaté qu’au XIe siècle, le massif appartenait à l’évêché de Nantes et se nommait foresta dePuteus Arlesii, Puteus Herles ou Puzarles. Cenom est issu du haut Moyen Âge et il est lié à l’exploitation du fer ; le massif est à cette époque plus étendu et jointif avec le bois de Bourru au sud. Puisau début du XIIe siècle, le duc de Bretagne Alain IV, et son épouse Ermengarde se l’approprient et en font don à l’abbaye de Marmoutier. C’est là un mode de spoliation connu à l’époque, au nord du Nantais, où la seigneurie de Châteaubriant est fondée sur les mêmes bases. Un temps, Marmoutier y possède une église, du nom de Notre-Dame-de-la-Forêt au lieu de Foresta. Il en reste aujourd’hui le village de « la Forêt » à la lisière sud, en Saint-Vincent-des-Landes. C’était une tentative de création de paroisse liée à la mise en valeur des franges sud du massif. Elle échoue car Marmoutier disparaît des lieux dès le XIIe siècle, remplacée à une date imprécise par l’abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt, dont on constate la présence au prieuré de Couëtoux au XVIe siècle.

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Figure 3 : “Plan des forêts de Domnaiche et de Quimpert et des landes situées entre ces forêts et les terres du village de la Forêt et du Perray, les bois de Bourru et les terres du village et

du prieuré de Couetou.

Archives Nationales, N III, Loire-Atlantique, 19, dressé par ordre de Mr Fournier, Inteandant de son S. A. S. Monseigneur le Prince de Condé, en 1756. André

7 Et c’est très peu après cette même époque, dans les années 1120-1130, qu’on voit la famille seigneuriale de Sion, jusque là très discrète dans la région et plutôt présente au sud de la Loire, disposer du massif. Elle possède la forêt de Domenescha, y fait des dons à l’abbaye de La Roë, à Marmoutier-Béré, et se construit même un château secondaire, à motte d’abord, puis de pierre, au cœur même du massif. Cette famille a déjà fait l’objet de quelques études au XIXe siècle, elle sera reprise et approfondie dans une autre publication, en même temps que nous étudierons plus en détail son château de Domnaiche. Quant à l’actuel nom de Domnaiche, écrit Domnèche au XIXe siècle, Domenesche ou Damenesche au Moyen Âge central, il semble dériver à la fois du nom dominus et de l’adjectif daumesche. Le premier qui signifie le maître est contracté au Moyen Âge en domnus pour désigner un haut dignitaire religieux tel un évêque (dominus episcopus). Le second est usité au XIVe siècle, en forêt de Rennes pour désigner ce qui appartient au maître, ce peut être du bétail « domestique », et il dérive de dominicus avec le même sens. On doit justement relever un tel emploi lors de la fondation du Breil-Ingaut (1116-1138) : lorsque l’abbé de La Roë reçoit les droits de pâturage et de panage dans la forêt (de Domenescha), c’est pour omnibus dominicis suis bestiis4(pour toutes ses bêtes domestiques).

8 À partir du XIIIe siècle, la disparition de la famille initiale de Sion, fait que la forêt de Domnaiche connaît une histoire confuse et compliquée. On sait qu’au début du XIVe siècle les sires de La Galotière, petite seigneurie voisine, détiennent des droits d’usage et de chauffage sur la forêt. C’est sans doute au milieu de ce siècle, lors de la guerre de Succession de Bretagne, que le château est abandonné. Ensuite, l’irruption des haut- fourneaux dans le paysage métallurgique a certainement influé sur l’histoire de la

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forêt : il semble qu’au XVIIe siècle et peut-être même au XVIe siècle, il en ait existé un à Lusanger même, peut-être au pied de l’étang aujourd’hui asséché de Fondeluen ; celui de La Hunaudière – peut-être issu du transfert de celui de Lusanger – existe au début du XVIIe siècle, créé à l’initiative d’une Catherine-Innocente de Rougé, établi sur la Chère, à 1,5 km au nord. Il fonctionne jusqu’au milieu du XIXe siècle. Or, ces grandes forges nécessitent d’énormes quantités de charbon de bois. Et la forêt de Domnaiche, toute proche, a contribué à l’affouage de La Hunaudière. Mais les sources restent à découvrir et le détail de cette histoire à faire. Au début du XVIIe siècle, la châtellenie de Domnesche appartient à la famille des La Chapelle, seigneurs de La Roche-Giffart. Ceux- ci l’unissent au marquisat de Fougeray, lorsqu’ils obtiennent la création de celui-ci en 1643. Ce marquisat est démembré en 1748 et à ce moment Charles Loquet de Granville en même temps qu’il acquiert la forge de La Hunaudière, fait l’acquisition de la forêt. Sans doute la vend-il rapidement car en 1756, M. Fournier, intendant du prince de Condé fait dresser une carte du massif par le géomètre André ; c’est la plus ancienne qu’on connaisse5 (Figure 3). En 1776, le prince de Condé achète la forge de La Hunaudière et la forêt continue à l’évidence à fournir le haut-fourneau en charbon de bois. C’est sans doute aussi de cette époque que date l’organisation rationnelle et orthogonale des chemins de la forêt. Ceux-ci s’organisent en effet à partir d’un grand axe nommé la Grande-Ligne qui part de La Cibotière, à la lisière sud et forme une véritable avenue menant en ligne droite au site de La Hunaudière. L’arrêt du haut- fourneau de La Hunaudière au milieu du XIXe siècle rend la forêt à une histoire plus discrète, celle du bois et de la chasse. Mais à l’été 1976, à l’occasion de la grande sécheresse, un grand incendie ravage le massif pendant des jours. D’importants travaux sont alors réalisés : la remise en eau de l’étang, la création d’une grande ligne coupe-feu nord-sud, l’arrachage des souches au bulldozer et la replantation de centaines d’hectares en résineux6.

9 Mais aucun inventaire complet résultant d’une enquête de terrain approfondie avec relevés, plans, cartes n’a jamais été proposé pour ce massif, comme pour bien d’autres d’ailleurs. Un halo de mystère entoure toujours la forêt, héritage de son ancien statut seigneurial, comme on l’a vu, mais aussi crainte irrationnelle devant un milieu fermé, inhabituel et réputé sauvage. Au milieu du XIXe siècle, L.-J.-M. Bizeul, le grand archéologue de Blain et des voies romaines, fut un précurseur et vrai chercheur de terrain, arpentant dans le détail des dizaines de kilomètres de voies anciennes conservées dans les champs, dans les landes, et relatant par le menu ce qui s’offrait encore à l’œil de ces chaussées anciennes. Mais curieusement, lorsqu’il étudie la voie de Blain vers Châteaubriant, alors qu’il donne des détails précis sur ce qu’il en voit sur Derval et Lusanger, il s’arrête à la lisière des massifs tels le bois d’Indre, et surtout de la forêt de Domnaiche. Pour cette dernière, il s’en sort par une sorte de pirouette, affirmant que son informateur, un paysan du cru, ne lui fut d’aucun secours, sinon pour lui raconter la légende de la « Chaussée de Jouyance ». Un peu comme si la forêt relevait avant tout de l’irrationnel. Dans le Dictionnaire d’Ogée, à l’article Lusanger ajouté par Marteville au milieu du XIXe siècle à partir des observations de Bizeul, on retrouve plus ou moins les mêmes informations sur la voie, et une description plus détaillée du château Domnèche. À la fin du XIXe siècle, le castelbriantais Charles Goudé, n’apporte pas de données plus précises sur le sujet, se contentant de compiler, modifiant parfois légèrement les écrits de son prédécesseur. De Joseph Chapron qui fut homme de terrain dans le pays de Châteaubriant et qui fournit au début du XXe siècle un

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inventaire bien documenté, on aurait pu attendre des données plus précises. Dans son inventaire, il n’aborde pas le problème de la voie romaine en question et se contente pour la forêt de donner une description assez sommaire des ruines du château de Domnaiche. En revanche, ses brouillons contiennent des notes et des plans précis de ce château, probablement destinés à une publication7. Dans les mêmes années, Louis Davy, ingénieur des mines, prospecte la région allant de Segré à Nozay, à la recherche de minerais et d’indices d’exploitation ancienne. Il eut le grand mérite de donner un inventaire des amas de scories observées, en particulier dans les forêts, en y ajoutant nombre d’observations et de découvertes de mobilier faites à l’occasion des travaux de récupération. À quelle époque et par qui fut levé le mystérieux plan non signé du château de Domnaiche ? On ne le connaît que par une coupure de presse de 1986, donné comme appartenant au fonds de la bibliothèque de Châteaubriant. Malheureusement, il n’y est plus aujourd’hui. Par la suite, et comme ailleurs en Loire-Atlantique, la recherche archéologique s’endort pour près d’un siècle.

Figure 4 : Structures archéologiques conservées en forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

10 Il faut attendre 1988 et la publication de la Carte archéologique de la Gaule 44 par Michel Provost pour disposer d’un inventaire général du département relatif aux périodes protohistorique et antique. Cependant, cet ouvrage ne fait que synthétiser les données anciennes sans rien apporter de neuf. Aucune fouille archéologique véritable n’a été menée dans la forêt de Domnaiche. Mais, en 1990, eut quand même lieu une petite opération de recherche sur le château, menée par Patrick Quignon, alors habitant de Sion, aidé de quelques jeunes. On en trouve trace dans la presse d’alors, ainsi que dans les dossiers du service régional de l’archéologie (SRA). Dans ces derniers, on peut lire que des recherches clandestines ou non avaient déjà été menées sur le château, que le directeur des Antiquités a appris par voie de presse l’opération de P. Quignon, et que ce dernier annonce l’envoi d’un rapport. Malheureusement celui-ci est absent du dossier Lusanger. Grand dommage, car au travers des photos et coupures de presse, on voit qu’un sondage de l’angle sud-ouest du château de pierre sur 12 m², et un autre de 4 m²,

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sous le déversoir nord, ont livré du mobilier céramique et métallique. Censé être déposé au foyer rural de Sion, ce mobilier demeure introuvable ; comme, la trace de M. Quignon a été perdue, cela nous prive de données matérielles précises sur ce qui constitue le site majeur de la forêt. Ajoutons aussi le levé vers la même époque d’un autre plan du château de Domnaiche, conservé à la mairie de Lusanger. Sans doute le doit-on à H. Maheux, alors présent à Lusanger et dont on sait les responsabilités au sein de l’Inventaire. Enfin, en 2008, nous avons reçu de M. Lefeuvre l’autorisation de procéder bénévolement à un inventaire archéologique de la forêt (4). Il fait l’objet de cette étude.

Les vestiges du mégalithisme – La Pierre de Hochu

11 Ce menhir est aujourd’hui surtout nommé Pierre de Hochu, mais aussi Pierre de la Bergère. Dans son enquête de 1983 conservée au SRA Nantes, H. Poulain ajoute qu’on le nomme aussi Pierre de Hossu ou de la Houssine. Selon lui, l’appellation Pierre de la Bergère proviendrait d’une confusion avec le menhir du même nom qui se trouve dans la lande du Tremblay en Sion-les-Mines. La même observation est d’ailleurs formulée au début du XXe siècle par J. Chapron. Il est difficile de trancher, tant ces dénominations véhiculées oralement peuvent fluctuer, s’influencer et se chevaucher. Quelle en est l’origine linguistique ? La réponse se trouve simplement dans le contexte topographique, géologique et végétal ; en effet, en ancien et moyen français, toutes les formes du mot « hochu » ainsi que ses parentes renvoient toujours au mot houx8, l’arbuste forestier inféodé aux secteurs rocheux et en relief. C’est exactement la géologie, la topographie et la végétation qu’on rencontre sur le site du menhir de Hochu.

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Figure 5 : Pierre de Hochu Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

12 Celui-ci se dresse dans une excroissance située à l’ouest de la forêt et qui occupe un bombement nommé La butte des Moulins. La prospection dans ce secteur de forêt livre de nombreux talus et même un chemin fossilisé, vestiges d’un parcellaire agraire qui ne s’étendait cependant pas au sommet de la colline où se trouve le menhir ; sur le plan de 1756, la forêt n’englobe d’ailleurs pas ce secteur, s’arrêtant plus à l’est, limitée par des « pièces de terre ». Il s’agit donc d’une reconquête de la forêt depuis le XVIIIe siècle, à la faveur du relief, des rochers ou de la pauvreté des sols. Sur le sommet bien marqué de celle-ci, et disposés en une couronne elliptique de 20 m sur 15, se voient de nombreux blocs bien détachés, constitués de grès quartzeux très dur, de couleur bleu violacé, sillonné par de minces réseaux de quartz orthogonaux. Les plus gros, que l’on observe au centre, à l’ouest et au sud, atteignent 1,30 m de hauteur et près de 2 m de longueur. Ils pourraient passer pour des pierres dressées, mais seuls quelques-uns ont été déplacés et la majorité d’entre eux paraît liée au substrat. Enfin, il est probable que des blocs aient été extraits en cet endroit, ou aux environs, à des époques postérieures à l’érection du mégalithe. La remarque de J. Chapron qui signale des destructions de tels blocs à l’explosif, à la ferme toute proche de L’Ennerie, va dans ce sens.

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Figure 6 : La Pierre de Hochu et son contexte immédiat

13 Le menhir de Hochu se dresse à 20 m seulement à l’est du sommet de ce pointement rocheux. Il s’agit d’un bloc constitué du même grès quartzeux – et non pas de quartz comme on le dit parfois – que ceux décrits plus haut, et il fait peu de doute qu’il ait été extrait sur place. Ce matériau étant très résistant, le mégalithe présente sur la plupart de ses parois des surfaces anguleuses, vives et non érodées depuis son érection. Cependant le côté sud-ouest montre des formes plus douces qui peuvent correspondre à la partie originellement hors de terre, et donc érodée, avant l’érection. Au sol, il présente un plan ovoïde, mais irrégulier, en forme de gros poisson, avec un grand axe orienté nord-sud, de 2,60 m et un petit de 1,50 m. Sa plus grande hauteur au-dessus de l’humus est de 2,75 m. Nous en donnons des relevés en élévation sur deux faces et le plan au sol. D’autre part, on observe que plusieurs blocs nettement plus petits – le plus gros mesure cependant 2 m de longueur et 0,90 m de hauteur – forment une sorte de couronne autour du menhir, sur les deux tiers de sa périphérie, sans compter ceux qu’un décapage de l’humus permettrait de découvrir. Le tiers absent correspond au chemin aménagé très légèrement en contrebas, et cela autorise à penser que cette couronne a pu être complète. Sa régularité intrigue, mais sans qu’on puisse pour autant affirmer qu’elle soit de nature anthropique et donc liée à la mise en place du menhir. Nous en donnons aussi un relevé en plan et en élévation.

14 C’est là le seul mégalithe anciennement répertorié dans le massif. Cependant, le site de Briangault tout au nord du massif, mais en Sion-les-Mines, très comparable par sa topographie, offrait aussi aux Néolithiques des ressources abondantes, sous la forme de gros blocs de quartzite dont les plus gros conservés atteignent plus de 2 m. L’aménagement du site aux XIe-XIIe siècle pour un ermitage puis un prieuré pourrait avoir amené des destructions ; auxquelles a échappé le menhir conservé à La Brosse, à 500 m au nord.

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15 Il faut cependant signaler dans la forêt un ensemble de grosses pierres visibles dans la parcelle en billons qui longe la lisière nord, à l’ouest de l’étang. C’est un groupe de blocs de quartzite veiné de blanc à l’exception d’un bloc de grès roussard. Le plus gros mesure 1,50 m. Aucun d’entre eux n’est en place, car ils se trouvent là dans une zone basse d’accumulation, et de plus dans un parcellaire anciennement cultivé. Aucun des blocs n’est dressé, mais cinq d’entre eux ont cependant la particularité de former un petit alignement. Ces pierres déplacées posent donc question.

Photo 1 – La pierre de Hochu. Blocs épars devant et derrière (jalon de 2 m)

classé MH, le 22 octobre 1928 site archéologique SRA, 44 086 4 AP CL II : x = 305790 y = 2305637

16 Bien que situés hors du massif de Domnaiche, nous devons citer l’existence de nombreux mégalithes aux environs. Sur la commune de Lusanger, c’est d’abord l’alignement des onze blocs de La Grée à Galot, formés de la même roche que la Pierre de Hochu, mais aussi le menhir de la Pierre qu’une croix a christianisé, celui du Tertre- Gicquel épargné par le mégalithoclaste abbé Cotteux9, ou encore les deux blocs que Pitre de Lisle signale en 1880 à Couëtoux, non loin des restes de la chapelle. Vers le nord, nous ne citerons pas tous ceux de Sion-les-Mines, mais seulement, tout près de la forêt, celui de Briangault, au lieu de La Brosse. Ils démontrent que la Pierre de Hochu n’est pas un cas isolé, et que le mégalithisme néolithique n’est pas spécialement lié au milieu forestier.

Interprétation et datation

17 C’est sur la foi de fouilles et découvertes du XIXe siècle, mais aussi de figurations sculptées (crosses, haches, attelages…) présentes sur certains d’entre eux, qu’on date les menhirs du Néolithique. Mais on ne fouille plus aujourd’hui au pied de ces

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monuments et aucune recherche de ce type connue n’a été faite autour de celui de Hochu. Leur signification a donné lieu à bien des hypothèses ; aujourd’hui on admet qu’ils peuvent avoir eu deux grands types de fonctions : d’abord marqueurs du paysage, repères, bornes, jalons d’un itinéraire, moyens de mesurer le temps grâce au déplacement de leur ombre ; et puis sans doute aussi manifestation de diverses croyances symboliques ou religieuses, parmi lesquelles on a souvent cité les cultes phalliques ou de la fécondité10. Mais si l’on en juge par les nombreux ensembles mégalithiques de Lusanger et Sion, et par les nombreuses destructions, le menhir de Hochu qui paraît aujourd’hui isolé, peut avoir appartenu à un ensemble mégalithique complexe, ce qui lui conférerait une toute autre signification.

Une enceinte terroyée ancienne

18 Cette structure totalement inédite se trouve à quelques dizaines de mètres au sud de l’actuel étang de Domnaiche, et au contact presque immédiat des basses-cours du château qui sera décrit plus loin.

19 Il s’agit d’une enceinte délimitée par un talus de terre et son fossé externe, le premier ayant été constitué à l’aide des terres extraites lors du creusement du second. L’amplitude entre le fond du fossé et le sommet du talus est faible et ne dépasse pas en moyenne 0,40 m à 0,50 m. Elle est un peu plus importante dans les angles car, comme le talus est interne, dans ces angles, à une longueur donnée de talus correspond une plus grande longueur d’extraction de terre et donc un plus grand volume. Ce relief est d’autant moins marqué que la largeur de l’ensemble fossé-talus atteint 5 m. Ces formes très douces et à peine perceptibles indiquent que le talus a connu une certaine érosion et que son fossé a reçu un comblement d’humus, ce malgré la quasi absence d’érosion sous le couvert forestier. Ces observations constituent un important indice d’ancienneté. L’enceinte affecte une forme quadrilatérale, mais avec des côtés inégaux : 85 m au nord, 105 m à l’est, 65 m au sud et 97 m à l’ouest. De plus, on note que le côté est n’est pas exactement rectiligne, mais constitué de deux segments qui divergent d’environ 10°. La superficie totale atteint environ 8 000 m². On n’observe aucune interruption de son talus, hormis celles qu’a produites le chemin forestier d’accès à l’étang qui la coupe en diagonale. Il est donc possible que cette entrée se trouvait au milieu du côté sud, et ait été détruite par la création du chemin à l’époque moderne. Ni à l’intérieur, ni autour, aucun microrelief particulier, aucun amas de scorie n’a été observé.

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Figure 7 : Enceinte de terre Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

Structure inédite CL II – au centre : x = 307530 y = 2305783

20 Il est intéressant de noter que sur la même commune de Lusanger, en un peu plus d’un siècle, ce sont trois modes de découverte et de conservation différents qui ont permis d’observer de tels enclos anciens. Le plus récent est celui qui précède, réalisé en prospection pédestre, à la faveur du milieu fossilisateur et très protecteur qu’est la forêt : hors de celle-ci, il est certain que de si discrets talus et fossés auraient été nivelés depuis des siècles. Un deuxième cas est fourni par deux « camps » décrits par P. de Lisle, l’un, au lieu-dit Le Verger (à quelques dizaines de mètres au nord du nouveau bourg), entamé au nord 40 ans plus tôt par la création d’un chemin, et l’autre, plus étendu, à 200 m du Vieux-Lusanger11. L. Maître donne un plan du premier12. Tous deux se trouvaient en milieu ouvert. Mais l’importance de leurs fossés, ainsi qu’une moindre pression agraire, expliquent qu’en 1880, ils n’avaient pas encore été arasés et qu’ils étaient encore en élévation. Enfin, c’est par le moyen de la prospection aérienne qu’en 1989, G. Leroux a découvert deux enclos, l’un petit et carré d’environ 30 m de côté, et l’autre plus grand de 80 m x 30 m, avec antenne, interprété comme un habitat, au nord de la commune, près de La Daudinière13. Dans ce cas, les fossés et talus ont depuis longtemps été nivelés par des agriculteurs, ils sont invisibles au sol, et seule la photographie aérienne, sur les bonnes cultures et à la bonne saison, permet de les visualiser.

Interprétation et datation

21 Des enceintes semblables présentant ces formes quadrilatérales irrégulières sont bien connues grâce à la prospection dans certaines autres forêts (La Guerche, par exemple), et à des centaines d’exemplaires en prospection aérienne ainsi qu’en fouille hors des

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forêts. Pour celles qui ont été inventoriées en forêt, à la suite de l’allemand Schwartz, on a voulu y voir de mystérieuses « viereckschanzen », enceintes quadrilatérales à fonctions cultuelles. Ce n’était qu’une hypothèse insuffisamment fondée. Depuis 30 ans, beaucoup ont été fouillées : quelques unes en forêt (forêt de La Guerche), un grand nombre en milieu agraire, soit à la suite de diagnostics archéologiques, soit à la suite de prospections aériennes. Les résultats sont presque toujours les mêmes : la très grande majorité de ces enclos/enceintes remonte au deuxième Âge du fer, certains à l’Antiquité et un plus faible pourcentage au haut Moyen Âge. La plupart servaient à enclore et protéger des habitats, quelques uns à parquer du bétail, les plus petits à délimiter des nécropoles14. En raison de ses dimensions, l’enceinte de la forêt peut être interprétée comme une délimitation d’habitat.

Une voie antique et ses mentions médiévales

Mentions et descriptions anciennes de la voie et du paysage

22 L’examen approfondi des textes du Moyen Âge central pour tout l’est de la Bretagne, pour le Bas-Maine et pour l’Anjou, nous a permis d’identifier quelques rares exemples de chemins désignés au XIIe siècle comme « antiqua via »ou« calciata ». C’est le cas ici dans l’acte LVIII du cartulaire de La Roë, une pancarte qui rassemble diverses donations relatives au Breil-Ingaut (aujourd’hui en Sion-les-Mines) faites entre 1116 et 1138 (extrait de la charte donné en annexe). Le détenteur de ces terres donne alors à Dieu et à La Roë un ermite nommé Gorin et le lieu où il vit, nommé le Breil (Ingaut). La donation est alors confirmée et amplifiée par les seigneurs supérieurs, Geoffroy de Sion et ses frères Aufroy et Guillaume ; tous trois accordent au prieuré le droit de prendre le bois de construction et de chauffage, ainsi que le panage pour les porcs et le pâturage pour les animaux domestiques des moines, dans leur forêt de « Domenescha » (Domnaiche). Ils y ajoutent une part de leur terre commune depuis la voie de « Boeria » jusqu’aux bornes du château et de l’autre côté de la même voie, une lande à faucher jusqu’à la « foresta » et jusqu’à la « calciata » (chaussée). Puis quatre chevaliers possessionnés dans le secteur augmentent cette donation en accordant une part de leurs biens, depuis la voie des « muri Gauterii » jusqu’à la « calciata », d’une part, et depuis « ruperium » jusqu’à « Lupum pendu ».

23 D’une précision assez rare pour l’époque, tous ces détails de lieux, de paysage et de chaussée, méritent une confrontation avec les réalités actuelles du terrain et de la carte IGN.

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Figure 8 : Domnaiche et ses environs aux XIIe et XIIIe siècles, textes et archéologie (cart. de N.-D. de La Roë et prospection)

Ensemble non classé MH, non inscrit ISMH non répertorié au SRA CL II – lisière sud-ouest : x = 306840 y = 2304968 lisière nord-est : x = 309479 y = 2306163

24 Les bornes du château – « metas castelli »– nous ont longtemps semblé impossibles à identifier. Mais il sera montré au chapitre des chemins et talus anciens qu’il s’agit du talus limite entre la forêt de Domnaiche et le bois de Quimper et des bornes de pierre qu’on y avait posé. Le lieu de Boeria trouve sa traduction directe dans le lieu-dit La Boeufferie en Saint-Vincent-des-Landes. La « foresta » et la « calciata » posent eux un problème dans la mesure où ils peuvent aussi bien être des noms propres que des noms communs : d’une part, parce que le scribe les a écrits avec des minuscules mais on sait qu’au XIIe siècle et même des siècles plus tard, il n’y a pas de règle constante en ce domaine ; d’autre part, parce qu’à cette époque, la chaussée – nom commun au sens de voie antique – était à la fois un élément marquant du paysage au sud-ouest de la forêt, et au nord-est, mais aussi un nom propre « la Chaussée » en train de se créer ; de même, on observe qu’aujourd’hui encore existe un lieu-dit la Forêt – nom propre – près de La Boeufferie, mais à 500 m seulement au sud de la forêt de Domnaiche – nom commun. En ce XIIe siècle débutant, on se trouve bien en plein dans la période de genèse de l’onomastique qui voit peu à peu des noms communs, à sens générique, devenir des noms propres, désignant des lieux ou des personnes particuliers. Le même problème se pose pour localiser les donations des chevaliers : la chaussée est bien la même, soit nom commun, soit lieu-dit ; les murs de Gautier ne se voient plus dans la toponymie à moins de hasarder Les Gaubretières comme très lointain avatar ; Loup-Pendu non plus, mais en lisière sud de la forêt existe un lieu nommé Chante-Loup ; enfin « ruperium », terme absent du latin médiéval, ne peut qu’avoir été fabriqué par le scribe du XIIe siècle pour

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latiniser un nom commun à valeur descriptive proche de « pierreux ». Â l’évidence, c’est la traduction latine du lieu-dit « Le Perray », près de La Boeufferie.

25 Au total, et malgré la difficulté à traduire et identifier les lieux, il est possible de localiser assez précisément l’ensemble des donations faites au prieuré. Le lieu de Briangault, c’est-à-dire son domaine proche devait s’étendre sur 1 km, le long de la lisière nord-est de la forêt, jusqu’à la chaussée ancienne qui sera étudiée plus loin – la calciata – à sa sortie au nord-est du massif. À partir de là commencent les autres donations de terres. Elles forment une large bande le long de la lisière nord-est, vont jusqu’à la corne sud-est du bois de Quimper, et longent aussi la lisière sud au moins jusqu’au Perray. Le souvenir de cette donation subsiste dans l’appellation « landes de Briangord » (mauvaise graphie de Briangaud) qui, sur le cadastre de 1844 de Saint- Vincent-des-Landes (feuille A1), désigne un confront en Saint-Aubin, précisément dans cette bande large de 500 m. La donation se développe sur près de 3 km et peut-être évaluée autour de 150 ha. Le texte de la donation parle de lande et de terres communes. Il semble bien que ce dernier terme du XIIe siècle avait le même sens de « communs » ou « communaux » qu’on lui connaît jusqu’à la Révolution et même après. Ils désignaient alors des terres de pacage hors-forêt, souvent des landes, laissées à l’usage des collectivités paysannes. On aurait donc ici un accaparement de terres communes par de petits seigneurs, fait au profit d’un établissement religieux, et au détriment des collectivités paysannes. On pense un peu aux afféagements du XVIIIe siècle, qui avaient la même conséquence, tout en ayant cependant des raisons bien différentes. Hors de la donation à La Roë, en lisière sud et sud-ouest, le cadastre napoléonien montre la même omniprésence des landes dans les secteurs de Bourru, du Perray15 et de Coëtoux16, et jusqu’au Tertre-Gicquel. Le plan de 1756, les cadastres et la tradition désignent cette large bande comme « landes de Couëtoux ». Comme pour les landes données au prieuré du Breil-Ingault, celles-ci furent certainement données au prieuré de Couëtoux au cours du Moyen Âge. Plus haut dans le temps, on peut supposer qu’elles avaient été le fruit de défrichements sur un massif de Domnaiche beaucoup plus étendu et qui ne faisait qu’un avec le bois de Bourru, actuellement détaché au sud.

26 Cette voie est à nouveau mentionnée au XIIIe siècle : en 1248, Aufroy de Sion, détenteur de l’hébergement de Domnesche (herbergamentum de Damnesche) fait don à Marmoutier et à son prieuré de Béré de tout son fief et hébergement d’Herbert Marie (totum feodum herbergamenti Herbert Marie) ; il y ajoute une terre au-delà du dit fief, délimitée par un grand chêne jusqu’à la voie publique (publicam stratam) nommée Rubei Gerruei17. Nous pensons que ce fief et cet hébergement d’Herbert Marie se perpétuent aujourd’hui dans le lieu-dit Le Breil-Herbert, en Saint-Aubin-des-Châteaux, à l’est de la commune. Il est même probable que dans ce cas, Herbert soit une contraction du terme herbergamentum (= herbergement) employé dans le texte. Rubei peut évoquer le lieu de Rougé 18, mais Guerruei demeure mystérieux. On ne peut donc dire si cette publica strata passait au nord du Breil-Herbert ou au sud ; dans le premier cas, elle se serait dirigée vers Rougé à 7,5 km, hypothèse de Goudé, dans le second, elle se rendrait plutôt vers Châteaubriant et Béré à 5 km, thèse de Bizeul. Quoi qu’il en soit de sa destination, si c’est bien celle-ci que désigne Rubei Guerruei, il s’agit d’une « voie publique », terme exact en cours dix siècles plus tôt, à l’époque de l’Empire romain, pour désigner les axes majeurs du réseau viaire. Et elle se place dans le prolongement de la voie bien identifiée à la sortie de la forêt de Domnaiche en Saint Aubin, jusqu’à La Chapelle.

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27 Dans les trois cas, le bombement rectiligne de cette voie ancienne constituait un élément si marquant et si pérenne dans le paysage, qu’au XIIe siècle et au XIIIe siècle, on l’utilisait dans les écrits et à des fins juridiques, pour marquer les limites de propriétés.

28 C’est la carte de la forêt dressée en 1756 pour le prince de Condé qui en fournit la première mention moderne. En effet son tracé y est bien porté en diagonale de la forêt et désigné comme « chemin Ferré qu’on croit avoir [été] fait par les Romains ». Le mot ferré ne doit pas tromper. Il ne signifie pas qu’on ait par exemple utilisé des scories de bas-fourneaux pour en constituer l’assise : dans les dictionnaires du XVIIe et du XVIIIe de l’Académie française, il désigne « un chemin dont le fonds est ferme et pierreux et où on ne s’enfonce point ». C’est donc une métaphore qui évoque la qualité d’une structure viaire et elle est parfaitement adaptée à cette voie romaine.

29 Il faut attendre 1832 pour trouver une autre mention de la voie, portée cette fois sur un cadastre napoléonien. En effet, celui de Saint-Aubin-les-Châteaux, commune limitrophe de la forêt au nord-est, présente dans l’exact prolongement de la voie conservée en forêt, et dans la même direction, est/nord-est, un chemin rectiligne de plus de 500 m de longueur (J 413) nommément désigné sur le plan comme « voie romaine ». C’est là un fait rarissime pour le cadastre, document à destination essentiellement fiscale. Dans le même axe, 500 m plus à l’est, cinq parcelles se nomment La Chaussée (J 836-837-838-843-844). C’est cette calciata qui sert à délimiter la donation du XIIe siècle. Mais à partir de là, le tracé n’est plus perceptible, et se perd en direction du nord, soit vers Châteaubriant, selon les conjectures de Bizeul, soit vers Rougé, selon celles de Goudé.

30 À partir du milieu du XIXe siècle, la voie apparaît alors sous le nom de chaussée de Jouyance. Bizeul rapporte en effet la légende d’une princesse, grande voyageuse et constructrice de voies, qui, soudainement frappée par la vue d’un oiseau mort, prit conscience de l’instabilité humaine et cessa aussitôt tout voyage et toute création de chemins. Dépassant le simple récit rapporté par un paysan, Bizeul fait le rapprochement avec d’autres légendes de ce type concernant les voies romaines. Il observe en particulier que toutes mettent en scène divers grands personnages du passé ou de la légende – toujours des femmes comme Ahès, Rohanne, auxquelles on peut ajouter Brunehaut ou la duchesse Anne… – et que toutes semblent calquées sur le canevas contenu dans un texte du XIIIe siècle, la Chanson d’Aquin. Mais comme le remarque un peu plus tard Pitre de Lisle, on peut aussi observer que cette légende explique le fait qu’à l’est de la forêt, le tracé de la voie – si bien décrit depuis Derval – se perd et disparaît dans la direction de Châteaubriant.

31 Bizeul identifie cette chaussée à une voie romaine partant de Blain et se dirigeant vers Châteaubriant. Il en donne de bonnes descriptions sur Derval, près du Claray, et sur Lusanger, au Perray, à La Chaussée, puis au Tertre-Gicquel, et enfin dans une lande – les landes de Coëtoux sur le cadastre de 1844 – avant son entrée dans la corne sud-ouest de la forêt. Nous avons parcouru tous ces lieux où il a vu de ses yeux le bombement si caractéristique des voies antiques. Et nous avons constaté qu’il n’en subsiste rien de visible, ni au sol, ni sur les vues satellitaires de Géoportail. Cela en raison du défrichement des landes dès le XIXe siècle, de l’utilisation de puissants engins agricoles au XXe siècle, et enfin d’un très sévère remembrement de la fin du XX e siècle qui a totalement détruit l’ancien parcellaire, à l’exception de quelques bois isolés.

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32 Mais, Bizeul ne fournit aucun détail sur le passage de la voie dans le massif de Domnaiche. Son travail fut ensuite cité voire transformé plusieurs fois par C. Goudé, L. Maître, J. Chapron… et parfois augmenté d’hypothèses, mais sans aucune observation de terrain nouvelle. Ainsi, L. Maître affirme que cette chaussée a été construite par les empereurs romains pour assurer un débouché aux mines et aux forges de la région, ajoutant même que le tout proche château de « Domenèche » a pris la suite « d’une fortification toute faite », c’est-à-dire romaine, et que vivait là « une population ouvrière19 ». On retrouve là son très cher modèle des « ateliers fortifiés antiques », explication trop simple et univoque qu’il appliquait assez systématiquement aux enclos et enceintes.

La voie dans la forêt

33 Or, c’est dans la forêt seulement que la chaussée s’est conservée. Là, on peut la suivre sur 90 % de la traversée – ce que nous avons fait pas à pas sur tout son tracé – sous la forme d’un bombement bien marqué, visible en prospection pédestre dans le sous-bois, ainsi que sur les photographies satellitaires, mais de façon beaucoup moins nette. Elle suit un tracé parfaitement rectiligne qui traverse le massif d’ouest/sud-ouest à est/ nord-est, depuis la D 775 jusqu’au chemin vicinal qui va du Champ-Étienne à Briangault, soit sur un parcours de 2,375 km. Ajoutons que cette prospection pédestre a été menée comme il se doit avant la reprise de la végétation, en mars-avril 2010, période où les fougères-aigles, omniprésentes sous les pins, sont fanées et à terre, et où la visibilité en sous-bois est meilleure.

34 Pour dépasser la trop simple évocation d’une voie traversant la forêt, et laisser une trace utile, il a paru bon d’en donner une description détaillée, même si la lecture peut en sembler fastidieuse. Elle nous mènera pas à pas, tronçon par tronçon, de la lisière sud-ouest à la lisière nord-est: chaque tronçon est désigné par deux lettres qui correspondent soit à une lisière, soit à une intersection de son tracé avec une ligne forestière (Figure 2) : – AB : de son entrée dans le massif à partir de la D 775, jusqu’à la première petite ligne forestière, soit sur 125 m, elle n’est pas visible. Le fait est peut-être à mettre en relation avec des travaux de nivellement qui auraient précédé la plantation de l’actuelle pinède. Cependant, la plus grande partie du reste de la voie est aussi occupée par des plantations de pins maritimes du XXe siècle, ce qui ne l’a nulle part fait complètement disparaître. – BC : sur 250 m, malgré un sous-bois densément occupé par des fougères, le bombement est très visible, large de 6 m environ et haut de 0,50 m à 0,75 m. En un endroit, il est entamé à moitié par une carrière polylobée, longue de 30 m et aujourd’hui en eau. Ce creusement est donc postérieur à l’utilisation de la chaussée et sans doute même relativement peu ancien. En effet, la parcelle n° 18 où se trouve ce tronçon se nomme la carrière Guibourg, peut-être l’exploitant de cette carrière il y a quelques siècles. À la surface de la chaussée, ici et là, au gré des perturbations liées aux châblis, abattages ou travaux de débardage, se voient des blocs de grès clair local arrachés à l’assise. Les contre-fossés ne sont pas conservés, trop ténus pour avoir survécu aux labours de plantation. – CD : ce tronçon mesure 375 m et se trouve là aussi sous une pinède où le sol est densément couvert de fougères, ce qui masque les microreliefs. Cependant, le

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bombement est bien visible dès le point C, dans la coupe des fossés de la ligne. Vers le nord-est, on le suit très bien sur 200 m. Il atteint parfois 1 m de hauteur, et mesure toujours 6 m à 6,50 m de largeur. Là encore, diverses perturbations forestières expliquent la présence en surface de quelques blocs du même grès arrachés au fondement. Mais au bout de 200 m, la voie disparaît sur 100 m, dans un secteur où se voient de larges ados séparés par des sillons ; on pense là encore à des travaux préalables à l’enrésinement. Enfin, elle redevient très nette et bien bombée sur 100 m avant le point D, d’autant plus visible que là, à l’époque moderne, on a accentué ses fossés en y creusant d’étroites tranchées de drainage. – DE : les deux points sont distants de 500 m. Le point de départ D, est, de toute la traversée de la forêt, celui où la voie est la mieux conservée. Elle passe en effet en cet endroit sous une futaie de feuillus épargnée par l’incendie et le sous-bois y est bien dégagé. C’est même pratiquement le seul point où les contre-fossés se voient de manière indiscutable, espacés de 23 m. Deux profils y ont été levés. 50 m après le point D, elle s’estompe un peu au franchissement d’un petit thalweg où coule un petit fossé. En remontant le plateau, elle redevient ensuite bien visible, toujours large de 6,50 m environ, et haute de 0,50 m à 0,70 m. Et même à 150 m après le petit fossé, on discerne les restes de ses fossés latéraux. Un profil est levé en cet endroit. Puis, sur les 100 derniers mètres, à hauteur du ferrier et des minières de La Grande-Ligne qui seront décrits plus loin, elle disparaît dans une parcelle récemment enrésinée où sur le sol aplani, on ne voit rien d’autre que des jeunes pins de 2-3 m, des ronces, des bruyères et des fougères. - EF : en E, elle part exactement à l’angle de la ligne du Renard et de La Grande-Ligne dont elle forme la bissectrice. Le recreusement tout récent du fossé de cet angle permet d’observer une coupe fraîche mais perturbée de la chaussée (Photo 2) ; on y lit d’abord le paléosol, puis un blocage lâche fait de blocs de grès clair – le même que partout ailleurs sur la voie – de 10 à 20 cm de dimension, enrobé dans une matrice d’argile, le tout recouvert d’une mince couche d’humus. Là comme ailleurs, il s’agit d’une structure simple constituée d’une assise de blocs de grès sur laquelle est rejetée la terre des fossés bordiers. On est bien loin de la voie dallée comme la Via Appia à Rome ; cliché trop souvent ressassé, et qui n’a guère de réalité en Gaule du nord, hors des villes ou de certains franchissements. De là, elle se poursuit toujours dans la même exacte direction, parfois bien visible quelquefois moins, mais dans ce cas, les blocs de grès arrachés par les travaux forestiers récents à son assise permettent de la suivre sans difficulté jusqu’en F, sur tout ce tronçon de 400 m. Sa hauteur varie entre 0,30 m et 0,80 m, tandis que sa largeur se maintient toujours entre 6 m et 6,50 m. En revanche, les travaux d’enrésinement, ainsi que l’épaisse couche de fougères sèches, empêchent de voir si les contre-fossés sont conservés ou non. – FG et GH : sur ces 300 m, on entre dans des coupes où les travaux de dessouchage, puis de préparation des plantations qui ont suivi le grand incendie de 1976, ont été menés avec le plus de sévérité. Tout y a été nivelé à l’engin pour réaliser des ados séparés par des petits fossés de drainage espacés d’environ 3 m. Et sur ces sortes de billons ont été plantés les pins maritimes. La chaussée est ainsi régulièrement lacérée à 45° par ces travaux. Cependant, son bombement général se devine toujours, souligné dans les tranchées par les arrachages des blocs de grès de son substrat. Il est impossible de voir d’éventuels contre-fossés. – HI et IJ : ce tronçon de 450 m est celui qui a été le plus perturbé par les gros travaux décrits ci-dessus. Spécialement en HI où sur 350 m, la progression et la vision sont

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rendus difficiles par les ados et surtout les andins hauts de 2 m, vestiges des souches et détritus accumulés au bulldozer après l’incendie, au milieu de larges coulées non plantées. Il faut un œil exercé et une bonne connaissance de l’axe général de la voie pour raccorder par l’esprit les vestiges en pointillés de la chaussée. Dans ce secteur, elle ne dépasse pas 0,30 m de hauteur. – JK : là encore elle traverse une parcelle fortement restructurée après l’incendie de sorte que dans la moitié sud du tronçon elle ne se voit pratiquement plus, si ce n’est au point J, en profil, dans la coupe du fossé de ligne. Dans la seconde moitié, au nord, malgré les ados de plantation et les gros andins de dessouchage, on peut la lire en pointillés, soit sous la forme de son bombement, soit grâce à la présence de nombreux blocs de grès de l’assise, lorsqu’elle a été détruite. – KL : on entre là dans une futaie de feuillus épargnée par l’incendie. Dans son sous-bois très aéré, la chaussée se voit parfaitement sur les 150 m du tronçon, surélevée d’environ 0,50 m. De plus, sur une dizaine de mètres à partir du point K, les blocs de grès sont spécialement abondants en surface, peut-être en raison d’affouillements de sangliers. En revanche, malgré un examen très attentif, nous n’avons pas vu trace des contre-fossés. Un profil a été levé en cet endroit. – LM : ce dernier tronçon de 300 m traverse d’abord une parcelle récemment enrésinée rendue impénétrable par les ronciers, les épines, et divers arbustes. Ce qui fait que nous n’avons pas pu la prospecter, mais il semble qu’au départ, au point L, le bombement soit toujours visible. La deuxième moitié n’existe plus, à sa place se trouve le début de la grande ligne coupe-feu créée en 1976.

35 Là se termine la traversée de la forêt. Au-delà, elle se prolonge toujours exactement dans le même axe sous la forme d’un chemin parfaitement rectiligne de 600 m, dont la plus grande part est désignée comme voie romaine, sur le cadastre napoléonien de Saint-Aubin-les-Châteaux.

Les profils

– n° 1 (entre B et C) : il fait très nettement apparaître le bombement de la chaussée elle- même, large de 6,50 m, ainsi que ses fossés bordiers au creusement très doux. La différence de niveau atteint 0,50 m. Mais au-delà, et comme presque partout ailleurs dans le massif, les travaux d’enrésinement perturbent la lecture des aménagements latéraux : les deux petits talus externes, s’ils étaient conservés avant 1976, sont devenus illisibles en raison de la création d’ados et de fossés, ces derniers profonds 0,30 m à 0,40 m, et avec des flancs très redressés. – n° 2 (au point D. CL II : x = 600644 y = 2429167) : c’est le plus significatif de tous. Il a été levé près du petit étang à 10 m au nord du point où elle coupe La Ligne-Neuve. En cet endroit, s’observe le bombement central de 6,50 m de largeur bordé de chaque côté, d’abord par des fossés latéraux très doux, puis un peu plus loin par deux petits talus eux aussi très amortis. En cet endroit, la largeur de l’ensemble atteint 23 m. Le dénivelé entre le sommet de la chaussée et le fond de ses fossés bordiers atteint 0,75 m, tandis que les petits talus latéraux ne dépassent pas 0,25 m de hauteur. En 2008, la reprise récente de la bordure de la ligne forestière à l’aide d’engins de terrassement fournissait une coupe grossière de la chaussée ; on pouvait y observer un blocage de moellons de grès (jusqu’à 30 cm de longueur) qui constituait l’assise de la bande de roulement. – n° 3 : 15 m plus loin au nord, ce profil se transforme : il conserve la même emprise en largeur, mais en épousant la pente naturelle et en s’amortissant, puisque le dénivelé

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bombement/fossés latéraux se réduit à 0,50 m ; enfin, 10 m plus loin au Nord, bien qu’elle entre dans une légère dépression, et bien qu’on ne discerne aucune trace de travaux anciens ou récents – par exemple, pour un enrésinement, la chaussée disparaît. – n° 4 (entre K et L) : un dernier profil a été levé dans cette partie épargnée par l’incendie et les travaux consécutifs. La bande centrale de la chaussée apparaît nettement, présentant toujours la même largeur de 6 m à 6,50 m, et ici avec un dénivelé de 0,60 m. Ses deux fossés latéraux sont bien visibles, surtout côté nord-ouest, moins de l’autre côté, en raison de la pente générale du relief en cet endroit. Il a été dit précédemment que les talus externes ne se voient pas en cet endroit.

Figure 9 : Profils de la voie antique Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

Interprétation et datation

36 Sur des structures enfouies et non documentées par l’écrit, et en l’absence de fouille, toute datation relève de l’hypothèse. Mais il est des cas comme celui-ci où l’on peut s’avancer sans trop de risque. Le profil constant de la chaussée, toujours en élévation, sa largeur intangible, ses contre-fossés, sa structure empierrée, sa rectilinéarité quasi absolue, sont autant de critères qu’on ne connaît qu’aux voies antiques. Qui plus est aux viae publicae, les plus importantes d’entre elles. D’avion, elles présentent souvent ces petits talus-fossés extérieurs, parfois visibles dans le cas de la forêt de Domnaiche, et qui avaient une fonction juridique et foncière, celle de délimiter l’espace public de la voie20. De plus, on dispose ici d’un terminus ante quem précieux avec des mentions qui montrent qu’elle existait avant le XIIe siècle. D’autre part, les comparaisons ne manquent pas avec des chaussées identiques observées en milieu forestier : dans la forêt de Teillay d’abord, plus au nord, dans celle de La Guerche où la voie Juliomagus- Condate est bien conservée sur 1,7 km, tout comme elle l’est dans le bois de Rihain entre Moulins et Visseiche. Entre ces deux points, elle a été fouillée au franchissement

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de la Seiche en 1995. Le CeRAPAR en a sondé une fossilisée en forêt de Rennes, recueillant quelques éléments antiques. Au sud, une probable voie de Blain vers Angers existait et présente encore quelques restes près de Melleray, puis traverse la forêt d’Ancenis et se voit encore un peu à La Croix-Jouef au Grand-Auverné, au sol et surtout d’avion. Et puis, la photographie aérienne a permis d’en étudier sur de longs tracés où elles se présentent de manière semblable, l’exemple le plus remarquablement documenté étant celui de la voie Angers-Rennes sur laquelle travaille G. Leroux.

37 Si son attribution aux premiers siècles de l’époque gallo-romaine ne fait guère de doute, un problème demeure cependant, celui de ses aboutissements. Venait-elle de Conquereuil comme l’écrit L. Maître ? Ce serait à démontrer. Ou plus précisément de Blain comme l’affirmait Bizeul avec de plus solides arguments ? Cela paraît très probable. Vers l’est, se dirigeait-elle « vers » Châteaubriant, comme l’avançait encore Bizeul ? Ou vers Rougé comme l’écrit C. Goudé ? Rien ne le prouve de manière décisive. Nous proposerons une autre hypothèse qui a l’intérêt d’intégrer cette voie au sein du réseau de voies antiques connu : si on la prolonge exactement dans la même direction est/nord-est, elle croise ou – ce qui est plus probable – se raccorde à la grande voie est- ouest Angers-Carhaix, à 12 km de la forêt de Domnaiche, presque exactement au Grand- Rigné, lieu pour lequel on dispose, fin XIIe siècle, de la très rare mention de l’« antiqua via de Roge ». Dans ce cas, plutôt que lire la chaussée de Joyance à partir de Blain, et dans le seul cadre de la cité des Namnètes, comme le faisait Bizeul, mieux vaudrait inverser le regard et la comprendre à plus grande échelle, celle de la Gaule, comme un diverticule greffé sur la grande pénétrante venue d’Angers, et destiné à desservir le sud de l’Armorique, en direction de Blain et de la basse Vilaine. Cependant, cette dernière hypothèse, toute logique qu’elle apparaisse, nécessiterait pour être validée une recherche plus vaste et d’autres arguments tirés de l’étude du terrain, de l’analyse des cadastres et cartes anciennes, ainsi que des prospections aériennes21.

Des ferriers et des minières Les petits ferriers (d’une emprise maximale inférieure à 50 m)

38 Situé à l’ouest du massif, à 200 m au nord de la ferme de L’Ennerie, c’est le plus petit de tous, puisqu’il s’étend sur seulement 250 m², disposé en deux amas multiples et un tas isolé à l’est. Comme pour tous les autres ferriers, on y observe des cratères de récupération dont les hauteurs conservées ne dépassent pas 0,50 m à 0,80 m. Les tas ne mesuraient sans doute guère plus d’1 m à l’origine. On ne peut donc envisager un volume initial supérieur à une modeste fourchette de 100 à 200 m3.

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Figure 10 : Ferrier de l’Ennerie Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

n° 4 : Ferrier de L’Ennerie (Figure 10) CL II – au centre : x = 306283 y = 2305730 – n° 5 : Ferrier de l’étangCL II au centre, sur la rive de l’étang : x = 307532 y = 2305928

39 Avec un si petit cubage, la récupération risque d’avoir été très locale, par exemple, à usage d’empierrement, pour les besoins de la ferme voisine. Comme sur les autres ferriers, on observe des chênes de 150-200 ans qui ont poussé à sa surface. Bien sûr, tous les amas sont ponctués de bouquets de fragon. Enfin, le site est traversé par un discret chemin sinueux et d’aspect ancien. Aucune cavité liée à une éventuelle extraction de minerai ne nous a été signalée dans ce secteur de forêt.

40 Il s’agit d’un ferrier totalement arasé, peut-être lors des travaux post incendie et de la remise en eau de l’étang. La végétation très broussailleuse de ce secteur le rend encore plus difficile à observer. Grâce à la couleur plus noire du sentier et à la présence de quelques scories, il a cependant été possible de constater que son emprise est-ouest atteignait 40 m. Celle du nord au sud n’est pas visible. Son intérêt tient à sa proximité immédiate avec le site du château car il commence juste à l’extrémité nord de la chaussée de l’étang et longe la rive.

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Figure 11 : Briangault données de terrain (fond : cadastre XIXe s.) Sion-les-Mines (Loire-Atlantique)

– n° 6 et 7 : Ferriers de Briangault (Figure 11) CL II au centre : x = 308667 y = 2307178 (N° 6) et x = 308899 y = 2307243 (N° 7)

41 Ils sont au nombre de deux. Le premier est de petite taille – 10 m x 5 m et 1 m de haut – et se trouve dans le bois même de Briangault, en Sion. L’autre, se situe à 250 m au sud- ouest, juste au sud de la route, mais dans la forêt, en Lusanger. Il mesure 50 m x 20 m et 1 m de hauteur. Leur intérêt commun est de se trouver en un lieu où, au XIIe siècle et plus tard, existèrent un ermitage, puis un prieuré de La Roë. Or, en 1226, celui-ci reçut d’Aufroy de Sion les revenus d’une forge – c’est-à-dire des bas-fourneaux – dans sa forêt de Domenesche. Le plus petit est respecté et contourné par les labours en billons conservés dans l’enclos du prieuré. Ce qui le date au moins d’avant 1800 (cf. infra Briangault).

42 Enfin, à l’entrée du château, à quelques mètres à l’est de la motte, se voit un lacis de cheminements complexe qui montre qu’en cet endroit le passage était très fréquenté à l’époque de l’occupation du château. Comme on le voit ailleurs dans ces cheminements médiévaux, les passages sont en creux et séparés par des bourrelets de terre qui ressemblent à de petits talus. Or, sur deux d’entre nous avons observé des scories. Soit elles sont le produit d’une activité de réduction ou de forge à la porte même du château, soit elles ont été amenées là pour empierrer ou plutôt « ferrer » un passage très fréquenté.

43 Il serait vain de penser que l’inventaire de ces petits amas puisse être d’une exhaustivité absolue. Nombre d’entre eux ont certainement été récupérés, ne serait-ce que pour empierrer les lignes forestières à toutes époques, et sous l’humus, leurs emplacements demeurent peu visibles. Signalons aussi que sur la carte géologique au 1/50 000, de Nozay, F. Trautman porte trois amas de scories. Celui du bois de Quimper est bien localisé, mais nous n’avons pas trouvé les deux autres, l’un dans la parcelle du

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Vieux-Château, l’autre dans la parcelle à Boifin. Peut-être s’agit d’informations recueillies oralement, qui concernaient les n° 2 et 3, et qui lui ont été mal localisées.

Les grands ferriers (d’une emprise minimale de 50 m)

44 C’est le plus étendu de la forêt. Il s’étend sur environ 250 m d’est en ouest et 100 m du nord au sud pour la partie la plus large, à l’ouest de la ligne forestière, 50 à 60 m seulement pour la partie le plus étroite, à l’est. La superficie avoisine 2 ha, ce qui permet de proposer un volume initial de scories entre 15 000 et 30 000 m3. L’ensemble est coupé à peu près en son milieu par un chemin forestier nord sud. Seule la partie ouest, la plus étendue a pu être relevée, en raison de la présence de taillis et fourrés denses à l’est.

45 Les amas les plus hauts s’élèvent à un peu plus de 2 m au-dessus du substrat, épaisseur cependant difficile à évaluer exactement, car l’ensemble est installé sur un rebord de plateau, à la rupture de pente. Bien sûr, le fragon est omni présent. On voit aussi des chênes au fût de 50-60 cm sur le haut de certains restes. Ils semblent marquer la surface initiale des ferriers. À noter aussi, au nord, c’est-à-dire au bas de la pente et des ferriers, au moins trois fontaines anciennes, sans doute comblées, mais très nettes. Elles ont pu servir à alimenter en eau les férons et leurs bas-fourneaux.

Figure 12 : Ferrier n° 1 du Bois de Quimper, partie Ouest Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire- Atlantique)

CL II au centre, bord de ligne : x = 309996 y = 2305436

46 Il semble que ce soit le ferrier le plus récupéré au XXe siècle, spécialement dans sa partie est. En sondage au jalon de fer, il apparaît que très souvent, les tas sont des « stériles » comprenant beaucoup de terre noire, de charbon de bois et de très petits morceaux de

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scories, restes du criblage pratiqué par les récupérateurs. Ils forment des talus au centre des zones récurées. Souvent, c’est sur la périphérie des anciens tas que demeure la majorité des scories véritables, en position de rejet primaire.

47 À l’est du chemin, le ferrier est en taillis assez touffu de noisetiers, houx et autres arbustes qui rendent très difficile le levé du plan et empêchent un relevé complet. Cette partie est fortement récupérée, et rares sont les tas qui atteignent encore 1 m de hauteur.

48 En revanche, à l’ouest du chemin, il est occupé par un boisement plus clair, et même par une futaie sans sous-bois à l’ouest. Comme dans l’autre partie, il est installé de chaque côté de la rupture de pente, soit sur le plateau et sur la pente. D’ailleurs, cette pente, ici assez forte, correspond à une ligne de grès clairs qui affleure ici et là ; on voit même quelques gros blocs hauts jusqu’à 0,60 m et visiblement déplacés. Comme dans l’autre partie, la récupération des scories a, là aussi, été intense et souvent ne restent que de petits bourrelets périphériques et à l’emplacement central du tas un espace plat ; on devine aussi des cheminements de charrettes vers le chemin. Les tas encore en élévation et les emplacements récurés portent souvent du fragon ; pour ces derniers, la scorie est bien présente à la sonde métal. Aucun laitier, mais comme dans tous les autres ferriers, des scories coulées d’« aspect bas-fourneau ».

49 Tout à l’ouest du ferrier, se voient deux amas de blocs de grès clair, de calibre 0,20 m, 0,40 m qui dessinent deux rectangles aux angles arrondis, l’un de 12 m x 5-6 m, l’autre de 7 m x 5 m, sur une hauteur d’environ 0,50 m. Ils ont toute l’apparence de restes de bâtiments, au moins construits sur solins de pierre. On n’observe aucun reste d’ardoise de couverture. Mais seule une fouille permettrait de s’assurer que ces amas sont bien des constructions, ainsi que d’établir leur chronologie absolue ou relative au ferrier.

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Figure 13 : Ferrier n° 2 de la ligne coupe-feu Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

– n °2 : Ferrier près de la ligne coupe-feu (Figure 13 et Photos 3 et 4) CLII au centre : x = 309306 y = 2305661

50 Il présente une forme ovoïde à polylobée et s’étend sur environ 6 000 m². Le dénivelé entre le plus haut et le plus bas atteint 4 m ce qui fait de ce ferrier le plus épais de ceux qui ont été inventoriés et relevés. À partir de ces données et de l’observation des secteurs récupérés, on peut estimer son volume originel de scories entre 5 000 et 8 000 m3.

51 Fortement récupéré dans ses parties est et sud, il l’est moins au nord et à l’ouest. Cette observation peut être mise en relation avec une levée rectiligne, large de 4,50 m, visible sur au moins 200 m, épaisse jusqu’à 0,50 m, constituée de scories de haut fourneau légères, bulleuses gris-vert pâle avec des fragments de laitier dense et vitrifié, qui arrive contre le ferrier côté est, et dans l’autre sens se dirige plein est. À l’évidence, il s’agit d’une voie aménagée pour l’évacuation des scories anciennes au moment de leur récupération, à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle. C’est l’époque où les sociétés minières récupèrent les scories anciennes et cela nous vaut l’inventaire de L. Davy. Cette levée se dirige vers un relief plus élevé au sol plus solide et elle disparaît à sa rencontre avec un vieux chemin qui sort au nord de la forêt. Il est probable qu’elle fut constituée de déchets provenant du haut-fourneau de La Hunaudière.

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Photo 3 – Sur le ferrier n° 2, cavités de récupération devant et derrière, fragon à gauche et gros chêne sur les scories

52 Dans la partie la plus récurée du ferrier, se voient trois blocs de scories compactes, soudées, pesant dans les 150 à 3-400 kg, et laissés là par les récupérateurs, sans doute en raison de leur poids excessif et de la difficulté à les manier. Une fois nettoyé, il apparaît pour l’un d’eux qu’il s’agit d’un bloc de scories coulées, formé de couches superposées. Le bloc a basculé, car les plaques de scories cordées qui le constituent ne sont plus parallèles au sol, mais nettement penchées à 45°. On voit à la partie inférieure des scories en gouttelettes qui devaient former la partie inférieure de la coulée. Le nettoyage montre aussi contre le bloc, des fragments d’argile assez faiblement cuite, de couleur chamois, à texture fine et un peu sableuse, qui peuvent être des fragments de paroi de four. Il semble donc bien que ce bloc de scories se trouve tout près de son lieu de coulée et donc d’un bas-fourneau ; celui-ci pourrait être pris dans la masse de scories sur laquelle il s’appuie vers l’ouest. Dans ce même secteur, et à la faveur d’un châblis, nous avons recueilli parmi les scories un moreau en calotte, compact, de 30 à 40 cm de diamètre et 10 cm d’épaisseur. Ainsi que des blocs de minerai très dense et de couleur violacé à rougeâtre.

Photo 4 – Ferrier n° 2. Très gros bloc de scories coulées et superposées

53 Pour ce qui est des indices phytologiques, le fragon est très abondant, et d’autant plus qu’il se trouve sur les tas les plus hauts, en milieu très sec. On voit aussi quelques hêtres sur ces amas, dont un beau sujet au sud. D’autre part, l’extension du ferrier est bien visible, même dans ses parties complètement récurées. Pour en trouver les limites, il a

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suffi de sonder au jalon de fer, mais aussi d’observer la présence d’une graminée en herbe bien verte en avril, qui tranche avec les environs couverts de feuilles mortes et sans végétation. Sans doute est-ce l’effet conjugué d’un sol plus sec dans ces endroits et d’un réchauffement plus rapide en ces mois de mars-avril, grâce à la couleur noire du sol. Sur la chaussée/levée d’évacuation, poussent des bouleaux, pas de fragon, mais quelques bouquets de genêts, d’autant plus visibles que cette espèce est totalement absente dans ce secteur. C’est un indice de plus pour confirmer la nature différente de son assise. On note la présence d’une fontaine ancienne près du ferrier, au nord-ouest.

54 Enfin, à l’est, on constate qu’un fossé-talus de direction nord-sud disparaît sous les épandages périphériques du ferrier. Ce détail important sera analysé plus loin en termes de chronologie.

55 Il se trouve sur un ligne de hauteur vers 55-60 m d’altitude et occupe une zone elliptique de 90 m sur 40 m, soit un tiers d’ha, axée nord-sud. La ligne forestière nommée La Grande Ligne le coupe presque en son centre, de sorte que les scories ont aussi bien pu être récupérées pour encaisser les chemins, qu’exportées pour être refondues. C’est surtout dans sa partie nord et ouest que se voient le plus de restes, mais ils sont presque tous résiduels et ne dépassent guère 1 m de hauteur. Ils se résument à leur périphérie, la partie la plus volumineuse, au cœur des tas, ayant été récurée jusqu’au sol. Au centre de ces zones vidées, on observe souvent la présence de tas de cendres et menus fragments de scories, qui prouvent que les récupérateurs ont tamisé les tas primitifs pour n’en conserver que les plus grosses plaques. Comme sur tous les autres ferriers, on est aussi frappé par la présence abondante de buissons de fragon ou petit houx, plante xérophile et calcicole, qui constitue dans nos régions de Haute-Bretagne et dans cette forêt un excellent marqueur phytologique des ferriers.

Figure 14 : Ferrier n° 3 de la Grande Ligne Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

– n° 3 : Ferrier de La Grande-Ligne (Figure 14) CL II au centre, bord de ligne : x = 307878 y = 2305372

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56 Là comme ailleurs, et en l’absence de fouille, aucun indice chronologique, si ce n’est la présence, sur certains tas, de beaux chênes qui peuvent atteindre 150-200 ans pour les plus anciens. Dans les récurages récents en bord de ligne, nous avons observé quelques blocs très durs, très denses, de couleur noire, rougeâtre et violacée, qui semblent bien être du minerai. Pour conclure sur ce ferrier, on peut avancer un volume de scories initial entre 2 500 et 4 000 m3.

57 L’intérêt de ce site tient aussi dans le fait qu’à proximité immédiate, à 35 m au sud, se voit une grande tranchée d’extraction. Le plan de 1844 en fait mention et la nomme carrière. Pour autant, cela ne préjuge en rien de ce qui y avait été extrait. Elle aussi est coupée par la ligne, elle aussi est de forme ovoïde et allongée, et elle aussi occupe un tiers d’hectare. Mais elle s’oriente différemment, nettement est/nord-est à ouest/sud- ouest, dans la direction des crêtes de la forêt. Sa partie ouest a été utilisée comme décharge et comblée, mais à l’est, on peut observer son aspect plus originel : des fronts qui entament le grès armoricain sur 1 à 2-3 m de profondeur en formant une boutonnière allongée plus ou moins régulière. Celle-ci est occupée en son centre par des sortes de bourrelets hauts de 1 à 1,50 m, apparemment des stériles rejetés derrière eux par les carriers ou mineurs. La partie est, mieux conservée ou creusée plus profondément, est en eau et peut atteindre 2 à 3 m sous le niveau du sol. Ici et là se voient des blocs de grès abandonnés ; ils semblent indiquer que ce n’était pas ce matériau qui était recherché en priorité. Sans doute en a-t-on utilisé pour l’empierrement ou la construction, mais on cherchait autre chose. On pense bien sûr à du minerai de fer. Dans ce cas, ce site de La Grande-Ligne serait le seul de la forêt qui associerait immédiatement extraction et réduction du minerai de fer.

Minières

58 Les tranchées voisines du ferrier de La Grande-Ligne ont été décrites ci-dessus. Elles peuvent être non seulement une carrière de pierre mais aussi une ferrière.

59 On peut leur comparer une tranchée située plus au nord du massif, dans la parcelle de L’Osier, sur le plateau, vers 55-60 m d’altitude (CL II x = 308710 y = 2306637). Il s’agit d’une saignée longue de 80 m, et large seulement de 4 à 5 m, grossièrement orientée est-ouest. Sa très faible largeur, semble exclure a priori l’hypothèse d’une simple carrière de pierre. Le filon intéressant étant apparemment ici très peu épais, les extracteurs ont travaillé dans l’axe, en accumulant ici et là les stériles dans la tranchée. Cela donne à l’ensemble l’aspect d’un chapelet de trous plus ou moins individuels de 10-15 m de longueur, de 1,50 m de profondeur et en eau pendant l’hiver. D’autres petites excavations du même type existent certainement ici et là, certaines comblées, d’autres cachées, telle celle que vient de découvrir M. Robert dans la parcelle de La Cibotière, près de la ligne du Renard.

60 C’est un gisement ou, pour le moins, un mode d’exploitation très différent que l’on peut observer dans la parcelle bien nommée des Mines encore au nord du massif, mais cette fois-ci en lisière même, à une altitude située entre 65 et 70 m (CL II x = 307809 y = 2306732). Dans ce cas, il s’agit d’une succession de trous de 5 à 6 m de diamètre, profonds de 1 m à 1,50 m, disposés en désordre dans une ellipse est-ouest de 100 m sur 50 m. À la faveur d’une coupe à blanc, on peut voir quelques autres cavités dispersées dans la pente au sud. Il ne fait ici guère de doute qu’on ait extrait du minerai, car malgré l’humus, de nombreux blocs très denses et de couleur sombre, rougeâtre à

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violacé se voient un peu partout sur le sol, les mêmes qu’on a pu observer ici et là dans les ferriers. Leur taille va de 5-6 cm à 20-30 cm. Bien qu’aujourd’hui parfaitement plan, le champ contigu au nord semble avoir été lui aussi une zone d’extraction semblable, avant d’avoir été comblée et mise en culture. On y observe en effet des zones très hydromorphes, ce malgré la relative altitude, ainsi que la présence de quelques blocs de minerais épars.

Photo 5 – Tranchée longue et étroite. Recherche minière ? Parcelle de l’Osier

61 Ces deux types d’excavation ont été observés à l’identique par J.-Y. Tinevez dans un massif proche et qui a aussi connu une forte activité métallurgique, la forêt de Juigné : des minières constituées d’un ensemble de cavités sans doute individuelles, en forme de cône renversé, et des tranchées allongées pouvant atteindre 3 m de profondeur. Là aussi, il s’agit de filons de fer oolithique contenu dans le grès armoricain22.

Interprétation et datation

62 On ne peut éviter ici de citer ici le travail de L. Maître consacré aux forges et ateliers fortifiés de la Basse-Loire. Théorie selon laquelle, à l’époque gallo-romaine, le travail du fer aurait tenu une place majeure en Basse-Loire et se serait fait dans des enceintes de terre fortifiées qu’il nomme châteliers. À l’appui de sa démonstration, il entasse pêle- mêle des observations et des arguments souvent imprécis et très discutables, relevant d’activités et d’époques diverses. Le cas du « châtelier d’Erbray » constitue le meilleur exemple23. Ce modèle excessif s’inscrit dans une époque où la recherche archéologique était dominée par une forme de romano-centrisme. Or, si une telle activité a bien sûr existé pendant l’Antiquité, elle n’en a pas moins commencé plus tôt, dès le second Âge du fer, qu’on ignorait alors complètement. Et contrairement à la Montagne Noire dans le sud de la France, ou aux Clérimois dans l’Yonne, aucune fouille n’a démontré que les énormes ferriers des forêts qui vont de Segré à la Vilaine remontent à l’Antiquité. Quant aux enclos, il faut répéter que, le plus souvent, ce ne sont pas des sites vraiment fortifiés, mais des établissements d’habitat entourés de talus, et très fréquemment d’origine gauloise. D’ailleurs, le seul enclos repéré dans la forêt ne contient aucun amas de scories visibles, alors que la forêt en recèle beaucoup, et de très gros. Dans les ferriers de la région, récupérés à l’époque de L. Davy, hormis les « tuiles à rebords » (mais ne s’agissait-il pas de briques, tomettes ou tuiles postérieures ?), on ne connaît aucun vestige sûr attribuable à l’époque gallo-romaine. Tous les dessins qu’il donne

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dans son inventaire sont ceux d’objets de la fin du Moyen Âge, telles les poteries à œil- de-perdrix, voire plus tardifs, comme un moule à rouelles.

63 En seule prospection, la datation des ferriers est malaisée. Cependant, nous avons recueilli deux indices. Le premier pour le petit amas de Briangault dont on observe qu’il est respecté et donc antérieur aux billons fossilisés dans ce secteur. Or, les grands chênes qui poussent sur ceux-ci ont autour de 200 ans, ce qui fournit un terminus ante quem autour de 1800 ; ce n’est guère satisfaisant, mais le contexte du lieu indique que ces labours sont certainement de tradition bien antérieure. Le second, concerne le ferrier n° 2 de la ligne coupe-feu, le deuxième du massif en volume. On a pu y observer qu’il se superpose à sa périphérie est au fossé talus limite qui sépare bois de Quimper et forêt de Domnaiche. Or plus loin, il sera montré à partir des actes médiévaux que cette limite existe dès le début du XIIe siècle. Ce qui fixe un terminus post quem. La cartographie des données archéologiques et textuelles, va exactement dans le même sens : les ferriers ne sont pas implantés en fonction de la voie romaine ; en revanche, tous, sans exception, sont placés sur les cheminements nord-sud du Moyen Âge central. Comme d’autres chercheurs qui ne se limitent pas à l’étude d’une seule période et qui cherchent à observer le phénomène dans le temps long, nous pensons que ces gros ferriers de Domnaiche, comme d’autres dans la région, sont attribuables au Moyen Âge d’après l’an Mil. Qu’ils sont à mettre en relation avec une population en expansion, une société réorganisée et une économie nouvelle. Tous les domaines d’activité connaissent alors une croissance continue de la consommation de fer : la guerre, l’armement, l’extraction de la pierre, les toitures, les châteaux, les moulins, l’agriculture, l’équipement du cheval, les moyens de transport, etc., partout le fer devient omniprésent, et dans des volumes très supérieurs aux périodes antérieures24. Là où existe une documentation textuelle, on observe d’ailleurs que les seigneurs châtelains, du Moyen Âge central et d’après, contrôlèrent de près cette activité. Elle pouvait leur procurer des revenus dans le cadre de la seigneurie banale, et elle concernait la forêt, élément essentiel de leur domaine proche25.

64 Il faut enfin souligner que les volumes des ferriers conservés dans ce massif sont comparables à ceux des plus gros des forêts voisines, Ombrée en Maine-et-Loire, et plus près à Teillay, en Loire-atlantique.

Le château de Domnaiche

65 Cet ensemble castral doit son remarquable état de conservation à la protection de la forêt. Il s’étend d’est en ouest sur 2 ha, quatre si l’on compte l’étang et les aménagements hydrauliques. Le site choisi est un bas de plateau en pente douce, sans aucun abrupt ni escarpement rocheux, en bordure d’un thalveg où coule un petit ruisseau temporaire alimenté par les fossés de la partie centre est de la forêt. Celui-ci a été capté à l’est et canalisé pour mettre en eau les douves de la motte et du château de pierre, puis barré à l’ouest par une chaussée pour y établir l’étang. Ainsi, le site castral est protégé par l’eau sur toute sa face nord. Il faut cependant ajouter que très tôt, cet étang a été asséché : il est en prairie sur le cadastre de 1844, et ce n’est qu’à l’hiver 1976-1977, après le grand incendie, que sa chaussée a été restaurée et qu’il a été remis en eau. Le plan de 1756, n’est d’aucun secours pour en savoir plus car pour ce secteur, il est imprécis, voire inexact : ni le château ni l’étang ne sont figurés et à leur emplacement actuel est indiqué le « pré de Domnaiche » ; un lieu est bien nommé

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« vieux château de Domnaiche », mais sans détail et trop au nord, à l’emplacement de l’actuel lieu-dit Domnaiche.

66 Sur le terrain, l’observation de l’ensemble amène à distinguer au moins quatre entités qui seront décrites d’est en ouest.

A : la motte

67 Au nord-est du château de pierre est conservée une motte. Non pas une motte délaissée à l’écart comme on en voit assez souvent à proximité des manoirs de la fin du Moyen Âge, mais un ouvrage conservé, réaménagé et réutilisé à l’époque du château de pierre, un siècle ou deux après la construction de celle-ci.

68 Elle présente une forme elliptique de 21,50 m x 15 m. Elle est cernée par une douve en eau aujourd’hui, et sans doute aussi à l’origine, plus profonde que celles qui cernent le château de pierre. Sa largeur est inégale, mais presque toujours supérieure à 9-10 m. Elle présente une forme générale de dôme surbaissé dont le sommet – dans la partie non entaillée par la voie d’accès postérieure – approche 2,50 m au-dessus de l’eau. Mais elle a donc été tranchée d’est en ouest, plutôt dans sa partie nord, pour aménager une voie d’accès plane et large de 4,50 m, afin d’accéder à la tour-porte du château de pierre. Cette tranchée a été prolongée vers le château par une avancée murée longue de 7 m, placée en face de la porte du château de pierre ; son mur ouest qui baigne dans l’eau est mal conservé, mais on constate qu‘il était lui aussi vertical, qu’il avait des logements rectangulaires (un seul subsiste) pour les poteaux du pont, qui répondaient à ceux visibles en face dans le mur de la tour-porte. Le pont dormant franchissait la douve sur une largeur de 3,20 m. En revanche, du côté est de la motte, où se trouvait la sortie, on ne discerne aucun reste d’aménagement pour le franchissement de la douve.

Figure 15 : Le château de Domnaiche motte, château de pierre et tour carrée Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

(CL II : x = 307729 y = 2305780).

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69 La présence et la réutilisation de cette motte impliquent une continuité d’occupation – même s’il peut y avoir eu un court hiatus chronologique entre son érection et celle du château de pierre.

70 À qui douterait du fait qu’il s’agit d’une motte, s’opposent plusieurs arguments décisifs : la tranchée du chemin qui la coupe conserve intact le bombement central ; ses dimensions correspondent exactement à la moyenne des petits ouvrages de ce type dans le Rennais proche, mais aussi du Castelbriantais, et rattachables le plus souvent à la frange basse de la société chevaleresque des XIe et XIIe siècles. On pense, par exemple, à la motte du Bois-Briant en Châteaubriant conservée près du manoir du XVIe siècle, exemple d’évolution dupliqué à des dizaines d’exemplaires dans l’Ouest et le reste de la France. Son plan elliptique est lui aussi très courant, tout comme son implantation en un lieu bas, favorable à la mise en eau des douves ; quant à la basse-cour nécessaire dans le cas d’un si petit ouvrage et aujourd’hui absente, il est très probable qu’elle a été reprise, transformée et régularisée pour y implanter le château de pierre quadrangulaire.

71 Enfin, il est frappant de voir l’utilisation et l’intégration qui en a été faite dans le système de défense d’ensemble du château : alors qu’à l’époque de son érection aux XIe- XIIe siècles, elle constituait le réduit fort et ultime d’un petit manoir à motte, au XIIe ou XIIIe siècles, elle entre dans la ligne de défense première et externe du nouveau château de pierre, avant tout constituée par de larges systèmes d’ouvrages de terre alliant fossés, talus, plates-formes et certainement palissades, qui seront décrits plus loin.

B : le château de pierre

Il présente un plan rectangulaire très régulier de 40 m x 35 m.

72 La courtine sud est la mieux conservée. Son mur est épais de 1,50 m et s’élève encore à 2-3 m au-dessus de l’eau de la douve. Elle présente encore trois tours : l’une rectangulaire au sud-ouest, de 8 m x 5,60 m à l’intérieur, qui faisait partie du corps de logis appuyé sur la courtine ; deux semi-circulaires d’un diamètre de 4,50 m à la base, et peut-être une troisième au sud-est ; mais l’angle sud-est de cette courtine est très dégradé et on ne peut discerner exactement quel type de tour s’y trouvait. Les deux tours circulaires conservées s’élèvent encore à 6 m au-dessus du niveau de la douve ; comme elles sont éventrées à l’intérieur de l’enceinte, on peut voir qu’elles ne contenaient pas d’escalier de pierre. Elles sont en forme de fer à cheval, avec un mur épais de 1,10 m et un diamètre intérieur de seulement 1,60 m, au plan interne du château. Sans doute étaient-elles ouvertes à la gorge.

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Photo 6 – Château de Domnaiche, base de la tour carrée

73 Dans la tour n° 1, on observe encore un côté d’ouverture à ébrasement vertical simple de 1 m de hauteur, sans étrier ni autre aménagement, et surtout sans aucun orifice d’artillerie. C’est bien une archère. On y voit aussi que côté gauche, devait se trouver une sorte de coussiège. Ces deux éléments permettent de situer assez exactement le niveau de sol. Dans sa partie haute, le mur intérieur amorce un voûtement qui correspondrait à une coupole. Cette tour est creuse, sans doute vidée lors de la fouille de 1990, et l’eau se voit au fond, au niveau de la douve. Les trous de boulins subsistent, souvent traversants et rayonnants.

74 Cette courtine et ses tours sont réalisées en grès armoricain local de couleur claire, et en appareil très homogène : gros blocs de 0,30-0,40 m sur 0,20 x 0,30 m en assises bien horizontales réglées avec précision à l’aide de petits blocs minces. La sècheresse de 2009 a permis d’observer le mortier de chaux très dur, bien conservé sous le niveau habituel de l’eau de la douve. À son pied, sur 1 m à 1,50 m de hauteur se voit un parement de pierre taluté épais de 0,20 m à 0,30 m qui n’englobe pas les tours. Il fait d’abord penser à une première courtine détruite sur laquelle aurait été assise, légèrement en retrait, celle qu’on voit au-dessus. Mais il ne semble pas que ce soit le cas, il peut s’agir d’un chemisage postérieur ou d’une pratique architecturale destinée à mieux asseoir la courtine. La réponse pourrait venir d’un relevé de bâti après enlèvement des mousses.

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Photo 7 – Château de Domnaiche. Douve sud, courtine et tour semicirculaire

(CL II au centre : x = 307668 y = 2305776)

75 La courtine ouest est un peu plus dégradée et épierrée mais on y repère très bien d’abord la tour rectangulaire précédemment décrite à son angle sud, une autre tour carrée de 7,30 m de côté intérieur, placée à son angle nord et une petite tour de flanquement carrée entre les deux, large de 3,60 m et en saillie de 1,60 m. Comme pour la courtine sud, le mur est bien vertical, sans fruit apparent, mais la présence d’éboulis importants constitués du tout venant des murs délaissé par les récupérateurs, empêche d’être absolument affirmatif.

76 La courtine nord a elle aussi été fortement épierrée, mais elle s’élève encore à plus de 2 m au-dessus de sa douve. Elle commence par la tour carrée précédemment décrite à l’ouest ; au milieu de sa longueur, elle présente aussi une petite tour de flanquement carrée large de 3,50 m et en saillie de 1,70 m. Détail intéressant, elle conserve aussi une gargouille en place, sous laquelle a été fait le petit sondage en 1990. Celle-ci est constituée à l’intérieur d’un orifice de réception des eaux large de 0,75 m, parfaitement ébrasé vers le conduit traversant ; celui-ci débouche à l’extérieur sur la gargouille proprement dite, un bloc monolithe en demi-cylindre de 0,40 m de diamètre. C’est le seul élément de pierre taillé qui n’ait pas été récupéré.

77 À l’est, la courtine se termine par une tour-porte en saillie de 1,50 m par rapport à la courtine est et 1,20 m par rapport à celle du nord. Bien que dégradée et récupérée, elle conserve encore quelques détails parlants.

78 Sa façade est qui mesure 7 m, présente encore un parement soigné, monté au mortier de chaux et conservé sur 1 m au-dessus du fond de la douve, ici surélevé par un empierrement. Dans ce mur vertical, se voient deux aménagements verticaux de section rectangulaire, espacés de 2,30 m. Ils sont larges de 70 cm et profonds de 20 cm. Chacun d’eux comprend deux plus petits logements, l’un vertical et large de 0,30 m à l’intérieur, et l’autre incliné et large de 0,20 m à l’extérieur. Leur espacement est de

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3 m, ce qui, une fois retirés les jambages de la porte, laisse tout de même place à une porte charretière. Ces aménagements soignés étaient visiblement destinés à recevoir les poteaux d’un pont dormant, deux poteaux verticaux, et deux poteaux inclinés à l’extérieur pour contre-buter le garde-corps de la passerelle.

Photo 8 : Château de Domnaiche. Restes de la tour-porte. Rainure de la herse près de la mire

79 Si cette partie frontale du mur de la porte est verticale, le mur en retour qui la relie à la courtine est, tout comme celui du nord, présente lui un fruit très net. Ce mur sud conserve un pan qui s’élève encore à plus de 4 m au-dessus de l’eau ; on y voit le côté complet d’une ouverture ébrasée sans orifice d’artillerie, mais avec l’ébrasement droit d’une archère qui permettait ici de battre la courtine est. Toujours sur le mur sud de cette tour, à l’intérieur de celle-ci et à 1,90 m à l’ouest de l’ébrasement, le mur comprend une rainure verticale de 0,20 m x 0,25 m, par où glissait à une herse. Le mur ouest de la porte a été presque complètement volé et il n’en reste plus qu’un talus couvert de végétation, en saillie.

80 Du mur nord, il reste surtout une partie à l’est : celle-ci est constituée d’un massif soigné, aux angles bien conservés sur 1,20 m de hauteur. Son plan est celui d’un losange de 1 m de côté. Il descend jusqu’au sol visible et jusqu’à l’eau. Ce dispositif implique que la base de la tour n’était pas pleine, que l’eau passait partiellement dessous, et donc que le niveau de circulation de la porte était constitué de madriers. Ce niveau de circulation est confirmé par la base de la glissière de la herse à environ 1,20 m au-dessus du fond de la douve à cet endroit et à 0,70 m sous la base de l’ébrasement de l’archère. Enfin, l’angle nord-est est récupéré mais sa base immergée présente aussi un fruit semblable à l’angle sud-est.

81 En l’absence de fouille, le plan d’ensemble de cette tour-porte n’est pas exactement restituable. On constate bien que la face est, assez bien conservée, mesure 7 m de longueur. Mais vers l’ouest, les récupérations ont été très vigoureuses. La présence d’un bourrelet plus élevé qui comble la douve à cet endroit montre d’ailleurs que par là furent évacués la plupart des matériaux volés. Cependant, des talus qui cachent des murs permettent de soupçonner un plan général rectangulaire long de 10 m et des aménagements peut-être complexes, avec entre autres, un retour en équerre. Il est à noter que sur les éboulis se voient des fragments épais d’ardoises de toiture. En nettoyant ce secteur, pour en faire le relevé pierre à pierre, nous avons trouvé deux fragments de pavement émaillé. Cette tour-porte avec son plan plutôt quadrangulaire, sa herse très en retrait de la porte elle-même, son pont dormant, sa position dans un

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angle du château et non pas au centre d’une courtine, présente un caractère archaïque, en tout cas antérieur aux plans régularisés de type dit philippien. Elle se placerait dans la fourchette 1 200 + ou – 50, pour englober une innovation ou au contraire un archaïsme.

82 La courtine est n’est plus conservée que sur 1 m au-dessus de l’eau ; son parement est vertical et très régulier. Contrairement aux autres, elle ne comprend aucune tour de flanquement intermédiaire. La raison en est peut-être la présence d’une douve plus large au contact de la motte, plus profonde qu’ailleurs en cet endroit, et qui assurait une meilleure défense. À l’occasion du relevé pierre à pierre de cette face, nous avons pu observer la présence d’un puits circulaire, parfaitement appareillé comme le reste du château, englobé dans l’épaisseur de la courtine près de la tour, et qui semble avoir été à la fois ouvert sur la douve, mais aussi accessible pour le puisage par le haut et l’intérieur du château. Ces courtines sont d’épaisseur inégale, 1,50 m au sud, 1,35 m au nord. C’est donc le côté sud qui semblait le mieux défendu, tant par l’épaisseur de son mur que par la présence de tours circulaires.

83 Le matériau utilisé est partout le même grès clair local, celui qui a été utilisé à l’époque gallo-romaine pour constituer l’assise de la chaussée ; aucun élément de schiste – à l’exception d’un bloc d’ardoise épais de 10 cm vu dans les déblais ; mais ne s’agit-il pas de matériau destiné à cliver des ardoises de toiture – ni de grès roussard, n’a été employé dans les parements, mais on a pu observer quelques fragments de schiste ardoisier sur les restes de la tour-porte et sur ceux de la tour carrée du nord-ouest, certainement des restes de toitures. Les éléments visibles dans le parement sont plus ou moins bruts, mais d’un module assez régulier, entre 40 et 20 cm de longueur et 15-20 cm de hauteur. On peut cependant voir quelques blocs atteignant 0,70 m de longueur. Tous les éventuels éléments d’ouvertures ou de courtines plus soignés et sans doute plus importants ont été récupérés. On a vu que le seul élément ouvragé conservé est la gargouille : elle donne une idée de la bonne capacité des constructeurs à tailler la pierre. Leur mise en œuvre comme pour les tours est très soignée, avec des lits réguliers et bien horizontaux, un rattrapage des inégalités d’épaisseur des gros blocs à l’aide de plaquettes minces du même matériau (pour ce que la végétation en laisse voir), des parements parfaitement plans, des joints minces et uniformes au mortier de chaux. Le château ayant servi depuis très longtemps de carrière, nous avons prospecté aux environs de la forêt pour retrouver d’éventuels éléments nobles en remploi.

84 À La Galotière en Lusanger d’abord, manoir siège d’une seigneurie qui succéda pour partie à celle de Sion. Ce n’est pas le cas, au moins pour les éléments taillés, totalement absents de portes, fenêtres ou chaînages d’angles. Le manoir lui-même a été très remanié aux XVIIIe et XIXe siècles, seuls éléments plus anciens visibles, des blocs de schiste bleu de type pierre de Nozay, dont un linteau percé de trous de grille à la porte de la salle, matériau qui n’est exploité qu’à partir du XVe siècle. Communs et chapelle eux non plus ne présentent aucun remploi d’éléments anciens. Plus près encore ont été examinés les bâtiments de ferme des actuels lieux-dits Domnaiche et Launay- Domnaiche, anciennes métairies de la châtellenie de Domnesche au XVIIe siècle, à 500 m et 1 km seulement du château de la forêt. Ils n’ont rien livré, hormis des appareils de grès très homogènes du XIXe siècle. En revanche, à Briangault, la propriétaire nous a dit avoir entendu répéter que sa longère est faite de pierres issues de la ruine. Mais là encore, aucun élément taillé n’est visible.

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85 Enfin, pour ce qui est du liant des maçonneries, il s’agit d’un mortier très dur et très bien conservé, en particulier pour les parties basses en eau. Les relevés de bâti en cours montrent que la mise en œuvre des murs s’est faite par banchées coffrées car l’alignement des moellons est parfait et le mortier colmate en plan les moindres inégalités. Le matériau chaux a donc été abondamment utilisé ; il resterait à déterminer la provenance du calcaire. La présence d’un milieu peu acide est d’ailleurs soulignée dans toute l’enceinte du château de pierre par un véritable tapis de Mercuriale pérenne, plante totalement absente du reste de la forêt, à l’exception d’un îlot près de la chaussée de l’étang, à 200 m de là. L’espace intérieur du château contient des traces visibles de bâtiments sur trois côtés.

86 C’est avant tout une enfilade de bâtiments de pierre appuyés sur la courtine sud. Ses restes sont mieux conservés à l’ouest et presque totalement épierrés à l’est. Elle comprend une première pièce rectangulaire à l’ouest, de 45 m². Puis une autre pièce rectangulaire de 46 m². Ces deux pièces conservent encore des parements en élévation, sur au moins 1 à 1,50 m surtout à l’ouest et une épaisseur sans doute supérieure à 1 m. Cette épaisseur, ainsi que le volume des éboulis abandonnés par les démolisseurs permet de penser que ces deux pièces possédaient deux niveaux. Vers l’est, la suite de l’enfilade de bâtiments ne se voit plus que sous la forme de talus sous lesquels on devine les murs qui prolongent les deux pièces rectangulaires. On voit aussi deux talus espacés de 2,50 m, placés en équerre. Mais toute cette partie sud-est de l’enceinte, a été fortement épierrée et même perturbée assez récemment, comme en témoigne, entre autres, un cratère de 4 m x 2 m. L’interprétation en est difficile.

87 C’est aussi côté ouest un bâtiment long appuyé contre la courtine et dont le mur se lit sous un talus caractéristique. Sa largeur intérieure voisine 4 m. Il ne semblerait pas qu’il y ait eu là d’étage de pierre.

88 Au nord de l’enceinte intérieure des courtines, malgré un épierrement plus fort qu’ailleurs, se devine aussi le mur d’un bâtiment là encore appuyé contre la courtine ; il en reste même un chicot encore en élévation sur 0,50 m. Sa largeur semble la même que celui du bâtiment ouest.

C : la base d’une tour carrée

89 À 5,40 m à l’ouest du château lui-même, séparée de celui-ci par une douve se dresse la base d’un bâtiment carré de 10 m de côté. Ses murs sont très biens conservés sur 1,50 m de hauteur au sud où ils baignent dans l’eau de la douve, bien à l’ouest, peu à l’est et pas du tout au nord. À la base de ces deux dernières faces se voit d’ailleurs un éboulis de destruction. On note aussi à la base de l’angle nord-ouest la présence de deux redans qui peuvent suggérer en cet endroit une architecture un peu plus compliquée. Sur les faces lisibles, on constate que, contrairement aux courtines du reste du château et comme au mur sud de la tour-porte, les murs présentent un fruit notable. Si l’on ajoute à ce détail que les murs mesurent 1,60 m d’épaisseur, il est probable qu’il s’agissait là d’une tour à étages. Aucune ouverture n’est conservée, et on ne sait pas comment se faisait la communication avec le château. On observe seulement qu’un mur large de 1,50 m relie cette tour à la courtine sud du quadrilatère de pierre, mais rien ne dit qu’il ne s’agit pas d’un reste de courtine assurant la continuité du front sud. Sans doute faut- il alors envisager une galerie de liaison haute. Par comparaison avec des édifices connus dans le reste de la France, et qu’on commence à découvrir dans l’ouest, il est

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tentant de penser à une construction de type turris. Elle serait dans ce cas antérieure au château précédemment décrit, ce qui placerait sa construction au XIe siècle ou début XIIe siècle. Mais il n’a été recueilli aucun élément chronologique à l’appui de cette interprétation.

D : les ouvrages de terre au sud et à l’ouest

90 L’intérêt du site du château de Domnaiche tient sans doute à la remarquable conservation des parties bâties en pierre, ainsi qu’à l’originalité de son plan et de son architecture. Mais il tient tout autant à l’exceptionnelle conservation d’importants aménagements de terre environnants sur presque 2 ha, incluant la motte déjà décrite plus haut, mais aussi de vastes ouvrages terroyés.

Les douves et les glacis

91 Par ce terme nous désignons les ouvrages protégeant directement le château de pierre et présentant par leurs dimensions verticales et horizontales un évident aspect défensif.

92 C’est au sud et au sud-est qu’ils présentent les dimensions et les volumes les plus imposants : là le creusement a atteint 15 m de largeur et près de 7 m de dénivelé. Les terres extraites ont permis de créer un talus unique mais très fort, large de 20 m et haut de 3 m par rapport au sol naturel. Sur ce front on constate que le sommet du talus de terre se trouve au niveau conservé des tours circulaires du château de pierre. Ainsi, les archères de celles-ci ne pouvaient-elles battre que la première douve, mais en rien assurer une défense externe et première. Cela signifie que celle-ci – au moins dans une phase tardive – était bien d’abord constituée par les ouvrages de terre qui cernent de tous côtés le château de pierre. Il faut donc imaginer sur ces ouvrages de terre de nombreux équipement de bois sous la forme de palissades ou de tours.

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Figure 16 : Le château de Domnaiche, ouvrages de terre et environnement Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

93 À l’ouest, le château de pierre est défendu par un système complexe et triple : d’abord une douve apparemment sèche au pied même de la courtine, qui a généré un talus dans le prolongement de la tour carrée ; son creusement par rapport au niveau interne du château de pierre est aujourd’hui de 2 m ; il était donc supérieur. Vient ensuite un fossé profond de 3,20 m et large de 10 m protégé par une sorte de basse-cour/glacis rectangulaire de 50 m x 3 m. À l’intérieur de celle-ci sont conservés d’assez forts talus, spécialement dans l’angle sud-est qui forme une masse de terre de 25 m de côté, haute de 4-5 m au-dessus de la douve, et qui pourrait bien avoir constitué un ouvrage défensif. De tous les côtés, cette basse-cour est environnée de douves profondes. Au total, ces ouvrages de défense de l’ouest s’étendent sur 70 m de largeur.

94 Au nord, le château de pierre est défendu par un système assez proche du précédent mais tout de même différent : un fossé, aujourd’hui en eau, large de 7-8 m, contre la courtine nord, puis encore une sorte de basse-cour allongée de 55 m x 18 m bordée à l’intérieur d’un talus assez faible. Vient ensuite une douve de 15 m de largeur, elle- même bordée par un talus rectiligne large de 6 m ; enfin, tout au nord, les eaux de l’étang créé sur le petit cours d’eau. De ce côté nord, les aménagements défensifs se développent sur 50 m de largeur, plus du double si l’on compte les eaux de l’étang. En raison de leur ennoiement actuel par les eaux de l’étang, et en l’absence de barque, il n’a pas été possible de mesurer leur amplitude verticale.

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Figure 17 : Château de Domnaiche Profil nord-sud Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

95 On sait que la chaussée de l’étang a été reconstituée au XXe siècle. On ignore sa hauteur initiale et donc jusqu’où les eaux remontaient à sa queue. Mais on observe que la dérivation du ruisseau qui forme un canal au côté nord du château assure et assurait la mise en eau au moins partielle des douves. De plus, il se peut que des dos d’âne destinés à ennoyer certains secteurs aient existé : le seuil aménagé sous le pont d’accès peut avoir rempli cet office.

Deux enceintes au sud-ouest : basses-cours domestiques ?

96 À l’ouest et au sud-ouest de l’ensemble castral se greffent deux enceintes délimitées par un fossé externe et un talus interne. L’amplitude verticale de ceux-ci s’établit autour de 2 m, soit nettement moins que celles des défenses de terre du château.

97 Celle de l’ouest est la mieux conservée. Elle est limitée au nord par l’étang, à l’est par le glacis/basse-cour du château et enfin au sud et à l’ouest par un talus/fossé propre. Elle forme un rectangle de 50 m d’est en ouest et de 100 m du nord au sud. Sa surface interne ne présente aucun reste apparent de construction de pierre. Mais sa partie sud a été aplanie pour former une plate-forme. Enfin on observe que vers le château, elle n’est bordée que par un imperceptible talus-fossé. Son accès est conservé dans son angle sud-est.

98 Celle du sud-ouest s’appuie au nord sur la précédente. Elle est limitée à l’ouest par un fossé/talus semblable à celui de la précédente. Mais celui-ci s’interrompt au sud, là où commence un peuplement de pins maritimes. Il se peut que cette interruption ne soit pas due à un abandon de projet, mais à des terrassements et nivellement modernes réalisés au bulldozer, préalablement au reboisement. On remarque que du côté de la précédente basse-cour, elle n’est limitée par aucun talus-fossé. Sa superficie était d’au moins 1 ha.

Interprétation et chronologie

99 En l’absence regrettable de fouille, l’une et l’autre se fondent surtout sur des bases morpho-typologiques. Les relevés de bâti en cours devraient cependant permettre de les affiner ; ils doivent se poursuivre et donner lieu à une étude plus fine sur le château de pierre lui-même, associée à une étude de l’histoire de la famille de Sion.

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100 La motte constitue l’élément apparemment le plus ancien de l’ensemble. Les rares fouilles de l’Ouest, et les études historiques, en particulier sur le comté de Rennes, placent leur érection aux XIe siècle et XIIe siècle.

101 La tour carrée appartient à un modèle de construction castrale en pierre très précoce. Nous avançons l’hypothèse d’une construction contemporaine de celle de la motte ou légèrement postérieure.

102 Le château de pierre rectangulaire peut avoir pris la place de la ou des basses-cours initiales de la motte, en les régularisant. Avec sa tour-porte dans un angle, son pont dormant, ses archères simples, l’absence de bouche à feu (conservée ?), son appareil homogène, ses courtines à ressaut basal, il pourrait avoir été construit dans la première moitié du XIIIe siècle. C’est l’époque où, lors d’une donation à Marmoutier, Auffroy de Sion fait mention de son hébergement de Damenesche26.

103 Demeure le problème des ouvrages défensifs terroyés, les grands talus, les douves et les glacis. Comme ils épousent le plan du château de pierre, la logique voudrait qu’ils ne lui soient pas antérieurs, mais contemporains ou légèrement postérieurs. On pourrait bien suggérer la possibilité d’aménagements avancés liés à l’artillerie, mais rien dans la taille ni les aménagements du château ne conforte cette hypothèse. Nous y voyons plutôt des défenses avancées destinées à éloigner du château de pierre d’éventuelles machines de siège, sans doute dotées de palissades et autres défenses de bois, soit immédiatement contemporaines, soit du XIVe siècle, à l’époque de la guerre de Succession de Bretagne. Quant aux basses-cours, modelées sur ces glacis, elles doivent en être contemporaines.

104 De manière plus globale, tout indique que ce château a été abandonné très précocement. On peut d’abord citer deux comptes-rendus de visites du XVIIe siècle qui font état d’un château modeste, fortement ruiné et apparemment sans équipement d’artillerie27. Au XIXe siècle, l’abbé Moisan, écrivait qu’il aurait été détruit au XIVesiècle, en même temps que celui de Sion (« Le Château »)28. Aujourd’hui, beaucoup d’arguments plaident pour cette thèse : aussi bien les données architecturales conservées que le fait que la famille originelle de Sion s’éteint au début du XIVe siècle et qu’aucun seigneur résident n’y est plus jamais mentionné.

Briangault : les vestiges d’un ermitage et d’un prieuré médiéval

105 Briangault est aujourd’hui un lieu-dit à la corne nord du massif de Domnaiche. On y voit un bâtiment de type longère, présent, à peu près à l’identique, sur le cadastre de Sion de 1844. Il faut y ajouter le bois contigu, nommé bois de Briangault, qui s’étend sur environ 10 ha, et forme la pointe nord de la forêt. Mais ce bois se trouve en Sion-les- Mines ; il ne fait partie ni de la forêt, ni de Lusanger, dont il est séparé par une route est-ouest. Cet état de fait ne peut être que le rappel d’une histoire foncière, administrative et territoriale particulière. Et de tels exemples de cornes forestières placées dans des communes différentes du massif principal se rencontrent souvent ailleurs. Pour la forêt de Dommaiche, on pense au bois de Quimper, situé en Saint- Vincent-des-Landes, en pleine continuité de la forêt, qui, elle, se trouve en Lusanger.

106 Mais, si dans la plupart des exemples, comme celui du bois de Quimper, on ne dispose d’aucune source ancienne directe qui permette d’expliquer cette partition territoriale,

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pour Briangault, ce n’est pas le cas. En effet, c’est ce lieu – « locus » – et l’ermite qui y vit – « Gorin » – qui sont donnés à l’abbaye Notre-Dame-de-La-Roë entre 1116 et 1138. La donation initiale est faite par une famille dont le chef Jean porte ce nom de Breil ou Bois Ingaut (« de Nemore Ingaut »), avec ses frères Boter, Bernard et Maercherius ainsi que sa sœur Guerne. Puis le seigneur supérieur Geoffroy de Sion, avec l’accord de ses frères Aufroy et Guillaume, amplifie la donation en donnant des droits de bois et de pâturage dans leur forêt, et des terres communes au sud du massif. Des chevaliers de Brient Bœuf, seigneur d’Issé et Nozay, possessionnés dans ce secteur, ajoutent leurs dons de terres communes. Le but initial est à la fois matériel et spirituel : d’une part, donner une assise de droits, de terres et de revenus au futur prieuré, tant pour sa construction, que pour son entretien et sa vie future ; et d’autre part, afficher la foi des donateurs tout en contribuant au salut de leurs âmes.

Figure 18 : Briangault, prieuré du Breil Ingaut. Topographie du site Sion-les-Mines (Loire-Atlantique)

107 Fondation très originale, puisque c’est un ermitage préexistant, qui est donné avec son ermite, pour être transformé en prieuré. On connaît un certain nombre de tels ermites à la fin du XIe siècle et jusqu’au milieu du XIIe siècle, dans plusieurs secteurs forestiers de Bretagne orientale, de Normandie, du Maine et de l’Anjou occidentaux. Vital de Mortain, Raoul de La Fûtaie, et plus encore Robert d’Arbrissel sont les plus célèbres. Ils constituent une des expressions du bouillonnement spirituel qui accompagne la réforme grégorienne et les cartulaires des abbayes que les plus célèbres ont fondées permettent d’observer leur rôle moteur à Savigny, Notre-Dame-du-Nid-de-Merle et Notre-Dame-de-La Roë. Parmi ces cas bien documentés, se trouve Notre-Dame de Nyoiseau, abbaye de femmes fondée en 1109 près de Segré par l’ermite Salomon, un proche de Robert d’Arbrissel. De la fondation aux années 1140, celui-ci joue un rôle majeur, sorte de co-abbé, tuteur moral et matériel, qui accompagne toutes les donations et les grandes étapes de la mise en place de l’abbaye. Pendant près d’un demi-siècle, on voit aussi que des hommes ermites dispersés dans les forêts voisines, gravitent autour de l’abbaye de femmes, une église leur étant d’ailleurs affectée qui était dédiée à saint Séréné. Pour La Roë, on observe le même phénomène, mais plus brièvement, de la fondation, vers 1096, aux premières années du siècle suivant, car c’est

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là une abbaye d’hommes qui se structure très tôt et qui substitue donc le mode de vie cénobitique à l’érémitisme.

108 Mais au Breil-Ingault, comme dans plusieurs cas de cette époque, on constate que la fondation d’un prieuré peut aussi répondre à un besoin d’encadrement spirituel et territorial pour des communautés paysannes en croissance démographique et en expansion agraire. Ici, la preuve en est donnée à la fin de la pancarte, lorsqu’on voit que le Breil-Ingault se dote d’un cimetière, d’une église et de son autel que vient consacrer l’évêque de Nantes Bernard entre 1148 et 116929. En effet, un cimetière, une église, un autel, constituent plus que l’équipement d’un simple prieuré, ce sont les infrastructures de base d’une paroisse rurale en cours de fixation ; on doit parler ici de tentative de création d’un prieuré-cure. Comme pour tous les cas semblables que nous pouvons observer dans les régions comparables déjà citées, le lieu choisi se situe dans une zone forestière et intercalaire, jusque là non équipée, mais où une certaine conquête agraire est jugée possible, à égale distance de quatre centres paroissiaux préexistants, Lusanger (4 km), Sion (5 km), Saint-Aubin-des-Châteaux (5 km) et Saint-Vincent-des-Landes (5 km). En 1248, Aufroy de Sion procède de nouveau à d’importantes donations, cette fois-ci pour doter une chapelle proche de son hébergement de Damnesche, située dans son fief d’Herbert Marie (sans doute aujourd’hui Le Breil-Herbert en Saint-Aubin). Il en fait don à Marmoutier, demandant en contrepartie qu’un moine y soit affecté, soit résidant sur place, soit vivant à Sion, avec le moine de ce prieuré dépendant de Marmoutier30. Il ne semble pas que cette nouvelle tentative, elle aussi proche de la forêt, ait réussi, car on ne parle pas par la suite de cette chapelle. Pas plus qu’on n’avait réussi avec Notre-Dame-de-la-Forêt donnée à Marmoutier avant le début du XIIe siècle, pas plus qu’on ne réussira plus tard en donnant Coëtoux à l’abbaye de Saint-Supice-la- Forêt. Sans doute a-t-on trop présumé des capacités agraires de ces sols ingrats, et de la dynamique humaine dans un secteur à la fois intercalaire et périphérique.

Photo 9 : Briangault. Labours en billons fossilisés

Site non classé MH, non inscrit ISHM, non répertorié au SRA CL II emplacement de la chapelle : x = 308854 y = 2307338

109 Le cadastre de 1844 nous a servi de base à la prospection. On y observe tout un ensemble de parcelles et de micro-toponymes qui renvoient tous au Breil-Ingaut : le Breil-de-Briangaud, bois taillis de 6 ha 88 a, le bois de la Chapelle, une lande nommée pièce du bois de la Chapelle, un terre nommée la pièce du bois de la Chapelle et surtout, un petit bâtiment de forme carrée, d’environ 10 m de côté, la chapelle de Briangaud.

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110 Sur le terrain, c’est la parcelle H885, celle à l’intérieur de laquelle se trouve la chapelle (H886) sur le plan, qui retient le plus l’attention. Sa limite à l’ouest et au sud-ouest décrit un grand arc de cercle long de 200 m, puis tourne à angle droit vers le sud en se prolongeant en ligne droite sur 150 m, jusqu’au carrefour. Or cette limite ne consiste pas en un simple système fossé/talus classique. Il s’agit d’un fort fossé, profond de 1,20 m à l’endroit où a été levé un profil, plus en d’autres, et ce malgré l’accumulation des feuilles et de l’humus. De chaque côté, il est encadré par deux talus parallèles – ce qu’on ne voit pas ailleurs –, un seul pour le bras sud, La structure atteint 10-11 m de largeur.

111 Partout à l’intérieur, sauf dans un petit secteur au nord-est, trop pentu et rocheux, sous une chênaie dont les plus anciens sujets atteignent 200 ans, et, sur une surface qui dépasse au total 2 ha, se voient des billons fossilisés. Espacés très régulièrement de 3,50 m, hauts de 0,20 m à 0,30 m, orientés sud-nord, perpendiculairement à la pente, ils forment un moutonnement étonnant, encore plus visible en lumière rasante, le soir ou le matin. Au centre de l’arc, plus trace de chapelle, mais à 50 m à l’intérieur, le relief s’élève et forme une sorte de plate-forme orientée est-ouest, de 35 m sur 20 m. Il s’agit d’un petit pointement rocheux naturel aménagé : ses bords sont constitués de gros blocs de quartzite allant de 1 m à 1,80 m, certains peut-être en place, mais la majorité déplacés, pour permettre l’aménagement d’une terrasse surélevée de 1 à 2 m ; au pied sud de celle-ci, se dresse un petit monticule de pierres très fruste, haut de 1,50 m, en forme de pyramide, avec une petite niche au centre et au sommet une croix de ciment. Derrière, un arbre ornemental à fleurs rouges.

112 Ce très modeste oratoire montre qu’on se trouve là au cœur d’un lieu de culte discret sans doute, mais toujours actif, témoin d’une pratique religieuse vieille de plusieurs siècles. En effet, la superposition des photos satelllitaires, du cadastre moderne et du plan napoléonien permet de localiser la chapelle de 1844 exactement au nord de cet oratoire, sur la plate-forme aménagée. Au XIXe siècle, elle était dédiée à saint Laurent et on y venait en pèlerinage pour obtenir la guérison des furoncles, en déposant des poignées de clous de fer. Sa destruction date de la fin du XIXe siècle et, à son emplacement fut posée une statue de saint Antoine, où, jusqu’au début du XXe siècle, on conduisait les enfants qui tardaient à marcher 31. Cette chapelle faisait suite à un précédent lieu de culte reconstruit au XVIIIe siècle et béni en 1760. L’âge des plus vieux chênes de cette parcelle H885, implique que les labours en planches qu’ils fossilisent ont été abandonnés autour de 1800. Or, cette datation correspond parfaitement à une notation de l’abbé Moisan selon lequel, jusqu’en 1774, il existait un village encore habité près de la chapelle. La suppression de l’assemblée du 10 août à la fête de saint Laurent, en raison de « batteries » – il y eut un mort – amena l’abandon et la destruction du village. Il note la présence de quelques ruines d’anciennes constructions32. Nous n’en avons pas trouvé trace.

113 En revanche, il se peut que les 3 ou 4 petites carrières visibles aujourd’hui à moins de 50 m de l’emplacement de la chapelle, aient été creusées pour ces constructions. Cela explique en tout cas pourquoi tout le pourtour de la chapelle porte des labours fossiles. Le fait peut d’ailleurs étonner, car ils se situent sur une pente exposée plein nord, a priori peu favorable à la culture. Mais on doit penser que cet environnement fossilisé ne constitue qu’une partie de l’enclos initial : la forme du talus implique que celui-ci se prolongeait au nord et à l’est sur une superficie nettement plus grande. C’est en tout cas un environnement et un paysage bien différents de ceux d’aujourd’hui qu’il faut

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envisager pour la chapelle de ce XVIIIe siècle, un paysage beaucoup plus ouvert de type clairière au sud, à l’ouest, et au nord, fermé aussi de ce côté par d’autre bois. On n’en a pas la preuve écrite, mais il y a toutes les chances pour que la reconstruction se soit faite sur les fondations de la chapelle précédente où des mariages sont attestés en 1674 et 168633.

114 Remontant ainsi le temps, nous ne sommes plus qu’à cinq siècles et demi de la fondation initiale et de l’ermitage de Gorin. Si les traces de labours visibles ne datent que de la fin du XVIIIe siècle, il est en revanche vraisemblable que le fossé-talus si particulier de ce bois de la Chapelle fut établi dès le XIIe siècle, pour délimiter l’espace proche du prieuré autour de la chapelle, et que ces billons fossilisés perpétuent une pratique du Moyen Âge. La présence d’un desservant de l’église, implique la présence de familiers, et la nécessité de cultiver pour se nourrir, voire aussi pour subvenir à l’entretien du lieu de culte. Enfin, la prospection a livré une dernière information sur l’activité ancienne du lieu, sous la forme de deux ferriers. Le premier de petite taille (10 m x 5 m et 1 m de haut), à l’intérieur même de l’enclos, se superpose aux billons qui le contournent et lui sont donc postérieurs. Le second à 150 m au sud, certes beaucoup moins important que ceux du bois de Quimper ou de la ligne coupe-feu, mesure cependant 50 m sur 20 m pour une hauteur maximale de 1 m. C’est le témoignage de l’activité de bas-fourneaux dans l’environnement immédiat et même dans l’enclos du prieuré. Sans fouille, on ne peut bien sûr les dater. Cependant, on ne saurait manquer de rappeler qu’en 1226, Aufroy de Sion donne à ce prieuré le droit de faire fonctionner une forge dans sa forêt de Domnaiche. Nous avons montré ailleurs que, si les seigneurs sont les premiers acteurs et bénéficiaires de la métallurgie du fer de cette époque, certains établissements religieux, et spécialement l’abbaye de La Roë pour cette région, pouvaient aussi s’y intéresser de près34.

115 Au vu de toutes ces observations et données textuelles, il apparaît bien que le choix du site, en lisière de la forêt de Domnaiche n’a rien de fortuit. Le toponyme même évoque doublement un site écarté et forestier : le Breil, partie de bois ou forêt réservée pour la chasse au Moyen Âge, et Ingault, dérivé de Wald, la forêt en germanique. C’est donc le breil dans la forêt. Situé à une lieue de tout centre paroissial, dans un lieu sauvage, environné de la forêt et des bois, enfermé et même cloîtré dans son enclos de terre, dominé par le chaos minéral des rochers entassés, tout en fait le lieu idéal pour implanter un ermitage puis y dresser la chapelle d’un prieuré !

Des aménagements agraires et hydrauliques, des parcellaires et des chemins anciens fossilisés

Un grand parcellaire cultivé et irrigué en aval de l’étang du château (Figure 19)

116 Le petit canal qui fait office de seconde douve au nord du château et qui longe l’étang actuel est tout à fait artificiel ; à l’origine, il se trouvait peut-être au-dessus du niveau de l’étang primitif, et il dérivait les eaux du ruisseau. C’est toujours le cas aujourd’hui. Mais vers où et pourquoi ?

117 On peut le suivre presque parfaitement conservé sur 750 m en aval de la chaussée de l’étang, toujours contenu par un talus qui décrit une large courbe, placé à environ 2 m

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au-dessus du fond du thalveg, et suivant une pente très régulière. Nous avons d’abord pensé qu’il pouvait alimenter un moulin en aval. Mais rien de cet ordre n’a été découvert. Par ailleurs, cet ensemble talus-fossé, d’une taille supérieure à celle des talus-fossés agraires modernes, finit par rejoindre le thalweg et le ruisseau primitif qui suit la lisière, à 100 m à l’est de la Salmonnière.

Figure 19 Aménagements agraires en lisière nord. Forêt de Domnaiche Lusanger (Loire-Atlantique)

118 Le fossé et la lisière délimitent ainsi une très longue parcelle de forêt d’environ 12 ha au faciès bien particulier. D’abord par son peuplement arboré constitué d’une très grande majorité de bouleaux et de grosses touffes de noisetiers, avec ici et là, quelques chênes épars et de rares châtaigniers. Dans le sens de sa longueur, d’est en ouest, la parcelle est divisée en deux par un talus très doux de 30 à 40 cm de hauteur et sans fossé, conservé sur presque toute la longueur et qui suit lui aussi une pente très régulière. La parcelle la plus élevée, donc la plus proche du canal présente un sol plat, sans aménagement. Ce n’est pas le cas de la seconde, la plus basse, qui est elle, totalement occupée par des ados ou billons fossilisés, espacés exactement de 3,50 m (dix pieds ?) orientés nord-sud, et en légère pente vers le fossé de la lisière. Cette dernière organisation si particulière ne peut s’expliquer autrement que par la présence ancienne d’une zone de cultures, les ados étant destinés à favoriser l’évacuation des eaux, le réchauffement de la terre et une pousse plus rapide.

119 Mais on est amené en même temps à supposer que le canal qui circule au-dessus était destiné à irriguer les fossés de ces billons bien sûr, ainsi que la parcelle plane, peut-être vouée à l’herbe. Il faut avouer qu’un tel usage n’est pas connu pour la région dans les textes anciens, et qu’il est impossible de dire à quelles cultures on le destinait. Mais on sait que l’on arrosait autrefois des prés dans certaines régions de Bretagne, pour produire des regains35. En moyenne montagne, la pratique était encore fréquente, il y a peu. Une dernière observation doit être mentionnée dont on ne sait pas s’il faut la mettre en rapport direct avec le canal ou avec l’étang : au pied sud de la digue actuelle, juste sous le canal, se voient des restes d’au moins trois plates-formes indiscutablement aménagées car elles rompent la pente. On y note même deux îlots de Mercuriale pérenne, plante totalement absente du reste de la forêt, hormis à l’intérieur du château de pierre où on a vu qu’elle abonde. Cette plante calcicole semble pour nos régions très inféodée à des milieux ayant reçu des apports de calcaire artificiels, grâce à la

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dégradation du mortier de chaux pour le château. Dans ce dernier cas, la plante constitue un indice de ruine maçonnée sous l’humus. Dans l’hypothèse très recevable de bâtiments à cet emplacement, deux possibilités sont à envisager : soit les restes d’un moulin auquel on doit forcément penser dans le cas d’un étang médiéval, et de plus sur un site castral, mais malheureusement, il n’est jamais mentionné dans les textes ; soit les restes de constructions liées au canal, à son contrôle ou à son exploitation. On ne saurait trancher.

120 La datation de cet ensemble agraire fossilisé n’apparaît pas d’emblée. Deux indices incitent cependant à faire remonter sa création à plusieurs siècles : d’abord son absence de délimitation sur le cadastre de 1844 où il est fondu dans la section C, feuille unique de la forêt ; ensuite, le fait que depuis son captage, ce canal fait partie intégrante des équipements mêmes du château, alimentant en eau sa large douve nord. Tous ces aménagements ont été mis en place en aval de l’étang, du château et de ses basses- cours. Ils semblent bien former avec ceux-ci un tout cohérent et leur être contemporains. Ce qui pourrait en faire des terres cultivées à proximité immédiate du château, par les dépendants vivant dans les basses-cours. Enfin, il est certain que cette grande parcelle exploitée, irriguée, cultivée, était par nature hors de la forêt : la preuve en est l’absence totale de talus le long du ruisseau qui forme actuellement la lisière nord en ce secteur de forêt. Acontrario, il est évident que le canal, et son gros talus maître, constituaient « autrefois » la limite de ce secteur nord de la forêt, avant que celle-ci ne reconquière la parcelle aménagée. On en a confirmation sur le plan de 1756, où le tracé de la lisière correspond nettement à ce gros talus-fossé.

En lisière, des éléments de parcellaire fossilisés

121 Cette prospection n’a pas été menée sur toute la périphérie de la forêt ; les travaux réalisés après l’incendie de 1976 la rendant inutile dans beaucoup de secteurs. Il a cependant été possible d’y repérer des talus ou champs fossilisés, en particulier sur la lisière nord-ouest moins touchée.

122 La butte des Moulins, où se trouve la Pierre de Hochu est un premier exemple avec plusieurs talus-fossés, certains cadastrés, d’autres non, et donc probablement plus anciens. Ils se greffent dans leur partie sud sur un très vieux chemin creux est-ouest qui se dirige exactement au sud de la ferme de L’Ennerie. Mais il vient buter sur la lisière et on n’en voit pas trace hors de la forêt, pas plus que sur le cadastre napoléonien.

123 De même, sur la lisière nord, au niveau de La Salmonnière, existe un champ rectangulaire de 85 m x 47 m pris dans le massif, bordé par un talus classique sur trois côtés. Au nord, au lieu de se refermer, le talus se développe vers l’ouest sur 200 m, à 22 m de la lisière actuelle et vient mourir sur un redan nord sud de la lisière. Rien de cela n’est cadastré en 1844, ni au XXe siècle.

124 Dans la corne proche de Launay-Domnaiche se voient aussi des mares et quelques talus internes non cadastrés, donc très antérieurs à 1844. Enfin, un peu à l’est de La Cibotière, existent de grandes parcelles, dont une occupée sur toute sa surface par des billons bien conservés. Là encore, aucun indice ne permet de remonter à plus d’un siècle et demi – l’âge des plus vieux chênes – et il est impossible de choisir une datation entre le Moyen Âge ou l’époque moderne, même si cette dernière paraît ici plus vraisemblable.

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À cela doivent bien sûr être ajoutés les éléments de parcellaire ancien décrits plus haut près de La Salmonnière et à Briangault.

125 De manière générale, ces anciens parcellaires aujourd’hui inclus sous le couvert forestier montrent que la lisière n’a jamais été complètement figée. Ils sont les témoins en terre de la pulsation séculaire du massif, avec des phases de contraction lors de petits défrichements, puis des phases de reconquête de l’arbre, le tout étant à placer dans une fourchette séculaire très large, mais bien antérieure à 1844.

126 L’examen de la carte et des grandes lignes du paysage montre que certaines conquêtes agraires anciennes de plus grande ampleur que quelques champs, n’ont pas été reprises par la forêt : on en voit deux ensembles très nets plutôt à l’ouest, en direction de Lusanger. D’abord le secteur de L’Ennerie qui décrit un arc de cercle de 500 m de rayon, comme une morsure de chenille dans une feuille. Et puis le triangle qui va de Launay- Domnaiche à La Salmonnière pour s’enfoncer dans la forêt comme un coin de bûcheron, jusqu’à l’étang du château. L’un et l’autre témoignent d’opérations d’une certaine envergure un peu plus anciennes, attribuables au Moyen Âge central, si on se fie aux toponymes de L’Ennerie, La Salmonière, Launay. On peut enfin observer que beaucoup de ces empiètements agraires anciens sur la forêt se trouvent en lisière nord et nord- ouest, soit en direction de Sion, le siège de la seigneurie médiévale initiale. On n’en observe guère au sud et à l’est. Dans ces secteurs, les franges de la forêt ont sans doute été figées antérieurement, à l’occasion de semi-défrichements issus du haut Moyen Âge. Sur ces marges existait une large bande tampon d’environ 500 m de profondeur occupée par des landes dont on a vu qu’elles sont citées dès le XIIe siècle. Elles allaient de Briangault jusqu’à la corne sud-est, désignées sur le plan de 1756 comme « lande enclose par M. de Grandville » ou « landes du Sauzay », et encore nommées landes de Briangord en 1844 ; elles occupaient tout l’espace au sud de la forêt entre la lisière et Couëtoux, nommées landes tout court en 1756 et landes de Couëtoux sur le plan de Lusanger de 1844. La proximité immédiate du bois de Bourru à moins d’1 km au sud, permet de penser que ce sont bien des landes secondaires issues d’une dégradation volontaire de la forêt par l’homme, qui coupa un grand massif primitif en deux.

Les chemins dans la forêt

127 Pour comprendre la genèse des chemins de la forêt, il est nécessaire de confronter la carte des lignes d’exploitation actuelles au plan de 1756 et à celui que fournit le cadastre de 1844, puis de prospecter pour trouver les itinéraires les plus anciens.

128 En premier lieu, on observe que sur le plan de 1756, ne sont portés que trois itinéraires : le « chemin ferré » attribué aux Romains avec un tracé bien rectiligne, puis un chemin sinueux nord-sud nommé « le chemin marchand », et le chemin limite entre la forêt de Domnaiche et le bois de Quimper qui ne porte pas de nom, et lui aussi sinueux. L’actuel réseau de lignes forestières orthogonales n’existe pas. A l’ouest, un autre chemin nord- sud nommé le « Pas chevalier » forme la lisière ; il est bordé à l’ouest par des pièces de terre.

129 Sur le plan de 1844, apparaissent des changements considérables. De grandes lignes forestières orthogonales ont été ouvertes. Ce sont les plus importantes aujourd’hui conservées : Grande Ligne, Ligne de Domnaiche, Ligne Neuve, Ligne Blanche… En lisière sud, ont été construits deux pavillons de même taille, disposés face à la route, de part et d’autre de l’entrée de La Grande-Ligne. Leur symétrie est encore accentuée par le four à

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l’est et un petit édifice de même taille à l’ouest. À l’évidence, cette disposition s’inscrit dans l’esprit des pavillons d’accueil de l’Ancien Régime, placés symétriquement à l’entrée des châteaux ou allées principales des grandes propriétés : on a voulu souligner ici l’accès à La Grande-Ligne et au haut-fourneau de La Hunaudière, à 4,5 km au nord. Cet aménagement, comme le réseau orthogonal et « rationnel » du massif, a très probablement été mis en place à la fin du XVIIIe siècle, à l’époque du prince de Condé, après le levé du plan de 1756.

130 Enfin, en comparant les états de 1844 et 2010, on remarque que la trame des chemins a été sensiblement modifiée. Sans doute, les grands axes demeurent-ils identiques : La Grande-Ligne d’abord, cette épine dorsale qui relie en ligne droite La Cibotière à la forge de La Hunaudière, et aussi la majorité des grandes lignes (de Domnaiche, Ligne- Neuve, Ligne-Blanche…). Mais on observe aussi la création de lignes secondaires dans la partie centrale, destinées à subdiviser les parcelles. De plus, la forêt est maintenant traversée par un grand coupe-feu large de 50 m et long de 2 km. Et, accessoirement, l’étang de Domnaiche a été remis en eau. Tous ces travaux sont bien sûr consécutifs au grand incendie de 1976.

131 Mais l’étude conjointe des plans de 1756 et de 1844 permet de remonter plus loin. Sur l’un et l’autre apparaissent en effet plusieurs chemins totalement différents du réseau actuel. Ils sont au nombre de quatre et se signalent par leur discordance par rapport aux voies orthogonales, par des tracés toujours plus ou moins sinueux ainsi que par une orientation nord-sud.

132 Le premier, qui n’est pas figuré en 1756, traverse le massif à 300 m à l’est de L’Ennerie. Aucun texte ou information ancienne ne peut lui être rattaché. On peut seulement constater qu’il met l’arc de défrichement de L’Ennerie en relation avec le nord en direction de Sion, siège de la seigneurie médiévale. Il existe toujours aujourd’hui, sinueux, discret, et cependant porté sur la carte IGN.

133 Le second, seulement tracé en 1844, se trouve au niveau de La Salmonnière d’où il part, et se prolonge sur quelques centaines de mètres vers le sud dans la forêt. Il n’a pas été vu sur le terrain.

134 Le plus important traverse la forêt du nord au sud dans sa partie centrale. En 1756, il est nommé « le chemin marchand » et même tracé au sud, hors de la forêt, passant à l’est de Couëtoux. Au nord, il débouche vers l’emplacement du château de Domnaiche – mais celui-ci n’est pas figuré- et longe ensuite la lisière vers Launay (de Domnaiche). Sur le plan de 1844, son tracé est plus précis ; il commence à la lisière sud, à 500 m à l’est de La Cibotière ; puis il se poursuit en continu en suivant un axe général nord/ nord- ouest agrémenté de nombreuses sinuosités ; il passe près de la motte de Domnaiche puis remonte le plateau et s’arrête en lisière entre Domnaiche et Launay- Domnaiche. Sur le terrain, il a été possible de l’identifier sur trois tronçons bien distincts. Le premier à l’entrée sud de la forêt, mesure 300 m et c’est le plus net car là il se présente sous la forme d’une belle structure – trop belle et trop fraîche pour être très ancienne – large de 11,50 m comprenant une chaussée de 6 m, très légèrement bombée, bordée de légers fossés, puis de deux beaux talus hauts de 0,80 m. Ensuite, il se perd sur 250 m. Il semble alors réapparaître, mais sous une forme très différente qui se résume à une ligne en creux souvent étroite, qui se dédouble parfois, et qui est toujours dépourvue de fossés et de talus. Très vite, il disparaît jusqu’au ferrier de La Grande- Ligne. Puis, on le retrouve au-delà de cette ligne, discret, fuyant, toujours en creux de 0,30 m à 0,40 m, sans fossé ni talus, parfois large de 6 m, mais souvent moins, se

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dédoublant souvent pour former des sortes de fuseaux avec de petits terres-pleins intermédiaires. Il se poursuit ainsi sur 300 m jusqu’à la motte et donc à l’entrée du château. Là il se fond dans un ensemble de cheminements en creux séparés de terre- plein nombreux et confus. Au-delà, la zone humide de la queue de l’étang complique et perturbe la lecture. Enfin, jusqu’à la lisière proche de Launay-Domnaiche nous n’avons pas eu l’occasion de le rechercher.

135 Il s’agit là d’un chemin axial et important dans la seigneurie de Sion des XIIe et XIIIe siècle. Celle-ci avait en effet son siège et château majeur au lieu-dit « Le Château », sur la Chère, à 4 km au nord du massif. Ce siège de seigneurie était relié à sa forêt de Domnaiche par un chemin conservé en limite de Sion et Lusanger sur près de 3 km. Il entrait dans la forêt au niveau de Launay-Domnaiche et continuait dans la forêt sous la forme fossilisée que nous décrivons ici. Il constituait ainsi pour les seigneurs un accès direct à leur forêt, élément dont on sait l’importance majeure dans les seigneuries médiévales. En même temps, il permettait l’accès au château de la forêt, lieu dont l’inventaire a montré qu’il était plus qu’une résidence secondaire, mais plutôt un lieu comparable à ce que fut le château de Vioreau pour les seigneurs de Châteaubriant. Et puis vers le sud, le chemin menait entre autres à l’abbaye de Couëtoux, prieuré qui ne peut avoir été créé et confié à l’abbaye de femmes de Saint-Sulpice-la-Forêt, sans l’assentiment et le contrôle des seigneurs de Sion, au cours du XIIe siècle ou XIIIe siècle.

136 De ce tracé, nous retenons comme vraiment « anciens » et pour tout dire médiévaux, les tronçons les plus ténus, en creux, souvent étroits et sans aménagement de talus ou fossés. Plus qu’un chemin, il faut y voir un cheminement en négatif, résultat du simple passage répété des hommes et des animaux, sans terrassement ni aménagement préalable, et bien sûr sans nulle intervention de l’arpenteur ou de la science gromatique. On est ici dans une toute autre époque et une toute autre culture que celle de la voie antique qu’il coupe au milieu de la forêt, mais dans une zone malheureusement perturbée.

137 Un dernier chemin, que l’on voit aussi en 1756 et 1844, traverse la forêt de part en part, mais plus à l’est. Visible sur toute sa longueur, son tracé sert doublement de limite, d’une part, entre la forêt de Domnaiche et le bois de Quimper, et, en même temps, entre Lusanger et Saint-Vincent-des-Landes. Pour ses deux tiers sud, il est aujourd’hui longé par une ligne recalibrée après 1756 ; et dans ce secteur, son unique talus-fossé bordier présente un profil assez frais, encore redressé, avec une amplitude de 1 m qu’on pourrait attribuer à des curages récents, aux XIXe et XXe siècles. Pour mieux retrouver son état initial, il faut donc chercher ailleurs. Heureusement, dans son tiers nord, il décrit une large courbe, ce qui fait qu’en cet endroit, la ligne forestière actuelle l’épargne en s’en écartant nettement, pour suive son tracé rectiligne. Il s’imposait alors d’aller observer in situ ce tronçon de 750 m abandonné depuis deux siècles. A ses deux extrémités, la structure est bien visible, talus côté forêt de Domnaiche et fossé côté Bois de Quimper, avec des formes plus douces et une amplitude de 0,60 m seulement. Quant au chemin, tracé côté bois de Quimper sur les cartes, il ne se distingue pratiquement pas : le fossé en tenait probablement lieu, un peu comme on a pu l’observer plus haut sur les autres chemins médiévaux. Et puis on constate que dans la partie centrale du tronçon, sur une longueur de 150-200 mètres, le fossé-talus disparaît. Le fait resterait inexpliqué si on ne voyait pas que c’est justement dans ce secteur que s’étend le grand ferrier n° 2 de la Ligne coupe-feu : les monceaux de scories ont scellé le fossé-talus et celui-ci a été arasé et comblé à la périphérie, sans doute pour permettre la circulation

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des férons. Comme on le verra un peu plus loin, c’est là une observation stratigraphique fort intéressante pour dater le ferrier.

138 D’autre part, on a vu que l’examen serré des limites assignées aux terres données lors de la fondation initiale du Breil-Ingault au XIIe siècle, malgré le flou des textes de l’époque, fournit des limites précises ; que les landes et terres communes longent la lisière est et qu’elles vont de la Bœufferie (Boeria) à la chaussée antique (« calciata »). Sept siècles plus tard, en 1844, le cadastre de Saint-Aubin les nomme justement toujours landes de « Briangord ». Or l’acte précise aussi que les donations sont limitées par les bornes du château (« de sua communi terra per viam que dicitur Boeria usque admetas castelli »).

139 Pensant à des bornes de pierre, ou plus simplement à des arbres ou des rochers remarquables – limites qu’on rencontre dans les chartes de ce type au XIIe siècle – il nous a longtemps semblé vain de chercher à les retrouver. Mais les textes et le terrain s’éclairant de plus en plus, il est apparu peu à peu, et dans un premier temps, que les bornes du château ne pouvaient désigner autre chose que ce talus limite : le « castellum », c’est celui des Sion (sans doute pas celui de Domnaiche mais plutôt celui de la Chère), les « metas », ce sont celles du domaine propre de ces seigneurs et donc ici celles de leur forêt. Pouvait-on créer limite à la fois plus évidente et plus indéplaçable qu’un talus ? Délimitation foncière et seigneuriale longée par un chemin, ancré dans les esprits et dans le paysage sur 1,5 km, dès le début XIIe siècle, ce talus a aussi été très naturellement utilisé comme limite paroissiale. C’est aujourd’hui encore l’explication de sa double fonction : séparation entre une forêt et un bois pourtant contigus, et limite entre deux communes (Figure 8). L’examen de la carte de la forêt dressée en 1756 nous a permis d’aller plus loin encore : en effet, la limite entre la forêt et le bois de Quimper y est tracée sous la forme d’un chemin figuré par un trait double. Mais en plus, et exactement le long de ce chemin et côté forêt, sont portés dix sept C que la légende désigne comme des « pierres plantées qu’on croit estre des bornes ». S’agit-il là des « metas castelli » mentionnées au XIIe siècle ? Très probablement, ou au moins leurs remplaçantes, et cela implique que ces bornes du château consistaient d’une part en un chemin et un fort talus, mais aussi en véritables bornes de pierre plantées sur celui-ci. Nous avons bien sûr rêvé de retrouver certaines d’entre elles. Mais, la prospection attentive menée en 2010 le long de ce talus-fossé s’est avérée vaine. La raison peut tenir à des déplacements, mais aussi à leur abandon, leur chute puis leur recouvrement par l’humus forestier.

140 La datation ainsi proposée pour ce talus limite, permet d’aller encore plus loin dans la chronologie relative de la forêt. En effet, dès le moment où un ferrier – le n° 2- recouvre cette limite et la scelle, il ne peut que lui être postérieur. Que ce soit de quelques décennies ou de quelques siècles, cela fournit un jalon précieux pour la datation de ces monceaux de scories et de l’activité des bas-fourneaux qui les ont produites : ceux-ci n’ont pu fonctionner qu’entre XIIe siècle et XVe-XVIe siècles. Rappelons aussi que, la chaussée de laitier décrite plus haut, et qui a servi à évacuer les scories de ce ferrier se place encore après.

141 De cette étude des chemins médiévaux ou issus du Moyen Âge, on retiendra leur modestie et leur quasi absence de structure par rapport à l’Antiquité. On remarquera aussi leur direction nord-sud, totalement discordante par rapport à celle de la voie romaine. C’est que la logique des flux humains et donc des voies ne s’inscrivait plus du tout dans les mêmes territoires : axée sur le château siège d’une petite seigneurie au XIIe

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siècle, elle s’inscrivait dans le cadre beaucoup plus large des cités et de l’Empire à l’époque gallo-romaine. La chaussée antique mène à Rome, le chemin médiéval au château ou à l’église.

142 Une fois encore, il a pu être démontré que la forêt constitue un remarquable conservatoire archéologique, à la condition qu’on y entre, qu’on y marche et qu’on y cherche assidûment toutes les traces que l’homme a pu y laisser.

143 À l’origine simple exercice de prospection et d’inventaire, conçu comme une mise à l’épreuve dans le détail d’un article consacré au fer en 2007, cette recherche sur la forêt de Domnaiche s’est révélée très productive (figure 3). Elle a d’abord permis de décrire dans le détail tant par l’écrit que par les relevés, plusieurs sites connus mais qui n’avaient été présentés jusque là que de manière trop générale : la pierre de Hochu et le château de Domnaiche sont dans ce cas, avec des relevés de détail qui dépassent le seul mégalithe et le seul château de pierre, mais qui incluent leur environnement. Les ferriers n’avaient jamais été localisés avec précision et encore moins relevés : on en connaît maintenant l’extension exacte ainsi que le nombre, même si quelques petits amas ont forcément échappé à la prospection. Leur volume étant estimé en dizaines de milliers de m3, on peut maintenant mieux mesurer le poids de la métallurgie ancienne dans ce massif. Une voie romaine était soupçonnée depuis le XVIIIe siècle et on en parle depuis le XIXe siècle, mais sans jamais la chercher réellement sur le terrain. La prospection systématique a permis de la décrire, d’en cartographier le tracé sur la quasi-totalité du massif, et d’en lever des profils. Jamais non plus on n’avait cherché à filtrer les textes médiévaux pour en trouver des mentions. Â cela s’ajoutent de vraies découvertes, d’abord une enceinte de terre « ancienne », puis des parcellaires et aménagements agraires eux aussi « anciens » tous en lisière ; des chemins médiévaux sans doute peu transformés. Et plus encore l’émouvant environnement de Briangault, ermitage-prieuré fondé au XIIe siècle, en partie fossilisé par la forêt et bien documenté par les textes. De manière générale, on ne soupçonnait pas que le paysage de la forêt ait pu receler tant de vestiges et fluctuer à ce point avant 2010, et avant le grand incendie de 1976.

144 Bien sûr, un tel inventaire, s’il fournit un état des lieux de la surface du sous-bois, ne répond pas toujours aux questions de chronologie. Et on dira toujours que sans fouille on ne date jamais précisément un site. Mais, ici, c’est la forêt entière qui constitue un ensemble archéologique, et elle ne sera jamais fouillée dans sa totalité. Il faut donc s’en tenir aux datations relatives obtenues par des moyens autres. Comme en archéologie de fouille, comme en archéologie du bâti, il existe une stratigraphie du paysage et de la forêt, qui permet des datations relatives : d’abord à partir d’une relecture serrée des textes médiévaux, confrontée aux données réelles observées in situ et replacées sur les plans les plus anciens. Ainsi, il a été possible de comprendre que les anciennes landes de la lisière au sud et à l’est, sortaient du XIe siècle et sans doute du haut Moyen Âge, de comprendre que le talus qui sépare la forêt de Domnaiche du bois de Quimper remonte au moins au XIIe siècle.

145 Mais aussi grâce à une étude attentive de la superposition ou de l’intersection des éléments conservés : c’est en voyant que le ferrier de la ligne coupe-feu scelle le grand talus-limite précédent qu’on a pu le caler entre le XIIe siècle, et avant le XVe-XVIe siècle ;

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en cartographiant ferriers et chemins, qu’on est arrivé à la même conclusion ; ou en considérant l’âge des chênes qui poussent aujourd’hui sur des parcelles en billons qu’on a pu faire remonter ces derniers au moins au XVIIIe siècle ; de même on peut conclure que des talus et parcelles inclus dans la forêt et qui ne figurent pas en 1756 ou en 1844, risquent d’être antérieurs.

146 Mais il demeure souvent impossible de dater certaines structures : on a réalisé des labours en billons au XXe siècle, pour l’enrésinement (mais ils sont moins réguliers) ; on les pratiquait encore à Briangault autour de 1800 ; mais rien ne dit qu’ils ne perpétuaient pas une technique culturale plus ancienne. Les talus posent eux aussi de réels problèmes de datation : un talus ancien, si son fossé a continué à être curé au cours des siècles, peut paraître frais et moderne comme c’est parfois le cas de celui qui sépare bois de Quimper et forêt de Domnaiche ; un talus de champ intra forestier, s’il n’est pas porté au cadastre de 1844, risque d’être antérieur à cette date, mais il peut aussi avoir été simplement négligé par les arpenteurs, d’autant qu’il faisait partie de la même parcelle cadastrale. L’impression générale est cependant que le talus est rare au Moyen Âge, réservé à des délimitations foncières majeures, celles de la forêt en lisière ou avec un bois contigu, ou bien encore d’un prieuré mis par nature hors de la seigneurie foncière laïque. Les autres talus-fossés parcellaires semblent plutôt remonter aux Temps modernes, lorsque se développe et évolue le bocage, en même temps que se transforme la propriété foncière. Enfin, il est un site à la fois majeur et complexe, celui du château, qui nécessitera des études plus approfondies, pour mieux asseoir les propositions de datation. Il est prévu d’y terminer les relevés pierre à pierre des quatre faces, pour affiner l’analyse architecturale, et de retourner aux textes pour mieux cerner la famille de Sion qui a construit et habité cet « herbergamentum ».

147 Depuis quelques années déjà, les responsables de la forêt de Domnaiche mettent en place une gestion raisonnée, durable et tournée vers le public. Pour cela, ils souhaitent intégrer toutes les approches et outils permettant de la réaliser. En fournissant des données précises et des analyses sur des vestiges mal connus ou même ignorés, cet inventaire permettra – souhaitons-le – d’y intégrer les dimensions archéologique, historique et patrimoniale.

ANNEXES

La « charte de Breil-Ingaut »

Nous donnons seulement l’extrait nécessaire à la localisation précise de la fondation. – original : Cartulaire de Notre-Dame de La Roë, Arch. dép. Mayenne, H 154, lviii. – Cartulaire de l’abbaye Notre-Dame de La-Roë, éd. M. Hamon-Jugnet, thèse de l’École des Chartes, 1972, acte 61 (lviii).

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– Copie du cartulaire de Notre-Dame de La Roë, éd. Paul Marchegay, manuscrit, Arch. dép. Maine-Loire, p. 62-63. « Carta de Breilio Ingaut Johannes de Nemore Ingaut et Boter et Bernardus et Maercherius et Guerne soror ejus et omnes socii communionis ejusdem dederunt in elemosina Gorin heremite locum Brillei ad serviendum Deo …/… Deo inspirante, Gaufridus de Syon et fratres ejus A[ufredus] et G[uillermus]dederunt abbati suam elemosinam scilicet necessaria ad domos supra dicti edeficandas et ad calefaciendum et pasnagium porcorum fratrum ad minus sexaginta et.I. et si amplius haberant, in voluntate dominorum esset de pasnagio, et pasturam in foresta omnibus dominicis suis bestiis et totam necessitatem monasterii et fratrum preter dare et vendere, et de sua communi terra per viam que dicitur Boeria usque ad metas castelli, ab altera parte vie de landa ad falcandum usque ad forestam et usque ad calciatam. …/… Hanc elemosinam adcreverunt mlilites Briendi Bovis juxta supra dictam usque ad viam muri Gauterii et ad calciatam et ex altera parte per ruperium usque ad Lupum pendu… »

Bibliographie relative à la forêt de Domnaiche

Mégalithes

Lisle du Dreneuc, Pitre de, « Dictionnaire archéologique de la Loire-Inférieure (époques primitive, celtique, gauloise et gallo-romaine) », Bulletin de la société archéologique de Nantes et de Loire-Inférieure, 19, 1880, p. 144-145. Chapron, Joseph, « Inventaire mégalithique, iconographique, héraldique et archéologique de l’arrondissement de Châteaubriant », Annales de la société académique de Nantes de Loire-Inférieure, 1900, p. 378. Dossiers du SRA Nantes, Lusanger.

Voie romaine

Ogée, Jean-Baptiste, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, nouvelle édition revue et augmentée par MM. A. Marteville et P. Varin, Rennes, 1843, p. 534. Bizeul, Louis-Jacques-Marie, « Voie romaine de Blain vers Châteaubriant et le Bas- Maine », Annales de la société académique de Nantes, 2e série, 8, 1847, p. 84-104. Goudé, Charles, Histoires et légendes du pays de Châteaubriant, promenades aux environs, monuments civils et religieux, antiquités et curiosités, Châteaubriant, 1879, p. 390-391. Lisle du Dreneuc, Pitre de, « Dictionnaire Archéologique de la Loire-Inférieure (époques primitive, celtique, gauloise et gallo-romaine) », Bulletin de la société archéologique de Nantes et de Loire-Inférieure, 19, 1880. p. 148 et p. 175.

Maître, Léon, Géographie historique et descriptive de la Loire-Inférieure, t. I, Les villes disparues des Namnètes, Nantes, Grimaud, 1893. Orieux, Eugène et Vincent, Justin, Histoire et géographie de la Loire-Inférieure, 2 vol., Nantes, Grimaud, 1895, t. i, p. 351.

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Ferriers

Davy, Louis, « Étude des scories de forges anciennes éparses sur le sol de l’Anjou, de la Bretagne et de la Mayenne pour servir à l’histoire de la métallurgie », Bulletin de la Société de l’Industrie minérale (extrait), 1913, p. 1-73. Maître, Léon, « Les forges et ateliers fortifiés : géographie industrielle de la Basse- Loire », Sociétéhistorique et archéologique de Nantes, 1919. p. 234-273 et Revue archéologique de Loire-Inférieure, 1919, p. 1-41. Les forges du pays de Châteaubriant, Cahiers de l’Inventaire 3, 1984, 294 p. Meuret, Jean-Claude, « Le fer, le pouvoir et la forêt entre Anjou et Bretagne, du xie au xve siècle », Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 85, 2007, p. 101-185.

Le château de Domnaiche

Moisan, Abbé, Sion, monographie manuscrite, sans date (milieu xixe siècle). Ogée, Jean-Baptiste, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, nouvelle édition revue et augmentée par MM. A. Marteville et P. Varin, Rennes, 1843, p. 533. Guillotin de Corson, Amédée, « La châtellenie de Domenesche », Bulletin de la société Archéologique de Nantes et de Loire-Inférieure, 1896, p. 283-286. Chapron, Joseph, Manuscrit n° 9, p. 194, Fonds Joseph Chapron, début xxe siècle, musée municipal de Châteaubriant, p. 193. Chapron, Joseph, Brouillons, p. 92-95 et 105-113, Fonds Joseph Chapron, Musée municipal de Châteaubriant. Chapron, Joseph, « Inventaire mégalithique, iconographique, héraldique et archéologique de l’arrondissement de Châteaubriant », Annales de la société académique de Nantes de Loire-Inférieure, 1900, p. 395. Anonyme, Plan du château de la forêt de Domnaiche, Bibliothèque municipale de Châteaubriant, disparu.

Le Breilingaut et l’histoire de Sion

MOisan, Abbé, Sion, monographie manuscrite, sans date (milieu XIXe s.).

Guillotin de Corson, Amédée, « Les seigneurs et la châtellenie de Sion (Loire- Inférieure) », Bulletin de la société Archéologique de Nantes et de Loire-Inférieure, 1869/1, p. 71-80 et 1869/2, p. 105-122. Josnin, Abbé, « La terre de Sion et ses seigneurs », Bulletin de la société Archéologique de Nantes et de Loire-Inférieure, 1885/2, p. 90-107. Meuret, Jean-Claude, « Le fer, le pouvoir et la forêt entre Anjou et Bretagne, du xie au xve siècle », Mémoires de la société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 85, 2007, p. 101-185.

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Ils s’adressent tout d’abord à M. Lefeubvre, gérant du groupement forestier de Domnaiche qui a bien voulu nous faire confiance, nous permettant de prospecter et procéder aux relevés en toute quiétude. Mais aussi tout spécialement à M. Yannick Robert, technicien et garde forestier avec qui les contacts ont été fréquents et fructueux : sans son sens de l’observation et sans ses précieuses indications de terrain, nous serions passé à côté de beaucoup de vestiges. L’un et l’autre ont compris l’intérêt que peut avoir ce travail dans la perspective d’une mise en valeur complète du massif, incluant son aspect patrimonial. Nous n’oublions pas Michel Lagrange, Franck Tessier, Yannick Goisnard, Jacques Chédemail et tout particulièrement Dominique Hersart, qui ont donné dans la bonne humeur, de nombreuses journées pour la prospection et les relevés. Et encore moins J.-J. Couëtoux du Tertre qui nous a signalé le précieux plan de 1756. Enfin, c’est avec plaisir et intérêt que nous avons accueilli et écouté Nicolas Faucherre et Jocelyn Martineau lors de leur venue sur le site du château. Leurs observations et conseils de spécialistes en matière castrale nous ont été précieux.

NOTES DE FIN

1. MEURET, Jean-Claude, « Prospection archéologique en milieu forestier, l’exemple de la Haute Armorique », dans Hommage scientifique à la mémoire de Jean L’Helgouac’h et mélanges offerts à Jacques Briard, Revue Archéologique de l’Ouest, supplément, 9, 2001, p. 307-315. 2. La tradition orale veut que l’actuelle longère de Briangault, bâtiment présent en 1844 et de type début XIXe siècle, ait été construite avec des pierres prises sur la ruine du château de Domnaiche. Ce sont des grès clairs, mais avec une patine légèrement ocre. Elles ont effectivement le même aspect et la même couleur que celles encore en place sur la ruine du château. La longère a été agrandie au XXe siècle avec un grès de même nature, mais nettement plus clair, presque blanc, car extrait de carrière et donc dépourvu de patine. 3. Le massif est concerné par deux cartes géologiques au 1/50 000, celle de Nozay pour sa plus grande partie, et celle de Bain-de-Bretagne pour le secteur de Briangaud. TRAUTMANN, Frédéric, Carte géologique de la France au 1/50 000, feuille de Nozay et notice, 1987, éd. du BRGM ; DADET, Paul, HERROUIN, Yves, LAVILLE, Pierre, PARIS, Florentin, Carte géologique de la France au 1/50 000, feuille de Bain-de-Bretagne, 1987, éd. du BRGM ; HERROUIN, Yves, DADET, Paul, GUIGUES, J., LAVILLE, Pierre, TALBO, H., Notice explicative, carte géologique de la France au 1/50 000, feuille de Bain-de-Bretagne, 1987, éd. du BRGM, 82 p. 4. Pour l’étude sur le fer et plus spécialement la forêt de Puteus Arlesii : MEURET, Jean- Claude, « Le fer, le pouvoir et la forêt entre Anjou et Bretagne, du XIe au XVe siècle », Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 85, 2007, p. 101-185. Cf. encore Arch. dép. Mayenne, Cartulaire de Notre-Dame-de-la-Roë, LVIII : Carta de Breilio Ingaut datée par l’abbatiat de Aubin. La forêt n’est pas nommée, mais elle ne peut être autre que celle de Domnaiche car la donation est confirmée par la famille de Sion à Dregoin de Domenescha. 5. Archives nationales, NIII, Loire-Atlantique, 19. Nous remercions vivement M. J.- J. Couëtoux du Tertre qui nous a communiqué ce précieux document. 6. Cette rapide évocation utilise des données éparses puisées dans GUILLOTIN de CORSON, Amédée, La châtellenie de Domenesche, de l’abbé JOSNIN, La terre de Sion et ses seigneurs, de l’abbé, Sion (manuscrit sans date, vers milieu XIXe siècle) et les Cahiers de l’Inventaire, Les

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Forges du pays de Châteaubriant. L’histoire des changements de propriété et de l’exploitation du massif pour les grandes forges reste à faire. 7. CHAPRON, Joseph, Brouillons, Fonds Joseph Chapron, Musée municipal de Châteaubriant, p. 108 à 113. Documents communiqués par C. Bouvet que nous remercions. 8. GODEFROY, Frédéric, Dictionnaire de l’ancienne langue françoise et de tous ses dialectes du IXe au XVesiècle, Paris, 1881, vol. 4, p. 515 : Houssière et Houssoi : taillis rempli de houx. Houssu ou Hochu : touffu, velu, hérissé tel une queue de renard ; Dictionnaire du Moyen Français (1330-1550), version 2009, site ATLIF de l’université de Nancy : Houssine = baguette de houx. 9. Voyant dans les mégalithes des « témoins d’un culte idolâtre », l’abbé Cotteux entreprit de les faire arracher pour les amener à Louisfert et en faire l’assise d’un grand « calvaire ». C’est donc à lui – ainsi qu’à quelques robustes paroissiens de Louisfert secondés par quelques bœufs – qu’on doit la destruction de très nombreux mégalithes, parmi lesquels le grand menhir du Tertre-Gicquel. Son arrachage échoua en 1872 ; il ne réussit que l’année suivante mais il fallut trois semaines, douze paires de bœufs et plusieurs accidents de charroi pour l’acheminer jusqu’à Louisfert, à 12 km de là, BOUREAU, Georges, Le calvaire de Louisfert, Nantes, 1947, p. 4-5. Pitre de Lisle qui réalise son inventaire quelques années plus tard passe vite sur ce cas qu’on qualifierait aujourd’hui de pathologique, évoquant rapidement « la persécution qui sévit en ce pays contre les Débris d’un culte sanguinaire », allusion ironique à l’inscription menaçante gravée dans le marbre et en lettres d’or par l’abbé Cotteux, à l’entrée de son calvaire, LISLE du DRENEUC, Pitre de, « Dictionnaire archéologique de la Loire-Inférieure (époques primitive, celtique, gauloise et gallo-romaine) », Bulletin de la société archéologique de Nantes et de Loire-Inférieure, 19, 1880, p. 121. En revanche, on ne peut que s’étonner d’une note de Léon Maître qui parle de « l’abbé Cotteux, dont le dévouement à la science et l’érudition sont connus dans tout le pays de Châteaubriant », MAÎTRE, Léon, Géographie historique et descriptive de la Loire-Inférieure, les villes disparues des Namnètes, Nantes, Grimaud, 1893, t. I, p. 283, note 1) passant sciemment sous silence les graves destructions de mégalithes perpétrées par le prêtre. 10. GIOT, Pierre-Roland, L’HELGOUA’CH, Jean, MONNIER, Jean-Laurent, Préhistoire de la Bretagne, Rennes, Ouest-France université, 1979, p. 383-432. 11. LISLE du DRENEUC, Pitre de, « Dictionnaire archéologique… », p. 31. 12. MAÎTRE, Léon, Géographie historique…, planche hors-texte. 13. Dossiers communaux du SRA Nantes, commune de Lusanger, sites 44 086 002 et 44 086 003, prospection Gilles Leroux, 1989. 14. De très nombreuses publications récentes portent sur la fouille de sites de ce type. Une synthèse a été réalisée pour la Bretagne il y a 10 ans, sur des bases qui se sont depuis beaucoup étoffées. On y évaluait alors à 74 % le total des enclos créés entre le IVe et le Ier siècle av. J.-C., 21 % aux Ier et IIe siècle apr. J.-C. et 5 % pendant le haut Moyen Âge ; au vu des fouilles récentes le pourcentage de cette dernière période doit être réévalué, LEROUX, Gilles, GAUTIER, Maurice, MEURET, Jean-Claude et NAAS, Patrick, Enclos gaulois et gallo-romains en Armorique, Documents archéologiques de l’Ouest, 1999, p. 47. 15. Arch. dép. Loire-Atlantique, 3 P 198/2, cadastre et état de sections de Saint-Vincent- des-Landes de 1847, section A. 16. Le cadastre de Lusanger a été établi en 1844. Les Archives dép. Loire-Atlantique ne possèdent malheureusement pas son état de sections, pas plus que la mairie de

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Lusanger. Mais sur le plan, tout le secteur au nord de Couëtoux, jusqu’au Tertre-Gicquel et jusqu’à la forêt de Domnaiche est nommé Landes de Couëtoux. 17. Arch. dép. Loire-Atlantique, H 113/10 n° 26 : « Aufredus de Syun …/… capellanie mee posite et statute iuxta herbergamentum meum de Damenesche in feodo meo quod dicitur Herbert Marie dedi in perpetuam elemosinam et concessi totum feodum herbergamenti Herbert Marie cum pertinenciis suis et terram totam ultra dictam feodum limitatam a magna quercu usque ad magnam quercum et a quercibus dictis usque ad publicam stratam rubei gerruei cum omni possessione et iure quod ibi habebam et possidendam… » 18. Sur le chemin rectiligne un peu au sud du Breil-Herbert et qui se dirige vers Béré, existe aujourd’hui le lieu-dit « La Maison rouge ». Mais sur le cadastre de Saint-Aubin en 1821, il se nomme « la Maison neuve » et au bord de la route se dresse la « Croix Bonnier ». Il n’y a donc pas lieu de rapprocher cette actuelle « Maison rouge » de rubei guerruei. 19. MAÎTRE, Léon, Géographie historique…, p. 283. 20. Pour des généralités sur les voies romaines : COULON, Gérard, Les voies romaines en Gaule, Paris, éd. Errance, 2009. Ou pour plus de précisions, CHEVALIER, Raymond, Les voies romaines, Paris, Picard, 1997. 21. Cette grande voie est une des plus anciennes de l’Armorique qu’elle pénètre et traverse d’est en ouest. On la suit bien, conservée sous la forme de très longs tronçons de chemins rectilignes, à partir du nord de Segré, où elle sort de celle d’Angers à Rennes pour se diriger vers Pouancé. À partir de là, elle est jalonnée par de précieuses mentions des XIe et XIIe s siècles. Ainsi est-elle désignée à la fois comme via publica et comme liaison interrégionale, lors de la délimitation de la villa de Carbay au milieu du XIe s. : « viam publicam Novae Villae quae ducit in Britanniam et in Andegaviam », Cartae de Carbaio, éd. par Paul MARCHEGAY, Archives d’Anjou, t. II, Angers 1883, p. 2. Elle file ensuite en droite ligne vers le Dougilard où elle est mentionnée vers 1125 : « …ex altera parte viae… » (dom HOUSSEAU, n° 1624), se dirige vers le sud de Rougé en passant au Grand- Rigné, puis file vers le centre de l’Armorique. En ce lieu du Grand-Rigné, son antiquité est une fois encore attestée sans ambiguïté entre 1189 et 1206 lors de la donation du bois du Désert faite par Geoffroy Sylvain à l’église de Béré : « …Gaufredus Silvam …/… dedit …/… ecclesia Sancti Salvatoris de Bere…/… nemus de Deserto apud Rine sicut est ab antiqua via de Roge usque ad Landan… », Arch. dép. Loire-Atlantique, H 112, n° 13. 22. Les forges du pays de Châteaubriant…, p. 31-33. 23. MAÎTRE, Léon, « Géographie industrielle de la Basse-Loire. Les forges et ateliers fortifiés », Revue archéologique de Loire-Inférieure, 1919, p. 1-41, pour « le châtelier d’Erbrée » (Erbray), p. 21-23. 24. C’est la même conclusion qui a été formulée à deux reprises par les chercheurs de l’Inventaire ou associés, dans une importante étude consacrée aux forges de la région de Châteaubriant, Les forges du pays de Châteaubriant…,« Ces historiens et archéologues du XIXe siècle [L. Maître en particulier] ont eu tendance à privilégier l’étude de la période gallo-romaine et à en surestimer par conséquent l’importance », Jean-François Belhoste et Hubert Maheux, p. 19). « Une quantité importante de tas de scories répertoriés dans le sud-est de l’Armorique, que l’on attribuait aux Gaulois ou aux Gallo- romains seraient en fait médiévaux », Claudie Herbaut, p. 41. 25. MEURET, Jean-Claude, « Le fer, le pouvoir et la forêt entre Anjou et Bretagne, du XIe au XVe siècle…. », op. cit., en particulier p. 152-181.

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26. Arch. dép. Loire-Atlantique, H 113/10 n° 26 : « Aufredus de Syun …/… capellanie iuxta herbergamentum meum de Damenesche […] 1248 ». 27. Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 E1 8, procès-verbal des terres et fiefs du marquisat de Fougeray, 25 juin 1644 ; MAUGER, Michel, « Documents pour servir à l’histoire de Bretagne : Procès-verbal des terres et fiefs du marquisat de Fougeray, juin 1644 » ; Bulletin et Mémoires de la société archéologique d’Ille-et-Vilaine, 94, 1996, p. 95 et 96 : « Ensuitte, nous avons esté conduicts au travers des Landes de la Brosse et dudict Syon où nous avons veu une justice eslevée dépendante de ladicte chastelennye de Syon et l’emplacement de l’ancien et vieil chasteau de la chastelennye de Dommenesche vers septentrion. Auquel emplacement se remarquent encores partye de vieux fondements dudict chasteau, attache de pont-levix, quelque tour d’icelluy, avecq grandes douves et fosse » ; Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 F 130, 1730, fond La Borderie, déclaration du marquisat de Fougerai : déclaration de la châtellenie de Sion par Marguerite de la Chapelle, dame de Sion, 21 novembre 1679 : « item la terre, seigneurie et châtellenie de Domnesche, avecq plusieurs grandes douves autour, restes de ceintures de murailles et marques de tours, attaches de pont-levis et anciennes fortifications, avecq la forest dudit lieu autour et joignant icelui emplacement, partie en bois en haute futaie et partie en bois taillifs, lizières, chevauchée et balliveaux, contenant 800 journaux environ ». 28. Très bon connaisseur des lieux et de l’histoire de Sion, l’abbé Moisan affirme que les châteaux de Sion (sur la Chère, château principal de cette famille qui détenait aussi Domnèche) et de Domnèche furent détruits au cours des guerres de Succession, et plus précisément par Du Guesclin dont la présence militaire au Grand-Fougeray et à Derval est bien connue, MOISAN, Abbé, Sion…, p. 11-12. Il cite, d’autre part, deux anecdotes tirées de l’inventaire des titres de La Galotière réalisé en 1722 par M. de Bréhier : la première, dont on ne peut que sourire, selon laquelle la tradition voulait alors que le château de Domnesche avait été détruit par Jules César. La seconde beaucoup plus intéressante, selon laquelle M. de Bréhier aurait entendu un paysan de 97 ans lui raconter que, 50 ans plus tôt, il avait vu abattre un chêne de 200 ans, qui poussait sur une tour en ruine du château. Si le fait est vrai cela signifie que le château était déjà abandonné vers 1470 (ibidem, p. 273). 29. Arch. dép. Mayenne, Cartulaire de Notre-Dame-de-la-Roë, H 154, acte LVIII : « [De Herveio de Hareia] Hunc locum de Brilleio Ingaudi visitavit cymiterium et altare ecclesie consecravit Bernardus gratia Dei Nannentensis episcopus atque omnia dona supra scripta Michaeli tunc abbati et canonicis in pace confirmavit ». Événement daté par l’épiscopat de Bernard à Nantes (1147-1179) et l’abbatiat de Michel à La Roë (1148-1170). 30. Arch. dép. Loire-Atlantique, H 113/10 n° 26. Analyse de cette charte par LA BORDERIE, de, Inventaire analytique des titres de Marmoutier situés dans l’évêché de Nantes, Nantes, Guéraud, 1866, n° 26, p. 19-20. 31. CHAPRON, Joseph, Dictionnaire des coutumes, croyances et langage du pays de Châteaubriant, Châteaubriant, imp. B. Simon, 1924, p. 86. 32. MOISAN, Abbé, Sion…, p. 125 et 261. 33. Ibidem,p. 124. 34. MEURET, Jean-Claude, « Le fer, le pouvoir et la forêt entre Anjou et Bretagne du XIe au XVe siècle… », p. 142-144 et charte de 1226 et sa traduction p. 184-185.

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35. Des textes évoquent l’irrigation de prairies au Moyen Âge en Normandie, DELISLE, Léopold, Etude sur la condition de la classe rurale et l’état de l’agriculture en Normandie, 1851, p. 273, cf. PICHOT, Daniel, « L’herbe et les hommes : prés et pâturages dans l’ouest de la France (XIe-XIVe siècle) », BRUMONT, Francis (dir.), Prés et pâtures en Europe occidentale, Flaran, XXVIII, 2008.

RÉSUMÉS

Les forêts constituent des conservatoires archéologiques privilégiés. Depuis trois ans, celle de Domnaiche en Lusanger (Loire-Atlantique) a fait l’objet d’un inventaire et de relevés systématiques. Ceux-ci ont porté sur les vestiges de toutes les périodes : mégalithes, voie romaine, amas de scories, château de terre et de pierre des environs de 1200, aménagements agraires, ermitage/prieuré fondé au XIIe siècle, chemins anciens, etc. Leur étude a été menée en même temps que celle des sources écrites médiévales et cartographiques modernes. Ainsi se profile l’évolution du massif et des pouvoirs qui s’y sont succédé dans le temps long : sans doute, plus mité au Néolithique, au moins percé par une grande voie pendant l’Antiquité, plus étendu pendant le haut Moyen-Age, accaparé, borné et exploité à l’époque féodale, puis exploité pour un haut fourneau voisin à l’époque moderne.

Forests constitute a privileged archeological conservatory. In the last three years, the forest of Domnaiche en Lusanger (Loire-Atlantique) has been the object of systematic inventory and surveys. The latter have dealt with the traces of all periods: megaliths, Roman road, heaped slag, castles of stone and earth from about 1200, agrarian improvements, hermitage/priory founded in the 12th Century, old ways and roads, and so on… Their study has been conducted at the same time as that of the medieval writings and modern maps. So, there appears the evolution of the forest landscape and the powers that succeeded each other there in the “long time”: perhaps with more gaps during the Neolithic period, at least pierced by a great way during Antiquity, larger during the Dark Ages, seized upon, bounded and improved in feudal times, then exploited for a neighbouring blast furnace in Modern times.

INDEX

Thèmes : Loire-Atlantique

AUTEUR

JEAN-CLAUDE MEURET Maître de conférences honoraire en archéologie nationale

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Présence et représentations de la Domnonée et de la Cornouaille de part et d’autre de la Manche D’après les Vies de saints et les listes généalogiques médiévales

Bernard Merdrignac

1 Au début du VIe siècle, conformément à la géographie administrative de l’Antiquité tardive1, le DeExcidio Britanniae (« le Déclin de la Bretagne ») de Gildas († vers 560) applique encore exclusivement le nom de Britannia à la Grande-Bretagne. La « patrie » de Gildas se restreint à la Britannia insula et, pour lui, celle-ci se définit avant tout comme une ancienne province romaine2. Moins d’un siècle plus tard (et peut-être dès le milieu du VIe siècle3), ce même nom en vient, simultanément dans les œuvres de Grégoire de Tours († 594), Marius d’Avenches († 594),voire Fortunat († 600), à désigner aussi la partie de la péninsule armoricaine occupée par les Brittani (ou Britones). « Il y a toujours eu des Bretons des deux côtés de la Manche » rappelle opportunément Jean- Christophe Cassard4. Mais, tout en ne dissimulant pas la part d’hypothèse qu’il faut nécessairement poser pour étudier cette période, ce chercheur souligne aussi, en préalable à une réflexion sur l’arrivée des Bretons en Armorique dès la fin de l’époque romaine, que c’est « l’organisation durable sur son sol de communautés venues de la proche Grande-Bretagne » qui a présidé à la naissance de la Bretagne5. Le fait qu’en Bretagne continentale, les noms des régions de et de Cornovia (ou Cornubia) répondent à ceux des peuples britto-romains des Dumnonii et des Cornovii établis dans l’Antiquité tardive au sud-ouest de la Grande-Bretagne6 constitue sans doute une indication sur la provenance des flux migratoires les plus importants d’une rive à l’autre de la Manche durant cette période. Si le nom de Domnonée est tombé en désuétude dans les sources de Bretagne continentale au cours du XIe siècle, il se retrouve outre-Manche dans celui du (Dewnens en cornique ; Dyfnaint en gallois). Quant à la Cornouaille (en breton Kerneo – équivalent du cornique Kernow et du gallois Cernyw/Kernyw − rendu en latin par Cornovia/Cornubia), le nom de cette région, sous la forme Cornugallia,qui soulève par ailleurs bien des questions7, n’en « évoque » pas moins celui du , en Grande-Bretagne8.De ce fait, bien des études historiques au

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cours du siècle dernier ont admis comme un fait acquis l’existence de « royaumes doubles », qui, à l’instar du Dál Riada à cheval sur le North Channel entre l’Irlande et l’Écosse, auraient structuré politiquement ces mouvements de population d’une rive à l’autre de la Manche9.

2 À moins que ce ne soit l’inverse… En prétendant dominer la Grande-Bretagne par l’intermédiaire de ces établissements, Childebert et d’autres rois francs n’auraient fait que poursuivre la « tradition d’entente avec les Britto-romains » inaugurée par les derniers tenants de la puissance romaine en Gaule du nord (Germain d’Auxerre et ses successeurs)10. Toutefois, la prudence s’impose. De telles hypothèses reposent, en effet, pour l’essentiel, sur des sources hagiographiques composées dans les scriptoria monastiques de la Bretagne carolingienne qui s’inscrivent naturellement dans les normes stylistiques tout autant qu’idéologiques en passe de s’imposer au moment de leur rédaction11. À défaut de documents contemporains, on est ainsi confronté à « une avalanche d’allégations “mythologiques” rédigées entre 500 et 1 000 ans » après l’époque des migrations bretonnes12. On ne peut donc en attendre « un enregistrement factuellement exact du processus historique de l’installation des Bretons en Petite- Bretagne13 ». Malgré tout, la rareté de la documentation disponible pour cette période doit être relativisée dans la mesure, où, comme le constatait Pierre-Roland Giot, cette lacune est « tout aussi béante pour les provinces romaines où il n’y a guère qu’un nom par ci par là, au milieu d’un désert14 ».

3 Reconnaissons néanmoins volontiers que « confronter des témoignages de nature différente (de dates variées, disputées, souvent tardives) » revient à se placer « sous le signe du conditionnel et de l’hypothétique ». Pour « combler les intervalles et proposer des raccordements » entre les données dégagées, on doit parfois supposer « un concours de circonstances exceptionnellement favorable » afin de valider les enchaînements nécessaires15. On n’échappera donc pas aux considérations épistémologiques qui s’imposent, mais on tâchera du moins de les rendre les plus succinctes et les moins fastidieuses possibles16. La démarche hypothético-déductive à l’encontre de laquelle Joseph Claude Poulin émet ainsi des réserves ne consiste pas à boucher les trous, avec les moyens du bord, pour pallier la « pauvreté relative de la documentation » ou contourner « les difficultés que l’on rencontre à exploiter ce qui en subsiste17 ». Bien menée, cette approche consiste à pointer les contradictions du « salmigondis » hagiographique, à relever les incohérences d’un « méli-mélo18 » généalogique dont le degré d’historicité est invérifiable et à les recouper avec des données obtenues indépendamment grâce aux méthodes d’autres disciplines. On est donc conduit à mettre en évidence des anachronismes révélateurs d’une situation historique dépassée. Encore faut-il se donner les moyens de les faire parler.

4 L’objet du présent article n’est pas de rouvrir l’ensemble d’un dossier plus largement traité ailleurs19. Nous nous bornerons ici à interroger la Vita longior de saint Guénolé qui parle de Domnonée et de Cornouaille dans la Bretagne du IXe siècle. Nous convoquerons d’abord les premiers témoins à avoir fait mention de ces entités territoriales, d’un côté ou de l’autre de la Manche, avant de procéder à l’examen des passages de cette Vita consacrés aux origines familiales du saint patron de l’abbaye de Landévennec (Finistère actuel). Amenés20 ainsi à soupçonner l’hagiographe de disposer de sources généalogiques qu’il n’évoque qu’à demi-mot, nous confronterons ses dires à des généalogies compilées tardivement et aux Vitae ultérieures qui se réfèrent ouvertement à celles-ci. Dans cette perspective, nous serons enfin en droit de nous demander si le

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site choisi par le fondateur du monastère n’en dit pas davantage sur la géographie politique de son temps que ce qu’en a retenu l’auteur de la Vita carolingienne.

Premières mentions de la Domnonée

5 La situation en Grande-Bretagne au VIe siècle fait à peu près consensus parmi les spécialistes21. Charles Thomas reprend à son compte l’idée de Malcom Todd selon laquelle rien ne prouve, vus son extension géographique et le contexte politique, que la Domnonée insulaire ait été érigée en royaume, plus ou moins cohérent, avant 50022. Gildas est le premier auteur à faire mention de la Domnonée durant les premières décennies du VIe siècle. Son De Excidio Britanniae est probablement rédigé dans un monastère du sud-est du futur pays de Galles, la partie la plus romanisée de Britannia Prima. Gildas se veut prophète et pas historien. Dans ce violent pamphlet, il admoneste sans ménagement ses compatriotes et entend les persuader que leurs déboires face aux barbares sont le juste châtiment divin de leur infidélité à l’Empire chrétien. C’est ainsi qu’il fustige, entre autres, le « tiern Constantin, petit de l’immonde lionne de Domnonée » (Damnonia)23. Rappelons au passage que pour Gildas, nostalgique de l’Empire chrétien, le terme latin tyrannus (équivalent du mot celtique tigern/tiern : « chef ») s’applique à un pouvoir de fait se substituant « sans mandat, mais dans les formes », à l’autorité romaine défaillante24.

6 Il faut attendre un siècle et demi pour voir Aldhelm († 709), abbé anglo-saxon de Malmesbury (Wiltshire) et évêque de Sherborne (Dorset), établir, dans ses Carmina rythmica composés aux environs de 705, une distinction entre la « funeste » Domnonia et la Cornubia « désolée »,dépeinte cependant sous un jour plus plaisant25. Étant données les lacunes documentaires, il serait pourtant hasardé de faire de cette fragmentation de la péninsule du sud-ouest de la Grande-Bretagne en deux régions distinctes une conséquence de la progression anglo-saxonne26. En effet, la probabilité de l’existence précoce d’un royaume subordonné de Cornubia dans le cadre d’une grande Domnonée n’est pas à exclure27, ne serait-ce que parce Constantin, prince domnonéen selon Gildas et « figurant de l’hagiographie pan-britonnique28 », se retrouve sous l’appellation de Custennin Gorneu dans les sources galloises ultérieures29.

7 En ce qui concerne la Bretagne continentale, les données sont encore plus confuses. Grégoire de Tours se contente d’indiquer que « cela s’est passé dans les Bretagnes » (HF, V, 16 : in Britann[i]is haec acta sunt) lorsqu’il rapporte les circonstances de la formation du Broérec, en Vannetais, dans la seconde moitié du VIe siècle. Sans doute parce que les destinataires de son ouvrage n’en avaient pas besoin, l’auteur de l’Historia Francorum n’estime pas nécessaire de citer aucun des regna dont l’implication dans ces événements suppose l’existence simultanée dans la péninsule30. Par contre, leur statut politique est préalablement précisé dans une formule qui a fait couler beaucoup d’encre : « Car les Bretons après la mort du roi Clovis furent toujours sous le pouvoir des Francs et ils furent appelés comtes et pas rois31 ». À la suite de Bertrand d’Argentré († 1590) dans son Histoire de Bretagne (« un mauvais car »), certains commentateurs se sont interrogés sur la fonction de nam dans cette phrase, quitte à y déceler « un repentir du chroniqueur32 ». En fait, ici l’emploi de ce terme est grammaticalement correct : le mot ne sert pas de conjonction confirmative et explicative (= « car ») ; il fait fonction de particule affirmative destinée à introduire une idée nouvelle ou une réserve et devrait être traduit en français par « car, en effet », sans crainte du pléonasme ! Dans

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ce contexte, comme le souligne André Chédeville, « regnum n’est pas synonyme de royauté ». Il désigne « une région qui à cause de sa spécificité géographique, ethnique, linguistique ou culturelle […] se voit reconnaître une large autonomie » tout en demeurant partie prenante du regnum Francorum33.

8 L’Historia Francorum ne fournit aucune information précise sur la situation politique et religieuse au nord de la péninsule. En soi, ce silence de Grégoire de Tours est déjà parlant, dans la mesure où cette région est pourtant censée relever de la métropole de IIIe Lyonnaise. C’est ce qui fait tout l’intérêt de l’éclairage apporté sur les relations politiques entre Francs et Bretons par la Vita Ia Samsonis dont l’époque de rédaction, (et par conséquent la valeur historique) demeure controversée depuis plus d’un siècle. Dans son édition récente de ce texte, Pierre Flobert a récapitulé commodément les positions des tenants d’une datation haute (première moitié du VIIe siècle, soit moins de cinquante ans après la mort du saint) et celles des partisans d’une datation basse (à l’époque de Louis le Pieux, plus précisément entre 820 et 848/849) avant de proposer, pour sa part, une datation moyenne (entre 735 et 772, c’est à dire le milieu du VIIIe siècle)34. Joseph-Claude Poulin s’est penché à plusieurs reprises sur ce texte fondateur au cours des dernières décennies. En fin de compte, il en vient à présenter la Vita comme une production doloise de la fin VIIIe-début IXe siècle dans laquelle seraient enchâssées des « portions substantielles » d’une Vita primigenia antérieure. Toutefois, le débat n’est pas clos : en dépit des arguments avancés par ce chercheur, l’hypothèse d’une datation haute remontant au milieu du VIIe siècle, soutenue en leur temps, à l’encontre de Robert Fawtier, par Joseph Loth et François Duine et reprise depuis, notamment par Hubert Guillotel35 ne paraît pas devoir être définitivement écartée36.

9 Dans cette Vita Ia Samsonis, comme dans l’œuvre de Grégoire de Tours, les références à la Britannia (ou aux Britanni) sont « éminemment fluctuantes ». Un relevé systématique de ces mentions amène à souscrire aux conclusions de Joseph Claude Poulin pour qui la Britannia vise tantôt la « Grande-Bretagne » tantôt la « Petite-Bretagne » quand « ce n’est pas une appellation générique attribuée au monde breton dans son ensemble » de part et d’autre de la Manche37. Aussi la Vita situe-t-elle en Brittania, sans plus de précision,la Domnonia mentionnée ici pour la première fois dans l’hagiographie bretonne. Selon le chapitre I, 59, Samson serait intervenu en faveur de Judwal, héritier légitime de la Domnonée dans le conflit politique qui opposait celui-ci à Commor, présenté à deux reprises par l’hagiographe comme un usurpateur « injuste et violent » : « […] Puis des hommes que Samson connaissait très bien arrivèrent en nombre à sa demande, d’un commun accord avec Judwal, en Bretagne et tandis qu’il priait et jeûnait, Dieu donna un beau jour, par sa sainte intercession, la victoire à Judwal, si bien que celui-ci abattit d’un seul coup l’injuste et violent Commor et régna ensuite personnellement, avec ses descendants, sur toute la Domnonée38. »

10 De deux choses l’une. Soit l’action se passe en Grande-Bretagne où, comme on l’a vu plus haut, l’émergence d’un royaume de Domnonée est attestée dès la première moitié du VIe siècle39 ; soit, elle se déroule en Bretagne continentale. Or l’analyse du contexte narratif de l’épisode n’implique pas l’existence dans la péninsule d’une Domnonée armoricaine distincte de son homonyme insulaire. Il s’agit plutôt d’une seule et unique entité s’étendant de part et d’autre de la mer. Bien sûr, rien ne garantit que l’enchaînement des événements tels que les relate l’hagiographe corresponde à la réalité historique. Tout se passe cependant comme si, jusqu’à ce que l’intervention de Samson ne favorise de ce côté-ci de la Manche les prétentions séparatistes du représentant d’un lignage auquel le saint était peut-être apparenté, l’ensemble était

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gouverné, sous le protectorat de Childebert, par un externusiudex (I, 53 : « chef étranger » ; roi extérieur à la péninsule40, mais pas étranger au peuple breton pour autant41 ?) sans doute établi outre-Manche42. Pierre Flobert considère le mot iudex comme « biblique et celtique » et le prend ici au sens de « chef habilité à décider, plutôt qu’apte à rendre la justice », par référence au livre des Juges de l’Ancien Testament, au terme gallois udd (« seigneur »)43. Dans l’HistoriaBrittonum attribuée à Nennius (vers 829-830), iudex paraît synonyme de rex44. Peut-être est-ce en ce sens qu’il convient d’infléchir le second volet (moins célèbre que le premier, mais tout aussi percutant) de la célèbre formule de Gildas : Reges habet Britannia, sed tyrannos; iudices habet, sed impios45 ? Dans l’Antiquité tardive, le titre est porté par le « gouverneur de province46 » ; au début de la période mérovingienne, les actes ecclésiastiques, tels ceux du concile d’Orléans de 511, appellent ainsi des « délégués du pouvoir royal dont la fonction est mal connue47 » ; le terme en vient, chez Grégoire de Tours, à s’appliquer à « tout officier public, du plus élevé jusqu’au comes civitatis48». Ces diverses acceptions incitent à assimiler le « juge injuste » Commor de la Vita avec le comte breton Chonomor qui figure chez Grégoire de Tours (alium comitem regiones illius […] nomen Chonomorem49). Il doit probablement être identifié à Kynvawr qui se rencontre dans les généalogies insulaires, comme nous le verrons par la suite, et il y a peut-être lieu de reconnaître en lui Aurelius Caninus, l’un des tyrani à qui s’en prend Gildas50.

« Aux confins de la Cornouaille » : Landévennec

11 Certes, la date de rédaction (VIIe-IXe siècles ?) de la Vita Ia Samsonis reste sujette à caution. Cependant tous les critiques s’accordent à la considérer comme la « tête de série » de l’hagiographie bretonne à laquelle se réfère (explicitement ou non) une grande partie de la production ultérieure. Aucune autre des Vitae à nous être parvenues n’est antérieure au IXe siècle, même si l’appel à l’autorité d’une version plus ancienne fait figure de lieu commun chez les auteurs de la période carolingienne. C’est pourquoi, il n’est pas étonnant que le sondage de « terminologie géographique » effectué par Pierre Roland Giot dans le corpus hagiographique breton ait conduit ce savant à conclure que « la division bipartite » de la péninsule entre la Domnonée et la Cornouaille était « héritée » des hagiographes carolingiens51. Magali Coumert renchérit en constatant qu’aucune source n’évoque une telle bipartition de la Bretagne continentale avant le floruit du scriptorium de l’abbaye de Landévennec52.

12 Durant la seconde moitié du IXe siècle, cet établissement apparaît en effet comme l’un des principaux foyers culturels au service des princes de la maison royale bretonne qui lui apportent leur protection53. En quelques décennies, Wrdisten, l’abbé de Landévennec, s’est employé sans compter à promouvoir le culte du saint patron de son monastère. On ne lui attribue pas moins de trois versions successives de la Vita de saint Guénolé54. Pour le présent propos, nous nous contenterons de relire la Vita longior (ou amplior) rédigée « entre 874 et 88455 ». Conformément à la loi du genre, dès les premiers vers de sa préface, Wrdisten annonce qu’il reprend « une vie brève » préexistante, mais qu’il entend laisser aux destinataires de son œuvre le choix entre « le neuf et le vieux ». (Quaeque sibi placita, an vetera novaque, eligat) : « Une Vie brève de l’éminent père des moines Guénolé se retrouve dans l’ordo [= l’inventaire] de notre occupation sacrée ; c’est cette vie sainte que moi, Wrdisten, à la prière unanime de mes frères, j’entreprends ici de retracer et d’écrire sur des pages blanches56. »

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13 Personne ne conteste cette affirmation. À la suite de Robert Latouche57, beaucoup de chercheurs ont identifié la source évoquée par l’hagiographe avec une version abrégée attribuée à tort au moine Clément de Landévennec, auteur, vers 860, d’une hymne alphabétique en vers pentamètres à la gloire de saint Guénolé58. Mais Yves Morice a établi que cette Vita brevior avait été rédigée lors de l’exil des moines de Landévennec à Montreuil-sur-Mer dans les premières décennies du Xe siècle, confirmant ainsi l’opinion de Joseph Claude Poulin selon laquelle la source de Wrdisten, « supplantée par la création surabondante » de celui-ci, n’a pas été conservée59. Évidemment, l’existence de cette Vita deperdita ne garantit pas l’historicité des indications apportées par Wrdisten ; elle permet toutefois de penser que celles-ci ne sont pas le fait de son invention, pour pallier un manque d’informations relatives au saint patron de Landévennec.

14 Rédigée en prose latine voisine de la poésie, avec d’ailleurs quelques pièces versifiées insérées ici et là, la Vita longior de saint Guénolé est « le plus ancien exemple complet d’une Vita marquée par la mode prosimétrique » qui a connu une fortune certaine chez les hagiographes carolingiens60. La vogue de ce genre littéraire appelé opus geminatus ou geminus stylus – consistant pour l’auteur à réécrire en prose un texte qu’il a lui-même préalablement rédigé en vers, ou vice versa – a été lancée dans la seconde moitié du ve siècle par Sedulius, dont le Paschale Opus démarque en prose son Carmen Paschale qui ambitionnait de faire de l’Évangile une épopée chrétienne supplantant l’Énéide61. La prose est accessible à un plus large public que la poésie qui s’adresse à des lecteurs cultivés. Par la suite, Bède, Raban Maur, Alcuin, entre autres, suivent ce modèle62. Les deux premiers livres en prose de la Vita de saint Guénolé sont explicitement destinés à la lecture publique devant la communauté monastique (precibus […] fratrum communibus), d’où les longs développements homélitiques qui l’émaillent. Le troisième livre est une récapitulation en vers hexamètres des deux précédents, destinée à la méditation solitaire.

15 Pour retracer la vie de son saint patron, l’abbé de Landévennec suit une progression chronologique : le livre I retrace la période de formation de saint Guénolé ; le livre II relate sa carrière abbatiale après la fondation de son monastère. Le récit s’articule donc géographiquement autour de Landévennec en deux volets, dont l’un relate la jeunesse du héros en Domnonée et l’autre se déroule en Cornouaille où le saint finit ses jours. La « transition » (De ejus transitu)est explicitée dans l’intitulé du chapitre II, 3 (« Sa traversée des pays domnonéens, la découverte d’un lieu-saint [loc] et sa difficile fondation ») qui rapporte comment « allant vers l’ouest à travers les pays domnonéens, puis, explorant la frontière de la Cornouaille, [Guénolé] trouva enfin à s’installer heureusement avec ses compagnons susdits dans une île appelée Tibidy63 ».

16 C’est ici, pour la première fois, que la Cornubia fait son apparition dans l’hagiographie bretonne64. Le père Marc Simon remarque pertinemment que le copiste du manuscrit (XIe siècle) du Cartulaire de Landévennec conservé à la bibliothèque municipale de Quimper (BM 16, f° 69) paraît avoir hésité en rencontrant ce nom sur son modèle. Il a donc réservé l’espace voulu pour inscrire une forme longue plus courante de son temps (Cornugillensium? Cornugalliae ?) avant de revenir compléter la racine cornu-, écrite dans un premier temps, par la terminaison –bie, au génitif, et remplir le blanc restant par un trait ondulé65. Ce souci de fidélité au texte original de la part du copiste est l’indice de ce que la forme Cornubia du toponyme appartient bien au vocabulaire de Wrdisten et implique de la part de celui-ci une perception à grande échelle de la « frontière de la Cornouaille », assimilée de son temps aux limites du Poher66. En effet au bout de trois

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années passées sur l’îlot de Tibidy, à l’embouchure de la rivière du Faou, la communauté naissante franchit miraculeusement l’« océan profond » (la mer d’Iroise ?)67 pour s’installer enfin sur le site paradisiaque de Landévennec qui se trouve bien sur la rive cornouaillaise de la rade de Brest. Pourtant, ultérieurement, l’hagiographe passe à la petite échelle en affirmant que le pouvoir de Grallon le Grand s’étendait sur toute la Bretagne (II, 12 : Britanniae tenebat sceptrum) alors qu’il gratifie trois chapitres plus loin (II, 15) ce personnage historico-légendaire des titres de Cornubiensium rex et de moderator Cornubiorum68. Pour résoudre cette apparente contradiction, Arthur de La Borderie supposait gratuitement ici une interpolation du XIe siècle69. Sans doute vaut-il mieux s’en tenir au texte. Wrdisten prend toute la population de Bretagne pour des Cornouaillais (ou plus exactement ici des « Cornoviens » : Cornubienses/Cornubii) dans la mesure où les rois bretons de son temps sont issus du , assimilé à la Cornouaille70.

Riwal, « chef des Bretons de part et d’autre de la mer » ?

17 Plus de deux siècles et demi après les Carmina d’Aldhelm (dont l’œuvre était appréciée à Landévennec71), voici qu’affleure donc à son tour dans la littérature hagiographique de Bretagne continentale le binôme Cornubia/Domnonia. Wrdisten laisse entendre, comme on vient de le voir, que la Domnonée était divisée en pagi72. En effet, le livre I de la Vita localise dans le « pays de Goëlo » (I, 4 : pagus Velamensis ; recte : Velaviensis) l’île Laurea (Lavrec, dans l’archipel de Bréhat) où Fracan, le père de son héros, conduit celui-ci pour le placer sous la férule de saint Budoc73. Alors que le jeune saint achève sa formation scolaire, il fait son apparition pour ressusciter Maglus, le « jockey » (puer) de son père, victime d’une chute mortelle, à l’occasion d’une course hippique organisée entre ce dernier et Riwal, « duc de Domnonée », « pour savoir lequel de leurs chevaux était le plus rapide74 ».

18 L’intervention de Riwal et l’association de ce « chef » breton avec la Domnonée (Domnoniae ducis)75 retiennent ici l’attention. En effet, la production hagiographique et les listes généalogiques ultérieures76 font de ce personnage le principal dirigeant de la « grande migration bretonne » (celle des saints) « en Domnonée77 ». La Vita de saint Lunaire (XIe-XIIe siècles, mais dont subsistent des fragments d’une version des IXe-Xe siècles78) évoque explicitement, sans mentionner la Domnonée, la fondation d’un royaume double : « Il y eut en Bretagne, de l’autre côté de la mer, un homme nommé Riwal qui fut le chef des Bretons de part et d’autre de la mer jusqu’à sa mort79. »

19 Léon Fleuriot faisait grand cas d’une indication de cette même Vita relative au « roi Gillebert [= Childebert] qui en ce temps là régnait en France ainsi qu’en Bretagne80 ». La proposition lui semblait susceptible d’apporter des précisions sur le statut politique de cet espace transmanche dans la première moitié du VIe siècle81. Toutefois, sous la forme Rigimael, on retrouve Riwal dans la Vita Guenaeli Longior. Ce document a « toutes les chances d’appartenir à la seconde moitié du IXe siècle, au plus tard au tout début du Xe siècle82 ». Or, en rapportant le débarquement de saint Guénaël et de ses compagnons dans la péninsule, c’est à la tête de la Cornouaille que l’hagiographe place ce personnage omniprésent dans les sources contemporaines :

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« On toucha enfin le rivage désiré et l’on aborda à une terre appelée la Cornouaille. Le roi qui régnait sur cette terre s’appelait Rigimael83. »

20 L’explication la plus simple serait, bien entendu, de postuler que Domnonée et Cornouaille se réclamaient confusément d’une même origine historico-légendaire. Mais on ne doit pas écarter pour autant l’hypothèse qui ferait ici de Cornugallia une appellation s’étendant à l’ensemble de la Bretagne. C’est ce sens que revêt en effet le plus souvent ce toponyme chez les auteurs francs contemporains84. De même, selon la Vita de saint Oudocée (Euddogwy) compilée dans le Livre de Llandaf (Liber Landavensis – troisième décennie du XIIe siècle), Budic, le père du héros, « natif de Cornouaille continentale » (Cornugallia) aurait été « expulsé de son pays » et serait « venu avec sa flotte en Démétie (Dyded) où il aurait épousé une princesse locale85 ». À la mort de leur roi, les habitants de sa région natale de Cornouaille (de natiua sua regione Cornugallia) l’auraient rappelé pour qu’il prenne le pouvoir. « Il emmena sa femme enceinte et toute sa famille, dirigea sa flotte vers son pays, et régna sur toute l’Armorique86 ». C’est donc ici encore à toute la péninsule que s’applique le nom de Cornugallia.

21 De son côté, Wrdisten, qui qualifie saint Guénolé de cornugillensis dans l’intitulé de la préface de sa Vita longior 87, n’écrit-il pas pourtant, comme on l’a vu plus haut, que Grallon, roi des « Cornoviens », détenait la suprématie sur l’ensemble de la Bretagne ? On en vient dès lors à soupçonner en filigrane de la carte bipartite de la Bretagne tracée par l’abbé de Landévennec une situation plus complexe, issue d’un passé en cours de recomposition. En somme, comme l’écrit pertinemment Joseph Claude Poulin, toute la question revient à déterminer si cette documentation « reflète » la mémoire des origines bretonnes ou si elle la « fonde88 » ?

Nomnia, la terre énigmatique du roi Catov ?

22 C’est pourquoi le chapitre I, 2, qui relate la migration des parents du saint en Petite Bretagne en prélude à la naissance de Guénolé doit à présent faire l’objet d’une analyse approfondie. Il est indispensable de citer ce texte en entier et d’en proposer une traduction qui constitue déjà en soi – par les choix opérés et assumés – un des fondements du commentaire qui s’impose. En effet, si, comme on serait en droit de le déduire des considérations précédentes, l’hagiographe avait décalqué anachroniquement la géographie politique de la Bretagne de son temps sur la situation en Grande-Bretagne à l’époque d’Aldhelm89, il resterait à rendre compte de ses hésitations (dont atteste une cacographie dans les manuscrits alors que le nom de Domnonia était familier aux copistes) pour définir le territoire britannique contrôlé par le « roi de Bretagne » Catovius donné dans la Vita comme le cousin de Fracan, le père du futur saint.

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23 La copie la plus ancienne (BnF, lat. 5610A – xe-début XIe s.) de la Vita major Winwaloei porte la proposition : Cuius etiam predicti regis erat terraNomńe [avec un i abréviatif au dessus de l’n] dicta. En éditant cette Vita, le Bollandiste Charles de Smedt transcrit cette abréviation en Nomniae (« La terre de ce roi susdit était appelée Nomniae »). Il y voit une forme fautive de Domnoniae, ce qui implique que l’hagiographe viserait ici la Domnonée insulaire90. L’abréviation provient à coup sûr de l’original puisque le copiste du manuscrit de Quimper, (Bib. mun. Quimper, 16 – milieu XIe siècle) du Cartulaire de Landévennec a pour sa part développé celle-ci en nomine (comme si le i suscrit se rapportait à la lettre « m »). En intervertissant ainsi malencontreusement les jambages du n et du m, il se montre moins heureux (mais tout aussi consciencieux) que, plus loin, lorsqu’il rétablit la forme Cornubie portée probablement par son modèle.

24 Cette lectiodifficilior a la préférence d’Arthur de La Borderie sous prétexte que Nomniae ne ressemble nullement à Domnoniae. Il suppose donc, en note, que la leçon Nomnie du manuscrit latin 5610A de la BnF provient « sans doute d’une mauvaise lecture de l’original » et en déduit que le remanieur a « fortement travaillé » ce passage. Mais pour aboutir à une traduction qui se tienne du texte latin cujus cum etiam predicti regis terra nomine dicta (« le pays du roi susdit qui avait pris son nom de celui de ce prince »), l’érudit régionaliste est contraint de manipuler celui-ci en lui infligeant de sérieuses corrections grammaticales, quitte à remplacer cuius par eius91. En évitant prudemment de trancher, Joseph-Claude Poulin remarque cependant que la leçon nomine s’accorde « avec le passage correspondant du livre III, I, 2 » (De Fracano)92. L’argument n’est pas probant. En effet, ce vers 16, Coepit habere locum modo cujus nomine dictum (« il entra en possession de ce lieu qui est maintenant appelé de son nom »)93, a pour sujet Fracan et fait ici écho à l’installation de celui-ci, à Ploufragan, la ploue qui porte le nom « de son inventeur » (ab inventore nuncupatum), et non pas au royaume de Catovius.

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25 Pour justifier son hypothèse, Arthur de La Borderie a donc été obligé de supposer gratuitement que « Catoui avait donné son nom à son petit royaume qui se serait appelé, par exemple, Bro Catoui (Patria Catouii) ou de quelque nom analogue et n’a laissé nulle trace dans les documents historiques venus jusqu’à nous ; mais des petits royaumes bretons du Ve siècle, combien n’y en a-t-il pas dans le même cas94 ? » L’argument n’est pas aussi fantaisiste qu’il pourrait sembler au premier abord. C’est ainsi que la Vita Oudocei qui relate, comme nous l’avons vu plus haut, le retour de Budic, père de saint Oudocée, dans son pays natal pour y reprendre le pouvoir dont il avait été spolié, préciseun peu plus loin, que « la Cornouaille fut ensuite appelée Cerniu Budic95 ». Quoique l’information ne soit pas confirmée par ailleurs, il est possible que l’hagiographe ait enregistré ici une appellation contemporaine des événements qu’il évoque confusément96. L’apposition du nom d’un chef (Budic) à la dénomination ethnique (Cerniu) de son territoire n’a rien d’aberrant. C’est ainsi que le Vannetais est devenu le Bro Erec (« Pays de Waroc »)97.

26 Toutefois, il est beaucoup plus logique (et plus économique) de suivre le père Charles de Smedt et de prendre la forme Nomn[i]e de la version originale pour une variante du nom de la Domnoniae insulaire. Laconstruction grammaticale de la proposition est ainsi bien moins acrobatique. L’argument d’Arthur de La Borderie selon qui « étymologiquement » la syllabe Domn- est « la plus caractéristique 98 » du nom de la Domnonée n’est pas dirimant99, à condition d’admettre que Wrdisten (qui réserve par ailleurs la forme correcte du toponyme à la Domnonée continentale) a pu reproduire ici une forme aberrante relevée dans l’une de ses sources manuscrites. C’est à cette dernière que ferait allusion la phrase d’amorce du premier chapitre de la Vitalongior : « L’île de Bretagne, d’où procéda jadis, à ce qu’on rapporte communément, l’auteur de notre race100. » À l’encontre de ce qu’en pense Joseph Claude Poulin101, il est tentant de voir dans l’incise ut vulgo refertur102 la confirmation de ce que l’abbé de Landévennec avait à sa disposition des listes généalogiques. En effet, des déformations telles que Mannia, Manaw, Manan, Mynav, tout aussi aberrantes que la forme énigmatique Nomnia, se relèvent dans divers documents généalogiques gallois plus récents que la Vita, du moins sous leur forme actuelle (De situ Brecheiniauc ; Cognatio Brychan ; Boned y Saint ; Plant Brychan ; etc.) Dans la version qui nous est parvenue par l’intermédiaire d’un manuscrit du début XIIIe siècle, le De situ Brecheiniauc remonte au moins au XIe siècle. Des arguments philologiques autorisent Charles Thomas à postuler l’existence d’une version primitive mise par écrit dès la fin du VIe siècle103. Relevons, à titre d’exemples, quelques mentions parmi les fils de Brychan, éponyme du royaume gallois de Brycheinog (Brecknock), énumérés dans ce document : 11. (6) Kynon, filius Brachan qui sanctus est in occidentali parte predicte Mannie (« […] qui est saint dans la région occidentale de la Mannia susdite »). 11. (10) Berwyn filius Brachan in Cor[n]wallia104.

27 La même source ajoute enfin que « le tombeau de Brychan est sur l’île qui s’appelle Enys Brachan qui se trouve à côté de Mannia105 ». Charles Thomas identifie, arguments archéologiques à l’appui, ce site insulaire avec l’île de Lundy dans le canal de Bristol, en vue de la côte du Devon106. Ces traditions sont confirmées par la Vita de saint Nectan (XIIe siècle) qui fait de son héros le fils aîné de Brychan et donne sa propre liste des vingt-quatre fils et filles de Brychan en ajoutant que tous « furent saints par la suite, menant une vie érémitique en Devon, en Galles et en Cornwall107 ».

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28 Le chanoine augustinien de l’abbaye de Hartland (Devon) qui a sans doute rédigé cette Vita était bien placé pour en actualiser le cadre géographique 108 tandis que les compilateurs des généalogies galloises n’étaient apparemment pas en mesure d’identifier la région précise dont il s’agissait. Il n’y a pas lieu de débattre ici de l’historicité de ces indications. Par contre, force est d’admettre que celles-ci, à tort ou à raison, font état d’un mouvement de certains éléments des familles dirigeantes du pays de Galles au milieu du VIe siècle en direction du sud-ouest de la Grande-Bretagne109 et, probablement, sur leur lancée vers la Bretagne continentale. Ce qui importe pour le présent propos c’est de constater que, sur ces manuscrits tardifs, ces variantes (qui comportent des confusions entre les jambages de « m » et de « n » du même ordre que celles infligées à la syllabe Nomn- dans la Vita Winwaloei) s’appliquent incontestablement ici aussi à la Domnonée insulaire.

29 Comme le fait subtilement remarquer Charles Thomas, les déformations infligées au toponyme s’expliquent aisément par la réduction des contacts à partir du VIIe siècle entre le Brycheiniog et le Sud Ouest de la Grande Bretagne. Tout en conservant la mémoire d’une vaste entité territoriale englobant le Cornwall, le Devon et une large part du Somerset, les clercs gallois auraient perdu le souvenir du nom qui s’attachait à celle-ci durant la période post-romaine sous la forme latinisée de Damnonia110. En transcrivant (chacun à sa façon) un nom de lieu altéré qui n’évoquait rien pour eux, les deux copistes de la Vita longior de saint Guénolé ne nous auraient-ils pas mis sur la piste d’éventuelles sources généalogiques auxquelles aurait puisé l’hagiographe ?

Énée, le « Breton » et le « parcours sinueux des légendes111 »

30 Étant donnés les aléas de la tradition manuscrite, la fragilité d’une hypothèse paléographique fondée uniquement sur le développement d’une simple abréviation par suspension112 n’échappera à personne, non plus, en premier lieu, qu’au signataire du présent article. Mais la critique interne des premiers chapitres de la Vita vient conforter cette première intuition. En effet, voici déjà plus d’une quinzaine d’années, sur les indications du chanoine Jacques Raison du Cleuziou, nous avions remarqué que la formule « un homme illustre espoir d’une sainte lignée » (uir quidam illustris, spes prolis beatae) appliquée à Fracan par Wrdisten dans ce chapitre 2 du livre I formait diptyque avec la proposition qui ouvre le chapitre précédent (I, 1) : « L’île de Bretagne, d’où procéda jadis, à ce qu’on rapporte communément, l’auteur de notre race » (Britannia insula, de qua stirpis nostrae origo olim, ut vulgo refertur, processit113). Ces deux phrases font écho à un même passage de l’Énéide de Virgile (XII, 166-168) : « Voici le vénérable Énée, souche de la race romaine/Avec son bouclier étincelant comme un astre et ses armes célestes/Et, près de lui, Ascagne, le second espoir d’une Rome majestueuse/Ils viennent du camp […]. » (Hinc pater Aeneas, Romanae stirpis origo/Sidereo flagrans clipeo et caelestibus armis/Et iuxta Ascanius, magnae spes altera Romae/Procedunt castris […].)

31 Le parallèle est intentionnel de la part de Wrdisten puisque, dans le second chapitre du livre III versifié, il présente à nouveau Fracan : « Il y eut un homme de grand mérite descendant de la longue lignée des Bretons » (Vir fuit antiqua magni de stirpe Britonnum/ Exortus meriti […]114) dans un vers où se décèle encore une réminiscence de l’Énéide (VI, 864) dont il prend soin de respecter la cadence : « Est-ce son fils, ou quelque descendant

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de sa longue lignée ? » (Filius, anne aliquis magna de stirpe nepotum115?). Somme toute, il n’y a rien d’exceptionnel à ce qu’un lettré du haut Moyen Âge relise l’histoire de son peuple à travers le prisme virgilien de la fondation mythique de Rome116. La tradition légendaire de l’origine troyenne des Bretons, descendants de Brutus, petit-fils d’Énée affleure déjà dans l’Historia Britonnum, attribuée à Nennius117. Mais l’abbé de Landévennec, en sélectionnant dans l’œuvre de Virgile le vocabulaire du lignage (stirpis origo; spes prolis, etc.) nous oriente à nouveau vers une enquête généalogique que de simples données paléographiques n’auraient peut-être pas suffi à nous engager à entreprendre.

32 Si Wrdisten reste délibérément discret sur « l’auteur de notre race », il est par contre plus disert sur la personnalité de Fracan, « espoir d’une sainte lignée », dont il fait l’époux de « Blanche surnommée “aux trois mamelles” parce qu’elle eut trois mamelles, conformément au nombre de ses fils » (Alba […] quae cognominatur Trimammis, eo quod ternas, aequato numero natorum, habuit mammas). Le nom d’Alba Trimamma est l’équivalent latin du breton Gwenn Teirbron (« aux trois seins »). Au XIIe siècle (?), la Vita de saint Jacut qui constitue un « rameau détaché » de celle de saint Guénolé118, souligne la correspondance : « Guen qui en latin se rend par Blanche » (…quod latine sonat Candida)119. Gwenn Teirbron se retrouve dans le Bonedd y Saint gallois (« Noblesse des saints », compilée au XIIe siècle) où elle est présentée comme la mère de saint Catvan d’Enlli : 19. « saint Catvan d’Enlli fils d’Eneas ledevic o Lydaw et de Gwenn teirbron fille d’Emyr Llydaw sa mère » (Catvan sant yn Enlli m. Eneas ledevic o Lydaw, a Gwenn teirbron merch Emyr Llydaw Gwenn teirbron merch Emyr Llydaw y vam)120.

33 Le nom d’Emyr Llydaw (« Empereur de Bretagne ») porté par le père de sainte Gwenn n’apporte guère d’éclaircissement. Le terme gallois Llydaw correspond à l’ancien nom breton de l’Armorique Letau (Letavia, le « plat pays » en latin) qui s’est prêté à des confusions (délibérées ou non) avec le Latium. Emyr est un titre dérivé du latin imperium qui s’applique à n’importe quel chef breton121. C’est ainsi que le comte de Bretagne Alain Fergant (1084-1117) apparaît lui aussi dans une entrée ultérieure de la même compilation généalogique comme un fils d’Emyr Llydaw122.

34 Par contre, la mention d’Enéas comme l’époux de Gwenn donne, évidemment, un autre relief aux citations virgiliennes dans la Vita longior de saint Guénolé. L’explication de Peter Clement Bartrum selon qui Gwenn aurait pu être mariée deux fois ne tient pas123. En effet l’expression ledevic o Lydaw signifie littéralement « le Breton armoricain de Bretagne armoricaine124 ». On peut donc se demander s’il ne s’agit pas d’un surnom s’appliquant à Fracan ; d’autant que saint Catvan d’Ynys Enlli (Bardsey Island ; Gwynedd, pays de Galles) dont le Bonedd y Saint fait le filsGwenn Teirbron et d’Emyr Llydaw a été confondu avec Guethenoc, l’un des deux frères aînés de Guénolé selon la Vita de celui-ci. Les deux noms ont le même sens, aussi ont-ils pu être pris l’un pour l’autre125. Cadvan (« homme de combat ») est probablement le nom, et Guethenoc (« qui combat ») le surnom126. Ce faisceau de convergences est trop serré pour ne pas conforter l’hypothèse d’une assimilation entre Fracan et Eneas ledevic o Lydaw.

35 Quel que soit le sens dans lequel se sont produits ces échanges, l’écho que rencontrent les allusions de Wrdisten au livre XII de l’Énéide dans les listes généalogiques d’outre Manche nous autorise donc à y voir davantage que de la coquetterie stylistique de la part de l’hagiographe. Il est donc légitime de prendre en compte ces sources insulaires pour identifier la « terre » du roi breton Catovius, cousin de Fracan, d’après la Vita

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longior. En effet, cet « homme très célèbre selon le siècle » (uiri secundum seculum famosissimi) figure dans les listes généalogiques insulaires et continentales. Cado (Cadwy) apparaît dans l’AchMorgan ab Owain (« Ascendance de Morgan ab Owain » [† 974] : Morgan hen, éponyme du Morgannwg, Glamorgan, Pays de Galles) transmise par un manuscrit de la fin du XIVe siècle (Jesus College Ms 20, dont la source est antérieure à 1200). Il est présenté comme le fils et successeur de Gereint à la tête de la Domnonée insulaire. Ce dernier serait lui-même fils de Cynwawr (= Conomor), descendant de Cynan, fils d’Eudaf Hen (Conan Mériadec et Octavius, chez Geoffroy de Monmouth127).

36 Des éléments de cette liste se retrouvent dans la généalogie de saint Winoc qui présente celui-ci comme un descendant de Riwal, fondateur de la dynastie de Domnonée armoricaine. Ce document (sans doute en provenance de l’abbaye de Saint-Méen) a été inséré au XIe siècle au début de la Vita Winoci par un moine de Bergues (Pas-de-Calais) chargé de composer les « Vie, généalogie et miracles » du saint patron de son abbaye, donné (à tort ou à raison) comme de souche royale bretonne :

37 « Rival, duc de Bretagne était le fils de Deroch, fils de Withol, fils d’Urbien, fils de Cathov, fils de Gerenton. Ce Rival, venu des Bretagnes d’outre-mer avec de nombreux navires prit possession de toute la petite Bretagne à l’époque de Clothaire, roi des Francs qui était le fils du roi Clovis128 ».

Gereint, les Gerontii et les origines de la Bretagne

38 Toutefois Riwal n’apparaît pas dans la généalogie insulaire129. La suture entre la liste galloise et la généalogie bretonne s’effectue trois générations avant lui au niveau d’Urbien que la Vita de saint Winoc donne, par contre, comme le petit-fils de Gerenton. Cet Urbien est en effet identifiable avec Erbin, le père de Gereint selon l’AchMorgan ab Owain. En outre, le Bonedd y Saint, fait d’ Erbin le fils de Custenin Gorneu130qui est vraisemblablement, comme nous l’avons suggéré plus haut, le même personnage que le prince de Domnonée Constantin, admonesté par Gildas au début du VIe siècle131. Confusément, une triade galloise transmise par un manuscrit du premier quart du XIVe siècle fait de « Goreu, fils de Custennin » (Goreu vab Kustenin) le cousin du roi Arthur qui aurait libéré ce dernier de prison à trois reprises. Rachel Bromwich note à ce propos que ce sont de telles légendes relatives à Custenin Gorneu qui ont pu amener Geoffroy de Monmouth et le Brut gallois à rattacher artificiellement Arthur à la dynastie de Devon (Arthur m. Uthur, m. Custennin, etc.)132.

39 De même, le conte arthurien gallois vab Erbin qui présente son héros comme le cousin du roi Arthur fait aussi mention d’Erbin et de son père Custennin. Toutefois, selon Rachel Bromwich, l’influence l’Historia Regum Britanniae (vers 1135) de Geoffroy de Monmouth est ici nettement perceptible. En effet, un poème intitulé Gereint fi[lius] Erbin (IXe-XIe siècles ?) qui rapporte la mort du héros à la bataille de Llo[n]gborth (Langport, Somerset ?) à la tête « des braves de la terre de Domnonée [= Diwneint] » signale la présence d’Arthur à ses côtés, mais ne fait pas état de liens de parenté entre eux133. On sait que le récit du XIIe siècle en moyen gallois fait écho au roman Erec et Enide de Chrétien de Troyes. Dans les deux versions, l’héroïne porte le même nom (Enid / Enide : personnification de la ville de Vannes : Gwened, en Breton 134). Mais le nom d’Erec qui tient la place de Geraint dans l’œuvre du romancier champenois, dérive de celui de

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Waroc, éponyme du Broerec (« Pays de Waroc » = Vannetais) dont les circonstances de la conquête sont relatées par Grégoire de Tours135.

40 En outre, d’une Bretagne à l’autre, des légendes hagiographiques concordent pour associer Gereint aux routes maritimes trans-Manche. La Vita de saint Turiau (rédigée entre 859 et 866136 ?) montre ce saint évêque de Dol prévenu par une vision miraculeuse du décès de Geren, « son ami d’outremer137 » : « Aussitôt ils mirent un bateau à la mer avec des marins pour vérifier ce miracle ; au milieu de la mer (in mari medio) ils rencontrèrent des envoyés annonçant le décès de l’ami de l’homme de Dieu138. »

41 Une Vita de saint Teilo incluse dans le Livre de Llandaf comporteun épisode évidemment démarqué du précédent139. On sait qu’afin étayer les prétentions du diocèse de Glamorgan face aux contestations des évêchés voisins de Hereford et Saint-David’s (Mynyw)140, l’auteur de ce texte, Étienne, frère de l’évêque Urbain (1107-1134), a pris le parti de délocaliser son héros (qui était en fait le patron Fawr, Carmarthenshire, Pays de Galles) sur le siège épiscopal de Llandaf où il aurait succédé à saint Dubrice141. Pour échapper à l’épidémie de « peste jaune » (548)142, Teilo doit se réfugier en Armorique auprès de Samson, archevêque de Dol143. Au bout de sept ans et sept jours (septem annis ac septem mensibus), l’épidémie ayant cessé, le saint est averti par un ange que le « roi Geren » qui l’avait bien accueilli lors de son passage en Cornouaille (ad Cornubiensem regionem) et qui l’avait pris pour confesseur était mourant144. Le saint évêque prend donc la mer pour lui apporter le viatique comme il s’y était engagé. À mi-route (in medio maris), son navire croise celui que Geren avait envoyé pour lui rappeler sa promesse. Naviguant de conserve, les deux bateaux parviennent au port appelé Din Gerein (Gerrans, Cornwall ? – Cardigan, Pays de Galles145 ?). Le roi décède muni des derniers sacrements et est inhumé dans le sarcophage (sarcofagum) importé miraculeusement par Teilo à cet effet. Le saint rejoint ensuite son siège épiscopal et exerce jusqu’à sa mort « le principat146 sur toutes les Églises de l’ensemble de la Bretagne méridionale » (pricipatum tenens super omnes ecclesias totius dextralis Britanniae)147.

42 Tandis que l’auteur de la Vita de saint Teilo situe explicitement en Cornubia (Cornubiensem regionem) le royaume de Geren conformément à la géographie politique de son temps, celui de la Vita de saint Turiau se contente de le placer « outre mer » (trans mare). Toutefois, Constantin, « roi d’outre-mer » (regem ultra marinum)qui fait aussi de lafiguration dans cette même Vita (et en qui l’on reconnaît Custennin Vendigeit [« le Béni »], c’est à dire Constantin de Domnonée), est ici le fils de Peterni de Corvio (« Patern de Cornwall »)148. Le copiste auvergnat du manuscrit de Clermont (XIIIe-XIVe siècles) qui contient cette version de la Vita n’a manifestement pas saisi de quelle région de Grande-Bretagne il s’agissait. Mais en imposant la restitution de Cornovio, il apporte involontairement une précieuse indication relative au texte original puisque la forme Cornovia (directement dérivée de l’ethnonyme des Cornovii de l’Antiquité tardive) est antérieure à la forme Cornubia, latinisation médiévale du celtique Kernow/Kernyw149.

43 Plusieurs membres de la lignée royale de Domnonée ont donc dû porter ce nom de Gerent/Gerenton. Le mieux attesté historiquement est le Geruntius († après 710), « maître très glorieux du royaume d’Occident150 », destinataire d’une lettre d’Aldhelm. Ce dernier est par ailleurs, comme on l’a vu, le premier auteur à faire mention de la Cornubia insulaire151. Gerent roi des Bretons (Gerente Wala cyninge), combattu en 710 par Ina (688-726), roi de Wessex, selon la Chronique anglo-saxonne, est probablement le même

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personnage historique, ou du moins lui est-il sans aucun doute apparenté152. Ce roi du début du VIIIe siècle et ses divers homonymes qui se rencontrent au fil des sources plus ou moins légendaires n’atteste-t-il pas de l’enracinement dans l’île d’une branche de la gens des Gerontii, « souche de la tige des rois bretons de Domnonée », se demande Jean- Christophe Cassard153. Sans doute convient-il de rattacher « à cette famille d’anciens officiers romains et chrétiens » le général britto-romain Gerontius qui a suivi – avant de se soulever contre lui – l’usurpateur Constantin III (407-411)154, confondu ultérieurement dans les sources britanniques avec l’empereur Constantin le Grand (306-337), voire avec Custennin Vendigeit ? D’autres membres potentiels de cette même grande famille interviennent sur le continent durant l’Antiquité tardive. Ainsi, le nom de Gerontia est-il porté par la mère de sainte Geneviève, membre influente de la curie parisienne, dont le père est un haut dignitaire romanisé d’origine franque155. C’est ce qui fait l’intérêt de la triade galloise qui compte Gereint mab Erbin au nombre des trois Llyghessavc (« navigateurs » ; « possesseurs de navires » ; cf.irl.loingsech : « seafarer », « pirate », « exile ») de l’île de Bretagne156, au même titre que Marc mab Meirchyavn qu’André Yves Bourgès a proposé, avec des arguments convaincants, d’identifier à Marc Conomor, mentionné dans la Vita de saint Paul Aurélien rédigée à Landévennec en 884 par Wrmonoc, disciple de Wrdisten157. On voit en lui un avatar du « comte » breton Chonomor impliqué dans les événements rapportés par l’Historia Francorum158 et du « chefétranger » (externusiudex) Commor de la Vita de saint Samson.Dès lors, n’est-il pas significatif de retrouvercelui-ci, sous la forme Kynwawr, parmi les prédécesseurs deGereint selon l’AchMorgan ab Owain qui a retenu jusqu’ici notre attention ?

Une « légende à partie double » : de Catovius à saint Cadoc

44 Le nom de Cado (Cathov), le fils de Gereint d’après cette même source et la généalogie de saint Winoc, se retrouve sous la forme Cattw (= Gadwr, Gadw, Gadwy, Gadw) dans une variante de ces listes transmise par le Bonedd y Saint où se relève par ailleurs l’entrée consacrée à Catvan, Enéas ledewic et Gwenn Teirbron. Ici aussi Kynvar (Conomor) figure au nombre de ses ancêtres159. Cado a probablement joui de légendes analogues à celles dont a été gratifié Gereint puisqu’il figure dans les listes de héros du Rêve de Ronabwy (Breudwyt Ronabwy) et du Rêve de Macsen Wledig (Breudwyt Maxen)160. La Vita Ia Carantoci (début XIIe siècle) qui combine des données relatives au saint gallois Carannog et au saint irlandais Cairnech161 fait régner Cato en association avec Arthur à Dindrarthou (?), sur le territoire de Carrum (Carhampton, Somerset) à l’embouchure de la Severn162. Ce dernier dérobe l’autel du saint afin d’en faire une table qui pourrait bien être à l’origine du motif de la table ronde163. Chez Geoffroy de Monmouth, Cador, dux Cornubie (dans le Brut gallois : yarll Kernyw, etc.), est l’allié du roi Arthur, probablement par suite d’une confusion avec Cadyw m. Gereint164.

45 Quelques indices stylistiques pourraient permettre d’attribuer la rédaction de cette Vita de saint Carantoc à Lifris165, « archidiacre de Glamorgan et magister de saint Cadoc de Nantcarvan » (Llancarfan, Morgannwg, Pays de Galles), fils de l’évêque Herwald de Llandaf, († 1104). Cet hagiographe à qui l’on doit une Vita de saint Cadoc dans la seconde moitié du XIe siècle166 était certainement en contact étroit avec le Cornwall 167 comme avec la Cornouaille continentale, et notamment avec l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé (fondée vers 1050). Il rapporte en effet un épisode concernant l’île Cado(Inis

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Catbodu) où ce monastère détenait un prieuré (Enes Cadvod, en Belz, sur la rivière d’Etel : in quadam insula in flumine quod Ectell nominatur). Une confusion avec un saint Cadbodu local rend vraisemblablement compte de l’attribution de cette légende à saint Cadoc. En tout cas, Gurheden, qui a compilé (entre 1118 et 1127) le Cartulaire de Quimperlé explique qu’il ne dispose plus de cette Vita de saint Cadoc, parce qu’un prêtre appelé Judhuarn l’avait emportée furtivement au-delà de la Vilaine et était décédé avant de la restituer168. Bernard Tanguy a démontré, d’autre part, que la longue généalogie qui ouvre, dans ce cartulaire, la Vita de saint Gurthiern, fondateur légendaire de l’abbaye, recyclait des éléments issus de la légende de Vortigern169, responsable de l’invasion anglo-saxonne selon l’Historia Britonnum attribuée à Nennius170 et dont le nom (que Gildas paraphrase probablement en latin par l’expression superbus tyranus : « grand chef » ; « chef orgueilleux »)171 correspond à une forme ancienne de celui de Gurthiern. Mais surtout, ce chercheur a établi que l’essentiel de cette généalogie provenait des « extraits » de celle de saint Cadoc (Llyma weithon ach Cattwc Sant172) copiés dans le même manuscrit (Jesus College Ms 20) qui comporte aussi l’AchMorgan ab Owain. Pourquoi le « roi de Bretagne » Cado (Catovius) n’aurait-il pas bénéficié – à l’instar de Vortigern assimilé à saint Gurthiern – d’une légende « à partie double » (si l’on veut bien nous passer l’expression) grâce à une confusion avec le saint panceltique homonyme173 ? Il n’y a pas lieu de reprendre ici un commentaire détaillé de la généalogie de saint Gurthiern174. Ce qui importe à l’auteur de la Vita, c’est de mettre le passé historico- légendaire de la Grande-Bretagne au service du culte de la Croix à laquelle est dédiée l’abbaye de Quimperlé en remontant jusqu’à « Maximien fils de Constant, fils de Constantin, fils d’Hélène qui eut à ce qu’on dit la Croix du Christ » (en passant par Kynan, un avatar du légendaire Conan qui n’est pas encore surnommé Mériadec, mais qui fait ici son entrée dans la littérature bretonne pour ne plus en sortir)175.

46 Ces chassés-croisés entre générations, ces anachronismes et ces incohérences apparentes d’une liste généalogique à l’autre attestent de ce que, durant des siècles, on n’a cessé de puiser, au gré de la conjoncture, dans un fonds commun à la Bretagne et la Grande-Bretagne176. C’est pourquoi le rappel par Wrdisten des liens de parenté entre Catovius et Fracan, le père de son héros, les allusions implicites de l’hagiographe à l’« ancêtre de notre race » qu’il pare paradoxalement de la gloire virgilienne, sans les reprendre à son compte (ut vulgo refertur177), ne sont certainement pas gratuits. Les traditions auxquelles celui-ci se réfère devaient être assez largement partagées pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en dire davantage. Sa discrétion nous oblige toutefois à nous en tenir au stade de l’hypothèse. L’« ancêtre de notre race » ne serait-il pas déjà quelque prototype de Conan Mériadec, comme inciteraient à le supposer les développements ultérieurs de la généalogie de Cado et l’assertion d’Albert Le Grand qui fait de Fracan le neveu du « valeureux et magnanime Prince Conan Mériadek » ? Pour une fois, le savoureux compilateur des Vies de saints de la Bretagne Armorique (1637) n’aurait-il pas mis dans le mille ? « Conan Meriadek […] en récompense des services que luy avoit faits son beau frère Derdon (naguère lors décédé) fit à son fils Fragan espouser une noble et riche dame nomée Gven, c’est-à-dire Blanche, leur donnant le gouvernement des contez de Leon et Cornoüaille […]178. »

47 En délocalisant le culte de Guénolé en Léon, à l’encontre de la Vita du IXe siècle qui situe l’établissement de la famille de Fracan dans la baie de Saint-Brieuc, Albert le Grand suit une tradition « léonarde » déjà attestée dans la première version des Chroniques et Ystoires des Bretons (vers 1460-1480) de Pierre Le Baud179 qui place la naissance du saint

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au manoir de Lesven à Plouguin (Finistère Nord)180. En inscrivant anachroniquement la source médiévale qu’il paraphrase dans le réseau seigneurial de son temps, l’hagiographe dominicain du XVIIe siècle actualise en quelque sorte les « subdivisions territoriales » (Cornubia et Domnonia) tracées par son prédécesseur bénédictin du IXe siècle. Mais en rapportant la Cornubia au « dernier royaume britonnique indépendant au sud-ouest de la Grande-Bretagne » (jusqu’en 875), Wrdisten entendait-il pour autant proposer aux comtes de Poher « une autre présentation de leur pouvoir, soutenant leur totale indépendance du pouvoir franc181 » ? Comment concilier un tel projet (« indépendantiste » avant la lettre) avec la mise en relief dans l’œuvre de l’abbé de Landévennec du diplôme (818) concédé par Louis le Pieux (814-840) à son prédécesseur Matmonoc ? Par l’intermédiaire de ce dernier, ce sont « tous les évêques et tout l’ordre ecclésiastique de Bretagne » qui sont visés et les prescriptions impériales ne valent pas que pour « le monastère susdit », mais sont applicables « dans tous ceux qui [lui] sont soumis et dans les autres182 ». Bref, il y a lieu, au contraire, de considérer Landévennec comme l’un des foyers de rayonnement de l’idéologie carolingienne dans le regnum breton du IXe siècle183. Le « télescopage184 » des traditions cornouaillaises et domnonéennes qui caractérise les listes généalogiques (manifestement corrompues par les copistes ultérieurs) sur lesquelles se fonde implicitement, nous a-t-il semblé, la Vita longior de saint Guénolé vient donc étayer anachroniquement une géographie politique qui ne se soucie pas de reconstitution historique, mais dont on peut se demander dans quelle mesure elle se met au service de cette idéologie en légitimant le pouvoir des protecteurs de Landévennec.

48 Ne perdons pas de vue que toute cette documentation a d’abord une destination liturgique. Cela vaut bien sûr pour les Vitae ; mais aussi pour les généalogies, puisque celles-ci ont pour origine les diptyques sur lesquels était porté le nom des notables pour qui le célébrant intercédait au memento des défunts. En somme, ce sont ces anachronismes et l’enchevêtrement des traditions d’une rive à l’autre de la Manche dont ils témoignent qui font vivre ces textes en les actualisant.

49 On conçoit que l’histoire se soit longtemps montrée réticente devant ce type de sources. L’anachronisme est à l’historien ce qu’était la langue pour Ésope, le meilleur et le pire à la fois. « Péché mortel », selon Lucien Febvre, puisqu’il est illusoire de prétendre combler le fossé entre le passé et le présent ; felix culpa (« heureuse faute ») cependant, comme le chante l’Exultet de la liturgie pascale, en ce qu’elle est révélatrice du gouffre insondable qui sépare le présent du passé ! Les considérations sur l’épistémologie de l’histoire en vogue depuis quelques décennies (re)découvrent que les historiens ne posent sur les « traces » du passé que les questionnements du présent. Comment en irait-il autrement ? Le passé est mort, et bien mort ; il ne saurait être question de le ressusciter ; tout au plus peut-on se le représenter. « Le présent réinvestit ce passé à partir d’un horizon historique détaché de lui. Il transforme la distance temporelle morte en “transmission génératrice de sens”185 ». Du point de vue de Paul Ricœur, cette notion même de « trace » rend présent le passé en termes de « représentance » ou de « lieutenance186 ». Cela va sans dire, peut-être mieux encore en le disant (surtout quand c’est bien dit187). En fait, « de même qu’en mathématiques la grandeur du rapport est autre chose que chacun des termes mis en relation, de même

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l’histoire estla relation, la conjonction, établie, par l’initiative de l’historien, entre deux plans de l’humanité, le passé vécu par les hommes d’autrefois, le présent où se développe l’effort de récupération de ce passé au profit de l’homme, et des hommes d’après. Nous ne pouvons isoler, sinon par une distinction formelle, d’un côté un objet, le passé, de l’autre un sujet, l’historien. Si on la dépouille de ses outrances polémiques et de ses formulations paradoxales, la philosophie critique de l’histoire se ramène finalement à la mise en évidence du rôle décisif que joue, dans l’élaboration de la connaissance historique, l’intervention active de l’historien, de sa pensée, de sa personnalité188 ».

50 En ce domaine non plus, les hagiographes médiévaux ne sont pas en reste. Comme l’indique le terme hagiographia (« Écriture sainte »), ceux-ci font de l’histoire sainte au présent, en donnant sens à un passé qu’ils se représentent à la lumière de la Bible et à travers le filtre des auteurs classiques. Le concept d’« histoire de synthèse » (synthetic history;synthetic pseudo-history) forgé par les chercheurs d’outre-Manche pour définir ce légendaire historicisé189 est particulièrement approprié ici. Les synchronismes artificiels ainsi effectués au prix d’anachronismes permettent de valider l’histoire locale en calibrant celle-ci sur l’histoire universelle qui acquiert de ce fait en retour son certificat de naturalisation (ou son brevet d’inculturation, si l’on préfère). Wrdisten se réfère à l’Énéide et au livre de l’ Exode dans l’Ancien Testament. Il qualifie de « cornouaillais » (cornugillensis) son saint patron qu’il présente – au même titre que Gradlon et Corentin – comme l’un des « trois flambeaux » qui faisaient resplendir « les sommets de la Cornouaille(Cornubiae)190 ». Mais, pourtant, les liens de famille qu’il invoque pour rehausser le prestige de son héros se rattachent à des noms omniprésents dans la documentation ultérieure qui associe ceux-ci (Catov, Riwal) à l’émigration bretonne en Domnonée. Ils sont revendiqués par la suite comme ancêtres fondateurs aussi bien par les lignages domnonéens que par leurs homologues cornouaillais (tant en Grande-Bretagne qu’en Bretagne continentale).

51 La clé de ce paradoxe se trouve peut-être dans les hésitations dont témoignent les manuscrits de la Vita. La première fois qu’il a rencontré le terme Cornubia appliqué à la Cornouaille continentale, on dirait que le copiste du manuscrit de Quimper [Bib. mun. Quimper 16] a été tenté instinctivement d’y substituer la forme Cornugallia plus usuelle pour lui. Alors que le nom de Domnonia appliqué à la partie septentrionale de la péninsule est encore familier aux deux copistes, l’un comme l’autre se montrent incapables d’identifier correctement la Nomnia insulaire sur laquelle règne Catovius. Bref, si la rétroprojection de la bipartition de la Bretagne à son époque sur la situation du temps de Guénolé avait été l’objectif de Wrdisten, on devrait conclure à un échec de sa part, puisqu’elle ne fait plus d’effet sur ses successeurs du XIe siècle191.

52 La solution tient sans doute à la place centrale occupée par le récit de fondation du monastère et à l’insistance de l’hagiographe sur la situation de son abbaye qu’il dépeint littéralement comme le paradis sur terre. Après qu’ils aient traversé « les pays domnonéens » pour atteindre « la frontière de la Cornouaille », l’installation du saint et ses compagnons sur l’îlot de Tibidy (réplique du monastère de l’île Lavrec d’où a essaimé cette petite communauté) illustre une conception pénitentielle du monachisme héritée des Pères du Désert. La traversée miraculeuse de l’« océan profond » pour prendre pied « en Cornouaille » sur le site de Landévennec est rapportée explicitement au passage de la mer Rouge par les Hébreux sous la conduite de Moïse. Cet arrière-plan pascal est renforcé par les réminiscences de l’Exultet dans la description de la ruche

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monastique (II, 6) et la légende des immortels de Landévennec (II, 26)192. Pour Wrdisten, ces spéculations eschatologiques « tiennent lieu » (pour reprendre le concept de Paul Ricoeur) d’histoire sainte de son abbaye193.

53 Toutefois, les apports de l’archéologie procurent une autre grille de lecture aux historiens d’aujourd’hui. En effet, les fouilles menées depuis 1978 par Annie Bardel sur le site de l’ancienne abbaye ont permis de dater dans une fourchette chronologique 470-535 l’une des tombes les plus anciennes du cimetière monastique et d’établir que les moines fondateurs avaient commencé par occuper une riche villa gallo-romaine, sans doute mise à leur disposition par une puissante famille qui en aurait été propriétaire194. Le modèle du monastère placé aux avant-postes de la chrétienté en pays de mission n’est donc pas le plus pertinent ici. Par contre, en pays celtiques (en Irlande notamment), les anciennes fondations monastiques se sont superposées aux lieux de pouvoir préexistants, excentrés en périphérie des royaumes pour contrôler les contacts et les échanges entre territoires mitoyens. C’est ce modèle qui se dégage plutôt du croisement des sources mises en question dans cet article. Les noms retenus par Wrdisten pour calibrer son récit sur l’histoire des origines bretonnes appartiennent à des familles impliquées dans l’émancipation de la Domnonée armoricaine par rapport à son homologue d’outre-Manche. La création d’un royaume subordonné de Cornouaille en Domnonée insulaire au bénéfice des éléments des familles dirigeantes de Cornouaille bretonne amenés à s’y replier à l’occasion de ces événements est une hypothèse que les listes généalogiques rendent plausible195. La fondation par Guénolé d’un monastère « aux confins » des regna qui se redéfinissent alors en Armorique prend dans cette perspective une portée qui échappait sans doute à l’hagiographe carolingien mais qui se décèle en palimpseste des Vitae composées par celui-ci à la gloire de son saint patron

NOTES DE FIN

1. Les cartes régionales des îles britanniques dans l’Antiquité réunies par COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique : Cornouaille et Domnonée de part et d’autre de la Manche aux premiers siècles du Moyen Âge » dans COUMERT, Magali et TÉTREL, Hélène (dir.), Histoires des Bretagnes. 1. Les mythes fondateurs, Brest, CRBC, 2010, p. 18-21 peuvent être complétées par le dossier cartographique sur l’Occident romain compilé par PAPE, Louis, « L’Armorique dans la Gaule. Éclipse et renaissance », dans VENDRIES, Christophe (dir.), Regards sur l’Armorique romaine, Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 105 (1998/2), p. 11-27, en part. p. 25. Voir aussi les « Annexes » de KERNEIS, Soazig, Les Celtiques. Servitude et grandeur des auxiliaires bretons dans l’Empire romain, Presses Universitaires de la Faculté de droit de Clermont-Ferrand, 1998, p. 292-294. 2. KERLOUÉGAN, François, Le De excidio Britanniae de Gildas. Les destinées de la culture latine dans l’île de Bretagne au VIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1987, p. 528 et 560-561. En note du ch. 12, p. 195 n. 8, ce chercheur relève 22 occurrences du terme patria dans le De Excidio.

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3. Selon LOTH, Joseph, L’Émigration bretonne en Armorique du Ve au VIIe siècle de notre ère, Rennes, 1883, [reprint, Slatkine, Paris-Genève, 1980] p. 170, un passage controversé de l’ Histoire des Guerres de Justinien [VIII, 20, 4-5] par Procope de Césarée († v. 562) qui distingue assez confusément l’île de Brittia et la Bretannia permettrait peut-être d’antidater d’un demi-siècle l’attribution du nom de Britannia à la péninsule armoricaine. Voir LEBECQ, Stéphane, Marchands et navigateurs frisons du haut Moyen Âge, vol. 2, Corpus de sources écrites, PUL, 1983, p. 225-226 ; TANGUY, Bernard, « Procope de Césarée et l’émigration bretonne », dans LAURENT, Catherine, MERDRIGNAC, Bernard, PICHOT, Daniel(dir.), Mondes des villes et villes du monde. Regards sur les sociétés médiévales. Mélanges en l’honneur d’André Chédeville, PUR-SHAB, Rennes, 1998, p. 29-35. 4. CASSARD, Jean-Christophe, Les Bretons et la mer au Moyen Âge, Rennes, PUR, 1998, p. 19. 5. Ibidem, p. 15. 6. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », dans LAURENT, Catherine, MERDRIGNAC, Bernard, PICHOT, Daniel,(dir.), Mondes des villes…, op. cit., p. 17-20, rappelle que ces dénominations apparaissent pour la première fois dans la Géographie du géographe alexandrin Claude Ptolémée (entre 141 et 180) et dresse un bilan de la répartition des populations britto-romaines à la fin de l’Antiquité tardive. 7. Sur les rapports complexes entre les formes Cornubia et Cornugallia, cf. MERDRIGNAC Bernard, « Aux « extrémités de la Gaule », la Cornouaille », [à paraître]. 8. TANGUY, Bernard, « Les premiers temps médiévaux », dans LE GALLO, Yves (dir.), Le Finistère de la Préhistoire à nos jours, Saint-Jean-d’Angély, Bordessoules, 1991, p. 93. 9. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique » dans LAURENT, Catherine, MERDRIGNAC, Bernard, PICHOT, Daniel(dir.), Mondes des villes…, op. cit., p. 16, indique que cette argumentation, résumée au début du XXe siècle par DUCHESNE, Louis, Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, t. II, L’Aquitaine et les Lyonnaises, Paris, 2e éd., 1907, p. 252, a souvent été reprise « la plupart du temps sans davantage de précision » au cours du XXe siècle. Cf., par exemple, CHÉDEVILLE, André etGUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints et des rois,Rennes, Ouest-France Université, 1984, p. 22 ; GIOT, Pierre-Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les Premiers Bretons…, op. cit., p. 96-97. On appréciera, par contre, la circonspection dont fait montre la notice de TANGUY, Bernard, « Principautés et Pagi : Domnonée, Cornouaille et Broérec », dans TANGUY, Bernard, LAGRÉE, Michel (dir.), Atlas d’Histoire de Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2002, p. 60 : « Conséquence d’une immigration bretonne venue principalement des régions du Devon et du Cornwall ou de la fondation de royaumes doubles de part et d’autre de la Manche le fait est que la péninsule fut partagée en deux puis trois grandes principautés […]. » 10. FLEURIOT, Léon,Les Origines de la Bretagne, Paris, Payot, 1980, p. 189-190. Cf. TONNERRE, Noël-Yves, « L’Armorique à la fin du Ve siècle », dans ROUCHE, Michel (dir.), Clovis. Histoire et mémoire.t. 1 : Le baptême de Clovis, l’événement, Paris, PUPS, 1998, p. 150-151. 11. CASSARD, Jean-Christophe, « La mise en texte du passé par les hagiographes de Landévennec au IXe siècle », Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, t. 122 (1993), p. 382-385. 12. GIOT, Pierre Roland, « Introduction », dans GIOT, Pierre Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les Premiers Bretons…, op. cit., p. 11. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 40-41, analyse dans cette perspective la Vita Ia Samsonis et la production hagiographique de l’abbaye de Landévennec au IXe siècle sur laquelle le présent article se propose de revenir.

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13. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne du haut Moyen Âge. Répertoire raisonné, Beihefte der Francia, volume 69, Ostfildern (Thorbecke) 2009, p. 64. 14. GIOT Pierre Roland, « Introduction », dans GIOT, Pierre Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les Premiers Bretons…, op. cit. 15. Compte-rendu par POULIN, Joseph-Claude, de GIOT, Pierre-Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les premiers Bretons d’Armorique, Rennes, PUR, 2003, dans Francia 31/1 (2004), p. 284. 16. La légitimité d’une réflexion sur la validité des méthodes mises en œuvre par l’historien n’est, bien entendu, pas contestable. Si la vogue actuelle de l’épistémologie me semble appeler des réserves, c’est lorsque celle-ci s’apparente à une perquisition sans mandat de l’« atelier du médiéviste » (dans le même ordre d’idées, les succès de l’« ego-histoire », me paraissent encore plus suspects dans la mesure où cela revient carrément à de la violation de domicile). 17. CHÉDEVILLE,André, GUILLOTEL Hubert, La Bretagne des saints…, op. cit., p. 17-18. Ce paragraphe dans lequel André Chédeville avait eu l’obligeance de reprendre les conclusions de ma thèse de 3e cycle préparée sous sa direction me procure l’occasion de rendre un hommage reconnaissant à la mémoire d’un maître qui a marqué toute une génération de disciples. 18. J’emprunte ce vocabulaire imagé respectivement à DUINE, François, Mémento des sources hagiographiques de l’histoire de Bretagne. Première partie : les Fondateurs et les primitifs, du Ve au Xe siècle, Rennes, Vatar, 1918, p. 101 (§ 85 : à propos de la Vita Ninocae) et à KERNEIS, Soazig, Les Celtiques…, op. cit., p. 224. 19. Voir MERDRIGNAC, Bernard, « Des “royaumes doubles” de part et d’autre de la Manche au VIe siècle ? », [à paraître]. 20. Je n’ignore pas que l’emploi du nous dit « de modestie » exige le maintien au singulier du participe ou de l’adjectif qui s’y rapportent, mais j’inclus ici le lecteur dans ce pluriel afin de l’inviter à partager mon point de vue. Contra, POULIN Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 415. Voir infra n. 101. 21. Cf. JANKULAK, Karen, notices « Cornovii », « Cornwall » et « Dumnonia », « Dumnonii », dansSNYDER, Christopher A., Early Peoples of Britain and : An Encyclopedia, Greendwood World Pub., Oxford/Wesport-Connecticut, 2008, 2 vol., p. 160-162 et 196-198. 22. THOMAS Charles, And Shall These Mute Stones Speak ? Post Roman Inscriptions in Western Britain, University of Press, , 1994, p. 211. TODD, Malcolm, The South-West to AD 1000, London, Longmans, 1987, p. 237. 23. Gildas, DEB, 28,1 : immundae leanae Damnoniae tyrannicus catulus Constantinus. 24. KERLOUÉGAN, François, Le De excidio Britanniae de Gildas…, op. cit., p. 562-563 et « Notes », p. 215-216. THOMAS, Charles, And Shall These Mute Stones Speak ?…, op. cit., p. 211 25. Aldhelmi Opera. MGH, AA, 15, p. 524-525, vers 8 à 12 : Quando profectus fueram/usque diram Domnoniam/per carentem Cornubiam/Florulentis cespitibus/Et foecundis graminibus/ Elementa inormia/Atque facta informia/Quassantur sub aethera/Convexi celi camara/Dum tremet mundi machine/Sub ventorum monarchia.Selon un document tardif (XIVe siècle ; peut-être d’après une liste de bienfaiteurs du XIe siècle) l’abbaye de Sherborne prétendait avoir reçu des donations en Cornwall de la part du roi Gereint. Voir JANKULAK, Karen, notice « Geraint » dans SNYDER, Christopher A., Early Peoples of Britain and Ireland…, op. cit., p. 243. OLSON Lynette, Early Monasteries in Cornwall, Woodbridge, the Boydell Press, 1989, p. 8-9.

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26. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 24. 27. Cf.JANKULAK, Karen, notices « Cornovii », « Cornwall », dansSNYDER, Christopher A., Early Peoples of Britain and Ireland…, op. cit., p. 160-162. LAING, Lloyd Robert, The Archaeology of Celtic Britain and Ireland. c. AD 400-1200, Cambridge University Press, 2006, p. 241, remarque que les mentions de principi et de cumreguli sur les inscriptions lapidaires viennent à l’appui de cette hypothèse de l’existence de royaumes subordonnés en Domnonée. 28. DUINE, François, Mémento…, op. cit., p. 177-178, § 228. 29. BROMWICH, Rachel, Trioedd Ynys Prydein. The Welsh Triads, Cardiff, University of Wales Press, 1978, p. 314-316 sqqCustenin Vendigeit. 30. MGH, Script. Rer. Mer., I, 1, p. 214. 31. Greg. Turon., Hist. Franc., IV, 4 : Nam semper Brittani sub Francorum potestatem post obitum regis Chlodovechi fuerunt, et comites, non regis appellati sunt. 32. CHÉDEVILLE, André, « Francs et Bretons pendant la première moitié du VIe siècle : avant la rupture », dans ROUCHE, Michel (dir.), Clovis, Histoire & mémoire. Actes du colloque international d’histoire de Reims. Septembre 1996, t. 1. Le Baptême de Clovis, l’événement, PU Paris-Sorbonne, 1997, p. 900. 33. Ibidem. André Chédeville précise que le roi mérovingien dispose seul de la potestas, c’est-à-dire de la « plénitude de la puissance publique ». Sur la portée de cette notion juridique de potestas, voir la lettre adressée en 494 à l’empereur Anastase de Constantinople par le pape Gélase (494-496), qui définit la regalis potestas par rapport à l’ auctoritas sacralis pontificum (trad. dans DAGRON, Gilbert, Empereur et prêtre. Étude sur le césaropapisme byzantin, Paris, Gallimard, 1996, p. 310 sq.). 34. FLOBERT, Pierre (dir.), La Vie ancienne de saint Samson de Dol, Paris, CNRS, 1997, p. 102-111. 35. GUILLOTEL, Hubert, « Les origines du ressort de l’évêché de Dol », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 54 (1977), p. 31-68. 36. POULIN, JosephClaude, L’Hagiographie bretonne du Haut Moyen Âge…, op. cit., p. 329-335, fait objectivement état (afin de les contrer) des arguments opposés à la « datation basse » de la Vita qu’il soutient. Il suffit de les articuler pour étayer une « datation haute » en faveur de laquelle je me suis naguère impliqué. Cf. MERDRIGNAC, Bernard, « La première Vie de saint Samson : Étude chronologique », Studia Monastica, 30 (1988/2), p. 243-290 ; idem,dans GIOT, Pierre-Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les premiers Bretons…, op. cit., p. 112. 37. POULIN, JosephClaude, « La “Vie ancienne” de saint Samson de Dol comme réécriture (BHL 7478-7479) », Analecta Bollandiana, vol. 119 (2001), p. 290-291. MERDRIGNAC, Bernard, « Des “royaumes doubles” de part et d’autre de la Manche au VIe siècle ? », [à paraître]. Contra, COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 28-34. 38. FLOBERT, Pierre (dir.), La Vie ancienne de saint Samson de Dol, op. cit., p. 232-233 : Atque homines multi sancto Samsoni satis cogniti eius hortatu unanime cum Iudualo uenerunt ad Brittanniam atque, orante illo ac ieiunante, quadam die, sua sancta intercessione uictoriam Iudualo Deus dedit ita ut Commorum illum iniuste uiolenter uno ictu prostauerit et ipse postea in totam cum suis sobolis regnauerit Domnoniam. 39. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 32-35. 40. Cf. Gildas, DEB, 27 (41, 5) Reges habet Britannia, sed tyrannos ; iudices habet, sed impios (« la Bretagne a des rois, mais ce sont des tierns/tyrans ; elle a des juges, mais ils sont impies »). Voir COUMERT, Magali,« Les monarchies bretonnes des origines dans les récits

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britanniques du IXe siècle »,dans CASSARD, Jean-Christophe, GAUCHER, Elisabeth, KERHERVÉ, Jean(dir.), Vérité poétique, vérité politique. Mythes, modèles et idéologies politiques au Moyen Âge. Colloque de Brest, 22-24 septembre 2005, Brest, CRBC, 2007, p. 129. En ligne sur le site de l’UBO : [http://hal.univ-brest.fr/docs/00/48/40/38/PDF/Coumert_Verite_poetique_.pdf], consulté le 27 juillet 2010. 41. CHÉDEVILLE, André, « Francs et Bretons pendant la première moitié du VIe siècle… », op. cit., p. 906. 42. On trouvera cette argumentation plus largement développée dans MERDRIGNAC, Bernard, « Des “royaumes doubles” de part et d’autre de la Manche au VIe siècle ? », [à paraître]. 43. FLOBERT, Pierre (dir.), La Vie ancienne de saint Samson…, op. cit., p. 26, n. 34 et p. 67. Cet élément entre en composition dans les noms Iudael, Iudicael, Iudwal, voire Iudimacle (si l’on rectifie ainsi la forme Vidimacle de l’Historia Francorum, IX, 18). Cf. LOTH, Joseph, « Notes étymologiques et lexicographiques », Revue Celtique, t. 40 (1923), p. 342. LAMBERT, Pierre Yves, Études Celtiques, t. 30 (1994), p. 275. 44. MORRIS, John (ed.), « Nennius : British History and the Welsh Annals. History from the Sources 8. London and Chichester, Phillimore, 1980, p. 59 : Sic in proverbio antiquo dicitur quando de iudicibus vel regibus sermo fuit : « Iudicavit Britanniam cum tribus insulis ». 45. Cf. supra note 40. KERLOUÉGAN François, Le De excidio Britanniae de Gildas…, op. cit., p. 562, considère comme « significative » l’opposition iudices vs impios, pour éclairer l’opposition rex vs tyrannus. 46. Jérôme : Ep. CXXV, 15 : Iudex unus provinciae. Cf. REYDELLET, Marc, La Royauté dans la littérature latine de Sidoine Apollinaire à Isidore de Séville, Rome, École française de Rome/ Paris, de Boccard, 1981, p. 42, n. 61. 47. THEIS, Laurent, Clovis de l’histoire du mythe, Paris, éd. Complexe, 1996, p. 81, n. 30, cité par CHÉDEVILLE André, « Francs et Bretons pendant la première moitié du VIe siècle… », op. cit., p. 906. 48. NIERMEYER, Jan-Frederik, Lexicon, sv. Greg.Tur., HF, 6, 46. De interitu Chilperici regis : Et in praeceptionibus, quas ad iudicis pro suis utilitatibus dirigebat, haec addebat : « Si quis praecepta nostra contempserit, oculorum avulsione multetur ». HF 7, 42. De virtute sancti Martini : « Post haec edictum a iudicibus datum est, ut qui in hac expeditione tardi fuerant damnarentur ». Cette acception du terme est récurrente dans les décrets et conciles du VIe siècle. 49. Greg. Turon., Hist. Franc., IV, 4 : De Brinctanorum comitibus. Chanao quoque Brittanorum comes tres fratres suos interfecit. Volens autem adhuc Macliavum interfecere, conpraehensum atque catenis oneratum in carcere retinebat. Qui per Filicem Namneticum episcopum a morte liberatus est. Post haec iuravit fratri suo, ut ei fidelis esset, sed nescio quo casu sacramentum inrumpere uoluit. Quod Chanao sentiens, iterum eum persequebatur. At ille, cum se euadere non posse uideret, post alium comitem regiones illius fugit, nomen Chonomorem. 50. Gildas, DEB, 30 : Quid tu quoque, ut propheta ait, catule leonine, Aureli Canine, agis ? Sur le « sobriquet » catule leonine appliqué ici par Gildas à Aurelius Caninus, cf. KERLOUÉGAN, François, Le De excidio Britanniae de Gildas…, op. cit., p. 502-503. Kon-mor (= « grand chef », interprété abusivement « grand chien » ; Caninus), serait donc le surnom d’un membre de la puissante famille britto-romaine des Marci Aureliani qui paraît avoir tenu un rôle déterminant dans l’émigration bretonne et à laquelle se rattachait probablement Samson. Voir GIOT, Pierre Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les premiers Bretons…, op. cit., p. 100-110.

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51. GIOT, Pierre Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les premiers Bretons…, op. cit., p. 57. 52. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 35. 53. QUAGHEBEUR, Joëlle, La Cornouaille du IXe au XIIe siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse, Quimper, SAF, 2001, p. 31. 54. MORICE, Yves, L’Abbaye de Landévennec des origines au XIe siècle à travers la production hagiographique de son scriptorium. Culture monastique et idéologies dans la Bretagne du haut Moyen Âge, thèse dact., université de Rennes 2, 2007, replace ces textes dans la perspective de l’ensemble du corpus hagiographique rédigé par les moines de cette abbaye. 55. Je reprends la fourchette proposée par MORICE, Yves, L’abbayede Landévennec…, op. cit., p. 70. Voir POULIN, JosephClaude, L’hagiographie bretonne du Haut Moyen Âge…, op. cit., p. 413 : « Entre 860 et 884, probablement après 868, peut-être aux environs de 874. » 56. LA BORDERIE, Arthur de (éd.), Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1- Texte du cartulaire, avec notes et variantes, Société archéologique du Finistère, Rennes, 1888, p. 1. Praef. : Vita brevis studii contexitur ordine sacri/Eximii patris monachorum Uuinuualoei/Quam precibus relego fratrum communibus almam/Uurdistenus, et albis conor scribere libris. Je reprends la traduction de RAISON du CLEUZIOU, Jacques, « Landévennec et les destinées de la Cornouaille », Bull. et Mém. de la Société d’Émulation des Côtes-du-Nord, t. 93 (1965), p. 24. Selon cet érudit, « L’ordo qui réglait à Landévennec le chant du Psautier et la lecture de l’Écriture contenait pour la fête de saint Guénolé des lectures et peut-être des repons et des hymnes ». 57. LATOUCHE, Robert, Mélanges d’Histoire de Cornouaille, Paris, Bibliothèque de l’École Pratique des Hautes Études, 1911, p. 97-112 a édité ce texte transmis par le manuscrit Cotton Otho D.VIII (XIIe siècle). L’édition par DE SMEDT, Charles, « Vita S. Winwaloei primi abbatis Landevenecensis, auctore Wurdestino, nunc primum integre edita », Analecta Bollandiana 7, 1888, p. 167-264 met en évidence typographiquement les relations entre cette version brève et la Vita amplior. 58. Par exemple, SIMON, Marc, L’abbaye de Landévennec de saint Guénolé à nos jours, Rennes, 1985, p. 27-29 suivi par QUAGHEBEUR, Joëlle, La Cornouaille du IXe…, op. cit., p. 30. Voir depuis, SIMON, Marc, « Commentaires sur la Vie de saint Guénolé », Chronique de Landévennec, avril 2006 (26), p. 43-48. 59. MORICE, Yves, L’abbaye de Landévennec…, op. cit., p. 81.Cf. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne du Haut Moyen Âge…, op. cit., p. 408. 60. KERLOUÉGAN, François, « La littérature religieuse et profane », dans FLEURIOT, Léon, BALCOU, Jean, SEGALEN, Auguste Pierre, LE GALLO, Yves (dir.), Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne. I- Héritage celtique et captation française, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1987, p. 71-95. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne du Haut Moyen Âge…, op. cit., p. 429. MERDRIGNAC, Bernard, « The process and signifiance of rewriting Breton hagiography », dansCARTWRIGHT, Jane (dir.), Celtic Hagiography and Saints’Cult, Cardiff, University of Wales Press, 2003, p. 186-188 ; Id., « Écriture sainte et réécriture de l’hagiographie bénédictine bretonne à Landévennec » dans Écrire son histoire. Les communautés régulières face à leur passé. Actes du 5e Colloque International du CERCOR. Saint- Étienne, 6-8 novembre 2002, CERCOR, Travaux et Recherches XVIII, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005, p. 321-323.

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61. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 419 et 425, fait état de « plusieurs rapprochements » décelés par Neil Wright et Jacques Raison du Cleuziou qui laissent à penser que Wrdisten « était familier de Sedulius ». 62. BOUET, Pierre, KERLOUÉGAN, François, « La réécriture dans le latin du haut Moyen Âge », Lalies. Actes des sessions de linguistique et de littérature – 8 (Auxois. 28-31 août 1986), p. 139. Le parallèle le plus étroit est fourni par le dossier hagiographique de saint Wilibrord d’Utrecht, composé par Alcuin. 63. LA BORDERIE, Arthur de, Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 : Texte, op. cit., p. 60 : II, 3 : De ejus transitu per pagos Domnonicos et de loci inventione atque de ejus conditionis asperitate […] per pagos ad occidentem versus Domnonicos transiens circaque Cornubie confinium perlustrans, tandem in insula quae Thopepigia nuncupatur cum supradictis comitibus prospere hospitatus est. − Sur l’étymologie de Thopepigia/Thopopegia, voir LAMBERT, Pierre Yves, « Topopegia – Tibidy », dans BURON, Gildas, BIHAN, Hervé, MERDRIGNAC, Bernard (dir.), À travers les îles celtiques. A dreuz an inizi keltiek. Per insulas scotticas. Mélanges en mémoire de Gwénaël Le Duc, Rennes, Britannia Monastica 12 – Klask, Rennes, PUR, 2008, p. 327-334. 64. La première mention d’un « évêque cornouaillais » est la souscription dans un acte de Redon datant du règne d’Erispoé (851-857) d’Anaweten cornogallensis […] episcopi.Cf. COURSON, Aurélien de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Redon en Bretagne, Paris, 1863, Appendix XXXI, p. 366 [cf. dom LOBINEAU Alexis, Hist. Britann., t. II, col. 58]. Sans précision de siège, Anaweten episcopus souscrit encore à la charte XXX (datée de 862 par H. Guillotel). Cf. CHÉDEVILLE, André, GUILLOTEL, Hubert et TANGUY, Bernard (dir), Cartulaire de l’abbaye Saint-Sauveur de Redon, tome I, Rennes, Association des Amis des Archives historiques du diocèse de Rennes, Dol et Saint-Malo, 1998, f° 54 du fac-simile. Voir MERDRIGNAC, Bernard, « Des “royaumes doubles” de part et d’autre de la Manche au VIe siècle ? », [à paraître]. 65. SIMON, Marc, « Les hagiographes de Landévennec au IXe siècle, témoins de leur temps » dans LE MENN, Gwénolé et LE MOING, Jean-Yves(dir.), Bretagne et pays celtiques : Langues, histoire, civilisation. Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot (1923-1987), Saint- Brieuc, 1992, p. 185. Cf. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 408. 66. QUAGHEBEUR, Joëlle, La Cornouaille du IXe…, op. cit., p. 12-13, fait pertinemment remarquer, à l’appui de cette assimilation, qu’aucun comte de Cornouaille n’est mentionné comme tel dans les textes d’époque carolingienne. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 42. 67. LA BORDERIE, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévennec, 1 : Texte, op. cit., p. 149 […] ita etiam et de insula Thopopegia pergentem siccis pedibus cum undecim fratribus per profundum pelagus, quousque Cornubiamdeveniret. 68. LA BORDERIE, Arthur de (dir), Cartulaire de l’abbaye de Landévennec, 1 : Texte, op. cit., p. 75, et p. 78. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 423, relève judicieusement le titre de Cornubiae rex attribué à Grallon par le même hagiographe dans le passage correspondant de l’Homelia. Ibid., p. 133, lect. 9 : Gradlonus apud eundem Cornubiae rex familiarissimum habuit colloquium. 69. LA BORDERIE, Arthur de, « Le cartulaire de Landévennec », Annales de Bretagne, t. 4 (1889), p. 363-364. 70. MERDRIGNAC, Bernard, « Aux “extrémités de la Gaule”, la Cornouaille », [à paraître]. 71. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 38. Cf. RAISON DU CLEUZIOU, Jacques, « Landévennec et les destinées de la Cornouaille », op. cit. ;

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KERLOUÉGAN, François, « Les citations d’auteurs latins chrétiens dans les vies de saints bretons carolingiennes », Études Celtiques, 19 (1982), p. 247 ; WRIGHT Neil, « Knowledge of christian latin poets and historians in early mediaeval », Études Celtiques, 23 (1986), p. 174-175. 72. CHÉDEVILLE, André,GUILLOTEL Hubert, La Bretagne des saints…, op. cit., p. 85. COUFFON, René, « Les “pagi” de la Domnonée au IXe siècle d’après les hagiographes », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. 24 (1944), p. 1-23 ; TANGUY, Bernard, « Les pagi bretons médiévaux », Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, t. 130 (2001), p. 371-396. 73. LA BORDERIE, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 : Texte, op. cit., p. 13, I, 4 : ecce totus subito, sole apparente, qui Uelamensis dicitur pagus effulsit, et dies serenissima usque ad vesperam illuxit. (« voici que subitement le soleil apparaissant, tout le pays qui s’appelle le Goëlo s’illumina et jusqu’au soir brilla le jour le plus serein »). Selon TANGUY, Bernard, « Les pagi bretons… », op. cit., le Goëlo, à l’ouest de la baie de Saint-Brieuc, défini par le Leff, l’estuaire du Trieux, la mer et le Gouet, porte un nom celtique rappelant celui du peuple gaulois des Vellavi qui ont aussi laissé leur nom au Velay en Auvergne, voire à la Veluwe aux Pays-Bas. 74. LA BORDERIE, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 : Texte, op. cit., p. 43-44, I, 18 : De Fracani et Riuali, Domnoniae ducis, propter suos caballos velocissirnos ludicra contentione, et de virtute quae ibidem facta est rnirabili […] Quadam itaque die, dum contentio ludicra inter Fracanum ejusdem genitorem et Riualum, Domnonicae partis ducem, equorum suorum velocissimorum causa, orta fuisset (« […] Un jour donc, s’était engagée une compétition sportive entre Fracan son père et Riwal duc de la région domnonéenne au sujet de la rapidité de leurs chevaux. »). 75. Il n’est pas à exclure que ce chapitre I, 18 soit l’un des vestiges (parmi quelques autres : I, 14, 15) de la Vita brevior recyclés par Wdisten dans la Vita longior. Voir RAISON du CLEUZIOU, Jacques, « Landévennec et les destinées… », op. cit., p. 26 ; MERDRIGNAC, Bernard, Recherches sur l’hagiographie armoricaine du VIIe au XVe siècle, t. 1, Les saints Bretons, témoins de Dieu ou témoins des hommes? Saint-Malo, Dossiers du CeRAA, H-1985, p. 166 . Contra POULIN, JosephClaude, L’hagiographie bretonne…, op. cit., p. 423. 76. CARRÉE, André et MERDRIGNAC, Bernard (dir.), La Vie latine de saint Lunaire, Landévennec, CIRDoMoC, Britannia Monastica, 2 (1992), p. 92-93. 77. FLEURIOT, Léon,Les Origines de la Bretagne, Paris, Payot, 1980, p. 209. 78. CARRÉE, André, MERDRIGNAC, Bernard (dir.), La Vie latine de saint Lunaire…, op cit., p. 11-18. Cf. LAPIDGE,Michael,SHARPE,Richard, A Bibliography of Celtic-Latin Literature 400-1200, Dublin, Royal Irish Academy, 1985, § 929, p. 254 ; POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 120-133. 79. CARRÉE, André et MERDRIGNAC, Bernard (dir.), La Vie latine de saint Lunaire…, op. cit., p. 158, § 28 : Fuit uir unus in Britannia ultra mare nomine Rigaldus qui in nostra primus uenit citra mare habitare prouintia qui dux fuit Britonum ultra et citra mare usque ad mortem. 80. Ibidem, p. 145, § 13 : Rex autem Gillebertus qui illo regnabat tempore in Frantia similiter et in Britania. 81. FLEURIOT, Léon,Les Origines de la Bretagne…, op. cit., p. 189-190 82. Je retiens la datation proposée par MORICE, Yves, L’abbaye de Landévennec…, op. cit., p. 123. Cf. DUINE, François, Mémento, § 6, p. 33 : « C’est par esprit de conservateur timide que je laisse la Vita Guenaili dans la série des pièces rédigées (sous leur forme actuelle) avant l’exode des reliques » ; LAPIDGE,Michael,SHARPE,Richard, A Bibliography of Celtic-

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Latin Literature, op. cit., § 920, p. 252 :« s. X ? ». Contra POULIN, JosephClaude, L’hagiographie bretonne…, op. cit., p. 384 : « après la fin du XIe siècle […] avant le début du XIVe siècle ». 83. MORVANNOU, Fanch, Saint Guénaël. Études et documents, Brest, CRBC – Landévennec, CIRDoMoC, Britannia Monastica 4, 1997, p. 90 […] optato tandem littore potiti sunt. Terrae quae dicitur applicantes. Rex illi terrae praeerat Rigimalus nomine. 84. MERDRIGNAC, Bernard, « Aux “extrémités de la Gaule”, la Cornouaille », [à paraître]. 85. EVANS, John Gwenogvryn, RHYS, John, Text of the Book of Dav Reproduced Diplomatically from the Twelfth Century Gwysaney Manuscript, Aberystwyth, National Library of Wales (new ed.) 1979, p. 131 : Fuit uir Budic filius Cybrdan natus de Cornugallia qui in Demeticam regionem tempore Aircollauhir regis eiusdem regni uenit cum sua classe expulsus patria sua. Qui cum moraretur in patria accepit sibi uxorem Anauued nomine filiam Ensic. Cf. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts, Cardiff, University of Wales Press, 1966, p. 28. Fac-simile en ligne sur le site de la National Library of Wales (Llyfrgell Genedlaethol Cymru). Liber Landavensis (NLW MS 17110E) – digital version : [http:// digidol.llgc.org.uk/METS/LIB00001/physical? div=0&subdiv=0&locale=en&mode=thumbnail], consulté le 24 juin 2010. Cf. MERDRIGNAC, Bernard, « Bro Erec et Cerniu Budic. De l’Historia Francorum de Grégoire de Tours à la Vita Oudocei dans le Liber Landavensis » (à paraître). 86. EVANS, John Gwenogvryn, RHYS John, Text of the Book of Llan Dav…, op. cit., p. 131 : Facto ab illis consilio uno ore audita legatione et accepta affectuose accepit uxorem suam pregnantem cum tota familia sua et classe applicuit in patria et regnauit per totam armoricam terram. 87. LA BORDERIE, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 : Texte, op. cit., p. 1 : Incipit praefatio Vitae sancti Winwaloei cornugillensis. L’éditeur précise en note, p. 181, que ce titre n’intervient que sur le ms BnF lat. 5610A (fin Xe-début XIe s.) et impose la correction cornugallensis. Mais DUINE, François, Mémento…, op. cit., p. 48, § 7, remarque que cette rectification ne se justifie pas puisque la forme cornugillensis revient dans ladédicace de la version adressée par l’abbé de Landévennec à l’évêque Jean d’Arezzo (v. 868-900) et appartient donc à l’auteur. Cf. GARAVAGLIA, Chiara, Les Relations entre la Bretagne et l’Italie (VIe-XIe s.),université de Rennes 2, mémoire de DEA dact., 2002-2003, p. 79 : Notitia consolationis vestre erga fratres nostros […] nostras ad usque devenit regiones qui cornugillensem [var. : cornugilensem.] atq(ue) brittanicum iuxta considimus pontum (« la connaissance du réconfort que vous avez apporté à nos frères est parvenue jusqu’en notre direction, à nousqui résidons près de l’océan cornouaillais et britannique »). 88. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 64. 89. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 40-41. 90. DE SMEDT, Charles, « Vita S. Winwaloei primi abbatis Landevenecensis, auctore Wurdestino, nunc primum integre edita », Analecta Bollandiana 7 (1888), p. 176, apporte judicieusement en note ce commentaire : « Nomniae = Domoniae, in parte meridionali Britanniae majoris ». Contra LA BORDERIE, Arthur de, Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 : Texte…, op. cit., p. 183. Cf. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 412 ; COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 37. 91. LA BORDERIE, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 : Texte, op. cit., p. 189. 92. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 412. 93. LA BORDERIE, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 : Texte, op. cit., p. 104.

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94. LA BORDERIE, Arthur de, « Le cartulaire de Landévennec », Annales de Bretagne, t. 4 (1889). 95. EVANS John Gwenogvryn, RHYS John, Text of the Book of Llan Dav, op. cit., p. 132 : Venit divina uox ad sanctum Teliaum ut cum suis clericis et populo iret Cornugalliam quae postea uocata est Cerniu Budic. MERDRIGNAC, Bernard, « Bro Erec et Cerniu Budic… » (à paraître). 96. DOBLE, Gilbert Hunter, EVANS, Daniel Simon,Livesof the Welsh saints, Cardiff, University of Wales Press, 1971, p. 210-211. 97. CHÉDEVILLE, André,GUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints…, op. cit. p. 71-75. Sans parler du Pays de Galles où les noms de plusieurs royaumes dérivent aussi d’anthroponymes : « hence, Gwrtheyrn and Gwrtheyrnion, Brychan and Brycheinog and so on ». Cf. DAVIES, Wendy, Wales in the Early Middle Ages, Leicester University Press, reprint 1989, p. 97. 98. LA BORDERIE, Arthur de, « Le cartulaire de Landévennec… », op. cit., p. 309-310 et n. 3. 99. En fait, l’étymologie n’est pas assurée. Cf.JANKULAK, Karen, « Dumnonii », dansSNYDER, Christopher A., Early Peoples of Britain and Ireland…, op. cit., p. 197 : « people of the land » (?). THOMAS Charles, « The character and origins of Roman Dumnonia » dans THOMAS, Charles, (dir.), Rural settlement in Roman Britain : papers given at a CBA conference held at St Hugh’s College, Oxford, January 1 to 3, 1965, London, CBA Research Report 7 (1966), p. 77 et n. 26 : « common Celtic dumno-, perhaps = (as a noun) “world, land, territory” ». Damnonii or Dumnonii « possibly mean something like “We of the World” or “We of (this) Land” ». L’hypothèse mettant la racine dumno/dubno (« profond » ; « souterrain ») en relation avec la vocation minière de la région paraît moins convaincante. Je remercie vivement Karen Jankulak de m’avoir aimablement procuré cette documentation. 100. La Borderie, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 : Texte, op. cit., p. 7 : I, 1 − Britannia insula, de qua stirpis nostrae origo olim, ut vulgo refertur, processit. Cf. En. XII, 166 : Hinc pater Aeneas Romanae stirpis origo. 101. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 415 qui « ne partage pas l’optimisme » de CASSARD, Jean-Christophe, « La mise en textedu passé par les hagiographes de Landévennec au IXe siècle », Bull. de la Société Archéologique du Finistère, t. 122 (1993), p. 365. 102. Afin de ne pas relancer un débat hors de propos ici, je ne maintiens pas le qualificatif « populaire » que j’avais employé en son temps dans un précédent article : MERDRIGNAC, Bernard, « L’Énéïde et les traditions anciennes des Bretons », Études Celtiques, 20/1, (1983), p. 199. Sur la portée du terme vulgus chez les lettrés carolingiens, cf. BANNIARD, Michel, Viva voce. Communication écrite et communication orale du IVe au IXe siècle en Occident latin, Paris, Institut des Études Augustiniennes, 1992, p. 318. 103. .THOMAS, Charles, And Shall These Mute Stones Speak ? op. cit., p. 132-134. 104. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts…, op. cit., p. 15. Sur Berwin, possible avatar du saint irlandais Finnbarr et du saint breton Winniau ; cf. Ó RIAIN, Padráig, « The Irish Element in Welsh Hagiographical Tradition », dans Ó CORRÁIN, Donnchadh (dir.), Irish Antiquity. Essays and Studies Presented to Professor M. J. O’Kelly, Tower Books of Cork, 1981, p. 300-302. Sous la forme Berven (variante Brévin), ce saint se retrouve dans l’hagiotoponymie bretonne :cf. LOTH, Joseph, Les Noms des saints bretons, Paris, Champion, 1910, p. 13-14 ; TANGUY, Bernard, Dictionnairedes noms de communes, trèves et paroisses, du Finistère, Douarnenez, Chasse-Marée − Ar Men, 1990, p. 175. À noter aussi DSB 11 (11) : Rydoch [glosé Iudoc] filius Brachan [in Francia] inde dicitur Ton

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Ridoch [Windouith – glosé id eurus de vent] ; THOMAS, Charles, And Shall These Mute Stones Speak ? op. cit., p. 248-250, procède à de savants recoupements entre le De Situ Brecheniauc et la Cognatio Brychan. 105. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts…, op. cit., p. 16 : Sepulchrum Brachan est in insula que uocatur Enys Brachan, que est iuxta Manniam. 106. THOMAS, Charles, And Shall These Mute Stones Speak ?…, op. cit., p. 163-180. 107. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts…, op. cit., p. 29. 108. DOBLE, Gilbert Hunter,The Saints of Cornwall, vol. 5. Saints of Mid-Cornwall, Oxford, Holywell Press, 1970, signale, p. 64, que cette Vita est un des premières sources où apparaît la forme Devonia. 109. THOMAS, Charles, And Shall These Mute Stones Speak ?…, op. cit., p. 179. 110. Ibidem, p. 154. 111. Je reprends l’expression de LE DUC, Gwénaël, « Leoteren et le sinueux parcours des légendes », dans LAURENT Catherine et MERDRIGNAC Bernard, PICHOT Daniel (dir.), Mondes des villes et villes du monde…, op. cit., p. 37-40. 112. POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 406-411. 113. LA BORDERIE, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 : Texte…, op. cit., p. 7 : I, 1. 114. Ibidem, p. 104 : III, 2. 115. Virgile ferait allusion ici à Marcus Claudius Marcellus († 23 av. J-C), dont Auguste voulait faire son successeur. Par ailleurs, on peut proposer un autre rapprochement possible avec En. I, 12 : Urbs antiqua fuit. 116. Voir à présent : COUMERT, Magali, Origine des peuples : les récits du haut Moyen Âge occidental (550-850), (coll. des Études Augustiniennes – Moyen-Âge et Temps Modernes, 42), Paris, Institut d’études augustiniennes, 2007. Pour l’essentiel, le développement suivant reprend les données de MERDRIGNAC, Bernard, « L’Énéïde et les traditions anciennes… », op. cit., p. 199-205. 117. Cf. RIO Joseph, Mythes fondateurs de la Bretagne. Aux origines de la celtomanie, Rennes, Ouest-France, 2000, p. 38-52. 118. DUINE, François, Memento…, op. cit., p. 92 (§ 75). POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 458. 119. LEMASSON, Auguste, Saint Jacut, son histoire, son culte, ses légendes, ses vies anciennes. Essai historique, Saint-Brieuc, Impr. Saint-Guillaume, 1912. p. 84, c. 2. 120. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts…, op. cit., p. 57. 121. BROMWICH, Rachel, Trioedd Ynys Prydein…, op. cit., p. 346-347. 122. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts…, op. cit., p. 63 : 58. Llonyaw llawhir [Llonlio « à la main large »] m. Alan fyrgan m. Emyr Llydaw. Par ailleurs, l’église de Llandinam (Powys, pays de Galles) est dédiée à saint Llonlio, considéré comme l’un des enfants de Brychan. 123. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts…, op. cit., p. 131. 124. MERDRIGNAC, Bernard, « L’Énéïde et les traditions anciennes… », op. cit., p. 202-203 (cette traduction m’avait été procurée en son temps par le professeur Léon Fleuriot). 125. CALAN, Charles de, « Essai sur la chronologie des rois et des saints de Bretagne insulaire », Mémoires de l’Association Bretonne. Congrès de Moncontour, 1912, p. 160 n. et p. 209-210 ; LE MENN, Gwennolé, La Femme au sein d’or. Des chants populaires bretons aux légendes celtiques, Saint Brieuc, Skol – Dastum, 1985, p. 46-47.

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126. LOTH, Joseph, Les Noms des saints bretons, Paris, Champion, 1910, p. 51. Une inscription lapidaire dans l’église de Llangadwaladr (Anglesey) commémore Cadfan, roi de Gwynedd († circa 625) : CATAMANUS REX SAPIENTISSIMUS OPINATUSSIMUS OMNIUM REGUM (« King Catamanus [= « wise in battle »] wisest [and] most renowed of all kings »). Cf. le site du Celtic Inscribed Stones Project mis en ligne par le Department of History et l’Institute of Archeology, University College, London [en ligne : http://www.ucl.ac.uk/archaeology/cisp/database/]. CISP N°: LGADW/1, consulté le 12 juillet 2010. BROMWICH, Rachel, Trioedd Ynys Prydein, op. cit., p. 290. 127. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts…, op. cit., p. 45 : 10. […] Cado m. Gereint m. Erbin. 11. Gereint m. Erbin m. [Custennin m.] Kynwawr m. Tudwawl m. Gwrwawr. Gadeon m. Cynan m. Eudaf hen […]. 128. MABILLON, Jean, ASOSB,saec. III, vol. 1, p. 301-302 : Rivalus Britanniae dux, filius fuit Derochi, filii Witholi, filii Urbieni, filii Cathoui, filii Gerentonis. Hic autem Rivalus, a transmarinis Britaniis ueniens cum multitudine nauium, possedit totam minorem Britaniam, tempore Chlotarii regis Francorum qui Chlodouei regi filius extitit. 129. Sur Riwal [Rivelen/Rivallon] revendiqué comme ancêtre fondateur à la fois par les familles domnonéenne et cornouaillaise, voir CHÉDEVILLE, André etGUILLOTEL Hubert, La Bretagne des saints et des rois…, op. cit., p. 77 et 79 ; GIOT, Pierre Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les Premiers Bretons…, op. cit., p. 98. 130. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts…, op. cit., p. 65. 131. Cf.supra n. 23. Voir KERLOUÉGAN, François, Le De excidio Britanniae de Gildas…, op. cit., p. 502-506 qui renvoie en « Notes » [p. 181, n. 36] à CHADWICK, Nora Kershaw, « A note on Constantine prince of Devon », dans CHADWICK Nora Kershaw & al., Studies in Early British History, Cambridge, reprint, 1959, p. 56-60. 132. BROMWICH, Rachel, Trioedd Ynys Prydein…, op. cit., p. 140 (triade 52) et p. 142, n. 133. Ibid., p. 356-358. Cf. JANKULAK, Karen, notice “Geraint” dans SNYDER, Christopher A., Early Peoples of Britain and Ireland, op. cit., p. 243. 134. BROMWICH, Rachel, Trioedd Ynys Prydein…, op. cit., p. 347-348. Cf. CHÉDEVILLE, André,GUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints et des rois…, op. cit., p. 77. 135. Greg. Tur., HF., V, 16 : De interitum Macliavi - In Brittanis haec acta sunt. Macliavus quondam et Bodicus Brittanorum comites sacramentum inter se dederant, ut, quis ex eis superviveret, filius patris alterius tamquam proprius defensaret. Mortuus autem Bodicus reliquit filium Theudericum nomen. Quem Macliavus, oblitus sacramenti, expulsum a patria, regnum patris eius accipit. Hic vero multo tempore profugus vaguusque fuit. Cui tandem misertus Deus, collectis secum a Brittania viris, se super Macliavum obiecit eumque cum filio eius Iacob gladio interemet partemque regni, quam quondam pater eius tenuerat, in sua potestate restituit ; partem vero aliam Warochus, Macliavi filius, vindicavit.Cf. CHÉDEVILLE, André,GUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints et des rois…, op. cit., p. 72. 136. GUILLOTEL, Hubert,« Les origines du ressort de l’évêché de Dol… », op. cit., p. 53. Contra,POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 366. Voir, sur ce point, le compte-rendu de cet ouvrage par MERDRIGNAC, Bernard, Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 116-3 (2009), p. 216-221. En ligne : [http://abpo.revues.org/515], consulté le 27 juillet 2010 – BOURGÈS, André Yves, « À propos d’un livre récent : la production du scriptorium de l’abbaye de Saint-Jacut au Moyen Âge », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-2 (2010), p. 152-155, retient, par contre, la datation tardive de la Vita proposée par Joseph Claude Poulin. Il en déduit que cette Vita de saint Turiau a pu être composée à Saint-Jacut et qu’elle est susceptible de « s’inscrire dans le cadre d’“une

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action de propagande […] au profit des ducs de la maison de Cornouaille” ». On ne saurait écarter à la légère cette intéressante hypothèse. Dans ce cas, le recoupement avec des données analogues dans les productions généalogiques et hagiographiques insulaires laisserait à penser que cette propagande aurait actualisé des traditions antérieures. 137. DUINE, François, « Vie antique et inédite de saint Turiau, abbé-évêque de Dol », Bull. et Mém. de la Soc. Arch. d’Ille-et-Vilaine, t. 41-2 (1912), p. 39, § 9 : quidam amicus eius, Geren nomine, quem habebat transmare, qui in eius spiritualiter requiescebat uisceribus. 138. Ibidem,p. 40, § 9 : illico miserunt cum nautis rete [= ratem] in mare ut experientiam de huiusce habuerunt uirtute, qui in mari medio obuios habuerunt qui obitum amici uiri Dei nunciabant. 139. DOBLE, Gilbert Hunter, « Saint Gerent, patron of Gerrans », dans The Saints of Cornwall, vol. 3 : The Saints of The Fal and its Neighbourhood, reprint, Felinfach, Llanerch publication, 1997,p. 78-79. MARQUAND, Patrice, « Le milieu politique et littéraire de la rédaction de la Vita Teliavi : entre rivalités ecclésiastiques et mémoire britonnique », communication orale à la journée d’étude du CIRDoMoC, le 10 juillet 2010 [à paraître]. 140. DAVIES, Wendy, An Early Welsh Microcosm: Studies in the Llandaff Charters, London, Royal Historical Society 1978, p. 2-6.Cf. MARTIN, Hervé, MERDRIGNAC, Bernard, Culture et sociétés dans l’Occident médiéval, Ophrys, Gap-Paris, 1999, p. 178. 141. DUINE, François, Mémento…, op. cit., § 117, p. 135, n. 2. Cf.DOBLE, Gilbert Hunter, « Saint Gerent, patron of Gerrans », op. cit., p. 74. 142. LOTH, Joseph, « La vie de saint Teliau d’après le Livre de Landaf », Annales de Bretagne, t. 9 (1909), p. 286 : pestis autem illa flaua uocabatur […]. 143. Ibidem, p. 439 : Nam de una regione procreati fuerant, et unius linguae uiri et simul cum beato Dubricio archipresuli edocti et cuius manus impositione sanctus Samson consecratus est in episcopium ut in uita sua testatur. Peut-être s’agit-il ici de la Vita Sansonis composée par l’archevêque de Dol, Baudri de Bourgueil, à qui est consacré la thèse remarquable de LE HÜÉROU, Armelle, Baudri, archevêque de Dol et hagiographie (1107-1138). Édition, traduction, commentaire de quatre textes hagiographiques en prose, dact., université de Rennes 2, 2006 [à paraître]. 144. LOTH, Joseph, « La vie de saint Teliau d’après le Livre de Landaf », op. cit., p. 438-439. 145. DOBLE, Gilbert Hunter, « Saint Gerent, patron of Gerrans »,op. cit., p. 86-87. 146. Sur la portée de ce terme, voir PICARD, Jean-Michel, « De principatu : organisation ecclésiastique en Irlande au VIIIe siècle », Britannia Monastica 6 (2002) p. 7-25. Id., « Princeps and principatus in the early Irish Church: a reassessment », dans: SMYTH, Alfred P. (dir.), Seanchas : Studies in early and medieval Irish archaeology, history and literature in honour of Francis J. Byrne, Dublin, Four Courts Press, 2000, p. 146-160. 147. LOTH, Joseph, « La vie de saint Teliau d’après le Livre de Landaf », op. cit., p. 442-444. 148. DUINE, François, « Vie antique et inédite de saint Turiau », op. cit., p. 35-36, § 5 : une place est réservée au paradis pour Gradalon « prince des Bretons » (principis Britannorum) à côté de Constantin. Voir ibid. p. 36, n. 20. Cf.OLSON, Lynette, Early Monasteries in Cornwall…, op. cit., p. 28-29. 149. TANGUY, Bernard, « Les premiers temps médiévaux », op. cit., p. 93 ; JANKULAK, Karen, notice « Cornouii » dansSNYDER, Christopher A., Early Peoples of Britain and Ireland…, op. cit., p. 161. 150. Aldhelmi Opera. MGH, AA, 15, p. 480 : Domino gloriosissimo regni occidentalis sceptra gubernanti.

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151. Cf. supra, n. 25. 152. […] Ine 7 Nun his mæg gefuhton wiþ Gerente Wala cyninge.Par commodité, j’ai consulté, le 28 juillet 2010, le site de JEBSON, Tony, « The Anglo-Saxon Chronicle: An Electronic Edition » ; en ligne : [http://asc.jebbo.co.uk/intro.html]. Cf. BROMWICH, Rachel, Trioedd Ynys Prydein…, op. cit., p. 359. JANKULAK, Karen, notice « Geraint » dans SNYDER, Christopher A., Early Peoples of Britain and Ireland…, op. cit., p. 243. 153. CASSARD, Jean-Christophe, « Sur le passé romain des anciens bretons », Kreiz. Études sur la Bretagne et les Pays celtiques, 5 (1996), p. 1-33. Je me réfère ici au manuscrit auteur (version 1 ; avec des ajouts – 7 déc. 2009), en ligne sur le site de l’UBO : [http://hal.univ- brest.fr/hal-00439461/fr/], consulté le 20 juillet 2010. 154. Somozène, Hist. eccl., lib.IX, 13 ; Zozime, Hist. rom., lib. VI, 5 (trad. FLEURIOT, Léon, Les origines de la Bretagne…, op. cit., p. 259 et 268-269). 155. HEINZELMANN, Martin, La première Vita sanctae Genovefae. Recherches sur les critères de datation d’un texte hagiographique, Paris, 1982. RICHÉ, Pierre, Éducation et culture dans l’occident barbare, VI-VIII siècles, Paris, 1962, p. 211, relève aussi la mention par Cassiodore de Gerontius abbé de Vivarium au VIe siècle. Sur les Gerontii dans les textes et les inscriptions tardives, voir HEINZELMANN, Martin, « Gallische Prosopographie (260-527) », Francia, t. 10 (1982), p. 614-616. J’emprunte toutes ces références à l’article de CASSARD, Jean-Christophe cité supra, n. 153. 156. BROMWICH, Rachel, Trioedd Ynys Prydein…, op. cit., p. 25-26 et n. (triade 14). 157. BOURGÈS, André Yves, « Commor entre le mythe et l’histoire : profil d’un “chef” breton du VIe siècle » Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. 74 (1996), p. 419-427, restitue à Chonomor ses tria nomina, Marcus Aurelius Commorus, et voit enluil’héritier de la puissante famille britto-romaine des Marci Aurelii qui, depuis le bas Empire jusqu’au haut Moyen Âge, aurait contrôlé la navigation trans-Manche. Il établit entre autres, un lien entre l’usurpation deMarcus Aurelius Carausius à la tête de la Classis Britannica à la fin du IIIe siècle et cette mention dans les triades galloises de March fils de Merchyavn (= Marcianus). Cf. CHÉDEVILLE, André, « Francs et Bretons pendant la première moitié du VIe siècle », op. cit., p. 906 ; GIOT, Pierre-Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les Premiers Bretons…, op. cit., p. 99-100 ; MERDRIGNAC, Bernard, « “Quatre langues” et “deux oreilles” : Paul Aurélien et Marc Conomor », dans Langues de l’histoire, langues de la vie. Mélanges offerts à Fañch Roudaut, Brest, Les amis de Fañch Roudaut, 2005, p. 39-53 ; BROMWICH, Rachel, Trioedd Ynys Prydein…, op. cit., p. 444-448. 158. Greg. Turon., Hist. Franc., IV, 4 : De Brinctanorum comitibus. Chanao quoque Brittanorum comes tres fratres suos interfecit. Volens autem adhuc Macliavum interfecere, conpraehensum atque catenis oneratum in carcere retinebat. Qui per Filicem Namneticum episcopum a morte liberatus est. Post haec iuravit fratri suo, ut ei fidelis esset ; sed nescio quo casu sacramentum inrumpere voluit. Quod Chanao sentiens, iterum eum persequebatur. At ille, cum se evadere non posse videret, post alium comitem regiones illius fugit, nomen Chonomorem. 159. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts, op. cit., p. 65 : Kyngar a Iestin a Cattw a Sely meibion Gereint ap Erbin ap Custenin Gorneu ap Kynvar ap Tudwal ap Kurmwr […] ap Caden [= Gadiawn] ap Kynan ap Evdaf ap Caradoc ap Bran ap Llyr lediaith. 160. PEARCE, Susan M. The Kingdom of Dumnonia : Studies in History and Tradition in South Western Britain (A.D.350-1150), Padstow, Lodenek Press, 1978, p. 142. 161. CARNEY, James, Studies in Irish Literature and History, Dublin Institute for Advanced Studies, 1979, p. 407-412.

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162. DOBLE, Gilbert Hunter, « Saint Carantoc », The Saints of Cornwall, vol. 4 : Newquay, Padstow & Bodmin district, reprint, Felinfach, Llanerch Publishers, 1998, p. 39-41.THOMAS, Charles, And Shall These Mute Stones Speak? op. cit., p. 45, tout en hésitant sur une identification précise, localise en tout cas ce site « in Cornwall, not Wales » et p. 325, à partir de l’étymologie Din (= « fort ») et *traitou (O. Co. = « plages », « grèves ») propose, avec prudence, le promontoire de l’âge de fer de Trevelgue à l’est de Newquay. 163. KELLY, Susan, « A Note on Arthur’s Round Table and the Welsh Life of Saint Carannog », Folk Lore, vol. 87 (1976), p. 223-225. 164. BROMWICH, Rachel, Trioedd Ynys Prydein…, op. cit., p. 297. 165. DOBLE, Gilbert Hunter, « Saint Carantoc… », op. cit., p. 36. 166. DUINE, François, Mémento…, op. cit., p. 116, § 102 ; DOBLE, Gilbert Hunter, « Saint Cadoc », The Saints of Cornwall, vol. 4, op. cit., p. 56, n. 3. WOOLF Alex, From Pictland to Alba. 789-390, Edinburg University Press, 2007, p. 218 et 313 (que je n’ai pu consulter). 167. DOBLE, Gilbert Hunter, « Saint Carantoc… », op. cit., p. 58-62. 168. MAÎTRE, Léon, DE BERTHOU, Paul (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé. 2e édition, revue, corrigée, augmentée, Rennes/Paris, 1904, p. 155. 169. CHADWICK, Henry Munro, « Vortigern », dans CHADWICK, Nora Kershaw (dir.), Studies in. Early British History, Cambridge University Press, reprint. 1959, p. 39-46. 170. Selon l’Historia Britonnum qui prétend ici (III, 47) s’appuyer sur un Liber beati Germani (perdu ?) Vortigern serait mort ignominiose (c’est à dire sans que sa mémoire soit célébrée). Mais il reconnaît implicitement qu’existaient d’autres traditions (Alii autem aliter dixerunt). En effet, l’inscription généalogique de la Colofn Eliseg [Pillar of Elyseg, Llangollen, Denbighshire, Pays de Galles] érigée au début du IXe siècle atteste que la dynastie du Powys s’honorait alors de remonter par l’intermédiaire de Vortigern à « Maxime qui tua le roi des Romains », cf. COUMERT, Magali,« Les monarchies bretonnes des origines… », op. cit., p. 137-140. 171. Gildas, DEB, 23 : Tum omnes conciliarii una cum superbo tyranno caecantur. 172. BARTRUM,Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts…, op. cit., p. 44. 173. La bibliographie sur saint Cadoc est considérable. Sur son culte dans le secteur de Llancarfan, Pays de Galles, et la place du monastère de Docco (=Lanndogho / Lanow, à présent St Kew, Cornwall) dans la Vita Ia Samsonis [I, 45, 46], voir, entre autres, Ó RIAIN, Padráig, « The Irish Element in Welsh Hagiographical Tradition », op. cit., p. 298-299. 174. TANGUY, Bernard, « De la Vie de saint Cadoc à celle de saint Gurthiern », Études Celtiques 26 (1989), p. 173-175 ; id, « D’Anaurot à Kimper Ellé – La Vita sancti Gurthierni », dans L’Abbaye Sainte-Croix de Quimperlé des origines à la Révolution. Actes du colloque de Quimperlé (2-3 octobre 1998), Brest-Quimperlé, CRBC − Association des amis de l’Abbaye de Ste-Croix de Quimperlé, 1999, p. 20-23. 175. MAITRE, Léon, BERTHOU, Paul de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé…, op. cit., p. 42 : Igitur Gurthiern filius Boni filii Glou filii Abros filii Dos filii Jacob filii Genethauc filii Jugdual filii Beli filii Outham Senis filii Maximiani filil Constantii filii Constantini filii Helene que crucem Christe habuisse refertur. Haec est genealogie Gurthierni ex parte matris suae : ergo Gurthiern filius Dinoi filiae Lidinin regis qui tenuit principatum totius Britannie Majoris. Beli et Kenan duo fratres erant, filii Outham Senis. Ipse Kenan tenuit principatum quando perrexerunt Britones ad Romam.[ Illic tenuerunt Laeticiam et reliq…] Beli filius Anne quam dicunt esse consobrinam Mariae genitricis Christi. Trad. TANGUY Bernard, « De la vie de saint Cadoc à celle de saint Gurthiern », op. cit.,p. 169.

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176. MERDRIGNAC, Bernard, « Généalogies et secrets de famille », dans LEMOINE, Louis etMERDRIGNAC, Bernard (dir.), Corona Monastica. Moines bretons de Landévennec : histoire et mémoire celtiques. Mélanges offerts au père Marc Simon, Rennes, PUR, 2004, p. 329-331. 177. S’il était grammaticalement possible de retenir la variante legitur fournie au ch. I, 2 par le ms 16 de la bibliothèque municipale de Quimper à la place d’igitur [cf.supra, p. 99, n. (d) du texte latin], on pourrait y voir une opposition significative avec le verbe refertur du ch. I, 1. 178. LE GRAND, Albert, Les Vies des Saints de la Bretagne Armorique, Quimper, J. Salaün, 1901, p. 59, cité par LE MENN, Gwennole, La femme au sein d’or…, op. cit., p. 127. 179. LA LANDE DE CALAN, C. de (dir.), LE BAUD P. Chroniques et Ystoires des Bretons, t. 2, Nantes, 1910, p. 17 : « […] celuy Grimolay qui par Corentin fut fait abbé estoit filz du roy Fraganus & de Alba une damme ainsi nommée qui estoient natifs de la grant Bretaigne & par mer vindrent descendre en Leonie dont ledit Fraganus fut puis fait roy, et firent leur mansion a Lesguen en celuy diocèe par congié du roy Grallons, quar ilz estoient ses prouches par lignage […]. » Je remercie pour cette référence A.-Y. Bourgès qui me précise aimablement que cette « tradition léonarde » lui semble « aussi ancienne que le début du XVe siècle ». Pour sa part, LE MENN Gwennolé, La femme au sein d’or…, op. cit., p. 53 cite, entre autres, un extrait de l’Histoire de Bretagne de Bertrand d’Argentré (1588) situant la demeure de « Fragran » et d’Alba « à Lesquen pres Kimper ». 180. TANGUY, Bernard, Dictionnairedes noms de communes, trèves et paroisses du Finistère…, op. cit., p. 166 : noté Lesguen en 1427 (= Les, « château » + Gwenn), ce manoir où existait une chapelle Saint-Guénolé est la Curia Alba citée dans une notice antérieure au XV siècle parmi les possessions de l’abbaye de Landévennec. Mais l’équation potentielle entre Lesven et sainte Gwenn ne peut être étendue à Plouguin (Ploeken, v. 1330 ; Ken, « beau, bon », peut-être l’éponyme de la paroisse ?). 181. COUMERT, Magali, « Le peuplement de l’Armorique », op. cit., p. 41-42. 182. LA BORDERIE, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévennec, 1 : Texte, op. cit., p. 75-76, II, 13 : De precepto eiusdem imperatoris. 183. Cf. GIOT, Pierre Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les Premiers Bretons…, op. cit., p. 128-129. 184. J’emprunte le terme à POULIN, Joseph-Claude, L’Hagiographie bretonne…, op. cit., p. 366. 185. RICŒUR, Paul, Temps et Récit, t. 3, Paris, Le Seuil, 1985 [rééd. Paris Seuil, coll. « Point », 1991], p. 399, citéparDOSSE, François,« De l’usage raisonné de l’anachronisme », EspacesTemps, n° 87/88 (2005), « Les voies traversières de Nicole Loraux », p. 156-171. En ligne : [http://www.ihtp.cnrs.fr/historiographie/sites/ historiographie/IMG/pdf/Dosseanachronisme_2005_.pdf], consulté le 28 juillet 2010. 186. RICŒUR, Paul, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000, p. 366-369. 187. Voir, à propos des concepts de « représentance » et de « lieutenance », les réflexions pertinentes de CHAPPÉ, François, « Traces, mémoire, oralité et patrimoines », dans RIO, Joseph (dir.), Mémoire, oralité, culture dans les pays celtiques. La légende arthurienne. Le celtisme. Actes de l’Université européenne d’été 2002. Université de Bretagne Sud (Lorient), Rennes, PUR, 2008, p. 20-43, en particulier p. 25. Voir, à présent, idem, Histoire, mémoire, patrimoine. Du discours idéologique à l’éthique humaniste, Rennes, PUR, 2010 188. MARROU, Henri-Irénée, De la Connaissance historique, Paris, Le Seuil, 1954, p. 36, citéparDOSSE, François,« De l’usage raisonné de l’anachronisme… », op. cit. DUBY, Georges, L’histoire continue, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 81, définit la « fonction médiatrice » de

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l’historien : « communiquer par l’écriture le feu, la “chaleur”, restituer la “vie même”. Or, ne nous y méprenons pas, cette vie qu’il a mission d’instiller, c’est la sienne ». 189. DUMVILLE, David N., History and Pseudo-Histories of the Insular Middle Ages, London, Aldershot, 1990 ; CAREY John, The Irish National Origin Legend. Synthetic Pseudohistory, Quiggin Pamphlets on the Sources of Mediaeval Gaelic History, Cambridge, 1994. Cf. MERDRIGNAC, Bernard, « Les origines antiques dans les Vitae bretonnes du haut Moyen Âge », dans COUMERT, Magali, TÉTREL, Hélène (dir.), Histoires des Bretagnes. 1…, op. cit., p. 37. 190. LA BORDERIE, Arthur de (dir.), Cartulaire de l’abbaye de Landévenec. 1 – Texte, op. cit., p. 81-82, II, 19 : Quam bene candelis splendebant culmina ternis/Cornubiae, proceres cum terni celsa tenebant/[…] Jamque tamen ternos precesserat ordine sanctus/Eximius istos Tutgualus nomine, clarus/Cum meritis monachus, multorum exemplar habendus/[…] Ast igitur fulchris tunc eminet alta quaternis/Cornubiae patria, rerum quoque copia plena. 191. COUMERT, Magali, « Le Peuplement de l’Armorique… », op. cit., p. 42. 192. MERDRIGNAC Bernard, « Folklore and Hagiography : a Semiotic Approach to the Legend of the Immortals of Landevennec », Cambridge Medieva1 Celtic Studies, 13 (1987), p. 73-86. 193. MERDRIGNAC, Bernard, « Le glaive à deux tranchants et l’âge des saints », dans Les saints bretons entre histoire et légendes. Le glaive à deux tranchants, PUR, Rennes, 2008, p. 201-204. 194. BARDEL, Annie, « Les premiers Bretons à Landévennec », dans GIOT, Pierre-Roland, GUIGON, Philippe, MERDRIGNAC, Bernard, Les Premiers Bretons…, op. cit., p. 129-131. 195.

RÉSUMÉS

Les noms de Dumnonia et de Cornubia se retrouvent des deux côtés de la Manche. En Grande Bretagne, ceux-ci, attestés dès les VIe-VIIe siècles, se sont maintenus jusqu’à nos jours (Devon, Cornwall). En Bretagne, le nom de Domnonée qui tombe en désuétude au cours du XIe siècle se rencontre dans la Vita Ia Samsonis (VIIe-VIIIe siècle ?) où il paraît désigner un royaume double. Mais il n’est pas question de Cornouaille avant l’époque carolingienne. La Vita longior Winwaloei rédigée à Landévennec au IXe siècle est le premier texte à faire état d’une bipartition de la péninsule entre la Domnonée et la Cornouaille. Cependant les passages de cette Vita consacrés aux origines britanniques des parents de saint Guénolé altèrent le nom de la Domnonée insulaire. Ces déformations proviennent peut-être de listes généalogiques auxquelles l’hagiographe se réfère à demi-mot. En confrontant le texte du IXe siècle avec les généalogies plus tardives et les Vitae ultérieures qui se réfèrent ouvertement à de telles sources, on est amené à se demander si le site choisi par le saint fondateur de Landévennec n’en dit pas davantage sur la situation politique de la Bretagne des origines que ce qu’en a retenu l’auteur de la Vita carolingienne.

The names of Dumnonia and Cornubia are found on both sides of the Channel. In Great Britain, these names, attested as early as the 6th-7th Centuries have remained in use until our days (Devon, Cornwall). In Brittany, the name of Domnonia, which fell into disuse during the 11th Century, appears in Vita la Samsonis (7th-8th Century?), where it seems to suggest there was a double kingdom. But no mention is made of Cornubia before Carolingian times. The Vita longior Winwaloei, written at Landévennec during the 9th Century, is the first text to note a bipartition between Domnonia and Cornubia. However, the passages of this Vita devoted to the British origin of Winwaloe’s parents alter the name of the British Domnonia. These deformations may possibly come from genealogical lists, which the hagiographer seems to allude to. By collating the text of the 9th Century with the later genealogies and Vitae which refer openly to such sources,

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one is brought to wonder whether the site chosen by the holy founder of Landévennec does not tell us more about the political situation of Brittany during the Dark Ages than what the author of the Carolingian Vita kept.

INDEX

Index chronologique : IXe siècle

AUTEUR

BERNARD MERDRIGNAC Professeur émérite d’histoire du Moyen Âge CERHIO UMR 6258 - université Rennes 2 CIRDoMoC Landévennec

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Terrae incognitae Les incertitudes de la délimitation des espaces dans la Bretagne d’Ancien Régime Idéal théorique et réalités quotidiennes

Philippe Jarnoux

1 Dans les sociétés paysannes européennes de l’époque moderne, l’espace rural est en permanence parcouru par des hommes et des femmes pour lesquels les droits et les usages sur la terre sont une garantie fondamentale de survie. Parce que l’exploitation du sol et le partage des fruits de la terre sont à la base de toutes les activités économiques, la délimitation des espaces et des droits qui s’y appliquent est une nécessité absolue. Pourtant, ces délimitations et ces marquages de l’espace laissent place à des incertitudes fréquentes ; de minuscules terrae incognitae, des lieux pour lesquels la définition des droits, des usages et des propriétés reste floue et contestée se repèrent souvent et servent de prétexte à d’innombrables micro-conflits, d’interminables affrontements locaux dont les enjeux sont loin d’être négligeables pour les populations concernées.

2 Pour comprendre la division, la structuration et l’organisation générale de l’espace rural dans les sociétés d’Ancien Régime, l’historien s’appuie sur une gamme d’archives relativement restreinte. Les sources de la pratique notariale (ventes, baux de location, contrats de toutes sortes) décrivent avec attention et de façon très détaillée l’espace et les objets concernés. Mais précisément, ces objets et ces lieux sont ceux pour lesquels les usages et les droits de propriétés sont préalablement définis. Les actes notariés ne décrivent guère que des terres qui, par définition, font l’objet d’une appropriation individuelle et incontestée, appropriation que les actes notariés participent d’ailleurs à définir et à préciser. On ne peut donc guère y trouver l’affirmation des hésitations et des imprécisions de l’espace.

3 À l’opposé, les sources de la fiscalité monarchique apportent presque toujours une vision large, imprécise et parfois reflet des tentations de fraudes des imposés. Jusqu’au XVIIIe siècle, dans le cas breton, ces sources fiscales sont des plus réduites car le poids de la fiscalité directe est faible dans la province1. Avec l’instauration d’impôts fonciers, le dixième en 1710 puis le vingtième en 1749, l’historien dispose de sources plus intéressantes, en particulier les déclarations des imposables2, mais qui relèvent aussi

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d’affirmations unilatérales des intéressés et ne permettent que très imparfaitement de saisir les espaces marginaux et incertains des terroirs dont personne – devant l’impôt tout au moins – ne revendique vraiment la possession.

4 À mi-chemin entre l’acte notarié presque toujours individualisé et les données fiscales presque toujours trop imprécises, restent les archives de la seigneurie dont l’usage est bien plus utile pour dénicher ces marges d’incertitudes des espaces. Deux types de documents seigneuriaux sont particulièrement fructueux dans notre perspective. Les terriers seigneuriaux qui consignent tous les droits et biens revendiqués par les seigneurs et qui leur rapportent des revenus d’une part, et les aveux rendus par les tenanciers qui reconnaissent tenir telle ou telle propriété du seigneur et acceptent les charges qui s’y rattachent. La confrontation de ces deux types de documents – l’un qui affirme des droits et l’autre qui reconnaît des charges – permet une reconstitution assez précise de l’organisation des terroirs et des espaces ruraux, fait apparaître des incohérences ou des incertitudes et peut mettre en évidence les statuts indéterminés de certains espaces, le caractère flou de certaines limites ou la superposition des revendications d’usage ou de droits. Parce que l’échelle seigneuriale est souvent moyenne – quelques kilomètres ou dizaines de kilomètres – l’observation de masses géographiques assez larges est possible dans un territoire où, par ailleurs, les contemporains pouvaient prétendre à une connaissance réelle et assez sûre permettant de révéler ou de contester usurpations et chevauchements éventuels.

5 C’est donc à partir de ces sources seigneuriales que nous raisonnerons ici. Pour la plupart elles donnent des descriptions rigoureuses et précises des espaces concernés, s’efforçant de délimiter, d’encadrer strictement des territoires et des hommes et de réduire les marges d’incertitude. Mais, malgré le désir seigneurial d’emprise exhaustive et de normalisation du territoire, malgré cette volonté de contraindre la terre et de marquer l’espace, nombre d’espaces mal définis apparaissent néanmoins dans ces documents, suggérant ainsi pour l’historien les potentialités de conflit ou de controverse. Les sources mettent en évidence une opposition entre les espaces régulièrement mis en culture et intensément utilisés et les autres dont la délimitation est souvent plus imprécise et complexe3, d’autant plus que, malgré sa rigidité apparente, la seigneurie bretonne est l’objet de tensions permanentes, de réaménagements réguliers et le lieu d’usurpations ou de tentatives d’usurpations régulières4.

6 On s’appuiera principalement ici sur trois cas assez bien documentés de la seconde moitié du XVIIe siècle : la seigneurie de Vigneux près de Nantes à travers un aveu rendu par la propriétaire, Mme de Sévigné, à sa suzeraine, la duchesse de Rohan en 16575, un rentier rédigé pour le marquis du Liscouet pour la seigneurie du Saint près de Gourin en 16946 et enfin la déclaration et description de la seigneurie de Kerjean, en Léon, faite pour la réformation du domaine royal en 16837, sans s’interdire pour autant quelques exemples extérieurs. Les trois documents ne sont pas totalement équivalents et diffèrent dans leur forme comme dans leur finalité mais ils présentent l’intérêt de porter tous trois sur des seigneuries moyennes dans des parties très différentes de la province et de présenter au final une grande similitude des situations.

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Les formes de la délimitation

7 Les archives seigneuriales, dans leur volonté de circonscrire les droits des propriétaires, s’efforcent d’abord de présenter avec rigueur et précision les limites territoriales. Elles s’appuient pour cela sur des éléments naturels marquants du paysage ou sur des bornes et des objets établis à cette fin par les hommes.

8 Prenons quelques exemples de ces délimitations. Il peut s’agir de délimitation générale de seigneurie comme dans l’aveu de Mme de Sévigné en 1657 : « S’extandant du costé du midy vers et au couchant le chemin nantois qui conduit par le milieu du pavé du Tample Maupertuis a la ville de Nantes passant par le Pas au duc et le Chesne de l’etat et rebourçant puis le vilage de la Trimociere, cotoiant le grand vilage de Bois Garand et le fief des regaires de Nantes par aucuns endroits se randant par l’orient a un autre grand chemin qui conduit de Vigneu a Nantes, et ycelui traversant par la Noüe Blanche pour aller en droite ligne joindre au coin de l’herbergemant de la Barociere en Orvaut, et de la rebourçant vers le nort au lieu de Mauvais Tour pour aller chercher le bois de la seigneurie du Lains en Trelieres, et d ycelui dessandant au ruisseau de Gesvreau et au Cartron de la Morine, et le long du chemin qui conduit par le milieu du vilage de la Guytonaie a la croix de la Bare, continuant ledit chemin remontant par les landes en eschalain et cotoiant le bois de la Pichoniere et de Chamnais a devaler a la fontaine de la Noüe Verte, et traversant les landes par Champfon a se randre au coing du fossé de la Planchette, et de la aller rancontrer un vieil et ancien fosséz appelé le fosséz vignolais, traversant les landes proche le Limainbon abboutant a un autre vieil ancien chemin apellé le chemin blanc, et d’ycelui passant à la souche de la Porrasse a aller rancontrer le Buisson Percé, et de la a la Noe Glain et se randre audit bourg du Temple Maupertuis […] ».

9 Mais les indications ne sont guère différentes quand on délimite seulement une exploitation. Les terres du lieu noble de Kerenoc en Saint-Vougay dans la seigneurie de Kerjean sont ainsi : « Cerné vers l’ouest du chemin de Kerenoc à la franchise8 de Lan Pillichy et des terres du sieur de Bau; vers midi d’autres terres du seigneur de Kerjean et des terres de Pierre Bloua et du chemin de la franchise de Lan Pillichi a la lande et franchise de Lan Saint Vougay et vers septentrion du chemin du bourg de Saint Vougay audit estage […]. »

10 Il en va de même parfois pour des dépendances directes des résidences seigneuriales. À Kerjean on décrit ainsi simplement une pièce toute proche du château : « Un parc9 appelé Parc an Coat au bout duquel il y a une souche de bois de haute futaie. »

11 Dans tous les cas, ces délimitations s’appuient sur des éléments marquants du paysage, des réalités topographiques (vallées, sommets…), des particularités du réseau hydrographique (ruisseau, confluence, berges…), de la végétation (forêts, landes, arbres particuliers…) mais aussi des constructions humaines (chemins, routes, fontaines, fossés, talus…), voire parfois par des bornes spécifiquement réalisées à cet effet : « À Mesiouguen, deux pièces de terre froides et frostes comme elles sont enbornées de pierres bornelles, l’une semable de trois garcées de blé mesure comble de Saint- Pol… l’autre pièce de neuf longs sillons semable d’un quart de garcée de blé […]10. »

12 L’usage de ces bornes de pierre ne semble pas très fréquent en Bretagne et quand on le trouve, il s’agit souvent de marquer des terres nouvellement défrichées, des parcelles momentanément mises en culture au milieu de zones de landes ou encore, en Léon, des « méjous », espaces de champs ouverts au sein du bocage. Pour que ces délimitations traditionnelles conservent une valeur, il ne faut donc pas que ces réalités naturelles ou

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humaines soient transformées. Mais on sait pourtant que certaines peuvent l’être facilement. Sans doute est-ce pour cela qu’à ces délimitations premières, s’ajoutent très généralement des références aux tenants et aboutissants et aux propriétés ou propriétaires voisins. Cette référence aux tenants et aboutissants est particulièrement utilisée dans les délimitations fines concernant les exploitations ou les parcelles cultivées : « Au terroir de Quillévéré en Plougar un parc et appartenances […] entre autres terres du seigneur de Kerjean, les terres de la fabrique de Saint Vougay et le chemin menant du village de Quilleveré à l’église de Plougaré. »

13 Quand ces parcelles sont closes, comme c’est le cas le plus général en Bretagne, le type de clôture est régulièrement précisé : fossé, fos, haie, talus, douves… et complète alors la description : « Parc Derien bihan et Parc an Prat aiant leurs fossés tout entour fors Parc an Prat qui a ses fossés d’un coté et des deux bouts seulement. »

14 Des cas plus compliqués se présentent régulièrement pour la délimitation des landes car en principe, elles ne sont que rarement encloses. Au Saint, la délimitation de la lande du Rest « a present en labour et close de fossés » ne pose pas de problème, pas plus que celle de la lande Droualen « en partie close de fossé ». De même, quand des terres cultivées existent au milieu des landes, elles sont souvent encloses (pour des raisons agraires évidentes) et cette précision est alors systématiquement apportée (« clos de murs, de douves, de fossés »). Mais ces situations sont minoritaires. Ainsi, au Saint, la délimitation de la tenure de « Perrine Daniou au-dessous du village de Roscouet en la lande de Keranroux dans laquelle il y a une prée » est déjà plus approximative et problématique et de tels exemples ne sont pas rares. On en revient souvent alors à une indication bien imprécise n’utilisant que des éléments naturels souvent peu marquants ou des réalisations humaines fragiles telles que les chemins ou plutôt simples sentiers qui s’aventurent dans ces landes. Quand des contestations se présentent, on fait régulièrement appel à la mémoire des « anciens » même si, devant un tribunal, rien ne permet de faire un choix entre des mémoires divergentes.

15 Seigneurs et propriétaires s’efforcent donc de montrer les limites de leurs terres et de leurs droits en décrivant les éléments pérennes qui, dans le paysage, permettent de les repérer, et éventuellement en multipliant les indications. Toutefois, ces descriptions de délimitations restent presque toujours des descriptions horizontales, déterminant les confins mais n’envisageant que très exceptionnellement les possibles superpositions de droits. Or on sait que la propriété pleine et entière, exclusive de tout partage de droit, existe rarement dans le droit ancien, et qu’il y a souvent superposition ou juxtaposition d’usages divers sur un même bien.

16 Néanmoins ces délimitations écrites s’appuyant sur des réalités matérielles existantes semblent fournir un cadre et une sécurité suffisante aux détenteurs des biens et paraissent parfois en mesure de servir de base à une cartographie rudimentaire, une cadastration au moins synthétique de l’espace. Dans l’aveu rendu par Mme de Sévigné pour Vigneux, les villages cités correspondent bien à la totalité des lieux habités connus et l’on peut suivre très précisément le parcours réalisé dans le territoire. C’est sur de tels actes qu’on s’appuie pour affirmer ou revendiquer ses droits.

17 Pourtant, dans une large mesure, ce discours des textes est aussi un discours performatif, un discours qui vise à construire une réalité qui, sur le terrain, n’existe pas toujours ou n’est pas toujours aussi évidente aux yeux des utilisateurs. C’est aussi le

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discours des possédants, de ceux qui affirment une propriété s’inscrivant dans un droit écrit qui ne maîtrise que partiellement les usages du quotidien.

Les espaces mal définis

18 Dans la pratique pourtant, ces réalisations juridiques ou seigneuriales ne suffisent pas toujours et bien des espaces restent dans une indéfinition plus ou moins manifeste.

19 Cette question des délimitations se pose d’abord mais de façon marginale dans les espaces régulièrement mis en culture. Elle se pose pour les chemins, pour les talus et fossés. La coutume de Bretagne impose que les terres cultivées soient closes et les usages ruraux prévoient toujours que talus et fossés aient un propriétaire. Au bord d’un chemin, où la réalisation de talus est presque systématique, il s’agit du propriétaire de la parcelle adjacente ; entre deux parcelles (où ils sont moins fréquents), c’est le constructeur qui en a la possession et le propriétaire possède toujours un espace d’environ un mètre au-delà de son fossé, ce qui lui donne une possibilité d’interférer sur les pratiques culturales de son voisin immédiat. En termes de droit, la base du talus constitue la limite d’une propriété mais les pratiques culturales habituelles font que le détenteur du talus intervient régulièrement et normalement au-delà de cette limite11. De plus les habitudes locatives font que la propriété des arbres du talus n’est pas toujours identique à celle du talus (en particulier en Basse Bretagne avec le domaine congéable), ce qui complique encore la définition des droits des uns et des autres sur l’espace réduit du talus.

20 Par ailleurs, une interprétation large des textes coutumiers peut permettre une revendication de propriété, ou du moins d’usage plus ou moins exclusif, d’une partie des chemins. Le problème ne se pose pas pour les grands chemins royaux, il ne se pose guère pour les chemins creux bien marqués dans le paysage, mais nombre de textes montrent qu’il ne faut pas croire à une pérennité et une immobilité absolue des chemins locaux. Les riverains qui sont chargés de leur entretien s’efforcent toujours de les utiliser ou de les accaparer, en particulier quand il s’agit de « sentiers », de « vanelles » ou de chemins de servitude que peu de gens utilisent. Les documents seigneuriaux envisagent de façon théorique et immatérielle les limites parcellaires ; or celles-ci ne sont pas un simple trait sur une carte mais bien souvent un espace de quelques mètres de largeur. Le droit ne se pose guère la question de l’usage pratique de ces minuscules lambeaux de l’espace quotidien d’où on peut tirer pourtant nombre de ressources (bois mort, fruits et baies, feuilles…) qu’on se dispute bien souvent.

21 De plus, les plantations d’arbres sur les talus et le développement du bocage amènent parfois à un usage bien particulier des parcelles. L’ombre et l’humidité créées par le talus et ses arbres amènent les exploitants à ne pas cultiver l’ensemble de la parcelle. Sur ses bords, une bande de terre plus ou moins large est laissée en herbe ou en friche12 car la croissance céréalière y est trop médiocre et les charrues ne peuvent y travailler efficacement. Certains auteurs arguent de cette pratique pour mettre en évidence le caractère routinier des paysans mais elle répond au contraire à des impératifs techniques et agraires bien compris dans le monde paysan13. De fait, les documents liés à la pratique agraire concrète (les mesurages et prisages des exploitations en domaine congéable par exemple14) montrent des parcelles dans lesquelles l’espace est partagé entre culture céréalière et bordures laissées à la végétation naturelle. Cette bordure étant parfois presque aussi étendue que le cœur de la parcelle elle-même. Le problème

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qui se pose est alors non pas celui de la propriété mais celui de l’usage de ces herbes hautes, de ces ronces ou de ces taillis qui enserrent les cultures et élargissent d’autant l’emprise spatiale des haies s’ils ne sont pas soigneusement surveillés. Si la propriété de cet espace n’est jamais séparée de celle du reste de la parcelle, son usage différencié peut à nouveau donner lieu à toute sorte d’incertitudes.

22 Au-delà de l’espace cultivé, on sait que le paysage breton se caractérise par l’existence de vastes landes qui ne sont pas mises en culture ou le sont ponctuellement lors d’écobuages trentenaires. Les documents seigneuriaux parlent généralement pour ces espaces de « franchises » ou de « montagnes ». Or ces terres ne sont pas toujours closes et la détermination de leurs limites est parfois confuse, tout comme sont complexes les délimitations des espaces servant au pâtis des animaux et de ceux qui peuvent être cultivés occasionnellement. Se pose ici un double problème : celui de définir quelles terres peuvent être mises en culture dans ces franchises et par qui, et à qui reviennent les droits de champart qui sont levés sur le produit de ces cultures occasionnelles. La coutume bretonne prévoit que les terres vaines et vagues que sont les landes appartiennent au seigneur (mais encore faut-il que les délimitations des seigneuries aient été précisées) et que celui-ci perçoit obligatoirement une part des récoltes effectuées sur ces terrains écobués. On est là, à la fois, dans une indéfinition horizontale (portant sur l’espace) et verticale (portant sur les droits sociaux).

23 Une question similaire se pose pour les espaces côtiers. Sur des littoraux, objets des convoitises de l’État, du seigneur et des habitants, dans des milieux souvent assez hostiles et utilisés pour des pratiques extensives et souvent collectives, le bornage matériel est souvent difficile et dans un contexte de propriété ou d’usage collectif, les délimitations sont bien délicates et incomplètes. La question n’est pas marginale car elle concerne aussi les très nombreuses embouchures de rivières dans lesquelles la marée se fait sentir parfois fort loin et où les berges, presque toujours propriétés seigneuriales ou royales, sont l’objet de convoitises économiques diverses. On pourrait associer à ces littoraux les espaces de marais et les landes humides ou les tourbières de l’intérieur. Si certains de ces espaces, comme le marais de Dol, sont l’objet d’accords et de textes précis, il n’en va pas de même pour les marais de l’embouchure de la Loire ou la Brière où les conflits autour des délimitations des droits sont réguliers et massifs aux XVIIIe et XIXe siècles.

24 Dernière zone où les délimitations sont délicates : l’intérieur des villages. La dispersion de la population est générale en Bretagne et on distingue presque partout de très modestes bourgs paroissiaux autour des églises, des villages comptant jusqu’à 20 ou 30 ménages et un habitat isolé relativement rare. Le modèle fondamental de l’habitat est celui d’un village (hameau) dont les formes ne sont presque jamais régulières et au sein duquel les espaces appropriés ne sont pas tous clairement distingués. Le modèle des fermes à cour fermée ou avec jardins et courtils bien clos qu’on rencontre par exemple dans une grande partie de la France du nord n’est pas fréquent en Bretagne et ne concerne que quelques grosses métairies. Dans la plupart des cas, autour des maisons, aires, issues, vaux, cours et chemins ne sont qu’assez rarement individualisés et le cœur de l’espace habité prend souvent la forme d’un placître commun où les droits des uns et des autres se chevauchent en permanence, avec une imbrication des droits de passage et des droits d’usage, des servitudes communes et des prétentions individuelles15. Cet espace du village est peut-être celui où s’affirment le plus les concurrences mais aussi les solidarités et, en tout cas, c’est un de ceux qui sont les moins clairement définis dans

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les documents de la seigneurie. Chacun reconnaît tenir sa maison et ses clos, jardins, courtils… d’un seigneur mais ici, les terres closes et les bâtiments sont loin de recouvrir tout l’espace. Ces placîtres villageois deviendront très fréquemment espaces publics et communaux (ou sectionnaires) après la Révolution mais leur statut reste souvent peu clair et donne lieu à toutes sortes d’utilisations individuelles que personne ne conteste en temps normal mais qui deviennent usurpations quand elles en arrivent à gêner les voisins.

25 Au-delà des réalités des documents seigneuriaux, on voit donc que la précision des délimitations n’est souvent qu’apparente et illusoire. Ces délimitations portent en fait et avant tout sur un espace relevant de la propriété individuelle et souvent utilisé dans les rotations culturales régulières, l’espace régulièrement intégré dans les productions céréalières principalement. Pour ces terres, la définition des limites et des propriétaires est dans l’ensemble assez aisée même si, sur les marges, les usages quotidiens introduisent des confrontations et des hésitations qui font des talus ou des bordures de chemins autant de petites terres vagues où chacun peut tenter d’affirmer un droit ou d’étendre ses pratiques. Mais on sait aussi qu’en Bretagne, ces terres qu’on appelle terres « chaudes » ne sont pas regroupées sur une partie du terroir mais disséminées sur l’ensemble de l’espace, qu’elles ne sont pas toujours majoritaires, qu’elles laissent en tout cas une place considérable aux espaces destinés au bétail, au pâturage ou aux cultures temporaires, sur lesquels l’affirmation de propriété ou la perception de droits seigneuriaux est moins régulière, souvent moins rentable et plus aléatoire. Ici, les définitions sont bien plus imprécises et les controverses très générales. Il faut donc penser l’espace, me semble-t-il, comme défini juridiquement en fonction de ses utilisations agraires. Plus l’utilisation des terres est intensive et régulière, plus la tendance à la délimitation rigoureuse est marquée. Mais subsistent toujours, au cœur de l’espace rural, une infinité de petits emplacements aux fonctions et statuts juridiques flous et aux utilisations très diverses. Si les délimitations et les définitions de droits ne posent que peu de problèmes dans les parties du territoire qui servent prioritairement aux cultures céréalières bien réglées, il n’en va pas de même dès qu’on sort de ces parcelles cultivées.

Les conflits et leurs prétextes

26 À partir de ces constatations reste à voir maintenant comment ces imprécisions peuvent déboucher sur des conflits. Trois types de situations me paraissent dominer.

27 Premièrement, des problèmes liés à des situations agraires spécifiques ou à des voisinages difficiles. On en retrouve par exemple très fréquemment quand des agriculteurs possèdent des champs triangulaires (ou plus largement de formes irrégulières). Ces parcelles aux formes inusitées sont souvent limitrophes de chemins ou d’espaces vagues et les difficultés de culture poussent les exploitants à chercher systématiquement à les transformer, les agrandir et leur donner, autant que faire se peut, une forme rectangulaire. Pour cela, on gagne peu à peu sur les espaces voisins, on grignote les chemins et on s’efforce de réduire les talus, au détriment bien sûr des voisins immédiats ou des intérêts du seigneur.

28 Au-delà de ces cas, assez rares au final, c’est l’usage et le bénéfice des cultures temporaires et occasionnelles qui entraînent régulièrement des conflits. Les seigneurs

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exigent presque systématiquement des droits de champart sur les landes mises en écobuage trentenaire. Le marquis du Liscouet au Saint revendique ainsi : « Le droit de champart à la quatre et cinquième gerbe sur les domaines congéables, landes et franchises ou ils sement du bledz par arzure et esgobües. »

29 Mais la question de la propriété et de la délimitation de ces landes se pose alors, opposant les tenanciers aux seigneurs mais aussi les seigneurs entre eux qui se contestent mutuellement la suzeraineté sur ces espaces habituellement délaissés, et les conflits sont d’autant plus vifs que les conjonctures économiques sont mauvaises. Les cas semblent particulièrement fréquents à la fin du XVIIe siècle comme à la veille de la Révolution. On en trouve trace aussi bien dans les cahiers de doléances de 1789 que dans les quelques manifestes paysans rédigés lors des grandes révoltes de 1675.

30 Les contestations et les conflits liés à l’eau (ici il s’agit principalement des pratiques de drainage des prairies ou de détournement de ruisseau) ou à des droits de passages sont eux aussi du même ordre. Dans la seigneurie de Langongar en Plouzané près de Brest, un paysan avait percé un talus pour pouvoir traverser avec ses bêtes l’extrémité d’une rabine (allée menant au manoir). L’habitude ne posait aucun problème jusqu’à ce qu’en 1752, le fermier du manoir ne décide d’établir une gagnerie de blé dans cette rabine et, changeant la destination d’un espace, ne change aussi les règles tacites qui pouvaient s’y appliquer16.

31 Avec cet exemple, on arrive au second grand type de situation à l’origine de conflits : les modifications des pratiques agraires et seigneuriales et les tentatives de rationalisation de la gestion. Dans la seconde partie du XVIIIe siècle et dans le cadre du développement de la pensée agronomique, la Bretagne connaît un vaste mouvement d’incitation aux défrichements. Le mouvement a été en particulier étudié par Jean Meyer dans le cadre du duché de Penthièvre17. Surtout important, semble-t-il, en Haute Bretagne, il touche plusieurs dizaines de milliers d’hectares et porte sur des abords de forêts mais plus encore sur des landes. Défrichements et afféagements seigneuriaux supposent un arpentage précis, la délimitation de nouvelles parcelles, l’ouverture de chemins et la réduction des droits et des usages anciens. Dès lors, les sources de conflits sont fréquentes. D’ailleurs, pour les éviter, certains seigneurs accordent dans d’autres landes des compensations aux habitants. C’est ce que fait par exemple, en 1770, à Ambon près de Vannes, M. Quifistre de Bavalan qui, pour désamorcer les possibles contestations de paysans proches de landes qu’il veut faire défricher, leur concède en échange environ 25 hectares de marais côtiers18. Dans l’ensemble, cette volonté unilatérale de modernisation des pratiques agraires et d’extension des surfaces emblavées tend à réduire les marges d’incertitudes de l’espace mais elle se fait souvent dans la difficulté et malgré les oppositions ou les craintes des populations environnantes, d’autant plus qu’elle s’accompagne souvent de la réorganisation de la gestion des terres et de la mise en place de terriers seigneuriaux plus rigoureux qui s’efforcent de mieux circonscrire l’espace. Le phénomène concerne la plus grande partie de la France. On y a vu souvent l’affirmation d’une réaction seigneuriale qui serait un des éléments conduisant à la Révolution19. Il faut peut-être plus y voir l’impact de modes de pensée nouveaux et d’un regard sur l’espace qui intègre les données agronomiques du temps et la volonté de dépasser les simples listes et énumérations de droits pour inscrire désormais l’espace dans une cartographie, en partie inspirée des progrès de la cartographie militaire ou administrative. De fait, les terriers seigneuriaux commencent à comprendre des cartes qui s’affinent, même si le phénomène est

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beaucoup moins rapide et beaucoup moins répandu en Bretagne que dans d’autres provinces20. Cette affirmation lente de la cartographie privée associée aux développements d’une cartographie étatique et militaire21 amène à une mise en évidence et une interrogation sur ces espaces indécis et conduit aussi très directement à la réalisation du cadastre au début du XIXe siècle.

32 En troisième lieu, il y a les interventions extérieures, en particulier celles de l’État, sur les littoraux, aux abords de villes, autour des grands chemins ou de la réfection des ponts en particulier au XVIIIe siècle. Le rôle du corps des inspecteurs des Ponts et Chaussées est alors considérable dans une marche vers la clarification du statut de ce qui devient peu à peu un espace public. Mais les contestations sont innombrables, en particulier autour des rectifications de chemins dans la Bretagne du XVIIIe siècle, alors que la politique de l’intendance et des commandants militaires veille rigoureusement à la mise en place d’un réseau routier efficace pour les besoins militaires.

33 Dans la majorité des cas, c’est la modification d’une situation relativement stabilisée qui génère les conflits ; en temps normal des modus vivendi sont trouvés entre riverains, entre voisins, pour bénéficier de ces espaces intermédiaires et marginaux, de ces petites terrae incognitae « du coin de ma rue » ou « du coin de mon champ ». C’est quand ces équilibres sont rompus ou remis en cause par l’une des parties ou que de nouveaux intervenants apparaissent que naissent les controverses et les tensions.

34 La situation générale n’est donc pas figée même si l’archive cherche à présenter une image stable et définitive. Il y a une évolution très sensible entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Au XVIe siècle, les actes seigneuriaux révèlent encore très clairement un paysage dont la mise en clôture n’est que très partielle et dont la mise en culture est très incomplète22. Les marges d’incertitudes sont considérables dans les documents parce qu’elles le sont dans la réalité. Tout l’Ancien Régime apparaît comme un temps d’affinement des délimitations et d’occupation de plus en plus serrée des terroirs ainsi que comme un temps de relative simplification des hiérarchies des droits qui s’appliquent au sol.

35 Le XVIIIe siècle marque une avancée notable dans le sens d’une clarification des situations. Les défrichements, la nécessité de définition rigoureuse imposée par la mise en place par l’État monarchique d’impôts fonciers poussent les seigneurs à affiner leur vision de leur seigneurie. C’est en ces temps que se développent les réfections précises de terriers et, avec du retard sur d’autres provinces, le passage à un regard cartographique, presque totalement absent des terriers auparavant.

36 Le XIXe siècle va simplifier encore les situations en éliminant nombre de superpositions de droits, en clarifiant la notion de propriété, en supprimant la seigneurie et en encourageant au partage des communs. La réalisation des premiers cadastres est, de ce point de vue, une étape fondamentale, même si elle n’efface pas toutes les incertitudes. Mais, justement, parce que cette clarification est en cours à partir du milieu du XVIIIe siècle, les conflits sont peut-être encore plus fréquents qu’auparavant, d’autant plus que tout le monde ne comprend plus ou n’admet plus les fonctionnements et les logiques anciennes. L’évolution est d’abord le fait des seigneurs relayés après la Révolution surtout par l’État. Elle est endossée, voire réclamée, par les populations rurales (ou au moins une partie d’entre elles) à partir du moment où les mutations

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agraires rendent inefficients les usages anciens. La clarification juridique, la réduction lente de ces terrae incognitae éparpillées dans le terroir relèvent ainsi à la fois de logiques administratives et de logiques agraires. Reste qu’au-delà, ou par-delà du droit, se perpétuent des pratiques discrètes qui contournent le droit de propriété et son inscription dans le territoire.

NOTES DE FIN

1. Avant la fin du XVIIe siècle, les fouages sont le seul impôt direct levé en Bretagne mais ils ne sont pas directement liés à la possession de la terre. 2. Sur l’utilisation de ces sources, voir JARNOUX, Philippe, Les Bourgeois et la terre. Fortunes et stratégies foncières à Rennes au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 1996. 3. Sur cette utilisation particulière de l’espace dans les systèmes agraires atlantiques, auxquels la Bretagne participe, on peut lire les témoignages des subdélégués dans l’enquête de l’intendant des Gallois de la Tour en 1733 : LEMAÎTRE, Alain J., La Misère dans l’abondance en Bretagne au XVIIIe siècle. Le mémoire de l’intendant Jean-Baptiste des Gallois de La Tour, Rennes, SHAB, 1999. Voir aussi ANTOINE, Annie, Fiefs et villages du bas-Maine, Mayenne, ERO, 1994, tout en gardant à l’esprit que la part des landes et de l’inculte est en Bretagne souvent bien supérieure à ce qu’elle est dans le bas-Maine. 4. Voir par exemple GALLET, Jean, La Seigneurie bretonne, 1450-1680, Paris, Presses de la Sorbonne, 1983. 5. La seigneurie couvre la plus grande partie de la commune actuelle de Vigneux-de Bretagne (Arch. dép. de Loire-Atlantique, E 302). 6. La seigneurie s’étend sur la commune du Saint, au nord-ouest du Morbihan. Brest, bibliothèque du CRBC, M 7371, Terrier pour la seigneurie du Saint en 1694, manuscrit original. 7. Le château de Kerjean est situé dans la paroisse (commune) de Saint-Vougay, dans le Nord-Finistère mais le marquisat s’étend aussi dans la plupart des paroisses voisines. Cf. Déclaration et dénombrement de la seigneurie de Kerjean pour la réformation du domaine royal de Bretagne en 1683 (copie déposée au château de Kerjean d’un document original conservé dans des archives privées). 8. Les franchises sont des espaces de lande de propriété seigneuriale mais d’usage commun et libre pour les habitants. 9. Le mot breton parc signifiant champ est systématiquement utilisé dans les actes seigneuriaux en Basse Bretagne. 10. Dénombrement de la seigneurie de Kerjean, 1683, article 198. 11. Le ramassage des feuilles mortes qui sont régulièrement utilisées pour accroître la masse de fumier est par exemple un objet de contestation sans fin. 12. Cette bande de terre non cultivée en bordure des parcelles est appelée grienn ou grizienn en breton. L’un des usages les plus fréquents est d’y faire pâturer les bovins, à tel point que le verbe griziennan signifie simplement pâturer sur cette lisière ou sur un

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rebord de talus. Aux XIXe et XXe siècles, on y a souvent aussi cultivé des choux pour l’alimentation du bétail. 13. « Je n’ai jamais pu déterminer un honnête fermier à cultiver la totalité d’un champ, dont il laissait toujours un angle en friche, sous le prétexte que ses pères ne l’avaient jamais travaillé ; c’était la part du diable à laquelle il ne fallait jamais toucher », écrit Jacques CAMBRY, Voyage dans le Finistère en 1794, Brest, 1836, p. 411. 14. C’est l’opération au cours de laquelle on estime la valeur des biens d’un paysan congédié de son exploitation dans le système du domaine congéable. On y comptabilise en particulier avec attention la valeur des fumiers présents dans la ferme et celle des récoltes encore sur pied. 15. Sur cet aspect relativement peu étudié, voir TROCHET, Jean-René, « Couderc, quéreux, placître. L’assiette des « villages » dans la France de l’Ouest », dans ANTOINE, Annie (dir.), La Maison rurale en pays d’habitat dispersé de l’Antiquité au XXe siècle, Rennes, PUR, 2005, p. 357-366. 16. LULZAC, Yves, Chroniques oubliées des manoirs bretons : contribution à l’histoire des maisons nobles du Bas-Léon, Nantes, 1994, t. 1, p. 80-81. 17. MEYER, Jean, La Noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Paris, SEVPEN, 1966. 18. Arch. dép. du Morbihan, 17 C 4562. Fait significatif, la concession est accordée à tous les habitants du village de Betahon en Ambon qui pouvaient se sentir lésés par les défrichements préalables. 19. Par exemple, SOBOUL, Albert, « De la pratique des terriers au XVIIIe siècle », Annales ESC, XIX, 6, nov.-déc. 1964, p. 1049-1063. 20. Sur cette question, ANTOINE, Annie, Le Paysage de l’historien. Archéologie des bocages de l’Ouest de la France à l’époque moderne, Rennes, PUR, 2000. 21. L’influence de la cartographie militaire sur l’espace est particulièrement sensible pour les littoraux à cause de la multiplication des fortifications côtières. La pointe de la Bretagne est ainsi constellée de cartes militaires. 22. Les terriers du Domaine royal, autour de 1540, souvent très complets pour cette époque sont à cet égard très significatifs. Voir par exemple KERHERVÉ, Jean, PERES, Anne- Françoise, TANGUY, Bernard, Les Biens de la couronne dans la sénéchaussée de Brest et Saint- Renan d’après le rentier de 1544, Rennes, ICB, 1984 ; ou Jean-François DREYER, « Le paysage de Basse Bretagne d’après les rentiers et aveux des XVe et XVIe siècles », dans MILIN, Gael (dir.), La Fabrication du paysage, Brest, CRBC, 1999, p. 67-107.

RÉSUMÉS

Dans les sociétés paysannes européennes de l’époque moderne, l’espace rural est en permanence parcouru par des hommes et des femmes pour lesquels les droits et les usages sur la terre sont une garantie fondamentale de survie. Parce que l’exploitation du sol et le partage des fruits de la terre sont à la base de toutes les activités économiques, la délimitation des espaces et des droits qui s’y appliquent est une nécessité absolue. Pourtant, ces délimitations et ces marquages de l’espace laissent place à des incertitudes fréquentes; de minuscules terrae incognitae, des lieux pour lesquels la définition des droits, des usages et des propriétés restent floues et contestés se repèrent souvent et servent de prétexte à d’innombrables micro conflits, d’interminables affrontements locaux dont les enjeux sont loin d’être négligeables pour les populations concernées.

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During early modern times in Europe, in the countryside, customs and the rights on the land were a basic safeguard for most of the people. The exploitation of the soil being the first and dominant activity, the geographical delimitation of the land and customs was absolutely necessary. Nevertheless, the boundaries and marks on the land were not always absolutely clear and precise. Very often, small terræ incognitæ still remained, small places where the definitions of rights, customs, usage and ownership stayed vague and disputed, which was the source of recurrent social contests, creating a lot of minor local conflicts, sometimes with high stakes for the peasant population.

INDEX

Index chronologique : XVIIe siècle, XVIe siècle

AUTEUR

PHILIPPE JARNOUX CRBC (EA 4451) – université de Bretagne occidentale

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Pour une histoire sociale de l’estran français Du XVIe siècle à la Seconde Guerre mondiale

Gérard Le Bouëdec

1 Le champ littoral est aujourd’hui investi par toutes les disciplines avec un discours interdisciplinaire revendiqué. On le mesure notamment dans le livre vert de 2007 de la communauté européenne1, dans l’argumentaire du programme Liteau développé depuis 1998 par le ministère de l’écologie, de l’aménagement et du développement durable et dont le Conseil scientifique est clairement interdisciplinaire2, dans les grandes manifestations scientifiques comme le colloque de Lille de janvier 2008 intitulé « Le littoral, Subir, Dire, Agir. » La démarche pluridisciplinaire était ainsi exprimée : « Ainsi il apparaît de plus en plus important d’assurer le dialogue et les échanges de connaissances entre les chercheurs (géographes, écologues, économistes, sociologues, juristes, politistes), les gestionnaires (État, collectivités territoriales), les usagers (industriels, pêcheurs, conchyliculteurs, touristes, résidents) du littoral3 ». Les historiens sont systématiquement les grands absents de cette interdisciplinarité. Or les programmes scientifiques ne peuvent les laisser indifférents : les défis environnementaux littoraux, l’exploitation des ressources, l’interaction entre les activités humaines et la vulnérabilité du littoral, les usages et les conflits d’usages, la « gouvernance du littoral », voici des thèmes qui justifient l’intrusion des historiens dans le débat scientifique interdisciplinaire, et avec des arguments. Faut-il encore que le champ historique de l’estran soit lisible !

2 Le terme d’estran n’apparaît pas dans le discours des usagers et guère dans la législation. Le Dictionnaire de Marine à voile de Paris et Bonnefous4 publié en 1847 retient cinq termes. Le littoral (sea coasts) correspond aux côtes et aux pays qui bordent la mer. Le rivage n’est que la partie de la côte qui est baignée par les marées ou par le mouvement des vagues. Mais, disent les auteurs, les termes de grève et de plein (shore) sont plus utilisés par les marins ; celui de rivage s’applique plutôt au bord des fleuves et des rivières. C’est pourtant l’expression « rivage de la mer » qui est utilisée dans l’ordonnance de 16815. La côte, c’est à la fois le rivage de la mer6 et la terre avoisinante ; toutefois son usage appartient souvent à ceux qui s’en approchent mais du côté mer ;

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d’ailleurs les termes anglais correspondants sont à la fois coast et shore. Le terme peu usité, disent les auteurs, d’estran ou stran est traduit par sea-beach ou strand équivalent de plage, c’est-à-dire cet espace qui se découvre et se couvre au gré des marées sur le littoral atlantique. C’est un terme d’origine nord-européenne, strand, que l’on retrouve dans les langues hollandaise, allemande, anglaise, danoise et suédoise, (strind en islandais). En allemand, il serait la synthèse de Seite (côté), Streifen (bande), Rand (bordure).

D’une recherche fragmentée à une recherche globale sur les sociétés littorales

3 L’estran en tant qu’objet de recherche a eu du mal à émerger du fait de l’atomisation des sujets et des approches. Les juristes semblent très tôt s’intéresser à l’estran mais avant tout pour aborder l’encadrement juridique et la réglementation des activités qui s’y déroulent à la faveur des mutations des usages et des conflits qui y prennent place. Datant d’avant la Seconde Guerre mondiale, trois thèses méritent d’être citées. Si Maurice Monteil7 et Robert Pelloux 8 s’intéressent à la notion de « domaniabilité publique », le titre de celle de Jean Bernard9 révèle l’enjeu de la recherche : « De l’utilisation du domaine public maritime. Établissements de pêche et locations de plage. » Parallèlement, les historiens du droit s’engagent dans l’étude des institutions qui s’affirment avec la première loi littorale que constitue, en 1681, l’ordonnance de Colbert qui définit la notion de domaine public maritime. Les thèses de Marcel Gouron sur l’amirauté de Guyenne10, de Jean-Marie David11 sur celle de Provence précèdent l’activité féconde de Joachim Darsel12 qui va, après sa thèse sur l’amirauté bretonne, publier des articles sur l’ensemble des amirautés de l’Ouest français. L’intrusion du géographe Louis Papy avec L’Homme et la mer sur la côte atlantique de la Loire à la Gironde : étude de géographie humaine est suffisamment isolée pour être soulignée13.

4 Au-delà de la Seconde Guerre mondiale, l’étude de l’estran n’apparaît pas plus lisible en tant que telle car elle est totalement fragmentée. L’histoire du sel, déjà présente dans la première moitié du XXe siècle14, va connaître un dynamisme et un renouvellement qu’ont marqués deux ouvrages majeurs, Le rôle du sel dans l’Histoire sous la direction de Michel Mollat15 en 1968, et la grande synthèse de Jean-Claude Hocquet, Le sel et le pouvoir de l’an mil à la Révolution française, en 1985. La création de la commission internationale du sel en 1981 a contribué à l’autonomisation de ce champ de recherche particulièrement fécond. Henri Touchard, dans la préface donnée pour Le sel de la Baie16, ouvrage qui rassemble les communications d’un colloque de 2004, souligne l’abondance des colloques et congrès et évalue la bibliographie choisie à au moins 150 titres.

5 C’est par l’étude des usages que se constitue une bibliographie sur l’estran, redevable à la fois aux travaux des universitaires et à ceux des Sociétés savantes. Le thème du goémon est au cœur de la thèse de droit de Marie-Jacqueline Destouches17 qui présente la réglementation de la collecte et des usages des engrais marins. Mais l’intervention de l’anthropologue Philippe Jacquin se révèle décisive quand paraît Le Goémonier18 en 1980 :il ouvre de nouvelles perspectives sur l’estran et la construction sociale des territoires. Il revient sur la thématique goémonière, avec la guerre des algues, dans le cadre d’un colloque sur « Pouvoirs et littoraux » en 199819. Cette approche sociale se retrouve dans un article de Jeanne Plassart20 qui étudie l’importance des algues dans la

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vie des îliens, chez Jean-François Henri qui s’intéresse aux brûleurs de varech au XIXe siècle à l’île d’Yeu21 et chez Pierre Arzel qui publie Les Goémoniers22 en 1987.

6 L’exploitation agricole abordée par Louis Papy est au cœur de quelques travaux. Abel Bouhier, dans son article « Cultures dans le Sable et originalité d’une société littorale : le pays de La Tranche (Vendée)23 », rappelle les « conches » entre Longeville et La Tranche-sur-Mer qui sont des cuvettes creusées dans le sable ; déjà en 1844, J. A Cavoleau24 les présentait avec leurs cultures d’haricots et d’ail. L’étude du territoire de la Teste du Buch, dans le bassin d’Arcachon, montre deux approches complémentaires. Frank Bouscaud oriente ses travaux sur la complexité de la question des « prés salés25 » tandis que Jacques Ragot aborde la lutte des habitants contre la dune, avant de poursuivre par les origines du boisement des dunes littorales26. En effet, sur les côtes sableuses, les agressions de la mer et des tempêtes soulèvent les dunes et menacent les activités agricoles, des villages sont ensevelis. Sylvie Caillé27 a recensé, notamment sur les côtes des départements actuels de Loire-Atlantique et de Vendée, les villages ensevelis. Johan Vincent28 rappelle que le bourg d’Escoublac qui a donné naissance à la Baule est le second Escoublac, le premier ayant dû être abandonné dans les années 1780.

7 La question des pêcheries d’estran et d’estuaires est un autre aspect important de la bibliographie29. Dans la Revue maritime et coloniale de 1887, le sous-commissaire de l’Inscription maritime Busson30 rédige un article sur les établissements de pêche et le domaine public maritime. Jacqueline Trémembert-Le Braz soutient en 1941 une thèse sur les pêcheries en Bretagne méridionale jusqu’à la fin de l’Ancien Régime31. La thèse de Jacques Boucard sur les écluses à poisson de l’île de Ré constitue une étape importante32. Il faut encore souligner la précocité des travaux de Philippe Jacquin. Il a multiplié les interventions dans les colloques sur les acteurs de l’estran, avec des titres toujours très expressifs, « les pieds rouges33 », les « collecteurs des grèves34 » ou les « hommes de pierres35 ». C’est avec Guy Prigent36 que la pêche à pied devient un titre d’ouvrage après avoir été celui d’une exposition. Sa pratique actuelle en fait même un sujet dans une revue grand public37.

8 L’histoire des ports ne fait guère de référence à l’estran, comme si tous les ports étaient des ports aménagés alors qu’ils ne sont que des havres d’échouage. Or c’est avec le développement récent des travaux sur le cabotage et les petits ports que les havres d’échouage ou les mouillages situés dans les fonds d’estuaire ou dans des rias trouvent leur place dans l’historiographie. Les historiens français se sont intéressés au cabotage pratiqué lorsque marins et négociants-armateurs français remplissaient la fonction de rouliers sur les routes du sel et du vin, aux XVe et XVIe siècles, entre le Bordelais, l’Aunis- Saintonge d’une part, les Pays-Bas et les rives de la Baltique et l’Angleterre d’autre part38. Ils ont ensuite négligé le cabotage, tout comme il fut abandonné par le capitalisme maritime au XVIIe siècle au profit des destinations coloniales antillaises et asiatiques. Aussi le regard que nous portons en France sur le seul cabotage français nous renvoie une image réductrice de sa réalité. La représentation dominante du cabotage est celle d’un monde de gagne-petit, de micro-entrepreneurs, de petits tonnages, qui n’a trouvé d’écho dans la recherche universitaire que récemment. En revanche, depuis vingt ans, dans les publications et les manifestations de la vague patrimoniale qui submerge le littoral français, le cabotage occupe une place de choix. Au cours des dix dernières années39 la recherche universitaire a permis de mettre en valeur trois aspects essentiels.

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9 Le cabotage est, pour reprendre l’expression employée par Pierre Jeannin40, l’outil des interdépendances économiques qui se tissent à différentes échelles depuis le niveau interrégional jusqu’au niveau intra européen de la rocade courte à la grande dorsalequi va du fond de la Baltique à la Méditerranée. Les historiens ont surtout insisté sur le take off des échanges coloniaux à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, mais il faut sans doute, comme le suggèrent les travaux d’un colloque sous la direction de Peter Emmer, Olivier Pétré-Grenouilleau et Jessica. V Roitman, publié chez Brill à Leiden, réexaminer les chiffres du commerce extérieur des principaux pays européens, et tenter une pesée globale des flux, locaux et régionaux, pour redonner au cabotage toute sa place dans le développement économique européen. Il ne s’agit pas de réhabiliter le cabotage, il faut démontrer son rôle essentiel. En effet, le cabotage est un moyen de transport incontournable dans le système multimodal des transports jusqu’au développement du chemin de fer.

10 L’émergence et l’affirmation du balnéaire illustrent parfaitement la segmentation en champs spécifiques de l’étude de l’estran. En un quart de siècle, la cartographie des études a fini par toucher l’ensemble du littoral. Les travaux de Christian Genet41, publiés à compte d’auteur, sur la vie balnéaire en Aunis-Saintonge, et en particulier à Royan, de 1815-1848, en 1978, et de Gabriel Désert42, dans la collection « La vie quotidienne », sur les plages normandes du Second Empire aux années folles, en 1983, paraissent alors bien isolés. Parallèlement, au Royaume-Uni, les ouvrages de John A.R. Pimlott43 en 1976 et de John K. Walton44 en 1983 marquent le développement des études sur le balnéaire. Or dans les années 1990, les publications se multiplient et ont un point commun, une approche exogène du phénomène. Deux ouvrages complètent pour le littoral de la Manche, les travaux de Gabriel Désert : en 1995 Élie Guene45 pour le Cotentin et l’Avranchin, Richard Klein46 pour la côte d’Opale en 1995. C’est cette même année que le géographe Vincent Lahondère soutient une thèse sur l’histoire de la croissance des stations touristiques du littoral aux XIXe et XXe siècles47. C’est au tournant des années 2000 que sont publiés deux ouvrages importants, l’un par Pierre Laborde48 sur la côte basque, l’autre par Marc Boyer49 sur la Côte d’Azur, et qu’est soutenue la thèse de Philippe Clairay50 sur les côtes bretonnes. Mais il ne faut pas oublier que cette thématique balnéaire a aussi mobilisé les historiens du patrimoine comme le montre le travail de Bernard Toulier51. Au Royaume-Uni, Peter Borsay52 publie en 2006 une histoire des loisirs qui fait écho à l’ouvrage d’Alain Corbin53. En 2006, lors du colloque de Boulogne consacré aux villes balnéaires d’Europe occidentale54, qui témoigne de la maturité de ce segment de recherche, Peter Borsay d’une part, Allan Brodie et Gary Winter de l’autre ont fait le point sur la précocité du phénomène balnéaire au XVIIIe siècle en Angleterre.

11 Ainsi, les historiens des différents champs se sont longtemps ignorés en oubliant que le littoral est territoire d’interface et que l’estran n’est, en tant qu’espace vécu, que l’extension du territoire villageois. C’est en considérant que le littoral est le meilleur observatoire du rapport à la mer que les historiens du champ maritime vont s’intéresser aux sociétés littorales et à leur territoire, ouvrant des perspectives nouvelles de rencontre, y compris au niveau interdisciplinaire. L’histoire des gens de mer qu’Alain Cabantous a sortis de l’ombre au début des années 1980 a été décisive. Nourrie des travaux sur les représentations menés par Alain Corbin55, il a orienté ses publications sur les identités maritimes56. Une orientation économique et sociale, enrichie par les travaux des ruralistes sur la pluriactivité va montrer que les

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populations du littoral entretiennent des relations plurielles avec la mer. Dès les années 1980, les historiens ruralistes57 ont affirmé que, dans les campagnes, la pluriactivité l’emporte sur l’exercice exclusif d’un métier. Le colloque organisé en 2002 à Lorient et publié en 2004, réunissant des historiens du monde maritime et du monde rural ainsi que des ethnologues, a démontré la validité de ce concept de pluriactivité défini dans un article publié dans les Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest. Aujourd’hui la pluriactivité est largement adoptée par les historiens des questions littorales et, à Hambourg, dans le cadre d’une étude comparative des littoraux de Bretagne-Sud et Mecklembourg, nous avons montré que c’est une réalité observable aussi sur les littoraux de la mer Baltique58.

12 En réalité, la pluriactivité apparaît comme « un mode de vie parfaitement intégré par les habitants qui savent tirer parti de leur situation d’interface entre terre et mer59 ». Les populations littorales ont appris à gérer leur territoire, notamment l’estran, et leur temps, notamment la saisonnalité des activités maritimes et agricoles. Elles intègrent les pratiques illicites comme la contrebande et le pillage des bateaux naufragés. Dans les années 1970-1990, les travaux sur les archives de l’Amirauté de Quimper, menés par Theurkauff et Peigné60, l’ouvrage d’Alain Cabantous61 sur les côtes barbares ont largement mis l’accent sur la collecte des produits des naufrages. En effet, les produits des cargaisons qui ne se sont pas dilués dans l’eau de mer, les barriques de vin, le bois issu de la coque ou du chargement, les pièces textiles et les voiles constituent des occasions à saisir, même si la collecte est parfois précédée d’une phase active de prédation. L’intégration des activités du tourisme balnéaire naissant est à l’origine d’une nouvelle pluriactivité à composante touristique. En terme d’identité sociale, la pluriactivité brouille les catégories, « la frontière entre terrien et marin se diluant dans un monde mixte difficilement reconnaissable » écrit Dominique Robin. Cette pluriactivité n’est d’ailleurs pas incompatible avec le statut d’inscrit maritime qui ne constitue pas un cadre unificateur pour ces usagers de l’estran. En revanche, la pluriactivité soude la communauté villageoise. Lors du colloque sur « La recherche internationale en Histoire maritime : essai d’évaluation », les deux interventions de Jacques Péret et de Thierry Sauzeau ont démontré le dynamisme de cette approche intégratrice par les sociétés littorales62.

L’intégration de l’estran dans le territoire des paroisses riveraines et son façonnage

L’estran et l’activité agricole

13 Comme l’écrivait, selon une belle formule, Olivier Levasseur63 dans sa thèse sur les usages de la mer dans le Trégor au XVIIIe siècle, la mer est d’abord au service des terres. Il n’a pas été démenti par Albert Michel Luc64 dans sa thèse sur les sociétés littorales rétaises, où il montre que les « sarts65 » viennent enrichir les vignobles littoraux. Gilbert Buti précise qu’il a relevé en Provence l’usage des algues comme engrais placé au pied des ceps de vigne, pratique pourtant rare contrairement à ce qui est observé dans les vignobles du littoral atlantique66. Les cadastres de Ramatuelle, Gassin, Cogolin ou Saint-Tropez témoignent de l’intérêt que portent les gens de mer à la viticulture. À Saint-Tropez les gens de mer contrôlent 40 % des terres à vigne et les capitaines et patrons se sont adjugé un quart des terres alors qu’ils ne représentent que 7 % de la

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population totale. Cet engouement pour les terres à vigne s’observe pareillement en Languedoc où « il y eut cette même année [vers 1770] et les trois ou quatre années suivantes des propriétaires de la vigne dans le terroir de Marseillan, diocèse d’Agde, qui trouvèrent dans les fruits de la récolte d’une année la valeur du fonds de la terre qui les avait produits ; et l’on vit des fortunes rapides dans les païs de vignobles de la province et parmi les négociants de Sette […]. Aussi, presque que tous les domaines voisins de la mer furent-ils bientôt plantés en vignes, et les jeunes commerçants du port de Sette envoyés dans les provinces du nord de la France et dans les païs étranger pour y mettre en réputation les vins et eaux de vie du Languedoc67 ». Une approche juridique du littoral et une lecture de René Josué Valin68 ont permis assez tôt de faire écho aux contentieux entre populations riveraines à propos du goémon, que ce soit le goémon d’épave ou le goémon de rive. Mais au XIXe siècle, Johan Vincent69 mesure encore l’importance que conserve le goémon pour l’agriculture littorale. Le conseil municipal de Mesquer, en Loire-Atlantique, considère que « c’est une question de vie ou de mort pour l’agriculture de nos contrées ». Le préfet maritime de Brest précise dans les années 1870 que le varech fertilise toute la zone parallèle à la mer dans un rayon de plusieurs lieues. La guerre du goémon est toujours particulièrement vive dans les communes de Pleubian et de Plougrescan en Bretagne du nord. En 1859 le maire de Saint-Pierre-Quiberon défend l’entreprise chimique Le Glohaec qui utilise les varechs comme matière première pour la fabrication de la soude. Jean-François Henry s’est aussi intéressé aux brûleurs de varech sur l’île d’Yeu70. Au milieu du XIXe siècle, des micro-armateurs, de Lannion, Lézardrieux, Pontrieux, Plancoët, Poulafret, vivent du dragage, du stockage et de la redistribution des « trez » et maërls auprès des producteurs de primeurs de Bretagne-nord71. À la fin du XIXe siècle, les agriculteurs de la Bernerie en Loire-atlantique viennent toujours s’approvisionner en mars et septembre en sables vaseux pour leur terre. Ces différents types d’engrais marins constituent ce que l’on dénomme communément « le fumier de la mer ». Le sable de mer ne contribue à la fécondité des terres qu’en divisant leurs molécules. C’est le sel marin et les parties bitumineuses qu’il contient qui en font un très bon engrais. Les maërls sont des sables de qualité supérieure car ils contiennent des débris d’algues calcifiées et de coquillages. Dans certaines zones littorales, les « menusses » (les frais de poisson et d’alevins) et la « guildre », composée de petites crevettes, coquillages et frais de poisson, sont aussi utilisés comme engrais par les agriculteurs, bien que cela soit réprimé. La qualité de ces sols amendés est telle que dans les trois grandes îles de Ré, Noirmoutier et Oléron la jachère est supprimée au XVIIIe siècle. À Noirmoutier, Expilly écrit que froment, orge et fèves viennent sans qu’on laisse les terres se reposer. Bourgeois, sénéchal d’Ars-en-Ré et subdélégué de l’intendant, écrit en 1785 : « La terre ne se repose jamais, ici, qu’à peine la moisson est-elle faite, on rompt les terres, on les fume [avec du « sart »] et on les ensemence vers la fin de septembre72. » Là est la richesse de l’agriculture littorale, dans le fumier des grèves. Il est donc très clair que, dans une région d’agriculture littorale dominante, la mer ne joue qu’un rôle secondaire mais essentiel pour la production agricole en lui fournissant le fumier des grèves. Au XIXe siècle, la culture des primeurs, stimulée par la demande urbaine, fait la richesse de cette bande littorale enrichie des engrais de l’estran. En 1941, Louis Papy73 présentait cette bande de 500 m à 1 km de large entre Loire et Gironde où étaient produits primeurs et petit vin ; Maurice Le Lannou74 dans les années trente décrivait ainsi cette « ceinture dorée » de la Bretagne septentrionale et occidentale : « C’est l’ensemble des pays maraîchers bretons. Sur cinq à six kilomètres à partir du rivage, les pommes de

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terre primeurs de Saint-Malo ou du Trégorrois, les oignons et les choux de Saint-Brieuc, les choux-fleurs et les artichauts de Saint-Pol-de-Léon, les fraises de Plougastel, les petits pois de Pont-L’Abbé, enrichissent depuis un siècle seulement, et quelquefois moins une population laborieuse de tout petits propriétaires. Le spectacle de ces champs privilégiés, minuscules, contournés, ceints de muretins de pierres sèches, descendant jusqu’au rivage le long des presqu’îles les plus menues, jusqu’aux criques où se tassent les barques et les maisons basses des pêcheurs, est un de ceux qui suggèrent le plus fortement le sentiment de la puissante originalité bretonne. »

14 Mais il serait erroné, comme le soulignait Alain Cabantous, de penser que les zones littorales sont nécessairement des espaces agricoles privilégiés. En fait les situations sont très variables. Si les baies d’Audierne et de Douarnenez, la région de Morlaix ou de Saint-Pol-de-Léon sont des régions riches, où le froment est cultivé à égalité avec d’autres céréales, si des diocèses sont autosuffisants ou excédentaires comme celui de Vannes, les récoltes landaises, picardes ou flamandes sont médiocres et de nombreuses paroisses du Boulonnais, du Marquenterre, des Flandres ou du Médoc connaissent des situations plus médiocres en années normales. Sur les côtes gasconnes, l’élevage d’ovins peut constituer un appoint, mais en général la part de l’élevage est inégale. Sur les côtes de Cornouaille et du Léon, les cultures légumières sont très présentes, le vignoble est, lui, plus fréquent en Saintonge continentale et insulaire, en Languedoc et en Provence, mais il ne s’agit pas toujours de vin de qualité. Il ne faut pas omettre les cultures de chanvre et de lin en Bretagne et Picardie à l’origine d’une proto-industrie textile. Surtout il faut bien se garder de penser que les amendements marins font partout des miracles, car le profil du trait de côte et l’océan peuvent être hostiles. Les vents qui privent les paroisses littorales de ressources en bois et poussent les sables et dunes qui envahissent les champs, les inondations consécutives aux tempêtes et aux grandes marées qui privent les paysans de leurs récoltes, sont des calamités naturelles contre lesquelles les riverains ont du mal à lutter75. Il faut attendre le début du XIXe siècle pour qu’une politique de fixation des dunes soit entreprise. En Flandre maritime, la mer menace directement les zones poldérisées, notamment lors des grandes marées, jusqu’aux années 1880. L’administration a d’ailleurs mis en place des syndicats pour entretenir les digues et ce, souvent dans la continuité de l’Ancien Régime, comme pour les syndicats de Wateringues. Mais l’usage à destination de l’amendement des terres n’est plus le seul : sable et rochers servent de plus en plus pour la construction de routes et maisons, sur un littoral qui, touché par le développement du balnéaire, s’urbanise.

Des marais salants et de l’estran nourricier aux parcs ostréicoles

15 Il ne faut pas oublier que la première forme de récolte du sel marin fut la cueillette dans les dépressions rocheuses où se déposait le sel du fait de l’évaporation de l’eau de mer en période estivale. Serge Cassen, Pierre Arnaud de Labriffe et Loïc Ménanteau confirment la présence d’une exploitation rationnelle du sel dès le Ve millénaire avant J.-C. Quant à l’origine des premières salines, les vestiges découverts à Vigo et datant de la période Ier-IVe siècles constituent une étape importante dans la connaissance de l’évolution vers l’aménagement des marais salants76.

16 Le travail des sauniers ou des paludiers, ces métayers de l’estran, dans les marais salants de la côte à sel de la Gironde au golfe du Morbihan dans sa plus grande

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dimension n’est plus à présenter. Les afféagements et arrentements, qui ne cessent pas jusqu’au début du XIXe siècle, notamment dans le golfe du Morbihan, Carnac constituant la limite nord, contribuent à la mise en place d’un agro-système maritime sur les estrans et sur les prairies maritimes inondables, ou schorre supérieur, au sol argileux. Les techniques de production conditionnent l’aménagement des marais. La Loire est une frontière entre le système des œillets pratiqué à Guérande (aire de vaste cristallisation) et le système des aires pratiqué au sud (aire de petite cristallisation). Mais au début du XVIIIe siècle, au sud de la Loire dans le marais, comme dans le golfe du Morbihan, les Guérandais contribuent à l’extension du système des œillets. L’enquête menée à Noirmoutier par Claude Bouhier met en valeur l’accroissement du rendement et donc l’amélioration de la rentabilité des salines qui en découle. À Séné, dans le golfe du Morbihan, le choix des chanoines de Vannes de faire appel aux Guérandais répond à leur souci d’obtenir rapidement des résultats, cet investissement devant permettre d’effacer à terme les pertes consécutives à leurs spéculations dans le système de Law. Les travaux de Gildas Buron77 nous fournissent un glossaire du façonnage de l’estran par les paludiers guérandais, avec ces salines, scannes, œillet, trémet ou tessalier, étier, vasière, cobier, guivre, ladurée et mulon.

17 Mais l’estran constitue aussi un vrai garde-manger. Philippe Zérathe78 pour le golfe du Morbihan et Olivier Levasseur79 pour le Trégor, ont, à partir des rapports de Le Masson du Parc, décliné les différentes formes de collectes des ressources de l’estran. À la main ou à l’aide de petits crochets, les riverains collectent coquillages et crustacés. En creusant le sol à l’aide d’une bêche ou d’un autre ustensile, ils ramassent palourdes et « rigados ». Sur les vasières et dans les herbiers, ils capturent au haveneau les crevettes et à la foëne anguilles et aiguillettes. Ils ne dédaignent pas non plus de chasser les oiseaux marins, les macreuses à Pénerff, la bernache à Port-Louis. L’estran fournit aussi les appâts pour les pêches. Philippe Jacquin avait identifié ces collecteurs des grèves en soulignant l’importance des femmes. En 1867, l’administrateur des affaires maritimes rappelle encore au directeur des douanes de Lorient, les droits des riverains sur les grèves en faisant référence à l’ordonnance de 1681 : « De tout temps, les riverains de toutes les catégories, y compris les douaniers et leurs familles, ont été autorisés à recueillir les produits marins coquilliers et autres abandonnés par la mer sur les grèves. Jamais l’administration de la Marine n’a mis d’opposition à l’enlèvement pendant toute l’année de moules gisant sur les bancs ou des rochers non classés, des palourdes, des bigorneaux, poissons divers et crustacés restés sur les rivages et parmi les rochers de mer basse […]. Ces riverains ont également droit à la pêche avec des lignes qu’elle se pratique à terre ou à bord d’un bateau de plaisance. Ces facilités de pêche sur les grèves concédées indistinctement à tous les riverains trouvent leur consécration dans l’ordonnance de 1681 et les actes intervenus depuis en matière de pêche côtière80. » Or ces collectes se traduisent parfois par l’épuisement des gisements. Il en est ainsi des huîtrières.

18 L’ostréiculture est un champ de recherche que les historiens ont longtemps ignoré et laissé aux ethnologues et sociologues. Ainsi, Pascale Légué-Dupont travaille sur l’ostréiculture dans le bassin de Marennes-Oléron depuis le début des années 1990, même si sa thèse n’a été publiée qu’en 2003 sous le titre La Moisson des marins paysans. L’huître et ses éleveurs dans le bassin de Marennes-Oléron81. Plus récemment, Thierry Sauzeau s’est intéressé à l’orientation ostréicole du littoral saintongeais pour la période antérieure82. En effet, cette région offre l’exemple même du passage progressif de la pêche et de la collecte à l’élevage83, seule alternative à l’épuisement des huîtrières

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naturelles : l’huître est d’abord un produit de cueillette sur l’estran et de dragage dans le golfe du Morbihan, dans l’embouchure de la Rance, dans la baie du Mont-Saint- Michel, au large de Saint-Vaast-La Hougue, dans la rivière de la Seudre et dans la baie d’Arcachon. Or les stocks vont s’épuiser. Janine Le Bihan84 a soutenu une thèse sur L’ostréiculture en Bretagne-Sud de 1852 à 1986. Jusqu’alors la pêche aux huîtres s’intégrait dans la gestion pluriactive du littoral et de l’estran par des pêcheurs-paysans. Le sentiment dominant est que la ressource est inépuisable ; d’ailleurs la technique de la drague, prohibée pour certaines pêches, reste toujours en vigueur pour la pêche des huîtres. Néanmoins, certains indicateurs paraissent inquiétants depuis les années 1820, mais ils sont peut-être davantage pris en compte dans la Seudre, comme l’a montré Thierry Sauzeau85. La naissance de l’ostréiculture est indissociable des progrès de la science mais elle est aussi le fruit d’un savoir-faire innovant. Il est frappant de voir la rapidité du passage des travaux des scientifiques sur la fécondation artificielle à l’expérimentation sur le terrain. Il est vrai que l’impulsion de l’État, sous la protection de Napoléon III, est décisive sous la conduite de Coste, embryologue, professeur au Muséum, et Debon, commissaire de la Marine, qui se livre aux premiers essais de captage du frai d’huître à Saint-Servan. Si les résultats sont dans un premier temps satisfaisants, ils se révèlent décevants dans les dernières années des années soixante. En fait, les scientifiques ne maîtrisent pas encore les connaissances sur l’anatomie de l’huître et sur les processus de reproduction. Sur le terrain, les pionniers tâtonnent et construisent un savoir-faire qui va leur permettre de maîtriser progressivement captage, élevage, affinage et verdissement. Ils innovent et Janine Le Bihan nous permet de suivre la construction de ce savoir-faire86. La culture ostréicole s’inscrit ainsi dès le départ entre les apports de la science et le perfectionnement permanent des savoir- faire des ostréiculteurs. Les parcs vont alors se multiplier sur le littoral : dans le golfe du Morbihan certes et sur les rives de la Seudre, mais également à Arcachon et dans l’étang de Thau. Le passage du dragage à l’élevage des huîtres se traduit par l’implantation sur l’estran de parcs à huîtres à collecteurs pour le captage, de parcs à huîtres d’étendage pour l’élevage, de parcs d’engraissement dont la taille moyenne est inférieure à un hectare et dont les aménagements en infrastructures sont le terre-plein, la cale de débarquement, la cale d’accostage, la maison du garde (car le chapardage des huîtres, véritable délit du pauvre, est fréquent), l’atelier et le magasin. L’ostréiculture surélevée ou les parcs en eau profonde seulement visibles aux très grandes marées sont des évolutions récentes de l’usage ostréicole de l’estran.

Quand l’estran devient plage

19 La plage, lieu d’échouage des chaloupes, de séchage des filets, d’étendage des goémons, de collecte de coquillages et de prélèvement de sable, est investie par les baigneurs qui ont recours au bain à la lame pour ses vertus vivifiantes et curatives. Mais cette dimension médicale du bain va progressivement laisser la place à celle du bain-loisir. L’estran se couvre parfois de piquets et de cordes pour rassurer le baigneur, les cabines de bain se multiplient en haut des plages et dans l’entre-deux guerres des clubs de plage s’installent durant la saison estivale. L’avènement du balnéaire qui préserve l’estran, en excluant les activités antérieures, pour le réserver exclusivement à l’usage des baigneurs est à l’origine d’un processus d’aménagement considérable qui va avoir pour premier résultat de lui donner une limite physique du côté terre. En arrière de cette plage, l’aménagement d’une promenade, si possible ombragée, et bientôt d’un

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boulevard, marque la limite avec les nouveaux quartiers, tout en offrant aux villégiateurs un nouvel espace de contemplation. La nécessité de satisfaire les besoins d’activités du baigneur-touriste est à l’origine de l’édification du casino qui peut abriter salle de lecture et de spectacle et bien sûr salle de jeu. Colonisant un espace de plus en plus important, les nouvelles pratiques sportives sont à l’origine d’aménagement de ports de plaisance avec leur yacht-club, de terrains consacrés aux pratiques du tennis et du golf, aux courses de chevaux qui sont transférées de la plage à marée basse vers des hippodromes. L’accès comme l’accueil de ces populations saisonnières vont également contribuer à modifier l’arrière-côte. La construction du réseau routier, l’aménagement des dessertes ferroviaires, l’édification de villas individuelles ou dans le cadre de lotissements sur un littoral qu’il faut protéger contre les agressions de la mer, la multiplication des palaces ou des grands hôtels changent la physionomie de ce front de mer aussi bien dans les petites villes-ports que dans les communes littorales rurales.

L’encadrement juridique des usages de l’estran du XVIe au XXe siècle

Sous le contrôle seigneurial

20 Les zones côtières sont perçues par l’État comme des territoires sauvages incontrôlées, des confins mal connus et redoutés, d’autant que ces zones côtières échappent à son autorité, même si le terme de seigneurie maritime parait bien abusif. Michel Mollat87 avait employé ce terme88 pour qualifier ces seigneuries laïques ou ecclésiastiques qui possédaient une façade littorale. Il est indéniable que les seigneurs laïques et ecclésiastiques des zones côtières se sont appropriés ces rivages de fait ou par concession du pouvoir central. Cette féodalisation ne se limite pas à la fiscalité des droits maritimes, puisqu’elle s’étend, à travers le système complexe des amirautés de France et de provinces, à l’administration des affaires maritimes du pays. Les travaux de Pierre Martin sur les fermiers des droits maritimes en Bretagne ont montré que les droits maritimes ne constituaient qu’une composante de la Ferme du temporel et que la sous-ferme des droits maritimes ne représentait guère plus de 10 % de l’ensemble des revenus. Ils provenaient d’une part des droits de quai et sur l’activité portuaire, d’autre part de droits sur la pêche et les pêcheries installées sur les basses vallées ou sur les estrans sableux et rocheux.

21 En effet, il faut se souvenir que la pêche est d’abord une activité de terrien avant d’être celle du marin pêcheur. Le pêcheur avait recours aux pièges des pêcheries fixes ou amovibles installées dans les estuaires ou sur les estrans. Au XVIIIe siècle, de Bayeux à Oléron, 393 pêcheries fixes ont été recensées, constituées de pieux en clayonnages ou construites en pierres sèches comme les écluses d’Aunis implantées sur des sols rocheux, à l’île de Ré par exemple89. Cette question des pêcheries a été particulièrement bien traitée par Pierre Martin90 dans sa thèse sur Les Fermiers des droits maritimes en Bretagne (XVe-XVIIIe siècles) et dans celle d’Albert Michel Luc sur l’île de Ré91. Sur le littoral provençal, les madragues, vastes parcs sous-marins de 200 à 800 mètres de long sur 35 à 50 mètres de large, placées dans les golfes et baies entre février et octobre, sont des pièges à thon qui sont aussi aux mains de « Puissants » et gérées comme les pêcheries atlantiques par des fermiers souvent étrangers au monde de la pêche proprement

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dite92. La fiscalité seigneuriale s’applique à la fois aux pêcheries-sècheries et au commerce maritime.

22 Les droits sur la pêche ne concernent pas seulement les pêcheries fixes mais également la pêche côtière. Sur l’Atlantique, ces droits de pêcheries et de sècheries93 consistaient en une taxe d’enrôlement – armement (de véritables congés) payée auprès du sergent ou du juge du seigneur local ainsi que dans l’obligation de vendre la pêche à un prix fixé. Ces congés de pêche touchaient avant tout les pêches du merlu, du maquereau, du congre et de la raie. Or, on observe à différentes périodes en Bretagne, du pays de l’Aven au cap Sizun en Cornouaille, de véritables séditions marquées par le refus de payer les taxes aux régisseurs du duc de Penthièvre, du baron du Pont et du seigneur de Pontcroix. Les principaux foyers se situent au Cap Sizun en 1526, à Plouhinec en 1542, au Cap Caval en 1555-1556 et à Moëlan entre 1547 et 1557. Ce refus est encore observable pendant les guerres de la Ligue et au début du XVIIe siècle entre 1619 et 1625. Devant les refus de diminution et devant les exigences des fermiers qui rappelaient les arrérages, les pêcheurs s’en prirent aux agents seigneuriaux dans les petits ports de Cornouaille. Certains seigneurs n’hésitèrent pas à faire appel à la force armée94.

23 La fiscalité sur le commerce maritime est duale. Ce sont d’abord des droits qui peuvent a priori se justifier par des services rendus dans les havres d’échouage par les autorités de tutelle : droits de quillage (entrée du port), de suage (graissage), de halage, d’ancrage, d’accostage, de planchage, de guindage (manutention), de construction et de vente de navire. Mais ces taxes étaient souvent ressenties comme un véritable racket dans la mesure où les services n’étaient pas rendus. Ce sont ensuite des droits de coutumes qui frappent les marchandises, avant tout les vins et sels mais également les blés, fers et draps, et dont les tarifs figurent sur les pancartes apposées près des zones d’échouage, y compris dans les criques des côtes rocheuses.

Quand l’État institutionnalise le littoral

24 Cette fiscalité témoignait d’un contrôle seigneurial sur une économie halieutique et de cabotage mise en place au Moyen Âge et dont les revenus ne vont cesser de régresser relativement à ceux d’une nouvelle économie maritime issue de la première mondialisation. La nouvelle législation, sous Louis XIV, aboutit à substituer les agents de l’État à ceux des seigneurs, à mettre en place un système de contrôle et d’acculturation des populations littorales. Cette institutionnalisation aboutit à tisser un maillage serré sur les régions côtières.

25 Or ce nouveau maillage a une assise territoriale. L’ordonnance de 1681, en délimitant le domaine maritime, place la mer, le littoral, les rivières et leurs rives jusqu’au point où se font sentir les marées d’équinoxe, les ports et les quais sous la juridiction des amirautés. La définition de l’estran95 (bord et rivage de la mer, dit l’ordonnance) est donné dans l’article 1, titre VII, livre IV de l’ordonnance : « Sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusques où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves. »L’ensemble des activités littorales et donc de l’estran passe sous le contrôle de la législation et des agents de l’État, et notamment des amirautés. On oublie trop souvent que relevaient aussi de l’amirauté les milices garde-côtes qui constituent la première chaîne de surveillance et de défense du littoral. L’État soumet les paysans des paroisses littorales, sur une profondeur de deux lieues, à une véritable conscription calquée sur le système

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des classes, avec toutefois une différence, le tirage au sort remplaçant le tour de rôle. Mais le service du guet et le service actif des compagnies franches s’appuient sur deux types d’équipement, les corps de garde et les tours de guet, qui sont situées le plus souvent en bordure de l’estran. Les travaux d’Elisabeth Rogani96 permettent de mesurer la présence des douanes sur le littoral au XVIIIe siècle. L’estran est sous le regard conjoint des agents de l’amirauté et des douanes et la plupart des acteurs de l’estran sont soumis soit au système des classes quand ils sont gens de mer, soit à la milice garde côtes quand ils sont paysans.

26 L’appropriation du littoral par l’État au-delà de la définition du domaine maritime se traduit en effet par un renforcement du maillage institutionnel. Aux juridictions ordinaires, l’État surimpose des juridictions extraordinaires qui doivent lui permettre d’une part d’encadrer les hommes et d’autre part, de contrôler la nouvelle économie maritime qui s’inscrit dans le double mouvement de désenclavement mondial et européen des échanges97. Morgane Vary a établi la cartographie de ces juridictions du littoral : pour les trois sièges de Quimper, Vannes, Nantes, elle a recensé 14 brigades de maréchaussées, 38 implantations des amirautés et 153 postes des traites, sans oublier les justices militaires de Brest et Lorient et les circonscriptions du système des classes. Mais elle ne se contente pas de décrire ce maillage, elle fait une excellente synthèse sur les pratiques, les inspections de routine, les opérations commandos, la géographie et la chronologie des interventions, la collaboration entre les personnels, les interférences entre leurs domaines d’intervention.

27 L’État entre en conflit avec les pouvoirs seigneuriaux pour la tutelle du littoral. Le principe de l’inaliénabilité du domaine de la couronne n’est une règle de droit public que depuis l’ordonnance de Moulins en 1566 ; une ordonnance de 1544 avait déjà en principe enlevé la police du rivage aux seigneurs. L’ordonnance de Moulins, qualifiée d’ordonnance du domaine, stipule que pour justifier toute possession, il fallait montrer des titres réguliers de concession ou d’aliénation. L’arsenal juridique reste sans effet. On peut citer chronologiquement l’ordonnance du 15 mars 1584, l’édit du février 1593, le code Michau de 1630 qui reprend les articles 84 et 85 de l’ordonnance de 1584, l’ordonnance du 14 mars 1643 sur la protection de la ressource halieutique, la réglementation des pêcheries de 1669. Parallèlement l’affirmation de l’autorité de l’État, à travers les amirautés, est lente. En Bretagne malgré la création en 1640 de sept sièges d’amirauté, l’émancipation de celle-ci des juridictions ordinaires est lente. Il faut attendre des édits en 1691 pour que les amirautés se mettent en place réellement98.

28 Malgré l’ordonnance de 1681, et la mise en place des juridictions de contrôle des hommes et des activités du domaine maritime, Pierre M artin montre la grande résistance des seigneurs, notamment ecclésiastiques, pour défendre leurs droits de pêcheries et leurs droits de coutume, même après les attaques frontales des commissions mises en place dans la première moitié du XVIIIe siècle. En effet, l’État décide tardivement de frapper fort avec trois commissions, celle des péages en 1724, celle des pêches avec la mission de Le Masson Duparc en 1726 et la commission extraordinaire de vérification des droits maritimes de 1739. Cette dernière est chargée d’examiner les titres et pancartes de tous les droits maritimes que les propriétaires percevaient sur les quais, les ports, les rivières et les rivages de la mer. Cette commission est prorogée, la dernière fois étant le 24 janvier 1755. La résistance seigneuriale est très vive, surtout de la part des seigneurs ecclésiastiques. L’offensive de l’État est virulente mais le résultat est modeste. L’État ne va pas au bout de sa

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démarche, fait parfois marche arrière, en ménageant ses élites d’autant que certains droits sont négligeables. Les pêcheries résistent bien mais en ce qui concerne les droits sur les havres et ports, ils sont devenus négligeables et tombent souvent en désuétude. En effet, ils s’appliquaient dans le réseau des havres en place à la fin de l’époque médiévale et touchaient avant tout l’économie vivrière traditionnelle. Pour le littoral provençal, Gilbert Buti rappelle que la confirmation par le roi, moyennant le paiement d’une taxe, du droit des madragaires en 1710, va condamner à l’échec toutes les procédures intentées par les pêcheurs et leur prud’hommies. En 1789, l’opposition au système de la madrague figure dans le cahier des pêcheurs de Saint-Tropez99.

L’État et la concession de l’estran aux communes et aux usagers à partir du XIXe siècle

29 Avec le développement du tourisme balnéaire, la plage est au cœur des conflits entre l’État propriétaire du domaine maritime et les communes qui considèrent que la plage fait partie de leur territoire, comme le montre dans sa thèse Johan Vincent100. En 1852, la commune de Pornic est ainsi traînée devant le conseil d’État pour avoir loué la plage de la Sablière. L’État vend ou loue le domaine maritime pour l’installation de cabines, d’établissements de bains. Les contentieux éclatent avec les communes quand l’État concède à des concessionnaires privés l’usage de la plage. Au Pouliguen, la concession par l’État de la plage de Naux à Lafond et Clemenceau de Nantes inquiète les populations locales. Les communes revendiquent la location des plages. Le conseil municipal de Quiberon demande en 1909 à devenir concessionnaire de la plage pour assurer la police et la sécurité. Globalement les communes demandent à être les seules à pouvoir être les concessionnaires des plages. Quand l’État concède, il ne cesse de faire monter les prix des baux. En 1929, le conseil municipal de Croix-de-Vie, en Vendée, soutient des députés qui ont déposé un projet de loi accordant aux communes le produit total des revenus des plages en compensation des dépenses d’entretien qu’elles doivent faire pour pallier les carences des Ponts et Chaussées. Ensuite l’État va édicter une réglementation, sévère et fiscalisée, de l’usage de l’estran, qui aboutit à réduire les usages traditionnels (pêcherie, coupe du goémon, brûlage des varechs, prélèvement de sable).

30 La privatisation durable de l’estran est au cœur du développement de l’ostréiculture. Pour les ostréiculteurs, le décret de 1853 n’établit que la mise en place d’un régime de concession précaire et révocable, fragilisant les investissements des concessionnaires. Comme pour toute concession du domaine maritime, le demandeur doit se soumettre à une procédure d’enquête d’utilité publique et le concessionnaire doit payer une redevance, sauf s’il est inscrit maritime. Ce statut de la concession précaire, nominative, non transmissible, est aménagé dans un premier temps en 1915, avec l’établissement d’un bail de 25 ans renouvelable et d’une dérogation permettant la cession à un tiers. Mais c’est la loi de 1919 qui, en permettant la constitution de sociétés, inscrit la concession dans la durée. Et c’est dans cette même loi que figure pour la première fois le terme d’ostréiculteur pour désigner celui qui n’était que le non inscrit. Cet ancrage dans la durée facilite la construction de ce paysage si spécifique de parc et de chantier qui comprend le plus souvent le terre-plein, la maisonnette du garde, le magasin, l’atelier à proximité du bassin d’attente. Mais là encore, le concessionnaire doit déposer un dossier d’AOT (Autorisation d’Occupation

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Temporaire). Cette privatisation du littoral à travers le régime des concessions ostréicoles est aussi visible en ce qui concerne les aménagements modestes des petits ports qui n’étaient jusqu’alors que des havres d’échouage d’estran. Un des grands apports de la thèse de Julien Amghar101 sur les petits ports bretons dans la deuxième moitié du XIXe siècle est d’avoir réhabilité les acteurs locaux comme promoteurs des petits équipements littoraux et portuaires, en exploitant les fonds, un véritable gisement, des ingénieurs des Ponts et Chaussées, dans les dossiers de la série S et dans leurs notices. De nombreux ports de cabotage, de pêche, mais encore plus ces équipements qui répondent à tous les usages du littoral, y compris celui d’une meilleure circulation le long d’une côte ennoyée, n’existent que par les usagers. Sur l’estran, cales, estacades, terre-pleins, appontements des chantiers navals (1870-1914), des ostréiculteurs (1860-1924), des promoteurs du balnéaire et de la plaisance (1860-1920) sont l’œuvre des usagers. On assiste à une privatisation du littoral avec l’accord de l’État, qui invente le concept d’équipement privé à usage public sur le domaine public maritime. C’est un volet de la politique de l’État en matière d’aménagement du littoral qui est toujours passé sous silence.

L’estran au cœur de l’étude des sociétés littorales

Les activités de l’estran intégrées dans l’organisation pluriactive des sociétés littorales

31 Dans les fonds anciens des archives départementales, la série B (pour les amirautés et les bailliages ou sénéchaussées), la série C et ses sources fiscales, de la capitation au vingtième, les sources notariales (dont les inventaires après décès), les registres paroissiaux, révèlent une société littorale pluriactive.

32 Les usages de la mer ne déterminent pas de clivages étanches entre les populations terriennes et maritimes. Les registres paroissiaux et d’état civil, et notamment les actes de baptême, permettent de recenser les situations de bi-activité de certains paroissiens. La mixité professionnelle affirmée est revendiquée. Le cabaretier-laboureur, le cordonnier-laboureur, le tailleur-laboureur viennent d’abord rappeler que la mixité professionnelle n’est pas un marqueur exclusif des gens de mer à temps partiel. La profession de marinier est associée soit à des métiers de l’artisanat et du commerce, soit à des métiers de la terre. Néanmoins, l’exercice d’un métier maritime se conjugue fréquemment avec celui de la terre. Laboureur et matelot, paysan-pêcheur sont des modèles dominants sur le littoral. Les constructeurs d’unités de pêche et de cabotage des paroisses rurales littorales relèvent du profil laboureur-constructeur comme Jean Le Quer à Carnac. Le type du paysan-maître de chaloupe est moins décelable. Dans le pays de l’Aven et du Belon en Bretagne, Jean Helloury de Kerdruc en Nevez est métayer mais aussi propriétaire d’une chaloupe de deux tonneaux avec laquelle il transporte ses productions jusqu’au port de Quimper102. Cette alliance de la charrue et de la chaloupe est beaucoup plus fréquente sur le littoral méditerranéen. Gilbert Buti a dressé plusieurs portraits de capitaine-vigneron et de marin-forestier sur le littoral provençal103. Mais il ne faut pas surestimer le poids des dénominations mixtes déclarées. Les taux ne dépassent guère les 3 % des professions déclarées par les pères de baptisés à Quiberon (1,2 %), Sauzon à Belle-Île (3,3 %), Carnac (1,6 %). Les institutions s’accommodent assez mal de ces déclarations, préférant des réponses normées ; aussi

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ne faut-il pas s’appuyer sur les seules auto-déclarations mais aussi observer les pratiques, d’ailleurs relatées lors d’enquêtes sur le littoral du pouvoir central, comme celle de l’inspecteur des pêches, Le Masson du Parc, en 1728. Sur le littoral sardinier breton, la bi-activité agriculture/pêche se vit au niveau du couple ou de la famille. Le cahier de doléances de Quiberon en 1789 indique que « les terres ne sont travaillées que par les femmes, les maris et les enfants étant obligés d’aller en mer pour se procurer le pain nécessaire pour huit mois de l’année104 ». Un siècle plus tard, en 1866, et avant que l’industrie de la conserve ne modifie cet équilibre, le ménage-type quiberonnais associe, dans une proportion écrasante, un marin et une cultivatrice, 206 ménages sur 236105. Cette féminisation de l’agriculture s’observe particulièrement dans les îles, à Ouessant, à Groix, à Houat.

33 Ainsi sur les littoraux, les riverains des bourgs et villages côtiers pratiquent la pêche et le petit cabotage, mais le lopin de terre est toujours présent. Le rapport à la mer se décline par rapport à la place de la terre. L’activité maritime est soit une activité d’appoint, soit une activité principale. Mais il est possible d’aller plus loin pour accéder à cette part d’ombre de la société littorale. Les archives des juridictions extraordinaires de la maréchaussée, les archives de l’amirauté, les archives des traites, mais aussi les archives des juridictions ordinaires, la série H1 du bureau du contrôle général chargé des correspondances avec les pays d’États, les correspondances entre les ports et les ministres de la Marine, les archives des bagnes et des dépôts de mendicité témoignent que ces institutions déterminaient un tel maillage qu’il était difficile pour un mendiant, un déserteur, un marginal, de ne pas tomber dans les mailles du filet judiciaire On comprend la densité de l’encadrement car les littoraux sont des espaces attractifs du fait la qualité d’interface du littoral qui associe les métiers de la terre et de la mer, les métiers de la ville maritime et de la campagne, les ressources de la ville et de la campagne, avec celles de l’estran qui représentent pour beaucoup de riverains leur seul rapport à la mer. La présentation de Morgane Vary permet d’affirmer plus clairement une vraie typologie de la pluriactivité littorale. Elle fait la différence entre la pluriactivité comme mode de vie qui témoigne de la gestion des cycles saisonniers, de l’offre d’opportunités de l’interface terre/mer sur le modèle paysan-pêcheur, la bi- activité qui associe le métier initial au nouveau métier espéré ou pris par nécessité, et la pluriactivité de la misère. Surtout la nouveauté de son analyse vient de l’intégration des activités illicites dans la pluriactivité. La mendicité des temps creux, la prostitution des périodes difficiles, la fraude et la contrebande d’attente, dont le territoire de prédilection est l’estran, s’inscrivent parfaitement dans cette pluriactivité de survie qui contribue à l’existence d’une économie informelle faite de trafics, de vols, de débits clandestins, de recel à laquelle participent, notamment pour le tabac, des populations installées et qui sont commanditaires et investisseurs.

34 Pour beaucoup de riverains, l’estran est essentiel : le paysan-pêcheur, le paysan- saunier, le matelot-vigneron, le fermier des pêcheries, mais la première loi littorale de 1681 a aussi défini les pêches autorisées aux riverains et tous peuvent aller chercher des compléments dans la pêche de proximité sur les vasières, se livrer à la pêche à pied. L’estran est nourricier. Pour d’autres, parfois les mêmes, l’estran offre des opportunités : celle du pillage d’un vaisseau naufragé ou de l’exercice d’activités illicites.

35 L’estran n’est qu’une composante du territoire villageois. Quand on se trouve confronté aux inventaires après décès de ces populations riveraines au XVIIIe siècle, comme

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Thierry Sauzeau, sur les rives de la Seudre, l’étable, le bétail, le matériel à tisser, les filets, les outils rudimentaires pour pêcher sur l’estran se retrouvent aussi bien dans le foyer d’un paysan que dans celui d’un matelot ou d’un pêcheur106. D’ailleurs, l’autodénomination dans les registres paroissiaux et d’état civil est éclairante. Au XIXe siècle, Joseph Belz, de Locoal-Mendon en Morbihan, lors des déclarations de naissance de ses enfants, se dit pêcheur en 1853, cultivateur en 1855 et 1860, à nouveau pêcheur en 1867 et 1870. Dans cette société pluriactive, l’estran est le territoire qui lie la terre et la mer et ce territoire de l’entre-deux assure la cohésion entre ceux de la terre et ceux de la mer, car tous en ont l’usage à divers titres.

Des sociétés littorales renouvelées

36 Les ostréiculteurs constituent-ils une société de l’estran ? L’ostréiculture souffre d’être à la fois dans le secteur des pêches et dans celui de l’agriculture. Les archives montrent d’emblée la dualité d’appartenance de ce monde ostréicole. C’est une activité qui se développe sur le domaine maritime et qui donc relève de la Marine et des affaires maritimes, mais c’est aussi une activité d’estran véritable prolongement du territoire agricole. On le voit bien dans le golfe du Morbihan. C’est au concours régional d’agriculture de 1875 que l’ostréiculture obtient sa première reconnaissance économique ; de nombreux pionniers sont des propriétaires fonciers présents dans les chambres d’agriculture. Ces mémoires de 1875 sont une source essentielle. C’est un monde de l’entre-deux. Les sources sont dispersées. Il faut certes exploiter les archives du service historique de la Défense, département Marine, car les activités se déroulent sur le domaine maritime et la société ostréicole est assujettie à l’inscription maritime. Mais ce monde ostréicole relève de la société globale et il faut donc labourer les fonds des archives départementales, de la série S à la série P et toutes les séries de M à W, les séries finances, travaux publics, commerce et agriculture. Mais l’accès au terrain et aux archives privées est indispensable107.

37 Les ostréiculteurs ne forment pas un monde homogène. En simplifiant, il y a d’un côté, les inscrits maritimes, que la Marine a toujours voulu favoriser, quitte à leur concéder dans le cadre d’associations de marins, comme à Pénestin (Morbihan) et à La Trinité- sur-Mer (Morbihan), des parcs, et qui se trouvent à la tête de jardinets de moins d’un hectare, et de l’autre, des investisseurs issus des élites locales et qui contrôlent les pouvoirs locaux. Ce sont des propriétaires terriens, des médecins et pharmaciens, des notaires, des douaniers, des officiers de marine ou commissaires de l’inscription de la marine en retraite, des négociants.

38 L’organisation de l’exploitation combine modernité et tradition. Contrairement à ce qu’impose la législation, le concessionnaire n’est pas toujours exploitant et l’on observe alors une exploitation en faire-valoir indirect : c’est ce que l’on appelle un faux ostréiculteur. L’ostréiculteur tout en exploitant lui-même est souvent un bi-actif car le caractère saisonnier de l’activité lui permet d’exercer un autre métier, souvent par nécessité. En fait, le noyau dur de la profession est constitué d’ostréiculteurs- exploitants qui ont réussi à s’inscrire dans la durée en bâtissant de véritables stratégies familiales, comme l’ont fait les Percevault, les Cadoret, les Solhminiac. La famille sait alors utiliser les différents statuts du monde de l’entreprise pour assurer la pérennité des concessions. Le choix de prédilection est de pouvoir associer père et fils pour une transmission simple. Si les filles sont dominantes, le gendre doit alors devenir

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ostréiculteur et acquérir ce savoir-faire indispensable. Les alliances entre les dynasties permettent de consolider le milieu ostréicole. Mais la main-d’œuvre familiale ne suffit pas. Dans le cas d’un faire-valoir indirect, des régisseurs, chefs d’exploitation sont recrutés. Surtout il faut embaucher en fonction du calendrier une nombreuse main- d’œuvre. En 1876, selon les quartiers, ce sont 2 000 à 4 000 personnes qui sont recrutées, soit pour des périodes de six mois soit à la journée ; comme dans le secteur de la conserverie, on note une forte proportion de femmes et d’enfants. Mais cette main-d’œuvre, que la Marine, en assimilant le travail dans les parcs à la navigation, voudrait voir issue de l’inscription, est de plus en plus recrutée parmi les populations littorales en général.

Le renouvellement des sociétés littorales au contact du balnéaire : la plage, pièce maîtresse du développement économique et de la reconfiguration sociale

39 Les études du phénomène balnéaire se sont intéressées d’abord à ceux qui venaient pour jouir du « territoire du vide » selon l’expression d’Alain Corbin. Rares sont les études comme celle de Johan Vincent qui prennent pour objet les populations littorales face à l’intrusion balnéaire. Si la problématique était pertinente, encore fallait-il disposer de travaux et de sources. L’auteur a épluché les travaux des érudits locaux, souvent anonymes et non paginés, les articles de revues parfois très confidentielles, il s’est immergé dans les récits de voyages et les guides. Il a dû exploiter les liasses de nombreuses séries des archives départementales, de M à T et en particulier les séries O (archives communales), P (cadastre), Q (domaines), S (ponts et chaussées), T (enquêtes touristiques), se nourrir des délibérations des conseils municipaux, se réjouir de la richesse des archives diocésaines et remercier les curés de s’exprimer sur la question dans les bulletins paroissiaux.

40 La société des baigneurs et des estivants s’est approprié l’estran, mais ces nouveaux usagers de l’estran sont au cœur d’une reconfiguration sociale des sociétés riveraines. Johan Vincent s’est livré à une analyse fine du fonctionnement de cette société, qui résulte de la cohabitation des deux communautés. Une partie des habitants prend conscience que leur territoire commence à leur échapper et que l’estran devient plage. Les locaux intègrent dans leurs pratiques le nouvel usage de la plage, mais alors se sentent parfois menacés d’exclusion par des baigneurs qui leur semblent socialement très différents. Le glissement se poursuit sur le terrain social. C’est la prise de conscience d’avoir en face d’eux un autre modèle social à la fois de référence mais qui inspire aussi beaucoup de méfiance. Le curé de Saint-Pierre-Quiberon, dans le Morbihan, est séduit par ces notables de bonne société qui sont sans doute des pratiquants généreux, mais la méfiance s’installe fréquemment à l’égard de ces estivants qui incarnent la licence. Mais là encore, prudence : il ne faut pas se laisser entraîner par quelques conservateurs catholiques pudibonds choqués par les mœurs de Paris et surtout par les tenues déshabillées de l’après-guerre 1914-1918, quand les bienfaits du soleil sont recherchés.

41 Le débat se poursuit sur le terrain de la modernité. Il est évident que les villégiateurs urbains sont particulièrement sensibles aux problèmes d’hygiène : l’accès à l’eau, l’absence d’égout, les dépôts d’ordures, ce qui nécessite de gros investissements. Les conflits d’usage éclatent sur l’estran qui devient plage et aboutissent à l’exclusion des

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activités traditionnelles : l’échouage des chaloupes, l’étendage des filets, la baignade des animaux ; les activités goémonières qui « polluent » par les mauvaises odeurs ou la fumée qui résultent du brûlage ; l’extraction de sable. Ces interdictions ont des répercussions sur l’emploi local, notamment des journaliers. Mais la réalité est plus complexe. Les conchyliculteurs se plaignent de la présence trop proche des parcs des plaisanciers ; il faut bien que les algues qui s’échouent sur les plages soient ramassées ; si les prélèvements de sables et de pierres sont importants, c’est en partie en raison de la demande en matériaux consécutive aux nombreuses constructions de villas108. Paradoxalement, « au moment où la relégation dans l’archaïsme d’un mode de vie (se produit) pour faire place à la seule activité qui lui confère la modernité, le tourisme » écrit Philippe Jacquin, le peuple des grèves (goémoniers, pêcheurs à pieds, ramasseurs de galets, marchands de coquillages) est saisi par les peintres puis les photographes en quête d’exotisme. Ils inventent alors une société chassée de l’estran.

42 L’accueil des touristes va transformer l’économie locale. Dans de nombreuses localités les revenus procurés par l’activité balnéaire vont l’emporter sur ceux de la pêche et du cabotage. En effet de nouvelles activités se développent notamment dans le commerce : les magasins d’alimentation et du paraître, les débits de tabac, les pharmacies se multiplient. Les agriculteurs et les pêcheurs vendent leur production aux touristes. Les entreprises du bâtiment (maçonnerie, menuiserie, couverture) sont tellement sollicitées que des entrepreneurs extérieurs viennent s’installer dans les bourgs du littoral. Le logement chez l’habitant a pris de l’importance et tous ont essayé de profiter des revenus de la location saisonnière, et pas seulement ceux qui ont les moyens de construire pour louer. Beaucoup de familles, notamment de pêcheurs, se contentent durant l’été d’un maigre local pour laisser à la disposition du touriste leur maison. Ce marché de l’immobilier est à l’origine de la création et de la multiplication des agences immobilières. Johan Vincent va plus loin dans le panorama des retombées sociales de la balnéarisation. Il nous livre parmi les bénéficiaires du marché foncier et immobilier, un bon portrait de ces notaires qui flairent les bons coups des lotissements. Le lotissement Peugeot à Morgat, dans le Finistère, offre au notaire local une rente de situation particulièrement juteuse. Même si les statistiques font défaut, Johan Vincent nous présente un éventail de ces métiers saisonniers : les domestiques et les petits métiers de garçon de course, de vendeur de journaux de Paris. Il pointe le doigt sur les demandes simultanées de personnel féminin dans les conserveries et les services. Aucune étude n’a encore porté sur ce sujet. Les communes voient arriver des étrangers qui sont appelés en renfort pour la poste et la gendarmerie, même si souvent les problèmes de sécurité les ont amenées à créer un poste de garde champêtre. La plage est désormais livrée aux guides-baigneurs, parfois issus du cru, professeurs de sport et marchands ambulants. L’activité balnéaire modifie également les rythmes de vie. Ce ne sont plus les seules activités maritimes (saison sardinière) qui rythment le calendrier des ports-bourgs-stations. Le sommet de l’année c’est la saison des bains de mer de juillet à septembre, et en toute logique le reste de l’année, le hors-saison, devient la saison de l’attente. Le contraste entre les deux périodes est d’autant plus fort que l’activité balnéaire est dominante voire exclusive. Jean François Gaucher s’est interrogé avec pertinence sur l’existence d’une pluriactivité nouvelle à composante touristique. Il souligne qu’elle est toujours « liée au caractère saisonnier de l’activité touristique », qu’elle reste « une affaire du couple plutôt que de l’individu, mais qu’elle reste un laboratoire d’invention de nouvelles résidentialités109 ». Cette métamorphose qu’accompagnent les populations locales quand elles ne la prennent pas en main a-t-

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elle des conséquences sur la gestion municipale et la vie politique locale ? Jusqu’aux années 1880, la gestion communale reste aux mains soit des agriculteurs soit des professionnels de la mer. Avant 1940, les activités de service, même si elles sont en plein développement, ne sont pas socialement suffisantes pour influer sur la vie politique municipale. Bénodet, Carnac et Notre-Dame-des-Monts vont rester sous la tutelle du monde agricole jusqu’à la guerre. Il est toujours difficile, notamment dans les îles et les presqu’îles, pour un non originaire d’arriver au poste de maire. Les conseils sont plus soudés dans la défense des activités maritimes, quand elles sont menacées, que pour proposer une politique balnéaire à long terme. Les populations locales n’ont pas décidé de porter à la mairie ceux qui incarnent le plus l’activité balnéaire, même si celle-ci occupe de plus de place dans les campagnes électorales entre les deux guerres. Il y a donc un décalage entre le nouveau profil de ces communes littorales et la composition des conseils qui reflète encore largement l’ancienne identité.

Conclusion : Les trois civilisations de la côte

43 La civilisation des petits ports et havres. Elle naît dans les petits ports de pêche et de cabotage qui constituent une véritable guirlande sur le littoral. Ils sont portés par leur hinterland agricole ou agro-marin ou se livrent à la pêche côtière. Les populations riveraines vivent dans un rapport pluriel avec la mer. Il en résulte une absence de clivage entre gens de terre et gens de mer. Le paysan-pêcheur est le prototype social du riverain. La gestion du littoral s’intègre dans une organisation pluriactive de la société. L’exercice des activités de pêche et de cabotage traduit un profond ancrage local que révèlent le recrutement paroissial des équipages et la mobilisation d’un micro- capitalisme local qui a de la ressource tant que le modèle artisanal reste préservé. C’est cette forme de solidarité de la communauté riveraine, associée au développement des pêches sardinières et du cabotage, qui trouve de la ressource pour s’engager dans l’ostréiculture, les pêches langoustière et thonière. Cette première civilisation de la côte s’effrite au milieu du XIXe siècle.

44 La société littorale et l’intrusion du balnéaire. Cette seconde civilisation naît de la rencontre entre la population endogène qui continuait de conjuguer de différentes manières ses relations avec la mer, avec une population extérieure qui exprimait un besoin de mer pour ses vertus curatives puis ludiques. En fait, ce sont deux mondes très différents qui s’ignoraient et qui vont devoir cohabiter. Il en résulte une profonde transformation de l’économie locale quand les activités de services prennent le pas sur les activités primaires, d’autant que le développement balnéaire touche des bourgs ruraux où la relation à la mer s’inscrivait dans la dépendance de l’activité agricole. Le développement des magasins, de l’urbanisation, de l’hôtellerie, la modification du rythme de vie qui s’aligne sur l’alternance de la saison et du hors saison, pèsent sur ce monde littoral et contribuent déjà à une certaine évolution sociologique, mais pas encore suffisante pour remettre en cause le pouvoir municipal qui reste encore très souvent aux mains des dirigeants agricoles et maritimes locaux.

45 La civilisation littorale résidentielle. Cette troisième civilisation de la côte s’inscrit dans la continuité de cette vague touristique qui devient de masse après la Seconde Guerre mondiale. Mais les bouleversements sont plus considérables. En effet, c’est toute l’économie littorale qui bascule dans une économie résidentielle où le nautisme et son environnement semblent parfois exclure les activités primaires. Le besoin de mer

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provoque un processus de substitution d’une population exogène à la population autochtone qui a du mal à se loger à cause de l’explosion du prix du foncier. Cette nouvelle population résidente modifie aussi la pyramide des âges avec ce que cela implique en termes de services et d’équipement. Cette mutation intervient à un moment où se cumulent des attentes importantes en matière de développement économique vis-à-vis d’une mer à fort potentiel de ressources et des peurs qui tournent autour du risque écologique et de la montée de la mer. Dans ces conditions, les collectivités doivent affronter des résistances de la part des populations d’origine exogène, coupées d’une culture ancienne des usages multiples de la mer et de l’estran et qui, à travers de puissantes associations, s’opposent à tout projet qui menacerait l’image rêvée qu’ils se sont construite mais dans un paysage complètement transformé dans lequel ils ont trouvé une place qu’ils refusent aux autres.

NOTES DE FIN

1. Communication de la commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au comité des régions : une stratégie européenne pour la recherche marine et maritime. Un Espace européen de la recherche cohérent à l’appui d’une utilisation durable des mers et des océans. 3 septembre 2008. 2. [www.Liteau.ecologie.gouv.fr]. 3. Colloque des 15-18 janvier 2008 dans le cadre de l’IFRESI et la MESHS du Nord Pas-de- Calais impliquant cinq laboratoires des universités de Lille 1, de l’université du Littoral et de l’université d’Artois. 4. BONNEFOUX, Pierre-Marie Joseph, PÂRIS, Edmond, Dictionnaire de la marine à voile, préface d’Éric Rieth, Édition du Layeur, 1999. (Édition originale en 1847). 5. C’est cette référence qui sert de titre à la publication d’un colloque organisé à Tatihou par BARRE, Éric, RIDEL, Élisabeth, ZYSBERG, André, Ils vivent avec le rivage, CRQH, Histoire maritime, n° 2. 6. LE ROY, Richard, « De la définition du rivage de la mer. Histoire et politique », Mélanges offerts à Edmond Monange, CRBC, 1994. 7. MONTEIL, Maurice, Formation et évolution de la notion de domaniabilité publique, thèse de droit, Larose, 1904. 8. PELLOUX, Robert, La Notion de domaniabilité publique depuis la fin de l’Ancien Régime, thèse de droit, Dalloz, 1933. 9. BERNARD, Jean, De l’utilisation du domaine public maritime. Établissements de pêche et locations de plages, Les Presses modernes, 1930. 10. GOURON, Marcel, L’Amirauté de Guienne depuis le premier amiral anglais en Guiennne jusqu’à la Révolution, Sirey, 1938. 11. DAVID, Jean-Marie, L’Amirauté de Provence et des Mers du Levant, 1942. 12. DARSEL, Joachim, L’Amirauté de Bretagne, des origines à la fin du XVIIIe siècle, thèse d’histoire du droit, Paris, 1954. Voir aussi « Contribution de la Bretagne à l’élaboration

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d’un droit de la mer », Bulletin philologique et historique du CTHS, année 1966, actes du 91e Congrès des sociétés savantes, 1968, p. 1-14. 13. PAPY, Louis, L’Homme et la mer sur la côte atlantique de la Loire à la Gironde : étude de géographie humaine, 1941. 14. PAPY, Louis, « Les marais salants dans l’Ouest ; étude de géographie humaine », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, T. II, 1931, p. 121-161. 15. MOLLAT, Michel (dir.), Le Rôle du sel dans l’Histoire, PUF, 1968. 16. HOCQUET, Jean-Claude, SARRAZIN, Jean-Luc, Le Sel de la Baie, Histoire, archéologie, ethnologie des sels atlantiques, PUR, 2006. 17. DESTOUCHES, Marie-Jacqueline, Le Goémon en Bretagne : étude historique de la réglementation, thèse de droit, Paris, 1962. Voir également sa synthèse : « La récolte du goémon et l’ordonnance de Marine », Annales de Bretagne, t. 29 (1972), p. 349-371. 18. JACQUIN, Philippe, Le Goémonier, Berger-Levraut, 1980. 19. JACQUIN, Philippe, « La guerre des algues. Contestations et affrontements pour le partage de l’estran dans la France de l’Ouest », dans LE BOUëDEC, Gérard, et CHAPPÉ, François, Pouvoirs et littoraux du XVe au XXe siècle, PUR, 2000, p. 617-622. 20. PLASSART, Jeanne, « L’importance du goémon dans la vie des îliens du XVIIe au début du XXe siècle », Cahiers de l’Iroise, n° 1, janvier-mars 1981, p. 81-83. 21. HENRY, Jean-François, « Les brûleurs de varech à l’île d’Yeu au XIXe siècle », dans GUILLEMET, Dominique et PÉRET, Jacques, Les Sociétés littorales du Centre-Ouest atlantique, Société des Antiquaires de l’Ouest, 1996, p. 649-659. 22. ARZEL, Pierre, Les Goémoniers, L’Estran/Le Chasse-marée, 1987. 23. BOUHIER, Abel, « Cultures dans le Sable et originalité d’une société littorale : le Pays de La Tranche (Vendée) », dans GUILLEMET, Dominique, et PÉRET, Jacques, Les Sociétés littorales…, op. cit., p. 735-752. 24. CAVOLEAU, Jean-Alexandre, Statistique ou description générale du département de la Vendée, 1978 [1re édition 1844], p. 602-605. 25. BOUSCAU, Frank, Les prés salés de la Teste de Buch. Contribution à l’Histoire du domaine maritime du Moyen Âge à nos jours, éd. Bouscau, 1988. 26. RAGOT, Jacques, La Vie et les gens de la Teste de Buch pendant la lutte contre les sables (1792-1815), éd Graphica, 1975 ; idem, « Les origines du boisement des dunes littorales en Aquitaine », Revue du droit rural, mai 1982. 27. CAILLE, Sylvie, Les Côtes sableuses du XIXe siècle à nos jours, 2003, p. 22-23. 28. VINCENT, Johan, L’Intrusion balnéaire. Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme, Rennes, PUR, 2007, p. 61. 29. Des éditions des rapports de Le Masson du Parc mettront à la disposition des historiens une source essentielle pour l’étude de l’estran. Voir en particulier : « Pêches et pêcheurs du domaine maritime aquitain ; procès verbaux des visites de François Le Masson du Parc, Inspecteur général des pêches du royaume », édition critique par LIEPPE, Denis, Entre deux mers éd, 2004. Se référer à DARDEL, Éric, État des pêches maritimes sur les côtes occidentales de la France au début du XVIIIe siècle, d’après les procès- verbaux de l’inspecteur des pêches Le Masson du Parc (1723-1732), Paris, 1941. 30. BUSSON, R., « Les établissements de pêche et le domaine public maritime », Revue maritime et coloniale, oct.-déc. 1887, t. 95. 31. TREMEMBERT-LE BRAZ, Jacqueline, Les Pêcheries en Bretagne méridionale jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, thèse manuscrite, École des chartes, 1941.

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32. BOUCARD, Jacques, Les Écluses à poissons de l’île de Ré, Rupella, 1984. Voir aussi SOULET, Yves, « Les écluses à Poissons en pierres sèches de Noirmoutier », Lettres aux amis de l’île de Noirmoutier, 2e trim. 1995, p. 2-23. Voir également l’approche archéologique des pièges à poisson dans JONES, Cecil, « Wall in the sea, the goradau of Menai », Nautical Archeology, vol. 12, n° 1, February 1983, p. 28-40. 33. JACQUIN, Philippe, « Les pieds rouges du littoral : des villages face à la mer, un exemple d’écosystème océanique », dans VILLIERS, Patrick, PFISTER-LANGANAY, Christian,« La pêche en Manche et mer du Nord », Cahiers du Littoral, 1998, p. 129-138. 34. JACQUIN, Philippe, « Images des collecteurs des grèves » dans LE BOUËDEC, Gérard, CHAPPÉ , François (dir.), Actes de la table ronde tenue à l’Université de Bretagne Sud, 1996, p. 88-91. 35. JACQUIN, Philippe, « Les hommes de pierre », dans LE BOUËDEC, Gérard, CHAPPÉ, François (dir.), Représentations et images du Littoral, Rennes, PUR, 1998, p. 85-92. 36. PRIGENT, Guy (dir.), Pêche à pied et usages de l’estran, Apogée, 1999. 37. « Il était une fois la pêche à pied », Bretagne Magazine, n° 3, sept. 2008, p. 20-41. 38. MOLLAT, Michel, Le Commerce maritime normand à la fin du Moyen Âge, Plon, 1952 ; TOUCHARD, Henri, Le Commerce maritime breton à la fin du Moyen Âge, Les Belles Lettres, 1967 ; TROCMÉ, Étienne, DELAFOSSE, Marcel, Le Commerce rochelais de la fin du XVe au début du XVIIe siècle, Sevpen, 1958 ; CRAEYBECKX, Jan, Le grand Commerce d’importation. Les vins de France aux anciens Pays-Bas (XIIIe-XVe siècles), Sevpen, 1959 ; TANGUY, Jean, Le Commerce de Nantes au milieu du XVIe siècle, Sevpen, 1956 ; DELUMEAU, Jean, L’Alun de Rome, Sevpen, 1963 ; DOLLINGER, Philippe, La Hanse (XIIIe-XVIIe siècles), Aubier-Montaigne, 1964. 39. LE BOUËDEC, Gérard, « Le cabotage sur la façade atlantique au XVIIIe siècle », dans WORONOFF, Denis, La Circulation des marchandises dans la France d’Ancien Régime, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 53-83 ; idem, « La Compagnie des Indes et le cabotage atlantique au XVIIIe siècle », Bulletin de la RHMC, 1997, p. 140-167 ; id., « L’État et le cabotage en France et en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans LE BOUËDEC, Gérard, CHAPPÉ, François, Pouvoirs et littoraux…, op. cit., p. 383-393 ; id., « Les enjeux du cabotage européen (XIV-XIXe siècles) », dans BUCHET, Christian, MEYER, Jean, POUSSOU, Jean Pierre, La Puissance maritime, PUPS, 2004, p. 377-394 ; id., « Produits vivriers et matières premières dans le développement du cabotage en Europe atlantique (de la péninsule ibérique à l’Europe du nord), XVe-XVIIIe siècles », dans Ricchezza del mare, Richezza dal mare, Secc. XIII-XVIII, Instituto Internationale di Storia Economica « F. Datini » Prato, Série II – Atti delle « Settimane di Studi » e. altri Convegni, Le Monnier, 2006, p. 267-285 ; id.,« Intra-european coastal shipping from 1400 to 1900. A long forgotten sector of development », dans EMMER, PC, PÉTRÉ-GRENOUILLEAU, Olivier, ROITMAN, JV, A Deus ex Machina revisitedAtlantic colonial trade and European Development, Brill, 2006, p. 89-107 ; BUTI, Gilbert, Activités maritimes et gens de mer à Saint- Tropez (milieu XVIIe siècle-début XIXe siècle). Contribution à l’étude des économies maritimes, Thèse de doctorat, EHESS, 2000 (publication en cours aux PUR) ; idem,« Le chemin de la mer ou le petit cabotage en Provence (XVIIe-XVIIIe s.) », Provence historique, fasc. 201, juillet-sept. 2000, p. 297-320 ; id.,« Le cabotage dans tous ses états dans la France d’Ancien Régime : définitions, sources, approches », Rives nord méditerranéennes, n° 13, 2003, p. 7-22 ; id., « Cabotage et caboteurs de la France méditerranéenne (XVIIe-XVIIIe siècles) », Rives nord méditerranéennes, t. XXIII, n°1, juin 2003, p.53-64 ; id.,« Aller en caravane : le cabotage lointain en Méditerranée, XVIIe-XVIIIe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 52-1, janvier-mars 2005, p. 7-38 ; id.,« Entre échanges de

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proximité et trafics lointains : le cabotage en méditerranée aux XVIIe-XVIIIe siècles », dans Richezza del mare, Richezza dal mare, secc. XIIIe-XVIIIe, Atti delle XXXVIIe Settimana di Studi, Instituto Datini, Le Monnier, 2006, p. 287-316 ; id., « La marine de Sète au XVIIIe siècle Trafic de proximité et grand cabotage européen » dans MICHEL, Henri, Ports de l’Europe méditerranéenne : trafics et circulation : images et représentations (XVIe-XXIe), université de Montpellier, à paraître ; PFISTER, Christian, « La transmanche et les liaisons maritimes (XVIIIe-XXe siècle) », dans Revue du nord, coll. « Histoire », n° 9, 1995, p. 29-42 ; idem, « Les relations entre Dunkerque et l’ouest français de Louis XIVà la Révolution » dans GUILLEMET, Dominique et PÉRET, Jacques, Les sociétés littorales…, op. cit.,p. 311-350 ; POURCHASSE, Pierrick, Le Commerce du Nord, Rennes, PUR, 2006 ; ZYSBERG, André, « La flotte du Havre de 1664 et 1686, les normands et les Amériques », Cahiers havrais de recherche historique, Numéro spécial hors série, 1993, p. 43-73 ; HENRY, Jean- François, Des marins au siècle du Roi Soleil, Salmon, 1982 (thèse soutenue à l’université de Nantes en 1981). 40. JEANNIN, Pierre, « Les interdépendances économiques dans le champ d’action européen des Hollandais (XVIe-XVIIIe siècle) », dans BRAUNSTEIN, Philippe, HOOCK, Jochen (dir.), Marchands du Nord. Espaces et trafics à l’époque moderne, Presses de l’ENS, 1996. 41. GENET, Christian, La Vie balnéaire en Aunis Saintonge 1815-1848 ; Royan : Rendez-vous des Bordelais, Gémozac, à compte d’auteur, 1978. 42. DÉSERT, Gabriel, La Vie quotidienne sur les plages normandes du Second Empire aux années folles, Paris, Hachette, coll. « la vie quotidienne », 1983. 43. PIMLOTT, John A. R., The English’man Holiday : A social History, Hassocks, Harvester Press, 1976. 44. WALTON, John K., The English Seaside Resort : A Social History 1750-1914, Leicester, Leicester University Press, 1983. 45. GUENE, Élie, Deux Siècles de bains de mer sur les plages de l’Avranchin et du Cotentin, Manche-Tourisme, 1995. 46. KLEIN, Richard, Le Touquet Paris-Plage : la cote d’opale des années Trente, Norma, 1995. 47. LA HONDÈRE, Vincent, Histoire de la croissance des stations touristiques du littoral atlantique français aux XIXe et XXe siècles, Thèse de géographie, université de Bordeaux III, 1995. 48. LABORDE, Pierre, Histoire du tourisme sur la côte basque, Atlantica, 2001. 49. BOYER, Marc, L’invention de la côte d’Azur ; l’hiver dans le midi, éd. de l’Aube, 2002. 50. CLAIRAY, Philippe, Les stations balnéaires de Bretagne : Des premiers bains à l’explosion touristique des années 1960, Thèse de doctorat d’histoire, université de Rennes 2, multigr., 2003. 51. TOULIER, Bernard, Villes d’eau : architecture publique des stations thermales et balnéaires, 2002. 52. BORSAY, Peter, A History of leisure, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2006. 53. CORBIN, Alain, L’Avènement des loisirs (1850-1960), Aubier, 1995. 54. PERRET-GENTIL, Yves, LOTTIN, Alain, POUSSOU, Jean-Pierre, Les Villes balnéaires d’Europe occidentale du XVIIIe siècles à nos jours, PUPS, 2008. 55. CORBIN, Alain, Le Territoire du vide, l’Occident et le désir de rivage (1750-1840), Aubier, 1988.

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56. CABANTOUS, Alain, Dix mille marins face à l’océan. Les populations maritimes en France (XVIIe-XIXe siècles), Aubier, 1995 ; idem, Le ciel dans la mer. Christianisme et Civilisation maritime (XVIe-XVIIIe siècles), Fayard, 1990 ; id., Les côtes barbares. Pilleurs d’épaves et sociétés littorales en France (1680-1830), Fayard, 1993 ; id., Les citoyens du large : les identités en France (XVIIe-XIXe siècle), Aubier, 1995. 57. La pluriactivité dans les familles, textes réunis et présentés par CLERC, F., LACOMBE, P., MENDRAS, H., MESLIAND, C., Colloque de l’Association des ruralistes français, ARF, 1984. 58. « Les populations littorales mecklembourgeoises (de l’île de Poel au Fischland) et bretonnes (fin -début XIXe siècle) : étude comparée des pratiques de pluriactivité », Colloque international sur la pluriactivité dans les sociétés littorales des rives de la Baltique et de la mer du Nord, Université de Hambourg, 16-18 novembre 2006. « Die Küstenbevölkerungen Mecklemburgs (Zwischen Poel und Fischland) und der Bretagne (von Ende des 18. bis zum Beginn des 19. Jahrhunderts) : Versuch eines vergleichs der Merfachbeschäftigungen »,dans SCHMIDT, Burkhart, HOGEFORSTER, Jürgen (dir.), Mehrdimensionale Arbeitswelten in Baltischen Raum, Von der Geschichte zun Gegenwart und Zukunft, Hamburg, DOBU Verlag, 2007, p. 70-79. 59. GUENOT, Céline, « Pluriactivité et identité sociale dans les paroisses littorales de Basse-Bretagne au XVIIIIe siècle » dans LE BOUËDEC, Gérard et al., Entre Terre et Mer, op. cit ; p. 197-208. 60. THEURKAUFF, Marie-Christine et PEIGNE, Élisabeth, Naufrageurs et Pilleurs sur les côtes de Cornouaille au XVIIIe siècle, mém. de maîtrise, université de Paris X, 1973-1974. 61. CABANTOUS, Alain, Les Côtes barbares…, op. cit. Voir également PÉRET, Jacques, Naufrages et pilleurs d’épaves sur les côtes charentaises aux XVIIe et XVIIIe siècles, Poitiers, Geste éditions, 2004. 62. « La recherche internationale en histoire maritime : essai d’évaluation », Revue d’Histoire maritime, n° 10-11, Presses Universitaires de Paris Sorbonne, 2010, p.135-158 et 249-257. 63. LEVASSEUR, Olivier, Les Usages de la mer dans le Trégor au XVIIIe siècle, Thèse de doctorat d’histoire, université de Rennes 2, multigr., 1999. 64. LUC, Albert Michel, Les Gens de la mer dans l’île de Ré au XVIIIe siècle, Thèse de doctorat d’histoire, université de Poitiers, multigr., 2005. 65. Le goémon de rive accessible à basse mer, de la famille des fucales, et le goémon de fond accessible uniquement par bateau, de la famille des laminariales, portent le nom de varech en Normandie et de « sart » en Aunis-Poitou. 66. BUTI, Gilbert, « Vigne et cabotage en Méditerranée occidentale au XVIIIe siècle », dans Relations, Echanges et Coopérations en Méditerranée, 128e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, CTHS, Bastia, 2003. 67. Cité par DERMIGNY, Louis, Naissance et croissance d’un port : Sète de 1666 à 1880, Institut d’études économiques ; Montpellier, 1955, p. 33, note 2, repris par G. BUTI dans « Vigne et cabotage en Méditerranée » qui y cite Jacques Fauchet, Statistiques générales de la France, Département du Var, Paris, An X, p. 21, passim. 68. VALIN, René Josué, Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la Marine du mois d’août 1681, La Rochelle, 1776. 69. VINCENT, Johan, Les Sociétés littorales face à l’intrusion balnéaire, de Morgat à la Faute sur mer (Début XIXe siècle-1945), Rennes, PUR, 2007, p. 20-21.

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70. HENRY, Jean-François, « Les brûleurs de varech de l’île d’Yeu au XIXe siècle », Les sociétés littorales du centre ouest atlantique de la préhistoire à nos jours, Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 5e série, t. 4, 1996, p. 649-659. 71. SIOC’HAN-MONNIER, Françoise, La construction et l’évolution des ports en Bretagne aux XIXe et XXe siècles, thèse de doctorat d’histoire, université de Rennes 2, 1998, multigr., p. 484 sqq. 72. GUILLEMET, Dominique, Les Îles de l’Ouest de Bréhat à Oléron, du Moyen Âge à la Révolution, Poitiers, Geste éditions, 2000, p. 54 73. PAPY, Louis, Les Aspects naturels de la côte atlantique de la Loire à la Gironde ; introduction à une étude de géographie humaine, Éd. Delmas, 1941. 74. LE LANNOU, Maurice, Itinéraires de Bretagne : guide géographique et touristique, s. d., p. 12. 75. CABANTOUS, Alain, Les Côtes barbares…, op. cit., p. 79-84. 76. CASSEN, Serge, DE LABRIFFE, Pierre Arnaud, MENANTEAU, Loïc, « Le « sel chauffé » des baies marines en Armorique-Sud durant les Ve et IVe millénaires av. J.-C. : à la recherche (ouest-européenne) de croyances et de faits techniques », dans HOCQUET, Jean-Claude, et SARRAZIN, Jean-Luc, Le Sel de la Baie…, op. cit., p. 33-54. 77. BURON, Gildas, Bretagne des marais salants, 2000 ans d’histoire, Skol Vreizh, 1999. 78. ZERATHE, Philippe, Les Gens de mer du département maritime de Vannes (fin XVIIe-fin XVIIIe siècle), Métiers, Statut et identité, Thèse de doctorat, Paris, 2000. 79. LEVASSEUR, Olivier, « Les usages de la mer dans le Trégor au XVIIIe siècle », thèse de doctorat d’histoire, université de Rennes 2, multigr., 2000. « La gestion des ressources marines de l’estran au XVIIIe siècle », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne ; actes du Congrès de Dol, t. LXXIX, 2001, p. 339-364. 80. AULARD, Patricia, « Pluriactivité, mobilité, adaptation chez les inscrits maritimes des quartiers de Vannes et Auray dans la seconde moitié du XIXe siècle », mémoire de DEA, Université de Rennes 2, multigr., 1995. 81. LÉGUÉ-DUPONT, Pascale, « Stratégie autour de la cabane : la transmission successorale des ostréiculteurs », Ethnologie française, oct-déc.1992, t. 22, p. 421-430 ; idem, « L’évolution du foncier ostréicole dans le bassin de Marennes Oléron », Études foncières, 2000, n° 88 ; id., La moisson des marins paysans. L’huître et ses éleveurs dans le bassin de Marennes-Oléron, Éd. MSH-INRA, 2003. 82. SAUZEAU, Thierry, « Du sel aux huîtres : la mutation socio-économique du littoral Saintongeais (XVIIe-XIXe siècles) », Revue Historique du Centre-Ouest, T. II, 2e sem. 2005, p. 321-328 ; id. « Les usages de l’Estran sur le littoral de la Saintonge girondine (1850-1880) », dans PÉRET, Jacques, et CHAUVAUD, Frédéric (dir.), Terres Marines, Hommage à Dominique Guillemet, Rennes, PUR, 2005, p. 115-122. 83. DESBOS, Geneviève, « Semer du poisson comme on sème le grain ». L’aquaculture scientifique et pratique, une histoire vieille d’un siècle », Norois, 1987, t. 34, n° 133-135. 84. LE BIHAN, Janine, Ostréiculture et société ostréicole en Bretagne sud (1850-1986), Thèse de doctorat d’histoire, université de Bretagne sud, multigr., 2007. 85. SAUZEAU, Thierry, Les Gens de mer de la Seudre (milieu XVIIIe-milieu XIXe siècle), thèse de doctorat d’histoire, université de Poitiers, 2002, publiée sous le titre Les marins de la Seudre du sel charentais au sucre antillais (XVIIIe-XIXe siècle), Poitiers, Geste édition, 2005, p. 25. 86. Leroux de Crach réalise la mise en bouquet des collecteurs définitivement en tuiles, le docteur Gressy, de Carnac, met au point le macadamisage des sols des parcs, Liazard et Martin ont leur recette pour chauler les tuiles. L’observation par Leroux du cycle de

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l’huître permet de bien identifier la ponte. De Wolboch établit le bon moment pour échouer les chalands qui permettent d’apporter sur les parcs les collecteurs pour un bon plaçage. Le détroquage du naissain est objet de beaucoup de soin. Pour améliorer l’élevage sur des sols qui ne sont pas toujours de bonne qualité, Pozzy met au point des caisses ostréophiles et un conducteur des travaux hydrauliques de l’arsenal de Lorient invente des plateaux et ruches ostréicoles. L’affinage et le verdissement butent sur les incertitudes des scientifiques et passent par l’expérimentation pour découvrir les terroirs les plus adaptés. Pour l’affinage, des essais sont effectués à Ludré, sur le Traict du Croisic, à Pénestin et dans la rivière de Belon, pour le verdissement à Mesquer et au Croisic. 87. MOLLAT, Michel, La Vie quotidienne des gens de mer en Atlantique, IXe-XVIe siècle, Hachette, 1983, p. 34-69. 88. DARSEL, Joachim, « Les seigneuries maritimes en Bretagne », Bulletin philologique et historique du cths, année 1966, Actes du 91e congrès des sociétés savantes, t. 1, 1968, p. 2-59. 89. BOUCARD, Jean, Les Écluses à poisson dans l’île de Ré, Rupella, 1984. 90. MARTIN, Pierre, Les Fermiers des droits maritimes en Bretagne du XVIe au XVIIIe siècle, Thèse de doctorat d’histoire, université de Bretagne Sud, multigr., 2003. 91. LUC, Albert Michel, « Les gens de mer dans l’île de Ré au XVIIIe siècle (1691-vers1790), terriens de le mer, marins d’une terre », thèse d’histoire, université de Poitiers, multigr., 2005. 92. BUTI, Gilbert, « Madragues et pêcheurs provençaux dans les mailles des pouvoirs » (XVIIe-XIXe siècles) », dans LE BOUËDEC, Gérard et CHAPPÉ, François, Pouvoirs et Littoraux (XVe-XXe siècles), Rennes, PUR, 2000, p. 57-74 ; idem, « Madragues de Saint-Tropez (XVIIe- XIXe siècle), dans BARRE, Éric, Élisabeth, RIDEL, Élisabeth, ZYSBERG, André, Ils vivent avec le rivage, Histoire maritime n° 2, Caen, 2005, p. 27-44. 93. La concurrence de la morue de Terre-Neuve va ruiner progressivement ces pêcheries-sècheries dès la seconde moitié du XVIe siècle. Voir MARTIN, Pierre, Les Fermiers des droits maritimes…, op. cit. p. 83-109. 94. Ibidem, p. 642-669. 95. VENDROY, Marie-Anne, « La loi et le rivage d’après l’ordonnance de 1681 et le commentaire de Valin », dans LE BOUËDEC, Gérard et CHAPPÉ, François, Représentations et images du Littoral, Rennes, PUR, 1998, p. 57-65. 96. ROGANI, Élisabeth, « L’Administration des douanes d’Ancien Régime : fonctions et résistances à ces fonctions sur le littoral breton au XVIIIe siècle », dans LE BOUËDEC, Gérard et CHAPPÉ, François, Pouvoirs et Littoraux…, op. cit., p. 437-451. C’est le résumé d’un DEA soutenu à l’université de Rennes 2. 97. VARY, Morgane, Intégration sociale des populations marginales sur le littoral breton au XVIIIe siècle, Thèse d’histoire, université de Bretagne Sud, 2007, multigr., p. 101-298. 98. DARSEL, Joachim, L’Amirauté de Bretagne, des origines à la fin du XVIIIe siècle, édition prévue aux PURen 2011, chapitre III de la troisième partie du manuscrit original. 99. BUTI, Gilbert, « Madragues et pêcheurs provençaux dans les mailles des pouvoirs » (XVIIe-XIXe siècles) », op. cit., p. 67-68. 100. C’est la continuité d’une conception perpendiculaire du territoire terre-estran du finage villageois contre une conception latérale et autonome d’une espace qui appartient au domaine maritime. Philippe Jacquin le montre bien dans la guerre des algues aux XVIIIe et XIXe siècles qui oppose les population des paroisses, puis communes, riveraines : « La guerre des algues, Contestations et affrontements pour le partage de

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l’estran dans la France de l’Ouest (XVIIIe-XIXe siècles) » dans LE BOUËDEC, Gérard et CHAPPÉ , François, Pouvoirs et Littoraux…, op. cit.,p. 617-621. 101. AMGHAR, Julien, Les petits ports et les usages du littoral, en Bretagne, au XIXe siècle, Thèse de doctorat d’histoire, université de Bretagne Sud, multigr., 2006. 102. BOULIC, Ronan, Les Sociétés littorales du pays de l’Aven et du Belon au XVIIIe siècle, Master sous la direction de Gérard LE BOUËDEC, Université de Bretagne Sud, 2005. 103. BUTI, Gilbert, « Gens de mer et du terroir : capitaines-vignerons et marins forestiers de la France méditerranéenne », dans LE BOUËDEC, Gérard et alii, Entre terre et mer, sociétés littorales et pluriactivités (XVe-XXe siècles), Rennes, PUR, 2004, p. 147-161. 104. DANIGO, Jean, « Les doléances maritimes des paroisses de la Bretagne méridionale de la Vilaine à l’Elorn en 1789 », Mémoires de la société historique et archéologique de Bretagne, 1977, p. 149. 105. LE BIHAN, Janine, La Filière de la pêche de la sardines à Quiberon (1865-1914), Mémoire de maîtrise sous la direction de Gérard LE BOUËDEC, Université de Bretagne Sud, 1998. 106. ROPERCH, Marie-Solenn, Les Populations littorales entre terre et mer : la presqu’île de Quiberon au XVIIIe siècle, mémoire de maîtrise, Université de Bretagne Sud, 1999. 107. Jeanine Le Bihan a su se faire accepter par les ostréiculteurs ; elle a parcouru les concessions, s’est initiée aux techniques, elle a mesuré l’importance des savoir-faire, compris le rôle majeur de certaines familles qui incarnent la continuité de l’activité sur plusieurs générations. La moisson de ses entretiens fut riche. Et elle a pu accéder aux archives des organisations professionnelles et les fonds Gouzer (Locmariaquer en Morbihan), Lemoine (Le Croisic) et Yvon (Locoal-Mendon en Morbihan) lui ont ouvert des carnets d’ostréiculteurs, le journal de bord du commissaire maritime du quartier du Croisic et des publications professionnelles introuvables par ailleurs mais si riches. 108. CHAURIS, Louis, « Coupeurs de goémons contre tailleurs de pierres : cas de luttes pour la possession de l’estran en Bretagne au XIXe siècle », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1993, n° 1, p. 121-127. 109. GAUCHER, Jean-François, « Les mutations de la pluriactivité à composante touristique », dans LE BOUËDEC, Gérard et alii, Entre Terre et Mer…, op. cit., p. 377-386.

RÉSUMÉS

Cet article présente l’évolution de la recherche sur les littoraux avec le souci de démontrer que les historiens y ont toute leur place, à côté de chercheurs de toutes les disciplines. L’étude sur la longue durée de l’estran et de ses acteurs a changé de dimension lorsque la problématique globale du rapport à la mer des communautés riveraines de cet espace d’interface a mis en valeur la dynamique sociale de ces territoires aux usages renouvelés et confrontés au jeu complexe des pouvoirs d’encadrement.

This article describes the evolution of research on the foreshores, aiming to demonstrate that historians fully have their place there, beside researchers from all branches of learning. The study over a long time of the foreshore and the people living there has taken a new dimension when the global problematics of the relation to the sea of the communities bordering on this interface space has emphasized the social dynamics of those territories whose usages are renewed, confronted with the complex play of the powers surrounding them.

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AUTEUR

GÉRARD LE BOUËDEC Université Européenne de Bretagne CERHIO UMR 6258 – université de Bretagne Sud

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Entre grande pêche et commerce Les reconversions des armements bretons sous le Second Empire

Jean-Michel Auffray

1 En 1904, la France perd ses privilèges sur la côte de Terre-Neuve. Le droit de pêche demeure théoriquement maintenu mais dans des conditions très strictes. Il devient impossible de conserver à terre des installations permanentes et de faire sécher les morues sur les graves. La grande pêche sédentaire à Terre-Neuve ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Des nostalgiques de la grande époque des havres ont parfois reproché au gouvernement français d’avoir cédé trop facilement aux pressions des autorités britanniques. Remarquons que cet accord, en pleine Entente cordiale, s’est accompagné de compensations et que les deux parties attendaient probablement une occasion de régler un litige qui empoisonnait depuis fort longtemps les relations entre les deux pays. D’ailleurs, à cette époque, la pêche sédentaire était en voie d’extinction totale. Durant les années qui précédèrent les nouveaux accords, seule une petite minorité des emplacements encore réservés aux navires français et à leurs installations était occupée.

2 À la fin du XIXe siècle, la grande pêche dans son ensemble n’était pourtant pas du tout sur le déclin. En Bretagne, Paimpol prospérait grâce à la pêche à Islande tandis qu’à Saint-Malo on armait de nombreux voiliers pour les bancs de Terre-Neuve. Concernant la pêche à la morue, la prééminence de ces deux ports était écrasante. Par contre, si dans quelques ports de la baie de Saint-Brieuc on pratiquait encore activement la pêche à Islande, il ne subsistait que très peu d’armements pour Terre-Neuve. La situation était très différente cinquante ans auparavant. En 1850, Paimpol ne s’était pas encore lancée dans l’aventure islandaise pas plus que les autres ports de la région. Les morutiers partaient de Saint-Malo ou de la baie de Saint-Brieuc la plupart du temps à destination des havres de Terre-Neuve. Seule une minorité d’entre eux allait pratiquer la pêche sur les bancs. Si, d’une manière générale, l’armement à la grande pêche était prospère, c’était particulièrement le cas à Binic, Portrieux, Dahouët et au Légué. Au milieu du siècle, l’ensemble de ces ports a, certaines années, envoyé plus de navires à Terre- Neuve que le quartier de Saint-Malo.

3 Plusieurs explications ont été données pour expliquer le déclin de la pêche sédentaire à Terre-Neuve. Ainsi a-t-on souvent évoqué les problèmes chroniques avec les autorités

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britanniques et surtout les populations locales. On a également mis en avant les baisses de rendements dues à l’utilisation de sennes destructives, les migrations des bancs et la raréfaction des boettes1. Nous avons tenté d’élucider quelque peu la question. Pour cela, nous avons choisi de suivre l’évolution de la grande pêche en Bretagne nord entre 1848 et 1870. C’est en effet sous le règne de Napoléon III que s’est largement amorcée cette profonde redistribution des rôles. Par la suite, malgré d’évidentes fluctuations, les tendances se sont confirmées jusqu’à la fin du siècle.

4 Cette analyse sera menée en deux temps : nous avons d’abord privilégié une approche en « grand angle » afin d’examiner la grande pêche dans les quartiers morutiers de Bretagne nord2 et d’en déceler les évolutions communes et les singularités locales. Dans un second temps, nous avons changé d’échelle en nous concentrant sur le quartier de Saint-Brieuc pour lequel le déclin de la grande pêche a été particulièrement net durant la deuxième partie du XIXe siècle. Ce changement de focale nous a permis alors de procéder à une analyse fine en pistant année par année les navires qui nous intéressaient. Le tri étant fait3, il s’agissait alors de suivre l’évolution de l’utilisation des morutiers durant cette période. Pour cela, il fallait éclairer les interrelations entre commerce et grande pêche et préciser les itinéraires et les cargaisons de ces navires après leurs campagnes de pêche4.

5 Il s’agissait de savoir comment réagirent les armateurs dans la gestion de leurs flottes face à des événements extérieurs sur lesquels ils n’avaient pas prise, face aussi à des évolutions plus profondes et plus durables dont les ressorts et les implications leur échappaient peut-être tout autant. Sans jugement de valeur, cela nous a permis d’évaluer, indirectement, leurs facultés d’adaptation professionnelle face aux contraintes. Cette étude a été l’occasion de remarquer l’impact de la guerre de Crimée sur la grande pêche à Terre-Neuve. Elle nous a également montré que les germes du déclin qui a conduit à l’extinction de cette activité à Saint-Brieuc, alors qu’elle se maintenait plus ou moins ailleurs, ont été semés pour l’essentiel durant le Second Empire.

Grande pêche et commerce au milieu du XIXe siècle

Importance relative des trois quartiers de grande pêche

6 Si Saint-Malo et Paimpol dominaient largement la grande pêche à la fin du XIXe siècle, tel n’avait pas toujours été le cas. Au milieu du XIXe siècle la situation était bien différente. Ainsi, à cette époque, Paimpol5 ne pratiquait la pêche à la morue qu’à un niveau quasiment confidentiel. La pêche à Islande n’avait pas encore débuté et les armateurs locaux n’envoyaient que deux ou trois navires sur les côtes de Terre-Neuve. Par contre, les ports de la baie de Saint-Brieuc6 envoyaient à Terre-Neuve plus de bricks et de trois-mâts que Saint-Malo. Entre 1848 et 1851, Binic, Portrieux, Le Légué et Dahouët7 expédiaient ensemble en moyenne 71 morutiers à Terre-Neuve contre 65 seulement pour Saint-Malo. Enfin, dernière différence notable, la grande pêche pratiquée au milieu du XIXe siècle était surtout la pêche sédentaire dans les havres du nord de Terre-Neuve, à partir desquels on partait pêcher sur de petites embarcations, et où des installations durables permettaient de saler et de sécher les poissons. Pendant ce temps, plus au sud, en pleine mer, sur les grands bancs de Terre-Neuve, plusieurs navires malouins pratiquaient la pêche à la morue verte avec des lignes de fond. L’île de

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Saint-Pierre-et-Miquelon, demeurée française, servait alors de base arrière : on y séchait une partie des morues8. À cause des problèmes suscités par les colons britanniques irrités par les privilèges octroyés aux pêcheurs français, ce deuxième type de grande pêche avait commencé à se développer bien avant 1850 mais au milieu du siècle il demeurait encore tout à fait secondaire. Ainsi, alors que la proportion des morutiers malouins allant sur les bancs ne cessa de croître par la suite, au détriment de ceux armés pour la pêche à la côte9, entre 1848 et 1851, ils ne représentaient encore que 28 % du total des navires expédiés à la grande pêche. Quant aux armateurs de la baie de Saint-Brieuc, ils restaient très attachés à la pêche sédentaire. Un seul armateur, Villeféron, envoya alors deux navires sur les bancs.

7 Entre 1848 et 1852, rien de très notable ne se passe à Paimpol où la pêche à Islande n’a pas encore commencé. Toutefois, en 1852, quatre navires partent de Paimpol pour Terre-Neuve : ce sera le maximum. Durant la même période, le nombre de navires expédiés pour la même destination va peu varier dans les quartiers de Binic et de Saint- Brieuc. Le maximum fut atteint là aussi en 1852 : 75 navires partent cette année-là de la baie de Saint-Brieuc. À Saint-Malo, durant ces mêmes années, on constate un accroissement des armements avec, là aussi, un maximum de 92 terre-neuviers armés en 185210.

Les trajets commerciaux des morutiers briochins

Les retours de Terre-Neuve : directs et indirects

8 Nous avons suivi les trajets commerciaux des morutiers du Légué et de Dahouët durant cinq ans, entre 1848 et les prémices de la guerre de Crimée. Il s’agissait de savoir quels usages étaient faits de ces navires entre leur retour de Terre-Neuve et leur départ pour la campagne suivante. Comme durant cette période les armateurs du quartier de Saint- Brieuc sont restés les mêmes et que les navires expédiés à la grande pêche demeurent également presque inchangés, on peut prendre comme référence l’année 1850. À l’automne de cette année-là, trente-six navires des ports du Légué et de Dahouët rentrent de Terre-Neuve. Trente et un d’entre eux appartiennent à six armateurs de Saint-Brieuc et les cinq autres à deux armateurs de Pléneuf. Presque tous proviennent des havres du nord de Terre-Neuve ; deux seulement reviennent des bancs plus au sud. L’ensemble de ces bricks et trois-mâts jauge 6 223 tonneaux.

9 Entre 1849 et 1853, nous avons donc répertorié 180 retours de Terre-Neuve. Dans près des deux tiers des cas ces retours se font, avec des équipages réduits et de pleines cargaisons de morues, d’abord vers les ports de vente, en Méditerranée le plus souvent. Les autres retours se font directement vers Saint-Brieuc avec le matériel de pêche, la plupart des pêcheurs et des cargaisons commerciales très faibles.

10 En ce qui concerne les retours indirects, c’est à partir des ports de vente et jusqu’à l’arrivée au port d’attache que nous avons suivi les navires, leurs trajets et leurs frets. Pour certains d’entre eux, réarmés au cabotage, nous avons suivi leurs courtes campagnes commerciales. Quant aux navires rentrés directement, nous les avons pistés à partir de leurs éventuels réarmements au commerce à Saint-Brieuc jusqu’à leur retour pour la campagne de pêche suivante.

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Retours de Méditerranée

11 En ce qui concerne les retours de Méditerranée, dans un premier temps, il nous a semblé difficile de trouver, tout au moins pour cette époque, des lois générales. Comme pour les caboteurs, les ports et les marchandises transportées semblent déterminés par des opportunités aléatoires tant, dans ce genre d’activité, les combinaisons possibles sont nombreuses lorsqu’il s’agit de relier un port à un autre en variant les cargaisons et les escales. Toutefois, il apparaît que ces variations sont nettement moins importantes que chez les vrais caboteurs et se font sur des bases plus stables, déterminées par les contraintes économiques, mais aussi, tout simplement, par les habitudes. Même si tel ou tel armateur accepte ponctuellement un fret original tant par sa nature que par sa destination, on peut voir se dégager nettement des routes et des cargaisons caractéristiques.

12 Durant ces années, les deux navires de Villeféron affectés à la pêche sur les grands bancs allaient vendre leurs morues vertes à Bordeaux, puis revenaient au Légué avec du vin ou du sel pris à l’île de Ré. Quant aux autres terre-neuviers, c’était presque toujours dans un port de Méditerranée qu’ils livraient leurs morues séchées : Alicante, Valence, Gênes, mais le plus souvent Marseille. De là, il n’était évidemment pas question de rentrer au « pays » sur un lest qu’il aurait fallu en outre payer. Il fallait donc chercher un ou plusieurs frets en tenant compte, bien entendu, du fait qu’il fallait être de retour dans la baie de Saint-Brieuc avant le mois d’avril. Cependant, dans bien des cas, les ports de la baie n’offraient pas de débouchés suffisants pour les marchandises rapportées de Méditerranée : c’est donc ailleurs qu’il fallait livrer d’abord. Bien sûr, il y avait toujours, quoique cela fût moins intéressant pour les finances des armateurs, la possibilité de rapporter d’Hyères ou de Port-de-Bouc une cargaison de sel pour la prochaine campagne de pêche à Terre-Neuve ; c’était, effectivement, une solution de routine fréquente. Cependant, le mieux était de trouver un fret pour un port proche d’un grand marché de consommation ou d’une région industrielle.

13 Durant les années 1820 et 1830, une solution bien pratique avait été trouvée. Marseille avait alors en France le monopole de la production de savon et les chemins de fer n’existaient pas. Les morutiers, au retour de la Méditerranée, allaient, dans la majorité des cas, au Havre avec des cargaisons de savon destinées surtout au grand marché parisien. Quoique ce fût secondaire, les navires rapportaient également au Havre, mais aussi dans quelques autres ports de la Manche ou de l’océan Atlantique, diverses denrées, essentiellement du vin et de l’huile d’olive. Ainsi, en 1833, au retour de Marseille, 63 % des terre-neuviers de la baie de Saint-Brieuc vont livrer une cargaison constituée en grande partie de savon au Havre. Les autres rentrent directement à leur port d’attache avec des chargements plus variés où dominent le savon, le vin, l’huile et le sel. En 1836 la situation n’a guère changé puisque encore 60 % des navires prennent la route du Havre avec leur savon11.

14 Ce trafic, aisé pour les armateurs, n’a cependant pas duré. Progressivement, ils devront chercher d’autres marchandises et d’autres circuits. Le port du Havre cesse d’être le débouché exclusif en dehors du port d’attache. En effet, Marseille perd son monopole de la production du savon : il y a des savonneries à Nantes et au Havre. Et plus tard, arrive le chemin de fer qui rapproche Paris de la Méditerranée. Ainsi, en 1848, sur seize navires du quartier de Saint-Brieuc allés à Marseille ou à Gênes livrer leurs morues, douze reviennent à leur port d’attache avec des cargaisons de sel et quatre avec des

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cargaisons mixtes constituées essentiellement de vin, de savon et d’huile. Le cas est extrême, mais plus jamais le port du Havre ne redevint un débouché presque exclusif pour les morutiers briochins.

15 Deux ans plus tard, en 1850, un autre changement s’amorce. Deux navires reviennent de Gênes avec des rails qui sont livrés à Cardiff. Dans ce port, avant de rentrer au pays, ils prennent une cargaison de charbon pour Le Havre. En 1852, les choses se sont diversifiées. Le Havre est à nouveau la destination de six navires sur dix-huit mais les cargaisons sont mixtes et très variées : vin, sel, huile, céréales et même soufre de Sicile. Sept navires retournent directement à Saint-Brieuc avec vins, sel et huile, ainsi que divers matériaux non précisés. Enfin, on remarque cette année-là que cinq navires vont livrer leurs cargaisons de sel à Dunkerque. En effet, les frets de sel entre la Méditerranée et ce port sont plus intéressants. De plus, il y a la possibilité de trouver dans cette ville d’autres cargaisons à destination des ports de la Manche.

16 Si l’on considère, de façon statistique, l’ensemble des frets de retour tout au long de la période qui nous intéresse, on constate que c’est la solution la plus simple, sinon la plus intéressante, qui s’impose le plus souvent : le retour direct vers Saint-Brieuc généralement avec une cargaison homogène de sel et plus rarement avec « divers matériaux », où le vin, l’huile et même le savon sont particulièrement bien représentés. Quant au port du Havre, il demeure une destination importante quoique secondaire et en régression, pour des cargaisons diverses où domine le vin. Par contre, Dunkerque prend une place croissante, essentiellement pour le sel. Tous les autres ports, Nantes, Rouen, Dieppe ou La Rochelle, semblent être des destinations de circonstance.

17 Les escales dans les ports de l’Atlantique sont parfois des occasions pour compléter les cargaisons ou en prendre de nouvelles : divers matériaux mais surtout du sel. Quant aux navires arrivés assez tôt à Saint-Brieuc, ils repartent, à l’occasion, vers Le Croisic ou Ré dans le même but. Toutefois, au début des années 1850, on remarque que quelques navires repartent sur lest de Saint-Brieuc pour aller, dans un port du sud du pays de Galles, prendre une cargaison de charbon. Mais là encore, c’est trois fois sur quatre à destination d’un port d’où on pourra rapporter du sel12.

Campagnes de cabotage à partir de Saint-Brieuc

18 Tandis que certains terre-neuvas vont livrer leurs cargaisons de morue en Méditerranée, les autres rentrent directement en Bretagne avec leurs équipages mais aussi de nombreux « passagers ». Ces derniers sont en fait les pêcheurs d’un ou deux autres navires du même armateur qui n’ont pas été choisis comme marins pour faire le trajet Terre-Neuve/Méditerranée13. En septembre, ces morutiers arrivent à Saint- Brieuc avec leurs hommes, du matériel de pêche et de l’huile de foie de morue et de drache14. Il y a aussi quelques morues destinées le plus souvent à la consommation locale.

19 Ces navires sont certes moins nombreux que ceux du groupe précédent mais ils représentent tout de même plus du tiers de l’ensemble. Il n’est évidemment pas question qu’ils soient désarmés pendant six mois en attendant la campagne suivante à Terre-Neuve. Il faut les rentabiliser au maximum. Aussi beaucoup d’entre eux sont-ils réarmés rapidement pour le cabotage avec des équipages réduits de marins expérimentés. La proportion des navires qui ne sont pas réarmés pour le cabotage n’est toutefois pas négligeable : 16 sur 69 (23 %) entre 1849 et 1853. Mais cela n’est pas très

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surprenant car ces navires devaient subir des réparations qui les immobilisaient parfois des mois ; c’était les navires en meilleur état qu’on expédiait au commerce.

20 Comme pour les retours de Méditerranée, nous avons donc suivi précisément 53 itinéraires de cabotage de morutiers à partir de Saint-Brieuc ou de Dahouët. Les départs se font en octobre ou en novembre et les retours ont lieu avant la fin du mois d’avril de l’année suivante pour permettre une nouvelle campagne à Terre-Neuve. Quelques navires vont au Croisic ou à l’île de Ré pour y chercher du sel pour la campagne suivante. Mais cela n’est pas fréquent compte tenu du fait que, comme nous l’avons vu, on en rapporte des quantités généralement suffisantes de Méditerranée. On note aussi quelques voyages à destination de différents ports de la Manche ou de l’Océan Atlantique à la recherche d’autres frets, par exemple Bordeaux pour les vins et alcools ou Dunkerque pour le noir animal15 ; mais ce ne sont pas des trafics réguliers. Là encore, il y aurait, à l’aller comme au retour, toutes sortes de combinaisons possibles mais, pratiquement, elles sont rarement, sinon jamais, mises en œuvre. Il ne s’agit pas de tramping.

21 En fait, durant cette période, il existe une cargaison et une destination type au départ de la Bretagne nord : dans plus de la moitié des cas, il s’agit d’avoine à destination d’un port de Méditerranée, Cette16 et surtout Marseille, ports évidemment bien connus des armateurs briochins. L’avoine produite par le nord de la Bretagne est exportée par Saint-Brieuc, mais aussi par les ports de Lézardrieux, Paimpol et Morlaix où les morutiers briochins viennent prendre leur cargaison avant d’être expédiés en Méditerranée. Ce trafic nord-sud, bien installé, domine largement tous les autres. Les navires arrivent donc à Cette ou à Marseille à peu près au moment où ceux qui ont écoulé leurs morues repartent vers leur port d’attache. Après avoir livré leur cargaison d’avoine, ils se trouvent dans les mêmes conditions que leurs prédécesseurs. Il n’est donc pas étonnant de constater que leurs frets de retour sont analogues : du sel, du vin et un peu d’huile et de savon à destination de Saint-Brieuc. Par contre, comme ils disposent de moins de temps avant la campagne de pêche, il n’y a presque pas de retours à Saint-Brieuc via Le Havre ou Dunkerque.

22 En dehors de ce trafic primordial, on voit apparaître, au début des années 1850, une nouvelle destination. Nous l’avons déjà noté à propos de certains navires qui rentrent de Méditerranée, mais c’est surtout le départ direct de Saint-Brieuc, en automne, qui est concerné. Des navires de plus en plus nombreux vont, sur lest généralement, dans les ports du sud du pays de Galles, Cardiff et Swansea, pour y prendre des cargaisons de charbon. La consommation de ce combustible augmente en effet partout en Europe et les steamers sont de plus en plus nombreux dans les ports. Bien entendu, habitudes obligent, les livraisons se font, là encore, dans des ports méditerranéens, et singulièrement Marseille ; ces navires retrouvent sur place les céréaliers dont ils suivent les comportements.

23 Au total, si on veut cerner les caractéristiques générales du commerce des morutiers de la baie de Saint-Brieuc avant la guerre de Crimée, on doit observer que deux groupes de fret dépassent nettement les autres : de la Bretagne nord vers Marseille ou un autre port de la Méditerranée avec de l’avoine, d’un port de Méditerranée vers Saint-Brieuc avec du sel et différentes denrées. Le trafic de retour Marseille-Le Havre avec divers matériaux, quoique encore important, est en régression. D’autres trafics, par contre, augmentent : c’est le cas du sel à destination de Dunkerque et du charbon du pays de Galles à destination de Marseille ou d’un autre port méditerranéen.

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Importances relatives de la pêche et du commerce

24 Au milieu du XIXe siècle, les richesses accumulées par les armateurs de la baie de Saint- Brieuc étaient issues des profits de la grande pêche à Terre-Neuve. Ils y trouvaient leur compte et la régularité avec laquelle on les voit réarmer chaque année leurs navires pour cette destination le montre clairement. Durant la première partie du siècle, après les guerres de la Révolution et de l’Empire, les bâtiments envoyés là-bas sont d’ailleurs de plus en plus nombreux et leurs tonnages s’accroissent. Pour les armateurs, la navigation commerciale est toujours restée secondaire, ne serait-ce que du fait de l’absence de grands centres de production ou de consommation dans cette région. Les noms de Villeféron, de Kerautem, Sebert ou Boullé sont restés associés à la pêche à la morue à Terre-Neuve, à son épopée et parfois à ses mythes.

25 Pourtant, ces armateurs, malgré les pesanteurs des habitudes, ne pouvaient être indifférents à une autre facette possible de leur activité, le commerce. On concevrait d’ailleurs mal qu’ils aient délibérément laissé le monopole du trafic commercial des ports du Légué ou de Dahouët à d’autres. À cette époque où les transports terrestres posaient encore bien des problèmes, le cabotage était un moyen essentiel de transport de marchandises très variées entre les agglomérations des côtes et des rias. Il y avait toujours quelque chose à faire venir dans ces ports, quelque production locale à expédier vers un autre port de la Manche ou de la côte atlantique. Et effectivement, la plupart de ces armateurs possédaient quelques unités, de tonnage plus faible que les morutiers, réservées au petit ou grand cabotage. Ainsi, en 1853, Villeféron et Boullé possédaient chacun trois voiliers affectés à cette activité, Sebert quatre, Rubin de Rays deux, de Kerautem et le Péchon un chacun : au total environ huit cents tonneaux.

26 D’autre part, avant même la guerre de Crimée, on remarque que la répartition des rôles entre les deux groupes de bâtiments n’est pas complètement figée. Bien que cela soit rare, on peut voir des bricks ou des trois-mâts de plus de 100 tonneaux affectés, à l’occasion, au cabotage durant un an. Cela peut être une permutation : en 1849, par exemple, le Céleste de l’armateur Besnard, qui était affecté au cabotage l’année précédente, part pêcher à Terre-Neuve tandis que le Cygne, du même armateur, fait l’inverse. Dans d’autres cas, rares il est vrai, les circonstances incitent un armateur à modifier sans compensation l’affectation d’une de ses unités : ainsi le Bretagne de De Kerautem, au cabotage en été 1848, se retrouve à Terre-Neuve l’été suivant. C’est l’inverse que fait le Ludovic de Villeféron entre 1850 et 1851. Quoi qu’il en soit, l’essentiel des frets se faisait grâce aux morutiers de retour de Terre-Neuve, plus nombreux et de tonnage moyen plus important. Pour les armateurs, quelle importance avait cette activité commerciale de retour comparée à la pêche ?

27 Pour tenter de l’évaluer, nous considérerons que l’activité de pêche commence fin avril au moment du départ pour Terre-Neuve et qu’elle cesse lorsque le navire est de retour, soit à son port d’attache soit au lieu de vente dans un port de Méditerranée, fin septembre ou début octobre. Cette simple constatation nous montre que les morutiers sont alors disponibles pour une activité commerciale au moins la moitié de l’année. Cette disponibilité, nous l’avons vu, n’est certes pas utilisée à 100 % ne serait-ce que pour des raisons d’entretien et de logistique. De plus, bien entendu, plusieurs morutiers rentrent à leur port d’attache nettement avant la campagne de pêche suivante, parce qu’ils n’ont pas trouvé de frets intéressants ou qu’ils ont besoin de réparations.

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28 Nous avons donc évalué les durées des campagnes de cabotage des morutiers au retour de Terre-Neuve avant les campagnes de pêche suivantes. Il n’est pas rare de voir des navires rejoindre leur port fin mars ou même début avril, juste à temps pour se préparer à la campagne de pêche et se réarmer. On a évidemment dans ce cas profité au maximum de toutes les opportunités et on voit bien que, pour le capitaine comme pour l’armateur, l’argent gagné ainsi est peut-être secondaire mais pas du tout négligeable. Entre octobre 1853 et avril 1854, par exemple, les morutiers du quartier de Saint-Brieuc revenus de Terre-Neuve auront passé, en moyenne, environ cinq mois au commerce17.

29 Il aurait bien sûr été plus significatif de comparer les revenus des deux types d’activités pour en déduire leur importance relative aux yeux des armateurs. Malheureusement les documents adéquats ne sont pas assez nombreux ni assez précis pour nous permettre d’obtenir des données statistiques. Pour nous faire toutefois une idée approximative de ces revenus, nous prendrons un exemple. Dans sa correspondance avec son armateur, Matthieu Rubin de Rays, entre 1853 et 185718, le capitaine Joseph Conan rend compte, entre autres, de ses campagnes de pêche, des quantités de morues pêchées, des prix de vente obtenus et des frets qu’il a pu trouver par la suite. Ce n’est qu’un exemple mais qui peut éclairer un peu un domaine resté très obscur.

30 En septembre 1853, le Saint Brieuc de retour du Havre de Guiguets au nord de Terre- Neuve arrive à Gênes où il écoule sa cargaison de morues. À Marseille, il fait un chargement de céréales qu’il va livrer au Havre. De là, sur lest, il va à Cardiff pour y prendre du charbon qu’il emporte à Nantes. De ce dernier port, il fait enfin route pour Dahouët avec lest et « divers matériaux ». Grâce aux lettres de Joseph Conan, nous connaissons la quantité de morues pêchées par l’équipage du Saint-Brieuc ainsi que son prix de vente au quintal. Par ailleurs, Joseph Conan note dans son livre de comptes le montant des frets obtenus pour Le Havre et pour Nantes. En ce qui concerne la campagne de pêche, la vente des poissons rapporte cette année-là environ 21 000 francs19 ; en ce qui concerne le trajet commercial de retour, le premier fret rapporte 10 500 francs et le second 7 500 francs, soit 18 000 francs au total.

31 Ainsi, on peut penser qu’à une époque où la grande pêche à Terre-Neuve était pourtant à son apogée, les revenus provenant du commerce étaient loin d’être négligeables pour les armateurs20. S’ils n’en demeuraient pas moins des armateurs de terre-neuvas, ils avaient, tout de même, l’expérience du commerce au cabotage et savaient en tirer profit.

La guerre de Crimée et ses conséquences sur la grande pêche

La guerre et ses opérations

32 La guerre de Crimée commence officiellement en mars 1854 ; les opérations durèrent jusqu’à l’automne 1855. Cependant, en mars 1853, la tension est déjà très grande entre franco-britanniques et russes. La flotte française de Toulon est envoyée le long des côtes de la Grèce. Peu de temps après, les premiers combats ont lieu entre les Russes et les Ottomans que les Occidentaux veulent soutenir. En France, les premières levées exceptionnelles ont donc lieu avant la déclaration des hostilités ; elles s’intensifient jusqu’à la fin de 1855. La démobilisation n’est évidemment pas effective aussitôt après la victoire de Sébastopol, en septembre 1855, et il faut attendre le traité de paix de

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mars 1856 pour que ses effets se fassent sentir ; les conséquences de la guerre sur le recrutement disparaissent totalement au cours de l’année 1857. Cette guerre, que la catastrophe de 1870 a parfois fait oublier, est rude pour les coalisés franco-anglais. Les combats, mais aussi les maladies contagieuses, font des dizaines de milliers de victimes qu’il faut remplacer. Certes, les épisodes décisifs de cette guerre et en particulier les derniers combats sont le fait de troupes terrestres. Les affrontements directs des flottes sont très limités, même en mer Noire, mais la victoire finale de la France et de la Grande-Bretagne n’aurait certainement pas été possible sans une mise en œuvre intensive des deux flottes alliées. D’emblée, elles imposent leur suprématie en mer Noire, grâce, entre autres choses, à leurs bâtiments à vapeur. Elles permettent des débarquements massifs d’hommes, de chevaux, d’armes et de nourriture sur les côtes de Dobroudja ou de Crimée. Sans elles, il n’aurait pas été possible de déplacer si loin et si rapidement une armée pour affronter un ennemi coriace sur son propre territoire. Du côté français, le corps expéditionnaire atteint, en 1865, 120 000 hommes qu’il faut armer et ravitailler. Grâce à leurs capacités de transport et de communication, les flottes assurent aux coalisés une nette supériorité logistique sur l’ennemi russe.

33 Bien entendu, les marines marchandes sont mises à contribution pour apporter à proximité des lieux de combat vivres, matériels et charbon pour les vapeurs. C’est d’ailleurs, pour certains armateurs, un moyen pour éviter qu’on leur retire leurs meilleurs marins, tout au moins dans un premier temps. Les levées sont donc de plus en plus importantes, particulièrement pour les inscrits maritimes non embarqués : ceux-ci peuvent être recrutés pour les équipages des navires de combat mais aussi comme troupes de débarquement. Par contre, dans un premier temps tout au moins, les autorités, dans la mesure du possible, ne lèvent pas les marins en cours de contrat de navigation. C’est qu’il faut, même en temps de guerre, éviter de perturber le commerce maritime.

Impacts sur les armements à la grande pêche

34 Si on compare les équipages des bricks ou des trois-mâts expédiés à Terre-Neuve et ceux des mêmes navires partis livrer la morue en Méditerranée ou repartis de Saint- Brieuc après rapatriement des pêcheurs, les différences d’effectifs sont considérables. Chaque voilier partait avec soixante à quatre-vingts hommes, pour la plupart pêcheurs ou même seulement conditionneurs de morues. Pour les livraisons et les campagnes de cabotage, quatorze ou seize hommes seulement étaient nécessaires pour manœuvrer les mêmes navires. Progressivement, une minorité de terre-neuvas devenaient de vrais marins accoutumés aux trajets transatlantiques. Ce sont eux qui partaient pour les campagnes de cabotage jusqu’au printemps suivant ; ils accumulaient les mois passés en mer et pouvaient espérer une retraite convenable qui leur serait versée par la Caisse des Invalides lorsqu’ils auraient cinquante ans. Les autres, inscrits maritimes eux aussi, pouvaient être considérés comme des pêcheurs côtiers délocalisés et à temps partiel. Dans les deux groupes, la moyenne d’âge est très peu élevée mais c’est particulièrement marqué chez les pêcheurs saisonniers. Dans cette dernière catégorie, en effet, beaucoup d’anciens ne sont plus inscrits maritimes ; ils ont fait d’autres choix avant d’avoir atteint l’âge de cinquante ans.

35 De toutes façons, l’administration de l’Inscription maritime et donc la Marine impériale disposaient donc, dans certains quartiers de Bretagne nord, d’une masse d’inscrits

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maritimes non embarqués. C’étaient des hommes jeunes, plus ou moins occupés par des travaux agricoles ; ils étaient disponibles au moins six mois sur douze et on pouvait facilement les contacter dans leur commune d’origine. En cas de besoin, il était possible de les recruter rapidement21 avant de faire appel aux marins embarqués et de désorganiser la marine de commerce. Évidemment, ils n’étaient pas les plus compétents ni les plus expérimentés comme marins mais il n’est pas certain que cela ait toujours été le but recherché par des autorités militaires en quête de troupes à débarquer.

36 Ainsi, lorsque débute la guerre de Crimée, l’Inscription maritime est chargée de lever des hommes immédiatement disponibles. Dans un premier temps, la solution la plus simple et la moins perturbatrice consiste à recruter les nombreux inscrits restés à terre, sans trop se poser de questions sur leurs qualifications. Pour les marins embarqués, la pression va se faire de plus en plus grande au fur et à mesure de l’intensification des combats, mais ce sera plus tard. Alors, les capitaines et les armateurs seront en quête de toutes sortes d’artifices plus ou moins légaux pour conserver leurs équipages22.

37 Cette levée touche évidemment particulièrement les armateurs à la grande pêche des quartiers de Saint-Malo, de Binic et de Saint-Brieuc, à tel point qu’ils se trouvent alors dans l’impossibilité d’envoyer la totalité de leurs morutiers à Terre-Neuve. On fait donc appel au ban et à l’arrière ban, à des néophytes aussi, mais la proportion des ces derniers ne peut dépasser certaines limites au-delà desquelles la sécurité et surtout les rendements de pêche seraient désastreux. Alors, il faut bien se résigner à renoncer à armer certaines unités pour la grande pêche.

38 Nous avons suivi l’évolution du nombre des navires envoyés à Terre-Neuve par les quartiers de Bretagne nord entre 1848 et 1870. Les courbes montrent une chute très nette des armements pour la grande pêche entre 1852 et 1856. Elle est de l’ordre de 60 % pour le quartier de Saint-Malo et de 35 % pour les quartiers de Saint-Brieuc et de Binic. Par la suite, on retrouve des chiffres proches de ceux de l’avant guerre (Figure 1).

39 Le cas de Paimpol est particulier. Là-bas, le nombre de navires envoyés à Terre-Neuve reste stable mais cela n’est pas significatif puisqu’il est de toute façon très faible : en moyenne trois par an. Notons toutefois que c’est durant ces mêmes années que les armateurs paimpolais envoient leurs premières goélettes à Islande et que ce n’est qu’en 1856, à la fin de la guerre, que le démarrage de ce nouveau type de pêche commence vraiment.

40 Les armateurs briochins et malouins ont-ils laissé désarmées certaines de leurs unités pendant la durée de la guerre ? Certains navires ont-ils été armés pour le cabotage ou même le long cours ? Ont-ils, directement ou indirectement, participé à l’effort de guerre ?

Intensification du commerce et exploration de nouveaux marchés

41 Pour répondre à ces questions, comme pour la période précédente, nous avons analysé d’une part les registres d’armement et de désarmement, d’autre part les rôles de désarmement du quartier de Saint-Brieuc. Les registres nous ont permis de comparer les effectifs de navires envoyés à la grande pêche et ceux armés pour le commerce. Les rôles, quant à eux, ont servi à suivre les itinéraires et les cargaisons des morutiers affectés au commerce.

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Figure 1 – Évolution du nombre des navires envoyés à Terre-Neuve (1848-1860)23

42 Ainsi, nous avons repéré et dénombré plusieurs terre-neuviers qui, durant la guerre de Crimée, ne sont plus armés pour la grande pêche mais pour le long cours ou le cabotage. Quelques-uns toutefois n’apparaissent plus dans les registres du quartier de Saint-Brieuc pendant cette période ; ils ne sont armés ni à la pêche ni au commerce. Sans doute certains sont-ils désarmés durablement mais il semble que plusieurs autres, armés et désarmés dans d’autres quartiers et donc perdus de vue, pratiquent tout de même le commerce. La correspondance du capitaine Conan24, déjà citée, va dans ce sens. Les passages de morutiers au commerce sont donc probablement plus nombreux que la consultation des registres ne pourrait le laisser penser. Inversement, il ne faut pas surévaluer ce nombre en y incluant des navires habituellement caboteurs ou d’autres qui, de toute façon, auraient été affectés au commerce. Aussi, pour dénombrer les morutiers passés au commerce à l’occasion de la guerre de Crimée, nous n’avons comptabilisé que les unités de plus de 100 tonneaux de jauge, qui avaient été antérieurement utilisés pour la grande pêche à Terre-Neuve et qui l’ont été de nouveau à la fin de la guerre.

Figure 2 – Évolution comparée du nombre de morutiers expédiés à Terre-Neuve et au commerce durant la guerre de Crimée (quartier de Saint-Brieuc)25

43 Les résultats sont nets. Alors que le nombre des morutiers du quartier de Saint-Brieuc expédiés au commerce durant les campagnes de pêche se limite à deux unités en moyenne, il est nettement plus important durant le conflit. Certes, le total des navires armés baisse un peu et l’augmentation du nombre des morutiers envoyés au commerce ne compense pas tout à fait la diminution des armements pour la grande pêche mais la

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corrélation entre les deux phénomènes est évidente. Durant les hostilités, les armateurs briochins ont reconverti une partie de leurs flottes en armant au cabotage ou au long cours. Il apparaît clairement que, sauf exception, les navires qui ne peuvent aller à Terre-Neuve avec leurs nombreux pêcheurs sont presque systématiquement utilisés, au printemps et en été, pour le grand ou le petit cabotage. Certains même sont expédiés pour le commerce au long cours, ce qui montre une volonté chez certains armateurs d’explorer de nouvelles pistes. Mais, à vrai dire, les cas ne sont pas nombreux car rares sont maintenant les capitaines terre-neuvas qui possèdent le diplôme de capitaine au long cours26. Restait à s’interroger sur les itinéraires empruntés et sur les marchandises transportées par ces navires forcés par les circonstances de rechercher des frets durant cette parenthèse. Comment ont-ils procédé alors qu’il fallait trouver des marchandises à des périodes durant lesquelles ils n’avaient pas coutume de le faire ?

44 Le suivi à l’aide des rôles des itinéraires et des frets nous a permis de donner quelques réponses à ces questions. En ce qui concerne d’abord les navires qui maintiennent leurs campagnes à Terre-Neuve, on n’observe aucune modification notable dans leurs circuits commerciaux. Les navires qui reviennent de Méditerranée sont toujours majoritairement chargés de sel à destination de Saint-Brieuc. Le Havre demeure une destination secondaire pour diverses marchandises. Les navires transporteurs de « passagers » repartent, comme auparavant, vers le sud avec avoine ou charbon. La guerre ne provoquant manifestement aucun changement important chez les morutiers qui reviennent de Terre-Neuve, nous avons porté notre attention sur les activités des autres c’est-à-dire les navires morutiers armés au commerce du fait des circonstances exceptionnelles.

45 En septembre et octobre 1852, quarante terre-neuvas du quartier de Saint-Brieuc reviennent en Europe. À une exception près, tous repartiront l’année suivante, en avril 1853, pour la grande pêche. Seul le brick Espoir de l’armateur Boullé qui a trouvé à Marseille un fret inhabituel de vin et d’alcools pour Copenhague et Dantzig ne sera pas de retour pour la campagne suivante. En fait il s’agit d’un petit bâtiment de seulement 95 tonneaux qui ne va pas toujours à Terre-Neuve et qui sert aux liaisons entre Saint- Brieuc et les havres du Petit Nord.

46 En septembre et octobre 1853, trente-neuf terre-neuviers arrivent donc à Saint-Brieuc et en Méditerranée. Durant le printemps et l’été suivant, en 1854, neuf d’entre eux ne sont pas armés pour la grande pêche : ils se retrouvent à naviguer au cabotage ou au long cours. C’est à peu près la même constatation entre 1854 et 1855.

47 Lorsque les capitaines se voient dans l’obligation de prolonger leurs campagnes de cabotage, ils se trouvent, en principe, dans des situations nouvelles à la recherche de destinations et de cargaisons auxquelles ils ne sont pas habitués. La guerre qui a lieu en mer Noire est d’ailleurs source de nouvelles opportunités, d’autant plus que faire un fret pour l’armée est la garantie de pouvoir garder au moins temporairement son équipage. En fait, dans de nombreux cas, les terre-neuviers refont d’avril à septembre les mêmes circuits, dont ils sont coutumiers, avec les mêmes destinations et les mêmes types de cargaison. Seulement trois ports nouveaux qui ne semblent pas liés à la guerre apparaissent : Mostaganem, Alexandrie et Sunderland. Les autres changements sont manifestement liés aux opérations en Méditerranée et en mer Noire. Ainsi, durant cette période, on remarque que les navires des armements briochins non utilisés à la pêche vont chercher douze fois du charbon au pays de Galles. Six cargaisons sont destinées à

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Marseille et six à Alger : les vapeurs, civils ou militaires, en ont besoin pour aller sur le théâtre des opérations. On voit aussi la Marie-Victoire aller livrer son chargement d’avoine à Toulon. On peut raisonnablement supposer qu’il s’agit de ravitailler la cavalerie qui sera embarquée pour rejoindre le front. Dans deux cas, les morutiers de Saint-Brieuc deviennent carrément des auxiliaires de l’armée d’Orient. Ainsi, en 1864, le Concorde et le Boréal de l’armateur Sébert vont à Swansea prendre une cargaison de charbon ; le premier l’apporte à Constantinople et le second à Gallipoli. À l’occasion de tous ces voyages quelques cargaisons atypiques se remarquent : lin, coton, tabac, marbre, palmes ; ce sont des cargaisons de retour.

48 Pour trois navires seulement, la guerre est l’occasion pour les armateurs de se lancer dans de plus grandes traversées au long cours. Ce n’est que pour le brick Saint-Brieuc de Rubin de Rays que nous avons des informations précises concernant les frets et leurs destinations. En 1855, afin de repousser la levée de ses hommes, le capitaine Conan avait amené son navire à Alexandrie. En janvier 1856, sous le commandement du même capitaine au long cours, le Saint-Brieuc va prendre une cargaison de charbon au pays de Galles pour l’apporter à Rio-de-Janeiro. De là, chargé de café il va à Marseille puis repart pour Montevideo avec du sel. Le retour au Havre, l’été 1857, avec une cargaison de peu d’intérêt, eut pour conséquence l’arrêt par l’armateur de ce genre d’expérience.

La dernière décennie

Autour de 1860 : reprise de la grande pêche et déclin du commerce de retour

49 À partir de 1855/1856, le nombre de navires armés pour Terre-Neuve augmente à nouveau, et ce jusqu’en 1863, aussi bien dans le quartier de Saint-Malo que dans les quartiers de Saint- Brieuc et de Binic. Cependant, alors que Saint-Malo finit par retrouver le niveau atteint en 1852 avant la guerre de Crimée, les quartiers de Binic et de Saint-Brieuc n’y parviennent pas. Ainsi, si le port de Saint-Malo expédie 91 navires à Terre-Neuve en 1852, il en envoie 92 en 1863. À Saint-Brieuc, les chiffres sont respectivement de 41 et 30 tandis qu’à Binic ils sont de 34 et 30. Dans ces derniers quartiers, la reprise est donc sensible mais ne permet pas de retrouver le niveau antérieur à la guerre en ce qui concerne le nombre d’expéditions de terre-neuviers. Par contre, pour ce qui est de la grande pêche dans son ensemble, les chiffres sont très proches tant à Saint-Brieuc qu’à Binic : un nouveau type de grande pêche a fait son apparition en Bretagne Nord.

50 À Paimpol, comme nous l’avons déjà souligné, la pêche à Terre-Neuve n’a pas été affectée par la guerre de Crimée ; elle était de très faible importance et le demeura par la suite. Par contre, cette guerre correspond au démarrage d’un autre type de grande pêche à la morue. En 1852, la goélette Occasion est expédiée à Islande. Les Paimpolais imitent les Dunkerquois : il s’agit d’une pêche errante à la ligne qui se pratique non loin des fjords islandais plus proches des côtes françaises que Terre-Neuve. Les morues salées mais non séchées sont donc expédiées rapidement sur les côtes françaises. Cette expédition est un succès mais, bien que les équipages requis pour cette pêche à Islande ne soient pas très nombreux, le port se contente d’envoyer là-bas deux ou trois navires durant les trois années suivantes. Ce n’est qu’après la guerre de Crimée que le véritable

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décollage se fait : quatorze expéditions en 1856 et 31 en 1857. Malgré quelques fluctuations, la tendance est nettement à l’augmentation.

51 Alors que l’armement paimpolais est en plein essor, dans les ports morutiers voisins on se décide à tenter l’expérience en expédiant, cette même année 1857, plusieurs goélettes et bisquines au large de l’Islande : 3 à Binic, 4 à Saint-Malo et 2 à Saint-Brieuc. On veut manifestement suivre un exemple qui apparaît intéressant. Pendant cinq ans, on assiste, semble-t-il, à une période d’essais ou d’hésitations ; chacun de ces quartiers n’envoie en moyenne que cinq unités à Islande. Aussi bien dans la baie de Saint-Brieuc qu’à Saint-Malo, la grande pêche à Terre-Neuve demeure l’activité principale.

52 Si, à Saint-Brieuc, la reprise de la grande pêche à Terre-Neuve à la fin des années 1850 est nette, elle ne permet cependant pas de retrouver, nous l’avons signalé, le niveau atteint avant la guerre de Crimée. Par ailleurs, deux autres constatations montrent que ce redémarrage est fragile et lourd de menaces. D’une part, la proportion des navires qui, de retour de Terre-Neuve, vont en Méditerranée décroît. Entre 1858 et 1862, il n’y a plus en moyenne que 44 % qui vont à Gênes ou à Marseille après leurs campagnes de pêche. Quant aux autres ports de Méditerranée, ils semblent abandonnés. Symétriquement, les navires qui reviennent directement au Légué ou à Dahouët sont de plus en plus nombreux : entre 1858 et 1863, la proportion de ces derniers passe de 35 % à 62 %. On a maintenant une moyenne de retours directs de l’ordre de 46 % des navires expédiés à Terre-Neuve, nettement supérieure à ce qu’elle était avant la guerre de Crimée. Le marché méditerranéen est, semble-t-il, devenu plus difficile.

53 D’autre part, les terre-neuviers arrivant plus nombreux en octobre directement à Saint- Brieuc, il était à craindre qu’il soit difficile de leur trouver des frets pour les armer tous au cabotage. C’est en effet ce qu’on constate : entre 1857 et 1862, en moyenne 51 % des terre-neuvas revenus directement à Saint-Brieuc ne sont pas réarmés ; c’est beaucoup plus que dix ans auparavant. Là encore la situation est délicate ; manifestement de nombreux clignotants sont passés au rouge. L’avoine qui, dix ans auparavant, constituait presque 50 % des cargaisons des terre-neuviers partis au cabotage au départ de Saint-Brieuc, disparaît des frets à destination de la Méditerranée ou d’ailleurs. Certes, le nombre de morutiers expédiés au pays de Galles pour y chercher du charbon augmente. Les cargaisons sont toujours destinées à des ports méditerranéens, Barcelone le plus fréquemment. Cependant, l’augmentation des cargaisons de charbon ne compense pas la diminution de celles de céréales.

54 Pour ce qui concerne les morutiers de retour de Méditerranée, les choses ont peu changé. Ils reviennent directement à Saint-Brieuc avec des cargaisons de sel mais dans des proportions encore plus importantes qu’avant la guerre de Crimée ; il n’y a plus rien pour Le Havre et très peu pour Dunkerque. Entre 1857 et 1862 on relève même trois retours sur lest et trois retours avec du sel destiné à Saint-Malo. On le voit nettement là aussi, la situation n’est pas saine. Les armateurs ne peuvent plus utiliser suffisamment leurs morutiers entre deux saisons de pêche. De précieux compléments de revenus sont en train de péricliter de manière inquiétante. La reprise des expéditions à Terre-Neuve masque de graves faiblesses qui augurent mal de l’avenir.

55 Pendant ce temps, des remaniements ont lieu dans la structure de l’armement briochin. Deux familles de Saint-Brieuc bien connues, qui pratiquaient l’armement à la grande pêche depuis des décennies, disparaissent de la scène. L’armement Boullé s’efface le premier en 1860, suivi par de Kerautem en 1862. Cette même année, à Pléneuf, Rubin de Rays se retire également des affaires. Bien sûr, les partants revendent une partie

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importante de leurs navires à des confrères locaux. D’autre part, deux nouvelles maisons arrivent à Saint-Brieuc en 1860 ; au printemps de cette année-là, Angier expédie un trois-mâts à Terre-Neuve tandis que l’armement Bouan et Duclésieux y envoie deux bricks et un trois-mâts. Peut-être incité à cela par les circonstances, ce dernier armateur fait montre d’originalité en envoyant de 1860 à 1863 le brick Grand Frédéric à New York à l’issue des campagnes de pêche ; le but est de ramener diverses marchandises américaines au Havre. Quoi qu’il en soit, ces abandons, ces chassés- croisés et ces tentatives atypiques sont sans doute le fait d’une certaine instabilité sinon d’une crise réelle.

1863-1870 : restructuration de la grande pêche

L’effondrement de la pêche sédentaire

56 Entre 1863 et 1870, le nombre des navires envoyés à la grande pêche par le quartier de Saint- Brieuc diminue considérablement et passe de 40 à 23. En fait, c’est la pêche à Terre-Neuve qui est profondément affectée : le nombre de navires envoyés vers cette destination passe de 29 à 11. Par contre, les expéditions à Islande, en légère augmentation, se maintiennent autour de 10. Pour analyser ce phénomène, dans un premier temps, nous avons, bien entendu, examiné les évolutions, durant la même période, des armements à la grande pêche dans les quartiers de Binic, Saint-Malo et Paimpol.

57 Le cas du quartier de Paimpol est particulièrement spectaculaire. Entre 1863 et 1869, tandis que la pêche à Terre-Neuve a disparu, le nombre des navires armés pour l’Islande passe de 38 à 56. L’évolution est quasiment l’inverse de ce qu’elle est à Saint- Brieuc. Ainsi à Paimpol, non seulement la pêche à Islande n’est pas affectée mais elle progresse énormément pendant que la pêche à Terre-Neuve s’effondre à Saint-Brieuc.

58 Durant la même période, l’activité de la grande pêche semble à peu près stable au quartier de Binic. En fait, la pêche à Terre-Neuve diminue dans les mêmes proportions qu’à Saint-Brieuc mais est compensée par une augmentation considérable des expéditions à Islande. Le nombre des terre-neuviers est divisé par deux, alors que celui des navires expédiés à Islande est multiplié par trois. La pêche à Terre-Neuve est tout aussi affectée à Binic et Portrieux qu’à Dahouët et au Légué.

59 Le cas du quartier de Saint-Malo est plus complexe. Entre 1863 et 1869, on observe bien, comme dans la période précédente, l’expédition de quelques goélettes à Islande mais leur nombre est très faible, trois ou quatre. Quant aux expéditions vers Terre-Neuve, si elles diminuent, ce n’est pas dans les mêmes proportions qu’à Binic ou à Saint-Brieuc ; on passe de 92 expéditions en 1863 à 63 en 1869. Les armateurs malouins semblent nettement moins touchés que leurs collègues de la baie de Saint-Brieuc. En fait, une analyse plus fine des expéditions montre que là encore, cette baisse globale recouvre deux mouvements inverses. Les expéditions pour les havres de Terre-Neuve diminuent, en fait, exactement dans les mêmes proportions qu’au quartier de Binic : 60 navires sont envoyés à la pêche sédentaire en 1863 et 29 en 1869 ; mais cette régression est partiellement compensée par une augmentation des expéditions à la pêche sur les grands bancs : 34 navires y sont expédiés en 1869, contre 26 en 1863. À Saint-Malo comme à Saint-Brieuc et à Binic, la pêche sédentaire à Terre-Neuve est donc très sérieusement affectée.

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60 Globalement, si on observe l’évolution des quartiers morutiers de Saint-Malo, Binic, Saint-Brieuc et Paimpol, on constate une chute considérable de la pêche sédentaire tandis que la pêche sur les bancs de Terre-Neuve et la pêche errante à Islande progressent nettement.

61 Nous avons tenté de savoir si cette nouvelle chute de la grande pêche à Terre-Neuve, dix ans après celle du temps de la guerre de Crimée, était également conjoncturelle. Nous avons aussi cherché à savoir s’il y avait des causes plus durables et plus profondes à l’origine de cet effondrement. Pour cela, nous nous sommes tourné, là encore, vers une analyse plus fine de l’évolution des armements dans le quartier de Saint-Brieuc.

62 Au quartier de Saint-Brieuc donc, entre 1862 et 1864, après une période de stabilité apparente, la situation change brutalement. Dans un premier temps, plusieurs navires ne sont tout simplement pas réarmés pour la campagne de pêche de 1863. Ils disparaissent définitivement des flottes des armateurs concernés après vente ou destruction. Dans un deuxième temps, entre 1863 et 1864, plusieurs anciens morutiers sont réarmés pour le commerce. En ce qui concerne les navires, peu nombreux, qui partent tout de même à Terre-Neuve les choses ne semblent pas aisées. On semble hésiter sur la conduite à tenir ; ainsi en 1863, à l’issue de la campagne de pêche, tandis que le Grand Frédéric de Bouan et Duclézieux se dirige vers New York, le Jeune Auguste de Le Péchonva à Québec. L’année suivante, ce sont deux navires qui vont à New York avant de se rendre en France. Fait nouveau et sans doute significatif, on voit maintenant des terre-neuviers revenir directement à Saint-Brieuc avec leurs cargaisons de morues.

63 Ces événements s’accompagnent de la disparition de nouveaux armements et de la reconversion totale ou partielle de certains autres vers le commerce. Sébert abandonne complètement la grande pêche en 1863. Ses bricks Boréal, et Saint-Brieuc, après une dernière campagne à Terre-Neuve, sont armés au cabotage. Quant au trois-mâts Saint- Michel, acquis en 1860, il passe du grand cabotage au long cours : il va au Brésil ou en Guyane pour y prendre des cargaisons de bois exotique ou de café à destination de grands ports de l’Atlantique ou de la Manche. En 1865, l’armement Bouan et Duclézieux disparaît de Saint-Brieuc : il envoie une dernière fois la Catherine à Terre-Neuve. Les tentatives faites à New York n’ont pas été convaincantes. Quant à Jean Pierre Le Péchon, armateur à Dahouët, c’est en 1866 qu’il expédie encore une fois, la dernière, le Jeune Auguste vers les havres du Petit Nord. Par la suite, son entreprise se restructure uniquement autour de la pêche à Islande et de la navigation au commerce.

64 Au milieu des années 1860, il n’y a guère plus d’une dizaine de voiliers briochins à revenir de Terre-Neuve chaque année. Après une telle chute, l’analyse de leurs circuits commerciaux perd de son intérêt. Au demeurant, on ne remarque aucune nouveauté significative ; on revient toujours de Marseille avec du sel et on va au pays de Galles pour son charbon. Notons cependant l’importance de plus en plus grande que prennent les frets de charbon britannique qui ne sont pas affectés par la concurrence du chemin de fer, d’autant plus que maintenant, les voyages vers le pays de Galles se font de moins en moins souvent sur lest ; les cargaisons de pommes de terre se font plus fréquentes et on voit apparaître d’autres légumes comme les oignons. On conçoit que les armateurs aux abois voient leur dépendance augmenter par rapport à ces précieux compléments de revenus. La reconversion partielle au commerce devait donc leur paraître comme une solution judicieuse. Cependant l’abolition, en 1866, de la surtaxe qui jusqu’alors

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frappait les navires étrangers fréquentant les ports français ne va pas faciliter les choses27.

65 Quant aux morutiers reconvertis, comme durant la guerre de Crimée, ils reprennent les circuits commerciaux des caboteurs traditionnels à l’année. Comme ces derniers, ils sont maintenant nombreux à aller chercher du bois en Norvège ou dans quelque port riverain de la Baltique ; ils fréquentent aussi les ports de la mer du Nord, surtout Sunderland et Newcastle, qui exportent du charbon ; le noir animal de Dunkerque devient, avec le charbon, le fret de retour vers Saint-Brieuc le plus fréquent. Quelques frets seulement peuvent être attribués aux opérations du Mexique. Ainsi, en 1863, le Courrier du Nord va livrer du charbon à Rochefort. En 1864, la Mignonne est affrétée par le gouvernement pour transporter divers matériaux de Marseille au port militaire de Brest puis, après passage par le pays de Galles, va livrer du charbon à Rochefort.

66 Certes, cette reconversion des anciens morutiers ne compense pas, en tonnage, les pertes. On peut remarquer toutefois que l’activité purement commerciale des armateurs briochins augmente de 1864 à 1870. Et il ne s’agit pas seulement de reconversions. Certains d’entre eux étoffent leurs flottes de sloops et goélettes en acquérant de nouvelles unités uniquement destinées à cet usage et les tonnages de ces dernières vont croissant. Ainsi, alors que durant les années 1858-1862 les armateurs morutiers briochins possédaient dix petits navires de commerce totalisant 680 tonneaux, en 1868-1870 ils en ont treize, dont deux trois-mâts, totalisant 2 011 tonneaux.

67 Entre 1862 et 1870, les courbes nous montrent donc d’une part une chute très brutale des armements pour Terre-Neuve suivie d’une période d’étale à bas niveau, d’autre part une augmentation presque symétrique du nombre des ex-morutiers affectés au commerce.

Figure 3 – Évolution comparée du nombre de morutiers expédiés à Terre-Neuve et au commerce durant les années 1860 au quartier de Saint-Brieuc28

68 On le voit, même si plusieurs navires sont abandonnés, les armateurs font en sorte d’en employer plusieurs autres différemment. Ce dernier phénomène de reconversion partielle ayant déjà été observé durant la guerre de Crimée, on pouvait penser qu’il se

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renouvellerait à l’occasion de la guerre du Mexique. Face aux difficultés d’enrôlement, les armateurs auraient retrouvé leurs vieux réflexes.

Des difficultés multifactorielles

69 À Saint-Brieuc, le début de la chute des armements pour Terre-Neuve correspond à peu près au commencement de la guerre au Mexique. Il en est de même dans les quartiers de Saint-Malo et de Binic où s’amorcent, en même temps, les reconversions29 dont nous avons déjà parlé. Il était donc évidemment tentant d’imputer la responsabilité de ces mutations à cette guerre.

70 L’expédition de 1861 à Vera Cruz n’est qu’une formalité accomplie avec l’aide des Espagnols et des Britanniques. Peu de navires sont nécessaires et seulement 2 000 Français débarquent. Par la suite, cependant, la situation se dégrade, les Anglo- Espagnols se retirent et la résistance mexicaine se fortifie. Plus de 20 000 hommes sont alors envoyés au Mexique en 1863 pour qu’enfin les troupes françaises remportent une victoire significative à Cameron. Les mêmes causes auraient-elles provoqué les mêmes effets ? En tout cas, la coïncidence chronologique est troublante. Cependant, même si elle a joué un rôle non négligeable, la guerre du Mexique ne peut expliquer à elle seule l’effondrement de 1864. Le phénomène, assez complexe est certainement multifactoriel ; plusieurs constatations vont dans ce sens. D’abord, le retour définitif des troupes françaises en 1867 ne s’accompagne pas, cette fois, d’une augmentation des armements pour Terre-Neuve ; ensuite, plusieurs morutiers passés au commerce en 1864 le demeurent jusqu’en 1870. Enfin, contrairement à la guerre de Crimée, la guerre du Mexique s’accompagne d’une perte définitive de plusieurs unités antérieurement affectées à la pêche. On peut noter, en outre, que cette perte de certains morutiers précède d’environ un an l’affectation de certains autres au commerce et que, de toute façon, la diminution des expéditions pour Terre-Neuve persiste par la suite30. La recherche d’autres facteurs s’avère donc indispensable.

71 La reprise des armements pour la pêche à Terre-Neuve entre la guerre de Crimée et la guerre du Mexique masque, nous l’avons vu, de sérieux problèmes. De moins en moins de terre-neuviers vont livrer de la morue dans les ports de vente traditionnels de Méditerranée, sans qu’il soit possible de décider s’il s’agit d’une diminution de l’offre ou d’une diminution de la demande, ou d’une interaction entre les deux… On peut, en effet, imaginer un cercle vicieux qui se serait enclenché à cause de plusieurs problèmes récurrents. La conjonction de difficultés différentes aurait conduit à la purge de 1862-1864.

72 Pour expliquer la chute de l’armement à la pêche sédentaire, on peut invoquer les difficultés chroniques que subissent les pêcheurs du Petit Nord en butte à l’hostilité des immigrants britanniques, mais le fait, s’il est incontestable, n’est pas nouveau. D’ailleurs, aucune mesure particulière n’est prise à l’encontre des pêcheurs français vers 1863 alors que les relations entre Français et Britanniques sont bonnes. Une sérieuse baisse des rendements de pêche n’est pas non plus à exclure alors qu’ils se maintiendraient sur les bancs ; des témoignages vont dans ce sens. Malheureusement, les données objectives sont insuffisantes.

73 C’est peut-être de l’autre côté de l’Atlantique que l’on peut trouver une explication. Ce n’est sans doute pas une coïncidence si cette année 1863 voit l’arrivée du chemin de fer à Saint-Malo et à Saint-Brieuc ; les deux villes se trouvent maintenant reliées par rail

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via Rennes à une grande partie du réseau national et donc à Marseille ; cela ne peut que faciliter l’écoulement des marchandises. Le poisson frais dorénavant se vendra plus aisément, plus rapidement et plus loin, par voie ferrée. Par contre, le chemin de fer a beaucoup moins d’intérêt pour la morue sèche qui est faite pour se conserver très longtemps et pour laquelle l’essentiel du marché se trouve dans les ports méditerranéens.

74 Les havres de Terre-Neuve étaient, quant à eux, construits et organisés presque exclusivement pour la production de morue salée et séchée. C’est un produit dont la livraison tardive ne posait guère de problèmes puisqu’il avait justement été conçu pour durer très longtemps, à une époque où il n’existait pas d’autres moyens de conservation. À partir du moment où les ports morutiers ont pu, grâce au développement des voies ferrées, élargir leurs marchés, ce mode de conditionnement a perdu progressivement sa raison d’être et la morue séchée a subi de plein fouet la concurrence de la morue verte, sans parler de celle du poisson frais31. En outre, il devenait moins intéressant d’aller livrer, moyennant un long détour par Gibraltar, des morues salées directement dans les ports méditerranéens ; il devenait plus simple et plus rapide d’aller livrer à La Rochelle ou à Bordeaux désormais reliés à la Méditerranée. En outre, des sécheries s’installent dans ces ports32.

Des reconversions plus ou moins réussies

75 Contrairement à la pêche sédentaire, la pêche sur les bancs de Terre-Neuve n’était pas intrinsèquement liée à la production de morues séchées. Durant le XIXe siècle, elle était caractérisée par sa méthode : l’usage de lignes de fond et de petites embarcations pour les poser et les lever. Mais ce procédé n’induisait pas un type de conditionnement particulier. Certes, jusqu’au milieu du XIXe siècle, les navires expédiés sur les bancs par les quartiers bretons faisaient presque toujours sécher leurs morues à Saint-Pierre-et- Miquelon ou même à la côte de Terre-Neuve. Cependant les campagnes de pêche autorisaient de nombreuses combinaisons. Avant de revenir en Europe, les morutiers venaient à Saint-Pierre décharger leurs cargaisons de morues une, deux ou même trois fois par saison. Ces morues pouvaient être séchées sur place mais aussi parfois être rapportées directement en métropole, simplement salées, par un chasseur ; il fallait dans ce cas revenir au plus vite, à Bordeaux par exemple. Quant à la dernière pêche sur les bancs, elle pouvait être, elle aussi, rapportée directement, sans séchage et sans passage à Saint-Pierre, dans les ports de vente. Indépendamment des facilités procurées par la proximité d’un petit territoire demeuré français, ce type de pêche a donc permis aux armateurs de mieux s’adapter et donc de mieux faire face aux changements en cours, alors que la pêche sédentaire était condamnée avant son extinction officielle en 1904.

76 Les armateurs malouins vont donc progressivement abandonner les havres pour les bancs qu’ils connaissent bien. Avant la guerre de Crimée déjà, ils envoyaient environ 20 % de leurs terre-neuvas sur les bancs. En 1870, plus de la moitié des expéditions à partir de Saint-Malo se font pour cette destination. Les Malouins sont très bien implantés à Saint-Pierre et peut-être font-ils obstacle à la reconversion des armements briochins. En tout cas l’expérience tentée par Villeféron ne se prolonge pas.

77 Tandis qu’à Saint-Malo, on envoie des navires de plus en plus nombreux sur les bancs de Terre-Neuve, à Dahouët, Binic, Portrieux et surtout Paimpol, on mise sur la pêche à

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Islande. Pour les Paimpolais, c’est le début d’une période de prospérité alors que pour les autres, il s’agit de contourner les difficultés rencontrées à Terre-Neuve et de s’adapter à de nouvelles conjonctures.

78 Comme sur les grands bancs, la pêche à Islande était errante et se pratiquait au large. De ce fait, les frictions avec les habitants de l’île étaient limitées. En outre, du fait de la plus grande proximité de l’île, les envois de morues en France pouvaient être plus fréquents et plus précoces. La morue verte qui est débarquée sur les côtes de Bretagne a un succès grandissant et profite largement de l’arrivée du rail. Les pêcheurs d’Islande mettent en effet à la disposition du consommateur, plus rapidement que leurs collègues de Terre-Neuve, des morues salées mais non séchées qui sont de plus en plus appréciées ; elles se conservent moins longtemps que les morues salées et séchées mais, justement, l’arrivée du chemin de fer leur offre, comme pour le poisson frais, de nouveaux débouchés. Ainsi, grâce à la pêche à Islande, plusieurs ports morutiers pourront maintenir leur activité jusqu’à la fin du XIXe siècle et même au-delà.

79 La solution pour les armateurs briochins aurait pu consister à se lancer dans la pêche à Islande comme le firent leurs collègues de Binic ou de Paimpol. C’est d’ailleurs ce qui se passe à Dahouët : lorsqu’en 1862, Rubin de Rays se retire et vend ses navires, son concurrent local Jean-Pierre Le Péchon, tout en maintenant deux unités à la pêche sédentaire à Terre-Neuve, fait l’acquisition de bâtiments plus petits destinés à l’Islande, et surtout, d’autres armements se créent. Dans ce petit port, l’Islande va progressivement prendre la place de Terre-Neuve. Mais au Légué, la reconversion ne se fait pas, ni pour les bancs de Terre-Neuve ni pour l’Islande : durant les années 1860, seulement trois ou quatre goélettes en partent pour l’Islande tandis que les expéditions pour Terre-Neuve chutent.

80 Pourtant, si la reconversion est incomplète, elle est incontestable mais elle concerne une activité différente. À la fin du Second Empire, après plusieurs restructurations du secteur de l’armement briochin, peu d’entreprises subsistent mais le tableau diffère nettement de ce qu’il était vingt ans auparavant. Seul l’armement Rouxel demeure fidèle à Terre-Neuve33 avec cinq unités destinées à cette destination ; Villeféron n’en arme plus que trois, ses autres navires étant destinés au cabotage ; quant à l’armement Sébert, il possède six voiliers armés pour le cabotage ou le long cours. Cependant, cette reconversion partielle sans doute favorisée par l’essor du commerce du charbon n’a pu prendre une ampleur propre à maintenir le niveau d’activité des armements : d’une part, en effet, le marché local est insuffisant, d’autre part, elle se fait à un moment où la concurrence étrangère se fait plus pressante.

81 Au milieu du XIXe siècle, avant la guerre de Crimée, l’importance des ports de la baie de Saint-Brieuc est considérable pour la grande pêche à Terre-Neuve. Cette activité est florissante. Elle égale, voire surpasse, les armements malouins. Cette prospérité semble devoir durer : des armements se créent tandis que les anciens augmentent leurs flottes. En apparence, il n’y a aucun signe inquiétant. Il y a bien à Terre-Neuve des problèmes avec les colons britanniques mais ils ne prennent pas encore une ampleur qui pourrait mettre en danger une activité si bénéfique. Pourtant, quinze ans plus tard le déclin de la grande pêche sédentaire est manifeste.

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82 Comme il l’a été maintes fois signalé, la pêche à la morue rapportait beaucoup aux armateurs et faisait vivre des milliers de gens plus modestes. Toutefois, cette activité aurait été nettement moins bénéfique si les armateurs n’avaient pas augmenté leurs revenus en expédiant au cabotage en hiver et en automne leurs terre-neuviers. Le commerce a été durant longtemps une activité, certes annexe, mais importante et complémentaire pour les armateurs à la grande pêche. Cependant, ils ne disposaient pas sur place d’un marché de consommation suffisant pour le maintenir avec sécurité : ils dépendaient des marchés des grandes villes et des grands ports, et en particulier des ports de Rouen et du Havre. Dans un premier temps, la perte progressive du marché havrais est restée sans conséquences immédiates, malgré la diminution des revenus qu’elle impliquait. En effet, les armateurs parviennent à diversifier un peu leurs importations de marchandises méditerranéennes ; ils explorent également de nouveaux ports de vente. Mais c’est difficile et aléatoire. De plus en plus on se rabat sur la solution la plus simple mais la moins rémunératrice. Les terre-neuviers reviennent dans la baie de Saint-Brieuc avec le sel nécessaire à la campagne suivante.

83 Survient la guerre de Crimée et les préoccupations deviennent tout autres. L’impact de cette guerre est considérable sur la grande pêche parce qu’elle mobilise beaucoup d’hommes. Les armements sont mis à mal et la pêche sédentaire est particulièrement touchée. Pour faire face, les armateurs réduisent un peu le nombre de leurs unités mais surtout tentent d’utiliser au mieux leurs flottes en cherchant des frets pour les navires qu’ils sont dans l’impossibilité d’envoyer à Terre-Neuve. Malgré quelques tentatives exotiques, il n’est, semble-t-il, pas question pour eux d’envisager à cette occasion une reconversion, même partielle, de leurs activités. L’adaptation aux circonstances est des plus simples : elle consiste surtout à répéter les trajets et frets déjà connus et à profiter des besoins en transport de l’armée. Il y a très peu d’explorations de nouvelles routes et de nouveaux marchés ; les armateurs sont en attente de la fin de la guerre et de la reprise de leur activité principale. À leur décharge, il faut reconnaître qu’ils n’étaient certainement pas préparés à affronter la concurrence nationale ou internationale ; les navires n’étaient pas forcément adaptés et les capitaines ne brillaient sans doute pas particulièrement par leur habileté au négoce. Le passage au grand commerce transatlantique aurait nécessité le recrutement de capitaines au long cours. De plus, les « grands » n’allaient sûrement pas se laisser facilement dépouiller de leurs parts de marché, de leurs circuits bien rodés et de leurs réseaux commerciaux.

84 Un nouveau choc survient durant la première partie des années 1860 La guerre n’en est pas, cette fois, le facteur majeur mais tous les problèmes inhérents à la pêche sédentaire se révèlent avec force à cette occasion. Le renouveau de la grande pêche à la fin des années 1850 et au début des années 1860 masque l’accroissement des faiblesses du système pêche sédentaire/morue salée/marché méditerranéen. Plus que la persistance des problèmes à Terre-Neuve, c’est l’arrivée du chemin de fer qui va révéler et augmenter les vices du système. Le réseau ferré français se constitue pour la plus grande partie durant le Second Empire ; à la fin des années 1860, il est presque terminé. Reliant toutes les grandes villes et singulièrement les ports, donnant accès à des marchés plus éloignés, il va mettre en très grande difficulté le système traditionnel. En mettant en relation aisée Atlantique, Manche et Méditerranée, il rend encore plus difficile l’obtention de frets de retour ; il ne restera bientôt plus que le sel et quelques matériels divers à usage interne. La vitesse de transport qu’il autorise favorise la vente de poisson frais et de morues vertes et contribue ainsi à l’évolution des goûts au

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détriment de la morue séchée. Enfin, le développement considérable des sécheries, particulièrement à Bordeaux dorénavant reliée facilement par le rail au sud de la France, à l’Espagne et à l’Italie, rend obsolète le maintien des graves à Terre-Neuve et le contournement de la péninsule ibérique.

85 Dès lors, le système intégré de la pêche sédentaire, fortement ancré dans ses habitudes, ne pouvait pas s’en sortir ; il fallait absolument se reconvertir. C’est ce qui a été fait, plus ou moins à Binic, Portrieux et Dahouët avec la pêche à Islande. À Saint-Malo, le changement est plus progressif, plus complexe aussi : on joue sur les nombreuses possibilités qu’offre la pêche errante sur les bancs en abandonnant les havres les uns après les autres. À Saint-Brieuc, s’il y a une reconversion partielle, elle n’a lieu qu’après une réduction considérable des flottes et la disparition de plusieurs armements. C’est une reconversion timide vers le commerce qui n’est d’ailleurs pas sans inconvénients. Le rail, en effet, continua à concurrencer de manière efficace le commerce par cabotage. Quant aux quelques voiliers « briochins » affectés à temps plein au grand commerce international, on ne les verra guère fréquenter le port de Saint-Brieuc. En ce qui concerne la grande pêche, par contre, rien n’est sérieusement tenté à Saint-Brieuc ; par conservatisme, pusillanimité ou méfiance, les armateurs briochins renâclent. Les conséquences furent inéluctables : chaque printemps, les voiliers ont été de plus en plus rares à quitter les quais du Légué en direction de Terre-Neuve.

Annexe 1 – Retours de Terre-Neuve des morutiers du quartier de Saint-Brieuc

(Source : Service Historique de la Marine de Brest, 4P7 168 à 23, rôles de désarmement du quartier de Saint-Brieuc)

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Annexe 2 – Évolution des armements à la grande pêche durant les années 1860. Quartiers de Saint- Malo

(Source : Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, registres d’armement Saint-Malo, 4S 293 à 306)

Annexe 3 – Évolution des armements à la grande pêche durant les années 1860. Quartiers de Binic

NOTES DE FIN

(Source : Service Historique de la Marine de Brest, registres d’armement, 4 P 5, 3 et 4)

1. Poissons utilisés comme appâts pour la morue. Du breton boued nourriture.

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2. Dans ce premier temps, il ne s’agissait que d’évaluer l’évolution globale des différents types de grande pêche dans les quartiers morutiers bretons. Nous avons compté les navires armés pour Terre-Neuve ou pour l’Islande sans nous préoccuper de leur utilisation hors des périodes de pêche. Nos données générales sont tirées des registres d’armement suivants : Service Historique de la Marine de Brest, pour les quartiers de Binic et de Saint-Brieuc, 4P 5, 10 et 11 et 4P 5, 3 et 4 ; Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine pour le quartier de Saint-Malo, 4 S 293 à 306. 3. Un même navire pouvant passer d’un type d’armement à un autre, il nous a fallu d’abord éliminer, en utilisant les registres déjà cités, tous ceux qui n’avaient rien à voir avec la grande pêche. Ainsi, il a été très aisé d’éliminer les « bateaux » de moins de 10 tonneaux de jauge et armés au bornage ou à la petite pêche. Les sloops, goélettes et bricks de 20 à 60 tonneaux se sont révélés être des caboteurs à l’année. Ils se distinguent bien des terre-neuvas qui sont, eux, des trois-mâts ou des bricks de 100 à 250 tonneaux. Quant aux passages, dans un sens ou dans l’autre, entre la seconde et la troisième catégorie, ils sont exceptionnels. 4. Pour cette étape, il a fallu utiliser systématiquement les rôles de désarmement de ces navires, qu’ils fussent armés à la grande pêche ou au commerce (cabotage et long cours). Les données qui concernent les trajets, frets et équipages sont issues des rôles de désarmement du quartier de Saint-Brieuc. Service Historique de la Marine de Brest, 4P 7 168 à 4P 7 233. 5. Les données chiffrées concernant Paimpol sont issues de KERLEVEO, Jean, Paimpol au temps d’Islande, Éditions Le Chasse-Marée, t. 1, 1998 [1re éd. 1944]. 6. À partir de 1848, les ports de la baie sont rattachés à deux quartiers maritimes différents : Binic et Portrieux pour le quartier de Binic ; Erquy, Dahouët et Le Légué pour le quartier de Saint-Brieuc. 7. Le quatrième port de la baie de Saint-Brieuc, Erquy, ne pratiquait pas la grande pêche. 8. Dans certains cas, elles étaient séchées sur la côte de Terre-Neuve. 9. En même temps, les morues seront de moins en moins séchées sur place et, uniquement salées, elles seront écoulées ailleurs que sur le marché méditerranéen. 10. Les niveaux particulièrement élevés atteints en 1852 peuvent être attribués à la loi de 1851 qui instaure des primes à la grande pêche et qui favorise particulièrement la morue séchée. KERVÉLÉO, Jean, Paimpol…, op. cit., t. I, p. 318. 11. Service Historique de la Marine de Brest, rôles de désarmement, 4P 7 127 ; 4P 7 128 ; 4P 7 133 à 4P 7 135. 12. Les trajets de retour Méditerranée-Manche ne sont pas du cabotage au sens strict. Ils se faisaient généralement de manière directe avec un seul fret. Il s’agit certes de navigation commerciale mais ne nécessitant pas d’armement au cabotage et autorisée par l’armement initial à la grande pêche. À partir de 1853 ces navires sont réarmés au cabotage en Méditerranée mais cela ne change pas grand-chose. 13. Pour les rôles, il s’agit de retours « en ressac ». 14. Il s’agit d’huile non encore épurée provenant de détritus divers de morue. 15. Résidus des sucreries utilisés comme engrais dans l’agriculture (os calcinés ayant servi de filtre). 16. Graphie de l’époque pour Sète. 17. Il ne s’agit pas, bien sûr, de durées de navigation. Dans cette moyenne sont incluses les durées des différentes tractations commerciales, chargements, déchargements et préparations diverses qui, à cette époque, pouvaient durer longtemps pour tous les

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navires de commerce. Service Historique de la Marine de Brest, rôles de désarmement déjà cités. 18. Arch. mun. de Saint-Brieuc, 10Z 5. Correspondance du Capitaine Conan (en cours de transcription en vue d’une publication). 19. Cette année-là, le Saint-Brieuc rapportait les produits de sa propre pêche ainsi que ceux de la Marie-Victoire du même armateur. Cette somme correspond à la part du Saint- Brieuc. Il faudrait y ajouter le produit de la vente de l’huile qui ne nous est malheureusement pas connu ; au demeurant, il ne saurait modifier significativement les ordres de valeur. 20. Selon Ch. de la Morandière, c’était déjà le cas au XVIIIe siècle. LA MORANDIÈRE, Charles de, Histoire de la pêche française de la morue dans l’Amérique septentrionale, Paris, Maisonneuve et Larose, 1962, p. 201. 21. Pour les inscrits maritimes, il n’y avait alors pas de tirage au sort, c’était le système de la levée permanente. 22. Le témoignage du capitaine Joseph Conan est, à cet égard, particulièrement intéressant. Les méthodes vont de l’appareillage pour une campagne commerciale inhabituelle, mais de longue durée en attendant l’hypothétique fin de la guerre, à la prévarication. 23. Les données proviennent des registres d’armement des quartiers de Binic, de Saint- Brieuc (Service Historique de la Marine de Brest, 4P 5 , 3, 4, 10 et 11) et des rôles de désarmement de Saint-Malo (Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 4S 296 à 306). 24. C’est le cas du brick Saint-Brieuc de Rubin de Rays qu’il commande à cette époque. Le trois-mâts Cygne de l’armateur Besnard, qui semble lui aussi avoir disparu pendant deux ans, est en fait au commerce. En effet, Joseph Conan rencontre son capitaine, Jean-François Hamonet à Alexandrie en 1855. Quant au brick Diligent de l’armateur Boullé, il n’a pas été désarmé durablement lui non plus. Son capitaine, Alexandre Rochery, beau-frère de Joseph Conan, l’a amené à Constantinople, avant de décéder dans cette ville en août 1855. 25. Service Historique de la Marine de Brest, rôles de désarmement, 4P 7 168-328. 26. Depuis 1836, une loi autorise les maîtres de cabotage à commander les navires armés pour la grande pêche et, bien entendu, le recrutement s’effectue de plus en plus souvent sur la base de ce diplôme de niveau moindre. 27. LENHOF, Jean-Louis, Les Hommes en mer, Paris, Colin, 2005, p. 148. 28. Service Historique de la Marine de Brest, rôles de désarmement du quartier de Saint-Brieuc, 4 P 7 133 à 4 P 7 135. 29. Voir les tableaux en annexe. 30. Service Historique de la Marine de Brest, 4 P 5 4 à 4 P 5 6.Durant les années 1870, Saint-Brieuc n’envoie en moyenne que dix navires dans les havres de Terre-Neuve. Par la suite, durant les années 80, c’est l’effondrement et en 1890 Saint-Brieuc n’enverra aucun navire vers cette destination. 31. Service Historique de la Marine de Brest, 4P 5 4 à 4P 5 6. Durant un quart de siècle, à Saint-Brieuc, la pêche au poisson frais se développe considérablement. Soixante bateaux y sont employés en 1854, 107 en 1869 et 155 en 1881. 32. Durant les années soixante du XIXe siècle, des caboteurs avec des cargaisons de morues se dirigent de plus en plus nombreux, vers ces ports à partir du Légué mais surtout de Dahouët. 33. Trois autres armateurs morutiers arment chacun un seul navire pour Terre-Neuve : Denis, Besnard et Angier.

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RÉSUMÉS

Cet article concerne les reconversions que connaît la grande pêche en Bretagne Nord au milieu du XIXe siècle. Ces changements sont à mettre en rapport avec des événements (la guerre de Crimée) et des évolutions structurelles. Pendant la première partie du XIXe siècle, les armements morutiers de Bretagne sont prospères. Les revenus proviennent essentiellement de la vente en Méditerranée des produits de la pêche sédentaire à Terre-Neuve mais aussi des campagnes commerciales qui suivent. La guerre de Crimée prend l’allure d’un avertissement qui oblige les armateurs à utiliser une partie de leur flotte pour le commerce. Durant les années soixante, de profondes restructurations ont lieu, imposées cette fois par des facteurs structurels durables. Alors que la reconversion au commerce s’avère très difficile, l’abandon progressif des havres de Terre-Neuve sera en grande partie compensé par l’essor de la pêche sur les bancs et à Islande.

This article deals with the reconversions in the high sea cod fisheries of North Brittany in the middle of the 19th century. These changes are to be connected with occurrences such as the Crimean war, and with structural developments. During the first decades of the 19th century, many ports of North Brittany became prosperous through the produce of fishing off the coast of Newfoundland. The cods were sold in different ports of the Mediterranean Sea. In autumn and winter the sailing ships were used for trading, thus providing additional profits. During the Crimean war, some of these ships were used solely as merchantmen. During the sixties, deep reconversions took place. This time they were imposed by durable structural factors. The ship-owners gradually left the havens of Newfoundland and sent their ships to Iceland. It was a success. On the other hand, endeavours for reconversion in trade were proving more difficult.

INDEX

Index chronologique : XIXe siècle

AUTEUR

JEAN-MICHEL AUFFRAY Chercheur indépendant

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Cyrille Billard et Muriel Legris (dir.), Premiers néolithiques de l’Ouest.

Jean-Noël Guyodo

RÉFÉRENCE

Rennes, PUR, 2010, 479 p., 35 €.

1 Organisé tous les deux ans, ce colloque s’impose comme un état de l’avancée de la recherche interrégionale sur le Néolithique, depuis sa première tenue à Sens en 1972. Organisé en 2007 au Havre, c’est l’énergie dépensée dans le Grand-Ouest de la France, le Centre et le Bassin parisien sur le début de la période (fin VIe-IVe millénaires avant J.-C.) qui est mise à l’honneur en tant que thème privilégié de cette 28e rencontre. L’actualité de la recherche trouve également sa place, traditionnelle, avec des articles sur des découvertes ou des contextes élargis parfois plus récents. Ce sont ainsi onze contributions sur le thème fédérateur et neuf sur l’actualité de la recherche qui sont réunies sous un même volume riche, dense et de bonne qualité, agrémenté en partie centrale d’un cahier spécial réunissant une douzaine de planches couleur.

2 Les Néolithique ancien et moyen, du Bassin parisien aux confins du Massif armoricain, trouvent naturellement une place de choix à travers des articles sur les modalités d’implantation humaine et les espaces habités (Betton en Ille-et-Vilaine, Aubevoye dans l’Eure, Sours en Eure-et-Loir), la culture matérielle (lithique, céramique, objets de parure et/ou de prestige) et les échanges ainsi que les pratiques funéraires, fruits de réflexions récentes et pour la plupart publiées pour la première fois.

3 L’actualité fait aussi la part belle aux activités de terrain les plus récentes sur l’habitat (Bréviandes dans l’Aube et Loison-sous-Lens dans le Pas-de-Calais pour le début du Néolithique; Beg er Loued, Finistère pour la fin de la période), la crémation au Néolithique récent (Buchères, Aube) ou la culture matérielle. Les travaux collectifs sont aussi à l’honneur avec les résultats de la démarche novatrice du PCR sur les matières premières siliceuses du nord de la France ainsi que ceux de la thématique pêcheries et

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barrages à poissons développée en Normandie (Saint-Jean-le-Thomas), complétée par les découvertes de nos collègues néerlandais (Emmeloord).

4 Le lecteur appréciera ce volume riche d’informations nouvelles qui plus qu’un livre de chevet se doit d’être présent dans toute bonne bibliothèque de chercheurs et étudiants s’intéressant à la préhistoire récente régionale et nationale, d’autant que son coût n’est pas des plus excessifs.

5 Soulignons enfin le travail acharné et efficace du comité de pilotage et surtout des organisateurs, Cyrille Billard et Muriel Legris (DRAC de Basse-Normandie), qui ont su, dans un délai très bref pour ce genre d’exercice – un peu plus de deux ans – amener à son terme la publication des actes de ce colloque.

AUTEURS

JEAN-NOËL GUYODO Université de Nantes – UMR 6566 CReAAH UFR d’Histoire, Histoire de l’Art et Archéologie

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ROBIN, Guillaume, L’architecture des signes. L’art pariétal des tombeaux néolithiques autour de la mer d’Irlande

Jean-Noël Guyodo

RÉFÉRENCE

Rennes, PUR, 2009, 364 p., 27 €.

1 Cet ouvrage sur l’art pariétal néolithique est la publication de la thèse de doctorat de Guillaume ROBIN (cotutelle Université de Nantes/University College Dublin, co- direction S. Cassen/M. O’Sullivan) soutenue, en anglais s’il vous plaît, à Nantes en novembre 2008.

2 Loin de se restreindre à l’exercice périlleux et réducteur de l’interprétation et de la signification des représentations pariétales, l’auteur analyse les formes géométriques souvent abstraites comme un complexe système de représentations structurant l’espace des tombes.

3 Ce sont ainsi 634 dalles gravées provenant de 89 monuments édifiés autour de la mer d’Irlande au cours du IVe millénaires avant J.-C. dont les signes et l’agencement / déploiement dans l’espace de la tombe sont passés en revue. La lecture est passionnante, très détaillée et fournie notamment en ce qui concerne les travaux antérieurs et les contextes archéologiques. L’important travail de remise aux normes graphiques actuelles permet au lecteur de consulter l’ensemble des données de manière objective et attentive.

4 Si l’organisation de l’ouvrage se veut académique, elle n’en est pas moins efficace. Aux cadres historique et méthodologique succède très vite un vaste travail de recensement comme en témoigne la seconde partie correspondant au répertoire des figures simples et complexes, des formes élémentaires aux variantes. Loin d’être une simple recherche à partir de sources iconographiques connues, l’auteur a effectué plusieurs voyages

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d’études afin de compléter et/ou étoffer au mieux cette base documentaire, en partie renouvelée.

5 Cœur de la réflexion et du travail de recherche, la relation art pariétal et espace architectural participe à la modélisation de la représentation spatiale déterminant non seulement l’emplacement des signes mais également celui des structures du monument (zones de passage, de rupture) et des dépôts funéraires.

6 Les propositions sur la position théorique initiale de dalles en réemploi préalablement ornées, mais de fait désormais spatialement désorganisées puisqu’en position secondaire, trouvent leur parallèle avec les hypothèses soulevées par certaines architectures funéraires contemporaines continentales, notamment bretonnes.

7 Le délai de parution de cette thèse, tout juste un an après sa soutenance, est suffisamment rare pour être souligné. Cette sérieuse synthèse fournie par Guillaume ROBIN intéressera, n’en doutons pas, plus d’un lecteur!

AUTEURS

JEAN-NOËL GUYODO Université de Nantes – UMR 6566 CReAAH UFR d’Histoire, Histoire de l’Art et Archéologie

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JANKULAK, Karen, Geoffrey of Monmouth

Bernard Merdrignac

RÉFÉRENCE

University of Wales Press Series – « Writers of Wales », Cardiff, 2010, 125 p.

1 Les cinq précédents volumes de la collection « Writers of Wales » publiés par l’University of Wales Press présentent au grand public britannique des figures marquantes de la littérature nationaliste galloise contemporaine, dont, pour la plupart, les noms (de James Kitchener Davies à Herbert Williams) ne sont guère connus des lecteurs français. Le livre du Dr Karen Jankulak [KJ, par la suite], Lecturer à l’University of Wales – Trinity, (Lampeter) et Director du MA of Arthurian Studies, consacré à Geoffroy de Monmouth (Galfridus Monemutensis, † 1155) trouve cependant toute sa place dans cette collection. En effet, les œuvres de cet « historien » de la première moitié du XIIe siècle (Historia Regum Britanniae,Prophetiae Merlini, et, dans une moindre mesure, Vita Merlini) ne relèvent pas seulement de l’histoire littéraire médiévale ; elles ont influencé en profondeur des pans entiers de la littérature européenne jusqu’à nos jours. On peut donc souscrire – de loin, avec sympathie – à la remarque de KJ en fin de son introduction, comme quoi, une quinzaine d’années après la parution de la brillante synthèse de Michael J. Curley, Geoffrey of Monmouth, dans la « Twayne’s English Authors Series » (New York, 1994), un retour de balancier replaçant Geoffroy au nombre des « écrivains du Pays de Galles » n’a rien d’inopportun aujourd’hui.

2 Très dense et de lecture agréable, ce petit livre (125 p.) est un modèle de vulgarisation intelligente. À ce titre, il vaut déjà de retenir l’attention des lecteurs des ABPO. Les normes de la collection excluent le recours aux notes infra-paginales conformes aux usages académiques. Toutefois, il n’y a qu’à se reporter à l’Index et à la « Select Bibliography » (présentée commodément chapitre par chapitre) pour être assuré de la qualité impeccable des informations mobilisées par l’auteur. Voici une mise au point parfaitement à jour des travaux récents des chercheurs britanniques sur le sujet.

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3 Sans doute d’origine galloise ou bretonne (?), Geoffroy de Monmouth dont sont retracées ici les grandes lignes de la carrière comme magister et chanoine séculier d’Oxford, figure, en tant qu’évêque de Saint Asaph [PdG] (où le contexte politique ne lui a probablement jamais permis de se rendre) parmi les témoins du traité de Westminster entre Henri II et Etienne de Blois (1153) mettant un terme à la guerre civile qui avait opposé, depuis 1138, ce dernier à l’impératrice Mathilde, mère du Plantagenêt. Avec ses alliés gallois, le puissant comte Robert de Gloucester, protecteur de Geoffroy à qui celui-ci dédie l’HRB, s’est rallié au parti de la fille d’Henri Ier Beauclerc. L’accent mis dans l’HRB sur les aspirations à la concorde entre Bretons est donc d’une brûlante actualité au moment de la composition de l’ouvrage (1139).

4 À l’encontre des préjugés négatifs qui dominent chez ses contemporains comme Guillaume de Malmesbury († v. 1143) et Henri de Huntingdon († 1160), Geoffroy de Monmouth s’assigne pour objectif de magnifier le passé de la Bretagne. La connaissance approfondie par KJ de la production pseudo-historique et prophétique galloise lui permet d’analyser subtilement les procédés narratifs mis en œuvre par Geoffroy pour recycler ses sources. Le présent CR ne saurait avoir la prétention de reprendre les développements serrés de l’auteur. Les chapitres 2 (« HistoriaRegum Britanniae and its sources ») et 3 (« Geoffrey’s models : Thinking about History in Medieval Wales and Ireland ») ont l’insigne mérite de sortir du cercle vicieux de l’interminable débat sur la part d’historicité ou d’invention de l’HRB en relativisant les termes de celui-ci.

5 Contentons-nous ici de pointer quelques éléments saillants de l’argumentation. Le fameux « livre très ancien en langue bretonne » (britannici sermonis : « gallois », « cornique » ou « breton armoricain » ?) dont la réalité reste contestée et que l’archidiacre Gauthier d’Oxford aurait communiqué à Geoffroy est surtout invoqué par ce dernier comme argument d’autorité, sans doute indispensable pour contrebalancer le poids de l’Histoire Ecclésiastique de Bède le Vénérable. En réinterprétant le De Excidio de Gildas et l’Historia Britonnum attribuée à Nennius (v. 830) qu’il combine avec les apports de l’« histoire de synthèse » pratiquée en pays celtiques (que l’on pourrait schématiquement définir comme le calibrage, à partir de synchronismes artificiels, des histoires locales sur l’histoire universelle revue selon les grilles de la Bible), Geoffroy parvient à élaborer un récit linéaire qui se veut historiquement plausible. La légende de Brutus et des origines troyennes des Bretons revient à placer la Bretagne sur un plan d’égalité avec Rome ; l’introduction de la civilisation dans l’île est donc bien antérieure à la conquête. De même, Maxime, proclamé empereur par ses troupes de 383 à 388, et devenu Maxen Wledic dans la tradition historico-légendaire ultérieure fonde (paradoxalement, somme toute, pour un usurpateur) la légitimité des petits royaumes gallois sur l’héritage de l’Empire chrétien.

6 La transition entre passé romain et Bretagne post-romaine est incarnée par la figure d’Arthur, démarquée de l’Historia Britonnum. En inscrivant chronologiquement l’action de ce personnage dans la succession de personnalités historiques incontestables (tels que Carausius et Maxime),Geoffroy donne le coup d’envoi à une carrière littéraire pluriséculaire. Par contre, la croyance au retour salvateur d’Arthur pour mettre un terme aux déboires des Bretons, pourtant amplement attestée par des témoignages contemporains, ne trouve pas place dans l’HRB, ce qui a d’ailleurs permis aux Plantagenêts de la récupérer ultérieurement à leur profit, à partir de la découverte de sa tombe (1191) à Glastonbury. Ce sont ici Cadwaladr et Cynan (alias Conan Mériadec),

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déjà associés auparavant dans la littérature poétique galloise, qui sont porteurs de ces aspirations.

7 Le chapitre 6 (« Magnus Maximus and the Colonization of Brittany ») dans lequel KJ explore les tenants et aboutissants de la légende de Conan constituerait, si cela était encore nécessaire, une raison supplémentaire de recommander ce livre aux lecteurs des ABPO. Ce chapitre fait en effet fort utilement bénéficier le public anglophone des apports de la recherche régionale au cours des trois dernières décennies, à la suite notamment de la publication des Origines de la Bretagne par Léon Fleuriot (1980). Relevons, au passage, la savoureuse expression « Breizo-latin » forgée par KJ pour qualifier les textes hagiographiques qui, comme les Vitae de saint Gurthiern et de saint Goueznou, ont alimenté les discussions sur l’existence éventuelle de traditions pré- galfridiennes en Bretagne. Voici un élégant néologisme, garant de la familiarité de l’auteur avec ce dossier complexe ! Sa contribution (« la matière de Bretagne que Geoffroy de Monmouth n’a pas utilisée : les mythes d’origine des royaumes gallois médiévaux ») à l’ouvrage collectif dirigé par Magali Coumert et Hélène Tétrel, Histoires des Bretagnes – 1. Les mythes fondateurs, Brest, CRBC, 2010, apporterait une illustration récente de la collaboration engagée depuis des années par KJ avec les spécialistes de la question dans les centres de recherche de la région. C’est pourquoi, il serait injuste de part du signataire du présent CR de tenir rigueur à l’auteur de n’avoir retenu dans la bibliographie correspondante aucun titre des publications françaises dont ce chapitre est à juste titre tributaire. Il est permis toutefois de regretter que des contraintes éditoriales (aisées à comprendre) ne lui aient pas laissé la possibilité de faire état de ces échanges fructueux, d’autant que Karen Jankulak ne manque pas, avec délicatesse, de rendre hommage dans son avant-propos à la mémoire du professeur Gwénaël Le Duc à qui ce livre est amicalement dédié.

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Bernard Merdrignac, Hervé Bihan et Gildas Buron (dir.), À travers les îles celtiques Per insulas scotticas. Mélanges en mémoire de Gwénaël Le Duc

Magali Coumert

RÉFÉRENCE

Bernard Merdrignac, Hervé Bihan et Gildas Buron (dir.), Des paroisses de Touraine aux communes d’Indre-et-Loire : la formation des territoires, Britannia monastica 12 – Klask, Rennes, 2008, 502 p.

1 Cet ouvrage est dédié à la mémoire du professeur Gwénaël Le Duc qui s’est éteint en 2006, à l’âge de 55 ans. Il rassemble les contributions des « collègues, disciples et amis » et tire son unité de la personnalité du défunt. Ses centres d’intérêt éclectiques sont détaillés par la bibliographie initiale, qui rappelle que Gwénaël Le Duc édita et étudia aussi bien des textes en moyen breton et en breton moderne, que des vies de saint et des chroniques latines du Moyen Âge.

2 2La première partie rassemble des études consacrées aux « mythes et traditions », étudiés dans les traditions populaires de langue celtique (C. Sterckx, D. Boekhoorn, G. Hily, J. Belz, A. Mouradova et D. Giraudon). La deuxième partie « En quête de sources : textes et manuscrits » propose une étude de textes littéraires (Peredur par J.-C. Lozac’hmeur, Le Livre des faits d’Arthur par A.-Y. Bourgès), des éditions (7 feuillets du Chronicon Briocense par A. Le Huërou, la Vie latine de saint Goulven par Y. Morice), ainsi que deux études sur les manuscrits armoricains (L. Lemoine et J.-L. Deuffic). La troisième partie, « Histoire et hagiographie » comprend des études sur les sociétés chrétiennes de l’antiquité tardive (S. Kernéis), du haut Moyen Âge (M. Debary) et des années 1970 (D. Le Doujet), sur les confins fabuleux (F. Kurzawa et J. Wooding), ainsi que sur la composition des vies de saint médiévales (M. Simon, B. Merdrignac, K. Jankulak et P. Walter). La quatrième partie, « Mots et noms propres » rassemble des

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études de toponymie (P.-Y. Lambert et E. Vallerie) ainsi que de pratiques langagières (J.-Y. Le Moing, J.-C. Cassard et E. Guillorel). La cinquième partie reprend les contributions consacrées au moyen-breton (H. Le Bihan et G. Kervella) et au breton prémoderne (G. Le Menn et H. Seubil Kernaudour). La dernière partie mêle souvenirs personnels (A. Bourgès, P. Riché et F. Kerlouégan) et quête identitaire et linguistique contemporaine (G. Denis et M. Nicolas).

3 3On l’aura compris, la diversité des intérêts du dédicataire se retrouve dans ce volume foisonnant, dont les articles paraissent avant tout suggestifs des différents domaines de recherche évoqués. L’éclectisme du volume, allié à son trilinguisme (français, breton et anglais) rendent d’autant plus appréciable, pour le lecteur, le classement thématique opéré par les éditeurs et les résumés trilingues de chaque contribution donnés à la fin du volume.

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DALARUN, Jacques (dir.), François d’Assise Ecrits, Vies, Témoignages

Bernard Merdrignac

RÉFÉRENCE

Paris, Édition du VIIIe centenaire/Cerf, coll. « Sources franciscaines », 2010, (2 vol.).

1 Pour marquer le huitième centenaire de la fondation de l’ordre franciscain, les éditions franciscaines et les éditions du Cerf se sont associées pour lancer la collection des « Sources franciscaines » dans laquelle paraissent ces deux superbes volumes qui présentent un corpus élargi des écrits de François d’Assise, les premières Vies de celui- ci et les témoignages contemporains qui dessinent la figure de saint François. Formellement, l’ouvrage est une parfaite réussite pour un prix relativement modique (plus de 3400 p. pour 90 €) qui s’adresse autant aux spécialistes de la « question franciscaine » – qui s’attachent à scruter les contradictions entre sources de nature diverse − qu’à un plus large public cultivé en quête de spiritualité. D’ailleurs, cet ouvrage monumental a été précédé dans la même collection de trois livres de format plus modeste1, comme autant de tirés à part puisque leur teneur est bien entendu reprise dans ce nouveau Totum.

2 En effet, depuis quarante ans on désigne ainsi le livre publié en 1968 aux éditions franciscaines, par les frères T. Desbonnet et D. Vorreux sous le titre Saint François d’Assise. Documents, écrits et premières biographies, dans lequel l’essentiel des sources franciscaines était rassemblé en traductions françaises et assorti d’instruments de travail (index et concordances) qui ont largement contribué et à la diffusion du message du Poverello comme à l’essor de la recherche. Par sa structure, ses introductions, ses annexes, la réédition revue et augmentée (1 500 p., en un format très maniable) de 1981 à l’occasion du huitième centenaire de la naissance de Francesco di Bernardone a continué de rendre de grands services. Mais entre-temps le succès de ce

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travail a suscité à l’étranger la publication d’anthologies dans diverses langues (italien, anglais, espagnol, allemand, polonais, etc.), conçues sur le même modèle. Celles-ci ont pu prendre en compte les avancées de la recherche que leur prototype français, a d’ailleurs, en grande partie initiées.

3 C’est pourquoi une nouvelle édition française ne pouvait plus être une simple actualisation du « livre bleu » des frères T. Desbonnet et D. Vorreux. « La véritable fidélité à leur enseignement ne consistait pas à figer leur œuvre ni à la replâtrer, mais à tenter d’offrir aux lecteurs ce que les deux savants auraient souhaité produire aujourd’hui » souligne, en introduction, J. Dalarun qui s’est chargé de la coordination de cette entreprise monumentale. C’est ainsi qu’un véritable travail collectif a été réalisé à l’occasion des séminaires qui se sont tenus durant trois ans sous la direction de ce spécialiste de l’histoire des textes. Signe des temps : les religieux, commanditaires de l’ouvrage, ont su s’effacer devant une équipe de chercheurs reconnus à qui une entière liberté scientifique a été accordée. L’ouverture internationale de l’entreprise a donné lieu à la participation de chercheurs américains engagés dans le projet de présentation exhaustive des sources franciscaines initié par le Franciscan Institute de St. Bonaventure University. Le soutien de la Scuola superiore di studi medievali e francescani de la Pontificia Università Antonianum (Rome) et celui du Collegio San Bonaventura (Grottaferrata) a permis aux traducteurs de travailler en avant-première sur l’édition critique latine des écrits de François d’Assise.

4 Aujourd’hui, en effet, la traduction des sources médiévales (latines, pour l’essentiel, dans le cas présent) est la principale « raison sociale » du métier d’historien. On doit souscrire à la formule percutante de J. Dalarun : « traduire est la métaphore du paradoxe historique » qui revient à « représenter » (c’est-à-dire rendre à nouveau présent) un passé définitivement enfui. Dans cette optique, une quinzaine de spécialistes du latin médiéval (philologues, historiens, philosophes, théologiens) ont repris à nouveaux frais les traductions françaises de tous les textes. En principe, dans un souci de cohérence globale, chaque traducteur a été relu par un réviseur tandis qu’il était lui-même chargé de revoir un autre traducteur, le coordonnateur reprenant finalement l’ensemble afin de répondre aux exigences actuelles de la recherche. L’objectif n’est pas tant (comme au siècle passé) de viser l’élégance que de serrer au plus près la langue originale, ce qui passe, entre autres, par une attention particulière pour le lexique médiéval. Par exemple, il n’est plus question de rendre uniformément (comme on le faisait généralement) fraternitas, religio et ordo par « ordre », au risque d’estomper la dialectique entre « frères de la communauté » et Spirituels qui sous-tend les sources hagiographiques des XIIIe-XIVe siècles. Pour ne retenir ici qu’une seule illustration de cette démarche, la source latine des célèbres Fioretti a été confiée à A. Le Huërou dont les lecteurs des ABPO ont déjà eu l’occasion d’apprécier plusieurs contributions dans cette revue. Ces Actus beati Francisci et sociorum eius connus des spécialistes depuis plus d’un siècle n’avaient encore jamais bénéficié d’une traduction française. Celle-ci, rigoureuse et subtile, fait ressortir la portée historique de ce document présentant François comme l’alter Christus et justifiant ainsi la position des Spirituels.

5 L’ensemble des sources retenues est ainsi accessible dans une version française adaptée à la nature de chacune, qui entend se faire l’écho de la langue de l’original dans sa rugosité ou dans son élégance, selon le cas. Chaque document bénéficie d’une présentation érudite qui contribue à replacer en perspective production textuelle et

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courants idéologiques dans le cadre de la « question franciscaine ». Comme il se doit, une orientation bibliographie est proposée et des notes détaillées apportent les informations nécessaires sur les lieux et les personnages. Elles mettent de plus en évidence les problèmes de traduction (les jeux de mot, en particulier, délicats à rendre d’une langue à l’autre) et rendent perceptible le caractère mouvant de la transmission manuscrite. En principe les variantes rédactionnelles sont signalées en note. Exemplaire de ces problèmes de réécriture et de leur importance historique, la Vita IIa (« Mémorial ») de Thomas de Celano qui a passé sa vie à composer des biographies de saint François est connue par deux témoins manuscrits qui diffèrent sensiblement. Ces deux versions sont ici présentées sur deux colonnes. C’est le cas aussi de la Lettre aux clercs de François.

6 Remonter aux sources (voire aux « sources des sources ») pour avancer dans la compréhension de François d’Assise implique – en dépit des toutes les difficultés soulevées par une telle option – de présenter chronologiquement les textes dans l’ordre de leur production afin de rendre compte de leur enchaînement. Naturellement, donc, l’ouvrage s’ouvre sur les « Écrits » de François, composés pour l’essentiel entre 1220 et 1226. Tout se passe comme si l’écrit lui servait à fixer « les directives spirituelles » alors qu’il se retire de la « direction des affaires » ; textes autographes puis textes dictés sont répartis selon leur teneur (louanges et prières, règles et exhortations, lettres).

7 La partie centrale du recueil consacrée aux « Vies » et plus largement aux sources narratives adopte aussi autant que possible un classement chronologique dont le présent compte rendu ne peut prétendre exposer la complexité des tenants et aboutissants. Par rapport à l’édition américaine des Francis of Assisi : Early Documents qui reporte en annexe les bulles pontificales, celles-ci sont présentées en interaction avec les légendes sur lesquelles leur influence est ainsi nettement perceptible. L’élargissement des perspectives permet de mettre en relation les diverses Vies composées par Thomas de Celano (dès 1228-1229) et celles composées par Bonaventure (que le chapitre général de 1266 a prétendu imposer) avec des sources précédemment négligées telles que les sources liturgiques (Légende de chœur ; Office de saint François) qui attestent de l’empreinte de François dans l’ordre et les recueils de Miracula qui témoignent de son impact sur la société. L’actualité de la recherche dont certains membres de l’équipe sont les acteurs directs donne lieu à des traductions renouvelées et à des introductions innovantes. C’est le cas de la réévaluation de la Légende ombrienne qui vient d’être attribuée par J. Dalarun à Thomas de Celano et antidatée d’une vingtaine d’années (entre 1237 et 1239). Plus récente encore, la mise au jour fortuite (en 2008, au fond d’une armoire) du Sexdequiloquium (« Discours en seize parties ») de Jean de Roquetaillade place les larges extraits traduits par A. Le Huërou « à la pointe de la recherche sur les auteurs frères mineurs du Moyen Âge tardif », comme le note S. Piron dans la présentation de ce document.

8 La dernière partie rassemblant une abondante sélection de « Témoignages » contemporains permet (dans la mesure des avancées de l’histoire des textes) d’approfondir l’impact de François sur son temps. Entre autres, la mise au jour d’un office grec inédit atteste de son culte en Italie hellénophone. L’intitulé de cette section renonce à l’expression, pourtant généralement reçue, de Testimonia minora. J. Dalarun s’en explique dans l’introduction générale, dans la mesure où ce qualificatif s’applique aux frères « Mineurs » alors que la plupart de ces textes sont précisément extérieurs au courant franciscain. L’adjectif « franciscain » est donc réservé ici à ce qui touche

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François lui-même. Aucune des sources mises en œuvre, en effet, n’utilise le substantif « Franciscain » pour désigner ses disciples. Somme toute, l’ambiguïté sur la « minorité » de ceux-ci n’est-elle pas porteuse de sens ?

9 Les outils de travail qui faisaient la force du premier Totum des frères T. Desbonnet et D. Vorreux ont été repris et actualisés. En annexe, une indispensable « chronologie de la vie et du culte de saint François » ne fait pas double emploi avec les biographies publiées simultanément par certains membres de l’équipe éditoriale2. Un tableau généalogique (simplifié) des Légendes franciscaines s’appuie sur des tables de concordance entre les Vies de saint François amplement enrichies (notamment en ce qui concerne les écrits de frère Léon, secrétaire de François) qui permettent de suivre l’évolution des motifs et leur circulation d’un texte à l’autre. Un « petit dictionnaire des sources franciscaines » constitue à la fois un répertoire des sources retenues dans l’ouvrage et une présentation de celles qui ont du être écartées. Un index des lieux et des personnes complète cet ensemble.

10 Les cartes qui figuraient dans l’édition de 1968 du Totum avaient disparu malencontreusement des rééditions suivantes. Celles qui sont reprises ici (Italie et Assise ; Ombrie et Marche) ont le charme désuet de la fin des années soixante de la seconde moitié du XXe siècle. Toutefois on peut aussi trouver qu’elles datent quelque peu et le regretter. Par contre, les techniques actuelles de l’édition permettent d’envisager la fabrication d’un CD-Rom reprenant (avec leurs traductions anglaise et française) les sources latines qu’il était matériellement impossible d’intégrer à l’ouvrage. On attendra donc avec impatience la sortie annoncée de cet indispensable complément. Est-il permis d’espérer que celui-ci prenne en compte les représentations figurées (fresques peintures sculptures vitraux émaux) dans la mesure où celles-ci dépendent souvent des textes dont les artistes et leurs commanditaires se sont inspirés, comme l’explique dans la préface A. Vauchez ? Celui-ci rappelle cependant qu’il s’agit d’un domaine dans lequel la recherche est moins avancée. Il en est de même des « Légendes en langue vulgaire » sur lesquelles la notice de M. Boriosi, dans le « Dictionnaire », attire l’attention.

11 En somme, c’est encore la question de la circulation entre le latin de l’Église et sa traduction qui refait surface en conclusion de ce compte-rendu. Pour revenir sur ce sujet crucial, la Compilation d’Assise se fait l’écho, sans doute par l’intermédiaire du frère Léon de la parole de François qui au « chapitre des Nattes » (1221) proclame que le Seigneur a voulu qu’il soit unus novellus pazzus (« un nouveau fou ») rafraîchissant et actualisant par un triple italianisme le message de saint Paul dans la Ière épître aux Corinthiens sur la « folie de la croix ». Cette irruption savoureuse de la langue vulgaire pour faire ressortir les valeurs positives de la nouveauté avait été mise en relief par J. Le Goff, dès 1981, dans une communication sur « Franciscanisme et modèles culturels du XIIIe siècle » qui démontrait en quoi « le caractère nouveau de François et de son ordre » avait marqué les contemporains alors que s’estompait « la condamnation traditionnelle de la nouveauté ».

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NOTES DE FIN

1. LE HUËROU, A., DALARUN, J., LEGENDRE, O., À l’origine des Fioretti. Les Actes du bienheureux François et de ses compagnons, 2008 ; POIREL, D., DALARUN, J., Thomas de Celano, Les Vies de saint François, 2009 ;DALARUN, J., François d’Assise vu par les compagnons, 2009. 2. VAUCHEZ, A., François d’Assise : entre histoire et mémoire, Paris, Fayard, 2009 ; VAUCHEZ, A., François d’Assise : entre histoire et mémoire, Paris, Fayard, 2009 ; DELMAS- GOYON, F., François d’Assise, le frère de toute créature, Collège des Bernardins, École cathédrale, cahier n° 85-86, 2008.

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Chédeville, André, Pichot, Daniel (dir.), Des villes à l’ombre des châteaux Naissance et essor des agglomérations castrales en France au Moyen Âge

Bernard Merdrignac

RÉFÉRENCE

PUR, Rennes, 2010.

1 Voici au moins une trentaine d’années que les historiens du Moyen-Âge s’interrogent sur le binôme « château/bourg ». Dans la foulée des premières rencontres de Flaran, initiées en 1979 par Charles Higounet sur le thème « Châteaux et peuplement en Europe occidentale du Xe au XVIIIe siècle », André Debord avait conçu, en 1993 un projet d’Atlas des bourgs castraux en France. Son décès en 1996 (puis celui de Bernadette Barrière qui avait repris le dossier en 2000) ont différé la réalisation de cette ambitieuse entreprise collective, comme le rappelle André Chédeville dans l’introduction du présent ouvrage.

2 À l’occasion des manifestations organisées en 2008-2009 par la ville de Vitré pour commémorer ses Mille ans d’Art et d’Histoire1, s’est tenu, les 16 et 17 octobre 2008, un colloque national organisé par la municipalité au « Centre culturel Jacques Duhamel » avec le soutien du Centre de Recherches Historiques de l’Ouest (UMR 6258 CNRS CeRHIO-Rennes 2). Ces deux journées d’études intitulées « Les villes à l’ombre des châteaux : naissance et essor des villes castrales en France au Moyen Âge » se sont fixé pour objectif de « faire le point sur un phénomène historique majeur, souvent cité mais finalement inégalement étudié ». Les délais restreints de publication des Actes de ce colloque de Vitré dans la collection « Archéologie et Histoire » des PUR sont dus à la diligence d’André Chédeville et de Daniel Pichot qui ont coordonné les contributions des vingt et un spécialistes réunies ici. Jusqu’à ses derniers moments, André Chédeville a suivi attentivement la progression de l’ouvrage. À peu de jours près, son décès, en juin 2010, ne lui a pas permis de voir l’aboutissement d’un recueil de travaux qui

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constitue aussi un hommage à la mémoire de ce spécialiste internationalement reconnu de l’histoire des villes.

3 La substitution dans le titre de ces Actes de l’expression « agglomérations castrales » au concept de « villes castrales » mis au programme du colloque rend compte de la question de fond soulevée par celui-ci : « En quoi le château fait-il la ville ? » En effet, « pour présenter souvent des caractères urbains », le burgus ne devient pas systématiquement une ville Au regard des réalités médiévales « floues et paradoxales », la distinction « ville/non ville » n’est guère opératoire dans la mesure où il n’est pas facile de définir d’hypothétiques critères d’urbanité avant la fin du Moyen Âge. Comme l’indiquent en introduction les initiateurs du colloque, il faut souvent les XIVe- XVe siècles pour voir apparaître distinctement « beaucoup de ces phénomènes ». Alors que le château n’est plus qu’un élément de l’enceinte urbaine, « les villes castrales jouent souvent pour la dernière fois un rôle conforme à leur vocation militaire initiale » avant de passer pour des « villes ordinaires qui constituent encore de nos jours l’essentiel du réseau urbain secondaire ».

4 Plusieurs intervenants (B. Cursente, J.-L. Fray, J. Lusse, entre autres) rappellent ici que la définition du « bourg castral » par André Debord comme « une agglomération des hommes autour d’un château majeur dont le détenteur détient à un titre ou à un autre le droit de ban » s’inscrivait dans les spéculations de la fin du XXe siècle sur une « mutation féodale » rapide et brutale autour de l’an mil, à présent considérées comme dépassées au profit d’une appréciation plus nuancée de ces évolutions. Certains exemples évoqués ici sont incontestablement des villes : Caen présenté comme une « réussite » par F. Neveu ; Montbéliard qualifiée de « ville multiple » par A. Bouvard ; Montpellier dont le « développement multiple » analysé par M. Bourin a connu un « succès exceptionnel ». Toutefois, prudemment, beaucoup d’auteurs parlent plutôt « de bourgades, de bourgs ou d’agglomérations ». La plupart des communications mettent l’accent sur deux facteurs des dynamiques sociales et politiques qui contribuent à problématiser le fait urbain. Le bourg castral est évidemment le centre d’un pouvoir politique dans la mesure où le château est le « siège du ban ». Les activités économiques qui s’y développent renforcent le caractère urbain de ces localités. L’organisation religieuse est moins souvent prise en compte, cependant « paroisses, prieurés, collégiales » jouent aussi un rôle « fondamental ». En définitive, le recours au modèle géographique des « places centrales » contribue à dégager des critères de centralité permettant d’appréhender la « ville castrale » en tant qu’un « paysage organisé, une société et un centre », suivant la définition de la ville proposée dans l’ Histoire de l’Europe urbaine, parue en 2003 sous la direction de Jean-Luc Pinol. Ces diverses fonctions contribuent à structurer un territoire et surtout un réseau urbain qui, au terme d’une longue évolution, a recouvert l’espace français d’un maillage de villes secondaires appelé à perdurer.

5 Le présent compte-rendu ne saurait avoir la prétention de résumer chacune des études régionales réunies dans cet ouvrage collectif : Anjou de N.-Y. Tonnerre, Auvergne de J. Teyssot et R. Pommier, Champagne de J. Lusse, Gascogne de B. Cursente, Bas Languedoc de M. Bourin, Lorraine de J.-L. Fray, Normandie de F. Neveu, Bas Poitou de C. Jeanneau, moyenne vallée du Rhône de P.-Y. Laffont, Savoie de J.-P. Leguay, etc. Au-delà des caractères généraux communs à ces agglomérations dans leur morphologie, leurs structures politico-religieuses et leurs activités commerciales, la confrontation des recherches en cours à la lumière des récentes découvertes archéologiques fait

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apparaître de notables différences à commencer par la datation du phénomène castral qui oscille du XIe siècle pour le grand Ouest jusqu’au XIIIe siècle pour la Champagne ou la Franche-Comté, par exemple. On ne peut donc plus tabler sur une phase unique de peuplement qui coïnciderait avec une éventuelle « mutation châtelaine ». Ce bilan novateur (quoiqu’encore partiel) commande le plan de ces Actes. « L’exemple breton », abordé dans une première partie, prend tout son relief par rapport à « un habitat castral divers : du village à la ville », présenté dans une seconde partie tandis que la partie suivante est consacrée aux « villes castrales » à proprement parler, qui s’affirment comme de véritables villes dès la fin du Moyen Âge. L’ouvrage se termine sur une quatrième partie qui approfondit la réflexion sur la naissance et le développement de ces entités : « les villes castrales : évolution et pérennité »…

6 Le réexamen du cas breton dans ce contexte invalide définitivement le modèle qu’avait imposé à la fin du XIXe siècle le grand historien Arthur de La Borderie, notable vitréen de surcroît ! Selon ce dernier (à qui il arrive encore parfois d’être repris de nos jours), les ducs du XIe siècle auraient confié à des chefs bretons « pur sang » la garde d’une ligne de forteresses afin d’assurer la protection de la marche orientale de la Bretagne. Imbu de ses opinions régionalistes, La Borderie ne s’était pas gêné pour occulter la mise au jour à Vitré d’une nécropole attestant d’un peuplement antérieur susceptible de remettre en cause l’idée d’une fondation ex nihilo. L’étude de D. Pichot retrace à nouveau frais l’histoire des origines et de l’évolution sur la longue durée de la ville et de son château. Les observations de F. Fromentin sur les analyses en cours des apports fouilles archéologiques du château et de la ville viennent conforter cette approche historique. Au début du XIIIe siècle, avec sa nécropole cachée, ses lieux de culte, son prieuré de Marmoutier, ses bourgs, son puissant lignage et son château et enfin sa très précoce enceinte à la française, Vitré est bien emblématique des agglomérations « polynucléaires » caractéristiques de l’Ouest (par opposition à l’habitat groupé de l’ incastellamento méridional). On retrouve ce même type d’agglomérations à l’intérieur du duché, par exemple dans le cas de Morlaix ou de Guingamp. C’est ce qui confère tout son intérêt à la typologie d’une trentaine de bourgs castraux répartis en Basse Bretagne présentée par P. Kernevez et R. Le Gall-Tanguy à partir des observations de terrain, des archives et des plans anciens (ceci explique, probablement, une aimable coquille qui se relève au passage dans le titre de la carte des « bourgs « cadastraux » de Léon, Cornouaille et Trégor » dressée par R. Le Gall-Tanguy !). Voici trois communications très denses qui trouvent leur prolongement logique dans la synthèse sur « les villes castrales bretonnes au XVe siècle » que J.-P. Leguay se charge de brosser à la suite des réflexions de J.-C. Meuret sur « les origines et des débuts des villes de la marche bretonne ». Cette dernière contribution qui confronte les données historiques et archéologiques fait ressortir, entre autres, que le cas exemplaire de Vitré n’est pas isolé. La plupart de ces villes se sont développées à partir d’établissements antérieurs qualifiés par l’auteur de « protovilles », dans la mesure où les édifices en pierre associés à notre conception de la ville n’y trouvaient pas leur place. Au passage, on peut retenir la remarque selon laquelle la maîtrise de l’architecture de la pierre par les abbayes ligériennes a peut-être été l’une des raisons pour les seigneurs locaux de faire appel à elles pour fonder les prieurés qui ont contribué à la naissance des bourgs. Sur un plan plus général, une approche comparative de la situation tant du côté de la Bretagne que de celui du Maine permet d’élargir les perspectives et de renouveler en partie celles-ci. Dans un premier temps l’éloignement du pouvoir comtal facilite, de part et d’autre, l’émergence de pouvoirs locaux plus forts et de seigneuries plus étendues associés à des

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échanges particulièrement actifs. Ce n’est qu’ultérieurement, qu’à leur tour, ducs et comtes tirent parti de cette situation pour renforcer leurs positions frontalières.

NOTES DE FIN

1. Il convient de mentionner d’autre part, la sortie dans le cadre des festivités du millénaire de cette « Ville d’art et d’histoire » du livre de D. PICHOT, V. LAGIER et G. ALLAIN, Vitré. Histoire et patrimoine d’une ville, Paris, Somogy, 2009, qui présente trois cents documents iconographiques en couleurs consacré au patrimoine de Vitré.

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VISSIÈRE, Laurent, Sans poinct sortir hors de l’orniere. Louis de La Trémoille (1460-1525)

Franck Mercier

RÉFÉRENCE

Honoré Champion, Paris, 2008, 613 p.

1 Issu d’une thèse, l’ouvrage entreprend de retracer l’itinéraire de l’un des plus fameux capitaines de guerre de la Renaissance qui passe également, aux yeux de certains, pour le fossoyeur de l’indépendance bretonne : Louis II de La Trémoille († Pavie, 24 février 1525). Avec l’ambition déclarée d’écrire une « véritable biographie scientifique » (p. 25), l’auteur s’attache à sortir la figure de Louis de La Trémoille de l’ombre dans laquelle l’a curieusement maintenue l’historiographie. Il faut dire que ce « courtisan de haut-vol », ce « vétéran des guerres d’Italie » qui réussit à traverser sans dommages trois règnes successifs (Charles VIII, Louis XII et François Ier) a paradoxalement souffert de la médiocrité de son principal thuriféraire, Jean Bouchet. Son Panegyric, composé en 1527, a, d’une certaine façon, pétrifié La Trémoille sous les traits idéalisés d’un héros épique. Il faut savoir gré à l’auteur d’avoir su dégager son personnage de cette épaisse gangue mythologisante pour essayer de dresser, au plus près possible des sources, un portrait critique et nuancé de Louis de La Trémoille. L’habile exploitation d’une vaste documentation qui ne se limite pas au Panégyric mais englobe les archives personnelles de Louis II (lettres, livres de compte, etc.) miraculeusement conservées dans le chartrier de Thouars (Archives Nationales, 1 AP) autorise une double approche biographique qui se traduit dans la structure de l’ouvrage : celle-ci comprend deux parties : la « vie officielle de Louis II, de la naissance à la mort », une seconde partie axée sur « son intimité, son art de vivre et de penser » (p. 25).

2 La première partie, de facture assez classique, suit ainsi le personnage du berceau à la tombe. Issu d’une lignée prestigieuse mais déclinante de la noblesse poitevine, Louis de

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La Trémoille reçut d’emblée pour mission de redresser une situation compromise par les déboires de ses prédécesseurs. Ce redressement devait passer par un mariage, de raison autant que d’amour, avec une princesse de sang royal, Gabrielle de Bourbon, et surtout par une présence active à la cour. Ses débuts à la cour de France (1484-1485) sont parrainés par les Beaujeu qui l’utilisent, notamment au Conseil du roi, pour contrer l’influence du parti des Orléans. Ce sont surtout les guerres de Bretagne qui permettent à Louis de La Trémoille de « percer » : après l’échec d’une première tentative en 1487, le roi de France, Charles VIII relance les opérations l’année suivante en confiant à La Trémoille le commandement de l’armée royale. Ce dernier mène une « vraie guerre de conquête » (p. 82) fondée sur l’occupation systématique des marches orientales bretonnes défendues par un « chapelet de places fortes ». On sait comment l’armée ducale, péniblement rassemblée par François II, fut anéantie sur le champ de bataille de Saint-Aubin-du-Cormier (28 juillet 1488). L’auteur n’apporte pas de révélations essentielles sur cet épisode et infirme, à la suite de La Borderie, la légende noire d’un La Trémoille implacable à ses ennemis. Il faut cependant attendre la fin de l’année 1491 pour que la duchesse Anne, acculée à la défaite, finisse par se résigner au mariage français. On ne s’étonnera pas que Louis II ne fut pas invité à la noce : « la future reine de France ne pardonnait sans doute pas les injures faites à la duchesse de Bretagne » (p. 105). Quoi qu’il en soit, les longues années de guerre contre le duché de Bretagne, entrecoupées de trêves fourrées, ont permis à La Trémoille de s’imposer comme l’un des meilleurs lieutenants du roi. Les avantages retirés (matériels ou honorifiques) restent cependant limitées : l’auteur note même que sa première campagne de 1488 « lui aurait peut-être même plus coûté que rapporté » (p. 98). Dans la course aux charges, La Trémoille obtint cependant un certain nombre de compensations non négligeables, comme la capitainerie de Fougères ou celle de Nantes, qui en firent « un véritable gouverneur des marches de Bretagne » (p. 106).

3 Les ambitions italiennes de Charles VIII vont cependant lui ouvrir d’autres horizons. Entraîné malgré lui dans les guerres d’Italie, Louis II participa, sans succès notable, à plusieurs ambassades auprès de l’empereur et du pape. Il excella davantage sur le terrain militaire (prise de la place forte de Monte San Giovanni, février 1495). Le retour en France, entravé par le relief et la nécessité de livrer de durs combat, comme celui de Fornoue (6 juillet 1495), s’avéra plus difficile que prévu : La Trémoille y perdit une bonne partie de ses biens dont les reliques que lui avaient confié sa femme (p. 131-132). Encore une fois, la mort prématurée du roi Charles VIII (7 avril 1498) ne lui permit pas d’obtenir toutes les récompenses attendues de ses exploits militaires (p. 134). L’auteur consacre un développement original à l’organisation des funérailles du roi en montrant que le protocole cérémonial, élaboré par le grand écuyer Pierre d’Urfé, fut bien plus qu’un moyen d’affirmer la continuité du « roi qui ne meurt jamais » : une manœuvre ultime « des courtisans du feu roi » (comme Louis de la Trémoille) pour manifester « l’unité et la puissance de son hôtel » à la veille d’un bouleversement dynastique de grande ampleur, puisqu’à Charles VIII devait succéder l’un des adversaires de Louis II, Louis d’Orléans. Louis II parvint à négocier ce moment difficile avec une grande habileté au point que c’est paradoxalement sous le règne de Louis XII que La Trémoille « sut donner le meilleur de lui-même et assurer solidement, presque définitivement, sa place de courtisan et de chef de guerre. » (p. 139). Nanti d’une réputation d’éminent capitaine, Louis de La Trémoille reprit le chemin de l’Italie pour y défendre le Milanais. Les campagnes militaires dans le Nord de l’Italie se suivent et ne se ressemblent pas : en 1513, à Novare qu’il assiège à la tête d’une nouvelle armée, il est bousculé par les

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mercenaires suisses qui l’obligent, après de violents combats aux abords du camp français, à repasser les Alpes. Le mythe de son invincibilité est alors sérieusement entamé et la disgrâce royale ne tarde pas à l’atteindre sous la forme d’une relégation en Bourgogne qu’il doit maintenant protéger contre les Suisses et les Impériaux (septembre 1513). La mort de Louis XII (1er janvier 1515) – tout à ses préparatifs de reconquête du Milanais - le prend encore une fois par surprise, mais non pas au dépourvu. Louis II a suffisamment d’assise à la cour pour négocier sans mal la succession politique, tant il maîtrise désormais « cet art de la transition politique sans heurt » (p. 238). Celui qui est devenu « l’un des plus vieux et des plus fidèles serviteurs de la monarchie » (p. 237) prépare activement sa succession avec son fils Charles, mais la mort inopinée de celui-ci à la bataille de Marignan bouleverse ses plans : « Mieulx seroit (comme il me semble), qu’il fust demouré sans pere que moy sans filz », aurait déclaré La Trémoille à François 1er (p. 250). La pérennité de la lignée ne tient plus qu’au fil fragile de la vie de son petit-fils, François. Est-ce pour cette raison que Louis II s’empressa de se remarier avec Louise de Valentinois, fille de César Borgia (âgé de 17 ans, il en a 56…) ? Précipité à grand renfort de dispenses ecclésiastiques, ce mariage le rapprochait avantageusement de Louise de Savoie, la mère du roi de France, sans pour autant lui donner l’héritier qu’il en espérait car le couple demeura stérile. Tout occupé à parader au camp du Drap d’or ou à guerroyer contre les Impériaux, Louis II ne surveille que d’assez loin ses affaires familiales, en particulier le mariage de son petit- fils avec la fille du comte de Laval (22 février 1522). On doit à l’auteur de belles trouvailles documentaires comme cette lettre de François à son grand-père, « témoignage assez stupéfiant sur un mariage d’amour entre deux jeunes gens de seize ans environ », dans laquelle il « jauge » sa future épouse, (p. 277) : « J’ay bien regardé partout, et la treuve tarblemant à ma fanstesye », (p. 278). Le romanesque s’arrête là, car la préoccupation principale est bien devenue celle de la descendance, et les « Amours » sont d’autant mieux flattés ici qu’ils sont réputés faciliter la procréation… Vieillissant, Louis II a encore le temps d’organiser la défense de la Picardie contre les Anglais (en septembre 1523) tandis que le roi rassemble une nouvelle armée pour passer en Italie. La rencontre de Pavie lui est pourtant fatale, alors que le vieux capitaine aurait fort bien pu se tenir à l’écart des combats. Son corps est recueilli sur le champ de bataille (grâce à un signe de reconnaissance) et embaumé à Pavie avant d’être renvoyé en France.

4 Au-delà de la carrière politique et militaire de Louis de La Trémoille, la seconde partie de l’ouvrage ouvre aussi la voie à une histoire plus quotidienne, plus intimiste aussi, comportant une étude du serviteur de la monarchie, à la guerre comme à la cour, le portrait d’un grand féodal attaché à l’administration de ses domaines, enfin, quelques tranches de vie quotidienne, liées aux soins du corps et de l’âme, aux divertissements, etc. L’un des principaux intérêts de cette étude est précisément de pouvoir très concrètement, au plus près des documents comptables, saisir ces aspects : « Ce ne sont pas les habitudes du personnage qui sont exceptionnelles, mais le fait que l’on ait conservé ses comptes » (p. 326). Adossée à l’ensemble de la documentation disponible, et surtout à la correspondance de La Trémoille, cette volonté d’éclairer la dimension plus privée du personnage n’empêche pas certaines redites (à propos, par exemple, des compétences militaires de Louis II), mais participe pleinement du projet biographique de mise en valeur de l’individu. L’auteur a pleinement conscience des difficultés de l’entreprise et sollicite toujours ses sources avec beaucoup de finesse et de prudence. En ce sens, le pari initialement posé d’écrire une biographie scientifique est

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parfaitement tenu. La rigueur de la méthode n’enlève rien à l’extrême agrément que l’on prend à la lecture d’un ouvrage qui s’impose d’emblée comme un modèle du genre.

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Pic, Augustin et Provost, Georges (dir.), Yves Mahyeuc, 1462-1541. Rennes en Renaissance

Bernard Merdrignac et Georges Provost

RÉFÉRENCE

Rennes, PUR, 2010, 365 p.

1 Originaire de Plouvorn en Léon, le Dominicain Yves Mahyeuc a été promu évêque de Rennes en 1507 sur les instances d’Anne de Bretagne dont il était le confesseur. L’austérité de son mode de vie et la charité envers les déshérités dont il témoigna durant son épiscopat lui ont valu de laisser à sa mort en 1541 une « réputation de sainteté ». Au XVIIe siècle, l’évêque Pierre de Cornulier (1619-1639) fit procéder en 1637 à un procès informatif sur « les vertus et les miracles » de son prédécesseur à la requête du chapitre cathédral et du couvent dominicain de Bonne-Nouvelle. Complété en 1684-1685 par une trentaine de témoignages supplémentaires « sur ses miracles », l’ensemble fut adressé à Rome à la demande des États de Bretagne. La rigidité et la lenteur des procédures canoniques et surtout, sans doute, en l’occurrence, la prolongation du chantier pluriséculaire de reconstruction de la cathédrale inauguré par Yves Mahyeuc peu avant son décès (Daniel Leloup, « Rennes au temps d’Yves Mahyeuc : une ville entre gothique et Renaissance ») n’ont pas permis à ce procès en béatification d’aboutir. Au reste, ces difficultés n’ont rien d’exceptionnel. Sur une quinzaine d’évêque gratifiés d’un culte plus ou moins spontané entre 1430 et 1540, un seul a été béatifié par Rome (Jean-Michel Matz, « sainteté épiscopale en France XVe- début XVIe siècle »). Toutefois, comme le souligne pertinemment Georges Provost, l’un des organisateurs du colloque qui s’est tenu à Rennes en novembre 2007, ce sont bien la « permanence discrète » de la fama sanctitatis du « serviteur de Dieu » et sa résurgence périodique dans la mémoire collective rennaise qui ont permis, à l’occasion du cinquième centenaire de sa consécration épiscopale, de réunir Église catholique,

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collectivités locales, archives, bibliothèques et chercheurs universitaires de tous horizons pour faire le point des recherches sur Yves Mahyeuc dont le présent ouvrage atteste de la fécondité. En effet, si ce personnage, somme toute méconnu, n’a pas livré tous ses secrets, celui-ci sort métamorphosé de la redécouverte dans les archives romaines des pièces de ce procès – dont des extraits sont ici traduits en annexe par Augustin Pic – et de la reprise, sous tous les angles, de documents variés (archives et ouvrages imprimés, mais aussi gravures, manuscrits enluminés), sans oublier la célèbre verrière de l’Annonciation à La Guerche qui comporte le seul portrait exécuté du vivant de l’évêque (Roger Blot, « Yves Mahyeuc et la chapelle de Tous-les-Saints à la collégiale de La Guerche »), non plus que l’unique traité théologique du futur évêque de Rennes à nous être parvenu.

2 L’un des « scoops » du colloque, pour reprendre une expression de Jean-Marie Le Gall qui s’est chargé d’en tirer les « conclusions », a été la communication du dominicain Bernard Hodel (« Magister Yvo : l’un et l’autre Yves Mahyeuc »). À partir d’un certain nombre de documents nouveaux tirés des actes de convocation de la congrégation de Hollande et des registres des maîtres généraux de l’ordre, cette contribution remet en question la biographie traditionnelle de l’évêque de Rennes fondée sur « La vie du bien- heureux père f. Yves Mayeuc » par Albert Le Grand dans ses Vies des saints de Bretagne Armorique (1636). Les incohérences chronologiques quant aux dates d’accès aux grades universitaires et aux responsabilités internes dans l’ordre dominicain conduisent en effet Bernard Hodel à supposer l’existence de deux dominicains homonymes (probablement l’oncle et le neveu) ayant poursuivi des carrières analogues (l’épiscopat excepté). Yves Mahyeuc senior, maître en théologie serait resté confesseur d’Anne de Bretagne jusqu’à la promotion d’Yves Mahyeuc junior sur le siège épiscopal rennais en 1507. Ce dernier aurait succédé dans cette fonction à son oncle après le décès de celui-ci à une date inconnue. Cette hypothèse audacieuse a manifestement conduit plusieurs des contributeurs à nuancer, voire à remanier, leur texte définitif. Ainsi Lionel Rousselot (« La Questio perpulchra, une œuvre d’Yves Mahyeuc dédiée à Louise de Savoie ») montre que la teneur de l’unique traité théologique connu du futur évêque de Rennes correspond à « ce que l’on peut attendre d’un confesseur royal ». Mais il fait référence en note aux recherches de Bernard Hodel qui ne permettent pas d’affirmer qu’Yves Mahyeuc exerçait déjà cette fonction lors de la composition de cet ouvrage. En tout cas, il est établi qu’en 1512, c’est bien l’évêque de Rennes qui occupait ce poste. De même, Jean-Christophe Cassard, (« Yves Mahyeuc, dominicain bas Breton devenu évêque de Rennes »), à la suite d’une analyse du récit d’Albert le Grand (à laquelle il procède avec la « prudence » et la « réserve » qui s’imposent) et avant d’aborder l’« ancrage rennais » du prélat d’extraction léonarde, consacre un paragraphe au doute qui « s’est immiscé dans les esprits » à l’occasion du colloque. Tout en admettant qu’un pareil cas de népotisme n’aurait rien d’exceptionnel à l’époque, il relève toutefois, dans les pièces relatives au couvent de Nantes fréquenté par le futur évêque de Rennes, les mentions en tant que prieur et « vicaire substitut de couvents réformés de Bretagne » soit d’Yves « Maieuc », soit d’Yvo Gracilis. Puisque l’adjectif gracilis ne peut être considéré comme la latinisation du patronyme breton Mahyeuc (formé sur l’hagionyme Maioc), ce n’est plus un duo, mais un trio de Dominicains bretons quasiment contemporains, dont Jean-Christophe Cassard propose malicieusement d’envisager l’existence à une génération d’écart. Quant à Bruno Restif (« Un évêque issu de la réforme régulière au temps de la première réforme séculière »), il rappelle d’abord lui aussi la chronologie d’Albert le Grand, tout en faisant état des difficultés que soulève

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celle-ci. Il met en rapport la mention d’Yvo Gracilis, chargé dès 1485 d’introduire la réforme à Auxerre avec celle d’Yves Mahyeuc « confesseur de la reine » nommé en 1504 prieur du couvent provençal de Saint-Maximin pour le réformer, en passant par le « vicaire substitut pour la Bretagne » qui réforme celui de Dinan en 1496 et qui pourrait être l’un ou l’autre (rien n’impliquant d’ailleurs à chaque fois une intervention sur place). Aussi une triple confusion de la part d’Albert le Grand (et des auteurs qui l’ont suivi) paraît-elle « peu plausible » à ce chercheur.

3 L’objet d’une recension ne saurait être d’apporter une solution définitive à une question « qui fut comme l’événement de ce colloque », ainsi que le souligne le frère Augustin Pic, dans son « Avant-propos ». On notera cependant que c’est la date de naissance d’Yves Mahyeuc en 1462 fournie par Albert le Grand qui constitue le nœud du problème. D’expérience, le signataire du présent compte-rendu a pu constater pour sa part que les supputations chronologiques de l’hagiographe du XVIIe siècle sont souvent sujettes à caution. Or Bruno Isbled, en présentant « Yves Mahyeuc à travers les archives rennaises » fait état de la notice rédigée par le jurisconsulte Gilles Becdelièvre (1515-1579) dans le Livre de Raison familial qui enregistre la mort du pieux évêque de Rennes en odeur de sainteté le mardi 21 septembre 1541 (en fait, le 20 septembre) dans la « quatre-vingt-dixième année de son âge » (nonagesimum sue aetatis annum). Certes, on ne peut attendre d’un document du milieu du XVIe siècle la précision d’un acte d’état-civil. Mais voici un témoignage contemporain qui, en incitant à antidater d’une dizaine d’années (soit aux environs de 1452) la naissance d’Yves Mahyeuc par rapport à la chronologie communément reçue, est susceptible de lever les contradictions pointées par Bernard Hodel, tout en faisant l’économie des hypothétiques doublures du « bon Yves » (au double sens de l’adjectif) dont celui-ci invite de ce fait à postuler l’existence. En tout état de cause, l’historicité du « jacobin ami de la duchesse et évêque de Rennes de 1507 à 1541 » est incontestable. Les participants au colloque se sont employés à élargir les perspectives d’une biographie spirituelle encore incertaine sur certains points, en replaçant la mémoire de ce personnage dans le contexte historique de son époque, comme l’indique le sous-titre du livre, Rennes en Renaissance. Le plan de l’ouvrage traduit la démarche adoptée avec succès par les initiateurs de la rencontre. Une première partie intitulée « La mémoire d’un saint » conduit à une deuxième partie présentant le « Frère prêcheur » qui précède logiquement la troisième consacrée à « L’évêque » pour découvrir enfin « L’homme et son temps » dans la dernière partie. Il n’est évidemment ni possible, ni souhaitable de détailler ici la teneur de chacune des études réunies dans ces Actes. On se contentera de mettre l’accent sur les deux termes du sous-titre afin de proposer aux lecteurs des ABPO un aperçu de la richesse de l’ouvrage.

4 Yves Mayeuc apparaît bien avant tout comme « le saint de la cité de Rennes » (Jean- Marie Le Gall). Gauthier Aubert (« Des Rennais ordinaires : Roch, Perrine, Guillemette et les autres, miraculés d’Yves Mahyeuc ») avance même la formule de « « religion civique », à caractère identitaire incontestable ». L’étude fine des bénéficiaires de ses miracles par Georges Provost (« Une ville et son saint : Yves Mahyeuc à Rennes – XVIIe- XIIe siècle ») démontre que ceux-ci s’inscrivent dans un cadre essentiellement rennais qui déborde au sud-ouest du diocèse, c’est-à-dire à proximité du manoir épiscopal de Bruz. Du temps du pieux évêque, celui-ci constituait le noyau de la partie rurale de son régaire et parmi les noms des châtelains et receveurs successifs qui tiennent les comptes de la seigneurie, Bruno Isbled relève celui de Jean Mahyeuc, « frère de

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Monseigneur ». Les archives rennaises laissent en outre percevoir la présence aux côtés de l’évêque d’un petit clan familial originaire de son Léon natal qui l’épaule dans la gestion du diocèse : Pierre Mahyeuc, son neveu ; Hervé Mahyeuc, l’un des chanoines les plus assidus du chapitre (en tant que scolastique) qui lui est sûrement étroitement apparenté ; Goulven Abguillerm, « écuyer de l’évêque », et son exécuteur testamentaire, qui porte un patronyme typiquement léonard et a pour saint patron le seul saint du Léon vénéré à la cathédrale de Rennes. Effet de sources (exemplaire dans ce cas précis) que la « distorsion », soulignée par Jean-Michel Matz, entre les documents hagiographiques évoquant l’aura du prétendant à la sainteté et les actes de la pratique qui mettent en évidence sa préoccupation d’un gouvernement avisé de la cité épiscopale ! Diverses interventions contribuent à préciser le paysage urbain rennais au XVIe siècle. On retiendra les conclusions de Daniel Pichot (« Rennes en 1543 : « portrait » d’une ville ») qui commente le « pourtraict de la ville de Rennes » dans le célèbre Manuscrit de la Vilaine, sans doute réalisé par le peintre Olivier Aulion, peut-être sur commande de la municipalité rennaise. L’artiste donne à voir une cité encore profondément médiévale dans sa conception, même si l’affirmation de la bourgeoisie introduit déjà « une note de modernité ». Bref, « les temps nouveaux ne sont pas marqués par une rupture brutale » et Yves Mahyeuc, comme bien d’autres, aura été « l’homme de ce passage ».

5 On peut donc concéder à Jean-Marie Le Gall que l’évêque de Rennes n’est sans doute pas le prélat le plus « emblématique de la Renaissance ». Toutefois, la complémentarité des travaux des historiens médiévistes et modernistes rassemblés ici confirmerait qu’Yves Mahyeuc est bien un protagoniste actif de la transition entre le Moyen Âge et la Renaissance, « si tant est que ces catégories générales aient un sens » (comme le note au passage Hervé Martin). Partie prenante du « milieu particulier des confesseurs royaux dominicains » (Guy Bedouelle, « Yves Mahyeuc et le milieu humaniste parisien »), celui-ci a des sympathies, en particulier entre 1505 et 1515, pour certains membres (Robert Fortuné, Guillaume Petit, Alphonse Riccius, Geoffroy Boussard) du cercle de Lefèvre d’Etaples (1460-1536) dont il partage − discrètement, il est vrai, « sans jamais apparaître en première ligne » − les aspirations à une réforme de l’Église par la piété, le retour aux sources et l’érudition. Il est en relations avec Jean Clérée (1455-1507) confesseur de Louis XII, puis maître général de l’ordre dominicain, qui est l’un des prédicateurs à succès de cette époque. « Confesseur, et a fortiori confesseur royal, rimait alors avec prédicateur ». Même si aucun de ses sermons n’a été conservé, on peut être assuré qu’Yves Mahyeuc a certainement prêché. C’est pourquoi Hervé Martin (« Quelques réflexions sur l’état de la pédagogie religieuse vers 1500 ») analyse une série de sermons de Carême de son ami Jean Clérée pour mettre en évidence l’efficacité de ces « fruits d’arrière-saison de la machine à prêcher scolastique », revitalisés par la recherche de l’« effet de réel » et la spontanéité des dialogues, anticipant sur « la comédie de mœurs de l’époque moderne ». Yves Mahyeuc était lui aussi pleinement rompu à la méthode scolastique comme le montre l’analyse par Lionel Rousselot de cette Questio perpulchra que l’évêque de Rennes a ressorti de ses dossiers (questionem quam inter cartas et membranas habebas) pour la communiquer à son collègue Alphonse Riccius, confesseur dominicain des officiers du roi, qui la fait imprimer en 1513 pour la gouverne de Louise de Savoie, mère du futur François Ier. La maîtrise des techniques scolastiques de la « question disputée » n’exclut bien sûr aucunement des préoccupations humanistes de la part de l’auteur de ce traité sur le thème de la Fortune. Il convient donc de se garder ici de toute opposition caricaturale entre

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« sorbonagres » rassis et théologiens novateurs dans la ligne de Lefèvre d’Etaples et d’Erasme, à plus forte raison s’il s’agit d’un exercice scolaire rédigé dans la jeunesse de l’auteur, comme le suggère Lionel Rousselot, « pour la conquête d’un grade universitaire ». Le même paradoxe se relève dans ce que l’on peut percevoir du rapport d’Yves Mahyeuc au livre (Sarah Toulouse, « À la recherche de la bibliothèque d’Yves Mahyeuc. Les Dominicains de Rennes et les livres au XVIe siècle »). Cet amateur de manuscrits enluminés à l’instar de sa royale patronne, est cependant responsable de l’implantation pérenne de l’imprimerie à Rennes – même si un atelier éphémère est mentionné en 1484 – afin de publier le Liber Marbodi, recueil des poèmes de Marbode († 1123), l’un de ses lointains prédécesseurs sur le siège épiscopal de Rennes (Malcolm Walsby, « Yves Mahyeuc, Jean Baudouyn et l’implantation de l’imprimerie à Rennes »). Ce choix est révélateur. En effet, l’œuvre poétique de Marbode est l’un des fleurons de la « Renaissance du XIIe siècle ». Dès lors, l’Église ne présente plus seulement ce bas monde comme « une vallée de larmes » et déjà point l’espoir d’un futur que l’ancien maire de Rennes Edmond Hervé, dans son discours d’ouverture du colloque, semblait pourtant considérer – avec « beaucoup de précautions » (au moins rhétoriques) – comme spécifique de la Renaissance du XVIe siècle, puis du Temps des Lumières. Le Moyen Âge n’est-il pas, somme toute, qu’un enchaînement de renaissances ?

6 Témoin privilégié de ce glissement de l’époque médiévale à la Renaissance proprement dite, Yves Mahyeuc apparaît aussi (à condition de restituer au personnage son unicité mise à mal par l’hypothèse avancée par Bernard Hodel) comme un des principaux acteurs du demi-siècle au cours duquel le duché de Bretagne était en passe de devenir une province du royaume de France. En tant que directeur de conscience de la jeune duchesse Anne, il aurait contribué, en 1491, comme le rappelle Jean-Christophe Cassard, à dissiper chez sa dévote pénitente les scrupules que son précédent mariage par procuration avec Maximilien suscitait à l’encontre son union avec le roi Charles VIII. En tant qu’évêque de Rennes, il préside en 1532 au couronnement ducal du dauphin François III dans sa cathédrale (Philippe Hamon, « Rennes, 1532 : le dernier couronnement ducal »).

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LAGADEC, Yann, PERREON, Stéphane, HOPKIN, David, La bataille de Saint- Cast (Bretagne, 11 septembre 1758) Entre histoire et mémoire

Philippe Jarnoux

RÉFÉRENCE

Rennes, PUR/Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 2009, 451 p., 22 €.

1 Comment peut-on encore aujourd’hui faire de « l’histoire-bataille » ? Comment peut-on espérer apporter des nouveautés à la connaissance historique en observant à nouveau des événements déjà souvent décrits ? Comment un petit affrontement militaire comme celui de Saint-Cast en 1758 peut-il encore intéresser ? C’est ce que ce livre essaie de montrer et c’est le pari que voulaient relever Yann Lagadec, Stéphane Perréon et David Hopkin en livrant cette étude au sous-titre évocateur « Entre histoire et mémoire ».

2 L’objet de l’ouvrage est un modeste épisode de la guerre de Sept Ans, la descente des troupes anglaises sur les côtes de la Bretagne entre Saint-Lunaire et Saint-Cast du 4 au 11 septembre 1758, descente qui s’achève par un véritable mais bref affrontement armé sur les plages de Saint-Cast, par un rembarquement anglais sous la mitraille et par la célébration de la victoire française. Quoique modeste, la bataille a laissé des traces dans les mémoires pendant le XVIIIe siècle avant de devenir l’objet d’une attention particulière de l’historiographie bretonne au XIXe et XXe siècle, puis de sombrer dans l’oubli en dehors d’un cadre strictement local.

3 Autour de cet événement, les auteurs ont construit leur travail en trois temps. Une première partie s’efforce de situer la descente de 1758 dans des perspectives élargies, faisant un état des descentes étrangères sur les côtes du royaume, les intégrant dans les stratégies longues des belligérants, s’arrêtant à l’intérêt particulier de Saint-Malo et de

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sa région et revenant sur les modalités et les nécessités de la défense des littoraux bretons. Il s’agit ici pour les auteurs de nous entraîner dans des réflexions larges sur les permanences, les pérennités ou les innovations des guerres des XVIIe et XVIIIe siècles. La seconde partie détaille avec une extrême minutie l’événement en lui-même, les quelques jours de présence militaire anglaise, les réactions françaises et l’affrontement final. On reprend ici en détail et à partir d’une documentation particulièrement variée, le fil des heures et des jours pour suivre presque pas à pas les déplacements des uns et des autres mais aussi pour déconstruire au passage quelques mythes historiographiques du XIXe siècle. Au terme de cette vision du temps court, la dernière partie s’interroge sur les conséquences de la bataille et sur la mémoire qui en est résultée. La défaite anglaise n’a pas changé le cours de la guerre mais a contribué à modifier une stratégie britannique des descentes, déjà contestée et dont la faible efficacité militaire est désormais avérée. La victoire française a donné lieu à célébration puis commémoration inscrite dans la pierre puis dans les travaux des érudits.

4 Tout n’est évidemment pas nouveau dans ce travail mais le projet est séduisant et convaincant. S’emparer d’un événement militaire pour le traiter dans toutes ses dimensions, le resituer et le réintégrer à différentes échelles dans les questionnements historiques plus larges reste une pratique historique capable de renouveler les regards. Même si certains développements de la première partie semblent parfois lointains et mal raccrochés à la problématiques générale (les présences anglaise et espagnoles pendant la guerre franco-bretonne de 1487-1491 par exemple), même si – les auteurs le reconnaissent d’ailleurs – les archives anglaises auraient peut-être mérité des dépouillements plus vastes, on ne peut qu’adhérer aux propos et apprécier un travail clair et toujours bien écrit, d’une précision sans faille et d’une ampleur bien plus grande que ce que le titre suggère. Au travers d’un événement, nous avons là une fort belle étude sur la guerre dans la société du XVIIIe siècle.

AUTEURS

PHILIPPE JARNOUX CRBC/Université de Bretagne Occidentale, Brest

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BEAUDUCEL, Christophe, L’imagerie populaire en Bretagne aux XVIIIe et XIXe siècles

Daniel Giraudon

RÉFÉRENCE

Rennes, PUR, 2009, 498 p.

1 Ce n’est pas d’hier que l’être humain a cherché à traduire sa pensée par le dessin. L’Église a su utiliser ce medium en couvrant les murs de ses sanctuaires de fresques édifiantes ou encore par les tableaux utilisés dans les retraites et les missions à partir du XVIIe siècle. Ainsi, par l’intermédiaire de l’image et de la parole des ecclésiastiques, les masses analphabètes avaient accès à l’enseignement de la chaire. L’imagier n’était pas que peintre, il était aussi sculpteur et là encore le clergé sut utiliser ses talents en faisant exécuter en Basse-Bretagne de superbes calvaires pour la plupart aux XVe et XVIe siècles. Là encore, le but était le même, s’appuyer sur une représentation visuelle pour faire passer par l’oral un message pastoral.

2 À partir du XVIIIe siècle, ce sont encore des visées religieuses qui vont donner aux faiseurs et marchands d’images, sur papier cette fois, l’occasion de développer un commerce qui sera florissant. C’est ce sur quoi Christophe Beauducel vient d’effectuer une brillante recherche qu’il publie dans un ouvrage consacré à l’imagerie populaire en Bretagne aux XVIIIe et XIXe siècles. Dans un fort volume de près de 500 pages, l’auteur effectue tout d’abord un recensement des travaux de ses prédécesseurs sur ce sujet. Il signale le véritable premier livre de référence paru en 1925 sous la plume de Pierre- Louis Duchartre (1894-1983) et René Saulnier (1869-1957) mais celui qu’il considère comme le plus remarquable, c’est celui de Maurice Jusselin sur l’imagerie chartraine, paru en 1957. Selon lui, la méthodologie de recherche, très innovante, constitue un modèle du genre. Fondée essentiellement sur l’analyse d’archives, elle restitue le

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parcours biographique et professionnel des imagiers et cartiers chartrains à partir du milieu du XVIe siècle. Christophe Beauducel suit cet exercice exemplaire de recherche archivistique. Il fouille dans toutes les sources disponibles notamment les registres de capitation et les divers documents fiscaux mais aussi, les minutes notariales, les inventaires après décès, les dossiers d’imprimeurs, les registres d’état-civil… autrement dit, il effectue un véritable travail de fourmi qui le conduit à retracer par le menu sur l’ensemble de la Bretagne historique les biographies de nombreux personnages, pour beaucoup peu connus ou méconnus, les fabricants d’images, les marchands sédentaires et les colporteurs, un travail qui n’avait jamais été effectué auparavant de manière exhaustive et avec autant de minutie.

3 Ainsi, une enquête rigoureuse lui permet de faire des découvertes d’importance. Il met en évidence le lien qui a existé entre la carte et l’image, les cartiers s’avérant être souvent à l’origine de l’imagerie. Les premières images furent en effet produites par des cartiers. Il démontre l’influence d’acteurs extérieurs à la Bretagne et le rôle joué en particulier par ces Normands de Coutances qui furent les véritables pionniers en la matière dans notre pays. Il signale aussi comment l’imagerie bretonne était dépendante des modèles extra-régionaux, français et étrangers, et aussi bien influencéepar d’autres estampes populaires que par les tableaux des plus grands maîtres.

4 La recherche des images elles-mêmes l’a conduit à augmenter considérablement le corpus de documents connus à ce jour, passant d’une centaine à plus de quatre cents. C’est ce qui lui permet de constater aussi que l’ensemble des collections dont on dispose est constitué essentiellement de sujets religieux. Il explique enfin pourquoi l’activité des imagiers a périclité au XIXe siècle, notamment lorsqu’ils se sont mis à imiter les productions d’Épinal, négligeant par ailleurs de suivre l’évolution des techniques de reproduction de l’image.

5 L’ouvrage de Christophe Beauducel constitue donc un apport majeur dans la recherche à propos de ces images populaires. Peut-on, tout de même, se permettre de faire une ou deux petites remarques ou suggestions à son sujet ? On aurait aimé en savoir un peu plus sur la clientèle, le public qui achetait ces images. De même, on aurait pu insister sur les lieux où l’on pouvait se procurer les images en dehors des échoppes des marchands des villes ou dans le sac des colporteurs. Une comparaison avec d’autres productions populaires, comme par exemple les chansons sur feuilles volantes, constituerait une piste susceptible d’éclairer ces questions et d’augmenter encore le corpus d’images. C’est une source qui ne semble pas avoir été exploitée en dehors des grandes planches en couleur de saints personnages, comme saint Cornely ou saint Cado. L’existence de chansons sur feuilles volantes éditées au XVIIe siècle à Quimper, notamment par Jean Perrier, et ornées de jolis bois gravés, laisse penser qu’on devrait pouvoir en trouver d’autres avant et après cette époque. En outre, fréquemment des gravures de frises et vignettes de différentes sortes figurent sur les chansons sur feuilles volantes en langue bretonne des XVIIIe et XIXe siècle. Il serait aussi intéressant d’en dresser un catalogue pour identifier leur origine et enrichir le corpus.

6 L’auteur remarque la fréquence des gravures sur le thème notamment du Juif errant, de Geneviève de Brabant, de Damon et Henriette, le fils prodigue. C’est aussi le cas pour les chansons sur feuilles volantes en langue bretonne dont Joseph Ollivier signale dans son catalogue de nombreuses rééditions. Ce sont respectivement, 11, 14, 5 et 9 rééditions de ces mêmes sujets mais on sait la fragilité de ces feuillets et on peut penser que leur nombre fut certainement plus élevé. À ce sujet, il ne serait pas inutile d’établir des

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statistiques concernant les images comportant des textes en langue bretonne, ce qui en ferait aussi une certaine spécificité régionale.

7 Enfin, les différentes utilisations de la gravure, ce qu’elle devient une fois achetée, ses diverses fonctions, mériteraient aussi une enquête peut-être plus poussée. Ce ne sont bien sûr que des suggestions et cet ouvrage, redisons-le, d’une lecture fort agréable, constitue à lui seul une somme qui fera date dans l’histoire de l’imagerie bretonne et prolonge en l’enrichissant ce qui fut un autre événement, la superbe exposition (et le catalogue) sur le sujet présentée par le Musée départemental breton à Quimper en 1992.

AUTEURS

DANIEL GIRAUDON CRBC/Université de Bretagne Occidentale, Brest

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HEUDRÉ, Bernard (dir.), DUFIEF, André (collaboration de), Souvenirs et observations de l’abbé François Duine

Armelle Le Huërou

RÉFÉRENCE

PUR, 2009, 348 p (cahier photo. 24 p.).

1 Le nom de l’abbé François Duine (1870-1924) est aujourd’hui surtout familier aux spécialistes d’hagiographie bretonne, qui s’appuient encore sur nombre des travaux érudits de cet esprit critique et clerc atypique. En dépit de leurs dates anciennes de publication, beaucoup d’entre eux, qu’il s’agisse de monographies, d’articles publiés aux Annales de Bretagne, ou dans d’autres revues savantes, demeurent dans ce domaine un point de départ obligé et stimulant1. La publication des quatre cahiers2 qui constituent l’actuel volume de ses Souvenirs et observations ne manquera pas d’élargir son lectorat, en intéressant aussi bien les amateurs de Mémoires que les historiens de la période contemporaine et ceux de l’Église, en particulier en Bretagne.

2 Quand, en octobre 1914, F. D., alors aumônier des lycées de Rennes (fonction qu’il occupa de 1906 à sa mort), entreprend la rédaction de son premier cahier, « ce Cahier de souvenirs et d’observations », avant tout « confident » et « ami », il entend aussi laisser « une contribution à l’histoire morale de [son] temps » et « pour les historiens futurs de l’Église un tableau rare par l’exactitude et la franchise des traits » (p. 28). Certes, au fil des pages, ces déclarations liminaires sont mises en doute par les interrogations récurrentes de leur auteur sur la destinée de ces « feuilles qu’[il] laboure de traits noirs » (p. 281) et des incertitudes subsistent sur la forme qu’il souhaitait voir revêtir son « fagotage de tant de pièces diverses » (p. 270 − Cf. Montaigne, Les Essais, II, 37). Toutefois la lecture de l’ensemble convainc qu’il en espérait la publication – même posthume. En témoignent explicitement quelques passages, mais aussi la genèse même de ces cahiers, repris, annotés, corrigés – voire, pour certains chapitres, réécrits3 –

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jusqu’à la veille de sa mort, ses méthode de travail analysées ici par P. Riché dans sa postface, ou encore la revendication, plus ou moins ouverte, du prestigieux héritage littéraire et moraliste de grands mémorialistes comme Saint-Simon et Chateaubriand. Les références à ce dernier, dont il connaît parfaitement l’œuvre, ont beau sembler beaucoup plus nombreuses, c’est en définitive au premier que, la plupart du temps, on pense irrésistiblement, même si, pour parodier Chateaubriand parlant de Saint-Simon dans sa Vie de Rancé, ce n’est pas à la diable que F.D. écrivait pour l’immortalité. La galerie de portraits qui émaillent les Souvenirs et observations, quand ils ne les structurent pas, n’y est pas étrangère : jamais fades ni serviles, souvent caustiques, parfois injustes, ils fixent les traits physiques et moraux de ses contemporains, petits et grands, anonymes ou célèbres, aimés ou honnis. Ainsi dresse-t-il un portrait décapant d’un M. Michel, vicaire général aujourd’hui sombré dans l’oubli, qu’il appelle ailleurs « l’archange Michel » ou le « Torquémadaire Michel » parce qu’il « eût proposé ses services avec enthousiasme à Torquemada ». Après avoir dépeint cet « homme de l’évêque » de Rennes comme « petit, grêle, nerveux et sanguin, affamé d’autorité, gavé de théologie et congestionné de cléricalisme », F.D. poursuit : « Qui n’a pas entendu ce chafouin réciter la prière d’une voix exiguë, aiguë, cagote ; ce casuiste conseiller des procédés bas et des vilenies dissimulées ; ce chef pousser aux violences ; qui a manqué ce spectacle ne saura pas à quel point certains ecclésiastiques peuvent donner la nausée de leur religion » (p. 59). Son esprit ne s’exerce pas à l’encontre des seules figures ecclésiastiques, encore qu’elles soient les mieux représentées : un Anatole Le Braz (p. 201-203), un Arthur de La Borderie (par ex. p. 181-182), ou, pour prendre quelques exemples moins célèbres, Hippolyte Vatar, imprimeur à Rennes, « “bien-pensant” depuis plusieurs siècles, sauf quelques années de la Révolution, où les meilleures familles oublièrent les principes » (p. 288-289) et les « spécimens de tératologie » (p. 320) que sont certains enfants – pour lesquels, dit-il ailleurs (p. 39) « le mot qui fut dit de Judas est plein de sens : Mieux vaudrait qu’il ne fût pas né » – ne sont pas épargnés par sa plume acérée. L’ombre du mémorialiste de Louis XIV plane également sur la représentation que F.D. donne des milieux ecclésiastiques, enseignants et savants, dans lesquels il évolue, et auxquels, de fait, il appartient, comme autant de micro-cours traversées de complots, déchirées par les querelles intestines de factions et de courtisans, tantôt en faveur, tantôt tombés en disgrâce.

3 Cela étant, contrairement à son illustre devancier, jamais F. D. ne sombre dans l’aigreur vindicative. Il demeure toujours, comme l’a très justement écrit A. Dufief, un « étranger parmi les siens4 ». Etranger à la famille qu’il a rejointe par la force des choses plus que par vocation, l’Église, il est incompris d’une hiérarchie pour qui, en pleine crise moderniste, il faut professer un « pidisme » (le terme revient fréquemment sous la plume de F. D.) sans faille, sous peine d’être accusé de « favoriser le relâchement de la piété, le désordre social, et créer un scandale fâcheux » (p. 59) ou, comme un Loisy, d’être excommunié. F. D. se verra pour sa part interdit de publication, ce qu’il contourna en recourant à différents pseudonymes ou à l’anonymat. Alors qu’il rêvait d’une « petite aumônerie à Paris », qui à la fois aurait été « un foyer de vie religieuse pour [s]on sacerdoce » et lui aurait permis de continuer ses relations intellectuelles et poursuivre ses recherches (p. 143), il est affecté à Guipel, un poste « loin d’être convoité » dans la campagne rennaise, avant de « s’embarquer dans la galère » de l’aumônerie des lycées de Rennes, grâce à l’amitié de Georges Dottin. Quant à la famille qu’il s’est choisie en embrassant les études historiques, elle n’est trop souvent à Rennes guère plus qu’une « collection de chiffonniers qui ne comprennent rien au travail

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historique » (p. 291). Ainsi ceux-là même qui auraient dû comprendre et soutenir ses travaux d’érudition hagiographiques, sont eux aussi pétris de préjugés qui les paralysent d’effroi devant ce qu’ils estiment de dangereuses provocations, car F.D. s’appuie sur l’analyse des sources plutôt que sur des arguments d’autorité en « bataillant avec les noms de Lobineau et de La Borderie » (p. 184).

4 Ne serait-ce que pour cela, les Souvenirs et observations de l’abbé Duine méritent d’être lus, car ils permettent d’embrasser le parcours singulier d’un prêtre et d’un historien dont l’honnêteté intellectuelle, la liberté d’esprit et de ton s’expriment en des pages roboratives et réjouissantes. Au-delà, il offre aux historiens un regard inédit et une mine inépuisable de renseignements sur son époque et en particulier, mais sans exclusive, sur le diocèse de Rennes. Ainsi peut-on énumérer, sans prétendre à l’exhaustivité : le retentissement de l’affaire Dreyfus, les coulisses de l’affaire de l’Oratoire à Rennes, la crise moderniste, Joseph Turmel, l’influence d’Alfred Loisy, les « fausses nouvelles de la grande guerre », la déchristianisation des campagnes, l’ignorance et la bêtise de « professeurs médiocres dans toutes les dimensions » (p. 40) des séminaires bretons et bas-normands de la fin du XIXe siècle, etc.

5 À cet égard, on peut déplorer le choix des éditeurs de n’avoir pas proposé d’index systématiques, privant ainsi le texte de F.D. de ces instruments indispensables pour se déplacer dans le foisonnement de noms propres, d’événements, de lieux et l’abondance des notes. C’est d’autant plus regrettable qu’ils ont par ailleurs tout mis en œuvre pour faciliter l’accès à ces Souvenirs et observations, en élucidant nombre d’implicites relatifs à l’époque, aux milieux dépeints, aux préoccupations religieuses et intellectuelles d’alors, en identifiant beaucoup des références et allusions littéraires d’un auteur cultivé et érudit ou encore en traduisant la plupart des auteurs latins qu’il cite dans le texte5. Or ce précieux travail de contextualisation et d’éclaircissement, disponible à la fois dans les préfaces respectives de B. Heudré et A. Dufief, dans les notes qui accompagnent le texte et dans la postface de P. Riché, est lui aussi difficile à exploiter, privé qu’il est de référencement.

NOTES DE FIN

1. Cf. en dernier lieu, J.-C. Poulin, L’hagiographie bretonne du Haut Moyen Âge. Répertoire raisonné, Ostfildern (Thorbecke) 2009, p. 467. 2. Actuellement conservés à la BnF (Nouvelles acquisitions françaises 12997-13000). 3. Voir par exemple n. 22, p. 239 : « Quand je ferai ma copie définitive, j’y introduirai des particularités de mon enquête sur Duchesne, postérieure à cette rédaction ». 4. DUFIEF, A., « L’abbé François Duine (1870-1924), clerc de Dol : un étranger parmi les siens », MSHAB, t. 79 (2001), p. 107-133. 5. Un bon exemple de la difficulté que pose la culture classique de F.D. est représenté par l’intitulé d’un bref chapitre : « lasso succus amarus ». Cette adaptation d’Ovide (Amours, III, 11, 7 : saepe tulit lassis succus amarus opem), qui n’a malencontreusement pas été identifiée ici comme telle, oriente l’interprétation de l’ensemble du chapitre,

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suggérant, non pas qu’il « supporte un breuvage amer » mais que, dans des circonstances où sa lassitude est telle qu’il a pu songer au suicide, une potion amère, comme sa nomination à Guipel, lui est un remède salutaire.

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La recherche dans les universités de l’Ouest Liste des thèses et des mémoires de masters soutenus au cours de l’année 2009

Université d’Angers

Thèses

1 Maulny, épouse Lemoine, Estelle, Usages, biens collectifs et communautés d’habitants en Anjou XVe-XIXe siècle, dir. M. Nassiet. Moga, Iulian, Aspects des cultes solaires dans les provinces d’Asie Mineure, dir. M. Molin. Mathieu, Isabelle, Les justices seigneuriales en Anjou et dans le Maine (XIVe-début XVIe siècle), dir. J-M. Matz.

Master 2

2 Abline, Antoine, Les échanges de prisonniers de guerre pendant la guerre de succession d’Espagne (1701-1714), dir. Fr. Brizay. Banchereau, Pierrick, Corsaires barbaresques et esclaves chrétiens dans la correspondance du consulat de France à Alger de 1777 à 1830, dir. Fr. Brizay. Bernard, Camille, Les musées d’archives, garants de l’histoire locale : l’exemple du Maine-et- Loire, dir. P. Marcilloux. Bossy, Bertrand, Histoire et mémoire de la déportation dans les Mauges (1940-2005), dir. Y. Denéchère. Cottin, Samuel, Peurs, espoirs et représentations sociales dans le journal d’un bourgeois de Paris (1405-1449), dir. J.-M. Matz. David, Pierre-Michel, Les archives administratives d’Ancien Régime, de la collecte à la valorisation : l’exemple des séries C et D des archives départementales de Maine-et-Loire, dir. P. Marcillou. Delabre, Hélène, Les églises du diocèse d’Angers au haut Moyen Âge, dir. N.-Y. Tonnerre. Dupuy, Charles-Antoine, Répertoire prosopographique des dignitaires et chanoines du chapitre

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cathédral Saint-Julien du Mans au XIIIe siècle (1190-1294), dir. J.-M. Matz. Hélin, Alexandre, La diplomatie comme mode de régulation des relations entres cités et souverains à travers les livres 22 à 29 des Histoires de Polybe, dir. J.-Y. Carrez- Maratray. Hommey, Pierre, L’homicide pardonné en Anjou au XVIIIe siècle, dir. M. Nassiet. Jeanneau, Solenne, L’homicide pardonné en Castille sous Philippe IV, dir. M. Nassiet. Ledoux, Justine, Les testaments des chanoines de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers (XIIIe- début XVIe siècles), dir. J.-M. Matz. Monnier, Albéric, Les vitraux dans les dessins de Roger de Gaignières en Anjou et Maine, dir. N.- Y. Tonnerre. Morineau, Vanessa, Le crime pardonné d’après les lettres de rémission, en 1487, dir. M. Nassiet. Orain, Dereck, Un crime à la fin du Moyen Âge : l’homicide à travers les lettres de rémission (France, 1463-1473), dir. J.-M. Matz. Papin, Elodie, Les Gallois et les Anglo-normands au pays de Galles 1066-1216, dir. N.-Y. Tonnerre. Passelaigue, Julie, L’intégration des réfugiés palestiniens dans les sociétés proche orientales, dir. Y. Denéchère. Pevery, Jany, L’évolution du corps des jeunes de 1962 à 1975 en France à travers l’image, dir. Ch. Bard. Peyronnie, Simon, L’association France-URSS, au service de l’amitié entre les peuples (1945-1992) Du mythe soviétique à d’authentiques échanges socio-culturels, dir. Y. Denéchère. Pyrgies, Lorraine, Rentrer ou rester ? Le dilemme des Polonais de France (entre 1945 et 1949), dir. Y. Denéchère. Rondeau, Valentin, La course tripolitaine au regard de la diplomatie française de 1750 à 1820, Fr. Brizay. Siriot, Julien, La toxicomanie des jeunes à travers la presse quotidienne régionale et nationale des années 1960 et 1970. L’exemple de la presse de l’ouest, dir. P. Quincy-Lefebvre. Souchet, Aude, Un régime politique défectueux selon Polybe : l’exemple d’Athènes, dir. J.- Y. Carrez- Maratray. Van Enooghe, Cindy, Regards féministes sur la virilité guerrière (France, XXe siècle), dir. Ch. Bard.

Master 1

3 Auffray, Morgane, L’oniromancie dans les papyrus grecs magiques, dir. P. Gaillard-Seux. Berlin, Johanne, La division sexuelle du travail dans les fermes, à Fougeré : du début des années 1950 aux années 2000, dir. C. Bard. Bertolino, Carole, Rémission et rédaction en 1567, projet d’étude historique, dir. M. Nassiet. Bertrand, Christine, Sentiments familiaux et relations domestiques d’après le livre de raison de Jean-Baptiste de Grille d’Estoublon (1672-1757), dir. M. Nassiet. Botau, Flavien, La France à l’Exposition Universelle de Montréal en 1967, dir. Y. Denéchère. Bourgeois, Lilian, Histoire et mémoire dans le rap français : 1990-2009, dir. C. Bard. Bretaudeau, Angélique, La représentation de Marie-Madeleine dans le Mystère de la Passion de Jean-Michel (Angers, 1486), dir. J.-M. Matz. Cadot, Fabien, Les abbés de l’abbaye Saint-Serge et Saint-Bach d’Angers aux XIe-XIIe siècles, dir. J.-M. Matz. Carré, Charlotte, Criminalité et répression dans la Sénéchaussée de Saumur, 1768-1776, dir. M. Nassiet. Charlot, Thomas, Le rock au féminin à travers le magazine Rock & Folk (1978-1982), dir. C. Bard. Chincholle, Blandine, Les difficultés d’une implantation : les Roger de Campagnolle, une famille

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noble en Anjou au XVIIIe siècle, dir. M. Nassiet. Colombeau, Sarah, Anne Sylvestre, une chanteuse féministe, dir. C. Bard. Démaret, Charlotte, Les dessins de Siné pour l’Express, mai 1958-janvier 1961, dir. C. Bard. Debroise, Eric, L’exécution publique dans la juridiction royale de Montréal de 1693 à 1760 : publicité et publicisation, de la condamnation à la sentence, co-dir. M. Nassiet et O. Hubert. Denic, Marie, La place des femmes dans l’honneur au XVIIe siècle d’après les Historiettes de Tallemant des Reaux, dir. M. Nassiet. Denie, Florie, Les relations entre l’Espagne franquiste et l’Argentine péroniste, 1946-1955, dir. Y. Denéchère. Deshaies, Thibaud, La politique de restauration en archives départementales (1945 à nos jours) : Le cas du Maine-et-Loire, dir. P. Marcilloux. Duclos, Gaëlle, Les tyrans de Sicile archaïque sont-ils Grecs ? Étude comparée des tyrannies grecques archaïques de Sicile de Gélon et e Grèce de Pisistrate, dir. E. Parmentier. Faligand, Pauline, Bérénice II de Cyrène : culte et instrumentalisation d’une reine d’Égypte charismatique, dir. J.-Y. Carrez-Maratray. Fresneau Aurélien, La pratique testamentaire à Savennières de 1710 à 1790, co-dir., P. haudrère, F. Brizay. Gardelle, Sibylle, Le Centre régional d’art textile (C.R.A.T.) : les enjeux d’un partenariat culturel fort avec la Ville d’Angers (1986-2002), dir. É. Pierre.

4 Garreau, Bastien, La concurrence entre les journaux angevins pendant la Révolution, dir. V. Sarrazin. Gaveau, Lucile, La femme âgée à Rome chez certains poètes et satiristes romains, dir. P. Gaillard-Seux. Girard, Anne, Les mouvements d’effectif du camp d’internement pour nomades de Montreuil-Bellay : une étude des libérations (novembre 1941-janvier 1945), dir. A. Lignereux. Godin, Charlotte, Les médecins angevins et les élections municipales (1900-1945), le début d’une carrière politique, dir. É. Pierre. Guesdon, Olivier, Les rachats de captifs chrétiens d’après les actes du consulat de France à Tunis entre 1689 et 1710, dir. F. Brizay. Hebbache, Djamel, L’ambassade de Francisque Gay au Canada (1948-1949), dir. Y. Denéchère. Hersant, Frédéric, L’enseignement des activités physiques et sportives par le film fixe (1930-1960), dir. É. Pierre. Jammes, Emilie, Magie et superstition dans l’agriculture romaine, dir. P. Gaillard-Seux. Juhel, Enora, Le couvent de la Baumette à Angers. Martyrologe et culte des saints (seconde moitié du XVe siècle), dir. J.-M. Matz. Laigle, Baptiste, Les agriculteurs français devant la construction et l’intégration européennes (1957-1962) : l’exemple du Maine-et-Loire, à travers l’organe de presse de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA), L’Anjou agricole, dir. P. Quincy-Lefebvre. Le Fichant, Maud, Le Mouvement rural de jeunesse chrétienne : la politisation de sa section Pays de la Loire (1965-1973), dir. É. Pierre. Le Guyader, Yoann, Les imprimeurs et les libraires à Angers pendant la première moitié du XVIIIe siècle, dir. V. Sarrazin. Lebrun, Maude, Les fonds judiciaires d’Ancien Régime, traitement et typologie, les seigneuries ecclésiastiques de Maine-et-Loire, dir. P. Marcilloux. Lepage, Lucie, Le Mouvement rural de jeunesse chrétienne entre 1972 et 1986 :

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L’identité religieuse des Pays de la Loire, dir. É. Pierre. Leyoudec, Maïlys, L’Association « Les Amis des Poètes de l’École de Rochefort » et ses partenaires culturels angevins : convergences d’intérêts et divergences, 1994-2003, dir. É. Pierre. Lhuissier, Florian, Les archives hospitalières de la Mayenne : Étude sur la collecte, le traitement et typologie de ces archives, dir. P. Marcilloux. Masala, Cécile, Les feudistes et leur travail de classement de chartriers en Anjou au XVIIIe siècle, dir. P. Marcilloux. Miant, Justine, Les bains à Oxyrhynchos d’après les papyri grecs : de l’époque romaine à l’époque byzantine, dir. J.-Y. Carrez-Maratray.

5 Minetto, Julie, La justice ecclésiastique au XIIIe siècle en Anjou, dir. J.-M. Matz. Monnier, Albéric, Les vitraux dans les dessins de Roger de Gaignières en Anjou et Maine, dir. N.-Y. Tonnerre.

6 Nuville, Martin, Les infirmières Croix Rouge pendant la guerre d’Indochine : Le journal de Jeanne Gavouyère, dir. Y. Denéchère. Omana, Sélim, Le Mouvement National Tunisien vu par la presse métropolitaine (1949-1954), dir. Y. Denéchère. Ouaja, Mohamed, L’émigration des Juifs de Tunisie vue par la Résidence française (1947-1956), dir. Y. Denéchère. Poupon, Pauline, Ptolémée V Epiphane dans les sources grecques, dir. J.-Y. Carrez- Maratray. Prouteau, Simon, Les almanachs angevins de la Révolution à l’Empire, dir. V. Sarrazin. Proux, Jérémy, Le sport et la presse angevine au début des années 1920, dir. É. Pierre. Raulo, Gwennan, Les politiques d’édition de documents d’archives dans le Maine-et- Loire au XIXe siècle : acteurs, chronologie et méthodes, dir. P. Marcilloux.

7 Soularue, Julie, Les débuts du Parti Communiste Chinois au regard des représentants français en Chine (1921-1932), dir. Y. Denéchère. Taillefait, Romain, La peine de mort aux Etats-Unis et en France vue par la presse française, dir. Y. Denéchère. Thireau, Camille, Les désorganisations de l’administration dans le Maine-et-Loire, durant les guerres de Vendée, dir. V. Sarrazin. Tinel, Quentin, Les affiches d’Angers de 1794 à 1799, dir. V. Sarrazin. Toureille, Elodie, Les amulettes médicales d’après les lapidaires grecs antiques, dir. P. Gaillard-Seux. Vallais, Pierre, Médiation et paix dans l’Italie communale au XIIIe siècle, d’après la chronique du franciscain Salimbene de Adam, dir. J.-M. Matz. Walter, Nathalie, Entre France et Allemagne, le train comme trait d’union ? La naissance d’un projet franco-bavarois de liaison ferroviaire Bas-Rhin/Palatinat (1829-1852), dir. Y. Denéchère.

Université de Bretagne occidentale (Brest)

Thèses

8 Bardouille, Jérôme, La perception du divin par les soldats de l’armée romaine à travers prodiges, présages, ordres et conseils divins (Époque impériale, Occident romain), dir. G. Moitrieux. Youinou, Frédéric, La présence barbare au palais de l’empereur romain de Dioclétien à Anastase

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(284-518). Immigrations et intégrations barbares dans les hautes sphères civiles de l’Empire romain tardif, dir. G. Moitrieux.

Master

9 Audic, Tanguy, Les relations entre les ordres lors des États de Bretagne de 1784 à 1789, dir. P. Jarnoux. Bilkfalvi, Marianne, Fortunes et infortunes. Des aventuriers français dans les cours indiennes au XVIIIe siècle, dir. P. Pourchasse. Bergeron, Florent, Un lieu de souvenir : le cimetière militaire allemand de Lesneven-Ploudaniel, dir. Y. Tranvouez. Canton, Chloé, Les usages de la mémoire des grévistes de la faim de 1981 par les Républicains irlandais (1986-2008), dir. C. Bougeard. Caouissin, Gweltaz, La « Gegenrasse ». Origine et élaboration d’un concept national-socialiste en Allemagne (1789-1945), dir. F. Bouthillon. Castro-blanco, Noa, Les réfugiés de la guerre civile espagnole en Bretagne. Le cas du Finistère et des Côtes-du-Nord, dir. C. Bougeard. Cloarec, Gildas, La mort des persécuteurs. Étude d’une thèse, dir. B. Lançon. Combot, Gaël, Les métiers de l’habillement à Brest et dans le Léon de la fin de l’Ancien Régime au début de l’Empire, dir. P. Pourchasse. Glaz, Mathieu, L’entourage des évêques de Saint-Brieuc, XIIIe-XVIe siècle, dir. Y. Coativy. Grall, Kristell, L’homicide conjugal dans le Finistère de 1880 à 1914 à travers les dossiers d’Assises, dir. C. Bougeard. Guillou, Rachel, La persécution africaine d’après Victor de Vita, dir. B. Lançon. Jacq, Arnaud, La 2e division parachutiste allemande dans la fournaise brestoise (août-septembre 1944), dir. Y. Tranvouez. Jaffredou, Marie-Laure, Le deuil dans l’Antiquité romaine, dir. B. Lançon. Kerdreux, Tanguy, Naufrages et prises des bâtiments des îles britanniques sur les rivages de l’amirauté de Cornouaille au XVIIIe siècle, dir. P. Pourchasse. Lameth, Damien, Buck Danny. Un nouveau chevalier du ciel, dir. Y. Tranvouez. Le Menedeu, Alix, Le Kulturkampf suisse : Monseigneur Mermillod à Genève (1872-1883), dir. F. Bouthillon.

10 Malbosc, Guy, Aspects méconnus de la bataille de Camaret, 18 juin 1694, dir. P. Jarnoux. Manuel, Cécile, La famille de Coetmen à la fin du Moyen Âge, dir. Y. Coativy. Moal, Gauthier, Le rôle stratégique de l’escadre de Brest sous la Révolution et l’Empire (1789-1815), dir. P. Pourchasse. Weber, Audrey, De la Nouvelle-France à la Bretagne. L’odyssée du peuple canadien en pays breton, dir. P. Pourchasse.

Université de Bretagne Sud (Lorient)

Thèses

11 Moreigneaux-Desbordes, Nathalie, Le rapport des Allemands à la mer au travers du centre de recherche et du musée du Deutsche Schiffahrtsmuseum de Bremerhaven, dir. G. Le Bouëdec.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 | 2010 208

Master 2

12 Cartigny-Soubeiroux, Catherine, Lorient 1980-1994 : étude historiographique d’une ville en quête d’identité, dir. G. Le Bouëdec. Connan, Adeline, L’enquête électorale au début de la Troisième République luttes partisanes et normalisation du jeu politique (l’exemple du Morbihan), dir. F. Ploux. Guigueno, Aurélien, Pirates et corsaires du grand écran : de l’Histoire au cinéma, dir. P. Hrodej. LE Metayer, Émilie, Une abbaye cistercienne en Basse Bretagne au XVIIIe siècle : l’Abbaye Notre Dame de la Joie d’Hennebont, dir. S. Llinares. Pedrono, Tifenn, Culture matérielle à Pontivy, dir. G. Le Bouëdec. Petit, Florence, Médiations culturelles et cultures matérielles : histoire et archéologie de l’éclairage. Les lampes à huile en terre cuites, des origines à la fin de l’Antiquité, dir. D. Frère. Philippe, François, Paroisses littorales et recrutement clérical : Essai sur les nominations aux fonctions de recteur dans cinq cures littorales de l’ancien diocèse de Vannes dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, dir. G. Le Bouëdec. Toulliou, Oriane, Le regard français porté sur la politique maritime du royaume de Naples entre 1734 et 1789, dir. S. Llinares.

Master 1

13 Arnaud-Goddet, Caroline, Les orfèvres entre Vannes, Pontivy, Hennebont, Lorient, Port-Louis au XVIIIe siècle, dir. S. Llinares. Chevalier, Christelle, Maîtres au cabotage et patrons de chaloupes originaires de Port-Louis et de Riantec : tentative de reconstitution de trajectoires familiales (1780-1850), dir. G. Le Bouëdec. Ducreux, Gaël, La guerre de sept ans et son impact sur le littoral de Bretagne sud : la bataille des cardinaux et ses conséquences (1759-1762), dir. G. Le Bouëdec. Égasse, Benjamin, L’édification des ouvrages d’art défensifs de Lorient et sa région (1706-1796), dir. S. Llinares. Gomez, Emmanuel, Étude de la collection péruvienne préhispanique Ténaud du Musée Dobrée, dir. D. Frère. Guivarch, Aurore, La vie des femmes dans le Morbihan pendant la Grande Guerre, dir. L. Le Gall. Hervé, Anne-Cécile, Les métiers de la coiffure à Vannes au XVIIIe siècle, dir. S. Llinares. Hodicq, Paul, La carrière de Benoît de Cornouaille. Aux confins du spirituel et du politique, dir. J. Quaghebeur. Laville, Aymeric, L’arsenal de Lorient pendant l’Entre-deux-guerres (1920-1926), dir. G. Le Bouëdec. Le Foulgoc, Chloé, Les prisonniers de guerre allemands du dépôt 114 dans la sortie de guerre de la région lorientaise, 1945-1948, dir. L. Le Gall. Le Gourriérec, Lauriane, Les photographes amateurs dans le Morbihan de 1880 à 1914, dir. L. Le Gall. Lemaire, Marion, Les officiers mariniers à Recouvrance, dir. P. Hrodej. Palou, Marion, Les ports des rias galiciennes à l’époque moderne, dir. G. Le Bouëdec. Prigent Sabrina, Filmer la politique dans les films amateurs (1958-1981). Une approche visuelle de la vie politique et sociale de Brest et de la Baule à travers le regard des cinéastes amateurs, dir. L. Le Gall.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 | 2010 209

Université de La Rochelle

Thèses

14 Bériet, Grégory, L’hôpital-école de la marine de Rochefort (1788-1850) : architectonique médicale et physiologies sociales, dir.G. Martinière. Butaye, Denis, La création d’une station touristique. L’exemple de Royan de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle,dir.G. Martinière. Hillairet, Aurore, Les élites culturelles dans les sociétés artistiques et littéraires à La Rochelle au XIXe siècle, dir. G. Martinière. Vathaire, Aurélia de, Les écrivains-planteurs français de caoutchouc en Malaisie, 1905-1957, dir. G. Martinière. Vaultier, Jean-Bernard, Les sociétés savantes de la Charente-Inférieure au XIXe siècle, dir. G. Martinière.

Master 2

15 Calonnec, Stéphane, L’île d’Oléron face à la Deuxième Guerre mondiale, un conflit international vu à travers une petite île française de la côte Atlantique (29 juin 1940-1er mai 1945), dir. L. Vidal. Corps, Grégory, Les immigrants français pendant la première guerre mondiale au Brésil (1914-1918) : une communauté en guerre à la Belle Époque, dir. L. Vidal. L’Hermiteau, Laurent, Les migrants originaires du Centre-Ouest français en Argentine de 1850 à 1933 : corps et désir à l’écoute d’un pays, dir. L. Vidal.

Université du Maine (Le Mans)

Thèses

16 Amalfitano, Franck, Nobles et titrés de la Sarthe de 1789 à la République des ducs. Enracinement d’une aristocratie provinciale et parisienne, dir. J.-M. Constant. Dupont-Taroni, Martine, Souvenirs d’un nonagénaire, François-Yves Besnard (1752-1842) un curé aux prises avec la Révolution, dir. J.-M. Constant.

Master 2

17 Bosque, Samuel, Les relations diplomatiques entre la France et l’Ecosse, 1562-1587, dir. L. Bourquin et H. Daussy. Charron, Franck, Le personnage de Cléopâtre perçue par Mankiewicz, dir. R. Soussignan, A. Allely. De Ketelaere, Adelaïde, La politique des transports publics au Mans, 1947-1990, dir. N. Vivier. Gallois, Aurélie, Edition du « Voyage minéralogique et archéologique aux Coëvrons, à Ste Suzanne, Fresnay et Saint-Léonard des Bois » par Louis Jean Charles Maulny (1806), dir. S. Granger. Givaudan-Bourles, Florimond, Folie et traumatisme en Sarthe pendant la première guerre mondiale, dir. S. Tison et H. Guillemain. Launay, Julien, Bollée : une famille de fondeurs de cloches à l’influence considérable, 1842-1917, dir. N. Vivier.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 | 2010 210

Lunel, Frédéric, Roger Braun s.j. : Expression du philosémitisme, de l’humanisme et de la charité de l’Eglise catholique, dir. D. Avon. Maire, Clémence, L’usine Renault du Mans et l’habitat de ses ouvriers, 1918-1970, dir. N. Vivier. Meunier, Hugo, Le Mans, structuration de l’espace urbain et analyse morphologique (IIIe-XIXe siècle), dir. A. Renoux. Morillon, Adrien, Le Tronchet : histoire économique et sociale (vers 1400-1550), dir. A. Renoux et V. Corriol. Perrot, Clémentine, La terre cuite dans l’architecture du Perche, dir. C. Michon et S. Granger. Pouillet, Damien, Vivre comme un chanoine au Mans au XVIIIe siècle, dir. B. Musset et S. Granger. Rabinand, Elsa, Soffrey de Calignon (1550-1606), dir. L. Bourquin et H. Daussy. Viot, Simon, Fêtes officielles et commémorations dans la Mayenne en sortie de guerre (1944-1946), Dir. S. Tison.

Master 1

18 Aubin, Delphine, Les monuments aux morts paroissiaux de la Grande Guerre dans le Sud-Sarthe, dir. S. Tison. Chambrier, Aurélie, Les inondations en Sarthe au XIXe siècle, dir. N. Vivier. Constant, Philippe, Boris Vian, le jazz et le racisme aux États-Unis, dir. D. Avon. Coutin, Fabien, Les manifestations séditieuses en Mayenne (1815-1830), dir. S. Tison. Herbe, Eudes, Inventaire des mottes et maisons fortes dans le canton de Montmirail (Sarthe), XIe- XVIe siècle, dir. A. Renoux. Langlois, Germain, Le culte marial et les représentations de la Vierge dans le Maine (XIIe-XVe siècle), dir. E. Johans et V. Corriol. Leloup, Julien, Une histoire de l’émission « Le Jour du Seigneur », dir. D. Avon. Limoes, Amalia, Inventaire des manoirs dans le canton de Villaines-la-Juhel (Mayenne), XIIIe- XVIe siècle, dir. A. Renoux. Ouchtar, Karim, Le second réseau urbain dans le Perche vendômois : la seigneurie et le bourg castral de Mondoubleau (XIe-XVIe siècle), dir. A. Renoux. Pouillet, Damien, Le chapitre de la cathédrale du Mans (1730-1743), dir. S. Granger. Noland, Thomas, Les références religieuses dans la musique très contemporaine, dir. D. Avon. Renaut, Marjorie, Le paternalisme des Chappée à la fonderie de Sainte-Jamme (Sarthe), dir. N. Vivier. Tostain, Virginie, La ville de Saint-Calais et ses maisons : architecture civile à la fin du Moyen Âge, dir. A. Renoux.

Université de Nantes

Thèses

19 Andrade Norby, Margot, L’influence culturelle française en Colombie 1870-1939, dir. B. Joly. Chauvire, Frédéric, La charge de cavalerie, De Bayard à Seydlitz, dir. J.-P. Bois. Edzegue Mendame, Aristide, L’Europe et les Pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique du Traité d’Association aux Conventions de Lomé IV : l’exemple de la Coopération entre l’Union européenne et le Gabon (1957-2000), dir. M. Catala. Limete, Jonas, Histoire traditionnelle, éducation coutumière et enseignement occidental, dans la société nzèbi, au Gabon, de 1910 à 1980, dir. A. Tirefort.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 | 2010 211

Plouviez, David, De la terre à la mer. La construction navale militaire française et ses réseaux économiques au XVIIIe siècle, dir. M. Acerra.

Master

20 Billard, Coralie, La vie politique et partisane en Loire Inférieure (1901-1906) : groupes, comités et personnalités politiques, dir. B. Joly. Bonin, Violaine, L’art et la technique de chimigrammes selon Marie-Louise Bréhant, dir. A. Bonnet. Braga Ciarlini, Laura, Art et politique : l’aide culturelle de la France au Brésildans le domaine des Arts plastiques, dir. M. Catala. Briaud, Stéphanie, L’influence des cultes isiaques à Rome sur l’idéologie des empereurs romains des Antonins aux Sévères. Approche Religieuse et Culturelle, dir. T. Piel. Cerceau, Amélie, Sur les chemins d’Asie Mineure, document après document. Reconstituer l’hellénisme. Analyse de la démarche historique de Jeanne et Louis Robert, dir. I. Pimouguet- Pedarros. Chabas, Guillaume, Le Maroc et les Marocains dans la presse espagnole 1996-2003, dir. M. Catala. Charriau, Jean-Baptiste, L’Etat, les médias et la politique vus par deux humoristes : Coluche et Desproges (1974-1988), dir. L. Jalabert. Charrier, Lény, La collégiale Notre-Dame de Nantes, étude historique et architecturale, dir. N. Faucherre. Cousin, Grégory, L’affaire Dreyfus à Nantes en 1898 à travers la presse locale, dir. B. Joly. De Fatima Ramos, Maria, Les îles du Cap Vert d’une indépendance à l’autre (1974-1980), dir. J. Weber. Dubreuil, Cyril, L’impossible unité du communisme indien (1947-1971), dir. J. WEBER. EDDE, Stanislas, Les relations franco-roumaines, 1969-1974, dir. M. Catala. Fortin, Bénédicte, De la France vers l’Uruguay, 1839-1865. L’ambition démocratique d’une société civile migrante, dir. C. Thibaud. Guillermic, Claire, L’arrivée des forces françaises libres et des troupes britanniques au levant, le cas libanais (1941-1943), dir. B. Salvaing. Labuena, Maria, Catalogue- la collection art nouveau et art déco d’Albert Vigneron- Jousselandière, dir. A. Bonnet. Le Rouzo, Lena, Entre entente et mésentente cordiale, la difficile collaboration franco- britannique durant la Grande révolte arabe (avril 1936-septembre 1939), dir. B. Salvaing. Le Vourch, Simon, La légion des Caraïbes de 1940 à 1960, dir. C. Thibaud. Lelievre, Maxime, Paul Huard, maire de Châteaubriant de 1944 à 1959, dir. M. Catala. Lethielleux, Aurélie, Le temporel du prieuré Saint Jean de Champtoceaux (XIe-XVIIIe siècle), dir. J.-L. Sarrazin. Loizeau, Arnaud, Le Bhoutan, entre l’Inde et la Chine, l’ouverture sur l’extérieur et la quête d’indépendance (1947-1971), dir. J. Weber. Mahe Virginie, Les gouverneurs de Chypre (Ier siècle av. J.-C.-IIIe siècle apr. J.-C.), dir. F. Hurlet. Marlette, Eric, La préfecture de la Loire-Inférieure sous le Consulat et l’Empire (1799-1815), dir. B. Joly. Marsaud, Virginie, La Russie au cours de la deuxième moitié du règne de Nicolas Ier (1840-1854), dir. L. Jalabert. Maurice, David, Mise en évidence d’un milieu dévot à Nantes et de son influence sur la ville de Nantes entre 1642 et 1650, dir. D. Le Page. Rodriguez, Sophie, Un exemple d’initiative privée en faveur de la diffusion de l’art contemporain

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 | 2010 212

dans une ville de province dans les années 1960 : la galerie Argos à Nantes (1960-1972), dir. A. Bonnet. Simonet, Thibault, Socialisme et capitalisme en Afrique de l’Ouest : les relations entre la Côte d’Ivoire et les pays progressistes voisins (Ghana, Mali, Guinée), dir. B. Salvaing. Soulard, Gwenolé, Les relations franco- russes à travers la diplomatie (1910 -1914), dir. L. Jalabert. Tessier, Claire, Les diplomates gaullistes 1940-1969, dir. M. Catala. Trehudic, Adeline, Politiques identitaires et conflits ethniques : des Mohajirs à Karachi (1971-1999), dir. J. Weber. Vinet, Audrey, L’enseignement de la colonisation et de la décolonisation française du lycée à Madagascar depuis 1960, dir. L. Jalabert. Yzern, Manon, Tina Modotti et les Femmes du Tehuantepec, dir. A. Bonnet.

Université de Poitiers

Thèses

21 Etsila, Judicaël, Le journal religieux et « l’Holocauste routier ». L’exemple du Libre Poitou et de Centre-Presse, 1955-2004, dir.F. Chauvaud. Menanteau, Sandra, Dans les coulisses de l’autopsie judiciaire : cadres, contraintes et conditions de l’expertise cadavérique de la France au XIXe siècle., dir. F. Chauvaud. torelli, Xavier, Les chevaliers et la mort dans le monde anglo-normand, XIe-XIIe siècles., dir. M. Aurell.

Master 2

22 Bonneau, Ludovic, Une ville emportée par la vague rose : les élections municipales à Poitiers en 1977,dir. C. Manigand. Chauvaud, Anne Cécile, Les stratégies matrimoniales des Acadiens sous le régime français. L’expérience de Port Royal, dir. J. Péret. Chaziroglou, Marios, Punir les vaincus dans les prisons parisiennes en juin 1848, dir. F. Chauvaud. Duban, Caroline, Réjouissances populaires et larrons en foire dans l’Ancien Régime : échanges et relations humaines sur les foires et marchés du Poitou d’après les archives du présidial de Poitiers, 1670-1790, dir. F. Vigier. Dupuy, Sylvain, La vigne en Poitou. Etude d’un paysage, dir. J. Péret. Fahim, Ismaël, L’intégration à Châtellerault durant la deuxième moitié du XXe siècle. L’histoire de Châtelleraudais venus d’ailleurs, dir. G. Bourgeois. Fiegel, Marion, Alfred Winnewisser : un homme ordinaire au coeur de la spirale nazie. Parcours atypique d’un sous-officier de la Sicherheitspolizei d’Angoulême, dir. G. Bourgeois. Gaignerot, Le luxe et l’excès dans la cena romaine, dir. C. Auliard. Gauvin, Damien, Les problèmes des minorités rom et hongroises en Slovaquie : la nécessité d’une réflexion identitaire, dir. C. Manigand. Goude, Florian, Le lignage des seigneurs de Sablé, 1110-1222 : pouvoir et parenté dans l’aristocratie du Grand Anjou, dir. M. Aurell. Grenier, Guillaume, L’étude du système militaire prussien et son influence dans les réformes du ministère d’Argenson, dir. H. Drévillon.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 | 2010 213

Guerineau, Diane, Le patrimoine de Poitiers. Politiques et techniques de protection et de valorisation au sein du secteur sauvegardé : l’exemple des édifices religieux, dir. T. Sauzeau. Legrand, Melina, Entre pouvoir et familial : le milieu universitaire poitevin au XVIe siècle. Lerquet, Isabelle, Bilan historiographique des recherches récentes sur l’histoire de la parenté au Moyen Âge, dir. E. Bozoky. Martineau, Pauline, Les prieurés de l’abbaye Saint-Cyprien de Poitiers, dir. C. Treffort. Mautref, Emilie, Les crimes de femmes en Deux-Sèvres, 1811-1911, dir. F. Chauvaud. Meissonnier, Antoine, Un procès entre l’évêque de Mende et le roi de France, 1269-1307, dir. M. Aurell. Mineo, Emilie, Les sources écrites et épigraphiques : l ‘étude de l’artiste médiéval : problèmes et méthodes, France, XIe-XIIe siècle, dir. C. Treffort. Mouret, Simon, Imaginaires de la science dans la bande dessinée contemporaine d’expression française de 1946 aux années 1980, à travers trois auteurs, E-P Jacobs, André Franquin et Jacques Tardi, dir. F. Chauvaud. Neagu, Alexandra, Désir et séduction en Grèce antique. L’espace érotique à l’époque archaïque, dir. L. Bodiou. Pedron, Anaïs, L’impératrice Agnès et les papes 1056-1077, dir. M. Aurell. Perez, Christian, Le gouvernement de Nouvelle Grenade par l’archevêque vice-roi Antonio Caballero y Gongora après la révolte des Comuneros, dir. S. Jahan. Plisson, Ségolène, Les champs électromagnétiques non-ionisants et leurs effets biologiques dans la seconde moitié du XXe siècle., 1953-1993, dir. F. Chauvaud. Sabry, Elie, La presse quotidienne régionale, miroir des conflits idéologiques au travers du sport, dans le Sud-Ouest de l’Allemagne, 1919-1933, dir. F. Chauvaud. Sotiropoulou, Panagiota, L’école aux champs à l’époque de Jules Ferry, dir. F. Chauvaud. Thelliere, Vincent, Etude prosopographique des parlementaires démocrates-chrétiens et indépendants de la Vienne, 1945-1981, dir. C. Manigand. Tropeau, Christophe, Approche de l’organisation de l’espace à travers une source inquisitoire. Le cas de la deuxième commission d’enquête d’Alphonse III du Portugal en 1258, dir. S. Boisselier.

Master 1

23 Amiel, Marion, L’infanticide au XIXe siècle. Le geste de désespérées ? L’exemple du département de la Vienne, dir. F. Chauvaud. Bonnet, Anthony, La carrière locale de Jean-Pierre Raffarin, dir. J. Grévy. Bonnin, Elise, Le projet et le réseau légitimistes à Poitiers de 1871 à 1879, dir. J. Grévy. Caille, Séverine, L’association de deux maisons de Cognac, Hennessy et Martell, à travers la presse locale, de 1923 à 1945, dir.J. Grévy. Combeaud, Romain, Les enseignes militaires de l’armée romaine, dir. J. Hiernard. Coumont, Elvire, La grande ville américaine. Images et représentations dans l’Illustration du milieu des années 1880 à la fin des années 1930, dir. F. Chauvaud. Courroux, Pierre, Nains, géants et Hel. Les créatures fantastiques de la religion païenne viking et l’au-delà chtonien, dir. C. Treffort. Couteau, Anaïs, Images de la ville à la Belle Epoque. La représentation de la rue dans les dessins d’humour du Rire, 1896-1914, dir. F. Chauvaud. Dubois, Ludovic, La politique de réforme militaire du comte d’Argenson, secrétaire d’Etat à la guerre sous Louis XV, 1743-1757, dir F. Vigier. De Sainte-Hermine, Guillemette, Les guerres de religion dans le Poitou, l’Aunis, la Saintonge et l’Angoumois à travers les ouvrages de Brisson et de la Popelinière, à la fin du XVIe siècle., dir.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 | 2010 214

D. Turrel. Engerbeaud, Mathieu, Les insignes sacerdotaux dans la propagande monétaire romaine, dir. J. Hiernard. Falourd, Gabriel, La perception du monde ottoman à travers l’Illustration, dir. S. Jahan. Fontaine, Vincent, Les premiers contacts entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, XVe-XVIe siècles, dir. S. Jahan. Franchineau, Etienne, Le thème de la naissance du saint dans l’hagiographie irlandaise médiévale, dir. E. Bozoky. Le Marchand, Yves, Le merveilleux et le miracle en Irlande et au Pays de Galles d’après Giraud de Barri, 1146-1223, dir. M. Aurell. Lebrin, Guillaume, Le troubadour Bertran de Born seigneur de Hautefort, dir. M. Aurell. Legendre, Pauline, Elections municipales et incidents électoraux dans la Vienne, 1831-1881, dir. G. Malandain. Luault, Noémie, Territorialisation et colonisation en nouvelle Catalogne, 1150-1250, dir. S. Boisselier.

24 Manenti, Hélène, Les violences sexuelles dans la céramique grecque, dir. L. Bodiou. Monory, Juliane, Juan de Palafox y Mendoza à travers la lettre « Virtudes de Indio », dir. S. Jahan. Morand, Estelle, Le vol de chevaux en Poitou d’après les minutes du greffe du présidial de Poitiers entre 1784 et 1789, dir. F. Vigier. Nicolau, Julie Anne, La descente du Christ aux Enfers dans l’iconographie française de la fin du Moyen Âge, dir. L. Hablot. Peturaud, Marie, Le pouvoir et ses représentations en Lycie, IVe-IIe siècles. av. J.-C. , dir. L. Capdetrey. Picard, Marion, La mort, le salut et l’au-delà dans l’Angleterre médiévale, à partir des écrits lollards en langue vernaculaire, dir. C. Treffort. Raveau, Johann, Le blasphème dans le Montmorillonnais au XVIIIe siècle (1700-1720, 1740-1761), dir. F. Vigier. Richard, Thomas, Analyse anthropologique des chartes de Sahagun, XIe-XIIe siècles., dir. T. Deswarte. Rocher, Christophe, La présence européenne en Nouvelle Calédonie de la découverte (1774) à la prise de possession (1853), dir. S. Jahan. Sawadogo, Anne-Brigitte, Binger et la boucle du Niger : la vision d’un Occidental en Afrique de l’Ouest, dir. S. Jahan. Simonneau, Aline, La trahison sous les premiers Valois : lecture comparée des sources narratives, dir. L. Hablot. Texier, Julien, Les républicains dans la Vienne entre 1870 et 1905, dir. J. Grévy. Valencon, Romain, La délinquance forestière dans le Châtelleraudais du XVIIIe siècle. à travers les archives de la maîtrise des Eaux et Forêts, dir. F. Vigier.

Université de Rennes 2

Master 2

25 Alghisi Déborah, D’« Étonnants voyageurs » ? Saint-Malo à travers la littérature de voyage (XVIe-XVIIIe siècles), dir. F. Quellier.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 117-4 | 2010 215

Ali Farah, Omar, Le rejet du traité constitutionnel européen en France à travers la presse nationale française, dir. G. Nöel.

26 Bellier, Marine, Les dîmes ecclésiastiques en Haute Bretagne du IXe au XIIIe siècle : étude sur la réforme grégorienne et l’espace paroissial, dir. F. Mazel. Billon, Solen, Développement d’un mouvement coopératif pour affronter la modernisation agricole: de la CUMA à la fédération départementale d’Ille-et-Vilaine (1945-1970), dir. M. Cocaud. Boeckler, Philippe, Champtoceaux (Maine-et-Loire, 49) : étude archéologique d’un site fortifié sur la longue durée, dir. P.-Y. Laffont. Dieu, Yoann, La céramique médiévale du château du Guildo : l’exemple de la zone 13, dir. P.-Y. Laffont. Doglio, Aurélie et Guenole, Pauline, Les sources et les fontaines des évêchés de Saint- Brieuc, Saint-Malo et Tréguier, dir. B. Merdrignac. Evain, Brice, Deux héros de Bretagne : le Marquis de Pontcallec et Marion du Faouët. Histoires et mémoires, dir. G. Aubert. Franch, Clément, Les bateaux du Ponant et du Levant dans les miniatures du bas Moyen Âge : réalisme et significations, dir. D. Pichot. François Saint Maur, Nicolas, Noblesse et armoiries : étude héraldique médiévale bretonne. Société, images et identité, dir. D. Pichot. Gendry, Mickael, Les Minihis en Bretagne : Locronan, un modèle transposable ?, dir. B. Merdrignac. Gillette, Floriane, Les ouvriers rennais sous la monarchie de Juillet, dir. P. Karila-Cohen. Guiguen, Christophe, Le développement des villes secondaires dans l’évêché de Vannes et ses marges : synthèse, dir. P.-Y. Laffont. Jeanneret, Lucie, L’habitat aristocratique fortifié et fossoyé dans une région de marche : les baronnies de Fougères et de Dol-Combourg face à la Normandie (Xe-XIIIe siècles), dir. P.-Y. Laffont. L’Angevin, Daphné, Le Paraguay dans la guerre du Chaco : constructions et réflexions radiophoniques (1932-1945), dir. L. Capdevila. Lagarrigue, Paul, Les édifices de culte chrétien bâtis au sein de structures gallo- romaines, en milieu rural, dans le Nord-Ouest de la Gaule aux IVe-VIIIe siècles, dir. P.-Y. Laffont. Le Foll-Luciani, Pierre-Jean, Les juifs algériens anticolonialistes : étude biographique. De l’enfance en Algérie coloniale au mouvement national algérien en métropole (années 1920-1955), dir. V. Joly. Le Goué-Sinquin, Gwénolé, Les marchands de toiles de Vitré (v. 1500-v. 1600) : aspects économiques, sociaux, religieux, culturels, dir. P. Hamon. Lecœur, Florie, L’éducation des femmes pendant la Révolution Française, dir. D. Godineau. Leroux, Adrien, Les voies du salut en Bretagne aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles : l’iconographie du paradis, du purgatoire et de la bonne mort, dir. G. Provost. Letort, Pauline, L’abbaye de Saint-Melaine à Rennes au temps des Mauristes (1628-1790) : les moines et la ville, dir. G. Provost. Lorjoux, Pierre-Alexandre, Histoire des paysages de la presqu’île de Rhuys au Moyen Âge : étude des dynamiques géohistoriques d’une portion du Domaine ducal breton des origines au XVIe siècle, dir. D. Pichot. Mahot, Kevin, La construction du genre dans le cinéma anarchiste : images et représentations des rapports sociaux de sexe pendant la guerre civile d’Espagne de

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1936 à 1938, dir. L. Capdevila. Murgalé, François, Montfort-sur-Meu, la présence du cidre : la fabrication et le stockage du cidre dans la région de Montfort-sur-Meu durant la seconde moitié du XVIIIe siècle (1740-1790), dir. F. Quellier. Quelen, Virginie, « À Monsieur de Porville, fermier général de la commanderie de La Feuillée et subdélégué de monsieur l’Intendant » : Hamon de Porville, un notable guingampais du siècle des Lumières à travers sa correspondance (1705-1758), dir. Y. Lagadec. Tardy, Manon, Les sacrements dans les Vies de saints bretons, dir. B. Merdrignac. Theault, Aurore, Trotter en Basse-Normandie entre 1836 et 1920 : enjeux de la mise en compétition du cheval demi-sang, dir. A. Antoine. Troublard, Aurélie, Recherche iconographique et archéologique sur les moulins médiévaux et modernes d’après une enluminure du xvie siècle, dir. D. Pichot. Vallejo, Flores et Mercedes, Verónica, Les jeux de hasard à la fin du XIXe siècle : le cas de Guadalajara, dir. L. Capdevila.

Université de Tours

Thèses

27 Michel D’Annoville, Caroline, Recherche sur les statues et leurs fonctions en Occident durant l’antiquité tardive, dir. B. Beaujard. Tessier, Alexandre, Le Grand Hôtel, 110 ans d’hôtellerie parisienne, 1862-1972, dir. M. de Ferrière Le Vayer. Laruaz, Jean-Marie, Amboise et la cité des Turons de la fin de l’Age du Fer jusqu’au Haut-Empire, dir. S. Fichtl. Buresi, Dominique-Antoine, La Corse militaire sous l’Ancien Régime de la Renaissance à la Révolution : du mercenaire au soldat, dir. M. Vergé-Franceschi. Chassagnette, Axelle, La géographie protestante à la Renaissance, savoir géographique et cartographie dans l’espace germanique après Philipp Melanchton (des années 1530 aux années 1610), dir. G. Chaix. Boudeau, Jasmine, La réorganisation spatiale de cinquante-cinq villes de Gaule remparées au Bas-Empire, dir. J. Seigne. Germinet, David, Homme et animal dans les fermes du Poitou à la transition de l’Âge du Fer à la période romaine, dir. O. Buchsenschutz. Plaut, Aurélie, De l’Ethos « préalable » à l’Ethos « discursif » : la construction de la figure du polémiste catholique dans les ouvrages de Florimond de Raemond (1540 ?-1601), dir. M.-L. Demonet.

Master 2

28 Bonnefond, Hélène, Histoire de la maison d’édition La Farandole, 1955-1982, dir. R. Beck et C. Boulaire. Jamet, Benoît, Le patrimoine de l’industrie en Val d’Aubois (Cher), dir. J.-M. Moine. Jouanneau, Bertrand, Détenir la terre à Toury en Beauce de 1415 à 1471, dir. S. Leturcq. Luciani, Joséphine, Les processions dans l’iconographie au Moyen Âge, dir. C. Bousquet. Marchand, Claire, Vie et œuvres du Docteur Edmond Chaumier (1853-1931). Entre recherches médicales et innovations techniques : la transformation de la médecine traditionnelle en

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médecine industrielle à la fin du XIXe siècle en Indre-et-Loire, dir. J.-P. Williot. Proust, Matthieu, Ville et communauté cheminotes au temps des restrictions alimentaires, Saint- Pierre-Des-Corps, 1939-1949, dir. J.-P. Williot. Raduget, Nicolas, Camille Chautemps : l’influence et l’action de l’édile local (1912-1925), dir. J.- P. Williot. Viau, Loeiza, Sorcellerie, superstition et survivance du paganisme dans les pénitentiels du haut Moyen Âge, dir. B. Judic.

Master 1

29 Couillard, Julien, La justice civile de 1771 à 1777 au sein du marquisat pairie de Menars, dir. M. Vergé-Franceschi. Daugeron, Jean-Baptiste, Et si la prison pénale était née sous l’Ancien Régime ? Parcours de prisonniers au sein des prisons royales de Tours et d’Amboise (1770-1780), dir. U. Krampl. Decharles, Fanny, Le sentiment amoureux et son expression dans les relations hommes/femmes au XVIIIe siècle à travers l’étude des amours illégitimes d’Amboise, dir. U. Krampl. Delamare, Jean, Les structures de stockage de l’alimentation à l’âge du Fer dans le Loiret, dir. S. Fichtl. Frimas, Chloé, Les apothicaires de Tours et Amboise face à la fraude et au charlatanisme au XVIIIe siècle : les limites d’une profession au regard de la concurrence, dir. U. Krampl. Hoyau, Leslie, La communication de la maison Mame, 1820-1920. Comment se construit l’image de marque d’une maison d’édition catholique provinciale au XIXe siècle, dir. M. De Ferrière le Vayer et C. Boulaire. Noël, Aurore, Préliminaires à une étude chrono-typologique de la céramique médiévale du Mans, dir. P. Husi. Priou, Marion, Les conceptions du corps humain au Moyen Âge, dans Le livre des propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais (XIIIe siècle), dir. F.-O. Touati. Rusterholtz, Simon, Les vandales et le catholicisme en Afrique 429-533, dir. C. Hugoniot. Sautereau, Aurélien, Les ensembles funéraires de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge en Eure-et-Loir, dir. A. Nissen-Jaubert. Vandelet, Juliette, Le ravitaillement alimentaire du soldat pendant la première guerre mondiale, dir. J.-P. Williot.

INDEX

Index géographique : Angers, Brest, La Rochelle, Le Mans, Lorient, Nantes, Poitiers, Rennes, Tours

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