Masarykova univerzita

Filozofická fakulta

Ústav románských jazyků a literatur

Magisterská diplomová práce

2019 Bc. Denisa Halmanová

2 Masarykova univerzita

Filozofická fakulta

Ústav románských jazyků a literatur

Učitelství francouzského jazyka a literatury pro střední školy

Bc. Denisa Halmanová

Enjeux de l'enseignement et de la préservation des langues autochtones

Diplomová práce

Vedoucí práce: doc. Christophe Gérard L. Cusimano

2019

3

Prohlašuji, že jsem diplomovou práci

vypracovala samostatnë pouze s využitím uvedených pramenů a že se elektronická verze shoduje s tištënou.

V Brnë dne 28.11.2019

Podpis …………………………………….

4

J’aimerais adresser mes sincères remerciements à doc. Christophe Gérard L. Cusimano, le directeur de ce mémoire de master, pour ses conseils précieux , pour le temps qu’il a bien voulu me consacrer ainsi que pour son attitude toujours positive et enthousiaste. J’aimerais aussi remercier Henri Biahé B.A., M.A., Ph.D, professeur de l’Université de la Saskatchewan, qui m’a inspiré à écrire à propos de ce sujet, qui m’a recommandé des sources précieuses et qui a consacré beaucoup de son temps libre en me donnant des conseils précieux et en me motivant.

5 Table des matières

INTRODUCTION : ...... 9 1 Histoire des peuples autochtones au et tradition orale ...... 12 1.1 La Perception Autochtone de la Terre...... 12 1.2 L’Importance de l’Oralité et de la Narration ...... 13 1.3 Le concept autochtone de la Vie et l’Accent sur le Mythe ...... 15 1.3.1 Le concept autochtone de la Vie ...... 15 1.3.2 L’Accent sur le Mythe ...... 16 1.4 La tradition orale, peut-elle être préservée ? ...... 17 2 Le Système et l’Histoire des Pensionnats Autochtones ...... 19 2.1 L’Éducation Traditionnelle des Peuples Autochtones...... 19 2.2 La période de la Nouvelle France jusqu’à la Loi sur les Indiens ...... 21 2.3 La genèse des premiers pensionnats autochtones ...... 22 2.3.1 Le développement au XVIIIe siècle ...... 24 2.3.2 La Loi sur les Indiens ...... 26 2.4 Les pensionnats autochtones en pratique ...... 27 3 Promotion et revitalisation des langues ...... 32 Introduction ...... 32 3.1 Est-il important de promouvoir et revitaliser des langues minoritaires ? ...... 33 3.2 Les stratégies de promotion et de revitalisation des langues autochtones au Canada ...... 35 3.3 L’approche du pidgin ...... 35 3.3.1 Un exemple de pidgin naturel – le mitchif ...... 36 3.4 Acquisition des langues autochtones par l’école ...... 37 3.4.1 L’histoire du Canada : un point que les différents programmes devraient avoir en commun ...... 37 3.4.2 Immersion en langue autochtone ...... 38 3.4.2.1 L’Immersion totale ...... 38 Programme Language Nest ...... 39 Programme Master-Apprentice ...... 39 3.4.2.2 Immersion partielle ou éducation bilingue ...... 40 3.5 Enseignement des langues autochtones dans le supérieur et dans les provinces où la langue autochtone n’est pas une langue officielle ...... 41 3.5.1 Les minorités linguistiques dans la Saskatchewan ...... 43 3.5.2 Les stratégies de préservation, promotion et revitalisation du français dans la Saskatchewan, la langue minoritaire ...... 45 3.6 Les technologies de l’information et de la communication comme outil de revitalisation ...... 46

6 3.6.1 Deux exemples de projets au Canada ...... 47 Eastcree.org ...... 47 FirstVoices ...... 48 3.7 L’importance de la revitalisation de la tradition orale : écrire pour perpétuer la tradition orale ...... 48 4 Politique linguistique par rapport aux langues autochtones : cas spécifique du Québec, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut ...... 50 4.1 Conservation des langues autochtones : conservation de l’identité personnelle ...... 52 4.2 Apprendre une langue autochtone comme deuxième langue ...... 52 Deuxième langue, langue étrangère, langue maternelle ...... 53 La langue maternelle ...... 53 Le français langue étrangère ...... 54 Deuxième langue ...... 54 4.3 Différences entre l'apprentissage d'une langue autochtone comme première langue et comme deuxième langue ...... 55 4.5 Quand les compétences en deuxième langue devraient-elles être développées ? ...... 56 5 Le Nunavik au cours des années ...... 57 5.1 Les types de bilinguisme ...... 58 Bilinguisme précoce ...... 58 Bilinguisme additif et bilinguisme soustractif ...... 59 5.2 Pourquoi se concentrer sur le Nunavik et la langue ? ...... 59 5.3 Comment l’éducation évolue au Nunavik ...... 60 6 Les programmes bilingues au Nunavik : deux défis essentiels ...... 60 6.1 L’étude 1 : Éducation bilingue dans un contexte autochtone: examen du transfert des compétences linguistiques de l'inuktitut vers l'anglais ou le français ...... 62 6.1.1 Le transfert entre langues - Hypothèse d’interdépendance de Cummins ...... 63 6.1.2 Les hypothèses ...... 63 6.2 L’étude 2 ...... 64 6.2.1 Formes de l’éducation bilingue ...... 65 6.2.2 La méthode ...... 66 6.2.3 La procédure et les matériaux ...... 66 6.2.4 L’évaluation ...... 67 6.2.5 Les résultats ...... 68 7 Résumé de ces études ...... 69 8 Le transfert entre langues Inuktitut et anglaise en acquisition bilingue : l'omission du sujet .. 71 8.1 Le sujet nul ...... 72 8.2 Caractéristiques typologiques de l'anglais et de l'inuktitut ...... 73

7 8.2.1 Langue anglaise ...... 73 8.2.2 Langue inuktitut ...... 74 8.3 Typologie morphologique de la langue ...... 74 8.3.1 Langue isolante ou analytique ...... 74 8.3.2 Langue synthétique (appelé aussi fusionnelle) ...... 75 8.3.3 Langue agglutinante ...... 75 8.3.4 Langue polysynthétique ...... 76 8.3 La méthode ...... 77 8.3.1 La collecte de données ...... 77 8.3.2 Le codage anglais ...... 78 8.3.3 Le codage inuktitut ...... 79 8.4 Résultats de cette expérience ...... 81 CONCLUSION ...... 82 BIBLIOGRAPHIE ...... 86 Sources primaires ...... 86 Sources secondaires ...... 87 Présentations et articles ...... 88 SITOGRAPHIE ...... 88 SOURCE AUDIOVISUELLE : ...... 91 ANNEXES ...... 92

8 INTRODUCTION :

Nous avons choisi comme sujet de mémoire Enjeux de l'enseignement et de la préservation des langues autochtones car nous avons passé un semestre au Canada à l’Université de la Saskatchewan. Nous y avons appris que les conséquences de la colonisation en Amérique du Nord étaient toujours présentes et évidentes et que la situation ne s’améliorerait pas si les gens ne s’y s’intéressent pas et s’ils l’oublient. Nous allons apprendre dans ce mémoire qu’un des objectifs des colonisateurs était de créer l’amnésie collective et d’exterminer les peuples autochtones via leur assimilation et intégration à la culture franco-canadienne. Même aujourd’hui, les peuples autochtones sont souvent perçus comme primitifs ou inférieurs et cela conduit toujours à la ségrégation. Cela touche beaucoup le secteur de la santé publique et de l’éducation. Pour cela, le cours d’Introduction aux études autochtones est obligatoire pour les étudiants en médecine et éducation à l’Université de la Saskatchewan.

Ce mémoire contient deux grandes parties : Histoire des peuples autochtones et Promotion et revitalisation des langues. La mise en perspective se déroulera en plusieurs temps. Dans un premier temps, nous présenterons le concept de la vie et des valeurs des peuples autochtones puis nous nous intéressons à la tradition orale, à sa signification pour les peuples autochtones et si elle peut être préservée jusqu’à nos jours. Étant donné que le sujet de notre travail est Enjeux de l'enseignement et de la préservation des langues autochtones, le thème général serait l’identité personnelle dans la mesure où nous allons parler des différentes tentatives de répression de l’identité personnelle et nationale, surtout dans le cas des peuples autochtones. Pour cela, nous nous concentrerons également sur l’histoire et les étapes de la colonisation, les nations ayant colonisé l’Amérique du Nord ainsi que les moyens employés par ces nations pour parvenir à l’assimilation des peuples autochtones dans la société euro-canadienne et « Tuer l'Indien pour sauver l'homme ». Ensuite, nous nous intéresserons grandement aux pensionnats autochtones car ces institutions ont servi de puissant outil d’assimilation des peuples autochtones dans la société franco-canadienne et de suppression de leur langue maternelle, point crucial pour l’assimilation. De plus, les pratiques atroces qui étaient infligées aux peuples autochtones comme la malnutrition ou d’autres formes d’expérimentation ont

9 engendré un traumatisme qui s’est transmis de génération en génération, contribuant même parfois aujourd’hui à la mise à l’écart des peuples autochtones. Dans la deuxième partie, nous aimerions présenter quelles sont les raisons pour préserver les langues minoritaires et comment nous pouvons parvenir à cela. Aujourd’hui, les langues officielles ont tendance à étouffer les langues minoritaires en raison de la mondialisation. Il n’existe plus des communautés complétement isolées donc la communication avec le reste du monde demeure absolument possible voire nécessaire. Mais alors, pourquoi donc préserver les langues minoritaires ? Pennycook présente la notion de l’écolinguistique qui a évolué en réaction aux langues minoritaires qui tendaient à disparaître rapidement : « L’écolinguistique fait appel à une notion de protection de l’environnement partagée par beaucoup. La promotion de la diversité et la protection des espèces peuvent être un moyen utile de promouvoir la protection de la langue. »1

Il faut d’abord mentionner que la politique linguistique a beaucoup changé au cours des années. La politique assimilatrice a été remplacée par la politique du multiculturalisme à partir de 1888 quand la loi sur le maintien et la valorisation du multiculturalisme au Canada a été mise en œuvre.2 Malgré cela, certaines langues sont toujours menacées. Nous souhaitons donc présenter quelles sont les stratégies de préservation des langues ayant déjà été mises en œuvre en nous appuyant surtout sur les études d’Esther Usborne, de Julie Caouette et de Donald M. Taylor, professeurs du Département de Psychologie de McGill University à Montréal, mais aussi sur celles de Qiallak Qumaaluk, professeur de la Kativik School Board à Montréal, étude 1, puis étude 2 publiée par le collectif d’auteurs suivants : Évelyne Bougie, Stephen C. Wright et Donald M. Tayloret, sans oublier la thèse d’Alain Flaubert Takam, professeur de l’Université de Dalhousie, notamment : « Stratégies de promotion et de revitalisation des langues minoritaires autochtones au Cameroun et au Canada ». Il y a plusieurs manières de promouvoir et de faire revivre les langues menacées.

En premier plan, nous allons décrire l’acquisition des langues par l’école en nous concentrant surtout sur l’éducation bilingue et sur le transfert des compétences linguistiques de l'inuktitut vers l'anglais ou le français : l’éducation bilingue peut-elle être

1 Le terme « ecolinguistics » a été utilisé pour la première fois par Haugen (1972). Á l'origine, ce terme désignait les différents réaménagements sociaux nécessaires à la préservation d'une langue. C'est depuis les années 19900 que ce terme est employé dans un sens parallèle à celui d'écologie naturelle ou d'écosystème, grâce notamment aux travaux de Fill & Mühlhäusler (2001) etc. 2LAWS & LOIS CA https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-18.7/page-1.html, consulté le 23 novembre 2019

10 efficace et quel est le moment le plus propice à l’apprentissage d’une deuxième langue. Nous discuterons ensuite des autres manières permettant de rendre les langues menacées plus dynamiques et vivantes. Les nouvelles technologies sont aussi un outil très efficace car depuis les années 1990, les innovations technologiques offrent de nouvelles voies pour favoriser la préservation, la promotion et la revitalisation des langues.

Ensuite, nous allons également évoquer les plus grands défis de ces stratégies de revitalisation et comment faire perpétuer la tradition orale car il n’est plus aussi facile de perpétuer les vieilles traditions. Nous allons présenter les programmes bilingues qui se concentrent sur l'expertise dans la langue et la culture du patrimoine inuit (Inuktitut), mais également sur la préparation des étudiants à participer à l'enseignement supérieur dans l'une des deux langues dominantes, l'anglais ou le français. Même si cela peut paraître mutuellement exclusif, nous allons démontrer en nous appuyant sur les études mentionnées que cela peut être atteint.

Enfin, nous nous concentrerons sur un exemple concret : le transfert entre langues inuktitut et anglaise en acquisition bilingue : l'omission du sujet. L’inuktitut qui est une langue polysynthétique, possède un système d'inflexion riche, avec des mots typiques contenant entre deux et dix morphèmes. En inuktitut, les sujets ne sont le plus souvent pas représentés comme des éléments lexicaux indépendants, mais par des inflexions verbales indiquant une personne et un nombre. Par contre, l'anglais fait partie de la famille des langues indo-européennes. Il présente l'ordre des mots SVO et est un langage morphologiquement analytique. L'anglais exige des sujets sententiels déclarés. Nous allons mettre en lumière l’influence mutuelle de ces deux langues.

11 1 Histoire des peuples autochtones au Canada et tradition orale

1.1 La Perception Autochtone de la Terre

Il y avait une multitude de tribus différentes en Amérique du Nord. Quelques tribus étaient sédentaires, des autres tribus préféraient la vie nomade et elles voyageaient beaucoup à travers tout le pays. Les communautés des peuples autochtones ont été divisées selon leur affiliation aux différents clans. Par exemple: « le clan de l’ours » ou « le clan du renne ». La distinction sa faisait aussi selon le nombre des peuples dans le clan et en fonction de leur choix pour le matriarcat ou le patriarcat.

Néanmoins, il y avait une seule chose qui était précieuse pour tous les peuples autochtones ; le concept de « terre ». Les Anishnaabeg, un des groupes de peuples autochtones placent le soleil comme figure paternelle dans le processus cosmogonique. « La terre incarne quant à elle, la figure maternelle. Le soleil et la terre étant interdépendants et mutuellement nécessaires. La Terre mère était la plus honorée. » 3 Il n’y a aucun doute sur le fait que la terre est dans le centre de la spiritualité autochtone. Certainement, le concept autochtone de la terre est complètement différent du concept tellurique européen qui avait plutôt une dimension matérielle et qui a été privé de la signification spirituelle. C’était un des aspects par lesquels la colonisation a été très dure pour les peuples autochtones. Les colonisateurs avaient une perception différente de la terre différente. Est-ce que le Canada a été « terra nullius » ? Terra nullius signifiant en latin « la terre de personne ». Nous allons entrer un peu dans les détails en prenant pour référence la présentation de Regena Crowchild, la présidente de l’Association autochtone de l’Alberta à la Commission Royal sur les Peuples Autochtones. La Commission royale sur les peuples autochtones aussi connue sous le nom de Commission Erasmus-Dussault est une commission royale d'enquête mise sur pied par le Parlement du Canada le 26 août 1991.4 Regena Crowchild dit : « Il y avait millions de peuples qui vivaient dans des sociétés complexes et sophistiquées. On avait nos propres langues, nos propres lois, notre propre gouvernement et nos propres droits de propriété. Notre mode de vie pouvait être différent de celui des peuples non autochtones

3 JOHNSTON, Basil. Ojibway Heritage. Toronto: The Canadian Publishers, 1976, p. 23 4 The Canadian Encyclopedia (en ligne). Consulté le 2 avril 2019. Disponible sur : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/index.cfm?PgNm=TCE&Params=f1ARTf0011169

12 mais c’était à notre manière. Quand les peuples non-autochtones venaient sur notre terre, ils ont déclaré la propriété de la terre selon le concept euro centrique. Mais ce n’était pas correct. »5

Grâce aux lectures de l’Introduction aux Études Autochtones et de l’Origine de la Littérature Autochtone, nous avons appris qu’il est vraiment important de transmettre la connaissance traditionnelle concernant la terre aux générations prochaines parce que ces traditions de la narration est l’une des valeurs les plus importantes des peuples autochtones. Pour ces raisons, les peuples autochtones apprécient le plus leur territoire et n’avaient pas pu quitter le terre parce que pour eux, la terre était le don du Créateur. Permettez-nous de faire valoir notre point en donnant la citation suivante qui est un extrait du discours de Regena Crowchild : « Nous n’avons jamais renoncé à notre territoire ni ne l’avons vendu. Pourquoi ? Parce que nous l’avons reçu de notre Créateur et cela doit être conservé pour les générations futures. »6 La discussion à propos de l’importance de la terre pour les peuples autochtones est nécessaire pour que nous puissions comprendre les principes indigènes de l'être et du savoir. Il est important de mettre en avant que la notion de « terra nullius » est fausse. La terre a été la propriété des peuples autochtones. Ce ne sont pas les peuples autochtones qui devraient maintenant réclamer la terre juste à cause de la colonisation car la terre est déjà à eux. Regena Crowchild ajoute : « Les peuples autochtones savaient bien que le gouvernement fédéral utilise la version obsolète des droits propriété en utilisant le concept de « terra nullius » pour donner signifier aux peuples autochtones que la terre est à personne et les ressources naturelles également. C’est en fait du racisme et de la discrimination. »7

1.2 L’Importance de l’Oralité et de la Narration

En ce qui concerne la littérature autochtone, il est important de mentionner qu’avant la littérature en soi, il y avait une grande tradition de la narration orale. Les narrations de différents groupes contiennent souvent les mêmes motifs ce qui sert de liaison pour des

5 CROWCHILD, Regena. Royal Commission On Aboriginal Peoples (en ligne). Edmonton, Alberta, Canada, 1992, p. 36. Consulté le 3 avril 2019. Disponible sur https://1url.cz/8MCyc 6 Ibid, 36 7 Idem

13 groups différents. Ces histoires sont d’importance vitale car il est essentiel de transmettre tous les enseignements des peuples autochtones d’une génération à l’autre grâce à ces narrations. Dans notre travail, nous allons parler surtout à propos de groupes des peuples autochtones qui s’appellent les Ojibwés et les Anishnabeg. Les Ojibwés, sont des Amérindiens, qui forment le troisième groupe autochtone le plus important aux États-Unis, derrière les Cherokees et les Navajos. Les Ojibwés font partie du groupe le plus large qui s’appelle Anishinaabeg.8 Selon l’enseignement Ojibwé, il n’y a aucun concept incorrect. Les peuples apprennent à leur propre manière. Au cours de la Naissance de la Littérature Autochtone, nous avons eu un narrateur autochtone qui a donné son cours. Son nom était Harvey Knight et il a été l’ami d’Alexander Wolfe, l’historien de Saulteaux et le narrateur qui travaillait sur la préservation des traditions et des histoires de ces peuples – oralement et par écrit. Grâce à son cours, nous avons appris beaucoup des faits intéressants qui sont utiles pour mieux comprendre l’importance de la tradition orale et de la narration qui forment la base des principes indigènes de l'être et du savoir.

Ce qui a été frappant dans le cours d’Alexander Wolfe, c’était le fait que sa narration se déroulait au temps présent, créant ainsi une représentation vivante. Harvey Knight a aussi mentionné qu’Alexander Wolfe n’était pas capable de narrer jusqu’à l’âge de 55. Il a appelé ce point de passage « l’âge de la réminiscence ». Il n’est pas facile d’atteindre ce point : il faut entraîner la mémoire et collecter ainsi que mémoriser les histoires qui vous ont été narrées au cours de votre vie. Prendre soin de la mémoire est une chose vitale pour les peuples autochtones pour que leur enseignement puisse être véhiculé d’une génération à l’autre. Pendant ce cours, Harvey Knight a fait la déclaration suivante : « Le colonialisme a tenté de créer l’amnésie collective. Ils ont essayé de faire oublier les gens et leurs liaisons de parenté et leur relation à la terre. Néanmoins, la perspective autochtone est complètement l’inverse. Pour les peuples autochtones c’est la conscience collective qui est d’importance primordiale. Les gens devraient penser plutôt en relation spatiale qu’en relation temporelle. »9 Selon l’étude de Lera Boroditsky, professeur à l’Université de la Californie, San Diego, la perception du temps est conditionné par la perception de l’espace. Notre cerveau ne peut pas conceptualiser correctement le temps sans la bonne

8 L'Encyclopédie canadienne (en ligne). Consulté le 3 avril 2019. Disponible sur : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/ojibwa. 9 KNIGHT, Harvey (présentation). University of Saskatchewan, Saskatoon, date 18 octobre 2018

14 compréhension de l’espace. Pour exprimer l’idée abstraite du temps, nous faisons souvent référence à une notion concrète de l’espace. Nous disons par exemple : « Nous nous réjouissons du week-end qui est devant nous » ou « laisser la passé derrière nous ». Si quelqu’un a des difficultés avec la compréhension interne de l’espace, il aurait probablement aussi des difficultés de à ordonner les évènements qu’il a vécu.10 Réfléchir en tenant en compte la dimension spatiale et temporelle est aussi la meilleure manière d’entraîner l’imagination.

1.3 Le concept autochtone de la Vie et l’Accent sur le Mythe

1.3.1 Le concept autochtone de la Vie

Il faut souligner le fait que l’espace humain n’a jamais été considéré comme supérieur dans littérature autochtone. Au contraire, les humains sont considérés comme égaux à tous les autres vivant mutuellement en harmonie : plantes, animaux, etc. Bien-sûr, le respect pour des êtres non-humains était inconnu et semblait étrange pour les colons blancs. Par les phrases suivantes, nous essayerons de présenter la récapitulation du concept du monde Indigène et sa création que nous avons appris dans l’œuvre Ojibwa, écrite par Michael G. Johnson : « Les ancêtres des Ojibwés apparemment possèdent le concept l’unique, toute-puissante divinité avant d’avoir été introduits au concept de la religion catholique. Le nom de cette divinité est Kitche Manito ou Grande Esprit et nous pensions qu’elle résidait dans les ciels d’où elle protégeait la Terre et ses enfants, les Indiens. »11 Dans le livre Ojibway Heritage écrit par Basil Johnston, nous avons appris que dans la façon de penser des Ojibwés, les animaux, les plantes et tous les objets cosmiques sont considérés comme des personnes qui possèdent le pouvoir d’affecter la destinée des peuples. C’est-à-dire que nous devrions traiter la nature à la même manière que nous considérons nous-mêmes ou les autres personnes. Aussi, selon la cosmologie des Autochtones, l’univers consiste en trois mondes parallèles. Au-dessus de la terre, se trouve une grande voûte céleste qui est dominée par les Oiseaux de tonnerre qui, selon la foi des

10ROSS, Valerie. A Sense Of Time Requires A Sense Of Space (en ligne). Scientific American, 2014. Consulté le15 avril 2019. Disponible sur : https://www.scientificamerican.com/article/a-sense-of-time-requires-a-sense-of- space/. 11 JOHNSON, Michael G..Ojibwa. Richmond Hill: Firefly Books Ltd., 1996, p. 57

15 peuples Autochtones, pouvaient déclencher le tonnerre en battant des ailes, les éclairs en clignant des yeux et qu’ils pouvaient aussi amener la pluie pour rendre la terre fertile. Ils croient aussi que la Terre est une île au milieu d’un grand lac. Le monde souterrain est dominé par des manitous aux pouvoirs immenses. Les panthères sous-marines contrôlent les plantes, les animaux et les poissons. Les peuples autochtones croient que le monde est dominé par les éléments surnaturels dotés de puissances incommensurables. Les panthères sous-marines possèdent le pouvoir de soin car elles contrôlent les plantes et ont une bonne connaissance des herbes médicinales. Les humains possèdent t'ils aussi une superpuissance ? D’après la foi de peuples autochtones nous possédons le pouvoir le plus grand : le pouvoir du rêve. 12

[Voir les Annexes : A Les oiseaux de tonnerre et les panthères sous-marines]

1.3.2 L’Accent sur le Mythe

Comme le titre de ce chapitre l’indique, ce sous-chapitre sera consacré à l’importance du mythe dans la vie des peuples autochtones et cela, en particulier au sein de leur narration.

Nous pouvons distinguer plusieurs catégories de mythes. Premièrement, il s’agit des récits sur la création de la vie, du monde, puis des explications des phénomènes naturels en utilisant les puissances surnaturelles. Une autre catégorie que nous pourrions considérer regroupe les histoires de personnages héroïques, insufflant courage et inspiration aux humains. Traditionnellement, les histoires des peuples autochtones sont transmises oralement. La tradition de la narration se forme car les personnes commencent à s’identifier vis-à-vis de leur relation envers leur famille et leur groupe et par rapport l’endroit d’où ils viennent. Ils apprennent cela grâce à la narration de leurs ancêtres. Nous avons évoqué précédemment la relation entre le temps et l’espace. Ces histoires ne sont donc pas aperçues comme des évènements isolés. Elles sont à prendre en considération en rapport avec leur narrateur. Des histoires sont conçues pour être narrées pendant des périodes spécifiques de l’année et d’autres destinées uniquement à des cérémonies spécifiques.

12 JOHNSTON, Basil. Ojibway Heritage. Toronto: The Canadian Publishers, 1976, p. 23

16 Néanmoins, la plupart des histoires sont contées pendant l’hiver en raison de son calme. C'est là que les gens se rencontrent près du feu et partagent leurs récits.

Soulignons que les principes indigènes de l'être et du savoir sont transmis par les Aînés. Les anciens incarnent la sagesse et la reconnaissance et un de leurs rôles consiste à les conserver et à les transmettre aux générations prochaines. Ils narrent des histoires inspirées de leur expérience personnelle et aussi en utilisant la connaissance dont ils ont hérité par leurs Aînés. Ces narrations aident les membres de la communauté à trouver leur place dans le groupe et à comprendre les mécanismes et les principes de la vie. Comme nous l’avons déjà mentionné, les Aînés sont prêts à transmettre leur connaissance quand ils atteignent « l’âge de la réminiscence ». Néanmoins, l’âge n’est pas la condition. Mêmes les jeunes membres de la communauté peuvent être reconnus autant que les Aînés. Les anciens enseignent en particulier la langue autochtone et les méthodes traditionnelles de la médecine, ils prodiguent conseils et encouragements aux autres. Les Aînés sont profondément respectés par leur peuple et par la communauté et ils sont considérés comme des décideurs. Pour mieux illustrer ce que nous avons déjà exprimé, nous allons mettre en exergue une citation de Thomas King tirée du livre The Truth about Stories : « En gros, il y a un moment et un lieu pour chaque histoire. Les gens donc craignaient que les histoires qui sont normalement transmises oralement soient perdues et détruites si elles passent à l’écrit et sont imprimés car elles vont manquer de la voix du maître ainsi que du sens du temps et du lieu. »13

[Voir les Annexes : B La narration au tipi à l'Université de la Saskatchewan ]

1.4 La tradition orale, peut-elle être préservée ?

Certaines personnes ont la crainte que les histoires écrites perdent leur charme mais en réalité, si elles n’avaient pas été écrites, elles seraient perdues absolument. De plus, c’est très important de les préserver pendant ces temps de stress, d’insécurité et de précipitation qui caractérisent l’âge moderne. Passer le temps avec nos proches en échangeant des

13 KING, Thomas. The Truth About Stories: A Native Narrative. Toronto: Anansi, 2003.

17 histoires avec eux a toujours été une manière de lier les gens ensemble et de leur permettre de rester sains d’esprit. L’ignorance ou la haine mène qu’à la frustration et à l’isolation. Mais pourquoi est-ce que la narration orale est tellement fragile et difficile à préserver ?

Permettez-nous de présenter une citation de l’article Cree Intellectual Traditions in History écrit by Winona Wheeler que nous avons lu pendant le séminaire consacré à l’Introduction aux Études Autochtones. Cet article contient la citation de Peter Nabokov, anthropologiste et professeur. C’est la suivante : « Le paradoxe de l’histoire mémorisée qui est parlée et entendue est que tandis qu’elle peut préserver l’intimité et la localité qui viennent de la nuit des temps, elle n’est qu’une génération de l’extinction. A l'instar d'une toile d’araignée qui tend ses fils tendus à travers du temps. »14 La peur que le patrimoine autochtone soit perdu est donc parfaitement fondé. Dans son article, Winona Wheeler constate que beaucoup des Aînés ont été réticents à enregistrer leurs discours et leurs histoires car pour eux, le charme de la narration réside dans l’interaction sociale. Néanmoins, la plupart d’entre eux ont finalement enregistré leurs histoires et se sont rangés à l’avis selon lequel, enregistrer ou écrire les histoires est la seule manière de les préserver.

Dans les chapitres précédents nous avons succinctement expliqué les principes indigènes de l'être et du savoir les plus importantes. Nous pouvons constater que les principes indigènes de l’être et du savoir touchent à ce qui est lié avec la spiritualité. En général, tout prend sa source dans le concept de la terre qui a été donné aux peuples autochtones par le Créateur. C’est pour cela qu’ils ne pouvaient tout simplement pas quitter leur territoire pendant la colonisation. Permettez-nous de conclure ces chapitres par la citation Alexander Wolfe, l’historien de Saulteaux et narrateur travaillant sur la préservation des traditions et des histoires de ses peuples : « La façon de découvrir qui nous sommes ainsi que celle de trouver la force pour faire face à l’incertitude du futur réside dans la reconnaissance de notre passé, de nos histoires. »15 Les principes indigènes de l'être et du savoir sont très divers mais il est d'importance vitale pour chaque individu de chercher ses propres principes et chemins vers la reconnaissance pour qu’il puisse être heureux et autonomes. Il n'y a pas de mauvaise façon.

14 WHEELER, Winona. Cree Intellectual Traditions in History : The West and Beyond: New Perspectives on an Imagined Region (en ligne), 2010, p. 51. Consulté le 10 octobre 2018. Disponible sur https://www.academia.edu/7869684/Cree_Intellectual_Traditions_in_History 15 WOLFE, Alexander. Earth Elder stories. Calgary: Fifth House Ltd., introduction p. XII

18 [Voir les Annexes : D Une peinture autochtone: L’Harmonie+

2 Le Système et l’Histoire des Pensionnats Autochtones

Une grande partie de notre travail sera consacrée au système des pensionnats autochtones car les peuples autochtones ont connu ce système pendant à peu près un siècle ils en ressentent les conséquences encore aujourd’hui. Parmi les répercutions les plus graves, nous pouvons citer par exemple : la perte de la culture, de la spiritualité, de l’identité, ainsi que des liens de parenté. Cela a abouti à un grand nombre des problèmes intergénérationnels qui existent aujourd’hui sous forme d’alcoolisme et de d'abus des drogues. L’objet des pensionnats autochtones, ainsi que des autres outils de la colonisation, était de détruire la culture et les traditions autochtones. Par voie de conséquence, tout ce qui est autochtone va disparaître et sera éliminé complètement de la société canadienne. Pour comprendre la gravité et la complexité de ce sujet, dans les chapitres suivants nous allons retracer les grandes lignes de l’histoire des pensionnats autochtones. Celle-ci commence en XVIIe siècle. Comme source principale d’informations, nous avons choisi l’œuvre de J.R.Miller qui s’appelle « Shingwauk’s Vision : A History of Native Residential Schools ». Ces ouvrages seront complétés par nos propres notes, prises pendant les cours de l’Introduction aux Études Autochtones à l’Université de la Saskatchewan. L’œuvre de J.R.Miller est considérée comme étant très pertinente concernant les Études Autochtones à l’Université de la Saskatchewan, Monsieur Miller étant professeur à l’Université de la Saskatchewan au département de l’Histoire.

2.1 L’Éducation Traditionnelle des Peuples Autochtones.

Les écoles ne sont pas présentes dans tous les sociétés, mais chaque société possède une éducation. L’éducation explique aux individus d’une communauté d’où ils viennent, qui ils sont, qui est leur peuple et quelle est sa relation avec les autres personnes peuplant le monde. L’éducation donne normalement, une explication ou théories sur la manière dont la terre a été créée ainsi que sur les objectifs de l’existence. Mais ces questions sont très

19 relatives et complexes. Néanmoins, chaque communauté a sa propre explication pour cela, surtout les peuples autochtones pour qui les liens de parenté et d'appartenance à un groupe est de premier ordre. Ensuite, le but de l’éducation est d’élever des individus aptes à préserver la communauté. Il n’y a pas d’éducation en commune pour les peuples autochtones mais dans plusieurs cas, ils prennent leur source dans la même philosophie et partagent des valeurs profondément ancrés dans la spiritualité. Le Professeur Miller a appelé cela : « the approach of the three L – looking, listening and learning » que nous pouvons traduire comme la méthode « regarder, écouter et apprendre ».

La raison pour laquelle l’éducation des peuples autochtones ne pouvait pas être uniforme est que la manière de vivre de chaque tribu et de chaque communauté est très différente. Par exemple les Cris sont des chasseurs-cueilleurs vivant en forêt, les Inuits des pêcheurs, les autres se concentrent sur l’horticulture et à l’élevage. De plus, chaque société a des conceptions hiérarchiques différentes. Pour donner un exemple, nous pouvons mentionner une société sur la côte ouest où les enfants doivent apprendre le bon comportement social car là-bas, la hiérarchie est très importante. Mais les groupes de la côte est sont plus égalitaristes.

Néanmoins, il est possible de trouver des traits communs entre chaque groupe autochtone. Par exemple, l’apprentissage permet de donner un exemple positif. Le jeu peut être un guidage subtil pour apprendre aux enfants le comportement qu'on attend d'eux et leur permet de l’intérioriser. Mais en général, le principe de toutes les méthodes est d’apprendre par le regard et par l'écoute. Il existe plusieurs rituels pour apprendre aux enfants à respecter la nature, la terre et le patrimoine naturel étaient pour ces cultures un des éléments les plus importants. La méthode la plus efficace dans l’éducation autochtone est la narration, utilisée pour réprimander les enfants indisciplinés de manière indirecte. L’enfant qui a désobéi ne sera probablement pas réprimandé au moment où il a désobéi mais pendant la soirée, quand tout le monde se rencontre à la maison. Des histoires lui seront narrées par les parents ou par les Aînés. L’intrigue de cette histoire touche la situation dans laquelle l’enfant s’est comporté de manière irrespectueuse ou quand il n’a pas obéi. Et le narrateur demande au responsable s’il a commis cette action, puis ils en discutent. Ensuite, le narrateur continue son histoire en ajoutant la punition qui est généralement infligée par une divinité ou par une force naturelle.

20 Selon plusieurs personnes autochtones qui ont vécu cette forme d’éducation, ces formes de punition par l’humiliation étaient beaucoup plus efficaces et beaucoup plus difficiles à supporter que les châtiments corporels. C’était l’un des grands écueils de l’éducation dans les pensionnats autochtones car là-bas, il n’y avait aucun dialogue entre les enfants et les éducateurs et les châtiments corporels étaient souvent pratiqués. Mais pour l’éducation des peuples autochtones, le principe de non-interférence est typique.16 Le concept de non-interférence et de développement personnel autonome ne contribue pas qu’au développement des enfants et à des relations saines avec leurs familles. Ce principe contribue aussi au développement de relations saines au niveau communautaire, ce qui était très important.

Pour conclure cette introduction à l’éducation autochtone, soulignons le fait que ce système permettait à tous les membres de la famille et aux éléments d’une communauté d’avoir un rôle actif dans leur apprentissage en les aidants à devenir des individus forts et indépendants.

2.2 La période de la Nouvelle France jusqu’à la Loi sur les Indiens

Erin Hanson, l’anthropologiste de l’Université de Colombie-Britannique, suggère qu’il faut d’abord étudier la période à laquelle les colons européens sont venus en Amérique du Nord pour comprendre la cause de l'établissement du système des pensionnats autochtones. Hanson confirme que les conceptions de la société et de la culture européenne et autochtone étaient complètement différentes. 17

Tout d’abord, nous devons présenter quelques informations d'ordre géographique et démographique. La Nouvelle-France était une colonie et plus précisément une vice-royauté du royaume de France, située en Amérique du Nord et ayant existé de 1534 à 1763. Elle faisait partie du premier empire colonial français et sa capitale était Québec. Les descendants de cette époque sont les Acadiens, les et les Cadiens. Les descendants des habitants de l’ancienne colonie française du Canada, maintenant répandus sur tout le

16 MILLER, Roger James. Shingwauk's vision : A History of Native Residential Schools Toronto [u.a.]: Univ. of Toronto Press, 2009, p. 49 17 HANSON, Erin The Residential School System (en ligne). Indigenous Foundations. Consulté le 19 avril 2019. Disponible sur https://indigenousfoundations.arts.ubc.ca/the_residential_school_system/

21 pays, se disaient anciennement Canadiens ou Canadiens français, y compris les Québécois francophones, Créoles louisianais et Métis. Le territoire de la Nouvelle-France était constitué des colonies suivantes : l'Acadie, le Canada, et la Louisiane. À son apogée, il comprenait ainsi le bassin versant du fleuve Saint-Laurent, des Grands Lacs et du Mississippi, le Nord de La Prairie, et une grande partie de la péninsule du Labrador. La position géographique de la Nouvelle-France empêchait l'expansion vers l'ouest des colonies britanniques d'Amérique du Nord, ainsi que le ralliement des treize colonies à la Terre de Rupert.18

La littérature de l'époque peut servir de précieuse source d'information. Il est difficile de parler d'une littérature proprement canadienne à cette période car c’était plutôt la littérature coloniale, périphérique. La population, absente jusqu'au début du XVIIe siècle, peu nombreuse tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, ne permettait pas en effet le déploiement d'une vie culturelle et littéraire autonome. Les textes étaient destinés en grande partie au public français et européen, mesurés à l'aune de la norme française.

Pourtant, la culture québécoise et canadienne moderne revendique cette période comme une époque fondatrice en se reconnaissant dans les auteurs qui, sans se sentir souvent comme Canadiens, surtout dans les premiers temps, apportent le témoignage de leurs expériences. Certains textes contiennent les thèmes porteurs qui seront développés par la culture canadienne française: thématique indienne, aventure de colonisation, mission civilisatrice ou mission évangélisatrice. 19

2.3 La genèse des premiers pensionnats autochtones

La genèse des premiers pensionnats autochtones pour ainsi dire a été liée avec la mission évangélisatrice. Le premier internat pour la jeunesse autochtone a été établi en 1620 par les Récollets, un ordre des Franciscains, qui ont établi « un séminaire » pour les garçons. Les moines ont décidé d’établir les séminaires pendant la première décennie du peuplement française du Saint-Laurent. En ce temps-là, ils ont conclu qu’à cause des habitudes

18 DICKINSON, John Alexander, Brève histoire socio-économique du Québec, Septentrion, 2009, Consulté le 21 avril 2019, Disponible sur : https://www.septentrion.qc.ca/catalogue/breve-histoire-socio-economique-du- quebec-4e-edition 19 KYLOUŠEK, Petr. Littérature canadienne francophone, notes du cours de la littérature canadienne à l’Université de Masaryk

22 migratoires, les efforts d’évangéliser les peuples autochtones sont en vain et de les évangéliser est presque impossible. Selon eux, personne ne jamais réussira à les faire Chrétiens sans les faire « hommes » d’abord. Et cela peut être atteint si les Français font partie de leur communauté et s’ils s’habituent à leurs coutumes.20

Pour cette raison, ils ont établi un premier pensionnat en 1620. Mais leur but de convertir les peuples autochtones a été presque impossible et assez tôt, ils l’ont abandonné et quitté la Nouvelle France. Mais ce n’étaient que les Franciscains qui essaient de convertir las peuples autochtones à la foi « correcte ». C’étaient aussi les Jésuites et puis l’ordre des Ursulies. Après, la Nouvelle France a reçu le statut de la colonie royale et il y avait des tendances de peupler la colonie. Mais en même temps, il n’était pas souhaitable que les habitants de France quittent la France. Pour cette raison, une des solutions a été de convertir les peuples autochtones aux Français. Les peuples autochtones ont été encouragés à s’installer avec la population française et à apprendre ses pratiques agricoles au lieu de leur « oisiveté » qui consistait à chasser. Mais pour cela il était nécessaire de « franciser » les peuples autochtones dans les écoles. Les jeunes indigènes devraient recevoir un enseignement en français pour être convertis à la foi catholique pour que les peuples autochtones et les français forment « une nation et un sang ».21 La diversité linguistique en Amérique du Nord a commencé à se développer à partir de ce moment. Nous allons l'évoquer dans les chapitres suivants mais ce résumé des événements historiques est nécessaire à la compréhension.

Miller identifie quelques raisons pour lesquelles l’expérience avec les pensionnats autochtones a été un échec en Nouvelle France à la fin du XVIIe siècle. Les peuples autochtones ne voulaient pas imiter les nouveaux venus simplement parce qu’ils n’étaient pas fascinés par eux. Ils n’étaient pas ouverts au christianisme en général et ils refusaient le système éducatif. Pour les peuples autochtones, recevoir l’éducation française et devenir chrétien équivalait à mourir entant que personne autochtone et à renaître comme une personne française. De plus, il n’était pas typique de séparer l’éducation du quotidien pour les peuples autochtones car pour eux, l’éducation prenait lieu pendant la réalisation des

20 MILLER, Roger James. op. cit. Toronto [u.a.]: Univ. of Toronto Press, 2009, p. 50 21 Ibid, 51

23 tâches et actions quotidiennes. Et finalement, les nouveaux venus et l’Église ont été fascinés par les forts liens de parenté tant les parents ne voulaient pas être séparés de leurs enfants.

Miller explique aussi que les peuples autochtones ont été indispensables pour les nouveaux venus ; surtout pour assurer leur subsistance à l'aide de la chasse ainsi que pour le commerce de fourrures. Les prestations mutuelles ont été révélées par les Traités. Au début de XVIIIe siècle, les droits du territoire sont devenus l’essence de ces Traités. Mais c’était un désastre pour les communautés autochtones et pour la nation parce qu’à cause de ces Traités, ils perdent leur droit sur plusieurs territoires. Rappelons que leur terre constitue la valeur la plus importante à leurs yeux. De plus, ces Traités ont causé l’expansion massive de l’Europe. 22

2.3.1 Le développement au XVIIIe siècle

Au XVIIIe siècle, les peuples autochtones ont été aperçus comme un obstacle car les nouveaux venus n’avaient plus besoin de leur aide et ils sont devenus autosuffisants. Les Européens ont amené de nombreuses lois de l’Europe et essaient de les implémenter. Ils ont lancé des nouveaux programmes pour les faire assimiler aux autochtones. Aussi, une nouvelle conception a été mise en place : la possibilité d’acheter la terre. Cet acte a été absolument incompréhensible pour les peoples autochtones. Pour eux, la terre a été le don du Créateur et ne peut pas être vendue ou achetée.

Un grand changement dans l’administration des colonies a été introduit par La proclamation de 1763. Après la Guerre de Sept Ans, la Grande-Bretagne acquiert certaines colonies françaises d'Amérique du Nord. La Proclamation royale de 1763 avait pour objectif d'assimiler les Canadiens-Français, d'établir et d'organiser l’empire colonial britannique dans cette région du monde. La proclamation de 1763 fut délivrée le 7 octobre 1763 par le roi de Grande-Bretagne George III à la suite de l'acquisition par la Grande-Bretagne de territoires français au Canada et d'une partie de la Louisiane, à la fin de la Guerre de Sept Ans. La proclamation avait pour but d'organiser ces nouvelles terres et de stabiliser les relations avec les Amérindiens en règlementant la traite des fourrures, la colonisation et l'achat des terres à la frontière occidentale. La proclamation avait aussi pour but d'assimiler les colons

22 LONG, David. Setting the Foundation: A Brief History of Colonization in Canada. Menzies and Lavallée, p.17

24 francophones. Elle est également connue sous les appellations anglaises d'« Indian Bill of Rights » ou de « Magna Carta for Indian affairs »23 La proclamation de 1763 a été un document qui a officiellement établi la relation entre les Britanniques, leurs colonies et les peuples autochtones. La couronne royale s’est donné le rôle de « protecteur » des terres autochtones et pour cela, elle s’est aussi octroyé le droit d’administrer les terres.

Le début du XIXe siècle a été marqué par un autre conflit qui a causé des grands changements : une guerre anglo-américaine de 1812 qui a opposé les États-Unis au Royaume-Uni, entre juin 1812 et février 1815. La guerre de 1812 trouve en partie ses origines dans les tensions commerciales qui existaient entre les jeunes États-Unis et le Royaume-Uni. Ce conflit se déroule dans le cadre particulier des guerres napoléoniennes qui opposent la France au Royaume-Uni et à la majorité des autres pays européens entre 1803 et 1815, qui pénalisent le commerce américain dès 1803. Elle a nui à la relation d’alliance entre les Canadiens et les Britanniques, et les Premières Nations, puisque ces dernières ont perdu non seulement de nombreux guerriers, mais également tout espoir d’arrêter la conquête américaine vers l’ouest.24 Les peuples autochtones n’ont plus été perçus comme une force militaire et les Britanniques ne les respectaient plus. De plus, les lois ont été créées en Angleterre sans aucune discussion avec la partie autochtone car les autochtones ont été aperçus comme les barbares et de nature criminelle.25

« Tuer l'Indien pour sauver l'homme »26. C’était l’idée du projet de l’École Indienne de Carlisle. Le gouvernement fédéral a décidé d’introduire les pensionnats autochtones inspirés par l’École Indienne de Carlisle aux États-Unis dans toutes les provinces excluant Île- du-Prince-Édouard et Le Nouveau-Brunswick. Yale Deron Belanger qui a écrit Ways of Knowing: An Introduction to Native Studies in Canada a identifié trois dates importantes : 1857, 1874 et 1876. Depuis l’année 1857, le gouvernement a commencé de rassembler les moyens financiers pour que ce projet puisse être mis en place. En 1874, le système des

23 The American Revolution : The Royal Proclamation. Consulté le 27 avril 2019. Disponible sur : http://www.ushistory.org/us/9a.asp 24 HICKEY, Donald R. The War of 1812 : A Forgotten Conflict. University of Illinois Press, 1990, p. 457. Consulté le 27 avril. Disponible sur : http://go.galegroup.com.cyber.usask.ca/ps/i.do?id=GALE%7CA388052710&v=2.1&u=usaskmain&it=r&p=EAIM &sw=w 25 BELANGER, Yale Deron. Ways of Knowing: An Introduction to Native Studies in Canada. Toronto: Nelson Education, 2010, page 118 26 Carlisle Indian School Project. (en ligne). 2019 Consulté le 30 avril. Disponible sur : http://www.carlisleindianschoolproject.com/history

25 pensionnats autochtones a été complet et prêt à « faciliter la transition d’un enfant autochtone à la société dominante ». Ce projet fut finalisé en 1876 quand le gouvernement fédéral est devenu le responsable de l’Éducation autochtone au moment où la Loi sur les Indiens a été adoptée (comme nous allons le présenter dans le chapitre suivant).27 Un vétéran de la guerre civile, Richard Henry Pratt, a convaincu plusieurs chefs tribaux d’envoyer des enfants de leurs tribus avec lui à Pennsylvanie où à l’École Indienne de Carlisle. Pratt a introduit un système de l’américanisation forcée et de l’abandon des langues autochtones, de la conversion forcée au christianisme et la discipline martiale.28

La raison avancée pour justifier l’existence de pensionnats loin des réserves se résumait dans l’idée que le placement d’un enfant né de sauvages dans un milieu civilisé lui permettra d’acquérir un langage civilisé et des manières civilisées. La stratégie consistait à séparer les enfants de leurs parents, à leur inculquer le christianisme et les valeurs culturelles du monde des blancs et les inciter, voire les forcer à s’assimiler dans la société dominante. La majorité des écoles pour les Indiens préparaient les garçons au travail manuel ou à l’agriculture et les filles au travail domestique. Les enfants étaient également loués en qualité de main-d’œuvre domestique durant l’été à des foyers blancs au lieu d’être renvoyés dans leurs familles.29

2.3.2 La Loi sur les Indiens

Une des dates clés vers la fin du XIXe siècle a été l’année où la Loi sur les Indiens a été adoptée. C’était une loi fédérale traitant le statut des Indiens et le système de réserves. La nature de cette loi a été invasive et a été développée sans aucune consent de la partie autochtone. « La loi fédérale constitue un véritable régime de tutelle des Indiens (tant individuellement que collectivement) et des terres qui leur sont réservées. En fait, les Indiens ont un statut équivalent à celui d'un enfant mineur, puisqu'ils sont soumis au

27 Belanger, Yale Deron. op. cit. Toronto: Nelson Education, 2010. Print., page 119 28 Carlisle Indian School Project. (en ligne). 2019 Consulté le 30 avril. Disponible sur : http://www.carlisleindianschoolproject.com/history 29 Nations Unis. Conseil économique et social, Débat sur le thème spécial : Peuples autochtones : développement, culture, identité : les articles 3 et 32 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtone,(en ligne) 2010. Consulté le 1 mai 2019. Disponible sur : https://documents-dds- ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N10/225/37/PDF/N1022537.pdf?OpenElement

26 contrôle du gouvernement qui a l'autorité de décider pour eux. Il s'agit d'un encadrement de tous les aspects de la vie des individus et des communautés. »30

Comme la source pour les paragraphes suivants, elles nous servent les notes des lectures à l’Université de la Saskatchewan sur La Loi des Indiens et sur l’assimilation qui n’était fini pas du tout. L’acte de l’assimilation continuait : les Européens ont envisagé de faire les peuples autochtones disparaître pour leur peuplement mais ils ne voulaient plus s’engager en belligérance et pourtant ils ont décidé de les faire disparaitre par l’assimilation en les faisant les « Euro-Canadiens ». De plus, ils ont établi les réserves qui ont été basées selon la population. Chaque personne autochtone avait 128 acres et la superficie des réserves a été beaucoup moins grande, basée sur le nombre imprécis des peuples autochtones. Selon cette loi fédérale, les buffles ont été exterminés pour que les peuples autochtones souffrent de la faim et pour qu’ils soient obligés de déménager aux réservations où ils reçoivent des rations alimentaires, même que très insuffisantes. Comme nous avons déjà discuté, le système des pensionnats autochtones a été adopté des États-Unis. Son résultat était, parmi autre, l’impact négatif à la diversité des langues en Amérique du Nord dont on va parler dans la deuxième partie de notre travail. La langue maternelle des peuples autochtones s’appelle « Cri », c’est une langue autochtone la plus parlée au Canada. Les colons européens essayent de l’éradiquer en donnant des châtiments corporels aux enfants et en mettant leurs parents à la prison s’ils essaient de retirer ses enfants de ces pensionnats.

2.4 Les pensionnats autochtones en pratique

Dans ce chapitre nous allons discuter quelle était la vie dans les pensionnats autochtones pour les enfants séparés de leurs familles et quelle effet les pensionnats autochtones avaient à la culture autochtone et aux langues autochtones car dans les parties suivantes de notre travail, nous allons nous concentrer sur la diversité linguistique en Amérique du Nord. Pour l’authenticité, nous allons aussi interligner ce chapitre par les expériences de Basil Johnston qui a vécu dans un pensionnat à la province de l’Ontario qui a été fondé par les Jésuites.

30 DUPUIS, Renée. La question indienne au Canada. Montréal, Boréal, 1991, p. 124

27 Basil Johnston a été professeur, auteur et linguiste qui s’est efforcé de la préservation de la littérature autochtone et de la langue autochtone en publiant ses œuvres à la version bilingue : en français et en cri. C’est un homme qui a survécu la scolarisation européen dans un pensionnant autochtone mais qui n’a jamais oublié ses racines. Selon la croyance autochtone, le monde a été dominé par les êtres qui possédaient des superpuissances. Mais au vrai, c’était l’homme qui possède le pouvoir le plus puissant. C’est le pouvoir de rêver. Le pouvoir de rêver a été vital pour Basil Johnston qui a passé plusieurs années dans des pensionnats autochtones mais n'a jamais renoncé à ses rêves et à ses ambitions.

Même que les pensionnats autochtones, Residential Schools en anglais, étaient des institutions où les enfants devraient être scolarisés, la majorité de leur routine quotidienne consistait du travail. Selon une recherche de l’Organisation des Nations unies de l’année 2010 qui se concentre sur une étude comparative des peuples autochtones et pensionnats, la majorité des écoles pour les Indiens préparaient les garçons au travail manuel ou à l’agriculture et les filles au travail domestique. Les enfants étaient également loués en qualité de main-d’œuvre domestique durant l’été à des foyers blancs au lieu d’être renvoyés dans leurs familles.31 La séparation des enfants des familles commence en premier âge le moment où un agent indien frappe sur la porte chez les familles indiennes. Pour la famille de Basil Johnston, c’était une expérience extrêmement atroce parce que cet agent devrait emmener au pensionnant le petit Basil et sa sœur plus âgée. Mais elle a souffert d’une intoxication alimentaire grave et pour cela, l’agent indien a commandé de livrer sa petite sœur de quatre ans parce qu’il a dû emmener deux enfants de leur famille.

Il y avait plusieurs choses qui ont été interdit. Par exemple de l’utiliser la langue autochtone. La suppression de langue maternelle a été cruciale pour l’assimilation. Il y avait une tendance d’éliminer complétement les langues autochtones parce que le français et l’anglais ont été considérés comme « les langues de la civilisation ».32 Selon l’œuvre

31 Nations Unis. op. cit. (en ligne) 2010. Consulté le 3 mai 2019. Disponible sur : https://documents-dds- ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N10/225/37/PDF/N1022537.pdf?OpenElement

32 Royal Commission on Aboriginal Peoples. Report of the Royal Commission on Aboriginal Peoples. Ottawa:

Canada Communication Group, 1996. Consulté le 3 mai 2019 . Disponible sur: http://caid.ca/RepRoyCommAborigPple.html

28 autobiographique de Basil Johnston, Indian School Days, que les punitions pour parler en langue maternelle étaient tellement strictes qu’il n’y avait presque aucun garçon de l’âge de six mois et plus qu’il la parlait. Dans nos jours, il est normal de parler plusieurs langues grâce à la multi culturalité et il y a beaucoup de gens qui parlent plus d’une langue et qui se considèrent bilingues ou plurilingues mais ce n’était pas le cas de cette période-là.

Nous aimerions présenter une citation de l’œuvre de Yale Deron Belanger : Ways of Knowing: An Introduction to Native Studies in Canada, dont nous avons déjà parlé : « Les langues autochtones devraient être reconnues comme le patrimoine national du Canada. Beaucoup des peuples autochtones ont perdu leur langue maternelle à cause de cela et se sont donc vus dépouillés d’une partie intégrante de leur identité. La langue est l’essence de la culture et elle véhicule les valeurs, la culture et la littérature. Grâce à la langue, nous nous découvrons nous-mêmes, la culture, le patrimoine ainsi que la vision du monde. » 33

Grâce à l’œuvre de Basil Johnston, Indian School Days, nous avons une petite comparaison de l’anglais et de langue cri. Nous allons présenter quelques exemples pour illustrer auxquelles difficultés les peuples autochtones devaient faire face quand ils apprenaient l’anglais. La langue cri assez bien fonctionne sans les lettes « r », « l », « f », « v », « x » et « th ». Pour cela, le mot anglais « never » devient « neber », « Virginia » devient « Bayzhinee » ou « father » devient « fauther » etc. De plus, les prêtres qui travaillent aux pensionnats autochtones n’étaient que les personnes lesquelles langue maternelle a été l’anglais. C’étaient assez souvent les germanophones ou les francophones qui avaient aussi des problèmes avec la prononciation des fricatives dentales comme avec la consonne fricative dentale sourde *θ+ ou avec la consonne fricative dentale voisée *ð+. Cela a aussi rendu l’apprentissage de l’anglais difficile.34

La routine quotidienne a été très stricte. Les enfants s‘élèvent à 6h15, ils viennent à la masse, le petit-déjeuner dure de 7h30 jusqu’à 8 h, puis ils travaillent et étudient. L’après-midi a été pareil : le travail, l’apprentissage et la masse.35 Selon la recherche de l’Organisation des Nations unies dont nous avons déjà cité : « Les pensionnats étaient administrés de la façon la plus frugale possible. Les enfants n’y recevaient ni soins ni

33 BELANGER, Yale Deron. op. cit.. Toronto: Nelson Education, 2010, page 20 34 JOHNSTON, Basil. 1995. Indian School Days. University of Oklahoma Press. p. 8 35 idem

29 nourriture appropriée. Les établissements étaient surpeuplés. Selon le Boarding School Healing Project (Programme de guérison des séquelles laissées par les pensionnats), les enfants indiens dans les écoles du Dakota du Sud ne recevaient pas souvent à manger et mourraient en grand nombre de faim et de maladie. D’autres enfants mourraient de maladies très ordinaires faute de soins. De surcroît, les enfants étaient souvent contraints à des travaux exténuants afin de financer les écoles ainsi que les salaires des enseignants et des administrateurs. Les enfants ne percevaient jamais une compensation pour leur travail. »36 Basil Johnston ajoute qu’il a été bien connu que les pensionnats autochtones mènent plusieurs expériences aux enfants. Par exemple, les enfants ont été aux régimes alimentaires différents. Certains enfants ne reçoivent que le repas trop peu nutritif et ils ont été observé quels seront les effets de ce régime.

Mary Jane Logan McCallum a publié l’article qui s’appelle “Starvation, Experimentation, Segregation, and Trauma: Words for Reading, Indigenous Health History.” Elle considère ces quatre notions : la famine, l’expérimentation, la ségrégation et le trauma comme les résultats de la colonisation. Mary Jane Logan McCallum est le sénateur du Manitoba et a été scolarisée à l’Université de la Saskatchewan et elle s’intéresse beaucoup aux résultats de la colonisation, de la situation des peuples autochtones et comment améliorer la situation de la ségrégation et du trauma qui persiste jusqu’à nos jours. Elle décrive l’expérimentation de plus près. L’expérimentation a été pratiquée sans aucun consentement des peuples autochtones dans les pensionnats ou leurs parents. L’expérimentation a été étroitement liée aux intentions gouvernementales d’exterminer les peuples autochtones par l’assimilation et par l’intégration. « Les pensionnats autochtones ont servi comme les laboratoires pendant les années 1940. Les enfants étaient les sujets sur lesquels l’expérience de la malnutrition a été pratiquée. » 37 Basil Johnston raconte qu’ils ont été donnés des numéros dans les pensionnats autochtones au lieu de les appeler par leurs noms. Par exemple : « Numéro quarante-trois va faire ça. » Cela a vraiment l’effet négatif à l’estime personnelle. À cause de cela, les gens

36 Nations Unis. Conseil économique et social, Débat sur le thème spécial : Peuples autochtones : développement, culture, identité : les articles 3 et 32 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtone,(en ligne) 2010. Consulté le 3 mai 2019. Disponible sur : https://documents-dds- ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N10/225/37/PDF/N1022537.pdf?OpenElement 37 CALLUM, Jane Mary Mc. Starvation, Experimentation, Segregation, and Trauma: Words for Reading Indigenous Health History. The Canadian Historical Review 98, 1, March 2017, p. 9

30 deviennent se sentir sans importance et insignifiant pour la société et pour ses proches et cela a causé un grand trauma qui réside toujours dans les gens et qui est héréditaire. Basil Johnston raconte que le premier jour était particulièrement traumatisant parce que les surveillants des pensionnats ont coupé les cheveux de chaque enfant. Ils leurs ont coupé les cheveux de la même manière qui supprime les différences individuelles.38 Un ethnologue et journaliste tchèque, Martin Rychlík, qui a publié son livre qui s’appelle « L’histoire des cheveux », affirme dans une interview de DVTV qui a été publié le 8 mai 2019 (un projet audiovisuel et journalistique de Martin Veselovský et de Daniela Drtinová) que les cheveux ont été considérés comme un symbole du pouvoir et de la conscience et que l’auparavant, les cheveux ont été plus important qu’aujourd’hui. Par exemple les indiens toujours portaient des cheveux longs. Ils se coupent les cheveux seulement quand ils pleurent sur un apparenté qui a décédé.39 Il se aussi réfère aux camps d'extermination où la coupe de cheveux aurait lieu le premier jour.40 Cela nous peut faire penser au roman d'anticipation dystopique, Le Meilleur des mondes, écrit en 1931 par Aldous Huxley. C’est une histoire du développement dans la technologie reproductive qui utilise les moyens de la manipulation psychologique. Dans ce roman, les gens sont créés dans les usines avec l'endoctrinement de quoi ils vont devenir et ils ne sont appelés que « les alphas » ou « les betas ».

38 JOHNSTON, Basil. 1995. Indian School Days. University of Oklahoma Press. p. 38

40 RYCHLÍK, Martin. Consulté le 9 mai 2019. Disponible sur : https://video.aktualne.cz/dvtv/v-osvetimi-se-naslo- sedm-tun-vlasu-naciste-z-nich-vyrabeli-i/r~7cf8c95870e911e9b2a00cc47ab5f122/?redirected=1557419552

31 3 Promotion et revitalisation des langues

Introduction

Dans les chapitres précédents, nous avons traité l’histoire des peuples autochtones, leurs valeurs et leur perception de la vie. Nous avons aussi discuté des effets négatifs de la colonisation sur la vie des peuples autochtones pour qui la terre n’appartient à personne et n’est pas à vendre et pour qui la superpuissance correspond au pouvoir de rêver et de narrer des histoires qui servent de lien fort entre des générations, des proches et des membres de la communauté. Les biens matériels n’étaient pas essentiels pour les peuples autochtones.

Une grande partie de notre travail a aussi été consacrée à l’acte d’assimilation des peuples autochtones dans la société euro-canadienne. Nous nous sommes surtout concentrés sur la genèse des pensionnats autochtones et sur comment la langue autochtone avait au fur et à mesure été exterminée à cause de ces institutions. La genèse des pensionnats autochtones est conditionnée par les évènements historiques comme les guerres qui ont statué sur qui aura la suprématie sur la terre de l’Amérique du Nord. Comme nous l’avons vu, la langue parlée est déterminée par les colonisateurs. Aussi, ils perçoivent les langues autochtones comme une menace et comme un frein à l’assimilation.

C’est pour cela que la plupart des langues autochtones se trouvent au bord de l’extinction. Dans les chapitres suivants, nous allons essayer d’expliquer pourquoi les langues des peuples autochtones, qui sont aujourd’hui minoritaires, devraient être revitalisées et par quels moyens nous pourrons y parvenir.

En annexe, nous pouvons voir la carte administrative du Canada qui nous donnera une idée plus précise de la répartition géographique des provinces et des territoires qui sera abordée dans les prochains chapitres.

[Voir les Annexes : C Carte administrative du Canada]

32 3.1 Est-il important de promouvoir et revitaliser des langues minoritaires ?

Nous allons présenter quelques stratégies de promotion et de revitalisation des langues minoritaires au Canada selon Flaubert Takam en essayant de proposer des améliorations à celle-ci afin de rendre ces langues plus dynamiques. Néanmoins, il s’agit d’une tâche difficile car selon Flaubert Takam : « Les langues autochtones canadiennes n'ont pas la vitalité ethnolinguistique nécessaire à leur survie à long terme. Même si plusieurs initiatives sont prises par l'État pour revitaliser ces langues, les stratégies de revitalisation desdites langues sont quelquefois lacunaires, inappropriées, inadaptées ou simplement difficiles à appliquer. » 41

Concernant la nécessité de protéger des langues minoritaires, certains chercheurs parlent depuis le début d'écologie des langues, appelée plus techniquement écolinguistique.42 Cette branche de la sociolinguistique a évolué en réaction aux langues minoritaires qui avaient tendance à disparaître rapidement. Pennycook le commente ainsi : « L’Ecolinguistics fait appel à une notion de protection de l’environnement partagée par beaucoup. La promotion de la diversité et la protection des espèces peuvent être un moyen utile de promouvoir la protection de la langue. » 43

Mais qu'est-ce qui étouffe les langues minoritaires ? La mondialisation et la prédominance des langues mondiales qui fonctionnent comme les seules langues officielles en étouffant les langues minoritaires. Certains chercheurs continuent à retenir l'isolement géographique comme indice de vitalité d'une langue. Joshua Fishman, qui a publié une œuvre importante sur la revitalisation des langues menacées, Reversing Language Shift (1991), le commente ainsi : « La lente disparition des langues minoritaires est une conséquence de la

41 TAKAM, Alain Flaubert. Stratégies de promotion et de revitalisation des langues minoritaires autochtones au Cameroun et au Canada. l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 13 42 Le terme « ecolinguistics » a été utilisé pour la première fois par Haugen (1972). Á l'origine, ce terme désignait les différents réaménagements sociaux nécessaires à la préservation d'une langue. C'est depuis les années 19900 que ce terme est employé dans un sens parallèle à celui d'écologie naturelle où d'écosystème, grâce notamment aux travaux de Fill & Mühlhäusler (2001) etc. 43 Citation original de Pennycook: “Ecolinguistics appeals to a notion of environmental protection that is shared by many. The promotion of diversity and the protection of species may be a useful way for promoting langage protection." PENNYCOOK, Alastair, What Might Translingual Education Look Like?. Babel, 2000, p. 112

33 globalisation, particulièrement celle de la culture pan-occidentale, et du contact entre les langues et les cultures. » 44

Certains chercheurs comme Wright par exemple, retiennent que l'isolement géographique sert d’indice de vitalité d'une langue et que l'enfermement dans des frontières peu poreuses peut garantir sa survie.45 Néanmoins, les communautés entièrement isolées des autres semblent plus existantes. Cependant, au cours des siècles précédents, beaucoup de langues minoritaires ont survécu grâce à l'isolement de leurs locuteurs.46 Dans le tableau suivant, nous pouvons voir les critères qui influencent la vitalité ethnolinguistique des langues

minoritaires organisés en trois groupes : selon le statut de la langue, selon les critères démographiques et selon le statut institutionnel.

44 FISHMAN, Joshua, A. Reversing Language Shift. Multilingual Matters, 1991 45 TAYOLR, D.M. and WRIGHT, S.C. (1989) Language attitudes in a multilingual northern community. Canadian Journal of Native Studies 9, p. 85 46 TAKAM, Alain Flaubert. Op.cit.. l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 29

34 3.2 Les stratégies de promotion et de revitalisation des langues autochtones au Canada

Il y a plusieurs manières de promouvoir et de faire revivre les langues menacées. Nous allons commencer par l’acquisition des langues autochtones par l’école dans la mesure où nous dédierons l’intégralité de notre mémoire à l’enseignement bilingue dans les écoles. Nous étudierons ensuite les stratégies de revitalisation par les médias ainsi que par les nouvelles technologies car depuis les années 1990, les technologies de l’information ont beaucoup évolué et plusieurs auteurs de la revitalisation suggèrent que les récentes innovations technologiques offrent de nouvelles voies pour favoriser la préservation, la promotion et la revitalisation des langues. 47 Comme nous avons l’avons évoqué, l’isolement des communautés linguistiques peut être une condition favorable pour la préservation des langues. Néanmoins, aujourd’hui, les communautés ne sont plus aussi isolées et la distance et l’isolement n’empêchent pas la communication.48 Pour cela, la mise en place de projets de revitalisation des langues autochtones au Canada grâce à nouvelles technologies représente une initiative méritant une attention toute particulière.

3.3 L’approche du pidgin

Les apprenants empruntent les structures de la langue anglaise/française par exemple en utilisant des mots de la langue cible. On peut appeler cela le « pidgin artificiel » car cette nouvelle forme ou mélange de langues n’est pas créé(e) naturellement. Darnell, dans son étude auprès de communautés ethnolinguistiques iroquoises et algonquines dans le sud- ouest de l’Ontario, a constaté que « l’anglais parlé par les autochtones de ces communautés a incorporé des caractéristiques pragmatiques et sémantiques des langues traditionnelles. De nouvelles pratiques linguistiques peuvent bien sûr émerger naturellement au sein des communautés linguistiques minoritaires sans servir un but de revitalisation. » 49

47 KITCHENHAM, Andrew . The Preservation of Canadian Indigenous Language And Culture Through Educational Technology. AlterNative : An International Journal of Indigenous Peoples, vol. 9, no 4. 2003, p.351 48 BURRI, Mira. Digital Technologies and Traditional Cultural Expressions : A Positive Look at a Difficult Relationship, International Journal of Cultural Property, vol. 17, 2010, p.33-63. 49 DARNELL, Regna. Revitalization and Retention of First Nations Languages in Southwestern Ontario. Manchester et Northampton : St. Jerome Publishing, 2004, p. 87- 102

35 3.3.1 Un exemple de pidgin naturel – le mitchif

Nous allons de nouveau nous appuyer sur l’article de Papen et tout particulièrement sur son article intitulé Hybrid Languages in Canada Involving French : The Case of and Chiac publié par l’Université du Québec à Montréal. Le mitchif est une langue mixte unique mélangeant le français et le cri et comptant environ mille locuteurs dans l’Ouest du Canada, surtout dans des provinces comme le Manitoba, la Saskatchewan, mais aussi dans le Dakota du Nord aux États-Unis. Les Métis sont les descendants de locuteurs français ou anglais et de femmes autochtones nés à l’époque du commerce de fourrures qui existait entre le XVIIIe et la moitié du XIXe siècle dans l’ouest du Canada. La genèse du mitchif remonterait au début de XIXe siècle car à cette période, beaucoup de chasseurs de bison métisses restaient après la saison avec ses semblables qui parlaient le cri. Néanmoins, le cri a toujours été parlé par la minorité des peuples Métis, souvent par ceux qui appartiennent à la classe la plus basse de la hiérarchie de leurs communautés. La plupart des Métis parlaient français ou anglais.50 Papen continue avec la description de la structure de la langue mitchif. Il ajoute que les verbes en mitchif viennent surtout du cri tandis que les groupes nominaux viennent surtout du français.

Un exemple du mitchif selon Papen

50 PAPEN, Robert A, Hybrid Languages in Canada Involving French. (Matériel de l’Université de Saskatchewan du cours French Variations across Nations and Cultures) p. 4

36 Le texte serait donc le suivant : « These Indians dried moose meat, deer meat. They dried everything. They usually put it in little bags. We used to watch them make it. » Nous pouvons le traduire ainsi : « Ces Indiens séchaient la viande d’élan et la viande de chevreuil. Ils ont tout séché. Habituellement, ils le mettaient dans des petits sacs. Nous les regardions faire. » Papen l’analyse ainsi :

Les éléments qui viennent du français :

- lii savaazh ‘Indians - littérairement : les sauvages - la vyand d’orignal - la viande d’élan - la vyand di shovreu - la viande de chevreuil - daa di pchi sak – plusieurs petits sacs

Les éléments qui viennent du cri : Les formes verbales : kiipaashamwak, kiiaashtaawak, giikanawaapamaanik, ushitaachik et l’adverbe maana viennent du cri.51 En ce qui concerne l’ordre des mots, nous pouvons identifier la première proposition comme la structure SVO, qui est la structure typique par exemple pour la langue française, tandis que l’ordre de la deuxième et de la troisième proposition suit la structure OV. Cela reflète l’ordre des mots qui est typique pour le cri et qui est relativement libre et la structure est déterminée surtout de manière pragmatique.52

3.4 Acquisition des langues autochtones par l’école

3.4.1 L’histoire du Canada : un point que les différents programmes devraient avoir en commun

Les récits populaires de l’histoire du Canada ont souvent été contés du point de vue des colons européens. Par conséquent, les expériences autochtones ont souvent été négligées ou exclues du compte-rendu de l’histoire du pays. Pour une compréhension plus approfondie de l’histoire du Canada, il est important de l’examiner selon les perspectives

51 PAPEN, Robert A, op.cit. p. 158 52 idem

37 autochtones. Pour ce faire, les élèves doivent explorer en largeur et en profondeur les expériences des peuples autochtones dans ce qui est aujourd’hui le Canada. Néanmoins, il faut tenir en compte de la diversité et des variantes régionales étant donné que les peuples autochtones au Canada ne représentent pas un seul groupe ou une seule expérience, mais une multitude de perspectives, incluant celle des Inuits, des Métis et des peuples des Premières Nations.

Une partie considérable de l’histoire des peuples autochtones au Canada des deux derniers siècles est caractérisée par la discrimination et l’inégalité institutionnalisées générées par des efforts colonialistes d’assimilation, comme la Loi sur les Indiens et les pensionnats indiens que nous avons évoquée dans les chapitres précédents. Malgré la situation difficile, les peuples autochtones n’ont pas été passifs durant ce temps. Au contraire, ils ont été des agents actifs, se battant, collectivement et individuellement afin de résister aux restrictions coloniales, de préserver leurs traditions, langues et croyances, et de défendre leurs droits établis qui sont souvent ignorés.53

3.4.2 Immersion en langue autochtone

L’immersion en langue autochtone est sans doute la manière la plus efficace pour apprendre une langue. Nous pouvons faire la distinction entre « l’immersion totale » où la langue autochtone est la seule langue d’instruction et « l’immersion partielle » où la langue autochtone est une des langues d’instruction.

3.4.2.1 L’Immersion totale

Flaubert Takam remarque qu’il existe plusieurs programmes à travers le pays qui offrent une immersion totale mais ce sont surtout des programmes pour les préscolaires. Nous allons brièvement introduire deux programmes canadiens qui offrent une immersion totale : Language Nest pour les préscolaires et Master-Apprentice pour les jeunes adultes.

53 QITSUALIK-TINSLEY, Rachel, RICHARD, Holly, NIIGAAN, Sinclair. Perspectives autochtones, guide pédagogique. Historica Canada. (en ligne). Consulté le 29 octobre. Disponible sur :http://education.historicacanada.ca/fr- ca/tools/494

38 Programme Language Nest

Ce programme a été originalement conçu en Nouvelle-Zélande sous l’appellation maori de « Te Kohanga Reo » pour les enfants maori pour créer un environnement uniquement maori en vue d’en transmettre la langue et la culture. 54 Au Canada, ce programme devrait durer deux ans et est pratiqué avec les Inuits du Labrador avec succès. « L'objectif de Language Nest est de promouvoir, de faire progresser et de conserver la langue inuktitut par le biais d’Infant care Program, offrant un développement intellectuel, émotionnel, social et culturel offert uniquement en inuktitut. Il est offert à un moment critique du développement du langage, entre la naissance et les premières années de l’enfant, et devrait également être une occasion d'encourager les parents à relancer l'utilisation de l'inuktitut à la maison. » 55 D’après la Labrador Inuit Association, ces enfants sont promis à un bel avenir au Labrador car les enseignants signalent en outre que les familles des enfants inscrits à ce programme font d’énormes efforts pour parler l’inuktitut partout où ces enfants sont présents et enfin, toute la communauté est fière de ces enfants. 56 Néanmoins, certains sont sceptiques et se demandent si ce programme ne devrait pas durer plus de deux ans pour être vraiment efficace. De plus, Flaubert Takam note le point suivant : « En outre, ce programme, comme beaucoup d’autres dans le même registre au Canada et même ailleurs, souffre d’un cruel manque de personnel qualifié et de matériel didactique. » 57 Une solution proposée pour développer ce programme et l’étendre à d’autres langues, le gouvernement et les communautés autochtones devraient réfléchir à une transition harmonieuse vers les langues officielles pour que la maitrise de la langue maternelle autochtone ne soit pas un handicap.

Programme Master-Apprentice

Ce programme a été conçu aux États-Unis, particulièrement en Californie, en 1992. « Le programme de maîtrise en apprentissage de la Californie est un programme qui enseigne aux locuteurs natifs et aux jeunes adultes comment travailler ensemble de manière intensive

54 KING, J. Te Kohanga Reo: Maori language revitalization. In L.Hilton & K. Hale. The Green Book of Language revitalization in Practice. San Diego: Academic Press .2001. p. 119-131 55 Canadian Herritage, 2003 56 idem 57 TAKAM, Alain Flaubert. Op.cit.. l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 182

39 afin que les membres les plus jeunes puissent développer une maîtrise de la langue en conversation. Il consiste en une relation individualisée entre le maître (locuteur) et l'apprenti (apprenant en langue), qui constituent ensemble une équipe. » 58 Un programme similaire a été créé au Canada. Il comporte cinq principes : s’agissant d’une immersion totale, l’utilisation d’anglais est prohibée ; l’apprenti doit être au moins aussi actif que le maître pour pouvoir poursuivre la conversation (le maître utilise la communication verbale et non- verbale pour se faire comprendre) ; toutes les activités sont menées essentiellement à l’oral ; l’apprentissage doit avoir lieu dans des situations réelles de communication comme lors de la préparation des repas, au supermarché pour faire du shopping, lors des cérémonies traditionnelles etc. 59 Ces principes visent à répliquer un processus « naturel » d’acquisition de la langue (Grenoble et Whaley 2006 : 61; Tsunoda 2005 : 206). Cette stratégie est utilisée dans quelques endroits au Canada, comme en Colombie-Britannique où 90 équipes de maîtres-apprentis ont été formées entre 2008 et 2016. 60 Au Canada, ce programme ne dure que 75 heures réparties sur 25 semaines dans la mesure où il est offert aux apprenants intermédiaires des langues autochtones et non aux vrais débutants.

3.4.2.2 Immersion partielle ou éducation bilingue

L’éducation bilingue initiale prépare mieux les élèves autochtones à la maîtrise de la langue officielle et en même temps à la connaissance des valeurs culturelles de leurs communautés. Battiste qui se concentre sur l’alphabétisation et l’assimilation cognitive chez les Micmacs, un peuple amérindien de la côte nord-est d'Amérique, faisant partie des peuples algonquiens, parle des réussites des écoles bilingues : « L’école mi'kmawey a démontré que l’éducation culturelle et linguistique des Mi'kmaq peut préparer efficacement les enfants aux techniques de base de l’anglais, sans sacrifier la conception de soi et sans provoquer de désintégration culturelle. » 61 Cependant, l’enseignement des langues autochtones nécessite encore beaucoup du travail, surtout « l’ingénierie linguistique » car de nombreuses langues

58 HINTON, L. Language revitalization: An overview. The Green Book of Language revitalization in Pracztice. (pp. 3-18). San Diego: Academic Press. 59 TAKAM, Alain Flaubert. Op.cit.. l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 185 60 GALLEY, Valerie et collab. Reconnaissance, préservation et revitalisation des langues autochtones. Rapport sur la séance de dialogue national sur les langues autochtones. Brentwood Bay : First Peoples’ Cultural Council, 2016 61 BATTISTE, Micmac literacy and congnitive assimilation. In J. Barman, Y. Hébert & D. McKaskill. Indian Education in Canada. Vol. 1: The Legacy (pp. 23-44). Vancouver : University of British Columbia Press, 1986

40 autochtones n’ayant pas de système d’écriture, il a donc fallu mettre au point des orthographes, de la littérature et du matériel pédagogique, ainsi que de nouveaux vocabulaires et genres d’écriture tels que les essais et la poésie. 62

3.5 Enseignement des langues autochtones dans le supérieur et dans les provinces où la langue autochtone n’est pas une langue officielle

Dans le Nunavut, un des établissements scolaires offrant l’éducation universitaire s’appelle le Collège Arctique du Nunavut. Cette université offre des programmes qui s’orientent vers des matières pratiques comme la bijouterie ou la ferronnerie et où les candidats doivent être capables de lire et écrire en anglais ou en inuktitut en 10e année. 63 Néanmoins, dans ce chapitre nous allons nous concentrer surtout sur la First Nations University of Canada (FNUC) car nous avons passé un semestre à la Saskatchewan en étudiant surtout la littérature et l’histoire des peuples autochtones à l’Université de Saskatchewan et nous voudrions ainsi présenter la situation dans la Saskatchewan. Grâce aux études à l’Université de la Saskatchewan, nous avons appris que la situation entre les peuples autochtones et les Euro- Canadiens aujourd’hui n’était pas idéale et qu’il faut toujours parler de la colonisation et de ses effets pour que les gens comprennent comment le gouffre entre eux a été créé et pour qu’ils essaient de l’éliminer ou de le réduire. Pour cela, il est important de parler de la Saskatchewan car c’est une province, où l'on retrouve le plus de locuteurs déclarant avoir comme langue maternelle une langue non officielle autochtone qu’est la Saskatchewan. Suite aux statistiques réalisées dans les provinces de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, la Saskatchewan arrive en première position avec 3 % de sa population, suivie du Manitoba (2,9 %), ainsi que de l'Alberta (0,6 %) et de la Colombie-Britannique (0,02 %). » 64

62 HINTON, L. Language revitalization: An overview. The Green Book of Language revitalization in Pracztice. (pp. 3-18). San Diego: Academic Press. 63 Patrimoine canadien, en ligne, disponible sur : https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien.html, consulté le 13 novembre 64 PAPEN, Robert A., BIGOT, Davy. Les variétés de français de l'Ouest canadien. (Matériel de l’Université de Saskatchewan du cours French Variations across Nations and Cultures). p.110

41 La FNUC semble être l’institution universitaire qui consacre le plus de temps et d’efforts à la revitalisation des langues autochtones. « Fondée en 1976 sous le nom de Saskatchewan Indian Federated College (SIFC), cette université fonctionne dans les trois campus suivants : Regina, Saskatoon et Prince Albert, tous situés dans la Saskatchewan. À travers le Department of Indian Languages, Literature & Linguistics, School of Indian Social Work etc., cette université promeut les langues et les cultures de la Prairie. 65 Selon le site internet de la FNUC, l'Université des Premières Nations du Canada offre aux étudiants : « la possibilité de poursuivre des études postsecondaires dans un environnement propice à l'apprentissage holistique. Chaque campus offre la présence d'un aîné masculin et féminin. La connaissance des aînés, des traditions, de la culture et de la spiritualité des Premières Nations crée un service de soutien unique pour les étudiants. Leur présence, leur sagesse et leurs conseils traditionnels constituent une base solide pour l’apprentissage à l’Université des Premières Nations. » 66 Il s’agit de l’enseignement bilingue car la méthodologie d’apprentissage des langues autochtones au niveau supérieur est insuffisante. Flaubert Takam a publié dans sa thèse des passages d’une conversation électronique avec son ami Aron Wolvengrey, le directeur du Département et coordinateur du programme de linguistique à la FNUC. Cet homme a passé l’essentiel de sa carrière à travailler pour la promotion et la revitalisation des langues autochtones, notamment celles des Prairies. « Pour le moment, nos cours sont principalement enseignés en anglais, bien que nos cours basés sur les langues contiennent beaucoup de contenu en cri, saulteaux, etc. Certains cours de deuxième année (et, espérons-le, plus en anglais) nouveaux programmes) sont enseignés par des locuteurs qui, avec une classe de locuteurs, dirigeront au moins une partie de la classe dans la langue plutôt qu’en anglais. Cependant, je dois dire honnêtement que nous n’avons toujours aucun moyen d’offrir nos cours entièrement en cri, saulteaux, etc. C’est un objectif à atteindre. » 67

65 TAKAM, Alain Flaubert. Stratégies de promotion et de revitalisation des langues minoritaires autochtones au Cameroun et au Canada. l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 207 66 First Nations University of Canada, en ligne, disponible sur : http://fnuniv.ca/, consulté le 18 novembre

67 Traduction des conversations en anglais de Mesieurs Takam et Wolvengrey, de 22 septembre 2008 : Takam, Alain Flaubert: Stratégies de promotion et de revitalisation des langues minoritaires autochtones au Cameroun et au Canada, l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 207

42 3.5.1 Les minorités linguistiques dans la Saskatchewan

La Saskatchewan se situe à la frontière ouest du Manitoba et à l'est de l'Alberta. Elle est devenue une province officielle du Canada en 1905. La capitale est Regina mais la métropole la plus grande s’appelle Saskatoon (222 189 habitants). De plus, l’Université de la Saskatchewan est située à Saskatoon. Nous aimerions d’abord parler des minorités françaises étant donné que le français est notre matière principale et qu’à l’exception des études autochtones, nous avons étudié à l’Université de la Saskatchewan les variations du français. L'héritage francophone est présent dans la Saskatchewan, témoignent d'ailleurs les noms de très nombreuses municipalités. Par exemple, au sud-ouest de Regina, on trouve les communautés de Gravelbourg et de Quimper. Directement au sud, on retrouve Saint-Victor ou encore Lisieux. Au sud-ouest, on peut aller à Montmartre ou encore à Bellegarde. Enfin, plus proche de Saskatoon, on notera aussi les petits villages de Saint-Denis, de Prud'homme, ou encore de Zénon Park. Enfin, au centre-nord de la province, on trouve des communautés ayant une population francophone comme Prince Albert, North Battleford, Debden, etc.68 L'économie de la Saskatchewan repose principalement sur l'agriculture et l'industrie forestière. Les autres activités sont l'industrie minière ainsi que la production de gaz naturel et de pétrole, ce qui fait de la Saskatchewan la deuxième province la plus productrice après l'Alberta.69 La Saskatchewan offre de nombreuses opportunités de travail dans l’agriculture. Pour cela, il y a une grande communauté ukrainienne car cette nation connait bien l’agriculture et que les conditions du travail sont plus favorables au Canada qu’en Ukraine. La langue ukrainienne est donc une des minorités linguistiques les plus importantes. En ce qui concerne le français dans la Saskatchewan, il est extrêmement minoritaire dans la Saskatchewan. En 2011, le français était parlé par 1, 6 % de la population, contre 4 %

68 PAPEN, Robert A., BIGOT, Davy. Les variétés de français de l'Ouest canadien. (Matériel de l’Université de Saskatchewan du cours French Variations across Nations and Cultures). p.11

69 Statistique Canada. Chiffres de population et des logements, Canada, provinces et territoires, recensements de 2016 et 2011 – Données intégrales (en ligne). Consulté le 30 mai. Disponible sur https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/hlt-fst/pd- pl/Tableau.cfm?Lang=Fra&T=701&SR=1&S=87&O=A&RPP=9999&PR=0&CMA=0

43 dans les années 1950. Concernant la variation linguistique, en réalité, la variété de français utilisée par les Fransaskois est surtout inspirée du français québécois standard. Le professeur de l’Université de la Saskatchewan Henri Biahé avec qui nous sommes toujours en contact a partagé les informations suivantes avec nous : « Dans la Saskatchewan, nous comptons au moins 58 langues autochtones, mais la langue autochtone la plus dynamique et que les populations cherchent le plus à préserver (pour éviter sa disparition), à promouvoir et à revitaliser (pour la rendre vivante afin que des gens puissent la parler) c'est le cri. Il y a aussi une autre langue autochtone à laquelle les chercheurs s'intéressent, notamment l'ojibwé. Mais, le cri suscite beaucoup d'intérêt et il est même enseigné dans plusieurs universités canadiennes, y compris à l'Université de la Saskatchewan.70 Il est intéressant de noter que les langues autochtones sont aussi beaucoup enseignées aux États-Unis dans six états. Aux États-Unis les langues prédominantes qui sont enseignées sont l’ojibwé et l’anishinaabe tandis qu’au Canada, les langues autochtones prédominantes qui sont enseignées sont le cri et l’ojibwé. De l’énonciation de Monsieur Biahé, nous avons aussi appris que dans la Saskatchewan, il existait une variété de langue à base de français. Il s’agit d’une langue mixte ou langue hybride qui est un mélange de cri et de français. Cette langue s’appelle le Mitchif, comme nous en avons déjà parlé dans un chapitre précèdent, mais certains chercheurs l'appellent aussi « le français mitchif ». Le Mitchif est une langue qui avait été créée par les Métis, c'est-à-dire des enfants issus de mariages ou d'unions entre des Européens (hommes) et des Autochtones (femmes). Les minorités linguistiques dans la Saskatchewan connaissent un déclin (par exemple la population francophone totale dans la Saskatchewan a considérablement diminué, passant de 4 % dans les années 1950 à moins de 2 % aujourd'hui), cette situation constitue un problème inquiétant. Les stratégies qui rendent vivantes ces minorités linguistiques sont surtout les associations qui organisent des évènements culturels, mais aussi la technologie, à travers Internet, qui joue un rôle très important.

70 BIAHÉ, Henri. Présentation de l’Université de Saskatchewan sur Concepts de sociolinguistique. (Matériel du cours French Variations across Nations and Cultures))

44 3.5.2 Les stratégies de préservation, promotion et revitalisation du français dans la Saskatchewan, la langue minoritaire

Le français dans la Saskatchewan connaît un déclin. Néanmoins, il existe plusieurs associations qui travaillent sur les stratégies de préservation, de promotion et de revitalisation. Une de ces associations est l'Assemblée communautaire fransaskoise qui joue un rôle très important pour préserver l'identité francophone. Cette association dispose d’un site Web qui joue ce rôle très important de promotion et de visibilité de la communauté francophone (https://www.fransaskois.sk.ca/). Leur accroche pour visiter leur site et pour Vivre en français dans la Saskatchewan est la suivante : « Depuis plus de 100 ans l’Assemblée communautaire fransaskoise est l’organisme porte-parole de la francophonie dans la Saskatchewan. Son rôle est d’assurer le développement de la communauté fransaskoise et d’en défendre les intérêts. Découvrez le fait français dans la Saskatchewan, accédez à son réseau associatif, découvrez les emplois en français disponibles. Voici une perspective saskatchewannaise de la dualité linguistique, l’accueil, l’établissement et de la vie en français dans la Saskatchewan. » Il s’agit donc d’une organisation de longue tradition qui cherche à préserver la langue française dans la Saskatchewan en organisant des évènements culturels mais aussi en aidant les gens à trouver du travail en français. Il y a de nombreuses offres dans les grandes villes comme Regina (la capitale), Saskatoon, mais aussi dans les municipalités moins grandes et dans le nord comme à Prince Albert. On peut par exemple y travailler en tant qu’éducateur ou éducatrice , car à Prince Albert, il y a une minorité française assez considérable. 71 On peut également y travailler en tant qu’analyste en financement agricole car environ 95 % de tous les biens produits dans la Saskatchewan dépendent directement des ressources de base de la province (céréales, bétail, pétrole et gaz, potasse, uranium et bois, et produits issus de leur transformation).72

71 FRANSASKOIS. Disponible sur : https://www.fransaskois.sk.ca/content/emploi/jobs/index/menu_id/131, Consulté le 26 juin 2019 72SASKATCHEWAN.CA Disponible sur : https://www.saskatchewan.ca/bonjour/moving-to-saskatchewan/living- in-saskatchewan, consulté le 26 juin Consulté le 26 juin 2019

45 3.6 Les technologies de l’information et de la communication comme outil de revitalisation

L’accès facile au cours linguistiques, aux produits culturels grâce aux nouvelles technologies peut aider à préserver des langues minoritaires qui sont dominées par l’anglais et par d’autres langues nationales. Grâce aux réseaux sociaux, les gens peuvent plus facilement communiquer avec les autres personnes de leur communauté, organiser des évènements etc. Les nouvelles technologies aident également beaucoup les enseignants qui peuvent offrir aux apprenants des cours numériques interactifs ou entrer en contact avec leurs apprenants en ligne et leur envoyer des matériels pédagogiques à la distance. Néanmoins, la plupart des langues autochtones n’utilise pas l’alphabet latin. Pour cela, il faut des spécialistes développant des ensembles de typographies qu’il est possible de télécharger et d’installer. 73 Marie-Odile Junker et Radu Luchian travaillent sur le développement des dictionnaires. Par exemple sur le dictionnaire thématique du cri des autres langues Algonquian :

Source: http://www.eastcree.org 1

73 JUNKER, Marie-Odile et LUCHIAN Radu. Developing Web Databases for Aboriginal Language Preservation. », Lit Linguist Computing, vol. 22, 2004. p.187-206

46

http://dictionnaire.innu-aimun.ca/Words 1

3.6.1 Deux exemples de projets au Canada

Eastcree.org Il s’agit d’un site web qui est soit en français, soit en anglais. « Ce projet de préservation prend appui sur le développement et le maintien d’une base de données intégrées sur la langue et vient renforcer des efforts de préservation déjà en œuvre dans la région où la langue cri de l’Est est la langue d’instruction jusqu’à la 3e année dans les écoles gérées par la Commission scolaire crie. » 74 Marie-Odile Junker continue : « La base de données rassemble et organise le matériel et le savoir linguistique et le rend disponible aux pédagogues. Le site web présente de nombreux outils, dont un catalogue de publications dans la langue, un forum technologique, un bavardoir syllabique cri, des dictionnaires et un atlas linguistique, ainsi que des prototypes pour des leçons et des fiches de chant et de lecture. Cependant, l’outil le plus intéressant doit être la base de données sonore composée d’enregistrements obtenus du conseil scolaire, de chercheurs et autres spécialistes linguistiques, de stations de radios et de collections privées. Celle-ci vise à remettre l’accent sur la tradition orale. » 75

74 JUNKER, Marie-Odile et LUCHIAN Radu. Op.cit. p.187-206 75 ibid, 194

47 FirstVoices FirstVoices est un projet Web visant à soutenir l'enseignement et l'archivage de la langue et de la culture par les peuples autochtones. Il est administré par le conseil culturel des peuples autochtones en Colombie-Britannique et par le gouvernement yonnais.

FirstVoices a été lancé en 2003 dans le but de contribuer à la préservation des 34 langues autochtones restantes en Colombie-Britannique. Il offre aux équipes linguistiques des communautés autochtones un espace pour archiver leurs langues en enregistrant et en téléchargeant des mots, des phrases, des chansons et des histoires dans une base de données sécurisée et centralisée. 76

FirstVoices fournit les outils suivants afin que chaque archive puisse être personnalisée pour les langues qu'elle sert :

Un alphabet fournit le jeu de caractères écrits pour une langue, avec des exemples de fichiers audio pour chaque caractère.

Un dictionnaire fournit une liste de mots, avec traductions, définitions, sons, images et vidéos.

Un livre de phrases contient un langage de conversation de tous les jours, ainsi que des fichiers texte, audio, image et vidéo associés, pour faciliter l’apprentissage des langues. 77

3.7 L’importance de la revitalisation de la tradition orale : écrire pour perpétuer la tradition orale

Un homme Inuit, Markoosie Patsauq raconte son histoire. Il s’agit de la première personne inuite ayant obtenu son permis de pilote d’avion et étant écrivain en même temps. Il raconte que l’aviation a été très difficile et qu’il leur est souvent arrivé d’être restés plusieurs jours coincés quelques part. Il en profite pour écrire. Son roman s’appelle Le harpon de chasseur et a été publié en 1969 en français et en inuktitut aux Presses de l’Université du Québec en

76 First Voices. En ligne, Disponible sur :https://www.firstvoices.com/content/get-started#info2, Consulté le 20 novembre 77 idem

48 2010. La première version de ce livre a été écrite en alphabet syllabique et est parue sous formes d’épisodes.

Markoosie Patsauq a passé sa jeunesse à vivre en nomade, dans les igloos et sous les tentes. Il se souvient avec délice de la tradition orale que ses grands-parents contaient le soir, surtout l’hiver. Markoosie Patsauq dit : « Je ne voulais pas faire partie de la dernière génération à bénéficier de ses histoires, dit-il. Il y avait tant d’histoires à raconter. Aussi, à l’époque, pour énormément de gens, c’était comme si le Nord n’existait pas. Personne ne connaissait sa réalité. Je voulais faire connaître la réalité des miens. » 78

Ce livre raconte l’histoire de chasseurs ayant été attaqués par des ours polaires. Un des chasseurs se suicide par ailleurs à la fin, ce qui n’était pas typique pour cette époque-là.

Markoosie Patsauq fait aussi partie des 19 familles inuites qui ont été déplacées par le gouvernement fédéral, dans les années 1950, à 2000 kilomètres au nord d’Inukjuak, où ils vivaient, jusqu’à Resolute Bay, dans l’Extrême Arctique. Le gouvernement fédéral souhaitait alors y assurer une présence humaine pour établir sa souveraineté sur ce territoire.79

Patsauq continue : « L’histoire de Kamik est inscrite dans ma mémoire depuis mes jeunes années, écrit Markoosie Patsauq dans la nouvelle traduction en français parue aux Presses de l’Université du Québec. Nombreux sont les enfants et les adultes qui l’ont entendue au fil des générations. Je l’ai écrite pour qu’elle reste vivante. De vastes pans de notre histoire orale se sont perdus avec le temps, ou ne sont plus transmis par ceux et celles qui possèdent cette connaissance de notre passé. J’aimerais que l’histoire de Kamik continue d’être léguée aux générations à venir. Elle fait partie intégrante de notre histoire. Elle témoigne aussi de notre passé. C’est une histoire de mon peuple. »80

78 Nunavik: écrire pour perpétuer la tradition orale, en ligne, Disponible sur : https://www.ledevoir.com/societe/525580/jongler-entre-tradition-et-modernite-3-ecrire-pour-perpetuer-la- tradition-orale, consulté le 13 novembre 79 idem 80 Nunavik: écrire pour perpétuer la tradition orale, en ligne, Disponible sur : https://www.ledevoir.com/societe/525580/jongler-entre-tradition-et-modernite-3-ecrire-pour-perpetuer-la- tradition-orale, consulté le 13 novembre

49 4 Politique linguistique par rapport aux langues autochtones : cas spécifique du Québec, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut

Nous aimerons d’abord rappeler la situation au Québec, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Nous allons nous appuyer sur l’étude d’Alain Flaubert Takam, professeur à l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse. Le Québec, les TNO (Territoires du Nord-Ouest) et le Nunavut, plus que les autres provinces et l’autre territoire, ont une politique linguistique qui favorise effectivement l’émergence des langues autochtones.81 Alain Flaubert Takam le commente ainsi : « Ils appliquent une politique linguistique qui va au-delà de celle pratiquée par le gouvernement fédéral. Ils sont aussi les seuls au Canada à avoir reconnu les droits linguistiques des autochtones de façon claire et explicite. Pour le cas du Québec, la Charte de la langue française (Loi 101) de 1977, dans son préambule, reconnaît bien aux autochtones le droit de promouvoir leurs langues. » 82 Il y est dit en effet que « L’assemblée nationale reconnaît aux Amérindiens et aux Inuits du Québec, descendants des premiers habitants du pays, le droit qu’ils ont de maintenir et de développer leur langue et leur culture d’origine. »83 L’article 87 de cette Charte autorise l’utilisation des langues autochtones dans les établissements scolaires. Elle stipule que : « Rien dans la présente loi n’empêche l’usage d’une langue amérindienne dans l’enseignement dispensé aux Inuits »84 Alain Flaubert Takam continue : « Ainsi les langues comme l’algonkin, l’attikamek, le montagnais, le micmac ou le mohawk sont officiellement introduites dans la cour de l’école. Par ailleurs, la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ), signée en 1975, et la Convention du Nord-Est québécois (CNEQ), signée en 1978, encouragent l’emploi du cri, de l’inuktitut et du naskapi à tous les niveaux d’enseignement. »85 Le chapitre 17 de la Charte de la Langue française porte sur l’éducation des Inuits, en stipulant que : « Les langues d’enseignement sont l’inuktitut et, quant aux

81 Parlant des provinces, Fettes & Norton remarquent que „Québec is the only province to have promised a certain degree of protection for Aboriginal languages in both legislation and policy“ (Fettes & Norton, 2000 :37) 82 TAKAM, Alain Flaubert. Stratégies de promotion et de revitalisation des langues minoritaires autochtones au Cameroun et au Canada. l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 166 83 Charte de la Langue française. En ligne: http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/C-11/20021001, consulté le 5 novembre 2019 84 idem 85 TAKAM, Alain Flaubert. Op.cit.. l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 167

50 autres langues, selon la pratique ayant cours dans le territoire. » 86 L’anglais et/ou le français étant, dans tous ces cas, des langues secondaires. Grâce à ces mesures linguistiques, le Québec est la province dans laquelle les langues autochtones sont les plus protégées. « Contrairement aux provinces atlantiques où 70 % d’élèves autochtones ne reçoivent aucun enseignement en leur langue, au Québec, 83 % d’élèves autochtones le font, soit somme medium d’instruction, soit comme matière, soit les deux à la fois.» 87

Selon l’article 26 de la Loi sur les langues officielles, la préservation et la revitalisation des langues autochtones est soutenue :

Loi sur les Langues officielles

Cependant, il n’est pas évident de prédire si la langue inuktitut pourrait être utilisée pour la communication officielle un jour. La preuve, bien que l’inuktitut soit l’une des LO du Nunavut et parlée par 72 % de la population, « 3000 $ sont versés (par le gouvernement fédéral) par francophone pour la prestation de services en français, tandis que seulement 55 $ par personne sont versés pour la prestation des services en inuktitut. » 88

Par ailleurs, dans les TNO et au Nunavut, les LO autochtones sont les langues vers lesquelles les textes gouvernementaux sont traduits, quand ils le sont. Les textes sont donc rarement écrits dans ces langues. « Le commissaire en conseil peut prescrire qu’une loi soit traduite après sa promulgation et qu’elle soit imprimée et publiée dans une ou plusieurs des langues officielles en plus du français et de l’anglais. » 89 Alain Flaubert Takam remarque

86 Charte de la Langue française. En ligne: http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/C-11/20021001, consulté le 5 novembre 2019 87 TAKAM, Alain Flaubert. Op.cit.. l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 160 88 Ibid, 170 89 Charte de la Langue française. En ligne: http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/C-11/20021001, consulté le 5 novembre 2019

51 que la plupart des débats oraux sont désormais menés en inuktitut au Nunavut qui est encouragé par l’Inuit Language Protection Act de 2008.90

4.1 Conservation des langues autochtones : conservation de l’identité personnelle

Selon David Crystal, linguiste, universitaire et auteur britannique, il y a plusieurs raisons fondamentales pour conserver la diversité linguistique :

1) les langues expriment l'identité

2) les langues sont des dépositaires de l'histoire

3) les langues contribuent à la somme des connaissances humaines

Crystal explique que dans chaque langue, il a une vision du passé, du présent et du futur et que quand une langue meurt, sa vision du monde meurt avec. Si le monde était une mosaïque des visions, une partie de cette mosaïque serait perdue. La langue ne transmet que des visions du passé mais elle exprime aussi les règles concernant les relations sociales ainsi que les idées sur l'art, l'artisanat, la science, la poésie, la chanson, la vie, la mort et le langage lui-même. La langue constitue le cœur de l’éducation, de la culture et de l’identité humaine.91

4.2 Apprendre une langue autochtone comme deuxième langue

Au Canada, il existe environ 50 langues individuelles ou plus appartenant à 11 familles de langues autochtones. Pour beaucoup de membres des Premières Nations, Inuits et Métis, ces langues sont au cœur de leur identité. Néanmoins, au cours des 100 dernières années ou plus, au moins dix langues jadis florissantes se sont éteintes. Toutefois, les tendances à la baisse dans la transmission intergénérationnelle des langues maternelles autochtones sont compensées dans une certaine mesure par le fait que les langues autochtones sont

90 TAKAM, Alain Flaubert: op.cit, l’Université de Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, 2009, p. 171 91 CRYSTAL, David. Language death. Cambridge: Cambridge University Press, 2000. p. 208

52 également apprises en tant que langues deuxièmes. Mary Jane Norris ajoute dans son article Emerging trends and perspectives on second language acquision que seulement un autochtone sur quatre parle une langue autochtone. Apprendre une langue autochtone en tant que deuxième langue ne peut être considéré comme un substitut à l’apprentissage de cette langue. Néanmoins, l'augmentation du nombre de locuteurs de deuxième langue fait partie du processus de revitalisation de la langue et peut contribuer dans une certaine mesure à prévenir, ou du moins à ralentir, l'érosion rapide et la possible extinction des langues en danger. En effet, l'acquisition d'une langue autochtone comme deuxième langue pourrait être la seule option offerte à de nombreuses communautés autochtones si la transmission d'un parent à un enfant n'est plus viable.92

Deuxième langue, langue étrangère, langue maternelle

Pour que nous puissions nous concentrer sur le sujet de l’Enseignement bilingue dans un contexte autochtone, nous devons clarifier ce que nous entendons par langue maternelle, langue étrangère et deuxième langue. Nous pouvons prendre pour exemple la langue française.

La langue maternelle

La langue maternelle, par extension comprise comme langue natale, désigne la première langue qu'un enfant apprend. Dans certains cas, lorsque l'enfant est éduqué par des parents ou des personnes parlant des langues différentes, il peut acquérir ces langues simultanément, chacune pouvant être considérée comme une langue natale. Il sera peut- être alors en situation de bilinguisme parental. Cependant, cet usage peut être critiqué puisque les termes de « langue natale » ou « langue parentale » sont aussi utilisés afin que soient distinguées la langue maternelle faisant référence à la langue de la mère et la langue paternelle faisant référence à la langue du père.

92 NORRIS, Mary Jane. Aboriginal languages in Canada: Emerging trends and perspectives on second language acquisition. Canadian Social Trends; Ottawa, p. 1

53 Le français langue étrangère

Le concept de langue étrangère se construit par opposition à celui de langue maternelle. Nous pouvons dire, avec Jean-Pierre Cuq (1991), que « toute langue non-maternelle est une langue étrangère à partir du moment où elle représente, pour un individu ou un groupe, un savoir encore ignoré, une potentialité, un objet nouveau d’apprentissage ». En répondant, par la négative aux critères précédemment mentionnés, on considèrera une langue comme étrangère dans les cas suivants :

 Langue n’étant pas la première dans l’ordre des appropriations, elle n’est généralement pas la langue de première socialisation. Comme elle ne couvre pas forcément le champ des situations de communication courante, elle n’est ni vitale ni même nécessaire à la construction d’un espace intersubjectif.

 Elle est constituée le plus souvent comme objet linguistique d’enseignement et d’apprentissage à travers un guidage scolaire ou institutionnel.

 Sauf à devenir « deuxième langue », elle est rarement une langue de référence pour l’apprenant.

Deuxième langue

La notion de deuxième langue a deux interprétations principales. L’une provient de la sociolinguistique anglo-saxone, conformément à laquelle une deuxième langue est simplement une langue acquise chronologiquement juste après la première, c’est-à-dire après la langue maternelle. Selon une autre interprétation, la notion de deuxième langue est englobée dans celle de langue étrangère au sens où c’est une langue autre que la langue maternelle mais qui se distingue de la langue étrangère par son statut social et, éventuellement, juridique.

La caractéristique générale de la deuxième langue est son utilisation en vue de l’intégration de son locuteur dans un groupe majoritaire dont la langue est autre que la sienne, mais la deuxième langue possède des aspects très divers, d’un côté en fonction de la situation de son utilisateur, du degré de nécessité de la deuxième langue pour celui-ci, d’un autre côté en fonction de la zone géographique où elle est utilisée.

54 Un autre trait spécifique de la deuxième langue est que celui/celle qui l’apprend le fait d’ordinaire dans un système d’enseignement et l’utilise dans la zone géographique (pays, région) où il/elle l’apprend.93

4.3 Différences entre l'apprentissage d'une langue autochtone comme première langue et comme deuxième langue

Il faut d’abord souligner que tous les peuples autochtones n’ont pas les mêmes conditions initiales concernant l’apprentissage des langues. Le contexte d'apprentissage d'une langue autochtone est différent pour les enfants Inuits et pour les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves et hors réserve, car ils sont desservis par différents types d'écoles.94 Pour les Inuits, la majorité des adultes parlent la langue et les enfants sont plus susceptibles d’arriver à l’école en parlant l’inuktitut comme première langue. Cependant, les défis auxquels sont confrontés les enfants qui parlent une langue autochtone au début de leur scolarité diffèrent de ceux qui concernent les enfants qui parlent déjà l'anglais ou le français. Selon Journal of Educational Psychology de Stephen Wright and Donald Talyor, les enfants ont de meilleurs résultats lorsque les écoles maternelles et primaires sont dispensées dans la même langue que celle qu’elles ont apprise à la maison. Contrairement aux enfants Inuits, même si certains enfants des Premières Nations commencent l'école en parlant une langue autre que le français ou l'anglais, la majorité des enfants des Premières Nations ne parlent pas de langue autochtone à l'entrée de l'école. Il est plus probable que les enfants des Premières nations apprendront une langue autochtone comme deuxième langue lorsqu'ils l'apprendront à l'école que les enfants Inuits.95

De plus, les élèves des Premières nations vivant dans les réserves risquent davantage d'être exposés à la langue et à la culture des Premières Nations que les enfants des Premières nations vivant hors réserve, car un pourcentage plus élevé de personnes vivant dans les réserves parlent une langue autochtone.

93 RAFONI. (en ligne), 2010, p. 51. Consulté le 30 octobre 2019. Disponible sur : http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:-iQsEMl2i20J:ekladata.com/hh7LLTIhDB- WlUCwcUQYnCTpPFM/Le-statut-du-francais.docx+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=ro 94 KIRKNES, Verna, BOWMAN J. Sheena. 1992. First Nations and schools: Triumphs and struggles. Toronto, ON: Canadian Education Association, p. 18 95 NORRIS, Mary Jane. Op.cit.; Ottawa, p. 3

55 Pour ces raisons, l’apprentissage d’une langue autochtone à l’école pourrait présenter des avantages plus positifs pour les enfants Inuits et les enfants des Premières nations vivant dans les réserves qui sont plus susceptibles de parler une langue autochtone lorsqu’ils commencent l’école.96 Pour cela, nous allons découvrir qu‘au Nunavik, dans le nord du Québec, des recherches ont montré que les programmes en langue inuit avaient des effets positifs sur les résultats scolaires et l’estime de soi des enfants.

4.5 Quand les compétences en deuxième langue devraient-elles être développées ?

Certains pédagogues et psychologues97 se mettent d’accord sur le fait que pour développer des compétences en deuxième langue, l’enfant doit d’abord avoir atteint un certain niveau de compétences linguistiques dans sa langue maternelle. Si ce niveau n’est pas atteint, il aura plus de difficultés à apprendre une deuxième langue. La bonne maîtrise de la langue maternelle prépare donc l’apprentissage des autres langues.

Pour son développement langagier, social et cognitif, il est impératif que l’enfant maîtrise sa langue maternelle, quelle qu’elle soit. Une bonne maîtrise de la langue maternelle aidera l’enfant à acquérir une autre langue. Le système d’éducation formel doit trouver le moyen de valoriser la langue maternelle avant d’introduire une L2 (deuxième langue).98

À la naissance, l’enfant est doté de la capacité d’acquisition de n’importe quelle langue, mais progressivement ces facultés régressent. Et passé 10-11 ans, l’enfant unilingue éprouve relativement plus de difficultés à apprendre une autre langue. Il faut donc favoriser le bilinguisme à l’école quand les élèves maîtrisent bien leur langue maternelle.99

96 Statistics Canada. 1998. 1996 Census: Aboriginal Data (Statistics Canada, catalogue 11-001E). Ottawa, ON: Minister of Public Works and Government Services. Consulté le 30 octobre 2019. Disponible sur https://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/as-sa/99-011-x/99-011-x2011001-eng.cfm Ottawa, ON: Minister of Public Works and Government Services. Consulté le 30 octobre 2019. Disponible sur https://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/as-sa/99-011-x/99-011-x2011001-eng.cfm 97 Jim CUMINS, Jim, docteur en psychologie de l’Education de l’Université d’Alberta 98 HAMMERS Josiane in GAUVIN Axel: Le créole à l’école, p. 19 99 HAMMERS Josiane in GAUVIN Axel: op.cit, p. 20

56 5 Le Nunavik au cours des années

La communauté sur laquelle portent les deux études Éducation bilingue dans un contexte autochtone: examen du transfert des compétences linguistiques de l'inuktitut vers l'anglais ou le français100 et le titre de la deuxième étude que nous allons analyser est L'éducation précoce en langues patrimoniales et le passage abrupt vers l’éducation en langues prédominantes: impact sur l'estime personnelle et collective des enfants inuits du Québec arctique101 se situe dans la région de l’Arctique québécois, connue sous le nom de Nunavik. Il est séparé de son territoire voisin le Nunavut par la baie d'Hudson. Le Nunavik (en inuktitut : ᓄᓇᕕᒃ), autrefois nommé le Nouveau-Québec, est le nom donné au territoire québécois situé au-delà du 55e parallèle nord. Faisant partie de la région du Nord-du-Québec, le Nunavik couvre un territoire d'une superficie d'environ 507 000 km2 et est composé de lacs sculptés par les glaciers, de toundra et de forêt boréale. 102 Cette vaste région subarctique comprend 14 communautés isolées. Les Inuits du Nunavik restèrent extrêmement isolés du grand public entre la société canadienne et américaine jusqu'au milieu des années 1950. Les communautés du Nunavik ne sont accessibles que par voie aérienne et restent donc relativement isolées, même aujourd'hui. La présente étude a été menée dans la plus grande des 14 communautés, dont la population de 1 400 habitants est composée d'environ 80 % d'Inuits, 12 % de francophones et 8 % d'anglophones. Dans le contexte actuel de la recherche, le français et l'anglais sont considérés comme des langues prédominantes. Le Québec, bien que situé en grande partie en Amérique du Nord anglophone, est une province francophone où la vie professionnelle et la vie familiale se déroulent essentiellement en français. Dans la communauté où la recherche a été menée, presque tous les enfants de la seule école de la communauté sont d'origine inuite et utilisent l'inuktitut à la maison.103

Taylor and Wright décrivent dans leur recherche Language attitudes in a multilingual northern community qu’ils ont trouvé des preuves de la montée du bilinguisme soustractif,

100 Traduction du titre : Bilingual education in an Aboriginal context: examining the transfer of language skills from Inuktitut to English or French 101 Traduction du titre : Early Heritage-language Education and the Abrupt Shift to a Dominant-language Classroom: Impact on the Personal and Collective Esteem of Inuit Children in Arctic Québec 102 http://www4.rncan.gc.ca/recherche-de-noms-de-lieux/unique/ENBJA, consulté le 10 novembre 103 TAYOLR, D.M. and WRIGHT, S.C. Language attitudes in a multilingual northern community. Canadian Journal of Native Studies 9, 1989, p. 85

57 ce qui signifie que les membres de la communauté inuite, en particulier ceux âgés de moins de 25 ans, apprenaient les langues dominantes aux dépens de l'inuktitut. De plus, l'inuktitut était principalement utilisé à la maison et lors d'activités traditionnelles comme la chasse et la pêche. Cependant, la langue prédominante sur le lieu de travail était le plus souvent l'anglais et / ou le français. En réponse à ces questions, Taylor et Wright ont interrogé les villageois inuits sur l'avenir de leur langue. Les enquêtés s'inquiètent de la survie de l'inuktitut et s'entendent clairement pour dire qu'il incombe aux parents et à l'école d'assurer la vitalité continue de la langue. 104

5.1 Les types de bilinguisme

Nous allons d’abord présenter les différents types de bilinguisme avant de présenter les études sur cela au Nunavut :

Bilinguisme précoce Il en existe deux types : le bilinguisme précoce simultané et le bilinguisme précoce consécutif (ou successif).

Le bilinguisme précoce simultané désigne habituellement la situation d’un enfant qui apprend deux langues en même temps, dès la naissance. Cela produit généralement un bilinguisme fort, appelé bilinguisme additif. Cela veut aussi dire que le développement langagier de l’enfant est bilingue.

Le bilinguisme précoce successif désigne habituellement la situation d’un enfant qui a déjà partiellement acquis une première langue et en apprend une deuxième tôt durant l’enfance, par exemple parce qu’il déménage dans un milieu où la langue prédominante n’est pas sa langue maternelle. Cela produit généralement un bilinguisme fort (ou bilinguisme additif), mais il faut lui donner le temps d’apprendre cette deuxième langue, car il l’apprend en même temps qu’il apprend à parler. Cela veut aussi dire que le développement langagier de l’enfant est en partie bilingue.

104 TAYOLR, D.M. and WRIGHT, op.cit., p. 86

58 Bilinguisme additif et bilinguisme soustractif Le bilinguisme additif désigne la situation où une personne a acquis ses deux langues de manière équilibrée. Il s’agit d’un bilinguisme fort.

Le bilinguisme soustractif désigne la situation où une personne apprend la deuxième langue au détriment de la langue première, particulièrement si la langue première est minoritaire. La maîtrise de la langue première diminue, alors que la maîtrise de l'autre (généralement la langue prédominante) augmente. Ces expressions et les notions qui leur sont associées ont été créées par le chercheur canadien Wallace Lambert, à qui on a accordé le titre de « père de la recherche sur le bilinguisme » 105

5.2 Pourquoi se concentrer sur le Nunavik et la langue Inuktitut ?

La présente recherche répond aux préoccupations exprimées aux auteurs, Esther Usborne, Julie Caouette, Qiallak Qumaaluk et Donald M. Taylor, par les membres de la communauté, en particulier par les aînés Inuits, préoccupés par la survie de leur langue. Ces membres de la communauté se tournent vers la seule école de la communauté et son programme bilingue pour aider à éduquer les Inuits qui maîtrisent à la fois leur langue d'origine et une langue prédominante. En effet, l’école est au cœur de la communauté et représente plus qu’un simple établissement d’enseignement, mais aussi un lieu de rassemblement et un employeur pour de nombreux membres respectés de la communauté, ce qui en fait un lieu où la langue et la culture de la communauté doivent être transmises aux jeunes générations. De plus, l'inuktitut au Nunavik a été décrit comme l'une des trois, parmi plus de 50 langues autochtones, offrant un potentiel de survie à long terme. Le maintien de la force de la langue inuktitut est donc devenu une préoccupation majeure pour les Inuits du Nunavik, car la survie de leur langue d'origine et de leur existence culturelle est en jeu. 106

105 Fédération des parents francophones en Colombie-Britannique. http://developpement- langagier.fpfcb.bc.ca/fr/bilinguisme-types-de-bilinguisme. En ligne. Consulté le 9 novembre 106 FOSTER, M. Indigenous languages: Present and future. Language and Society, 1982, p.14

59 5.3 Comment l’éducation évolue au Nunavik

Les autochtones contrôlent l'éducation au Nunavik depuis plus de 20 ans et le processus est loin d'être terminé. Les éducateurs et les décideurs du Nunavik sont maintenant mieux placés pour faire une pause et réfléchir aux conséquences de l'autonomisation de l'éducation autochtone. Donald Taylor, professeur de l’Université de McGill souligne : « Leur vision, qui est celle où les étudiants développeront un bilinguisme complet et un biculturalisme, doit néanmoins faire face aux véritables défis posés par la nécessité de former des enseignants autochtones et de développer des programmes et matériels autochtones, parmi de nombreux autres défis. » 107

Certains universitaires comme par exemple Jim Cummins, docteur en psychologie de l’Education de l’Université d’Alberta déjà cité auparavant, ont fait valoir qu’une utilisation accrue de la langue d’origine à l’école constituait un remède nécessaire contre la sous- performance scolaire persistante chez les enfants des minorités linguistiques. 108

6 Les programmes bilingues au Nunavik : deux défis essentiels

Les communautés inuites du Nunavik dans l'Arctique québécois ont tenté de concevoir un programme d'éducation bilingue qui favorisera l'expertise dans la langue et la culture du patrimoine inuit (Inuktitut), mais préparera également les étudiants à participer à l'enseignement supérieur dans l'une des deux langues dominantes, l'anglais ou le français. Aujourd'hui, les peuples autochtones se battent pour la survie de leur langue dans le contexte de la mondialisation. Tout en cherchant à maintenir et à renforcer leur langue d'origine autochtone, ils s'efforcent également de maîtriser la langue prédominante, car c'est cette langue puissante qui leur permettra de participer pleinement à la société. Les peuples autochtones doivent ensuite relever deux défis essentiels: (1) renforcer ou, dans certains cas, reconstruire leur langue patrimoniale et en assurer la survie; et (2) devenir des utilisateurs experts de la langue prédominante.

107 Taylor, D.M. and Wright, op.cit., p. 91 108 CUMMINS, Jim. Docteur en psychologie de l’Education de l’Université d’Alberta. Empowering minority students: A framework for intervention. 1986. Harvard, Educational Review 56: 18 36 d’Alberta

60 Baker constate : « Bien que l'on croyait autrefois que ces objectifs étaient mutuellement exclusifs, on pense maintenant qu'ils peuvent être atteints simultanément. Les chercheurs ont fait valoir que, dans le cas des langues menacées, l’enseignement bilingue est l’un des principaux moyens de produire davantage de locuteurs de langues patrimoniales. » 109

Nous aimerons donc présenter deux études différentes de collectif des auteurs : Esther Usborne, Julie Caouette, Donald M. Taylor, professeurs du Département de la Psychologie de McGill University à Montreal et de Qiallak Qumaaluk, professeur de Kativik School Board à Montréal (étude 1) et de collectif des auteurs : Évelyne Bougie, Stephen C. Wright et Donald M. Taylor (étude 2) car la présupposition de ces études correspond avec la problématique principale de notre mémoire : Enjeux de l'enseignement et de la préservation des langues autochtones. La présupposition de ces études est la suivante : « L’enseignement bilingue est considéré comme l’un des principaux moyens de gérer simultanément la revitalisation de la langue menacée et la préparation des élèves à réussir dans la société. » 110 Cependant, peu de recherches ont porté sur des programmes bilingues dans des contextes autochtones, dans un contexte complexe et longitudinal. Néanmoins, ce collectif des auteurs présente une étude longitudinale - un programme de recherche de 12 ans qui examine les étudiants inscrits à un programme bilingue anglais / français et inuktitut. Le titre de la première étude est Éducation bilingue dans un contexte autochtone: examen du transfert des compétences linguistiques de l'inuktitut vers l'anglais ou le français111 et le titre de la deuxième étude que nous allons analyser est L'éducation précoce en langues patrimoniales et le passage abrupt vers l’éducation en langues prédominantes: impact sur l'estime personnelle et collective des enfants inuits du Québec arctique.112 Nous allons nous intéresser aux parties de ces études qui discutent des problématiques suivantes :

109 BAKER, C. Foundations of bilingual education and bilingualism, 4th ed. Clevedon, UK:Multilingual Matters, 2006, p.13

110 T and F online. Disponible sur: https://www-tandfonline- com.cyber.usask.ca/doi/full/10.1080/13670050802684388, consulté le 22 novembre 111 Traduction du titre : Bilingual education in an Aboriginal context: examining the transfer of language skills from Inuktitut to English or French 112 Traduction du titre : Early Heritage-language Education and the Abrupt Shift to a Dominant-language Classroom: Impact on the Personal and Collective Esteem of Inuit Children in Arctic Québec

61 - Est-il possible de transférer les compétences linguistiques de la langue d'origine vers la langue principale et inversement ? - L'utilisation de la langue d'origine affectera-t-elle l'apprentissage de l'anglais ou du français ? - Comment le passage de l'enseignement de la langue d'origine à l'enseignement de la deuxième langue affecte-t-il l'estime de soi des enfants et quel est le meilleur moment pour ce passage ? - Quelles formes de programmes bilingues sont-elles offertes par les écoles du Nunavik ?

6.1 L’étude 1 : Éducation bilingue dans un contexte autochtone: examen du transfert des compétences linguistiques de l'inuktitut vers l'anglais ou le français

Cette étude représente un programme de recherche de 12 ans portant sur les étudiants inscrits à un programme bilingue anglais / français inuktitut. Cette étude examinera dans quelle mesure un programme bilingue semble prometteur pour le maintien de la langue autochtone, en l'occurrence l'inuktitut, et pour l'acquisition d'une langue prédominante, soit l'anglais ou le français.

Dans l'une des précédentes recherches effectuées en 2000, les auteurs Wright, Taylor et Macarthur ont comparé des étudiants inuits d'un programme d'immersion en inuktitut avec des étudiants inuits inscrits dans un programme en deuxième langue seulement. Les chercheurs ont non seulement démontré que les étudiants en immersion inuktitut bénéficiaient du programme en ce qui concerne leur maîtrise des langues traditionnelles et du patrimoine, mais ils ont également constaté que les étudiants éduqués uniquement dans leur deuxième langue étaient comparativement faibles dans ces deux langues. Ces résultats soulignent l’importance primordiale de l’enseignement des langues d’origine pour le développement de compétences linguistiques globales supérieures. 113

113 WRIGHT, S.C., TAYLOR, D.M. and MACARTHUR, J. Subtractive bilingualism and the survival of the Inuit language: Heritage- versus second-language instruction. Journal of Educational Psychology 92, 2002., p. 65

62 Ces résultats semblent quelque peu contre-intuitifs, car la logique pourrait imposer que si un élève est exposé à l’enseignement dans une langue, ses compétences dans une autre langue en souffriront nécessairement. En revanche, Cummins plaide en faveur de ce qu’il appelle l’hypothèse de l’interdépendance: « Dans la mesure où l’instruction dans une langue minoritaire permet de développer efficacement les compétences académiques dans la langue de la minorité, cette compétence est transférée dans la langue de la majorité, dans la mesure où elle est suffisamment exposée et motivée pour apprendre la langue. » 114

6.1.1 Le transfert entre langues - Hypothèse d’interdépendance de Cummins

L’hypothèse d’interdépendance de Cummins est étayée par des recherches explorant le transfert de compétences d’une langue à une autre. Plus précisément, il existe des preuves d’un transfert entre langues dans des processus d’alphabétisation spécifiques. Durgunoğlu passe en revue des recherches démontrant que la conscience phonologique, la conscience syntaxique et même la conscience fonctionnelle sont corrélées entre les langues.115 Ces résultats impliquent qu'une conscience métalinguistique commune est utilisée pour toutes les tâches dans différentes langues. Même les compétences dans les langues avec deux systèmes d'écriture très distincts, tels que le chinois et l'anglais se sont révélées être liées. Par exemple, Wang, Cheng et Chen constatent que : « La connaissance morphologique de l'anglais contribuait à la lecture et à la compréhension en chinois de caractères, suggérant que la connaissance des plus petites unités de signification d'une langue pouvait être transférée dans une autre langue très différente. » 116

6.1.2 Les hypothèses 1) Croissance linguistique : après la transition de l'enseignement en inuktitut à l'anglais ou au français, les élèves connaîtront des améliorations significatives dans les langues prédominantes. Les élèves peuvent également constater une amélioration de leurs

114 CUMMINS, J. 1986. Empowering minority students: A framework for intervention. Harvard Educational Review 56: 18 36 115 DURGUOğLU, A.Y. 2002. Cross-linguistic transfer in literacy development and implications for language learners. Annals of Dyslexia 52: 189 204.

116 WANG, M., CHENG, C. and CHEN, S-W. Contribution of morphological awareness to Chinese English biliteracy acquisition, Journal of Educational Psychology, .2006, 98: 542 53.

63 compétences linguistiques en langue d’origine compte tenu de l'utilisation répandue de cette langue dans la communauté. Cependant, nous nous attendons à ce que les gains dans la langue d'origine soient moins spectaculaires que les améliorations apportées dans les langues traditionnelles.

2) Prédiction des compétences dans la deuxième langue : les compétences en inuktitut en 3e année devraient être transférées aux compétences dans la deuxième langue en 4e année 3) Prévision du développement des compétences en inuktitut : En ce qui concerne les compétences en inuktitut, nous ne prévoyons pas qu’aucune instruction en deuxième langue ne soit dispensée avant la 3e année. La maîtrise de cette langue n’aurait pas été suffisamment développée pour que le transfert se produise.

Dans l’analyse actuelle, nous avons défini les compétences linguistiques comme les résultats d’une batterie de tests d’habiletés linguistiques réalisés à l’école avec des élèves de 3e année. Bien qu’elle soit réalisée à l’école, la batterie de tests a été conçue pour être un vaste test des compétences conversationnelles et des compétences linguistiques qui sont utilisées au niveau quotidien. Les tests ont été développés par une équipe de chercheurs inuits, anglophones et francophones : par des enseignants, des membres de la communauté et d'employés de la commission scolaire.

6.2 L’étude 2

La présente recherche porte sur la question de savoir si l’enseignement précoce de la langue d’origine servira de protection contre les conséquences potentiellement négatives de la submersion tardive dans la classe de culture dominante. Qu’arrive-t-il à l’estime de soi personnelle et collective des enfants inuits lorsque ceux-ci changent brusquement d’inuktitut à l’enseignement dominant en langue seconde et d’inuits à des enseignants de Qallunaat (terme inuit pour les Blancs) ? Est-ce que les avantages de l'enseignement précoce de la langue de d’origine sur l'estime personnelle et collective des enfants des minorités

64 seront perdus ? Les résultats pourraient avoir d'importantes répercussions sur la réussite scolaire des enfants inuits, ainsi que sur l'érosion potentielle de la langue inuktitut au Nunavik. Selon l’étude de Taylor La quête de l'identité: des groupes minoritaires à la génération entière117 de 2002, lorsque la survie d'une culture est en jeu, il est essentiel de conserver une estime de soi collective positive, car elle détermine en grande partie la mesure dans laquelle les enfants inuits parleront leur langue d'origine et favoriseront leur propre culture à l'avenir. Une langue - et par extension une culture - ne peut exister que s'il existe une communauté pour la parler et la transmettre. 118

Cette recherche a examiné l’impact du passage abrupt d’une éducation en langue du patrimoine à une éducation en langue prédominante sur l’estime de soi personnelle et collective des enfants inuits. Plus précisément, la question suivante a été abordée : l'éducation précoce en langue d’origine servira-t-elle d'inoculation contre l'impact négatif potentiel d'être immergée dans un environnement dominant en langue seconde ou ne fera- t-elle que retarder l'impact négatif de cette immersion ?

Les auteurs de cet article, Stephen Wright et Donald Taylor constatent que la communauté nordique est idéale pour une telle recherche. Premièrement, la taille et l’isolement géographique de la communauté améliorent considérablement l’homogénéité des expériences sociales des enfants en dehors de la classe. 119

6.2.1 Formes de l’éducation bilingue

L'éducation bilingue est un terme large qui englobe un certain nombre de formes très différentes. De manière générale, une dimension importante distingue les formes « faible » et « forte » d’enseignement bilingue.

L’éducation bilingue peut prendre diverses formes, allant de programmes de transition à des programmes bilingues. À un bout du spectre, les programmes bilingues de transition,

117 Traduction du titre: The Quest for Identity: From Minority Groups to Generation, Taylor, D.M. (2002), Praeger Publications 118 NETTLE, B. and ROMAINE, Vanishing Voices: The Extinction of the World’s Languages.Toronto..2000. Oxford University Press

119 TAYOLR, D.M. and WRIGHT, S.C Early Heritage-language Education and the Abrupt Shift to a Dominant- language Classroom: Impact on the Personal and Collective Esteem of Inuit Children in Arctic Québec. Canadian Journal of Native Studies 9, 1989, p. 85

65 également appelés formes « faibles » d’enseignement bilingue, ont des connotations assimilationnistes, dans le but de faire passer l’enfant de la langue de la minorité patrimoniale à la langue majoritaire dominante aussi rapidement que possible. D’autre part, les programmes bilingues « forts » ou à double sens visent à étendre l’utilisation de la langue patrimoniale dans la perspective de la diversité culturelle et linguistique. Basé sur un examen approfondi, Baker documente les effets positifs pour les enfants participant à de tels programmes de langue héritage « forts », notamment des résultats indiquant que les étudiants inscrits à des programmes de langue d’origine apprennent la langue principale, l'anglais, à un niveau comparable à celui de leurs pairs inscrits aux programmes uniquement en anglais. 120

6.2.2 La méthode

L'étude utilisait un plan longitudinal composé de deux occasions de tests : une au début et une à la fin de la 3e année (première année d'enseignement dominant de la deuxième langue). L’échantillon final comprenait 81 enfants (39 garçons et 42 filles), dont 71 Inuits et 10 du double patrimoine - Inuits et Blancs.

6.2.3 La procédure et les matériaux

Les mesures de l'estime de soi personnelle et collective ont été incluses dans une batterie de tests comprenant des mesures du langage, de l'arithmétique et de la capacité spatiale. La tâche d’estime de soi était gérée dans la langue maternelle des enfants par un testeur co- ethnique. Les enfants ont été retirés de leurs classes pendant les heures de cours et ont été testés individuellement dans un endroit calme. Chaque enfant a été évalué deux fois, une au début de l’année scolaire à l’automne de la 3e année et une autre fois à la fin de l’année scolaire au printemps de la 3e année.

Donald Taylor le décrive ainsi : « On a montré à chaque enfant une série de neuf photographies « tête et épaule » d’enfants ayant à peu près le même âge que le participant.

120 BAKER, C. Op.cit. 4th ed. Clevedon, UK:Multilingual Matters, 2006, p.120

66 Chaque série de photos comprenait quatre enfants blancs (deux garçons et deux filles) et quatre enfants inuits (deux garçons et deux filles), ainsi qu'une photo au Polaroid de l'enfant testé, prise à son arrivée à la salle d'examen. Les huit enfants cibles sur les photos n'étaient pas connus des participants et avaient été appariés par quatre évaluateurs adultes blancs et quatre évaluateurs adultes inuits. L'enfant a été invité à trier les photos neuf fois en fonction de différentes caractéristiques. Lors de chacun de ces essais de tri, les testeurs ont utilisé la requête standard suivante : ‘Choisissez tous les enfants intelligents, gentils, heureux, bons à beaucoup de choses, avec beaucoup d'amis, aimant aller à l'école, etc., et mettez-les ici. Laissez tous les enfants qui ne sont pas intelligents, pas gentils, pas heureux, pas bons à beaucoup de choses ; n’ai pas beaucoup d’amis, n’aime pas aller à l’école, etc. ici’. Avant chaque essai, le testeur a mélangé les photographies et les a placées au hasard devant l'enfant. » 121

6.2.4 L’évaluation

L’estime de soi personnelle a été mesurée par la fréquence à laquelle les enfants sélectionnaient leur propre photo en réponse aux six attributs positifs. Deux mesures d’estime de soi collective ont été utilisées. La première consistait à combiner l’évaluation du groupe ethnique par les enfants et leur évaluation du groupe ethnique. La fréquence à laquelle les enfants sélectionnaient les membres de leur propre groupe ethnique en réponse aux attributs positifs était utilisée comme mesure de leur évaluation générale de leur groupe ethnique. De même, la manière dont les enfants sélectionnaient et excluaient les membres du groupe externe permettait de mesurer leur évaluation générale du groupe ethnique.

Frances E. Aboud, professeur de la psychologie de l’Université de McGill à Montréal dit : « Pour que les enfants aient une impression évaluative de leur identité collective, il est d'abord nécessaire qu'ils détiennent une auto-identification ethnique, c'est-à-dire le sens de soi en tant que membre d'un groupe ethnique. »122

121 WRIGHT, Taylor, BOUGIE, op. cit., p. 12 122 ABOUD,F.E., The development of ethnic self-identification and attitudes. Newbury Park, CA, 1987

67 6.2.5 Les résultats

Les preuves indiquent que les locuteurs de langue minoritaire bénéficient d'un enseignement précoce dans leur langue d'origine. Cette étude montre que l’utilisation de la langue patrimoniale des enfants inuits comme langue d’enseignement au cours des premières années d’école avait un impact positif sur leurs capacités en matière de langue patrimoniale. Plus précisément, les résultats ont montré que l'enseignement en inuktitut était associé à un développement accru des compétences linguistiques en inuktitut chez les enfants inuits, tandis que l'enseignement exclusivement dans une deuxième langue dominante (français ou anglais) était associé à des niveaux de compétence inférieurs en inuktitut. Les enfants inuits instruits dans leur langue d'origine ont acquis un niveau de compétence linguistique qui leur permettrait d'utiliser la langue inuktitut pour résoudre des problèmes mentaux complexes. Par contre, les enfants inuits instruits dans une deuxième langue dominante, tout en conservant la capacité de mener des conversations simples, étaient de moins en moins capables de fonctionner au plus haut niveau en inuktitut. 123

En outre, l'hypothèse courante selon laquelle l'utilisation de la langue d'origine aurait nécessairement un effet négatif sur l'acquisition de compétences en anglais (ou en français) a été remise en question. Au contraire, il a été prouvé que l’instruction en langue d’origine pouvait améliorer les performances en anglais à long terme. En outre, Cummins a démontré que les élèves de la minorité linguistique enseignés dans leur langue d'origine (l'espagnol, par exemple) pendant toute ou partie de la journée scolaire se comportaient aussi bien en anglais que les élèves comparables totalement instruits en anglais. 124 Baker dit aussi que de nombreux enfants de langue minoritaire instruits dans leur deuxième langue dominante ne parviennent donc pas à atteindre leur plein potentiel. En plus de l'échec scolaire, il y a aussi des effets sur la santé psychologique: l'enfant peut développer un manque de confiance en

123 TAYOLR, D.M. and WRIGHT, S.C. BOUGIE, Early Heritage-language Education and the Abrupt Shift to a Dominant-language Classroom: Impact on the Personal and Collective Esteem of Inuit Children in Arctic Québec. Canadian Journal of Native Studies 9, 1989, p. 26 124 CUMMINS, J. 1986. Empowering minority students: A framework for intervention. Harvard Educational Review 56: 18 36

68 soi, une faible estime de soi, une aliénation ou une désaffection de la part de l'école. De toute évidence, un tel état psychologique ne favorise pas un apprentissage efficace. 125

7 Résumé de ces études

En résumant ces deux études, nous avons appris quelles sont les manières efficaces pour préserver la langue Inuktitut au Nunavik, la région de l’Arctique québécois. La langue Inuktitut est décrite comme l’une des trois langues, parmi plus de 50 langues autochtones pouvant potentiellement survivre. Selon certains pédagogues et psychologues, l’enfant doit d’abord avoir atteint un certain niveau de compétences linguistiques dans sa langue maternelle avant apprentissage de la deuxième langue. Sinon, on peut parler de bilinguisme soustractif si une personne apprend une deuxième langue au détriment de la première langue, particulièrement si la première langue est minoritaire. La maîtrise de la première langue diminue, alors que la maîtrise de l'autre (généralement la langue dominante) augmente. Et c’était souvent le cas au Nunavik. Plusieurs programmes bilingues ont été donc mis en place pour que les élèves développent d’abord des compétences linguistiques globales supérieures en leur langue maternelle qui peuvent être transmises en deuxième langue selon cette hypothèse de Cummins (1986) : « Dans la mesure où l’instruction dans une langue minoritaire permet de développer efficacement les compétences académiques dans la langue de la minorité, cette compétence est transférée dans la langue de la majorité, dans la mesure où elle est suffisamment exposée et motivée pour apprendre la langue. »

Ces recherches soutiennent l’hypothèse d’interdépendance de Cummins et, par extension, l’ensemble de la logique de l’éducation bilingue. Il a été démontré que les compétences précoces dans la langue d'origine sont liées aux compétences dans une deuxième langue socialement dominante au cours des dernières années. Plutôt que de ramener l’enfant dans son apprentissage de la deuxième langue, comme l’intuition pourrait le suggérer, s’appuyer sur une base solide en inuktitut permet de prédire la force future plutôt que la faiblesse d’une deuxième langue. De plus, même si les étudiants apprenaient entièrement en inuktitut pendant les trois premières années de leur éducation, les compétences dans leur

125 BAKER, C. op.cit., 4th ed. Clevedon, UK:Multilingual Matters, 2006. p.26

69 deuxième langue se rattrapent à un niveau similaire en inuktitut après seulement trois années d'enseignement de la deuxième langue. Fait important, en utilisant une analyse longitudinale, nous avons constaté que le transfert de compétences linguistiques n’est pas bidirectionnel. Autrement dit, le transfert semble passer de la langue d'origine à la deuxième langue, mais pas l'inverse. La compétence dans une deuxième langue en 3e année ne permettait pas de prédire les compétences en inuktitut les années suivantes. Cela peut être dû au fait que les élèves n’avaient pas appris une deuxième langue lors des premières années de l’enseignement, ce qui signifie qu’ils n’avaient pas atteint le niveau de compétence académique supérieur dans cette langue, qui est nécessaire au transfert.

En résumé, l’enseignement précoce de la langue du patrimoine dans les communautés de langue minoritaire et autochtones peut être essentiel dans la mesure où il contribue au maintien de la langue du patrimoine. Il favorise la maîtrise de la deuxième langue dominante (par le biais du transfert linguistique) et peut-être surtout, favorise une image de soi personnelle et collective positive. En effet, l'estime des étudiants pourrait être encore améliorée si l'utilisation de la langue d'origine était étendue au-delà des premières années.

Néanmoins, comme dans de nombreux contextes autochtones, il est très difficile de concevoir et de mettre en œuvre un programme bilingue intégrant la langue du patrimoine en tant que composante significative et continue du programme d’études. En effet, dans la communauté inuite sur laquelle se fondent ces recherches, il est difficile pour le conseil scolaire de générer du matériel en inuktitut au-delà de la 3e année et encore plus difficile de trouver des enseignants inuits formés pour continuer à enseigner après la 3e année. Les scores en inuktitut sont les meilleurs après la troisième année et il n’y a pas eu d’amélioration significative des scores en inuktitut au cours des 12 années de l’étude. Un tel programme transitoire peut envoyer le message implicite potentiellement dangereux que sa propre langue patrimoniale n’est fonctionnelle que dans les premières années et que c’est la deuxième langue nécessaire pour les études secondaires et au-delà.

D'après les résultats, l'éducation aux langues d’origines semblerait être essentielle dans le contexte autochtone. Cependant, pour qu'un programme bilingue maintienne et renforce une langue autochtone, le programme bilingue doit être « fort ». Peut-être qu'avec l'inclusion continue de la langue d'origine en tant que composante significative du programme pendant toutes les années de scolarité, une communauté sera en mesure

70 d'atteindre le double objectif de renforcer et d'étendre sa langue maternelle tout en préparant ses jeunes à réussir dans la société en général.

La solution idéale serait alors que l’instruction en langue patrimoniale ne s’arrête pas brusquement au milieu de l’école élémentaire, mais plutôt qu’elle continue à être utilisée pour une partie du programme scolaire. Cependant, l'un des plus grands défis consiste à former les enseignants autochtones et à élaborer le programme et le matériel pédagogique pour les autochtones.

8 Le transfert entre langues Inuktitut et anglaise en acquisition bilingue : l'omission du sujet

Nous aimerons nous concentrer sur une autre recherche des professeurs de l’Université McGill et de l’Université de Boston, notamment d’Elisabeth E. Zwanziger et de Shanley E.M.Allen.

Des recherches antérieures menées avec d'autres couples de langues ont montré que la morphosyntaxe d'une langue pouvait influer sur le développement de la morphosyntaxe dans l'autre langue.

La plupart de ces recherches se concentrent sur les combinaisons de langues romanes-germaniques à l'aide d'études de cas. Dans cette étude, l'auteur examine un couple de langues (anglais-inuktitut) avec des structures morphosyntaxiques radicalement différentes. Paradis et Genesee appelle ce phénomène un transfert et le définit comme « l’incorporation d’une propriété grammaticale d’une langue à l’autre » 126. Susanne Döpke, de l’Université de Monash en Australie, qualifie le transfert de « structure d’acquisition inhabituelle » uniquement dans la langue des enfants bilingues ». 127

Cette recherche présente des preuves de l'omission de sujets dans la langue de jeunes enfants bilingues Inuktitut-Anglais. Les résultats contribuent à la littérature sur l'influence interlinguistique car les deux langues à l'étude appartiennent à des familles de langues

126 PARADIS, J. and GENESE, F. Syntactic acquisition : autonomous or interdependent? Studies in Second Language Acquisition. 1998, 18, p. 1–25 127 DÖPKE, S. Is the simultaneous acquisition of two languages in early childhood equal to acquiring each of two languages individually ? Annual Child Language Research Forum. Stanford Linguistic Forum.1997, 95–113

71 différentes et présentent des typologies linguistiques radicalement différentes: l'anglais de la famille indo-européenne et l'inuktitut de la famille Eskimo-Aléout.

Döpke rapporte que les enfants australiens apprenant l'anglais et l'allemand ont simultanément sur-généralisé l'ordre V-O (verbe-objet) de l’anglais et qu’ils appliquent cela en allemand. L'allemand utilise les ordres de mots V-O et O-V selon la complexité de l'énoncé. Döpke affirme que les enfants étaient enclins à trop généraliser l'ordre des mots V- O en allemand, parce que cet ordre était renforcé à la fois par des phrases simples allemandes et anglais qu'ils entendent souvent.128

Hulk & Müller soutiennent que l'influence interlinguistique est susceptible de se produire lorsque deux conditions sont remplies : (1) il existe une interface entre deux modules de grammaire (tels que la pragmatique et la syntaxe) et (2) les deux langages se superposent à la surface niveau. 129

8.1 Le sujet nul

Un sujet nul est l'absence d'un sujet dans une phrase. Dans la plupart des cas, ces phrases tronquées ont un sujet implicite ou supprimé qui peut être déterminé à partir du contexte.

« Un sujet est normalement essentiel dans la structure de phrase anglaise - à tel point qu'un sujet factice doit parfois être introduit : “It is raining! “ (Il pleut). Cependant, les sujets sont généralement absents des phrases impératives “Listen! “ (Écoute !) et peuvent être éludés dans un contexte informel „See you soon." (Á bientôt).130

Le phénomène sujet nul est parfois désigné par l’anglais « subject drop ». Dans l'article intitulé « Grammaire universelle et apprentissage et enseignement des langues secondes », Vivian Cook souligne que certaines langues (telles que le russe, l'espagnol et le chinois) permettent d’avoir des phrases sans sujets et sont appelées langues « pro-drop ». Les

128 DÖPKE, S. op.cit. Annual Child Language Research Forum. Stanford Linguistic Forum.1997, 95–113. 129 HULK, A. and MÜLLER, N. Bilingual first language acquisition at the interface between syntax and pragmatics. Bilingualism : Language and Cognition, 2000.p. 227–44 130 CHALKER, Sylvia and WEINER, Edmund, en ligne, Oxford Dictionary of English Grammar. Oxford University Press, 1994, disponible sur: https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/acref/9780192800879.001.0001/acref-9780192800879, consulté le 13 novembre

72 langues comme l'anglais, le français et l'allemand, n'autorisent pas les phrases sans sujets et sont appelées des langues « non-pro-drop ». 131

Elisabeth E. Zwanziger étudie dans cette étude l'omission du sujet chez six enfants bilingues anglais-Inuktitut simultanés afin de déterminer s'il existe des influences interlinguistiques dans leur développement linguistique. Selon l'expérience de Susanne Döpke, l'utilisation du sujet chez des enfants bilingues apprenant l'inuktitut (pro-drop) et l'anglais (non-pro-drop) est particulièrement intéressante, car cette paire de langues correspond aux critères de Hulk & Müller et fournit ainsi un cas de test supplémentaire de leurs hypothèses. Elle précise : « (1) l’omission de sujets en anglais et en inuktitut est déterminée à la fois par la syntaxe et la pragmatique, et (2) une langue (l’inuktitut) fournit la preuve de l’option de sujets nuls qui semble être autorisée dans l’autre langue (anglais), même si elle est très restreinte. » 132 En cas d'influence interlinguistique, elle prévoie que l'exposition à l'inuktitut, qui octroie des licences pro-drop, augmentera considérablement le taux initial de chute pro en anglais chez les enfants bilingues inuktitut-anglais.

8.2 Caractéristiques typologiques de l'anglais et de l'inuktitut

8.2.1 Langue anglaise

L'anglais fait partie de la famille des langues indo-européennes. Il présente l'ordre des mots SVO et est un langage morphologiquement analytique (isolant) ; un mot contient généralement un ou deux morphèmes. L'anglais exige des sujets sententiels déclarés, n'autorisant l'omission du sujet que dans certains cas d'usage courant et dans l'impératif. Elisabeth E. Zwanziger ajoute : « L'ordre des mots en anglais est typiquement SVO dans les énoncés, et dans les interrogatifs, le sujet et le verbe peuvent être inversés, plaçant le sujet en deuxième position après le verbe. Les sujets anglais à la première et à la deuxième

131 CHALKER, Sylvia and WEINER, Edmund, en ligne, Oxford Dictionary of English Grammar. Oxford University Press, 1994, disponible sur: https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/acref/9780192800879.001.0001/acref-9780192800879, consulté le 13 novembre 132 ZWANZIGER, Elisabeth E., SHANLEY E. M. Allen, Crosslinguistic influence in bilingual acquisition:subject omission in learners of Inuktitut and English, p. 4

73 personne (singulier et pluriel) ne peuvent être représentés que par des pronoms. Les sujets à la troisième personne (singulier et pluriel) peuvent être représentés par un sujet lexical (nom complet), pronominal ou démonstratif. »133

8.2.2 Langue inuktitut

L’inuktitut appartient à la famille des langues esquimaudes et possède un ordre des mots SOV. Langage polysynthétique (ou incorporant), l'inuktitut possède un système d'inflexion riche, avec des mots typiques contenant entre deux et dix morphèmes. En inuktitut, les sujets ne sont le plus souvent pas représentés comme des éléments lexicaux indépendants, mais par des inflexions verbales indiquant une personne et un nombre. L'ordre des mots typique en inuktitut est SOV, mais les sujets et les objets sont plus souvent omis que réalisés ouvertement, laissant le verbe dans la position initiale de la phrase. En fait, les sujets à la première et à la deuxième personne ne peuvent jamais être réalisés sans la flexion verbale. Bien qu'il existe des formes de pronoms à la première et à la deuxième personne en inuktitut, elles ne peuvent pas apparaître en position d'argument. Les sujets à la troisième personne (singulier, dual et pluriel) peuvent être réalisés sous forme lexicale (phrase nominale complète) ou démonstrative en plus de la flexion verbale.134

8.3 Typologie morphologique de la langue

Nous allons brièvement résumer la typologie morphologique de la langue pour que la différence entre la langue anglaise et inuktitut soit plus apparente.

8.3.1 Langue isolante ou analytique

- En typologie morphologique une langue qui est extrêmement analytique, tous les mots restant invariables quelle que soit leur fonction syntaxique.

133 ZWANZIGER, Elisabeth E., SHANLEY E. M. Allen, op.cit., p. 4 134 Ibid, 5

74 Les langues isolantes sont traditionnellement opposées aux langues agglutinantes, aux langues synthétiques (ou langues fusionnelles et aussi anciennement appelées langues flexionnelles) et surtout aux langues polysynthétiques.

Les langues isolantes sont fréquentes en Asie comme le chinois et le vietnamien.

8.3.2 Langue synthétique (appelé aussi fusionnelle)

En typologie morphologique, une langue où une seule forme, un seul élément linguistique correspond à plusieurs éléments conceptuels et où les rapports grammaticaux se marquent par des modifications internes. Toutes les langues de cette catégorie font partie du groupe des langues flexionnelles. Les langues indo-européennes (sauf l'arménien, qui fait partie des langues agglutinantes), notamment, sont des langues synthétiques.

Les langues synthétiques se différencient des langues agglutinantes dans le fait qu'elles présentent un syncrétisme poussé dans leurs éléments signifiants minimaux. Une seule forme, indécomposable, vaut pour plusieurs éléments sémantiques (ou grammaticaux) identifiables. Le latin et le grec ancien en sont des exemples classiques.

L'allemand en fournit un exemple pour les langues modernes. Dans Der Mann ist mein Lehrer (« L'homme est mon professeur »), l'article der indique à la fois le défini (s'opposant à l'article indéfini), le singulier, le masculin, et le nominatif.

Les langues slaves et les langues romanes sont d'autres langues synthétiques.

8.3.3 Langue agglutinante

- Une langue dont les traits grammaticaux sont marqués par l'assemblage d'éléments basiques ou morphèmes, chaque morphème correspondant à un trait et chaque trait étant noté par un morphème (dont la forme est quasi invariable).

Les langues agglutinantes forment un sous-groupe des langues flexionnelles. Le terme de langue agglutinante a été créé en 1836 par le linguiste allemand Wilhelm von Humboldt. Il est formé à partir du verbe latin agglutinare, signifiant « coller ensemble ». L'autre groupe des langues flexionnelles est celui des langues synthétiques.

75 Comptent parmi les langues agglutinantes les langues dravidiennes (tamoul), les langues austronésiennes (indonésien, tagalog), les langues ouraliennes (estonien, finnois, hongrois), le coréen, le japonais etc. L'arménien est la seule langue agglutinante des langues indo- européennes.

L'inuktitut est aussi une langue agglutinante mais appartient à un type de langue agglutinante particulier : les langues polysynthétiques. 135

8.3.4 Langue polysynthétique

- En typologie morphologique, une langue hautement synthétique, dans laquelle chaque mot est composé de nombreux morphèmes. Les mots de ces langues sont souvent très longs et peuvent même correspondre à des phrases entières dans d'autres langues moins synthétiques.

Dans de nombreuses langues qui sont considérées comme polysynthétiques, les verbes ont des formes multiples destinées à refléter le sujet et le complément d'objet. Une telle variété

135 FEUILLET, Jack. Introduction à la typologie linguistique, Paris. Bibliothèque de grammaire et de linguistique, 2006, 716 p., présentation en ligne, consulté le 13 novembre

76 de formes peut être obtenue par divers procédés. Par exemple, l'incorporation permet de former un mot unique en combinant plusieurs morphèmes lexicaux (lexèmes).

Cependant, il y a des langues polysynthétiques qui ne sont pas incorporantes et vice versa.136

8.3 La méthode

Six enfants bilingues (Inuktitut-Anglais) âgés de 1 à 8 ans ont participé à cette étude: trois filles (AW, PN, SA) et trois garçons (AI, SR, MT). Les familles de cinq des enfants comprenaient deux parents inuits bilingues qui parlaient à la fois l'inuktitut et l'anglais à la maison depuis la naissance de l'enfant ciblé. Ces enfants et leurs familles vivent dans des établissements inuits du nord du Canada dont la population varie de 1 000 à 3 000 habitants. Comme nous l'avons déjà mentionné dans les chapitres précédents, l'inuktitut, l'anglais et le français sont tous utilisés quotidiennement dans la communauté, en fonction de la situation et des préférences des locuteurs. Généralement, l'anglais est utilisé pour la politique et les affaires, tandis que l'inuktitut est la langue de la maison, de la chasse et des contextes traditionnels ou culturels (Taylor & Wright, 1990; Dorais, 1996). 137

8.3.1 La collecte de données

Elisabeth E. Zwanziger décrit sa recherche : « Les enfants ont été filmés sur une année à la maison lors de situations de communication typiques telles que les jeux et les interactions familiales quotidiennes. L’enfant ciblé, au moins un parent et parfois d’autres membres de la famille ou des visiteurs étaient présents aux séances d’enregistrement. Les chercheurs qui ont enregistré les séances n’ont pas tenté d’orienter les sujets de conversation ni le langage utilisé. » 138

136 FEUILLET, Jack. Introduction à la typologie linguistique, Paris. Bibliothèque de grammaire et de linguistique, 2006, 716 p., présentation en ligne, consulté le 13 novembre 137 TAYOLR, D.M. and WRIGHT, S.C. Language attitudes in a multilingual northern community. Canadian Journal of Native Studies 9, 1989, p. 85 138 ZWANZIGER, Elisabeth E., SHANLEY E. M. Allen, Crosslinguistic influence in bilingual acquisition:subject omission in learners of Inuktitut and English, p. 6

77 Tous les enregistrements ont ensuite été transcrits au format CHAT qui a été présenté par MacWhinney et Snow en 1990. Environ 47,5 % du corpus sont des énoncés uniquement en anglais et 45,8 % uniquement en inuktitut. Les 6,6 % restants étaient mélangés. 139

Pour faire une synthèse de cette étude d’Elisabeth E. Zwanziger, nous n’avons choisi que quelques exemples illustratifs. Nous les présentons d’abord en anglais, en fournissant la traduction par la suite.

8.3.2 Le codage anglais Omission du sujet avec le verbe principal (non impératif) : a. Mother: It’s gonna fall. Look put it up here.

Child: Fall. (SR)

Expected target form: It’s falling/It’s gonna fall.

Traduction :

Mère : Ça va tomber. Regarde, mets-le ici.

Enfant : Tombe. (SR)

Forme cible attendue : Ça tombe / Ça va tomber.

b. Researcher: It does look like a boat, the wheelbarrow.

Mother: Yeah.

Researcher: Has the shape of a boat uhhuh.

Child: Left this as a boat in a boat. (AI)

Expected target form: I left this as a boat in a boat.

139 WHINNEY, Mac. The CHILDES Project: Tools for Analyzing Talk. 3rd Edition. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates, Carnegie Mellon University, 2000

78 Traduction :

Chercheur : Cela ressemble à un bateau, la brouette.

La mère : Oui

Chercheur : À la forme d'un bateau uhhuh.

Enfant : Laissé comme un bateau dans un bateau. (AI)

Forme de cible prévue : Je l’ai laissée comme un bateau dans un bateau.

8.3.3 Le codage inuktitut

Lexical subject : illu sukkutu (AW)

illu sukkuq-juq

house be.broken- participle, 3rd person, singular

‘The house is broken.’

Traduction :

Sujet lexical: illu sukkutu (AW) illu sukkuq-juq

Maison être cassée-infinitif, participe, 3e personne, singulier

« La maison est cassée. »

Demonstrative subject : una ahaatu (SA)

una aahaaq-juq

this.one – 3rd ps, singular. hurt-participle, 3rd ps, sg

“This hurts. “

79 Traduction :

Sujet démonstratif : una ahaatu (SA)

una aahaaq-juq

cela – 3e personne, sg, fait mal – 3e personne, sg

« Cela fait mal »

Les sujets nuls :

A : paallartunga (AI)

paallak-junga fall-Participle,1st ps, sg

‘I fell. ’

B : pikaniiqalulaujungngitugu(AW) pikani iqaluk-lauq-nngit-jugut

there catch.fish-Participle-NEG-.1pr, pl.

‘We did not catch any fish there.’140

Traduction :

A : paallartunga (AI)

paallak-junga fall-Participle,1e ps, sg

« Je suis tombée »

B : pikaniiqalulaujungngitugu(AW)

pikani iqaluk-lauq-nngit-jugut

là-ba.attraper.poisson. + participe dans la forme nég., 1e ps, pl

« Nous n'avons attrapé aucun poisson là-bas »

140 ZWANZIGER, Elisabeth E., SHANLEY E. M. Allen, op.cit, p. 4

80 8.4 Résultats de cette expérience

En résumé, les six enfants ont tendance à produire des sujets nuls relativement souvent au début de leur développement (souvent 100 % du temps) et leur taux d'omission des sujets diminue à mesure que le développement progresse.

Valian, professeur du département de psychologie du Hunter College à New York a également fait une recherche sur les Sujets syntaxiques dans les premiers discours d’enfants américains et italiens. Il commente cette recherche ainsi : « Dans les deux études monolingues et bilingues, les enfants ont produit plus de sujets nuls en anglais dans les premiers stades et ces taux ont diminué à mesure que leur langue se développait. Les enfants bilingues inuktitut-anglais ont réduit plus significativement le pourcentage de sujets nuls dans des contextes obligatoires par rapport à celle rapportée chez les enfants apprenant l'anglais monolingue. Une possible surcorrection a pu se produire chez les enfants de sujets en anglais, par rapport à ce que l’on attendrait des enfants anglais monolingues. Ils sont peut-être « conscients » que l'anglais a beaucoup moins de sujets nuls que l'inuktitut, ce qui les conduit à surcompenser et à n'en produire presque aucun. » 141 Elisabeth Z. Zwanzgier ajoute que dans les deux groupes d'âge les plus jeunes, les enfants ont produit des sujets nuls pour toutes ou presque toutes les expressions verbales. Au cours des trois années suivantes, ils ont commencé à utiliser des sujets ouverts, de sorte que le taux moyen de production de sujets nuls a diminué au niveau observé chez les apprenants monolingues en inuktitut.142

En conclusion, les résultats actuels fournissent des preuves de l'influence interlinguistique de l'anglais vers l'inuktitut ou de l'inuktitut vers l'anglais dans le domaine des sujets dès le plus jeune âge.

141 VALIAN, V. Syntactic subjects in the early speech of American and Italian children. Cognition 40, 21–81., en ligne, disponible sur: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/1786672, 1991, consulté le 13 novembre

142 ZWANZIGER, Elisabeth E., SHANLEY E. M. Allen, op.cit, p. 16

81 CONCLUSION

La citation suivante de Yale Deron Belanger résume parfaitement le sujet principal de notre travail : « Les langues autochtones devraient être reconnues comme le patrimoine national du Canada. Beaucoup des peuples autochtones ont perdu leur langue maternelle à cause de cela et se sont donc vus dépouillés d’une partie intégrante de leur identité. La langue est l’essence de la culture et elle véhicule les valeurs, la culture et la littérature. Grâce à la langue, nous nous découvrons nous-mêmes, la culture, le patrimoine ainsi que la vision du monde. »143 Beaucoup des scientifiques affirment que l’Amérique du Nord, ou l'Île de la Tortue selon les peuples autochtones, n’était pas « terra nullius » avant la colonisation. En réalité, cette terre appartenait aux peuples autochtones. Néanmoins, la colonisation a aussi eu des côtés positifs en introduisant entre autres de nouvelles technologies mais tout aurait dû se dérouler dans un respect mutuel. Dans la première partie de notre travail, nous avons essayé de souligner le fait que la spiritualité et la tradition orale étaient d’une importance fondamentale dans la mesure où il est essentiel pour les peuples autochtones de transmettre tous les enseignements d’une génération à l’autre par le biais des récits. Aussi, l’éducation des peuples autochtones a été basée sur le principe de non-interférence et du dialogue entre les gens mais dans les pensionnats pour autochtones, il n’y avait aucun dialogue entre les enfants et les éducateurs et les châtiments corporels étaient souvent pratiqués.

Parmi les conséquences les plus graves, nous pouvons citer par exemple la perte de la culture, de la spiritualité, de l’identité, ainsi que des liens de parenté. Cela a entraîné un grand nombre de problèmes intergénérationnels perdurant aujourd’hui encore sous la forme de l’alcoolisme et de l’abus de drogues.

Que pouvons-nous donc faire pour enrayer ces problèmes de ségrégation et de traumatisme des peuples autochtones persistant encore de nos jours ? Nous pouvons enseigner l’histoire des peuples autochtones dans les écoles. Heureusement, cette mesure est de plus en plus mise en œuvre depuis la deuxième moitié du XXe siècle.

143 BELANGER, Yale Deron. op. cit. Toronto : Nelson Education, 2010, page 20

82 Aussi, il existe désormais de nombreuses initiatives donnant lieu à l’organisation de festivals au cours desquels les peuples autochtones présentent leurs danses et musiques traditionnelles. À Saskatoon, les gens peuvent visiter l’Heritage Park, un complexe culturel dans lequel des ateliers de danse et diverses autres activités spécifiques aux autochtones sont proposés.

Selon la croyance des peuples autochtones, nous possédons le plus important des pouvoirs : le pouvoir de rêver. Nous avons évoqué les expériences de Basil Johnston qui n’a jamais cessé de rêver même quand il vivait dans un pensionnat pour autochtones. Il partage désormais ses expériences et écrit en version bilingue, ce qui contribue grandement à préserver les langues autochtones.

Aussi, il existe déjà plusieurs programmes bilingues ou programmes d’immersion pour que les langues autochtones restent vivantes. La mise en place de programmes comme ces derniers a été décidée par les organes qui s’occupent de l‘aménagement linguistique. Le terme aménagement linguistique est né au Québec dans les années 1970 et s’est étendu à la Francophonie. Les principaux facteurs qui déterminent alors conception et la réalisation d'un aménagement linguistique sont par exemple la dynamique des relations entre les groupes ethnolinguistiques selon la composition démolinguistique de la population, la dynamique de la concurrence entre les langues de ces communautés linguistiques, d'une part, et entre la ou les langues nationales et les langues internationales dominantes, d'autre part, introduites dans le pays par l'histoire ou par les nécessités des relations politiques et commerciales extérieures et enfin les moyens humains et financiers disponibles pour concevoir et mettre en place un plan d'aménagement linguistique.144 Au cours des dernières années, on a favorisé une décentralisation des activités politiques de planification et de prise de décision vers le palier local, vers les communautés linguistiques, les écoles, les organisations non gouvernementales qui interviennent dans les politiques linguistiques et les autres qui les concernent. À la politique descendante (top down), on a opposé de plus en plus une démarche ascendante (bottom up).145 Il existe de ce fait désormais la politique du multiculturalisme au Canada et malgré cette augmentation des droits linguistiques, il est

144 https://www.teluq.uquebec.ca/diverscite/SecArtic/Arts/96/06ajc0/06ajc0_txt.htm 145 Nancy H. Hornberger (ed.), Indigenous literacies in the Americas: Language planning from the bottom up. (Contributions to the sociology of language, 75.) Berlin: Mouton de Gruyter, 1997. Pp. 394

83 clair qu’un écart important subsiste entre l’octroi de ces droits aux groupes autochtones et minoritaires et la revitalisation et le maintien en vigueur des langues de ces groupes. La question clé à poser est donc de savoir comment la reconnaissance et l'octroi des droits et des discours juridiques associés à ces processus sont liés à la création et à la mise en œuvre d'une politique linguistique locale et à l'utilisation de langues plus réduite dans des contextes quotidiens. Dans la littérature sociolinguistique, cette question a été abordée dans le contexte de l’aménagement linguistique ascendant (bottom up), c'est-à-dire des initiatives involontaires des communautés autochtones elles-mêmes.146 Nous avons essayé de mettre en lumière que ce sont les communautés mêmes et les écoles qui présentent leurs propres programmes pour contribuer à la revitalisation ou à une coopération de la part du gouvernement.

Concernant le développement langagier, social et cognitif, il est impératif que l’enfant maîtrise sa langue maternelle, quelle qu’elle soit. Une bonne maîtrise de la langue maternelle aidera l’enfant à acquérir une autre langue. Le système d’éducation formel doit trouver le moyen de valoriser la langue maternelle avant d’introduire une deuxième langue. L’enfant est doté à la naissance de la capacité de n’importe quelle langue. Il faut donc appliquer l’éducation bilingue quand les élèves maîtrisent bien leur langue maternelle. Néanmoins, si un élève est exposé à l’enseignement dans une langue, ses compétences dans une autre langue en souffriront nécessairement. En revanche, Cummins plaide en faveur de ce qu’il appelle l’hypothèse de l’interdépendance : « Dans la mesure où l’instruction dans une langue minoritaire permet de développer efficacement les compétences académiques dans la langue de la minorité, cette compétence est transférée dans la langue de la majorité, dans la mesure où elle est suffisamment exposée et motivée pour apprendre la langue. » 147

Selon les nombreuses recherches, les locuteurs de langue minoritaire bénéficient d'un enseignement précoce dans leur langue d'origine. Les études que nous avons analysées montrent que l’utilisation de la langue patrimoniale des enfants inuits comme langue d’enseignement au cours des premières années d’école avait un impact positif sur leurs capacités en matière de langue patrimoniale. Plus précisément, les résultats ont montré que

146 DONNA, Patrick. Language rights in Indigenous communities: The case of the Inuit of Arctic Québec Donna Patrick, p.1,Carleton University, Canada 147 CUMMINS, J. Empowering minority students: A framework for intervention. Harvard Educational Review 56: 18 36, 1986

84 l'enseignement en inuktitut était associé à un développement accru des compétences linguistiques en inuktitut chez les enfants inuits, tandis que l'enseignement exclusivement dans une deuxième langue dominante (français ou anglais) était associé à des niveaux de compétence inférieurs en inuktitut. Outre l'échec scolaire, cela a aussi des effets sur la santé psychologique : l'enfant peut développer un manque de confiance en soi, une faible estime de soi, une aliénation ou une désaffection de la part de l'école. De toute évidence, un tel état psychologique ne favorise pas un apprentissage efficace.

85 BIBLIOGRAPHIE

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91 ANNEXES

A Les oiseaux de tonnerre et les panthères sous-marines

(photo prise par Denisa Halmanová)

B La narration au tipi à l'Université de la Saskatchewan (photo prise par Denisa Halmanová)

92

C Carte administrative du Canada

(Source : PAPEN, Robert A., BIGOT, Davy. Les variétés de français de l'Ouest canadien. (Matériel de l’Université de la Saskatchewan du cours French Variations across Nations and Cultures)

D Une peinture autochtone: L’Harmonie

(photo prise par Denisa Halmanová)

93