Master

Les troubles du spectre de l'autisme : troubles de genre ? l'autisme comme défi à la binarité des genres

ISEPPI, Clara

Abstract

Historiquement considéré comme un trouble majoritairement masculin, l'autisme touche néanmoins une fraction non négligeable de filles et de femmes. Ce constat a emmené des chercheurs de divers domaines scientifiques, dont notamment la psychiatrie ou la neuroscience, à étudier les caractéristiques et les particularités des femmes atteintes de troubles du spectre de l'autisme. Ce mémoire a pour objet l'autisme à travers le prisme du genre. Une analyse d'un corpus d'articles biomédicaux de ces dix dernières années sur la question de l'autisme et les différences entre les sexes, conjuguée à une méthodologie inspirée de la critique féministe des sciences a ainsi permis de mettre en avant l'état des recherches sur le genre et l'autisme. De plus, cette analyse met en lumière les négociations qui ont lieux au sein de ces disciplines quand les notions de sexe et/ou de genre sont chamboulées. Effectivement, les théories genrées majeures autour de l'autisme permettent de mettre en avant un certain trouble de genre par le défi que semblent poser les individus autistes au dogme de la binarité des genres. [...]

Reference

ISEPPI, Clara. Les troubles du spectre de l'autisme : troubles de genre ? l'autisme comme défi à la binarité des genres. Master : Univ. Genève, 2020

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:145062

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1 / 1 Université de Genève Faculté des sciences de la société Master en Études genre

Les troubles du spectre de l’autisme : troubles de genre ?

L’autisme comme défi à la binarité des genres

Clara Iseppi

Août-septembre 2020

Sous la direction de Prof. Delphine Gardey

Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Remerciements

En premier lieu, je tiens à remercier Delphine Gardey pour avoir accepté de m’encadrer dans cette étude, ainsi que pour son aide et ses encouragements pendant la rédaction de ce mémoire.

Merci à Lionel pour son soutien pendant l’écriture de ce travail.

Enfin, merci à ma mère pour sa patience et son aide.

2 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Liste des abréviations

ADI-R : Autism diagnostic interview ADOS: Autism diagnostic observation scale APA : American Psychiatric Association ASD : Autism spectrum disorders ASSQ : Autism spectrum screening questionnaire CARS: Childhood autism rating scale CFTMEA-R : Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent CHAT/M-CHAT : Modified checklist for autism in toddlers CIM : Classification Internationale des Maladies Mentales DSM : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders IRM: Imagerie par résonnance magnétique NCBI : National Center for Biotechnology Information OMS : Organisation mondiale de la santé SCQ : Social communication questionnaire TD : Typically developing TED : Troubles envahissants du développement TED-NOS : Troubles envahissants du développement non spécifiés TSA : Trouble du Spectre de l’Autisme

3 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Résumé

Historiquement considéré comme un trouble majoritairement masculin, l’autisme touche néanmoins une fraction non négligeable de filles et de femmes. Ce constat a emmené des chercheurs de divers domaines scientifiques, dont notamment la psychiatrie ou la neuroscience, à étudier les caractéristiques et les particularités des femmes atteintes de troubles du spectre de l’autisme. Ce mémoire a pour objet l’autisme à travers le prisme du genre. Une analyse d’un corpus d’articles biomédicaux de ces dix dernières années sur la question de l’autisme et les différences entre les sexes, conjuguée à une méthodologie inspirée de la critique féministe des sciences a ainsi permis de mettre en avant l’état des recherches sur le genre et l’autisme. De plus, cette analyse met en lumière les négociations qui ont lieux au sein de ces disciplines quand les notions de sexe et/ou de genre sont chamboulées. Effectivement, les théories genrées majeures autour de l’autisme permettent de mettre en avant un certain trouble de genre par le défi que semblent poser les individus autistes au dogme de la binarité des genres. Ces théories représentent ainsi des moyens de remise en ordre du brouillage apparent de genre qui s’observe.

4 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES ABRÉVIATIONS 3

RÉSUMÉ 4

INTRODUCTION 7

I. TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME ET GENRE : QUEL EST LE PROBLÈME ? 8

1.1. Problématique 8 1.1.1. Les troubles du spectre de l’autisme : brève introduction 8 1.1.2. Question de recherche 14 1.1.3. Enjeux et apports de la recherche 16 1.1.4. Plan de travail 18

2.1. Cadre théorique 19

3.1. Sources et méthodologie 21 3.1.1. Provenance et nature des données 21 3.1.2. Méthode de récolte et d’analyse des données 22 3.1.3. Choix des articles 24

II. LES TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME : DES TROUBLES AU MASCULIN ? 27

2.1. Les troubles du spectre de l’autisme 27 2.1.1. Bref historique 28 2.1.2. Les changements de 1970-1980 : les classifications internationales 30 2.1.3. L’évaluation diagnostique : principaux outils 34 2.1.4. Principales explications étiologiques 35 2.1.5. TSA et la différence sexe/genre : les grandes lignes 37 Étiologie 38 Phénotype féminin unique 39 Influences socio-culturelles 39

2.2. Présentation du corpus et analyse 40

2.3. Les théorisations genrées des TSA 45 2.3.1. Le phénotype autistique féminin 45 Tableau clinique différent 45 Différences dans les symptômes cardinaux 48 2.3.2. La théorie du cerveau masculin extrême 50 2.3.3. La théorie de l’incohérence de genre 53 2.3.4. Génétique 55

III. LES TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME : DES « TROUBLES DE GENRE » ? 57

5 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

3.1. La critique féministe des sciences : outils pour analyser le cas de l’autisme 57 3.1.1. La recherche des différences entre les sexes 58 3.1.2. Le cadre binaire des genres 59 3.1.3. Les notions de sexe et de genre : trouble dans les définitions 61 3.1.4. « L’individu autiste » : création d’un corps intelligible 64

3.2. Le cerveau comme site de la différence des sexes : les apports des Critical neurosciences et l’application aux troubles du spectre de l’autisme 65 3.2.1. Le dimorphisme sexuel au niveau du cerveau : définitions et théories 65 Brain organization theory 67 La latéralisation cérébrale 69 La connexion interhémisphérique 70 3.2.2. Les Critical neurosciences : outils et concepts 71 Méthodes de comparaison et surestimation des différences 73 La vision essentialiste des différences entre les sexes 74 3.2.3. La primauté de la classification binaire du masculin et du féminin 76

3.3. « Trouble dans le genre » : l’autisme comme défi au paradigme de la binarité des genres 78 3.3.1. Les apports des théories féministes queer 78 3.3.2. Le sexe comme construction : illustration à travers le cas de l’autisme 79 3.3.3. Les troubles du spectre de l’autisme : défi à l’ordre binaire des genres ? 81

CONCLUSIONS 87

SOURCES 90

Ressources en ligne 95

Corpus d’analyse 96

6 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Introduction

La revue scientifique spécialisée Autism publia en 2017 un numéro spécial 1 sur l’autisme au féminin, s’inscrivant ainsi dans l’intérêt grandissant de la communauté scientifique pour la présentation des troubles autistiques chez les filles et les femmes. Les troubles du spectre de l’autisme, historiquement définis comme des troubles affectant de surcroît les hommes, sont de plus en plus acceptés comme pouvant aussi toucher les femmes. Cependant, l’image d’un trouble masculin prévaut encore dans une majorité de travaux scientifiques en la matière, et la présentation féminine est considérée comme une anormalité du tableau clinique classique de l’autisme. Les outils et les échelles d’évaluation diagnostiques se fondent d’ailleurs quasi- exclusivement sur cette présentation masculine des symptômes. Or la prévalence féminine de l’autisme, bien que faible, n’est pas nulle, ainsi comment expliquer ce phénomène ? Quelles causes biologiques, génétiques ou autres peuvent apporter des éclaircissements sur comment des femmes puissent être atteintes d’un trouble masculin ? Ces questionnements ont été le commencement d’une analyse plus approfondie des recherches autour de la prévalence biaisée de l’autisme, notamment telle qu’elle est menée dans le cadre des neurosciences et de la psychiatrie. Ces problématiques m’ont ainsi emmener à me poser des questions plus larges sur les notions de sexe et de genre telles qu’elles sont pensées et travaillées dans ces disciplines scientifiques. Une étude détaillé d’un corpus précis traitant des questions de sexe et de genre dans le cas de l’autisme m’ont permis de mettre en avant les défis qui émergent quand on fait face à un trouble qui semble toucher un sexe plus que l’autre. Les préjugés et les stéréotypes de genre s’insinuent dans les hypothèses mêmes des chercheurs, et des certitudes semblant aller de soi paraissent ébranlées. Des différences strictes entre les sexes sont posées comme préambule dans la majorité des recherches traitant de la question de la prévalence inégale entre hommes et femmes dans l’autisme. Or ceci, dans le cadre d’une approche féministe qu’est la mienne, appelle à se poser « toutes sortes de questions dérangeantes » (Butler, 2006 : p.217) sur ce que sont ces différences, mais aussi autour des notions de sexe ou de genre. Car loin d’être anodines, les caractérisations faites par les disciplines scientifiques sur les questions de sexe, de genre et des différences entre hommes et femmes ont des effets tangibles sur les objets qu’ils étudient. Mon mémoire va tenter de mettre en lumière ces effets dans un contexte spécifique qui est celui de l’autisme : ce trouble

1 Autism. Special Issue on : Women and girls on the autism spectrum. Vol. 21, n.6, Août 2017. En ligne https://journals.sagepub.com/toc/auta/21/6 (consulté le 11 avril 2020).

7 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi historiquement défini comme masculin semble poser des problèmes aux disciplines neuroscientifiques et psychiatriques dans le sens où elles peuvent aussi concerner les femmes. Des véritables questionnements émergent ainsi dans la communauté scientifique quant aux causes de ce phénomène, mais aussi sur les effets de ceci sur la « féminité » de ces femmes (ainsi que sur la « masculinité » des hommes). Un brouillage semble s’opérer dans les catégories classiques de distinction des sexes. Mon mémoire a ainsi pour sujet précisément ce brouillage, et la manière dont les différentes disciplines mentionnées négocient avec ces défis. Commençons donc par introduire plus précisément ce que sont les troubles du spectre de l’autisme, ainsi que les questionnements qui en émergent du point de vue du genre.

I. Troubles du spectre de l’autisme et genre : quel est le problème ?

1.1. Problématique

1.1.1. Les troubles du spectre de l’autisme : brève introduction

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont des syndromes qui font partie des troubles envahissants du développement (CIM-10) et des troubles neurodéveloppementaux (DSM-5). Ils se caractérisent par des difficultés dans les interactions sociales ainsi que des comportements et des intérêts restreints et stéréotypés. Les TSA ont aussi une forte prévalence masculine, avec un ratio homme/femme estimé à quatre pour un, mais qui semble varier avec le quotient intellectuel : ainsi il est de deux pour un chez les individus présentant des troubles additionnels et/ou une déficience intellectuelle, et de dix pour un chez les individus dits high functioning ou Asperger et n’ayant pas de déficience intellectuelle. Ce sex ratio fortement biaisé est au cœur de nombreux questionnements dans la communauté scientifique s’intéressant à l’autisme, et notamment dans les domaines de la psychologie, de la psychiatrie et des neurosciences qui travaillent le plus sur ce trouble. Un grand nombre d’articles scientifiques s’emploient à rechercher les causes de ces différences de prévalence entre hommes et femmes. Les changements de paradigme qui se sont opérés autour de la définition clinique de l’autisme et de son diagnostic depuis les premières caractérisations dans les années 1940 ont influencé les causes supposées expliquer ces différences de sexe dans la prévalence et la présentation de l’autisme. Le trouble autistique est aujourd’hui considéré comme un trouble neurodéveloppemental. Ainsi le domaine de la psychologie et de la psychiatrie s’intéressent-t-

8 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi ils à trouver la cause des différences de sexe en les cherchant au niveau du cerveau et en employant des méthodes de recherche issues des neurosciences. Nous nous trouvons donc dans un contexte où les théories neuroscientifiques ont un poids de plus en plus important et leurs théories, pratiques et thérapies influencent à la fois les recherches biomédicales mais aussi la société dans son ensemble (Ortega, 2009). Le développement de techniques avancées de recherche, notamment en génétique et en neurologie, crée un terreau propice aux théories du déterminisme biologique des différences entre hommes et femmes en les ancrant dans le cerveau et dans les gènes des individus (Vidal, 2013). Les sites de la différence se transposent ainsi au cerveau et dans les gènes, ce qui offre un socle biologique à priori immuable pour signifier les différences entre les sexes (Gardey et Löwy, 2000).

Le poids des neurosciences et de leurs méthodes dans les recherches autour des troubles autistiques est particulièrement notable dans le corpus d’étude que j’ai choisi d’établir, à partir de recherches ciblées, sur le portail américain PubMed. Ce portail piloté par le National Center for Biotechnology Information (NCBI)2 propose depuis 1996 une base de données de près de 30 millions d’articles issus des sciences médicales et biomédicales. La majorité des articles dans les domaines de la biomédecine sont regroupés dans la base bibliographique MEDLINE, qui est une base de donnée liée à PubMed. Cette base de données permet une recherche par mots clés ciblés, ainsi que le choix de différents filtres (temporalité, sujets en particulier) permettant d’orienter plus précisément la recherche. J’ai choisi de concentrer mon enquête sur des articles parus au cours des dix dernières années, c’est-à-dire entre 2009 et 2019, et j’ai ainsi pu observer une constante hausse des articles traitant de sexe et/ou genre en lien avec l’autisme. Après un processus de sélection et de tri à partir des abstracts et des mots clés, le corpus final se compose de 69 articles que j’ai analysé plus en détail. La majorité des articles proviennent d’Amérique du Nord et du Royaume-Uni et la totalité est en langue anglaise. Les disciplines majoritaires sont la psychologie, la psychiatrie et les neurosciences. A la lecture de ces articles, j’ai pu mettre en avant quatre thèmes qui sont traités par les documents du corpus, et que je vais présenter brièvement ici.

Le premier thème présente l’autisme comme une forme extrême de l’intelligence masculine : il s’agit de la théorie dite « extreme male brain theory » développée par le

2 Informations issues du site PubMed : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/about/ (consulté le 4 août 2020)

9 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi psychiatre anglais Simon Baron-Cohen. C’est une des théories les plus citées dans les articles du corpus, et elle se base sur des supposées différences cognitives entre hommes et femmes qui résultent en des « types de cerveaux » distincts. Les femmes auraient plus de capacité d’empathie (empathizing) et les hommes auraient une grande capacité pour comprendre les systèmes et les règles qui les soutiennent (systemizing). Les individus autistes sont supposés présenter un type de cerveau ultra-masculin, c’est-à-dire avec des capacités de systemizing exacerbées, mais une empathie sous-développée. Ces différences entre les types de cerveau et les capacités cognitives sont en grande partie attribuées à des influences hormonales, notamment de la testostérone prénatale, qui causeraient une « hyper-masculinisation » du cerveau dès la période fœtale, et ceci aurait des conséquences permanentes visibles tout au long de la vie. La deuxième théorie importante est nommée la « gender incoherence theory » : à l’inverse de la théorie précédente, celle-ci présente l’autisme comme une gender defiant disorder. Dans cette perspective, les individus autistes sont vus comme défiant leur genre, et ces études observent une « inversion » des genres, où les hommes autistes sont considérés comme plus « féminins » et les femmes autistes comme plus « masculines »3. Certains postulent aussi que les individus autistes sont plus androgynes. Une troisième vision pour expliquer le sex ratio déséquilibré de l’autisme mettent en avant le fait que les troubles du spectre de l’autisme se présentent différemment entre hommes et femmes, et qu’il existe ainsi un phénotype féminin d’autisme. Celui-ci serait méconnu et peu pris en considération car les définitions cliniques de l’autisme se sont basées sur la présentation masculine du syndrome, et les recherches se sont ainsi faites sur des échantillons majoritairement ou exclusivement masculins. De ce fait, les particularités féminines de l’autisme et de sa présentation ne sont pas mesurées par les outils diagnostics courants, ce qui conduit au sous-diagnostic des filles et femmes et expliquerait ainsi une partie du sex ratio. Par ailleurs, les filles autistes sont aussi supposées « camoufler » leurs difficultés, notamment dans le domaine des relations sociales, ce qui rendrait l’observation de leurs troubles moins flagrante par rapport aux garçons, et le fait qu’elles soient diagnostiquées moins fréquent. Le quatrième type d’explication des différences de sexe dans l’autisme se base sur des explications génétiques. Les femmes auraient par exemple besoin d’une plus grande charge de mutation génétique que les hommes pour manifester des troubles menant à un diagnostic de

3 Il me semble important ici de noter que ces termes sont ceux utilisés par les auteurs eux-mêmes : ainsi je reprends leurs expressions et catégorisations car il me semble important d’utiliser les catégories mobilisées par les auteurs, et ne pas altérer la terminologie des chercheurs.

10 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi trouble autistique. De plus, il existerait des mécanismes génétiques conférant une protection aux femmes vis-à-vis de l’autisme, mais qui augmenterait le risque pour les hommes. Ces quatre explications témoignent des théorisations genrées des troubles du spectre de l’autisme existantes aujourd’hui. Comme le note Lesley Rogers (2010), les recherches biomédicales sur les différences de sexe peuvent se diviser en deux catégories : d’une part les explications unitaires, qui présentent la différence comme étant uniquement déterminée par les gènes, mettant donc en avant une vision essentialiste et déterministe des différences (Rogers, 2010). D’autre part, nous trouvons les explications interactives, qui postulent que les différences résultent de l’interaction de l’expérience et des gènes, c’est-à-dire une vision alliant le social et le biologique et la façon dont les deux se co-construisent (Rogers, 2010). Ces deux types d’explication se retrouvent dans le cadre des quatre théorisations genrées autour des TSA présentées ci-dessus. Ortega (2009) note que les recherches sur l’autisme et son étiologie se caractérisent par trois démarches majoritaires : la caractérisation du cerveau « autiste », la recherche d’un génotype autiste et la recherche autour des influences environnementales (Ortega, 2009). De même, la recherche de l’explication du sex ratio inégal des TSA s’articule autour de ces trois axes. Effectivement, les recherches s’emploient à trouver le lieu de la différence entre hommes et femmes atteints d’autisme, en les localisant soit dans les cerveaux soit dans les gènes, c’est-à-dire dans la biologie. Le dénominateur commun de ces démarches ainsi que des théories précédemment citées, est la localisation des mécanismes causant la prédominance masculine dans la biologie et plus précisément dans le « sexe », tout en faisant une distinction claire et infranchissable avec le social, c’est-à-dire le « genre » (Cheslack- Postava et Jordan-Young, 2012). Comme nous le verrons dans le chapitre où nous analyserons plus en détail le corpus, les notions de sexe et de genre restent floues dans le champ des neurosciences et de la psychologie, et quand ces deux notions se retrouvent dans les recherches ils sont le plus souvent clairement distingués en tant que « sexe biologique » et « genre social », ou encore utilisés comme synonymes. Nous reviendrons plus en détail sur cet aspect dans l’analyse des articles scientifiques sélectionnés pour notre corpus.

Les théories genrées sur l’autisme ne sont cependant pas exemptes du contexte social où elles sont nées : en effet, toute science est ancrée dans un espace-temps qui l’influence et vice-versa. Comme le montre Ilana Löwy (1995, p.525) :

11 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

« (…) les divisions de genre opèrent à l’intérieur de la science. Cette proposition repose sur un double constat : celui du poids de la division en genres dans la société et la

culture, celui de l’impossibilité de laisser la science en dehors de la société et de la culture »4.

En effet, notre société se fonde en grande partie sur la bicatégorisation par sexe, où le masculin et le féminin sont clairement distincts, et où le masculin prédomine et constitue la norme (Kraus, 2000 ; Hammarström et Annandale, 2012). Cette division, en tant qu’elle est supposée ancrée dans la biologie, n’est pas remise en cause par les chercheurs car elle paraît naturelle et allant de soi (Kraus, 2000 ; Gardey, 2006). Ainsi, les recherches s’intéressant à des pathologies montrant une prévalence masculine ou féminine, comme notamment les troubles autistiques, courent le risque de présenter des interprétations prouvant une différence incommensurable car les catégories hommes et femmes sont théorisées comme distinctes par nature, en raison du caractère retenu comme biologique du sexe (Springer, Hankivsky et Bates, 2012). Les constructions binaires de sexe sont donc bien souvent renforcées mais pas remises en causes dans ces recherches (Springer, Hankivsky et Bates, 2012 ; Gardey, 2006).

Les articles sur les différences de sexe dans les TSA présentés ici s’inscrivent dans un plus large contexte de recherches sur les différences. Ces recherches sont intégrées elles-mêmes à une histoire, à des contextes et des lieux spécifiques. Il me semble ainsi important de présenter brièvement les recherches sur les différences de sexe dans le cadre des neurosciences particulièrement, pour montrer comment ce type de recherche s’inscrit, au même titre que tous les autres types, dans une constellation précise de contexte politique et social d’une époque donnée. Mon mémoire n’a pas pour but de proposer une analyse historique détaillée, il s’agit ici proposer un bref survol qui devrait permettre de saisir les grandes lignes de l’histoire dont sont héritières les recherches qui se font aujourd’hui sur les différences d’un point de vue biologique entre les hommes et les femmes. En effet, ces recherches de différences, et notamment au niveau du cerveau, ont souvent été menées en parallèle à un agenda politique ou sociétal plus large, où il a fallu ré(affirmer) l’ordre social basé sur les différences et la hiérarchisation des deux sexes. Comme le note en citant Ruth Hubbard

4 LÖWY, Ilana. Le genre dans l'histoire sociale et culturelle des sciences. In : Annales. Histoire, Sciences Sociales. Cambridge University Press, 1995. p. 523-529.

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(2012 :p.234) « pour être crus les faits scientifiques doivent coller aux visions du monde de l’époque »5 . Robyn Bluhm (2012) met en avant deux périodes importantes dans l’histoire des neurosciences et les recherches des différences de sexe au niveau cérébral. La première se situe

à la fin du 19ème siècle : dans un contexte de demandes de droits politiques et sociaux dans les sociétés Américaines et Anglaises, les médecins veulent prouver que les femmes n’ont pas les capacités intellectuelles pour exercer ces droits qu’elles revendiquent. Les chercheurs s’emploient à prouver que les femmes ont des cerveaux plus petits que les hommes, et donc que la taille serait à la base de la capacité intellectuelle des individus (Bluhm, 2012). De plus, on essaie de prouver que les activités et stimulations intellectuelles trop intensives seraient néfastes pour les femmes, voire désastreuses pour l’humanité entière car les bébés nées de ces mères intellectuelles seraient faibles et abîmés (Bluhm, 2012). La deuxième période importante se situe entre la fin des années 1960 et les années 1980 : les recherches de ces années se focalisent essentiellement sur l’endocrinologie, et plus spécifiquement sur l’influence des hormones pendant la période prénatale sur les fœtus et la constitution du cerveau (Bluhm, 2012). De ces recherches se développera le modèle linéaire du développement humain et des différences de sexe, qui suppose que les gènes induisent la production d’hormones qui vont sculpter le cerveau en fonction du sexe : ainsi, des cerveaux totalement masculins ou féminins seront développés, et qui détermineront de façon permanent les comportements et les caractéristiques psychologiques des hommes et des femmes (Bluhm, 2012).

Il est ainsi possible ici d’entrevoir les difficultés qui se posent dès lors qu’on se trouve en présence d’éléments pouvant perturber cette dichotomie à priori immuable. Comment faire quand des catégories de personnes ne rentrent pas dans cette conceptualisation binaire du sexe et du genre ? En effet, comme le note Delphine Gardey (2006 ; p. 665) :

« la matrice hétérosexuelle des conceptualisations biologiques du « sexe » (…) ne

semble pas tolérer la diversité ni le continuum »6.

5 Ma traduction de : « to be believed scientific facts must fit the world-view of the times ». Voir BLUHM, Robyn. Beyond neurosexism: is it possible to defend the female brain? – In BLUHM, Robyn, JAAP JACOBSON, Anne et MAIBOM, Heidi Lene (Eds), Neurofeminism. Issues at the intersection of feminist theory and cognitive science. New directions in philosophy and cognitive sciences. Palgrave Macmillan. 2012, p. 230-245. 6 GARDEY, Delphine. Les sciences et la construction des identités sexuées. Une revue critique. In : Annales. Histoire, sciences sociales. Éditions de l'EHESS, 2006. p. 647-673.

13 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Cependant comme le laissent entendre les théories genrées sur l’autisme, on se trouve précisément en face d’un potentiel défi à la dichotomie des sexes. Les individus atteints de TSA sont tantôt présentés comme hyper-masculinisés, tantôt comme androgynes voire même inverser leur identité de genre, introduisant ainsi un brouillage dans la certitude de la hiérarchisation et la division sexuée. Or ceci semble clairement problématique au vu de la prégnance de ce modèle dichotomique dans notre société, où l’ordre social semble basé sur l’ordre biologique (Vidal, 2013 ; Gardey et Löwy, 2000). Ainsi, l’incertitude et l’ambiguïté n’ont pas de place dans la matrice de différence des sexes, et encore moins dans la médecine qui fonde une grande partie de ses paradigmes dans la division des sexes, et qui met en avant l’importance d’avoir une identité sexuelle claire pour le bien-être des individus (Gardey et Löwy, 2000). Comment alors réagir face à des cas qui ne semblent pas suivre ces lignes rigides ? De quelle façon procède la psychologie et les neurosciences face à ces brouillages des genres dans le cas des TSA ? Un problème semble ainsi se dessiner entre les théories de la dichotomie du sexe et les observations faites sur les individus TSA.

1.1.2. Question de recherche

Les TSA semblent ainsi introduire des questionnements autour de la validité du cadre théorique de la dichotomie des genre. En effet, le développement de théories genrées autour de l’autisme laissent-elles penser que le sexe et le genre sont pensés dans les recherches sur l’autisme. On peut se demander alors comment les neurosciences et les disciplines qui s’y rattachent négocient avec ces définitions quand les distinctions classiques sont remises en cause, et les manières dont les théories genrées autour de l’autisme sont mobilisées par ces savoirs scientifiques pour rendre compte des brouillages de genre qui se profilent. Ainsi, mon mémoire va-t-il essayer de répondre à la question suivante : en empruntant la formulation de Judith Butler7, l’autisme met-il en avant un « trouble dans le genre » ? Plus précisément, les individus autistes sont-ils un défi à la binarité des genres ? En effet, les théories tels que la « Extreme male brain theory « ou la « Gender incoherence theory » postulent des « troubles dans le genre » chez les individus atteints de troubles autistiques. Dans le cadre théorique de la binarité des sexes, des phénomènes vus comme

7 BUTLER, Judith. Trouble dans le genre: le féminisme et la subversion de l'identité. Paris : Editions La découverte, 2006.

14 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi atypiques pour les hommes seront considérés comme féminins, et à l’inverse un phénomène atypique pour les femmes sera vu comme masculin (Jordan-Young et Rumiati, 2012). Les recherches dans mon corpus montrent comment les sciences médicales essayent de remettre en ordre la binarité des genres en trouvant l’origine des « anormalités » de la différenciation sexuelle, que ce soit au niveau cérébral, hormonal ou encore environnemental, pour ainsi pouvoir rétablir l’ordre des sexes sur lequel se base la majorité des paradigmes de la médicine et de la psychologie. Les différences hommes-femmes sont de cette façon rétablies et validées car basées sur des recherches scientifiques.

On peut aussi se demander pour quelle raison des théories telles que la « Extreme male brain theory » ou la « Gender incoherence theory » sont si largement reprises dans les études sur l’autisme et les différences de sexe : que nous dit ceci sur l’état et le rapport qu’entretiennent les neurosciences avec les notions de sexe et de genre ? Mon mémoire va permettre de voir la relation des neurosciences et des recherches biomédicales avec le sexe et le genre, et comment ces sciences participent à la construction de définitions qui vont avoir des effets plus larges, et notamment au niveau du diagnostic et de la prise en charge des troubles autistiques. Tout ceci met en lumière toute la complexité de penser les notions de sexe et de genre dans le contexte des sciences dites « dures ». Cela nous permet aussi de nous interroger sur les difficultés à penser la matérialité (du corps, du cerveau) et les différences construites, sociales, tout ceci en lien avec l’autisme et le sex ratio inégal qui s’observe. Outre ces considérations plutôt épistémiques, il est intéressant d’étudier la façon dont l’autisme est pensé comme un syndrome au masculin. En effet, des articles de mon corpus mettent en avant comment la version (le « phénotype ») féminine de l’autisme est différente de celui masculin, presque une variante « anormale » de la présentation classique du trouble autistique. La norme est ainsi pensée au masculin, comme cela a été le cas pour d’autres maladies (par exemple les maladies cardio-vasculaires). L’article de Gillis-Buck et Richardson “Autism as a biomedical platform for sex differences research” de 2014 m’a servi de base de réflexion pour ma problématique. Dans cet article, les deux auteures mettent en avant la façon dont la recherche autour des différences de sexe dans l’autisme devient en réalité un point focal d’où partent d’autres recherches sur les différences entre hommes et femmes. De cette façon, la prévalence masculine de l’autisme est réduite à des causes biologiques, qu’elles soient au niveau cérébral ou génétique, tout en mettant dans l’ombre les causes sociales ainsi que les stéréotypes de genre qui pourraient aussi expliquer la vision de l’autisme comme un trouble au masculin. Comme le montrent Fausto-Sterling, Coll

15 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi et Lamarre (2012a), une distribution différentielle de la prévalence d’une maladie entre hommes et femmes peut laisser penser qu’il existe deux normes distinctes, c’est-à-dire une pour les femmes et une pour les hommes, et qui ne se recoupent pas. Ainsi ces recherches ancrées dans le cadre binaire des sexes participent-elles simultanément à renforcer ce même cadre (Springer, Hankivsky et Bates, 2012). Ce phénomène est d’autant plus amplifié qu’il émane d’un projet scientifique, ce qui lui confère une légitimité sociale accrue car la science est considérée comme neutre et objective (Löwy, 1995). Or les sciences, et ceux qui font science, sont aussi influencées par les représentations de genre qui prévalent à un moment et à un lieu donné, et dans un contexte social et politique, ce qui a un impact sur les théorisations, les méthodes et les recherches scientifiques (Gardey, 2006 ; Hoffman et Bluhm, 2016). Plus précisément, elles participent à construire et à (re)modeler les identités sexuelles des individus qu’elle étudie (Gardey, 2006 ; Gardey et Löwy, 2000), cela même si ces individus ne rentrent pas dans la bicatégorisation préscrite, comme le mentionne notamment Cynthia Kraus en citant Judith Butler (2000 ; p.190, souligné par l’auteur) : « (…) le sexe est une catégorie normative qui produit, circonscrit, régule le corps en permettant ou en interdisant certaines identifications pour produire un corps sexué, culturellement intelligible ». Ainsi, les sciences s’inscrivent dans un contexte où les individus ne peuvent être pensés que en appartenant à l’une ou l’autre des catégories dichotomiques de sexe, et aucun cas intermédiaire n’est toléré sous peine d’être pathologisé. Même en présence de cas ne rentrant pas clairement dans la dichotomie, il persiste « l’impératif culturel » (Kraus, 2000 : p. 209) de rétablir cette bicatégorisation en créant des « (…) identités et des corps sexués clairs et stables, quoique ces mêmes corps soient équivoques (…) » (Kraus, 2000, p.209, souligné par l’auteur). Nous verrons ainsi par la suite comment ceci s’applique dans le cas des individus atteints de TSA, et la façon dont ils présentent un défi au cadre théorique de la dichotomie des genres.

1.1.3. Enjeux et apports de la recherche

Mon mémoire va ainsi mettre en lumière la façon dont sont pensées les notions de sexe et de genre dans les champs scientifiques s’intéressant aux TSA, et comment ces savoirs médicaux vont négocier avec le défi que semblent poser les individus atteints de troubles autistiques au dogme de la binarité de genre. Comme le notent Löwy et Rouch (2003), les différences de sexes sont influencées, co-crées par les pratiques scientifiques d’un espace-temps donnée, ainsi que par le développement de nouvelles technologiques médicales. Mon travail va

16 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi s’inscrire dans cette démarche qui consiste à ne pas considérer les notions de sexe et de genre ainsi que les différences biologiques comme étant des objets stables ; au contraire il s’agira ici de voir la façon dont ces notions sont inscrites dans le contexte scientifique actuel qui situe de façon croissante les différences entre les sexes au niveau cérébral. Étudier les théorisations genrées autour de l’autisme me semble aussi important au vu des implications plus larges qu’elles engendrent : en effet, ces théorisations, qui sont aussi des affirmations sur le sexe et le genre, influencent les pratiques cliniques et de diagnostic entourant l’autisme, ce qui atteint directement les individus concernés par ces troubles. On peut ainsi penser que ceci peut avoir des conséquences délétères sur ces individus, mais aussi leurs proches. En cristallisant et essentialisant les différences de sexes entre les individus atteints de TSA, il existe un risque de véhiculer l’idée que ces différences sont fixes et naturelles, donc inévitables car « crées » par la nature (Fine, 2012 ; Rippon et al. 2014). Mon mémoire va aussi permettre de voir comment sont pensés le masculin et le féminin dans les sciences s’intéressant au cerveau et le lien avec les comportements, et la manière dont est pensé et négocié la binarité des genres dans un contexte qui semble la défier tel que les TSA. Delphine Gardey et Ilana Löwy (2000 ; p. 14) notent en effet que « (…), les dichotomies sont donc entités variables, objets de définitions et de redéfinitions, modes d’interrogation inévitablement situés et datés mais toujours à l’évidence tributaires d’une pensée du féminin et du masculin, et de leurs relations. ». Analyser les conceptualisations et les théorisations autour des différences entre les hommes et les femmes dans le contexte médical me semble d’autant plus important que, dans nos sociétés biomédicalisées, la voix de la médecine a un fort écho, d’autant plus quand les explications des différences de sexes semblent résider dans le cerveau (Kaiser et al., 2009). Comment trouver un meilleur « haut-lieu biologique » que le cerveau ? Voir comment les sciences médicales et psychologiques sont, au même titre que les autres sciences, parcourues et traversées par des stéréotypes et des idées préconçues sur le genre (Van den Wijngaard, 1991), le sexe, le masculin et le féminin devient ainsi plus qu’un simple exercice de pensée. Il devient essentiel car ces théorisations genrées ont des réels effets sociétaux, ainsi que cliniques dans le cas de l’autisme (Rippon et al. 2014), mais aussi sur les représentations sociétales autour de l’autisme et des individus atteints de ce trouble. En analysant un corpus d’articles publiés sur une période de dix ans, je vais pouvoir proposer une vue d’ensemble sur l’état des recherches et des pensées autour du sexe et du genre dans le contexte de l’autisme sur un période déterminée. Ce n’est donc pas une revue de l’état des recherches depuis le début des travaux sur l’autisme, mais plutôt une fenêtre sur un laps de temps court mais dense en termes de publications disponibles.

17 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Ce travail va en outre permettre de mettre en évidence la manière dont les sciences biomédicales participent à définir et à construire les identités sexuées (Gardey, 2006), et de cette façon justifier et maintenir le cadre de la dichotomie des genres, qui s’inscrit dans notre société qui se fonde en grande partie sur la stabilité de cette binarité (Kraus, 2000). Face à une catégorie d’individus qui semble défier cette binarité, les sciences médicales continuent de les penser en références à deux sexes catégoriquement différents, comme on le voit pour les cas intersexuels, mais aussi dans les cas de l’autisme (Kraus, 2000). Jordan-Young (2012) montre dans son travail sur les femmes atteintes d’hyperplasie congénitale des surrénales, un trouble endocrinien dans lequel les femmes présentent des taux anormalement élevés de testostérone et sont donc considérées comme « masculinisées », comment ce diagnostic devient un cadre à travers duquel se définit et se re-définit la sexualité et le genre, et aussi à travers lequel on va juger et interpréter les traits et les comportements de ces femmes. De même, nous verrons la manière dont le diagnostic d’autisme peut avoir ces mêmes effets. En dernier lieu, mon mémoire va aussi proposer une vue d’ensemble sur l’utilisation et les définitions des notions de sexe et de genre, à travers l’étude des articles de mon corpus. Ceci va permettre de mettre en lumière la façon dont opère le déterminisme biologique qui semble s’ancrer de plus en plus dans la médecine d’aujourd’hui, mais aussi les conséquences de l’utilisation des notions de sexe et de genre comme synonymes, un fait qui s’observe clairement dans les articles de mon étude (Hammarström et Annandale, 2012).

1.1.4. Plan de travail

Mon mémoire se divise en trois parties. La première partie se compose de l’introduction aux troubles du spectre de l’autisme proposée ci-dessus. La suite de cette première partie retrace le cadre théorique et méthodologique, inspiré en grande partie par les critiques féministes des sciences. Il s’agit ainsi de poser les bases conceptuelles sur lesquelles se construira le restant de l’argumentation. Dans la deuxième partie, je propose d’analyser plus en profondeur les troubles du spectre de l’autisme, en retraçant l’histoire de sa définition depuis l’apparition de l’autisme comme figure clinique et entité diagnostique. J’aborderais aussi les différents outils diagnostiques. À la suite de ceci, j’analyserais plus en détail les théories genrées déjà mentionnées brièvement dans cette première partie. Ceci sera relié avec l’étude du corpus d’articles qui constitue mon terrain d’analyse pour ce mémoire.

18 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

La troisième partie se veut plus critique : en empruntant des concepts et notions des critiques féministes des sciences, ainsi que du courant des Critical neurosciences, il s’agit de lire et analyser les théories genrées de l’autisme d’un point de vue féministe. Cette partie montrera la façon dont les troubles du spectre de l’autisme se posent, outre qu’un trouble masculin, aussi en un véritable trouble de genre.

2.1. Cadre théorique

L’étude critique des sciences (Sciences studies) nous donne des outils pour penser la science non comme un objet naturel et sans histoire, mais plutôt comme une « institution » (Pestre, 2006 : p.3) où se concentrent « un ensemble de « pratiques et de faire » (ibid). Ainsi, la science est une entreprise humaine, où agissent des individus et dont les pratiques scientifiques se rattachent au contexte social et historique dans lequel ils vivent. Dans cette approche critique, la science est donc « dés-essentialisée » (Pestre, 2006 : p. 7), c’est-à-dire dépourvue de son aura de discipline neutre et objective, et devient de ce fait un objet d’étude permettant l’analyse et la critique des manières de faire, des idéologies ou encore des théorisations qui y ont lieu. Cependant, ces pratiques scientifiques ne se font pas dans un vase clos, mais bel et bien dans un contexte social donné, et où les deux se co-produisent et s’influencent mutuellement (Pestre, 2006). En effet, comme le note Dominique Pestre (2006 : p.48), « la science étant un dispositif qui produit des ordres conceptuels et sociaux multiples – et non un dispositif qui « dévoilerait » simplement l’ordre caché de la nature - , il est maladroit de « décontexualiser » ce qu’elle dit et fait. Toujours liés à des porteurs et des lieux, ces dires et faire sont toujours en passe d’être redéfinis. ». Les savoirs scientifiques sont dont intégrés dans des lieux précis, ce qui remet en question la prétendue universalité des savoirs des sciences dites « dures » (Oudshoorn, 1998). Cette approche critique des sciences permet aussi de se défaire de la vision courante qui représente la science comme une entreprise tendant toujours vers le progrès, et où les « erreurs » du passé font partie de ce cheminement vers la vérité scientifique (Gardey, 2006 ; Pestre, 2006 ; Gardey et Löwy, 2000). En adoptant une vision historique, on peut ainsi dévoiler la manière dont les sciences et leurs pratiques ont toujours été en lien avec le contexte où elles se font. Depuis les années 1970, des travaux critiques féministes sont venus compléter et élargir les concepts des Science studies. Des biologistes et autres scientifiques femmes ont voulu mettre en avant le caractère sexiste des savoirs des sciences de la vie ou des sciences sociales en montrant la manière dont ces savoirs naturalisent les différences entre les hommes et les

19 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi femmes, ainsi que les notions de masculinité ou de féminité (Pestre, 2006). Le concept de « genre » vient alors signifier la distinction entre ce qui est socialement construit (le genre) et ce qui est biologique (le sexe), pour se défaire des discours naturalisants et essentialistes sur les différences et les inégalités hommes/femmes (Hammarström et al. 2014 ; Krieger, 2003 ; Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 2003 ; Gardey et Löwy, 2000). Cette dichotomie a été remise en cause dans les années 1980 et 1990, notamment à travers les théories queer, qui pensent le sexe comme étant lui aussi un fait social, et rompant ainsi la distinction claire entre genre et sexe proposée par la première vague féministe (Kraus, 2000 ; Kaiser, 2012 ; Kaiser et al., 2009 ; Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 2003). Dans ce même contexte, le genre est aussi pensé en termes relationnels, dans le sens où il est vu comme une catégorie d’analyse et comme un signifiant de relations de pouvoir et d’inégalité entre les hommes et les femmes (Löwy, 1995 ; Springer, Hankivsky et Bates, 2012 ; Gardey et Löwy, 2000). La critique féministe des sciences nous donne ainsi des outils précieux pour prendre en compte les opinions ordinaires dans les sciences, c’est-à-dire les représentations et images qui sont produites par ce que Sandra Harding (1989) appelle « science as usual », c’est-à-dire « les sciences telles qu’elles se font » (Gardey, 2006 : p. 651). Cette approche nous permet de comprendre la relation entre les images de la masculinité et de la féminité qui prévalent dans une société à un temps donnée et la production de savoirs scientifiques sur la masculinité et de la féminité8. On peut ainsi se poser la question de savoir quels sujets sont choisis par les sciences, et pourquoi tel sujet est-il considéré pertinent. Regarder les « sciences telles qu’elles se font » permet de rompre avec la vision de l’objectivité et la neutralité absolue qui est attachée aux sciences naturelles, et de mettre en avant le fait que toute connaissance est située, c’est-à-dire ancrée dans un contexte social et politique, mais aussi qu’elle est le fruit d’individus eux-mêmes intégrés dans ce contexte (Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 2003 ; Fausto-Sterling, 1986). Dans le cadre des critiques féministes, ceci a permis de dé-naturaliser des propos sur la différence entre hommes et femmes, ou encore sur la place de la femme dans la société. Le genre est ainsi un outil d’analyse puissant, et aussi un concept qui nous permet de comprendre les significations de la masculinité et de la féminité qui sont

8 Ma traduction de : “(…)better understanding about the rela- tion between the social images of masculinity and femininity and the scientific production of knowledge about masculinity and femininity”. Voir VAN DEN WIJNGAARD, MARIANNE. The Acceptance of Scientific Theories and Images of Masculinity and Femininity. Journal of the History of Biology, 1991, vol. 24, no 1, p. 19-49.

20 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi attachées aux catégories d’homme et de femme dans une société (Löwy, 1995). Cet outil, ainsi que les apports des critiques féministes des sciences fournissent un cadre théorique intéressant pour étudier les manières multiples dont les sciences participent à (co-)créer les notions de masculinité et de féminité, ou encore de différences de sexe/genre en les transformant en phénomènes naturels car ancrés dans la biologie (Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 2003 ; Gardey et Löwy, 2000).

3.1. Sources et méthodologie

3.1.1. Provenance et nature des données

Ma recherche se base sur l’analyse d’un corpus d’articles issus de la base de données américaine PubMed9, qui compte près de 30 millions de références de littérature médicale. J’ai choisi cette base de données pour le grand nombre de références proposées, ainsi que pour sa large utilisation dans d’autres articles de recherche se basant sur l’étude de corpus d’articles médicaux. Pour étudier la façon dont semble apparaître le « trouble dans le genre » dans l’autisme, j’ai centré mes recherches autour d’articles traitant des différences de sexe/genre et d’autisme. Ainsi mon terrain est constitué d’articles scientifiques provenant de différents domaines, dont notamment les neurosciences, la psychologie ou encore la génétique. La majorité de mon corpus est constitué d’articles présentant des recherches de psychologie cliniques, comportant des observations effectuées sur un groupe cible (ici les individus atteints de TSA) et sur un groupe contrôle (ici des individus dits neurotypiques, donc non atteints de TSA), ainsi que l’administration de tests psychologiques. Une autre partie des articles présentent des recherches incluant des mesures et des prélèvements, notamment de sang pour y mesurer des niveaux d’hormones. De plus, une partie du corpus se constitue de recherches utilisant des techniques d’imagerie cérébrale comme par exemple l’imagerie par résonnance magnétique (IRM). Enfin, il me semble important ici de mentionner que certains articles ne traitent pas d’individus diagnostiqués autistes, mais travaillent sur des individus sains présentant des traits autistiques. J’ai choisi d’intégrer ces articles dans l’analyse car ils représentent la vision d’un continuum des traits autistiques qui s’étend dans la population générale. Cette idée a été développée par la psychiatre Lorna Wing dans les années 1980, qui

9 Disponible sur: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov (consulté le 8 août 2020)

21 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi met en avant l’idée que des traits qu’on peut caractériser d’autistiques sont présents à des degrés divers dans toute la population, avec les cas extrêmes étant caractérisés de pathologiques donc diagnostiqués TSA (Baron-Cohen et Hammer, 1997). Je reviendrai plus en détail sur cette notion ultérieurement dans mon mémoire. Ces articles ainsi que les différentes méthodes utilisées seront présentés et analysés plus en détail dans la deuxième partie de mon travail. On notera dès à présent que près de 30% des articles proviennent d’Amérique du Nord, et 25% de Grande-Bretagne. Le reste provient essentiellement d’Europe et d’Australie. Uniquement trois articles sont non-Occidentaux : un est issu d’Iran, et deux de Chine. Le protocole suivi pour la sélection des articles (recherche par mots clés dans la fonction recherche de PubMed) est détaillée dans la prochaine section.

3.1.2. Méthode de récolte et d’analyse des données

Pour effectuer ma recherche dans la base de données PubMed, j’ai appliqué la méthode présentée dans l’article « Autism as a biomedical platform for sex differences research » de Gillis-Buck et Richardson (2014). Ainsi, j’ai appliqué leurs termes de recherches, qui me semblent pertinent au vu de la similitude de nos thèmes de recherche. Mettre en avant l’évolution des recherches sur les différences de sexe/genre et les troubles du spectre de l’autisme nous permet de voir la façon dont les recherches sur les différences de sexe/genre se développent dans les domaines de la médecine et de la psychologie, ainsi que la manière dont se dessine le « trouble dans le genre » dans et autour des TSA. J’ai utilisé la fonction de recherche standard proposée par PubMed, pour chercher des articles, abstracts et mots-clés traitant de différences de sexe/genre et d’autisme (Gillis-Buck et

Richardson, 2014 ; Oertelt-Prigione et al., 2010)10. En amont de cette recherche, j’ai effectué une première phase exploratoire : en combinant plusieurs mots clés de recherches, sur une période de 20 ans, j’ai pu constater que la question d’« autisme et genre » a commencé à

émerger comme point d’intérêt à partir des années 2010 11. Pour cette raison j’ai axé ma recherche finale sur une période de dix ans (2009-2019).

10 Termes de recherche effectué le 8 mars 2019: (autism AND (“sex difference*” OR “gender difference*” OR “sex specific” OR “gender specific” OR “sexual difference*” OR “sexual dimorph*” OR “sex dependent*” OR “gender dependent*” OR “sex based” OR “gender based” OR “sex ratio*” OR “sex characteristic*”) . Filtré par: Article types=Journal articles OR Review Text availability=Abstract OR Full text Publication dates=10 years Species=Humans

11 gender AND autism 2944 articles. Augmentation depuis 2014

22 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

En utilisant cette méthode de recherche, j’ai obtenu un total de 796 articles et revues de la littérature avec les termes de recherche, et 335 en rajoutant les filtres.

L’analyse du corpus d’articles sera à la fois quantitative et qualitative. Premièrement, une analyse quantitative (simple) va permettre de présenter le corpus plus en détail, ainsi que de mettre en avant la diversité des domaines de recherches et des méthodes utilisées. Ceci permet aussi de voir la multitude d’acteurs et de disciplines médicales qui s’intéressent aux TSA.

En deuxième lieu, j’effectuerai une analyse qualitative d’analyse de discours et de contenu, pour mettre en lumière les différentes théorisations qui existent autour des TSA. En lisant de façon systématique les articles du corpus, j’ai ainsi pu compléter une grille de lecture pour mettre en avant les théorisations genrées des TSA, ainsi que les définitions et les constructions des catégories de sexe et de genre, ce qui permet une vue d’ensemble de la manière dont ces notions sont effectivement pensées et travaillées dans les sciences biomédicales et psychologiques qui s’intéressent à l’autisme. Ceci permettra aussi de voir la façon dont ces sciences négocient avec le trouble dans le genre posé par l’autisme, face au cadre théorique de la binarité des sexes, en essayant de trouver des explications biologiques pouvant sauver l’ordre social reposant sur la distinction claire entre hommes et femmes.

Ma méthode se veut féministe en ce sens que je suis les propositions d’Isabelle Clair (2016 : p.70), qui propose qu’une méthode peut être qualifiée de féministe si : « 1) elle promeut de penser ensemble théorie et méthode ; 2) elle fonde cette théorie sur une acception que selon laquelle le genre est une catégorie d’analyse et non un objet ou une « donnée » à observer ; 3) elle s’appuie sur un corpus bibliographique féministe – entre autres corpus ». Lier méthode et théorie me semble pertinent dans le cas de mon mémoire, qui va allier analyse d’un corpus biomédical et critique féministe des sciences. Cette analyse féministe du corpus se fait donc à travers le prisme du genre, où le genre en tant que catégorie d’analyse (Scott et Varikas, 1988), fait ressortir les enjeux et les (re)négociations qui ont lieu dans le cas des recherches sur les TSA et l’apparent trouble de genre qui s’y profile.

women AND autism 506 articles. Augmentation depuis 2014 autism AND gender differences 753 articles. Augmentation constante depuis 2010 autism AND sex ratio 129 articles. Pic en 2016

23 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

3.1.3. Choix des articles

Mon corpus final se compose de 69 articles, qui seront la base de mes analyses. Pour sélectionner les articles pertinents pour ma recherche, j’ai appliqué les critères de sélection développés par Oertelt-Prigione et collègues (2010). Ces derniers développent les critères d’inclusion et d’exclusion pour choisir des articles pertinents à analyser du point de vue des différences de sexe/genre12 : Critères d’inclusion : • Articles décrivant des différences de sexe/genre spécifiques dans l’espèce analysée • Articles analysant des données relatives à des différences spécifiques de sexe/genre

Critères d’exclusion : • Absence de descriptions de sexe/genre • Présence d’énoncés généraux ou sans analyse • Référence à la maladie étudiée uniquement comme co-morbidité

En appliquant cette méthode de filtrage et de sélection, 69 articles remplissaient les conditions et sont ainsi pertinentes pour mon analyse. Le schéma 1 montre le processus de sélection, et est inspiré de la méthode utilisée par Loomes, Hull et Mandy (2017).

12 Oertelt-Prigione et al. (2010, p.2)

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Articles identifiés à travers recherche dans base de • Identification donnée PubMed (n=796)

Application de filtre de recherche • Filtrage (n=335)

Analyse des abstracts rentrant dans les critères de • Analyse sélection (n=184)

Articles retenus pour analyse (n=69)

Schéma 1 : Processus de sélection et de filtrage des articles du corpus

Le corpus final se compose de 69 articles retenus pour l’analyse. Comme mentionné plus haut, la majorité des articles proviennent d’Amérique du Nord et du Royaume-Uni. Il ne ressort pas d’auteur ou de groupe d’auteur majoritaire, ce qui montre que le thème des différences de sexe/genre dans les TSA est un sujet qui intéresse un grand nombre de chercheurs divers. Ceci a aussi été observé dans le corpus d’articles étudiés par Gillis-Buck et Richardson dans leur article (2014). Les domaines majoritaires qui étudient les TSA et le sex ratio déséquilibré sont la psychologie, la psychiatrie et les neurosciences. Cette diversité permet de voir la prégnance des questions des différences de sexe/genre dans les TSA, mais aussi plus largement, comme nous allons le voir plus loin. Les revues de la littérature ne sont pas inclus dans le corpus, mais seront utilisées pour compléter les analyses car ils constituent des outils intéressants pour suivre le développement des connaissances scientifiques dans un domaine (Oertelt-Prigione et al., 2010). Ainsi, le corpus inclut des articles présentant des recherches cliniques en psychologie, psychiatrie ou encore neurologie. Ce type d’article permet de voir la façon dont sont conceptualisées les notions de sexe et/ou de genre dans les domaines de la psychologie et des neurosciences, et comment ceci est intégré aux réflexions autour des TSA.

25 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Ces articles permettent aussi d’analyser les discours autour des concepts de sexe et de genre, et de mettre en avant comment ces disciplines pensent le genre, notamment en lien avec des affections qui semblent le troubler, comme les TSA. Les articles choisis proviennent de journaux scientifiques divers, même si la majorité des articles ont été publiés dans des revues spécialisées dans les recherches autour des troubles autistiques. Ainsi, une grande partie des articles publiés en 2017 par exemple ont été publiés dans un numéro spécial de la revue Autism sur les questions de genre et d’autisme13. Ceci montre comment les questions des différences de sexe/genre commencent à être des questions de plus en plus importantes dans les domaines de la médecine et de la psychologie. Le tableau 1 montre les journaux d’où proviennent les articles de mon corpus.

Liste des revues scientifiques American Journal of Medical Genetics Part B: Neuropsychiatric Genetics (USA) Archives of Sexual Behavior (USA) Autism (USA) Autism research (USA) Biological Psychology (USA) Brain (UK) Disability and health journal (USA) Journal of abnormal child psychology (USA) Journal of attention disorders (USA) Journal of autism and developmental disorders (USA) Journal of neurophysiology (USA) Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry (USA) Laterality: Asymetries of Body, Brain and Cognition (USA) Molecular autism (UK) Neuroscience bulletin (Chine) PLoS One (USA) Psychiatry Research: Neuroimaging (USA) Psychoneuroendocrinology (USA) Research in developmental disabilities (USA) Social cognitive and affective neuroscience (UK) The British Journal of Psychiatry (UK) Tableau 1 : Liste des journaux scientifiques

13 Autism. Special Issue on : Women and girls on the autism spectrum. Vol. 21, n.6, Août 2017. En ligne https://journals.sagepub.com/toc/auta/21/6 (consulté le 11 avril 2020).

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II. Les troubles du spectre de l’autisme : des troubles au masculin ?

2.1. Les troubles du spectre de l’autisme

Cette partie propose un bref historique de la notion d’autisme et de sa définition. Nous nous intéresserons ensuite aux critères diagnostiques tels qu’ils sont mis en place par les classifications internationales : la Classification Internationale des Maladies (CIM) et le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM), qui sont les références pour la majorité des travaux de recherche, mais aussi pour poser un diagnostic d’autisme aujourd’hui. Le DMS sera particulièrement intéressant ici en ce qu’il représente la « Bible de la psychiatrie » (Bajeux, 2016 : p.18 ; Vuille, 2014), et est donc particulièrement influant dans les pratiques cliniques et la recherche scientifique. Ce Manuel a la particularité de ne pas proposer d’étiologie des troubles, mais uniquement les différents critères qui doivent être remplis pour poser un diagnostic (Bajeux, 2016). Le DSM est édité par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA) qui se compose d’acteurs privés et publics experts dans le domaine de la psychiatrie. Bien que le DSM soit édité aux États-Unis son influence dépasse largement ses frontières, et il est utilisé au niveau international comme outil diagnostic mais aussi dans une myriade d’autres fonctions : effectivement, Marilène Vuille (2014 : p.3) note que « [s]es modes d’exploitation sont diversifiés : clinique, scientifique, mercantile, idéologique, médico-légal, à des fins de pouvoir, de remboursement des soins, d’élaboration de politiques publiques (…) ». Ainsi, le DSM se démarque comme un outil extrêmement influant et puissant dans les domaines de la psychiatrie, et les spécialités qui s’y rattachent, dont notamment les neurosciences. L’influence d’une approche neurologique, qui se note particulièrement dans la dernière version du DSM (DSM- 5, APA, 2013) s’inscrit ainsi dans la notion, qui fonde la psychiatrie, selon laquelle les troubles mentaux sont avant tout des maladies du cerveau (Bajeux, 2016 : p.19). Les troubles autistiques, comme nous l’évoquerons plus loin, sont ainsi pensés majoritairement comme étant localisés au niveau cérébral. Nous le verrons, les troubles autistiques ont subi et subissent des changements de définition et de caractérisation au cours des différentes versions du Manuel. Commençons ainsi par présenter l’autisme en proposant un bref survol historique de l’évolution de ce trouble et de sa caractérisation au cours du temps.

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2.1.1. Bref historique

La notion d’autisme telle qu’elle est pensée aujourd’hui prend ses racines dans les premières théorisations qui ont été faites à son sujet dans les années 1940. Même s’il est vrai que les individus qui aujourd’hui auraient été considérés autistes ont été classés de façons différentes à travers l’histoire (par exemple « l’idiotie » ou « arriération mentale » dans les débuts du XXème siècle), la définition qui est utilisée aujourd’hui date du milieu des années 1940. Ainsi, le bref historique proposé ici débutera à cette période, même si écrire l’histoire de l’autisme à travers le prisme du genre me semblerait un projet intéressant, ce n’est néanmoins pas le propos de mon mémoire14. Le terme d’autisme a été utilisé la première fois par un psychiatre suisse, Eugen Bleuler, qui en 1911 l’utilise pour décrire un mécanisme de défense qui survient chez les schizophrènes adultes, et qui consiste en un repli sur soi et une distanciation en réponse à des difficultés émotionnelles due au trouble schizophrène (Hochmann, 2009 ; Tardif et Gepner, 2019). Le mot autisme vient du grec autos et signifie « soi-même ». Ainsi, au début le terme autiste s’applique à un mécanisme dit secondaire (c’est-à-dire en lien avec une autre pathologie, ici la schizophrénie), et non à un trouble à proprement parler comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut attendre les années 1943, quand le pédopsychiatre américain Leo Kanner utilise ce même terme pour décrire « (…) une figure clinique originale » (Hochmann, 2009 : p.246) dans son article « Autistic disturbances of affective contact » (Kanner, 1943). Kanner y décrit ce qu’il appelle un « trouble autistique (inné) du contact affectif » (Hochmann, 2009 : p.246), trouble qu’il nomme autisme infantile précoce. Kanner a effectué des observations sur une cohorte de onze enfants, soit huit garçons et trois filles, tous âgés de moins de onze ans. Il relève ainsi deux symptômes centraux de l’autisme qui sont la solitude et l’immuabilité, observant que ces enfants ne jouent pas avec les autres, ou alors de façon anormale, et qu’ils se focalisent, parfois jusqu’à l’obsession, sur des détails (Hochmann, 2009). Kanner veut à tout prix différencier l’autisme de la schizophrénie, notamment en insistant sur le fait que la difficulté fondamentale de ces enfants autistiques est leur « (…) inaptitude (…) à établir des relations normales avec les personnes et à réagir normalement aux situations depuis le début de la vie » (Hochmann, 2009 : p.247, italiques de l’auteur). Kanner met donc en avant le caractère inné du trouble autistique, sans pour autant en proposer une étiologie spécifique. Étant fortement influencé par

14 Pour l’histoire de l’autisme, on peut par exemple se référer à : HOCHMANN, Jacques. Histoire de l’autisme. Paris : éditions Odile Jacob. 2009.

28 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi la psychanalyse et la psychopathologie 15 , il suggère une possible cause venant de l’environnement familial qu’il décrit comme étant peu aimant, ainsi que des problèmes dans les interactions initiales entre les parents et l’enfant, et plus particulièrement du côté de la mère (Hochmann, 2009 ; Tardi et Gepner, 2019). Ces propos ont notamment inspiré la notion de « mères réfrigérateur » qui a été longtemps invoqué pour décrire ces mères « froides et distantes » d’enfants autistes, même si comme le note Jacques Hochmann (2009), les propos de Kanner ont été déformés au cours du temps. Néanmoins, cette théorie qui met en cause la relation mère-enfant - aussi appelée hypothèse psychogénétique maternelle - a prévalue jusqu’aux milieu des années 1970 au moins, comme nous allons le voir plus loin (Hochmann, 2009 ; Tardif et Gepner, 2019).

Presque simultanément à Kanner, une autre théorisation de l’autisme voit le jour : il s’agit de celle faite par le pédiatre autrichien Hans Asperger, et qu’il publie dans son article « Les Psychopathes autistiques pendant l’enfance » en 1944, soit un an après Leo Kanner. Cependant, les deux hommes n’avaient pas connaissance de leurs travaux respectifs, malgré la quasi simultanéité de leurs articles. De plus, l’article d’Asperger va passer inaperçu à sa publication, et restera dans l’oubli jusque dans les années 1980, quand la pédopsychiatre anglaise Lorna Wing traduit et publie cet article16. A la différence de Kanner, Asperger décrit l’autisme comme un état, c’est-à-dire un type de personnalité pathologique, plutôt qu’une maladie (Hochmann, 2009). Il base sa caractérisation sur l’observation de quatre garçons, qu’il suit pendant de nombreuses années dans la vie quotidienne. Sa description des individus atteint de ce qu’il nomme la « psychopathie autistique » se rapproche de celle de l’autisme infantile précoce de Kanner car Asperger note que « l’anomalie principale du psychopathe autistique est une perturbation des relations vivantes avec l’environnement (…) » (Hochmann, 2009 : p.257). La difficulté dans les relations et les interactions sociales sont donc, comme chez Kanner au centre du trouble autistique. Asperger note aussi la difficulté qu’ont ces individus à décoder les émotions d’autrui, ce qui aujourd’hui est théorisé comme un manque d’empathie, notion que nous aborderons plus tard. Dans ses observations, Asperger a remarqué la plus forte prévalence masculine de

15 Discipline développée au début du 20ème siècle, qui tente d’expliquer les maladies mentales, notamment en comprenant les mécanismes psychologiques par lesquels l’organisme réagit à des troubles. Les symptômes des maladies mentales sont donc vues comme des réactions à des difficultés émanant de l’environnement et de la relation avec celui-ci de l’individu (Hochmann, 2009) 16 WING, Lorna. Asperger's syndrome: a clinical account. Psychological medicine, 1981a, vol. 11, no 1, p. 115- 129.

29 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi l’autisme, et note que les rares filles atteintes ne présentent qu’une partie des traits de personnalité qui caractérisent les garçons autistes, et aussi que l’autisme chez ces filles est plutôt une conséquence d’une encéphalopathie, c’est-à-dire de maladies au niveau du cerveau (Hochmann, 2009). Asperger va ouvrir la voie à la théorie du « cerveau masculin extrême » que va développer le psychiatre anglais Simon Baron-Cohen presque 50 ans après, car il évoque déjà le fait que l’autisme est une forme « hypertrophié » (Hochmann, 2009 : p.263) de l’intelligence masculine avec des capacités exacerbées pour l’abstraction, alors que l’intelligence féminine se porterait surtout sur les sentiments, qui selon lui sont absents chez les autistes. Pour finir, il me semble intéressant de noter qu’Asperger va aussi observer le développement de la vie sexuelle et sentimental des autistes, où il va noter que ce développement est « dysharmonieux » (Hochmann, 2009 : p.262), et qu’ils sont à la fois intéressés et désintéressés à la sexualité, mais qu’ils peuvent montrer des « extravagances » (ibid) dans ce domaine en montrant par exemple une « attirance homosexuelle » (ibid). Bien évidemment, quand Asperger parle « d’extravagancces » il faut prendre en compte son ancrage dans la psychiatrie et la société des années 1940, mais il me semble néanmoins intéressant de relever ceci car cette notion semble être un précurseur des observations qui sont présentées notamment dans mon corpus d’articles qui notent des attirances homosexuelles ainsi que d’autres comportements vus comme non conformes à la matrice hétérosexuelle. Ainsi, le terme d’autisme tel qu’il a été qualifié par Kanner et Asperger vont marquer ce que Tardif et Gepner (2019 : p.13) vont décrire comme « (…) une entité complexe, avec un noyau commun de signes spécifiques, et des frontières relativement floues (…) ». Cette vision est encore présente aujourd’hui, et s’inscrit dans la caractérisation des maladies mentales comme formant un continuum, avec des formes d’intensité variables, mais qui comportent des caractéristiques communes (Tardif et Gepner, 2019).

La notion d’autisme et sa compréhension va être surtout traitée et pensée par la psychanalyse, et ce jusqu’à la fin des années 1970, où les classifications internationales vont marquer la définition des maladies mentales ainsi que la discipline de la psychiatrie d’une manière encore visible aujourd’hui.

2.1.2. Les changements de 1970-1980 : les classifications internationales

L’approche psychopathologique, qui est issue de la psychanalyse, a été utilisée de manière dominante et quasi-exclusive pour tenter d’expliquer les causes de l’autisme, et ce

30 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi durant une trentaine d’années à la suite des théorisations par Kanner et Asperger dans les années 1940 (Tardif et Gepner, 2019). La psychopathologie fait partie de ce que Jacques Hochmann

(2009 : p.185) qualifie de « révolution doctrinale » dans la psychiatrie au début du 20ème siècle. Il s’agissait maintenant d’expliquer les maladies mentales, au lieu d’uniquement les classer et les décrire comme cela se faisait avant. Ce courant a été très inspiré par la psychanalyse, dont les concepts ont influencés les théorisations de Kanner et d’Asperger. L’autisme est ainsi considéré comme une psychose infantile, où le concept clé est la défense, c’est-à-dire que les manifestations symptomatiques de l’autisme sont des mécanismes de défense (des réactions) en réponse à des problèmes dans l’environnement du bébé ou de l’enfant, et ce principalement dans la relation avec la mère (Tardif et Gepner, 2019 ; Hochmann, 2009). Cette approche psychanalytique a été dominante pour expliquer et essayer de traiter l’autisme jusque dans les années 1970-1980. La décennie entre 1970 et 1980 va être marquée, surtout dans les pays anglo-saxons, par les avancées dans le domaine de la psychologie développementale, qui s’emploie à étudier le développement psychologique des enfants, qu’il soit normal ou pathologique (ibid). Les approches psychanalytiques, autrefois dominantes, sont maintenant condamnées, et c’est surtout la notion de psychose infantile qui va être critiquée, notamment à cause de la lourde responsabilité qu’a fait poser la psychanalyse sur les mères dans le trouble autistique de leur enfant. De plus, cette période voit une résurgence des approches génétiques en recherche, ainsi on souhaite proposer une vision plus organiciste et biologique des troubles mentaux, et non pas comme uniquement dus à l’environnement affectif comme cela était affirmé par la psychanalyse (Hochmann, 2009). Le changement de dénomination de l’autisme va changer en 1979, quand le Journal of Autism and Childhood Schizophrenia (fondé en 1971 par Leo Kanner), change de groupe éditorial et ainsi de titre pour devenir le Journal of Autism and Developemental Disorders, encore actif aujourd’hui (Hochmann, 2009) : l’autisme est maintenant considéré comme un trouble du développement, et on abandonne la notion de psychose infantile. Ce changement a été grandement influencé par le contexte sociétal de l’époque et notamment aux États-Unis, qui a été marqué par la constitution d’associations de parents d’enfants autistes de plus en plus organisées, et qui ont réussi à exercer une grande pression pour changer le statut de l’autisme, appuyés par l’acceptation en 1975 du texte de loi « Developemental Disabilities Act » qui reconnaît désormais l’autisme comme un trouble affectant le développement et nécessitant des soins et un suivi particulier et lourd (Hochmann, 2009).

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C’est en 1980 aussi que va être publié la troisième version du Diagnostic and statistical manual of mental disorders (APA, 1980), dans lequel l’autisme va véritablement devenir une entité diagnostique, et non plus uniquement associés vaguement à la schizophrénie infantile comme ce fût le cas dans les première et deuxième versions du DSM (Hochmann, 2009). La publication du DSM-III se fait dans un contexte difficile pour la psychiatrie, et dont les méthodes ainsi que sa véritable place dans la médecine, sont contestées (ibid). C’est pour cette raison, note Jacques Hochmann (2009), que la cause des maladies mentales sont rattachées à la biologie dans le DSM-III, pour ainsi redonner une image de scientificité à la psychiatrie. Le DSM-III classe ainsi l’autisme dans les troubles globaux du développement, et abandonne la terminologie de psychose. En 1987, le DSM-III révisé (DSM-III-R, APA) change la définition et place l’autisme dans les troubles envahissants du développement (TED). Cette terminologie va rester en place jusque dans les années 2013. Ainsi, le terme TED va rester dans le DSM-IV (APA, 1994) et dans sa version révisée le DSM-IV-TR (APA, 2000). Ce sont les catégories du DSM-IV, DSM-IV-TR et du DSM-5 (APA, 2013) qui vont le plus nous intéresser ici car ce sont principalement elles qui sont utilisées dans les travaux de recherche ainsi que dans les processus diagnostiques aujourd’hui. Les troubles envahissants du développement incluent cinq catégories dans le DSM-IV : autisme, syndrome d’Asperger (qui se caractérise par une absence de retard mental, à la différence de l’autisme), le syndrome désintégratif de l’enfance, le syndrome de Rett (survient à cause d’une mutation génétique sur le chromosome X et affecte donc majoritairement les filles), et les troubles envahissants du développement non spécifiés (TED-NOS). Ces troubles du développement se caractérisent par l’« altération de plusieurs secteurs de développement – capacités d’interaction sociale réciproque, capacités de communication – ou par la présence de comportements, d’intérêts et d’activités stéréotypés » (Hochmann, 2009 : p.454) : on voit ainsi l’influence de la caractérisation faite par Kanner dans les années 1940. Les DSM-IV/TR développent la dite triade autistique, longtemps utilisée comme référence diagnostique. Cette triade, qui présente les critères pour poser un diagnostic d’autisme sont les suivants (cités dans Tardieu et Gepner, 2019): a. altérations des interactions sociales réciproques b. anomalies/particularités de la communication verbale c. caractère restreint et répétitif des activités et des pôles d’intérêt

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L’autisme est ainsi, et à partir de là, considéré comme un trouble dû à des causes biologiques et dont les localisations qu’elles soient génétiques ou cérébrales peuvent être déterminées (Hochmann, 2009).

En 2013 sort la cinquième version du DSM (DSM-5, APA), pour l’instant encore la version la plus récente. Dans cette version, les catégories des TED du DSM-IV-TR sont regroupées sous le seul terme des troubles du spectre de l’autisme (TSA), qui eux-mêmes appartiennent à la rubrique des troubles neurodéveloppementaux. Le préfixe neuro souligne le fait que l’autisme est désormais vu comme un trouble au niveau cérébral, et que l’étiologie est à trouver dans la biologie plutôt que l’environnement. Le DSM-5 privilégie une approche dimensionnelle plutôt que catégorielle, c’est-à-dire l’évaluation de l’intensité des différents symptômes pour poser un diagnostic, au lieu d’uniquement donner des critères pour rentrer dans une catégorie diagnostique comme c’était le cas dans les DSM antérieurs (Tardieu et Gepner, 2019). Ainsi, le DSM-5 établit des niveaux de sévérité des TSA, plutôt qu’une appartenance à une catégorie d’autisme. La triade autistique classique utilisée jusque-là est remplacée par une dyade autistique, qui se compose des altérations de la communication sociale et des comportements restreints et stéréotypés. L’autisme selon le DSM-5 se définit donc par les caractéristiques suivantes (cités dans Tardif et Gepner, 2019 : p.33) : a. Déficits persistants dans communication et interactions sociales dans plusieurs contextes b. Comportements, intérêts ou activité restreintes, ou répétitifs, ainsi que troubles de la perception sensorielle c. Apparition des symptômes durant la période du développement précoce d. Symptômes causent déficits cliniquement observables dans les sphères sociales, occupationnelles ou autres e. Ces perturbations ne sont pas mieux expliquées par une déficience intellectuelle ou un retard global du développement

Le nouveau terme de troubles du spectre de l’autisme renvoie à l’idée d’un continuum sur lequel se distribuent les traits autistiques selon leur gravité et leur diversité, et met en lumière cette approche dimensionnelle privilégiée désormais par le DSM-5 (Tardif et Gepner, 2019).

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Parallèlement aux DSM, l’Organisation Mondiale de la Santé a aussi émis des classifications nosographiques : ainsi, celle qui est actuellement utilisée, souvent de façon conjointe avec les DSM-IV-TR ou le DSM-5, est la Classification Internationale des Maladies (CIM), et plus précisément la CIM-10 qui date de 1993. La CIM-10 utilise encore la notion de troubles du développement, qui regroupe ici huit catégories : autisme infantile, autisme atypique, syndrome de Rett, autre trouble désintégratif de l’enfance, hyperactivité associée à un retard mental et des mouvements stéréotypés, syndrome d’Asperger, autre TED et TED sans précision (OMS, 2008). Ces classifications nosologiques représentent des véritables guides diagnostiques à la disposition des professionnels de la santé. Voyons à présent comment se fait cette évaluation diagnostique dans le cas de l’autisme.

2.1.3. L’évaluation diagnostique : principaux outils

Le diagnostic de l’autisme, mais aussi les recherches scientifiques autour du trouble s’appuient principalement sur le DSM-IV-TR ou le DSM-5, le plus souvent conjointement au

CIM-1017. Pour établir le diagnostic, les praticiens utilisent aussi des outils d’évaluation, notamment pour mesurer la gravité et la manifestation des symptômes et des difficultés dans différents domaines. Le processus diagnostic fait intervenir un nombre important de spécialistes, dont des pédopsychiatres, des psychologues ou encore des éducateurs spécialisés. Le diagnostic est souvent posé avant les trois ans de l’enfant, et trois outils de diagnostic précoce sont majoritairement utilisés : le CHAT/M-CHAT (Baron-Cohen ; Robins), le questionnaire de communication sociale SCQ (Rutter, Bailey, Lord) ou le Autism spectrum screening questionnaire (ASSQ ; Ehlers, Gillberg et Wing). Ces outils se composent le plus souvent d’observations de l’enfant et de questionnaires remplis par les parents autour du comportement et du développement de leur enfant. En complément de ces premiers outils, on trouve aussi des outils développés pour évaluer l’intensité des troubles de façon quantitative et qualitative (Tardif et Gepner, 2019). Les trois principaux sont :

17 Il convient de noter que la France est ici un cas à part, et qui a développé sa propre classification, qu’elle applique majoritairement pour poser les diagnostics : il s’agit de la Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA-R, 2010). Cette classification est critiquée du fait de son utilisation de la notion de « psychose » infantile pour caractériser l’autisme, notion qui a été abandonnée par les classifications internationales du DSM et du CIM.

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1. CARS (échelle d’évaluation de l’autisme infantile), qui comporte des observations des comportements de l’enfant 2. ADI-R (autism diagnostic interview), un entretien structuré et standardisé avec les parents pour établir l’histoire développementale de l’enfant 3. ADOS (autism diagnostic observation scale), où on évalue les comportements de l’enfant dans des situations de jeu filmées.

Il existe d’autres outils et tests psychométriques, mais ceux présentés ici sont les plus utilisés dans la plupart des évaluations diagnostiques aujourd’hui.

Pour terminer, il me semble important d’ajouter que ces outils d’évaluation ont une forte composante subjective du fait qu’ils s’appuient sur des observations de comportements ou de situations de jeux notamment, mais aussi sur les appréciations des parents. Ces derniers peuvent ainsi, tout comme les professionnels de la santé, avoir des idées et des attentes notamment liées aux comportements qui serait appropriés ou bien vus comme anormaux chez leurs enfants, et en particulier des comportements « gender appropriate » c’est-à-dire qui sont considérés comme normaux pour une fille ou un garçon. De plus, le diagnostic des TSA est comportemental, c’est-à-dire qu’il est posé uniquement après l’évaluation des types et de la sévérité des problèmes comportementaux qu’ils engendrent (Tardif et Gepner, 2019). Nous verrons dans l’analyse du corpus que cette composante est traitée comme un facteur introduisant un biais dans le processus diagnostique des TSA, en défaveur des filles. La prochaine section propose une présentation des principales explications étiologiques des TSA.

2.1.4. Principales explications étiologiques

Les causes de l’autisme sont encore aujourd’hui inconnues, et malgré un nombre important de travaux de recherches qui ont été menés sur l’étiologie de ce trouble, aucun facteur ou autre mécanisme n’a été trouvé qui puisse expliquer l’autisme (Tardif et Gepner, 2019). La communauté scientifique s’intéressant aux TSA s’accorde cependant de plus en plus pour dire que ces troubles sont « l’expression clinique et psychopathologique de dysfonctionnements neurodéveloppementaux complexes et d’origine endogène et exogène » (Tardif et Gepner, 2019 : p. 7). Ainsi, les principales causes de l’autisme sont aujourd’hui supposées être localisées dans le cerveau et les innombrables circuits neuronaux qui le constituent, même si comme nous

35 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi le verrons ultérieurement la localisation précise au niveau anatomique et fonctionnel n’a toujours pas été trouvée. Les TSA seraient dues à des troubles survenus au cours du développement du système nerveux, et ceci aurait des origines génétiques et environnementales 18 (Tardif et Gepner, 2019). L’autisme n’est pas considéré comme une maladie aujourd’hui mais comme un syndrome, qui représente un ensemble de signes et de symptômes (ibid) : les TSA sont présentés comme étant des « syndromes d’origine multigénique et plurifcatorielle » (ibid : p.71). Ainsi, il n’existe pas une cause unique qui viendrait expliquer l’autisme, mais bien un ensemble de causes impliquant plusieurs gènes et des facteurs environnementaux divers, et qui perturbent le développement du système nerveux déjà chez le fœtus. Les principaux travaux de recherches se font donc actuellement dans les domaines de l’épidémiologie, la génétique et les neurosciences, fait qui se vérifie aussi dans mon corpus d’articles (ibid).

Outre les causes, les chercheurs ont aussi trouvé des « marqueurs », qui sont des anomalies souvent trouvées en lien avec l’autisme : ces marqueurs sont plus précisément neurobiologiques, donc ils sont localisés dans les structures du cerveau (Tardif et Gepner, 2019 : Hochmann, 2009). Ainsi, les recherches ont essayé de trouver la localisation d’anomalies anatomiques au niveau cérébral. Plusieurs localisations ont été proposées depuis le début de ce type de recherche, mais les principales zones qui ont été explorées et qui continuent à l’être sont les suivantes (Tardif et Gepner, 2019 : p.83) : le cervelet, le cortex temporal (impliqué dans langage et association des percepts), le cortex frontal (prise de décision et fonctions exécutives) et le corps calleux (transfert inter-hémisphérique). On voit donc que les structures anatomiques sont explorées en fonction de leurs implications dans les comportements, et plus précisément dans des comportements qui font défaut ou qui sont problématiques chez les individus autistes. Ces recherches sont souvent couplées à des recherches utilisant les techniques d’imagerie cérébrale, pour pouvoir de cette façon « voir » le fonctionnements de ces structures cérébrales, et ses éventuelles anomalies, pour ainsi caractériser le « cerveau de l’autiste » (Hochmann, 2009 : p.464). Ainsi, le modèle étiologique qui prévaut aujourd’hui dans les recherches sur les TSA est un modèle linéaire qui se déclinerait de la façon suivante : « gène-cerveau-environnement- comportement » (Tardif et Gepner, 2019 : p.87). Nous verrons plus en détail ce modèle dans les prochains chapitres, et notamment les conséquences d’un tel modèle biogénétique (Kreiser

18 L’environnement ici est défini comme étant l’environnement pré- et/ou postnatal, plus précisément l’environnement intra-utérin, et ensuite l’environnement péri- et postnatal.

36 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi et White, 2014), mettant le biologique comme fondement des comportements, sur le sex ratio de l’autisme, et sur l’influence de ce modèle sur les théorisations genrées des TSA. A présent, intéressons-nous au sex ratio et les théories qui existent visant à rendre compte de la plus grande prévalence masculine dans les TSA.

2.1.5. TSA et la différence sexe/genre : les grandes lignes

Les disciplines scientifiques s’intéressant à l’autisme n’ont que récemment pris en considération les différences hommes/femmes dans leurs recherches, ou questionné le sex ratio inégal, souvent postulé comme étant de quatre garçons pour une fille (4:1). Ainsi, ce sex ratio est repris dans un grand nombre de travaux de recherche sans être remis en question. De même, les classifications nosographiques du DSM-IV et du DSM-5 se basent sur ce ratio, et ainsi influence la pose de diagnostic plus récurrente chez les garçons que chez les filles. Les essais cliniques menés pour construire les critères des troubles autistiques du DSM-IV ont été faits sur des échantillons composés de quatre garçons pour une fille, suivant ainsi le sex ratio classique pour les TSA (Kreiser et White, 2014). De plus, ces échantillons étaient composés d’individus ayant déjà des diagnostics d’autisme au préalable (ce qu’on appelle des clinical samples), et comme nous le verrons plus tard les échantillons de ce type présentent souvent un sex ratio plus élevé que des échantillons composés de la population générale (population samples) et dont les individus n’ont pas de diagnostic préexistant (ibid). Les DSM-IV et DSM- 5 ne proposent par ailleurs pas d’indications particulières pour poser un diagnostic pour les filles, ni d’informations au sujet de ce ratio inégal entre hommes et femmes au niveau de la prévalence de l’autisme (ibid).

Devenant un sujet de plus en plus pris en compte, les différences entre hommes et femmes dans l’autisme suscitent d’avantage d’intérêt de la part des sciences travaillant sur les TSA. Ainsi, différentes théories ont été proposées pour essayer d’expliquer les mécanismes causant la forte prévalence masculine dans les TSA. Nous les présenterons brièvement ici, car ils seront repris plus en détail dans la partie suivante qui analyse le corpus d’article. Ce n’est pas une liste exhaustive des théories qui existent à ce sujet, mais ce sont celles qui sont le plus fréquemment mises en avant dans les travaux de recherches actuels sur ce thème.

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Étiologie

L’autisme étant un syndrome à forte composante génétique, des mécanismes à ce niveau sont pensés comme pouvant expliquer la plus forte part de garçons atteins de TSA par rapport aux filles. Ainsi, les filles seraient au bénéfice de mécanismes de protection biologiques qui les épargnerait en plus grande partie contre l’autisme : ceci est appelé le female protective effect. Par des mécanismes liés aux chromosomes X, dont les filles héritent de deux paires, certaines mutation génétiques qui prédisposent à l’autisme n’ont pas lieu ou sont supprimées 19, leur conférant ainsi une protection contre l’autisme (Kirkovski, Enticott et Fitzgerald, 2013 ; Lai et al., 2015 ; Lai et al., 2017 ; Van Wijngaarden-Cremers et al., 2014 ; Werling et Geschwind, 2013 ; Schaafsma et Pfaff, 2014 ; Davis et Pfaff, 2014 ; Chen et al., 2017). Certains auteurs pensent que les garçons sont alors plus à risque pour développer des troubles autistiques, du fait qu’ils n’ont qu’un chromosome X et un chromosome Y : ainsi, certaines mutation génétiques qui sont supprimées chez les filles du fait de l’inactivation d’une des deux chromosomes X ne le sont pas chez les garçons les rendant plus vulnérables au développement de troubles types TSA (Kirkovski, Enticott et Fitzgerald, 2013 ; Lai et al., 2015 ; Lai et al., 2017 ; Van Wijngaarden-Cremers et al., 2014 ; Werling et Geschwind, 2013 ; Schaafsma et Pfaff, 2014 ; Davis et Pfaff, 2014 ; Chen et al., 2017). Cette relative protection génétique qu’ont les filles suppose cependant que, quand elles sont atteintes de TSA, elles auront des troubles plus sévères car elles nécessitent un plus grand nombre de mutation génétiques pour atteindre le seuil nécessaire pour développer un trouble autistique : c’est ce que les chercheurs nomment le higher liability threshold (Kirkovski, Enticott et Fitzgerald, 2013 ; Lai et al., 2015 ; Van Wijngaarden-Cremers et al., 2014 ; Werling et Geschwind, 2013 ; Chen et al., 2017).

Les hormones sexuelles, dont notamment l’hormone androgène de la testostérone sont mis en avant comme étant des facteurs de risque pour les TSA notamment à cause de leur influence organisationnelle sur le cerveau et ce dès le stade embryonnaire. Ainsi, une forte concentration de testostérone a un effet « masculinisant » (voire « hypermasculinisant ») sur le développement neuronal, causant un cerveau masculin (Kirkovski, Enticott et Fitzgerald, 2013 ; Lai et al., 2015 ; Lai et al., 2017 ; Van Wijngaarden-Cremers et al., 2014 ; Werling et Geschwind, 2013 ; Hull, Mandy et Petrides, 2017 ; Schaafsma et Pfaff, 2014 ; Davis et Pfaff, 2014 ; Chen et al., 2017). L’effet masculinisant sur le cerveau du fœtus aurait de cette façon

19 L’un de la paire des chromosomes X est inactivé au hasard chez les filles

38 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi des implications directes sur les comportements problématiques qui sont rencontrés dans les TSA, notamment au niveau des capacités d’empathie et de réciprocité sociale (Hull, Mandy et Petrides, 2017).

Phénotype féminin unique

Certains chercheurs pensent que le sex ratio inégal des TSA s’explique par un phénotype féminin de l’autisme qui se différencie de celui masculin notamment dans la présentation clinique des symptômes typiques de l’autisme. Ainsi, il existe des manifestations différentes entre les hommes et les femmes autistes dans les domaines de la triade autistique : les filles autistes ont par exemple moins de comportements restreints et stéréotypés par rapports aux garçons (Young, Oreve et Speranza, 2018 ; Kirkovski, Enticott et Fitzgerald, 2013 ; Kreiser et White, 2014 ; Lai et al., 2015 ; Van Wijngaarden-Cremers et al., 2014 ; Loomes, Hull et Mandy, 2017). De plus, les filles autistes sont capables de camoufler leurs difficultés dans les interactions et relations sociales : c’est la théorie du « camouflaging » (Young, Oreve et Speranza, 2018 ; Lai et al., 2015). À cause de cette capacité à masquer les difficultés, les symptômes dans le domaine de la communication peuvent être mal interprétés voire considérés comme absents lors du diagnostic, ce qui peut expliquer une partie du sous-diagnostic qu’on observe pour les femmes (Kreiser et White, 2014). Les hommes et femmes atteints de TSA présenteraient aussi des profils cognitifs différents, notamment au niveau de certaines capacités psychologiques (Chen et al., 2017). Ceci serait dû à l’organisation neuronale médiée par la testostérone et qui participe à la création de profils cognitifs masculinisés, aves des particularités comportementales qui s’y rattachent. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.

Influences socio-culturelles

Un dernier composant qui peut expliquer le sex ratio inégal sont les influences du contexte socio-culturel. Les différentes normes sociales peuvent influencer la présentation clinique et les comportements des individus autistes, mais aussi avoir un impact sur les représentations que peuvent avoir les parents, les enseignants ou les professionnels de la santé sur la façon dont devrait se comporter un garçon ou une fille autiste (Young, Oreve et Speranza, 2018 ; Kreiser et White, 2014 ; Lai et al., 2015). Ceci peut introduire un biais diagnostic en

39 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi défaveur des filles autistes, qui ont moins de chance d’être diagnostiquées avec un trouble autistique (Young, Oreve et Speranza, 2018 ; Kreiser et White, 2014 ; Lai et al., 2015). Ces attentes différentielles liées au sexe se traduisent aussi dans un biais possible dans les outils d’évaluation qui sont couramment utilisés pour poser le diagnostic, notamment du fait qu’ils ont été développés et testés sur des échantillons majoritairement masculins, donc ne prenant peut-être pas en compte les présentations cliniques spécifiques aux femmes (Young, Oreve et Speranza, 2018 ; Kreiser et White, 2014 ; Van Wijngaarden-Cremers et al., 2014 ; Loomes, Hull et Mandy, 2017 ; Chen et al., 2017).

Comment sont appliquées ces théories dans la pratique scientifique s’intéressant aux troubles autistiques ? La prochaine section propose une présentation et une analyse plus approfondie du corpus d’articles de recherches composant le terrain d’analyse de mon mémoire.

2.2. Présentation du corpus et analyse

Le corpus d’articles qui m’a servi de terrain d’analyse de l’état des connaissances en matière d’autisme et la prévalence différente entre hommes et femmes se compose de 69 articles issus de la base de données PubMed. De ces 69 articles, 42% ont été publiés entre 2016 et 2017, et on observe une augmentation depuis 2012. On ne peut pas faire ressortir un ou des auteurs majoritaires, ce qui montre que l’autisme est un sujet qui intéresse une multitude d’acteurs de domaines scientifiques divers.

Les journaux publiant ces articles sont aussi nombreux : le tableau 1 (voir page 26) liste les différents journaux scientifiques publiant les articles de mon corpus. On peut ainsi noter que ce sont des journaux traitant de thématiques liées aux neurosciences, à la psychiatrie et à la psychologie. Cependant, la majorité des articles ont été publiés dans des journaux spécifiquement centrés sur l’autisme et d’autres troubles neurodéveloppementaux associés. Ainsi, près de 65% des articles du corpus ont été publiés dans ces journaux spécialisés dans l’autisme. Plus spécifiquement, dix-neuf ont été publiés dans le Journal of autism and developemental disorders20, douze dans le journal Autism21, sept dans Autism research22 et

20 https://www.springer.com/journal/10803 (consulté le 8 mai 2020) 21 https://journals.sagepub.com/home/aut (consulté le 7 mai 2020) 22 https://onlinelibrary.wiley.com/journal/19393806 (consulté le 8 mai 2020)

40 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi enfin sept autres dans le Molecular autism23. Ces quatre journaux se veulent interdisciplinaires et publient des recherches dans les domaines de la génétique, de la neuroscience, de l’épidémiologie ou encore de la psychologie. Cette interdisciplinarité est aussi présente dans les articles du corpus, qui viennent de tous ces domaines. Ces journaux publient aussi des recherches évaluant les processus et les outils de diagnostic, ainsi que des recherches ayant trait à la qualité de vie des individus autistes et de leurs familles. Ces revues proposent aussi d’adopter une approche plutôt développementale dans les recherches autour de l’autisme, ce qui reflète l’influence de la psychologie développementale dans la compréhension de l’autisme que nous avons évoqué précédemment. Enfin, il est intéressant de noter que le psychiatre Simon Baron-Cohen, très influant dans le domaine des recherches sur les TSA, est le rédacteur en chef du journal Molecular autism, et qu’il siège aussi dans le comité de rédaction du journal Autism. La majorité des articles du corpus sont publiés dans les domaines de la psychologie, la psychiatrie et les neurosciences, même s’il est important ici de noter que de nombreux articles sont co-écrits par des auteurs venant de disciplines différentes. Ainsi, vingt-neuf articles sont des recherches en psychologie clinique, quinze en psychiatrie, et dix relèvent de la psychologie ou de la psychiatrie développementale ; dix sont des recherches en neurosciences. Les articles restants sont du domaine de la génétique, de la linguistique et de l’ergothérapie. Cette hétérogénéité des disciplines s’intéressant aux questions de différences des sexes et autisme montre à quel point cette question interroge des acteurs divers, mais aussi le foisonnement d’explications causales qui tentent de résoudre le « mystère » de la prévalence masculine des TSA. Cependant, en analysant plus en détail les articles, on peut constater que quatre grands modèles se dessinent, et qui sont proposés comme pouvant expliquer la plus grande prévalence masculine dans les TSA : l’existence d’un phénotype féminin unique d’autisme, la théorie du cerveau masculin extrême, la théorie de l’incohérence de genre, et enfin des modèles génétiques. Ces théories seront analysées plus en détail dans la prochaine section. Pour tester ces théories, différentes méthodes et échantillonnages sont utilisées dans les articles. La méthode majoritairement employée est la psychométrie, qui est utilisée dans près de 67% des articles. En suivant Gillis-Buck et Richardson (2014), la psychométrie peut se définir comme des « tests qualitatifs pour mesurer des variables psychologiques telles que l’intelligence, l’aptitude, le comportement et des traits de personnalité »24. Cette méthode est ainsi utilisée dans trente articles qui présentent l’existence d’un phénotype féminin d’autisme,

23 https://molecularautism.biomedcentral.com (consulté le 8 mai 2020) 24 Ma traduction de « (…) quantitative tests for the measurement of psychological variables such as intelligence, aptitude, behavior and personality traits (…)” (Gillis-Buck et Richardson, 2014: p. 15)

41 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi et dans onze qui définissent l’autisme comme une variante extrême du cerveau masculin. Les deux autres méthodes qui ressortent majoritairement des articles est l’utilisation de l’imagerie cérébrale et de l’endocrinologie. On peut ainsi voir quelles méthodologies sont privilégiées en fonction du modèle discuté pour expliquer les différences entre hommes et femmes autistes. La psychométrie est utilisée majoritairement pour tester l’existence d’un phénotype féminin de l’autisme, qui serait différent de celui masculin, pour mettre en avant des différences de sexe supposés dans des variables psychologiques telles que l’intelligence ou les comportements. Les différences entre hommes et femmes sont donc supposées se situer dans les comportements et les capacités cognitives. L’imagerie cérébrale est surtout utilisée pour étudier l’incongruence de genre que présentent les théories du cerveau masculin extrême et l’incohérence de genre, mais elle est aussi utilisée dans le cas du phénotype féminin de l’autisme : cette méthode mise donc sur la caractérisation de variables biologiques et observables situées au niveau cérébral, situant ainsi les différences au niveau du cerveau. L’endocrinologie est aussi utilisée pour étudier les théories de l’incongruence des genres, mais en localisant les différences au niveau des hormones, et comme nous le verrons par la suite, surtout au niveau des hormones androgènes. Comme pour les domaines, certains articles emploient des méthodes multiples, ainsi nous avons mis en avant les méthodes qui sont utilisées en majorité à travers le corpus. Les recherches sont majoritairement effectuées sur des échantillons cliniques composés d’enfants ayant déjà un diagnostic TSA : ainsi, quarante recherches sont effectués sur ce type d’échantillon, et parmi ces quarante, 72.5% sont effectués sur des comparaisons entre enfants autistes et enfants dits « neurotypiques », c’est-à-dire n’ayant pas de troubles neurodéveloppementaux. Plus de la moitié de ces quarante articles sont composés d’échantillons majoritairement masculins, ce qui sera discuté dans le troisième chapitre notamment. Ces analyses montrent ainsi que la majorité des recherches sur les différences de sexe dans les troubles autistiques sont faites sur des échantillons cliniques composés d’enfants autistes qui sont comparés à des enfants sains ; et que ces recherches sont issues de la psychologie clinique, appliquant une méthode psychométrique.

L’utilisation des termes « sex » et « gender » me semble aussi importante à relever, car elle illustre la façon dont ces notions sont pensées et définies au sein des recherches sur les TSA. Cette analyse permet aussi de rendre compte de la manière dont « être femme »

42 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi ou « être homme » se définit dans les recherches sur l’autisme, et les conséquences que ceci peut avoir quand ces rôles à priori dichotomiques, sont remis en question.

Le tableau 2 25 résume l’utilisation qui est faite des termes « sex » et « gender », ainsi que le nombre d’articles qui proposent une définition claire de ces notions. Nous pouvons ainsi voir que le terme « sex » est utilisé dans 37 % des articles et « gender » dans 24% des articles. 37% des articles utilisent les deux termes de manière simultanée tout au long du texte. Malgré l’utilisation récurrente de ces termes, très peu d’articles proposent une définition précise des notions « sex » et « gender », et les utilisent le plus souvent comme des synonymes ou de manière interchangeable tout au long du texte.

“Sex” est utilisé n=26 (37%)

“Gender” est utilisé n=17 (24%)

“Sex” est défini n=3 (4%)

“Gender” est défini n=4 (5%)

“Sex” et “gender” sont utilisés n=26 (37%) simultanément “Sex” and “gender” sont utilisés comme des n=36 (52%) synonymes Interactions entre “sex” and “gender” sont n=16 (23%) pensées

Tableau 2 : utilisation des termes « sex » et « gender »

Les quatre articles qui définissent les termes de sexe et de genre proposent une scission stricte entre les termes. Trois articles définissent ainsi le sexe comme faisant référence aux traits ou aux caractéristiques biologiques telles que la génétiques, les hormones ou les organes génitaux (Dean, Harwood et Kasari, 2017 ; Cooper, Smith et Russell, 2018 ; Parish-Morris et

25 Tableau inspiré par l’article HAMMARSTRÖM, Anne et ANNANDALE, Ellen. A conceptual muddle: an empirical analysis of the use of ‘sex’and ‘gender’in ‘gender-specific medicine’journals. PLoS One, 2012, vol. 7, no 4, p. e34193. [En ligne]. Consulté le 6 août 2020. Disponible sur : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0034193

43 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi al. 2017). Le genre est défini comme étant un construit socio-culturel, caractérisant les normes de comportements appropriées pour chaque sexe (ibid). Le quatrième article ne définit pas le terme sexe, mais définit la notion de genre en termes d’identité de genre, qui se définit comme le genre auquel la personne se considère appartenir, et de rôle de genre, défini comme étant des aptitudes associées de façon stéréotypés aux hommes et aux femmes (Bejerot et Eriksson, 2014). Ces définitions sont en adéquation avec celles proposées par l’Organisation Internationale de la Santé, qui considère que le « genre est utilisé pour décrire les caractéristiques socialement construites des femmes et des hommes, alors que le sexe fait référence à celles qui sont déterminées biologiquement »26. C’est aussi la définition que prône la National Academy of Medicine (anciennement le Institute of Medicine), qui définit le sexe comme « (…) la classification des choses vivantes, généralement en tant que mâle ou femelle en accord avec leurs organes reproductifs et les fonctions assignées par les chromosomes, et le genre comme

étant la représentation de soi d’un individu en mâle ou femelle (…) »27.

Ces définitions strictement dichotomiques du sexe et du genre, polarisant le sexe comme étant le biologique, et le genre comme étant le social montre comment les recherches dans l’autisme et la prévalence masculine se tournent de plus en plus vers une « déterminisme biologique » (Hammarström et Annandale, 2012 : p.6), c’est-à-dire une explication purement biologique de la prévalence masculine de l’autisme. De plus, dans cette optique, le genre ne représente plus que des rôles ou des caractères sociaux, et non plus une catégorie d’analyse précieuse pour comprendre les différences entre les hommes et les femmes, notamment dans le domaine de la santé (Hammarström et Annandale, 2012). Enfin, notons que seize articles proposent de penser des interactions possibles entre le sexe et le genre, et ce notamment en des termes d’influences socio-culturelles sur les comportements genrés des individus. Ainsi, une fraction des recherches considère que les influences du sexe et du genre peuvent co-exister, en définissant cette interaction comme étant l’influence réciproque entre le social et le biologique.

26 Ma traduction de « Gender is used to describe the characteristics of women and men that are socially constructed, while sex refers to those that are biologically determined.” Du site de l’OMS : http://www.euro.who.int/en/health- topics/health-determinants/gender/gender-definitions (consulté le 11 mai 2020).

27 Ma traduction de « sex as the classification of living things, generally as male or female according to their reproductive organs and functions assigned by the chromosomal complement, and gender as a person’s self- representation as male or female (…)”. Voir INSTITUTE OF MEDICINE (US). COMMITTEE ON UNDERSTANDING THE BIOLOGY OF SEX et GENDER DIFFERENCES. Exploring the biological contributions to human health: Does sex matter?. National Academy Press, 2001.

44 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Ainsi, les articles de recherche présentés ci-dessus tentent d’élucider les causalités et les mécanismes induisant le sex ratio inégal qui s’observe dans les troubles autistiques. Il en ressort des théorisation que nous pouvons qualifier de genrées dans le sens où elles tentent de rendre compte de la prévalence masculine de ce trouble. La prochaine section présente et détaille ces théorisations.

2.3. Les théorisations genrées des TSA

2.3.1. Le phénotype autistique féminin

L’hypothèse qu’il existe une version féminine de l’autisme est postulée par la théorie du phénotype féminin de l’autisme. Cette théorie propose d’expliquer le sex ratio de 4:1 des TSA par le fait que les femmes atteintes d’autisme présentent des symptômes et des caractéristiques différentes de celles des hommes, et ainsi ne seraient pas diagnostiquées car les outils actuels sont fondés sur la présentation masculine du trouble, qui a aussi servie de base pour la construction et la validation de ces outils diagnostiques. L’analyse du corpus permet de distinguer deux façons dont se caractérise le phénotype féminin de l’autisme : la première présentation du phénotype féminin se traduit par un ensemble de symptômes et un tableau clinique différents de celui des hommes. Ces différences peuvent se situer à différents niveaux, mais se distinguent de la deuxième caractérisation du phénotype féminin, qui situe les différences au niveau des symptômes cardinaux, c’est-à-dire au niveau de la triade (ou la dyade) autistique qui est au cœur du diagnostic des TSA. Ces deux manières de théoriser le phénotype féminin présentent aussi des causes diverses qui pourraient à leur sens expliquer que l’autisme chez les femmes soit différent de celui des hommes.

Tableau clinique différent

Une caractérisation importante du phénotype féminin de l’autisme, et qui est fréquemment mentionnée dans le corpus est le phénomène de camouflaging, et qui a déjà été théorisée par la psychiatre Lorna Wing (1981b) dans les années 1980. Dans ses recherches, Wing note que les femmes atteintes d’autisme mais ne présentant pas de retards intellectuels ne sont pas diagnostiquées car elles présentent des meilleures capacités sociales et de communication (Wing, 1981b ; Hull, Petrides et Mandy, 2020). Ces femmes développent aussi des stratégies d’adaptation notamment en copiant et en intégrant des comportements appropriés dans des

45 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi situations sociales, en « performant » ainsi un rôle social qui semble « normal » (Hull, Petrides et Mandy, 2020). Le camouflaging permet de cette façon aux femmes autistes de « paraître normales » (Lai et al., 2017 : p. 690). Lai et ses collègues (2017) ont défini le camouflaging comme étant la « différence entre la présentation extérieure de comportements dans des contextes socio-interpersonnels et la présentation du statut interne (traits, capacités sociales et cognitives) »28. Le camouflaging est ainsi pensé comme une stratégie ou une capacité de compensation des difficultés sociales et relationnelles que rencontrent les femmes autistes. Les femmes autistes paraissent ainsi être normales : comme le notent par exemple Dean, Harwood et Kasari (2017 : p. 685, souligné par les auteurs) dans leurs observations d’enfants dans la cour de récréation « de loin, les filles autistes ressemblent aux filles neurotypiques »29. Dans cette recherche les auteurs notent que les difficultés dans les relations sociales sont plus perceptibles chez les garçons autistes car elles sont clairement observables notamment par le fait que ces garçons s’isolent et ne montrent pas d’intérêt à entrer en contact avec leurs pairs (ibid). Les filles autistes quant à elles semblent avoir plus de motivation à former des amitiés, mêmes si ces mêmes auteurs notent que quand on observe de plus près elles présentent néanmoins des difficultés considérables. Le fait que « de loin » les filles autistes puissent paraître « normales » est ainsi un des obstacles à leur accès à un diagnostic formel, ce qui peut conduire à une errance diagnostique pour celles-ci. Enfin, il est important de noter que le phénomène de camouflaging a aussi été trouvé chez des hommes autistes, notamment par Lai et ses collègues (2017), mais il reste néanmoins majoritairement considéré comme une composante du phénotype féminin autistique. La présence du camouflaging chez les filles autistes a poussé des chercheurs à considérer que pour obtenir un diagnostic de TSA, ces filles doivent présenter des difficultés additionnelles tels des problèmes de comportements, et un retard intellectuel marqué, c’est-à- dire qu’elles doivent être plus sévèrement atteintes que les garçons pour obtenir un diagnostic (Dworzynski et al., 2012). Cette hypothèse est ainsi évoquée pour expliquer le fait que le sex ratio varie avec le quotient intellectuel, et qu’il est moins inégal dans les quotients bas.

28 Ma traduction de « we operational- ized camouflaging as the discrepancy between the person’s ‘external’ behavioural presentation in social–interpersonal contexts and the person’s ‘internal’ status (i.e. dispositional traits and/or social cognitive capability).” Voir LAI, Meng-Chuan, LOMBARDO, Michael V., RUIGROK, Amber NV, et al. Quantifying and exploring camouflaging in men and women with autism. Autism, 2017, vol. 21, no 6, p. 690-702.

29 Ma traduction de « From a distance, girls with ASD looked like TD girls”. Voir DEAN, Michelle, HARWOOD, Robin, et KASARI, Connie. The art of camouflage: Gender differences in the social behaviors of girls and boys with autism spectrum disorder. Autism, 2017, vol. 21, no 6, p. 678-689.

46 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Le phénotype féminin impliquerait aussi des différences dans les capacités cognitives entre les filles et les garçons. Ainsi, des différences ont été trouvées dans la mémoire autobiographique (Goddard, Dritschel et Howlin, 2014), qui représente les recollections d’évènements du passé de la vie de l’individu, et où la capacité verbale supposée supérieure des filles (autistes et neurotypiques) leurs donneraient un avantage par rapport aux garçons autistes, notamment dans la reconstitution de souvenirs émotionnels. Cette plus grande capacité de reconnaissance émotionnelle chez les filles, qui est une des difficultés majeures dans l’autisme, est considérée comme une composante importante caractérisant le phénotype spécifique féminin : ainsi, Kothari et ses collègues (2013) trouvent dans leur article que les filles ont une meilleure capacité pour reconnaître des émotions dans un test de reconnaissance émotionnelle. Les filles atteintes de TSA auraient aussi moins de capacité à percevoir les détails, et se focaliseraient sur une vue d’ensembles des choses, alors que les garçons autistes ont une plus grande attention aux détails (Bölte et al., 2011). Ceci serait en accord avec les différences entre hommes et femmes existant aussi dans la population générale. D’autres différences de genre dites « typiques » sont trouvées dans la population autistes, comme par exemple au niveau des comportements de jeu chez les enfants, où on trouve que les filles autistes jouent avec des jouets « appropriés » tels des poupées ou des dinettes de la même façon que les filles neurotypiques (Harrop et al., 2017). Ainsi, les filles autistes semblent dans ces cas se rapprocher plus de filles non-autistes que des garçons autistes, et confirmant de cette façon l’existence d’une variante féminine de l’autisme. Ces différences au niveau cognitif s’accompagnent dans certaines recherches de différences structurelles et anatomiques au niveau cérébral : des techniques d’imagerie cérébrale combinées à des tests psychométriques permettent aux chercheurs de mettre en avant des différences dans les capacités cognitives et aussi dans l’anatomie fonctionnelle du cerveau, c’est-à-dire dans les parties du cerveau qui sont impliquées dans diverses fonctions (Kirkovski et al., 2015 ; Kirkovski et al, 2016, Coffman et al., 2015). Ainsi, les hommes et les femmes autistes se distingueraient aussi au niveau cérébral.

Un nombre croissant de recherches considèrent qu’il existe une imbrication entre le biologique et le social, et que ces deux composantes interagissent et influencent la présentation clinique de l’autisme. Certains articles parlent d’influences socio-culturelles comme par exemple les préoccupations pré-diagnostic qu’ont pu avoir les parents d’enfant diagnostiqués autistes : il a été montré que les préoccupations des parents ont une influence importante sur la probabilité d’obtenir un diagnostic, notamment à cause de la manière dont ces préoccupation

47 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi sont comprises par les professionnels de la santé. Ainsi, les problèmes au niveau de la socialisation ou des intérêts restreints évoquent plus d’inquiétude quand ils touchent les garçons, alors que des problèmes de comportements sont problématiques quand ils sont présentés par des filles (Duvekot et al., 2017 ; Hiller, Young et Weber, 2016 ; Little et al., 2017 ; Ramsey et al., 2018). Il est néanmoins intéressant de noter que ces articles ne trouvent pas une différence significative dans les préoccupations mêmes des parents, mais plutôt dans la probabilité que ces inquiétudes résultent en un diagnostic. Cette probabilité d’obtenir un diagnostic est plus faible pour les filles, ce qui a mené des chercheurs à penser qu’il puisse exister des biais genrés dans les outils et les évaluations diagnostiques. Par conséquent, s’il existe un phénotype féminin de l’autisme et ainsi une présentation clinique différente, les outils diagnostiques actuels pourraient ne pas les détecter car ils ont été construits sur la présentation masculine de l’autisme (Kopp et Gillberg, 2011 ; Wilson et al., 2016).

Différences dans les symptômes cardinaux

Le phénotype féminin de l’autisme se caractérise aussi par des différences dans la présentation clinique au niveau de la triade/dyade autistique qui sont l’altération des interactions sociales réciproques, l’altération de la communication et les intérêts restreints et comportements stéréotypés. Les filles autistes auraient plus de motivation sociale, c’est-à-dire qu’elles s’intéresseraient plus à avoir des relations avec leurs pairs, et qu’elles présenteraient aussi moins de difficultés dans les interactions par rapport aux garçons autistes (Backer van Ommeren et al., 2017 ; Sedgewick et al., 2016 ; Sun et al., 2014 ; Hiller, Young et Weber, 2014). Ainsi, les filles autistes paraissent être semblables aux filles neurotypiques, notamment au niveau comportemental et social, renforçant l’argument d’un phénotype autistique distinct pour les filles. Ceci a aussi un impact sur le sous-diagnostic observé pour les femmes TSA car leurs symptômes ne sont pas détectés. Il existe aussi des différences dans les capacités communicationnelles : les filles et femmes autistes présenteraient moins de difficultés de communication (Kauschke, Van der Beek et Kamp-Becker, 2016 ; May, Cornish et Rinehart, 2016 ; Sun et al., 2014 ; Hiller, Young et Weber, 2014). Les filles autistes démontreraient par exemple une plus grande capacité à exprimer un langage émotionnel (Kauschke, Van der Beek et Kamp-Becker, 2016), et elles seraient plus aptes à s’engager dans des conversations par rapport aux garçons autistes (Hiller, Young et Weber, 2014). Encore une fois, les filles et femmes autistes semblent se distinguer de

48 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi façon considérable des garçons et hommes autistes. La majorité des articles mettent en avant une causalité à la fois sociale et biologique, en notant d’un côté des compétences innées supérieures au niveau du langage chez les filles, et de l’autre côté des stéréotypes et des attentes genrées de la part des parents, des enseignants ou encore des professionnels de santé (May, Cornish et Rinehart, 2016 ; Hiller, Young et Weber, 2014 ; Moseley, Hitchiner et Kirkby, 2018). Finalement, les plus grandes différences entre hommes et femmes au niveau des symptômes cardinaux de l’autisme se situent au niveau des intérêts restreints et les comportements stéréotypés. Selon Beggiato et ses collègues (2017), les items dans les outils d’évaluation liés aux intérêts restreints sont les plus discriminants entre hommes et femmes, c’est-à-dire que présenter ces symptômes était plus probable chez les hommes et qu’il augmentait la probabilité de recevoir un diagnostic de TSA chez ces derniers. Ces intérêts restreints diffèrent de façon quantitative (May, Cornish et Rinehart, 2016 ; Wang et al., 2017 ; Sun et al., 2014), mais aussi qualitative : en effet, certains articles mettent en avant le fait que les filles autistes ont souvent des intérêts restreints mais qu’ils sont de nature différente de celle des garçons, dont les intérêts sont considérés comme étant la norme pour un diagnostic de TSA. Ainsi, les filles autistes présenterait des intérêts qui semblent normaux ou n’interférant pas de manière importante dans la vie quotidienne comme pour les garçons (Hiller, Young et Weber, 2014) : à la différence des garçons autistes qui auraient souvent des intérêts liés à des transports ou des séquences (par exemple la mémorisation des lignes de tram ou des horaires de train, ou encore l’alignement de jouets), les filles autistes présenteraient des intérêts qui se rapprocheraient plus des intérêts considérés « appropriés » pour les filles comme par exemple collectionner des crayons ou des coquillages (entre autres), ou s’intéresser à des animaux (notamment les cheveaux) ou des caractères de films (Hiller, Young et Weber, 2014 ; Wang et al., 2017). Ainsi, les intérêts restreints et les comportements stéréotypés étant des critères diagnostiques centraux notamment dans les DSM, il est aisé de voir qu’une présentation clinique qui n’entrerait pas dans ces critères pourrait conduire au fait que ces cas soient manqués et non diagnostiqués, et ceci est notamment le cas pour les femmes et filles autistes. Des chercheurs pensent aussi que le sous-diagnostic des femmes autistes peut s’aggraver avec les modifications du DSM-5 que nous avons évoquées plus haut, car il requiert notamment plus de critères dans les intérêts restreints (Beggiato et al., 2017). Les hommes autistes seraient donc plus faciles à repérer au niveau clinique, car c’est la présentation masculine du trouble qui a servi de base dans le développement des outils et des critères diagnostiques (May, Cornish et Rinehart, 2016 ; Beggiato et al., 2017 ; Hiller, Young et Weber, 2014 ; Moseley, Hitchiner et Kirkby, 2018).

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Finalement, il me semble important de noter que les résultats et les observations faites sur les différences entre les sexes dans les TSA ne sont pas homogènes : effectivement, certains articles ne trouvent pas de différences significatives ou spécifiques à l’autisme, et considèrent que les femmes et les hommes autistes se ressemblent au niveau clinique (May, Cornish et Rinehart, 2014 ; Mussey, Ginn et Klinger, 2017 ; Andersson, Gillberg et Miniscalco, 2013). D’autres mettent en avant le fait que les différences entre hommes et femmes autistes pourraient survenir pendant le développement des enfants, notamment en lien avec la socialisation et les attentes genrées (Fulton, Paynter et Trembath, 2017 ; Harrop, Gulsrud et Kasari, 2015 ; Reinhardt et al., 2015). Ainsi, il semble que même les articles ne soutenant pas la présence d’un phénotype autistique spécifique pour les femmes, soulignent néanmoins le fait que les femmes et hommes autistes sont différents et que ces différences de genre suivent celles qu’on retrouve dans la population générale (Moseley, Hitchiner et Kirkby, 2018 ; Hiller, Young et Weber, 2014 ; May, Cornish et Rinehart, 2016 ; Pisula et al., 2017). En suivant cette vision, les hommes et les femmes autistes diffèrent, mais pas comme une conséquence du trouble en lui-même : ils sont différents car fondamentalement les sexes seraient distincts, que ce soit dans la population TSA que dans la population typique. La prochaine théorie se base aussi sur cette différence essentielle entre les sexes, qui serait ici localisée dans le cerveau et dans les comportements et les capacités cognitives qui s’ensuivent.

2.3.2. La théorie du cerveau masculin extrême

La théorie du cerveau masculin extrême, ou « Extreme male brain theory » (EMB), est l’une des théories les plus reprises dans les recherches sur le sex ratio de l’autisme, et dont l’idée a déjà été formulée par Hans Asperger qui nota en 1944 que « la personnalité autistique est une variante extrême de l’intelligence masculine »30 (cité dans Baron-Cohen, 2002 : p. 251). Simon Baron-Cohen, un psychiatre anglais spécialisé dans l’autisme, a commencé à développer la théorie EMB en 1997 en se basant sur des différences de sexe aux niveaux psychologiques et cognitifs observés dans la population générale (Baron-Cohen et Hammer, 1997). Ces différences cognitives sont reflétées dans des différences structurelles et anatomiques cérébrales qui apparaîtraient au cours de la vie fœtale sous l’influence notamment des hormones dites androgènes, dont la plus connue est la testostérone (Baron-Cohen et Hammer, 1997 ;

30 Ma traduction de « The autistic personality is an extreme variant of male intelligence” Voir BARON-COHEN, Simon. The extreme male brain theory of autism. Trends in cognitive sciences, 2002, vol. 6, no 6, p. 248-254.

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Baron-Cohen, 2002 ; Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005). Cette influence endocrinienne prénatale modèle ce que Baron-Cohen et Hammer (1997 : p.6) appellent le « type cérébral féminin » qui est caractérisé comme étant « social » et le « type cérébral masculin » qui est plutôt « spatial ». Le cerveau « féminin » serait ainsi caractérisé par des compétences sociales plus avancées que celles spatiales, et le cerveau « masculin » aurait plus de capacités spatiales que sociales (Baron-Cohen et Hammer, 1997). Ces mêmes auteurs définissent les capacités sociales comme étant liées à l’empathie et à la sensibilité aux états mentaux de l’autre (qui est aussi nommée la théorie de l’esprit, ou theory of mind), et les capacités spatiales sont mathématiques et géométriques (ibid). Ces différences dans les capacités cognitives se reflètent dans la théorie de « Empathizing-Systemizing », c’est-à-dire de l’ « empathisation » et de la « systémisation ». L’empathisation (E) renvoie à la capacité de reconnaître les états mentaux d’autrui et d’y répondre de façon adéquate, tandis que la systémisation (S) est la capacité d’analyser et de comprendre les règles qui gouvernent un système comme par exemple un système informatique ou une partition de musique (Baron-Cohen et Hammer, 1997 ; Baron- Cohen, 2002 ; Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005). Les « différences de sexe psychologiques » se définissent ainsi par la différence entre les capacités d’empathisation et de systémisation (Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005). Plus précisément, cette différence se caractérise par deux types de cerveau distincts (Baron-Cohen, 2002 ; Baron- Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005): • Le type E, aussi appelé cerveau féminin, et qui se caractériserait par une plus grande capacité d’ « empathisation » • Le type S, aussi appelé cerveau masculin, et qui se caractériserait par une plus grande capacité de « systémisation » Il est intéressant de noter que la théorie EMB telle qu’elle est développée par Baron-Cohen et Hammer (1997), précise que ces différents types de cerveaux surviennent indépendamment du sexe biologique, donc qu’un homme pourrait avoir un cerveau de type E ou une femme un cerveau de type S, mais que statistiquement le type E est surtout présent chez les femmes et le type S chez les hommes. S’ajoutera à la théorie de Empathizing-Systemizing, la théorie du cerveau masculin extrême en lien avec l’autisme. Baron-Cohen et Hammer (1997) fondent cette théorie sur trois observations principales autour de l’autisme, qui permettent de dire que ce trouble est effectivement une « variante extrême de l’intelligence masculine » (Baron-Cohen, 2002 : p.10) : l’autisme touche plus les hommes ; les individus autistes réussissent mieux les tests d’analyse spatiale, qui est un domaine où les hommes en général sont plus doués ; enfin l’autisme se caractérise par des

51 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi déficits dans les domaines sociaux, où les femmes en général ont plus de capacité. Tout ceci permet ainsi aux auteurs de dire que les individus autistes ont une intelligence masculine extrême, et donc un type cérébral masculin extrême (Baron-Cohen et Hammer, 1997). De cette façon, un cerveau masculin serait un facteur de risque pour développer des troubles de l’autisme, ce qui signifie que ce type de cerveau extrêmement masculin soit surtout présent chez les hommes. Cette variante extrême du cerveau masculin n’a pas encore de cause établie dans la littérature, même si l’effet masculinisant de la testostérone durant la période fœtale ainsi que des mécanismes génétiques liés aux androgènes sont le plus fréquemment évoqués (Baron- Cohen et Hammer, 1997 ; Baron-Cohen, 2002 ; Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005).

Les articles du corpus sont nombreux à se référer à cette théorie pour la tester et la valider, mais ce qui est intéressant est le fait qu’il n’en ressort pas de résultats homogènes. Un certain nombre d’articles valident la théorie EMB unanimement chez les hommes et les femmes autistes. Notamment, la théorie d’une hypermasculinisation du cerveau des individus autistes, qu’ils soient hommes ou femmes, est validée et considérée comme se faisant déjà dans la vie fœtale et restant stable tout au long de la vie dans deux articles par Bonnie Auyeung et ses collègues (2009 ; 2012). Ainsi les différences de sexe seraient atténuées entre les hommes et les femmes autistes, et les deux groupes présentent un cerveau masculin extrême qui s’établit dès le début de la vie (Auyeung et al., 2009, 2012). Des niveaux élevés de testostérone prénatale sont considérés être des facteurs de risque pour les TSA car cette hormone masculiniserait le cerveau des individus autistes et causerait des anormalités aux niveaux structurels et anatomiques (Vladeanu, Monteith-Hodge et Bourne, 2012 ; Retico et al., 2016 ; Floris et al., 2018). En ligne avec la théorie EMB telle qu’elle est proposée par Baron-Cohen et ses collègues, un certain nombre d’articles trouvent une hypermasculinisation surtout chez les hommes autistes, ce qui valide aussi la prévalence masculine des TSA : notamment, Clare Harrop et ses collègues (2017) montrent dans une étude sur les comportements de jeux d’enfants autistes et non-autistes, que les filles autistes jouent avec les mêmes jouets que les filles neurotypiques, c’est-à-dire des jouets que les auteurs jugent comme « appropriés » à leur genre. Ainsi, selon ces chercheurs, les différences de sexe chez les individus autistes suivent celles qui sont observées dans la population générale (Harrop et al., 2017, 2018 ; Mandy et al., 2012). Finalement, il est intéressant de noter que certains auteurs ne trouvent pas de lien causal clair entre la testostérone prénatale et des traits autistiques plus tard (Kung et al., 2016 ; Park et al., 2017 ; Hönekopp, 2012), n’excluant tout de même pas que la testostérone puisse avoir des effets sur d’autres comportements.

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Outre ceci, une partie des articles du corpus semblent trouver des indications qui permettraient de valider la théorie EMB uniquement pour les femmes autistes, et non pour les hommes. Ceci semble ainsi contredire la théorisation faite par Baron-Cohen présentée plus haut, même si Lai et ses collègues (2013) notent que les premières théorisations n’abordent pas le fait que les femmes et les hommes autistes soient différents, ni que la masculinisation puisse affecter uniquement un des sexes. Ainsi, il semble résulter de certains articles que ce soient uniquement les femmes autistes qui soient « masculinisées », et ceci a été montré notamment au niveau cérébral, où différents auteurs ont mis en évidence une masculinisation neuronale ou structurelle, c’est-à-dire que ces structures cérébrales chez les femmes autistes ressemblent à celles des hommes, et seraient donc radicalement différentes de celles des femmes neurotypiques (Alaerts, Swinnen et Wenderoth, 2016 ; Lai et al., 2013 ; Schneider et al., 2013). À l’opposé, les hommes autistes seraient plutôt « féminisés » (Alaerts, Swinnen et Wenderoth, 2016 ; Bejerot et al., 2012 ; Lai et al., 2013 ; Schneider et al., 2013). Ainsi, il est pensé que l’influence de la testostérone soit plus importante pour les femmes autistes que pour les hommes, ce qui causerait principalement une masculinisation chez les femmes autistes (Alaerts, Swinnen et Wenderoth, 2016 ; Bejerot et al., 2012 ; Cooper, Smith et Russell, 2018 ; Lai et al., 2013 ; Whitehouse et al., 2010). Cette « inversion » des genres qui semble se profiler ici s’inscrit dans ce qui est nommée la théorie de l’incohérence de genre, que nous allons présenter ci-dessus.

2.3.3. La théorie de l’incohérence de genre

La théorie EMB a été défiée notamment par Susanne Bejerot, une psychiatre suédoise, qui a développé la théorie de l’incohérence de genre, ou « gender incoherence theory ». Dans son article « The extreme male brain revisited : gender coherence in adults with autism spectrum disorder” de 201231, elle observe, à l’aide de mesures anthropométriques et physiologiques, que plutôt d’être masculinisés, les individus autistes présenteraient une apparence « incohérente » par rapport à leur genre, voire même que ces individus sont « androgynes ». De plus, l’influence des niveaux de testostérone prénatale semble être plus importante sur les filles autistes, et ils auraient un effet masculinisant uniquement chez ces dernières (Bejerot et al., 2012 ; Strang et al., 2014 ; Lai et al., 2013). Au contraire, les garçons et hommes autistes

31 Voir BEJEROT, Susanne, ERIKSSON, Jonna M., BONDE, Sabina, et al. The extreme male brain revisited: gender coherence in adults with autism spectrum disorder. The British Journal of Psychiatry, 2012, vol. 201, no 2, p. 116-123.

53 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi seraient plutôt « féminisés » car l’effet masculinisant de la testostérone serait réduit chez les hommes autistes (Bejerot et al., 2012). Ceci amène Bejerot (2012) à émettre l’hypothèse que l’autisme pourrait être un trouble qui « défie le genre » [gender defiant disorder]. Tout comme dans la théorie EMB, la testostérone prénatale est ici supposée avoir un effet organisationnel quasi-permanent sur les structures cérébrales et aussi sur les comportements des individus tout au long de leur vie, et selon Susanne Bejerot et Jonna Eriksson (2014) cet effet pourrait aussi s’observer sur les comportements liés à la sexualité et à l’identité de genre. Cependant, Bejerot et Eriksson (2014 : p.8) observent ce qu’elles nomment une identité de genre « dé- masculinsée », c’est-à-dire que les hommes et les femmes autistes n’expriment pas un rôle de genre ni une identité sexuelle typiquement masculine comme le prédirait la théorie EMB. Certaines caractéristiques, comme par exemple les comportements genrés pendant l’enfance, seraient masculinisées chez les femmes autistes mais pas chez les hommes (Bejerot et Eriksson, 2014). Ainsi, même s’il semble exister des confusions quant à la nature de cette « inversion » des genres, qui est tantôt présentée comme une androgynie ou encore comme une incohérence de genre, l’autisme est dans cette perspective caractérisée par une masculinisation des femmes et une féminisation des hommes, et ne suit donc pas totalement les prédictions de la théorie EMB qui suppose qu’une masculinisation a lieu indépendamment du sexe de l’individu. Cette théorie est de plus en plus appliquée à l’autisme, notamment car il a été observé que parmi des adolescents consultant pour un trouble de dysphorie de genre, c’est-à-dire qui ne s’identifient pas à l’identité de genre associée à leur sexe biologique 32 , il existait une surreprésentation d’adolescents autistes (Strang et al., 2014 ; Bejerot et al., 2012). Il a aussi été observé que les individus autistes présenteraient une identification de genre (gender identification) 33 et une confiance en soi genrée (gender self-esteem) 34 plus faibles que les individus non-autistes (Cooper, Smith et Russel, 2018), ce qui renforce ainsi la vision de l’autisme comme étant un trouble défiant le genre [gender defiant disorder]. « L’inversion » de genre s’observerait aussi au niveau cérébral, et notamment dans les fonctions neuronales et structurelles. Ainsi, Meng-Chuan Lai et ses collègues (2013) observent des différences anatomiques au niveau cérébral entre hommes et femmes autistes, et notamment

32 Selon la définition inspirée de celle du site Le manuel MSD : https://www.msdmanuals.com/fr/professional/troubles-psychiatriques/sexualité,-dysphorie-de-genre,-et- paraphilies/dysphorie-de-genre-et-transsexualisme (consulté le 25 mai 2020). 33 Définie comme « l’attachement psychologique à un groupe de genre, typiquement « homme » ou femme ». voir page 3996 de COOPER, Kate, SMITH, Laura GE, et RUSSELL, Ailsa J. Gender identity in autism: Sex differences in social affiliation with gender groups. Journal of autism and developmental disorders, 2018, vol. 48, no 12, p. 3995-4006. 34 Défini comme la « Vision positive ou négative que porte un individu sur son groupe de genre » voir page 3996, ibid

54 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi une masculinisation neuronale chez ces dernières, c’est-à-dire des régions cérébrales qui présentent un profil masculin et ne suivant pas les « dimorphismes sexuels » observés habituellement dans la population générale. Les hommes et femmes autistes, notent Lai et collègues (2013), présentent donc des anormalités neuronales structurelles et anatomiques différentes. Dans une autre recherche faite sur des hommes autistes, les auteurs observent une féminisation et une masculinisation qui s’opèrent conjointement dans différentes structures cérébrales impliquées dans diverses fonctions cognitives (Floris et al., 2018). Notamment, ces mêmes auteurs notent des anomalies dans les structures impliquées dans la théorie de l’esprit, avec une masculinisation de ces circuits neuronaux, ce qui expliquerait la difficulté d’empathie qu’ont les individus autistes (Floris et al., 2018). Ces « inversions » de genre au niveau cérébral ont aussi été constatées au niveau des connexions neuronales, où les femmes autistes montrent un profil masculin, et les hommes autistes un profil plutôt féminin (Alaerts, Swinnen et Wenderoth, 2016). Pour finir, la prochaine section présente une approche plutôt génétique visant à élucider les causes de la faible prévalence féminine.

2.3.4. Génétique

La prévalence masculine des TSA est aussi pensée comporter une base génétique, tout comme l’autisme de manière générale. Différents mécanismes génétiques auraient ainsi des effets différentiels entre les hommes et les femmes autistes, notamment en conférant une protection ou un risque de développer des troubles autistiques respectivement aux femmes et aux hommes. Cette protection génétique observée chez les femmes est nommée le « female protective effect ». Bedford et ses collègues (2016) proposent l’existence d’un effet médiateur produit par le sexe biologique, donnant des facteurs de protection contre l’autisme chez les filles : ceci est démontré par l’observation chez de très jeunes enfants, où l’expression des comportement autistes n’est pas différente entre les garçons et les filles, mais qu’uniquement les garçons recevaient des scores assez élevés dans les différentes échelles pour confirmer un diagnostic TSA (Bedford et al., 2016). Ceci voudrait dire que les filles, grâce à des mécanismes génétiques qui n’ont pas encore été élucidés, bénéficieraient d’une protection contre l’autisme, et dans le cas où elles en seraient atteintes présenteraient une forme moins sévère que les garçons (Bedford et al., 2016 ; Fulton, Paynter et Trembath, 2017 ; Chawarska et al., 2016). Notamment, il a été observé que les petites filles posséderaient des capacités sociales plus développées que

55 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi les garçons, et que ceci reposerait sur des bases génétiques, et plus précisément que ces capacités agissent comme des facteurs de protection contre les TSA, car comme nous l’avons vu les difficultés sociales sont une des composantes de la triade/dyade autistique (Bedford et al., 2016 ; Chawarska et al., 2016). La faible présence de comportements et d’intérêts restreints qui a été observée notamment pour établir l’existence d’un phénotype féminin d’autisme, est aussi supposée comporter une base génétique, observée en particulier par Peter Szatmari et collègues (2012). Cependant, le « female protective effect » n’est pas soutenu par tous les chercheurs. Ainsi, Alessandra Retico et collègues (2016) ne valident pas l’existence d’un mécanisme de protection chez les femmes, car ils observent une égale sévérité entre les hommes et les femmes au niveau du phénotype neurologique de l’autisme : ce qui diffère entre les hommes et les femmes serait plutôt la diversité de profils phénotypiques qui existeraient chez les femmes autistes, qui auraient des origines étiologiques diverses pas encore précisées. Les études épidémiologiques montrant que les femmes sont plus sévèrement atteintes quand elles obtiennent un diagnostic évoquent aussi une influence génétique pour expliquer ce phénomène. Notamment, il est supposé que les femmes doivent avoir une charge de mutations génétiques plus importante pour que l’autisme s’exprime assez pour passer les seuils critiques des outils d’évaluation pour obtenir un diagnostic : c’est la « multi-threshold liability ». Ceci a notamment été étudié dans ce qui en génétique est appelé les « multiplex families », c’est-à- dire des familles qui comportement au moins deux enfants atteints d’autisme. Bo Park et collègues (2017) et Peter Szatmari et collègues (2012) ont par exemple observé que les garçons autistes ayant une sœur ainée aussi autiste, sont plus sévèrement atteints que les garçons autistes n’ayant pas d’autres membres de la famille atteints. Ceci démontrerait que les filles autistes portent une plus grande charge génétique impliquée dans l’autisme, et qui influence ainsi la présentation symptomatologique chez leurs frères plus jeunes en cas de troubles autistiques. Il est aussi pensé que ces facteurs génétiques soient liés à certains mécanismes androgéniques notamment en lien avec la testostérone, ce qui permettrait d’expliquer la plus grande prévalence masculine dans les TSA (Park et al., 2017).

Les théorisations présentées ci-dessus montrent la façon dont les neurosciences et la psychiatrie, ainsi que d’autres spécialités qui leurs sont rattachées, tentent de définir et de caractériser les notions de sexe et de genre. Elles mettent aussi en avant les difficultés qui émergent dans la négociation avec un trouble qui semble brouiller les distinctions qui paraissent aller de soi, telles les binarité hommes/femmes ou masculin/féminin. De ce fait, comment

56 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi expliquer que certaines femmes puissent être atteintes d’un trouble « masculin » ? Quels effets et quelles conséquences peuvent être observés sur leur « qualité » en tant que femme ? De quelle façon ces disciplines scientifiques vont-elles négocier avec ces éléments qui semblent former un véritable trouble dans le genre ? Nous allons aborder ces questions dans le dernier chapitre de ce travail.

III. Les troubles du spectre de l’autisme : des « troubles de genre » ?

3.1. La critique féministe des sciences : outils pour analyser le cas de l’autisme

Les éléments analytiques issus des critiques féministes des sciences que nous avons vus dans le premier chapitre nous donnent des outils précieux pour étudier les problématiques qui émergent des recherches sur les différences des sexes dans le cadre des TSA. Les critiques féministes s’intéressant aux sciences naturelles et leurs méthodes ont mis en avant notamment la façon dont les scientifiques créent véritablement des identités sexuées, en définissant ce qu’est un homme ou une femme, et ce qui les différencient (Gardey, 2006). Ces critiques ont aussi visé une dénaturalisation des catégories, en mettant en lumière les multiples manières dont les sciences présentent des observations ou des différences comme étant des faits naturels, ancrés dans le biologique et donc immuables (Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 2003 ; Gardey et Löwy, 2000). En regardant les sciences « telles qu’elles se font » (Gardey, 2006 : p.651), cette approche critique et féministe permet de dévoiler l’imbrication des sciences et la production de savoir avec les opinions ordinaires et les stéréotypes genrés qui circulent à travers la société et s’immiscent dans les pratiques scientifiques elles-mêmes. En pensant la science comme une institution caractérisée par des pratiques et des manières de faire, tel que nous le suggère Dominique Pestre (2006 : p.3), on redonne une substance historique et sociale à l’entreprise scientifique, et on cesse de la considérer comme un objet hors du temps et surtout hors de son contexte social où il s’inscrit (Pestre, 2006). Ainsi, l’approche féministe des critiques des sciences permet une dénaturalisation de l’objet même de science, mais aussi des productions de savoir issues de la recherche scientifique ainsi que des concepts et définitions qui sont mobilisés dans le travail scientifique. Dans le cadre de ce mémoire, qui se focalise sur les recherches des différences des sexes dans la prévalence et la présentation des troubles autistiques, l’approche des critiques féministes des sciences vont permettre de mettre en lumière un certain nombre de mécanismes intervenant

57 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi dans cette naturalisation des différences, qui s’emmêlent dans les différentes recherches constituant mon corpus d’analyse.

3.1.1. La recherche des différences entre les sexes

Les différentes théories genrées des TSA étudiées plus haut dans ce mémoire illustrent les divers point critiques que les approches critiques féministes ont mis en lumière dans le cadre des sciences médicales notamment. Les articles de recherches de mon corpus s’inscrivent dans le champ plus vaste des recherches en santé et genre, qui se focalisent sur les différents aspects genrés de la santé en lien avec des pathologies diverses, ainsi que les impacts de celles-ci sur les hommes et les femmes, pour mettre en lumière des potentielles inégalités de genre au niveau de la santé. Ainsi, ce type de recherche se dote d’une « mission » qui est de rendre visibles des inégalités entre hommes et femmes au niveau de la maladie et de la santé, par exemple en soulignant un manque de prise en considération des notions de sexe et/ou de genre dans les recherches en général (Hankivsky, 2012). Un certain nombre d’articles du corpus justifient ainsi leur recherche sur les différences des sexes de cette manière. Par exemple, Wilson et ses collègues (2016 : p.809) notent qu’il est important de comprendre comment le « sexe » influence la présentation de l’autisme pour pouvoir mieux comprendre la « biologie » de l’autisme chez les hommes et les femmes, et que ceci a une importance dans la prise en charge et le diagnostic des individus autistes. D’autres déplorent que le « sexe biologique » n’est que rarement la variable d’analyse principale (Kirkovski et al., 2015 : p.65), alors qu’il est de plus en plus admis dans la communauté scientifique que le « sexe » constitue une source d’hétérogénéité dans les pathologies psychiatriques et leurs étiologies (Alaerts, Swinnen et Wenderoth, 2016 : p.1002). Le psychiatre Simon Baron-Cohen et ses collègues vont même jusqu’à dire qu’affirmer que les sexes soient différents, notamment aux niveaux cérébral, cognitif et comportemental n’est pas « politiquement correct » (Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005) dans notre société alors que des travaux prouveraient pourtant l’existence de ces différences entre hommes et femmes (Baron-Cohen et Hammer, 1997). Les sociologues Kristen Springer, Olena Hankivsky et Lisa Bates (2012 : p.1661) écrivent à juste titre que ce type de recherche considère les différences hommes/femmes en termes de santé comme une donnée allant de soi et si évidente qu’ils privilégient la confirmation de ces différences sans explorer de possibles similitudes qui pourraient exister entre les sexes. Cette focalisation sur les différences s’observe aussi dans les articles constituant le corpus : évidemment, ma recherche s’est orientée sur des articles s’intéressant justement à la différence des sexes, ainsi

58 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi il peut paraître peu surprenant qu’un grand nombre d’articles cherchent à confirmer ces différences. Cependant, il est intéressant de noter qu’un certain nombre des papiers analysés trouvent des différences de très faible ampleur, voire nulles, mais choisissent néanmoins de se concentrer sur ces différences, notamment en expliquant des raisons potentielles qui auraient pu obscurcir la présence de différences, sans jamais admettre une possible similitude entre les sexes. Ainsi par exemple, dans la recherche de Michelle Kiep et Annelies Spek (2017) portant sur les fonctions exécutives35 chez des femmes et hommes adultes atteints de TSA, les auteures concluent qu’il n’existe pas de différences assez significatives pour pouvoir prouver l’existence de deux profils cognitifs séparés, un masculin et un féminin. Cependant, ils se focalisent tout au long de l’article essentiellement sur des petites différences observées au niveau d’un nombre restreint de fonctions exécutives. Christina Kauschke, Bettina Van der Beek et Inge Kamp- Becker (2016) titrent leur article « gender differences in narrative competence and internal state language », alors qu’elles ne trouvent que des différences « subtiles » (p.850). William Mandy et ses collègues (2012 : p.1310) soulignent aussi l’existence de différences « subtiles mais potentiellement importantes » entre hommes et femmes atteints de TSA.

3.1.2. Le cadre binaire des genres

Cette importance que semblent accorder les sciences médicales aux différences, même subtiles, montre ainsi la façon dont ces sciences s’inscrivent dans le « cadre théorique binaire du dimorphisme sexuel » (Gardey, 2006 : p. 665), au même temps qu’elles viennent le renforcer. Cependant, dans la mesure où cette binarité des sexes est censée être « un miroir de la nature » (Kraus, 2000 : p.187), elle n’est pas remise en cause par la société, ni par les chercheurs eux- mêmes, qui ne considèrent ainsi pas cette binarité comme un « classement conventionnel et arbitraire » (p.187) car « [e]lle paraît « naturelle », en tant qu’elle bénéficie du statut d’évidence non questionnée, mais également parce qu’elle est supposée être inscrite dans le biologique » (p.187-188). Cette prégnance du modèle dichotomique des sexes peut notamment être observée dans la théorie du « camouflaging » que nous avons présentée auparavant, qui rappelons-le indique la capacité (surtout des femmes autistes) de masquer leurs difficultés et ainsi de « paraître normales » [Prentend to be Normal] (Willey, 1999 cité dans Lai et al., 2017 : p.690). La théorie du « camouflaging » repose notamment sur la prétendue différence des sexes au niveau comportemental et cognitif, se traduisant par exemple en une plus grande capacité

35 Kiep et Spek (2017) définissent les fonctions exécutives comme les processus mentaux nécessaires pour atteindre des buts personnels dans un environnement en constant changement.

59 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi verbale chez les filles, ou des meilleures capacités en mathématiques chez les garçons (capacités que nous le verrons dans la prochaine partie, sont loin d’être unanimement acceptée). Ainsi, en pouvant classifier certains comportements (qui posent problème dans le cas des TSA), comme féminins ou masculins, on peut voir la référence à un cadre binaire de dimorphisme sexuel au niveau des comportements. La théorie du cerveau masculin extrême (EMB) s’inscrit également dans ce cadre binaire en postulant un dimorphisme sexuel au niveau des capacités d’ empathie et de « systémisation », et qui sont à la base de types cérébraux différents. Il est notamment intéressant de noter que la formulation originale, proposée par Simon Baron-Cohen, mentionne que le « type cérébral masculin » peut être présent chez les femmes, et celui « féminin » chez les hommes (Baron- Cohen, 2002 : p.249 ; Baron-Cohen et Hammer, 1997). Cependant, Baron-Cohen et Hammer (1997) notent qu’il aurait été possible de nommer les types de cerveaux par d’autres dénominations, comme par exemple Type 1 et Type 2, mais qu’ils ont renoncé à cette idée car « ceci ignore le fait que si vous êtes biologiquement un homme ou une femme, vous avez une plus grande chance d’avoir un type de cerveau par rapport à l’autre » (p.6, en note de bas de page dans l’article). Il est ainsi intéressant de noter que les auteurs eux-mêmes admettent que les typologies de cerveaux qu’ils nomment cerveaux masculin ou féminin ne sont pas des catégories totalement imperméables, tout en renforçant finalement la binarité masculin-féminin en insistant sur l’indéniable dimorphisme sexuel du cerveau. Pour conclure leur papier, Baron- Cohen et Hammer (1997 : p.29) notent : « Une analyse détaillée du modèle [des types de cerveaux] devrait amener le lecteur à tirer des conclusions basées sur les types de cerveaux des individus plutôt que sur leur sexe »36. Cette conclusion me semble intéressante à souligner, alors que l’article avait pour but de présenter des types cérébraux féminins et masculins, et qu’il met en avant l’existence de preuves « convaincantes » [compelling] d’un dimorphisme sexuel dans le cerveau, les capacités cognitives ainsi que dans les comportements, selon ces mêmes auteurs (Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005 : p.819). Il paraît ainsi difficile d’oublier le sexe dans le cadre de cette théorie, car il est omniprésent dans sa formulation même. Ceci illustre ainsi le propos suivant de Cynthia Kraus (2000 : p.213, souligné par l’auteur) quand elle note que « (…) loin de découvrir la différence sexuelle, la pratique scientifique la fabrique en sexuant le biologique de façon dichotomique et selon les oppositions traditionnelles de genre ». L’hyper-masculinisation des individus autistes telle qu’elle est présentée par la théorie EMB montre aussi la binarité masculin-féminin comme cadre de réflexion dominant : par

36 Ma traduction de « A detailed reading of the model should lead the reader to draw conclusions based on individuals' brain type rather than their sex” (p.29)

60 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi exemple, dans l’article de Auyeung et ses collègues (2009) traitant des différences dans l’ « empathisation » et la « systémisation » chez les enfants autistes et non-autistes, les auteures concluent à une différence de sexe atténuée entre les garçons et filles autistes, ainsi qu’une tendance de ces mêmes enfants à montrer un profil hyper-masculinisé « indépendamment du sexe » (p.1516). La référence à une binarité des sexes comme cadre d’analyse, où le masculin semble être la norme (Kraus, 2000) apparaît ici clairement, dans le sens où en dépit de différences de sexe « atténuées » et des profils « indépendants du sexe », la dichotomie masculin/féminin reste néanmoins le prisme à travers duquel les résultats sont interprétés, et ce même en présence d’éléments qui pourraient ouvrir la voie à un autre modèle que celui de la binarité.

Au niveau génétique, cette stricte distinction entre le masculin et le féminin semble aussi être maintenue : en effet concernant l’autisme, il semble que ce soit la présence d’un chromosome Y (c’est-à-dire le chromosome du « masculin ») qui représente finalement un élément de risque pour le développement d’un trouble autistique, et qui expliquerait ainsi la plus grande prévalence masculine de l’autisme. Cependant, plusieurs travaux de critiques féministes ont montré qu’il n’est pas si aisé de distinguer les hommes et les femmes en fonction de leur sexe chromosomique, c’est-à-dire à partir de la présence de chromosomes X ou Y (Kraus, 2000 ; Fausto-Sterling, 1992, 2000). Effectivement, il existe des cas intermédiaires où des femmes peuvent avoir des chromosomes Y et les hommes des chromosomes X, rendant ainsi cette distinction basée sur la composition chromosomique plus compliqué qu’il n’y paraît (Kraus, 2000 ; Fausto-Sterling, 1992, 2000). En notant des mécanismes liés aux chromosomes Y et X qui confèreraient des facteurs de risque ou de protection pour l’autisme en fonction du sexe, montre ainsi comment les scientifiques distinguent encore les hommes et les femmes en fonction du sexe chromosomique, malgré les résultats qui remettent en cause la distinction basée sur ces critères (Kraus, 2000).

3.1.3. Les notions de sexe et de genre : trouble dans les définitions

La binarité comme modèle théorique et méthodologique met en opposition bien d’autres termes que homme/femme ou masculin/féminin : elle oppose aussi à certains moments les notions de sexe et de genre, et non seulement dans la littérature biomédicale. En effet, les débats autour des définitions et de l’utilisation des notions de sexe et de genre telles que nous les pensons aujourd’hui sont rattachés à l’histoire des critiques féministes des sciences et plus

61 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi largement aux mouvements féministes du XXè siècle. En effet, la volonté des féministes des années 1970 de rompre le déterminisme biologique qui constituait un des arguments clés pour justifier les inégalités et les places différentielles dans la société entre hommes et femmes, fût à l’origine de la dichotomie entre le sexe et le genre (Hammarström et al., 2014 ; Krieger, 2003 ; Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 20003 ; Gardey et Löwy, 2000) : le sexe était considéré comme étant le biologique, alors que le genre venait à signifier la partie construite socialement de l’identité sexuée. Comme le note Fausto-Sterling (2000 : p.4), le sexe représenterait ainsi l’anatomie et les mécanismes physiologiques, et le genre se définirait comme étant les forces sociales qui façonnent les comportements. Ainsi, la distinction entre sexe biologique et sexe social (soit le genre) permet de souligner le fait que les identités ne sont pas des objets naturels, mais qu’elles ont une histoire (Gaudillière, 2003). Cependant, cette dichotomie sexe/genre limite aussi l’analyse féministe (Fausto-Sterling, 2000 : p.21-22), car elle obscure « (…) le fait que les identités de genre ont été au cœur des processus matériels, cognitifs et sociaux qui ont « fait » les savoirs du sexe » (Gaudillière, 2003 : p.57-58). Effectivement, les croyances sur le genre de la part des scientifiques influencent les productions de savoir sur le sexe (Fausto- Sterling, 2000 : p.3). Le corps devient ainsi une construction à son tour, un « effet bien réel des régulations sociales et des assignations normatives » (introduction de Fassin dans Butler, 2006), et où le sexe et le genre sont constitués et matérialisés par des relations de pouvoir : le genre est ainsi performatif en ce sens où il constitue la matrice à travers laquelle les corps et aussi le sexe, par la répétition des normes, acquièrent une matérialité et une réalité (Butler, 1993 ; Butler, 2006). Le genre cesse ici d’être un composant de l’identité, mais il « constitue l’identité qu’il est censé être » (Butler, 2006 : p.96). Le sexe et le genre ne peuvent donc pas, dans cette vision, être aisément séparés comme des entités représentant respectivement la nature et la culture, car tout discours sur le sexe contient des significations déjà genrées (Butler, 2006 ; Gardey, 2006). Il est aussi important de noter que cette dichotomie entre nature et culture comporte une dimension hiérarchique (Butler, 2006 : p.116), où la nature représenterait un réceptacle passif pour les significations culturelles, qui peuvent donc lui être imposées : on devine ici le parallèle qu’on peut faire avec les conceptualisation de féminin et de masculin en tant que passif et actif.

Cependant, la distinction entre le sexe biologique et le genre social reste une composante peu critiquée dans les recherches scientifiques, et pensée comme allant de soi (Hankivsky, 2012 ; Springer, Hankivksy et Bates, 2012 ; Fausto-Sterling, 2000 ; Butler, 2006). Les définitions recommandées par des organes scientifiques de grande importance, comme

62 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi notamment la National academy of medicine37 (anciennement Institute of Medecine) ne font que renforcer cette binarité : en effet, dans un rapport se demandant « Does sex matter » dans la santé entre hommes et femmes, la National academy of medicine (2001 : p. 1, ma traduction) définissent le sexe comme « la classification des êtres vivant, généralement en mâle ou femelle en fonction de leurs organes reproductifs » et le genre comme « la représentation de soi d’un individu en tant que mâle ou femelle, ou la réponse des institutions sociales vis-à-vis d’un individu en fonction de sa présentation de genre », en rajoutant que le genre (mais non le sexe) est façonné par l’environnement et l’expérience. Cette définition, qui établit d’une part uniquement deux identités possibles (le masculin ou le féminin), entérine d’autre part la stricte opposition entre le sexe et le genre, en les apposant respectivement à la nature et au social. Ce cadre d’analyse est dominant dans les articles du corpus, car c’est cette définition (qui est aussi celle de l’OMS : voir la partie 2.2.), qui prévaut. Ainsi, dans un article sur les différences dans les capacités linguistiques entre garçons et filles autistes, Parish-Morris et ses collègues (2017 : p.10) constatent que la présence de « biais genrés » dans les attentes des comportements « appropriés » pour filles et garçons, combinées avec la présence de « réelles différences de sexes biologiques » compliquent le diagnostic d’un trouble autistique. On voit ici clairement la distinction qui est faite entre le genre qui se situe du côté des constructions et des attentes sociales, et du sexe qui est considéré comme un fait biologique et donc « vrai » (Fausto-Sterling, 2000). Le biologique est vu comme un garant de la vérité (des différences entre les sexes), à tel point que Baron-Cohen et Hammer (1997 : p.3) affirment que la différence biologique entre les sexes est « non-controversée » [uncontroversial].

Ces dichotomies entre la nature et le social, entre le sexe et le genre participent aussi à placer le féminin du côté du particulier, le masculin devenant le général, la norme (Fraisse, 1998 citée dans Gardey et Löwy, 2000). Affirmer la présence d’un phénotype spécifiquement féminin dans le cas de l’autisme s’inscrit ainsi dans cette dynamique qui rend la norme égale au masculin et l’atypique au féminin, tout en venant (ré)affirmer la stricte binarité des sexes. En effet, ce n’est que dans le cas des femmes qu’il est question du phénotype féminin d’autisme, alors qu’en parlant des hommes il n’est fait utilisation uniquement du terme autisme. Ces partages strictes entre ces différentes composantes sont d’autant plus forts qu’elles sont « transformées en

37 La National academy of medicine est une organisation privée américaine de promotion de recherche dans les domaines scientifiques et technologiques. Elle se compose de chercheurs proéminents dans leurs champs disciplinaires. En ligne : http://www.nasonline.org/about-nas/mission/ (consulté le 5 août 2020)

63 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi descriptions neutres élaborées par des chercheurs objectifs et désintéressés » (Löwy, 1995 : p.528).

3.1.4. « L’individu autiste » : création d’un corps intelligible

Ces postulats forts, affirmant qu’il existe une « vraie » différence participent ainsi à créer cette matrice de genre (Butler, 1993, 2006) à l’intérieur de laquelle les normes de genre produisent des corps intelligibles du point de vue de sexe. La théorie du « camouflaging » agit ainsi comme explication pour montrer comment des femmes peuvent être atteintes d’un trouble tel que l’autisme, qui est considéré comme affectant surtout les hommes, tout en s’assurant qu’elles « restent des femmes » : effectivement, les filles et femmes autistes peuvent sembler pareilles à leurs pairs non-autistes, comme le remarquent Dean, Harwood et Kasari (2017 : p.685, souligné par les atueurs) « from a distance, girls with ASD looked like TD girls ». En « camouflant » leurs comportements autistiques, considérés comme « masculins », les femmes autistes conservent en quelque sorte une présentation féminine en se conformant à ce qu’est attendu d’une femme, autiste ou non. Ce phénomène est aussi présent, selon certains chercheurs, dans le cas des intérêts restreints et stéréotypés, qui seraient moins marqués chez les filles autistes car elles manifesteraient des intérêts plus « typiques » ou « communs » par rapport aux garçons, se rapprochant ainsi des intérêts « normaux » des filles neurotypiqes (Hiller, Young et Weber, 2016 ; Wilson et al., 2016 ; Kiep et Spek, 2017). Un autre article s’intéressant aux comportements de jeu genrés chez des enfants autistes et non-autistes notent aussi cette ressemblance entre les filles autistes et non-autistes, en disant que l’utilisation des jouets « genrés » [gender-typical] est « préservée » chez les filles autistes (Harrop et al., 2017 : p.48).

On voit ainsi comment le genre devient un effet des normes de genre comme le mentionne Eric Fassin dans son introduction au livre de Judith Butler Trouble dans le genre (2006 : p.14), mais aussi comment les discours mêmes des chercheurs, ainsi que leur hypothèses et leurs résultats, sont teintés de considérations sur le genre (et le sexe) qui semblent structurés « (…) par des présupposés culturels concernant le statut relatif des hommes et des femmes, et par le rapport binaire qu’est le genre lui-même » (Butler, 2006 : p.220). C’est le sexe qui devient ainsi le constituant de l’identité des individus dans le sens où le sexe vient à dire le genre (Gardey, 2006 : p.655). Les discours scientifiques ne sont donc pas exempts des stéréotypes et des influences sociales (Gardey, 2006 ; Fausto-Sterling, 2000 ; Butler, 2006), malgré l’objectivité qui leur semble

64 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi rattachée. Les pratiques scientifiques et les technologies médicales qui se développent et se complexifient influencent aussi les conceptualisations des différences des sexes (Löwy et Rouch, 2003). Ainsi, dans le contexte des différences des sexes et l’autisme, on peut penser que par exemple le développement de techniques d’imagerie cérébrale de plus en plus poussées puissent avoir un impact sur la compréhension des différences entre hommes et femmes, notamment en essayant de prouver la localisation de ces différences dans le cerveau. La neuroscientifique Melissa Kirkovski et ses collègues (2015 : p.70) soulignent qu’il est « impératif » d’explorer les effets du « sexe biologique » sur les anomalies cérébrales en lien avec l’autisme. Les différents outils de plus en plus perfectionnés, tel que l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle sont considérés comme étant des outils « robustes » (Floris et al., 2018 : p.2) pour capturer des différences de sexes dans les structures et fonctions cérébrales. La « présence du sexe dans le corps » (Gardey, 2006 : p.656) semble donc s’exprimer au niveau du cerveau, lieu ultime pour prouver l’ancrage solidement biologique des différences entre hommes et femmes. Les neurosciences prennent une place de plus en plus importante dans les recherches biomédicales, et notamment dans le champ de l’autisme. Nous allons voir les critiques et questionnements qui émergent de ce « tournant neuronal » (Vuille, 2014, p.9), en particulier en lien avec l’autisme.

3.2. Le cerveau comme site de la différence des sexes : les apports des Critical neurosciences et l’application aux troubles du spectre de l’autisme

3.2.1. Le dimorphisme sexuel au niveau du cerveau : définitions et théories

« We aren’t unisex, and every cell in the brain of every man and every woman knows it » écrit le neurobiologiste américain Larry Cahill dans son article “Equal ≠ the same: sex differences in the human brain” (2014: p.8). Les différences entre hommes et femmes sont biologiquement ancrées, selon un « bio-déterminisme » (Vidal, 2013 : p. 447) qui semble localiser le site de la différence (Gardey, 2006) dans le cerveau, qui lui-même devient la métaphore qui décrit les individus dans leur ensemble (Vidal, 2013). Les comportements, émotions ou encore les croyances des individus sont pensés en termes cérébraux, c’est-à-dire se réduisant au cerveau et étant produit par différentes compositions neurochimiques (Ortega, 2009). L’influence grandissante de la discipline des neurosciences participe à la légitimation de la recherche des différences des sexes dans le cerveau (Vidal, 2013 ; Ortega, 2009). Ces différences des sexes sont recherchées aussi dans le cadre de troubles ou maladies ayant une

65 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi composante neurologique, tel les TSA (Kirkvoski et al., 2016). Les affections présentant des ratios hommes-femmes inégaux posent un défi théorique aux chercheurs, car d’une part il remet en question l’existence d’une norme supposée universelle au niveau de la physiologie humaine, et d’autre part ce ratio pourrait laisser croire à la présence de deux normes distinctes, une pour les hommes et l’autre pour les femmes (Fausto-Sterling, Coll et Lamarre, 2012a, 2012b). La première partie du dilemme est utilisée comme argument en faveur des recherches de différences des sexes, en mettant en avant le fait que la majorité des recherches biomédicales ont été faites sur des échantillons mâles, et ainsi que la physiologie masculine a été utilisée comme la norme à partir de laquelle les chercheurs infèrent des conclusions pour les femmes. Ainsi, le neurobiologiste Larry Cahill publie un article intitulé « Why sex matters for neuroscience » (2006) pour pointer du doigt le manque d’études faites sur les femmes et la physiologie féminine. Cependant, ce type de discours court le risque de tomber dans le déterminisme biologique des différences entre hommes et femmes (Vidal, 2013), et aussi de renforcer la deuxième partie du dilemme noté plus haut, à savoir qu’il existerait deux normes distinctes entre hommes et femmes, polarisant ainsi encore un peu plus la matrice binaire des genres. Effectivement, dans le même article de 2006, Cahill note qu’il n’existe que deux « mosaïques complexes » (p.7) de cerveaux : une féminine et l’autre masculine. Dans cette optique, les cerveaux sont « sexuellement dimorphes », c’est-à-dire qu’il n’y a que deux formes possibles et admises, et qui sont radicalement distinctes (McCarthy et Konkle, 2005 ; Hoffman et Bluhm, 2016). La prémisse initiale qu’il n’existe que deux sexes sert ainsi de base pour les recherches sur les différences entre hommes et femmes, en supposant que ces deux groupes sont clairement distincts (Schmitz et Höppner, 2014).

Les théorisations autour du dimorphisme sexuel au niveau cérébral datent d’au moins 50 ans, période pendant laquelle de nombreuses recherches et résultats ont émergé pour tenter de prouver la différence incommensurable entre les cerveaux des hommes et des femmes. Ces résultats serviraient ainsi de preuve de l’existence d’un socle biologique incontestable pour fixer les différences des sexes de manière définitive. J’aborderais ici trois théories qui ont été avancées pour décrire les différences entre les hommes et les femmes aux niveaux cognitif et comportemental, et qui situent ces différences dans les structures et fonctions cérébrales. Ces trois théories sont aussi pertinentes dans le cadre des troubles autistiques, car comme nous le verrons ces théories émergent, même implicitement, dans les recherches constituant mon corpus, et sont aussi à la base des différentes théorisations genrées autour de l’autisme.

66 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi

Brain organization theory

La première théorie importante est celle de l’« organisation cérébrale » [brain organization theory], proposée à la fin des années 1950 par le groupe de recherche composé de Charles Phoenix et ses collègues au département d’anatomie de l’université de Kansas aux États-Unis (Van den Wijngaard, 1991). Cette théorie de l’organisation fût développée à partir d’observations sur les comportements de reproduction chez des cochons d’Inde, et se concentre sur les effets des hormones dans la différenciation sexuelle (Van den Wijngaard, 1991 ; Fausto- Sterling, 2000). Plus précisément, cette théorie distingue l’effet organisationnel [organizational] des hormones sur le cerveau juste avant la naissance, de l’effet d’activation [activtional] de ces mêmes hormones sur les mécanismes neurologiques chez l’animal adulte (Van den Wijngaard, 1991 ; Fausto-Sterling, 2000 ; Jordan-Young et Rumiati, 2012 ; McCarthy et Konkle, 2005). Ce sont spécifiquement les hormones dites androgènes qui exercent ces effets, et cette hypothèse se fonde sur le paradigme de la différenciation sexuelle développée par le chercheur Alfred Jost dans les années 1950 : selon le modèle de Jost, le phénotype mâle ne peut se développer qu’en présence d’un taux minimal d’hormones androgènes, dont notamment la testostérone (Van den Wijngaard, 1991 ; Fausto-Sterling, 2000 ; Jordan-Young et Rumiati, 2012 ; Kraus, 2000). Ainsi, le féminin est considéré comme étant l’état par défaut, le masculin ne pouvant émerger que grâce à l’action de « la merveilleuse molécule » (Fausto-Sterling, 1992 : p.268) qu’est la testostérone. Certains chercheurs nomment ce mécanisme « le principe d’Adam » qui signifie que quelque chose doit être ajouté pour différencier un mâle » (Van den Wijngaard, 1991 : p.24). Cette théorisation de Jost était appliquée premièrement en embryologie, pour expliquer les mécanismes de la différenciation sexuelle du fœtus, mais il fût repris notamment par Phoenix et ses collègues pour décrire les différences entre les sexes au niveau cérébral et finalement au niveau comportemental (Van den Wijngaard, 1991). La théorie de l’organisation cérébrale a ainsi permis de créer un nouvel objet de recherche, à savoir l’effet des hormones prénatales sur le développement du cerveau, et ultérieurement d’expliquer les différences dans les comportements supposés être l’expression directe de l’organisation du cerveau (Van den Wijngaard, 1991 ; McCarthy et Konkle, 2005). Fausto-Sterling (1992 : p.224) note ainsi que les hormones ne définissent plus uniquement les gonades, mais également le cerveau, qui lui- même définit in fine l’homme ou la femme. Cette théorie permit aussi de prouver l’ancrage biologique et ainsi permanent des différences des sexes, qui sont mises en place déjà avant la naissance, et sous l’influence des hormones (Van den Wijngaard, 1991). Avant ces recherches,

67 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi il n’existait pas de théorie scientifique pouvant prouver que les différences résident dans la structure même du cerveau, (Van den Wijngaard, 1991). Initialement utilisée pour l’observation sur les animaux, cette théorie sera appliquée sur les humains à la fin des années 1960 par les psychiatres américains John Money et Anke Ehrhardt, connus notamment pour leurs travaux sur les enfants intersexes (Van den Wijngaard, 1991). Ils ont en particulier étudié les effets de l’exposition à la testostérone chez des filles atteintes d’hyperplasie congénitale des surrénales, où ils observèrent des comportements de « garçon manqué » chez ces filles, dû à la production anormalement élevée de testostérone par les glandes surrénales avant la naissance (Van den Wijngaard, 1991 ; Jordan-Young, 2012).

Malgré de nombreuses critiques à l’encontre de cette théorie, qui ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique 38, elle continue néanmoins à se glisser dans et à inspirer des recherches actuelles (Vidal, 2012 ; Bluhm, 2013b ; Dussauge et Kaiser, 2012a). Dans le cadre des TSA, la théorie du cerveau masculin extrême représente clairement l’application de la théorie de l’organisation dans les recherches actuelles en neurosciences et psychologie. En effet, la théorie du cerveau masculin extrême postule que les différences cognitives entre hommes et femmes résultent de différences biologiques liées au développement cérébral, ce dernier étant influencé par des facteurs génétiques et endocriniens qui diffèrent entre les sexes (Baron-Cohen et Hammer, 1997). Comme nous l’avons vu précédemment, les niveaux d’androgènes (et surtout de la testostérone) pendant la vie prénatale créeraient des « types cérébraux » féminins ou masculins, qui se traduiraient en différentes capacités cognitives jusque dans la vie adulte (Baron-Cohen et Hammer, 1997 ; Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005 ; Baron-Cohen, 2002 ; Cheslack-Postava et Jordan-Young, 2012). Baron-Cohen et Hammer (1997) notent ainsi que la testostérone a un « effet causal » (p.19) sur le développement cérébral du fœtus résultant en des différences de sexes claires à la naissance. Ces mêmes auteurs lient cette théorie à l’autisme, en notant que les garçons autistes ont des meilleures capacités spatiales que leurs pairs non-autistes, et qu’ils ont des grandes difficultés dans les capacités sociales et empathiques (Baron-Cohen et Hammer, 1997). La testostérone est donc supposée jouer un rôle

38 Pour une histoire plus détaillée des controverses autour de cette théorie voir notamment : VAN DEN WIJNGAARD, MARIANNE. The Acceptance of Scientific Theories and Images of Masculinity and Femininity. Journal of the History of Biology, 1991, vol. 24, no 1, p. 19-49. FAUSTO-STERLING, Anne. Myths of gender. Biological theories about women and men (2ème édition). Basic Books. 1992. FAUSTO-STERLING, Anne. Sexing the body. Gender politics and the construction of sexuality. Basic Books. 2000.

68 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi clé dans l’explication de la forte prévalence masculine des TSA, car elle a un effet hyper- masculinisant sur les hommes autistes. On peut donc clairement apercevoir ici l’influence de la théorie de l’organisation cérébrale, mais aussi des théorisations de Jost que nous venons de présenter, selon lesquelles la testostérone est l’hormone clé différenciant les hommes et les femmes (Van den Wijngaard, 1991 ; Fausto-Sterling, 2000 ; Jordan-Young et Rumiati, 2012 ; Kraus, 2000). Le rôle de la testostérone dans le cas de l’autisme est aussi une composante dans la théorie de l’inversion de genre [gender incoherence theory] : en effet, Bejerot et ses collègues montrent dans deux articles (2012 ; 2014) que la testostérone a un effet masculinisant mais uniquement sur les femmes autistes, et non pas les hommes comme postulé par la théorie de Baron-Cohen. Il reste néanmoins que les hormones dites androgènes possèderaient cette capacité de masculiniser le corps, et même un corps de femme.

La latéralisation cérébrale

Une deuxième théorie qui est présente dans les recherches sur l’autisme est celle de la latéralisation cérébrale, qui est supposée différente entre les hommes et les femmes. La latéralisation est liée à la spécialisation des deux hémisphères du cerveau, et concernent notamment les capacités verbales, spatiales et mathématiques (Vidal, 2012 ; Fausto-Sterling, 1992). Il est pensé que les femmes sont moins latéralisées au niveau de ces capacités par rapport aux hommes, c’est-à-dire que chez les femmes les régions liées au langage ou aux capacités spatiales et mathématiques sont localisées dans les deux hémisphères, alors que chez les hommes les hémisphères sont spécialisés dans l’une ou l’autre capacité, et donc qu’ils sont fortement latéralisés (Fausto-Sterling, 1992 ; Kaiser et al., 2009 ; Fine, 2012 ; Schmitz, 2010). Selon les chercheurs soutenant cette théorie, la différence dans la spécialisation et l’activation hémisphérique s’illustre dans les comportements chez les femmes et les hommes, où les femmes sont supposées avoir une approche cognitive plus relationnelle et les hommes sont plus analytiques et focalisés (Kaiser et al., 2009). La question de la latéralisation est aussi étudiée dans le cas des TSA : ainsi il est pensé qu’une latéralisation anormale soit un trait autistique (Vladeanu et al., 2012). Les recherches autour de la latéralisation et ses implications dans l’autisme supposent aussi un lien avec l’influence de la testostérone pendant la vie pré-natale. Ainsi, Baron-Cohen et ses collègues (2005) supposent que la testostérone, avec son effet hyper- masculinisant, latéralise à l’extrême le cerveau autistique, et que ceci explique la grande capacité des hommes autistes dans les disciplines scientifiques telles les mathématiques. À l’inverse, la faible latéralisation et le fonctionnement plutôt interhémisphérique observés chez

69 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi les femmes expliqueraient leur plus grande capacité émotionnelle et empathique (Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005 ; Fine, 2010). Dans une étude sur les capacités des individus autistes à reconnaître des émotions en fonction des expressions faciales, Matei Vladeanu et ses collègues (2010) trouvent aussi une plus forte latéralisation chez les hommes autistes, chez lesquels uniquement l’hémisphère droit est impliqué dans l’interprétation d’expressions faciales. Les auteurs concluent aussi a une possible influence de la testostérone qui hyper- masculinise le cerveau en le rendant notamment d’avantage latéralisé.

La connexion interhémisphérique

La théorie de la latéralisation est aussi liée aux théories autour de la connexion interhémisphérique, qui se fait notamment au niveau du corps calleux, une région fibreuse importante qui relie les deux hémisphères droit et gauche (Fausto-Sterling, 1992 ; Fine, 2010 ; Schmitz, 2010). Les femmes auraient un corps calleux plus important dû au fait que leurs hémisphères sont plus interconnectés que les hommes (Fine, 2010 ; Schmitz, 2010). Malgré la prolifération de recherches autour des différences dans le corps calleux, aucun résultat concluant n’a été trouvé (Fausto-Sterling, 1992) : cette théorie reste néanmoins présente, et notamment dans certaines recherches sur les différences des sexes dans le cas des TSA. Baron- Cohen, Knickmeyer et Belmonte (2005 : p.821) notent que la plus grande connectivité chez les femmes leurs donnent des avantages dans les capacités émotionnelles car cette activité s’appuie sur des signaux venant de régions cérébrales multiples. À l’inverse, la connectivité plus concentrée et locale permettrait aux hommes d’être plus doués pour des disciplines scientifiques, en particulier les mathématiques (Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005). Les hommes autistes ont donc des capacités émotionnelles anormalement faibles, dû à la testostérone prénatale qui influence cette connectivité à courte distance (ibid). Une autre recherche, menée par Dorothea Floris et ses collègues (2018), conclue aussi à une connectivité altérée dans le cerveau des individus autistes : les chercheurs constatent notamment des « changements-vers- masculinité » [shift-towards-maleness] ou des « changements-vers-féminité » [shift-towards- femaleness] dans certaines régions, c’est-à-dire que certains réseaux neuronaux ne sont pas connectés de façon considérée « typique » pour un cerveau d’homme ou de femme, démontrant ainsi que l’autisme représenterait un trouble de genre, voire d’inversion de genre. Le groupe de recherche de Kaat Alaerts (2016) trouvent aussi cette inversion de genre, en notant des connectivités atypiques pour les hommes et femmes autistes.

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Ces différentes théories prennent de plus en plus de place dans les recherches neuroscientifiques ou psychologiques, en particulier pour trouver des preuves d’une différence biologique entre hommes et femmes ancrée dans le cerveau même des individus. Le cerveau devient un « organe sexué » (Kaiser et al., 2009 : p.50), jouant un rôle important dans la recherche et la conceptualisation des différences entre les sexes. Cependant, cette « cerebralization of the self » (Ortega, 2009 : p.426), ainsi que l’importance grandissante que prend l’approche neuroscientifique dans les recherches médicales plus larges (Ortega, 2009 ; Vidal, 2012, 2013 ; Schmitz et Höppner, 2014), ont été et continuent à être sujettes à des critiques, et notamment féministes.

3.2.2. Les Critical neurosciences : outils et concepts

La critique féministe des neurosciences nous donne des outils intéressant pour analyser les articles du corpus, notamment en mettant en avant les problématiques qui émergent dans les recherches s’intéressant à établir des différences des sexes au niveau du cerveau en lien avec l’autisme. Un courant critique des neurosciences, appelé aussi Critical neurosciences, s’est déjà développé dans les années 2010, notamment en raison de la place grandissante de l’approche neuroscientifique dans les recherches autour des capacités cognitives et comportementales, et la légitimité importante octroyée à cette discipline dans le monde scientifique, mais aussi dans la société plus largement (Choudhury, Nagel et Slaby, 2009 ; Vidal, 2012, 2013 ; Ortega, 2009). Dans ce contexte, certains aspects subjectifs relevant de l’individualité même se transforment en « brain facts » (Choudhury, Nagel et Slaby, 2009 : p. 64) réductibles au cerveau (Vidal, 2002, 2009 citée dans Choudhury, Nagel et Slaby, 2009 : p.66). Isabelle Dussauge et (2012b: p.124-125) notent ainsi que:

« Vivre dans l’ère du cerveau signifie que les individus, leurs maladies ou leurs capacités cognitives, mais aussi les identités, les religions, les émotions, les expériences de vie et les relations sociales, sont pensées comme étant localisées dans le cerveau – et pouvant

potentiellement être visualisées grâce à l’imagerie cérébrale »39

39 Ma traduction de: « Living in the era of the brain means that not only people, their diseases or cognitive abilities, but also identities, religions, feelings, lived experiences, and social relations, are believed to be localizable in the brain – and potentially neuroimaged as such” (Dussauge et Kaiser, 2012b: p.124-125).

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Ces Critical neurosciences se veulent ainsi une pratique réflexive, tout en rapprochant les disciplines des sciences sociales étudiant les neurosciences avec les neurosciences empiriques elles-mêmes (Choudhury, Nagel et Slaby, 2009). Il s’agit ainsi de critiquer le statut culturel dominant des neurosciences actuellement, et aussi l’accaparement que font les neurosciences d’objets de recherches relevant traditionnellement des sciences sociales et humaines (Dussauge et Kaiser, 2012a). L’approche réflexive est aussi à la base de la branche « féministe » des Critical neurosciences (Schmitz et Höppner, 2014) : les neurosciences féministes intègrent ainsi la composante de genre dans leurs analyses, à la manière des critiques féministes des sciences. En effet, les Critical neurosciences n’incluent pas l’analyse des catégories telles que le genre (Dussauge et Kaiser, 2012a). L’approche féministe, appliquée plus spécifiquement aux recherches ayant trait au cérébral, permet de mettre en lumière la façon dont les neurosciences créent et modèlent les notions de sexe et/ou de genre, à travers leurs pratiques, méthodes et hypothèses de travail (Schmitz et Höppner, 2014). La psychologue , qui est une figure importante dans le courant des critiques féministes des neurosciences, parle de neurosexisme pour désigner la manière dont les discours des neurosciences autour des différences des sexes s’appuient sur des stéréotypes quant aux rôles traditionnels de genre, et ainsi comment les neurosciences participent à renforcer et à légitimer ces rôles traditionnels (Fine, 2014, 2013). Comme nous le verrons, les recherches autour des différences des sexes dans le cerveau sont loin d’être concluantes et comme le note Fausto-Sterling (2000 : p.118) le cerveau reste « une vaste inconnue » sur laquelle « projeter, même inconsciemment, des présomptions de genre ». Les critiques féministes des neurosciences ont en effet mis en lumière les problèmes méthodologiques dans les recherches neuroscientifiques sur les différences hommes-femmes, qui sont aussi présents dans le corpus d’analyse sur l’autisme. L’approche critique proposée par les neurosciences féministes est donc pertinente pour analyser les recherches s’intéressant aux dimensions genrées de l’autisme, car ce dernier est aujourd’hui considéré comme un trouble neurodéveloppemental (APA, 2013), et est donc étudié sous l’angle de la neurobiologie. Mon mémoire n’a pas pour objet une critique méthodologique des articles du corpus, mais il me semble néanmoins intéressant de noter quelques critiques qui sont adressées aux recherches sur les différences des sexes et notamment concernant leurs méthodologies.

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Méthodes de comparaison et surestimation des différences

Les critiques féministes des neurosciences mettent en avant les problèmes liés aux méthodes de comparaison entre les échantillons, qui ont tendance à surestimer les différences entre hommes et femmes (Rogers, 2010 ; Kaiser, 2012 ; Kaiser et al., 2009 ; Fine, 2010). En effet, ce sont souvent des moyennes qui sont comparées, permettant de trouver le plus souvent uniquement des différences de faible amplitude (Rogers, 2010 ; Eliot, 2011 ; Young et Balaban, 2006). Les échantillons analysés sont souvent de petite taille, c’est-à-dire avec moins de vingt participants, qui est le minimum recommandé pour des recherches en neurosciences (Fine, 2013). Un échantillon trop petit court ainsi le risque de produire des résultats peu fiables : les différences observées entre les groupes peuvent être surestimées, car plus l’échantillon est grand plus les différences ont tendance à s’atténuer et devenir faibles (Fine, 2013 ; Vidal, 2012). De plus, il est indispensable d’avoir des échantillons de même taille pour effectuer des comparaisons entre hommes et femmes (Kaiser et al., 2009). Or, ceci n’est souvent pas le cas, et notamment dans les recherches autour de l’autisme et les différences des sexes : effectivement, seulement dix-sept articles sur les soixante-neuf composant le corpus, comportaient des échantillons hommes-femmes de taille égale, alors que leur but même était de mettre en lumière les différences entre ces deux groupes dans le contexte des TSA. De nombreux articles justifient ces échantillons inégaux soit en notant qu’ils reflètent le sex ratio couramment accepté de 4:1 dans les TSA, soit en mentionnant la difficulté de recruter des femmes simplement car elles sont moins atteintes d’autisme et donc ne sont pas repérées à travers les échantillons cliniques. Cependant, le principe même de comparaison entre deux groupes est aussi problématique, notamment car certaines recherches effectuent des observation séparées sur chaque groupe, pour inférer ensuite la présence ou non de différences entre les groupes (Bluhm, 2013a ; Fine, 2013 ; Rippon et al., 2014). Plus précisément dans le cadre des travaux en neurosciences ceci implique le fait d’observer une activation cérébrale lors d’une activité dans un groupe, mais pas dans l’autre groupe, et à partir de ceci conclure à une différence significative entre les deux groupes (Fine, 2013). Ces types d’observations séparées est présente dans les articles du corpus, où notamment le groupe de chercheurs autour de Meng-Chuan Lai (2013 : p.2800), une voix influente dans les recherches sur les différences des sexes dans les TSA, prônent la séparation des observations entre hommes et femmes pour mieux saisir les différents tableaux cliniques. Cependant, cette séparation en deux entités distinctes, hommes et femmes, reflètent les attentes et les stéréotypes implicites autour des différences des sexes traversant les recherches

73 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi neuroscientifiques, et la croyance en des fonctionnements cérébraux radicalement différents entre hommes et femmes qui permetteraient d’identifier des cerveaux féminins et masculins (Rippon et al, 2014). Les techniques d’imagerie cérébrale, telle l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, de plus en plus avancées permettent d’avoir une fenêtre par laquelle observer l’intérieur du cerveau et son activité de façon non-invasive, et ainsi tenter de visualiser d’éventuelles différences entre les sexes. Cependant, les images issues de ces techniques d’imagerie ne sont pas le reflet de la « nature telle qu’elle est » (Schmitz et Höppner, 2014 : p.3-4), mais des constructions, issues de différentes étapes de manipulation et de sélection faites par les techniciens et les chercheurs autour des éléments qu’ils souhaitent ou non mettre en avant (Meynell, 2012). Combinés avec les éléments notés au-dessus, nous pouvons voir comment des hypothèses basées sur des stéréotypes et croyances liées aux différences des sexes peuvent s’insinuer dans les différentes étapes de recherche (Rippon et al., 2014).

La vision essentialiste des différences entre les sexes

Ainsi, les recherches neuroscientifiques semblent admettre une vision essentialiste des différences entre les sexes, où hommes et femmes sont les deux extrêmes d’un continuum unique, et possèdant des profils neurologiques distincts (Rippon et al., 2014 : p.1). De cette façon, l’hypothèse de l’unicité du système binaire des sexes sert de fondement à une approche orientée vers l’étude des différences, en laissant dans l’ombre d’éventuelles similitudes (Schmitz et Höppner, 2014 ; Rippon et al., 2014). Ces recherches s’effectuent donc à l’intérieur d’une « matrice des différences » (Kaiser, 2012 : p.132) où des stéréotypes de genre sont projetés sur des composantes du comportements supposés différentes entre hommes et femmes (Dussauge et Kaiser, 2012b : p.137). Les recherches autour de l’autisme sont un terrain particulièrement propice à ce type de problématique, et ceci est particulièrement apparent au sein des différentes théories genrées présentées précédemment. En effet, les théories du cerveau masculin extrême, de l’incohérence de genre ou du phénotype féminin, présentent toutes cette matrice des différences comme base conceptuelle de leur formulations. Ces théories genrées de l’autisme participent à l’ancrage de cette dichotomie masculin/féminin dans le biologique, en proposant une explication « unitaire » selon laquelle les différences entre les sexes sont déterminées par les hormones sexuelles, qui sont déterminées par les gènes (Rogers, 2010 : p. S5). Ces différences seraient donc biologiques car génétiques, en laissant ainsi peu de place aux explications prenant en compte l’influence de l’environnement social des individus (Rogers, 2010 ; Hoffman et Bluhm, 2016 ; Vidal, 2012 ; Jordan-Young et Rumiati, 2012).

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L’influence hormonale, notamment de la testostérone, supposée avoir des effets organisationnels permanents sur le cerveau des individus, est questionnée par les critiques féministes des neurosciences. En effet, de plus en plus de chercheurs dans la communauté scientifique acceptent l’idée de la plasticité du cerveau, qui veut que le cerveau et les connexions neuronales se modifient avec l’expérience tout au long de la vie des individus (Hoffman et Bluhm, 2016 ; Vidal, 2012). Cependant, les théories se basant sur le pouvoir organisationnel permanent de la testostérone continuent d’être utilisées dans les recherches sur les différences entre hommes et femmes, et notamment dans le cas de l’autisme comme nous l’avons déjà observé, et ce malgré les problèmes méthodologiques et scientifiques qui émergent de ce type de théorie. En effet, la neurobiologiste féministe Catherine Vidal (2013) note que ce type de recherche, utilisant ces théories, manquent souvent de « rigueur et d’objectivité » (p.447) et « [q]u’il s’agisse de psychologie cognitive, d’études en imagerie cérébrale ou de génétique, les données expérimentales sont souvent sans commune mesure avec leur exploitation idéologique (…) Car, au-delà, se profile toujours l’idée que l’ordre social est le reflet d’un ordre biologique. » (p.447). Les neurosciences ne sont pas explicitement sexistes, et n’utilisent souvent pas leurs résultats pour justifier les inégalités hommes/femmes (Bluhm, 2013a). Néanmoins, ces résultats sont utilisés pour affirmer que les hommes et les femmes sont essentiellement différents, et donc que les inégalités sont en réalité dû à des fait biologiques qui ne peuvent pas être modifiés (Bluhm, 2013a ; Rogers, 2010). En particulier, la théorie de l’ « empathisation » et de la « systémisation », qui est à la base de la théorie du cerveau extrême masculin de l’autisme, affirme que les différences dans les capacités cognitives entre hommes et femmes prennent leur source dans des différences au niveau biologique, et notamment dans les niveaux de testostérone prénatale. Cependant, des neuroféministes telle Giordana Grossi et Cordelia Fine (2012) critiquent la construction même de cette théorie, en pointant notamment du doigt le manque de définitions claires des notions de « empathizing » et « systemizing ». Ces mêmes chercheuses montrent aussi comment l’environnement expérimental qui est utilisé pour mesures les différences dans ces capacités influence les résultats, et peuvent augmenter ou diminuer les différences entre les sexes (Grossi et Fine, 2012) : elles notent ainsi que les différences sont atténuées quand le caractère genré de l’exercice à réaliser est effacé ou quand les participants ne doivent pas noter leur sexe dans le questionnaire. Malgré ces lacunes méthodologiques et théoriques, un grand nombre de recherches sur les différences entre les sexes se basent sur ces théories qui biologisent les différences. Dans le cadre de l’autisme, ces approches ont un grand poids comme nous le montre les citations

75 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi fréquentes des théories genrées tel le cerveau masculin extrême ou encore l’incohérence de genre.

3.2.3. La primauté de la classification binaire du masculin et du féminin

Cependant, ces théories courent le risque de rendre pathologique les comportements et désirs de genre considérés comme « atypiques » (Jordan-Young et Rumiati, 2012). Effectivement, ces théories reposent sur l’acceptation du cadre dichotomique de genre (Dussauge et Kaiser, 2012b ; Jordan-Young et Rumiati, 2012 ; Joel, 2011 ; Fine, 2014), où hommes et femmes sont radicalement séparés et pensés en tant que catégories monolithiques (Dussauge et Kaiser, 2012b : p.139). Or, ce dimorphisme sexuel, qui implique qu’il ne peut exister que deux formes totalement distinctes l’une de l’autre, est remis en cause par les critiques féministes des neurosciences. Essayer de sortir de ce modèle binaire est un des plus grands défis pour les neurosciences (Fine, 2014), alors même que la grande majorité des recherches ne remettent pas en cause cette dichotomie et intègrent donc celle-ci dans leur recherche ainsi que dans l’interprétation qu’ils font de leurs résultats (Dussauge et Kaiser, 2012b). Le sexe et le genre sont considérés comme des propriétés individuelles, restant fixes et stables tout au long de la vie, et n’étant que marginalement influencées par les expériences et environnements de vie des individus (Dussauge et Kaiser, 2012b ; Rippon et al., 2014 ; Fine, 2013 ; Jordan-Young et Rumiati, 2012). Or la classification binaire, et le dimorphisme sexuel qui en découle, sont contestés par les approches féministes car ils ne sont pas des entités naturelles mais bel et bien des « systèmes de significations » (Dussauge et Kaiser, 2012a : p.211) construits par les pratiques scientifiques elles-mêmes. Cependant, les recherches neuroscientifiques s’intéressant aux différences entre les sexes ne remettent que rarement en cause cette classification binaire des individus et procèdent de telle manière à ranger les individus dans des catégories mâle ou femelle bien distinctes et mutuellement exclusives (Hofmann et Bluhm, 2016). Ainsi, cette approche est utilisée pour prouver l’existence de phénotypes neurologiques clairement dissimilaires entre hommes et femmes (Fine, 2013, 2014 ; Joel et al., 2015 ; Rippon et al., 2014 ; Joel, 2011). De même, dans le cas de l’autisme, les chercheurs s’intéressent à trouver les signatures neurologiques permettant de différencier les hommes et les femmes autistes, et ainsi construire des phénotypes autistiques distincts entre les deux. Les « dimorphismes sexuels attendus » [expected sexual dimorphisms] (Kirkovski et al, 2016 : p.960) servent de base théorique pour étudier les

76 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi différences entre les sexes dans le contexte des TSA : ceci montre ainsi toute la prégnance des théories sur les différences qui ont été présentées précédemment.

Néanmoins, les approches féministes des neurosciences ne soutiennent pas cette vision dichotomique, et des chercheurs comme Daphne Joel (2011, 2015) défendent l’argument du « cerveau unisexe », qui présenterait une mosaïque de régions masculines et féminines au sein des cerveaux de tous les individus. Cette approche veut que la variabilité interindividuelle est plus élevée que les différences entre les hommes et les femmes au niveau cérébral, et ne soutient donc pas la vision de deux types de cerveaux « masculin » et « féminin » (Joel, 2011 ; Joel et al., 2015 ; Fine, 2014 ; Rippon et al., 2014). Malgré ceci, les techniques mêmes d’exploration cérébrale sont utilisées de manière à pouvoir mettre en avant des différences nettes entre hommes et femmes. Ainsi, Cordelia Fine (2013, 2014) montre comment l’utilisation d’une approche d’image « instantanée » [snap-shot] garantit de ne pas trouver de résultats pouvant défier l’hypothèse centrale de l’existance de deux phénotypes distincts mâle et femelle (Fine, 2013 : p.399). De cette façon, l’influence de l’environnement social est réduite au minimum, laissant ainsi la place aux uniques explications biologiques comme pouvant rendre compte des différences entre les sexes (Dussauge et Kaiser, 2012b ; Fine, 2013, 2014 ; Rippon et al., 2014 ; Jordan-Young et Rumiati, 2012). De plus, certaines critiques féministes avancent l’argument que le cerveau, dans les hypothèses initiales des chercheurs, est déjà pensé comme étant masculin à la base et non pas unisexe (Schmitz et Höppner, 2014), ce qui encore une fois influence les méthodes et l’interprétation des résultats. S’ajoute à ceci le prisme du cadre binaire à travers lequel se structurent les travaux scientifiques en la matière et qui implique d’interpréter des caractéristiques « non typiques pour les hommes » comme étant féminines, et celles « non typiques pour les femmes » comme étant masculines (Jordan-Young, 2012 : p. 306). Ainsi, les neurosciences en viennent selon certains critiques, à devoir questionner tout ce qui sort de la norme binaire et hétérosexuelle (Bagemihl, 1999 et Roughgarden, 2004 cités dans Dussauge et Kaiser, 2012b : p.123). Effectivement, les recherches neuroscientifiques tentent de trouver des causes innées et biologiques pour expliquer les comportements ou les identités genrées dites « non-conformes » (ibid, p.135). Dès lors, comment se manifeste ceci dans le cas des TSA ? Que nous dit l’utilisation des différentes théories genrées sur l’autisme sur la position des neuroscience face à des cas où les dimorphismes sexuels typiques ne sont pas totalement observés, voire où ils sont remis en cause ? Sommes-nous face à un « trouble dans le genre » comme le suggèrent Isabelle Dussauge et Anelis Kaiser (2012b : p.121) ?

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3.3. « Trouble dans le genre » : l’autisme comme défi au paradigme de la binarité des genres

3.3.1. Les apports des théories féministes queer

Les concepts théoriques des approches féministes et queer des années 1990 et en avant apportent des éléments précieux pour penser de façon nouvelle le sexe et le genre, en proposant notamment un essai pour sortir de la stricte binarité entre ces éléments. Si les conceptualisations des féministes des années 1970 mettaient en avant une distinction entre le sexe (entendu comme biologique) et le genre (entendu comme social), et plus loin une séparation nature/culture, l’approche queer refuse ces dichotomie en argumentant pour le caractère construit de ces éléments (Kraus, 2000 ; Dussauge et Kaiser, 2012b ; Fausto-Sterling, 2000 ; Butler, 1993, 2006). Il n’est plus question d’un « noyau dur » (Gardey et Löwy, 2000 : p.17) biologique et fixe, qui serait incarné par le sexe et totalement distinct du produit social que serait le genre. Avec l’introduction des idées notamment de la philosophe féministe Judith Butler, le sexe devient une construction au même titre que le genre (Butler, 2006 ; Kraus, 2000). Effectivement, pour Butler (1993), ce n’est pas le social qui apposerait sa signification sur le réceptacle passif que serait le sexe : au contraire, ce dernier est lui-même à la fois une norme et un élément de pratiques de régulation produisant des corps genrés (Butler, 1993). En ce sens, le genre et le sexe sont performatifs, c’est-à-dire qu’ils agissent et sont construits à l’intérieur d’un ensemble de normes, pratiques et discours eux-mêmes genrés (Butler, 1993, 2006 : Dussauge et Kaiser, 2012b). Le sexe et le genre ne sont donc pas des qualités propres aux individus, ni une description de ce qu’est une personne, mais plutôt des normes qui produisent et rendent socialement vivables les individus (Butler, 1993 : p.2-3). Le sexe est ainsi matérialisé, dans les termes de Butler (1993), et ce qui semble être naturel en termes de genre ou de sexualité est en réalité une construction normative opérant à l’intérieur d’une matrice des différences, polarisant le féminin et le masculin de façon radicale (Dussage et Kaiser, 2012b). C’est en suivant cette logique qu’il est possible de comprendre le caractère construit du sexe ainsi que du genre, et constitue ainsi un essai de renversement de la pensée dichotomique qui prévaut dans les sciences dites « dures », mais aussi dans les approches féministes elles-mêmes.

Dans cette vision refusant la dichotomie, il n’est plus possible de séparer le sexe du genre, ou la nature du social : les deux entités se co-construisent, et agissent l’une sur l’autre

78 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi pour produire ce qui sera défini comme masculin et féminin. La biologiste féministe Anne Fausto-Sterling note en effet que le sexe n’est pas une catégorie physique simple (2000 : p.4), mais que les éléments corporels, anatomiques ou physiologiques qui sont définis comme étant masculins ou féminins sont déjà infusés de présupposés genrés (2000 : p.4). Ainsi, catégoriser un individu de mâle ou de femelle n’est pas un acte issu de la nature, mais une « décision sociale » (Fausto-Sterling, 2000 : p.3). Les catégories sexuées et genrées sont dénaturalisées dans cette approche (Dussauge et Kaiser, 2012b), ce qui permet de mettre en lumière la manière dont les corps des individus sont produits, catégorisés voire régulés de telle façon à être acceptables dans notre société. En effet, ce ne sont pas tous les corps qui ont leur place dans ce contexte : il importe qu’il soient culturellement intelligibles (Kraus, 2000 ; Butler, 1993, 2006), c’est-à-dire qu’ils correspondent aux normes d’hétérosexualité et de binarité qui prévalent. Cependant, l’intelligibilité de certains corps suppose l’existence de groupes qui ne sont pas considérés acceptables, c’est-à-dire des corps « non imaginables, abjects, invivables » (Butler, 1993 : p.x-xii). Néanmoins, Butler souligne que ces corps abjects ne doivent pas être pensés comme des opposés aux corps intelligibles, mais plutôt comme des « spectres » (p.xii) réfléchissant les limites de l’acceptable, représentant ainsi l’altérité, l’Autre. Ces approches queer proposent donc une déconstruction et une dénaturalisation des catégories qui semblent aller de soi, tel le sexe, le genre ou la sexualité. Elles pourraient ainsi sembler inadéquates pour l’analyse de propos émanant des sciences biologiques et médicales : cependant, elles permettent une vision différente et critique sur ces mêmes propos, et elles mettent en lumière ce que suggère Thomas Laqueur que « presque tout ce qu’on peut vouloir dire sur le sexe – de quelque façon qu’on le comprenne – contient déjà une affirmation sur le genre » (Laqueur, 1992 cité dans Kraus, 2000 : p.211). Le concept de sexe n’est donc pas une entité naturelle allant de soi, et qui existerait de lui-même tel un élément originel (Kraus, 2000 ; Butler, 1993, 2006), mais il est au contraire construit et traversé par des controverses et des contestations autour des critères qui seront décisifs pour différencier les deux sexes (Butler, 1993 : p.5). Ainsi, « le sexe devient indication inaltérable de la nature du corps et source de la définition de l’identité des sujets » (Gardey, 2006 : p.655).

3.3.2. Le sexe comme construction : illustration à travers le cas de l’autisme

Le sexe, et sa scission en deux entités masculin et féminin, devient de cette façon le principe même de la dichotomie qui organise nos société et pensées. C’est cette binarité qui fonde aussi

79 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi une majorité des hypothèses dans les recherches scientifiques autour des questions de sexe, genre et les différences entre les hommes et les femmes. En effet, si nous reprenons les éléments qui fondent la théorie de l’organisation et de l’activation par les hormones sexuelles, dont la principale est la testostérone, le cadre binaire ressort clairement comme le socle sur lequel repose toute l’argumentation et l’application de cette théorie. De plus cette recherche de déterminants biologiques de la différence entre les sexes prend racine dans une historie de tentatives de localiser les sites des différences : ainsi l’historienne Delphine Gardey (2006) montre comment ces sites ont varié au cours de l’histoire, de l’utérus jusqu’au milieu du XIXème siècle, aux ovaires à la fin du XIXème siècle, et dans les hormones au XXème siècle, pour se situer aujourd’hui dans les gènes (p.656). Le cerveau est aussi devenu un site primordial pour étudier les différences entre les sexes, notamment car il contrôle, mais est aussi influencé par, les molécules hormonales, ce qui emmène Fausto-Sterling a noter que les « substances chimiques infusent le corps, de la tête aux pieds, avec des significations genrées » (2000 : p.147). La théorie de l’organisation, qui postule une action organisationnelle permanente de la testostérone sur les structures et fonctions cérébrales, et plus loin sur les comportements, illustre à mon sens cette infusion de signifiants genrés sur les corps en question. L’application qui est faite de cette théorie au cas de l’autisme, par le biais de la théorie du cerveau masculin extrême et la théorie de l’inversion des genres, permet de montrer cette construction de corps sexués (et intelligibles) qui se fait sur la base d’un cadre dichotomique des sexes. En effet, nous l’avons vu, la testostérone joue le rôle principal dans ces théorisations, et elle a la capacité de littéralement transformer les corps des individus, en les dotant de caractéristiques anatomiques, physiologiques et même cognitivo- comportementales qui divergent entre les hommes et les femmes. Ainsi, pour rappel, des hauts niveaux de testostérone prénatal masculinisent le fœtus, alors que des niveaux bas le féminisent. Ceci se traduirait ensuite en des « dimorphismes sexuels » structurels et fonctionnels dans le cerveau, et ainsi finalement aussi dans les comportements et les capacités cognitives. La théorie du cerveau masculin extrême postule des capacités d’empathie plus développées chez les femmes, dû à leurs faibles niveaux de testostérone, et des capacités de systémisation fortes chez les hommes à cause des niveaux élevés de la même hormone. Même si les chercheurs à l’origine de cette théorie mentionnent qu’ils ne souhaitent pas qu’elle soit utilisée pour justifier les inégalités et les stéréotypes de genre (Baron-Cohen et Hammer, 1997), il ressort néanmoins que les différences entre hommes et femmes sont considérées comme étant biologiquement déterminées, et ainsi que les inégalités qui pourraient en découler sont le fait de ces mêmes différences invariables car naturelles. Fausto-Sterling (2000 : p.115) note que les scientifiques

80 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi mobilisent des « vérités » venant du monde social et des relations qui les traversent pour « structurer, lire et interpréter » le naturel. Il n’est donc pas un hasard que Baron-Cohen et ses collègues postulent que les femmes soient plus douées d’empathie et que les hommes soient plus rigoureux et analytiques, car ces capacités se greffent parfaitement sur les présupposés genrés qui existent déjà dans le sens commun autour des hommes et des femmes. La testostérone devient donc un des moyens, en reprenant les mots de Judith Butler (1993, 2006) par lesquels ces corps sexués sont matérialisés et rendus intelligibles. Les discours qui sont faits ici sur le sexe sont traversés par des considérations sur le genre. Une autre des grandes théories genrées de l’autisme que nous avons présentée plus haut essaie de démontrer l’existence d’un phénotype spécifiquement féminin du trouble, en argumentant pour la présence de signes cliniques distincts pour les femmes et les hommes. Un élément important de cette théorie est le phénomène de « camouflage » [camouflaging], majoritairement présent chez les femmes atteintes d’autisme, et qui arrivent à « cacher » leurs difficultés sociales, relationnelles et/ou émotionnelles malgré le fait qu’elles souffrent d’un trouble autistique. Cette capacité, qui est pour certains chercheurs même considéré un avantage, atténue la visibilité des signes autistiques à tel point que les filles autistes ressemblent aux filles non- autistes (Dean, Harwood et Kasari, 2017 ; Parish-Morris et al., 2017). Ce type d’explication permet à mon sens de (ré)affirmer la dichotomie du genre dans un cas où des femmes sont atteintes d’un trouble vu comme essentiellement masculin. Effectivement, le camouflaging des filles autistes les « confirment » en tant que filles car elles se comportement comme des « vraies » filles malgré leur trouble autistique, créant ainsi des corps intelligibles (Butler, 1993) rentrant dans la binarité de genre.

3.3.3. Les troubles du spectre de l’autisme : défi à l’ordre binaire des genres ?

Les TSA semblent en effet poser un problème à la binarité du fait du « trouble dans le genre » (Butler, 2006) qu’ils emmènent, et notamment chez les femmes. Celles-ci constituent un défi à la division stricte entre hommes et femmes dans la mesure où elles sont atteintes d’un trouble pensé essentiellement comme masculin, ce qui emmène les chercheurs à se poser la question sur l’effet qu’a ceci sur leur féminité, voir leur qualité en tant que « vraies » femmes. En effet, à l’instar d’Emily White et ses collègues (2017) les recherches sur l’autisme se doivent de trouver les « vraies différences phénotypiques » (p.3) entre les hommes et les femmes autistes, traduisant l’importance de rétablir voire de réaffirmer la binarité qui semble défiée. Ce procédé relève ainsi de la pathologisation qui est faite des comportements qui ne rentrent pas dans les

81 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi stéréotypes de genre (Jordan-Young et Rumiati, 2012). La fille autiste est alors définie comme étant « très déterminée, évitant les demandes, peu soucieuse de son apparence » (Kopp et Gillberg, 2011 : p.2886), ce qui semble ne pas correspondre à la présentation « typique » d’une petite fille. Cependant, ces mêmes auteurs tentent de rétablir la différence entre les filles et les garçons, en notant que les comportements de jeux restent « typiquement genrés » [gender- typical] pour les filles autistes et qu’elles ont plus de possibilités de se joindre à des groupes de pairs par rapport aux garçons autistes (p.2885).

Le défi à l’ordre dichotomique de genre s’illustre aussi dans les théories du cerveau masculin et de l’inversion de genre. Les femmes autistes seraient ainsi « masculinisées » dû à leur exposition à des taux anormalement élevés de testostérone durant la vie fœtale, et dans le cas de l’inversion de genre, les hommes seraient « féminisés ». Comment faire face à ce cas, qui à certains égard pose les mêmes problèmes au monde médical qu’ont pu, et que continuent à, faire les individus intersexes ? Cynthia Kraus (2000) note ainsi que la bicatégorisation par sexe répond à un « impératif culturel » (p.209) qui veut que les corps soient définis de façon « claire et stable » (p.209), même si ces mêmes corps sont ambigus et ne permettent pas cette classification. Ainsi, la femme autiste « masculinisée » dans la théorie du cerveau masculin extrême reste néanmoins moins masculine que l’homme autiste qui jouit du statut d’hypermasculin. De cette façon, les différences entre hommes et femmes restent tout de même affirmées, et le cadre binaire n’est pas remis en cause. Dans une méta-analyse effectuée par la chercheuse en psychologie et neurosciences Rachel Moseley et ses collègues (2018), les chercheurs trouvent que même si les femmes autistes se rapprochent de la présentation « androcentrée » (p.7), les similitudes pourraient être « artificiellement exagérées » (p.7). Ceci est dû en partie selon les chercheurs aux outils diagnostics qui ne prennent en compte que le tableau clinique masculin de l’autisme : cependant, cette interprétation laisse aussi entrevoir la nécessité qui existe de réaffirmer la différence qui prime sur la similitude. Une autre recherche, s’intéressant cette fois strictement à la théorie du cerveau masculin extrême, trouve des différences entre les sexes atténuées chez les individus, tout en insistant plus loin que ces profils tendent vers une présentation hyper-masculinisée « indépendamment du sexe » (Auyeung et al., 2009 : p.1516). Il est en effet intéressant de noter comment la norme du cadre binaire des genres reste en place, ainsi que l’affirmation du masculin comme la référence. La théorisation originale de Simon Baron-Cohen et ses collègues insiste aussi sur le fait que les différents types de cerveaux peuvent s’appliquer aux individus indépendamment du sexe, tout en basant ces types sur des profils cognitifs supposés distincts entre hommes et femmes, et pouvant être

82 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi classifiés sur un continuum masculin-féminin (Baron-Cohen et Hammer, 1997 ; Baron-Cohen, Knickmeyer et Belmonte, 2005 ; Baron-Cohen, 2002).

Alors même que les résultats et les observations proposés par les chercheurs pourraient remettre en cause la binarité comme unique système de pensée, ce dernier continue malgré tout d’être réaffirmé et renforcé par les interprétations mêmes faites par les chercheurs. Ceci rejoint les observations qui ont été faite par des critiques féministes autour notamment de la question de la sexuation du corps, c’est-à-dire les définitions qui sont utilisées pour assigner le sexe à un individu (Kraus, 2000 ; Fausto-Sterling, 1992, 2000 ; Gardey et Löwy, 2000). En effet, les tentatives pour caractériser les différents niveaux de sexe, allant du sexe anatomique aux niveaux plus chromosomiques ou génétiques, n’ont fait que augmenter l’ambiguïté et questionner la stricte binarité du « sexe biologique » (Gardey et Löwy, 2000 ; Kraus, 2000). Cependant, ceci n’a pas pour autant donné lieu à une sérieuse remise en question de cette classification chez les chercheurs en sciences médicales et biologiques (Kraus, 2000 ; Gardey, 2006). La dichotomie des sexes reste ainsi toujours le cadre de référence majeur, malgré les résultats hétérogènes produits par les chercheurs eux-mêmes. Cette référence reste stable aussi dans le cas de la théorie sur l’incohérence de genre, qui est en réalité une variante de la théorie du cerveau masculin extrême, car elle repose aussi sur le postulat de l’action d’organisation de la testostérone. Ici, ce sont uniquement les femmes autistes qui sont « masculinisées », et les hommes sont à l’inverse plutôt « féminisés ». Il y’a un véritable trouble dans le genre chez les individus autistes dans cette approche. Cette théorisation se base sur la notion de dysphorie de genre [gender dysphoria], qui désigne un trouble reconnu par le DSM et qui consiste en un mal-être induit par une incohérence entre le sentiment d’ « identité de genre » et le « sexe biologique » (Cooper, Smith et Russell, 2018). Ces définitions se basent sur les travaux des sexologues et psychologues John Money et Anke Ehrhardt qui distinguaient le sexe et le genre en deux catégories distinctes : le sexe est un élément physique, défini anatomiquement et physiologiquement, alors que le genre renvoie au sentiment intérieur d’appartenance à l’un ou l’autre sexe (Fausto-Sterling, 2000 : p.3). Le genre devient ainsi le « signe permettant l’assignation à tel ou tel sexe » (Gardey, 2006 ; p.667-668), ancrant donc finalement les deux dans le biologique. Les chercheurs défendant la théorie de l’incohérence de genre se questionnent sur l’apparence « androgyne des deux genres » (Bejerot et al., 2012 : p.116) chez les individus autistes, tout en mettant en avant l’inversion de genre qui est finalement observée. Il est ainsi intéressant de voir comment la référence au cadre masculin/féminin reste présent, même quand les chercheurs eux-mêmes utilisent des notions

83 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi telle l’androgynie qui par définition caractérise plutôt des individus ne s’inscrivant pas dans les cases strictes du masculin ou du féminin. Le cadre binaire se trouve ainsi réaffirmé, notamment par les mesures proposées pour quantifier le masculin et le féminin. Effectivement, Susanne Bejerot et ses collègues (2012) effectuent des mesures anthropométriques et prennent des photographies des participants, qui sont ensuite visionnées par un groupe extérieur qui doit ainsi juger de la « masculinité » ou de la « féminité » des individus autistes. Le masculin et le féminin sont donc pensés comme étant littéralement inscrits sur et dans les corps, pouvant être interprétés et lus par les autres. Ceci rejoint ainsi les notions de performativité du genre proposées par Judith Butler (1993, 2006), et donne un exemple concret du pouvoir normatif du genre. En effet, c’est bel et bien grâce à ce pouvoir normatif que possède le genre, et par là le sexe, qu’il est possible pour ce groupe extérieur de juger de la masculinité ou de la féminité des individus photographiés. Le genre et le sexe agissent ainsi comme des constructions, et non pas comme des entités naturelles dépourvues de toute influence extérieure. C’est par ce processus normatif que les corps intelligibles, dans le sens de Butler (1993), sont construits, et par conséquence également les corps inintelligibles. Les individus autistes n’entrent pas dans la bicatégorisation de genre classique, et défient donc l’ordre des choses : les chercheurs eux-mêmes utilisent le terme de gender defiant (Bejerot et al., 2012 ; Schneider et al, 2013 ; Bejerot et Eriksson, 2014). Les hommes autistes sont féminisés, défiant ainsi la norme du masculin. Ainsi, il est intéressant de noter que l’article de Bejerot et ses collègues (2012 : p.5) utilisent les termes de « dé- masculinisation » et « a-masculin » en parlant des rôles de genre, mais n’utilisent que très peu le terme « féminisé ». Le masculin reste de cette façon la norme et la référence à partir de laquelle les résultats sont interprétés. Le brouillage du genre semble en effet maximal quand on analyse la phrase suivante : « Cette étude soutient l’observation d’un rôle de genre dé- masculinisé indépendamment du sexe dans la population TSA. Les caractéristiques de rôle de genre typiquement associées à une sexualité masculine sont rarement exprimés dans les TSA, mais les groupes TSA ne sont cependant pas particulièrement féminins, et il est commun d’observer un comportement de garçon manqué chez les femmes »40 (Bejerot et al., 2012 : p.8, souligné par nous). Les mêmes auteurs notent plus loin encore que les individus autistes expriment un trouble de genre [gender defiant] (p.8), tout en ayant des caractéristiques

40 Ma traduction de “This study lends support to a de-masculinised gender role independent of sex in the ASD population. The typical gender role characteristics associated with masculinised sexuality are rarely expressed in ASD, nor are ASD groups particularly feminine, with tomboyism common among women” (Bejerot et al., 2012: p.8)

84 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi androgynes (p.8). Le masculin apparaît ainsi ici comme référence unique : bien que les hommes soient vus comme plus féminins, il est noté qu’ils sont « dé-masculinisés » ou « a-masculins », montrant qu’ils sont peut-être « moins hommes » mais tout de même pas des femmes. Comme le note Cynthia Kraus, l’extrême masculin du spectre ne s’oppose plus « au femelle standard mais à l’une de ses variantes faiblement masculinisées » (2000 : p.205). La désignation des femmes comme étant des « garçons manqués » [tomboy] se réfère aussi au masculin, et semble être accepté par les scientifiques comme étant un indice de masculinité (Bleier, 1986 citée dans Grossi et Fine, 2012 in Bluhm…).

Les chercheurs tentent néanmoins de « remettre de l’ordre » dans le genre, en rendant pathologique ce trouble de genre. Ainsi, la recherche de Karla Schneider et ses collègues (2013) sur les caractéristiques neurales des hommes et femmes autistes, mesurées lors de tests sur l’empathie, montre cette pathologisation des trouble de genre. En effet, les chercheurs montrent que les femmes autistes souffrent de déficience [impairment] dans les régions affectives du cerveau, et les hommes ont des anomalies dans les régions cognitives (Schneider et al., 2013 : p.517). Comme nous l’avons vu avant, les femmes sont typiquement considérées comme étant plus émotionnelles et les hommes plus rationnels. Ainsi, ces « anomalies » sont considérées comme pathologiques car elles touchent des domaines comportementaux qui sont fortement genrés, et qui sont largement acceptés comme tels dans la communauté scientifique. Un autre article soutient ainsi que les profils cérébraux « optimaux » sont dépendants du sexe (Alaerts et al., 2016 : p.1013), et donc que toute altération qui « masculiniserait » les femmes ou « féminiserait » les hommes est problématique, voire pathologique. Il devient ainsi clair qu’il ne semble pas envisageable pour ces chercheurs de sortir de la dichotomie de genre, même si leurs observations et résultats le permettraient. Ceci a aussi été observé dans d’autres contextes, par exemple au sujet des ambiguïtés introduites par les recherches sur les différents niveaux de sexe, allant du sexe anatomique à celui génétique ou hormonal : plus les recherches ont avancé dans ce domaine plus il semble que le simple classement homme-femme ne fonctionne plus (Kraus, 2000 ; Fausto-Sterling, 1992, 2000 ; Löwy et Rouch, 2003 ; Butler, 2006). Cependant, le cadre binaire a une raison sociale et historique de persister, notamment à cause de son pouvoir structurant sur nos sociétés (Kraus, 2000). Il ne s’agit pas, pour ces chercheurs, de savoir si cette catégorisation binaire est valable ou si une alternative puisse être proposée, car ce « cadre théorique refuse dès le début d’envisager que ces individus puissent implicitement mettre en cause la force descriptive des catégories de sexe existantes » (Butler,

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2006 : p.220). Ce cadre peut ainsi agir comme un « cadre d’interprétation », qui est un concept appliqué par Rebecca Jordan-Young (2012 : p.39) dans le cadre des femmes atteintes d’hyperplasie congénitale surrénales. Dans son travail, Jordan-Young montre comment la théorie hormonale qui confère un pouvoir masculinisant à la testostérone agit comme un « cadre d’interprétation » [interpretative frame] à travers lequel le corps médical, mais aussi les patientes et leurs familles, construisent l’identité de ces femmes atteintes de cette maladie. Ce cadre a donc selon Jordan-Young le pouvoir de modeler et d’influencer la façon même dont se perçoivent ces femmes, et la manière dont elles sont perçues par le corps médical, notamment en ce qui concerne leur « masculinisation ». Il me semble que cette approche peut se faire dans le cas de l’autisme : effectivement, il est possible que l’image même qui est construite autour de la « figure de l’autiste » influence la présentation et l’image de soi des individus autistes, et en particulier des femmes, mais aussi la représentation qu’en fait le corps médical et les scientifiques. On peut ainsi penser que les outils diagnostiques se basant sur des questionnaires remplis par les parents puissent être influencés par la vision qu’ils ont de l’autisme, et par le type de comportements qu’ils vont juger problématiques en fonction du sexe de leur enfant. Ainsi, des comportements jugés trop « masculins » pour une fille peuvent être interprétés comme pathologiques et être considérés comme particulièrement problématiques pour les familles. Les recherches autour de la théorie de l’incohérence de genre présentent un autre exemple dans lequel peut opérer ce cadre d’interprétation : l’utilisation de photographies et de mesures anthropométriques telle qu’elle a été faite dans l’article de Bejerot et ses collègues (2012) montre comment les chercheurs s’attendent à un effet genré de la testostérone, et que cet effet puisse être mesuré physiquement et objectivement. L’autisme ayant historiquement été présenté comme un trouble masculin, voire une forme extrême de l’intelligence masculine selon Asperger, on peut penser que ceci a influencé la prise en charge et la définition qui a été faite de ce trouble, et que ceci continue d’être le cas actuellement. Les recherches qui s’emploient à trouver les causes du sex ratio inégal, ou encore voulant trouver un phénotype féminin particulier de l’autisme, montrent à quel point la conjugaison au masculin de l’autisme sculpte les recherches elles-mêmes. Les théories genrées tentent d’expliquer pourquoi des femmes sont atteintes de ce trouble majoritairement masculin, mais illustrent aussi un certain malaise qui surgit quand le cadre binaire de genre est remis en question. Cependant, ces théories réussissent tant bien que mal à remettre de l’ordre dans ce désordre, en gardant les frontières entre hommes et femmes, et le masculin et le féminin, et le cas échéant de pathologiser les écarts qui peuvent être observés.

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Conclusions

Les troubles du spectre de l’autisme sont une entité clinique complexe à plusieurs égards. Aucune étiologie claire n’a encore été démontrée, malgré une abondante littérature scientifique qui existe à ce sujet depuis plusieurs décennies. Si les chercheurs s’accordent pour dire que ces troubles se basent sur des causes génétiques ainsi que des troubles au niveau développemental, et notamment au niveau du système nerveux, aucune explication définitive n’émerge des recherches. L’autisme reste aussi un mystère quant à sa prévalence masculine qui, bien qu’elle varie en fonction du type d’autisme et du niveau intellectuel notamment, reste étonnamment stable à travers la littérature scientifique. Depuis sa caractérisation dans les années 1940, faite de façon quasi-simultanée par les deux chercheurs inconnus l’un de l’autre Kanner et Asperger, l’autisme a été pensé comme un trouble majoritairement voire exclusivement masculin. Ceci a de fait influencé les recherches qui ont été menées ultérieurement sur l’autisme, ainsi que les processus de développement de différents outils et échelles diagnostiques qui se sont dès lors concentrés sur des cas masculins. Cependant, des filles et des femmes peuvent aussi être atteintes de ce trouble « masculin ». Ceci a longtemps été ignoré dans les recherches mais aussi dans la pratique clinique, où la présentation masculine de l’autisme a été, et continue en partie, d’être la norme. Ainsi les femmes autistes subissent-elles un sous-diagnostic et de difficultés à faire reconnaître leurs difficultés et souffrances. La communauté scientifique s’attèle à élucider la présentation « féminine » de ce trouble, et propose ainsi un certain nombre de théories pour expliquer ce sous-diagnostic féminin. Cependant, nous l’avons vu tout au long de ce mémoire, les femmes autistes ne sont pas uniquement un défi à cause de la faible prévalence féminine du trouble : elles semblent aussi représenter un défi au dogme de la binarité des genres, et ce pour plusieurs raisons. En un premier lieu, elles sont atteintes d’un trouble masculin ainsi leur féminité pourrait-elle être remise en cause. Outre ceci, certaines théories postulent une hyper-masculinisation des individus autistes, ce qui est problématique si cela touchait également les femmes. La théorie de l’incohérence de genre va plus loin en brouillant encore plus la binarité classique, en argumentant que les hommes aussi défient le genre en présentant un profil plus féminin. Tout ceci permet ainsi de conclure à un trouble dans le genre se dessinant dans les troubles du spectre de l’autisme. L’importance culturelle, sociétale et historique que revêt le cadre théorique de la binarité des genres ne rend pas ces présentations « défiantes » acceptables : effectivement, ces théories genrées agissent aussi comme des moyens de remise en ordre dans le sens où elles

87 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi proposent des explications biologiques à ces troubles de genres. Ainsi, des causes hormonales, génétiques, neurologiques ou bien développementales sont mises en avant pour tenter de donner une base biologique à ces troubles, ce qui laisse entrevoir la possibilité que ces troubles de genre peuvent être soignés car ils résultent de mécanismes biologiques. Avec le développement et l’avènement des neurosciences comme discipline royale, le cerveau devient le haut-lieu des différences entre les sexes. Effectivement, les hommes et les femmes seraient différents jusque dans le cerveau, ce qui par voie de fait impliquerait que le reste de la biologie et de la physiologie humaine diffère aussi selon le sexe. Peu de place est finalement accordée à des explications plutôt sociétales ou socio-culturelles, où l’influence de l’environnement des individus peut avoir un rôle dans le développement et la présentation clinique de l’autisme. La cadre d’interprétation à travers lequel sont perçus et pensés les individus autistes, mais à travers lequel ces derniers se définissent aussi, n’est pas pris en compte dans les recherches biomédicales autour des troubles autistiques. L’importance de réaffirmer l’ordre des choses, c’est-à-dire les strictes binarités hommes/femmes ou masculin/féminin semble primer, même si les résultats mêmes des chercheurs pourraient ouvrir la voie à d’autres caractérisations. Ce qui ne rentre pas dans ce paradigme de la binarité est ainsi pathologisé, en essayant de mettre en avant des causalités biologiques qui pourraient être éventuellement soignées par des traitements.

Finalement, il me semble que peu de voix est laissée aux principaux acteurs, qui sont les individus atteints de troubles du spectre de l’autisme. Depuis les années 1990, et les différents projets de recherches en neurosciences voulant percer les mystères du cerveau, des voix s’élèvent pour revendiquer d’autres façons de penser les troubles neurodéveloppementaux, tel l’autisme. Ces voix viennent « d’en bas », c’est-à-dire des individus atteints de ces troubles. Une des revendications qui prend de l’ampleur est celle de la neurodiversité (Ortega, 2009). Ces individus ne considèrent pas l’autisme comme une maladie ni un trouble, mais comme une façon différente d’être, conséquence d’un cerveau atypique fonctionnant sur un modèle différent de ceux n’ayant pas de troubles neurodéveloppementaux. En guise de conclusion, et aussi d’ouverture, il me semble que la prise en considération de ces voix et de leurs revendications mériteraient un travail plus approfondi, et notamment du point de vue du genre. En effet, le sexe et le genre sont des catégories pensées par les disciplines telles les neurosciences ou la psychiatrie, mais qu’en est-il chez les individus autistes eux-mêmes ? Sont- elles des catégories aussi fortement symboliques également pour eux ? Comment les individus autistes, et en particulier les femmes vivent-elles ce diagnostic ainsi que les questionnements

88 Mémoire de maîtrise en études genre Clara Iseppi qui émergent sur leur prétendue masculinisation ou féminisation ? Il me semble que ces questions peuvent légitimement se poser car nous l’avons vu, ces éléments forment un cadre d’interprétation à travers lequel les individus autistes se perçoivent et se construisent, mais aussi par lequel la famille et le corps médical les définissent. Ainsi donner une voix « aux marges » et au subjectif s’inscrit-il aussi dans le travail féministe.

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