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Les implications sociopolitiquesdu rap afro-américain.De ltengagementnen, school au nihilisme gungstu

Thèse de doctorat de I'Université de Metz soutenuepar Mlle Nathalie Karanfilovic sousla direction de Monsieur le ProfesseurRobert Springer Centre de Recherche: Centre d'étudesde la traduction BIELIO1HEGUEIffi[flilHililffiilIilI.Jî{IYEREITAIRE DE ffTZ 031 536062I Annéeuniversita ire 2003-2004 UNTVERSITÉDEI\TETZ UFR Lettreset Langues Départementd'Anglais

Les implications sociopolitiquesdu rap afro-américain.De ltengagementnew school au nihilisme gangsta

Thèsede doctoratde I'Universitéde Metz soutenuepar Mlle NathalieKaranfilovic sousla directionde Monsieurle ProfesseurRobert Springer Centrede Recherche: Centred'études de la traduction

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Annéeuniversita ire 2003-2004

REMERCIEMENTS

Mes remerciementsvont en premierlieu à toutesles personnesqui mbnt soutenuede prèsou de loinet qui m'ontpermis d'accomplir ce travail.

Je tiensnotamment à remercierma famille, ma sæurCatherine et mesamis qui ontsu m'entourerde leurs conseilset de leur soutienen toutessituations. J'exprime tout particulièrementma gratitudepour leur disponibilité,leur soutien moral et leur compréhensionà FrédéricAuvrai, AlexandraMathieu, Audrey Sgorlonet Béatrice Simon.

Je suiségalement reconnaissante envers les rappeurs,artistes et acteursde la scène hip hopque j'ai pu croiserau coursde cesannées et qui m'ontsi généreusementoffert de plongerdans leur univers pour mieux en saisirtoute la dimensionartistique.

Toutema gratitudeva égalementà la FrenchAmerican Foundation qui m'a permisde complétermon travail de doctorante.

Je remercievivement mon directeurde thèse,le ProfesseurRobert Springer dont je tiens à saluerla patienceet la perspicacitéde ses remarquesqui m'ontguidée pour menerà biencette étude.

Je remercieenfin ma mèreet ma famillequi ont su m'entourerau coursde ces années de leurinestimable affection. Writingabout musicis like dancingabout architecture ElvisCostello ...blackmusic is notonly conspicuous within but crucial fo, black culture. lt hasoften beenasserted that music-its place in societyand its formsand functions-reflects the generalcharacter of the society.lt has,however, rarely been suggested that music is potentiallya basis for socialstructure. Yet I contendthat music is notonly a reflectionof the valuesof blackculture but, to someextent, the basisupon which it is built...the investigationof black music is alsothe investigationof the black mind, the black social orientation,and primarily, the black culture.l

Dans son essai,Black Talk,Ben Sidranexamine avec sagacité ce qui fait la spécificitéde la musiqueafro-américaine. D'après I'auteur, cette demièrefait non seulementpartie intégrantede la communautéafro-américaine, elle est aussi un véritablesocle sur lequelse fondela sociéténoire américaine. Son étudeouvre ainsi de vasteschamps d'exploration liés à la culture,à la sociétéet à I'expériencenoires. La tâcheque nous nous sommesfixée dans le cadrede ce travailest précisément d'étudierle derniergenre musicalafro-américain, le rap, et de mettre au jour les dimensionssociales et politiquesde sondiscours. Que nous disent les rappeurssur la communautéafro-américaine, ses aspirationset ses contradictions? Que nous révèlent-ilssur la sociétéaméricaine et son évolution? Enfin,à quel rôle socialvoire politiquepeuvent-ils prétendre ? Audelà de la dimensionesthétique de la musique,nous partirons du postulat que la musiqueest un < fait social>2 qui a ( ses antécédentset ses retentissements dansla vie collective,rt, qu'elleest le produitd'un réel historique,social et technique, son ( contenuidéologique immanent >ra, selon la formuled'Adomo. Nous aborderons ainsile champmusical dans ses rapportsavec la sociétéet pounonsappréhender le rapcomme symptôme de celle-ci,mais aussi en tantque phénomènesocial.s Pour aborderle thème,nous avonschoisi la démarchede JacquesAttali qui consisteà < mettreen relation,au traversde leurinscription dans I'histoire, les aspects

1 BenSidran , BlackIalk, NewYork: Holt, Rinehart & Winston,1971, p. xiii. t E.if" Durkheim,Les êgles de ta méthde sociotogique,Paris : PUF,Quadrige, 1981, p. Xlll, citédans Anne-MarieGreen, De ta musiqueen sociologie,lssy-lès-Moulineaux : Editions EAP, 1993, p. 45. 3 Anne-MarieGreen, ibrd., p. 50. 4 TheodorAdomo, 'Réflexions en vue d'uneSociologie de la Musique",Musique en Jeu, N' 2, Paris: Le Seuif, 1972,p. 7, citédans Anne-Marie Green, ibid., p. 127. 5 Anne-MarieGreen, op. cit., pg. 4142. u sociauxet musicauxet lesfacteurs socio-économiques et politiques. t Pourreprendre tes termesd'Attali dans son étudeconsacrée aux ( bruits>, la musiqueest < parallèle à la sociétédes hommes,structurée comme elle et changeanteavec elle >7.Elle est en effet < miroir de la réalitén8, selon la penséemaxiste, et sa missionest de renvoyerI'image réelle de la sociétéet de ses valeurs.Attali lui confèremême un caractèreprophétique. La musiquene serait pas seulement< l'échode I'esthétique d'un temps,mais aussi le dépassementdu quotidienet I'annoncede son avenir>s. Miroirsdéformants et transformants,les expressionsmusicales agissent néanmoins commedes révélateurssociaux ambivalents. Le fait musicaldevient < instrumentde pouvoiret sourcede révolte>10. Pourmieux comprendre l'émergence du phénomènerap et appréciertoutes les dimensionsde son message,nous rappelleronsque les musiquesafro-américaines ont, plus que toutes formes de musiquespopulaires, dépassé la seule pratique esthétiqueet musicalepour s'inscriredans la critiquesociale et politique.Dépourvus de repèresfamiliers et s'efforçantde s'adapterà un nouvelenvironnement, les Africainsdébarqués dans le NouveauMonde avaient peu à peu perdu leur identité africainedans un processussouvent douloureux et schizophrénique.Sur les bases d'un héritageculturel africain qu'ils conserveront - inconsciemment ou consciemment- tt, les Afro-Américainsont développéau cours des sièclesdivers genres musicaux inéditsqui ont reflétél'évolution de leurs différentesexistences sociales, d'esclaves, d'affranchis,puis de citoyensaméricains. Chaque création musicale a illustréles changementsbrutaux apparus dans I'histoire du peupleafro-américain, ce qui permet à LeRoiJones dans B/ues People de remarquer: Themost expressive Negro music of anygiven period will be an exact reflection of what theNegro himself is. lt willbe a portraitof theNegro in Americaat thatparticular time. Whohe thinks he is, what he thinks America or theworld to be,given the circumstances, prejudices,and delightsof that particularAmerica. Negro music and Negrolife in Americawere alwaysthe resultof a reactionto, and an adaptationof, whatever AmericanNegroes were given or could secure for themselvesl2.

6 tbid.,p.1rz. t J""qu", Attali,Bruds : Essaisurlé conomiepolitique de la musique,Paris: Fayard ,2001 (1977'), p. 13. t nia.,p.'tz. I tbid.,p.14. 'o nia.,p.ta. tt Hifdr"dRoach, Btack Amerban Music: Past and Present,Malabar, FL: Krieger,1992,p.7 L'apparitiondes différentscourants musicaux afro-américains qui ont constituéla tramede la musiquepopulaire américaine est en effet indissociablede son contexte socio-historique.C'est pour soutenirI'effort de leurs travaux et se préserverde f'aliénation que les esclaveslancent leurs premierscris (< field hollers>) qui se transformeronten chants(< fietdsongs >). AprèsI'indépendance des Etats-Unis,c'est à l'églisequ'ils jettent les basesd'une musique afro-américaine, notamment à travers les negro-spiritualsqui leur offrent une théologiede I'espoiret leur permettent d'endureravec dignité les avilissements dont ils sontl'objet. A la fin du XlXe siècle,le devientalors le remède à la solitudeet au rejet auxquelsces nouveaux affranchissont confrontés.Après la SecondeGuerre mondiale,on assisteà une absorptioncontinue de la musiqueafro-américaine dans le courantdominant. Lors du mouvementdes droitsciviques, alors que les Noirsluttent pour une égalitéde fait, la soul revendiqueleur fierté d'être noirs et les exhorteà se redresser.Si le funk,puis le disco amènentdans les années 1970la musiquenoire américaine vers plus de légèreté,le rap devientlors de la décenniesuivante I'expression condensée du rejet social des habitantsdu ghettoet annoncede manièreprophétique I'explosion des violencesurbaines à venir. Alors que les spirituals,le blues ou encore la soul témoignaienteuphémiquement des rapportsqui opposaientles Noirs au pouvoir dominant,le rap se caractérisepar son réalismesocial et sa nette agressivité, virulencequ'il dévoile tant dans le fond,dans ses choixthématiques, que danssa formemusicale. Si nousavons choisi de nousintéresser au rap,c'est qu'il est actuellementet sans contestele courantmusical afro-américain le plus priséà traversle mondeet qu'ilest désormaisreconnu comme une culture légitime.Paradoxalement, alors que le mouvementhip hop,qui a donnénaissance au rap,est né d'un < social, cetteculture, à I'origine< altemative>>, a su devenirune mouvanceuniverselle dans laquelleles jeunes,toutes classes et toutesraces confondues, se reconnaissent.Aux Etats-Unis,80% de ses consommateurssont blancs.Le s'estde plus imposé commeun fait culturelglobal. ll a su empreindrenotre quotidien, que ce soitau niveau linguistique,graphique ou vestimentaire.Son expression musicale apparaît aujourd'hui commele fondsonore de nos sociétésmodemes. Avantde nousengager dans une étudetextuelle du rap, noussouhaitons insister sur sa qualitéde genremusical populaire, et qu'à ce titre,sa fonctionpremière est de t' L"Roi Jones, BtuesPeqte: The NegroExperience in White Americaand the Musicthat Devetoped frcm lt,New York WilliamMonow, 1963, p. 137. divertiret de permettreà son auditoirede s'évader,de transcendertemporairement le quotidien.Le succèsfoudroyant que le genrea connuces vingtdernières années, il le doiten grandepartie à soncaractère rythmique. Si nousne prenonsque partiellement en comptela dimensionartistique et la valeur esthétique,il est impératifde reconnaîtreici l'aspectnovateur du genretant dans son fond que danssa forme.Le hip hop a été en effetà I'origined'innovations techniques inéditesqui ont révolutionnéla conceptionde la musiquepopulaire et investitous les champsmusicaux contemporains. Au-delàde cet apportnovateur, nous veffonstout au long de ces pagesque la parolereste toutefois au cæurdu rapdans sa fonctionrythmique et discutsive.Comme le rappelleJefferson Morley, < la musiquerap, c'est de I'histoireau sens littéral: un récit,une construction linguistique qui nousdit ce qui s'estpassé et commentcela s'est passé, un mélanged'information et d'interprétationqui résume,rend sensibleet compréhensiblece que les Afro-Américainsont accomplidepuis le débutdes années 1g70...rrtt. Le hip hopa su ainsidélivrer un messagede prisede consciencesociale et être le support,comme le furentà d'autresépoques le rockou le punk,d'une révolte contrele conformismesocial, politique et culturel. L'objetde ce travailde recherchesera d'aborderles implicationssocio-politiques du rap afro-américainet plusparticulièrement de tenterde réhabiliterson sous-genre le pfuscontroversé mais aussi le pluspopulaire, le gangstarap, pouren révélerenfin les dimensionscontestataires. Nous avons choisi d'examinerles implicationssocio- politiquesdu rap, politiquesau sens largedu terme,c'est-à-dire dans I'artd'énoncer des idéesafin d'enrichirle débatpolitique, de remettreen questionle systèmeétabli, mais égalementau sens restrictifd'intervention immédiate dans la vie politiqueet sociale. L'enracinementsocial du mouvementhip hop et la constructionmédiatique autour du phénomènedes ghettosd'où il est issu, font que I'on associegénéralement violenceet rap. Nouspensons que réduirela culturehip hop à une culturede ghetto présentantdes traits pathologiquesserait amoindrir la portéeet la richessede ses expressions.Nous tenterons dans cetteétude de dépasserle caractèresuperficiel et racoleurdu rap pourreconnaître la tentativedes rappeursde conquérirune dimension socialeet politique.Notre propos ne serapas de juger, mais de tenterd'appréhender le

tt J"ff"oon Morley,"Rap Music as AmericanHistory", rn StanleyA. Lawrence, Rap- The Lyics, NewYork: Penguin Books, 1992, p. XXXI. Citationrefevée dans Ulf Poschardt,DJ Cufture,Paris : EditionsKargo, 2002, p. 158. rap danstoute sa complexité,d'en comprendre les ressortstout en évitantle dangerde surinterpréterles textes. La difficultéd'une telle étude résidepar ailleursdans la constructionambivalente d'une image contre{ypeque cultiventles rappeurseux- mêmes.Une ambiguilésciemment alimentée d'autant plus que pourcomprendre la stratégierhétorique des rappeurs,il s'agiraavant tout de resituerla pratiquedu hip hop dans I'ensemblede ses disciplineset de ses codes. La culture râp, et plus particulièrementles codesgangsta, sont généralement mal connus et rendentsouvent ce discoursinaudible. Pour ce faire, nous étudieronsdans une premièrepartie le mouvementhip hop dontle rap est I'expressionartistique la pluspopulaire. Nous nous familiariserons dans un premiertemps avec cette culture issue du ghetto,son histoire,ses pratiqueset son idéologie.Nous nous consacrerons dans un secondtemps à I'expressionmusicale hip hop elle-même.Après une tentativede définitiondu rap, nous nous intéresseronsà son héritagedans la traditionvemaculaire, ses caractéristiqueslinguistiques et musicales.Pour compléternos recherches,nous remonteronsenfin aux sourcesdu rap, puis dégageronsles différentesécoles et diversgenres que le rap a essaimésà traversles Etats-Unis. ll apparaîtraque le contexte socio-politico-économiqueest indissociabledu messagerap. C'est en effetà la lumièrede certainsévénements socioéconomiques et politiquesque I'on peut entendrele rap dit < (n consciousrap >). Nous nous intéresseronsdans un premiertemps à la fonctionde chroniqueursocial du rappeur,de porte-voixd'une communauté en crisemais aussi à cellede pédagogue, avant d'amorcerdans un second temps une réflexionsur les æuvres les plus revendicatricespour en dégagerles véritablesfonctions politiques. Nous veffons que le rapest un outilde contestationet qu'ilcontribue à la genèsed'un mouvement social. Dansune troisièmepartie, nous centrerons nos recherchessur le phénomène gangstarap et tenteronsd'éclairer son discours.Souvent décrié par les autorités publiques,morales et intellectuelles,le gangstarap est victimed'une incompréhension de la partde critiquesqui omettentde considérerle contextesocial dont il est issuainsi que I'apportconsidérable de la traditionvemaculaire afro-américaine. Alors que I'on seraittenté de condamnersans appel le phénomènegangsfa, nous sommesd'avis que I'examenrigoureux des traitsde son discoursnous permettrad'apprécier toute la dimensionesthétique et symboliquede son message. Nousvenons que la radicalitédu discoursgangsta s'avère être avanttout le continuumde la penséepolitique du rap. Apparuen réactionà I'intellectualisationdu rap et faisantfront à un discoursquelque peu velléitaire,le gangstarap est la formela plussubversive du rap.Après avoir situé le gangstarap dansI'histoire du mouvement hip hop et étudié les conditionsde son émergence,nous venons que la violence verbafeet sonore du gangsfa rap faft écho à une violenceréelle que subit la communautéafro-américaine. Si le gangstarap est la formela plusviolente du rap et s'il cultiveun nihilismeprovocateur, c'est qu'il est I'expressionmême d'un défaitisme fin de siècle.L'apparente gratuité de la violencene doit pas nousfaire oublierque cette imagerieséditieuse est ancréedans la poétiquenoire américaine. Nous pourrons ainsi tenterde démontrerque I'ambiguiTésuscitée volontairement s'avère être une stratégie discursiveet quele nihilismeaffiché masque une conscience éminemment politique. La constitutiondu corpuss'est portéesur un ensemblede textes issus de toutes les régionsgéographiques et toutes les écoles hip hop afin d'apprécierla diversitédu genre.Nous avons entrepris une analysede certainstextes de rap choisis parmiles chansonsayant bénéficié pour la plupartd'une largediffusion. ll apparaîtra néanmoinsque certainsrappeurs sont plus souvent cités que d'autres. Cette sélection a été guidée naturellementpar la concision des æuvres et reste toutefois représentativedu discoursrécurrent des rappeurs.Nous ne citeronsque rarementles rappeursissus de la scène underground,notamment gangsta, dont le discours radicaliséde manièresouvent caricaturale remet en cause la validitédu discours général.Nous partons également du principeque leur portée est moindreen raisonde leur plus faible diffusion.Le rap est multipleet versatile,et tous les genresde rap s'empruntentmutuellement des élémentsmusicaux et discursifs.La frontièreentre les diverssous-genres étant ténue, il nousanivera de citerun artistedont le discoursa pu êtrequalifié de < ou de < gangsta.rrà un momentdonné. Nouslimiterons par ailleursnotre étude à I'analysede textesde rappeursafro- américains.laDepuis le débutdes années1990, les scènesmusicales rap ont en effet fait des émulesau sein d'autresgroupes ethniques, notamment les Mexicains,les Samoans,les Cubainsmais aussiles Wasp.lsNous estimons que le discoursde ce

14 Les auteurscités étrant parfois d'origine hai'tienne, jamaibaine, portoricaine ou cubaine,nous entendons ici par Afro-AméricainsI'ensemble de la populationnoire vivant sur le sol américain.Comme le note LawrenceH. Fuchs,les Noirsaméricains regroupent les communautésde couleurissues de I'esclavage, notammentdes îles caribéennes.(Lawrence H. Fuchs,The American Kaleidoscope: Race, Ethnicity and the CivicCufturc, Hanover, NH: Wesleyan University Press, 1995 (1990), p. 288.) .iÂ'- David Toop note que dès le début des années 1990 des artistesd'origine jamai'caine, coréenne, hai'tienne,dominicaine, vietnamienne, portoricaine, équatorienne, chinoise et indiennesont apparussur la scène hip hop. Ces artistes,issus du melting-potaméricain, sont plus particulièrementoriginaires de la Côte Ouest et offrent un rap hardcore.(David Toop, Rap Attack2: Afican Rap to GlobalHrp Hop, l.lew York& London:Seçent's Tail, 1991, p. 187.)

l0 rap ( ethnique> devraitfaire, de par sa singularité,I'objet d'une étude à part entière. On ne poura néanmoinsfaire fi de la longuehistoire d'interaction ethnique entre les communautéshispanique et afro-américainedans la culturehip hop, à New York et surtouten Californie,l'État qui accueillele tauxle plusélevé d'Hispaniques. Ainsi les rappeursafro-américains aimenhils à émaillerleurs textes de s/ang hispaniqueet admettentle syncrétismeculturel hip hop. Nousmentionnerons donc par la forcedes choses quelquesrappeurs ou musiciens< latinos) au cours de cette étude. Les artistesévoqués se qualifienteux-mêmes comme < brownr, c'est-àdirepersonnes de couleurlo;nous considéronsde plus qu'un passécommun d'exploitation et une expériencecollective au quotidienen tant qu'individusissus de minoritéslient leurs discours. En outre, notre étude ne mentionnequ'avec parcimonieles æuvres des rappeuses.Si lesfemmes se sontimposées ces demièresannées dans le paysagehip hop, elles sont en grandemajorité cantonnées dans d'autresstyles musicaux de la mouvancehip hop, notammentle R'n'Bet la nu sou/.L'industrie du rap n'a en effet laisséqu'une porte étroite aux femmeset confirmeune formede sexismehip hop.Si pendant longtempsles raps fémininsétaient souventécrits et produits par des hommes,sceau d'un machisme somme toute traditionnel, nous verrons que quelques artistesont su imposerleur talenten proposantune musiquenovatrice et des textes pertinents. Bien que les termes < hip hop > et < soientfréquemment utilisés de manièreinterchangeable, il conviendra de distinguerle rap pur et I'ensemblede musiquesdites < hiphop > qui reprennentcertains éléments de raptels que le chant, le rythme< cassé>r ou le mixage,et les mêlentà d'autreslignes rythmiques. Dans le répertoiredes musiquesdites hip hop, on retrouveprincipalement deux grands courants: le R'n'Bet la nu sou/.Parallèlement à la consécrationdu rap à la fin des années 1980, le mouvementhip hop a donné égalementnaissance au New Jack (Swing),rebaptisé aujourd'hui R'n'B, un genremusical langoureux qui emprunte la structuremusicale du rhythm'n'bluespour la mêleraux pulsationship hop, le tout mis en voixdans un chantd'inspiration soul. Ces dix demièresannées ont également vu fa renaissancede la musiquesoul à travercle genrenu soul.La nu sou/intègre une basemusicale et un chantsoul à une lignerythmique hip hop.On retrouveégalement

16 ll de rappelerpar ailleursque les rccensementsde la populationaméricaine distinguent la population"onuienthispanique blanche et cellede couleur.

ll dans fe messagenu soulune thématiquehip hop, plus modéréedans son discours, voireintellectualisée. La retranscriptiondes textesa été faite en prioritéà partirdes transcriptions officiellespubliées sur les pochettesde disquesou sur les sitesdes artistes.ll existe néanmoinsune carence dans leur diffusion certifiée. Nous nous sommes référée dans la plupartdes cas aux nombreuxsites internet consacrés à la diffusionde la cultureet à I'actualitéhip hop, aux webzinesqui explorentles scènesindépendantes mais égalementaux banquesde donnéesélectroniques de textesde chansons.Le n hrp hop slangn, qui est uneforme ghettoi'sée de I'anglaisvemaculaire afro-américain, ne possèdepas de graphieofficielle. ll apparaîtle plussouvent sous une graphie opaque prochede la formeécrite du parlernoir, mais resteplus fidèle à la prononciationdes diverss/angs de ghetto.Par soucide lisibilité,nous avonschoisi d'homogénéiser au préalableles retranscriptions. La difficultéd'une telle étude résidait au débutde nos recherchesdans le peu d'ouvragespubliés sur un mouvementculturel relativementjeune. La production vertigineusede I'industriehip hop a toutefoisété accompagnéeces cinq dernières années par une profusiond'ouvrages et d'articlesliés au phénomènerap. Les premièrespublications sorties dès le milieudes années1980 sur le rap ou le mouvementhip hopétalent nées pour la plupartde la plumed'auteurs prosélytes, sous la forme d'ouvragesconfidentiels qui traitentessentiellement de I'aspecthistorique, voireanecdotique, de la culturehip hop; citonspar exemple I'encyclopédique The Rap Attack:African Jive to NewYork Hip Hop de DavidToop (1984). Suiteà la reconnaissanceinternationale et à la légitimationde la culturehip hop dans les années1990, les universitaireset expertsde la cultureafro-américaine ont reconnu la force du mouvementhip hop et du discours rap. Nos recherches bibliographiquesnous ont conduiteà constaterun intérêtacadémique certain pour la culturerap dès 1993et suiteà la surmédiatisationdu gangsfarap.ll faudraattendre la polémiquequ'alimentera ce genreviolent et nihilistesuite aux décèsde Tupacet de NotoriousBIG pour que lesobservateurs se penchentavec attention sur le phénomène hip hopà compterde 1997,réanimant le débatsur la violencedu rapet la criminalité endogène.Parallèlement aux ouvragescritiques, les publicationsen tout genre, ouvrageshistoriques ou experts,recueils de textes,biographies et autobiographies, investigationsjournalistiques et dictionnairesde hip hop slangont connuégalement un essorfulgurant.

l2 Nous notonsque le champintellectuel est diviséselon un clivageidéologique classique.Les détracteursfustigent généralement la légitimationd'un mouvement culturelpopulaire, insistant sur le caractèrenon musical du rapqui s'apparenteraità un discourssur lequelsont ajoutésdes élémentsde rythmes< bricolés>. Si la plupart négligentla dimensionartistique du rap,ils lui accordentnéanmoins le créditd'un art subversifcomme le furent le rock et le punk en leur temps.Face aux évolutions technologiqueset au travailqualitatif sur le son qu'a connule hip hop ces dernières années,il est de moinsen moinsaisé d'affirmer la non-musicalitédu rap,comme le démontreRichard Shustermandans l'Art à l'état vif, essai sur les esthétiques pragmatistes,qui consacreun chapitre,"l'art du Rap",aux fondementsesthétiques de cettemusique. Les partisansdu hip hop reconnaissentquant à eux d'une part le talent novateurdes artistes en termesde littéraritéet de modemité,élevant le rap au rangde culture savante, tout en mettant d'autre part en lumière certainesfailles. Les universitaires-chercheursà I'instar de TriciaRose (8/ack Nor.se; Rap Musicand Rap Cufture in ContemporaryAmerica) et de Cheryl L. Keyes (Rap Music and Street Consciousness),étudient le rap de façonplus critiquedans des essaisqui tententde réhabilitercette culturepopulaire si souventdécriée par les médiaset les autorités, mettantI'accent sur la complexitéde cet art et le contenucontestataire des textes. BakariKitwana, ex-rédacteur en chefde TheSource (Rap on GangstaRap: Who Run It? GangstaRap and Vr'sionsof BlackViolence), ainsi que l'auteur-chroniqueurNelson George(Hip Hop America),analysent quant à eux les raisonset les contradictionsdu hip hopen I'intégrantdans le contextesocial américain tout en mettanten évidenceles rouagesde cetteindustrie. La positiondes intellectuelsnoirs américains, tels que Henry-LouisGates Jr, CornelWest ou encore ManningMarable va égalementdans ce sens. Comme le soulignenotamment Tricia Rose, le rap est souventvictime d'une méconnaissance de la cultureafro-américaine et cetteignorance tend à diaboliserles rappeurset à sous- estimerleur génie. Ces observateurss'attachent dans leurspublications à décoderle rap pourles non-initiéset à cautionnerdans la mesuredu possibleleur discours. S'ils tendent généralementà légitimerle mouvementhip hop, tous n'avalisentpas cependantle caractèreviolent et misogynedu discoursdes rappeurs.Ainsi bell hooks (< Sexism and Misogyny:Who Takes the Rap?Misogyny, and the Piano>) ou HoustonBaker (Black Sfudieg Rap and the Academy)condamnent fermementles excèsdes interprètes,mais reconnaissentla nécessitéde se pencher

l3 sur le phénomènerap. Cet intérêtsublt et inéditde l'éliteafro-américaine est par ailleursun signede l'évolutiondu regardqu'elle pose sur sa culturepopulaire. De nombreuxouvrages comme The Hip Hop Yearsde Alex Ogg et David Upshalnous offrent une histoireextensive et détailléede la culturerap au traversde ses diversespériodes. S. H. Fernando,ancien directeur de label,pose quant à lui en tant qu'acteurde cetteindustrie un regardde l'intérieurde la scènehip hop dans lhe New Beats:Exploring the MusicCulture and Attitudesof Hip-Hop.Rappels Rappinde DanGofdstein et /f's NofAbout a Salary: Rap,Race and Resisfancein LosAngeles de BrianCross sont le précieuxrésultat d'entretiens avec les acteursde la scènerap et gangstarap. En France,première nation après les Etats-Unisà s'êtreemparée de la culture hiphop dès 1983,et deuxièmeproducteur aujourd'hui sur le marchémondial du rap,le genre a pour diverses raisons reçu I'adoubementdes instances culturelles, intelfectuelleset dirigeantes,et fait I'objetd'une attention toute particulière. L'offensive rap d'OlivierCachin et Yo RévolutionRap de DavidDufresne, bien que n'ayantpas la densitédes ouvragesdes auteursaméricains cités plus haut,restent néanmoins des références.Les sociologueset chercheurs,tels HuguesBazin (La culturehip hop), MaryseSouchard (Les jeunes. Pratiques cufturelles et engagementcollectif) étudient le phénomèneculturel, révélateur des fonctionnementset dysfonctionnementsde nos sociétés. Manuel Boucher (Rap: expressrbndes /ascars) étudie égalementle phénomènerap en Franceen tant que mouvementsocial et nous éclairesur la significationdu rapdans toutes ses dimensions politiques, sociales et culturelles. On peut déplorerque nombre d'ouvrageset essais d'auteursfrançais se bornent à présenter le rap comme une ( rage de dire>, une < parade au désæuvrementdes banlieues>. Quelquesrares chercheursont une approcheplus littéraire.George Lapassade et PhilippeRousselot ont été des précurceursdans ce domaineet ont contribuéà une meilleureconnaissance de I'artdu rap dansLe rap ou la fureurde direen tentantde dégagerle messagesous-jacent de cettenouvelle forme de poésieorale. De même, ChristianBéthune offre dans son ouvrage Rap. Une esthétiquehors la /oiquelques clés pour en saisirla dimensionesthétique. Un nombrecroissant de publicationsintemationales s'intéresse aux différentes thématiquesdu hip hop et en dégagetoute la diversité: I'afrocentrisme,la quête identitaire,la religiosité,la misogynie(Rap Musicand the Poeticsof ldentityde Adam Krims, Die Reprësentationvon MânnlichReitin Punk und Rap de StephanieGrimm), sans oublierles ouvragescollectifs, notamment Rap publiépar WolgangKarrer et

14 lngrid Kerkhoffet Droppin'Science;CriticalEssays on Rap Musicand Hip Hop Culture de William E. Perkins.Mais peu à notre connaissanceproposent d'aborder les dimensionssocio-politiques du rap américainde façonglobale. Cette absence nous a obligéeà consulterd'autres types d'ouvrages, notamment ceux ayant trait à la société afro-américaine,son histoireet sa culture.Nous nous sommesservie également de référencessociologiques et musicologiquesn'entrant pas directementdans le champ de ce travail,mais qui permettentde mieuxcomprendre certaines des thématiques développéesdans les morceauxde référence.Nos recherchesont pu être également complétéespar la sommeimportante d'articles, de reportageset de propostenus ces dernièresannées sur lesproblèmes des ghettos. Aujourd'huiinstallé dans le paysagemusical contemporain, le hip hopa donné naissanceà de nombreusesrevues de référenceaussi bien aux États-Unisqu'en France faisant le point sur I'actualitérapologique. Citons )O(L, Rap Pages, aujourd'huidisparu -, Rap Sheef, mais aussi le magazineplus généralistedes musiqueship hop Vrbe.Autre institution,The Source:The Magazine of Hip-HopMusic, Culture& Politics,à I'origineun fanzine,devenu avec un tiragemensuel de 450 000 exemplaires,I'une des revuesmusicales les plus luesaux USA,soulignant ainsi la prédominanceactuelle du rap. Une pressespécialisée s'est aussi développéeau fil des ans,notons le magazineplus confidentiel Murder Dog qui nouspermet d'avoir une approcheplus subjectivede la culturegangsta et hardcore.La pressefrançaise n'est pasen resteavec quelques mensuels de qualité(L'Affiche, Radikal...). Les émissions téléviséesou de radioont été une autresource d'information. Nos recherchesont été par ailleursétayées par des entretiensavec des acteursde la scènehip hop, mais aussiavec des expertsdu mouvement. ll convientici de préciserque nos travauxont été essentiellementcentrés sur une analysetextuelle du rap. L'imageque diffusentles rappeursd'eux-mêmes étant néanmoinsindissociable de leurs propos, nous avons été amenée à prendre occasionnellementen compteleurs clip-vidéos. Ces demiers,supports commerciaux des æuvresmusicales, sont en grandepartie à I'originedu succèsfoudroyant que le rap a connuces dernièresannées.tt Afin d'étayernotre thèse,nous nous sommes référéeégalement, lorsque cela'a été pertinent,aux aspectsextra-musicaux du rap, notammentà la gestuelleet aux performancesscéniques des artistes.Nous avons enfin puisé d'autresinformations dans le discoursparatextuel qui vient baliserles

tt B"k"ri Kitwana,TheRap on GangstaRap,Chicago: Third World Press, p. 15.

l5 proposdes artistes,contenu sur les pochettesde disquesou encoresur les sites intemetdes rappeurs. Notreétude choisit I'approche textuelle. L'aspect musical n'a cependantpas été totalementnégligé. Si nous privilégionsl'écoute privée par rapportau concert,nous sommespar ailleursconsciente qu'(( une appréciationcomplète des dimensions esthétiquesd'un disquede rap exigeraitnon seulementqu'on l'écoute, mais aussi qu'on le danse,afin de ressentirson rythmeen mouvement,comme les rappeursle demandentavec insistance. >18 Nousconsidérons par ailleursque ( I'interprétationmusicale suppose que I'on prenneen considérationl'æuvre interprétée, mais aussiceux qui l'ont créée.,rtn. Les donnéessociologiques précises nous permettantde savoirexactement qui sont les rappeurset de nous éclairerquant à leurs aspirationsexistent peu. ll apparaît néanmoinsqu'ils sont relativementhétérogènes socio-économiquement et pas nécessairement- comme on pourraitêtre amené trop facilement à le croire- issusde milieuxdéfavorisés. Si la majoritédes rappeurs,notamment les pionniers,sont issus de milieux modestes,les rappeursjouissant d'une certaine notoriétésont pour beaucoupissus de la middtec/ass.æ Certains rappeurs gangsta aiment de plus faire planerquelque mystère sur leurs originessociales dans un souci de < crédibilité> artistiquemême si aujourd'huiles critiquesmusicales font désormaisla subtile différence entre n studio gangstaz> et véritables n OG r $ Oiginal Gangstaz>). L'insuffisanced'informations fiables quant à leur passépeut faire parfoisdouter de la validitéde certainspropos semi-autobiographiques et romancés, voire de certaines diatribesanti-capitalistes. Qu'ils soient originaires de la petitebourgeoisie, de la classe ouvrière ou beaucoup plus rarement de I'underclass,les rappeurs partagent néanmoinsun inconscientet unemémoire collectifs. Nous verrons que leursécrits sont tout autantdes témoignagesautobiographiques que des récitsintuitifs dont le seul but est de refléterl'état actuel de leur communautéet plus particulièrementde leur génération.

tt Ri"h"rd Shusterman,L'aft à l'étatvif : Ia pensêepngmatique et l'esthétiquepopulairc, Paris : Les Éditionsde Minuit,1991, p.206. 19 Anne-MarieGreen à proposde la thèse soulevéepar AlfredWillener dans Pour une sæiologiede l'interpÉtationmusicale (op. cit.,p. 157). 20 On constatequ'en règle générale,les rappeurscomposant un discoursengagé, afrocentriste, voire modéÉsont issus de la petitebouqeoisie. En ce qui cnnoemele rap hardcoreet plus particulièrementgangsta, les rappeurssont plussouvent issus de milieuxplus défavorisés.ll s'avère néanmoinsque les rappeursles plus populaircsde la scène hardcoreou gangstasont issusde milieuxplus stables.

l6 La questionde la pertinencedu discoursnous a égalementamenée à prendre en comptela dimensioncommerciale du genre.llest aujourd'huiimpossible d'évoquer la culturehip hop sans mettreen avantson mercantilisme.En effet,sa popularitéen termesde venteset de diffusionmédiatique en a fait ces dix dernièresannées un objet de consommationde masse.De nombreuxobservateurs dénoncent par ailleursles pressionscommerciales que subit I'industrie du hiphop, surtout depuis I'avènement du gangstarap. La surmédiatisationdu genre auraitnon seulementconditionné, voire minéI'aspect subversif du rap,mais aussi I'esprit d'indépendance de la culturehip hop et limité le potentielcréatif des rappeurs.Cette vision nous ramèneaux pensées d'Adornopour qui le fait que la musique,produit de l'<r21, soit consommée,ne laisseraitaucune place à < I'artauthentique ,r" et impliqueraitune pertede véritésociale. Si la commercialisationdu rap a pu avoirune influencesur le fond et la forme du message,nous verronsque cette surexpositionne s'est pas fatalementaccompagnée d'un abandonde la dimensioncontestataire du contenu. L'ambivalencedu discoursnihiliste gangsta en témoigne. Pourfinir, nous insistons sur le fait que cetteétude est loinde prétendreà une revueexhaustive du rap afro-américain.L'objectif de ces travauxest de proposer,à partirde quelquesexemples précis, une approchedu discourssocio-politique du rap afro-américainet d'offrirquelques éléments de réflexionsur ce traitement.

21 TheodorAdomo, 'L'industrie culturelte", Cornmunbafions, No 3, Paris: Le Seuil,19ô4, pp. 12-18. 22 TheodorAdomo, Théorieesthétique, Paris: Klincksieck,1989, cité dansAnne-Marie Green, op. cit., p.123.

t7 PREMIEREPARTIE :

LE RAP,EXPRESSION MUSICALE DU MOUVEMENTHIP HOP This is what we're saying:lf the black Man must create,create a new music brother.No moreblues - BlackMan don't sing Blues no more.Not iaz - not that stuffthat comes from our slaveday. lf you are a free man,then speak to the free idiom.Make your poetry that speaks to the new.Then you are creating a newthing thatthe world must come up to. Thenyou're the originalman again.

LouisFarrakhan, Brooklyn, janvier 19711

< Le rap est une sous-divisionde ce que I'ondésigne comme le hip hop,une culturepopulaire dont la musiquen'est que la partieémergée de I'iceberg>2. Avant de nous engagerdans une étudedu discoursrap, nous tenteronsdans cette première partiede définirle rap commeI'expression musicale du mouvementhip hop. Révéler les implicationssocio-politiques du rap ne peut en effet se faire sans un approfondissementrelatif aux originesde cetteculture de ghettoet du rap lui-même. Le hip hop n'a pas surgi ex nihilodans les rues du ghetto,il est né au milieudes années 1970 dans un contexte < postdroits civiques> d'une longue histoire d'interactionsculturelles entre Noirs et Hispaniquesdes quartiersdéfavorisés du Bronx3,qui ont chacunempreint la culturehip hop d'élémentspropres à leurs communautésethniques avant de I'essaimerdans le mondeentier. Avantde nouspencher sur les troispôles artistiques hip hopqui constituentle corps du mouvement,I'expression corporelle (breakdance), I'expression graphique (tag,graff) et I'expressionmusicale (rap), nous définirons en préambulela culturehip hop et rappelleronsles conditionsde son émergence,son fondementet ses dogmes. Nousnous intéresserons également au hip hopen tantque mouvementde conscience t Cité d"n, S.H. Femando Jr, TheNew Beats:Exploring the Music Cuttureand Attitudesof Hip-Hop, Edinbuçh:Payback Press, 1994, p.12O. t Ofiui",Cachin, L'offensiverap, Paris : Gallimard,p. 21. 3 En raison d'un passé communet de conditionssocioéconomiques semblables, les jeunes Afro- Américainset Hispaniques- et plusparticulièrement les Portoricains- se retrouventfédéés par le même enthousiasmepour le mouvementhip hop. On peut ajouterà ces deux communautésles Américains d'originecaribéenne, notamment jamai'caine. (Nelson George, Hip Hop Amertca,Nerr York: Penguin, 1998, p. viii.) Le hip hop est né dans le Bronx,un quartieraujourd'hui à æo/ode communautés hispaniques.(Données recueillis par le Bronx DataCenter et publiéessur le site univemitairede la City Univercityof NewYork, www.lehman.cuny.edu.)

l9 qui imposeun cadremoral et diffuseun messageà dimensionsociale inspiré par ses fondateurs,notamment etla Zulu Nation.Nous nous sensibiliserons enfin au mode de vie et de pensée,à I'idéologieet à l'< attituden qu'embrassece courant. Dans un second temps, après une tentative de définitiondu râp, nous rappelleronsque I'expressionmusicale hip hop est issue d'une longuetradition vemaculaireafro-américaine fondée sur quatre sièclesde misèreet d'oppression. L'expressionmême de < rap n, qui signifiedans la languepopulaire < tchatche> ou < baratin>, attestedu rôle essentielde la paroledans I'histoiredu peuplenoir. Nous verronsque le rap est une fusioncomplexe d'oralité et de technicité.D'une part, il est le prolongementfidèle de la tradition ancestrale des défis verbaux, plus particulièrementles <

Ghapitre1. Le hip hop, une culturede la rue

1.1.Une culture de ghetto

Les ghettosurbains noirs américains se sontconstitués entre les deuxguerres lorsque les Noirs ont quitté massivementle Sud ségrégationnisteet les crises économiquespour les métropolesdu Nord.La ségrégationqui sévissaitalors dans le

20 logementles cantonnaaux quartiersdésaffectés des centresvilles (< inner cities>)a. Ces ghettos,qui furent pour d'autresminorités des ponts de transitiondans un processusd'intégration à la sociétéaméricaine, restent pour les Afro-Américainsdes lieux d'exclusion,mais deviennentparadoxalement un formidableterreau pour de nouvellesexplorations culturelles et musicales. Le Bronx,terre de naissancedu mouvementhip hop,était aprèsla Seconde Guerremondiale un quartiernew-yorkais prospère pour les communautésaussi bien irlandaise,italienne, juive que noire.Ce districtva être marquépar un événement majeurqui aura une incidencenotable sur le quartierdu SouthBronx et sera,selon certainsobservateurs, indirectement responsable de la naissancedu hip hop: la constructiondu CrossBronx Expressway,une voie expressdestinée à relierle New Jerseyet Long lsland à Manhattan,et dont la constructiondébuta en 19595.Les années1960 voient parallèlement la délocalisationde I'industrievers les périphéries. Le SouthBronx est ainsi progressivementdélaissé par la classemoyenne blanche, puisnoire qui fuientvers les banlieues.oLe quartierest peuà peu abandonnépar les investisseurset les pouvoirspublics alors que ne demeurentque les populationsles plus déshéritées.Le South Bronxse transformealors en un vasteterrain vague où trouventrefuge de nouvellescommunautés afro-américaines et caribéennesencore plusdémunies dans un environnementde misère.7 Privésde I'influenceéconomique et socialepositive des classesmoyennest, les centresdes métropolesvont présenterdes pathologiesaccusées qui atteindrontdes proportionscatastrophiques au milieudes années1970. La fin du mouvementdes droitsciviques, la politiquede discriminationpositive (< affirmativeaction r) et la crise économiquequi s'ensuitne fontqu'envenimer la situationdéjà précaire de cesghettos. o L" t"-" "innercity" sera souventemployé oomme synonyme de ghefto.Ces enclavesethniques sont en effet souventsituées au centredes villes.(William Julius Wilson, Les oubfiésde l'Amérique,Paris : Decléede Bouwer,1994, pp. 13-14.) 5 Tri"i" Rose,Black Noise: Rap Musicand BtackCutture in ContemporcryAmerha, London: Wesleyan UniversityPress, 1994, pp. 31-32. 6 Entr" 1970et 1980,cette dépopulation s'est particulièrement accrue dans le Bronxqui a perdu 20%de sa popufation.(Bronx Data Center, données publiées sur le site universitairede la City Univercityof New York,www.lehman.cuny.edu.) 7 Le South Bronx est I'un des quartiersles plus pauvresdu Nod-Est des Etats-Unisavec 40% de sa populationvivant endessous du seuilde pauvreté.Les Afro-Américains représentent en 199033,5% de la population,les Portoricains36,77o, le reste de la populationest composéed'autres communautés hispaniquesou noires.Les Blancsy sontpeu nombreux.(Bronx Data Center,données publiées sur le site universitairedela City Universityof NewYork, www.lehman.cuny.edu.) t L" boug"oisie noire vivait en effet aux côtés des classesinférieures et offraitainsi ses servicesà f'ensemble de la communauténoire. (William Julius Wilson, op. cit.,pp. 32-33.)

2l Seulsles plusdémunis subsistent, survivant d'allocations et d'expédientsdivers dans ces îlots de paupérisation.Les années1980 connaîtrontune nouvelleenvolée des inégalités.L'arrivée des Républicainsau pouvoiren 1981 aggraveraencore les conditionssociales du prolétariat.La politiqueultralibérale de Reaganentendait, en effet, réduireau minimumI'intervention de l'État en matièresociale et refusaitle principede I'affirmativeaction et ses traitementspréférentiels à l'égarddes minorités. Les 30%des Noirsvivant au-dessous du seuilde pauvretésubiront de pleinfouet les conséquencesdes réductionsbudgétaires des aides sociales,des assurances médicaleset autres programmesd'aide. Face à l'émergenced'un nouveausous- prolétariat urbain (< underclassn)s, cette décennie voit la popularisationdu phénomènedes gangsdans les ghettosoù viventessentiellement des Noirset des Hispaniqueslo. Traditionnellement,toutes les minoritésethniques anivées dans les métropoles du NouveauContinent voyaient surgir leur contingent de gangs.Ce nouveaucontexte urbainoffrait pour la premièrefois à la jeunessenoire la possibilitéde s'organiseren bandesafin de répondreà la ségrégationraciale et à la violenceorganisée dont ils faisaientI'objet. La destructiondes organisationsmilitantes à la fin des années1960 et la répressionqui avaitsuivi les émeutes< post-droitsciviques >, notammentà Watts, précédèrentles premiersvéritables gangs noirs au début des années 1970, plus particulièrementsur la côte Ouest où les gangs hispaniquesétaient déjà bien implantés.1tCes fraternités urbaines répondaient alors à la nécessitépour la jeunesse des ghettosde se défendreet de répondreenfin à la répressionde façonstructurée. Dansun contextede misèresociale, les gangs sont bien plus que de simplescliques, ils serventaussi de familles,d'employeurs ou de protecteurs.lls sont organisésde manièrecomplexe, sous-divisés en bandes(n sefsr) et régis par de véritableslois, codeset rituels.l2

9 Willi"r JuliusWilson, op. cit, p. 33. to A N"* York, la communautéhispanique est composéeessentiellement de Portoricainsanivés en masse à I'issuede la SecondeGuene mondiale.Sur la côte Ouest, elle est plus particulièrement représentéepar la communautémexicaine et en Floridepar la communautécubaine. ,t1' ' MikeDavis évoque une véritable'culture de gang".(Mike Davis, CiU of Quartz Los Angeles,capitale du futur,Paris : La Découverte,2000, p. 239.) 1)'- Voir fualementà proposdes gangscalifomiens I'autobiographie de lce T, lce T & HeidiSiegmund, Ihe lce Opinionas tdd as to Heidi Siegmund.Who Givesa Fuck?,New York St-Martin'sPress, 1997, pp. 33- 45.

22 L'escaladede la violenceentre gangs au milieudes années 1980 est imputéeà I'importationde la cocaineet du crack qui a plongéles ghettosdans une véritable guerre civile entre factionset face à la police.t' L'affrontementterritorial pour le contrôledu traficde droguevoit unefraction de la jeunesseprogressivement entraînée et réduiteau trafic de stupéfiants.A I'avenir,les Noirs n'apparaîtrontaux yeux de I'opinionpublique qu'à traversde sombresstatistiques. Alors qu'ils représententà peine 13o/ode la populationtotale des Etats-Unis,près de 50% de la population carcéraleest noireet le tauxde mortalitédes jeunes Afro-Américains par homicidene cessed'augmenterla. Dansun cadredépourvu de toutestructure sociale et associative,pour échapper à I'emprisedes gangs du Bronx,la jeunesse doit improviser des activités culturelles en organisantdes manifestations festives dans la rue,les parcset les maisonsde quartier (t communitycenters r;.15 Elle pose sans le savoirles prémissesde la culturehip hop. Les fêtes de quartiers(< btock partiesr) et soiréesimprovisées (n free jamsr) du South Bronxvont rassemblerprogressivement disc-jockeys, rappeurs et danseurs, tandisque quelquesgraffeurs viennent se mêlerà la fouledans un décorde graffiti. Toutes ces disciplinesvont être spontanémentabsorbées dans l'imagehip hop et rejoindrele discoursfondateur de la Zulu Nationdans lequel rap, danse et graffitisont définiscomme éléments d'un grand défi symbolique chargé de canaliserla violencedu ghetto. S'il y a antérioritédu graffitiet du breakdancesur le rap,on constatetrès vite que ces troisexpressions ont une relationde concomitancepar leurnature même. Ce sont des formes artistiquesaltematives et détournéesqui s'approprientI'espace urbain commeun symbolede résistance,et qui se distinguentaussi bien par leurmodernité quepar la dimensionsociale de leurmessage. Le hip hop est plus qu'une simple plate-formeculturelle qui offre à une communautéurbaine I'occasion de fairevaloir son potentielcréatif. Son émergence est le résultatd'un longprocessus de prisede conscienceet de réactionà la dégradation des conditionssociales de populationsmarginalisées. Tricia Rose évoque le fondementsocial et idéologiquede la culturehip hop : tt Bri"n Cross,lf's Not Abouta Satary:Rap, RaceaN Resistancein Los Angeles,New York: Verso Books,1993, p.31. to 'American's P"t", Dreier, UrbanCrisis', ,'n Ch. Bogerand J. W. Wegner(eds.) Raæ, Povertyand AmertcanOTies, London: Universig of NorthCalifomia Press, 1996, p. 81. 'u 't,p hop cultureemerged as a souroefor youthof altemativeidentity formation and socialstiatus in a communitywhose older local support institutions had been all but demolished.'(Tricia Rose, qp.c[., p. 34.)

23 [Hip hop] emergesfrom the deindustrializationmeltdown where social alienation,prophetic imagination, and yearning intersect [and] is a cultural formthat attempts to negotiatethe experiencesof marginalization,brutally truncatedopportunity, and oppressionwithin the culturalimperatives of African-Americanand Caribbean History, identity, and community. lt is the tension betweenthe culturalfractures produced by post-industrial oppressionand the bindingties of blackcultural expressivity that sets the criticalframe for the development of hip hop.tu

Le hip hop est apparu en réactionà la situationarchahue des quartiers défavorisés.ll est en ce sens un véritableproduit culturel du ghettoqui répondà un désirde socialisationet de protectiond'un milieusocioculturel. La culturehip hop se nourritpar ailleursabondamment de ce lieu mythiquequ'est le ghetto.ll est même permisde penserque le rap n'existeque dansson rapportà I'imaginairedu ghettoet de la rue,épicentre de la vie sociale,économique et culturelle.Comme nous le verrons parailleurs dans le chapitrede notretroisième partie consacré au < ghettocentrisme>>, ce lieu d'exclusiontient égalementune place essentielledans la psyché afro- américaine.Le ghettoest en effetlié à une notionidentitaire, voire spirituelle et c'estce symboled'authenticité et de négrité17que les rappeurscélèbrent dans leurs raps.

1.2.Zulu Nation,la naissance d'une Nation

Abandonnésà eux-mêmes, les ghettos subsistent au milieudes années 1970 au sein d'une micro-cultureet s'enlisentdans une spirale autodestructricedont les principauxfléaux sont les gangs,la drogue,la criminalitéou encorele sida.En réaction aux conditionsde vie critiquesde ces ghettoset pour préserverla communauténoire de ce < génocide>r, ce sont les acteursmêmes de la violenceurbaine qui lanceront dans les années1970 une campagnede retourà des valeursplus < positives> à traversla créationdu mouvementhip hop. Ainsi, la figure légendaired'Afrika Bambaataaqui sera I'instigatricedu mouvementhip hop.Cet ancienmembre repenti du gang desBlack Spades originaire du Bronx,opte au milieudes années 1970, suite au décesde sonmeilleur ami, pour le

1A'- lbid.,p.21. ,t7 " 'Négrité" est un terme employépar Albert Memmidans L'hommedominé, Le Noir-le colonisé-le prolétaire-lejuif-la femme-ledomestique.ll la définitcomme 'la manièrede se sentir,d'être Noir,par son appartenanceà un grouped'hommes et par fidélitéà ses valeurs".(Albert Memmi, L'homme dominé, le NairJe coloniséle prolétairc-lejuif-la femme-ledomediEæ, Paris: Gallimard,1968, p. 46, cité dans HuguesBazin, op. cit.,p.24.\ Ce termese distinguede la nfuritudequi selonSenghor "est I'ensemble des valeursculturelles du mondenoir, telles qu'elles s'expriment dans la vie, les insitutionset les æuvres des Noirs."(Léopold Sédar Senghor, Mgritude et humanisme,Paris : Le Seuil,19ô4.)

24 combatplutôt que la résignation.Influencé par les leadersdu mouvementdes droits civiques,il décide,pour reprendreses termes,de transformertoutes les énergies < négatives> qui gravitentdans le ghettoen énergies< positives)) par I'intermédiaire de I'expressionet de la créationartistiques.ls Afrika Bambaataavoit dans les disciplinesfondatrices du hip hop un moyen d'éduquerles jeuneset de les sortirde I'engrenagede la violence.Jouant de sa notoriétéde DJ et fort de sonexpérience d'ancien gangbanger'n, il cherche à poserde nouveauxcodes moraux.ll reconnaîtla culturehip hop commeétant composéede quatre disciplines: le < MCing ,r'o,le < DJing2l, le < b-boying>22 et le graff. ll fonde en novembre 1973 avec d'autres pionniersdu mouvementhip hop I'organisation mufticulturellede la UniversalZulu Nationdont le sloganest < Peace,Love and Unity and HavingFun n23. Afrika Bambaataaincarne un afrocentrisme2amodéré et pacifiste.Son nom d'empruntest celuid'un chef zoulouqui s'opposaà la colonisationanglaise et qui, surtout,contribua à I'unificationdes tribusd'Afrique du Sud.Le chefzoulou Bambatha du district de Greytown mena, en 1906, une grande insurrectioncontre les Britanniquesqui fut répriméedans le sang et constituala demière révoltearmée zoulouecontre ta colonisation2s.

18 Hrgr", Bazin,La culturehip hop,Paris : Descléede Bouwer,1995, pp. 19-20. 19 l)n'gangbangel'est un membrede gang. 20 "M)ind' est synoymede rap.Un MC (< Masterof Ceremonies>)est un rappeur. " L""DJingi' ou'deejayingfest t'artde mixerles disquesdes disc-jockeys. On écritégalement "deejaf pourDJ. 22 "o-boyingyou"b-boyisnf est synonymede breakdance. Le "b" est I'abréviationde'breaH. Le breakdancefut initialementappelé b-boyism d'apÈs le nomd'un groupede jeunesdanseurs new-yorkais baptisés les b-boys.Un b-boyest donc à l'originesynonyme de breakdancer.Kool Henx serait à I'originede ce terme.Le breakdanceest le socledu mouvementhip hop, le terme de'b-bof désignede manièreplus générale un adeptede la culturehip hop. (AlexOgg, David Upshaf, The Hip Hop Years.A Historyof Rap,London: Macmillan, 1999, p. 15.) tt Voi, à ce sujetle site officielde la Universat Zulu Nation:www.zulunation.com. 2o L" t"-" d'"afiocentricisme"est attribuéà MolefiKete Asante.Cheikh Anta Diop est cependantle précurseurde ce conceptdans son ouvftUe Nafions nègreet cufture.Diop y révèlela falsificationde l'histoirede l'Afriquepar l'impérialismeoccidental, dans le but de menerà bienI'entreprise coloniale. Dans ce brûlot,il développeI'idée scientifique gue I'Afriqueest le berceaude I'humanitéet restituela civilisation occidentaledans son contexteafricain en démontrantl'essence noire et africainede la civilisation égyptienneancienne. (Cheikh Anta Diop, Nationnègre et cufture,Paris : PrésenceAfiicaine, 1954 ; Molefi KeteAsante, Afrocentricity: Tlre Thety of SocialChange,Buffalo, NY:Amulefi Publishing, 1980.) Nousadmettrons dans notreétude que l'afrocentrismerenvoie au courantdans lequel s'inscrit la réflexion aftocentriste. 25 Véronique Faure, De laagerà maækhane,visite guidée du lexique sud aficain, Bordeaux: MSHA/CEAN,no5â55, 1997, p.5.

25 En puisantdans I'histoirede cette nation zouloue,Bambaataa trouve les symbolesidéaux d'une nouvelleforme de solidarisationcontre les conflitsterritoriaux entregangs'u. ll développealors une idéecommunautaire reprenant le modèleafricain de cohésionsociale qui reposesur la cellulefamiliale étendue au clanou à la tribu.La < Nationnpermet d'intégrer une collectivité, un K crew))ou un ((posse ,r"' quiprendla placed'un gang, voire celle d'une famille trop souvent absente.2s Afrika Bambaataapopularise le conceptfédérateur de < Nationn, adopté à I'originepar les militantsdes droitsciviques et symboled'opposition à la logique modeme d'Etat. La Zulu Nation s'instaure sur le modèle d'une < monarchie supranationale>>æ. Bambaataa s'autoproclame roi et désigne ses ministres et ambassadeurs(Zulu Queens, Zulu Kngs)chargés de diffuserla bonneparole hip hop à traversle monde.3o Les fondateursde la Zulu Nationprésentent leur organismecomme un outil structurantqui participeà la productionde modèlesen inculquantles principes fondamentauxde la morale,ainsi qu'à la créationd'une consciencepolitique. Appartenirà cette micro-organisation,c'est par ailleursse conformerà un ensemble contraignantde principeséthiques et de règles de conduite(salut rituel, valeurs morales,nomination d'ambassadeurs...), systématisés sous la forme de vingt lois rédigéespar I'idéologue du mouvement,Afrika Bambaataa.3l

--,A HuguesBazin, op. cit.,p.21. -'t7 Le "creul'et le 'posse'sont des groupes d'individus gravitant généralement autour d'une discipline hip hop.Par extension,le termepeut désigner dans le champprofessionnel un collectif musical. --,A TriciaRose, op. cit.,p.%. 29 PascaleLombard-Deschamps, Ethndqie uhaine du rnouvemerûhip-hop. Les 8-8oys dans leurs usageset représentationsspécifrques des tenitoiresurbains, Université Paris Vll, 1998,p. 33. --?n lbid.,pp.3G37. e1 "' La Zutu Nationa publiéà sa créationune table de lois composéede 20 articles.L'organisation est aujourd'huicomposée d'une multituded'antennes qui chacunediftise ses propreslois. L'organisation officielle,The UnivercalZulu Nation, publie aujourd'hui la chartesuivante composée de 19 poinb : 1. Zulu Nation is no gang. lt is an Organizationof individualsin search of success,peace, knowledge,wisdom, understranding, and the righteousway of life. 2. Zulu members must search for ways to survive positively in Ûtis society. Negativeactivities are actionsbelonging to the unrighteous.The AnimalNature is the negative nature.Zulus must be civilized. 3. Zulumembers must leam the infinitylessons. 4. Zulusshould not be afiiliatedwith any organizationswhose foundation is basedon negativeness. 5. Zulusare expected to be at peacewith self andothers at all times.

26 Le messageénoncé dans les textesfondateurs de la Zulu Nationest une apologie- parfoisobscure - de la non-violence,de la sagesseet de la tolérance.La missionque se donnela < Nationn est cellede diffuserla connaissance,d'inciter à la solidaritéinter- et intra-communautaireet d'aiderenfin la communautéà s'élever socialement32.Cette charte s'inspire de valeurs religieusesuniverselles33 et fédératricesempruntées aussi bien à la culturejudéochrétienne, à I'islamqu'au militantismeafrocentriste mais également au mysticismeafro-futuriste3a : The Universal Zulu Nation stands for: KNOWLEDGE,WISDOM, UNDERSTANDING,FREEDOM, JUSTICE, EQUALITY, PEACE, UNITY, LOVE, RESPECT,WORK, FUN, OVERCOMING THE NEGATIVE TO THEPOSITIVE, ECONOMICS,MATHEMATICS, SCIENCE, LIFE, TRUTH, FACTS, FAITH, AND THE ONENESSOF GOD.35

6. Zulus are taughtto stand up for whateverthey believein and to believein the laws Prophet Muwsa(Moses) "An eyefor an eye,a toothfor a tooth.' 7. Zulusshould greet each other with the propergreeting, such as PeaceAkhi (brother), Akhi Peace or PeaceQueen. 8. Zulusare to greettheir brothersand sisters,when entering and leavinga meetinganywhere on thisplanet earth. 9. Zulusare to stayaway ftom trouble. 10.Zulusare not allowedto settletheir difierence with other Zulus by fighting each other. 11.Zulusshould not bringother Zulus into their perconal matters. lf thereis needof guidanceor assistanceon theproblem, a Zululeader should be consulted. 12.Zulus are forbiddento advertisetheir involvementin the Zulu Nationin an unrespectfulway, especiallyusing our name with crime or violence. 13.Zulusshould remember to leada peacefulway of lifeand strive to be righteous. 14.Zulusare to searchfor knowledgeof self in orderto elevatethemselves ftom the JungleWorld. 15.Zulusshould try to uplifithe ZuluNation at alltimes.They should enlighten those who give us a bad nameinto the trueway of a Zulu. 16. All Zulusshould participate in theZulu Nation Unification Rallies. 17. Anyonenot participating in thechanges being made in theZulu Nation is nota Zulu. 18. ZuluKings and Zulu Queens are equally as importantin thefoundation. Respect must be insured. Leadersmust be respected(Kings and Queens). 19. TheZulu Nation anniversary (Founded Date) is November12. This is the officialdate and should be celebratedthe sameweek, Friday and Saturday,wherever the 12thfialls. lnformationsrecueillies sur le site www.zulunation.com. t' '4, we are dedicatedto improvingand upliftingourselves and our communities,all Zulu Nation membersshould be involvedin someactivity that is positiveand givesback to the community.Hip-Hop musicis our vehicleof expression.We can leam to write,produce, market, promote, publish, perbrm and televiseour own music,for our own people.There are too manydivisions between males and females. Thereare too manydivisions between young adults and their parents and too manydivisions between rich and poor-urbanand suburban.Now is the time for us to buildtogether as well as developindividually. All of the illsand problems that plague our community, we aregoing to address'.(www.zulunation.com.) 33'\^/" believein one God,wlro is calledby the manynames-Allah, Jehovah, Yahweh, Eloahim, Jah, God". tbid. * Voi, définitionde l"afro-tuturisme",note 36. tu L" 15ère et demier point des principesspirituels de la Zutu Nafion publié tel quel sur le site www.zulunation.com.

27 La

28 Afrika Bambaataa,baptisé aujourd'hui ccThe Godfather of Hip-Hop>, fut néanmoinsun visionnairequi a su canaliserla frénésienaissante du mouvementhip hop afin de mettreen évidencel'énergie créatrice qui pouvaits'en dégager.ll fut le premierà prendreconscience que le hip hop était un bon moyende fairepasser des messagespolitiques. Le hip hop et ses disciplinesont évoluéavec le temps; il n'en demeurepas moinsque les préceptesde la < NationZulu > et sa philosophieoriginelle y sonttoujours lisibles.al

1.3. Philosophie,mode de vie et < attituder hip hop

Rapis somethingyou do. HipHop is somethingyou live. KRS-Onea2

Le terme < hip hop > désigne une culturequi englobedes pratiquesartistiques, un code vestimentaireet linguistique,mais égalementtoute une philosophie,un mode de vie et une < attituden. Comme dans tous les mouvementsculturels jeunes liés à la musique,ses adeptes, les b-boyset < b-girtsn€, partagentdes codes, des valeurs et une vision du monde subversivequi s'opposentaux normesdominantes : Hip Hop meansthe wholeculture of the movement...when you talk aboutrap... Rapis partof the hip hop culture...The emceeing...The djayingis partof the hip hop culture.The dressingthe languagesare all part of the hip hop culture.The breakdancing the b-boys,b-girls... how you act,walk, look, talk are all partof hip hop culture...and the musicis colorless...Hip Hop musicis madefrom Black, brown,yellow, red, white ... whatevermusic that gives you the grunt...that funk... 4 thatgroove or thatbeat... lt's all partof hiphop...

Le mouvementhip hop est né du besoin d'une générationde s'identifierà des valeurc < positives>r, à convertir l'énergie négative des gangs en énergie créative. ll participeainsi à la régénérationde valeurs moralesen reprenantle discoursfondateur de la Zulu Nationet de son slogan de < paix, amour et unité >. Cette notion de valeurs

ot Si f" Zutu Nationn'aplus depuis longtemps le mêmeimpact sur la culturehip hop,elle possède encore des antennesà travers le monde et rassembletoujours des milliersd'adeptes. Cette organisation structurées'était donné comme missiond'aider à l'élévationsociale à travers la culture hip hop; aujourd'hui,activités communautiaires, distribution de nouniture,entretien et protectiondes quartierssont au cæurde son actionsociale. (lnformations recueillies sur le sitewww.zulunation.com.) o'KRS-On", "9 Elements", Krislytes(KochRecords, 2003). 43 Ou'fly girls",adepte féminine de la culturehip hop. 4 Propo.recueillis en 1989et publiéstel quelparDavey D. DaveyD., "AfrikaBambaataa's Definition of Hip Hop",23 September1996, www.daveyd.com.

D positivesenglobe un ensemblede comportements,d'identités de styleet de pensée qui s'inscritdans ce que les tenantsdu mouvementdésignent par ccattitude >. Dansle discourship hop,l'< attitude> désigneaussi bien une posturecorporelle que morale.os Outreune façonde se saluer,de parler,cette n attitude> inspiréedirectement de la culturedes gangss'articule autour de plusieursaspects, I'unité, le respect,le défi et I'authenticité. Les membresdu mouvementcherchent avant tout à intégrerun ( posse) ou un ( crewrrou. Ce cerclefraternel est forméen fonctiondes amitiés,des préférences artistiques,des alliancesavec des gangs.aTTout comme un gang,le crewest aussi unefamille. S'y intégrer,c'est apprendre à en êtredigne et respectercertaines règles. La notionde < represent>,la < représentation> filiale, est parailleurs récurrente dans le discourship hop: ldentityin hiphop is deeplyrooted in thespecific, the local experience, and one'sattachment to andstatus in a localgroup or alternativefamilies. These crewsare new kinds of familiesforged with intercultural bonds that, like the socialformation of gangs,provide insulation and support in a complexand unyieldingenvironment and may serve as the basis for new social movements.oB

Contrairementaux idées reçues,le messageporté par le hip hop à l'origine n'est pas une apologiede la violence,mais repose sur des valeurs éthiques universelles: non-violence, anti-racisme, respect, intégrité... La notionde < respect> occupenotamment une place centrale. Elle se traduitdans tous les actesde la vie, du simplesafut (< Peacen), aux hommagestextuels rendus (< Peaceto >, <, n Respecf(to) ,\, en passantpar la devisedu mouvement(n Peace and Unityt), utopieà laquellela nationhip hoptente de se tenirae.Toutes ces tournuressont autant d'expressionsqui témoignentd'un besoin de cohésion sociale. La notion de < respect> héritéedu discoursdu mouvementdes droitsciviques est essentiellepour les membresd'une communauté qui aspirentdésormais à la dignité,celle d'un peuple qui a été humiliépendant des siècleset qui est, encoreaujourd'hui, victime d'une discriminationlatente.

45 PascaleLombard-Deschamps, op, cit.,p.396. ou voi, définitionnote 27, p. 26. 47 ll conuientpar ailleursde péciser que I'histoiredes crevvsse confonden@re avec celle des gangs. Bon nombrede crerysconservent des affinitésavec leursanciens gangs, voire en font partie.Certains rappeums'affchent encore comme membres des gangsB/oods ou Cnps. 48 Tri.i" Rose,qp. cit.,p34. og Huguo Baan,q.crt, pp.3o-35.

30 Les notionsd'estime et de reconnaissancesont également liées à I'authenticité (n realnesst>, < keepit reab). Etre authentique,c'est être fidèleà l'étatd'esprit hip hop,être intègre et surtoutne pas renierses origineset le ghetto.Tout affabulateur qui trahitf 'esprit hip hop est d'ailleurqualifié de n se// otJtt>æ. La modevestimentaire, la gestuelleet I'apparencephysique en généralparticipent également d'un désir de signalisersa fidélitéà la culturehip hopet au ghetto. Dans ses redéfinitionsde la culture hip hop, KRS-Ones1intègre la mode vestimentaire(n sfreef fashionn) en tant qu'élémentà part entièrede la culturehip hop.u'Commel'observait Roland Barthes dans son étude sémiologique du vêtement, I'habit exerce une activité signifiantequi permet l'élaborationde codes de reconnaissanced'un groupe.utLe code vestimentairequ'adoptent les b-boyset fty girtsilest un aspectostensible d'affinités, voire d'appartenance au mouvement,à un crewou encoreà un labelde musique.ll manifesteaussi bien un stylede vie qu'une manièrede penser. Le t-shirtlarge et le pantalonb"ggyuu porté sans ceinture sont une tradition des milieuxpauvres américains où beaucoupd'enfants et d'adolescentss'habillent de

50 on peuttraduire "se// ouf par"vendu". A proposde la quêted'authenticité, voir aussitroisième partie pp. 289-299. 51 KRS-One est également I'instigateurdu "knowledge rap' ou "teaching rap" et du concept d'edutainment,alliance de l'éducationet du divertissement. Voir égafementà ce sujetle chapitreconsacré àl'edutainment, pp. 129-138. u' KRS-On"offre ses propresredéfinitions dans un morceauintitulé'9 Elemenb". One:Breaking or breakdancing Rallyb-boying, freestyle or streetdancin' Two: MC'ingor rap Divinespeech what l'm doingright now no act Three:Graffitiart or bumingbombin' Taggin',writin', now you're leaming! uh! Four:DJing, we aint playing! fscratch] You knowwhat l'm saying! Five:Beatboxing Giveme a {*beatboxin}Yes andwe rockin'! Six Streetfashion, lookin'fly Catchin'theeye while them cats walk on by Seven:Street language, our verbalcommunication Our codesthroughout the nation Eight Streetknowledge, common sense The wisdomof the eldersfiom wayback vuhence Nine:Street entrepreneur realism Nojob, just get up call'em and get'em KRS-One,"9 Elements',Knsfyles (Koch Recods, 2003). 53 RofandBarthes, Système de ta mode,Paris: Le Seuil,1967. * ou "b-girL". 55 Pantalontrès laqe.

3l vêtementstrop largespour pouvoir les porterplus longtempss. Cette mode, ainsi que le portdes basketssans lacets,sont égalementdes allusionsaux nombreuxdétenus noirs.Le laçageet tesbandanas de couleurmarquent une filiation à un gang.Le bleu est par exemplela couleurdes Crps et le rouge celle des Bloodss7.Les couleurs deviennentdes référentsessentiels qui peuventà tout instantsignifier la mortcomme l'évoquelce T dansun morceauintitulé Colors: ( My color'sdeath ,rut. A celas'ajoute une séried'accessoires qui peutaller du pendentifreprésentant le symboledu dollar ou l'étoifeà trois branchesd'une voiture de luxe,au nameplafeun,en passantpar la chevalièregrossière ou encorele poingaméricain. La modevestimentaire hip hop a égalementévolué avec le rap.A ses débuts, les vêtementssportifs souples comme le survêtement,le t-shirt, les baskets,la casquetteou le bonnet correspondaientaux exigencesdu breakdance,socle du mouvementhip hop.Avec la politisationdu rap sontapparues des tenuesmilitaires, notammentde camouflage,référence au ghettocomme métaphore de la jungleoù il est possiblede tromperI'ennemi, en I'occurencela police.Les b-ôoysafrocentristes choisirontquant à eux d'arborerun lookaux multiplesréférences africaines (pendentif représentantle continentafricain, coupe de cheveuxafro, couleurséthiopiennes, coiffesafricaines...)60 Avecla consécrationdu gangstarap6l au débutdes années 1990, une nouvelle tendancevestimentaire est apparue,une mode esthétisantla réalitécriminelle du ghetto.Tel un hommageà la culturede ghetto,les b-boysgangsta aiment cultiver une imagede c bad manrru' exhibanttous les signesextérieurs de richesseliés à la criminalité:vêtements griffés, lourdes chaînes en or, dents sertiesde diamantset autres< btingbling >63. Les criminelsdu ghettoportent en effet sur eux leurs biens

56 D'artresobservateurs attribuent une originedélinquante à cettetradition qui seraitune référenceaux détenusqui ne peuventporterde ceintures, ni de lacets. 5t Voir,aussi à proposdes gangscalifomiens note 38, p. 189. 58 lce T, "Colors",Coloæ (Wamer, 1988). 59 Insignesur lequelest inscritle nom ou pseudonymed'un b-boy. ll s'appliquegénéralement sur le supportde la boucledu ceinturon. 60 CheryfL. Keyes,"At the Crossroads:Rap Music and lF AfricanNexus", Ethrcmusicotogy, vol. 40, N' 2, Spring/Summer1996, p. 242. t' voi, définitionpp. 1oo-102. 6t Voi, à ce propostroisième partie, pp. 262-269. 63 La nouveffeédition du ShorterOxford Engtish Dictionary (2002) ofre la définitionsuivante: 'The wearingof expensivedesigner clothing and flashyjewelry." '8G", Le rappeurBG est à I'originede ce terme. (Epée Hervé, Radikal juillet-août2003, p. 66.)

32 précieuxpour des raisonspratiques. Exhiber tous ces signesostentatoires d'un luxe éphémèreparticipe également d'un besoind'afficher sa positionsociale au sein du ghetto et trahit un fort désir de reconnaissancesociale.6a Depuis I'avénement du gangstarap, )es chanteuseship hop cultiventelles aussi le look 65, portantet célébrantmarques de luxe, de Gucci à Versaceen passantpar Louis Vuitton66. À cette sophistications'ajoute une démarchecalculée et une allure altière résultant elle aussi d'une recherche stylistique.6tL'attitude nonchalantede n coolness1168, héritage de I'oppressionraciale, signifie leur appartenanceau monde sans pitié du ghetto. Cette nécessitéconstante de garder son ( sang-froid> et d'afficherune impassabilitéglaciale est en effet< un mécanismed'accommodation, de défense,et de compensation,ru'qu" les Noirs américains ont dû adopterpour survivre dansle ghetto.Les b-boyscultivent de la sortecette image de < mauvaisgarçon > du ghetto. Le mouvementhip hop a élaborétout un langagedu corpsqui transparaîtdans une gestuellespécifique, héritée en partiede la culturedes gangs.Elle réunit tout un ensemblede gestesrituels et de posessignifiant I'appartenance à un clan ou ayant une fonction communicative.Les actes de langage sont systématiquement accompagnésde mouvementsdes bras et de signes de la main pour étayer le discours,notamment lors des pertormances rappées.

64 D"na son autobiographie,lce T rappelleque I'apparencevestimentaire a toujoursété essentielledans le ghetto.ll ofte I'exempledes baskets- devenuesaujourd'hui des objeb de consommationrévérés - et que les enfanb du ghetto entretiennentavec passion parce qu'il s'agit de la seule richessequ'ils possèdent.(lce T & HeidiSiegmund, op. cit., p.20.) 65 Néologismecréé par Ali, un amalgame de'bourgeois" et de'ghetto"qui qualifie la conditionsociale des jeunesissus du ghettoet qui se retrouventdu jour au lendemainplongés dans la vie bouçeoise: "Sheboughetto, that meanshe bourgeoisand ghetto Bourgeoiscuz her shoesalone cost a grand Ghettocuz shecuss too muchand talk withher hands' Afi, 'Boughetto",Heavy Starch (Univercal, 2002). uu C"tt" célébrationdes marquesde coutureest apparuedans les ghettosà la fin des années1970. Les tout premiersadeptes du mouvementhip hop'samplait'déjàles logosdes grandes marques telles que Gucci,Chanel pour customiser leurs vêtemenb. (Nelson George, Hip HopAmeica, pp.159'161.) 67 PascaleLombard-Deschampe, op. cit.,p.336. 68 Voi, ég"l"mentà ce sujet pp.286-287. tt Mi"h"tFabre,qp. cif.,p. 106.

33 Tout ce jeu procèded'une théâtralisation du quotidien.ToL'. L'emploid'un certain nombrede codescommuns aussi bien vestimentaires que gestuels - maisaussi d'un sociolecte- et le partagede certainesvaleurs sont autantde signesqui participentà l'élaborationd'une identité sociale.

1.4.Les autres expressions de la culturehip hop

1.4.1 . Expressionscorporelles

La danseest un élémentessentiel de la culturehip hopcomme elle le fut en son temps pour le jazz, le rhythm'n'blueset pour I'ensembledes musiquesafro- américaines.ll convientde rappelerqu'en Afrique occidentale comme dans I'ensemble des pays de la diaspora noire du continentaméricain, la danse accompagne traditionnellementle quotidien des hommes.Qu'elles aient été rituellesou festives,les danses sont indissociablesdes musiquesttqui vont accompagnerles différentes existencessociales des Afro-Africains.Dès leur arrivéedans le NouveauMonde, les Noirs américainsont tenté de se préserverde I'aliénationen ranimant cette réminiscenceculturelle enfouie au plus profondd'eux-mêmes. La dansea toujours joué un rôleessentiel de parsa fonctioncathartique. On retrouvedans le mouvementhip hop cette relationintrinsèque entre la danseet la musique.Si la dansehip hopest apparuebien avant la naissanced'une consciencehip hop et a joué un rôle précurseurdans le mouvementT2,les premiers pas dansés hip hop se sont esquissésparallèlement aux premièresexplorations rythmiquesdes DJs. Le termegénérique de < breakdance>, employécommunément pourdésigner la dansehip hop,renvoie par ailleursà la notionde coupurerythmique, le < break>73,cet instantpropice à la danse.Le breakest en effet le momentoù la musiques'anête, à I'exceptionde la batterieet de la bassequi seulescontinuent à

70 PascaleLombard-Deschamps, op. cit.,p.311. tt Eif""n Southem,Histoire de la musiquenoire américaine, Paris : BucheUChastel, 1976, p.27. 72 Mr Fresh,Tout sur le breakdanceet la cufturcHip-Hop,Lausanne : P.-M. Favre, 1984, p. 31. t' L" t"-" de'breal( renvoieà la notionde rythme< cassé> développéà I'originedans le iazz. Le "breal( est une rupturefihmique de la phrasemusicale avant la reprisede la musique.(Jean-Paul Levet, Talkin'that talk : le langagedu blueset dujazz, Paris: Kargo,2003, p. 107.)

34 marquerle rythme.Kool Herc,le DJ pionnierdu mouvement,avait bien comprisce phénomèneet jouait inlassablementces passages.Le < break) sera par ailleursà t'originedu terme< b-boyrr.to Cette place privitégiée accordée initialement à la danse transparaîtégalement dans le termemême de < hip hoputt. Parailleurs, bon nombre de rappeursont commencépar flirteravec la danseavant de se lancerdans une carrièrede MC76. C'estavec I'avènementdu rap à la fin des années1970 que danseursde < breakn et DJsvont se rencontreret se produireen spectacle,révélant au mondela culturehip hop.Les années 1980 voient la reconnaissanceculturelle de cettenouvelle dansegrâce aux médiaainsi qu'aux professionnels de la dansequi vontpuiser dans cette nouvellesource vive. Pivot du mouvementhip hop, le breakdancea permis notammentde populariserà l'échelleinternationale la mode vestimentairesportive, plusconnue aujourd'hui sous la dénominationde sfreefwear ou casualwear. Les sourcesoriginelles du breakdancesont plurielleset portenten elles les tracesd'un métissage.De manièregénérale, la danse hip hop est une création nouvelledont les origines lointainesremontent à certainesformes de danses africaines,connues au Brésilsous le nomde < capoeira), unestylisation dansée des gestes de combat au cours de laquelle les hommes s'affrontenten un duel chorégraphiquebelliqueuxtt. Certains observateurs ont égalementrévélé quelques similaritésavec certains pas que I'on dansait dans le Harlemdes années 1920.78 to voi, définitionnote 20, p. 25. 're,'- L'étymologieexacte du terme"hip hop" donne lieu à de multipleshypothèses. On admetgénéralement quefe vocable"hip", provenant du wolofhipi,"ouvnr les yeux", signifie, dans le jargon des musiciens, "être cool",mais aussi "demier cri",'branché". Quant au verbe"to hop',onomatopée suggérant le saut,il était dansles années1930, synonyme de "danse/'.Cette indication nous rappelle que la danseconstitua le fondementoriginel du hip hop.Dans le contextede la culturehip hop,il sembleraitpar ailleursque les répétitionsde "the hip hop,you don't stop" aient été les premièresinterjections lancées par les MCset les breakers,pour marquerle tempolors de leurspefformar?ces. Selon Fab 5 Freddy,DJ Hollywoodserait I'inventeurde cetteexpression, qu'il utilisait au milieudes années 1970, lorsqu'il enchaînait les disques et qu'ilclamait dans son micro:'To the hip hop,hop, the hip...hippy hippy hop andyou don'tstop... ". Incessammentrépétée par les MCs au coursdes soirées,la formuleallait s'imposer comme I'expression clé du mouvement.Elle sera par la suiteofficialisée par Afika Bambaatiaa,pour désigner I'ensemble des trois principalesdisciplines hip hop : le graffiti,le breakdanceet le rap. Le termede "hiphqp" est doncun mot de scaf,comme le fut plustôt le vocable'be bop".ll évoqueainsi la filiationdes traditionsmusicales afro-américaines.Le terme "hrphop" existaitpar ailleursdéjà dans les années 1960 et désignaitdes soiréesdansantes. (Geneva Smitherman, Black Talk,New York: HoughtonMifilin, 1994, p. 162; Major Cfarence(ed.), Blfack Slang: A Dictionaryof Afro-AmericanTalk, London: Routledge & KeganPaul, 1970, p.66;Fred Bathwaiteaka Fab Five Freddy, Fresh Fly Flavon Words & Phrases of the Hip-Hop Genention,Stamford: Longmeadow,1992, p. 32 ; AlexOgg, David Upshal, op. cit., p. 29.) 7A'- Voirnote de pasde page20, p. 25. 77' ' Mr Fresh,op. cit.,p. L tB K"trin" Hazzad-Donald,"Dance Hip Hop Culture",in WilliamE. Perkins(ed.), Droppin'Science, Philadelphia:Temple University Press, 1996, p.222.

35 L'unedes influencesles plus récentesest cependantla musiquefunk. Les pas de dansesnovateurs improvisés par JamesBrown - notammentson jeu de jambes baptiséle GoodFoof, qu'il popularisedans sa chanson< Get on the Good Foot>>7e - allaientêtre une énormesource d'inspiration pour les adolescentsdu Bronx8o.À cela allaitégalement se grefferI'apport chorégraphique des jeunesPortoricains, amateurs de disco.Les danses hip hopse démarquentnéanmoins radicalement des formes qui les ont précédéesà traversleur forme, leur nature athlétique, leur esprit contestataire, leuragressivité et leurmodernité. Dès la fin des années1960 s'établit dans les ruesde New York un retourà la traditiondu combatdansé. Des jeunes de clansrivaux se retrouventet s'affrontentlors de compétitionsde breakdance(< battles.rr)au coursdesquelles il convientde montrer devantun parterred'admirateurs ou de concurrentspotentiels qu'on est le plus habile. La danseparaphrase les rivalités.A l'égaldes joutesverbales du rap, le défi est au cæur de la performance.Celui qui remportel'épreuve est celuiqui montrele plus de dextérité,de vitesseet de style. La notionde compétitionest I'un des principes fondamentauxdu hiphop et de la danse. La créationde défis dansés permetde canaliserla violenceau profit de I'expressionartistique, une altemative à la misèresociale et aux gangs.Néanmoins, les b-boys ne délaissentpas pour autant le principed'identité collective et se réunissenten crewsttpour s'affronter symboliquement. Les préceptesdes sportsde combat, permettantde substituerI'acte à la parole,jouent par ailleurs un rôle prépondérantau seinde la culturehip hop.82 Plusque la simpleperformance gymnique, c'est un ensemble de facteurs socio- culturelsqui est à I'originede I'explosiondu breakdance.Le breakdanceou b-boyism apparaîten effetdans les quartiers où la jeunessen'a pasaccès à la culturepopulaire courante.C'est donc en réactionà cet élitismeculturel qu'elle décide de s'approprierla rue et les espaces publics.Afrika Bambaataa,parraln du mouvementhip hop, institutionnalisedans les années1970 le breakdanceen organisant,au coursde block

78 M, Fresh,op. cit.,p.8. tnJ"r"" Brown,"Get on the GoodFoot', Gef on the GoodFæt(Polydor, 1972) 8o M, Fresh,op. cit., p.2g. 81 Parmifes plus célèbres, citons les RockSteady Crcw et NewYork City Breakeæ. 8' Bon nombrede rappeursde la côte Est se revendiquentdes philosophiesorientales liées aux arts martiaux.A titre d'exemple,le collectifdu Wu-TangClan se réfèreconstamrnent à la philosophiedes moinesshaolin. (Steven Stancell, RapWhoz Who, New York: Schirmer Books, 1996, p. 309.)

36 paftiesou dansles night-clubsnew-yorkais, des compétitionsau coursdesquelles, les rythmes< cassés,rtt desdisc-jockeys accompagnent les figures dansées des b-boys. Au milieudes années 1970, les premières figures de breakdanceétaient moins complexeset moinspérilleuses qu'à l'heureactuelle. C'est à forced'affrontements que les danseurs se perfectionnerontet créeront des figures de plus en plus spectaculaires.Le breakdancecomprend trois grandes catégoriesde danses (< etectricboogie >, < break >, <)84 qui elles-mêmesoffrent un éventailde prouessesacrobatiques. L', est la formede breakdancela pluschorégraphique. Apparue au milieudes années 1970 en Californie,de nombreusesfigures de l' décriventde manière mécaniquedes scènesmimées de la vie quotidiennett.Bien que moinsvirulent que le rapdans son message,la dansene veutpas moins exprimer une prise de conscience. Le caractèrerobotique de I'n electricboogie n quivibreau martèlementde percussions électroniques,est en fait une métaphorede la mécanisationet de I'isolementde la vie moderne,voire du dysfonctionnementde la société86. Le . Le ç uprockn est une dansede combatinspirée des arts martiaux,dans laquelle les danseursmiment un combatsans se toucher.sT Toutesles expressionscorporelles du breakdancesont de naturevirile. De par sa nature,le breakdanceexcluait à ses débutstout défi entre danseursde sexe

tt voi, définitionnote 73, p. 34. & Mr Fresh,op. cit.,pp.21-28. 85 Citon, le^lockil" est unefigure d'imitation exagéée des mouvementsdu rire.La figuredu "robot"mel en scènequant à elle la robotisationde la vie modeme.(Mr Fresh,op. cit.,pp.2*28. ) 86 L" l"an"', un mouvementcoulé donne I'illusiond'une onde électriquetraversant le corps. Le "heartbeaf, mouvementoù la main donne l'illusionde frapper la poitrine.Le "co{lapse",figure de mannequins'efiondrant, ou enconele "moon walk' popularisépar MichaelJackson et décrivantune marcheinversée. (lbid. ) 87 tbid.,pp.24-25.

37 opposé88.tl existait alors une performancegymnique, aujourd'hui quelque peu désuète,pratiquée essentiellement par les femmes: le < doubledutch ), un jeu de cordes à sauter produisantun son rythmé qui accompagneles mouvements chorégraphiquesdes < sauteuses>.8e Les pas de danseship hop sont le refletet le résultatde la marginalisation socio-économiquede ses acteurs.Le caractèrebelliqueux laisse en effettransparaître un désird'affirmation et de dépassementde soi. Le breakdanceest un défiaussi bien aux loisde la société,de par son caractèreurbain, qu'à cellesde la nature.La danse hip hop est accompagnéepar ailleursde nombreuxgestes et posesqui prolongent cette bravade,entre autresles bras croiséssur la poitrine,symboles de force et de virilité,et les posesfinales au sol (< freezer) qui paraphentchaque performance d'une notepersonnelle. L'aspectspectaculaire de la dansea assuréà I'ensembledu corpuship hop une reconnaissancerapide auprès du grandpublic. Du statutde subcu/fure,la danse hip hopest passéeaujourd'hui à celuid'art légitime. Les années 1990 ont vu en effetla reconnaissancedu hip hop par le milieude la dansecontemporaine à la recherche d'un nouveaudynamisme.e0 Même si la professionnalisationdes danseurset l'élaborationde chorégraphiesI'a quelquepeu dénaturée,la faisantdériver vers un esthétismeformel sans grand rapport avec son origine, la dansehip hopn'a pas perdu la vitalitéqui la caractérise. L'art du breakdancing,qui était tombé en désuétudedès la fin des années 1980,est revenusur le devantde la scèneau milieudes années 1990, accompagnant le retournostalgique d'une vague de productionsmusicales d'inspiration old school.On assiste depuis à des concoursd'envergure internationale, notamment la célèbre < Battleof theyear D qui permetaux meilleurccrews du mondeentier de s'affronteren Allemagneet qui prouved'année en annéeque le breakdanceest un art en évolution permanente.

tt K"trin" Hazzard-Donald,qp. cit.,p.225. 89 Hrgr". Bazin,op.crf.,pp. 145-146. to Voi, à ce sujetLouis-José Lestocart, "Hip-hop et dansecontemporain e", Tenitoiresdu hip hq, Pans: Art-Press,no3, janvier 2000, pp. 69-73.

3E 1.4.2.Arts graphiques

C'estavec I'apparition du mouvementhip hopau milieudes années1970 que sera révéléau grand public une nouvelleforme d'expressionvisuelle qui allait bouleversertous les préceptesde I'art graphique: I'art du graffiti. On entend généralementpar arts graphiques hip hop,le taget le graffl. Dansla culturehip hop, le motgraffiti est le termegénérique désignant le fait d'utiliserune bombeaérosol pour produiredes peinturesmurales dans la rue. La pratiquedu graffiticonstitue un défià de multipleségards. Plus que le simple fait d'aspirerà une reconnaissanceartistique et sociale,ses auteursparticipent à une révoltedont la bombeaérosol est devenueI'arme, révolte dans I'acte même puisqu'il est illégal, révolte de I'esthétiquepuisque les artistes se libèrent des normes conventionnellesde la peintureclassique, mais aussi << révolte contre I'uniformisation de I'espaceurbain >e2. Tantôt relégué au rang de gribouillagesinsignifiants, tantôt élevéau statutd'æuvre d'art à partentière, le graffitiest un objetde polémiqueentre ses acteursqui veulentlui faire reconnaîtreI'expression artistique, les autoritésqui s'interrogentsur sa légitimitéet la sociologieurbaine qui ne lui accordede sensqu'en milieuurbain, y décelantune problématique de la ville.La pratiquedu graffititémoigne en effetd'un rapportparticulier à la villeoù se mêlentesthétisme et vandalisme.n'Si la revendicationdes graffeursest souventfloue, le graffTtidevient un phénomène directementpolitique dans son rapportaux autoritéset aux citoyens.sa Si le graffiti,considéré comme le simplefait d'écriresur un mur,existe depuis des millénaires,il resurgitde manièremarquante dans les années1960 à I'initiative desgangs. Après la SecondeGuerre mondiale, I'arrivée de minoritéshispaniques dans les métropolesaméricaines voit I'apparitionde nouveauxgangs, conséquence collatéralede la pauvretéet du racismequi parquentles minoritésethniques dans des

91 On emploieaussi communément "graff commeI'abréviation de graffiti. ll convientici de distinguerI'art à part entièredes graffitiet les formesde vandalismeapparues suite à I'explosionde I'arthip hop. 9' Hugr", Bazin,op. crf., p. 199. tt Af"in Milon,L'étnnger dans ta vitle.Du rcp au gntr mural,Paris : PUF,1999, p. 107. s Voi, à ce sujet Piene Blanchon, Au cæurde ta vitteet aux frontièresde t'aft:ta pntiquedu grcffiti, UniversitéLouis Lumièrc, Lyon ll, 2000.

39 ghettos.Leurs membres maculent les mursde la villede tags afin de marquerleurs territoires.es S'il y a antérioritéde I'art du graffitipar rapportau mouvementhip hop, les graffitisvont être spontanémentabsorbés par la culturehip hop et rejoindreson discoursfondateur dans lequel rap, danse et graffitisont définis comme éléments d'un granddéfi symbolique.Le graffitiest de mêmenature que les disciplineship hop, puisqu'ilse caractériselui-aussi par son actecréatif; sa performanceet la structurede son déroulementso,I'esprit de compétitionet de dépassementde soi, maisaussi dans le détoumementculturelde lieux non dévolus à ceteffet. Commetoutes les autres expressions hip hop,c'est dans I'espace urbain, plus particulièrementsur les mursdes villes,les tenains vagues ou encoredans le métro, que sont nés les premierstags et graffitis.L'art graphiquehip hop est tout d'abord apparusous I'aspectprimaire du tag, une signatureou un travailde lettrage.Les graffeurs,ou graffiteurs,eTvoulant se défier mutuellement,se mirent à couvrirdes surfacesde plus en plus imposanteset de manièrede plus en plus élaboréeet donnèrentnaissance au graff.Ce dernierpeut être figuratif ou abstrait,il peut prendre les traitsd'un slogan,d'un portraitou d'unefresque représentant une scènede la vie urbaine. Le tag conespondà la signaturesauvage et illégaleet s'opposegénéralement au graff,genre plus élaboré. Si les tagstrouvent leur origine dans la délimitationde territoiresdes gangs,ils ne serontrévélés au grand publicqu'en 1971à traversun articledu NewYork Timeses présentant un jeune homme de 17 ansd'origine grecque, qui signesur les monumentset le métro: TAKI183.ee Cet article fait partd'un nouveau phénomène,celui des livreursou coursiersqui sillonnentla ville et s'amusentà apposerleur surnom et le numérode leurrue sur les mursde la cité.

tu Al"in Milon,op. cit, p. 1og. Cette traditiongraphique est plus particulièrementattribuée à I'immigrationhispanophone du fait de I'héritagemuraliste mexicain, qui s'emparaittraditionnellement des murs comme d'un supportaux revendicationspolitiques. Voir à ce sujetle chapitre"Le muralismechicano aux Etats-Unis"paru dans ElyetteBenjamin-Labarthe, L'imagedans la cuftureaméricaine, Toulouse : Pressesde ltUniversitéde Toulouse,2000. 96 La notionde défiartistique est notammentrenforcée par son caractèreillégal. " L"" graffiti-artistessont aussi désignés "aeroso/ arfisfs". (Alain Milon, qp. crf.,p. 109.) Lestiagueurs sont également désignés par le termeanglais de 'wnfers'.(Hugues Bazin, op. ctf.,p. 165.) OA-- CharfesDon Hogan, "Taki 183 Spawns Pen Pals", NewYorkTimes,2l July 1971, p.37. 99 Af"in Vulbeau,"Les tags, spectresde la jeunesse.Histoire d'une nouvellepratique urbaine ", Annales de la rechercheurbaine, n'54, 1995,publié surwww.urbanisme.equipement.gouv.fr. Voiraussi à ce sujetHenry Ghalfant, Martha Cooper, Subway Art, New York: Henry Holt & Co, 1984.

40 Le tag est la signaturestylisée d'un pseudonyme,exécutée au marqueurou à la bombeaérosol. L'action de < poser> un tag, sa marquegraphique, sur les mursde la ville peut être comprisedans les deux sens: laisser,d'une part, une tracede son passageet < combattreI'anonymat en revendiquantun nomet uneréalité propre ,rtoo - mêmes'il s'agitd'un pseudonyme- et, d'autrepart, (( imposerun logo, une étiquette publicitairequi s'inscritdans une véritablestratégie de marketingutot. Le tag n'est doncpas si < sauvage>, il obéitmême à < uneoccupation méthodique de I'espace>, notammentsur les supportsmobiles.1o2 Le tagueuraccompagne en effet les voiesde communicationet de passagepour démultiplier sa présence.tot La compétitionentre graffeursest égalementpolicée, elle se structureà I'intérieurde règles et de rites initiatiques.'o4Les graffeursforment des équipes (< crewsr) qui élaborentde véritablesstratégies et méthodespour mener à bien I'exécutionde leur arttot.Les premierstagueurs étaient obsédés par I'idéed'atteindre les endroitsles plus spectaculaires,insolites ou difficilesd'accès. C'est par tags interposésqu'ils se lançaientdes défis dont le butultime était d'acquérir la plusgrande notoriété,la reconnaissancede sespairs, le < respect>. Les graffiticonnaîtront une évolutionstylistique favorisée par cet esprit de compétition.La notionde défi et le goûtde la performancesont omniprésents dans les arts hip hop où la surenchèreest la règle. La multiplicationdes

too J""n Baudrillard,L'Echange symbotique et la mort,NewYork Gallimard,1976, p. 121. tot Hugr", Bazin,op.crt.,p. 1Bg. to' tbid.,pp.192-193. 103 tbid.,p.193. 1M L"s maîtresgraffeurs sont désignéspar le terme 'l(hg", les apprentisne sontque de simples'Toys". Les "rookies"sont quantà euxdes tagueursdébutants. Pascafe Lombad-Deschamps,op. cit.,pp. 141 -1 43. tou Un" techniquede graffeurconsiste, par exemple,à graffersur les murs mitoyensdes bâtiments promisà la démolition.Une fois l'édificedétruit, le graffapparaît au grandjour à plusieursmètres de haut où il resteintouchable. 106 P"*i les quelquestypes de lettrage,citons : Le"blocksfyle" est un tag composéde lettrescanées. Le style"3D"est un travaildelettrage en 3 dimensions. Le"bubbleleffers' ou'flop-,style de lettrageanondi. AfainMilon, op. cit.,p. 111.

4l Le graffn'est donc pas seulementla simpleextension prétentieuse du paraphe originel,il prend la plupartdu temps la forme de dessinsfiguratifs et burlesques, parfoisagressifs, s'inspirant des personnagesde bandesdessinées. Les graffeurs célèbrentà traversleurs æuvres le modede vie hip hop,le ghettoet la rue, maisleur messagepeut prendreaussi une dimensionpolitique. Grâce à I'améliorationdes techniquesde < bombagerrtot, bs graffeurss'orientent progressivement vers un certainréalisme, ils affinentleurs æuvres qui prennentdans certains cas les traitsde véritablesfresques. Dansles métropolesà forte minoritéhispanique, on trouvetraditionnellement des murs peintsqui servaientde supportd'expression politique ou militante.Cette résurgencede fresquespolitiques dans les ghettosà la fin des années1960 était une conséquencede la répressiondes émeutes urbainesde la période < post-droit civiquesrr.tot La culturehip hop réactualisaégalement cette tradition. C'est ainsi que I'on retrouveaujourd'hui dans les ghettosdes panoramiquesmuraux abordant des sujetssocio-politiques aussi variés que I'unitédes opprimésou la paix mondiale.loe Ces æuvresparfois collectives sont de véritablespages d'écriture, célébrant la culture latine métissée(< brown pride>), décrivantdes scènesdu quotidienurbain, des événementshistoriques ou encoremettant à I'honneurdes personnalitéssous la forme de portraits. L'art du graffiti s'est développéégalement dans les couches socialeset ethniquesréputées difficiles, souffrant de difficultésd'intégration110. A I'instar des rappeurset danseurs,les artistes-graffiteurship hop se veulentdonc porteursd'un messageau-delà de I'expressionartistique pure. Le graffitipossède en effet une dimensionsubversive qui se situeautant dans son discoursque dansle détournement de I'espacequ'il opère. L'omniprésence de graffitiou de tagss'apparente à une forme symboliquede contestationsociale. Ainsi peut s'interpréterle fait de taguer de préférenceles lieuxinstitutionnels et les infrastructurescollectives comme si, par leur acte, les acteursvoulaient signifier leur ragede ne pas être considéréssocialement. tot L", valeursesthétiques du graff sont par ailleurs intimementliées à leus valeurs techniques, notammentla maîtrisedes lignes('otttline"). ll faut par exempleéviter les couluresou savoir choisirla texturedes surfaces. HuguesBazin, op. cit, pp. 170-171,174. 108 J""n Baudrillad,op. cit.,p.119. tot tbid.,p.127. tto Si de jeunesNoirs et Hispaniquessont à I'originedu mouvementhip hop, I'art des graffitiest I'expressionhip hop qui touchenéanmoins le groupesocial le plushétérogène. Le phénomènegraphique a attiréen effetdes artistes de toushorizons, jeunes du ghettocomme étudiants en arb plastiques.

42 Commele note HuguesBazin dans son étudesociologique consacrée au hip hop,le graffitiparticipe d'une < révoltesilencieuse contre I'uniformisation de I'espaceurbain mais significatived'une volonté d'inscription sociale ,r"t. Pour Baudrillard,tes tags sauvages mêmes sont peut-être des < signifiantsvides d'un point de vue sémiologique>, mais qui luttent< contre le pouvoirterroriste des médiaspar une interventionfaconique qui se contenteanonymement de duei'existe >>.112 Si les graffitisdélivrent un message,c'est donc avant tout par la forcede leur présence.Les graffitiset plus particulièrementles tags apparaissentbien souvent comme une révolte incohérentedélivrant un messagepeu structuré113.lls sont considéréspar le grand publicet les autoritéscomme des formes de pollutionet d'agressionvisuelles, car ( ils font irruptiondans la ville blancherrtto. Cet acte de transgressioninterpelle quotidiennement le passantet les pouvoir publicscar ils révèlentles dysfonctionnementsde la société.Cette < insurrectionpar les signes,rttt humaniseaussi les lieuxpublics aseptisés, en instaurantparallèlement une frontière invisiblerévélant I'existence de I'autre,celle du ghetto.tt6 Le graffitiva se parfaireet acquérirses lettresde noblessedès la fin des années 1970. De nombreuxgraffeurs rejoindront rapidement le monde de I'art institutionnel.Des artisteship hop ou indépendantsà I'instarde KeithHaring, Futura 2000ou de I'HaiTienJean-Michel Basquiattlt, dont I'artabstrait s'inspire de la rue, investissentdésormais les galeriesd'art internationales"s.Accusés à leursdébuts de vandalisme,les graffiteurssont parfoisinvités à réhabiliterun matérieldéfectueux, laissantainsi transparaître le caractèreesthétique de leurtravail. Les institutionssont

tt' Hrgr", Bazin,op. cit, p. 199. tt' J"un Baudrillard,op. cit.,p. 121. t"Al"in Milon,op. crf., p.118. t toJ""n Baudrillard,op. cit.,p. 127. La municipalitéde New York a déclarédans les années1980 une véritrablegueffe contre les graffitis, déboursantdes sommesconsidérables pour nettoyerle métroet dissuaderainsi les tragueurs.(Pascale Lombard-Deschamps,op.cit., p. 139.) ttu J""n Baudrillard,op. cit.,p. 118. 116 Hugr", Bazin,op. crt, p. 198. t1t C", troisartistes sont loin de la vagueinitiale des tiagueurs, on les qualifiede Post G, lffitiArtists. AlainVulbeau, op. cit. tt8 L'"rt du graffitiseraensuite popularisé et révéléau grandpublic au débutdes années1980 grâce à deuxfifms, le documentaireSfy/e Wars et le documentiairefiction Wild Style. TonySifver, Style Wars, (1983). CharfieAheam, Wild Style,(1982).

43 prisesdans un paradoxe: à la recherched'une image novatrice, elles puisent dans les artsde la rue poursignifier leur modernité. L'art hip hop est né d'un besoinde popularisationde I'arten s'appropriant I'espaceurbain. Les mursdes grandesmétropoles du mondeentier sont aujourd'hui ornésde calligraphiesoriginales et les artsgraphiques hip hopsont passés du statut d'artsauvage à celuid'art légitime et reconnu.Le graffitiqui, de parson omniprésence, a permisde révélerle mouvementhip hop au grandpublic, a été récupéréà son tour par les médias.ll n'est plus synonymede dysfonctionnementde la société,mais symbolede modernité.

44 Chapitre2. Le rap,une musiquenoire

2.1.Définition et étymologie

Le rapest l'expressionla pluspopulaire du mouvementhip hop, les notionsde < hip hop> et ( rapD sont d'ailleurs fréquemmentutilisées de manière interchangeable.ll n'est pas interditen outrede parlerde < culturerap ), lorsqueI'on évoquela mouvancehip hop. fl sembleraitque le verbe< to rapr ait été utilisédès le XVle siècledans le sens de < dire), ( prononcer>. ll est par la suiteemployé aux Etats-Uniset signifie dansun langagefamilier < taquiner>, <, <, ( se parjurer> à compter XVff fe siècle.11eCe n'est que vers 1870 que < to rapr prend pour signification <>, << discuter >. Pour trouver une acceptionplus proche de I'utilisation actuefledu terme, il faut remonteraux années1940-50, date à laquelle prendla significationde < baratiner>, <r, puis, par extension,< jouer avec les mots>, <> souvent enjôleur122. ll indiquealors, par extension,un discoursqui coule de manièrerythmée, une conversationcolorée, dans lesquels le protagonistemet en valeursa personnalitéavec emphaseen s'opposantà soninterlocuteur.l23ll désigne également un verbiagevisant souventà duperson interlocuteur. Dans la traditionargotique afro'américaine, le terme de < rap n désigneau figuré une personnedont la paroleest incisive,quelqu'un qui manie les mots avec dextérité,un beau parleur utilisanttoutes les subtilitésdu langagede la rue et possédantun sensacéré de la répartie.< Rapper> devientà la fin des années1960 un art rhétoriquede persuasion,utilisé par les leadersmilitants des droitsciviques à

ttt J. A. Simpson& E. S. C. Weiner,Ortod EnglishDictionary, vol. X, 2ndEdition, Oxford: Clarendon Press,1989, p. 185. 120 bid. 121 Ann" Méténier,Le BtackAmeican English, Paris : L'Harmattan,1998, p. 123. 12 G"n"u"Smitherman,Tatkin and Tedifyin:The Languageof BlackAmerica,Boston: Houghton Miffiin, 1977,p.69. 123Anne Méténier,Le BtackAmerican Engtish, p.123.

45 I'instarde Rap H. Brown12a.L'activiste afro-américain publie par ailleursen 1969un ouvrageintitulé Die NiggerDiel26 dans lequel il revientsur la traditionafro-américaine des r>127. Brownqui se révèleI'un des orateursles plustalentueux de sa génération,popularise ce terme. A la mêmeépoque, un ( rapr désigneégalement un < baratinromantique )128, unedéclamation pour conquérir une femme, une forme popularisée en musiquepar les < love raps)r, ces chantssous forme de monologueparlé qui ont été la marquede BarryWhite, de MillieJackson ou d'lsaacHayes.læ Ce n'estqu'en 1979, avec la sortie du premierrap commercial, << Rapper's Delight ut'o, que le mot ( rap Dva être associé pour la premièrefois à cet art de la scansion,cette manière syncopée de débiterde façondiscontinue des parolesmartelées sur un rythmepercussif.

2.2.La traditionvernaculaire

Significationis the nigger'soccupation.l3l

Commele notentLapassade et Rousselot,<< aussi loin que l'on remonte dansI'histoire et la culturenoires américaines >, il sembleque le peuplenoir < se soit forgé deux armes pour résisterà I'oppressionr> : < la spiritualitéet le langage>.132 Héritagedu continentafricain, la cultureafro-américaine reste attachée à ses modes t'o H. R"p Brown,connu aujourd'hui de JamilAbdullah Al-Amine, était dans les années 1960 président du StudentNon-Vident Coordinating Committee (SNCC), et rejointen 1968les Elack Pantherspour devenir Ministrede l'Information. t25 Hub"rt RapBrown, Die NiggerDiel, NewYork Dial,1969. '26 voir,définition p. 50. "' D^u.y D, "An HistoricalDefinition of the TermRap", 1 984, publié sur www.daveyd.com. t" G"n"u" Smitherman,Talkin and Testifyin,p.69. 129 DauidToop emploie le termemême de "monologue"pour désigner le genre.Les textessont en effet énoncéssur le ton de la conversation.David Toop, Rap Attack2: AfricanRap to GlobalHrpHop, New York& London:Serpent's Tail, 1991, p. 50.) 130 SugarhillGang,'Rapper's Delight" (Sugarhill, 1979). t3' Ad"g" populairerelevé dans Henry Louis GatesJr, The SignilyingMonkey: A Theoryof African- AmericanLitenry Criticism,New York: O)dord University Press, 1988, p. 78. "' G"org", Lapassadeet PhilippeRousselot, Le Rapou la fureurde dirc,Paris : EditionsLori Talmart, 1996,p.53.

46 d'expressionorale. L'histolrede la communauténoire américainefut transmise essentiellementcomme une < histoireorale > - < orale> signifiantsouvent chantée - et le rap n'estqu'une étape du continuumde cettetradition vernaculaire afro-américaine. On peut en effet considérerles rappeurscomme les demiersreprésentants d'une longuelignée de < paroleurs> quiremonte aux griots d'Afrique occidentale, en passant par les chanteursde blues,les prédicateurs,les orateurspolitiques ou encoreles disc- jockeysdes radiosnoires américaines; La cultureorale évoque généralement I'idée de formeslittéraires primitives, car elle est perçuedans son oppositionà la noblessede l'écriture.l33L'oralité afro- américaineremet, quant à elle,en questiontous ces présupposésde par l'élaboration de formesorales inventives et la complexitéde ses proédés d'écriture.'*En effet,la culture noire américainea toujourssoigné son art de parler et une myriadede dénominationstémoigne de ce génie: < to toast>, <, < to testify>, < to rap )), '3s tt to soundt, <

47 operatedat thecore of ourlives, forcing itself upon us in a ritual.lt has always,somehow, represented the collective psyche."u

Dans I'Amériquenoire, la traditionvernaculaire était devenue le véhicule fondamentalde la survivancede I'héritageafricain, mais aussi le moyende surmonter les difficultésdu quotidien(< giftin'ovuh>7137. C'est par les motsparlés ou chantésque le locuteur afro-américain<< donne forme, cohérence et réalité à I'existence humaine>r :138 Refusingto subscribewholly to the white American'sethos and worldview,African Americans expressed in these vernacularforms theirown waysof seeingthe world,its history,and his meanings.The vernacularcomprises, Ellison said, nothing less than another instance of humanity's< triumphover chaos >. In it experiencesof the pastare rememberedand evaluated;through it AfricanAmericans attempt to humanizean often harsh world, and to do so with honesty,with toughness,and often with humor.13e

La vigueur de cette oralité est désignée par le concept de nommo, force vitale des mots et pouvoir mystérieuxque I'on confère à la parole dans la tradition orale 14 africaine,que I'on retrouvedans toute la diasporanoire du continentaméricain : All activitiesof men,and all the movementsin nature,rest on theword, on the productiveword, which is waterand heatand seed and Nommo that is, lifeforce itself [...] The force,responsibility, and commitmentof the word, and the awarenessthat the word alone alters the world [...]141

A proposde la fonctionrégulatrie,eto'du nommo dans la culturenoire, Ceola Baberajoute : nommogenerates the energyneeded to deal with life's twistsand turns; sustainsour [black]spirits in the face of insurmountableodds [and] transforms psychological suffering into external denouncements...and verbalrecognition of self-worthand personal attributes.las

"t t"t Nealcité dans Geneva Smitherman, Tatkin and Testifyin,pp.179-180. t3'nia.,p.ls. 138 Ann" Méténier,Le BtackAmeican Engtish, p.94. 139 H"nry Louis Gates Jr (ecl.), The Norton Anthotogyof African-AmericanLitenture, New York: Norton,1997,p.2. tooc"n"u" Smitherman,Tatking That Tatk, p.202. 141 KunteKinte cité dans Geneva Smitherman, Talking That Tatk, p.202. 'o' E"pr".rion employée par Robert Sprinçr, Fonctionssocr'ales du blues, Marseille: Editions Parenthèses,1999, p. 153. 143 C"ol" Baber,"The Artistry and Artificeof BlackCommunication " in GenevaGay and Willie L. Baber (eds.), ExpresstuelyBlack. The Cultural Basisof Ethnic ldeftity, NewYork: Praeger,1987, p. 83, cité dans CheryfL. Keyes,op.cit.,p.2U.

4E Des fictionsfolkloristes de Zora NealeHurston aux pamphletsde Du Bois,la traditionvernaculaire a été l'ingrédientde base de nombreusesceuvres de la Renaissancenoire dont les auteurscherchaient, en renouantavec leur héritage africain,à sceller et celébrer leur < double identité> afro-américaine.Suite au mouvementdes droitsciviques et au réveilafrocentriste, on assistaà partirdes années 1960à une reconnaissancede plusen plussoutenue du patrimoinevernaculaire. Et c'esttout naturellementque I'onretrouvera dans le rap tous les procédésstylistiques de cettetradition. Le modèled'appel-réponse, I'art de I'improvisation,la richessedes figuresde style,le travailde la voix,la vitalité,les rythmessyncopés, la complexitépolyrythmique, la révision,la perfonnance,le sens de la parodie,la relationintrinsèque danse- musique,la technicitéet le rapportà I'auditoire,mais aussi la circonlocutionet l', le langagemétaphorique imagé mais réaliste, la fonctionpédagogique et le jeu sontautant d'africanismes qui apparaissentdans le rap.14Nous observerons dansnotre analyse consacrée au discoursrap que tousces procedésrhétoriques sont présentsaussi bien dans l'écriture que dans la pratiquemême du hiphop.t* Le premiersuccès international, < Rapper'sDelight rrt*, reprenden 1979 un versemprunté à H. Rap Brown:<< I'm the hemp,the demp,the ladiespimp, women fight for my delight) que le militantafro-américain avait publiéen 1969 dans Die NiggerDie!, une approche activiste sur les problèmesafro-américains. Dans ce recueil, HubertBrown remettait à I'honneurla traditionafro-américaine des joutes verbales

144 Portat K. Maultsby,"Afticanisms in African-AmericanMusic", ,n J. E. Holloway (ed.), Aficanismsin AmeicanCulture, Bloomington: Indiana University Press, 1991, pp. 191-193. Dans son étude portant sur le parler noir américainTalkin and Testifyin,la linguisteGeneva Smithermanénumère les huitcaractéristiques propres au signifying: " lndirection,circumlocution ; metaphorical-imagistic (but imagesrcoted in the everyday,realworld ; humorous,ironic ; rhythmicfluency and sound ; teachy,but not preachy; directedat a personor personsusually present in the situationalcontext ; punning,play on wods ; intloductionof the semanticallyor logicallyunexpected." (Geneva Smithermann, Talkin aN Testifyin,p. 121.1 Audelà des africanismesdiscursifs, Cheryl Keyes cite un autre ritueld'origine africaine, le ritueldit de 'libation",qui consisteà verser de I'alcoolpar tene en mémoired'une personnedécédée. (Cheryl L. Keyes,op. cit.,pp.241-242.1Cette tradition est reprisenotammet dans les vidéosou sur les pochettesde disquedes gangsfa,appers. "l reminisceyour memoriesfor you this Hennessywe pour"rappe Cormega dans'FallenSoldiers". Cormega, 'Fallen Soldiers", Ihe Rea/ness(Landspeed, 2001). tou On retrouvemême certains de ces élémenbdans la réalisationtechnique de la musique,notamment à traversI'exercice de l'échantillonnage,du mixageou €ncoredu scratch. lao SugarhillGang,'Rappe/s Delighf (Sugafiill, 1979).

49 (<)147. Le championde boxe MohammedAli perpétuaitlui-même cette traditionet étaitpassé maître dans I'art d'invectiver ses adversaires en verset en rimes avantchaque combat.las Le rap est en effet le prolongementparticulièrement fidèle des traditions ancestralesde jeux verbaux,appelés < schoolyard rhymesr, crjailhouse rhymes >>, < doubte-dutchrhymesnt4e et plus particulièrementdes n dozensn dont le linguiste William Labov, dans une étude remarquée,a reconnucomme une véritable caractéristiqueculturelle de la tradition vernaculaireafro-américaine'50. Les < dozensD, oit)(( dirty dozens r, désignentI'activité ludique quasi rituelle consistant à improviserdes injureshumoristiques structurées, le plus souventrimées et basées généralementsur la formule( your mother...r et plus connueaujourd'hui sous l'appellation< Yo momma jokesn. C'est une pratiqueessentiellement urbaine qui s'intègredans une joute entre pairs, elle est unefaçon de substituersymboliquement I'affrontementphysique à un échangeoral vif et amusant.Ces jeux de provocation verbale,dont les originesremonteraient à I'Afrique,étaient une pratiqueencore très populairedans les ruesdes ghettosdans les années1960.1s1 Les rappeursperpétuent le rituel d'affrontementsoraux (< verbatconfesfs n;152, au cours desquelsles MCs doiventfaire preuve de créativitéface à un parterred'admirateurs. Ces insultessont des actesde parolesqui manifestentla richesseverbale, la maîtrisede structuressyntaxiques complexes et la créativitédont font preuveles jeunesdes ghettos.A traversson analysedu phénomène,Labov met au jour la culture hautementverbale des Noirsaméricains et leurremarquable puissance d'élocution. ll metde plusen évidencela fonctionsociale du parlervernaculaire. L'historien Laurence W. Levinerevient quant à lui sur le rôlelénifiant de tellesactivités : At a timewhen black Americans were especially subject to insultand assaultsupon their dignity to whichthey couldnot safelyrespond, [it to' vorrplusbas même page. t" Pou humilierson adversairePatterson, Mohammed Ali < boastait> en 1965: 'l'm gonnaput him flat on hisback, So thathe willstart acting black. Becausewhen he waschamp he didn'tdo as he should He triedto forcehimself into an all-whiteneighborhood' KwameAnthony Appiah and Henry-LouisGates Jr (eds.),Africana: The Encyclqediaof the Africanand Afican AmericanExpertence, New York BasicCivitas Books, 1999, p. 75. 149 D"u"y D, "An HistoricalDefinition of the TermRap", 1984, publié surwww.daveyd.com. 1sowifli"r Labov, Languagein the lnnerCity: Studiesin tlrc Btack EngtishVemacular, Philadelphia: Universityof PennsylvaniaPress, 1972. tut Voi,à ce sujetWilliam Labov, op. cit., p.22î288. 152 Ulf Pos"hardt,DJ Cutture,Paris: EditionsKargo, 2002, p. 161.

50 servedto honelthe abilityto controlemotions and anger, an ability whichwas often necessary for survival.l53

Toutcomme ces acteslangagiers, le rapexerce le sensde I'improvisationet de la répartie,il présupposedes qualitésrhétoriques et un n flowt>, c'est-à-dire, I'habileté qu'auraun rappeurà débiterde façonininterrompue un flotde paroles,notamment des paronomases.Un bon rappeursera par ailleurscelui qui, en plus des prouesses techniquesde dictionet d'unegrande rapidité d'improvisation, parviendra à imposer une personnalité,à être spiritueltout en conservantune propensionà la poésie.Les rappeursaiment ainsi jouer avec les sons,créant des onomatopéessyncopées sans significationréelle dans le butde produiredes effets rythmiques et comiques. Ces jeux rituels se distinguentparticulièrement par la stratégierhétorique impficitedu < signifino n, cet art encodé d'<: Signifyingseems to bea negroterm, in useif notin origin. lt canmean manyof a numberof things; in the caseof the toastabout the signifyingmonkey, it certainlyrefers to thetrickster's ability to talkwith greatinnuendo, to carp,cajole, needle, and lie. lt canmean in other instancesthe propensityto talkaround a subject,never quite coming to the point.lt canmean making fun of a personor situation.Also it candenote speaking with the handsand eyes,and in this respect encompassesa whole complex of expressionsand gestures. Thus it is signifyingto stirup a fightbetween neighbors by tellingstories; it is signifyingto makefun of a policemanby parodying his motions behind

tst L.*"n"" Levineest cité dansKwame Anthony Appiah and Henry-LouisGates Jr (eds.), Afticana,pp. 266-267. 1il H"nry LouisGates Jr, The SignifyingMonkey: A Theoryof African-AmericanLitenry Crûcrbm,New York:Oxford Universig Press, 1988. Roger D. Abrahams,Deep Down in the Jungle...: Negro Namtive Folklore Frcm the Sfreefs of Philadelphia,Hatboro: Folklore Associates, 1964. LawrenceW. Levine, Black Cultureand Black Conscrbusness.Afro-American Folk Thoughtfrom Slavery to Freedom,New York: Oxford University Press, 1978. {66'-- < floasts are] long nanativepoems of rhymingcouplets that featurealtemative action and dialogue [...]. Toastsfeature characters of strengthand will in the animaland humanworlds.' (William L. Andrews (ed.),Ihe OrtordCompanion to AfricanAmerican Litercturc, New York: Oxford University Press, 1997, p. 283.)

5l his back; it is signifyingto askfor a pieceof cakeby saying,'my brotherneeds a pieceof cake.'156

G'est avant tout une < technique d'argumentationet de persuasion indirecte,rtut, ,, un langaged'insinuation D dont l'origine est le personnagefamilier du < tricksterr (< aigrefin>) qui apparaîtdans les fablesafro-américaines sous les traits de BrerRabbit, le lapinmalicieux, ou encoredans la figuredu < SignifyingMonkey >, ce singerusé et baratineur.L'art du < trickster> est celui de semerla zizanieet de duperses adversairesdans un langagesouvent cru et ambigu,puis de parvenirà se tirer des situationsles plus délicatesgrâce à une habiletéverbale et un sens de la répartie.Ces contes animaliers, qui s'articulentautour d'antagonismes entre animaux, constituentune miseen scèneà peinevoilée des relationsentre Noirs et Blancs,et reflètentavant tout I'aliénation des Noirsaméricains.tut La techniqueallusive du < signifying> est donc celle de la manipulation verbale.Elle consiste généralement à simuler la soumission,mimer la débilitéet singer I'innocencepour finir par berner ses interlocuteurscomme dans le récit mythique intitulé< TheSignifying Monkey n, danslequel un singemalicieux pousse le lion à se battreavec l'éléphanten le provoquant,affirmant au lion que l'éléphanta insultéun membrede sa famillelse.Ces contespossédaient par delà leurdimension satirique, une fonctionpédagogique et régulatriceessentielle. Le personnagedu < Signifying Monkeyn servaiten effetd'exutoire à la colèredes esclaves. La particularitédu rap résideégalement dans la traditionafro-américaine du < doublelangage ,rtuo. Pour se protégerdes planteurs,les esclavesont développéau cours des siècles leur propre parler et les chants noirs américainsétaient traditionnellementcodés. Henry Louis Gates Jr note: For centuriesAfrican Americans have been forced to developcoded waysof communicatingto protect them from danger. Allegories and doublemeanings, words redefined to meantheir opposites(bad t56 Rog", D. Abrahams, DeepDown in the Jungle...: Negro NarntiveFotktore From the Sfreefsof Philadelphia,Hatboro, Pa.: FolkloreAssociates, 1964, cité dans HenryLouis Gates Jr, The Signifying Monkey,p.il. 157 "lsigniryingis at techniqueof indirectargument or persuasion","a languageof implication"."To signiff" est synonymede "to imply,goad, beg, boast, by indirectverbaland gestural means.n (Roger D. Abrahams cité dansHenry Louis Gates Jr, The SignifyingMonkey, pp. 54, 75.) tut JohnLowe, 'Humof, in WilliamL. Andrews,et a/. (eds.), TheOxford Companion to Afican Ameican Litercture,New York: Oxford University Press, 1997, p. 370. tut H"nry LouisGates Jr, TheSignifying Monkey,pp. 54-58. 160 H"nry LouisGates Jr reprendle conceptde la "doublevoit' de la parole("double-voicecf) définie par Bakhtin.(lûd., pp.50-51, 110-111;Mikhail Bakhtin, The Dialogiclmagination: Four Essays,Austin: Universityof Texas,1981.)

52 meaning'good' for instance),even neologisms(bodacious) have enabledblacks to sharemessages only the initiated understood.16l

Des premiers( work songs) aux gospels, les chants noirs ont toujours présentédeux niveaux de langage,un pourle Blancqui en percevaitla forme,I'autre pourle Noirqui en appréciaitle contenu.Ce cryptageétait pour les esclaves un moyen de communiquerentre eux, voirede délivrerdes messagescodés. Ainsi les negro- spirituals< StealAway > et < Go DownMoses > étaient-ilsdes métaphoresde la fuite et des chansonsclés de l'< undergroundraitroad >162 puisqu'ils permettaient d'envoyer des messagescodés aux futurs fugitifs163. Le rapn'a pas,à premièrevue, suivi cette voie du < double-entendre> et ce qui le distinguedes formes antérieuresdes chants noirs est son contenuclairement exprimé.164Le label< ParentalAdvisory-Expticit Lyics.,rt6u, apposé sur les CD,atteste du caractèrecru de certainstextes. Dans le discoursrap, la violenceeuphémique propre aux expressionsnoires américainess'efface au profit de I'explicite.Nous verronsdans notreétude que les rappeursrestent néanmoins maîtres dans I'art du signifing et embrassentà leur tour le rôle du singe( vanneur> qui sème la zizanie entreles partiesqu'il réprouve. Les MCs opèrent en effetune inversion des rapportsde forcetrad ition nels en manipulantverbalement leurs interlocuteurs. Bien que les Afro-Américainsn'aient plus aujourd'huila nécessitéde se retrancherderrière des messagescryptés et qu'ils puissentfustiger ouvertement les autorités,nos recherches démontreront que les textesde rapoffrent différents niveaux de lectureet d'interprétation.Dans leurs propos, les rappeurss'adressent, d'une part, à leurcommunauté et, d'autrepart, au restede la société.lls ne peuventen effetignorer la composanteblanche de leur public et cette prise de conscienceconditionne foncièrementla formeet le contenude leurmessage.

'ut H"nry LouisGates Jr, '2 LiveCrew, Decoded. Rap Music Group's Use of StrcetLanguage in Context of Afto-AmericanCultural Heritage Analyzed," New York Times,19 June 1990. tu' Elfison,Lyicat Protest:Black Music's Struggle against Discrimination, New York Praeger,1989, pp.50-51,""O 108. Le réseausecret de HanietTubman permit jusqu'à la guenede Sécession- et malgrédes lois de plusen plus sévères- d'assisterjusqu'à 100 000 esclavesdans leur fuite vers le Canada.(Nicole Bacharan, Histoircdes No'rsaméricains au 20èmesrèc/e, Bruxelles : EditionsComplexe, 199f, p. 33.) ttt Ellison,o,p.cit.,pp. 10G108. Eifeen""rySouthem, Histoire de la musiquenoire américarne, Paris : BucheUChastel,1976, p.107. t* G"org", Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cif.,p. 59. 165 Voi, à ce sujetnote 408, p. 99.

53 Cettemise au point nousfacilitera l'exploration discursive du positionnement narratif et théorique des rappeurs. Outre les qualités poétiques, la fonction pédagogiqueet le rôlede préservationd'une culture, nous pourrons ainsi observer que la démarchequi consisteà intégrerdes éléments de la traditionvemaculaire, comme le fait le rap aujourd'hui,traduit en premierlieu une prisede consciencepolitique. Préserversa cultureorale, c'est avant tout refuserde souscrireà l'éthiqueet la suprématieblanches américaines. A I'image des personnages mythiques de la tradition oraleafro-américaine, le rappeurest une figurede la subversionet I'ambiguiléqu'il suscites'avère être unevéritable stratégie discursive visant à transmettreun message politisé,voire à jouerun rôlepolitique dans la sociétéaméricaine.

2.3.Langage et parole

Si I'ona tendanceà considérerle rap commela clé de voûtede la culturehip hop,c'est sans doute parce qu'il est le supportécrit et parlé,et par conséquentle plus intelligibledu mouvement.Le texte de rap est aussi I'aspectle plus controverséet paradoxalementle moins entendu de la culture hip hop en raison de la méconnaissancede ses codeslinguistiques, notamment la formecryptique du jargon hip hop,le hip hop slang,et de I'ambiguiTéque ses auteursalimentent sciemment en jouantde la richessestylistique et rhétoriquede I'African-AmericanVemacular English, supportde la parolerappée. Afinde saisirau mieuxles spécificitésde la paroleet de la languerappée, nous rappelleronsbrièvement l'évolution qu'a connu I'anglaisafro-américain au coursdes siècles,évolution étroitement liée aux divers contexteshistoriques. Non seulement témoindes diverschangements sociaux et politiquesque vivrontles Noirsaméricains au coursde I'histoire, le paflernoir est aussile refletde la psychéafro-américaine. A I'anivéedans le NouveauMonde, < un systèmelinguistique se met vite en placepour assurer une intercompréhensionminimale entre planteurc et esclaves,rt66. Dansla nécessitéde communiquer,les esclavesissus d'ethnies et de communautés linguistiquesdiverseslut développent un pidgin,un code de communicationsimplifié. Le processusde déculturationdu peupleafricain est entamé.

tuu Ann" Méténier,Le HackAmerican Engtish, p.23. tut L". esclavesdébarqués dans le NouveauMonde étaient pour la plupartoriginaires de la côte occidentafede l'Afrique,de Gambie,de la Gôtede-l'Or,de la Guinéeet du Sénégal.(Michel Fabre, op. cd.,p. 10.)

54 Alors que la premièregénération d'esclaves naît sur le continentaméricain, cette langue prend peu à peu les formes plus élaboréesdu créole,tandis que, paraltèlement,tes house srayestos se familiarisentavec I'anglais standardlos. A compter du XfXe siècle,à mesureque les Noirs,devenus gens de couleur(< Colored>), acquièrentun statutlégal et que les esclavesdomestiques se rapprochentdes Blancs, le créolese rapprochede plus en plus de I'anglaisstandard. On assisteà une < décréolisation> de la langue annonçantl'éclosion d'un dialecte noir (n black talk >).17o Après l'émancipationdes esclaves,le black talk se stabiliseet s'installe largementdans les classesinférieures. Le parler noir poursuitsa décréolisationà mesureque les Noirs,devenus entre-temps des n Negroesl, quittentle Sudrural pour les grandesmétropoles du Nord. L'ascensionsociale n'est en effet possiblequ'en éradiquanttoute trace du parlernoir et en adoptantles normeslinguistiques blanches. La languedevient la dernièrebanière symboliqueà franchirpour une intégration sociale171,un objectif partiellement atteint par les classes les plus aisées. Les années 1960, puis 1970, ère de revendicationdu < PouvoirNoirr>, connaissentla résurgencedu parlernoir, voire de ce que l'onest en droitd'appeler la < ré-africanisation) ou < ré-créolisation> à I'instigationdes milieux artistique, intellectuelet politique."tDans une démarchemilitante, les Afro-Américains,devenus < Blacksn, tententalors de capturerles formes originellesdu langagenoir et de renoueravec leurs origines. Ces dix dernièresannées ont vu,quant à elles,la prisede consciencede la diglossieafro-américaine et la reconnaissancede l'ebonicsdans les milieux universitaire,ecclésiastique, littéraire, politique et artistiquequi ont remis, chacunà leurmanière, I'anglais afro-américain vernaculaire à I'honneur173. Les institutionsaméricaines ont toujoursconsidéré le parler noir comme un appauvrissementde la langueanglaise. Cependant, I'ebonicslTa n'est aujourd'hui plus

168 Er"l"u", domestiques. ttt G"n"u" Smitherman,Taliing ThatTatk, p.35. 170 rb'd. ttt G"n"u, Smitherman,Talkin and Testifyin, p.173. tt' G"n"u" Smitherman,Tatking That Tatk, p.36. ttt G"n"u" Smitherman,Tatking That Tatk, pp.38,327. "o L"" lirpuistesont adoptédiverses désignations pour désignerle parler noir: Black Engtish,African AmericanVemacular English ('MVE'). Aujourd'hui,on emploieplus communément le termede eôonics pourdésigner I'ensemble des parlernoirs. ll existeen effetdivers idiomes et jargonsliés à I'originesociale ou géographiquede ses locuteurs.

55 dépréciécomme un anglaiscassé (r brokenEnglish n), on lui conêde depuis1996 un statutde langueà part entière17s.La classemoyenne elle-même, qui a pendant longtempsnié I'idiomenoir et à traverslui I'histoirede son peuple,renoue avec son patrimoineculturel.176 Le blackEngtish est de nosjours utilisé par g0% de la population afro-américaineet demeure la seule et unique langue des classes sociales défavorisées.177 On reconnaîtaujourd'hui la fonctionsociale et psychologiquede cet idiome, ainsique son dynamisme.ttsDans sa célébrationde la négrité17s,le mouvement hip hop participequant à lui de manièreactive à la valorisationde ce parleret a popularisé à grandeéchelle le < ghettoslangrrtto. De par la diffusionmédiatique du rap, le < hip hopslang n, issuà I'origined'une langue de I'exclusion,a largement empreint I'anglais standardet dansune moindre mesure les languesà traversle monde. Le hip hop est une culturepopulaire qui a émergéen tant que force de socialisation,mais aussi comme désir d'affirmerune identitéafro-américaine. En réactionau blanchimentdes musiquesnoires comme le rhythm'n'bluesou encorele disco,et contrairementaux générationsprécédentes qui s'étaientdétoumées de la cultureafro-américaine, les artisteship hop souhaitentraviver leur mémoire en puisant abondammentet nonsans fierté dans leur parler noir. On retrouveen effet dans le hip hop slang de nombreusesparticularités lexicaleset grammaticalesde |'AAVé81et de ses africanismes.Le hip hop slangou rap talka égalementdéveloppé un lexiqueet uneprononciation propres à la culturehip hop et à celledu ghettodont il est censéêtre le miroir.Le résultaten est un langage

Voir Andé J.M. Prévos,"La languedes rappeurs: parcleset argot noir américain",rn RobertSpringer (dir.)Le textedans la musiquepopulaire afroaméricaine, Bem : PeterLang, 2001, p. 161. 175 L" OaktandSchoo/ Boardaconcédé en 1996à I'AAVEun statutde langueà part entièreet reconnaît cet idiomedans fe cadrede I'enseignementscolaire. (Geneva Smitherman, Talking That Talk, p.28.) ttt G"n"u" Smitherman,Tatkin and Testifin,p. 175. ttt G"n"u" Smitherman,Tatking That Tatk, pp. 19,38. La languedes Noirsaméricains est devenueune languefamilière, utilisée de plus en plus par les Blancs. Etantdonné les contaminationsréciproques des languesde Blancset de Noia, il est impossibled'établir une véritablebanière entre le lexiquenoir américainet le vocabulairefamilbr des Blancsdes classes inférieures,notamment dans le Suddes Etats-Unis.(Entretien avec Sékou.) ttt G"n"u" Smitherman,Tatking That Tatk, p.38. ttt voi, définitionnote 17,p.24. 180 L'",got du ghettoest égalementdésigné par "ghetto code"ou "gheftæse".(WolfgangKaner & Ingrid Kerkhoff(eds.),Rap, Berlin/Hambuq: Aryument-Verlag, 1996, p. 190.) 181 Afri""n-AmeriænVemacutar Engtish.

56 éloquent,reflet réalistede la vie afro-américaine,de son caractèreet de ses attentes.182 Le hip hop slangest une languefamilière, variante linguistique de l'AAVE.Ce qui le différencieessentiellement de I'anglaisafro-américain standard, c'est sa phonétiqueet surtoutson lexiquequi témoignede la perpétuellecréativité et de I'humourde la communautéafro-américaine. Le désir de créerun langagepropre a constituéle moteurde presquetoutes les réalisationsmusicales afro-américaines. Que ce soit la soul,le rhythm'n'blues,et plus particulièrementle jazz. et sonjargon (< jazz talkt), chaquecourant a misà I'honneurun certainnombre de notionsqui font depuis partie du vocabulaire américain standard et universel (ex : n cool>, < hip t>,< funkyrr...).tt' Le langagedes rappeursest un <.186 Par souci de créativité,les rappeursinnovent sans cesse et ont fini par transmuerle parlerdes ghettosen un véritableidiolecte, le hip hop slang.On ne peut

t82 Ann" Méténier, une étudedu BlackAmeican Engtish: son lexiqueet sa tndition orale, Lille : A.N.R.T,1992, p.8. ttt G"n"u" Smitherman,Talking That Talk, p.53. La linguistecite à ce proposClarence Major: "morethan any otheraspect of this (black)experience, the languageof the black musicianhas had the greatesttotal effect on the informallanguage Americans speak.' Depuisla périodede la Renaissancede Harlemau débutdu XXe siècle,les innovationslinguistiques du blacktalk ont été adoptéespar un nombrecroissant de Blancs.La musiquea permiségalement de diftrser ce 'hip talk".Cette situation force les Noirsa maintenirleur parleren constanteévolution afin de préserverun effetde codageet présewerles Noirsde ce détoumementculturel. t* voi, définitionnote 4, p.21. .l'-- e Chaque égion ou école a développéson prcpre aryot hip hop, influencépar I'histoireet la compositionethnique de I'Etat.Ainsi, les rappeumoriginaires des côteOuest et Sud - mêmelorsqu'ils ne sontpas d'origine hispanique - puisent-ils abondamment dans le vocabulaireespagnol :'chica", pesos", oniifa",'banid,'goin'læo', ... 186 Ann" Méténier,IJne étudedu BtackAmerican Errytish, p.42.

57 plusaffirmer aujourd'hui que le hip hop slangait conservéune fonction cryptique.187 De par l'ampleurdu phénomènerap, l'argotdes rappeurspeut être aujourd'huiplus ou moinsdéchiffré par tous.ll est donc peu probableque le renouvellementconstant du lexiquehip hop soit l'uniqueréaction à I'appropriationdu vocablenoir par le public blanc,même si certainsrappeurs revendiquent le contraire.Cette innovation constante est plusvraisemblablement guidée par une course à I'originalité. L'unedes propriétésessentielles du lexiquehip hop et propreà I'AAVEréside dans les multiplesaltérations phonétiques et sémantiques.Le vocabulaireafro- américainest caractérisépar de perpétuelschangements de sens, ou inversions sémantiquestt'.Le jaz., au débutdu siècle,avait déjà popularisé à l'échellenationale ces distorsionssémantiques et ces néologismes.Peu de mots jouissentd'un sens stableet leurvaleur sémantique est intimementliée au contextede l'énoncé.Parmi les termesles plus usités,on retrouvepar exempleles vocables< niggerD ou K bitch>. Détournésde leurssens et réappropriés,ils acquièrentdans un contexteprécis une connotationnon péjorative,voire méliorative.ttn Autre exemple d'inversion sémantique, ccbad l et <> ; < TheMan > qui lui- mêmedésignait à I'origine< I'hommeblanc D se muepar extensionen un synonyme de < policen1eo, etc... ll faut égalementsouligner que le parlerafro-américain est lié à I'expérience collectivedu peuplenoir et porteles stigmatesdes changementssurvenus au coursde f'Histoire. De nombreuxtermes du champlexical noir, comme cr brotherD, K soLtl>>, < blue>, < rockt>, sont particulièrementchargés d'un poids émotionnel et psychologiquespécifiq ues. La composantesémantique est la plusnovatrice du hip hop slang.Les rappeurs n'hésitentpas en effetà imaginerde nouveauxmots et expressionsaujourd'hui entrés dans le langage courant. , < authentique), est unecréation de MasterP ; < lce Creamn dansI'argot du Wu Tang Clansignifie une fille < canon> ; BG a populariséà l'échelleinternationale I'expression

187 L" fonctionpremière d'un argot est celle d'être cryptiqueet occulte.L'argot noir a conservécette fonctionjusqu'aux années 1 960. (Jean-Paul Levet, op. cit., p. 14.) 188 """r"nti" inversion'. GenevaSmitherman, Talking That Talk, p.279. La techniquede I'inversionsémantique est une traditionqui remonteà l'époqueoù les esclavesdevaient coderleurs communications. 189 J""n-P"rl Levet,op. cit.,pp. 77, 374. tto G"n"u" Smitherman,Talkin that Tatk, p.280.

5E ( btingbling >1s1, le mot-valise<< bootylicious r signifie< sexy>r, I'expression usuelle < Word(up) , signifie< d'accord>, tandisque les interjectionsn Yo n sontdevenues le cri de ralliementdes b-boys. La plus importanteinnovation s'avère être le détournementdes mots, notammentdans la récupérationet la manipulationcryptique de codeset de signes. Les rappeursfont de nombreuxemprunts langagiers notamment au lexiquecriminel, maisaussi policier et pénal.Ainsi le nombre( 211r désigneun vol à mainarmée, ( 217r désigneun homicidedans le codepénal californien, < 5x10 n, synecdoquede prison,fait référenceaux dimensionsd'une cellule, ( 911) correspondau numéroà composerpour les urgences.Les chiffresç Five-On désignentla police,allusion à la série policièren Hawai Five-On. Les zonestéléphoniques révèlent I'origine de leurs boroughs(ex: n 212)) pour New York). La taille des calibres(<.357 ) pour un magnum,ou n 9 )) pour une arme automatique)caractérise les armes à feu. Les bouteillesd'alcool sont désignées par le volumede leurscontenants en onces(( 40 , et < 64 >).1s2 Les rappeursprivilégient également les acronymeset autresabréviations. Le sigle n CPT,) pour Compton,I'apocope ( Bed-Stuy)) pour Bedford-Stuyvesant,n A- Townn pourAtlanta, < DomP n pourDom Perignon, I'aphérèse c< 'Lac ) pourCadillac, < Cali) pour Californie,( FYIn est I'abréviationde n For Your lnformation>. lls s'amusentégalement à attribuerun sensacronymique à destermes affectés. LL Cool J signifieainsi n LadiesLove Cool James>, < BITCHn peut désigner< Beautiful lntelligentTalented College Honey t>, << CREAM t>, signifiant< argent> se traduit par < Cash Rute EverywhereArcund Me)), ou encore ( CtA> devient cyniquement tt Crackin American. Inversement,certains sigles subissent une lexicalisationde leur graphie(ex : , ccDeejay t)1s3 Les artisteseux-mêmes ont tendanceà choisirou à inventerdes pseudonymes originaux, censés refléter la singularitéde chacun (Killer Mike D, N.W.A1s4, Blacklicious,Boomfunk MC's, BustaRhymes, ...) Une autretendance typologique consistepar ailleursà attribuerdes majusculesaux mots,généralement aux termes affectésque sont < Nigger>, <t, < Bitchn, etc... L'adoptiond'une nouvelle graphieest une manièrede réhabiliterles signifiantsde ces vocables.On retrouve t9t Voil.définition en notede basde page03, p. 32. "'C"rt"in, de cesexemples sont cités dans André J.M. Prévos, op.cit.,pp.17O-171. ttt Un" particularitéque I'onretrouræ également dans le "jazztat(. tto A"ronyr" de'NiggazWith Attitude'.

59 parfoisune écritureoriginale sous la formed'une retranscription cryptique de certains termes,tradition héritée des artistesfunk : < What U Waitin'4 rrttu,< Muse Sick -N- HourMess Ag" ut*. Les rappeursrevalorisent également l'élocution du parlernoir du ghetto.Parmi les altérationsphonétiques traditionnelles que I'on retrouvedans I'ebonics,on note l'absencedu < en positionfinale ou médiane(ex : , ( you n est prononcén yo ), ou ( ya )r, < devient< tha >t.L'une des tendances actueffesdu hip hop stangest même de créoliserla prononciation.Les termesde < brotherr> et n sr.sfern deviennent< brotha(h)> et r sista(h)>t, c< nigger ) se prononce ainsin niggan, voire< nigguh,r"' ; ,, wasl devientparfois ( wuzl. On noteici que la marque du < s > devant un son vocaliqueest parfois retranscritepar un ( z ) (, {t 'cuz)), < dayz>>, < noize>). Les consonancesfinales sont souvent délaissées(< hood)) se prononcealors < hoon;.1e8Les sons vocaliquesen /ing/ sonnentcomme des /ang/ (ex: (ex : < motherfucker>peut se prononcer ainsi (ex : devientodar). Le/th/finaldevient <ou un (ex: çdeath>se prononce< def > et < with> peut devenir < wit> ou ctwid >). Autre phénomène courant,l'élision des syllabesnon accentuées(, ). Autre exemple d'altérationde la prononciationavec la réductiondes groupementsconsonantiques : < what's up ,) devient par exemple ( wassupD. Ces altérations phonétiques apparaissentclairement dans la retranscriptiondes /ynbs.1ee Au coursde notreétude de textes,nous avonsquelquefois retrouvé certains traitspropres à la syntaxedel'ebonics. Parmi les différencesnotables observées entre le parler afro-américainet I'anglo-américainstandard, le copule zéro, c'est-à-dire l'élisioncourante du verbe < to be r (< This my brotherD, ( there gon be some

195 Jungf" Brothes,'What U Waitin'4', Doneby the Forcesof Nature(Wamer1989). GeorgesLapassade et PhilippeRousselot, op. cit.,pp.48.49. -N- "u Prbli" Enemy,Muse Sick Hour MessAge (DefJam, 1994). 197 o Nigga> et < nigguhnsont les prononciationsà l'origineprcpres au Suddes États-Unis. J. A. Simpson& E.S. C.Weiner, op.cit., p.401 ttt G"r,"u, Smitherman,Talkin and Testifyin,pp. 17-18. ttt L", tynbssont souvent publiés sur les pochetteset tivretsdes disques,ou encoresur les sites intemet des artistes.

60 changesover here)), ( she real skinnyu)*, d" mêmeque I'on note I'absencede 'auxiliaire f cchave n dansles conjugaisons(< We beendoing >). Autre forme ébonique dansle discoursrap, I'incorrection de I'accorddes verbes,notamment d'<< être > (< we was like brothers>, égalementen forme contractée( you'se a busta>1æ1. Si la marquede la troisièmepersonne du singulierprésent tend aussià être rejetée(< she have faith>, <), il n'est pas rare que les rappeur ajoutentun ( s ) en terminaisond'autres personnes pour signaler une formefréquentative (< ain't nobody ma sameage/Flow like I flowwhen I getson stage,r'o')^t. Dans le rap tatktoutcomme dansI'ebonics, le tempsgrammatical des verbesest souventdéterminé par le contexte (n Mommyatmost bled to deathwhen she havehim >, <;.æa L'utitisation de < be n apparaîtdans des constructionsprogressives ou poursouligner une action récurrente(< he be puttinit on andon u)t5. L'utilisationde <). La conjugaisondes verbesinéguliers n'est pas non plus toujoursrespectée (< | really knowedher >). Nousnoterons néanmoins que les marquesde conjugaisondes raps sont assez souventrespectées dans leurs normesstandard, pour le moinsdans la retranscriptiontextuelle. Autreébonisme grammatical, I'emploi de pronomspersonnels comme pronoms possessifs(< Girls get they nails done>)æ7 ayant une incidenceégalement sur la formationdu pronomréfléchi (< they'replayin theyself ,)'ot. On observeégalement les contractionspassées aujourd'huidans le langage courant de < going to > en ( gonnaD ou ( gon'> qui devienten contractionultime ç l'ma>, de < let me t en <>, de < out of > en < outtat>, de ccshould have >>en < shoulda>t, tt you all t devient< ya'llr. L'utilisationdu comparatifet superlatifde n bad > avec terminaison (< The badderyou seem,the morelies you tell >>,<< I'm tha baddestboss nigga! >) est

'ooc"n"u" Smitherman,Talking That Tatk, p. 23. Certainsexemples sont cités dans Wolfgang Kaner & IngddKerkhoff (eds.), op. cif.,p. 200. tot C"rtrin. exemplessont cités dans Wolfgang Kaner & IngridKerkhoff (eds.), iôid. 202 Lil'BowWow,'The Don, The Dutch", Unleashed(SmiCol,2003). tot G"n"u" Smitherman,Talking That Tatk, p.24. 'oo AndréJ.M. Prévos, op. cit.,p. 164. 205 AndréJ.M. Prévos, ibid., pp.164-16s. GenevaSmitherman, Talking That Talk, pp. 272-27 3. 'ou G"n"u" Smitherman,ibid.,p.24 207 tbid.,p.2T3. 'ot CpO feat. MC Ren,"Ballad of a Menace", To HellaN Btack(Capitol,1990).

6l une autrecaractéristique majeure du hrphop slanget I'onretrouve aussi couramment la réitérationcommune de la négationou doublenégation (< tainï no...,r)m. Omettrede considérertous les codeslinguistiques et conventionsstylistiques qui régissentle hip hop slangserait donc passerà côté de la richessede la parole rappéeque les rappeursont su développerà forcede défis.Nous rappellerons que la culturehip hopest apparueaux sombresannées de I'administrationreagannienne où la voix était alors devenuele seul instrumentdont la jeunessenoire défavorisée disposaitencore. Ces jeunes n'ayant pas accèsà des instrumentsclassiques se sont mis à préférerune formede chantqui était rythmelui-même, le rap2to.Accessible à tous, cet art ne nécessiteaucun investissement,sinon des qualitésverbales et techniques,une maîtrise rhétorique et un < flowt>. C'estKool D.J. Herc, DJ d'originejamaibaine, qui introduità la fin des années 1960la techniquejamaicaine du < toastingr pratiquéedans les n soundsysfems n2tt par les disc-jockeyset qui consiste à scander sur des trames instrumentales minimalistes(< dubrr1212 des parolesmi-parlées, mi-chantées dont il américanisela diction2l3.Kool DJ Hercest alorsanimateur musical et MC à la fois.Ne possédantà sesdébuts qu'une seule platine, il prendle microà la manièredes DJs jamai'cains pour comblerles blancs entre deux morceaux et donnerI'impression d'un flot continu, anime les soiréesen lançantdes formules: ( Ya rock and ya don'tstop ,r"0, ,rTo the beat ya'll> ou < Putyour hands in the air andwave 'em likeyou just don't care ,r"t. Au fur et à mesurequ'il développe ses techniquesde deejaying,il délaissele micro(< mike> ou < mic r) et fait appelà CokeLa Rockqui devientle premierMC de rap.2t6

'on Wolfg"ngKaner & IngridKe*hotr (eds.), op. cit.,p. 200. 210 crr"rylL.Keyes, op. cit.,p.232. "t L. soundsystem est un ensemblede sonorisationcomprenant à I'odginedeux platines,des amplificateurset un micro.Ce termed'origine jamaibaine désigne aussi bien le dispositifde la sonorisation d'un lieu que le collectifde DJs et de se/ecfor(personne qui sélectionneles disquesdu DJ) qui I'utilisent. Le conceptest égalementutilisé dans le couranthouse et techno. Les soundsysfemsétaient devenus très populairesaprès I'indépendance de l'île en 1962et ont joué un rôle vital dansla vie socialede la communauté.à la fois de radioambulante et de centrede diffirsionde I'information. Voir à ce sujetDenis Constant, Aux sourcesdu reggae,musique, société et pditiqueen Jamai'que,Paris : Parenthèses,1982. 212 voir p. Bo. "t G"org", Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cit.,p.2g. tto Af"* Ogg,David Upshal, The Hip Hop Years.A Historyof Rap,London: Macmillan, 1999, p. 40. "u UffPoschardt, op. cit.,p.191. 216 Sarh" Jenkinset at.,Ego Trip'sBæk of Raplist, NewYork St. Martin'sGriffin, 1999, p. 19.

62 Le MC, acronyme de < Master of Ceremonies> mais aussi de < Mic Contrctter>217, est un maîtrede cérémonie.A I'instardes foasfersjamaibains, les premiersrappeurs lancent sur le patchworkmusical composé par le disc-jockeydes incitationsà la danseen scaf" (< the hip hop and you don'tstop >), puis improvisent desformules jusqu'à avoir une parfaite emprise sur le public2le.lls encouragentles b- boys dans I'exécutionde leursfigures et < chauffent> la salle(< get up jam to the beat>). Le MC est aussiun animateur,il présenteles disquesjoués, intervient au microphonepour faire des dédicacesà son quartier,chanter les louanges et prouesses du DJ : < KoolHerc is in the houseand he'llturn it out withouta doubt) sansoublier de fairesa propreéloge : ( My nameis Run I'm Number1 ffhat's how I rate>220. Le défidevient alors I'essence même de la discipline.Lors des b/ockparfies, les MCsse livrentà de véritablescombats pour I'honneur et la suprématiedu microphone au coursde bataillesimprovisées entre MCs (n diss wars> ou K battlesr). Le MCing ou rappingest la capacitéde capterI'attention de la fouleet de gagnerses faveursen enchaînantses rimes.Un rappeur< respecté>21 sera celuiqui parviendraà débiter spontanémentun flot de paroles(< flow>) et qui,en plusdes prouessestechniques de diction(< skillzn), sauraimposer une personnalité,être spirituelet se montrerincisif, sansnégliger I'aspect lyrique.

-t17 " S.H.Femando Jr, op. cit.,p.11. "t D"n, le vocabulairedu iazz,lescaf désigne un chanten onomatopées.A I'origine, ce jeu de motset de sons permettaitd'improviser en remplaçantles mots par la valeurrythmique de syllabessyncopées sanssignification. Cab Calloway,maître du /ve scal livrales secretsde ce langagedans un dictionnaire intituféThe NewCab Calloways'Hepsfels Dictionary (1938). Cette tradition du jive et du scaffut repriseà compterdes années1930 par les DJsnoirs. (Ulf Poschadt,op. cit.,p. 162;David Toop, op. cit.,pp. 36- 37.) -t,lo '- CherylL. Keyes,op. cit.,p. 229. 220 Run-DMC,Rar.sing Hel/ (Profile, 1986). "t Co ^.le noteAnne Méténier, < la performanceorale confère au sujetparlant une placede prestige dans fa communauté.> Dans son étude consacréeau langagedu ghetto,Deep Downin the Jungle, RogerAbrahams révèle que I'habiletéà parler"confère un stratutsocial élevé', et que mêmechez les jeunes Noirs, 'la capacitéde jouer avec les mob est aussi estiméeque la force physique".(Anne Méténier,Le B'lackAmerican English, p. 94).GenevaSmitherman observe également: "[...] languageis usedas a teaching/socializingforce and a meansof establishingone's reputationvia his verbalcompetence. Black tralk is never meaninglesscocktail chit-chat but a functionaldynamic that is simultianeouslya mechanism for acculturationand information-passingand a vehiclefor achievinggroup recognition.Black communication is highlyverbal and highlystylized; it is a perbrmancebefore a black audiencewho becomesboth observersand participantsin the speechevent. Whetherit be through slappingof hands ("givingfive" or "givingskin"), Amen's,or Right on's, the audienceinflænces the directionof a given rap and at the same frme aknowledgesor withholdsits approval,depending on the finguisticskill and stylistic ingenuity of the speaker.'(Geneva Smitherman, Talking That Talk, p. 61.) RogerD. Abrahams,op. cit.,Roger D. Abrahams,Deep Down in the Jungle...:Negrc Namtive Folklore From the Sfreetsof Philadelphia,Hatboro: Folklorc Associates, 1@1.

63 Les premiersraps sont essentiellement des paronomasesauxquelles s'ajoutent progressivementdes bribesde phrasesqui se transformentpar la suiteen véritables rimes.Au fil des interventionset à forcede défis,les rappeursdeviennent de véritables virtuosesde la parolealors que s'ébauchentles formesde leursdiscours. Si le rap,à ses débuts, aime s'autocélébreret exalter son caractèrefestif, le MC se fait progressivementchroniqueur. ll relateles faits diversdu ghetto,puis tente de faire passerdes messagesdans un but pédagogiquepour finir par devenirle porte-parole d'une jeunessedélaissée, dans un flot de rimes politiséeset de plus en plus agressives,voire nihilistes. A I'origine,les défisque se lancentles rappeursau coursdes bafflessont dits sont pour moitiédes performancesvocales semi-improvisées et, pour I'autremoitié, tirées du cataloguede rimes personnellesde I'artiste,ponctuées de pauses, d'interjections(< Yo >) et de phrasesrôdées (< Checkit out!>) permettantau rappeur de reprendreson souffleou de trouverde nouvellesrimes. Le rappeurconstruit son texte au momentde l'énonceret son proposse formeet s'affineà mesureque la peûorm a n ce prog resse"t. Dans la plus pure traditiondes joutes verbales,la compétitionet I'adversité constituentun moteuressentiel de la créationde rap. La poursuitede cette pratique expliqueque la plupartdes morceauxsoient émaillésde vantardisesexcessives (< boastingr) qui peuventaller jusqu'au narcissisme absolu sous la formede ce que l'on nommeaux Etats-Unisl'c ego-tripping,"0: < L.L. Cool J. is hard as hell/Battle anybodyI don'tcare who you tell/l excel,they all tail>>225.C'est sur ce modeque les hip-hoppersfont avec humouret imaginationleurs propresapologies ou le récit de leurs exploitspersonnels. La victoiresera remportéepar celui qui humilierason adversaire.Ce combatentre rappeursne fait couleraucun sang, mais attestede la puissancequi est conféréeaux motset de la valeurmétaphorique que leur attribuent les rappeurc(( With lyricssharp as a machet"u)"u.Jeru tha Damajase compareainsi à un < Samurailinguist > :

"' Un frcestyteestune imprcvisationlibre. ut L" rap freestytene peut échapperaux formesfigées telles que les expressionsidiomatiques, les clichés.Les rapsenregistrés sont quantà eux issusde textesrédigés ou céés au préalable,mémorisés, puisrécités oralement laissant peu de maqe à I'improvisation. "o Voi,q"lement au sujetde cettepratique en troisèmepartie, p. 278. "u LLCoolJ,'Rockthe Bells",Radio (Def Jam, 1985). 226 Boogi"Down Productions, "House Niggas", Edutainment(Jive, 1990).

& I swoopdown like a dirtyBrooklyn pigeon Swingmy sword wit precision Lightningspeed blurs your vision Likea surgeonwit razor sharp incision.227 Par un jeu d'interaction,les spectaclesde rap sontde veritablespertormances, impliquantune participationtotale du publicaussi bien physique que verbale.Tel un < preacher>>"", le rappeur encourageI'audience à prendre part activementen répondantverbalement à ses appels,en marquantle rythmelorsqu'il I'y exhorte (< Clapto the beat>, < Somebodyscream ,r)"t o, en I'invitantà danser.Les concerts sont pour les rappeurcI'occasion de partagerun momentavec les membresde leur communauté.Ainsi débutent-ilssystématiquement leurs concertsen se présentant, afind'établir un premiercontact avec le public.23o A I'instardu griot,dont la narrationétait entrecoupéed'effets de bruitage,qui mimaitles actionset configuraitsa voix, le rappeurplace son discoursau cæur de f'action231avec I'unedes créationsles plus singulièresdu rap,la <. Cette< boîteà rythmeshumaine > est la reproductionvocale de sons,généralement ceuxd'une boîte à rythmesou d'autreseffets sonores, en utilisantla bouche,le larynx et le thorax.232 Certainsrappeurs, à t'instarde Scratch"t,surnommé le , se sont fait expertsen la matière.On les désignepar le terme de < beatboxersn. A I'heure où la technologiepermet au son de se répéter à I'infini,les rappeurs poursuiventcette tradition par purjeu esthétique.Ce stratagèmemimétique par lequel le musiciens'efforce de reproduirecorporellement les rythmeset les sonoritésgénérés

'East "' J". Tha Damajafeat. Afu-Ra, New York Stamp', Ghosf Dq: The Way of The Samurai [Soundtnck] (Sony,2000). 28 L" "preachef est un prédicateurofficiant dans les églisesnoires et un personnagecentral de la communauténoirc américaine. "t D", phrasescliché que I'onattribue à Cowboy,membre des FuriousFive. NelsonGeorge, Hip Hop America,p.2O. "o Porti"K. Maultsby,op. cit.,p.188. "' chrirti"n Béthune,op. cit., p.47. "' C"tt" pratiquecorporelle évoque par ailleursles techniquesancestrales du pattingjuba et du hand jive. Au tempsde I'esclavage,une façon de détoumerI'interdiction qui étaitfaite aux esclaves de posséder des instrumenb,était d'utiliser leur corps @mme d'un instrument. Le pattingjuba elle had jive sont des "techniquesutilisant le corps commecaisse de résonanceet les mainscomme instrumenb de percussion".(Jean-Paul Levet, ap.cit., p. 394.) 233 M".br" du groupeThe Roob.

65 par la machinen'est pas dénué d'ironieet peut s'interprétercomme une manière originaled'en contester la suprématie.23a

L'emploid'un langagevernaculaire et la richessestylistique du discoursrappé nousrévèlent que les rappeurssont aussi<< des lettrésqui investissentl'écriture ,r.23t S'ils optentpour < des tournureslangagières et des structuresde penséepropres à I'expressionorale D, c'estavant tout pourconférer à leur discoursune impressionde spontanéitéet de vérité.'3uLe choixd'utiliser un idiomeargotique et de I'inscriredans un discoursd'oralité est bienentendu guidé par le plaisirde la transgression.23tMais en installantcette littéralité dans le champde la parole,les rappeursaspirent avant tout à mieuxdiffuser leur messageet à stimulerchez I'ensemblede leurc auditeurset interlocuteursune prisede conscience.On ne pourracependant saisir pleinement la portéedu messagerap si on détachele textede soncontexte musical.

t* chrirti"r,Béthune, op. cit.,p.26. "u tbid.,p.z9. Parlerd'écriture rap ce constituepas une antinomie.Le rap est plus que tout autre forme orale afro- américainelettré puisque la plupartdes rimesne sont pas improvisées,mais préécrites puis retravaillées au @urs de la performance.Les raps enregistréssont quant à eux issus de textes travaillés, généralementrédigés au préalable. 236 tbid.,pp.39-40. "'toid.,p.ls.

66 2.4.Musicalité et technicité

Le rap désigneun style d'expressionmi-parlé mi-chanté, utilisant des textes élaboréset riméssur un rythmebinaire. La structuremusicale du hip hop reposesur un beaf3g,une lignerythmique minimaliste battant en moyenne90 BPM2'9pour le rap et autourde laquellese greffentles élémentsbasiques que sontla voix (t rapping>), le fond musical,le mixagedu DJ (< mixingn), produitpar I'arrangementéclectique d'extraitsde disqueset autressources sonores (< sampling>, < scratchingt, tchuman beatboxingn,...) pourformer une composition originale. Si la parolerappée est elle-mêmerythme, la musiqueest son supportprincipal et son révélateur.Tricia Rose affirme à justetitre dans Black Noise que le discoursrap est indissociablede soncontexte musical : Simplyto reciteor to readthe lyricsto a rapsong is notto understand them ; they are also inflectedwith the syncopatedrhythms and sampledsounds of the music.The music,its rhythmicpatterns and the idiosyncraticarticulation by the rapper are essentialto the song's meanrngs.. 240

La plupartdes artisteship hop n'ont pas de formationmusicale classique, ils proposentcependant, une musicalité inédite d'un point de vuediscursif, mais aussi sur le plan technique.2alL'instrumentation révèle en effet le texte avec emphaseet dramatisel'æuvre.2a2 Grâce à sonaccessibilité, la musiquepermet en outrede toucher un publicplus large et de délivrerun messageà grandeéchelle.

"t L" beafreprésente le rythme,le battementqui structureun morceau. '3n BPM ('Beats per minute")estle termequi indiquele nombrede battemenbpar minutesur lesquels est construitela musiquede danse.Ces pulsations rythmiques générées par les boîtesà rythmesoscillent pourles musiques hip hop entre 80 et 110BPM. 'oo Tri"i" Rose,qp. cif.,p. BB. 'ot Ti"i^Rose écrità proposde HankShocklee, architecte du sonde PublicEnemy : '... some rap producersoffer their lack of trainingas an explanationfor the innovativenature of their approach[...] claimingthat rap producersare ac{uallymore creativethan real musicians.[...]Shocklee believesthat his ignoranceof formalmusical training allows him to see beyondwhat has beenunderstood 'ln as conect and propersound construction, giving him a greaterrange of creativenotion: dealingwith rap, you haveto be innocentand ignorantof music.Trained musicians are not ignorantto music,and they cannotbe innocentto it [...] We mightuse a blackkey and whitekey togetherplaying together because it worksfor a particularpart [...]' Shocklee'scomments about formal training ard ib relationshipto musical innovationas well as criticalresponses to Shocklee'sapproaches bear striking resemblance to the critias of be-boppianist Thelonius Monk's untrained approach toiazz pianoplaying." (lbid., pp. 80-82.) 242 ch"ryL. Keyes,op.cit.,p. 199.

67 A la fin des années1970, les DJship hop2a3prennent I'initiative de nouvelles techniquesde reproductionmusicale qui réformerontla structurede tous les genres musicaux populaires à venir, notammentà travers la création majeure de l'échantillonnage.Comme nous le verrons, cette innovationhip hop sera révolutionnaireà de multipleségards, par sa nature même de récupérationet de recyclagedu son, mais aussidans sa conceptionnouvelle de l'æuvrequi sonne comme un défi aux conventionsesthétiques et aux normes établies qu'elles bousculent.Par le biais de technologiesinédites qui apparaissenten cette fin de décennie,le hip hop devient,en termes d'esthétique,un < art populairepost- moderne,r'*, commele suggèreRichard Schustermann dans L'Attà l'étatvif, avant mêmede devenirun art contestataire. Le hip hop a été le premiergenre musicalà faire massivemententrer les procédéstechnologiques dans son expressionpoétique. Tricia Rose qualifie d'ailleurs cetteoralité de < post-titerate,t245 : Rap musicis a technologicallysophisticated and complexurban sound.No doubt,its forebearsstretch far intothe orallyinfluenced traditionsof African-Americanculture. But the oral aspects of rapare notto be understoodas primaryto thelogic of rapnor separate from its technologicalaspects. Rap is fundamentallyliterate and deeply technological.zao

On retrouve dans la trame musicaledu rap toutes les caractéristiques traditionnelleshéritées de la richeculture afro-américaine, notamment la polyrythmie, la structureantiphonique d'appel-réponse, la répétition,la parodie,et I'on reconnaît aussiquelques-uns des tropes du signifying2aTtels que le jeu, la suggestion,I'inversion, I'intertextualitéet I'ironie.Nous constaterons qu'en s'appropriant les ressourcesde la

243 Suiu"nt leun spécialisationsmusicales ou techniques,les DJs peuvent également prendre f'appelfationde Mixmaster,Funkmaster, Tumtablist, Mixologist, Gnndmaster, Jammaster, elc... '* Ri"h"rd Shusterman,L'art à t'étatvif: ta penséepngmatique et l'esthétiquepoputairc,Paris : Editions de minuit,1992,p.184. 'ou '*"0 then,is not simplya linearextension of otherorally based Afican-American traditions with beat boxesand cool Europeanelectronics added on. Rap is a complexfusion of oralityand post-modem technology.[...]Rap is in part an expressionof what Walter Ong has refened to as 'post-literate orality'...Theconcept of post-literateorality mergesorally influencedtraditions that are created and embedded...revised and presentedin a technologicallysophisticated context. lt also has the capacityto explainthe way literate-basedtechnology is mde to articulatesounds, images and practicesassociated with orally basedforms, so that rap simultaneouslymakes technology oral and technologizesorality." (TriciaRose, op.cit., pp.85€6.) 'ou tbid.,p.gs. 'o' v oardéfinition p. 50.

6E technologieet sans pour autanttrahir le patrimoinemusical, I'oralité afro-américaine gagneune nouvelle vigueur. Le rap est né avanttout d'unenécessité d'innovation en matièremusicale pour des raisonspragmatiques. ll convient en effetde rappelerqu'il s'agit d'une musique d'autodidactesapparue dans les quartiersdéfavorisés de NewYork et qu'elleest de plus contemporainedes premièresréductions budgétaires de I'administrationReagan dansles domaines social et scolaire: t...1in schoolthey used to giveyou instrumentslike they give you books.[...] and when they cut down all thefunds in theschools, you couldn'thave [one]... they cut the moneyright when I wasgetting out of school,and the rap started getting bigger, because kids didn't have instruments,so the bestway to channeltheir creativity was writing downlyrics and saying them; didn't cost money and didn't cost nothing to be a DJ either.2a8

Ce témoignagedu musiciende jazz hip hop JMD rappelleque les jeunes, n'ayantplus aussifacilement accès aux instruments typiques des musiques populaires, durentfaire preuved'ingéniosité pour développerdes techniquesmusicales à leur portée2ae.Les techniquesde deejayingdispensaient les musiciensd'acquérir un matérielonéreux.2uo A traverc I'exploration de la platinequi devientun instrumentà part entière,cette génération instaure les prémicesde la cultureDJ. Le hip hop va ainsi bouleverserla créationmusicale populaire en développantle deejayingcomme le fondementoriginel du rap. ll est à noterque les avancéestechnologiques ont systématiquementdonné lieuà de nouveauxcourants musicaux et à de nouvellesformes d'écriture, et plusque tout autregenre musical, le rap est un < art de notretemps >.251 ll a pris en effet son essordans les années 1980, une décennie marquée par la percéedes instrumentsde musique électronique,notamment le synthétiseur,et par le développementde nouvellestechniques qui révolutionnerontla musique populaire dans son ensemble. Les boîtesà rythmes,les tablesde mixageet les premierséchantillonneurs"' nés du rap permettrontde populariserle phénomèneDJ dans tous les courants

248 Brirn Cross,op. cif.,p. 96, citédans Christian Béthune, op. cit.,p. 57. tot C"l" en signifiepas que les rappeursne sont pas des musiciens.Parmi les rappeurcde renom, beaucoupsavent jouer d'instrumenb de musique. 'uo chrirti"n Béthune,q. cit.,p.57. 252 L'é"h"ntillonneurou samplerpermetde stockeret de manipulertoutes sortes de courtséchantillons sonores.ll prendaujourd'hui le plussouvent la formed'un logicielinformatique.

69 musicauxactuels2s3. Le hip hop rend I'instrumentde musiqueclassique superflu tout en dispensant le musicien d'un apprentissagerébarbatif.H L'évolution des technologiespermet ainsi au DJ d'accéderà bas prixau mondede la production,il devientcompositeur, arrangeur et s'élèveau statutd'auteur.2ss Le disc-jockeyétait à I'origineun animateur-radioqui présentaitdes disquesà I'antenne256.Après la SecondeGuerre mondiale, i! devintde plusen plussynonyme d'animateurmusical de soiréesdansantes, enchaînant les disquespour faire danser le public.Dans les années 1950, les discothèques connurent un spectaculaireregain de popularité,les directeursde club se mirentà délaisserles musiciens,trop onéreux, pour engagerdes disc-jockeys.'utCes demiers se limitaientalors à passer des disques.ll faudraattendre les années1970 et I'avènementdu discopour voir les premiersDJs se mettrentà expérimenterles optionsqu'offraient les platines,puis f'arrivéede DJs d'originecaribéenne pour que le deejayingdevienne une réelle expressionartistique. LorsqueKool D.J. Herc introduitau début des années1970 le conceptdes <,la quintessencemême du sonrap, qui consisteà répéterun breakàI'envi à I'aidede deuxcopies d'un même disque.261

253 Er"rpl", la house,la techno,le ragga... '* chri.ti"n Béthune,op. cit.,p.57. Aujoud'hui, certains rappeurs n'hésitentpas à introduiredes instrumentsacoustiques dans leurs compositions,notiamment l'école de Philadelphie("Philly Sound) plus empreinted'influences jazz (Ex: ïhe Roots). 2uu L", innovationstechnologiques du XXe siècleont eu des conséquerrcesmajeures sur la musique. L'apparitionde nouvellestechnologies tant au niveaude la productionque de la diffusionbouleverce en profondeurle rapportde I'auteurà la musique.Un des élémentsprimordiaux est la démocratisationdes moyens de production.La miniaturisationdes appareillageset leur cott abordablerend possiblela constructionde véritablestudios de productionà la maison(homestudio). Le consommateurdevient à son tour prcducteur. '56 Voir.à proposdes DJsde radionoire, pp. 83€4. 'u' ulfPoschardt,op. cit.,p.107. 258'Mir"r désignele travailduDJ qui enchaîne d'une platine à I'autrcun certain nombre de disquespour limiterles temps morb et stimulerles foules. 'uo voi, définitionnote 73,p. %. 261 DauidToop note à proposdu break:

m Si Herc a posé les fondationsde la musique hip hop avec le principe fondamentaldu breakbeaf,ce fut JosephSaddler, alias Grandmaster Flash, surnommé égalementle < Toscaninides platines>262, qui fitdu deejayingune véritable expression artistique.Ce virtuosedes platinesmit au pointen 1977un autreprocédé technique inédit,le c263. Le scratchest une méthodequi permetde faire usagedu disquecomme d'un instrument,en faisantglisser le vinyleavec la maind'avant en arrièresous la pointede lecturepour obtenir un effetsonore écorché ou une scansion percussive.Le disquen'est plus un outilde base,il se révèleà traversle scratchingun élémentessentiel du processusd'improvisation créatrice. GrandmasterFlash développerade nombreusestechniques de deejaying, citonsentre autres le n cutting,r"o,le < back-spinning>265,|e < toopingrr*u. Fort de sa formationd'électrotechnicien, il compléteraI'unité de base du DJ, composéede platineset d'unetable de mixaged'une < beat-box> bricolée.Cette boîte à rythmesfut un autrepas significatifsur le cheminde la productionmusicale modeme. Elle garde en mémoiredes motifsrythmiques que I'on peutfaire répéterindéfiniment, et permet ainside poserune ligne rythmique sur le morceaude hiphop. Afrika Bambaataa,autre figure mythiquedu < deejayingt, apporta une nouvellepierre à l'édificede cette pratique.ll possédaiten effet une collection immensede vinyles et mixait tous les styles, de la Cinquièmesymphonie de Beethovenaux æuvresméconnues de funk, en passantpar le rock anglo-saxonou encorela musiqueélectronique allemande.tut ll fit pourainsi dire de la collecteet du

'ln the Bronx,however, the importantpart of the recordwas the break.Thepart of a tune in whichthe drumstake over. lt couldbe the explosiveTito Puentestyle of Latintimbales to be heardon JimmyCastor records;the loose funk drummingof countlessrecords by legendslike JamesBrown or Dyke and The Blazerc; eventhe foursquarebassdrum-and-snare intros adored by heavymetral and The RollingStones. Thatwas when the dancersflew and DJsbegan cutting between the breakinto an instrumental.One copy of a recod - forgetit." (DavidToop, op. cit.,p. 14.'1 'u'l)lt Poschardt,op. cit.,p.1zo. 'ut L" fégendedit que GrandWizard Theodore découvrit le scratchun jour de 1977alors que sa mère vientle voir danssa chambrepour qu'il baissela musique.ll anêta le disquede sa mainpour écouter sa mèreet, en faisantbouger le disqued'avant en anière,découvre le scratch.(Nelson George, "Hip Hop's FoundingFathers Speak the Truth",Tlæ Source,November 1993, p.47, cite dans Ulf Poschadt,op. cit., p. 179.) 2g Techniquequi consisteà fragmenterune phrase d'un disquepour obtenir un effetde répétition. tuu L" 'backspinning"est une manipulationdu disque qui consisteà répéter une même séquence musicaleen faisant toumer rapidementle disque en anière sans perdrele rythme du morceau.(Ulf Poschadt,op. cit.,p. 178.) 266 'Lc4ry'signifie "boucle", c'est-àdire la répétitiond'une séquence musicale. 'ut AfrikaBambaataa est égalementdevenu le créateurd'un nouveaugenre musical, baptisé "electro'ou 'electro-funk",un mélangede rythmeship hopet de sonsélectroniques inspiés par le groupeallemand de musiqueindustrielle Kraftrerk.

7l choix de disquesun art en soi. Depuis,le rap affiche une grande variété dans I'appropriationdes contenuset permetau DJ d'exprimersa personnalité,sa singularité, voireson érudition.268 Les rappeurss'inspirent de tout et puisentgénéreusement dans tous les stylesmusicaux, suivant leurs attaches et leursparcours. lls piochentaussi bien dans la musique,dans les génériques de télévisionou autresjingles, que dans le hiphop lui- même.lls s'approprientégalement des contenusnon musicaux,tels que des extraits de dialoguesde film, des fragmentsde discourspolitiques ou encoredes bruitages mettanten scènede manièrehypenéaliste la vie urbaine.Grâce aux ressourcesde la technologie,le rappeurmet en placeun paysagesonore, bruissant de vérité. En samplantdes extraitsaussi divers, les rappeurscélèbrent autant I'originalité de leurs æuvresque les empruntsqui les constituent.'unLes référencessonores se veulent tantôt hommagesdédicatoires, tantôt purs sarcasmes.Elles dénotent le respectet I'admiration,notamment lorsqu'ils citent les discoursde MalcolmX ou de MartinLuther King, ou se veulentgrinçants, lorsqu'ils samplent George Bush et DoloresTuckefto. Lesjeux de renvoisintertextuels sont égalementrécurrents dans le discours rap. Avec insistance,les rappeurscitent texte et musiqued'æuvres musicales afro- américainesantérieures et souventméconnues, ils reprennentaussi des phrases musicalesde rap, parfoiselles-mêmes déjà empruntées à d'autresartistes ou encore s'auto-réfèrent.Ainsi Public Enemy se réfère-t-ildans le vers<< Papa's got a brandnew funk>>27t au morceaude <274. lls célèbrentainsi la culturenoire américaine et la culture populairedans son ensemble,même si c'estparfois de manièresatirique lorsqu'ils samplentpar exemple Elvis Presley.Le rappeur,archivant et réinterprétantdes

'ut Ri"h"rdShusterman, op. cit.,pp. 18$190. 26e tbid.,p.191. 2t0 Dolor", Tucker est une activisteafto-américaine, engagée de longuedate dans la lutte contre I'obsénitéet la violencedans le rap. "t Prbfi" Enemy,"Brothers Gonna Work lt Ou", Fearof a BtackPtanet (Det Jam,1990). 'Papa's "' J^ ."Brcwn, GotA BrandNew Bag", Papa's Got A BrrndNew Bag(Polygram, 1965). 273 B"""ti" Boys,"FQht For YourRighf , LicensedIo ttt(Def Jam, 1986). 274 Ererples citésdans Eric Gonzalez,'lntertextualité, paratextualité et sampling: morceauxchoisis de PubficEnemy', in RobertSpringer (dir.) te textedans la musiquepopulaire afro-amérhaine, Bem : Peter Lang,2001, p. 179.

72 fragmentsde la culturenoire - et blanche-, devientainsi le gardiende la mémoire musicalecollective et réinvestittechniquement la palabredu griot. Les musiquesaméricaines, noires et blanches,se sont traditionnellement empruntémutuellement divers éléments musicaux. ll convientnéanmoins de noterque la musiqueblanche a largementpuisé dans le répertoirenoir et que I'on peutaffirmer que la culturenoire a été exploitée,voire confisquée,échappant aux mainsde ses créateurs,notamment à travers le jazz.et le rock, largementproduits, diffusés et contrôléspar les Blancs.Si I'adaptationet la relecture- voire le pillage- d'idiomes musicauxafro-américains par les musiciensblancs ont toujoursconstitué une force productiveessentielle dans I'histoirede la musiquepopulaire américaine, les hrp- hoppersprennent un malin plaisirà renversercette donne en inversantles rôles d'exploitantset d'exploités.27s

Pourla premièrefois dans I'histoire de la musiqueafro-américaine, le rap puise en effet sans complexedans le patrimoinemusical <. Cette volonté participede deux démarches: celle, d'une part, d'un désir d'ouvertureà un art universel,et d'autrepart, celle plus politisée d'une sorte de revanchepar I'exploitation à reboursdu patrimoinedes Blancs. ll s'agit là d'un double mouvementde réappropriationet de contre-appropriationd'un contenudont les Noirs avaientété dépossédés.Russel A. Potterva jusqu'àévoquer I'idée d'une < tactiquede guérilla> dansla pratiquedu sampling.276

PubficEnemy, "Party For Your Right to Fight",/f Takesa Nationof Millionsto HoldUs Back(Def Jam, 1e88). -'t'rE - Depuisune dizaine d'années, le samplinga été au centred'une polémique ayant trait aux problèmes de droits d'auteur.Depuis que d'importantsprofits sont en jeu, I'utilisationde samplesest considérée commedu vol ou du plagiat.En plusdes questionsd'odre éthique,le samplingpose donc des problèmes d'ordrejuridique. Les échantillonsde morceauxdoivent être déclaréset la législationest de plusen plus rigide en raisondes sommesd'argent en jeu. Convoitantles profib substantiels,de nombreuxartistes revendiquentces droits.Aux Etab-Unis,le samplinga même engendréla mise en place d'officines spéciafiséesdans la négociationsde droib d'auteur("sample cleannces"). Dans un intituléA// Samp/esCleared,le rappeur Biz Markieironise sur le sujet.Cette nouvelle donne juridique a par ailleurs entraînéune modificationde la pratiquedu samplingmême. Le sampleest de plus en plus souvent travestijusqu'àrendre méconnaissable le supportinitial des emprunts.L'art du samplingest devenuentre tempsbeaucoup plus de I'ordredu jeu quede la simplecitation. De pfus,I'industrie hip hop a faitmonter le prixdu sample.En 1990,De la Soulpaya 850 000 fancs pour uneseconde d'accotd emprunté au morceau"You Showed Me" des Turtles. La musiquehip hop,décriée et taxéede fumisterieà sesdébuts, est aujoud'huidétoumée à sontour par I'ensembledes musiquespopulaires, parfois même par les musiquesdont elle s'étaitinspirée à I'origine commele jazz (Ex: QuincyJones, Heôie Hancock).(Olivier Cachin, op. cit.,Paris : Gallimard,1996, p. 85.) Biz Markie,All SamplesCleared (Wamer, 1993). 276 "guerillatactic of sampling". RussefA. Potter, SpectacularVemacularc: Hip-Hop and the Politics of Pd-rndemism, Albany: State Universityof NewYork Press, 1995, p. 76.

73 Ce procédéde I'empruntqui consisteà prendreune phrasemusicale, à la déstructureret à la retravailler,bouleverse également nos conceptionstraditionnelles de l'æuvre d'aft.277Le DJ commet en effet une transgression,celle de piller ouvertementd'autres æuvres, et de porteratteinte à celles-ci.En composantà partir de bribesmusicales déjà existantes, il remeten questionla notionmême de création originale.278Le sample révolutionne aussi le vocabulairemusical puisque I'on assiste à < la disparitionde la noteen tantqu'élément de basedu langagemusical >>27e et que < le phonèmede baseest le fragment).280 Si l'on conspuaità ses débutsle samplingmusical, I'emprunt est une méthode qui est loind'être nouvelle dans le mondedes artsde toustemps. Des ready-made de Duchampau sunéalismeen passantpar le dadai'smeou encorele plasticienpop art AndyWarhol qui samp/affles boîtesde soupeCampbell, beaucoup ont eu recoursà ce procédé.281Le rap montre également qu'emprunt et création ne sont pas incompatibles. Le conceptd'emprunt est par ailleursd'un usagecourant dans la traditionafro- américaine.ll prendsa sourcedans les conditionsd'émergence propres à la culture afro-américaine.Coupés de leursracines, les Africainsdébarqués sur le sol américain n'avaientplus à leurdisposition que desfragments et des décombresde leurscultures issuesd'ethnies diverses.282 Acculturés, ils puisèrentdans ce patrimoineéclaté et se trouvèrentdes élémentsculturels disparates pour se constituerune expression originale,grâce à un vigoureuxsentiment d'appartenance communautaire. L'expressionnolre a toujourseu tendanceà se constituerà partirde fragments de matériauxdéjà élaborés,notamment dans les chants,les contesou encore le preachinfst, qui se réfèreen permanenceaux Ecritures.Le blues comme le jazz. sollicitentégalement un vaste réservoirde phraseset d'expressions< prêtes à f'emploi> et les jazzmenaffectionnent particulièrement les citationsmusicales. Pour

2tt chri.ti"n Béthune,op. cit., p.51. 278 tbid.,pp.52-53. "t rcia.,p.sz. 280 Gilf", Todjmann,"Sept remarques pour une esthétique du sample', Technikart,no20, mars 1998,cité dansChristian Béthune, op. cit.,p.52. 281 Ri.hrrd Shusterman,op. cit.,p.189. 282 chri.tirn Béthune,op. cit.,pp.53-s5. "t L" prcachirgconsiste en une improvisationvocale du ministredu culte,le prcaclrer.Le prêcheest "uneimprovisation vocale [...], centréesur l'émotionpoétique, sur uneferveur extrême, scandée selon des règlesbien connues du publicnoir, ce qui lui permetainside suivre et de répondrcen cadence.'(Geoçes Lapassadeet PhilippeRousselot, qp. ctt.,p. 68.)

74 reprendreles termesde ChristianBéthune : < Le recoursdes rappeursau sampling peut,à cet égard,se lire commeI'ultime avatar de cettemise en abîmeintertextuelle dontse sontnourris les créateursafro-américains >.e Indépendammentde ces techniquesd'échantillonnage, un autre procédé styfistiquemajeur s'impose dans la créationmusicale hip hop; le n mixingn. Le mixageréside dans I'artde préleverdes unitéssonores, de les transformeret de les réarrangerdans une composition inédite. Cette méthode s'apparente à la pratiqueque Claude Lévi-Straussprésente dans une page célèbrede la pensée sauvage: le <. ll collectedes matériauxet les recombineà sa guise avec ( les moyensdu bord>. Le travail de mixage commencepar la sélectionjudicieuse des échantillonset se poursuitpar la mise en formede ces extraitsà I'aidede diversinstruments (sampler, table de mixage...)qui permettentdiverses manipulations : montage en boucles,renforcement des basses, accélération,ralentissement, inversion mélodique, distortions des sons, ajout de réverbération,etc...287 L'arrangementde ces diverses sources sonores est obtenue par la superpositiondes échantillonsprélevés. La techniquede superpositionsonore, le layering,offre ainsi une orchestrationdramatique du morceau.tttLe rap apparaîttelle une æuvrepolyphonique à multiplesstrates où les motset les sons sontdégagés de leur contextehabituel dans une compositionoriginale pour révéler un nouveau < feuilletéde sens>28e. Le mixagene se limitepas néanmoinsà un simpleexercice de collage.ll s'apparenteà un minutieuxtravailæo qui exigeun savoir-fairecomplexe et, à ce titre, des compétencesd'orchestrateur de la part des producteurset des arrangeurs.Les

'* chrirti"n Béthune,op. cit.,p. ss. 285 "L" bricolageconsiste à utiliserdes élémenb quelconquespour les insérerdans un ensemble,ces élémenb pouvantjouer un autre rôle dans un autre ensemble.ll fait doncabstraction du sens et de la finalitéinstrumentale propre d'un objet en lui conférantune nouvellefonction. Le bricolageest donc de f'ordredu détour,du détoumement,de la déviation,de la combinaison."Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage,Paris: P|on,1962, p.30.) "u o, I'anangeur-producteuren studio. "t chri"û"nBéthune, op. clf., p. 59. "8 rbid.,p. 11. 289 Brno Guiganti,"Le son de la modemité,I'art audio à l'épreuvede I'industrieculturelle ", Synesthésie, n' 8, disponiblesur www.synesthesie.com. 290 A l. différencede la productionmusicale analogique, la technlquenumérique permet davantage de précision,au millièmede secondeprès.

75 æuvresde PublicEnemy, notamment tt Takesa Nationof Millionsto Hotd lls Baclë1, sont les plus dignes représentantesde cette < poétiquede I'accumulation>2s2, devenueentre temps leur signaturemusicale. Le groupe new-yorkaisest en effet passémaître dans I'art d'échaffauder un véritable< murdu son>> (< wallof sound>)2s3, n'hésitantpas à superposerpas moinsde soixante-dixpistes sonores sur certainsdes morceauxde I'albume. Si certains rappeurs gangsta affectionnent les trames minimalistes langoureuseset mélodiques,c'est pour mieux célébrer une forme d'hédonisme dont ils se font f'écho.Les rappeurs hardcore, à I'instarde PublicEnemy, font quant à euxfi de complexitésharmoniques pour composer ce que Hans Shockleeappelle du < bruit organisé,r'e5. lls rappentsur un fond de bruitscensés simuler la sociétéurbaine moderne.Cette < densité du maillageintertextuel et sonore>æ6 recèle ainsi un authentiquepouvoir de subversionet permetd'exprimer la critique.ætRobert Walser décriten ces termesle caractèreintentionnellement cacophonique de la musiquehip hop: The noisinessof hip hopcontributes to its abilityto expressdissent and critique,and to articulatethe identityof a communitythat is definedas, or that defines itself as noise.æ8

La < surcharged'informations Dsonores apparaît en effetcomme ( unevolonté de remplirI'espace sonore ou visuelet d'en bannirle silence,r*n. Commele formule GhristianBéthune, < le rappeurne parlepas de la réalité,il parledans la réalité>300. Ainsi lorsqu'ilsplongent leur auditoiredans la réalitédu ghetto,ils offrenttoute une

291 Pubfi"Enemy, "lt Takesa Nationof Millionsto HoldUs Back',tt Takesa Nationof Mitlionsto Hotd IJs Back(Def Jam, 1988). "' E i" Gonzalez,op. cit.,p. 177. "t rbid. '* S.tt.Femando Jr, op. cit.,p.zg4. De nosjours, certains artistes n'hésitent pas à enregistrerplus de deuxcenb pistespour un seulet même morceau. '(...) - "u musicis nothingbut organized noise. You cantake anything streetsounds, us talking,whatever you want - and makeit musicby organizingit. That'sstill our philosophy,to show peoplethat this thing you call music is a lot broaderthan you it is.' Chuck D. est cité dans RobertWalser, "Rhythm, Rhyme,and Rhetoricin the Musicof PublicEnemy", Ethnomusicology, Spring/Summer 1995, p. 198.) 296 Eri, Gonzalez,op. cit.,p. 177. "t Rob"rtWalser,op. cit.,p.197. "t r^id. "t Eri" Gonzalez,op. cit.,pp.184-18s. too chri"ti"n Béthune,op. cit.,p. 47.

76 miseen scènesonore, superposant aux motset à la lignerythmique des hurlements de sirènes,des coupsde feu, des cris ou encoredes crissementsde pneu.'otPar ce jeu de collages,le rap donne une impressionde documentaire< vécu> et permet d'immergerles propos du rappeurdans un hyperréalismecritique L'art du deejayingse révèledonc dans I'aptitudequ'aura I'artiste à maîtriser avecgénie toutes ces composanteset à orchestrerle tout.A I'instardes jazzmen, les rappeursexhaltent par ailleurs leur virtuosité créatrice à longueurde rimes302en s'auto- céfébrantet en vantantle talentde leurs DJs et producteurs*t,leur studio(< lab >), maisaussi leur matériel, le n mic > et les platines(< wheelsof steel>). Commele remarqueChristian Béthune, le hiphop < sembleréussir I'impossible synthèsede I'oral et de la technique,1300. Par la réappropriationdes procédés techniquesles plus sophistiqués,la culturehip hop rénoveles fondementsde la traditionsans renonceraux ancragesde son oralitéoriginelle. Cette dernière acquiert, avecle rap,une nouvelle dimension et puisedans celui-ci une vigueur inédite.

tot tbid.,p.46. 302 Ri"h"rdShusterman, op.cit.,p. 195. Commele rappelleChristian Béthune, la cultureafro-américaine entretient un autrerapport à la bchnique et considèreles prouessestechniques'comme partie prcnante de l'æuvreaccomplie". Cette "poétique de la technique'est liée à la notionde défi propreà la musiqueafro-américaine. Ce gott de la confrontation réactualisépar les rappeursau cours des ôaffles est notiammentcomparable aux jam sesslbnsdes jazzmenau coursdesquelles les musicienss'efforcent de brillerpour gagnerles faveus du publicou de leurscollègues. (Christian Béthune, op. cit.,pp. 31-33.) 303 La désignation('namingf) est un autre élémentrécunent dans le discoursmp. Les rappeursse plaisentà se citeret à citernommément leurs collaborateurs. (Tricia Rose, qp. cit.,19!il, p. 87.) 3@ chri.ti"n Béthune,op. cit.,p.4.

77 Chapitre3. Les racinesdu rap

l'm sweetpeeter jeeter the womb beater The babymaker the cradle shaker Thedeerslayer the buckbinderthe womenfinder Knownfrom the GoldCoast to the rockyshores of Maine Rapis my nameand love is my game H. RapBrown, 196930s

Contrairementà ce qu'on a pu avancer,le rap n'a pas fait inuptionex nihilo dans les ghettosdes années1980; il s'inscritdans une longuetradition orale afro- américaine.Ses originesmusicales sont avanttout à rechercherdans la profondeur des musiquesafro-américaines, dans le jazz.pour sa modernité,son aspectsubversif et sa militance306,le rhythm'n'blues pour son apportrythmique, et plus directement dans la musiquesoul et le funk. Les racinesdu rap se ramifientégalement entre la JamaiQue,d'une part, pour I'apport novateur des techniquesde deeiaying et d'emceeing,et les États-Unis,d'autre part, pour la dimensionsociale et politiquede son discours,notamment à traversI'influence du mouvementartistique militant Black ArtsMovement.

3.1.Soul et funk: I'héritagemusical

La musiquehip hop plonge ses racinesdans I'histoirede la culture afro- américaineet est investiepar des influencesmusicales des plus diverses.ll existe tou Citédans Henry Louis Gates Jr, TheSignfuing Monkey,pp.72-73. 306 chrirti"n Béthune,op. cit.,pp.19-34. Si on ne peutétablir de filiationdirecte entre les deuxgenres, les rappeurset DJs puisentune partiede feursinfluences dans le jazz, souventacquises dans I'environnement social. Ainsi, Nas, rimeur sudoué de Queensbridge,n'est autre que le fils du trompettisteOlu Dara.Guru et DJ Premierde GangStarr sont les premiersà avoirpuisé abondamment dans cette source en créantdes projetsartistiques de collaborations entremusiciens de jazzet de hip hop. Les deuxgenres se sontaujourd'hui contaminés réciproquement. Le jazz a fini par puiserdans le hip hop et engendréfualement un nouveaugenre, le iazz rclp.De Heôie Hancockà QuincyJones, le iazz a lui aussidilué les beafship hop dans ses nouvellesmouvances. Herbie Hancock fut par ailleursle premier jazzmana célébrerle hip hop dès 1983en publiantFuturc Shock, un albumd'anthologie hip hop puisqu'il est le premierjamais enregistré à utiliserles platinescomme d'un instrument. Plusque biend'autres maniÊstations musicales afto-américaines, le jazzet le hip hop ont en communeu un necoursà la réadaptationd'élémenb extérieurs pour forger leur propreexpression. Les deux courants musicauxont égalementen commund'avoir engendé des polémiquesde par leurspositions politiques, et dans la revendicationidentitairc d'un art afro-américain.On retrouvedans le hip hop égalementcet art de la subversionet de militanceinitié par le iaz. modeme.(RXL, Emma Rivière et GuillaumeBregeras, "Hip hop,iazz et rap', Jazzman,Mai 2@2, p. 12.)

7E notammentune filiation certaineentre le rap et les musiquestraditionnelles et popufairesdu peuplenoir américain, telles que le jazz,le gospel,le rhythm'n'blues, mais les rappeurs comptent parmi leurs ancêtres immédiats des musiciens appartenantaux courants musicaux de la soulet du funk. Après avoir été dépouillésde leur musiqueà travers la récupérationdu rhythm'n'bluespar la jeunesseblanche dans les années1950, les Noirsaméricains reviennentau milieudes années1960 à leurssources musicales. En modernisant notammentle gospel,ils mettentà nouveauleurs espoirs en musiqueet créentla soul, quivoit le jour au coursdu mouvementdes droits civiques. En cette périodede remiseen questionet de revendicationsdu < Pouvoir Noir> (< BlackPower >)æ7, la soul devientla réponseaux intenogationsdu peuple afro-américain.Les musiciensrevendiquent la fierté d'êtrenoirs à I'instarde James Brownqui enregistreà la fin des années1960 ( We'd ratherdie on our feet,than be livin'on our kneesr> dans un morceaude funkd'inspiration soul, u Say lt Loud- I'm Black and I'm Proud,rt*, et qui populariseraI'expression < Black is Beautiful). A traversla voix des artistesde soul, le peupleafro-américain exprime également la nécessitéde s'uniret de revendiquersa dignitécomme le chanteAretha Franklin en immortalisantcet hymneafro-américain que deviendra< R.e.s.p.e.c.t.r>30e, tandis que d'autresexhortent leurs < frères> à se réveilleret à s'auto-déterminercomme le suggèreCurtis Mayfield dès 1965dans < PeopleGet Ready >310, puis dans le morceau < Powerto the people,r3" ou encore< Moveon up ,rt".

HerbieHancock, Future Shock (Columbia, 1983). 307 "Bl""k Powef est un sloganqui fut lané en 1966par le leaderdu SfudenfNon-Viotent Coordinating Commiftee(SNCC), Stokely Carmichael. Ce diplôméde philosophiemilitait dans le Suddes Etats-Unis aux côtés de MartinLuther King pour l'obtentiondes droits civiques.ll fonde en 1960 le SNCC, une organisationnon-violente qui coordonneles sit-in étudiants.ll publieavec CharlesHamilton en 1967 le livre BlackPower, à l'originedu mouvementdu mêmenom prônant un militantismepolitique et civique.ll rejointen 1968les BlackPanthe,rc qu'ilquitte en 1969.Opposé à toutecollaboration avec les mouvements blancs,il se retireen Afriqueoù il prendle nom de KwaméTouré. ll rneurten 1998.(Kwame Anthony Appiahand Henry-LouisGates Jr (eds.), op. cit., pp. 23$240 ; Henry-LouisGates Jr (ed.), Ihe Nofton Antholqy of Afrtcan-AmericanLitenture, pp. 175-176.) 308 J"r", Brown,"Say lt Loud- I'm Blackand I'm Prcud', Saytt Loud- I'm Blackand I'm Proud(King, 196e). 309 ArethaFranklin, "R.e.s.p.e.c.t . ", I NeverLoved a Man TheWay Thatt LoveYor (Atlantic,1967). MaryEllison, op. cit., pp. 60, 115. Le morceau"R.e.s.p.e.c.t. " est considérépar beaucoupcomme un appelau respectde la femmenoire américaine.Si la chansons'inscrit dans le courantféministe de l'époque,elle prend égalementune dimensionplus revendicative au momentdu mouvementanti-sfurégationniste. 310 Th" lmpressions,"People Get Ready', Peqte GetReady (Rhino, 1965). tt t Crrti, Mayfteld,"Power To The People",Sweef Exotcisf (Buddah, 1974). "' crrti, Mayfield,"Move on Up', Curtis(Buddah, 1970).

79 Le conceptmême de n sou/n renvoiealors à la spécificitéculturelle et à I'expériencenoires tout en révélantune nouvelledimension communautaire afro- américainettt.James Brown devient la figureemblématique de cette négritude.ll célèbrela fierté noireet incarneen outre les aspirationsde la communautéà une ascensionsociale. Symbole du capitalismenoir (<< black capitalism r), prônépar Nixon, il devient un exemplede réussiteéconomique en prenantle contrôletotal de sa carrière,exemple qui sera suivi par de nombreuxrappeurs. James Brownincarnait égalementI'américanité (< Americais my homeu)tto. ll appelaitau consensusdans <31s et soutenaitle gouvernementde Nixon316tandis que Curtis Mayfieldharangue ce mêmeprésident quelques années plus tard dans < lf There'sa HellBelow, We're All Goingto Go ,rttt. Lorsqueles ghettosnoirs se révoltèrentsuite à I'assassinatde MartinLuther King, c'est ce mêmeJames Brown qui appelaen directà la télévisionles membresde sa communautéà retrouverses esprits.318 La culturehip hop continueraà délivrerles mêmesmessages que ceuxclamés par fes aînés de la soul music,notamment la négritude,la solidarité,la quête de dignité....Certains termes incontournables puisés dans la soulet qui accompagnaient les bouleversementsidéologiques sont devenus aujourd'hui des axiomesde la culture hip hop,tels que les notionsde nsou/)), ( respecfl et les termesde nsisfern et < brothern.Les salutscommunautaires (< soul shaken;3ts, la révoltelangagière et la subversionsont d'autres éléments hip hop héritésde ce courantmusical. Suiteà I'assassinatdes grandsleaders noirs, Malcolm X en 1965,puis Martin Luther King en 1968, les espoirsde la communauténoire s'effondrentet la soul s'essouffle.C'est sur les décombresdu mouvementdes droitsciviques qu'apparaît le funkdès la fin des années1960. La musiquefunk révolutionne alors la scènemusicale essentiellementgrâce à sa rythmiqueet à son caractèrebaroque. Le funk est une musiquehybride qui puiseen effet aussi bien dans la musiquesoul que dans le

313 J""n-PaulLevet, op. cit.,pp.474475. Ce concepttut mis à jour parW.E.B. DuBois dans Ihe Soulsof BlackFdk. W.E.B.Dubois, Ihe Sou/sof BlackFolk, New York BlueHercn Press, 1953 (1903). tto N"l"on George,The Deathof Rhythm& B/ues,New York: Dutton, 1989, p. 103. t'u 'Don't J"r"" Brown, Be a Dropouf, RawSou/ (Polygram, 1967). parti positionplutôt "u L", Afro-Américainsadhérant traditionnellement au démocrate,cette inhabituelle fui valu par ailleursde nombreusescritiques. (Mary Ellison , op. cit.,p. 61.) 3tt Curti, Mayfteld,"lf There'sa HellBelow, We're All Goingto Go', Curfis(Buddah, 1970). 3'8 N"lron George,The Deathof Rhythm& B/ues,p. 103. tt9 G"n"u" Smiûrerman,Btack Tatk: Wordsand Plrmses from the Hæd to the Anpn Comer,Boston: HoughtonMiffin, 2000 (1994), p.267.

EO rhythm'n'bluesou le rock psychédélique.Sly and The FamilyStone et GeorgeClinton, mais aussi JamesBrown bien qu'autoproclamé< The Godfatherof Souln, sont les nouveauxcréateurs de ce genremusical. Tandisque la soul exprimaitun certainespoir propre au mouvementdes droits civiques,le funk reflèteen cettefin de décenniela froidelucidité de la communauté noireface à son destin,une communautéqui préfèreà présents'adonner aux plaisirs de I'insouciance.Le funkest avanttout une musique à danserà grandspectacle dont les textestraitent de manièrebrute de sujetsessentiellement futiles (< DanceTo the Music>, < Higher>>, << Are You Readyu)3æ. Son styletrès dynamiquese caractérise par des rythmesenvoûtants, des percussionsdenses ainsi que par une lignede basse insistanteéminemment sensuelle. Si I'humeurdes artistesn'est plus à I'exhortation,le funk et son rythme fédérateurne délaissentpas pourautant le côtérevendicatif de la soul.Le climatsocial et politiquene cesseen effet de se dégraderet les violencesurbaines continuent à souleverles ghettos. Sly and the Family Stone321 s'engagent en 1969dans < Don'tCall Me a Nigger,Whitey >>32 etdans leur album There'sa RiotGoing On3'3 deux ans plus 'tard, tandis que Parliamentévoque la possibilitéd'une Amériquenoire dans < GhocolateCity ,rt'o en 1975.325 Le funk apporteraaussi une contributionessentielle à la musiquede danse, notammentle discoet ses rythmespétillants qui aurontune influence déterminante sur la dansehip hop.De par sa puissancerythmique libératrice, le funk innoveen effetune nouvelle danse qui se veut libération,affranchissement vis-à-vis des valeurs traditionnellesde I'Amérique. James Brown, dont les exploits acrobatiques inaugurerontle genre,est I'un des grands innovateursde la danse moderneafro- américaine.

"o St, andThe FamilyStone, Dance To TheMusic(Sony, 1968). t" S,, andThe FamilyStone est par ailleursle premiergroupe intenacial de I'histoirede la musiqueafro- américainepop. KwameAnthony Appiah and Henry-LouisGates Jr (eds.),op. cit.,p. 796. t" S,, andThe FamilyStone, 'Don't CallMe a Nigger,Whitey", Sfand | (Sony,1969). "t S', andThe FamilyStone, Iâere's a Riot Goingon(Sony, 1971). t'o P"rfi.r"nt, "ChocolateClty", Chædate City (Casablanca, 1975). 325 E*"rpl". citésdans Kwame Anthony Appiah and Henry-LouisGates Jr (eds.),q, cit.,p.795.

EI Certainsconcepts forts de la culturerap puisentégalement leurs racines dans fe funk, notammentles notionsde r, de fut érigéeà I'origineen véritableaxiome de la philosophiehip hop par les créateursdu mouvement. Les rappeursse revendiquentouvertement de ces mouvancesmusicales soul et funk.L'affirmation de cettefiliation passe par la citationmusicale, le samplinget par des hommagesrendus à ses plus grands représentants32e.Les tout premiers enregistrementsde rap sont par ailleurslargement empreints de tonalitésfunk, notammentles æuvres électroniquesd'Afrika Bambaataaque ce dernier qualifie d'< electrcfunk>33o. Afrika Baambata,autoproclamé ç The Renegadeof Funk>, a notammentété largementinfluencé par le courantde penséeafro-futuriste331 initié par Sun Ra,puis développé par le courantmusical P-Funk332 de GeorgeClinton.333

326--- _ En argot du jazz, .groove"signifie être "swingant"et par extension,le "gr@ve"renvoie aux vertus entraînantesd'un morceauet sa capacitéà faire bougerles foules. ll devientsynonyme de pulsion rythmiquedu morceau. Jean-PaufLevet, op. cit.,p.242. t" voirnotede basde page238, p. 67. t" G*rg". Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cit.,p. 47. t" J"r". Brownest à titred'exemple I'un des artistes les plussamplés par les rappeurs. 330 L'""t*t.funlt ou "electrd est un genrehip hop créé par Afrika Bambaataaau début des années 1980,une fusionminimaliste et purementélectronique de musiquesafro-américaines traditionnelles et de technologieblanche. L'electro est à la basede la houseet de la techno.Disparue au milieudes années 80, elle a été remiseau goûtdu jour à la fin des années1990 dans les productionstechno. En 1982, Aftika Bambaataaand the Soul Sonic Forceavaient inauguré le genre avec leur album PlanetRock en samplantles rythmiquesdu morceauélectronique d'avantgarde 'Trans Europe Express' du groupe aflemandKrafiuterk pour les marieraux genresétablis que sont la soul, le jazzet le funk. L'albumPlanet Rockdu jazzmanHerbie Hancock a populariséle genreà l'échelleintemationale en 1983. StevenStiancell, op. cit.,p.97. ttt voi, définitionnote 36, p. 28. 332 L" 'P-Funk'est un genremusical baroque immortalisé par GeorgeClinton et ses groupesrespectifs, Parfiamentet Funkadelic,à la fin des années 1960. Le P-Funk allie le rythme funk aux nappes synthétiquesd'un rock psychédélique.Ses auteurs cultivent un esprit festif rehausséde pulsions chamefles.Le genreinspirera le sousgenregangsta *G-Funl{ dans les années1990. t33 L'"fofuturisme a égalementempreint I'esthétique audio-visuelle hip hop. Ainsi les cllp-vidéosde MissyEllioft, de PuffDaddy ou enoorede BustaRhymes, réalisés par HypeWilliams. A ce propos,Greg Tate évoquedes clips "afrocybemétiques'.(Greg Tate, "Quinzebonnes raisons de croireen f'avenirdu hip-hop",Tenitoires du hip hop,p. 93.)

a2 3.2.Les Djs de radio

Pour trouver un art du rappingproche de la forme actuelledu rap, nous pouvonségalement remonter aux années1950 et à la dextéritéverbale des DJs de radiosnoires américaines. À I'origine,le DJ désignaiten effetun animateur-radioqui présentaità I'antenneles disques de façondébridée.334 ll convient ici de préciser que la radio noire est un média de masse institutionnaliséet majeur dans la communautéafro-américaine. Pour George Nelson, qui a mis fa radioau centrede ses recherchesdans son livre lhe Deathof Rhythm& Blues,elle incarne un deséléments les plusdéterminants < pour la formationdu goût et desopinions des Noirs >.335 Si les radiosblanches diffusèrent à partirdes années1920 dela racemusiCtu, ce n'estqu'en 1948 que fut crééeà Memphisla premièrestation de radioentièrement noire, WD\A.337Cette révolution radiophonique permit pour la premièrefois à un DJ noir de travaillerau sud de la ligneMason-Dixon sans reniersa négritude.Dès lors, cette radio ne se contentaplus d'offrirà la communauténoire du Sud une voix représentative,elle constituaune force communautaire et politiquedans les décennies suivantesoù régnaientencore une cruelle ségrégation.338 Comme le remarqueDavid Toop dans son ouvrageencyclopédique Rap Attack33e,lestyle d'animationdes DJs de radioa exercéune influencedirecte sur le développementdes musiquesnoires, et notammentsur le rap.Les DJsde radio,qui étaientbien souventmusiciens eux-mêmes, enchaînaient et présentaientles disques en simulantle sentimentde direct. Dans un savant mélanged'animations et

334 DauidToop, op. cif.,p. 38. ttu D"n, son livre, NelsonGeorge entreprend de décrireI'histoire de la musiquepopulaire comme une constanteexploitation de la culturenoire et de démontrerque la culturea été vidéede sa substanceaprès la secondeguene mondiale en posantla radioau centrede ses recherches. '[...] radiohas historicallybeen so intimatelyconnected with the consciousnessof blacksthat it remained their primarysource of entertainmentand informationwell intothe age of television.Even in today'sVCR- and CD-filledera, blackradios play a hugerole in shapingblack taste and opinion- whenit remembercits blackaudience." (Nelson George, The Deathof Rhythm& Blues,p xiii.) 336 "R"." rnusrb'estla douteuseappellation utilisée jusque dans les années1940 pour définir la musique afto-américaine. --'e,aa UlfPoschardt, op. crf., p. 83. ttt rnid. ---1?O DavidToop, Rap Attack2: AfricanRap to GlobalHip Hq, NewYork & London:Serpent's Tail, 1991.

E3 d'improvisationsen scafso,ils posaientsur la musiquedes rimesextravagantes en <s1 : lf youwant to hipto thehip and bop to thetop Youget some mad threads that just won't stops2

Les distorsionslinguistiques du DJ de radionoire allaient devenlr un art à part entière,ce qui fit dire au fondateurde la Tamla-Motown,Berry Gordyil3, que le DJ de radio noire américaineétait < le tout premierrappeur us. Cettefiliation ne s'arrête d'ailleurspas là, le DJ de radio noirejoue égalementun rôle importantdans la communautéafro-américaine. C'est un médiateurqui inspire un sentimentde familiaritéet se veut prochede son auditoire3aset qui est considérécomme une source fiabled'informations sociales et politiques.Au milieudes années1960, à I'heureoù des émeutessanglantes soulèvent les ghettos,les DJ noirsn'hésitent pas à prendrela parofepour appelerà I'apaisement.soÀ cette mêmeépoque, le

3.3.Jamatque : aux sources du rap

La culturejamai'caine a eu une influenceessentielle dans le mouvementhip hop, notammentmusicale, c'est pourquoiI'on retrouvede nombreusessimilitudes entre les divers genres musicauxapparus en Jamarrqueet le rap. L'influence ilo voir.définition plus haut note 218, p. 63. il1 SugartrillGang, "Rappe/s Delighf (Sugarhill, 1979). il2 DavidToop, op. cd.,p. 38. tt t"t Gordya été le fondateurde la Motown,première maison de disquenoire à avoir peré sur le marchéblanc dans les années1960. Les rappeurcpoursuivent l'@uvre de BerryGordy quifit basculerla musiquenoire dans une dimensionindustrielle avant de I'imposerdans les foyers blancs. * uttPoschardt,op. cit.,p.84. Cette appellationn'est par ailleurspas impropre,puisque le tout premierrap enregistréen 1979 étrait l'æuvred'un disc-jockey de radionoire. *u tbid.,p.48. il6 N"lron Geolge, The Deathof Rhythm& B/ues,p. 111. 9' L"'jive talk'd&ignele jargon des musiciensnoirs.

84 caribéennesur le rap ne se limitepourtant pas aux innovationstechniques. Le rapet le reggaesont avanttout des stylesmusicaux issus de communautésnoires longtemps briméeset asservies.lls deviendrontdes musiquescontestataires et revendicatives, maisaussi des créationsculturelles et festivesélaborées pour faire face à une réalité socialedifficile. Les deux courantssont égalementliés à des mouvementsculturels, politiqueset spirituelscomparables. Les musiquesjamaTcaines ont avanttout influencéle rap d'un point de vue technique.Le rap puise sa sourcedans les <) sillonnaientet sillonnentencore aujourd'huiles contréesjamai'caines pour offrirau publicdes soiréesdansantes en pfeinair ou en salle(n dancehall >)34s. Les DJstrônent dans ces soirées,accompagnés de MCsqui toastent,c'est-à- dire improvisentou récitentsur des tramesmusicales minimalistes des texteslégers, puis politiques.Cet art mi-padémi-chanté, proche mais distinctdu rap, c'est I'art du talkover ou foasfrng,dont U-Roy et Big Youth sont les représentantsles plus prestigieux.tuoCes maîtres de cérémonieou foasfers,eux-mêmes influencés à I'origine par les DJs des radiosaméricaines,3s1 s'avèrent excellents animateurs. lls présentent les disquesjoués et apostrophentle public,I'incitant à danser.La naturede leurs interventionsparlées ou chantéesévolue : à mesureque la situationsocio-économique et politiquedu pays décoloniséen 1962 se dégrade,ils se mettentà évoquerles difficultésque connaîtleur î1e.35' Les DJs, largementinfluencés par le rhythm'n'bluesafro-américain que déversentles ondes du Sud des Etats-Unis,ne se contententpas de passer simplementdes disques.lls explorentégalement les faces B instrumentaleset par diverses opérations manuelles et techniques, tels que le ralentissement, I'intensificationde la basseou I'ajoutd'écho et d'effetsélectroniques, remixent les morceauxoriginaux au gré de leurfantaisie, créant de cettefaçon un genrenouveau,

*t voi, définitionnote 211, p. 62. *n L" dancehattest le lieu où se tenaientles soundsysfems. Le dancehaltdésigneaujoud'hui un genre de reggaedigital. (Manuel Boucher, Rap : Expressiondes /ascarc, Paris : L'Harmattan,1998, p. 369.) 350 DauidToop, op. cit., p.104. 351 ll conuientde préciserque les DJs jamai'cainsavaient été eux-mêmesinfluenés dans les années 1950et 1960par la musiqueafro-américaine et le 'jive talk'des DJsde radiosaméricaines. (lbtd., p. 38.) 35'Voi, à ce sujet DenisConstranl, Aux sources du reggae,musique, sæiété et pditiqueen JamaiQue, Paris: Parenthèses,1982.

E5 le dub.De ce conceptmusical original naîtront des genresnouveaux, du rocksteadyet du ska au débutdes années 1960,et notammentde la forme primitivedu reggae baptiséeraggamuffintu3, puis du reggae3*dès la fin desannées 1960355. Ce sont par ailleursdes DJs d'originejamaicaine ou caribéennequi vont importercette tradition populaire des soundsysfems au débutdes années1970 dans les ghettosnoirs new-yorkais. Clive Campbell, alias KoolHerc, organise dès 1973de mythiquesbtock pafties, ces fêtesde quartieren pleinair dansle Bronx356.On lui doit I'introductiondans la culturenoire américaine du foasfrng.ll seraégalement le pionnier et l'initiateurdes techniquesde mixage.Ces soiréesvenont I'avènementdu disc- jockey,épaulé par un MC qui, au fil des interventions,va étofferses perfonnances et transformerses premièresonomatopées en textes rimés semi-improvisés.Cet assemblageune fois rodévoit la consécrationdes MCs,les premiersrappeurs. En plusde partagerdes origineset des techniquesmusicales communes, les rappeursrevendiquent une filiationavec la culturejamaibaine. Si les rappeurssont généralementplus proches de I'islam,certains d'entre eux ont adopté la philosophieet le stylede vie du rastafarisme3sT.Les rappeurset rastafarispartagent entre autres les valeurscommunautaires de solidaritéet de respect.lls sacralisentI'Afrique, << Terre-

---?t1 Raggamuffinse décomposeen "rag'(haillon)et "muffin"(vaurien). Ce termesignifiait à I'originedans le vocabulaireanglais un miséreuxhabillé de haillons.ll renvoieaux formes primaires du reggaedont il est I'abéviation.Aujourd'hui, ildésigne plus communément le reggaedigital, un genreà mi-cheminentre rap et reggaeapparu à la fin des années1980 et dont I'interprétationvocale mi-chantée mi-parlée est une éfocutionproche de celledes foasfersjamaibains. (Manuel Boucher, op. cit.,Paris : L'Harmattan,1998, p. 475.) 354.--'Le reggaeest un stylemusical apparu à la fin desannées 1960 en JamaiQue.ll provientde la fusion de traditionsmusicales afro-jamaibaines (mento et calypso)et afto-américaines(soul, rhythm'n'blues, rock'n'roll).ll est I'aboutissementdu ska et du rocksteady,deux genresinspirés du R'n'B américain apparusdès le débutdes années1960. Le reggaefut aussile principalmoyen d'expression de la culture rebelleanticoloniale et accompagnales bouleversementsocio-politiques de l'île des années1970. ll connaîtrason heure de gloireau débutdes années 1970 grâce à la figurecharismatique de BobMarley. Voirà ce sujetDenis Constiant, op.cit., pp.36-37. 2Rt "-" DavidToop, op. cif., pp. 18-19. 356 s"rh" Jenkinset at.,op. crf., p. 19. 3ut L" rastafarismeest un mouvementmystique propre à la Jamaiqueet dont le reggae est la manifestationmusicale. Le rastafarismeest avanttout une religionsectiaire qui rcmptavec I'enseignement baptiste. ll se caractérisepar ses nombreuxemprunts au christianismeauxquels sont ajoutés une glorificationde I'EthiopieconsidéÉe comme la tene promiseet le lieu de rapatriementde tous les rastafaris.Les rastafarisvouent un culteà I'empereurd'Ethiopie Hailé Sélassié en qui ils voientla demière incamationde Dieu sur Tene. Le prophèteprincipal du rastafarismeest MarcusGarvey qui érigea la "Tene promise"dans un discoursprcnoncé en 1916.Cet hommepolitique d'origine jamalbaine prophétisa, en efiet,I'accession au trônede I'empereurd'Ethiopie, Hailé Sélassié ler, quieut lieu en 1930. Les adeptes du rastafarisme,les rastiafaris,ont développéun mode de vie hermétiqæ.Selon une interprétationmodeme de la Genèse,ils observentcertaines normes hygiéniques: port de dreadlocks, sacrafisationde I'usagedela ganja(cannabis en jama'bain).(Denis Constrant, ap. cit.,pp. 5669.)

E6 mère> opposéeà < Babylone>. ll est à noterque MarcusGarvey3s8, dont I'action militantepanafricaniste fut déterminantedans les Etats-Unisdes années '1920, était lui- même jamaibainet que sa figure charismatiqueest tout aussi présentedans le discoursreggae que dans les versrappés.

3.4.Le BlackArts Movement ou la poésiedu ghetto

Le Black Arts Movementest apparusur les ruinesdu mouvementdes droits civiquesau milieudes années 1960. Suite à I'inertiede la situationsociale et politique, puisà I'assassinatde MalcolmX en 1965,un nouveaucourant de penséevoit le jour, le

---'lÂe MarcusGarvey est I'undes théoriciensles plusoonnus de la promotionde I'afticanitédes Noirssur le continentaméricain. En 1917, il fonde I'UniversalNegro lmprovementAssociafibn, puis crée une compagniemaritime censée servir son projetde rapatriementdes Noirsaméricains ("redemption through npatriation\. Suiteà la faillitede la BlackStar Line,Garvey est poursuivipar les tribunaux,puis envoyé en exif en JamaiQue.ll fondaégalement un organede presse,The NegroWorld, dans lequelil déclara: "L'Afriquedoit êtrevénérée et nousdevons tous sacrifier notre humanité, notre richesse et notresang à sa cause sacrée.' (JuliusOutlaw, 'Nous sommesun peupleafricain: Les Afro.Amédcainset I'Amérique", PolitiqueAfricaine, N"15, oc{obre 1984, p. 28.) 3u9 voir,à ce sujetnote 307, p. 79. tuo Offi"i"ll"ment,les Black Muslimsétraient un mouvementpurement religieux, mais leurs propositions politiqueset socialesont séduit par leur radicalismedes millies de Noirs las d'êtrc exclus du rêve américain.

E7 Cettevague de radicalismeet de nationalismebalaye également les milieux intellectuelset artistiquesafro-américains. Le BtackArts Movemenf, qui est considéré comme la branche culturelledu mouvementdu Btack Powef6t,est un réseau d'artistes,d'écrivains, de dramaturgeset autrespoètes qui mettronten musiqueleurs poèmesengagés. Aux côtésd'lshmael Reed, Askia M. Toureet NikkiGiovani, Haki Madhubutiet SoniaSanchez, Amiri Baraka, alias LeRoi Jones, auteur, dramaturge, critiquemusical et poèteest I'undes précurseursde ce mouvement.Dans son poème manifesteintitulé < Black Art ), LeRoiJones réclame< We want poems that kill > annonçantainsi la NewBtack Poetry,une poésie urbaine et militante.362 Les New BlackPoefs bouleversent la poésietant dansson fond que dans sa forme. En plus de diffuserun messagemilitant, ces poètesenrichissent leurs vers d'effetsrythmiques jazz., de citationsmusicales, si bienque la frontièreentre musique et poésieest bien souventténue. lls associentblues, jazz. et parlerde la rue en une exhortationcontestataire réaliste. lls imposentégalement une nouvelleforme de déclamation,le spokenword, ce phrasémi-parlé, mi-chanté, sur des percussionsdont s'inspirerontles rappeurspar la suite.lls manientavec justesse les procédésde style poétiquestout en puisant leur inspirationdans la richessede la culture afro- américaine,réhabilitant le ghetto slang, cet idiome populaire si décrié par l'establishment.En célébrantla langue du ghetto comme symbole d'une unité communautaireet en revendiquantsa négrité,cette école littéraireet artistique deviendraI'un des mouvementsafro-américains les plusnovateurs. On peut considérerles musiciens-poètesLast Poets,Watts Poets ou encore Gill Scott-Heron,auteurs d'æuvres aux titresaussi évocateurs que ( The Revolution Willl Not Be Televised>363, comme les ancêtresdirects des rappeurs.Leur poésie jazzistique(< Jazzoetryr)3iloscillant entre toastinget rap peut être qualifiéede

361 'Th" BlackArts Movementis radicallyopposed to any conceptthat alienateshim ftom his community. BlackArt is the aestheticand spiritualsister of the blackpower conoept. As such,it envisionsan art that speaksdirectly to the needsand aspirationsof BlackAmerica [...] The BlackArts and the Black Power conceptboth relatebroadly to the African-Americandesire for self determinationand Nationhood.Both concepbare natlonalistic.'(Larry Neal, 'The BlackArts Movement',in AngelynMitchell (ed.), Within the Circle:An Antholqy of AfricanAmerican Litenture, London: Duke University Press, 1994, p. 184.) 362 P"tri"i" Hill, Bell Liggins,W. Bemard,Catt andResponse.' The RiversideAnthdogy of the African AmertcanLitenry Tndition,Boston: Houghton Miffiin, 1998, p. 1502. tut Gif Scott'Hercn,'The RevolutionWill Not Be Televised",The RevdutionWitt NotBe letevr'sed(RCA, 19741. 3il Th" LastPoets, Jazoetry (Celluloid, 1975).

8E ( proto-rapu'uu. Cependant, on attribueplus particulièrementau collectifThe Last Poetsles premierstextes lyriques et politiquesdu rap,des textes dont le contenureste très actueltrente ans plustard. < Niggersare Scaredof Revolutionu366, l'un de ces textes acerbes, évoque I'amertume des Noirs au lendemain des grandes revendicationstandis que ( Wake up Niggers>>367 exhorte I'homme noir à releverla tête. Dans une autre compositionintitulée << New York, New York>368, le collectif dépeintla jungle urbaine et sesghettos. On retrouveraen effetdans le rap tous les thèmesabordés par ces poètesde la rue: la junglecomme métaphore de la ville,I'homme noir en quêtede sa dignité perdue,le rejet de I'américanitéau profitde I'afrocentrismeet de I'islam,l'éloge de l'hommenoir, la prisede conscienceet I'appelà la révolte,des propos qui prophétisent les versdes rappeurs: Whenthe revolution comes Transitcops will be crushed by the trains after losing their guns and Bloodwill run through the streets of Harlemdrowning anything Withoutsubstance when the revolution "or""tun Les textes révoltésde ce trio new-yorkaisétaient généralement scandés a capellaavec virulence.Si I'on exceptela musique,la plupartdes ingrédientsse retrouventdéjà dans les prestationsdes Last Poets: violencedu propos,lexique argotique,paronomases, théâtralité, ironie et provocation.Le tout est scandéen un énergiquerécitatif que souligneun rythmepercussif omniprésent. La démarchedes LastPoets affiche en outreune volonté didactique que I'onretrouve chez les rappeurs: la lutteet I'unionsont les maîtresmots de ces chantres.Comme dans I'ensembledu discoursdu BlackArts Movemenf, on retrouvenéanmoins I'influence parfois équivoque et critiquablede la rhétoriqueradical de groupes,tels que les Black Muslimset les Btack Pantherss70,notamment dans leurs commentairesracistes, antisémites,

365 DavidToop, op. clf.,p.8. 366 Th" LastPoets, "Niggers are Scared of Revolution", The LastPoets (Douglas, 1970). 367 Th" LastPoets, nVake Up Niggers",The LastPoefs(Douglas, 1970). 368 Th" LastPoets, 'New York,New York', The LastPæts (Douglas, 1970). 369 Th" LastPoeb, lA/henThe RevolutionComes', The LastPæfs (Douglas, 1970). tto L" BtackPanther Pafi était un grouperévolutionnaire créé en 1966par deux étudiantsnoirs, Huey Newtonet BobbySeale. S'inspirant aussi bien de MalcolmX que des écrits manxisteset maoistes,ils rédigèrentun programmeen dix pointscomportiant une sédede revendicationspolitiques et sociales.Les PanthèresNoires alimentèrent un côté sensationnelen aôorant des uniformesde guérillerosurbains (béreb, vêtemenb en cuir noir....).lls réclamèrentle droit à I'autodéfenseet formèrentdes patrouilles pour protégerles habitantsdes quartiersnoirs de la répressionpolicièrc. Les Black Panthersétaient aussi très actiÊ dans le domainesocial et lancèrentde multiplesprcgrammes d'aide communautaire, gagnant

E9 misogyneset homophobes.En dépit de cet aspect condamnable,le Black Arts Movement influencera grandement la littératureafro-américaine moderne. On peutégalement deviner dans l'uniquealbum de Lightnin'Rod371 intitulée Hustler'sConvention, une æuvreannonciatrice du gangsfarap, empreintede roman noiret danslaquelle, à I'instarde lcebergSlim ou DonaldGoines, Lightin' Rod s'inspire du milieucriminel des bas-fonds du ghetto: Thename of thegame is to beatthe lame Takea womanand make her live in shame. It makesno difference how much she scream or holler 'Causedope is my heaven and my God the almightydollar.372

C'estdonc ancrédans cettetradition littéraire que le hip hop prendsa pleine identité.Par ailleurs,les rappeursrevendiquent ouvertement cette filiation. Si I'apport sonoreet musicalevient des soundsysfems jamaibains, la dimensiondiscursive et la rage socialedu rap doiventbeaucoup à ces poètes.Cette influence se fera jour au débutdes années1980 avec le célèbre< Message> de GrandmasterFlash & The FuriousFive. La fin du Black ArtsMovement vers le milieudes années1970 correspondra à I'extinctionde mouvementsmilitants comme les Black PantherssTt.Cette tradition poétiquesurvivra néanmoins au-delà des années 1980 sous la nouvelleforme de < performancepoétiquê rr3to, plus connuesous le nom de s/am poetry,une forme évolutivede la poésieafro-américaine et diluéede hip hop. Sur les tracesdes Last Poets,de GillScott-Heron ou encored'Allen Ginsberg, et parallèlementau mouvement hip hop,cette nouvelle génération de poèteshésite entre poésie et rap dansdes cafés ou théâtresdevenus aujourd'hui mythiques, tel le NuyoricanPoetry Café à New

York375. les faveursdes couchesdéfavorisées de leurcommunauté. Le partifut déciméau débutdes années1970 parfa répressiondu FBl.(Nicole Bacharan, op. cit.,p.196.) eal ' "' Lightin'Rod alias Jalal Nuriddin,alias AlafiaPurdim est un ancienmembre du trio new-yorkaisThe Last Poeb. -'-eat Lightnin'Rod, "The Hustlef, Hustte/sConvention (Douglas, 1973). ttt Willi"r L. Andrews(ed.), op. cif., NewYork: Oxford University Press, 1997, p. 74. t'o "P"rto^"nce pættf. 375 Parallèlementau rap, la poésie slama vu le jour au milieudes années1980, plus précisémentà Chicagoà I'initiatived'un ouvrierdu bâtiment,Marc Smith, qui animaitdans les barsdes salonsde lecture sous la forme de concounsinformels de poésie.Ces compétitionsde s/am perpétuentla traditiondes joutes oratoiresafto-américaines, semblables aux baftlesde rap. Les poètess'afrontent sur scène au couæde compétitionsoù ils usentde leur pésie commed'une arme.Les participanbont entre trois et cinq minutespour dire leursvers lus ou improvisésface à une audienceet un jury qui désignerontle vainqueurde ce combat.lls seront dépailagésau cours de divers roundsd'après la qualité de leurs textes,mais ausside I'inteçrétation.A I'origine,les participanballaient jusqu'à endosser des tenuesde

90 ll faut noter par ailleursque quelquesartistes hip hop ont débutédans les concoursde poésieparlée avant de basculerdans I'universmusical, notamment Mos Def,Talib Kweli, SaulWilliams ou encoreErykah Badu376. D'autres rappeurs s'essaient à la spokenword poetry dans leurc æuvres musicales. Des artistes hip hop,à I'instar de UrsulaTucker ou SaulWilliams, mettent aussi en musiqueleurs poèmes. Sur leur dernierafbum intitulé Spare Ass Annieand other Tales377,lesDisposable Heroes of Hiphoprisyn'hésitent pas à offrir quant à eux une relecturedes æuvresde William Bunoughs.

boxeurcou portaientdes armes, mettantainsi en scène de véritablesbatailles. A mLcheminentre l'écritureautomatique des sunéalisteset la déclamationrappée, le s/am ofre un nouveauformat stylistique.Selon les règlesoriginelles du s/arn,aucune musique ou mise en scène n'est autorisée.Le format s/arnoffre une forme de versificationbrute, où la mélodierepose tout entièresur la voix et la manièreque chacuna de phraseret de scander.Les rimesslarnées empruntent aussi souvent le débitet le rythmedu rap. Cette poésie performativetrouve égalementson cimentdans le mouvementsocial contestataire.Si le s/ama pourracine le mêmesentiment de révoltecontrc une sociétéjugée responsable de tous les maux,son approchereste généralementplus spirituelleet moinsengagée que le rap. En revanche,et tout commele rap,cette poésie est égalementoriginaire de la rue. La démarcheinitiale de la s/ampoetry était avant tout de contribuerà la démocratisationde la poésied'où le choixde lieuxinformels tels que les bars ou cafés. Le s/am a insuffé ces demièresannées une nouvelleéneqie à la poésie américaine.Les amoureuxde la poésieexclus des lecturesélitistes de poésietraditionnelle trouvent sur des scènesimprovisées un lieudémocratique pour déclamer leurs vers. Cette scène de la poésieparlée a par ailleursfait des émulesdans le mondeentier. L'Europe et la Francene se montrentpas en resteavec des scènes de slarn très actives. (lnbrmations recueilliessur les sites www.slameur.comet www.planetslam.com.) Voir à ce sujet Gary Mex Glazner (ed.), Pætry Slam: The CompetitiveArt d PerlormarrcePoetry, San Francisco:Manic D Prcss,2000. -'-a7A StéphanieBinet, ï/illiams toutfeu touts/am", Libéntion,30 novembæ 2000, p. 32. -'a?', ' DispooableHeroes of Hiphoprisy& WilliamS. Bunoughs,Spare Ass Annie (lsland, 1993).

9l Ghapitre4. Les écoles et scènes rap

Bienque tous les courantsmusicaux afro-américains aient pris racinedans le Sud profonddes Etats-Unis- qui accueillela majoritéde la populationnoire -, le blues commele jazz.ont obtenuune reconnaissancelégitime dans le Nord,région où les climatssociaux et intellectuelssont plus cléments. Le rap,pour sa part,n'a passuivi le mêmeparcours. Apparu dans le Nord,il s'est par la suitepropagé dans le paystout entier et, à I'imagede I'hétérogénéitédes États-Unis,s'est diversifié,adapté aux contextessocio-historiques des différentesrégions pour se ramifieren différents genreset écoles.Homogène à ses débuts,le mouvementhip hop a éclatéen plusieurs courantset sousgenresqui se sont spécifiéset qui se disputentla légitimitéde la représentationdu rap.A I'imagede la communautéafro-américaine, la communauté hiphop n'est donc pas monolithique. Essayerde définiravec précisionce qu'est le rap est assez hasardeuxen raisonde la diversitéet de I'ampleurque le phénomènea prisdans la culturemusicale américaineet occidentale.Dans le largeéventail des musiques rap, on peutdistinguer de façontrès sommairedeux grandes catégories formelles et bien distinctes: un rap < tout public>> (< mainstreamn)et un rap ( controversé>> (< hardcore,r7," dont les implicationssocio-politiques feront I'objet d'une étude approfondie dans une seconde partie.Ce sonten généralles /ynbs,plus que la musique,qui sontl'élément critlque permettantd'identifier le stylede rap.ttn Le rap < tout public>> ou mainstreamenglobe I'ensemble des productions commercialesdont les principalescaractéristiques sont I'emploid'un anglaisplus ou moinsstandard rappé sur une mélodiedansante. On qualifiegénéralement ce courant de < pop rap ,r'*. Ces productionscrossoveltt lwilt Smith,LL Cool J, Puff Daddy,

ttt C"tt" classifications'est appuyéeen partiesur celle de Leta Hendricks,"A Reviewof Rap Sound Recodingsin Academicand PublicLibraries", Popular Music,21(2'), Sommer 1997, pp. 91'114. ttt C"rt"in, observateursdivisent le rap en deuxcatégories, opposant le posrfiVerap' au rap à message 'négatif. MichaelEric Dyson, Between God and GangstaRap: Weadng Witness to BlackCulture, New York: Oxford UniversityPress, p. 179. tto 'gædtimeray' 'cool L" 'pop Êp" peutprendre quelque fois la désignationde ou encore tap". Dans un registrecomique (''fun np- ou 'pafty np-\, la générationrap a aussi engendréson contingent d'amuseurs:Biz Markie,Sugafiill Gang,Jazzy Jeff and he FreshPrince ou encoreles Fat Boys,trois obèsesqui rappentleur amourdes pizzas et des hambuçers. tt' '[...] crossoyer- an industryterm for shifringthe salesbase of blackperbrmers to the largerwhite audienceand ib effecton blackmusic'. (Nelson George, The Death of Rhythm& 8/tps, p. ix.)

92 WyclefJean, etc...) touchent des publicstrès divers. Le < pop rap t représentedonc le genre acceptablede la famille hip hop. Son esprit festif, ses textes légers et accessiblesen font I'un des genres les plus populaires du rap. Ce que I'on peut qualifierde rap < ou hardcorerassemble sous sa bannièreI'ensemble des genres de raputilisant le langagebrut de la ruesur un fond musicalgénéralement agressif, mais élaboré. Le n consctbusrap >, lkt explicitrap > et fe n gangsta rap n sont des styles de rap hardcore.Même si le terme se réfère à diversessensibilités musicales, le rap hardcoreest généralementmarqué par uneforte propensionà la confrontationet à la violence,dans ses textes comme dans sa musique.D'un point de vue musical,un phraséemporté, des rythmesbattants et une productionsonore rugissante sont censés refléter de manièreintense et menaçantela vie dansles ruesdes ghettos. Le r. Le rappeur < chroniqueursocial > rend compteà traversses ( /nessageraps ,) des problèmes socioéconomiquesauxquels font face les ghettos.Le n teachingrap > choisitla voie éducative.S'appuyant largement sur des valeursreligieuses ou mystiques,le rappeur pédagogues'évertue à démontrerque seulele < savoir> peutsauver sa communauté. Le rappeur< politiqueD ou ( nationaliste>> (< politicalrap >), quantà lui, se radicalise dans son engagement.ll continuecertes d'être le porte-voixd'une communauté délaissée,en appelantà la résistanceet à une lutte symbolique,mais il précisesa critiqueen dénonçantles institutionsresponsables des mauxde la communauténoire. On peutégalement ajouter à cetteliste un autresous-genre de rapdit < conscient>>, le rap< nativetongues r issued'une scène plus intellectuelle, voire bourgeoise.3s2 Si certainstextes < conscients> peuventse teindrede nationalisme,voire de racisme,ce rap de la prisede consciencecherche avant tout à véhiculerun message positifet revendicatif.Le Êp K explicitn (ou Kpomo r) est quant à lui un rap à tendancemisogyne et pomographique.Une rythmiquelourde et des textessouvent humoristiquesen fontnéanmoins un genretrès apprécié. Le stylegangsfa est, comme son nom I'indique,I'expression la plusdure du raphardcore. Sur des textesaérés et crus,fes thèmes récunents hardcore toument autour de la vie desghettos.

382Ingrid Kerkhoff,'TeachingRap", rnW. Kaner&l. Kerkhoff(eds.),Rap, p. 191.

93 ll seraitdifficile de répertorierI'ensemble des genreship hop,tant les variantes et formes hybrides sont nombreuses.Tous ces styles de rap s'empruntant mutuellementdes élémentsmusicaux et discursifs,il seraitpar ailleursincorrect d'affirmerqu'il existedes stylesde rap purs. Nousdégagerons dans cette partieles principalesécoles et tendancesdu mouvementhip hop.Certains de ces genresayant engendrédes sous-genreset par soucide concision,nous ne mentionneronspas les courants les plus marginaux (, < Gospel rap )r,< Expeimental rap ,..)383qui explorentà leurmanière les limitesdu genre,mais ne touchentque des publicséclairés. Le hip hopa parailleurs engendré diverses écoles, divers genres, et les artisteseux-mêmes sont à l'originede nouveauxsons. DJ Screwa, par exemple, développéle < screweddown soundn384, Busta Rhymes s'est fait remarquerpour son rappersaccadé et Nellya populariséun chanter-parler< sing-songn385, tandis que des artistes-producteurscomme Timbaland3tuou les Neptunesouvrent de nouveaux champsd'expérimentation musicale.

4.1.Les pionniers de la n old school>

L'histoiredu rap débuteà New York en 1979avec le succèscommercial de <

ttt L" hip hop "underground'rassemble I'ensemble des artistesqui refusentla compromissionet la médiatisationde leursæuvres. Le rap undergroundest en généralun genrequi restefidèle aux valeurcde Jaold school. Le Gospel np' ou 'Chrislian/ap", est un genrequi allie le beat hip hop et le phrasérap à la musique gospef.flexiste par ailleursune variante gangsta du genrebaptisée 'gangsta gospef. 384 L" 'screwet ou "screweddown sound introduitpar DJ Screwde Houstonconsiste à remixerdes morceauxempruntés au rapen les ralentissantà mi-vitesse. ttu L" "sirry-songfde Nellyest une cadencemonotone mi-chantée, mLparlée. 386 L" producteurTimbaland et son artistefétiche Missy Elliot ont développéun son synthétiquenovateur et minimalisted'inspiration funk, y alliantaussi bien de la drum'n'bass,du R'n'B,que de lélectro. 387 SugarhillGang,'Rappe/s Delighf (Sugarhill, 1979). ttt On attribueà Fatbackla premièreproduction rappée enregistrée en 1979et dont le MC, KingTim lll, n'étaitautre qu'un disc-jockey de radio.(Sasha Jenkins, et al., op. cft.,p. 19 ; DavidToop, qp. cff.,pp. 15, 82.\ Fatback,'KingTim lll (PersonalityJock) (Spring,1979).

94 A I'aubedes années1980, les productionsse résumentà quelquesgroupes new-yorkaisqui, sur le modèledu premierrap commercial,débitent des rimes humoristiqueset légères.Ces vers n'en sont pas moins le refletd'une génération indolentequi rechercheune reconnaissancesociale dans la futilité matérialiste, héritagede l'èredisco. Parallèlementà ces productions,qui font actede transitionentre le discoet le rap pur,les nouvellestechniques d:enregistrement viennent bouleverser I'industrie du disque. L'inventiondu sampler,I'utilisation de synthétiseurset la découvertede musiquesélectroniques venues d'Europe vont donner naissance au véritableson rap. Lespremiers signes d'une nouvelle vague plus politique apparaissent au début desannées 1980. La décenniequi voit I'accession au pouvoirde RonaldRegan est en effet décisivepour les Noirs américains.Le quarantièmeprésident des Etats-Unis prend ses fonctionsen déclarantque le recoursà I'Etat n'est pas la solutionau problème,rompant ainsi avec un certaininterventionnisme étatique en voguedepuis Roosevelt.Le programmemilitaire < StarWars >,la réductiondes budgetssociaux et l'abandondéfinitif des ghettosnoirs, sont matièreà inspirationpour le rap qui se politise(n messagerap r) et accèdeà la maturitéavec ( The Message>, signé par GrandmasterFlash & The FuriousFive en 198238set dont le refrainrésonne comme une plaintehargneuse : Don'tpush me CauseI'm clause to theedge I'mtryin' not to losemy head It'slike a junglesometimes, it makes me wonder HowI keepfrom going under3so

Ce titre prophétiquedénonce la conditiondu sous-prolétariatnoir, décrit avec réalismela jungleurbaine et marquela naissanced'un rap engagé. Alors que le disco bat son plein, la rage des vers de GrandmasterFlash dressant le tableau apocalyptiqued'un ghettoen voie de tiers-mondisationsonne comme un cri d'alarme adresséà la facedu monde. Cette <

389 Gr"ndraster Flash & The FuriousFive ne sont pas les véritablesprécurseurs du "consciousrap". KurtisBlow, un autrepionnier de la "vieilleécole", entonnera dès 1980ses premiersraps à messageavec "Had Times'.(David Toop, op. cit.,p.12O.l KurtisBlow, "Hard Times" (Mercury Records,1980). 390 Gr"ndr"ster Flashand The FuriousFive, 'The Message",Adventures of GrandmasterFtash on the Wheels of Steel(Sugarhill, 1 982).

95 schoolD.La ( old schoolnrassemble les pionniers du rap,DJs et MCs,originaires du Bronx,terre d'originedu mouvementhip hop: KurtisBlow, Fatback, Kool Herc ou encoreCoke La Rock.D'un point de vue rapologique,elle se distinguedes genresà venir par la simplicitéde sa structure,de sa rythmique,de ses arrangementset, plus généralement,de sestextes.sel

4.2. La ( new school>

En ce débutde décennie,la premièregénération hip hop est très vite sur le déclin.Le crackest apparude façonmassive en Amériqueet a miné la carrièredes pionniers.Pour certainsobservateurs, ce nouveaustupéfiant contribue à modifierle visagede la jeuneculture noire américaine, de plusen plusnihiliste et matérialiste.3e2 Si la situation des ghettos s'aggrave,le mouvementhip hop est en pleine effervescenceet le rap,lui, commence à cernerson identitémusicale en une nouvelle école (< new schoolrr3tt;.La ( new school.usigne la fin du hip hop primitif et la naissanced'un hip hop modeme,plus sophistiqué,aux rythmescomplexes et à la techniqueélaborée. Elle conespondégalement à la naissanced'une école plus engagée.Bien que la fièvrerap se disséminelentement à traverstout le continent,la ( new schoolnenglobera pendant longtemps essentiellement des rappeursde la Côte Est: PublicEnemy, LL CoolJ,Beastie Boys, Run-DMG... Run-DMCsera le trio pharede cettenouvelle école. Ses membresoffrent en 1983 sous un tout nouveaulabel Def Jam3sun rap arrivéà maturation,novateur, humoristiqueet militant(< I'm Proudto be Black>)3es, n'hésitant pas à teinterleurs æuvres de rock. lls populariserontla tenue vestimentairede sport hip hop et les baskets,accessoire qu'ils immortaliseront dans un morceauintitulé < My Adidas,r'*.

391 L", oeuvresotd schod sont généralementminimalistes puisque les premièresboîtes à rythmes commercialiséesn'offraient alors qu'une petite palette de sonsà reproduire. 392 DavidDufresne,'Puissance Rap", Libéntion,26 janvier 1999, p. Vlll. ttt L" conceptde "newschoof est très subjectif,il désigneessentiellement les hrp hoppersquidonnèrent un nouveausouffe au mouvemententre 19&4et 1990.Certrains considèrent que la hip hop "newschoof' s'étendjusqu'à nos jours,d'autres préfèrent employer le termede 'next school"pour désigner le rap des années1990. (David Dufresne & GûntherJacob, Rap Revdution, Mainz: Atlantis Musikbuchverlag, 1992, p. 150.) 390 D"f J"r Recordsest devenuentre temps I'un des labelsrap plus importants. 395 Run-DMC,"Proud To Be Black",Raising Hell (Profile 19&4). 396 Run-DMC,'My Adidas",Raising Hell (Profile, 1986).

96 Leur album RaisingHetfeT sera le premieren 1986 à passer le cap du million d'exemplairesvendus et à conquérirun publiccrossover. Run-DMC est aujourd'hui unevéritable institution dans la culturehip hop. En ce milieu des années 1980 et malgré un contexte de renaissance conservatriceet puritaine,le rap connaîtune époquefertile et une vaguede liberté d'expression.ll devientla voix du peupleafro-américain. Chômage, criminalité, répression,tous les thèmessont bons pour condamnerle système,rappeler la grandeurdu peuplenoir et I'appelerà se relever.Face à la traverséedu désertque connaissentles hommespolitiques noirs, le rap apparaîtde plus en plus commela seulevoix dont disposent les Noirspour se faireentendre. A I'heureoù les Afro-Américainsont cessé de scanderle slogan< Black is beautifuln,les rappeursse font l'échod'une nouvellevague d'afrocentrisme < post- droits civiques)) qui touche une nouvellegénération. Beaucoup de rappeursà la recherchede nouveauxleaders spirituels se tournentalors vers la Nationof /s/am3e8de LouisFarrakhan qu'ils citentnommément et se revendiquentdu B/ack Powefse.lls rejettentles nomsd'esclaves et adoptentdes nomsde substitutiond'origine africaine, pratiquetrès répandue dans le milieumilitant. Les premiersraps engagésde la

3e7 Run-DMC,Raising Hel/ (Profile, 1986). 3tt L" Nationof tstamest une organisationexclusivement afto-américaine qui prône le séparatisme, I'autonomieéconomique et la pratiqued'une foi ferventeadoptant un modede vie strict,qui privilégiela famiffeet la solidaritéde la communauté.Même si elle s'en défend,la Nationof lslampropage une idéologieraciste fondée sur la supérioritédu Noir et la hainedu Blanc,dénoncé comme la mal incamé. Crééedans les années1930, le rnouvementprendra particulièrement de I'ampleurdans les années1960 grâceà I'un de ses pluscharismatiques protagonistes, Malcolm X. Ce demiersera assassinéun an après avoir quitté les B/ack Muslimsen 1965.Louis Fanakhanest le leaderde la nouvelleNation of lslam. (NicoleBacharan, op. cit.,pp. 172-173;) 399 voir'note 307, p. 79. ooo voi, note4, p. 21. oot Prbfi. Enemy,"FQht The PoweÉ,Fear of A BtackPtanet (Def Jam, 1990). o0' Publi" Enemy,'Don't Believethe Hype",It TakesA Nationof Mittionsto lldd lJs Bæk (Def Jam, 1988).

97 incrimineraussi bien I'hégémonie blanche et I'auto-génocidedes Noirsdu ghettoque la bourgeoisieafro-américaine. Ce rap, dit égalementhardcore, connaît un succèsgrandissant à la fin des années1980, notamment auprès de la jeunesseblanche qui devientla première consommatricede rap. Les labelsao3et maisonsde disquescomprennent le potentiel économiquede ce nouveaugenre et vont développerI'image agressive sophistiquée du rappeur. Au débutdes années1990 est apparuparallèlement une nouvellegénération de rappeurs < conscients>r, dits < Native Tongues>. Ge collectif d'artistesqui regroupedes groupeset des rappeurstels que De La Soul,A TribedCalled Quest, QueenLatifah, Jungle Brothers, ... est à I'origined'une scène hip hop afrocentriste, maismodérée, qui rejetteles clichéstraditionnels liés à la culturede ghetto.Ce genre empreintde jazz et embourgeoiséselon certains, a fait par la suitedes émulesdans d'autresétats du Nordet du Sud, particulièrementà Philadelphie et à Atlanta.On qualifieaujourd'hui de manièregénérale ce rap d'< alternatif>. Ces représentants (Common,The Roots,Erykah Badu, ...) proposentun discoursooa quis'adresse à un publicdavantage érudit.

403--- . Le marchédu disqueest dominéà prèsde 80% par les majorcompanies (Universal Music, EMl, Wamer,BMG, Sony) quicontrôlent la majoritéde la production,de l'éditionet de la distributiondu disque à l'échelleintemationale. Cet équilibre a commencéà vacillerdans les années 1980 lorsque les artistes se sont mis à commercialiserleurs ceuvres eux-mêmes en céant leurspropres structures indépendantes, les labels. Ceslabels sont aujoud'hui la plupartdu tempsintégrés à unegrande maison de disquetout en disposant de plusde libertéartistique et économique.Ce terme s'utilise aussi pour désigner une maison de disqueà part entière.Dans le cas de la productionhip hop,cefte volonté d'indépendance artistique et économique participed'un désird'émancipation vis à vis des grandesstructures dominantes. (Jean-Francois Dutertre, "Lestrois étapes du disque",Les fiches prctiques de I'lrma,Pans: lrmaEditions, 2001, p. 1.) o* Si fes observateursqualifient également ce genre rap de "(jazz) bohemiaf,'afrohohernlan" est 'adjectif f que f'on peutfualement aftribuer à cettescène hip hop.Le néologisme"afro&hemia" se réfàe à une nouvellebohème noire qui produitdes æuvresplus intellectuellesest en effet inspiréed'un afro- centrismenostalgique. (Adam Krims, Rap Musicand the Poeticsof ldentity,Cambridge University Press, pp.6$70.) Leurdémarche, quelque peu élitisteselon certains critiques, est cellede pôner un afrocentrismemilitant et spirituelà la fois. lls puisentleur inspirationmusicale dans les racinesde la musiqueafro'américaine, le iaz.,la soufmais également dans la traditionde la spokenworld poetry.lls redéfinissent la négritécomme un attributpositif et sont en cela généralementen désaccordavec le discoursviolent des rappeurs hardcore. Le groupeAnested Development fut le collectifpionnier de cettescène. Originaire d'Atlantia, il prônaitun retouraux valeurstraditionnelles du Sud profondet rejettela culturede ghettourbain. Leur rejetde la modemitéet du Nod industriel,synonyme de décadencede I'hommenoir, et la élébration du Sud rural ne sontpas sans rappelercertaines thèses de BookerT. Washington.Todd Boyd compare volontiee cette 'Rap écofe à une élite définiepar DuBois("talented tenth'). (Todd Boyd, musicand PopularCulture", PublicCufturc, vol. 7, 1994,pp. 295-299,302.)

98 4.3.Le rap< explicite> de Miami

La Floridevoit naîtreà la fin des années1980 un genre surprenantde rap beaucoupplus épicurien,humoriste et pornographiqueà la fois, le rap explicitou encorebooty sfy/e. Les rappeursdu groupede Miami2 LiveCrew vont populariser ce rap qui consisteà débiterdes textes< explicitesu (u Me So Hornyrr*u, ,, We Want SomePussy rrooul, dans lesquelsils dépeignentde manièrecaricaturale les capacités sexuellesdes hommesnoirs tout en discréditantles femmes. ll faut par ailleursrappeler que ce genrene fut pas le fait exclusifdes artistes hip hop.Les musiciens de funk commeRicky James, ou encoreMillie Jacksonavaient inauguré un genre très sensueldans les années1970. Le rap pornographiquea néanmoinsun précurseurdirect en la personnede Blowfly,natif égalementde Miami.Clarence Reid, alias Blowfly, a crééau débutdes années 1980 un personnagede rappeurcomédien qui débitaitdes textes classés X et humoristiques dansdes rapsd'inspiration funk. Luke Campbell se réclamede cettetradition musicale en affirmantlui aussiêtre un musiciencomédien.ao7 2 LiveCrew marquera d'une pierre blanche la longuehistoire qui unirarappeurs et censeursaméricains. Les nombreuxgroupes de pression,notamment le Parent's MusicResource Center (PMRC)408 qui mènentune croisade virulente contre le rap en

005 2 Liu"Crew, 'Me So Homy",As NasfyAs TheyWannaBe (Lil' Joe Records, 1989). 406 2 Liu" Crew,îVe WantSome Pussy', ts WhatWe Are(LukeRecords, 1986). ^o7'-' OlivierCachin, op. cit.,p.43. oot L" PMCRtut créé en 1985 à l'instigationd'une poignéede femmes de dirigeantspolitiques ("WashingionWives"), notamment Tippy Gore, la femmede I'ex vice-présidentaméricain. Le Parenls MusicResource Center est une associationdans le but de contenirI'industrie du disque.ll se développe dans un contextede renaissancereligieuse et de puritanisme(télé-)évangéliste. Ronald Reagan est alors le représentantd'un courantd'idées très conservateurqui compteredonner toute sa splendeuraux Etats- Unisgrâce à un retouraux valeurs traditionnelles. Le principalcheval de bataillede I'associationest de combattreI'obsénité et la pomographie,la violence, le satianismeet l'élogede la droguedans les musiquesdites rock. Le PMCRentend ainsi protégerla jeunesseblanche de ces fléaux,une démarchequi n'est pas sans rappelerla lutte engagéedans les années1950 contre le rocket le rhythm'n'blues. Le PMCRsera notammentà I'originede I'autocollant"Paranfs Advisory- Explicit Lyrtcs' (Avis parental souhaité- textesexplicites), apposé sur les pochettesde disquesrap ou rock jugés inconvenantsen concertationavec I'associationdes producteursphonographiques américains (RlAÂ) et les maisonsde disque.Ces fameuxautocollanb informatiÉ sanctionnent aujourd'hui les disquesau contenuexplicite ou violent.(Claude Chastagner, "The Parent'sMusic ResourceCenter: From Informationto Censorship", PopularMusic, vo1.1812,1999, pp. 179-192;Amy Binder,'Constructing Racial Rhetoric: Media Depictions of Harm in HeavyMetal and Rap Music."American Sæiolqical Review,vol. 58, N'6, December1993, pp.753-767;AlexOgg, David Upshal, op. cit.,p. 137.) Les "épousesde Washington"ont créé à leur insuune formidablestratégie de marketingomettiant le fait même que cataloguerun disque n'allait qu'attiserla curiositédes adolescents,voire encouragerles

99 sanctionnantles disquesau contenuexplicite ou violent,parviennent en 1990à leurs fins en retirantde la venteleur album As NasfyAs TheyWanna Beoos. La courfédérale de Floridecondamne alors 2 Live Crew pour obscénitéet arrête les membresdu groupeainsi que les disquaires distribuant cet albumalo. En réactionà cettecensure, le groupedésormais mythique, sortira un albumintitulé Banned in the |JSA411,un piedde nez au Congrès,et dont la pochetterappelle le droit fondamentalà la liberté d'expression,en reprenantle premieramendement de la constitutionaméricaine. MalgréI'humour potache et I'hédonismesciemment excessif de ce genre,le caractèreprovocateur et une ligne de bassetrès omniprésentesont à I'originedu succèsde ce stylede rap très dansant,essentiellement populaire dans les Etats du Sudet lesCaraibes. Musicalement, le son < Miamibassn se distinguepar ailleurs des autres genres principalementpar I'emploipresque exclusif de synthétiseurset de boîtes à rythmes. Le rythme est égalementaccéléré jusqu'à quelquefois150 battementspar minuteot'. Le genrepornographique fera de nombreuxémules à travers les Etats-Uniset influencerale genregangsta.

4.4. Le rap < gangsta>

Le rapgangsta, dont nous tenterons de dégagerla dimensionnihiliste dans une troisièmepartie, est, comme son nomle suggère,la versionla plusradicale du courant hardcore.A I'instardes genrescontroversés qui I'ontprécédé, le gangstarap aborde essentiellementles difficultésrencontrées dans le ghetto mais insistentsur la vie criminelfe.Certains rappeurs préfèrent par ailleurs le termede < realityrap > qui reflète mieuxI'expérience réelle de la jeunessenoire : chômage,drogue et criminalité.

ventes.Le stickerest paradoxalementdevenu entre temps un labelde qualitédes productionshardcore et une nouvellesource d'inspiration pour les rappeurscomme le notelce T à oe propos: "At the beginningof the Poweralbum, I did all that stufffor the PMCR.That stuff where the kids get killed on tape.The PMCRkept saying that I swearon my recods andtalk aboutviolence, so whatam I goingto do aboutit? I said'Let's kill somebodyat the beginningof the album.I do it just to annoythem; they're not going to stop anything.A PMCRsticker just says 'Buy this album,it's bad !' (Dan Goldstein,Rappers Rappin: The Story of The Freshesf Sound Arcund frcm Rap's 'Maddest' and 'Baddes( New York: Sanctuary,1996, pp. 57-58.) Aujourd'hui,dans un souci commercial,les rappeurspublient généralement deux versionsde leurs afbums,une versioncomplète aftrblée du stickeret une versionrevisitée, dile 'clean"ou "edifed'.Selon KefefaSanneh, les versions"clean' représentent entre 10%el 2Ùo/odes ventestotales. (Kelefa Sanneh, "StickerShock: The FTCMarkets Censoship as ConsumerProtection", Village Voice, May 2 - 8,2001.) oot 2 Liu" Crew,As NasfyAs TheyWannaBe (Lil' Joe Records,1989). oto En 1992,une cour d'appel rejettera la décisiond'intedire l'album. ot1 2 Lau"Crew, Banned in theUSA (Atlantic, 1990).

t00 La virulencegangsta apparaît tant danssa formeque dans son contenu.Les caractéristiquesgénérales de ce genre< noir> du rap consistentgénéralement en une trame musicaletrès dense qui accompagneun texte âpre condamnantle pouvoir hégémoniqueet rappéavec hargne.lce T et NWAen sont les représentantsles plus populaires. Né sur la côte californienneà la fin des années1980, le gangstarap s'est développédans le restedes États-Unis,sur la côté Est et plusparticulièrement dans les Étatsdu Sud. Chaquerégion explore à sa manièrele genrehardcore et a créé variantesmusicales et sous-genres.On remarquegénéralement que le son de la Côte Estest relativementépuré avec des beafs éclatants et secs,le son c WestCoasf n €st, quantà lui, beaucoupplus soupleet dansant.Le rap hardcorede la CôteEst et de la CôteOuest étant en constanterivalité, certains rappeurs < EasfCoasf n préfèrentpar ailleursl'appellation de n playarap ,r. L'intérêt du genre gangsta ne réside pas uniquementdans la forme provocatricede son discours,de son messageet du modede vie que vantentses acteurs.Bon nombrede rappeursexplorent avec beaucoupde talent de nouveaux horizonsmusicaux en expérimentantdes sons inéditsou de nouvellesfaçons de scander,créant ainsi des sous-sous-genres.Le rap gangstaa notammentengendré le 413, un rap empruntant la sensualité des lignes mélodiquesfunk synthétiquespour la mettreau servicede rimesviolentes et scabreuses.ll est par ailleursintéressant de noterque les régionsà cultureautomobile comme la Californie ou la Florideont développéun son plus axé sur les basses.Les habitantsde ces régionsétant habitués à roulerde longuesheures (< cruisingrrot';, les DJsmixent leurs compositionsen tenantcompte de la sonorisationdes voitures.als En dépit de vives attaqueslancées à I'encontredu rap californien,il est indéniableque le gangstarap est à I'originedu succèsle plusfulgurant qu'ait jamais connule rap depuissa naissance.Outre sa théâtralitéet sa surexpositionmédiatique, le gangstarap, commenous le verrons,a su cultiverun nihilismequi alimentede

ot' St"u"n Stancell,op. cit.,p. 2o2. 413 L" 'Gfun( ou Gangsfa FunK, aété largementinspiré par le courantmusical 'P-Funk' lancé par GeorgeClinton. Ce genre hip hop se caractérisepar des sons de synthétiseurs,un tempo lent et des bassesprofondes. Voirà prcposdu'P-Funk" note 332, p. 82. oto voirà ce proposla note 523,p.2Bg. 415 ch"ry L. Keyes,op. cit.,p. 239.

lol nombreusespolémiques, mais dans lequel on peutlire un témoignageaccablant de I'héritagelaissé par I'histoire du peuplenoir et de sonexploitation.

4.5.Le < Southemrap > et autresgenres

Le Sud profonddes Etats-Unisa vu égalementsa scène hardcoreprendreune ampleurexceptionnelle ces cinq dernièresannées. Le Souf/remrap ou Dirty South, dont les représentantsles plus prestigieuxsont Scarface,Mystikal, Outkast et Master P, est apparudans les années1990. Ses protagonistes,originaires d'Atlanta, de la Nouvelle-Orléansou encore de Houston,sont largementinfluencés par le rap hardcore.lls flirtentfréquemment avec l'imagerie gangsta de la n pimpcutture ,ro'u. Ce rap < sale> célèbrede plusson identitérégionale en utilisantun argotpropre au Sud des Etats-Unis. Parallèlementà I'explosiondu gangstarap, on assisteau début des années 1990à l'émergenced'un rap hardcoreproche du gangsfarap, issus du melting-pot américainde la GôteOuest. Mexicains (Kid Frost),Cubains (Cypress Hill), Samoans (Boo-YaTribe) et autresminorités américaines se mettentà leurtour à rappersur les conditionssociales de leurscommunautés dans leurs langues natales, en anglaisou en a spangfi'shna17, apportant des élémentslinguistiques ou musicauxpropres à leurs ethniesrespectives. Les rappeurs/afrnos incorporent par exempledes cuivreset des percussionstraditionnelles, tandis que les SamoansBoo-Ya Tribe n'hésitentpas à réinterprétersur scèneles chants guerriers traditionnels de leurarchipel.

4.6.Le rapféminin

Si la philosophiedu mouvementhip hop et de la Zulu Nationétait, à I'origine, celle du <, le hip hop fémininaméricain a été longtemps

416 Voi,troisième partie pp.267-272. 417 L"spangllshest une languevéhiculaire, considérée aujourd'hui comme un idiomeà partentière. Cette formecréolisée de I'espagnolest la secondelangue parlée aux Etrats-Unis.Les universitiairesaméricains se penchentde plus en plus sur c€ phénomènelinguistique et culturelque certainsaimeraient voir neconnuofiiciellement à I'instarde I'eôonics.Chaque communauté hispanique possède néanmoins son proprediafecte. Ainsi les rappeursde la côte Ouestrappent-ils dans un"chicanoslang', appelé "Calo". (Mandafitdef Barco,"Rap's Latino Sabof, in WilliamE. Perkins(ed.l, Dropin'Science,p. 73.) Voir à ce sujet,llan Stiavans,The Making of a NewAmerican Language, New York: Rayo, 2003

t02 victimed'un machisme latent et a eu du malà s'imposersur unescène à dominante masculineals. L'univership hop n'a laisséqu'une porte étroite à la gentféminine et le petit nombrede filles qui évoluedans cet universne fait que confirmerune forme de sexismepropre aux communautésafro-américaines et hispaniquesotn.Au début du mouvement,la concurrenceentre femmes était d'autant plus rude qu'elles étaient peu nombreusesà rapper.En Europecomme aux Etats-Unis,elles jouent depuis toujours un rôlede figuration,souffrant du doublehandicap d'être femme et de vouloirpratiquer une ( cultured'hommes >. Quandelles ont le couragede s'affronteraux hommes, eltessont confrontées à cettecontradiction : prouver qu'elles maîtrisent leur art comme des garçonssans toutefoisperdre leur féminité. Pour beaucoupde b-boys,la nature virileet I'espritcombatif du hip hop restentde toutemanière incompatibles avec la fibre matemelle.A I'heureactuelle, les femmesqui rappent,graffent ou s'attaquentaux platinesfont figures d'exceptions. Afin de rivaliseravec leurs pairs du sexeopposé, les rappeusesont longtemps misésur un seulatout, leur sexualité, ne laissantque peude placeà un rap engagé. Misesà partquelques grandes rappeuses, que ce soitQueen Latifah, Sister Souljah, MC Lyte et aujourd'huiMissy Elliott,rares sont les filles < respectées>r pour leur technicitéet leurs/yncs engagés. A I'heureactuelle, la plupartdes artistesféminines hip hop se cantonnentdans les rôlesde chanteusesR'n'B aguicheuses. Ces dix demièresannées ont égalementvu la renaissancede la sou/ musicà traversle genre nu soul.Ce genreest représentépar unemajorité de femmes(Erykah Badu, Jill Scott). Peu de femmesacquièrent la notoriétésimplement du fait de leurs qualités artistiques.A I'imagede la communautéféminine afro-américaine, les rappeusessont égalementpartagées entre discourstempérés et franchementpolémiques. Queen Latifahest à I'origined'un rap afro-centriste(< BlackReign rro';, féministe(< Ladies Firct >421;et pacifiste(< The Evil That Men Do ,ro") à la fois. L'engagementde ses textes reste cependantmodéré. Sister Souljah est, quant à elle, une rappeuse

ott Ell", représenteraità peine 5% des productionsrap. Mais sont maloritairesdans I'ensembledes productionship hop de R'n'B.(David Dufresne & GùntherJacob, op. cit.,p. 314.) Voir égalementà ce sujet NancyGuevara, Women writin'rappin' breakin", rn WilliamE. Perkins(ed.), Droppin'Science, p. 50. 419 Voi, à prcposde la traditionsexiste dans la troisièmepartie, pp. 235-245. o'o Qr""n Latifah,Btack Reign(Motown, 1993). ott Qr""n Latifah,"Ladies Firsf, A// HailThe Queen(TommyBoy, 1989). ot'Qr""n Latifah,The EvilThatMen Do", AttHait The Queen(TommyBoy, 1989).

103 polémistedont le nationalismeet les proposracistes avait fait coulerbeaucoup d'encre à la sortie de son premieralbum 360 DegreePowero23, notamment à traversdes compositionscontestables comme < The FinalSolution: Slavery's Back in Effect>424. SisterSouljah se décritelle-même comme une ( raptivist), uneactiviste qui a recours au médiumrap pour promouvoir des idées politiques.a2s Les sujetsdu rap fémininet leur traitementsont généralementassez proches du registremasculin. Les rappeusesy apposentnéanmoins leur regardde femmes. Les thèmesévoqués sont classiques: les valeurshumaines, I'amour et biensûr les problèmessociaux. Sous la forme de tranchesde vie urbaines,elles abordent chômage,sida, racisme, précarité, incertitudes quant à I'avenir,ainsi que des sujets propresà la conditionde la femme: violenceconjugale, divorce, misogynie, sexualité, natalitéhors mariage... Curieusement, les rappeusesqui reprennentle flambeaudes revendicationsféministes classiques sont peu nombreuses. Peude rappeusesse sontpar ailleursfait connaîtrepour leurs raps hardcore et enære plus rarement pour leur style gangsta. Les quelques rappeusesà se revendiquerde la scènehardcore (Boss, Bytches With Problemsou encoreles TCD) mettenten scène de manièreviolente leur rapportà la sociétéà I'instarde leurs homologuesmasculins tout en affichantun anti-féminismeet une sexualitéaffranchie. Au milieudes années 1990 est apparueune nouvelle génération de jeunesrappeuses qui défaissentquant à ellesla violenceurbaine pour s'inspirer de I'imaginairegangsta. A I'instarde FoxyBrown et de Lil' Kim,elles développent une imageriehautement sexuefteet glamourinspirée des hérornesémancipatrices de la btaxploitationa2ô.Leur démarche post-féministeparticipe d'une volonté d'émancipationet d'affirmation sociale.a2T Les femmesont participéà la genèsedu mouvementhip hop, maistrès peu, voire aucunedans certainsdomaines, n'ont pu percerà l'égaldes hommes.Après avoirtrop souventcherché à imiterles flotsde parole,la gestuelle,la virulenceverbale ou sénique des hommes,les rappeusesont prisces demièresannées conscience de leur statutde femmesen s'affranchissantdu modèlemasculin et en se libérantde I'agressivitémasculine, aussi bien dans leursrimes que dans leurs flotvs.Le rap de o" Sirt", Souljah,3ffi DegreePower(Epic,1991). o'o Si.t", Souljah,'The FinalSolution: Slavery's Back in Effect', 360 DegreePower(Epic,1991). 425 Wifli"r E. Perkins,op.cit.,pp. 34-35. o'6 voi, à ce sujetnote 14, p. 179. o" voirà ce sujetp.251-257.

104 qualitén'est pourtant plus I'apanage exclusif de la gentmasculine. Missy Elliott, auteur, compositeuret productrice,est I'unedes raresrappeuses à avoirreçu l'adoubement de ses pairscomme cetui de la critique.

4.7. Le rap des < wiggerstt

A ses balbutiements,le mouvementhip hop était I'apanageessentiel de la communauténoire et hispanique.Si les MCs blancsqui se hasardaientà rapper n'étaientpas légion,les Blancsont participéactivement à I'essorde la culturehip hop depuissa créationet il est mêmepermis de direqu'ils ont joué un rôleessentiel. lls sonten effetproducteurs, graffeurs, agents artistiques et consommateurso2s,et ce sont plus précisémentles directeursartistiques et directeursde labelblancs qui serontles premiersà reconnaîtrela modernitéde la culture hip hop et à investirdans la productionde disquesrap.4æ Si la jeunesse des ghettos a trouvé dans le mouvementhip hop une échappatoire,une culture de la survie, la jeunesseblanche s'est aussi très vite retrouvéedans cette culturede la rue anticonformiste.Face au phénomènerap, on assistadès la fin des années1980 à une éclosiond'artistes blancs -et noirs- qui tentèrentà leurtour de séduirela jeunesseblanche en offrantdes rapsédulcorés. Le succèsde Vanillalce - surnommél'<< Elvis du rapu -otodépassera largement en 1990 celuides productions noires, provoquant I'ire des rappeurso".lmposteur pour les uns, objetde marketingpour les autres,son succèssera néanmoins I'occasion pour le rap de contrerles banagesdes radiosaméricaines et sera involontairementà I'origine de la popularisationdu rapdans la décenniequi suivra.a32

428 ll importantde préciserque les consommateursde musiquerap sont essentiellementblancs. Sefonf'enquête"rt du 'Soundscanstudy", 71o/o des consommateursde musiquehp hop (rap,R'n'B) étaient blancsen 1997.En 2003,cette proportion serait de 80%.(www.riaa.ory.) Nousnoterons également que parallèlementà son audienceafro-américaine et hispanique,le rap avait conquisdès son apparitionà la fin des années 1970 un public de jeunes Blancsamateurs de punk. (Entretienavec Nelson George, Tûbingen, le I mai2003.) o2t N"f.onGeorge, Hip Hop Ameica.,p.59. 430 DauidDufiesne & GûntherJacob, op. cit.,p.192. o" Corr" nousI'avons vu, la communautéblanche a toujourssu tirer profitde la cultureafro-américaine en s'appropriantet commercialisantla musique noire. Les musiciensnoirs ont toujoursvécu dans I'angoissede voir leurforce créative récupérée par les Blancscomme le fut le jazzou le rhythm'n'blues. 432 ofiui",cachin, op.cit.,p.48.

lo5 Parlerde rap blancne constituedonc pas une antinomie.Mais rares sont les rappeursblancsa33 qui ontdroit de citéaux yeux de la communautéhip hop,parmi eux, les BeastieBoys, le seul groupede rap blancavec Third Basset Houseof Painqui aient reçu I'adoubementdes rappeursnoirs. lssus de la haute-bourgeoisienew- yorkaiseas,les BeastieBoys, qui débutèrentleur carrièredans le punkrock, ont été acclaméspar les critiqueset la communautéhip hop pourleurs qualités musicales, maiségalement pour leur sens de I'ironie4u,I'une des caractéristiques essentielles du rap.Contrairement aux autresproductions de rap blancqui tentaienttant bien que mal de calquer,voire de caricaturerI'esprit hip hop,les BeastieBoys, lancés au milieudes années1980 par RusselSimmons&, sont parvenus à créerun stylede rap original, une( bouilllabaisse,ro" pour reprendre les termes de MikeD, y mêlantaussi bien des élémentsde rockque de salsaou encorede punk. Les BeastieBoys opèrent un travailde décontextualisationdans I'exécution de leuræuvre, en tentantde concilierleur amour pour la musiquenoire et leurmilieu aisé blanc.La qualitéet la reconnaissancede leurtravail tiennent précisément à cetteprise de distanceà l'égardde touteforme de légitimitéliée à la négrité.Contrairement aux affabulateursqui les ont précédés€8,la sincéritéet I'authenticitéde leurdémarche sera à I'originede leur succèsauprès des professionnelsdu hip hop ainsique du public afro-américain.En effet,les BeastieBoys ne rappentpas sur la misèredes ghettos, maisinvitent leurs contemporains à se < battrepour leur droit à fairela fête > ! < FightFor Your Rightto Party>>43e, leur premiergrand succès, sonne en 1986 commeun pur sarcasmeet pourtantcette æuvre réaliste témoigne d'un désirdébridé des adolescentsde la classemoyenne blanche à se déchaîner.Les BeastieBoys deviennentainsi les chroniqueursde ces enfants gâtés de la middle-class.lls

433 ll est à noter que les rappeursblancs d'origine hispanique ne sont pas toujoursassimilés à la communautéblanche. oil L'undes membresest le fils du dramaturgelsrael Horovitz. otu L" terme de "ôeasl' signifiedans I'argotafro-américain 'blancn, une expressionutilisée dans les années1960, puis les années 1980, par lesnationalistes noirc. Les Beastie Boys par le choixde leurnom souhaitaientainsi anticiper les critiques avec humour et autodérision. (Ulf Poschardt, op. cit., p.285;Cfarence Major(ed.), Juba to Jive:A Dictionaryof African-AmericanSlang, New York: Penguin, 1994,p.26.) 436 RussellSimmons est I'un des co-fondateursdu label Def Jam, I'unedes structut€sde production musicalehip hoples plusfttrctueuses. Voirfualement à sonsujet pp. 165, 168, 171-174. 437 DavidToop, qp. cit., p. 173. 438 Vanillalce prétendaitêtre issudu ghetto. 439 Be""û" Boys,"FQht For Your Right ", LicensedIo t/t(Def Jam, 1986).

106 manifestentavec une luciditécynique I'arrogance du privilégiétout en dénonçantle conformismede la classedominante.m En 1987,avec leur album Licensed to tlfl,les BeastieBoys seront le premier groupede rap à obtenirquatre disques de platine.Le trio new-yorkaisréussit un crossoveravec le grandpublic et fait entrerle b-boyblanc dans I'histoiredu hip hop. Ce succèssera également I'occasion pour les rappeursnoirs de prendreconscience de la nécessitéde conquérirle publicblanc.42 Au milieudes années1990, un jeunerappeur blanc originaire de Détroitest apparusur le devantde la scèneet a bouleverséla donnepour devenirla nouvelle révélationdu rap américaintoutes ethnies confondues. Découvert et produitpar Dr Dre43,Marshall Mathers, alias Eminem, est le premierrappeur blanc jusqu'à présent à avoirsu développerun discoursproche de celuides rappeursnoirs sans trahir I'esprit hip hop. Eminemest en effet le seul rappeurissu du sous-prolétariatblanc (n white trash>). Cetartiste surdoué, qui a connules drames d'une famille disloquée, est devenu le témoindérangeant de I'Amériqued'en bas,celle en pleinedéliquescence : misère sociale,familles décomposées, alcoolisme, drogue et violencedomestique. En mettant I'accent sur cette réalité toujours occultée par les rappeurs,Eminem rappelle I'existencede classessociales aux Etats-Unis.Pour la premièrefois dansle discours rap, la notionde classesemble primer sur cellede <, notionque les rappeurs, trop souventfocalisés sur des revendicationsidentitaires et raciales,avaient fini par occulter. Pendantlongtemps, aux Etats-Unis,mais pas en Europe,la négritéa été le sceaude qualitédes productionsrap. Grâceau talentimparable de rappeursblancs qui restentfidèles à la philosophiehip hop, ces artistesne sont plus àujourd'hui systématiquementstigmatisés et taxésde wiggerM,comme le fut leurpionnier Vanilla

*o UlfPoschardt, op. cit.,pp. 285-286. 41 BeastieBoys, Lrbense d To ttt(Def Jam,1986). *' Di"tri.h Diederichsen, Freiheit macht arm,Kôln: Kiepenheuer & Wibch, 1993,p. 204. 443 P.durt"ur de la CôteOuest et ancienmembre du groupephare de gangslanap,NWA. o* L", amateursblancs de hiphop sont communément appelés "wiggers",à I'origine une insulte née de fa contractiondes mob'white' et'niggef . Ces adeptesde la musiquerap adoptent fualement le modede vie hip hop et son langage.Le terme a peu à peu perdu de sa connotrationpéjorative et n'est plus forcémentun termede dérision; il peutêtre un termeélogieux. nVigger,like the wod nigger-loverduring the civil rightsera, was firct used by whiteswho objectedto otherwhites embracing black culture. Now, ifs also usedby whiteswho embraceblack culture to call out otherwhites who defame black culturc'. Charles Aaron, "Black Like Them,' Spin, November 1998, p. 69.

107 lce*s. Eminemoffre en effet un rap qui renoueavec une écritureauthentique de < ghetto>. Son sensde la provocation,son langagecru et sesvers autobiographiques cinglantstranchent avec le consensuelhip hop actuel et les poses affectéesdes rappeursétablis et embourgeoisés. Si Eminemfait figured'exception dans I'industriemusicale de ces demières années,le hip hop blancs'est surtoutfait connaîtresous sa forme la plus populaire, celle du rock dit < alternatif,rÆ. De nombreuxartistes < caucasiens> tels que Kid Rock,Limp Bizkit, Korn ou encoreClown Posse ont ainsiemprunté les linéamentsdu hip hopet le chantrappé pour les allierà une assiserock. Leur succès a entraînéune haussedes ventesde disquesdits < hip hop>. Le hip hopest ainsidevenu le genre musicalle pluspopulaire après le rock,supplantant pour la premièrefois en I'an2000 cettemusique majeure qu'est la countryaux Etats-Unis.at

ll està noterqu'à I'instar du jazz.et du rhythm'n'bluesqui ontmarqué quelques décenniesplus tôt d'une manière indélébile toutes les genres musicaux qui ont suivi, la musique hip hop a égalementempreint généreusement toutes les musiques contemporainesapparues ces vingt demièresannées, notamment la houseÆ,la techno4eou encorele reggaeasodont il représentela brancheconnexe. Les genres

Le "wiggef estI'héritier directdu "WhiteNegro'décrit en 1957par Norman Mailer. L'écrivain dessina dans son essai"The White Negro" le profiled'un nouveauhors-la-loi social, le "hipstef,inspiré du modèle 'nègre"et qui trouvaitson inspiration dans les musiquesnoires américaines, notamment le bop et le cool jazz et la glamorisationde la culturenoire américaine. Ce fut un personnagepopularisé également par Jack Kerouacdans son romanOn The Road.Ce'philosqhical psychopafh',comme le définitNorman Mailer,issu d'une nouvelleclasse de blancs existentialistes,souhaitait s'affranchir des valeurs bourgeoisiesétriquées en adoptantles traitsde la culturenoire américaine. La jeunesseblanche actuelle se retrcuvantégalement dans la culturedu ghettoà traversla critiquedu capitalismeet de I'individualisme. "Thehipster had absorbedthe existentialistsynapses of the Negro,and for all practicalpurposes could be considereda white Negro.' (NormanMailer, Advertisements for Myself,Cambridge: Harvard Universig Press,1957, pp. 337-358.) 445' '- . Le groupede popBlondie sera néanmoins le premiergrcupe blanc à flirteravec le rapen introduisant dès 1980des élémentship hopet rappésdans un morceauintitulé "Rapture". Blondie,'Rapture"(Chrysalis,1 981 ). ao Baptiséégalement 'rock np-. 47 L". ventesde musiquehip hop sonten constanteprogression depuis ces demièresannées. En2002, les ventesde hip hop représentaient13,8% des ventestotales. Fait historiquecette même année, le hip hop dépasseen chiffrede ventesla musiquecountry. Le rocket la countryreprésentent respectivement 24,7o/o et 10,77o des ventes, des partsde marchéqui ne cessentde diminuer.Le pourcentagede 13,8% est relatifà I'ensembledes prcductionsdites hip hop,rap et R'n'Bcompris. (Données recueillies sur le site de la RecordingIndustry Association of America,www.riaa.org.) 448.' '- La houseest apparueen 1986à Chicago.C'est une musiqueà danser,hédtière du discoet de la soul, mêlantde savantsmixages de funk, rythmessynthétiques et élémentspillés et réarrangés.Elle s'est ramifiéeen de nombreuxcourants dont le principalest l'"acidhouse". 449' '- . La technoest genremusical né un milieudes années1980 à Détroit.Influenée par le couranthouse de Chbago,elle s'en éloignepar le caractèreindustriel et impassiblede son rythme.Cette musiqueà

l0E musicauxcontemporains plus établis, que ce soit la musiquede variétéinternationale ou la countrymusic, puisent aussi allègrementdans la sourcehip hop, notamment dans ses techniquesmusicales de samptingou de chantrappé. Le son hip hop a égalementengendré à traversle mondede nouvellesmusiques, citons ici quelques exemplescomme le < tip-hop rrout,un style de hip hop plus suavesur des tempos lents, né au début des années1990 en Angletene; I'nAcid jazz )), une rencontre d'échantillonnagesjazz., hip hop et soul,mais aussi d'autres courants aussi novateurs que la < drum'n'bass) ou encorele < breakbeat>.

I'originenoire est aujourd'huiessentiellement produite en Europeet a engendréde nombreuxsous- genres. ouo Et plrc particulièrementle raggamuffin,la formedu reggaedigital. Voirdéfinitions notes 353 et 354,p. 86. '"'Ae4 Le tip-hop ou absfracthip hop qualifiela versiondite expérimentaledu hip hop, elle se veut plus instrumentaledans sa composition.

109 DEUXIEMEPARTIE :

L'EXPRESSIONSOCIOPOLITIQUE DU RAP ( CONSCIENT) Theartist and the politicalactivist are one. They are both shapers of thefuture reality. LarryNeall

Nousavons choisi d'examiner dans cette seconde partie les implicationssocio- politiquesdu rap. Afin de démontrerla politisationdes textes,nous avonsentrepris d'analysercertains extraits de rapsdits engagés(< consciousrap r)' et d'en dégager les thèmesayant une portée sociale et politique.Nous rappellerons que le rap apparaÎt au milieu des années 1970 alors que retombenttous les espoirs portés par le mouvementdes droitsciviques concernant le respectdes Noirset leurreconnaissance sociale.La fin officiellede la ségrégationen 1964n'a pas en effetrésolu définitivement le problèmenoir et n'a fait que le déplacerdu domainejuridique et politiqueà celui d'ordreéconomique et social.Les mesuresde discriminationpositive apparaissent commeI'outil essentiel d'ascension sociale et économiquede la communauténoire et favorisentl'établissement d'une classemoyenne mais voit parallèlementl'émergence d'unnouveau type de sous-prolétariat(< underclassn). L'underclass3,soit un tiersde la populationnoire vivant en 1980en dessousdu seuil de pauvreté,aconstitue le noyau dur du ( nouveauproblème noir >. Cette

t L"rry Neal and MichaelSchwartz (eds.), Visrbnsof a LibentedFuture, New York: ThundedsMouth Press,1 989, p:p. 22-23. t voi, définitionp. 93. 3 T"-" évoqué pour la premièrefois par le sociologueGunnar Myrdal en 1963 dans son étude 'Chalfengeto affluence",puis repris en 1977par TimeMagazine. Lestravaux de WilliamJulius Johnson ont mis I'accentsur les conditionséconomiques et socialesdans le ghetto.Sa définitionde I'underclassest la suivante: "(...) that heterogeneousgrouping of familiesand individualswho are oubide the mainstreamof the Americanoccupational system. Included are individualswho lacktraining and skillsand eitherexperience long-tennunemployment or are not membersof the laborforce, individualswho arc engagedin street crimeand other forms of abenantbehavior, and families that experience long-term spells of povertyand/or weffaredependency." (William Julius Wilson, The Truly Disadvantaged:The lnner City, the Uderclass, andPublic Policy,1987, p. 8.) Voir égafementWilliam Julius Wilson, The DecliningSignifrcance of Race:Blacks and ChangingAmeican lnstitutions,Chicago, University of ChicagoPress, 1978. 4 o/o populationaméricaine totale. Le taux de pauvreténational n'a cessé de croître Contre 11,6 de la 'America's depuis1980, passant en 1989à 12,60/o,puis à 15,1%en 1993.(Peter Dreier, UrbanCrisis", in J.C. Bogerand J. W. Wegner(eds.), Race, Povefi and Ameican Cities,London: Universi$ of North CalifomiaPress, 1996, p.80.)

llt populationest la premièrevictime du déclindes industriestraditionnelles dans les années1970. L'accession au pouvoirde RonaldReagan en 1981et avecelle le retour de I'Amériqueaux valeurstraditionnelles ne fontqu'aggraver sa situation.Si le < turbo- capitalisme> de Reagan(< Reaganomics>)s entraîne une chuterapide du chômage et une croissancesoutenue, la déchéancedes droitssociaux ne fait que pousserun peuplus dans l'abîme cette main-d'æuvre sans qualification.t L'expansion économique profite néanmoinsà la classe moyenneet à une classeouvrière qui finissentpar déserterles quartiersappauvris, fuyant I'insécurité et les écolesmédiocres, scindant un peu plus la communauténoire.T Une autredissension tout aussispectaculaire apparaîtentre les hommeset les femmes,puisqu'actuellement plus de 50% des famillesnoires sont monoparentales.s C'estsur ce < s'enracinedans le ghettonoir et qu'il constituele témoignagedirect des conséquencessocio-économiques qui ont mis à mal les quartiersdes inner crïres.L'étude des textes de rap à message< social) nous permettrad'approcher le double,voire le triple combatauquel se livrentles Afro-

Aujourd'huile taux d'enfantsafro-américains vivant en dessousdu seuilde pauvretéest de 45%. (Henry Louis Gates Jr, 'Are We Better OfF.2",in The Two Nationsof Black America, publié sur le site www.pbs.org/wgbh/pages/fiontline.)En 1982, 30% de la populationnoire vivait en dessousdu seuil de pauvretécnntre 24 lo en 1997.A titre de comparaison,le tauxde pauvretédes Blancsest d'environ10% et cefuides hispaniqueslégèrement inférieur à celuides Noirs.(US Bureauof fhe Census,February 1999, www.census.gov.) -t Mary Eflison,Lyrical Prctest:Black Music'sStruggle against Discimination, New York:Praeger, 1989, p.31. A- Commele rappelleWilliam Julius Wilson dans Les oubliésde l'Amérique,le taux de chômagechez les Noirsest le doublede celui des Blancsdepuis 1954 et ce rapportn'a pratiquementpas évoluépuisqu'il atleint 12o/oen 1990 chez les Noirs dont 40o/ochez les jeunes adultes.Sur ce fond de chômage endémique,la situationslest aggravéetrès sérieusementdans les années19@ en raison,tout d'abod, du facteurdémographique : la populationaurait augmentéentre 1960 et 1969 de 75o/odans les inner cdies.Cette explosiondémographique a eu lieu au momentoù l'économieindustrielle laissait place au tertiaire.(Wilfiam Julius Wilson, Les ouôlrés de I'Améique,Paris : Decléede Bouwer,1994, p. 25.) 7' lbid.,pp.32-33. Commele rappelleHenry LouisGates Jr en 1998,I'underclass et la classemoyenne rcprésentent les deux plus grandesproportions de la populationnoire. La scissionentre communautés noires n'a jamais été aussiimportante. (Henry Louis Gates Jr, .Are We BetterOff?", in The TwoNaûbns of BlackAmerica, publiésur le sitewww.pbs.org.) I +A%des mèresnoires - mariéesou non - élèventseules leurs enfanb contre187o en 1950.(Données diftrséespar le US CensusBureau en février1999, difusées surwww.oensus.gov.) 'o HuguesBazin, La culturehip hop,Paris : Descléede Bouwer,1995, p. 24.

n2 Américains.Nous verons que ces derniersdoivent, d'une part, lutter contre la discriminationraciale et, d'autrepart, se battrepour survivresocio-économiquement, touten résistantau seinmême de leurpropre communauté. Nous nous intéresseronsdans un second temps à la nouvellevague de rappeursradicaux (

Chapitre1. Le rappeur,chroniqueur social

Commenous avons pu le voir dans notrepremière partie, on peutétablir une filiationentre le rappeuret le griotafricain, ce chanteurprofessionnel qui, en plusd'être musicien,tient lieu aujourd'hui, comme dans les siècles passés, de livred'histoire, de journalvivant, de chroniqueur,mais aussi de gardiende la mémoireet de la sagesse populaire.Et c'estprécisément à cettetradition que se rattacheChuck D, le maîtreà penserde PublicEnemy, quand il définitle rapcomme I'homologue de CNN(< black CNNn)10,un réseaud'information alternatif noir à destinationdes Noirs.En 1992, JeffersonMorley notait en préfacede son essaià proposdu discoursrap : La musiquerap, c'est de I'histoireau senslittéral : un récit,une construction linguistiquequi nousdit ce qui s'estpassé et commentcela srest passé, un mélanged'information et d'interprétationqui résume,rend sensibleet compréhensiblece que les Afro-Américains ont accomplidepuis le débutdes années1970 jusqu'au début des années 1990.11

10 F"r"ndo, S.H. Jr, The New Beats.' Exptoring the Music Cufture and Attitudesof Hip-Hop, Edinburgh:Payback press, 1994, p.254. 11 UffPoscha rdt, DJ Cufturc,Paris: Editions Kargo, 2002,p.158.

ll3 Le rap < social>r est essentiellementI'apanage de la new school2à partirde 1984.Sous !a formede chroniqueurbaine, il rendcompte de la discriminationsocio- économiqueet raciale des ghettos,ainsi que des problèmesintrinsèques à la communautéafro-américaine qui en découlent.Nous verrons que le rappeurs'adresse en premierlieu à la communauténoire et que le discourssur la prisede conscience primesur celui de la rébellion.

1.1.Le messagesocial, expression d'une communauté en crise

1.1.1.Dénonciation de la situationsocio-économique des ghettos

Bienqu'issus de I'ancienneécole np K old schoolr (1979-1983),Grandmaster Flashand The FuriousFive inaugurent en 19821erap à messageavec le bien-nommé < The Message,rt'. Les /yncsfestifs des succèsde cette premièreécole ont laissé progressivementplace à des textesplus mûrset font entrerle rap dans l'âgeadulte. Sansperdre de son humour,le rappeurva devenirle porte-voixdes plusdémunis de la communauténoire. < The Message> est à lui seulune anthologiedu quotidiendes inner cities.Ed Fletcher,professeur d'histoire et auteur de ce rapt4,y dépeinten plusieurstableaux la vie urbaineet résumela conditionsociale de l'underclasset du prolétariatsous l'ère républicaine.ll décritde manièresaisissante le spectaclede la rueet lesafflictions inhérentes au ghetto:précarité, désillusion, criminalité, aliénation... Les années1980 ont été en effet marquéespar de grandsbouleversements dans la sociétéafro-américaine. Si la petite bourgeoisieprofite de la politiquede discriminationpositive, le chômage,quant à lui, s'installedurablement au sein des classesles moinsfavorisées. A cela s'ajoutentd'autres facteurs de paupérisation: la maladie,la toxicomanie,la destructionde la cellulefamiliale et la délinquance.Dans le mêmetemps, I'appareil et le booméconomique ont presquecomplètement conquis les mentalitéset les valeursmorales, via notammentle médiumtélévisuel.

t'voi, définitionpremière partie, pp. 96-98. 13 GrandmasterFlash and The FuriousFive, "The Message",Adventures of GnndmasterFtash on the Wtpelsof Sfee/(Sugarhill, 1 982). to Entr"ti"navec Scorpio.

tt4 Les MCs de GrandmasterFlash and The Furious Five font dans < The Message> l'étatdes lieuxdes innercffr'es qu'ils décrivent comme un paysagelunaire où se côtoientmaisons abandonnées, magasins éventrés et tenainsvagues; une zone déshéritéepar la politiqued'abandon considéré comme planifié1s instaurée à NewYork dès 1976.Ce rap débutesur une représentationapocalyptique de ce ghettoet de la pauvretéqui condamneinéluctablement ses habitants: Brokenglass everywhere Peoplepissing on the stairs Youknow they just don't care I can'ttake the smell, can't stand the noise Gotno money to moveout, I guessI gotno choicelo

L'abandonsocio-économique des ghettos dans les années 1980 a vu apparaîtreun nombrecroissant de sans-abrat'.La drogueet la petitedélinquance apparaissentcomme les seuls palliatifspossiblesls, la télévisionoffre une évasion facticeet I'apathiemenace la santémorale d'infirmité, voire d'aliénation : Mybrother's doing bad, stole my mother's TV Saysshe watches too much, it's just not so healthy 'Allmy children' inthe daytime, 'Dallas'at night Can'teven see the game or the Sugar Ray fight... Standingon the front stoop, hanging out the window Watchingallthe cars go by,roaring as the breezes blow Crazylady, livin' in a bag Eatingoutta garbage pails, used to be a fad hag Saysshe danced the tango, skip the lightfandango Waszircon princess seemed to losther sense

C'est la loi de la jungle qui règne dans les ghettosqui ne sont plus soumisà aucune autoritémorale ou institutionnelle: I canrtwalk afterdark 'cause it's crazyafter dark Keepmy handon my gun 'Causethey got meon the run lfeel likean outlaw... Livin'ona seesaw

15 'Pour "plannedshrinkage". (Loib J.D. Wacquant, en finir avec le mythedes citésghettos',Annales de la RechercheUrbaine, n'34, mars1992.) tu C"tt" citationet les citationssuivantes se réfèrentau moroeau"The Message"de GrandmasterFlash andthe FuriousFive. 'The GrandmasterFlash and The FuriousFive, Message",Adventures of GnndmasterFlash on the Wheelsof Stee/(Sugarhill, 1982). tt P"t", Dreier,w. cit.,p.81. 18 Ch"ryfL. Keyes,"At the Crossroads.Rap Musicand its AfticanNexusn, Ethrnmusicdogy, Los Angeles: Universityof Calibmia,vol. 40, No2, Spring-Summer1996, p. 234.

ll5 Le destin des enfants du ghetto est scellé. L'éducationpublique n'offrant par ailleursqu'un enseignementmédiocre et cher, l'écolede la rue s'avère plus rentablele. La rue est l'épicentrede la vie sociale et économiqueau quotidien.Elle devient une source alternativede revenuset un moyen d'insertionsociale : Myson said, 'Daddy, I don'twant to go to school 'Causethe teacher'sa jerk,he mustthink I'm a fool Andall the kidssmoke reefer, I thinkit'd be cheaper lf ljust gota job, learnedto be a streetsweeper' Causeit's all aboutmoney, ain't a damnthing funny Yougot to havea con in thisland of milkand honey

Dès leur plus jeune âge, les habitantsdes ghettossont abrutis par la société de consommation qu'ils convoitent tant, mais le ghetto leur laisse peu d'altematives d'ascensionsociale : A childis bornwith no stateof mind Blindto the waysof mankind Gota smileon youwith these burning tooth Causeonly god knows what you go through t...1 The placesyou playand where you stay Lookslike one great big alley way

lls finissent par se socialiser autrement, se contentant d'une économie marginale et délictueuse.lls rêvent de devenir délinquants,proxénètes, de rouler en grosse voiture,< thème fondamentaldu rêve américain>æ : You'lladmire all the numberbooktakers Thugs,pimps, and pushers and the bigmoney makers Drivingbig cars, spending twenties and tens Andyou wanna grow up to bejust like them, huh Smugglers,scramblers, burglars, gamblers Pickpockets,peddlers, even panpeddlers Yousay, 'l'm cool,huh, I'm nofool' Butthen you wind up droppingout of highschool

L'homme noir des ghettos est prisonnierde ce cercle vicieux. La malédictionle poursuit même en prison. ll continue à subir des violencesphysiques et morales. La mort s'avèreêtre la seule échappatoire: Gotsent up for a eight-yearbid Nowyour manhood is tookand you're a Maytag Spendthe nexttwo yearsas a undercoverfag

Beingused and abused to servelike hell 'Tilone day youwas found hung dead in the cell

t9 G"org", Lapassadeet PhilippeRousselot, Le Rapou la fureurde dire,Paris : EditionsLori Talmart, 1996,p.38. to rcia.

116 Dans < The MessageD, la vie dans le ghettoest réduiteà sa plus austère expression,régie par le mutismeet le défaitisme.Les habitantsdu ghettosont bien des citoyensde secondezone, une (( sous-classe > miséreuse,incapable de se révolter; Yougrow in theghetto, living second rate Andyour eyes will sing a songof deephate

Un fatalismecertain émane de la descriptionde GrandmasterFlash and The FuriousFive. Mais sans tomber dans le pathos,les MCs new-yorkaislaissent transparaîtreune impossibilitéd'organiser de façon cohérenteet constructivetoute luttede typesocial et politique.lls mettentimplicitement en accusationle sentimentde dépréciationéprouvé par les habitantsdu ghetto,sentiment qui freinetoute possibilité de progressionsociale, et développerontpour la premièrefois dans I'histoiredu rap le thèmede I'aliénationsociale. Malgréla luciditédes protagonistesde ce rap historique,un refrainrevient sans cesserappeler I'inextricable engrenage dans lequel les Noirssont enfermés et résume ainsila situation2l: Don'tpush me'cause I'm close to the edge I'mtrying not to losemy head It'slike a junglesometimes, it makes me wonder HowI keepfrom going under

< The Message) sera célébréa posterioricomme la pierreangulaire du rap <. La plupartdes raps engagésreprendront par la suite les thématiques développéesdans ce portraitsans complaisancedu ghettoet mettronten scène le prototypede I'anti-hérosdéfini par Grandmaster Flash & The FuriousFive.

1.1.2.Dénonciation de la discriminationraciale

La discriminationtraditionnelle et inhérenteau systèmeaméricain est, pour la plupartdes rappeurc,responsable de tousles mauxdont souffre la communauténoire en général.Si le racismen'apparaît que rarementcomme un thèmerap en soi, il est en revancheau cæur de I'ensemblede sondiscours. La ségrégation,abolie officiellement depuis1965, a en effetlaissé place à diversesformes de discrimination:les inégalités

(eds.), " Lor"nro Thomas,"Rap and tlre Legacyof the BlackArts Movemenf,in W. Karer & l. Kerkhoff Rap,Berlin & Hambuç:Algument-Verlag, 1996, p.70.

tt7 socio-économiquescondamnant une frange de la populationnoire, les injustices sociales, mais aussi la répression institutionnellez.Cette dernière, forme discriminatoiretrès courante,est devenueI'un des thèmesrécurrents de la critique socialedu rap. Le sentimentd'injustice lié à la discriminationraciale atteint son paroxysme dans les rapportsavec la police,I'oppresseur absolu et symboletout-puissant de la dominationblanche. Dans l'ensemble,les hommesde couleurfont I'objetd'un harcèlementpressant de la part des forcesde I'ordredepuis que les administrations républicainesont lancé une véritableguerre contre le trafic de drogue(t War on drugsn) au débutdes années198023. Police et brutalitésont devenues deux termes synonymesaux yeux des Noirs, qu'ils soient issus des quartiers pauwes ou nantis.Les MCs relatentdans leurs témoignagesbon nombred'incidents issus d'arrestations abusiveset de bavurespolicières, insistant sur le fait que la violencequi en découle n'estpas que physique2a. Dans<< lllegal Search >, LL CoolJ met en scèneles agissementsillicites de la police. Le rappeur new-yorkaisdébute son rap par une phrase qu'adressele protagonisteà son amieen prévisiond'une anestation abusive: << Put yourseat belt on. I got my paperwork,don't worry. lt's cool>>. Puis il relatecette arrestation attendue pourdélit de facièset interpellefictivement la policedans un rapportde forcesà peine caricatural:25 Whatthe hellare you lookin'for? Can'ta youngman make money anymore? Wearmy jewels and like freakin' on thefloor Or is it yourjob to makesure I'm poor? Can'tmy car lookbetter than yours...

Getthat flashlight out of myface I'm nota dogso damnit putaway the mace I gotcash and real attorneys on the case... I don'tsmoke cigarettes so whyyou lookin'for base? Youmight plant a gun,and hopeI runa race Eatingin the messhall sayin' my grace Youtried to frameme, it won't work.æ

22 A celas'ajoutedans les années1980 à une nouvellerecrudescence de faits racisteset au retourd'une vague consérvatrice,notiamment dans le Sud des Étab-Unis. (LawrenceH. Fuchs, The American Kaleidoscope:Race, Ethnicity and the Civic Culture,Hanover, NH: WesleyanUniversity Press, 1995 (1990),pp.375-376.) tt P"t", Dreier,op. cif., p. 85. 'o Tri"i^ Rose,Black Noise; Rap Musicand BlackCufture in ContemporcryAmeiæ, London:Wesleyan UniversityPress, 1994, pp. 110-111. 25 Erempfecité dans Tricia Rose, op. cit.,pp. 112-114. 26 LL CoofJ, "lllegalSearch", Mama SaidKtæk YanOur (Def Jam, 1991).

ll8 JamesTodd Smith, alias LL CoolJ, rendcompte de I'humiliationà laquelle font face en permanenceles jeunesgens noirs,toutes couches sociales confondues, qui n'ontd'autres solutions que de s'y prépareret de la subir.lls I'essuientnon seulement en tantque personnes, mais également en tantqu'hommes atteints dans leur virilité.2i La diatribedes rappeursrepose sur la contradictiondu fonctionnementdes forcesde policeet, à traverselles, du systèmeaméricain dans son ensemble.lls rappellentque la policea pour fonctionde maintenirI'ordre et non de provoquerle désordre.Dans les faits,force est de constaterque les réprimandeset les moyensde coercitionexercés ne font qu'augmenterla tensiondans les rapportsqui opposentles Noirsà la policeet, parextension, dans les rapportsinterraciaux en général. La policeétant le bras arméde l'État,le rappeurpose ainsi la questionde la légitimitédu système.La violenceinstitutionnelle n'est-elle pas aussi répréhensible que la violenceillicite ? Youwere put here to protectus, but who protects us from you? Everytime you say, 'it's illegal', does it meanthat it's true? Yourauthority's never questioned, no one questions you [...] Lookingthrough my history book, I've watched you as you grew Killingblacks, and calling itthe law, and worshipping Jesus, too...28

Dansce rap intitulé< Who ProtectsUs FromYou >r,Boogie Down Productions s'en prendà I'abusde pouvoirde la police,tout en rappelantla longuehistoire d'oppression-répressionsubie par le peuplenoir. Non sans humour, il remeten cause l'équationpouvoir/vérité et s'interrogesur le gouffreexistant entre codes morauxet légaux,ti It seemsthat when you walk through the ghetto Youwalk with your own point of view Youjudge a manby thecar he drivesor if hishat matcheshis shoe But backin the daysof SherlockHolmes, a manwas judged by a clue Nowhe's judged by if he'sSpanish, Black, ltalian or Jew So do not kickmy doordown and tie me up Whilemy wife cooksthe stew3o

2' Tn"i^Rose,op. cif., pp. 110-114. 28 BoogieDown Productions,ï/ho ProtectsFrom You', GhettoMusic: The BtueprintOf Hip Hop (Jive, 1e8e). " Tri.i" Rose,op. cit.,p.107. 30 Boogie Down Productions,'\Ârho Protecb From You', Ghetto Music: The BtueprintOf Hip Hop (Jive,1989).

ll9 Le groupePublic Enemy se plaîtquant à lui à ironisercyniquement sur une tt. justiceà deuxvitesses en affirmant: < The only good niga iz a dead niga> Si ce titre dénoncecet état de fait, PublicEnemy pousse la provocationdans un autretitre emblématique< 911 ls A Joke>. Appeler le numérodes urgences lorsque I'on est noir resteinutile, ce quipermet au chanteurd'ironiser dans une farce tragique et cruelle: I call'em body snatchers quick they come to fetch ya? Withan autopsy ambulance just to dissect ya ... I calla cab'causea cab will come quicker t...1 Theybe laughin'at ya while you're crawlin'on your knees32

Le constatest amer,la vie d'unhomme noir n'a que peu de valeur.Le morceau ne manquepas non plus de cynisme.Ainsi, un rire diaboliqueclôture le morceau soulignantle machiavélismedu systèmeaméricain. Dans < Burn HollywoodBurn >r, Public Enemy proposede combattreles prejugésraciaux en démontrantque le rêveaméricain incarné par Hollywoodn'est pas à la portéede tousles citoyens.Chuck D, leaderdu groupe,plonge alors les auditeurs au cæurde I'imaginairemythique des USA,en dénonçantle videet le mensongede cette fabriqueà rêves qui ne laisseégalement que peu de place aux citoyensde couleur.Ces demierssont cantonnés dans des rôlesde

Le rap se veut souvenirdu passé,comme si cetteconnaissance de I'histoire ouvraitles portesde I'avenir.Public Enemy appelle alors la communauténoire à la reconquêtede sa propreimage en clôturant: So let'smake our own movies like Spike Lee

'So " Publi" Enemy, WatchaGone Do Now?", MuseSick-N4to ur MessAge(Def Jam, 1994). t' Prbfi" Enemy,"911 ls A Joke,' Fearof a BlackPtanet(Def Jam, 1990). 33 Pubfi. Enemy,'Bum HollyroodBum,' Fearof a BtackPlanet (Def Jam, 1990).

r20 Causethe roles being offered don't strike me There'snothing that the Black man could use to earn BurnHollywood burns

PublicEnemy détruit de la sorteI'image dépréciative et discriminatoireque les Noirsont intérioriséeau coursdes siècles.Le groupetente de combattreles prejugés raciaux par la reconquête d'une dignité en créant une image < contre- hégémoniquerr35. Le message implicitede ce brûlot anti-hollywoodienest par extensioncelui de I'intégrationde la communauténoire dans la sociétéaméricaine.

1.2.L'expression sociale d'une crise intracommunautaire

1.2.1.Appel au réveilafro-américain

Withvice I holdthe mike device Withforce I keepaway of course AndI'm keepin'you from sleepin' Andon the stageI rage And l'm rollin' To thepoor, I pourit on in metaphors... Brothersand sistersthats beautiful Followthe pathof positivity... PublicEnemyso

Les MCs ont également consciencedu fait que les forces externes ne sont pas seules responsablesde la décadence de leur communauté et, parallèlementà la dialectique binaire Noirs/Blancs, les rappeurs débattent également de problèmes internesliés à la communautéafro-américaine. lls mènent ainsi un combat vigoureux contre l'auto-dépréciation(< setf-haten)37et le défaitismepropres à la communauté afro-américaineet issus d'une longuehistoire d'oppression et de misère : But are we free ln actuality Let'stalk reality Can'tyou see The slavementality

34Public Enemy, 'Bum HollywoodBum," Fear of a BlackPlanet (Def Jam, 1990). 35 D"n, 'Yeaming:Race, Gender, and CulturalPolitics", bell hooksinsiste sur le fait que seule l'image peut modifierI'image et qu'il est indispensablede créer une image contre-hégémonique(counter- image{) pour combattreles stéréotypesraciaux. (bell hooks, Yeaming:Race, Geûer and Cultural Politics,Boston: South End Press,1990.) 36 Publi. Enemy,'Propheb of Rage",ft Takesa Nationof Mittionsto Hold lJs Back(DefJam, 1988). 3t voir.à ce propospp. 201-205.

t2l It'sa sickness Thateats you up like cancer3s

L'esclavagea laissédes tracesprofondes dans l'âme des Afro-Américainset il est indirectementresponsable des mauxactuels. lce Cubedébute le morceau< Fuck 'Em> en insérantun extraitd'une interview dans laquelle il déclare: < Thethings they done to us in the past are still affectingus now, mentally.,rtn Les rappeurs,comme tous les artistes et intellectuelsafro-américains, reviennent continuellement- consciemmentou non- sur I'histoirede leurexploitation, une mémoire psychique qui forme I'arrière-fondde I'expériencenoire.4 tls constatentavec fatalismecette auto- dépréciation,responsable du processusinéluctable de déchéancedes hommes: Youshould have gone to school,you could've learned atrade Butyou laidin the bedwhere the bumshave laid Nowall the timeyou're crying that you're underpaid It'slike that and that's the way it is...a1

Les rappeurs exhortent également les Afro-Américains à transcender ce sentimentd'abandon : Andmoney's not the answer Won'tadvance ya Don'ttake a chanceya Lame Sellingdrugs for fame That'sthe weak man's game It'sa shame Yougot the chainson yourbrain You'regivin' Drugsto kidsand livin' Halfyour life in prison God'sfor givin' Butyou got to workwith him Pumpyour fist [3x]42

Les MCs posent un regard sévère sur leur communauté qui contribue à sa propre destruction. Lucides, ils évoquent dès 1989 dans un single collectif (< Self Destruction>) I'incohérencede la criminalitéendogène, le 43:

38 KoolMoe Dee, "Pump Your Fisf, Knowtedgeis Kng(Jive, 1989). 39 fceCube, "Fuck'Em", The Predator(Priority, 1992). 40 Houston Baker, B/ues, tdeotqy, and Afro-AmericanLitenturc: A Vemacular Theory, Chicago: Universityof ChicagoPrcss, 1984, pp. 34€3. ot 'lt's RunDMC, LikeThaf , RarsingHelt (Profile, 1984). 42 KoolMoeDee, "Pump Your Fisfl, Knowtedgeis Kng(Jive, 1989). o3 Tri.i" Rose,qp. cit.,p. 141.

t22 Backin the sixties our brothers Andsisters were hanged Howcould you gang bang? I neverever ran from the Ku Klux Klan AndI shouldn'thave Torun from a blackman Causethat's [self-destruction]...4

En 1969,les Last Poets mettaient en musiqueleur poème < Wakeup Niggers), rapprécurseur dans lequel ils constataientle défaitismeet le pessimismedans lequel s'enfermaientdéjà à l'époqueles habitantsdes ghettos.Les rappeursreprennent ce discourset engagentà leur manièreI'homme noir à releverla tête et à résister,en restituantla métaphoredu mouvementBlack Power : < du groupe,exhibe par ailleursautour du cou un immenseréveil arrêté, signifiant que le compteà reboursest stoppéet qu'unenouvelle ère doit s'amorcer.46L'omniprésence thématique du tempsest très significativeet le < tic tac > de la montre est une figure de style très appréciéepour symboliser notammentla fonctiontemporelle du rap : < TickTock goes the handsof time/Timeput meanin'to my rhymerrot. La notion du temps de la renaissanceest également masquéepar une stylisationhumoristiqueas, ainsi parodiece concept dans< Do You KnowWhat Time lt ls? > en rappant: Doyou know what time it is?(Tell me do you know?) [x3] Checkthe clock! Putyour Gucciwatch on t...1 Do youknow what time it is?(Tell me do youknou/?) [x4] It'stime to get money,time to get paid It'stime to havefun, it's time to getlaidae

Le temps devient également apocalyptiqueau sens strict du terme. C'est un temps qui s'achève en même temps qu'il est porteurd'espoir, annonçant I'avènement

En 1993,94 % des meurtresd'hommes noirs ont été commispar des Noirs,FBI UniformCrtme Reports, 1994,données recueillies sur le sitegouvememential www.census.gov. Voirà ce sujetle chapitre'Black-on-black violence: I'autovictimisation des Afro-Américains", pp. 201-212. * StopThe ViolenceMovement, 'Self Destruction"(Jive, 1988). ou N"th"n D. Abrams,"Antonio's B-Boys: Rap, Rappers,and Gramscilntellectuals", Popular Musicand Society,Bowling Green State Univercity: Department of Sociology,19: 4, 1995,p. 4. oo G"org"sLapassade et PhilippeRousselot, op. cit.,p.81. 47 Jrngfe Brothers,"Done by the Forcesof Nature", Doneby the Forcesof Naturc(Wamer, 1989), exempfecité dans Georges Lapassade et PhilippeRousselot, op. cit.,p.81. o'hia.

t23 d'unerésurrection.uo Le momentest venupour les hommesnoirs de se redresseret de s'élever.Pour ce faire,les rappeursamènent la populationnoire à prendreconscience de leurexistence en tantque groupe homogène.

1.2.2.Recherche d'une unité et d'unesolidarité

Le rapportde dominanUdominéa pendant longtemps freiné l'épanouissement de I'identitéafro-américaine et enracinédes problèmesrelationnels intracommunautaires. Les Afro-Américainsont dû au coursdes sièclesapprendre à lutteravec eux-mêmes. lls sont devenusde ce fait I'unedes communautésles plus désunieset les plus divisées.Sous I'apparenced'une fraternitéfusionnelle, une profondescission de naturesocio-économique, politique et surtoutsexuelle a engendréau seindu groupe un manquede cohésionsociale. Lesthèmes de solidaritéet d'unitésont pour cette raison des notionstrès fortes dansla cultureet le discourship hop.ll convientde rappelerque le messageoriginel du mouvementétait celui de paixet d'unité.slCette dimension collective et socialeest une utopieà laquelleles rappeurset par extensionla communautéafro-américaine tententencore de nos jours de s'accrocher.En régénérantdes valeursculturelles communautaireset fraternelles,les MCstentent de la sortede pallierI'aliénation : Yeswe urgeto mergewe livefor the love Ofour people the hope that they get along (Yeah,so we did a song) Gettingthe point to ourbrothers and sisters Whodon't know the time (boyyyee, so we wrote a rhyme) It'sdead in your head, you know, l'lldrive to buildand collect Ourselveswith intellect, Comeon to revolveto evolveto selfrespect Causewe got to keepourselves in check Orelse it's...

SelfDestruction, ya headedfor SelfDestruction [bis]52

Fidèlesà I'idéologieoriginelle de la Zulu Nation,ils tentent égalementde stimulerun sentimentde fraternitéet de solidaritéau-delà de I'appartenanceethnique :

49 KoolMoe Dee, "Do You KnowWhat Time lt ls?',|'m KootMoeDee (Jive, 1987). uo G"org", Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cit., p.82. ut Voi, à ce sujetle chapitreconsacré àla Zutu Nation,pp.2&29.

124 Black,White, or lndian,we're all equal Soall ya racist codes l'll decode, explode Andeat you like an apple pie a la modes3

La communauténoire souffre d'une autre divisioninterne qui menace la pérennitéde la communauté: la dissensionentre hommes et femmes,qui a pour principaleconséquence un éclatementde la famille.Du fait de son passélié à I'esclavage,la famillenoire américaine a toujoursété un modèlemenacé. La cellule familialereste encorede nos jours précairepar rapportà celle de la communauté blancheet lesAfro-Américains luttent afin de maintenirun semblantde tissusocial.sa C'estdans cette optique que les notionsde < famille> et de < nation> sonttrès importantesdans le lexiqueafro-américain et hip hop. La communautés'apparente à une ( famille), une < nation>, dontles membressont des < frères>, des ( sæurs>, des < oncles> ou des < tantes,r.uu Comme la plupartdes leadersnoirs, les MCs exploitent cette équivoque famille/nationafin de reconstituer un sentiment d'appartenancecomm una utaire et de fraternité.56 Les rapportsentre hommeset femmessont également investis de sentiments conflictuelsauxquels les rappeurset les rappeusesse réfèrenten abondance.Gette scissionest en partiedue à l'évolutiondu statutde la femmenoire. Le combatde la femmeafro-américaine est en effetdouble. Elle lutte, d'une part, contre la domination blanche, privilégiantainsi son identité raciale, et lutte, d'autre part, contre le chauvinismemasculin et privilégiedans ce casson identité sexuelle.sT A I'imagedes femmes noires, les rappeusessouffrent de ce doublehandicap et rendentcompte avant tout du sexismeet de la misogyniedont les femmesfont I'objet au seinde leur communauté.Sur le modèled'appel-réponse, et à traversleurs rimes drôleset incisives,les rappeusesretournent par rapsinterposés les reprochesque les femmesessuient habituellement. Les principauxgriefs énoncéscontre les hommes sontceux de I'inesponsabilitéet de I'irrespect: u'Stop The ViolenceMovement, Setf Destruction(Jive, 1988). 53 BoogieDown Productions, 'House Nigga", Edutainment (Jive,1990). * Chrirti"n Béthune,Le np : IJne esthétiquehors talo, Paris:Autrement, 1999, pp. 150-153. 55 Nor. noteronspar ailleursque "la grandemajorité des Afro-Américainsvivent en famillesorganisées, uniespar les liensdu sangou de I'adoption.'ll n'estpas rareque les enfanbsoient élevés conjointement par leursmères et leursgrand-parenb ou bien placéschez des membresde la famille.(Nicole Bacharan, op.cit.,p.272.l uu chrirti"n Béthune,op. cit.,p. 155. 57 TaoufikDjebali, 'Les femmesafro-américaines et le mouvementdes drcib civiques: La quêted'une identité',rn Thierry Dubost et AliceMills (dir.), La femmencire américaine, p.14.

t25 Tellme whyis it whenI walkpast the guys lalwayshear, yo, baby? I meanlike what's the big idea? I'ma queen,nuff respect Treatme likea lady And,no, my nameain't yo andI ain'tgot yourbaby I'mlooking for a guywho's sincere Onewith class and savoir faire t...1 I wanta friendnot just a lover Someonewho is dedicated only to me Notto meand two or threeothers Onewho will not lie to meor think Hecan get my love by buying me58

A cette pressionde naturesexuelle qui pèse sur la femme,il faut ajouterla pressionsocio-économique. Dans < 360 Degreesof Powerrrut, Sister Souljah rend comptedu courageet de la résistancedont les femmesont dû et su faire preuveau coursdes siècles. La situationdes femmesnoires américaines est toutà fait singulière, tant dans I'histoirede I'Amériquequ'au sein de leur communauté.Dès son anivée dans le NouveauMonde, la femme noireaméricaine a dû redoublerd'efforts afin de lutterpour sa survieet a misen placeun systèmematriarcal qui prédomineencore de nosjours. < We are the mothersof this earth>æ rappent Body & Soul.Les rappeuses aimentà véhiculerune imageforte et sansconcession de la femmenoire, pilier de la cellulefamiliale : Beingboth feminine and strong represents no conflict Africanwomen have always been powerful, Decisiveand strong Andin a stateof war, we must be even strongerGl

Malgré les nombreuxreproches adressés aux hommes, le message des rappeusesva néanmoinsdans le sens du dialogueentre les deux sexesen vue de servirla communauté.A I'imagedes n womanistsn62 afro-américaines, qui défendaient le partenariatavec I'hommepour I'intérêtde la communautéet de la familleafro- ut Qu""n Latifah,"Elemenb l'm Among",Sunset Parl< [Soundtnck/(Elektra 1996). 59 SisterSorljah, "360 Degrees of Powef, 360Degrces of Power(Epic, 1992). 60 Th" West Coast Rap All-Stars,îVe're All in the Same Gang",We're Allin the SameGang (Wamer, 1990). u' Si"t", Souljah,"360 Degrees of Powef, 360 Degreesof Power(Epic, 1992). u' S"lon certainesféministes afio-américaines, le féminismeest une créationblanche adaptée à la femmesblanches et discriminatoireà l'égad des hommesnoirs. La plupartdes situationsociale des 'womanisf rappeusesrejettent donc catfuoriquement la désignationde féministeet lui préfèrcntcelle de . Ge terme fut formuléà I'originepar Alice Walkerqui le définitcomme un "féminismenoif prenanten compte f'expériencede la femmenoire. (TriciaRose, op. cit., p. 177;Alice Walker,ln Searchof Our Mothers'Gardens,New York: Harcourt, 1983.)

126 américaines63,certaines rappeuses stigmatisent le féminismeprimaire. Elles préfèrent transmettreun message de n respecfn mutuel et peuvent parfois faire preuve d'une indulgenceposée vis-à-vis des hommesde leurcommunauté : Youmight leave too if... Youwere beat in frontof yourwoman and sons Helplessas sinsswung Fromungiving trees Underthe southern... sun Whatwould you do ?64

Les rappeusesposent aussi, tout comme leurs confrères,un regard critique sur les femmes noires issues des milieux défavorisés.Elles ont conscienceque les hommesne sont pas les uniquesresponsables de la dégradationde la communauté, et réfutentla stigmatisationde la gent masculinequ'elles jugent en premierlieu victime du capitalismeet du racismett. Les facteurs économiquesont en effet aggravé les relationsentre hommeset femmes.Si elles reprochentaux hommesde ne plus tenir leur rôle de chef de famille, les rappeusesn'en sont pas moins fermes à l'égard des femmes qu'ellesincitent à se battreet à reprendreleur rôle de mère : The childrencannot raise themselves![. ..] Bringinglife into the worldshould be considereda blessin! Butit isn't Whenyou haven't been taught the lessons Of Motherhood. Now,adoptions not an option.Not even abortion. Won'tmake the babypay for societiesdistortion. We can'tblame your mom. We knowshe did what she could Butgirl, you've got to be twiceas goodæ

En dépit d'un machisme profondémentancré dans la culture afro-américaine, certains rappeurs condamnent également fermement la misogynieet invitent à une communiondes deux sexespour le biende la communauté: Women- verysignificant Poweris what she represents Contraryto what manybrothers believe t...1 Manwithout a womanis incomplete Andvice versa she's obsoleteoT

63 Tni"rry Dubost et Alice Mills (rlir.), La femme noire. Aspeds d'une cise d'identité,Presses Universitiairesde Caen, 1997, p. 17. fl UrsulaRucker, "Brcwn Boy", Supa Srbfa (K7 2001). 6u Tri.i" Rose,qp. cit.,pp.178-182. 66 SisterSoufjah, "Umbilical Cord to the Future",360 Degrees of Power(Epic, 1992). 67 KoofMoe Dee, 'Funke Wisdom', Funke, Funke Wisdom(Jive, 1991).

r27 Les rappeursréhabilitent également la plastiquede la femmenoire (n African Queenr) et réduisentà néant I'idéalde beautéoccidentaleut. L'image de la mère- couragedu ghettoest aussi particulièrementmagnifiée. Dans <, Speech,le MC de AnestedDevelopment, compose une ode à la mèreafro- américaine,n'hésitant pas à mettreles hommesau pilori: Brotherstalking revolution but leave their babies behind Wellsister, he's a sucker,just leave'em be Therevolution is nowup to brotherslike me Tostep in causeyour man stepped out6e Dans sa célébrationde la femme noire, le collectifplace alors la question racialeau cæurde leurpropos. En tantque génitrice, la femmeprélude à la révolution noire:

Mama'salways on stage [4x] Can'tbe a revolutionwithout women Can'tbe a revolutionwithout childrenTo

On observeégalement une autrescission entre hommes et femmes,mais qui serait davantagede nature rapologique.Contrairement aux hommes,force est de constaterque les rappeusesne cherchentpas généralementà ressasserle lamento misérabilistedu ghetto.Même si certainesde leurschroniques de quartiersont parfois imbibéesde désillusions,leurs appréciations de femmes,vouées à donnerun jour la vie,les poussent à choisirun discoursgénéralement plus positif et sensibilisateur,tout en conservantune verve tranchée. ll nousapparaît en outreque les rappeusessont en généralbien plus conscientes de la portéede leurdiscours et de la responsabilitéqui leurincombe, et adoptentun discoursplus didactique que leursconfrères.

68 La naissancedu hip hop conespondégalement à une périoded'intenogation sur I'identitéafro- 'Black américaine.En effet,I'apologie de la négritudedes années1960-1970 et le slogan is beautiful'ont laisséplace dans la décenniesuivante à la éappropriationde I'idéalde beautéblanc parallèlement à la consolidationde la bourgeoisie.La générationhip hop célèbrequant à elle à nouveaula négrité.(Nelson Geoçe, The Deathof Rhythm& Blues,NewYork: Dutton, 1989, p. xii.) 69 AnestedDevelopment, 'Mama's Always On Strage',3 Years,5 MonthsAnd 2 Daystn TheLite Ot... (Capitol,1992). 'o nia.

t2E 1.2.3.Le rôlepédagogique de l'edutainment

I rhymefor the ghetto, I teach the ghetto BoogieDown Productions

ll n'estpas inutilede rappelerque le mouvementhip hop est né à I'initiative d'Afrika Bambataadans le but de guider la jeunesse des ghettos.TlLe rap <> va égalementdans ce sens.ll possèdecomme les fables,les foasfs,le blues et autres chantstraditionnels afro-américains une fonctioninformative, mais aussididactique. Les MCs observent en effetla sociétéet rapportentles fruitsde leurs analysessous forme de fablesurbaines et réalistesà viséepédagogique. C'est ce que KRS-One72qualifie de < Edutainment), un rap < idéologique,rtt (< knowtedgerap D, < teachingrap )r)associant divertissement et enseignement.A I'instardu b/uesmanqui prodiguaitses conseilsquant aux vicissitudesde la vie, le rappeurse veut aussi pédagogueet montrela voie à ses frères.Ainsi dans < Rightstarter(Message to a BlackMan) >, GhuckD revendiquet-ilpleinement cette mission dont il se sentinvesti : I'mon a missionto setyou straight Children,it's not too late Explainto the world when it's plain to see To bewhat the world doesn't want us to beTa

Les rappeurssavent que leurrôle d'artisteest indissociablede celuide témoin perspicacede la réalité.lls veulentà traversleurs raps illustrerdes véritésnégligées par les médiasou I'histoireofficielle. En s'autoproclamant< black CNNn, le groupe PublicEnemy affiche dans son écritureet ses déclarationsune rhétoriqueau service d'unedémarche avant tout informative. < lf you're afraidto tell the truth - you don't even deservefreedom rrtu. En samplantI'un des discoursmythiques de MalcolmX, KeithLeBlanc revient sur une notionrécunente du parlerafro-américain, celle de < dire la vérité>> (< telling/speaking the truthu)tu. L" quêtede la véritéest un thèmeessentiel dans le discourship hop.

tt voi, pp.2$29. t'A.ronyr" de'KnowledgeReigns Supreme - OverNearly Everything". t' Ri"h"rd Shusterman,L'aft à t'étatvif: ta penséepngmatique et l'esthétiquepoputairc, Paris : Les Éditionsde Minuit,1991, p.200. to Pubfi"Enemy, fightstarter (Messageto a BlackMan)', Yol Bum Rushlhe Show(DefJam, 1987). tu K"ithLeBlanc,.No Sell ouf (TommyBoy, 1983). tt Elfison,q. cit.,p.2o. ""ry

129 Lesrappeurs veulent ainsi procéder à la déprogrammationdlun lavage de cerveauqui est à I'originede I'auto-dépréciation. Se voulantles garantsde la véritéabsolue, Chuck D et ProfessorGriff, alias < Ministerof lnformationn, invitentà la prudenceet au discernementintellectuel face aux imposturesdes médiaset à la désinformationdans un morceauintitulé << Don't Believe The Hypeutt. Kool Moe Dee érige, quant à lui, la vérité en pouvoir révolutionnairedans < PumpYour Fist > : Canyou hear me Hittin'home Knowledge ls the dangerzone Liarsand bigots And hypocritesstart to panic Theyget frantic Power Generatedby thetruthTs

Le médium même de I'informationoccidentale fausse cette information.Aussi Public Enemy réhabilite-t-illa traditionorale afro-américainepar oppositionà I'histoire écrite par I'hommeblanc en affirmant: < Historyshoulnd't be a mystery/Ourstories real history/nothis story >7e. Dans le second coupletde < KnowledgeReigns Supreme >, KRS-Oneconfirme cette volontéd'éclairer sa communauté: I bringyou outthe caveand change how you behave Everythingyou see is reallyparticles and waves Notto mentionyour visual extension ls ruledby perception,guiding your every direction lf you reallywant money your mentality must switch lf you reallywanna be richyou gotta act likeyou're rich Youcan't act likea bitchif youwanna be a lady Youcan't get the gravy if you'resittin around lazy Youcan't be in the hustleif youain't lookin for troubleso

Avec son album Edutainmenf,Boogie Down Productionsa inauguré en 1990 l'ère du < teaching rap r à travers, entre autres, un rap intitulé < Blackman's Back In Effect > dans lequel KRS-One, leader et MC du groupe, s'évertueà démontrerque le tt Voir.fualement à ce sujetp. 158. PubficEnemy, "Don't Believe the Hype',lt Takesa Nationof Millionsto HoldUs Back(Def Jam, 1988). 78 KoolMoe Dee, "Pump Your Fisf, Krawtedgeis Kng(Jive, 1989). 79 Eremple cité dans Eric Gonzalez,'lntertextualité, paratextualité et sampling: monoeauxchoisis de PubficEnemy', in RobertSpringer (dir.), Le textedans la musiquepopulaire afroamértcaine, Bem : Peter 1an9,2001,p.182. 'Brothers Pubfic Enemy, GonnaWork lt Oulc, Fearof a BlackPlanef (Def Jam, 1990).

130 savoir est une arme et I'enseignementindissociable du progrèssocial : < Wake up! Take a pillowfrom your head and put a book in it. >81 Les rappeurs s'en prennent en effet d'une voix à la conception univoque de I'histoire blanche et du système éducatif suggérant des narrations historiques alternatives:

Youmust learn [...] 'Causeyou don't know that you ain't just a janitor No onetold you about Benjamin Banneker A brilliantBlack man that invented the almanac Can'tyou see where KRS is comingat WithElie Whitney, Holly Selosy, Grand BillWoods madethe walky{alky LewisLatterman improved on Edison CharlesDrew did a lotfor medicine GarrettMorgan made the traffic lights HarrietTubman freed the slaves at night MadameCJ Walker made a straightin'comb Butyou won't know this if youweren't showns2

Dans cet album pamphlet,KRS-One fustige égalementle système éducatif américainqui néglige honteusementI'histoire afro-américaine et africaine. ll réprouve son caractèreségrégatif, le contenu de ses programmeset I'insuffisancede moyens qui sont déployésdans les écoles du ghetto : I believethat if you'reteaching history Dealwith straight up factsno mystery[...] Thepoint I'm getting'at it mightbe harsh ls we'rejust walkin' around brainwashed [...] We needthe 89 schoolsystem Onethat caters to a Blackfratern [...]83

Si les rappeurs soulignent la faille du système scolaire, ils envisagent néanmoinsl'école comme un facteur clé de réussitesociale. Pour sortir du processus d'aliénation,l'éducation est une étape essentielledans la constructionidentitaire et sociale.

80 KRS-On","Knowledge Reigns Supreme", Jive's lJnrcleased Masfers (Jive, 1997). 81 D"n, un album précurseurKnowtedge is Kng, Kool Moe Dee développeranéanmoins dès 1989 une thématiqueautour de la'knowledge'.Ce termepolysémique et récunentdans le discoursrap fait aussi bienréférence au savoir,à la sagesse,à la connaissanceet la consciencede la culturenoire. 'The force of knowledge","Knowledge reigns supreme', 'Life withoutknowledge is death' ou encore "Knowledgeis power'sontquelques exemples de formulesqui apparaissentdans les textesde rap. KoofMoe Dee, "Your Must Leam", thowledge is Kng (Jive,1989). 82 Boogi"Down Productions, "You Must Leam", Edutainment(Jive, 1990). 83 nia.

l3l Dansle rap à messagesocial, le discourssur la prisede conscienceprime sur celuide la rébetlionet si le rappeurn'incite pas à I'actionimmédiate, ses textes ont des viséesrésolument didactiques. En abordantles fléauxet les conflitsque connaîtla société afro-américaine,les MCs tentent égalementde développerla pensée analytiquede leurauditoire. Pour ce fâire,le rappeurdélivre la plupartdu tempsdes messagestirés d'une expériencepartiellement vécue, à laquellele publicpoura s'identifier.Dans I'introduction< Ya Know The Rules>, KRS-Onen'hésite pas à déclinerson identité civile afin de conférerune légitimité à la fablequi va suivre: Yo,from off the sidewalk I grab the mic and talk Bornnineteen-sixty-five in the state of NewYork Myname is KrisParker, KRS-One for short I slapup crews and rock parties for sport Livedon the streets about eight years straight ThereI gotmy education and learned to debate Sowhen I pickup the microphone I know what l'm sayinsa

Le rappeuropte parfois pour un discoursplus scolaire : < Well,today's topic is self-destructionu85. KRS-One, le leaderde BoogieDown Productions, se qualifielui- même d'enseignant(< teacher>), d'universitaire(< scholar>)86, de scientifique (tt doctorn),voire de philosophett.Les MCsemploient d'ailleurs en abondancedes termessavants (< mathematicsr, < metrics>, <) comme pour mieux légitimerleurs propos et leuraccorder un créditscientifique. Souventromancées, les narrationsrappées restent cependant en phaseavec la réalitésociale. Le rappeurs'adresse à son auditoiredans un anglaisvernaculaire (< black slang>)88 créant ainsi un sentimentde proximité.Ce choixdélibéré a pourbut de mieuxdiffuser le messageet de mobiliserla communauté.Le réalismedu propos est, de plus, renforcépar I'insertionde dialoguesou de bruitagesurbains. Cette stratégierhétorique favorise écoute et conscientisationet s'inscritdans une volonté de convaincreet de faireagir. La narrationdu rap < conscient> est d'autre part dominée par I'emploi d'un n / > qui demeurebel et bien I'expressiond'un statut collectif.L'emploi de la

e BoogieDown Productions, "Ya KnowThe Rules", Edutainment(Jive,1990). tu StopThe Violence Movement, Setf Destruction(Jive, 1988). 86 BoogieDown Productions, 'Criminal Minded', Crtminat Minded (B.Boy 1987). En raisondu caractèreviolent de cet albumnovateur, de nombreuxobservateurs considèrent aujourd'hui BoogieDown Productions comme les pionniersdu genregangsta np. 87 BoogieDown Productions, 'My Philosphy",By Atl MeansNecessary(Jive, 1988). 88 voi, pp.5462.

r32 première personne permet d'édulcorer les propos du rappeur tout en exprimant un sentimentde fratemité: Nowas a youthI usedto get my bangon Andon theave get my parttimeslang on Upona timefor me wasno joke though Theyknew lwas crazy,so theylabelled me Loco Khakiscreased, golf hat, feelin sporty Lowridin and tossin up a forty Thinkinin mymind that no onecould handle ,, ...t'

La narrationpeut prendreaussi la forme d'une adressedirecte à l'auditoire.Les rappeurs l'apostrophentalors d'un n you ,r, puis exhortent à l'impératif avant de responsabiliserleur communautéen optant pour un ( we > fraternel: Don'tyou know we've got to putour headstogether? Stopthe fighting (Makethe change) Becausewe're all in the samegangeo

Dans <>e1,Boogie Down Productions déclare < | teach not preach>. Plus qu'un simple observateuret médiateur,le rappeur se veut aussi éducateur,quoiqu'il se défendede vouloirsermonner. ll endossealors le rôle du grand frère assagi,adoptant un ton autoritaire: Onething I knowis thatlife is short So listenup homeboy,give this a thought Thenext time someone's teaching you why don't you get taught?e2

Les rappeursont consciencede la constitutionde leurauditoire et de la portée de leurdiscours sur la jeunesse.lls prennenten considérationcette dimension, allant jusqu'àpratiquer une forme d'autocensuresans pourautant modérer leur discourse3. Leursfables morales proposent des misesen gardesur les problèmesde société,tels que la drogue et la criminalité(< Stop The Violencerrnol, prodiguent des conseils pratiquesen amour,voire sur I'hygiènesexuelle (u Go See The Doctoruts;. Les rappeusesoptent, quant à elles,pour une solidaritéentre n sr.sfas.uou suggèrentdes

Qt m" West Coast Rap All-Stars,'VVe're All in the Same Gang", We're All in the Same Gang (Wamer,1990). to wa. 91 BoogieDown Productions,'House Nigga", Edutainment(Jive, 1990). t' RunDMC, "lt's LikeThaf, RaisingHell(Profile, 1984). 93 Entretienavec Shurik'N. g BoogieDown Productions, "Stop The Violence",By all MeansNecessary (Jive, 1988).

133 lignesde conduiteaux jeunes femmes du ghetto(< Woman to Woman,r'u).tt TLC par exemplen'hésite pas non plus à aborderle sujet du sida et des rapportsprotégés aussibien dans ses textes que dans sa performancesur scène, au coursde laquellele groupearbore des préservatifsen accessoires. Le discourspremier du rappeuréducateur est celui de I'arrêtde la violence dans les inner cities.Dans un album manifeste,We're Atlin the Same Gang,un collectifde rappeursde la Côte ouest appelleà I'anêt des combatsentre gangs et préconisepour ce faire un mouvementsocial, puisque la policeet la justicesont inapteset conompues: Bein'thepimps that we are We'rehere to speakon a situationthat has gone too far Hereat homein the ghettos of LA Wherea youngblack brother's not promised to seethe next day Causewe usedto clockon thestreets before we madebeats Butfools just lay and prey on the weak It don'tdepend on the color of a rag Causeif yougot what they want you know they gonna take what you have Causeviolence don't only revolve from drugs and thugs Andgangs that bang Mosttimes it's a politicalthang Yeah,a coupleof spots'llget popped Andif thegovernment wanted to freeze it it couldall get stopped Butthey don't because they want it likethat Becausethe system been set up to holdus back Yeah, means that we can do whatever Sowhy don't we sticktogether? (You got it)e8

Dans I'ensemble,les rappeurstiennent également des proposrésolument moralisateurs,implorant les Afro-Américainsà ne pas suivrele cheminqui leur est tracéet qui les mèneà leurperte. Ils formulent de véritablespréceptes moraux quant à fa responsabilitéfamiliale (One Million Strong, the all-staralbum), prônant des valeurs communautairesd'entraide et de respectmutuel. lls fonten outrede l'éducationmorale desenfants I'enjeu majeur. lls cherchentde la sorteà éveillerI'attention de la jeunesse sur sa proprecondition, en la guidantet I'incitantà réfléchirsur de nouvellesvaleurs. Les rappeurcconsacrent beaucoup d'énergie à montrerles méfaitsde la drogues.En plusd'être un élémentde marginalisationsociale, le traficde drogueest

95 KoofMoe Dee, "Go See The Doctof, I'm KoolMæ Dee(Jive,1987). tu Yo-Yo,"VVoman to Woman",Btaci Pearl(Eastwest 1992). 97 MalgozataGlowania, Andrea Heil, "Das persônlicheund das politische:Frauen im Rap', in W. Kaner & f. Kerkhoff(eds.), Rap, p.102. 98 Th" West Coast Rap All€tars, îVe're All in the Same Gang', We're Att in the Same Gang (Wamer,1990).

134 devenu un mode de vie qui charme et leune une jeunesse en quête d'intégration sociale. Si les rappeursne portent pas généralementde jugement moral vis-à-vis de tels actes criminels, ils condamnent en revanche avec fermeté les conséquences néfastesde ces actes sur leur communauté: Hereit is BAMMM Andyou say Goddamn Thisis thedope jam Butlets define the termcalled dope Andyou think it meanfunky now no Hereis a truetale Of theones that deal Arethe ones that fail Yeah t...I Andthose that sell to Black Shameon a brotherwhen he dealin'1oo

L'argent,thème récurrentdans le hip hop, est appréciéde diversesfaçons suivantles écoles.Dans le discoursengagé, il est néanmoinsmontré comme un objet pernicieuxet illusoireparce que lié au trafic de drogue.Les MCs mettentalors en gardecontre I'argent facile, à I'originede la criminalitédans les inner cifies : Wantto be a star Drivea bigcar Livebourgeois Andwon't know who you are Lostin the source And praisingthe dollar Whetheryour faith is Christor Allah The knowledgeof God Willteachone thing The dollaris moot Knowledgeis king

Timeto educatethe youth The lustfor money ls out of control Here'sproof Drugs Alwaysa tragicending Andat the riskof spending Timein jail

nn Mêr" si on peut supposerque les MC's sont de grands consommateursde substiancesillicites, notammentde cannabiset de ses dérivés,le prosélytismelié à la consommationde droguesdouces n'est pas légion.Une exception,Cypress Hill qui a assissa popularitéen devenantle æprésentantet défenseur de la consommationde droguesdouces, notamment avec les morceaux"lnsane in The Brain","Legalize It', "l WannaGet High". CypressHill, Black Sunday(Col, 1993). too Th" West Coast Rap All-Stars,îVe're All in the Same Gang", We're All in the Same Gang (Wamer,1990),

135 Caughton a bumsale Theypersist Knowin'death'sa risk lgnoranceis bliss Chumptheir face Killtheirrace Theydeserved to getdissedlol

En s'érigeanten sagesayant d'ores et déjà fait I'expériencede la rue, ils font figuresde < role modelsr. lls soulignentles effets bénéfiquesde leur vocationen insistantsur la voiequ'ils ont eux-mêmesempruntée avant d'entrer dans le mondedu hip hop,évoquant une sortede conversiondu mondeprofane au mondesacré du hip hopto'.lls veulentainsi démontrerque le travailet I'acharnementpeuvent être des outilsd'ascension sociale : I usedto selldope, but in 1994 I'mmakin Southernplayalisticadillacmuzik Butsee these voices in myskull has got me reminiscin Aboutthe days back when me mammy had to workin kitchens Shehad me makin better grades to makea betterlife ButI neverhad no love or respect,cuz we gon be alright I ranthe streets and broke my curfew cuz I gavea shit I carriedguns and butcher knives cuz I wassteadily in the mix, yeah Itwas so hard to saygoodbye, I'm a tan no*to'

L'engagementdu rap s'inscritdans une lutte pour l'intégrationet I'ascension sociale.A défautde I'utopiqueséparation politique que prônentles nationalistes, certainsrappeurs font un plaidoyeren faveurd'une entité économique noire autonome et invitentla jeunesseà jouerun rôledans cette nouvelle société au lieude vivreà ses dépens. Les rappeurs cherchentà démontrerle pouvoir économiquede leur communautéen appelant par exemple au boycott d'entreprisesblanches ou en stimulantI'esprit de libre-entreprise.Boogie Down Productionsrevient ainsi sur la traditionaméricaine du capitalismeillicite et encouragela jeunessenoire à réinvestir I'argentsale pour le biende la communauté'1@ Blackdrug dealer, you have to wiseup Organizeyour business so that you can rise up lf you'regonna sell crack then don't be a fool Organizea business and open up a school Drugdealer understand historical fact Everyrace got ahead from sellin drugs except Black Weare under attack here comes another cold fact

101 KoofMoe Dee, 'Pump Your Fisf, l(vlowtedgeis Kng(Jive, 1989). to'G"oç". Lapassadeet PhilippeRousselot, qp. crf., p.89. 103 Outka.t,?int NoThang', Santhemptayatisticadittacmuik(Lafaeæ, 1994). t* s.H. FemandoJunior, op. cit.,p.141.

t36 Inthe 30'sand 40's a drugdealer wasn't black Heywere Jewish, ltalian, lrish, Polish, etc. etc. Nowin 90 theirlive's a lot befter[...] Eightypercent of Americanbusiness is createdillegally Thisis a factI don'task youto believein me lf you'rereally in thedrug game to win it Eventuallyyou're gonna get shot, open a clinic Again,if you'rereally in the druggame to win it tnvestin a prison,therefore you can be put in it105

Nous savons que le hip hop aime s'autoréférenceret s'autocélébrer.tou Reprenant le discours de nombreux activistes et notamment celui de la Nation of lslamloT,les rappeurs conscientsn'hésitent pas cependantà poser un regard critique sur leurs pairs hardcore, qui semblent glorifier un mode de vie décadent, et en appellentà la responsabilisationdes tenantsde I'industriehip hop : It'stime to standtogether in unity Causeif notthen we're soon to be Self-destroyed,unem ployed The raprace will be lostwithout a trace t...1 Theviolence in rap Mustcease and settle lf wewant to develop Andgrow to anotherlevel Wecan't be pigs for the devillos

Lesmembres de De La Souls'en prennent, quant à eux,à la faillitemorale du rap hardcore dans une parodie grotesque du rap gangsta intitulé < Pease Porridgeuton. KRS-One fait de mêmeen écorchantI'image stéréotypée des gangsfaz: <

105 Boogi"Down Productions, "Drug Dealef, Edutainment(Jive,1990). 106 voir,p.281. tot voir.définition note 398, p. 97. tot stop The ViolenceMovement, Self Destruction(Jive,1988). tot D" La Soul,'Pease Ponidge", De la Sou/is Dead(Tommy Boy, 1991). 110 'My Boogi"Down Productions, Philosphf, By atl MeansNecessary(Jive, 1988). ttt Voi,à ce sujetEric Gonzalez, op. cit.,pp.177-188.

t3'l informationscomplémentaires viennent étayer les propos.Ainsi dans GuerittaFunk1t2, Parispubliet-il un véritablepamphlet débutant par la phrase< We Are At War! >, puis donne les référencesde quelquesouvrages indispensables pour se connaîtreet s'élever.De I'autrecôté, un triptyqueavec une arme de poing, suivi d'une photo dlhommesnoirs, victimes de brutalitéspolicières, puis celled'un policierassassiné. Dans l'albumApocatypse 9/. .. The EnemySfnkes Blaci13,Public Enemy publie, parallèlementaux dédicacesusuelles et à I'inventairedes produitsde merchandising disponibles,une adresse aux jeunes écoliers, débutant par cetteformule : < Firstof all finishschool. >. Par ailleurs,certains artistes donnent dorénavant des conférencessur lescampus universitaires ou publientpour certains des essais dans le mêmedessein. En outre, le rap est devenuun supportdidactique reconnu par le système scolaireaméricain. L'écriture rap est utiliséeaujourd'hui dans I'enseignementde l'écriture,la lectureet I'histoirenoire dans les écolesdu ghetto.ltoOn reconnaîtentre autresla fonctionexutoire du rap,comme I'atteste la profusionde projetsculturels liés à la culturehip hop.

Commenous venons de le voir, les raps < prennentbien souvent la formede fablesmoralisatrices ou à fonctionpédagogique. Si elle n'estpas destinéeà développerune consciencepolitique pour un élan révolutionnaireorganisé, la parole de sesauteurs prend d'ores et déjàune dimension sociale et politique.En évoquant de façon pratiquedes récitsde faits réels,le rap socialfavorise en effet une prise de consciencede ses auditeurs.ll exalte,d'une part, la solidaritéet stimuleune résistance,prélude au combat.D'autre part, il guideet mobilisela communauténoire, touten mettanten gardele restede la société.Cette première génération de rappeurs a jeté les fondationsd'une écriture engagée et ouvertl'ère dès la fin des années1980 d'uneécole plus politisée.

112 P"rir, GuerittaFunk(Supenappin, 1994). t t t Prbfi" Enemy,Apæatypse 91 . .. TheEnemy Sfiiikes Black (Dei Jam,1991 ). "o Ri"h"rd Shusterman,op. cit.,p. 202.

138 Ghapitre2. Le rap protestataire: vers un rap politique

lf thereis no struggle,there is no progress.Those who professto favorfreedom and yet deprecateagitation are men who wantcrops without plowing.....Power concedes nothing withouta demand. FredericDouglass, No StruggteNo Progress(1857)115

A partirde la critiquesociale établie par les premiersrappeurs, une nouvelle générationde rappeurs< conscients>r se radicalisedès la fin des années1980 pour créer un genre inéditde rap hardcorel'6,lecr potitical rap D, plus virulenttant sur le fond que sur la forme.Les raps dits < sociaux>, simpleschroniques de la vie du ghetto,laissent la placeà des auteursplus contestataireset revendicatifs.En effet, face à la lenteurdes progrèsen matièresociale et économique,le rap, qui était un discoursplutôt descriptif sur la société,devient de plusen plusun plaidoyerpour une autresociété passant << d'une dimension explicative à une dimensionplus activedans laquellela violencese fait plus présente,>ttt. Ces rappeursengagés élargissent de la sorte la diffusionde leur message.lls s'adressentdorénavant à deux groupes d'interlocuteurs,à leur communautédont ils sont les porte-parole,et à leurs <, représentéspar le pouvoirétabli et le restede la société,qui est ni plusni moinssynonyme de suprématieblanche. Les rappeurspolitiques ont en communle désir que leur communauté conquièreune pleineégalité des droitset poursuiventainsi le combatinachevé des grandsleaders du mouvementdes droitsciviques. Reprenant la rhétoriquedes années de luttenoire, leur réquisitoire se préciseet inviteà davantagede cohésion,mais aussi de révolte,appelant à une lutte symbolique.Leur messagenationaliste s'inscrit à présentdans un rapportde forcesavec le pouvoirdominant, l'establishmenf, toutes les formesde pouvoirqui, à leursyeux, nuisent à leurcommunauté. Rien ne résisteaux rimes affûtéesde cette nouvelleécole : les forces de police, le capitalisme,la bourgeoisie,les médias,les politiquesnoirs. Les rappeurs posent également un regard critiquesur leurcommunauté qui contribueà sa propredestruction. En mobilisantleur ttu Dir"ouo de FrederickDouglass prononcé en 1857et intitulé'TheSignificance of Emancipationin the WestIndies.' John W. Bfassingame(ed.), Iâe FrederickDouglass Papers.Sen'es One; Speecheg Debates,and lnteruiews.Volume 3: 185563,New Haven, CT: Yale University Press, 1985. 116 voirp. 92.

139 auditoireet en participantactivement au débatpublic, nous verrons que les rappeurs confirmentleur rôle d'agitateur, un rôleréaffirmé par un activismesocial et politique.

2.1.Lapoursuite du combatidéologique des grands leaders

2.1.1.Afrocentrisme : Glorification du passéet de I'héritageafricain

L'intérêtque porte la communauténoire américaine au continentafricain est unetradition qui remonte,pour ainsi dire, au jour même où lespremiers esclaves noirs ont mis le pied sur le sol américain.Cet intérêts'est manifestésous la forme du rattachementà une esthétiqued'origine africaine, dans les domainesartistique, musical,chorégraphique ou littéraire.118Les rappeursvont ainsi revendiquerleur personnalitéafricaine en glorifiantle passéau nom d'un présentinsupportable et en promouvantles valeurs afrocentristes. Nousconstaterons que I'ensembledu discoursrap ( conscient> est teintéd'un afrocentrismettnplus ou moins modérésuivant les écoleset leurs auteurs.Cette approchen'est pas la seuleréaction à l'ethnocentrismeblanc, le hip hopest également issud'une crise identitaire.læ En renouantavec leur passé, les MCsont la volontéde redonnersa dignitéà leurcommunauté, écrasée sous I'humiliation, et de revendiquer avecfierté leur identité afro-américaine dans unedémarche politique. < Blackis Black is Blackis Black>121 insistent les JungleBrothers comme une évidence inaliénable et

t tt M"ryr" Souchald,"Rap : le cri (politique?) des banlieues",in MaryseSouchard, Denis Saint-Jacques et AlainViab (dn), Lesjeunes : pmiiqueècuttûrettes et engagementcoileaif, Montréal : Les ÉditionsNota bene,2000,p. 100. 118 Ai'"r"to, Sy-Wonyu,"La spatialisationutopique de I'identiténoire', Arobase,Université de Rouen vol.2,no 2, 1998. t t9 Voi,définition, première partie, note de basde page24, p.25. 120 ll conuientpar ailleursde préciserque le hip hop est apparu dans une décennieen pleine mutationqui a vu les "minorités"américaines affirmer de plus en plus leur identitéindividuelle. Les États-Unisont connu depuis les 1960un phénomènede "ethnicrcvivaf - selonla formuled'Anthony Smith- qui a connuson apogéedans les années1980. A défautd'une pleine intégration citoyenne, les groupesminoritaires ont prisune consciencenouvelle de leursorigines ethniques. Cela s'est traduit par la générafisationdu préfixe d'appartenanceethnique ("hyphenatedidentitf): African-Ameican,Native American, Jewish-American,ltalian-Ameiæn, (Frcd Constiant,Le multbultunlisme, Paris: Ffammarion,2000, pp. 25-26;Anthony D. Smith,Ethnic Revival Cambridge University Press, 1981.) 121 Jungl" Brothers,"Black is Black', StnightOû The Jungle(Warlock,1988).

140 immuable,tandis que Run-DMC répond à la formulede JamesBrown : <122. S'ils sont ethniquementhétérogènes123, les hip hoppersmanifestent un attachementcommun à I'Afriqueen adoptantpour certains un patronymeafricain ou en portantles couleursde ce continent.Les rappeursparsèment également leurs textes de référencesà une mythiqueAfrique. lls célèbrentet réhabilitentainsi leurs racines tout en aspirantà une utopiqueunité panafricaine. Le continentnoir apparaîtsouvent commele lieu originelplus ou moinsflou et idéalisé,le mythestéréotypé de I'Afrique Terre-Mère,berceau de toutes les civilisations.Si les MCs portentdélibérément un regard nostalgiqueet romancésur cette Afrique,c'est, d'une part, dans le but d'opposercette lel/is Materidyllique à un mondeoccidental, sans repère et corrompu, symbolisépar la cité mythologiquede < Babylon,r.t'o Cette référence à I'Afriqueleur permet,d'autre part, de s'accréditerune sagesse et de lénifierleur discours. De plus, en se rattachantà la culture africaine,les rappeursrépondent paradoxalementà I'endoctrinementblanc par un contre-lavagede cerveau, en proposantune versionrevisitée de I'histoire.En réponseà I'eurocentrisme,ils se tournenten effetvers un passéqu'ils remodèlent à souhait.A I'instarde MalcolmX, beaucoupreprennent par exemple les théories < égyptocentristes> qui attribuenttoute la grandeurdes civilisationsoccidentales au géniedu continentnoir - mais aussi asiatiquel2u.Cette constructionmythifiée devient de la sorte un contre-poidsà la manipulationdu pouvoirdominant : Let'stake a tripway back in the days Tothe first civilization on Earth,the Egyptians Givingbirth to science,mathematics and music [...] Sopeople that believe in Greek philosophy Knowyour facts, Egypt was the monopoly Greekshad learned from Egyptian masters 1...1126

t" Rrn DMC,'ProudTo Be Black",RaisingHet/(Profile, 1984). lae''- Commenous le rappelonsdans notreintroduction générale, la communautéhip hop n'estpas en effet ethniquementhomogène et conjugueplusieurs minorités ethniques. Si la majoritédes rappeurssont d'origineafro-américaine, d'autres sont originairesdes diversesfles des CaraibeseUou d'Amérique latine, des communautésqui ont en commund'avoir vécu une forte humiliationdu colonisateur.Une filiation africainecommune crée, de plus,un fort sentimentcollectif générateur de solidarité. 't2Â'-' HuguesBazin, op. cit.,p.244. t'u L'A"i" étantle continentde naissancede I'islam,I'islam afro-américain considère I'homme noir comme asiatique(Asiatic BlackMan\. Certainsrappeurs se réfèrentà ce discoursésotérique. Ainsi Big Daddy Kane,adepte dela Five PercentNation, se déclare"King Asiatic". Big DaddyKane, "Mortal Combaf, lt'sa Big DaddyThing (Cold Chillin', 1989). 126 Boogi"Down Productions, 'Blackman's Back in Effecf, Edutainment(Jive,1990).

t4l Les MCsreprennent alors, nous I'avons vu, unefonction de griot,ce gardiende la mémoirecollective: Myforefather was a king He wore fat gold chainsand fat ruby rings127

En célébrant la civilisation africaine, les rappeurs ressuscitent ainsi un sentimentde fierté,tout comme Run-DMCqui aspireà réhabiliterles grandshommes de couleur qui ont fait I'histoiredes États-Unisdans un morceauintitulé < Proud to be black > : I gottatell you somethin that you all shouldknow It's not a mysteryit's historyand here'show it go NowHariett Tubman, was borna slave Shewas a tinyblack woman, when she was raised Shewas livinto be givinthere's a lotthat she gave [...] Therewas a man- an inventor- whoinvented so well He inventeda fortune- for a mannamed Bell GeorgeWashington Carver, made the peanutgreat Showedany man with a mind,could create Youread about Malcolm X - in the historytext JesseOwens broke records, Ali brokenecks What'swrong with ya man?How can you be so dumb? LikeDr. King said, we shallovercome!128

Dans < Africa's Inside Me >r,Arrested Developmentdéfendent la thèse que l'unique manière de combattrele sentiment pathologiquede ( haine de soi > est I'acceptationde son identitéraciale : We all askwhy we can'tbe a sista'sand brother's Butfirst we gottato acceptwho is our mother Ratherembracer of thejungle.læ

< You don't know who you are/Lookback into your past, brother/Lookback into your past, sister rrtto,rappe Paris. Pour I'ensembledes rappeurs, le salut du peuple afro-américainest indissociablede son passé. L'avenirdes Noirs dépend surtout d'une meilleurecompréhension et d'une acceptationde leur histoire: Walkthe roadsmyforefathers walked Climbthe treesmy forefathers hung from Askthose trees for all theirwisdom [...1 NowI see the importanceof history

127 Jungf" Brothersfeat. Vinia Mojica,"Acknowledge Your otrn Histo4/, Doneby the Forcesof Nature (Wamer,1989). 128 Rrn DMC,"Proud To Be Black", RaisingHetl(Profile, 1984). 129 AnestedDevelopment,'Africa's lnside Me", Zngatamaduni(Capitol, 1994). tto P"ri., 'VVhatWould You Do?", SonicJihad (Supenappin, 2003).

142 Whypeople be in the messthat they be Manyjourneys to freedommade in vain By brotherson thecorner playin ghetto g"t"rt"

Les MCs n'hésitent pas à se pencher sur les plus sombres années de I'esclavage.Ainsi Ursula Ruckerrevient-elle sur la tragédiede la femme noire. On peut attribuerà ce retour à I'histoireune fonction cathartiquequi réside dans un travail de deuil. Accepter I'inacceptablepermet de mieux panser les plaies séculaires et de concevoirun avenir plus serein, comme en témoignentces vers libres conclus par un monostiquedétonnant : I roseand fell As he calledmy name I playedhis games 4s... Hecame and came Then... Hechanged my name Calledmy blacknessuntame He... Putme in chains Then... Hechanged my name Then... Hechanged my names...

Butnow I will rewriteHistory132

Les rappeurs rétablissentégalement quelques vérités occultées en rappelant, entre autres, le rôle des Africainsdans la traite des esclaveset en rendant hommage au couragedes quelques Blancsqui ont lutté en leur faveur : I'vebeen taught to respectmy elders and behave Evenif whenthey were young they sold slaves Truthand understandin' is whatI crave ln the landof thethief, home of theslave... Butlast but not leastracial prejudice ls theblack man speakin' out of ignorance Whiteythis and Ching-Chow that ls nothow the intelligentman acts Youcan't blame the whole white race Forslavery, cos, this ain't the case' A largesum of whitepeople died with blacks Tryinghard to fightracial attacks...133

131 AnestedDevelopment, "Tennessee', 3 Years,5 MonthsAN 2 Daysln The LifeOf... (Capitol, 1992). 132 Uoula Rucker,'Brown Boy", Supa Sisfa (K7,2001). 133 BoogieDown Productions, "The Racisf , GhettoMusic: The Bluepdnt Of Hip Hop(Jive,1989).

143 Pour KRS-One,le futur dépendpar ailleursd'une meilleurecompréhension des communautésnoire et blanche: Justlike ltold you, you must learn [bis] Teachthe student what needs to be taught CauseBlack and White kids both take shorts Whenone doesn't know about the otherone's culture lgnoranceswoops down like a vulture[...]1s

La référence à I'esclavage et à la ségrégation permet ainsi de mieux appréhenderle présentet de déculpabiliserla communauténoire. Ce retour contraint du passé préludeégalement au combat : We feel the wrath Fromwhat happened in the past Hasmade us walka path Madeby slavery Thoughbravery We lost Ourunity our source Of powerand we lost Allracepride ln our Holocaust Now it's my creed l'm from a strongerbreed My ancestorsindeed had to bleed Hipped'till they were freed And now I lookback and say wow Howdid we allow Physicalslavery I justdon't ever again Seeit nowlvow Pumpyour fist [3*]ttu

Le hip hop participe par ailleurs à la recherche d'une histoire et d'une terre commune à tous les hommes.ll la trouve dans I'imagede la terre matemelle,I'Afrique, et en fait la source d'une identitéuniversellels : Africanhistory is the worldhistory Thisis themissing link and mystery Oncewe realisethey all are African Whitewill sit downwith black and laugh again137

Le continentafricain sert ainsi d'espace d'élaborationde I'identiténoire dans la construction d'une afro-américanité. La résurgence de I'afrocentrisme dans le

1g BoogieDown Productions, "You Must Leam', Edutainment(Jive, 1990). 135 KoofMoe Dee, 'Pump Your Fist', Knowtedgeis Kng(Jive, 1989). ttu Hrgr", Bazin,op.crt., pp. 249-24.

t44 mouvementhip hoptémoigne avant tout d'un désir de reconnaissanceet d'intégration sociale: Cosbelieve it or not,America ain't your home We'vebeen taught to sayour name, Afro-American allthe same Notfully American but gettin' there very slowly Costo fully be American, you know, you gotta take out the word 'Afro'... Sothe black man is homelesseven if hepays the rent.138

A I'instarde W.E.B.Dubois, dont la doctrineimpliquait I'acceptation par les Noirs de leur proprenégrité13e, la grande majorité des rappeursexaltent leur < nolrceurutoo (< blackness>) en employantnotamment de manière récunente le terme de < nigger>. Quelques artistes refusent en revanche cette dénominationjugée péjorative,voire usée et s'attachentrigoureusement à leur africanité.Parmi eux, le collectif < afro-bohémien>1al Arrested Developmenttente de redéfinirla négrité comme une attitudepositive et rejetteI'aspect quasi schizophréniquede I'identité duellenoire américaine (< doubteconsciousness rrto'1, préférant le termed'< African>>, voirede < Nubian>143.

Ainsipour Arrested Development, la reconquêtede I'estimede soi commence- t-ellepar la reconquêtede son identitésocioethnique. La récupérationde ce mythede I'Afrique,génitrice de I'humanité,permet aux rappeursde célébrerleurs racineset d'instaurerde nouveauxrepères culturels pour faire face à I'effondrementdes valeurs morales.Cette prise de conscienceafrocentriste agit en outre comme une force émancipatriceet apparaîtindispensable à la formationd'une identité politique.

137 Boogi"Down Productions, 'Blackman's Back in Effect",Edutainment (Jive,199O)' 138 Boogi"Down Productions, "Homeless", Êdutainmenf (Jive, 1990). ttn voi, définitionnote 17, p. 24. toO G"org", Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cit.,p.52. 'ot voi, définitionnote 4(M, p. 98. to2"lt i. a peculiarsensation, this doubleconsciousness, this senseof alwayslooking at one'sself through the eyesof others,of measuringone's soul by the tape of a worldthat lookson in amusedcontempt and pi$. One ever feels his twoness,-anAmerican, a Negro;two souls, two thoughb, two unreconciled strivings;two waning ideals in one dark body,whose doggedstrength alone keeps it ftom being tom asunder."(W.E.B. DuBois, Iâe Sou/sof BlackFolk, New York: Blue Heron Press, 1953 (1903), p. 38.) 143 ToddBoyd, "Rap Music and PopularCulture", Pubtic Cufture, vol. 7, 1994,p. 300'

145 2.1.2.lntrication du religieuxet du politique

Whenreligion mixes with politics... it ALL GETS WACK BoogieDown Productionsl4

La communautéafro-américaine est traditionnellementtrès croyante.Arrivés sur le nouveaucontinent, les esclavesissus en grande majoritéde tribus animistes s'étaientemparés du christianismecomme d'un exutoireà la misère,et la pratique religieuseétait I'unedes raresoccasions de s'affranchirde la tutelledu maîtreet de s'affirmeren tant qu'individu.Ainsi leur religiosités'est-elle naturellement exprimée dans toutesles instancesde la vie culturelle,essentiellement à traversle chant.Au coursdes siècles,les formessacrées et profanesdu chantse sont perpétuellement < contaminéesr>tot, comme I'attestent les genresde musiquepopulaire que sont le blues,la soulouencore le funk. Le rap ne faillitpas à cettetradition. S'il se déclareinsoumis aux lois,le rappeur, empreintde cetteexpérience séculaire, affirme fièrement son appartenance religieuse. Nousverrons qu'il poursuiten quelquesorte le rôletraditionnel du prédicateurdans le but de rassembleret de mobilisersa communautéet que, riche en connotationset référencesspirituelles, son discoursmystique devient également indissociable de son messagepolitique. ll convienten premierlieu de rappelerle rôleessentiel qu'a joué l'Église dans la formationd'une identitésociale et politique.La plupartdes leaderspolitiques noirs étaient à I'origine prédicateurs.En outre, les musiciens afro-américainsont courammentfait leurs premierspas dans des choraleset quelques-unsd'entre eux, tels les chanteursAl Greenet LittleRichardlfi, ont choiside quitterle mondeprofane

144 Boogi" DownProductions, "The Real Holy Place', Sexand Viotence(Jive,1992)' tou G"n"u" Smitherman,Tatkin and Tedifyin:The Languageof BtackAmerica,Boston: Houghton Mifflin, 1977,p.93. to6 Artr" exemplede lien entrele mondespirituel et la musique,le RévérendSharpton fut un tempsle managerde JamesBrown.

t46 pourse consacrerà Dieu.Les rappeursMase ou encoreRun'ot ont choisiquant à eux de délaisserleur carrière de MCspour devenir ministres de culte. C'estdonc tout naturellementque les rappeursintroduisent dans leur poétique des élémentsreligieux et mystiques.A l'imagedes leadersafro-américains, leur discourspolitisé est empreintde spiritualité.Ainsi, les motsou expressionstels que , < tellthe truth>, <t, < battle>t, << the man ,, '.'t*. Certainsrappeurs se veulentmessagers de la parolede Dieuet détournentle lexiquereligieux pour mieux dévoiler les injusticesterrestres. L'Afrique devient source d'authenticité,de pureté et s'oppose à I'image chaotiqued'une < Modern Day Babylonrrt4s, lieu d'aliénation,orchestré par le diable(< devitD, K satan>). Babylone est la ciblede toutesles dénonciations,I'empire du Mal responsablede la désolation du ghetto.Certains MCs reprennentla métaphore,habituellement présente dans le discoursreggae, de < Babylone), cettecité antique,symbole de la corruptionmorale de I'Occidentet systèmeoppresseur de I'Afriqueet des minorités. < | givea speechlike a reverend>>, lance Big DaddyKane dans < Rawrrtuo. En effet,le raps'apparente souvent à une scansionoratoire proche de celledes prêcheurs qui adressentleurs messages à leursfidèles. On reconnaîtpar ailleursune proximité formelfeentre le discoursdes rappeurs,ponctué quelquefois de n Oh Lordn, et le prêche des prédicateurs,notamment I'emphase,la spontanéité,le caractère pédagogique,la répétitionet lesformules d'appel-réponse entre le MCet le public. On perçoitdans le rap < cet effetde prêchequi permetd'impliquer directement I'auditeurdans la trame du discourset de le rendre partie prenantede ce qui s'énonce.ntut Cetteformule, < visant à abolirla distancequi séparele locuteurde I'auditeur>152, parvient ainsi à mobiliseret rassemblerles individus. Au-delà des mots, I'acte même de rapper constitueune interpellationde I'auditoire.Ainsi en guise

to' 'Reverend Voi, à ce sujetJoseph Run' Simmons,Curtis L. Taylor, lt's Like That.A SpirituatMemoir, NewYork: St. Martin'sPress, 2000. 148 L"p"ssadeet Rousselotillustrent cet exempleavec le morceau"Pump Your Fist"de Kool Moe Dee. (GeorgesLapassade et PhilippeRousselot, op' cit.,p'74.) KoofMoe Dee, 'Pump Your Fisf, Knowledgeis Kng (Jive,1989). 149 ,'Bring Back Something For Da Hood",lt lakes a lâief (TommyBoy, 19(M). tuo t,g DaddyCane, "Ravy'', Long Live The Kane(Wamer,1988). 15t chri"ti"n Béthune,op.cit.,p. 164. 15'hia.

t47 d'introductionles MCsinvitent-ils généralement leur auditoire à écouterl'argumentation du rappeurqui va suivre: Noweverybody listen to Flav lf youdon't listen to meyou will end up in your gr"u"...tut

Commele remarqueAttali, la musiqueest aussi prophétie,elle < nous dit demain>r en explorantla société.1sAinsi Lapassadeet Rousselotcomparent-ils volontiersle rappeurà un prophète< qui amèneune révélation [...]. Porteur d'espoir et de dénonciation,le rappeur se présenterégulièrement comme un messie,comme celui avecqui les tempsprennent fin et commencele grandjugement. ,rtuu Le rappeurn'est pas qu'un simplehéraut. Son messageacquiert une dimensionprophétique, voire apocalyptique.En observant et en analysantla situationsociale des Noirs,il va jusqu'à anticipercertains évènements. Dans < Burn HollywoodBurn >>tt6, Public Enemy exprimeen 1990la saturationdes habitantsdes inners cities: < Bum Hollywoodbum, I smella riot...ffhejoke is over,smell the smokefrom all round>. Suiteà I'assassinat d'unejeune noirepar un commerçantcoréen pour vol à l'étalage, avait mis en gardedès 1989< Just one morepunk attack on a blackand now the shit is on. )). Lorsqueles émeutesde 1992mettront Los Angelesà feu et à sang,ces morceaux résonneronttels uneprophétie.157 Les morceauxde rap peuventparfois s'apparenter à uneforme de prosélytisme, (< Followingthe path from Allah for now jusUBuildthe brainand we'll soon make progress,r'ut/u Farrakhan's a prophet and I think you ought to listen to uttn), notammentà traversle < christianhip hop.)),un genrequi peutparaître oxymorique au vu du caractèrepaiên du hip hop,mais qui nousrappelle I'omnipotence de l'Égliseau

153 Prbfi"Enemy, "\Â/hatWhaf, Muse Sick-N-HourMessAga (Def Jam, 1994)' tg J".qr", Attali, Bruds: Essai sur l'économiepolitique de ta musique,Paris : Fayard,2OO1 (19771, pp.22-23. t u5 G"org"s Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cit.,p. 81. '56 Publi.Enemy, 'Bum Hollywood Bum," Fear of a BtackPtanet (Def Jam, 1990). 157 HourtonBaker écrivait en 1992à proposdes émeutes: has informedAmerica for yearsthat if they comenow to get get u9' in the.moming,they must "Rap [...] .Gangster expectthe apocalypse.'(Cité dans NickDe Genova, Rap and Nihilismin BlackAmerica: Some Questionsof Lifeand Death",Socia/ Iexf, 1995:43, p. 102.) Autreexemple plus écent et anecdotiquede prophétiehip hop. En septembre2001, le groupeoriginaire d'Oakland,The Coup,a été contraintquelques jours avant la sortiede leur album,intilulé cyniquement Pafty Music,dechanger la pochettequi représentraitles toursdu WorldTnde Centeren feu' The Goup,Pafi Music(Tommy Boy, 2001). tu8 P"rir, "TheDevilMade Me Do lf, Ihe DevitMadeMe DoIt(TommyBoy, 1991). 159 publi" Enemy,"Bring The Noise', Apocatypse91 ... TheEnemy Sfnkes Black(Def Jam, 1991).

148 sein de la communauténoire américaine. S'inspirant de l'évangile,ce genrese veut principalementmoralisateur. Touten mettantI'accent sur la faillitedu christianisme,certains rappeurs restent encoretrès attachésaux valeurschrétiennes, tandis qu'une fraction importante des rappeursnationalistes s'en est détournéepour adopter les préceptesde I'islamqu'elle juge ethniquementplus conforme à ses positions160.La récupération de I'islampar ces nouveauxdisciples de la Nationof lslam161,ou plus rarementde la Five Percent Nationl62,traduitbien plus une prisede positionpolitique nationaliste qu'une véritable conversionreligieuse, ce que ChristianBéthune désigne par ( une mystificationdu politiquepar le religieux.>163 L'islamest avanttout lié à I'identitéculturelle. Adopter I'islam, c'est retrouver une identitéperdue au coursde I'esclavageet de la sorteune manière de se détacher de la communautéaméricaine, voire de retrouverune autonomieéconomique et politiquecomme le souhaitaitMalcolm X. Elle permetpar ailleursde dépasserles clivagesethniques puisqu'elle appelle à une solidaritéinterethnique entre minorités. L'islamrevisité des Black Muslimsdevient alors une formede contre-pouvoirculturel face au pouvoireurocentrique dominanL Rejeter le christianisme,c'est aussi refuser la doctrine pacifisteet intégrationnisteinhérente aux valeurs chrétiennes:< lf your slavemasterwasn't a Christianyou wouldn't be a Christian>1tr. En outre,si beaucoupsont attachésà Farrakhan,les rappeursne soutiennent pas à I'unissonle radicalismede ses proposqui, dans une mêmevindicte, accusent les institutionsblanches, la communautéjuive, les commerçantscoréens et prônent des valeurs conservatricesvis-à-vis de la drogue, des biens matériels, de

t6o B""u"oup ont adoptéI'islam en découvrantqu'environ 10% des Africainsqui avaientété réduitsen esclavagesur le continentaméricain étaient de confessionmusulmane, signifiant ainsi leur appartenance à la communautéafro-musulmane. L'islamest la religionla plus prospèreaux États-Unis.Selon une récenteétude, elle comprendenviron six millionsd'adeptes dont à peineun tiers sontd'origine afro-américaine. (Données recueillies sur le site gouvemementralhttp://usinfo.state.gov.) t6t voirdéfinitionnote 398, p.97. 162'-- ^ Groupescissionniste dela Nationof lslam,créé en 1964.Ce mouvementislamique sectaire est basé sur un cufte mystiqueet ésotérique.Les Five Percentersestiment que 85% de la masse noire sont ignorants,10% possèdent le savoir,mais I'utilisent pour exploiter la masse,et que seuls5olo possèdent la véritableconnaissance et la foi dansle but de guiderla communauté. De nombreuxrappeurs (Eric B & Rakim,Poor Righteous Teachers, Brand Nubian, Nas, Common...) se disentdisciples de ce mouvement,mais cette suneprésentation dans le mondehip hop n'esten aucuncas représentativede la communauténoire. (DavidDufresne & Jacob Gûnther,Rap Revolution,Neustadt: MichaelSchwinn,1992, pp. 32-33.) ttt chrirti"nBéthune, op. cit.,p. 157. 1il BoogieDown Production, 'The RealHoly Place', Sex and Violence(Jive,1992).

149 l'émancipationde la femme et de la sexualité.L'homosexualité est notamment dénoncéecomme un agentmaléfique de I'hégémonieblanche. ll est à noterque les rapssont en règlegénérale pétris de référencesreligieuses diverseset queleurs auteurs citent pèle-mêle la Bibleet le Coran.ll n'estpas rare que leursalbums soient systématiquement dédiés à Jésuset à Allah,voire à Jahou encore Bouddha.Ce syncrétismereligieux empreint de mysticismeest cherà la culturenoire. Dans le discourship hop, le messagesous-jacent de cette fusion est celui de la réuniondes Noirsde toutesconfessions dans une luttecommune et non dispersée. Dans un rap intitulé< Knowledgeis King >, Kool Moe Dee appellela jeunesseà retrouverla foiquelle qu'elle soit : Readthe Holy Koran Orthe Bible Becauseit's liable Tobe a revival Forthe weak who seek power it'll bring Infalliblepower Knowledgeis King...165

L'introductiond'éléments religieux et mystiquespermet avant tout aux auteurs de tempérerleur discourset de I'auréolerde prétenduesagesse et de maturité.La religiondevient alors un outil pour transmettredes valeurssaines à une jeunesse dépourvuede repères.A la recherched'un cadrestructurant, les artistesont trouvé égalementdans la religionun instrumentexpiatoire et un moyende canaliserla violence de leurs propos. On peut par ailleurs relever que les référencesau christianismemodèrent généralement le discoursrappé tandis que les rappeurs d'obédienceislamique diffusent des proposnettement plus politisés et nationalistesl66. On peutégalement expliquer cette intrication du religieuxet du politiquepar une religiositétoute américaine. Les États-Unissont historiquementun payséminemment religieuxoù I'agnosticismeest incompris.Est-il utile de rappelerque les premiers colonsqui fondèrentce qui allait devenirles États-Unis,étaient venus chercher sur I'autrerive la libertéde pratiquerleur religion? La religionoccupe donc une place particulièredans I'imaginaireaméricain et se fraye un cheminjusque dans I'espace politiqueà I'encontrede ce que prévoitle premieramendement de la ConstitutionloT. Le présidentdes États-Unisprête sermentsur la Biblelors de son investiture.De la

165 KoofMoe Dee, 'Pump Your Fist", Knowtedgeis Kng(Jive, 1989). 'uu M"rirn Liu, "Hip Hop's lslamic lnfluence",San Jose Mercury News,22 Apri 2003, relevé sur wwww.guertilafunk.com. 167 Le pr"rier amendementde la Constitutionétablit la séparationde fÉgliseet de fÉtat

150 mêmefaçon, le slogan< In Godwe trust> apparaîtsur la monnaieaméricaine. Le rap est de plus né dans un contextede renaissancereligieuse conservatrice et puritaine apparuedans les années 1980. Les musiciens de rapse rattachentdonc naturellement à cette traditionaméricaine et se conçoiventà I'instardes pasteurset des hommes politiques,comme des guidespour leur communauté.Leurs référencesreligieuses sont égalementindissociables du discoursidéologique qu'ils empruntent aux grands leadersnoirs.

2.1.3.La récupérationdes grands leaders

Followthe leader EricB & Rakim168

Si quelquesrappeurs sont issus d'un environnementsocial politisé,par exempleSpeech, Riley Bootstun ou encoreChuck D dontles parentss'étaient engagés dansle combatpour les droits civiques170, sans oublier Tupac Shakur, dont les parents étaient membresactifs des Black Panthers,lTtrares sont en revancheceux qui affichentde véritablescouleurs politiques. Si beaucoupadhèrent aux préceptesde la Nation Of lslam, seuls quelques rappeurs,comme Paris et Riley Boots, se revendiquentouvertement de groupespolitiques, respectivement des PanthèresNoires et de l'organisationmaxiste{éniniste Young Comrades172.Certains rappeurs < se considèrentcomme des n raptivistsrr"t, desactivistes qui utilisentla culturehip hop pour promouvoirdes idées politiqueset menerà bien des actions

t68 Eri" B & Rakim,'Follow the Leadef, Fottowtl.e Leader(uni,1988). 169 Merbr" de TheCoup. 170 ChuckD andYusufJ ah, FightThePower, Edinburgh: Payback Press, 1997, p. 27. 171 Af"ni Shakur,la mèrede Tupacfut incarcéréeen 1970,accusée de vouloirpréparer un attentatà New York.Enceinte au momentdes faib, elle donneranaissance à son fils,Tupac, un moisapês sa sortiede prison.Tupac grandira en partieau seind'une communaute Black Panthers. (Armond White, Rebe/ forthe heltof it. The lifeof TupacShakur, London: Quartet Books, pp.2,4446.) par "On FromThe Coup. PoliticalActivism "2 Ent avec Boots publié DaveyD, Line With Boots WithinHip "1"n Hop", diffi.tsé sur www.daveyd.com. t73 Wifli"r E. Perkins,"The Rap Attack', in WilliamE. Perkins(ed.), Drqpin'Science, p. 34.

l5l sociales.A I'heured'un certainimmobilisme des politiquesafro-américainslto, nous verrons que I'engagementpolitique du rap marque partiellementun retour à la militanceactiviste des années 1960. l-e mouvementhip hop a en effet réveillél'idéologie des grandsleaders afro- américainsdont profitentaujourd'hui leurs héritiers spirituels, Jesse Jackson et Louis Farrakhan.Les artistesse réfèrentconstamment aux grandesfigures charismatiques noirescomme Martin Luther King, Elijah Mohammad, Malcolm X, StokelyCarmichael, MumiaAbu-Jamal, Marcus Garvey ou encore Nelson Mandela.lls leur rendent hommageexplicitement, ou mêmecontinuent à diffuserleurs messages en intégrantà leurscompositions des citations ou extraitsd'allocutions. La plupartdes MCs adhérent néanmoins à unedoctrine politique aux contours nébuleux.Leur discoursse veut avanttout référenceet témoignagede respectaux grands leaderset prend souventla forme d'un patchworkidéologique. ll est très courantqu'un seul et mêmeartiste se revendiqued'une part de la Nationof /s/amsans renier son attachementaux Black Pantherset tout en dédiantson album à Jesse Jackson.Les rappeursqui se disentnationalistes sont moinsattachés aux grandes théoriesrévolutionnaires de Max ou de Bakounine,qui ont influené au niveau théoriqueles luttes socialesde leurs aînés. Leur discoursest plutôt une réaction spontanéeet identitaireà la détressedes ghettos. En effet, la générationdes rappeursse réfèreà ses aînés, mais n'est pas confrontéeà la mêmeréalité sociale et économique,d'où son refusen règlegénérale d'êtretributaire de quelquepartique ce soit.Lorsqu'ils réhabilitent les anciens héros de la consciencenoire, même les plus controverséscomme Marcus Garvey ou Malcolm X, les rappeursrendent avant tout un hommageaux acteursd'une lutte noble,et poursuiventsymboliquement le combat du mouvementdes droitsciviques. A I'image de Martin Luther King et de MalcolmX, les rappeurssont divisés par ailleursen séparatisteset intégrationnistes: < Talk aboutFarrakhan, nigga you got to call Jesse Jackson/Forsome Affirmative Action >17s. Les rappeursse réfèrentaux hommespolitiques en les évoquantnommément ou à traversla citationde leursdiscours. En 1983, Keith LeBlancpublie < No Sell

tto Si grandleader n'est apparuau coursdes années1980, cette décennie a été marquéepar un net prcgrès"r.un àe b représentrationpolitique des Noirs. Le nombre d'élus locaux a notammentcrÛ considérablement.(Nicole Bacharan, op. cit., p.258.) 175 LL CoolJ, "TheRipper Strikes Bacl(, SuruivatOf Thetltesf (Def Jam,1998).

r52 Out>176, le premierhymne à la gloirede MalcolmX et toutpremier sample du discours le plus populairede MalcolmX : < lf you'reafraid to tell the truth,God - You don't deserveeven freedom ). DepuisPublic Enemy n'a pas hésitéà emprunterles extraits les plus révolutionnairesdu maître à penser du nationalismeafro-américain, en reprenantà titred'exemple cet extraitde discours: lf thegovernment will not protect us or defendus or mindthose who have brutalized us and madeus the victimsfor the past400 years, then it is timefor us to do whateveris necessaryto defendourselves."t

DansI'ensemble, les MCsvouent un culteà MalcolmX qui apparaîtcomme la seule référencepolitique. ll est bien sûr difficiled'évaluer leur véritable degré d'adhésionaux théoriesutopistes du séparatisme.Si tous ne prônentpas la rupture totaleentre communautés noire et blanche,cette prise de positionradicale confirme le rôle d'agitateurspolitiques que veulentendosser les rappeurs.Ainsi lorsque Chuck D se proclamelui-même < Followerof Farrakhan,rttt, sa démarcheva plusdans le sens d'uneconscientisation que dans le sensd'une véritable révolution. Reprenantla pensée de MalcolmX selon laquelleles Noirs étaient plus < égaux> avant I'abolitionde I'esclavage,Sister SouljahlTe, disciple de la Nationof lslam,pousse la provocationjusqu'à réclamer la ré-institutionde l'esclavagedans un rap cyniqueintitulé < The FinalSolution : Slavery'sBack ln Effect,rt*. La plupartdes rappeursse démarquentalors de la politiquepacifiste (< Black Folk can't be non- violentnow ,rttt; et intégrationnistede MartinLuther King : And no moresong and dance Likewe shallovercome, and ain't got no chance Ya'llstuck on'l havea dream' Needto putyour picket sign down and get on theteam Standup anddo something Stopbeggin for a meal,cause everything is real Niggalook at yourself,you in hell Claiminwelfare, or shouldI sayfare well182

ttu K"ithLeBlanc,'No Sellouf (TommyBoy, 1983). Citédans Mary Ellison, op. cit.,pp.20,73. 177 'Dissing 'Masked Er"rpl" cité dans Todd F. Tietchen, Baudrillard:Public Enemy and Foucault's Othe/, Sfudiesin PopularMusic, XXll: 3., 1999. tt8 prbfi" Enemy,'Don'tBelieve the Hype",tt Takesa Nationof Miltionsto Hotd lJs Back(Def Jam, 1988). 179 'sou1ah"signifie par ailleurs en eôonics"soldief . tto Sirt", Souljah,'The FinalSolution: Slavery's Back in Effect', 360 DegreesPower(Epic,1991). t8t P"ri., "Coffee,Donuts and Death",Sleeping With TheEnemy (Scartace, 1992).

153 Les allusionsà MartinLuther King, même si ellesdemeurent révérencieuses (< By The Time I Get To Arizona,rtt';, n'en sont pas moinscritiques. Le reproche qu'onluifait, et à traverslui, à unepartie de la générationdes activistes du mouvement des droitsciviques, est celuid'avoir cédé à la propagandeblanche et d'avoirminé le 'The combat des Afro-Américainsle:< Every January 16th, it's Dreamer,The Dreamef/.../Andwhat did he dream?lt stuckhim right there >>185' De nombreux rappeurssoutiennent également les leaders de I'actualité politique.Ainsi a-t-il enregistré en 1984< Jesse,rt8u, un rapde soutlenà la campagnede JesseJackson. KRS-One est aussi l'un des nombreuxrappeurs à soutenirla libérationdu prisonnierpolitique Mumia Abu-Jamal dans < FreeMumia rr"' . En dépitdes divisions du mondepolitique noir, certains rappeurs engagés mais modérés,ne veulentpas répéterI'erreur d'une trop grande rivalité politique à I'intérieur de la communauté et appellent les différents partis à former une force monolithique: < Unitedwe stand,yes divided we fall/Togetherwe canstand tall >188. Une minoritéde rappeurspuise toutefois son inspirationdans le discoursultra- nationaliste,notamment celui des BlackPanthers.lsn Ces dernierstrouvaient dans les écritsde FrantzFanon la matièrede leurdiscours idéologique et avançaientque seule la dynamiquerévolutionnaire du lumpenproletariatpouvait renverser par la violencele dispositif< colonial>. Touten étantmembre de la Nafionof lslam,Paris, originaire de Oakland, fief du mouvementdes Black Panthers,adopte le militantismedu mouvementtto.ll met en musique la politiquedes PanthèresNoires prônant la révolutionviolente, dans I'espoirde lui trouverune plus large diffusion'st.D'autres

tt'K"., "NevaAgain" , NevaAgain (Atlantic 1993). un jeu de mots sur la polémique dl refusdu "'"t, The Time I Get To Arizona"est aussi .autour gouvémeurMeacham à accorderun jour de célébrationà la mémoirede MLKJr. (MichaelEric Dyson, ÉetweenGd and GangstaRap: Weaing Wifnessto BlackCulture, New York: Oxford Universi$ Press, p' 167.) pubfic Enemy,'By The Time I Get To Arizona",Apocalypse 91... The EnemyStnTes Black (Def Jam, 1991). tto C" reprocheest à I'odgineceluides militants radicaux du BtackPower.(Nbole Bacharan, Histoire des Noirsaméricains au 20èmesrècle, Bruxelles : EditionsComplexe, 1994' p. 191.) ttu f"" Cube,"Enemt', Lethatlniection(Priori$, 1993). 186 'Jesse" Gr"ndtasterMelle Mel, (SugarHitl Records,1984)' tSt KRS-on",'Free Mumia', KRS-one (Jive, 1995). '88 Pubfi"Enemy, "Brothers Gonna Work lt Out, Fearof a BtackPlanet (Def Jam,1990). ttt voir.note 370, p. 89. 190 Oliui",Cachin, "Sous les bombesPans", L'Affrche, Hors-Séde N'2, 1997,pp.26i27. 191 Pubfi"Enemy, 'Brothers Gonna Work lt Ouf, Fearof a BtackPtanet (Def Jam, 1990).

t54 artistesplus confidentielsrevendiquent une idéologiemaxiste{éniniste, comme par exemplele groupeThe CouP. Les rappeursnationalistes expriment dans I'ensemble les deuxexigences de la communautéafro-américaine < à déterminer[son] propre destin d'un pointde vue à la fois économiqueet politiqueutn'. Leur discours se réfèreainsi au programmedu Black PantherParty qui invoquaiten 1966: (WE WANT Freedom.We want powerto determinethe destinyof our BlackGommunity. We believethat black people will not be freeuntil we are ableto determineour destiny> :1e3 'Causewe rumble Fromour lower level [...] 'Causethe brothers in the streets are willing to workit out[...] 3 Stonesfrom the sun Weneed a pieceof thisrock [...] Wegonna work it outone daY Tillwe all get paid The rightway in full,no bullls

Les membresde PublicEnemy, sumommés aussi < The Black Panthersof Rap>1s5 se limitentquant à eux à mettreen scèneI'esthétique des PanthèresNoires, s'exhibantsur scène dans des attributsvestimentaires paramilitaires et s'organisant selonun modèlehiérarchique militaire. Ainsi Professor Griff a-t-il été désignétt Minister of Informationn, ChuckD est n Messengerof ProphecyD ou ( LyricalTenorist n, S1W est < Securfy of the FirstWorld n, TerminatorX est <>.1e6

Si le discourspolitique des rappeursest syncrétiqueet parfoisconfus, leur proposreste néanmoins tranché et va dansle sensde la prisede consciencepolitique. Les rappeursaspirent ainsi à mobiliserleur auditoire, voire à remobiliserune nouvelle générationde leadersafro-américains.

192 Eri. Gonzalez,op. cit.,p.180. ttt E*traitet exemplesuivant cité dans Eric Gonzalez, q. cit.,p.180' ts Prbli" Enemy,"Brothers Gonna Work lt Out, Fearof a BtackPlanet (Def Jam,1990). ttu Jufi"n L. D. Shabazz, The tJnitedSfafes Vs. Hip hop: The Histoicat & PoliticatSignifrcance of Rap Music,Hampton: United Brothers Communications Systems, 1992, p. 10' "u u"u*. publicenemy.com.

155 2.2. Nouvelactivisme politique

Theartist and the politicalactivist are one. They are bothshapers of thefuture reality. LarryNeallsT

2.2.1. Discoursanti-hégémonique

Blackhistory - whitelie Blackathletes - whiteagents Blackpreacher - whiteJesus Blackdrug dealer - whitegovernment Blackentertainers - whitelawyers Blackmonday - whiteChristmas Blacksuccess story - whitewife Blackpolice - whitejudge Blackbusiness - whiteaccountants Blackrecord co - whitedistribution Blackcomedians - white media Blackpoliticians - white president Blackgenocide - whiteworld order So whatchasayin Whiteman's heaven is blackman's hell. PublicEnemy, < WhiteHeaven/Black Hell >1e8

Dans cette très sobre litanieintitulée < White Heaven,Black Hell>>, Public Enemyinsiste sur la divisionraciale, économique et socialequi perduredans les faits aux Etats-Unisen dépit d'une égalitéde droit. Cette visionbipolaire de la société américaineconstitue une constantedu discoursrappé. A traversleurs rimes ciselées, les rappeurscontestataires attaquent ainsi tout ce qui touchede près ou de loin à I'hégémonieblanche. Le groupemet ainsi à mal I'imagedes États-Unisen s'en prenant avec cynisme aux symbolesimpérialistes américains dans <. En citant musicalementla versiontriturée qu'en fit Jimmy Hendrixen 1969, ils parodientavec inévérencele < Star-SpangledBanner > et le serment d'allégeance:

(eds.), "' ,^, NealandMichaelschwarE op. cit.,pp.22-23' t98 Pubfi"Enemy, "White Heaven/Black Hell", Muse Sick-N-HourMe.ss Age (Def Jam, 1994).

156 Landof the free Homeof thebrave [...] The redis for bloodshed The blueis for the sad asssongs We be singinin churchwhile white man's heaven is Blackmans hell The starswhat we way whenwe Got ourass beat Stripeswhip marks in ourbacks Whiteis for theobvious Ain'tno blackin thatflaglse

Dans la lignée de l'idéologie Btack Powefoo, les rappeurs amènent leur communautéà renouer avec leurs racines et leur culture, dans le but d'y trouver une nouvelle identité politique. Gelle-ci nécessite le refus d'adhérer aux symboles dominantsde la culture hégémonique.En affirmantleur différence,ils refusent de se laisser soumettre culturellementet par extension, politiquement.Public Enemy diaboliseainsi dans < Fightthe Power> la cultureblanche : Elviswas a heroto most But he nevermeant shit to me,you see[...] I'm Blackand I'm proud I'mhyped and I'm amped Mostof my heroesdon't appear on no stamps2o'

Bien que les mass media aient joué un rôle décisif dans le développement spectaculairequ'a connu I'industriedu hip hop'o', les rappeursles intègrentdans la catégoriedes instrumentsde domination.La télévision,qui règne en maître dans les foyers américains,est la principalecible. DisposableHeroes of Hyphoprisymettent en garde contre I'effetanesthésiant de la télévision,cette dernièrenounissant une vacuité intellectuelle: Television,the drug of the Nation Breedingignorance and feeding radiation[bis] t...1 TV, it Satellitelinks Our UnitedStates of Unconsciousness r...1 TV is thereason why lessthan 10 percent of our Nationreads books daily

t99 Prbli" Enemy,'Ain'tnuttin Buttersong', Muse Sick-N-HourMess Age (DefJam, 1994). 2oo voil.définition note 307, p. 79. 'ot Prbfi" Enemy,"Fight the Power,' Fearof a BlackPtanet (Def Jam, 1990). 'o' L'"rror du rap est redevablesurtout à la dift.rsionde vidéo-clipssur les chalnesmusicales comme MTVou les chaînesspécialisées de musiqueafto-américaine (BET, Vibe Network),mais aussi le radios.

157 Whymost people think CentralAmerica MeansKansas Socialismmeans unamerican AndApartheid is a newheadache remedy I...1 TV is mechanizedpolitics Remotecontrol over masses t...1 TV is it thereflector or thedirector? Doesit imitateus? Ordo we imitate it ?...203

Lesmédias suscitent la suspicion.En leurreprochant de pacifieret de contrôler les masses,les rappeursrecherchent I'effet psychologique produit par les termesde I'humiliation.Le traitementmédiatique ou politiquedes phénomènessociaux est ainsi comparé à un < esclavagemental > (< slave mentality>), une ( colonisationde I'esprit> (< mind control>) dont il faut se détoumer.Les MCs déplorentde plus I'abrutissementdes programmesde télévision(< SheWatch Channel Zero >>2M7. C'est ce que dénonceégalement I'interpellation de PublicEnemy <ræ6 par les médias et, par extension,les Blancs.Le groupecondamne les moyensmis en ceuvrepour véhiculer une imagedépréciative des Noirs.Les médiassont des moyensde communication contrôléspar les Blancs.Dans un martèlementde mots,Carlton D. Ridenhour,alias Chuck D, cherche à démontrerI'existence de manipulationset pointe du doigt I'influenceque ce traitementmédiatique peut avoir sur les prejugésraciaux : Theminute they see me, fear me I'mthe epitome - a publicenemy Used,abused, without clues I refuseto blowa fuse They even had it in the news2oT

En donnantune image faussement monolithique du tissusocial des rnnercifies, les médiasportent en effetune lourderesponsabilité dans I'emballementde la spirale de la stigmatisationqui tendà fairedes jeunes Afro-Américains des criminels :

203 Dispo""bleHeroes Of Hyphoprisy,"Television, The DrugOf The Nation",Hypærisy ls lhe Greatest Luxury(Fourth & ,1992). '* Publi" Enemy,"She WatchChannel Zero", lt lakes a Nationof Mitlionsto Hotd us Back(Def Jam, 1s88). 'ou G"org". Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cÉ.,p. 50. '06 tnid. 'ot Publi" Enemy,"Don't Believethe Hype",tt Takesa Nationof Mitlionsto Hotd us Back(Def Jam, 1988).

l5E Getme the hellawaY from this TV All thisnews and views ate beneathme Causeall I hearabout is shotsringin' out Aboutgangs puttin' each other's heads out'08

Les radios noires subissent également des critiques acerbes de la part des artistes rap, puisque beaucoup refusent de diffuser des raps engagés ou explicites, voire les censurent: Radiostations I questiontheir blackness Theycall themselves black but we'll see if theyplay this Turnit up! Bringtha noizelme

Les rappeurs s'attaquent également aux représentantsdes ligues de vertu, entre autres Lynne Cheney et Dolores Tucker,21oqui remettent en cause la liberté d'expressiongarantie par le premieramendement de la Gonstitutionaméricaine. lce T interpellequant à lui les gardiens de la liberté d'expressiondans < Freedom of Speech rr"t. En réponse à la condamnationdont fut I'objet 2 Live Crew en 1989212, Luke Campbellet ses acolytesrèglent leurs comptes avec le Congrèsaméricain dans un album intitulé Bannedtn The \JSA213: Thefirst amendment gave us freedom oÏ speech Sowhat you sayin'?it didn'tinclude me? 1...1 Wisenup,'cause on electiondaY, We'llsee who's banned in the USA!214

Par extension, les rappeurs < politiques> répudient avec véhémence la bourgeoisie noire à la ccCosby Show n215qualifiée de n sell-outn puisqu'elle aurait tourné le dos à sa communautéet qu'elle renierait sa négritude.Grâce aux progrès socio-économiques qu'a connus la communauté afro-américaine ces quarante dernières années, est apparue en effet une classe moyenne solide et bien installée

'ot Pubfi.Enemy, "Bum Hollywood Bum,' Fearof a BtackPtanet (Def Jam, 1990). '09Pubfi"Enemy,'BringTheNoise", Apocatypsegl...TheEnemySfnkesBtack(DefJam,1991). 210 Voi, égalementà proposdu PMCR,p.408, p. 99. 211 1""T, "Freedomof Speech",The tceberg/Freedomof Speech(Sire' 1989). 212 voirà proposde 2 LiveCrew, première partie pp. 99-100. en reprenant "3 L. pochettede I'albumrappelle également le droitfondamental à la libertéd'expression le premieramendement de la Constitutionaméricaine. 2t4 2Liu"Grew,'Bannedin The USA",Banned ln The USA(Atlantic,1990). 'Fuck A DamnThing Changed (Priority, 1991). "U W.C. andthe MaadCircle, My Daddy",Ain't

159 dans la sociétéaméricaine"6, mais qui, pour ce faire, a fini par s'éloignerdes classes inférieures.Si bien que I'on parle aujourd'huicouramment de < deux Amériques noires,r"t. Dans un rap intitulé< Ya' Strugglin')218,KRS-One intègre un extrait du discours de I'activisteKwame Touré21e: < Africans in America try to identifytotally to their mastersin everyrespect... They will go to all extremesto do it...>, puis enchaîne les rimes suivantes: Areyou ashamed of originalblack? lf not,why does your haJr look like that? Whyis yournose straighter, from surgery? I thinkyou're really in a stateof emergency. You'renot sane...

Ces < Noirs malgré eux rr"o, comme les définissaitEldridge Cleaver2", sont accusés eux aussi d'être responsablesde l'aggravationde la situation des ghettos, notamment la petite bourgeoisie qui les a fuis au profit de banlieues mieux fréquentées,privant ainsi les classes inférieuresde leur influencepositive et entraînant la mort économiqueet socialedes ghettos.Pour les rappeurs,c'est un leurre de croire que les Noirs issus des classes supérieurespuissent jamais être considérésd'égal à égal par les Blancs: Movingout your neighborhood [...] Youwanna be whiteand cornY Livingway out 'Niggergo home',spray-painted on yourhouse [...] Stopbeing an UncleTom, you littlesell-out ['..] Blackman can't be no YuPPie You puton yoursuit and tie andyour big clothes Youdon't associate with the Negroes Youwanna be just like Jack ButJack is callingyou a niggabehind your back So backoff genius I don'tneed you to correctmy brokenEnglish [.'.]222

à I'heureactuelle près d'un tiers de la populationnoire "u Lu middleclass noireaméricaine repésente contre13% en 1960.Ses revenusdemeurent néanmoins inférieurs aux ménagesdes Blancs.(Nicole Bacharan,op. cit.,PP. 263, 265.) nDeuxAmériques noires séparées par les injusticesde l'économie", "' Voi, à ce sujet Serge Halimi, Le Mondediplomatique, octobre 1992. 218 BoogieDown Productions, "Ya Strugglin",Edutainment(Jive, 1990). 219 Ali". StokelyCarmichael. Voir note 307, p. 79. 220'reluctant black'. EldridgeCleaver, Soul on lcg NewYork: Dell Publishing,1968, p' 99. t" EtdriOg"Cleaver était le Ministrede l'lnformationdes BtackPantheæ et l'un des orateursles plus tralentueuxde sa génération. 222 lnGube, "Trueto the Game', DeathCeftificate(Priority, 1991).

160 lce Cube223se contenteici de reprendrela croyancepopulaire lancée en 1957 par le sociologueE. FranklinFrazier dans son étude sur la middte c/ass noire américaine,à savoirque la bourgeoisieafro-américaine accepte sans conditionles valeurs de la bourgeoisieblanche car elle ne s'identifiepas réellementaux

,, nègres >.220 Le racismeanti-blanc, même s'il n'est pas un sujet rap en lui-même,est implicitedans l'ensemblede leur réquisitoire.Quelques rappeurs extrémistes se réserventmême le droit d'être racisteset choisissentla carte de la provocation subversive,en affichantà l'égard des n whiteys> un racisme outrageantmais symbolique,qui n'a rien à envieraux auteursgangsta:25. D'autres encore mettent en scène avec sarcasme le racisme blanc afin de mieux le dénoncer.Dans un morceautrès subversif< Hate,r'*, OrganizedKonfusion rappent le point de vue d'un jeune néo-nazi.l! est ici importantd'insister sur I'aspect symboliquedes prises de positionracistes, contre-pied à la traditionaméricaine anti-noirs: Kneeltoyour master nigga, invoke the strongest emotion Knownto mankindhate! Youare sadly mistaken if you think my aryan race Canbe taken out by the likes of youApes, Kikes227

En dépitd'une forte revendicationde leur personnalitéafricaine, bon nombre d'artistescombattent I'inertie afro-américaine, en appelantégalement les minorités ethniquesà formerune coalitionafin de renverserI'ordre hégémonique. On peut en effetlire sur le livretd'un album de lce T en guisede dédicace: This albumis dedicatedto all the peopleof color throughoutthe entire world:Asian, Latino, Native American, Persian, lndian, African, Aboriginal and

223 1". Cube qui était membredu groupe gangstaNWA, est plus connupour être un artistede gangsfa rap,son discoursest néanmoinslargement politisé. plus que "o L." généralisationsinitiées par Frazierne sont pourtant d'actualité.S'il est vrai cette bourgeoisiea une responsabilitécertaine dans I'appauvrissementgénéral des classesouvrières, on ne peut affirmerque la middleclass continue à se différencierdu restede sa communauté.Des étudesont prouvéque les entrepreneurset la bouqeoisieafro-américains s'engageaient socialement et avaientdes activités philanthropiques.lls redistribuentleurs richessesà travers des æuvres de charité ou en employantpar exemplede manièredisproportionnée des Afro-Américains.(Susan Anderson, "African AmericanWealth", www.afgen.com; E. FranklinFrazier, Black Bouryeoisie:The Rlse of a New Middle Class,Carmichael, CA: Touchstone Books, 1957.) 1992). "u Sirt", Souljah,"The Hate That Hate Produced', 3@ Degrcesof Power(Epic, 226 OrganizedKonfusion, "Hate', Equinox(Priority,1997). ,r, lnid.

16l othernationalities that white supremacists would love to seeborn dead. We are minorities!We are the majorityl Unity between oppressed qgople is thetrue fear of theenemy. Divide and conquer is their tactic. Unity is ours.'28

Fait nouveau,apparu ces dernièresannées, les rappeurspolitiques réagissent désormaisà I'actualitépolitique intemationale et condamnentla politiquehégémonique étasunienne.Depuis le débutde I'engagementdes États-Unisen lrak,de nombreux artistesont composédes morceauxen faveurde la paix.Public Enemy a notamment sorti,en pleinconflit irakien, un singleintitulé < Son of a Bushrr'*, dans lequelle groupemet en doutela crédibilitédu présidentet la politiqued'ingérence du pays.A plusieursreprises, des artistesse sont rendusen Palestineet ils sont nombreuxà manifesteren faveurde la créationd'un état palestinien. Paris,rappeur nationaliste et de confessionmusulmane, a sortien 2003 un album intituléSonic Jiha&3o,dans lequelil condamnele discoursbelliqueux et fabulateurde la < guere contrele terrorisme) que le gouvernementdiffuse, relayé par les médias.Avec un goût prononé pour Ia provocation- la pochettede I'album représenteun avionen trainde s'écrasersur la MaisonBlanche -, il évoquedans cette oeuvrepamphlétaire le < NouvelOrdre Mondial >, condamnantle rôlede gendarmedu mondeque s'octroientles États-Uniset leur propagandemilitaire. Sur le morceau ( AWOL,r23', Paris met en scèneun soldatenrôlé dans I'armée américaine qui, après s'être laisséemporter par la fibre patriotique,s'interroge sur le bien-fondéde cette guerre.ll n'hésitepas non plusà souleverdes thèsespolémistes, mais partiellement pertinentes,quant à la responsabilitédirecte de I'administrationBush dans les attentats du 11 septembre2001. Dans << What Would You Do?>, le MC resteplus que jamais en phaseavec I'actualité politique, rappant d'un ton péremptoire:232 fromthe government, like every day I seea message 'em lwatchit, and listen, and call allsuckas orwhatever Theywarnin' me about Osama 'never' Pictureme buyin' this scam I said [...] It'sall a partof fightin' devil state mind control Andall about the battle for your body mind and soul Andnow l'm hopin'you don't close ya mind - sothey shape ya Don'tforget they made us slaves, gave us AIDS and raped us

1992). "t too, Gount,"KKK Bitch", Bdy Count(Itlamer, (Koch "t Publi"Enemy, "Son of a Bush" records,2003)' tto P"rir, SonicJihad (Supenappin, 2003). 'AWOL", (supenappin,2003). "t Prri., SonicJihad polémique au mieuxses thèses,Paris a accompagnéla sortiede son "' Aîn d'évitertoute et d'étayer afbumSonjc Jihad d'ure sommed'informâtion diffusée sur sonsite officielquant à ses prisesde position' Voirwww.guerillafu nk.com

162 AnotherBush season mean another war for profit All in secretso the publicnever think to stopit The llluminatitriple 6 all connected Stolenvotes they control the raceand takeelections It'sthe Skulland Bones Freemason kill committee Seethe Dragongettin'shittier in every city[...1 Noweven niggas wavin'flags like they lost they mind Everybodygot opinions but don't know the time 'CauseAmerikkka's been took - it'splain to see The oldesttrick in the bookis makean enemy A phonyevil so the governmentcan do itsdirt And take awayya freedomlock and load,beat and search Ain'tnothin'changed but morecolored people locked in prison 233 Thesepigs still beat us butit seemwe forgettin'.

En condamnantde vive voix les autorités,les médias, la bourgeoisieet tout ce qui est synonyme d'hégémonieblanche aux yeux de la communauténoire, les rappeursont en premier lieu la volonté d'éclairer leur communauté.lls espèrent alors transformerla résignationet le pacifismetraditionnelen une révolteconstructive.

2.2.2.Critique du gouvemementet de son systèmegénocidaire

Le messagedes rappeurshardcore et nationalistess'inscrit dans un rapport conflictuelavec le pouvoirdominant, I'esfabfshmenf, toutes les formesde pouvoirqui entraventla libertéet I'ascensionsociale des Afro-Américains.lls poussentdorénavant la colèreà un échelonsupérieur en incriminantles responsablesde la décadencedes Afro-Américains: le gouvernement,ses institutionset le processusrépressif et génocidairequi en découle. Leurrage s'exprime essentiellement à I'encontrede la formela plusvisible de I'autorité:la policeet la justicequi constituentses principauxagents et auxquelsils sont confrontésau quotidien.A traverscette aversion,ils dénoncentde manièreplus généraletoutes les injustices,I'attitude répressive et inégalitairedes institutionsvis-à- vis de la communauté. Les rappeursentreprennent avant tout de démythifierle rêve américain,en rappelantla longuehistoire de génocidequifut à I'originede la créationdes États-Unis d'Amérique.Public Enemy interroge I'Amérique sur le bien-fondéde sa < découverte> dansun morceauprovocateur intitulé < HitlerDay > : 500years ago one man claimed To havediscovered a new world Fivecenturies later we the PeoPle

233 P"ri", 'l/\thatWould You Do?", SonicJihad (Supenappin, 2003).

163 Areforced to celebratea blackholocaust Howcan you call a takeover A discovery23a

Les MCs protestentde la sorte contrela manièredont la sociétécapitaliste continueà exploiterles Noirs,en augmentantleur dépendance vis-à-vis de biensde consommationsuperflus. En effet,si le hip hopa vu le jourau seind'une société de consommationde masse,ses auteurstiennent des proposvéhéments contre cette même société.Pour les MCs, I'idéalpublicitaire invite à la surenchèrede signes extérieursde richesseet alièneune jeunesse frustrée"u : ., Want to be a star/Drivea bigcar/Live bourgeois... >. Le rôle médiateurdes rappeursles incite à interpelleren premierlieu les responsablespolitiques. Leurs principauxpoints de mire sont les administrations républicainesdont ils rappellentles responsabilitésdans I'histoire de I'exploitationdu peuplenoir: It'snot the fault of theblack race that we are misplaced We'rerobbin'and killin', your own medicine you taste Youbuilt up a raceon the concept of violence Now in'90 you want silence236

Les rappeursépargnent également peu I'administrationClinton et ses nouvelles compressionsbudgétaires concernant les aides sociales: BillClinton, you gon feel me Takin'welfare from ghetto children That'swhy every hood infected and lookin blurry I meanevery homie I knowin thedope game We sellit, butwho makes the cocaine?237

Dans un rap intitulé< The Evil that Men Do >, Queen Latifah pose quant à elle son regard de femme sur la situation des ghettos et critique la politique du gouvernement: A womanstrives for a betterlife Butwho the hellcares Becauseshe's livin'on welfare Thegovernment can't come up witha descenthousin'plan So she'sin a no man'slandæ8 t" Prbli. Enemy,"Hitler Day", MuseSick-N-HourMess Age (DefJam, 1994). "u Ri"h"rdShusterman, op.cit.,p. 198. 236 Boogi" DownPrcductions, "Blackman's In Efiecf, Edutainnrent(Jive,1990). '3' Mr.Serv-On,"Heaven ls So Close",Life lnsunnce(Priority,1997). "t Qr""n Latifah,"Ladies Fiæt, AttHait The Queen(TommyBoy, 1989).

tg Les rappeursqui accusentle gouvemementde ne pas menerune meilleure politiquesociale, dénoncent paradoxalement le processusqui contribueà faire des Noirsdes assistés,leur ôtant ainsi tout amour-propre:23s. Les rappeursne ménagentpas non plus le couplejustice-police à traversdes rimesqui ne font que refléterla réalitédes vexationsquotidiennes. lls condamnent ainsi le cercle vicieuxde < soumission-répression>, dans lequel les institutions enfermentles plusdémunis. La violencerépressive des forces de policeest comparée à une guerreethnocide: < ... the governmentsold us drugsand chargesto cleanus up ,r'oo,rappe avec rancæur Mystical. lls imputentdirectement au gouvernementI'intensification du trafic de drogue faisant rimer < Crack House) avec < White Houseu'o'. Les administrations républicainesayant échoué dans leurtentative d'enrayer le traficde cocaineau cours de la très médiatisée,mais peu efficace<< War on Drugs,r'o', les rappeursproposent, eux, des mesuresconcrètes. lls tententde démontrerque l'< épidémiedu crack> (<12a3 qtJ'a connu la communauténoire entre 1985et 1991fut un piège tendu par les Blancs: <. L'alcoolsubit le même traitement,les rappeursaffirment qu'il a été introduit dans le ghettodans le but de pacifieret de contrôlerles Noirs.Public Enemy en veut pour preuveque les boissonsvendues dans les ghettossont meilleurmarché, plus alcoolisées,voire frelatées, comme le groupetente de le démontrerdans < 1 Million BottleBags > : Yoblack spend 288 million Sittin'therewaitin'for the fizz Anddon't know what the fuck it is [...]

(TommyBoy, 1991)' "t P"rir,'The DevilMadeMe Do lt", Ihe DevitMadeMe Dolf 240 Mystical,'Ghettochild', lJ nprcdictible(Jive, 1 997). 'ot Publi" Enemy,"Night of the livingBaseheads', Apocatypse 91 ... TheEnemy Sfnkes B/ack (Def Jam, 1991). 'o' ClifrordA.Schaffer, "Basic Facts About the War on Drugs',publié sur www.daveyd.com. 243 enimpp"Bourgois, "Résistance et autodestructiondans I'apartheidaméricain', Actes de ta Recherche en SciencesSocia/es. Violenæs, Paris : Le Seuil,décembre 1997, p. 61 'oo P^n ,"TheDevilMade Me Do lf, Iâe DevilMadeMe Dolt(TommyBoy, 1991).

165 Besidewhat's inside ain't on the label Theydrink it thinkin'it's good Butthey don't sell that shit in the whiteneighborhood2as

S'ilsdisculpent les dealers,eux-mêmes victimes d'un systèmemachiavélique (< The hoodgot me trapped,I'm a victimof thisghetto ,r'0u1, les rappeursles accusent toutefoisde participerdirectement à la décadencede leur propre communautéau mêmetitre que les Blancs: < Likethe caucasiansdid >247. Les MCs exprimentavec obstinationune méfianceinvariable à l'égard de I'hégémonieblanche quelle qu'elle solt. Le caractèreparanoi'aque parfois fabulateur du discoursest un phénomèneendémique de la mythologieurbaine afro-américaine. Les rappeurs,tout comme une partie de la communauténoire américaine, ont tendance à imputersystématiquement le < génocide> afro-américainà I'Amériqueblanche, ses représentantsou ses alliés.24 Lorsqu'ilsne parviennentpas à structurerune argumentation,les rappeurs, inspirésalors par la Nationof Istamet son < goût sectairepour I'hermétisme>r2ae énoncentI'idée d'un complotabstrait et d'unemain-mise insaisissable (< The devil playsmad tricks on yourmind ,r'uo, ,, ourfoe is welldisguised ,r'ut, ,, nowthe KKKwear 3-piecesuit >2s21,qu'il faut combattre,n'hésitant pas à invoquerles forcesoccultes tellesque la franc-maçonnerieou autressociétés secrètes (Sku/l and Bones,llluminati, Tripte6,...).'u' La croyanceen un pouvoirpolitique global et mystiqueleur sert à expliquercertains faits sociaux et politiques.'uo

'ou Pubfi"Enemy, "1 MillionBottle Bags", Apæatypse 91 ... TheEnemy Sfnkes Black (Def Jam,1991). 'ot Mr.Serv-On, "Heaven ls So Close",Life lnsunnce(Priofity, 1997). 24' lt"Cube, "A Birdln The Hand", DeathCertifrcate (Priority, 1991). 248 D'aprè, une étudefaite en 1990,un tiers des Afro-Américainspensaient qu'il était plausibleque le sida ait été délibérémentintroduit dans la communautéafro-américaine, cette demièreétant bien plus 'Rap, touchéeque les Blancs.(Steven Best and DouglasKellner, BlackRage, and RacialDifference', Encufturction,vol.2,No. 2, Spring1999, publié sur http://enculturation.gmu.edu.) 'ot chrirti"nBéthune, q.cit.,p. 17G. 'u0 Srn= of Man,wicked Ways', OneMiltionSfrong (Solar, 1995). 251 Jungl" Brothers,"Black is BlacK, Stnight Out The Jurgle(Warlock,1988). 252 Prbli. Enemy,'Rebirth", Apæatypse 91 ... TheEnemy Stnkes Btack (Del Jam,1991). '5t Voirle morceaude PariswhatWould YouDo', p. 127 2s L'hermétismeet les sociétéssecêtes exercentune éelle fascinationsur certainsrappeurs comme ce fut fe cas dansd'autres mouvemenb musicaux qui I'ontprécédé, comme le funk ouleiazz afro-futuriste.

t6 2.2.3.Activisme hip hop et actionpolitique

Si le rap est devenu< discourssur I'actionet actionpar le discours>2uu,ses critiquesse sont souventinterrogés sur le caractèrevelléitaire de son message, reprochantà ses auteursdits < engagés>> d'avoir un discourscertes radical, mais plus révoltéque révolutionnaire.2suLes rappeursexpriment en effetune volonté d'agir, mais rien n'indiquequ'ils aient la compétence,l'influence ou le désird'accompagner leur discours de réelles solutions politiquesautres que celles de combattre < le systèmerr."t Nous verons que les revendicationsexplicites des rappeurset leur volonténe sont pourtantpas si abstraites,si I'on admet la dimensionactiviste et I'actionpolitique du hiphop. Commele notele grandponte de I'industriehip hop,Russel Simmons, le hip hop est devenu<< le mouvementculturel américain le plus puissantqui ait jamais existé,r'ut, puissanten terme de popularité,mais aussi en termes économiques, puisqueson industriegénère un chiffred'affaires de deux milliardsde dollarspar an, rien qu'auxÉtats-Unis2ut. Cette positionde I'industriehip hop permetà ses acteurs d'exercerun poids estimabledans la vie économiqueaméricaine, en créant des sociétéset desemplois, notamment dans leur communauté. Avec le développementquasi industriel qu'a connule hip hop ces demières années,se sont multipliéesles actionssociales et politiquesd'envergure liées au mouvement.Ces nombreuxprojets sont d'ailleurssouvent réalisés à I'instigationdes représentantsdu mouvementhip hop,que ce soientles ténorsde I'industrietels que RusselSimmons, P. Diddyou encoreMaster P'uo ou les rappeursde notoriétéplus modeste.Cet aspectpermet de mesurerl'importance de la cultureet de I'industriehip hop à I'heureactuelle sur la société(afro-)américaine et la scènepolitique des États- Unis. Le discoursrap exerceen premierlieu une influencedirecte sur la communauté afro-américaine,la diasporanoire et les minoritésethniques dans leur ensemble.

'uu M"ryr" Souchard,op. cit.,p. 258. 'uu Ent avecRobin Kelley et YvonneBynoe. '5t "ti"ns Mrryr" Souchard,op. cit.,pp.102, 105. 258 "Con"lu"ionsof hip hop summit2001" (www.hsan.org.). Et de 5 milliardsde dollarsdans le monde entiersefon la Recordinglndusfry Association of Ameica (www.riaa.com.) 259 "con.lu"ionsof hiphop summit 2001" (www.hsan.oq.) 260 voi, p. 233. "r.ri

t67 Commenous I'avons vu, les rappeursse veulentporte-parole, mais aussi guides pour leurcommunauté. A I'instardes grands athlètes noirs américains, ils sont des modèles de réussitesociale et s'apparententà de véritablesinstruments de socialisationdes massespopulaires. lls deviennentalors des leadersécoutés et respectés.Ce rôle les obligepar ailleursà prendreen considérationcette dimension et donc à modérernon seulementleur discours,mais aussi leurs faits et gestes.La réussitede certains rappeursleurre en effetbeaucoup de jeunesqui ont I'illusionque le rap peutêtre une échappatoirefacile. Les acteursde I'industriehip hop ne se cantonnentpas dans un discours communautaire,ils s'adressentparallèlement au restede la société,c'est-à-dire à la communautéblanche qu'ils souhaitent éclairer. lls sontconscients de I'influenceque leurrap peutexercer sur le jeunepublic blanc et I'utilisentà bon escient,lls savent qu'ilssont susceptibles d'influer sur les valeurs morales et lessensibilités politiques de cette < générationhip hop >æ1qui, en outre, formera les leaders politiquesde demainæ2. Confrontéau phénomèned'< afro-américanisation>>æ3 culturelle de la jeunesse blanche,la sociétéaméricaine ne peutplus ignorer la portéedu messagerap dans son ensemble.De parleur présence et leurpouvoir médiatique, ils sont devenus aux yeux du gouvernementet d'uneAmérique conservatrice une ( menacepour la société>264 pourparaphraser le titrede AboveThe Law.Preuve de la puissancedu phénomène,le rap est depuis sa créationI'objet de tous les débats et de nombreusesattaques, notammentde la partd'institutions gouvernementales et d'organisations de défensede la famiffe(Parent's Music Resource Center, The American Family Associaftbn, Focus

261 B"kari Kitwanaa consacréun ouvrageconsacré à la générationhip hop.(Ihe Hip tlop Generation. young Btacksand theCnsis in Afican-AmericanCulture, New York BasicCivitas Books, 2002.) 'Understanding Simmons'Political Positioning", 3 January2003, www. "' C"dri" Muhammad, Russell blackelectorate.com. Si lbn parlecommunément de "générationhip hop",il convientde préciserqu'il est de plusen plusdifficile de parl'erd'une seule génératioÀde rappeurs. La générationdes-pionniers du rapsont auiourd'hui 40 ans en moyenneet ont unhéritageculturel et socialdifférent des générations qui I'ontsuivie' 263 Cor"l West a mis au jour ce phénomènedans Race Matters.Si I'auteurreconnaît que la musiqueest à I'origine d'un rapproc'hemententre les deux communautés,il observe néanmoins I'ironie du phénomène: ïhis processresults in white youth - male and female- imitatingand emulatingblack male stylesof walkini, talking,dressing and gesticulatingin relationsto others,[...] The ironyin our presentmoment is that juËias yoing black-menare murdereô,maimed and imprisoned_inrecord numbers, their styles have becomedis-propàrtionately influential in shapingpopular culture." (Comel West, Race Matters,Boston: BeaconPress, 2001 (1993), pp. 8a, 88') 'il Abou"The Law,"Menace To Society',Livin'LikeHustlers (Sony, 1990).

168 On Famity)'uu.Ces dernièresremettent en questionte caractèreviolent et explicitede certainsraps. Les disquesde rap jugés < obscènes> et donc inconvenantspour la jeunesse- essentiellementblanche - sontétiquetés266, voire censurés sur I'initiativede ces associations. ll a été révéléen outreque certainsartistes sont sous la constantesurveillance des autoritésaméricaines, notamment du FBI et de la ClA. À la sortiede I'album StraightOutta Compton,les membres de NWAse verrontinquiétés en 1988par le FBI en raisonde leur morceau< FuckTha Policerr"t. En septembre1990, le magazine The Sourcepublie, documents à I'appui,une liste noire de rappeursqui seraient soumisà une surveillanceassidue du FBl, notammentlce T, NWA,Public Enemy, Pariset 2 LiveCrew268. Si I'authenticitéde ces documentsn'a pu être vérifiée,il n'en demeurepas moinsque de nombreuxrappeurs sont I'objetd'attaques directes de la part des représentantsde I'autoritégouvernementale et que leursæuvres font I'objet de débatsparlementairesæe. Le rap est devenumatière à polémiqueet, de plus,les hommespolitiques n'ont pas hésitéà condamnerofficiellement les proposde certainsrappeurs. Ainsi, durant sa campagneprésidentielle, Bill Clintonattaqua Sister Souljah après que la rappeuseeut suggéré,lors d'une interviewaccordée au WashingtonPosfto et en réponseaux émeutesde LosAngeles; < lf blackpeople kill black people every day, why not havea week and killwhite people. >r2" Détachés de leur contexteinitial, ces proposseront à I'origined'un débat virulent à l'échellenationale que le candidatdémocrate exploitera à des fins personnelles.2z2Q6n Quayle,alors vice-présidentrépublicain, condamnera officieflementen 1991 pour insanitésle premieralbum de Tupacintitulé 2Pacalypse

265-..--- _ TriciaRose, qp. cit.,p. 129. Voir à proposdu PMCR,note 408, p 99. 266Ingrid Kerkhofi,'TeachingRap", inW. Kaner& l. Kerkhoff(eds.),Rap, p. 199. 'Fuck "t NWA, Tha Police",Stnight OuttaCompton(Tommy Boy, 1990). 'ut Jrfi"nL. D.Shabazz , op. cit.,p.21. "t D"for". Tucker, présidentedu NationatPditicat Congressof BtackWomen et ferventedétractrice du rap a obtenuune audienceauprès du Congês américainen 1994.Russell Simmons s'est quant à lui invité en 2001 à une séancedu Senafe GovemementalAtrairs Commitee. (Bakari Kitwana,"Senate Hearing Fails To Explore The Root Causes of Violence', August 9 2001, publié sur www.progressive.oq;CedricMuhammad, 'Understanding Russell Simmons' Political Positioning", 3 January2003, www. blackelectorate.com ; Geneva Smitherman, Talkin That Talk, p.217.l 270 'The fnt"rie* publiéele 13 mai 1992 dans le WashingtonPosf, cité dansWilliam E. Perkins, Rap Attack",pp.34-35. "t N"lron George,Hip Hop America,NewYork: Penguin, 1998, p. 171. 27271 on6White, Rebe/ forthe Hellof tt. The Lifeof TupacShakur, London: Quartet Books, p. 77.

t69 Noû'3, dans lequel le gangstarapper narre, entre autres, I'histoired'une jeune adolescentede douzeans quijettepar désespoir à la poubelleI'enfant qu'elle vient de mettreau monde.Un exempleparmi d'autres : lce T devraauto-censurer le morceau < CopKiller >27a à la sortiede sonalbum Body Count. L'un des changementsles plus patentsde ces dernièresannées concerne le tout nouveausoutien que la communautéhip hop apportedésormais aux hommes politiques.A I'origine,le mouvementhip hop ne se voulaiten aucuncas partisanet beaucoupde rappeursont pendantlongtemps rejeté les partispolitiques établis, ne soutenantque partiellementles leadersnoirs qui reprenaienteux-mêmes le discours desgrands leaders charismatiques. Dorénavant,les rappeurssoutiennent les campagnesélectorales des hommes politiques,notamment ceux issusde la < générationhip hop,r"u commeKwame M. Kilpatrick,Ras Baraka"u,Harold Ford Jr, JesseJackson JÉ77, mais aussi d'autres leadersplus confirmés. Ainsi Hillary Clinton a-t-elle été entreautres soutenue dans sa campagnepour I'accession au postede sénateurde l'Étatde NewYork par le HipHop SummitAction NetworÊ78deRussel Simmons, et à traverslui par une partiede la communautéhip hop. Dans un tout autre registre,Paris, fidèle à I'idéologiedes PanthèresNoires, soutient à sa manièrele mouvementrévolutionnaire, en rendantune visiteofficielle à FidelCastro et à AssataShakur2Te, ex-membre des Black Panthers exiléeà Cuba. Par ailleurs,il est permisde penserqu'à I'imagede la communauténoire américaineet par tradition,les acteursdu mouvementhip hop ont dans une large mesureune sensibilitépolitique démocrate et adhèrentdans une moindremesure au parti républicain28o.Tout comme les membresde leur communauté,les rappeurs

"t Tup.", 2PacalypseNow(Jive, 1991 ). "o BodyCount,"Cop Killer", Body Court(wamer, 1992). 275 ll de préciserque le terme de "générationhip hop" ne signifieen rien que ses membres adhérent"onui"ntà cette culture et ses valeurs.Si HaroldFold Jr et JesseJackson Jr reconnaissentI'importance de cette culture,ils ne s'identifientaucun cas au mouvementhip hop. Certainsdes nouveauxhommes politiquesafro-américains aurcnt mêmetendance à se distancierpour des raisonsstratfuiques de cette étiquette"hip hop" parfois dévalorisante. (Entretien avec Yvonne Bynoe.) "u R", Baraka,fils du poèteactiviste Amiri Baraka, est maire-adjointde Newarkdepuis 2002. 277 Fil"duleader Jesse Jackson et députéde l'lllinois. "t voi, plusbas, pp. 173-176. 279 Et "t"nt"' du rappeurTupac Shakur. (Armond White, op. cit , p. 136) "o LL Cool J est I'un des rares rappeursà soutenirle parti républicain,il a notiammentlors de la campagnedu gouvemeurrépublicain George Pataki en 2002.(Reynard N. BlakeJr, 'Beyondthe Bling:A

170 semblentavoir mûri leur réflexionpolitique et ne soutiennentplus systématiquement des candidatsde couleurou hispaniques,de surcroîtdémocrates"t. Dans un articledu New York Times, John Colapinto évoque d'ores et déjà la générationdes < Hipublicans,r"'. Lesleaders politiques afro-américains ont en outrereconnu les talents d'orateur et I'influencemédiatique des rappeurs.Après les avoirfustigés, Louis Farrakhan,Al Sharpton2s3et Jesse Jackson ont ralliéà leurscauses ces artistes.Les politiquesnoirs reconnaissentla fonctionrégulatrice de I'expressionrap et ont trouvé des alliés précieuxen la personnedes rappeursdont les voixont plusde portéeque la leursur la jeunessenoire2e. A I'issuede la victoirede Kilpatrickaux électionsmunicipales de Détroiten 2001,la députéedémocrate Maxine Water reconnaissait : Muchof hip hopculture is bornout of rap aboutconditions of the cities,the problems,the policeabuse and all of that.The rappers have helped to describe what'swrong in oursociety and the needto addressit. That'sa naturallead to politicsand publicpolicy. Now with people like the mayorbecoming part of the politicalprocess, it should all come together, to conuerge.'8s

Ce soutienest réciproque,lorsque les rappeurssont mis à mal par la justiceou la censure,les leaderset certainsintellectuels noirs montent à la charge.Lorsque Time Warner et lce T durent retirer de la vente < Cop Killer>286 sous la pressiondes syndicatsde police,Louis Farrakhan publia un réquisitoiredans < FinalCall >, I'organe de pressede la Nafion of lslam."t Al Sharptonquant à lui renditvisite à Tupacen

Look at Hip-Hop,African-American Leadership & The Black Church: lmplicationsto Afiican-American YouthDevelopment", Joumal of UrbanYouth Culture, February 2003.) -''281 - ^:-^ -rLt-- r^ -^:-- ^- - Des sondagesÉvèlent clairement que la jeunesseafro-américaine adhère de moinsen moinsaux idéauxdes partistraditionnels. Une étude ordonnée en 2000 parle Joint CenterforPolitical and Economic Studiesmontre que 62% des 18-35 ans se considèrentdémocrates contre 80% pour la classed'âge supérieureet 6% républicains.Ce sondagefait ressortirque de plusen plusde jeunesAfro-Américains se sententproches des mouvancespolitiques altematives et se considèrentcomme "indépendanb'. (Yvonne Bynoe,'The NewBreed of BlackPoliticians', 2002, publié sur www.urbanthinktank.org.) tt' JohnColapinto, "The Young Hipublicans", New Yorl

t7l prison288.lnversement, lorsque Al Sharptonpurgea une peine de prison2se,les rappeursont réagi de concertà cette décisionde justice.Cette allianceavec les hommespolitiques est égalementun formidablemoyen pour les rappeursde théoriser et de créditerleurs revendications.*o S'il est vrai que le discourspolitique est parfoisflou, évoquantpêle-mêle afrocentrisme,islam, nationalisme noir, lutte révolutionnaire, voire rastafarisme, et que les revendicationsne sont pas toujoursclairement argumentées, beaucoup de raps sontessentiellement dédiés à l'éveilpolitique du public.Pour baliser et compléterleur propos,ils proposentnotamment tout un appareilparatextuel et hypertextuelque ce soitsur les livretsqui accompagnentles disques,lors de leursinterviews ou encoresur leurssites internet. Les plusgrands noms du rap donnentégalement des conférences ou publientpour certains des ouvragesou articlesdans le but de mieuxdiffuser le messagehip hop. Les rappeurset les rappeusesinterviennent également directement dans le fonctionnementde la société,notamment lorsqu'ils s'engagent personnellement en finançantdivers programmes sociaux. Ces initiativescaritatives sont légionet portent aussibien sur le financementde matérielscolaire et de campsde vacances(Daddy's HouseSummer Camp) que sur des projetsd'insertion sociale (lt'sa's African Youth SuruivalCamp, lnteltigentBlack Women'sCoalition), des actionscontre la violence domestique(Break The Cycle\,des campagnesde mobilisation(Sfop The Violence Movement,HEAL, League of Hip Hop Voters,...) ou encorele mécénatet autres activités philanthropiquesætconformément au parcours et à la sensibilitédes artistes.æ2

288 Tup"" sera emprisonnéà plusieursreprises au cours de sa canière,notamment pour tentative d'assassinatsur policierset harcèlementsèxuel, puis sera acquitté.Après avoir été une premièrefois blessépar balle,Jesse Jackson lui rendraégalement officiellement visite sur son lit d'hôpital. 289 Al Shaçton fut condamnéen 2001 à 40 jours d'emprisonnementpour avoir manifestécontre la présencemititraire américaine sur lïe portoricainede Vieques. 290 Manu"lBoucher,op. cit.,p.181. que noire a depuis son appadtionune longuetradition "t Nou, noteronspar ailleurs la bourgeoisie philanthrcpique. publiesur son site intemetla liste des associationset "'L. RecordingtndustryAssocrafion of America fondationscréés par les artisteship hop. www.riaa.com

t72 Ainsi KRS-Oneet NelsonGeorgeæ3 sont-ils à I'originedu projetcollectif Sfop the Viotenceæoqui accompagneraune c€lmpagnede sensibilisationdu même nom. L'opusqui appelaità I'arrêtde la violencecriminelle, liée essentiellement au traficde drogue,permit de sensibiliserla jeunessedes ghettoset de financernotamment des projetssociauxæs. Les rappeursde la côte Ouest répondrontpar ailleursà cette campagneavec I'albu m We'reAll in theSame Gang2s6 I'année suivante. Ces projetssociaux vont bien dans le sensde la philosophieet I'idéologiehip hop commeune démarchenaturelle. La notionde < givingback (to the community)> est en effet inhérenteau discourship hop. Les rappeursqui trouventdans le ghetto leurtoute première source d'inspiration, tiennent à partageravec lui lesrichesses qu'ils luidoivent. Autre phénomènenouveau, les rappeurss'engagent de plus en plus souvent dans des actionspolitiques concrètes. Ainsi ces dernièresannées, de nombreuses marcheset manifestationsorganisées à I'instigationdes leadersafro-américains ont été largementsoutenues par les rappeurs.En 1995,ils ont été nombreuxà défilerà I'invitationde Louis Farrakhanpour soutenirsa MitlionMan Marchæt.lls dédieront d'ailleursun albumà l'événement:One MitlionStrong, The Atl-StarAlbumæg invitant toutesles vedettesdu rap,tous genresconfondus, à méditersur I'avenirde I'homme noir,son rôleet ses responsabilitésau seinde la famillenoire.æs Cetengagement dans la viepolitique américaine s'est concrétisé en 2001,avec uneautre initiative d'envergure lancée par RussellSimmons,le Hip HopSummit Action Network.Cette organisation, qui rassembledes personnalitésimportantes du monde de I'industriedu disque,de la politiqueet de la cultureainsi que des activisteset des

"3 N"l"on Georyeest joumaliste,réalisateur, historien de la culturehip hopet auteurentre autres de The Deathof Rhythm& Blues,Hip Hop Ameica etBuppies,B-Boys, Baps, and Bohos:Notes on Post-Soul BlackCulture. Voir bibliographie. 'g StopThe Violence Movement,'Self Destruction" (Jive, 1988). '9u L". fruitsde la ventedu disque StopThe Videnceont été versésà la Nationaturban League,une oqanisationqui luttecontre I'analphabétisme et la criminalitéurbaine. (David Dufresne & JacobGÛnther, op. cit.,pp. 129-131.) 296 Th" West CoastRap All-Stars ,We're Attinthe SameGang(Wamer, 1990). 297 'nouvelle Louis Fanakhanpoursuit ainsi I'actionde MalcolmX en tentantde lancerune révolution noire', (Solar, "t V"riow Artisb, OneMiltion Strong: the Att-StarA/bum 1995). 299 E"".pl" donnédans Christian Béthune, op. cit.,p.157.

t73 universitaires3oo,tente de jeter un pontentre le hip hop et la politique.Le HSAtfo1,se veut être un forumpublic de discussiondont I'objectifest de réfléchiraux problèmes liésau ghettoet au développementcommunautaire. Ce réseautravaille sur deuxaxes principaux,la réhabilitationde la jeunessedes ghettos et I'inscriptionde cesjeunes sur les listesélectorales.3o2 Le HSANoeuvre en étroitecollaboration avec, entre autres, le NMCP, I'institut de recherchedes étudesafro-américaines de I'Universitéde Columbia,mais aussi la Nationof lslamet le projetRap the Vote303.Le réseauest à I'originede projetsen tous genres (conférences,manifestations, campagnes de mobilisation,...).A titre d'exemple,le HSAN, en coopérationavec The Alliancefor QualityEducation, a mobiliséen juin 2002dans les ruesde NewYork 100000 étudiantspour protester contreune réductionbudgétaire de 300 millionsde dollarsà I'encontredes écoles publiquesproposée par le nouveaumaire de NewYork, Mark Bloomberg.3@ Sous l'égide du HSAN, les rappeursse sont aussi rassemblésafin de demanderI'amendement des lois antidroguesextrêmement punitives, dites < lois

300L". 'P. membresdu directoirecomptent aussi bien les stiarscomme Sean Diddy'Combs, Damon Dash.des activistescomme Kwest Mfume (NMCP) que des intellectuels(Manning Marable). Le HSAN travailleavec de nombreuxintervenants, notamment Louis Fanakhan et le professeurComel West. 301 "Foundedin 2001,the HipHop Summit Action Network (HSAN) is dedicatedto hamessingthe cultural relevanceof Hip Hop musicto serve as a catalystfor educationadvocacy an! other societalconcems fundamentalto'the well-beingof at-riskyouth throughoutthe UnitedStates. HSAN is a non-profit,non- partisannational coalition oinip Hop artists,entertainment industry leaders, education advocates, civil rightsproponents, and youth babers unitedin the beliefthat Hip Hopis an enormouslyinfluential agent for sôcial'ctrângewhich must be responsiblyand proactivelyutilized to fight the war on poverty and injustice.[...fHSANseeks to foster initiativesaimed at engagingthe Hip Hop generationin _community Aévetopmentissues related to equal accessto high qualitypublic. education and literacy,freedom of speech,voter education, economic advancement, and youth leadership development." (www'hsan.org') 302 L'"rtr" enjeude cet oryanismeest le développementet la défensede la culturehip hop,notiamment auprèsdes membresdu congÈsaméricain et des institutionsfédérales' Le comitéenvisage de mettreprochainement en placeun forumde réflexionsur la placeet le rôle de la culturehip hop dâns la communauténoire américaine,Hip Hop ThinkTank, en collaborationavec des intellectuelsde renomà I'instrardu ManningMarable, directeur de l'lnstitutdes Recherchesen Etudes Afro-américainesde I'Universitéde Columbia,du ComelWestet du MichaelEric Dyson. (www.hsan.org.) tot *"0 The Votefutlancé à l'origineen 1992avant d'être repris par RussellSimmons. 300 ,Th" Hip-HopSummit Action Network Declares Victory On Educationlssue - UtilizingHip-Hop Stars To CreateÈotiticàl And Social Reform', article publié le 24 juin 2002.(www.blackelectorate.com.) Autreexemple d'activisme politique direct, Au lendemainde l'électiondu nouveaumaire d'Oakland Jerry Brownen â002, des acteursde I'industriehip hop originairesont rendu une visite surpriseau maire rentrant,accompagnés d'une centiaine de manifustanbafin de contrarierle projetde. Jerry.Brgwn visant à 70 millionsde dollars. Les hrp hqppersont renforcerle buàgétsécuritaire de la ville à hauteurde 'Boots encouragéune fo]s de plusles autoritésà didgercette somme vers des projetssociaux. (Davey D, Heab Up On OaklandMayor Jerry Brownn, 25.01.00' www.daveyd.com.)

t74 Rockefeller>> (, devrait jouer à I'avenirun rôle essentieldans la vie politiqueaméricaine. Les moinsde 30 ans représententen effetplus de 50%de la populationafro-américaine actuelle, soit le plus importantsegment votant afro-américain3o7.Rap The Vofe envisageainsi de faire inscrirepas moins de quatremillions d'électeurs d'ici 2008.308 Et c'estégalement dans ce sensque Sean'P. Diddy'Combsa fait I'acquisition en 2003d'une société de sondagequi s'intéresseuniquement aux communautésde I'Amériqueurbaine.3oe D'autres rappeurs, comme Chuck D, Kam et Parissoutiennent quantà eux ouvertementle Repantion Movement,le mouvementpour la réparation financièredes prejudicessubis par la diasporanoire pendanttoute la durée de f'escfavage.310Les hip-hoppersjouissent plus modestementd'un autre pouvoir économique,lorsqu'ils appellent par exempleau boycottde grandes entreprises commePepsi Co. pourdes faitsde racismeou KentuckyFried Chicken pour défendre la protectiondes animaux.3tt La croisadedes rappeursne se limiteen effetpas aux problèmesintrinsèques au ghettoou à la communauténoire. Ainsi KRS-One a-t-il lancé au débutdes années 1990avec Michael Stipe312 HEAL(Human Education Againstlies), un organismeà but

tou L", lois dites "RockefelleÉ,instaurées en 1973et 1974,imposent des peinesminimum qui peuvent 'Rappers, allerjusqu'à quinze ans, sur possessiond'une quantitéinfime de drogue.(Bryan Virasami, Cefebs& ActivisPrctest Drug Laws", Newsday, S May2003, article relevé sur www.daveyd.com.) 3oo ***.hsna.oç 307 G"off Boucher,op. cît. 308 En 1998, RusselSimmons et le rabbinMarc Schneieront créé dans ce desseinla Foundationfor EthnicU nde rctanding. (www.blackelectorate.com. ) 309 ***.d"ueyd.com. 3'o rnid. 311 'RusselSimmons calls for Boycottfor KFC",August 2'l,2oog,www.allhiphop.com. "Hip-hopgroup calls ofi Pepsiboycoff, February13, 2003,www.cnn.com. 312 Le"d", blancdu grcupede rockREM.

t75 pédagogique,et prolongéson actionen publiantun disque< Stateof TheWorld ,rt". A l'heurede la globalisationculturelle, l'éventail des thèmes abordés dans le discourship hop s'estégalement diversifié et étenduà la sphèrede la politiqueintemationale. En plus d'avoirsoutenu la lutte contreI'apartheid en Afriquedu Sud31a,de nombreux rappeursse sont ralliésau mouvementpacifiste pour dire non à la guerreen lrak. Rassembléeautour de RusselSimmons et du HSAAfls,la communautéhip hop a même adresséle 10 mars 2003 une lettreouverte3t6 au présidentdes États-Unis, avantd'annoncer une coalitionde soutienà la paixen lrak < Unitedto Win Without War r>ttt.Cette missive conclut sur l'énormitédu budgetalloué à ce conflitpar rapport à la misèreque connaissent les ghettos américains.318 Ces dernièresannées, le paysagepolitique afro-américain a de même vu apparaîtreune nouvellevague de leadersafro-américains appartenant à la génération hip hop,à I'instarnotamment du jeunemaire démocrate de la villede Détroit,Kwame ttt cité dansDavid Dufresne & JacobGûnther, op. cit., p.123. 3'o D" nombreuxartistes ont publiédes disques pour æuvrer contre la ségégationsud-africaine. Citons "A.F.R.f.C.A'deStetsasonic publié au profrtdel'Afika Fun4 relaisaméricain de I'ANC.(DavidDufresne & JacobGùnther, op. cit.,pp. 130-131.) Stetsasonic,'A.F.R.l.C.A'(Tommy Boy, 1993). 315 RussellSimmons est un pionnierde I'industrierap. ll est le créateuren 1986du premierlabel 100% rap,Def Jam. Découvreur de talents,Russell Simmons est aujourd'huiI'entrepreneur le plus important de I'industriehip hop,à la têted'un véritable empire (industrie vestimentaire, production cinéma et télévision, théâtre,...) et I'unedes plus importrantes fortunes afro-américaines. Voiraussi p. 233. t'u "D"", Mr. President,Asyou approachyour finaldecision on a war to disarmlraq, we are writing urgentlyto recommendthat you use yourgood office and stature as a worldleader to win disarmamentof lraq withoutgoing to war. Thusfar, withouta full-scalewar, you have beensuccessful in marshallingthe UnitedNations and the world communityto affinn the importanceof disarmingSaddam Hussein of all weaponsof massdestruction. The UnitedNations'inspectors are makingprcgress. The worldwide demand that lraqcomplies completely with UN Resolution 1441 has produced results and importantinformation that will enhance the effectivenessof the ongoingUN inspectionprocess. Rather than establishing a deadlinefor war,you could strengthenthe lifelinefor peaceand disarmamentin lraq:continued UN inspections. Peaceis not the absenceof war, but it is the presenceof justice.There is no justificationfor the massive killingof innocentpeople in an avoidablewar on lraq. The wrongnessof this war will preventa lasting peacein the MiddleEast and circumventthe progressthat the UN is finallymaking in gettingSaddam Husseinto comply. Domestically,Mr. President,rampant poverty is on the rise and the hopesand aspirationsof millionsof youth are beingtriaged on the altar of nationalneglect. We in the hiphop communi$know and feel the pain, miseryand wretchednessof the socialcondition of our communities.Now with the prcspectof a multi-trilliondollar federalbudget deficit, an unnecessarywar on lraq is only going to increasethe cold damphands of socialdereliction that havea deadlychoke hold on too manyAmericans across the nation. Givepeace a greaterchance. War on lraq now is notthe solution.We canwin peaceand disarmament without war. Sincerely, RussellSimmons, Chairman BenjaminF. Chavis,Presidenf (www.hasn.org.) ttt C"tt" associationrassemble des musiciensaméricains tous genres musicaux confondus. t'8 Bi"n d'autresactions à but humanitaire,social ou politiqueont été réaliséesavec des répercussions moindres,mais qui attestentde la volontédes rappeursd'accompagner leurs discours, engagé ou non, d'actionsconcrètes.

t76 M. Kilpatrick,qui ne renie pas son affiliationà la culturehip hop, n'hésitantpas à reprendreune rhétoriquehip hop,à citerTupac Shakur dans ses discoursou encoreà utiliserde la musiquehip hop commeillustration sonore de sa campagne.Cette couleurlui a valudans les médias le sobriquetde premier< mairehip hop >31s' Tout comme les rappeurs,cette nouvellevague de leadercest la première générationde politiquesafro-américains qui vit dans une ère post-ségrégationnisteet qui a récoltéles fruitset les amertumesdu mouvementdes droitsciviques.3æ Comme certainsrappeurs, ces nouveauxleaders reconnaissent I'héritage de leursaînés sans le mythifieret ont choiside recentrerle débatsur les problèmeséconomiques afin de dépasserla questionraciale.321 En raisondu contextesocioéconomique dans lequel elle a grandi,cette générationa développéun nouveausens de I'urgence,en concentrantses effortssur les problèmesconcrets liés à la jeunesse,tels que les viofencespolicières, le délitde faciès,l'éducation et le chômage"u' Cettenouvelle forme de l'activismepolitique afro-américain3", même si elleest encorepeu représentée,est susceptibleà I'avenirde s'intensifier.Beaucoup misent aujourd'huisur cettegénération de jeunesleaders, la seulesusceptible de mobiliserla jeunesse. Les électionsmunicipales de Détroit de 2003 ont vu en effet une augmentationde 40o/odeparticipation dans la tranched'âge des 18 à 40 ans.32a

A l'heureoù les politiquesnoirs perdaient de leuraura et où I'onassistait à la démobilisationpolitique de la communautéafro-américaine, le mouvementhip hop s'est affirméau coursdes deux demièresdécennies peu à peu commeun contre- pouvoirculturel fédérateur, une plate-formesociale en passede devenirune véritable force politiqueessentiellement au niveaulocal325. Si les rappeur ne peuventpas encoreprétendre à un réel rôle politique'^,le hip hop a redonnéà la musiqueun rôle

319 G"off Boucher,op. cit. t20 B"k"ri Kitwana,The Hip Hop Genention,p- 147. 32t nia. 32 tbid.,p.15o. 323 B"k"ri Kitwana,The Hip Hop Generation,pp' 146-147' 324 G"off Boucher,op. cit. 325 Entr"ti"n avecYvonne Bynoe. 3'u Sor,la formed'une semi-boutade, P. Dlddya néanmoinsannoné en2002vouloir se jeterlui aussi dans I'arènepolitique en voulantse pésenter aux prochainesélections présidentielles américaines et devenirainsi ie premierprésident noir des Etats-Unisen 2004.Sean Combs aspire bien entenduplus à défiersymboliquement l-eslablishmenf qu'à réellementbriguer le plus haut postegouvememental, cette

177 qu'ellesemblait avoir perdu,I'intervention à vif sur le socialet le politique,renouant ainsiavec les mouvementsde mobilisationde masseque l'Amériquea connusdans lesannées 1960, notamment avec le mouvementhippie. On reconnaîtde nosjours le potentielpolitique du hiphop, paradoxalement à I'heure où songenre le pluspopulaire, le gangsfarap, semble aussi nihiliste qu'apolitisé.

démarchetrahit néanmoins le désirde certainsacteurs de I'industriehip hopde mettreun pieddans la vie politiqueaméricaine. (www.daveyd.com.)

178 TROISIEMEPARTIE :

LE NfHfLfSMEPOLITIQUE ( GANGSTAD But why did Biggerrevolt? No explanationbased upon a hard and fast rule of conductcan be given.But there were always two factors psychologically dominant in his personality.First, through some quirk of circumstance,he had become estrangedfrom the religionand the folk cultureof his race.Second, he was trying to reactto and answerthe call of the dominantcivilization whose glitter came to him throughthe newspapers,magazines, radios, movies, and the mereimposing sight and soundof daily Americanlife. ln many respectshis emergenceas a distincttype was inevitable.

RichardWright, How'Bigger' was bornl

La douceurclimatique de l'Étatde Californiea vu naîtreà la fin des années 1980t'expression la plusviolente du rap : le gangsfarap ou ç WestCoasf rap )) avant qu'il nlessaimeà traversles États-Unis.Le genre est né dans les ghettosde Los Angeles,à SouthCentral dans le quartierde Comptonmais aussi à Wafts,I'un des districtsdes États-Unisles pluspauvres et les plustouchés par les violencesurbaines. On associeaujourd'hui encore ces quartiersaux émeutes de 1965et de 1992.2 Né sur la côte Ouest,le gangsfarap s'estdéveloppé dans le restedes États- Uniset particulièrementdans les Étatsdu Sud,en Louisiane,au Texas,en Floride, mais aussi sur la côte Est, notammentà New York (Wu Tang Clan, NotoriousBlG, DMX... ).t L" gangstarap et ses dérivésédulcorés sont le genre hip hop le plus populaireà I'heureactuelle, un sous-genredu rap dit hardcore,.Le rap hardcore, commeson nom I'indique,est la versionla plus virulentede la mouvancehip hop. Cettevirulence apparaît tant dans sa formeque dans son fond. Les caractéristiques généralesde ce genre< noir> du rap consistentgénéralement en unetrame musicale très densequi accompagneun texteâpre scandé avec hargne. lce T et NWAen sont les représentantsles pluspopulaires.

t 'Ho*'BiggeCwas bom", rn RichardWright, Natiye Son, New York: HarperCollins, 1998 (1940), p. 439. t RobinD. G. Ketley,'Kickin' Reality, Kickin' Ballistics", rn WilliamE. Perkins(d.), Droppin'Science, Phifadelphia:Temple University Press, 1996, p.123. 3 tes Ét"ts du Sud, en Louisianedans le quartierde Calliopede la NouvelleOrléans (Master P) et à Houstondans le ghettode FifthWard (Too $hort,Geto Boys), ou en Floddedans le quaftierd'Overtown, ainsi qu'à Oaklanddans les proiectsde East Bay et sur la côte Est, plus pécisémentà New York (Wu- TangClan, Notorious BlG, DMX... ). (W. Kaner& l. Kerkhofi(eds.), Rap, Berlin & Hambuç:Argument- Verlag,1996, p.203.)

lE0 Le rap gangstaa lui-mêmeengendré divers sous-genres, notamment le n G- Funk>>,un rapempruntant la sensualitédes lignesmélodiquesfunk pourla mettreau servicede rimes violenteset licencieuses.Le < southemrap D ou encore < dirty southn, originairedu Sud des États-Unis,offre une variationÉgionale sur le même thème.L'intérêt de ces diversstyles gangsta ne résidepas uniquementdans la forme provocatricede leurdiscours, de leurmessage et du modede vie qu'ilsvantent: bon nombre de rappeursexplorent avec beaucoupde talent de nouveauxhorizons musicaux,en expérimentantde nouveauxsons ou en développantde nouvellesfaçons de scanderet en créantainsi de nouveauxsous-sous-genres. Le gangsfarap appaÊîtcomme la continuitéde I'engagementrap et ne fait qu'atteindreun degrésupérieur de hargnequi n'estpas sansrappeler I'anarchisme punkdix ans plustôt. Les sujetsrepris par le gangstarap sontceux des précédentes écoles.La critiqueva néanmoinss'intensifier sur le thèmedu ghettoet de la vie criminellequi lui est inhérentedans un dicoursde plusen plusexplicite. ll semblerait que I'intellectualisationdu rap de la CôteEst soit à I'originedu succèsfoudroyant de ce nouveaustyle. En effet, le mythe du ghettodu Bronx s'effondranten cette fin de décennie,les regardsse portentà la fin des années1980 vers la côte Ouestoù le premiergroupe de gangsfarap, NiggasWith Attitude,se veut le représentantd'une véritableculture de ghettoà traversdes vers plus proches de la réalitéquotidienne. En 1987, lce T publie un album précurseur intitulé Rhyme Paysa; parallèlement,Boogie Down Productions,un groupe de la côte Est à étiquette politique,sort un albumlargement inspiré de I'esthétiquedélinquante, intitulê Criminal Mindeë. L'annéesuivante, NWA - NiggazWith Attitude- devientle groupephare du gangstarap avecleur album StraightOutta Compton6 qui sera vendu à 3 millions d'exemplaires,en dépit d'une interdictionde diffusionradiophonique. ll faut attendre 1991 pour voir le premieralbum gangstaen tête des chads américains.Les deux annéessuivantes, I'album de Dr Dre The ChronicTet celui de Snoop DoggyDogg Doggystytes,vendus respectivement à 3 et 5 millionsd'exemplaires, consacreront le gangstarap à traversle monde.

4 lce T, RhymePays(Sire, 1987). 5 BoogieDown Productions, Criminat Minded (B.Boy 1987)' 6 Î.n/A, Stlrligtttoutta Comptott(TommyBoy, 1990)' t Dr. Dr", TheChronic(Death Row, 1992)' t snoop DoggyDqgg, Doggystyte(Priori$, 1993).

l8l Contrairementau rappeurqui se dit politique,le gangstarapper ne s'évertue pas à argumenter.ll constate,énumère les faits,leurs causes et leursconséquences. Bon nombrede rappeurs,comme lce T, préfèrentd'ailleurs le termede c reatityrap Ds qui rendmieux compte de I'expérienceréelle de la jeunessenoire : violence,drogue, criminalité,aliénation, désillusion et sexisme.Le terme de gangstarap a été, par ailleurs,créé par les médiasavant d'être récupérépar I'industriedu disqueet les rappeurseux-mêmes. L'histoire attribue I'expression gangsta à Just lce10qui, lors d'une interview,se définiten 1985comme < Hip Hop Gangstarr.t' Certainsrappeurs de la côteEst, parmi lesquels le Wu TangClan, choisissent de définirleur musique comme < playa rap D, d'autres comme < street music>, < ghefto music>, voire (), mettentgénéralement en scèneI'archétype du hérosmajeur dela btaxptoitationla:le

9 Stavsky, L., Mozeson,1.E., Mozeson, D.R., A2Z: The Book of Rap and Hip Hq S/ang, New York Boulevad,1995, p.40. 10 Membredu groupeBoogie Down Productions. 1t Af", Ogg,David Upshal, The Hip Hop Years.A Historyof Rap,London:Macmillan, 1999, p. 21. t'nia. 'u Si l" rap est devenule genremusical le pluspopulaire aux États-Unisaprès le rcck,supplantant cette musiquemajeure qu'est la country,c'est que son succès est dt en partieà I'extrêmepopularité du gangstarap et des dérivésrcck auprès de la jeunesseblanche. 14 Le néofogisme'btaxploitafrbn" est une élisiondes mob 'blacl{ et'exptcitatbr', il désignele genre cinématographiqueapparu dans les années1970, spécifiquement produit par des auteursafroaméricains et destinéau publicafro-amédcain. Ces comédiesen formede polarsfurent les premiersfilms à élébrer I'héroi'smenoir mettiant en scènedes anti-hérosdu ghetto.Parmi les filmsde ce genreles plus populaires, citonsSuperl?y, Shafr, The Mack, Coffy, ...

tE2 ll sembleraitque les médiasaient joué un rôleprimordial dans la diffusionde l'imageet desattitudes gangsta. Cette surmédiatisation sera à I'origined'un conflit fictif entre côtes Ouest et Est. Dans la plus pure traditiondes joutes verbales,une surenchèrede violencepar raps interposésdeviendra un tempsla matièrepremière des gangsta rappers qui finiront eux-mêmespar se prendre au piège. Les conséquencesles plus dramatiquesseront I'assassinat des deux rappeursles plus prometteursde la GôteOuest (Tupac) et de la Côte Est (NotoriousBIG) à six mois d'intervalle.Selon certains observateurs, leur mort sonnera symboliquement le glasdu gangstarap en 1997.Au-delà de cettedate, on n'observeplus généralement qu'une survivancecaricaturale du gangsfarap, dite posf-gangsfa,gauchie par son propre succès.Certains rappeurs se sont par ailleursorientés vers un rap plusmodéré, alors que sont apparusparallèlement de nouveauxgenres hardcore repoussant toujours plusloin les limites du genre. Si les gangstazne semblentadhérer à aucuneidéologie politique ou religieuse particulière,nous verrons que leur violencediscursive n'en demeurepas moins politisée.En transposantle mal-êtredes ghettos sous la forme d'hyperboles,ils exprimenten effet la frustrationsocio-économique de la majoritédes Afro-Américains tout en remettanten cause la suprématieblanche et le système capitaliste. L'apparentegratuité de la violenceretranscrite dans un discoursanti-hégémonique virulent,I'approche obscure de I'ultralibéralismeou encorela misogynieoutrancière ne doiventpas cependantocculter I'imagerie de la violencehéritée de la poétiquenoire américaine.L'ambigu'r'té qu'alimentent sciemment les rappeurset uneméconnaissance de fa culturerap et des codesgangsta rendent néanmoins ce discoursinaudible. Nous tenteronsdonc dans cette troisième partie de démontrerque le nihilismeaffiché par les gangstarappers masque une conscience éminemment politique.

GordonParks Jr., SuPerflY,(1972) Godon ParksJr., Shafi, (1971). MichaelCampus, The Mack, (1973). Jack Hill,Cotry, (1973\. 15'Amaqueuf. 16 "Maquereau". tt 'mac? D"ns leurouvrage, Lapassade et Rousselotdéfinissent ainsi le : ',sociologiquement, le [maquereaudealer-vendeurd'armesl est le modèlepositif pour unejeunesse qui constatJqu'itest le seul à s'en sortir.Poétiquement, il représente le mauvaiscôté de la blackness.Sur lui se concentrela hainedes rappeurs.Le dfuuisementcamavalesque avait cette fonction toute simple: se déguiserdans I'obiet de détestationet démontrerque I'on pouvaits:en sortir sans iamais tuer perconne' "

rE3 Chapitre1. Le discoursnihiliste gangsta

Lorsquenous aborderonsle nihilismegangsta, nous prendronsd'abord le terme dans son sens courant de désenchantementmoral, dispositiond'esprit caractéristiquede la jeunessedes ghettosqui, marginaliséepar la société,vit au jour lejour, sans maîtrise du temps.Dans son essai < Nihilismin BlackAmerica >18, Cornel West rappelleque ce sentimentnégativiste n'est pas un phénomènerécent. Dès leur arrivée dans le NouveauMonde, les esclavesqui tentaientde résister à leur avilissementdevaient lutter avant tout contrele nihilisme,une menacebien plus pernicieuseque I'exploitationet I'oppression.Le génie afro-américaina été celui de pouvoirtranscender peu ou prou ce désespoiren édifiantune structureculturelle communeet solidequi ne suffitplus à I'Amériquepost-moderne : Anda pervasivespiritual impoverishment grows. fihere hasbeen a] collapseof meaningin life- theeclipse of hopeand absence of loveof selfand others, the breakdownof familyand neighborhoodbond -... We havecreated rootless, danglingpeople with little link to thesupportive networks - family, friends, school - thatsustain some sense of purposein life.We have witnessed the collapse of the spiritualcommunities that in thepast helped Americans face despair, disease, and deathand that transmit through the generationsdignity and decency, excellence and elegance.le

En constatantque la vie ne pouvaitêtre que souffrance dans un environnement aussihostile et absurdeque le ghettoactuel, la jeunesseafro-américaine s'est réfugiée dansun fatalisme que I'universitaire définit comme un désespoirsocial, une dépression cliniquerelative à uneperte des valeurspersonnelles ; en un mot,une menacepour la surviede la communautéafro-américaine : Theliberal/conservative discussion conceals the most basic issue now facing black America:the nihilisticthrcat to itsvery existence. This threat is notsimply a matter of relativeeconomic deprivation and politicalpowerlessness-though economic well-beingand politicalclout are requisitesfor meaningfulblack progress. lt is primarilya question of speakingto theprofound sense of psychologicaldepre,ssion, personalworthlessness, and social despair so widespread in black America.æ

(Geoçes Lapassadeet PhilippeRousselot, Le Rap ou la fureur de dire,Pads: EditionsLori Talmart, 1996,pp. 117-118.) 18 ComelWest,Race Mafters,Boston:Beacon Press, 2001 (1993). Le choix des extraitscités dans ce chapitreont été guidésen partiepar I'essaide Nick De Genova "GangsterRap and Nihilismin BlackAmerica: Some Questions of Life and Death', SocialText,1995: 43, pp.8$132. 19 comelWest,op. cit, p. 5. "o rcia.,pp.12-13.

lE4 Cette dépréciationde la vie, accompagnéede la négationde toutes valeurs,apparaît plutôt comme une conséquencequ'un état inné,c'est le fruit d'unelongue intériorisation du désespoiret du méprisde soi, une lassitudeà laquelle on répond par une certaine indifférenceet une prédisposition autodestructrice: Nihilismis to be understoodhere not as a philosophicdoctrine that there are no rationalgrounds for legitimatestandards or authority;it is, far more,the lived experienceof copingwith a life of horrifyingmeaninglessness hopelessness, and (mostimportant) lovelessness. The frightening result is a numbingdetachment from othersand a self-destructivedisposition toward the world.Life without meaning, hope,and love breeds a coldhearted,mean-spirited outlook that destroys both the individualand others.2l

Selon Cornel West, la culture post-modemeoffre égalementbeaucoup de réponsesà ce nihilisme,notamment la quête affoléede compensationsdans les plaisirsfugaces et illusoiresou I'exerciced'un pouvoirà traversla violencephysique : The resultis livesof whatwe mightcall 'randomnows' of fortuitousand fleeting momentspreoccupied with 'getting over' - with acquiringpleasure, property, and powerby any meansnecessary. Post-modern culture is moreand more a market culturedominated by gangstermentalities and self-destructivewantonness. This cultureengulfs all of us- yetits impact on the disadvantaged isdevastating, resulting in extremeviolence in everydaylife. Sexual violence against women and homicidal assaultsby young black men on oneanother are only the most obvious signs of this emptyquest for pleasure, property and power.22

Nousremarquerons par ailleursque le gangstarap n'estpas né dansun < vide culturel,r'3, pour reprendre les termes de bellhooks. Les inégalités socio-économiques et I'oppressionont nourriune rage violenteque les habitantsdes ghettosdirigent contre eux-mêmes.Les rappeursretranscrivent dans leurs rimes cette criminalité endogène,tout en condamnantparallèlement les responsablesde la décadenceafro- américaine.Ce fatalismeest une pathologieinhérente à une< culturede ghetto>r, dont la causepeut être attribuée au modede productioncapitaliste. Même s'ils condamnent le systèmeresponsable des meurtrissuresdes sièclespassés, les MCs demandent paradoxalementI'intégration à la sociétéde consommation.Nous verrons que la violence,les insatisfactionséconomiques, ainsi que le sexismeexprimés dans les rimes gangstane sont autres que la conséquenced'un passé lié à I'exploitation

21 coref West,op. cit.,p.14. 22 tbid.,p.s tt b"ll hooks,"Sexism and Misogyny:Who TakesThe Rap? Misogyny,Gangstia Rap and the Piano", ZMagazine,February 1 994, p. 26, publiésur www.bilkent.edu.

185 esclavagisteet qu'ils traduisentle désir des Afro-Américainsde trouverune place équitabledans la sociétéaméricaine.

1.1.Une culture de laviolence

Biggerrose and went to the window.His hands caught the coldsteel bars in a hard grip.He knewas he stoodthere that he couldnever tell why he had killed.lt was not that he did not reallywant to tell, but the tellingof it wouldhave involved an explanationof his entirelife. The actualkilling of Maryand Bessiewas not what concernedhim most; it was knowingand feeling that he couldnever make anybody knowwhat had driven him to it. Hiscrimes were known, but what he hadfelt before he committedthem would never be known.He wouldhave gladly admitted his guilt if he had thoughtthat in doingso he couldhave also given in the samebreath a senseof the deep,choking hate that had been his life, a hate that he had not wantedto have,but could not helphaving. How could he do that?The impulsionto try to tellwas as deepas hadbeen the urgeto kill.

RICHARDWRIGHT, Native Son2a

Violenceis Americanas a cherrypie.

RAPH. BROWN2s

Afin de cerner la poétiquede la violence gangsta,si souvent mal interprétée,il convientavant tout de justifiercette violenceverbale qui n'est autre que le reflet de la société américaine.Le deuxièmeamendement de la Constitutionaméricaine reconnaît en effet le droit à tout citoyenadulte et sain d'espritde posséderet de porter une arme au nom du principe édicté par la National Riffle Association:< lf guns are outlawed, only outlawswill have guns ) et qu'il ne saurait être porté atteinteau droit du peuplede détenirdes armes. De I'invasiondu Grand Ouest aux guerresde gangs26en passant par la guerre de Sécession(< just like cowboys and Indians,r";, la violencefait partie intégrantede I'histoireaméricaine et apparaîtinhérente à un environnementde misère, d'oppressionet de répression.De plus, la ségrégationet les inégalités héritées de l'émancipationont été fermementmaintenues jusqu'à aujourd'hui.Toute une jeunesse

'o Ri"h"rdWright, Natlve Son, New York: Haçer & Brother,1940. 25 Amoah Osei (ed.), A PotiticatDictionary of Btack Qudations:Reflecting the Btack Man's Dreams, Hopes,VLsions, London: Oyokoanyinaase House, 1989, p. 112. 26 L", gangs ne sont pas un phénomènenouveau dans I'histoireaméricaine. Depuis le début de I'immigrationeuropéenne, les gangs - italiens,juift et irlandais- ont fait rfuner la teneur dans les métropolesaméricaines. 27 ttwR, "Dayzof WaybaeK,Efrl4zaggin(Ruthless, 1991).

186 désemparée,même lorsqu'elle est issuedes couchessociales plus aisées du quartier de South Central,sera par la force des chosesimprégnée par cette culturede la violenceet I'exprimeraà travers le gangsfarap. Le discoursgangsta révèle les conditionséconomiques et la constanterépression qui ont nourriles frustrationsau sein du ghetto.Les jeunes Afro-Américains compensent ces iniquitéspar des actesde violencequ'ils dirigentcontre eux-mêmes et contreles symbolesde I'hégémonie blanche.

1.1.1.Le ghetto : lieud'expression de frustrationssocioéconomiques

ll n'estpas inutilede rappelerque le gangstarapest né à Comptonet à Watts, les quartiersde Los Angelesles plus sévèrementtouchés par la crise économique post-industrielleà la fin des années 198028.Une jeunessedésemparée, < The tost generationrr* commela définitShyheim, crée un style de rap ( West Coast > qui narreles expérienceset fantasmesdes jeuneshommes des quartierspauvres, noirs ou latino-américains.Cette générationest le fruit de changementséconomiques dévastateursqui remontentà la fin des années1960. Alors que la < cité des Anges> vit une croissancesans précédent, les communautésde Wattset de Comptondoivent faire face à des changementsstructuraux, notamment la fermeturede nombreuses usinesentre 1978 et 1981qui vontplonger une partie de la classeouvrière dans une pauvretéabsolue.3o Un rapportde la justice californiennerévèle en 1982 que le chômagea doublédans le quartierde SouthCentral alors que le pouvoird'achat a reculéd'un tiers. Dans ce districtde LosAngeles, le tauxde chômagedes jeunes Noirs est de près de 50% et le salairemoyen de moitiéinférieur à celui du reste de la communauténoire à la fin des années197031. L'appauvrissement de la classeouvrière transformede générationen générationune partiede ce prolétariatindustriel en un

" RobinD. G. Kelley,op. cit., p.122. '9 Shyh"ir, 'See What I see', the LostGenention (Virgin, 1996). toA s'ajoutela délocalisationde I'industrievers les périphériesurbaines et la mondialisationde l'économie.""1" MikeDavis, City of Quartz LosAngeles, capitale du futur,Paris : La Découverte,2000, pp. 74,273. 'The JamesH. JohnsonJr, WalterC. FanellJr, FireThis Time: The Genesisof The LosAngeles Rebellion of 1992",in J. C. Bogerand J. W. Wegner(eds.), Race, Poverty and AmericanCfties, London: University of NorthCafibmia Press, 1996, pp.172-173. tt RobinD. G. Kelley,op. cit.,pp. 122-123.

lE7 lumpenprotétariaf2,une sous-classemarginalisée par une sociétéqui a de moinsen moinsbesoin de sa main-d'æuvred'appoint.s3 La Californieconnaît parallèlement depuis trois décenniesune importante mutationsocioethnique qui bouleversel'équilibre social3a.L'arrivée en masse de populationshispaniques et asiatiques,tuvenues pour la plupartillégalement sur le territoireaméricain, sera notamment à I'originede tensionsinterethniques. ll faut ici préciserque les btackangelenos36 étaient, quant à eux,originaires du Sud des États- Unis qu'ilsavaient quitté en masseentre les deuxguerres pour travailler dans les industriesde la région.Du fait de leur origineraciale, ils avaientalors déjà fait I'objet d'une marginalisationet d'une ghettoïsationde fait. Les ghettoscaliforniens abritent donc des générationsde classesouvrières paupérisées, d'individus marginalisés, engluésaujourd'hui dans une misère difficile à maîtriser. Dansles années1970, en passantd'une société industrielle à une sociétéde services, cette main-d'æuvredéjà confinée a été reléguée dans des habitats insalubres,puis éliminéeéconomiquement et socialementde la cité.37Les jeunes générationsont fini par se socialiserautrement, c'est-à-dire sauvagement, en se contentantd'une économie marginale voire délictueuse et en s'intégrantsouvent à un

t' L" définitionde lumpenprdetariatdontparlait Karl Max il y a 150ans se prêteparfaitement au noyau dur des ghettos.Man avaitainsi clairement distingué eætte sous-classe du prolétariatindustriel, en le 'déshabitué définissantcomme un "prolétariaten haillons", du travail,incapable de consciencepolitique, toujourssusceptible de vendresa force, la violenceou de se laisserinstrumentalise/' et donc capable d'aôtes héroïques.(Karl Max & FriedrichEngels, Le Manifestedu pafti communiste,Paris: Editions Aubier-Montaigne,1961 (1U7)). Les 8/ack Panthersavait reconnusa force révolutionnaireen enrôlant leursmembres dans les bas-fonds du ghetto. 33 La ouvrièrenoire avait alors des conditionsde vie comparablesà cellede la middte+tass,mais fa récession"fasse en a renvoyécertains dans le sous-prolétrariat.(Nicole Bacharan,Histoire des Noirs américainsau 20èmesièc/e, Bruxelles : EditionsComplexe, 1994, p' 166.) il En 1960,les deuxtiers de la populationde LosAngeles était blanche. En 1990,58% de la population appartientau groupe'non+aucasien".(James H. JohnsonJr, Walter C. FanellJr, op. cit., p. 169.) 35 En 2000,les hispaniquesreprésente nt 460/ode la populationdu districtde LosAngeles (contre 38% en 1990),les Noirs à peine10% (contte 11% en 1990). En moyenne,le taux de la populationnoire est stabledepuis 10 ans, environ12,5o/o de la population totafe. La populationhispanique est en revanchepassée de 9o/oà 13o/ode la populationtotale. Les Asiatiquesreprésentent quant à eux 12o/ode la populationlosangelaise et 4% de la populationtotale. (Donnéespubliées par le U.S.Census Burcau, www.census.gov.) Le terme 'hispanique"rassemble sous sa bannièretoutes les communautésde langue espagnoles (Cubains,Mexicains, Portoricains...) 36 Habitantsnoirs de LosAngeles. 3t En 1g78,William Julius Wilson établit que I'aggravationdes problèmesdel'underclass n'est pas liée uniquementau racisme,car celui-ciétrait en régression,mais aux transformationsstructurelles qui ont affectéle marchédu travaildans les années1970, notamment la pertede millionsd'emplois industriels et I'apparitionde métiersdu tertiaireexigeant des qualificationsque I'underclassn'a pas. (WilliamJulius Witèon, The DectiningSignificance of Race: Black and ChangingAmerican lnstitutions, Universi$ of ChicagoPress, 1978.)

l8E gang. De plus, les classes moyennesnoires quittent les quartiersen voie de paupérisationpour des banlieuesplus sûres.Une autre mutationimportante est par ailleursl'éclatement du noyaufamilial qui aura pourconséquence une féminisation exacerbéede la pauvreté. A la fin desannées 1960, alors que les PanthèresNoires bien implantées dans les ghettoscalifomiens font I'objetd'une répressionacharnée de la part de l'État, apparaîtdans les grandesvilles américaines une recrudescencedu phénomènedes gangsqui vontêtre rapidement absorbés dans le traficde stupéfiants.38L'argent facile, la drogueet les armesà feu vont nourrirplusieurs générations de jeunes criminels sansscrupules. Les douze années de présidencerépublicaine qui freinentla politique de discriminationpositive (t affirmativeaction r) bloquentalors tout espoir d'ascension socialepour les minorités3s.Les mesuresde réductionbudgétaire des aides sociales et du systèmede sécuritésociale prises par le Gouvemeurde Californie,Ronald Reagan, au coursde sesdeux mandats de 1966à 1974,ainsi qu'un système éducatif inadapté, vontcreuser un peuplus le fosséentre communautés noire et blanche. < The reasonyou get into crime is the lack of hope,>00, c'est ainsi que nous éclairelce Cube sur le désespoirqui anime les jeunes des ghettoset les projette malgréeux dans la criminalité.Ces propos font écho aux observations de CornelWest quantau nihilismenoir, ainsi qu'au rap de Jay-Z< Can I Live> qui débutesur une explicationdéfaitiste du sens de la criminalitéqui enfermela jeunessedes ghettos dansun cerclevicieux: Wellwe hustleout of a senseof, hopelessness Sortof a desperation Throughthat desperation, we'come addicted

tt s"lon MikeDavis, la recrudescencedes gangscorespond à la chutedu règnedes PanthèresNoires dans fes ghettos,préparée par les autoritéé.Après leur neutralisation,les Btack Panthers,qui étaient devenuesI'expresÀion oçanique du prolétariatnoir, voient les gangs prendreleur relève. Les gangs deviennentdonc I'expression diun désirde réorganisationpolitique. Le nommême de Cnpest I'acronyme in Progress'.Apparu comme un substitutdes B/ackPanthers décimés' les gangs de "ConstantRevdution 'protemafieux" prennentla formed'une sousàfture juvénilede $pe à mesureque les conditionssocio- bconomiquesdes ghettosse dégradent.Dans les années1970, ils interviennentdirectement dans la vie sociale dàs inner àifles,en assiétantla communauténoire ou en intervenantdans la crise ségrégation scolaire.Bien qu'aujourd'huividés de tout contenuidéologique, les gangs qui ont héritéd^e- I'aura des BtackPanthers et sont encoreaujoud'hui paré d'un charisme.(Mike Davis,op. cit., pp. 239' 268'270, 285.) 39 l'anivéeau pouvoirde Bill Clintonen 1992,des loislocales démantèlent en 1994et 1996les Malgré - prograirmesd'affirmaive acfion dans t'ÉtatOe Califomie. En 1996,le Congrès- à malollf républicaine â pâr ailleurs voté un profondremaniement du systèmed'attribution des aides publiquesaux plus démunis,qui, une fois dà plus,affecte très durementles Noirs,en particulierles femmesélevant seules of Èurs eni"rif. 1K*ameRninony Appiah and Henry-LouisGates Jr (eds.),Afticana: The ^Encyclopedia the Afrtcanand AfricanAmericàn Expertence, New York BasicCivitas Books, 1999, pp. 19-20') '0 f"" Crb" cité par S.H.Femand o Jr, The New Beats:Exploring the MusicCutture aN Attitudesof Hip' Hop",Edinburgh: Payback Press, p. 142.

189 Sortalike the fiends we accustomedto servin Butwe feelwe havenothin to lose Sowe offeryou, well, we offerour lives, right.al

Cette culturede la violenceapparaît à la fois comme une réactionadaptée des plus démunis face à leur position marginale dans une société capitalistefortement individualiste.Désespérant de pouvoirjamais réussir, les habitantscréent leur propre culture, orientée vers un présent immédiat, sans perspectived'avenir. W.C. and the MAAD Circleétablissent ce lien patententre pauvretéet criminalité: Subjectfor survival,got to stayalive I gottaeat so I do or die Nota full{imecrook but lwas bornright So if I wantto eat,sometimes I got to jack Sojack I willand go getsome presidents A footin the groundand the otheron an oil slick Moneyain't everything but neither is brokeness Giveme a knifecause I can'tlive off happiness[...] Buta hustleis a hustleand a mealis a meal That'swhy I'mreal and I ain'tafraid to steal Straightfrom the street,backed up by a funkybeat lf youdon't work, OG, then you don't eat.42

Autre phénomèneaggravant, I'arrivée du crack - la < cocaine du pauvre ,rot- au milieu des années 1980 marque un toumant dans I'exacerbationde la violence, notammenten Californie.Un conflit ouvert éclate entre gangs rivaux - parmi les plus notoires: les B/oods et les Crips4- qui veulent contrôler le marché du crack et précipitentles quartiersdans une véritableguerre civile jusqu'en 1982, date à laquelle une trêve est signée. Cette escaladede la violence,qui débute en 1984, est imputée directementaux changementsstructurels du trafic de cocainedont I'importationpassait dorénavantpar la Californie.6NWA et son leader lce Cube relatenten 1989 la période pré-crackao:

41 Jay-Z,"CanI Live", lJnreasonableDoubf(Priority, 1996). a2 W.C.and the MAAD(Minority Alliance if Anti-Discrimination)Circle, lf YouDont'Woflr,, u Dont Eat, Aint a DamnedThing Changed (Ptiority, 1991). ot Mik"Davis, op. cit.,p.2f/.. 44 L". servicesjudiciaires évaluent le nombrede gangbangercentre 10 0OOet 50 000 et les médiasles estimentà 80 000,voire 100 000. (rbid., p.240.) 45 La régioncalifomienne supplante ators Miami dans son rôlede plaquetoumante de la drogue.(tbid., pp.237-238,281.) oo RobinD. G. Kelley,op. cit.,p.123.

190 It wasonce a timein the Dayzof Wayback[...] Nowlet me tellyou a littlesomething about Compton Whenlwas a kidand puttin'my bid in. Yo,Compton was like still water - just strictlycalm. Nowit's like muthafuckin' Vietnam. Everybodykillin', tryin'to make a killin', Niggasstealin', muthafuckas willin' to dealin'.az

L'épidémie du crack aura pour autre conséquence une intensificationde la répressionpolicière en particulierenvers les jeunes Noirs dans les quartiersde Watts, Compton, Carson, South Central, NorthwestPasadena et North Long Beach pour la région de Los Angelesas.En 1985, l'échec de la politique fédérale de contrôle du marché de la drogue aidant, les producteurs colombiens inonderont les rues des ghettos de cocaïne et de ses dérivés. En contraste avec la très noble ) poursuivipar un hélicoptèrede la police,cet < (< Ghetto bird>): Why,oh whymust you swoop through the hood Likeeverybody from the hoodis up to no good. Youthink all the girlsaround here are trickin' Upthere lookin'like Superchicken At nightI seeyour light through my bedroomwindow But I ain'tgot shitbut the padand pencil I can'twait till I hearyou saY 'l'm goingdown, mayday, mayday.' l'm gonnaclown Causeeverytime that the pigshave got me Yall rubit in withthe flyingNazi Militaryforce, but we don'twant Ya Standin'on my roofwith the rocketlauncher 'Sofly likean eagle.' But don'tfollow us whereverwe go The shitthat I'm sayin', make it's heard Motherfuckyou and your punk-assghetto bird

ot ttwA, 'Dayzof waybacï',Efrt4zaggrn (Ruthless, 1991). ot RobinD. G. Kelley, op. cit.,p.123. ot S.H.Femando Jr, op. cit., p.121. 50 On peutajouter à ce dispositffantigang, I'instauration d'un couvre-feu et l'installationde banièrespour contrôlerfa libertéde circulation.(Mike Davis, qp. cit',p.233.)

19l 'Run,run, run, from the ghetto bird'[2x]51

Dansune sociétécoupable d'injustice où les fondementsde I'autoritéont volé en éclats,le ghettoest devenuune zonede non-droitqui s'apparenteà un champde bataille(< killingfields >, < battleground>) sur lequel ses habitants(< soldiers>, < lieutenants>) se livrentà une guérillaurbaine (< urban war>152 comme I'atteste I'occurencedes termes appartenantau champ sémantiquede la guene dans I'ensembledu discours gangsta.Long Beach est surnommé< Lebanon>53 et la Californiecomparée à la Bosnie-Herzégovine*.Dans < Messageto the Soldierrrtt, lce T donne des conseilsde stratégieguerrière : < Speak in code/Cuzyou're never alone>. En 1987,lceT composeun morceaud'anthologie de gangstarap: < 6'N the Mornin',156. Sur fond de ce qui fait le quotidiendu ghetto,trafic de drogue,règlements de compteet ,il relatel'épisode des raids que la LAPD donnadans les années1980, raflant sur son passagedes milliersde jeunesgens, aidée par des < batterrams D, ces véhicules militaires. Dans < Escape from the Killing Fields>>57, lce T décrit ce paysage apocalyptiqueet appliqueégalement la métaphoredu conflitvietnamien à la situation du ghettost.Une imaged'autant plus forte que, dans I'imaginaireafro-américain, le pourcentagede Noirsimpliqués dans la guerredu Viêt-namétait proportionnellement plusélevé que celuides Blancsse:

51 lce Cube,'Ghetto Bird", Lethal lnjection(Priority, 1993). 52 fceT, 'MessageTo The Soldief, Home lnvasion(Priority,1993\. ut Wr-T"ng Clan,"Bells of Waf, Wu-TangForever(RCA, 1997). 54 fceCube, "Enem/, Lethattniection(Priority,1993)' 55 fceT, "MessageTo The Soldief, Home lnvasion(Priority,1993). 56 1"" T, '6'N the Momin'',Rhyme Pays (Sire, 1987). 57 Exerple citédans Robin D. G. Kelley,q.cit.,p.123-124. ut tbid.,p.124. MikeDavis évoque la'vietnamisation" de la épressionpolicière. (Mike Davis, op. cit.,pp.238-241') 59 Alor" que les Noirs formaientà peine 10% des effectift armée, ils ont été enrôlésde manière disproportionnéedans les combatsen lignede front,représentant 20% des perteshumaines au Viêt-nam entre iSOt et 1965.Ces chifres sont néanmoinscontestés et il existeune polémiquesur le pourcentage de vétéransnoirs du Viêt-nam.Les Afro-Américainsaffirment que les Noirs repésentaient16% de la que stratistiquesofficielles aftestent d'un taux de 10,6%,un pourcentage populationmilitaire, alos des 'African bonc inférieurà celui de la populationnoire américaine.(JohnSibley Butler, Americansin the VietnamWaf, in JohnWhiteclay Chambers ll (ed.), The Ortord Companionto AmericanMilitary History, NewYork: Oxford University Press, 1999, publié sur www.english.uiuc.edu; Kwame Anthony Appiah and Henry-LouisGates Jr (eds.l,oP. cit., pp. 1309-1310.)

192 Herewe go l'mmovin' off death row Yagotta keep up hops Yacan't be slow 'Causetheir towers are high Theygot the hype gaats Checkthe perimeters good Readthe maps It'snight Theymight not see us Cosif theycatch us out there They'llbleed us Shootus, kill us Dumpus in a darkditch Cleanit up,call it a ganghit I gottamake my move CauseI'm a renegade...60

L'acuitédu problèmedes ghettosva être brutalementillustrée par les émeutes de 1992,lorsque I'amertume des Noirsva éclaterau grandjour suiteà I'incident RodneyKing, automobilistenoir passéà tabac par quatrepoliciers blancs.ot Cet incidentqui a plongéLos Angelesdans des émeutesencore plus sanglantesque cellesdes années1960 n'a fait que raviverune ragecontenue depuis des années.La communauténoire est alors la victimede constantesrépressions policières et de fréquentesbavures. Cet incidentapparaît comme la preuveinévocable et médiatisée d'un comportementraciste et I'occasionpour les habitantsdu ghettode laisseréclater leurcolère à la facedu monde. L'attentionportée par les médiasaux brutalitéspolicières a permisde mettreen exergueles flagrantesinjustices que subissaientles Noirs.L'affaire Rodney King fut largementreprise dans I'ensemble du discoursrap et la victimeest devenueà l'échelle internationalele symbolede I'injusticedu systèmepolicier américain. En réactionà la surmédiatisationde cet évènement,lce Guberépondit de manièrecynique dans un morceauburlesque intitulé < Who Got the Camera> dans le refrainduquel il implore un policierde le brutaliserde plus belleafin de faire filmerla scènepar la foule qui observeI'incident, puis de concluresur I'absurditédu phénomènemédiatique62 :

60 'Escape fceT, ftomthe KillingFields' , O.G.Oiginal Gangsfer(Sire, 1991). ut Voi, à ce sujet , The Fire This Time: The Genesisof The Los AngelesRebellion of 1992', in J. C. Bogerand J. W. Wegner(eds.), Race, Povefty and Ameican Cifies,London: University of NorthCalifomia Press,1996. u' D"n, 'Fuck tha Police",NWA vont plus loin en invitantRodney King à faire une apparitiondans leur cfipvidéo.(Nick De Genova, op.cit., p. 119.) NWA,'Fuck Tha Police",Stnight OuttaCompton (Tommy Boy, 1990).

193 No lights,no c€tmera,no action Andthe pigswouldn't believe my slavename is Jackson Hesaid, 'Don't lie to me I'm lookin'forJohn, Matty or SpikeLee' Themotherfuckers called for backup I guessthey planned to beatthe mackup Calledme a silly-assthug and pulledout his billy-ass-club' t...1 Ohplease, oh please,oh please,just gimme just one more hit Oh please,oh please,oh please,just gimme just one more hit Whogot the camera? t...1 Theone that called me a spook,his name is OfficerDavid Duke lf thecrowd weren't around they would've shot me Triedto playme out like my name was Rodney Fuckinpolice gettin badder Butif I hada camerathe shit wouldn't matter63

La révolteurbaine de cet avril 1992était cependantbien moinsla réactionà I'acquittementdes quatre policiers blancs que l'expressiondu désarroi socio- économique.Les causesréelles sont à chercherentre autresdans la conditionde minoritéscondamnées à I'isolementet à la pauvretédans une sociétéd'abondance. lce T qualifiacet évènementde <, >), et plus rarementdes hispaniques,qu'ils soient Mexicainsou Portoricains(n Spic1166l. Ces groupesethniques, arrivés plus tard sur le sol américain,viennent, souvent avec succès,concurrencer les Noirssur le marchédu travail.otLa venuedes commerçants asiatiques a été particulièrementmarquante pour les ghettos. Les Coréens, notamment,seraient beaucoup plus tenaces en affairesque les commerçantsd'origine

63 DavidDuke est un anciendidgeant du KluKlux Klan, actif dans la scènepolitique en Louisiane. lce Cube,Who Gotthe Camera",The Predator (Priority, 1992). & fce T & HeidiSiegmund, The tceOpinion as totdas to Heidi Siegmund.Who Givesa Fuck?,New York: St-Martin'sPress, 1997, p.66. uu J".". H.Johnson Jr, Walter C. FanellJr, op. cit',pp.169170' uu "SpiCest I'acronymede'spansh-ltatian Caucasian', désignation ethnique utilisée à I'originepar la policepour les casiersjudiciaires. ut L" fin des années1980 avait été égalementmarquée par des émeutesdu mêmetype à Miamiet à Chicago qui opposaientles Afro-Américainsaux communautésportoricaines, cubaines, hailienne et centre--américaineet cela en dépitd'un sentiment de solidaritéentre ces groupesethniques. (Lawrence H.

194 juivedont ils ont reprisles boutiques,sans offrir de débouchéséconomiques dans les quartiersGs.Par ailleurs,une méfianceréciproque s'est installéeentre les deux communautéset ne fait qu'envenimerles relationsintenacialesun. Le morceau< Black KoreaD, rap anti-coréenpar excellence,débute par une insertionde dialoguesentre un Noiret un Coréenextraits du filmde SpikeLee Do the RightThingTo, puis relate les tensionsd'une situationvécue au quotidien: -'TwentyD Energizers.' -'Twenty,C Energizer?' -'D, notC, D.' -'B Energizer?' ' -'D motherfucker,D! Learnto speakEnglish first, alright? D! -'Howmany you say?' -'Twenty,motherfucker, twentY.' -'Honey...' ' -'Mother-fuckYou! Everytimelwanna go geta fuckinbrew I gottago downto the storewith the two Orientalone-penny countin motherfuckers Thatmake a niggamade enough to causea littleruckus Thinkinevery brother in theworld's out to take So theywatch every damn move that I make Theyhope I don'tpull out a gatand try to rob Theyfunky little store, but bitch, I got a job

'Lookyou little Chinese motherfucker ' I ain'ttryin to stealnone of yo'shit, leave me alone! 'Mother-fuckyou! '

Yo yo,check it out So don'tfollow me, up anddown your market Or yourlittle chop suey ass'll be a target Of the nationwideboycott Juicewith the people,that's what the boygot So pay respectto the blackfist

Or we'llburn your store, right down to a crisp Andthen we'llsee Ya! Causeyou can't turn the ghetto - intoBlack KoreaTl

Ce rap foncièrement provocateurexprime avant tout I'amertume des Noirs du ghetto vis-à-visd'une commuanutémieux établieéconomiquement et qui dénigredans le même temps la communautéqui la fait vivre. lce Cube réclamedans ce morceau le

Fuchs, The AmericanKateidoscope: Race, Ethnicity and the Civic Culturc,Hanover, NH: Wesleyan UniversityPress, 1995 (1990), pp.372-374.) 68 'My Louis-JoséLestocart, crash life",Tenitoires du hip hop,Paris : Art-Press,no3, janvier 2000, p. 79. tt J"r", H.Johnson Jr, Walter C. FanellJr, op. cit.,pp.169-170. to Spik" Lee,Do the RightThing, (1989)

195 respectde sa communauté(< you can'tturn the ghetto- intoBlack Korea >) en mettant en avant I'impactéconomique de la communauténoire (< [you]'llbe a target of the nationwideboycotUso pay respect to the blackfist >). Parallèlementaux frustrationssocio-économiques, les habitantsdu ghetto doiventfaire face à une criminalisationde la misère.De nos jours, bs États-Unis détiendraientle recordmondial en matièrede criminalitéet de violencet'.Des études montrentque les Noirset les Hispaniquesreprésentent près de 70o/ode la population carcérale,alors qu'ils ne forment que 25o/ode la populationaméricaine73, ou encore qu'unjeune Afro-Américain sur troisest en conflitavec la justiceTa.Ces chiffresmettent au jour le caractèrefoncièrement discriminatoire des pratiquespolicières, judiciaires et pénales.7sL'abandon de I'idéalde la réhabilitationet la multiplicationdes dispositifs ultra-répressifsqui accompagnentcette ( guerreà la drogue> est I'unedes causes majeuresde I'augmentationde la populationcarcérale.76 Ce basculementdu social vers le pénal traduit la logiqueprofonde d'une < politiquede criminalisationde la misère>r selon certains.TT La Californie,qui offrepeu en matièred'éducation et de santépublique, est par ailleursleader national en termesde populationcarcérale : elleatteint en 1995 le total

71 fceCube, "Black Korea", Death Certifrcate(Priority, 1991). 'Los Rap and the Aestheticsof " S. Lo= , M. Alvarez,J. Santiago,Ch. Moore, AngelesGangsta Viofence",Se/ecfed Reporfs in Ethnomusico/ogy,Los Angeles:UCLA Ethnomusicology Publications, vol. X, 1994,p.159. (MarcMauer, Raceto lncarcerate. " 5}o/osont Noirsel 17o/osonthispaniques à la fin des années1990. The SentencingProject, New York: The NewPress, 1999, pp. 118-119.) to En 1ggg, 25% des hommesnoirs âgés entre 20 et 29 ans étaientsoit en prisonsoit en liberté conditionneffe,contre 32o/o en 1992,d'apres l'étude The SentencingProject commandée par le ministère de fa Justiceaméricaine. (Marc Mauer, op. cit.,pp.124'125.) tu S"lon des études,la délinquanceet les crimesviolenb ne cessentde baisserdepuis 1991 , enregistrant une baissede 49,7o/oentre 1991 et 1999,alors que la populationcarcérale n'a cesséd'augmenter de manièredisproportionnée. Ces chiffressont néanmoinsbiaisé par la désinformationet la couverture médiatiquedu phénomène.Cette surmédiatisation tend à convaincreI'opinion publique du -contraire.(Marc Mauer,op. ci., pp.82,93, 112, 171;Bill Lockyer,Crime delinquency in Califomia2@1, Cafifomia Departmentof Justice,p. 4.) to L" "gu"rr" à la drogue' lancée par Reagana contribuéà une criminalisationinédite des Afre Américains.Reagan a instrauédes mesureslégislatives et policièresextrêmement punitives envers les problèmesde drogues,plus précisémentdu crack,et enversla criminatitéen général.Les. républicains avaientfait adopteien 1Ôggle Anti-DrugAbuse Act avec I'objectif d'éradiquer la drogueaux USA en 1995. Selonfe JusticeDepaftment lssue Reporf, la populationcarcérale aurait augmenté de 500%entre 1972et 1g98 aforsque la populationmoyenne américaine n'a augmentéque de 28o/o.Marc Mauerévoque une industrialisationdu systèmepénitentiaire. (Marc Mauer, op. cit., pp. 1,51,54' 62' 155.) ttLoi'" Wacquant,"De l'état social à l'état carcéral: L'emprisonnementdes classesdangereuses aux États-Unis',Le Mondediplomatique, juillet 1998, pp.2O'21.

196 faramineuxde 130 OOOindividus contre 17 300 en 197578.Dans un interlude sobrementintitulé < A Statistic>, lce T résumede manièretrès concise la situationde lajeunesse noire : A statistic: Atthis moment, Thereare more black males in orison Than in college.Ts

Le < noircissement>> (< blackening>) de la populationcarcérale est tel que le systèmepénal devient la seuleforme d'éducationpossible pour les jeunesNoirs, comme!'affirme ironiquement lce Cubedans I'intro de son albumThe Predator, < The First Day of Schooluto. Les rappeurstransposent également la violencevécue à I'intérieurdes mursde la prison.lce T compareainsi I'institution pénale à unenouvelle formed'esclavagett : ,. They say slaveryhas beenabolished except for the convicted felon>82. Dans sa descriptioncarcérate < A Messageto the Soldierrrs3, lce T mêle, quantà lui, élémentssataniques et critiquesociale. La prisony est dépeintetel un monstreà I'appétitgargantuesque engloutissant la jeunessenoire :84 Bowelsof thedevil Let metellyou what that motherfucker eats Hisstomach filled with black souls

t8 LoibWacquant précise dans un articlequ'entre 1979 et 1990,les dépensesdes Étatsaméricains en matièrecarcérale se sont accruesde 325o/oau titre du fonctionnementet de 6120/oau chapitrede la construction.Les États-Unisdépensent moitié plus pour leurs prisonsque pour leur administration judiciaire.La Califomiequant à elle a dépensédès 1992plus de 3 milliardsde dollarspar an pour le systèmecaréral. L'augmentationdes budgetsn'a été possiblequ'en amputant les sommesvouées aux aidessociafes, à la santéet l'éducation.Ainsi, depuis 1994, le budgetannuel du CalifomiaDepartment of Conection(service des centresde détentiond'Etat où sont consignésles condamnésà des peines exédant un an)dépassecelui alloué aux campus de l'Universitéde Califomie.Le budgetproposé par le gouvemeurPete Wilson en 1995entendait d'ailleurs supprimer un millierde postesdans I'enseignement supérieurafin de financer3000 emplois de "matonsn.Ces demiers gagnent par ailleurs 30 % de plusque 'De des maîtresde conférence.(Loib Wacquant, l'état social à l'état carcéral,L'emprisonnement des "cfassesdangereuses" aux Etats-Unis", pp. 20-21.1 tt BodyCount,'A Statistic', Body Count${amer, 1992). Body Count est la groupede metal mp créé par lce T, mêlant rock métal et beat hip hop. Si cette formationn'est pas à proprementparler du Êp gangslapur, elle est considéréecomme telle par beaucoup de critiques. 80fce Cube,"First Day of School",The Prcdator(Priority,1992). tt C", propos recoupeavec Marc Mauerévoque dans son ouvrageune industrialisationdu système carcéral.Les prisonsdeviennent en effet une sourcede développementéconomique ofirant une main- d'æuvretrès bon marché pour des entreprises américaines (Microsoft, U'Roy..). (Marc Mauer, op. cit., gP. 10.) 82 1""T, "YaShoulda Killed Me LastYeaf, OG:OriginatGangsfer(Sire, 1991). tt f"" T, "MessageTo TheSotdief, Home lnvasion @rtofty,1993). & M"tth"* T. Grant,"Of Gangstasand Guerillas",Appendx: Cutture/Theory/Pnxis, Cambridge, lssue 2, 1994,text 6, pp. 3-4.

t97 Hisguts made out of steeland concrete.ss

Qu'ils soient incarérés ou parquésdans le ghetto,les Noirs restent des prisonniers(< | feel like a birdwith no wings/I'm stuckin this ghettotrying to havea littlechange ))86. Ce lieuemblématique qu'est le ghettos'apparente de parsa structure et sa fonctionà la prison. ll enfermeune populationstigmatisée, regroupée par groupesethniquessT. C'est la < prisonen pleinair r>88à laquelleAdorno se référaitpour décrire la sociétécapitaliste. La liberté de ses habitantsy est restreintepar les conditionssocio-économiques. Le systèmeultra-libéral américain a transforméles espacespublics en espacesde vie restrictifset déshumanisantsseet confiné les communautésde colsblancs dans des enclosprivés placés sous haute surveillance, fes n gafe communitiesneo, reléguant toujours plus les Afro-Américainsdans ce que Mr. Lif désignepar le termede < plantation>s1 Youknow they got me trapped in this prison of seclusion Happiness,living on tha streets is a delusion 1....1 Theygot me trapped Can barely walk tha city streets Withouta copharassing me, searching me Thenasking my identity Hands up, throw me up against tha wall Didn'tdo a thingat alll'm tellin you one day these suckers gotta fall Cuffedup throw me on tha concrete Coppers try to killme Butthey didn't know this was tha wrong street Bangbang, down another casualty Butit's a copwho's shot there's brutality Whodo you blame? lt's a shamebecause tha mans slain Hegot caught in tha chains of hisown game Howcan I feelguilty after all tha things they did to me Sweatedme, hunted me Trappedin myown community Oneday I'm gonna bust Blowup on this society

85 fceT, "MessageTo The Soldief, Home lnvasionPnority,1993). 86 Mystikaf, "Ghetto Child", lJnpredictabte(Jive, 1997). 87 Loi, Wacquant,"Deadly Symbiosis. When Ghefto and Prison Meet and Mesh", Punishmentand Society,3-1,Winter 2000, p. 108. 88 Theodo,Adomo, Prismen:Kufturkitik und Gesettschafi,Berlin: Suhrkamp, 1952, cité dans MatthewT. Grant,'Of Gangstasand Guerillas",op. cit.,text 6, p. 2. 89 La ville américaineest de ptusen plusvidée de ses espacespublics. La municipalitéde LosAngeles a à titred'exemple retiré les bancspublias et toutesles sourcesd'eau dans certiains quartiers. (Mike Davis, op. cit.,p. 206.) to F""" à la peuralimentée par les médias,les Blancset les classesmoyennes font depuisune vingtiaine d'annéesde plus en plus sécessionavec les ghettosen se banicadantdans des enclavesurbaines, véritablesvilles forteresses. Cette obsession sécuritaire est un phénomèneségrfuationniste de défense contrefes "dangers extérieurs' fantasmés. (Mike Davis, op. cit.,pp.204-207.l tt Mr.Lif, 'Live FromThe Plantation", I Phantom(DefinitiveJux, 2002).

l9E Whydid ya lie to me? I couldn'tfind a traceof equality Workme like a slavewhile they laid back Homiedon't play that lt's time I lett'emsuffer tha payback I'mtryin to avoidphysical contact I can't hold back, it's time to attackjack Theygot me trapped...e2

L'amalgameprison et ghettoest très présent.La prisonest elle-mêmedevenue à son tour un ghettoavec ses codes,ses traficset ses gangsnt.< I'mjust a prisonerin hell>, ainsi résumele protagonistede < Outlawrrto sa situationcarcérale. Pour lce Cube,l'âme est elle-mêmeprisonnière du ghettoqui I'abrite.Dans < MentalWarfare>, un interludelaconique composé d'une suite de distiques,lce Cubenous renvoie aux analysesde CornelWest à proposdu nihilismedes ghettoscomme < dépression clinique>>, << maladie de l'âme> qui menacela santé psychiquedes habitantsdu ghetto: Youain't got to bein the pen to bein prison Youin the prison of yourmotherfuckin' mind t...1 Everythingis realon thisconcrete and steel Everythingis realon thisconcrete and steel

The warfareis mental The warfareis mentales

Certains rappeursvont jusqu'à mettre en scène des personnagesau bord de la psychose: <e6, <, < Maniacal madman,rnt, ,. lunaticrrtt, ,, My mind is Playin'Trickson me rree,,< My mind is infested with sick thoughtsthat circle /like a Lexus, if driven wrong it's sure to hurt you ,rtoo.Les rappeurs cernent avec difficultéce mal aux contours nébuleuxqui s'empare de leurs héros. Ce mal€tre des ghettos s'exprimeégalement dans les plus extrêmesformes de

t' Trpr., "Trapped",2Pacatypse Now (Jive, 1991). 93 Loi, Wacquant,"Deadly Symbiosis. When Ghefto and Prison Meet and Mesh", p. 109. 9o Trp"" feat.Dramacydal, 'Outlar,r/', Me Againstthe lVorld (lnterscope, 1994). tu f"" Crb", "MentalWarfare",War & Peace(vol. 2): The PeaceDisc (Priority, 2000). 96 Trp"", 'l'm Losinlt', R U StitlDown?(Remember tule) (Jive, 1997) tt 'Ballad C"t exempleet I'exempleprécédent sont extraits de CPOfeat. MC Ren, of a Menace", To Hell and Black(Capitol, 1990). tt 'Tha Tup"., Lunatic', 2PacalypseNow (Jive, 1991). tt C"tt" phraseet les exemplespréédents sont extraitsde Geto Boys,'Mind PlayinTricks on Me", We Cant Be Stopped(Rap-A-Lot, 1995). 100 J"y-z,"Can I Live', lJ nrcasonableDoubf (Priority, 1 996).

t99 possessiondémoniaque. < The DevilMade Me Do lt >1101lance Paris102 pour se justifier d'un crime.Dans < Run Nigga>, Trick Daddymet en scèneun protagonisteépris d'une démenceparanoïde dont les causessont à attribuerà toute une sommede facteursconfus, allant de I'exploitationesclavagiste à la répressionpolicière : Freeme I'vebeen captured by some demons Theydrainin my blood Takensample of mysemen Gotthe nerve to callme cra.yto"

Le nihilismegangsta peut égalements'interpréter comme I'abandon de toute formede résistance,et par extensioncelui de la mortphysique et spirituelle.lce Cube préfudeson album intitulé The Chronicloapar la bénédictionsuivante de Dr Dre : <>. < Death Row> se réfère en premierlieu au nom du label éponymeDeath Row Records.louDans un secondtemps, lce Cubefait preuvede cynismeen comparantles ruesde Comptonau quartieroù les condamnésà mortattendent leur exécution. Cette métaphoreest d'autantplus forte que plusque 40olo des condamnésà mortsont noirs, alorsque la populationmasculine noire ne pèseguère plus de 6% dansla population américaine.16 Dans < Lost in tha Systemrrtot, Da LenchMob décritI'engrenage dans lequel sontpris de jeuneshommes noirs innocents. ll y décritle systèmepénal comme une institutionkaftaiênne qui ingurgitedes victimesinnocentes, les entraînedans un engrenagepour les recracherensuite dans un mondeextérieur tout aussihostile. Le hérosde ce rap est un simpleautomobiliste qui grille un feu rouge.Comme il avait omis auparavantde payer une contravention,il sera condamnéà deux semaines d'emprisonnement.S'en suit une bagarre en milieucarcéral qui alourdira sa peineet le condamneraà la celluledisciplinaire. Transféré à nouveaudans sa cellule,il sera de nouveauembringué dans une altercationqui le condamneradéfinitivement à deux annéesd'emprisonnement ferme. Cette traversée du mondepénal califomien s'achève

101 P"rir,'The DevilMadeMe Do lf, Ihe DevitMadeMe Dolf (TommyBoy, 1991). to' P"ri. n'est pas à proprementparlé un rappeurgangsta,cet artiste politisé base néanmoins toute son oeuvresur une esthétiquede la violencepropre au gansgtanp. to'Tri"k Daddy,'Run Nigga",Based on a TrueStory(Warlock,1997). t@ D, Dr", TheChronic(Death Row, 1992). tou M"tth"* T. Grant,op. cit.,text3, p. 3. tou tbid.,text6, p. 3.

200 sur la libérationdu héroset cettecomplainte amère : <. Les gangsfarappers observent à traversleurs rimes I'ubiquité de la violence, qu'ellesoit publiqueou institutionnelle.lls constatentque la pauvreté,les inégalités sociales et I'oppressionne conduisentpas toujours à la révolte, mais qu'elles enfermentles plusfaibles dans un engrenageauto-destructeur. Ges injustices sociales peuventégalement mener à un défaitismerongeur et pousserI'opprimé à dirigerI'arme contrelui-même.

1.1.2. La ç black-on-blackviolence n: I'autovictimisationafro-américaine

It's hard to be black in America.Look at all the imagesthat run acrossus, from television,school, just everythingin general.lt's hard.You got to fightto loveyourself. They put everybodyin sucha badlight... lt's mainlytheir fault, our self-hate.We got to fightto reallylove ourselves.

lce Cubelos

G'estau débutdes années1980, avec I'apparition du phénomènedes gangs que serautilisé pour la premièrefois le termede c

107 D, LenchMob, "Lost in Tha System", Guerillasin Tha Mist(Atlantic,1992). 108 1." Cubecité dans bell hooks, "sexism and Misogyny:Who Takes The Rap? Misogyny, Gangsta Rap andthe Piano",p. 26. 109 "bl""k holocausf. DeadPrez, "These are the Times', LetsGet Free (Relativi$, 2000). 110 Nation"tCenterfor Healfh Stafisfibs pour I'année 1991, www.cdc.gov. 1'11 g4o/oen 1993, FBt uniform Cime Reporfs, 1994, données recueillies sur le site http://www.census.gov.

201 soulignerI'aspect aliénant de ce phénomène.tt'La criminalitéendogène aurait par exemplefait bienplus de victimesque les annéesde lynchageset de répressionpost- esclavage.Cette violence inégalée atteint son apogéeen 1994,date à laquellefait ragela guerrequi opposales côtesOuest et Estdes États-Unis.Les décesde Tupac et NotoriousBIG respectivementen 1995 et 1996 illustrerontce drame à l'échelle internationale.La < black-on-blackviolence n est devenueun grave problèmede sociétépuisque selon certainsobservateurs, elle affecteraitla stabilitésociale de la communauténoire et menacedirectement sa survie.113 Beaucoupde thèsesont été avanées pourtenter d'expliquer cet achamement autodestructeur.Nous rappellerons la longuehistoire d'oppression physique et mentale qui serait la racine même de cette autodépréciation(n setf-hater.,tto;et qui anime encoreaujourd'hui I'inconscient collectif de la communauténoire."s Huey P. Newton qualifiaitce suicide passif et contre-révolutionnairedes habitantsdu ghetto de < réactionnairerr.ttu Malcolm X définissaitquant à lui ce sentimentautodestructeur commele plusgrand crime commis à I'encontredes Noirs: America'sgreatest crime against the black man was not slavery or the lynching,but thathe was taught to weara maskof self-hateand self-doubt.117

L'autrecause historique qui va exacerberce phénomèned'autovictimisation est I'exodevers les villes d'une population d'origine rurale. ll fauttout d'abord rappeler que I'affranchissementsoudain des esclavesen 1865va déstabiliserla communauténoire et développerdes comportementspathologiques exarcerbant notamment une violence longtempscontenue. Les affranchisse retrouventtout à coup plongésdans leur nouvellevie de citoyensans aucunepréparation. Suite aux deuxconflits mondiaux, la populationrurale du Sud continueà migrermassivement vers le Nordet les grandes

tt' 'Black Voi, à ce sujet W. Oliver, Malesand Violence",Proceedings of fhe tnstituteon Domestic Viotencein the AfricanAmeican Community,Washington D.C.: U.S. Departmentof Healthand Human Services,1995 pp. 61-72. 113 L'homicideest la premièrecause de mortalitédes jeunes Noirs âgés entre 15 et 24 ans.Le risquede mourirde mort violenteest 8 fois plus élevé que chez les Blancs.(Données publiées par le National Centerfor HealfhSfafisûbs, sur www.cdc.gov') 114 L" ,ynd.me de 'hainede soi"et le complexed'infériorité des populationsopprimées a été notramment mis au jôur par AlbertMemmi et FranzFanon. Si ces sentimentsne semblentplus caractériser aujourd'hui la personnàlitéafro-américaine, ils ont néanmoinslaissé des traces profondes.(Franz .Fanon, Les Damnésdelatene, Paris:Gallimard,1961 iFranz Fanon,Peau noirc, masqueblanc,Paris: Le Seuil, Esprit,1975 (1952) intOert Memmi, Portrait du colonisé,Paris : ÉditionsConéa, 1957.) tt5 Voi, beflhooks, OuttawCutture: Resisting Representations, London: Routledge, 1994. 116 Hu"y P. Newton,Revdutionary Suicide,New York: Harcourt Brace Jovanovich, 1973, p.371. ttt M"l-lr X, citésur le sitewww.tbwt.org.

202 métropolesà la recherchede la < Terre promise>. La ghettoi'sationva engendrer pauvretéet fracturefamiliale. Le confinement,la solitude,l'apparition des gangs,le regroupementdes famillesdans des logementsinsalubres, la consommationd'alcool et de drogue,puis l'accès soudain aux armes pour une populationpeu habituée à se défendredans un paysageanarchique et faiblementpolicier sont quelques-uns des faitsqui contribuerontà l'émergencede pathologiescriminelles"t : ,. my crewand me commitatrocities like we got immunity,tt' observeJay-2. L'arrivée du crackdans les années1980 sera déterminantedans I'augmentation de la criminalitéendogène. On peutajouter à ces causesI'adhérence aux normesd'une sous-culture marginale et de son modede vie lié à la criminalité. Le phénomèneest également amplifié par I'environnement urbain des habitants du ghetto,comme le constataitdès 1964Kenneth B. Clarkdans son étudeconsacrée au ghettonoir: Thepathologies of the ghettocommunity perpetuate themselves through cumulative ugliness,deterioration, and isolationand strengthenthe negro'ssense of worthlessness.læ

Cettethèse fut égalementsoutenue par la suitepar GeorgeKelling et JamesQ. Wilson.Dans leur théoriede la < vitrecassée n, les deuxsociologues établissent que les réactionsdes êtreshumains dépendent en partiede leurenvironnementl2l. L'état des quartiersoù viventles habitantsdu ghettoinduit leur comportementet une < vitre cassée> en appelleune autre. De plus,les pouvoirspublics n'interviennent que dans un but répressifet restentle plus souventà la périphéried'un territoireoù règneune espècede cannibalisme,laissant les habitantsdu ghettolivrés à eux-mêmeset évoluer danscet éternel décor apocalyptique.

118 James W. Clarke,'Black-on-Blackviolence", Transaction Publishers, 1996, publié sur www.sistahspace.com. 119 J^y-L,'Can I Live", lJnraasonableDouôf (Priority, 1 996). 120 K"nn"th Cla;1.,Dark Ghetto:Dilemmas of SocialPower, Hanover, NH: WesleyanUniversity Press, 1965,p. 12. 121 "Brok"nwindow theo4f. G. Kellinget J. Wilsonont démontréque de vivredans un immeubledégradé aux vitrescassées incitait ses habitanbà en casserd'autres et à commettedes actesde plusen plusgraves. Le désordredans un quartierappelle le désordre.Peu à peu, la criminalitéaugmente et le quartierdevient une zone de non- droit.Un autre effet de cettethéorie est I'isolementde la populationqui fermeles yeux. Kellinget Wilsonse sont inspirésdes travauxdu psychosociologuePhilippe Zmbardo qui avait exploré cetteihéorie en 1969.Son expériencedevait démontrer que, lorsqueles régulationssociales informelles font défaut,les comportementsdestructeurs se libèrentet ce, quellesque soientles couchessociales 'Brcken concemées.(J. Q. Wilsonand G. L. Kelling, Windows:The Policeand NeighborhoodSafety", Ihe AtlanticMonthly, March 1982.)

203 En outre, commeont pu le constaterde nombreuxobservateurs, I'opprimé réagit naturellementde manièreviolente à I'oppressiondont il est victime.Cette violenceréactionnelle est à la fois libératriceet aliénante,puisqu'elle se retourne fatalementcontre I'opprimé de façondestructive, c'est l'essencemême de la violence intra-communautaire(< blackon-black violence r). Lesconditions d'oppression vécues par la communautéafro-américaine engendrent la mêmeforme d'autovictimisation que celleobservée par FrantzFanon dans I'Algériecoloniale évoquée dans Les Damnés de la tene: Au niveaudes individus, on assisteà unevéritable négation du bonsens. Alors que le colonou le policierpeuvent à longueurde journée frapper le colonisé,l'insulter, le mettre à genoux,on verrale colonisésortir son couteau au moindreregard hostile ou agressif d'un autre colonisé.Car la dernièreressource du coloniséest de défendresa personnalitéface à soncongénère. Les luttes tribales ne font que perpétuer de vieilles rancunesenfoncées dans les mémoires.122

Commele note le psychiatre,I'ultime recours de I'oppriméest de libérersa rancæuret de s'affirmerindividuellement en dirigeantI'arme vers sa propreengeance. D'autressociologues soulignent le dysfonctionnementdu rôlemasculin pour expliquer la démonstrationviolente de la masculinitédans les classesdéfavorisées : This view [...] suggeststhat lower-classblack men frequentlyadopt a compulsive masculinityalternative in orderto mitigatelow self-esteem and negativefeelings that emergefrom their inabilities to enacttraditional masculine roles.'23

Les hommesétant les premièresvictimes de la violencedirigée à I'encontrede la communautéafro-américaine, leurs normes et conceptionsde la virilitésont souvent liéesà uneforce brutale : < Becauseviolence against the communityis aimedat men, resistanceby the communityis alsoconceived as a masculineact. >124 LesAfro-Américains ont dû ainsiredéfinir la masculinité,afin de compenserdes sentimentsde culpabilité,d'impuissance et de perte d'estimeliés à leur histoire.La forcemasculine est décritecomme un besoinsociopathe de domineret d'abusertout ce qui est susceptiblede nuire. La violencedevient alors un outil de construction identitaireen donnantun sensà la vie. Ellepermet enfin d'imposer le respect,un statut socialet de réaffirmerainsi sa masculinitéau sein de son groupe(< Kickinniggaz

122 Fr^nuFanon,Les Damnés de la tene,Paris : Gallimad,1961 , pp'84€5. t23 Clyd" W. Franklin,'surviving the institutionalDecimation of BlackMales: Causes, Consequences, and fntervéntion",in HarryBrod (ed.),The Making of Masculinities- Ihe NewMen's Studies, Boston: Allen & Unwin,1987,p.157. VoiraussiW. Oliver, The Vident SocialWortdof BlackMen, New York: Lexington, 1994. 124 P"ul^ Ebron,'Rapping Between Men: Performing Gender", Radicat Amertæ, vol. 23, N'4, 1989,p. 26.

204 down the steps just for rep ut'u;. Se faire anêter par la police, puis s'enliserdans une criminalité professionnelle, c'est recevoir également un adoubement de sa communauté,une reconnaissancesociale.læ L'un des aspects les plus subversifsdu discoursgangsta concerne donc cette transpositionviolente et hyperréalistedu < black-on-blackcrime r. lls révèlentque les habitants du ghetto ont perdu la foi et toute valeur morale. La violence à vocation d'exutoiredevient alors leur seule compensationpossible. A travers leurs descriptions orgiaquesde la violence,les MCs rapportentainsicette rage impuissanteque les Noirs dirigentcontre eux-mêmes: Straightoutta Compton, crazy motherfucker named lce Cube Fromthe gang called Niggaz With Attitude WhenI'm called off, lgot a sawedoff Squeezethe trigger, and bodies are hauledoff Youtoo, boy, if ya fuckwith me The policeare gonna hafta come and get me Off yo ass,that's how I'm goin out Forthe punkmotherfuckers that's showin out Niggazstart to mumble,they wanna rumble Mixem andcook em in a potlike gumbo Goinoff on a motherfuckerlike that Witha gatthat's Pointed at Yoass So giveit up smooth Ain'tno tellinwhen l'm downfor a jackmove Here'sa murderraP to keePYo dancin Witha crimerecord like Charles Manson AK47 is the tool Don'tmake me act the motherfuckinfool Me youcan go toe to toe,no maYbe I'mknockin niggaz out tha box,daily Yo weekly,monthly and YearlY Untilthem dumb motherfuckers see clearly ThatI'm down with the capitalC-P-T Boy you can'tfuck with me So whenI'm in yourneighborhood, you better duck Coz lceCube is crazyas fuckl2t

Les inégalitéshistoriques, les oppressionspolicières, le déclin économique,la léthargie politique ont généré une infirmité morale collectivequi sera à I'origine de I'exacerbationde la criminalité.Les gangster rappersdémontrent, pour paraphraser Karl Marx1", qu" les Noirs du ghetto font leur histoire eux-mêmes, mais dans des

12u Notoriou,BlG, "Ready to Die", ReadyfoDie (BadBoy, 1994). 126 Theodor"N. Maynard,'CanI Live?Young Black Men and the QuestforMeaningfulLife", Fall2001, publiésur hftp://people.bu.edu. "t NWA,'straightOuttra Compton", Stnight OuttaComptut(Tommy Boy, 1990)' t'8 K"rf Marx,Der 18,.Brumairc des Louis Bonaparte,Frankfurt am Main:Insel-Verlag, 1965.

205 conditionshistoriquement déterminées qu'ils n'ont pas choisies librement.Les rappeurstentent ainsi de justifieret de disculperla jeunesseen lui attribuantle statut de victimed'un système machiavélique : Mylife is fucked. But it ain'tmy fault CauseI'm a motherfuckin'productlæ

I'ma self-mademonster of the city streetsl3o

Dans le discoursgangsta,l'injustice et t'hypocrisie apparaissent comme des véritésabsolues. Dans < MessageTo TheSoldier >>, lce T rappelleque la plusgrande pression qu'aient jamais subie les Afro-Américainsest bien celle du racisme institutionnaliséet de la privationsystématique d'une égalité légitimed'accès à l'éducation.L'impact historique de la discriminationraciale a bel et bien handicapéles Noirsdans leur quête de libertépolitique et économiquecomme le rappeCPO : AndI've been told pimpin hoes is a felony Butl'm not a doctoror lawyerI wasn't made to be EverLuciferic because I get paid to be Thereain't no rehabilitatin...131

Danscette culture de la violence,l'arme devient la meilleureamie de l'homme, <132 ironise lce Cube.Nas va jusqu'àlui donnerune âme dans < | Gave You Powerrr'33. L'arme à feu, incarnéepar le rappeurlui-même, devient narratricedes événements.À traverssa voix, Nas racontele destintragique d'une arme,contrainte et forcée,par nature, à tuersans relâche et incapablede s'y résoudre. Cettearme est humaniséeau pointde se considérerelle-même comme un < négro>. En jouant de la confusion,I'auteur fait prendre conscienceà I'auditeurde la subordinationde I'hommeà I'arme.1s

129 f"" Cube,"The Product', KtlatWilt(Priority, 1990). 130 1"" T, "RhymePays", Rhyme Pays(Sire, 1987). ttt CPOfeat. MC Ren,"Ballad of a Menace", To Helland Black (Capitol, 1990). tt' lnOube, 'A Man'sBest Friend", Death Certifrcafe (Priority, 1991). t" N"., 'f GaveYou Powef, ttWasWritten (Sony, 1996). 1il 'Le E""rpl" citépar Ludovic Francisco, mythedu pharaon",2002, p.2, publiésur le siteindépendant www.chez.com/hiphopculture.

2M La vie du ghetto, quant à elle, apparaît comme un cycle se répétant en permanence: < And all I see is Life just repeatin' itself ut'u. Dans < Blasphemy>, Makaveli, alias Tupac évoque la filiation criminelle retransmise de père en fils, soulignantune fois de plus la fatalitédu systèmeet le désir de briser cette chaîne : Myfamily tree consists of drugdealers, Thugsand killers. Strugglin: Knownto hustlescreaming fuck their feelings I got advicefrom myfather All he toldme was this Niggaget off yourass lf youplan to be rich There'sten rulesto the game Butl'llshare with you two Know,niggas gon' hate for whateveryou do Nowrule one get yo cashon M.O.B. That'sMoney Over Bitches cause they breed envy Nowrule two is a hardone Watchfor phonies Keepyo enemiesclose nigga Watchyo homies It seemeda littleunimportant Whenhe told me I smiled Picturejewels being handed To an innocentchild I neverknew in my lifetime I'dlive by theserules Initiatedas an outlaw[...] Promisedif I havea seed I'maguide him right DearLord don't let me dietonite136

Le réalismeviolent et explicitede leurs narrationsest souvent renforcépar des bruitages évoquant, par exemple, des échanges de tirs, des crissementsde pneus, des cris d'effroiou encore des insertionsde dialoguessous la forme de documentaires < audio vérité >137.Ces mises en scène apparaissent généralement dans des interludesou des intros sans accompagnementmusical, renforçantainsi I'impression de vécu des scènes et avalisantles morceauxde rap qu'ils annoncent.L'originalité de certaines rimes gangsta réside également dans la linéarité de la dramaturgie avec laquelle les rappeursdécrivent le quotidienpeu banal de jeunes criminels,qui dealent, volent,tuent pour survivre: Drugs,liquor,drugs I loveto smokecrack I loveto shootsmack

13s J^y-Z,"CanI Livell",lJnrcasonabte Doubt(Priori$, 1996). 136 Makaveli,"Blasphemy", The DonKttuminati: The 7 Day lheory (lnterscope,1996). t37 RobinD. G. Kelley,op. cit.,p.136.

207 loveto fuckin'drink lovemy smokewhen it stinks needit in my veins needit in my brain Whathas it doneto me, Streetlobotomy

IChorus] My brain- melted- down Brain- melted- down- lobotomY

Needsome more doPe man Yeahgot Anyacid dude Gotany ludes138

Le < G-Funk> joue notammentsur le contraste inquiétantde rimes violentes soutenuespar une ligne mélodiquelancinante. La dramatisationdu texte est de plus mise en relief par un phrasé monocordepeu moduléqui ne laissetransparaître aucune émotionen soulignantainsi I'indolence,voire le détachementnihiliste des acteurspar rapportau destin qu'ils ne font que subir. Les rappeursretranscrivent ainsi de manière froide et frontalecette violencequi I'esttout autant : It'stime to escape,but I don'tknow where the fuck I'mheaded Up or down,right or left,life or death I see myselfin a mistof smoke Deathbecomes any niggathat takes me for a joke Onegun is all thatwe need,to putyou to rest Pumppump! Put two slugs dead in yourchest Nowyou dead then a motherfuckercreepin and sleepin 6 feetdeep in, fuckin with the Poundis Suicide,it's a suicidel3s

Cette approchedétachée du problèmeprête souvent à confusionet beaucoup de critiques ne voient dans cette énumérationclinique de faits violents qu'un élan déviant. Cette rhétoriquepermet avant tout de soulignerI'aspect presque mécanique, donc défaitiste du phénomène. Les protagonistes ne s'intenogent jamais sur la légitimitéde leurs faits et gestes. lls démontrentainsi que les habitants des ghettos sont victimes de leur environnementet ne font que subir et perpétrer de manière résignéeces actes gratuits de violence.Le très jeune lceberg résume dans cet extrait la difficultéde ne pas résisteraux appels de la rue : The streetskeep calling me [...] Tellinme stayon the blockdon't get a iob doghustle and rob And it's hardto be Notable to thinkabout it [...]

t" BodyCount,'street Lobotomf, Bom Dead(Viqin,1994)' ttt SnoopDoggy Dogg, Serial Klllef, Doggystyte(Priority,1993).

20E It'sthe dogin me [...]that was taught to bite14

L'ensembledes textes gangstaexpriment la passivité,décrivent une résignation qui renseignesur le sentimentqu'ont les jeunes Noirs de ne rienpouvoir contre la force du destin: It'scrazy out there Yo mamaI'm trying to keepmy headstrong

I'mjust a ghettochild trying to makeit l'mjust a ghettochild trying to makeit

Thisghetto got me crazy1...1 lfeel likea birdnigga with no wings I'mstuck in thisghetto trying to havea littlechange My homieskilling each other cause we gottato eat AndI ain'ttripping cause I'm running from the police [...] We struggling,trying to getout of the ghetto Tryingto makeit to Mars.lal

Mysticalexprime dans <). Tupac, alias Makaveli,s'enquiert avec luciditédans < White Man'zWorld ,r'o': <,Proud to be black / Why do we act like we don't love ourselves?> tandis que lce T lance,nihiliste, une apostropheà ses ennemis: <1a3. Ne reconnaissant plus aucune autorité légitime, les habitants du ghetto s'engouffrent dans une spirale autodestructrice,flirtant avec la mort, seule issue libératrice.Dans son autobiographie,Sanyika Shakur, ancien membre de gang, témoignedu rapportà la mort : I had no ideaof peaceor tranquility.From my earliestrecollections there has beenstruggle, strife and the ubiquityof violence.This rangedfrom the economic destitutionof my familyto the domesticviolence between my parents,from the raginggang wars to the omnipresentoccupational police force in hot pursuit... The ultimatestability, however, was death- the finalrest, the only lasting peace. Thoughnever stated, death was looked upon as a sortof reward.'.l4

Dans certainesrimes gangsta,il est bien moins questionde condamnerle complotblanc que de constatercet attraitenivrant de la mort,le défi que les jeunes

140 l""b"rg, "Dog4 Life',Exd Wounds[Soundtnckl(Virgin, 2001). 141 Mystikal,"Ghetto Child", Unpre dictabte(Jive, 1997). 142 Makaueli,White Man'zWorld' , TheDqr Kttuminati:The 7 DayIlæory (lnterscope,1996). 143 BodyCount, 'Maste/s of Revenge',Bom Dead(Virgin,1994). 14 SanyikaShakur, Monster:The Autobiqraphyof an L.A.. GangMember, New York: Atlantic Monthly, 1993,pp. 102-103,cité dans Nick De Genova,op.cit., p. 115.

209 lancentà la vie.Dans son premieralbum intitulé Ready to die1aî,puis dans le suivant, Lifeafter Death...Tit DeathDo lJs Part1a6,album posthume, Notorious BlG, ancien dealer repentide Brooklyn,annonçâit puis mettaiten scène sa propremort. Cette obsessionde la mort, qui plane de manièreirrémédiable au-dessus des jeunes criminefs,fait souventI'objet de contemplation.L'album DeathCertificatelot de lce Cube débute,lui, par un éloge funèbreprononcé par un ministrede la Nationof lslamlÆ.lce Cubecomprendau coursde cet élogequ'il s'agitde lui et devientle témoinde sonpropre enterrement. Les rappeursreprennent à leur comptecette perpétuellemenace de la mort. Risquerla mortà chaqueinstant, c'est également donner un sensà sa vieen affirmant sa puissanceet en asseyantune reconnaissancesociale comme le rappe avec cynismeNotorious BIG : < You'renobody/Til somebody kills you u'ot. Si le suicideest proportionnellementpeu répandudans la communautéafro-américaine150, il représente un attraitpour les jeunes gens. Bien plus que la conséquenced'un malaisesocial, il apparaîtcomme la solutionqui libèredu jougde la fatalité: WhenI die,fuck lwanna go to hell CauseI'm a pieceof shit,it ain'thard to fucking tell [...] Crimeafter crime, from drugs to extortion I knowmy mother wished she got a fuckingabortion [...] I swearto GodI justwant to slitmy wrists and end this bullshit Throwthe Magnum to myhead, threaten to pullshit Andsqueeze, untilthe bed's completely red l'mglad l'm dead, a worthlessfuckin' buddah head Thestress is buildin'up, I can't,I can'tbelieve suicide's on my fuckin' mind I wantto leave, I swear to God I feellike death is fuckin'callin' me [...] I reachmy peak, I can'tspeak, call my nigga Chic, Tellhim that my will is weak. to5 Notorior. BlG,Ready to Die (BadBoy,1994). to6 NotoriousBlG, Life AfterDeath... Tit DeathDo lJs Part(BadBoy, 1997). 'o' l""Cube, DeafhCertifrcate(Priority, 1991 ). tot voir.définition note 398, p. 97. to9 NotoriorsBlG, 'You're Nobody(Til SomebodyKills You)",LiE AfterDeath... Tit DeathDo lJs Part (BadBoy, 1997). 'u0 ll été établique le passageà I'actesuicidaire est faibleparmi les minoritésethniques opprimées, c'est ce" que J. TaylorGibbs désigne par "a culturalparadox" au vu de I'oppressionque ces populations subissent.ll est néanmoinsà noterque ces demièrcsdécennies ont vu uneaugmentation inquiétante des taux de suicidechez les jeunesAfro-Américains entre 15 et24 ans. Ce nouveauphénomène serait liés à divers facteurcnotiamment la perte de cohésionsociale comme I'observaitDurkheim dès 1897. Si la communautéafroaméricaine fut pendantlongtemps I'une des plus unies,les liens communautaireset familiauxne sont plusaussi forts. Cette hausse du suicideest liée aussiaux facteurs économiques et aux difficuftésd'intfumtion sociale. (J. T Gibbs,"Aftican-American Suicide: A CulturalPamdot', Suicideand LifeThreatening Behavior, 11N7, 27 : 6&79.) Voir à ce sujetDavid Lester, Suicide in AfticanAmeicans, New York NovaScience Publishers, 1998. EmileDurkheim, Le suicide,Paris : PUF,1981 (1897).

210 I'msick of niggaslyin', llm sick of bitcheshawkin', Matterof fact, I'm sick of talkin'1sl.

Qu'ellesoit violente ou choisie,la morts'apparente dans les proposrappés à un exutoire,un affranchissement.Elle permet de chasserla douleur nihilisteet d'échapperà sa conditionsociale. La pochettede t'albumde NWA Efil4zagginls2 présentele cadavredu rappeurgisant sur un trottoirderrière une barrière de police.De ce corps s'élèveI'esprit du rappeurtel un spectrelibéré de sa chair, une scène paraboliquesur la notionde libertéet l'espritde résistance. Un regardlucide sur le ghettofait prendreconscience de la fatalitéet de la notionde I'absurde.Défiant la mortau quotidien,Tupac s'intenoge ainsi avec cynisme sur sa destinée: < | wonderif Heavengot a Ghetto)153, tandis que lce Cuberelate non sans ironiela banalitéd'une joumée dans a < Good D"y u'* : < Nobodygot killed todayin SouthCentral LA/.../That was a GoodDay. > Lesgangsfaz se refusentdonc à toutlyrisme et posentsur I'universsordide des ghettosun regardneutre qui ne s'autoriseaucun jugement. lls ne fontque constaterce milieudélétère et ses influencesnéfastes : YeahI solddrugs for a living,that's a given Whyis it?Why don't you try to visitthe neighborhoods I lived in Mymind been through hell, my neighborhood is crime centrallss.

La neutralitérevendiquée prend tout son sens lorqueles protagonistesgangsta s'adonnentà cetteviolence à corpsperdu. Les n OGsr n'émettentpas de jugements explicitesni de conseils,mais leurs raps interrogentde manièrepédagogique leur auditoire.Leurs descriptions hyperboliques de la violencecriminelle ont une fonction conativeet sont autant de témoignagesvolontairement tenifiants dans le but de susciterune réflexionet de tenirla jeunesseà l'écartde sesdangers : flupac]Aiyyo, what the fuck you wanna be when you grow up RahRah? [RahRah]Nigga, is you stupid, lwanna be a motherfuckinOutlaw TupaclThat's right nigga, hahaha... housin these hoes, you feel me? [RahRah]Aight, knowhatl'msayin? ftupac]You got to dothat shit, keepin it realnigga or what? lRahRahlKeepin it real! ftupac]How old are you nigga?1s

'5t Notoriou,BlG,'suicidalThoughts", ReadytoDie (Bad Boy, 1994). 152 NWA,Efrl4zaggin(Ruthless, 1991 ). 153 Tup"., 'f Wonderif Heavengot a Ghetto',R U Sti/ Down?(Remembr titr;)(Jive, 1997)' t* f"" Cube,"ftWas a Good Daf , AneriKKQa'sMosf Wanted(Priority,1990). 155 J^y-Z,"Can I Live ll", lJ nreasonabteDanbt (Pnori$, 1 996).

2tl IRAHRAHIt'MELEVEN flupac] Causeall I see is, murdermurder, my mindstate Preoccupiedwith homicide, tryin to survivethrough this crime rate Deadbodies at blockparties, those unlucky bastards Gunfirenow they require may be closedcasket Whocan you blame? lt's insanewhat we daredo Witnessan evilthatthese men do, bitches in, too Infact they be the reasonsniggaz get to bleedin Pullthe fuckin fire when I leaveem, you shoulda seen em Hostilehoes catch elbows (beotch!) negroes disposed of Andsnitches get dealt with, with no love Bodybags of adversariesthat I hadto bury I brokethe lawand they jaw, all in the sameflurry Butnever worry, they'll remember me throughhistory Causinmotherfuckers to bleed,they'll label me a Outlaw,Outlaw, Outlaw (They came in to sin)Outlaw, Outlaw, Outlaw (Dear God, I wondercould you save me?)157

A l'instardes rappeursdits <r, ils aspirentaussi à l'éveiller(< l'm schoolingthe youth,rtut, .. We exposeway for the youth to survive/Somethink its wrong but we tend to think its right>15e). Beaucoup de raps se terminentpar ailleurs sur une péroraisonmorale. < This thug life will be the deathof me > conclutTupac dans< Blasphemyr>160, tandis qu'il affirme << Use your brain! lt's notthem that's killing us,it's us that'skillling us >>dans < WhiteMan'z World ,tut. Des titres comme < 6'Nthe Mornin',rtu'de lce T et < DeadHomiez rrtut de lce Cubedécouragent implicitement la jeunesseen révélantI'engrenage de la petitecriminalité qui conduit irrémédiablement à I'enfermementcarcéral, I'autodestruction ou la mort. Si les Noirs des ghettos dirigent leur violencecontre leur propre groupe ethnique,c'est qu'il est bienmoins dangereux de tuerun autreNoir dans une zone de non-droitque de dirigerson arme contreun Blanc.Bushwick Bill remarque: < They don'tcare about niggas on welfare/Aslong as theirkind ain't there. >r16a L'acte suprême de rébellionau seinde la communauténoire apparaît alors sous la formede la miseà mortfantasmatique de I'hégémonieblanche.

tuu Tup"" feat.Dramacydal, 'outlarrry'', Me AgainsttheWorld. 157 tb'd. 158 J^y-Z,"Canl Live ll", lJnrcasonabteDoubt (Priority, 1 996). t5n D, Dre,"Lil GhettoBoys", Iâe Chronic(DeathRow, 1992). 160 Makaueli,"Blasphemy", The Don Kttuminati: The 7 Day lheory (lnterscope,1996). 161 'l/Vhite Makaveli, Man'zWorld' , TheDon Kltuminati: The 7 Day lheory (lnterscope,1996). tu' 1"" T, '6'N the Momin", RhymePays(Sire, 1987). 163 1"" Cube,"Dead Homiez", Klt at Will(Pnority, 1990). 164 c"to Boys,"City Under Siege" , The Geto8oys(RapA-Lot, 1995).

2t2 1.1.3. < Righteousindignation > ou la mise à mort fantasmatiquede I'hégémonieblanche

Bornblack in thiswhite man's world Andall I heardwas [Refrain] Whoknows what tomorrow brings ln thisworld where everyone lies Whereto go Nomatter howfar lfind To let you know ThatYou're not alone

MAKAVELI,White Man'z World165

Comme nous avons pu I'observerdans notre deuxième partie, les rappeurs politiquesinsistent dans leur discourssur le rapportde force et de haine qui oppose les habitantsdu ghetto au pouvoirdominant, considéré responsable de la décadencedes Afro-Américains. Les gangsta rappers, eux, vont amplifier la diatribe. Ce conflit permanentn'étant autre que le reflet d'une situationinextricable, les rappeursgangsfa donnent une réponse tout aussi déconcertante,celle de retourner I'arme vers leur véritableennemi : le gouvernement,ses institutionset par extensiontout ce qui a trait à I'hégémonieblanche.166 Au premier plan, c'est le couplejustice-police que les rappeursvisent à travers des rimes incisivesqui ne font que refléter la réalité des exactionsquotidiennes. lls condamnent le cercle vicieux de soumission-répressiondans lequel les institutions enfermentles plus démunis.La violencerépressive des forces de police est comparée à une gueffe ethnocide. Les rappeurs s'emploient à démontrer que les drogues, I'alcool,la violenceendémique ou encore le sida sont des processusconspirateurs mis en place pour éradiquerla race noiretut: And everyday'sgettin' clearer to me Causeif it ain'tguns and drugs

165 Makaveli,'\A/hiteMan'zWorld",The Don Kllumirnti: TheT Day Iheory(lnterscope, 1996). 166 M"tth"r"T. Grant,op. cit.,text3, p. 3. 167 L"plupart de ces crimesétant commis par des Noirsà I'encontredes Noirs,certains décèlent dans les ravagesde la violence,de la drogue- notammentdu crack,une droguebon marché- ou enconedu sida, 'une un cômplotdes Blanqs, véritablestratfuie de génocideafin d'éliminerla racenoire' commele furent les Indiensautrefois. Comme le précise Nicole Bacharan,de nombreusesrumeus de contramination délibérée, d'encouragementà I'avortementpour limiter I'accroissementde la populationnoire, et d'expériencesmédiales déguisées alimentent une paranoi'aau seinde la communautéafto-américaine." (NicofeBacharan, op.cit., p. 268.)

213 It'sthe pigs[police]and HlV168

lls mettent en garde de manière suggestivecontre les effets pervers de ces instruments de pacification de masse qu'ils comparent à une nouvelle forme d'esclavagemental : Drugs,Liquor, Drugs Whathas it doneto me Streetlobotomy!16e.

lls accusent directement les autorités, de I'agent de police aux plus hautes autoritésen passant par la ClA, de jouer un rôle actif dans la distributionde la drogue dans les ghettoslTo: IBushwickBill] Andthe bastardthat's stoppin the bus ls the samemuthafucka that delivers to us He'spayin off thecops Triple-crossinthe middleman tryin to givethe smallerpusher power

I WillieD ] The politiciansare players Reaganand Bushwere cuttin tough on Noriega Nowthe juices are sour Rememberpolitician means schemin for power

[Scarface] Nowlet's go backto the Past The motherfuckerwho needs to be tried ls RonaldReagan's ass AppointedBush to the CIA ; thatshit was cold PutNoriega on the payrolllTl

Les rappeurs dénoncentainsi la collusionentre le pouvoiret les trafiquantsde drogue, ce qui permet aux Geto Boys de conclurece morceauen parodiantun dealer vendant à la criée sa marchandise: < Today's Special is Ghetto Dope! >>172,révélant ainsi I'omniprésencedu trafic de droguedans le ghetto au vu et au su des autorités.

ttt P"rir, 'Backin the Days",GueriltaFunk (Supenappin, 1994). t6t BodyCount, "Street Lobotom/, Bom Dead(Yirgin, 1994). 1t0 N"fron George,Hip Hop America,New York Penguin,1998, pp' 37-38. ttt 'City G"to Boys, UnderSiege" , The GetoBoys(Rap-A-Lot, 1995)' t'2 rn'd. 'gheffo 'drogue On noteici biensûr une fois de plusI'ambiguité avec le ieu de mot dope"qui signifieaussi bonmarché du ghefto'que'musiqueauthentique du ghetto".

2t4 Dans < | Wanna Kill Sam>173, morceau d'anthologie de la mise à mort fantasmatiquede I'hégémonieblanche, lce Cubeexprime son désir d'éliminer I'Oncle Sam, ce personnagepatriotique, symbole familier des États-Uniset qui est, par extension,responsable de la déchéancede la communautéafro-américaine et de sa pulsionautodestructrice : Brokeup the families forever Andto thisday black folks can't stick together I...1 Brokeus down, made us pray - to hisGod Andwhen lthink about it, it makeme say 'DAMNI..lwanna kill Sam.'174

Dans < When Will They Shoot>>, lce Cube justifiece méprisen comparant I'Oncle Sam à Hitler: < Guz to us Uncle Sam is Hitler without an oven/ Burningour black skin>175. L'emploi boutefeu du signifiant<< Hitler >176 est ici I'expressiond'une diabolisation de I'OncleSam, synomyme de tyrannieet de cruauté. lce Cubepropose en conséquencela réparationde l'humiliationséculaire en incitantà la révolte: <<'Causeyou're the devilin dragf/ou can burnyour cross while I burnyour

fl"g. ,tt Les gangstarappers choisissent de répondreà la violencepar une violence subversive.Dans leurs représentations, les forces de policesont un des élémentsd'un large systèmede dominationraciste et de classe. lls prennentleur revancheen mettanten scènece qu'lceCube appelle les K revengefantasies >178 : Fucktha police [...] Youngnigga got it bad'causeI'm brown Andnot the othercolor, so policethink Theyhave the authorityto killa minority[...] It'sgonna be a bloodbath Of Cops,dyin' in LA17s

tttf"" Cub","lWanna Kill Sam', DeathCeftificate (Priority, 1991). t'o tbid. ttu 1"" Cube,when WillTheyShoof, ThePrcdator(Priority, 1992). 176 fl à noterque dans de nombreuxmorceaux, les gangstarcrpprs utilisent un champlexical lié au nazisme,".t comparant le génocidenoir actuel à un "holocauste".Cette démarcheparfois ambiguë et maladroitetrahit essentiellementle désirde heurterI'opinion public pour faire entendreles requêtesde leurcommunauté. t" lnCube, when WillTheyShoot", The Prcdator(Priority, 1992). Wesleyan "t Tri"i" Rose,Elack Noise: Rap Musicand BtackCulture in ContemponryAmerica;London: UniversityPress, 1994, p.128. 179 Î.n/A, "FuckTha Police",Stnight OuftaCompton(Tommy Boy, 1990).

2t5 Dansun rap encoreplus subversifintitulé < BushKilla >180, Paris va jusqu'à assassinervirtuellement le présidentsortant. Toutes ces exhortationset formes de vengeanceslégitimées ont été qualifiéespar le FBI d'incitationsà la violence,puis condamnées"'.Si ces mises à mort sont qualifiéesde fantasmatiquespar leurs auteurs,elles n'en demeurent pas moinsI'expression d'une lassitude et d'undésir de justice: Fuckin'withme cuz l'm a teenager Witha littlebit of goldand a Pager Searchinmy car, lookin for the product Thinkinevery nigga is sellinnarcotics

COPKILLER, it's better You than me COPKILLER, fuck police brutalitY COPKILLER, I know your family's grieving (FUCK EM) COPKILLER, but tonight we get eu"ntt'

Dans < Cop Killerr>, lce T relate la préparationd'une attaquevindicative contre la police. Le protagonistes'y prépare de manière quasi rituelle, comme le suggère I'anaphore( !-gg! my blackshirt on{ qot my blackgloves on{ oo! my...>. lce T nous rappelleici la fonctiond'exutoire que possèdela musique: I got my blackshirt on lgot my blackgloves on I got my ski maskon Thisshit's been too long I got my twelvegauge sawed off I got my headlightsturned off I'mbout to bustsome shots off l'm boutto dustsome cops off!"'

La notion de rachat (< payback r) est par ailleurs constante dans le discours gangsta et fait écho à celle biblique de < juste indignation> (r, righteous indignationn)184 si chère à la commuanuténoire. Dans < Mastercof Revenge >>,lce T propose la réparation de I'humiliation séculaire en évoquant la possible menace d'expéditionspunitives tout en exigeantce tribut de la populationblanche : [Chorus:] Mastersof revenge Mastersof payback

tt0 P"rir, "BushKilla', GueritlaFunk (Supenappin, 1994). 181 DavidToop, op. cif., p. 183. t8'Body Count,"Cop Killer", Bdy Count(Namer,1992). ttt Bod, Count,'CopKillef, BodyCourû(Wamer, 1992). 1& Entretienavec Sékou.

216 lncitersof chaos Messengersof rage

Allwewanna do to you ls whatyou did to us All we wannatake from you ls whatyou stole from us [Chorus] Bodycount[4x] Youcan't kill us We'realready dead Youcan't kill us We'realready dead Youcan't kill the truth You'realready dead [Chorus] Bodycount[4x] You took my past I wantyour future Youtook your future Youtook my parents We wantyour children [Chorus] Bodycount[4x] Therecan neverbe justice On stolenland There'snowhere to run You can'tescape fate lChorusl Bodycount[4x] 85 Paybackmuthafuckasl

lce T justifie les mesuresde réparations(< All we want to do is what you did to us/.../There can never be a justice/On a stolen land >), aussi cruelles soient-elles (< You took my parentsMe want your children>). ll prometune vengeancelégitime qui s'annonced'autant plus impitoyableque la rancæurest égaleà la désillusion(< You can't killl usMe're already dead >). Ces propos vindicatifsexprimés sous forme de menace () sont avant tout une manière symboliquede so/der les comptestout en dénoncantles pratiquesracistes et discriminatoires. Ce < racisme invercé> (n reverse racism.rr1l86énoncé par I'ensemble des rappeursest exacerbédans le discours gangsta.Les gangsfazchoisissent la carte de ttu Bod, Count,'Masters of Revenge",Bom Dead(Yiçin, 1994). t8t B"k"ri Kitwana,The Rapon GangstaRap: Who Run lt? Gangsfa Rapand Vr.srbnsof BlackViolence, Chicago:Third World pt"t", 19t94,p. 38.

2t7 la provocationen affichantà l'égarddes Blancsune animositéoutrageante. S'en prendre symboliquementaux < whiteys>, < crackers> et <1187 et en manipulantla terreur: << is the seasonfor lynching>188. Unevéritable jubilation se dégagede ces proposracistes, quasi émancipateurs. Longtempsmuselés, les Noirss'accordent ainsi à traversla voixdes rappeursle droit d'êtreà leur tour ouvertementracistes.lse En prenantcette revanche symbolique, ils transcendentI'humiliation. Le meurtre,acte de rébellionpour se dressercontre sa condition,s'apparente alors à un nihilismehérorque. Ainsi le personnagede Bigger Thomasdans l'æuvre de RichardWright NativeSontt0, le choisitcomme échappatoire et commemoyen de retrouverune dignité.1s1 Killarmy souligne dans I'extrait qui suitla dimensioncathartique de I'ivressede cetterage destructrice : I killa devilright now [...] I saykill whitey all nightey long [...] I stabbeda fuckingJew with a steeple[...] I wouldkill a crackerfor nothing, for thefuck of it [...] 'emiust MenaceClan kill a cracker;jack evenquicker [...] Catchthat devil slipping; blow his fucking brains outle2

Le messageidéologique du hip hop se voulait,à I'origine,celui de la tolérance et de la fraternité.Toutefois, le discours gangsfa s'autorisequelques écarts racistes parfois discutables à I'encontre d'autres communautés qui connaissent plus de

18t RBX,'No Time", The RBXFiles, (Premeditated, 1995). t8t D" LenchMob, "Cut Throats' , Planetof daApes(Priority, 19%). ttt Voi, ChuckD andYusuf J ah,Fight ThePower, Edinburgh: Payback Press, 1997, pp.2O$i240. 190 N"tin" Son relate l'histoired'un jeune Noir, Bigger Thomas,meurtrier malgré lui. Bigger est le chauffeurd'une famille blanche. La fille de ses patrons,dilettante de gauche,se fait conduirepar lui dans un tripotdu ghettonoir. Elles'enivre au pointque, de retourchez elle,Bigger doit transgressermalgré lui le taboude ia ségrfuationraciale et la porterdans sa chambre.Alertée par le bruit et pris de panique, Bigger,étoufie lajeune fille...Meurtrier par mégade,mais Noir,Bigger sait qu'il n'a aucunechance. tenorisé, il se prendmalgré lui dansune spirale de violencequ'il ne pounaanêter. 19t 'But 'l didnt want to kill,' Biggershouted. what I killedfor, I am! lt musfvebeen prettydeep in me to makeme kill! | musthave fài it awfulhard to murder....What I killedfor must'vebeen good!' Bigge/s voice 'lt was full of frenziedanguish. musthave been good! When a mankills, ifs for something.-| didn'tknow I was reallyalive in thiJworlduntil I feltthings hard enough to killfor'em. lfs the truth...'(Richard Wright, NafiveSon, NewYork: Harper & Brother,1940, p' 392.) Extraitcité dansNick De Genova,op. ctt, p. 98.

2t8 prospéritéeUou ont connu une intégrationplus aisée.1e3Le messageà connotation racisteest néanmoinstrès flou et peu structuré,il apparaîtmême contradictoire. Ces mêmes rappeursqui mettentau pilori les autres minoritéssont souventceux qui attisentun sentimentfédérateur entre ces mêmesgroupes : < BomAsian, born Jewish, bornLatino, born poor, BORN DEAD! DEAD... We're BORN DEAD' >1e4 Cettecrise nihiliste exprimée par les rappeursest synonymeégalement d'une dévalorisationdes idéauxsuprêmes et de refusdes valeursmorales et hiérarchiques: ( my squadand me lack of respectfor authority,laughin hard >1e5. Les protagonistes gangstadéfient les instancespolitiques et institutionnelles.On lit notammentdans l'échecdes leadersafro-américains une conséquencede ce désenchantementet de la démobilisationpolitique de leurcommunauté.1e6 Lesnouveaux leaders ne sontplus en effetdes modèlesd'identification pour la jeunessecomme le furentautrefois King ou MalcolmX.1s7 En dépitd'un attachement traditionnel à ceux véhiculés par l'église, si chersà la communautéafro-américaine, les MCs posentparfois un regardcritique vis-à-vis des institutionsreligieuses. Les rappeursgangsta honnissent plus particulièrementle christianisme: [...]my whole neighborhood iscomatose Lookinfor survival Thedevil made you a slaveand he gave you a bible 400years of gettinour ass kicked Byso-called Christians and Catholics ButI'ma watch 'em burn in the firels8

Cette négationde Dieu selon la formule nietzschéennetntest synonyme d'ébranlementdes religionsinstitutionnelles et de I'effritementdes idéologles.Dans leurs élans nationalistes,ils rejettentavant tout la religionde I'hégémonie.Cet effacementdes croyances chrétiennes n'a cependanten rienentamé la vivacitéde leur

tn' M"n""" Clan,'Fuck a RecordDeal", DaHood (Viçin, 1995). t93 voir.plus bas pp.194-196. tto t*, Count,'BomDead', Bom Dead(virgin,1994). 195 J^y-L,'Can I Live', lJnreasonableDoubt (Priori$, 1996). 196 comd west, op. crf.,p. 43. tnt L", révérendsJesse Jackson et Al Shanton ont été attaquéspar la pressepour des scandalespeu glorieux.communauté qui préfèrese toumerdorénavant vers les sportib de haut niveauet les artistes populaires. Lei teaOerspolitiques actuels ne jouissentque d'unfaible soutien auprès de leurcommunauté qui préfère se toumerdorénavant vers les sportifsde hautniveau et les artistespopulaires' 198 f." Cube,'Heave n", Lethattniection (Priority, 1993).

2t9 foi. Depuisquelques années, certains comme lce Cube,se déclarentmusulmans et émaillentleurs propos de quelquesréférences religieuses. Les rares fois où les rappeursgangsta se réfèrenttextuellement à Dieu,c'est généralement dans le but de le prendreà témoinde son propreavilissement ou de s'interrogersur son existence (< Dear Lord if ya hear me, tell me why/Littlegirl like LaTasha,had to die u'o;. lls aimentaussi le défier,I'implorant de leurprendre la vieou de l'épargner: DearLord can ya hearme, it's just me A youngnigga tryin to makeit onthese rough streets l'mon my knees beggin please come and SAVE MEæ1

La vision qu'ont Ies gangsfa rappersdu mondequi les entoureest souvent manichéenne.La logiqueimplacable de cetterhétorique est d'affirmerque la luttedes Noirs passe par la suppressionde la suprématie blanche. A travers leurs transgressionsverbales et les revanchesfictives qu'ils prennentà I'encontrede la police,du gouvernement,des femmeset de la vie en général,les rappeursopèrent uneforme de sacrificerituel qui n'estpas sansrappeler la thèseémise par Attali sur le rôle sacrificieldu boucémissaire dans la canalisationde la violence.'o'En infligeant symboliquementà I'ennemiune perteéquivalente à la leur,ils tententde rétablirainsi unesorte d'équilibre. ll convient donc de redonnersa placeà la dimensionsymbolique de I'annihilationdes Blancs.Ces connotations racistes sont une fois de plusla réponse hyperboliqueau racismedont les Noirs se sententvictimes. ll faut voir dans leurs proposune fonction cathartique bien plus qu'un simple racisme anti-blanc. Les gangsfa rappersexpriment ainsi les griefsséculaires d'une communautédéclassée, dont les échecssocio-économiques ont débouchésur la négationde toutevaleur. Ce fatalisme morbideprocède donc en partiede la pauvretéque fait régnerle modede production capitaliste2o3.

t99 Fri"dri"t Nietzsche,Die ftëhlicheWissenschat?, MÛnchen: List, 1957 (1882), pp. 166-186. 200 L"T"sh" Harlinsest unejeune fille noiretuée en 1991par une épicièrecoréenne qui frrtcondamnée à unepeine avec sursis. Tupac,"Heffrazof, R U StillDown? (Jive, 1997). 'ot rn'd. 'o' 'Si J".qr", Attaliécrit: la musiqueest essentielleà I'homme,c'est parcequlelle llalO-e.à afhonter ce qui menâcesa survie:la violence,en lui foumissantune preuvede la possibilitéd'y échapper'Cette fonction première,accumulée pendant des millénaires,a acoompagnéla constructiondes rituels de canalisationde la violence.Le plussouvent, ceux-ci se sont constituésautour de la désignationde boucs émissairesdont le sacrificea polariséla violenceet permisau groupede vivreen paix." (JacquesAttali' Bruits:Essai surléconomie potitique de la musique,Paris : Fayard,2001(19771' p. 49.) 203 RobinD. G. Kelley,op. cit.,p. 124.

220 1.2.Leghetto : Produitdu capitalisme

I distinguishedbetween two colonialisms,between a domesticone, and an external one.Capitalism athome is domestic colonialism.

OsagyefoKwame Nkrumah, Consciencism2@

Mymusic is a productof whoI amand where I camefrom. l'm made in America. l'm not fromMars or nowhereelse.

lceCube2o5

Selonles thèses soutenues par Wiliam Julius Wilson206, de nombreuxrappeurs s'accordentà reconnaîtreque le problème noir est actuellementplus d'ordre économiqueque racial.A I'instarde MalcolmX et des nationalistesradicaux, les rappeursmanifestent donc une hostilitédéclarée envers le capitalisme,synonyme d'impérialismeaméricain, un systèmeresponsable de leurexploitation initiale et qui maintientencore aujourd'hui une partiede leur communautédans le plus grand désarroi.Paradoxalement, I'un des élémentsforts du discoursrap est de demander I'intégrationà la sociétéde consommation.De plus, le rapportdes rappeursà la société,aux médias et au milieudu show-businessatteste de ce désird'être diffusé, de réussir,voire de dominer.Tout en condamnantle libéralisme,responsable de la décadencede leurcommunauté, les acteursdu mouvementhip hop revendiquent sans complexele côté consuméristeet mercantiledu rap. Leur présenceet leur diffusion médiatiquefont preuvede leuraspiration à vivrele rêveaméricain, d'intégrer la société d'abondance,voire d'instituer parallèlement un <'

1.2.1.Critique du capitalisme

Délaisséssocialement et économiquementau cours des trois dernières décennies,les habitantsdes inner citiessont égalementexclus du marchélégal de I'emploi.Bon nombred'entre eux n'ontpas d'autresolution que la petitedélinquance.

York:Dell Publishing, p 112' "oo CiredansEldridge Cleaver, Soul on lce, New 205 Dorgl"s Kellner,"Rap, Black Rage, and RacialDifferencæ', Encuftuntion, vol. 2, No. 2, Spring1999, publiésur http://encultumtion.gmu.edu. 'ou Wiflirr JufiusWilson, The DectiningSignificance of Race:Black and Changing American tntitutions, Universityof ChicagoPress, 1978.

221 Dans < A Bird in The Hand>, lce Cube évoqueI'humiliation devenue quotidienne d'un jeune hommequl n'a guère le choix pour nourrirsa famille: retombersous le joug de I'exploitationcapitaliste en travaillantpour MacDonaldou bien intégrer le circuit illicite du trafic de drogue en vendant des n birdst>, des kilos de drogue, quitte à devenir la cible des forces de I'ordre. lce Cube décrit le cercle vicieux dans lequel évoluent les jeunes Noirset rejetteici la responsabilitésur les administrationsrépublicaines, dont la politiqueest à I'originede I'expansiondu trafic de drogue :207 Freshout of schoolcause I wasa highschool grad Gotsto get a job cuz I wasa highschool dad WishI got paidlike I wasrappin'to the nation Butthats not likely, so here'smy application Passit to the manat AT&T[...] I didn'thave no moneyso nowI haveto hunchthe Backlike a slave,thats what be happenin Butwhitey says there's no roomfor the African Alwaysknew that I wouldboycott, jeez Butwelcome to McDonaldscan I takeyour order please Gottasell ya foodthat might give you cancer Cuzmy babydoesn't take no for an answer NowI paytaxes that you nevergive me back Whatabout diapers, bottles, and similac Do I gottago sellme a wholelotta crack Fordecent shelter and clothes on my back? Or shouldI justwait for helpfrom Bush Or JesseJackson, and operation Push [...] So I got me a bird,better known as a kilo Noweverybody know I wentfrom po' to a niggathat got dough So nowyou putthe feds against me CauseI couldn'tfollow the planof the presidency l'mnever givin'love again Cuzblacks are too fuckin broke to be republican NowI rememberI usedto be cool Till I stoppedfillin' out mYW-2 Nowsenators are gettin' hired Andyour plan against the ghettobackfired So nowyou got a pep talk Butsorry, this is ouronly room to walk Causewe don'twant a drugPush Buta birdin the handis worthmore than the bushru

Face à la pressionde la sociétéde consommationqui les invite agressivement à combler leurs manques (< My mentalityis moneyoriented r't/u In my brain, I got a capitalistmigraine/l gotta get paidtonight... ,r"o), les habitantsdu ghettone saventoù trouverl'énergie et la motivationpour résister: < hungry'show I feel/l rob and steal

207 E*"rpfe citédans Robin D. G. Kelley,q. cit.,p.125' 20t f"" Cube,"A Bid in The Hand",Death Certifrcafe (Priority, 1991). 'ot N"r, "Lifels A Bitch', ltlmatic(Sony,1994).

222 becausethat moneygot that whip appeal >>211. L'appât du gain est omniprésentdans les textes gangsta,comme l'attestela richessedu champ lexicalse rapportantà f'argent: < cabbage>>, ( creamD, < beanst>, ( pesos)), < billstt, crBeniamins >, < cheese)r, ( paper>>, << scratch >, <, , < stacking,r, ...."' L'argentest égalementassocié à uneidée de domination,Wu Tang-Clana déclinéle terme argotique((cream ) en un acronymesignifiant 213.Les rappeursdénoncent aussi la culturede la consommationcomme responsabledes frustrationsrencontrées au sein des classestes plus défavorisées. Ces frustrationssont d'autant plus grandesà Los Angeles que la cité voit la juxtapositiondes plus grandesrichesses et de la plus extrêmepauvreté. Les plus démunisdoivent user de moyensillicites pour couvrirles besoinssuscités par la société de consommationet se donner ainsi I'illusiond'y avoir accès. Dans < AmeriKKKa'sMost Wanted >>, lce Cubeattaque les symbolesliés aux privilègesde la middlec/ass blanche, dont la jeunesseest la premièreconsommatrice de rap : Pointblankon a Caucasian Cockthe hammer,then crack a srnile Takeme to yourhouse pal Gotto the house,my pocketsgot fat, ya see Crackedthe safe,got the moneyand the lewelry2la

Dans < | Wanna Kill Samn, lce Cubedécrit I'exploitation actuelle comme une actioninsidieuse destinée à éliminerla racenoire. ll préludeson morceaupar une annonceparodique du servicede recrutementde I'armée: 'Thearmy is the only wayfor you young,black teenagers. [...] We'llhelp you to be the bestsotdier in fhe U.S.S.'Caltse we do morebefore 7 a.m.than most niggers do their wholelife.'

lCubelHuh-huh, huh-HAH... 'l'mcomin!'[3X] [Cube]I'm comin!215

Puis, il débute son rap en annonçantsa soif insatiablede tuer < Sam >. < Sam > fait bien entendu référenceà I'OncleSam, ce personnageen redingoteétoilée

210 1"" T, "NewJack Hustlef (Wamer, 1991). "t NotoriowBlG, "Ready to Die', ReadyfoDie (Bad Boy, 1994). 21' l)n"partie de ces exemplesest tiÉe de AlonzoWestbrook, HipHoptionary, New York: Harlem Moon, 2002,p.191. 2t 3 'C.R.E. Wr-Trng Clan, A.M", Enterthe Wu-Tang (36 Chambers)(RCA, 1993)' 214 l""Cube, lmeriKKKa's MostWanted", AmeriKKQab Mosf Wanted (PioÉty, 1990)' 215 1"" Cube,'l WannaKill Sam", DeathCertifrcafe (Priority, 1991).

223 et haut de forme,dont on ne retientaujourd'hui que le fameuxportrait intitulé < We want you >, diffusé pendantla Premlèreet la Secondeguerre mondialepour le recrutementdes soldatsaméricains. < Sam> est ici doublementsymbolique. C'est en premierlieu le symbolefamilier des États-Unis,puissance économique et politique, vaste système responsablede I'exploitationdes Noirs, de I'esclavaged'hier au capitalismetriomphant d'aujourd'hui. L'image de ce patrioteest dans un secondtemps associéeaux torts que les Afro-Américainsont subi lors des conflitsarmés. Par ailleurs,les carrièresdans le servicepublic, notamment dans I'armée, ont toujoursété un moyentraditionnel d'ascension sociale pour les Noirs216. En visant I'Oncle Sam, lce Cube ironise sur son invitation< We want you n, appel à I'héroi'smeet fausse promessede retrouverdignité. L'OncleSam, ce recruteurpernicieux, est donc le symboleparabolique de I'impérialismeaméricain. Ge demier est dessiné telle une masse nébuleuse, insidieuse et intemporelle,qui s'infiltredans les moindresrecoins de la sociétéet menacedepuis des sièclesles Afro-Américains. lwannakill him, cause he tried to playme like the trick Butyou see, l'm the wrong nigga to fuck with I gotthe A to themotherfuckin K,and it's ready to rip Slappedin mybanana clip AndI'm lookin.. (lookin..) ls he in Watts,Oakland, Philly or Brooklyn? It seemslike he got the wholecountry behind him So it'ssort of hardto findhim Butwhen I do,gotta put my gat in his mouth Pumpseventeen rounds make his brains hang out Causethe shithe did wasuncalled for Triedto fucka brotherup the asslike a smallwhore'tt

lce Cube s'engage alors dans des explications argumentées. Cette entité insaisissableprend à présent les contours des institutionsracistes. S'ensuit un récit historiquesous forme de tirade transposantle passé en présent,dont le fil conducteur est I'exploitation.De I'esclavageà la société capitalisteen passant par I'exploitation post-bellumet I'armée,cette longue histoire d'injusticesest responsablede tous les maux de la communauténoire :

216 L^ politiquede discriminationpositive a favoriséI'accès professionnel des Afto-Américainsdans le service public et dans I'armée.Si les Afro-Américainsne représententque 10% de cette population salariéeen 1987,ils sontsuneprésentés dans certains domaines d'activité et leurproportion reste toujours inférieuredans les postesà responsabilité.A titre d'exemple,les Afro-Américainsreprésentaient 30% du personnelde I'arméeaméricaine en 1985.(Nicole Bacharan, op. cit., p. 26/-;HarryA. Ploski,James Wiffiams,The NegroAlmanac: A ReferenceWork on theAfto-Amencan, Dettoit GaleResearch, 1989, pp. 627-628;voir Lawrence H. Fuchs,op. cit.,pp. 318-319, 545.) (Priori$, "' l""Cube, "lWannaKill Sam', DeathCertifrcafe 1991).

224 [doorknocking] lMomma!!Some man at thefront do'!' 'Sityo'ass down.' 'Uhhhi.. I havereason to believethat someone in thishousehold has just turned eighteen,am I correct?'

Here'swhy lwanna killthe Punk Causehe triedto takea motherfuckinchunk of thefunk Hecame to myhouse, I let'embail in Causehe saidhe wasdown with the L.M. He gaveup a littledap Thenturned around, and pulled out a gat I knewit wasa caper I said,'Please don't kill my mother,'so he rapedher Tiedme up,took me outside And I wasthrown in a bigtruck And it was packedlike sardines Fullof niggaz,who fell for the samescheme Tookus to a placeand madeus work All day andwe couldn'thave shit to say Brokeup thefamilies forever Andto thisday blackfolks can't stick together Andit's odd.. Brokeus down,made us pray- to hisGod t...I Nowin ninety-one,he wannatax me I remember,the son of a bitchused to axeme And hangme by a ropetil my necksnapped Nowthe sneakymotherfucker wanna ban rap And put me underdirt or concrete ButGod, can see through a whitesheet Causeyou the devil in drag Youcan burnyour cross well l'll burnyour flag Tryto giveme the H-l-V So lcan stopmakin babies like me Andyou're givin dope to my peoplechump Justwait til we getover that humP Causeyo'ass is grass cause I'ma blast Can'tbury rap, like You buried jazz Causewe stoppedbein whores, stop doin floors So bitchyou can fight your own wars [...] lwanna killSam cause he ain'tmy motherfuckinUncle!218

ll n'y a donc pas de filiation possible entre les Noirs et I'Oncle Sam. La péroraison sous la forme d'appel-réponseest cette sinistre constatation: <<'We've 'That's gone nowherein 200 years?' conect'. [x3] >. La bourgeoisie noire est également sujette à des attaques virulentes. En quittant les ghettos, elle a participé involontairementà leur ruine. Aujourd'hui, ses représentantsne se soucie guère du reste de leur communauté.Cette convictionest particulièrementrépandue dans la région de Los Angeles, lieu de résidence du plus

218 1." Cube,'lWanna KillSam', DeathCeftifrcafe (Priori$, 1991).

225 grandnombre d'entreprises africaines-américaines et par conséquentde fortunesafro- américaines"n.La prisede positionanti-capitaliste des rappeurssemble paradoxale car ils font à présentpartie à leur tour d'une < élite>, parfoisissue de la classe moyenne,voire pour certainsde la bourgeoisie.Tiraillés par un sentimentde honte, ces artistesse rallientà la causede leursfrères démunis.â En condamnantle capitalisme,les rappeursmanifestent également de I'hostilité à l'égarddes nouveauximmigrants qui leurfont concurrence sur le marchédu travail, mais égalementà l'égardde la communautéjuive, symbole pour les rappeursde I'hégémoniecapitaliste. Les déclarationshouleuses et I'attachementde certains rappeursà la Nationof Islamde LouisFarrakhan dont I'antisémitisme,< qu'il soit sincèreou montéen épinglepar les médias>, lui vaut une sinistreréputation, ont alimentéde nombreusespolémiques."t Les connotationsantisémites du rap ne se résumentpas uniquementà I'associationcourante capitalisme-judaisme ; pour les Noirs, la communautéjuive est liée, comme le reste de la communauté <

.African "n Srr"n Anderson, AmericanWealth", www.afgen.com 220 H"nry LouisGates Jr note que la ieunessenoire appartenant à la classemoyennq adhère dans les années1'g9O à la culturegangsta,adoptant les valeurs,la langueet la "culturedu ghetto",paradoxalement à I'heureoù leurclasse s|ciale n'a jamaisété aussiprospère. Ce phénomèneest une manièrepour cette jeunessede se situerethniquement sans renierses origines,à limage de la générationdes mouvemenF cette forme de nationalisme ôontestataireset révolutionnairesà la fin des années 1960. En adoptant 'Are culturelde faade,cette jeunesse soulage sa culpabilité('guilt of survivof).(Henry Louis Gates Jr, We Befteroff?", The TwoNations of BtackAmenba, publié sur le sitewww.pbs.org.) 22t G"org", Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cit-,p.67- public EÀemyfut le premiergroupe accusé en 1989d'antisémitisme pour les proposambigus, rapportés par I'un des membrèsdu groupé,Professor Griff. De plus, I'interprétationenonée de certainsde leurs iextesa contribuéà entretenirune confusion, notiamment le morceau1Âlelcome to The Tenordome',dans Gangsfa fequefPublic Enemy rappe "Theygot me like Jesus'.(Michael fric_Dyson, Be-lpen God and Ràp:Weaing Wrfnessto Btackcufture, New York Oxforduniversity Press, p. 167.) eu'Uticenemy, lVelcome to the Tenordome," Fear of a BlackPlanef (Def Jam, 1990)' pour couper'ôurt à cettepolémique, Professor Grifi publieen 1991sur la pochettede son albumPawns in theGa'me une dédicace To all my Jewishfriends, thanx for not believingthe Hype." ProfessorGrifi and The LastAsiatic People, Pawns in the Game(Deadline, 1991). 222 chu"kD.,op. cit.,pp.2o5-206. 223 Prri","RecodLabel Murdef ,lJnleashed (Whirling Records, 1998)'

226 En dépit d'une histoirecommune d'oppression et d'une longuecoopération, notammentdans I'industriedu disque,"a cettenouvelle antipathie envers les Juifs américainsreste confuse et sembletraduire une rancæurface à I'ascensionsociale d'une communautéarrivée plus tard sur le sol américain.La révélationde la participationactive de la communautéjuive à la traitedes esclaves,la prisede position d'une partiede la communautévis-à-vis de la discriminationpositive, ainsi que I'aggravationdu conflit israélo-palestinienn'ont fait que renforcerce sentiment antisémiteétayé par certains universitaires et leadersreligieux225' On ne peutcependant pas affirmerque le réquisitoireraciste ou antisémitedes rappeurssoit le véritablereflet de leurs pensées.Leur discoursse veut avant tout subversif,il apparaîtd'ailleurs très souventcontradictoire. Les artistescumulent en effet déclarationset dédicacesen faveurde la communautéjuive.2Æ Par ailleurs,il convientde préciserque ce typede discoursdemeure très marginal. Comme nous le savons,I'exploitation des Noirs a été au cours de l'histoire essentiellementd'ordre économique, mais I'industrie de la culturea su égalementtirer profitde leur créativitéartistique, notamment en s'appropriantet commercialisantla musiqueafro-américaine. Les disquesde bluesont été presséset distribuésdans les années 1920 par des directeurs blancs de ( race records>>. Le iaz et le rhythm'n'bluesont été quantà eux largementrécupérés par les artistesblancs qui récoltentencore aujourd'hui les fruits du succès. Une nouvelletendance est doncapparue ces dernièresannées : les rappeursse plaisentà leur tour à sampleret détournerdes morceauxclassiques de rock blanc,

uo L""communautésnoire et juiveaméricaines ont unelongue histoire de collaborationdans le domaine de I'industriemusicale. L'intérêi qu'ont porté très tôt les Juifsaméricains à la musiquenoire a été guidé par des raisonsségrégationnistes. En raisonde la discriminationdont faisaitobiet la communautéjuive àans le mondedeJafaires, ceftedemière n'a eu d'autrechoix que de se faire une placedans I'activité économiquela moins ségréguée,en I'occunenceI'industrie du divertissement,notamment musicale. (NefsonGeorge, Hip Hop America,p.28.) and Voir fuafementa é suiètMichaet Lemer, ComelWest, Jews & Blacks:A Dialogueon Race,Religion, Culturcin Amertca,New York: Plume, 1996. ComefWest consacredans RaceMatters un chapitreentier aux relationsentre les deuxcommunautés 'On Bfack-JewishRelations". Comel West, op. cit.,pp' 71'79' intitulé"The Secret RelaûonshioBetween Black and Jews" "u En 1gg1 est sorti un opusculeobscur attribuantle financementet la responsabilitédu commercedes esclavesnoirs à la communautéjuive lce Cubefera la promotion. européenneet dont ' Com'etWest définitainsi l'antisémitismeafro-américain: [anti+emitismis] the bitterfruit of a profound selfdestructiveimpulse, nurtured on the vinesof hopelessness." Voir à ce sujet HenryLouis Gates Jr, "BlackDemagogues and Pseudo-Scholars",The li€w York Times, July20th 1992. 'u L", rappeurstentent de réparer aujourd'huiI'ambigu'rlé de certainsde leus propors:Ainsi de nombreuxràis évoquentla ShoaÈdans des termesrespectueux. "Never Again' du Wu'TangClan est I'un de ces monceaux. Wu-TanClan, "Never Again', The Swarm,Vol I (Priority'1998).

227 voire de musiqueclassique, une manièrede se réapproprierironiquement des fragmentsde la cultureblanche américaine, voire de récupérerdes élémentsde la cultureafro-américaine en les restituantsymboliquement dans leur contexteoriginel, celuide la musiqueafro-américaine. Les rappeursprennent leur revanchecynique et symboliquesur la spoliationde leurpatrimoine culturel. Dans leur discours,les rappeursne font que reprendreimplicitement I'un des pointsdu manifestedu B/ackPanther Party d'octobre 1966 : ( WE WANT an end to the robberyby the Capitalistsof our Black Community>1227. Condamner l'économie libérale de marché ne signifie en rien rejeter les symboles capitalistesde surconsommation,voire de luxeexcessif. A traversla critiquedu capitalismeblanc, les rappeursrévèlent avant tout I'aspirationdes hommesdu ghettoà s'intégrerau système libéralpour jouir de sesavantages à l'égaldes autres communautés.

1.2.2. Glorification de I'ultralibéralisme

L'amalgameentre capitalismeet exploitationn'entraîne pas un rejet du capitalismeen soi. Les rappeursreprennent en effetà leur compteles préceptesdu BlackPower qui incitaientles Noirsà lutterpour leur propre promotion. Conscients de l'ampleuréconomique de I'industriede la musique,les rappeursse sont convertisà I'ultralibéralisme.lls affichentsans complexeleur ambitionmercantile. Revanche SOCialed'<< ex-pauvres D OU arrogance de ( nouveaux riches>>, leS rappeurs n'incamentpas moinsle parfaitexemple de la réussiteà I'américaineet exposentavec insolenceleur obsession de la rentabilitéet du gain: I needmore guns like I needmore funds LikeI needmore businesses for my duns LikeI needmore vehicles to maketore runs't

En mettantà profiteux-mêmes ce systèmeéconomique libéral, ils incamentle parfaititinéraire du

22'H. p. Newton,B. Seale,The BtackPanther Party Platform, Oct. '1996,www.blackpanther.org. 28 e.digy of MobbDeep, "Rock Dat Shif, H.NJ.C(Head Niggatn Charge)(Relativity, 2000).

228 opprimés,eux-mêmes marginalisés. Les protagonistes gangsfa sont donc les pluspurs produitsd'une nation où le droitconstitutionnel autorise le portd'arme : It'sthe American way I'm a G.A.N.G.S.T.A.22s

Le rêve américain,axé sur la réussiteindividuelle, exerce égalementson attractionsur la communauténoire. Les Afro-Américains,comme I'ensembledes Américains,attribuent une dlmensionmythique et moraleà la réussitematérielle. Le gangstarap reproduitI'idéologie populaire wasp selon laquelletout un chacunpeut réussirpar le seul méritede ses qualitéspersonnelles"o. Puisque tous les procédés légaux leur sont prétendumentrefusés, tous les moyens,même ceux moralement répréhensibles,sont cautionnéspour accéder à la sociétéde consommation.L'amour du < Dieudollar > (< As the moneykeep going, in Godwe trust>231; trahit par ailleurs I'américanité232des protagonistesgangsfa qui aspirentau droit< à la vie,à la libertéet à la poursuitedu bonheur>, garantipar la consitutionaméricaine pour chacun des citoyens. Lorsqueles rappeursmanifestent un matérialismeoutrancier dans leur miseen scènedu < boughetto>>233, ils réalisent de la sorteles aspirationsde la jeunessenoire du ghetto,notamment celle de partagerles privilègesde la jeunessedorée234. Playboyy'allgot to giveme five letters LikePrada, Jacob, Fendiboots C.Dior, clothing, suits RangeRover, Gucci shoes Firstclass, flat class, Paris235

(Priority,1990). "9 lnCube, AmeiKKl(v.'sMosf Wanted,AmeriKKKa's MostWanted t3o L" systèmecapitaliste est étloitementlié à l'éthiqueprotestante. Le liberalisme,les vertusde travail, I'acceptationmorale de I'aryent,les notionsde propriétéprivée et de libre-entreprisehérités de la doctrine puritainedes prcmierscoions ont façonnéla société américaine.(Jean-Piene Fichou, La civilisation américaine,Paris : PUF,1994 (1987), pp.75-97.) Jive). "t t,g Stan,"FeelThe Rush', The Corruptor [Soundtnck](1999, pu gangstaz complètementet sans complexeà "' Cor." nous avons I'observer,les s'identifient I'Amériqueet à ses valeurs.Nous pouvonsrebondir ici sur les analysesde Toni Monisonqui note que I'américanités'est construit sur la notionde raceet que la minoriténoire représente donc une composante indispensablede la constructionde I'américanité,et qu'inversementI'Amérique est indissociablede la définition de I'afro-américanité.(Toni Monison, Playing in the Dark: Whitenessand the Litenry tmagination.Cambridge: Harvard University Press, 1992, p.47.) "t voi, définitionnote G5, p. 33. t* voirMikeDavis, op. cit.,p.285. 'Fallin'", (Universal,2001). "u too Brownfeat. Young Gavin, BrokenS/ence

229 Devant I'impossibleintégration sociale, les héros gangsta rêvent donc de s'évaderet trouventrefuge dans le monderomancé du gangstérisme,un universqui glorifieavant tout le matérialismeet I'hédonisme.Pour fuir un instantleur ghetto et ses désillusions,ils se réfugientdans la jouissancede satisfactionsirnmédiates comme cellede I'ivressede I'alcool,de la drogueet de I'acquisitionde biensmatériels236 : Rollindown the street, smokin indo, sippin on gin and juice (beeotch!!) Laid back (with my mind on my moneyand my moneyon my mind)237

En affichantun nihilismeau sensépicurien du terme,les protagonistesgangsta prônentune recherchede la libertétotale dans la profanité.Cette consommation débordantes'apparente à un affranchissementde leurcondition sociale : Happyto beescapin' poverty, however brief I knowthis game got valleys and peaks... explainme why we adapt to crime I'drather die enormous than live dormant that's how we on it238

De nombreuxmarchés se sontaujourd'hui appropriés la culturehip hop et la crédibilité(< streetcredibitityr) des rappeurspour stimulerla ventede vêtementsde sport ou de Play-stationsen passantpar le whiskyou la bière"n.Les rappeurssont devenusce que NelsonGeorge appelle un <24. Beaucoup se voientoffrir, comme les sportifsde hautniveau, des contratsavec de grandesmarques vestimentairesou d'articlesde sport2a1.A I'heurede la surexpositionmédiatique du gangsta râp, de nombreuses voix s'élèvent pour condamner cette omniprésencecommerciale et nous renvoientaux propos d'Adornoà propos de

'36 Cor." le notaitdéjà Michel Fabre en 1967,beaucoup de Noirsadoptent dans leur désir de s'intégrer à la sociététous les attributsd'une réussitetypiquement américaine, (luxe tapageur, belles américaines, ...),ceci conespond à un besoinde prouversa richesseet de se persuadersoi-même de sonrang social. (MichefFabre, Les Noirsaméricains, Paris : ArmandColin, 1967, p. 106') 'Gin 1993). "t SnoopDoggy Dogg, and Juice", Doggystyte(Priority, Exemplecité dansBakari Kitwana, qp. cff.,p. 51. 238 J^y-z,"Can I Live', lJ nreasonabteDouôf (Pdority, 1 996). "mall liguors",desbières bon "t L", rappeurscomme lce Cubeet SnoopDogg ont vantéles méritesde marchéconnues pour leur tiaux élevé en alcoolet qui fontfureur dans les ghettos.La bière(40ot,'fortf , "brcwski",...)ou les alcoolforts (henry", "hennessy",...) sont régulièrementélébrés dansles gangsta raps. Cettevisibilité a fait I'objetde nombreusescritiques de la part de représentantsde la communauté noiremais aussi de la partde rappeursconscients. Ainsi Chuck D. a-t-ilen réactionà ce phénomèneréagi avec le morceauintitulé "l MillionBotfle Bags'. (Nelson Geotge, Hip HopAmerica, pp. 169-170.) Voirp.166. 'oo tbid.,p.154. 'ot L'"r"rple le plus connu est le partenariatentre Adidas et Run DMC. (NelsonGeorge, Hip Hop Ameica,p.158.)

230 l'< industrieculturelle uto'. Cette consommationde la culturehip hop aliéneraitsa musiqueet modifieraitson < reconnaissentI'aspect aliénant de la surcommercialisationdu rap, cettedernière ne sembleen rien entamerla crédibilité artistiquedes gangsfaz.Ces derniersinsistent sans ambiguitéaucune dans leurs interviewssur I'aspectcommercial et professionnelde leur art, ainsi que sur leur ambitiond'être des modèles aux yeux de leurcommunauté. Cette glorificationquasi obsessionnellede la réussiteprofessionnelle est en effet récurrentedans le discoursd'artistes censés représenterune communauté répriméeet qui peineà gravirles échelonsde la société.En exposantavec insolence leurobsession du gain et du matérialisme,ils traduisentle souhaitdes habitantsdu ghetto de fuir leur conditionpour être reconnuset respectéspar la société. Le capitalismeest en outrelié à uneidée de pouvoiret de dominationmasculine. < | got Moneyand the Powern2a4 s'exclame Scarface, rapportant ainsi le besoindes hommes du ghetto de recouvrerun statuten s'élevantéconomiquement dans la société.À travers la célébrationde leur succès matériel,les rappeursgangsfa2as célèbrent l'asencionsociale de touteune communauté avec laquelle ils souhaitent aussi partager leurréussite : < se veut donc pédagogique.Les rappeursréitèrent ainsi I'empressementdes Noirsà jouird'une égalité de droiten s'affichantcomme modèles du < black capitalism>.

242 Theodo,Adomo, "L'industrie culturelle", Communbations, N' 3, Paris: Le Seuil,1964, pp. 12-18. '03 Th"odo, Adomo, Théorieeslhétique, Paris : Klincksieck,1989 (1970),cité dans Anne-MarieGreen, De la musiqueen sociologie,lssy-lès-Moulineaux : Editions EAP, 1993' p.127. 'oo Surl^"", "Moneyand the Powef, Mr. Scartacets Back(Priority,1991). 245 L'aspirationà la réussitematérielle n'est pas I'apanageexclusif du milieugangsta mercantile, elle est fualement revendiquéepar beaucoupde rappeurs< conscient> qui souhaitentainsi mettreà mal les stéréo$pestraditionnels. '06 N"., 'Life ls A Bitch",ttlmatic(Sony, 1994).

231 1.2.3.Le capitalismenoir

Commela plupartdes courantsmusicaux depuis la naissancede I'industriedu disque,le hip hop s'estcristallisé dans la rue avantd'être récupéré par les maTbrs.Né au début des années1970, le rap reste une dizained'années dans la culture undergroundavant que le systèmeéconomique de productionet de consommationde masse ne s'y intéresse.L'industrie musicale afro-américaine a depuistoujours été contrôléepar des hommesd'affaires blancs et les rappeursperpétueront cette longue traditionde collaborationentre Noirset Blancs.Si ce sont des labelsnoirs comme SugarHill et Enjoyqui ont été les premiersà presserdes disques de rap,ce sontpour la plupartdes cadressupérieurs de maisonsde disquesblanches, des directeurs artistiqueset agentsblancs qui sont à I'originede I'explosionque connaîtle rap au milieudes années1980. Tommy Silvermann, fondateur de TommyBoy, Rick Rubin (Dej Jam)et BarryWeiss (Jive Records)sont les premiersà reconnaÎtreI'importance de la culturehip hopen misanttous leurs espoirs sur de jeunestalents dès le début desannées 1980.247 ll est vrai qu'entre1981 et 1985248,les directeursde labelsafro-américains ne croientque peu en ce nouveaucourant muslcal et les radiosnoires ne diffusentle rap sur leursondes qu'avec parcimonie. C'est le succèsphénoménal du trio blancnew- yorkaisBeastie Boys2os qui, en 1986,provoque un sursautet conforteun chauvinisme afro-américain.Le marchédu rap s'avèrede plus en plus lucratifet les rappeurs prennentalors conscience de la valeurmarchande de leurculture qu'ils vont à leurtour exploiter.Le succèssoudain du rap décidebon nombrede rappeurcà se produire, contrôleret diffuserleurs æuvres eux-mêmes. Les acteursdu rap découvrentI'art de fairedes affaireset les résultatssont vite fructueux: en dix ans,le hip hop a doublésa partde marchépour représenter en2O02 une industriede deuxmilliards de dollarsaux États-unis.m LesAfro-Américains ont toujourstenu pour vérité qu'ils doivent se montrerdeux fois pluscapables que les Blancspour obtenir une considération, de là une motivation pathologiquede certainsartistes-producteurs à égaler, voire surpasser leurs confrères

'ot N"l.on Georye,Hip ltop America,pp.72'73' 2o'wd.,p.59. '09 voir'p. 1oG. 250 'con"lr"ionsof hiphop summit 2001', www.hsan.org.

232 blancs,en produisantà outranceet en cherchantinlassablement de nouveauxtalents. lls sontaujourd'hui des exemplesde réussiteéconomique exceptionnelle et s'affichent commedes modèlesdu n blackcapitalism >' La notionde < capitalismenoir >> n'est pas nouvelle; ellefut introduiteau XlXe sièclepar BookerT. Washington,puis reprisepar MarcusGarvey dans sa doctrine séparatiste.De nos jours, ce sont les nationalistesqui encouragentune certaine autonomieéconomique. Master P., le <, sont considéréspar les pontesde I'industriedu disquecomme les chefs de fil de I'industrie du rap. En 2002,ils figurentrespectivement à la 20e et 22e placedans le classement des personnalitésde moinsde 40 ans les plusriches des États-Unisavec des fortunes estiméesalors à 249et231 millions de dollars.Russel Simmons, dirigeant de DefJam, est quantà lui,avec ses 410 millionsde dollars,à la têtede la sixièmefortune afro- américaine.2s2 Lesrappeurs ont comprisque pourprofiter au maximumdu systèmecapitaliste, ils devaient se livrer à un libéralismesauvage. C'est chose faite avec la commercialisationdéchaînée de produitsdérivés, relatifs à leur imageou à cellede leur crew.Les n hip-hoprene,Jrs,r'u' ont d'ailleursétendu leurs activités bien au-delà de productionmusicale. Les plus connusd'entre eux ont créé leurspropres marques de vêtement2set s'improvisentproducteurs de télévisionou de cinéma,mènent une carrièreparallèle d'acteur, sont chefs d'entreprises ou bienproducteurs de whisky'Les rappeurssont à I'heureactuelle sur tous les frontset s'attaquentà tous les marchés, n'hésitantpas à faireappel aux nouvetlestechnologies de diffusioncomme internet' Commenous I'avons vu, I'accumulationde biensmatériels et I'ostentationsont dans le discoursrap les preuvesd'une ascensionsociale. Qu'ils soient issus des ghettosou de la middleclass, les rappeursaiment ainsi exhiber, non sansfierté leur réussitematérielle dans leurs clips vidéos: villas avec piscine,limousines - autre symboledu rêve américain-, jeunesfilles en fleur et jéroboamsde champagne'En célébrantleur succès, ils souhaitentaussi le partagersymboliquement avec leur

251 chrirtopheChappia, "Du flow au clash-floW", Tenitoires du hip'hop,p.37 ' 252 Donnéespubliées sur le sitede FortuneMagazine,www.fortune.com' 'ut Sony" A. Donaldson,'BlackDotcom Shake-up", Black Enterpnse, December 2000,www.blackenterPrise.com. 2il p^rmi les marquesvestimentaires les plus populairesSean de Puff Daddyet P.hatFa-rm de Russel Simmons.Notons que certainemarques de vêtemenbtrès populairescomme FUBU sont à I'originedes labelsde musiqueset ont à I'heureactuelle en partiedélaissé leurs activités musicales.

233 communautéen lui prouvantque tout Afro-Américain,qu'il soit proxénète,ouvrier ou bienrappeur, peut réussir et devenirI'exemple modèle du : Callme'the dirty rapper', l'll say, 'Sure' ButI'm a youngblack entrePreneur l'man MC, right? I owna comPanYtoo Programmedthe drums and made the groove Sowhen you look in myface you see a wealthyman I hopeit's not hard for you to understand I'mthe businessman, it'snot the same l'mtreated like a dopedealer runnin the game Andyou wonder why I can'tget no p"""""u

A I'imagedes rappeursnationalistes, les gangstazencouragent à leur manière I'initiativeprivée, ils retranscriventle besoinde teniren échecla fatalitéet de briserla chaînetraditionnelle de I'exploitation.2s De plus, en étalant cette réussitede manière ostentatoire,les rappeurs narguent d'une certaine manière I'hégémonieblanche. lls inversentI'image consensuellequi veut que ce soit uniquementla population<< caucasienne > qui détiennele pouvoiréconomique et puisseaccéder à la fortune.Les rappeursprennent ainsiune revanchesur le destinde leurcommunauté. L'entreprenariat afro-américain a pendantlongtemps été restreintpar des lois ségrégationnistes.Après la guerre de Sécession,les lois < cloîtraientnotamment les entreprisesafro- américainesdans leur ghetto et interdisaientaux Noirsde fairetout commerceavec les Blancs.lls n'oublientpas que leur communauté a été elle-mêmeassimilée un tempsà des biensmatériels. Aujourd'hui, c'est cette nouvelle génération d'entrepreneurs afro- américains qui exploite le marché en profitant des deniers d'un auditoire essentiellementblanc2ut. Les rappeurscombattent ainsi symboliquement I'impérialisme exploiteurpar une forme inéditede capitalismenoir. Pour illustrerce phénomène, citonsnotamment le magazineFortune qui évoquaiten titreet en couverturede son éditiond'aôut 1997 le < NewBlack Power >.

255 Too $hort,"Nobody Does lt Bette/', Lifets Too$horf (Jive, 1989). 256 La théorielibérale est par ailleursassociée à une forte idée de liberté,voire d'émancipationd'un systèmeexploiteur. Pour les Afro-Américainscela signifie,entre autres, s'affranchir du secteurpublic qui réprésenteie plus souventle seul moyend'ascension sociale. En dévoilantcette ambitiond'intégrer ce sy'stèmelibéral, les rappeursréitèrent I'empressement des Noirs à jouir d'une égalitéde droit et d'une réhabilitrationsociale. 'ut Corr" nousle savons,les consommateurs de musiquehip hopsont 80% blancs. Ce sont néanmoins lesAfto-Américains quisont proportionnellementles plusgros consommateurs de rap. Les consommateu6ne sont d'oncpas représentatiftde I'ensembledu public hip hop. Si I'on prend de la radio,une étudea démontréque les NoirsrePÉsentraient 46% du publichip hop et les f'exempfe 'The Hispaniques25%. (Lynne Maqolis, Real Truth About Hip-HopListeners', Media Life Magazine, August7, 2003,d ifr.rsé sur www.medialifemagazine'com.)

234 L'industriedu hip hop sembleraitjouer parallèlementun rôle moteurdans le développememtde l'économieafro-américaine selon Hashim A. Shomari. Les rappeursinvestissent d'une part directementdans la vie économiquelocale et nationale,leur rôle exemplairestimulerait d'autre part la créationd'entreprises afro- américaines'ut.Les rappeursdonnent en effet une lueurd'espoir et encouragentde manièretrès influenteles initiativeséconomiques privées. < Putthat same strength into somethingthat'll pay off n25e,rappe Prodigy de Modd Deep,offrant ses conseilsen affaires.Compte tenu de l'étatdélabré de certainsghettos et de la répressionqui s'abatsur leurshabitants, la seulerevendication politique qui puisseencore faire naître I'espoirest celle de la montéed'un petit capitalisme noir.

Lesprotagonistes des gangsfaraps se réfugientdans une culture où le traficde drogue et l'économiesouterraine constituent des remèdesà la pauvretéet une opportunitéillusoire de mobilitésociale ascendante'*. En célébrantcette culture de la rue,les rappeurs ne cherchentpas uniquement à disculperune jeunesse en perdition, ils démontrentque la délinquanceapparaît comme le seulrecours dans la quêted'un statutsocial et manifestentainsi leur oppositionà I'exclusionqui porte atteinteà la dignitéhumaine. lls expriment le désirde réhabilitationsociale des habitants < partous les moyensnécessaires >> selon la formulede MalcolmX.

1.3.Sexisme et misogynie

I feel a deep,terrifying hurt, the painof humiliationof the vanquishedwarrior. The shame of the fleet-footedsprinter who stumblesat the start of the race. I feel unjustified.I can't bear to lookinto your eyes. Don't you knowthat for four hundred yearsI havebeen unable to look squarelyinto your eyes?I trembleinside each timeyou lookat me...Flower of Africa,it is onlythrough the liberating power of you rc{ove that my manhoodcan de redeemed....Black beauty, in impotentsilence I listenedto [...]a Bluesysound, the soundof dying,the soundof mywoman in pain, thesound of mywoman's pain, THE SOUND OF MY WOMAN CALLING ME, ME, I

258 HashimA. Shomari,From the lJnderground:Hip Hop Culture As an Agentof SociatChange, Fanwood,NJ: X-Factor,1995. D'aprèsle bureaufédéral des statistiques(Census Bureau Sfafisfics), ces demièresannées ont vu une croissanceextraordinaire des entreprisesafro-américaines, soit une progressionde25o/o entre 1992 et 1997. (www.census.gov.) 2s9 Prodigy,"Genesis", H.N.I.C (Head Niggatn Charye)(Relativity,2000). 'uo enitipp"Bourgois, 'Résistance et autodestructiondans I'apartheid américain", Actes de ta Recherche en So'encesSocrales. Violences, Paris : Le Seuil,décembre 1997, pp.6068.

235 HEARDHER CALL FOR HELP, I HEARDTHAT MOURNFUL sound but hung my headand failed to it,[...]l, theblack Eunuch...

EldridgeCleaver, Soul on lce261

C'estla Floridequi va inaugurerdans les années1980 un nouveaugenre de raphardcore épicurien et humoriste,à référencelargement pornographique, le < booty style> ou encore< Miamibassn. Ce rap ( porno> va être popularisépar le groupe2 Live Crewæ'.Luke Campbellet ses acolytesbasés à Miamise sont spécialisésdans les textes explicitesqui renvoientde manièrecorrosive à I'imagestéréotypée et discriminatoirequ'ont les Blancsdes Noirs.2u'2 LiveCrew sera par ailleurs à l'origine du fameux autocollant < Parental Advisory- Expticit Lyricsr^o appposé sur les pochettesd'album. Malgré diverses censures très sévères,ce nouveauson fera des émufeset influenceralargement les rappeursgangsta, notamment en Californieet dansle Suddes États-Unis. Avantd'entamer notre étude de textes,nous nous attacherons à préciserque le sexismehardcore ne vautpas pourI'ensemble des femmes.Les rappeursprennent la plupartdu temps pour cible les femmes issuesdes classesinférieures, voire de l'underclasset que I'ondésigne communément de < ghettosbifches n. Les gangstaz s'attachenten outreà différencierdans leurs raps les < o.t <, tt ho l, < beyatch), ou ( biatch>, < skeezer,r, (( freaks>>, < trix >, < golddiggers,.,'uu'.. Outre le désir de célébrerune culturede ghetto,il faut voir dans I'emploide telles expressionsla volontéde heurterI'auditoire. Les rappeurss'attirent la foudre des groupesféministes qui n'acceptentplus I'emploide termesjugés inévérencieuxet voient dans cette dichotomieentre le bien (< womanD ou ( sisfern) et le mal (< bitch>, t

ttt Eldridg"cleaver, op.cit.,pp. 20G209. '6' L" rap "pomo'fut lancéà t'originepar Blowfly.Blowfly, également natif de Miami,avait créé au début des années'80un personnagede rappeurcomédien débitant des textes classés X comme"Pomo Freak". (OfivierCachin, L'otrensive mp, Paris: Gallimard,p. 43.) 'ut Wiffi"r E. Perkins,'Rap Attack", inWilliam E. Perkins(ed.l, Droppin' Science,p.25' tfl voir'note 408, p. 99. '6u C"rt"in, de ces exemplessont cités dans Bakari Kitwana, op. cit',pp'53, 55.

236 femmes.266.L'utilisation constante du terme< bitch> - littéralementchienne - dansles rapsn'est par ailleurs qu'un mode d'expression pour désigner les femmes en général. Dans le ghetto, cette expression n'a traditionnellementpas de connotation particulièrementpéjorative; synonyme de ( woman>267, elle est toutcomme << nigger > une marquede négritéet d'appartenancecommunautaire. Dans un contextebien défini,elle peutavoir une acceptionméliorative, désigner une femme forte, voire avoir uneconnotation affective,268 ll convientici de rappelerque, traditionnellement, le folklore afro-américain est souventI'expression d'une misogynie et d'une hypersexualité,plus particulièrement dans fes < dirtydozensn. Comme nous l'avonsvu, les <

'6t RobinD. G. Kelley,op. cit.,p. 143. 26t Dan. les années1950, Abrahams remarquait dans son étudesur la cultureorale que le termede "bitch' désignaitdéjà une femme : "any woman. As used here, usually without usual pejorative connotations."(Roger D. Abrahams,Deep Down in the Jungle:Negro Narntive Folklore from the Sfreefs of Philadelphia,Hatboro, Pa.: Folklore Associates, 1964, p. 258.) 'ut Norb"rtSchiegl, "The One and OnlyQueen of HipHopWonderland', Jtlice, Ausgabe 8, Juli-August 1995,p.37. "t voi, ég"lementà ce suietp. 50.

237 1.3.1. Le legsd'une histoire

Nousnous devons ici de rappelerque les communautésnoire et hispanique sont traditionnellementmachistes et que le sexismeexistant dans la communauté noireaméricaine est souventattribué aux séquelleslaissées par I'esclavage.ll a de plus été renforcépar la libérationsexuelle des années 1960-1970et lors de l'avènementdu n blackmacho n270, produit du mouvementmilitant du BtackPowef". Lesexisme doublé d'une homophobie fait en outrepartie de la traditionvemaculaire du gangsterphallocrate et il est égalementperceptible dans les < dozensn, les n foasfsn ou autres <

NewYork: Dial Prcss, 1978. "o Voi, MichelleWallace, Btack Macho and theMyth of the Superwoman, (unrekonstruierte) 60's zum Black-Macho'Mythosin der schwaz- "" J"n Wôlffel, "Das Erbe der amerikanischenPopulârkultufl, rnW. Kaner& l. Kerkhoff(eds.),@.cÉ" p' 80. 'Media and Rap MusiC, Ameican Sociotogicat "' O^, Binder, Depictionsof Harm in HeavyMetal Review,vol.58, no 6, December.1993, p.760. 2t3 b"ll hooks,'se1sm and Misogyny:Who TakesThe Rap?Misogyny, Gangsta Rap and the Piano", p.26.

238 Lesconditions particulières dans lesquelles a évoluéla femmenoire depuis son arrivéesur le continentaméricain ont contribué à l'émergenced'un modèle familial noir distinctdu modètepatriarcal des Blancs.Séparés dès leur arrivéesur le continent américain,les hommeset les femmesn'ont que difficilementpu entretenirdes liens affectifs et familiaux.Les esclaves n'avaientguère le droit aux épanchements amoureux et ce sont la plupart du temps les maîtres qui décidaient des accouplements"o,voire violaienteux-mêmes les femmes.Le travail de la femme esclavedans les champset celuide domestiquedans les foyersblancs en plus des chargesfamiliales qu'elle assumait parfois seule lui ont valu une imagede femme forte, persévéranteet indépendante.La mère est par ailleursinvestie d'une lourde responsabilitépuisque selon les codesde I'esclavage,le statutde I'enfantsuit le sort de la mère."uL'esclavage met doncen placeune structure familiale de typematriarcal. Si à I'heureactuelle, une proportionsignifiante de famillesafro-américaines suit le modèlefamilial traditionnel, il n'en demeurepas moinsque deux tiers des enfants naissenthors mariage contre un quarten 1965et que plusde la moitiédes femmes éfèventseules leurs enfants contre 17,2o/o en 1950276. Le statutsocio-économique de la femmenoire, largement supérieur à celuide I'homme,dans une sociétéaméricaine traditionellement patriarcale contribuera selon certainsà l'écrasement,voire à la castrationsymbolique de I'hommenoir."'Celui-ci a toujoursrejeté I'autoritéde la femme, perçuecomme une atteinteà sa virilité; il exprimealors sa rancæuren dirigeantsa violencecontre les femmes, comme le note ici I'activisteKathleen Cleaver:

2'o Ar""les progrèsrapides de I'exploitationdu cotonau milieudu 19" sicècleet I'intedictionfaite par les autoritésfédérales d'importer des esclaves,les planteursdu Sud se spécialisèrentdans l"'élevage" favorisantla reproductionde sujetsrobustes. lls sélectionnaientainsi les esclaves"mâles" les d'esclaves, 'Un plus vigoureuxpour leur rfonctionreproductrice'. statut de coq dans une basse+oulaétait donc rpropicé à favoriser[...] la mise en place de schémasde penséesmisogynes et de comportements machistes.'(MichelFabre,op.cit., p. 11.) '.17'118. : Autrement,1999, pp. "U Chri.ti"n Béthune,Le np : lJne esthétiquehors lalo, Paris class noire américaine.Les enfants "u C" phénomènese retrouveaussi égalementdans la middle élevéspar deux parenb sont aujourd'huide plus en plus exceptionnels,notiamment dans les quartiers pauvres. (Nicole-Bacharan, op. cit., pp. 272-273.) En 1965, les femmes seules avec enfants ieprésentaient25% des ménages,et 43o/oquinze plus tard. De nosjours, 46% des mèresnoires (mariées ou non)élèvent seules leurs enfants contre 18% en 1950.(William J. Wilson,op. cit',p' 57 ; données actueflespubliées sur le siteintemet du US CensusBureau pourfévrier 1999, www.census'gov.) Macho,lesannées 1960 qui furentdes annéesde "' Co ." le rappelleMichelle Wallace dans Black libérationsexuelle furent particulièrementdécisive pour la femme noire et lui donnèrentI'occasion de s'affirmervis à vis des hômmeset de la société.(Michelle Wallace, BlackMacho and the Myth of the Supetwoman,New York: Dial Press, 1978.)

239 [...]as blackmen move to assertthemselves [...] to regaina senseof dignity i..i of manhoodt...1 of humanity,and to becomestrong enough and powerful énoughand manly enough to fightagainst the oppressor, they many times take outtheir resentment of their position against their own black women. And many timesflee from the guilt that they know is theirsin theirrefusal and inability to protectthe blackwoman [...]. The violence that black men direct toward their ownwomen, the brutality,the hostility,is somethingthat black women are subjectedto asa resultof thecolonization of the man.278

Cette misogynieest la stratégiepernicieuse qu'ont trouvé les hommespour faire subir au sexe faible I'asservissementqu'ils ont subi eux-mêmesà force d'oppression.Comme le noteChristian Béthune, la perversitéd'un systèmefondé sur la discriminationa entraÎnéce que la psychanalyseappelle un < déplacement>. < Faute de pouvoirexprimer de façon ouvertesa haineà l'égarddes oppresseurs blancs[...], c'està I'encontredes femmesque le mâlenoir va exercersa vindicte, renvoyantcontre ses cons@ursla culpabilitéde son impuissanceet le poidsde son ressentiment.>2te La femmeest devenuele boucémissaire et I'hommesaisit toutes les occasions à traversla voixdes rappeurspour la bafouerou la violenter,invoquant soit I'infidélité, I'indépendance,voire I'insolence. La violenceque les protagonistesdes rapsexercent sur les femmesqui osentles affronter,est aussibien de naturephysique que verbale: < and if you bitchestalk shit,I haveto put the smackdown u'80. Elle peut prendreles formesd'un viol, d'une réprimande, d'une violence domestique, d'une insulte gratuite, d'uneexploitation ou d'unmeurtre. Dans < One LessBitch >281, Eazy-E effectue ce que I'on est en droit de qualifierun lynchage.Toutes les formesde violenceà vocation d'exutoiresont admises dans les rimesgangsta. Too $hortaffirme ainsi qu'un homme, un vrai,est celui qui ne craintd'abuser verbalement ou physiquementdes femmes. Un hommequi viendraità douterdu bien-fondémême de ses proposest lui-mêmequalifié de < bitchrr."' Ces propos étayent la conélationvirilité-misogynie. Les rappeurs prennentdonc une fois de plus une formede revancheverbale sur les femmeset par extensionsur la vie. A I'instardes autorités,la femmeest en effetcette autre menace

et le mouvementdes drcib civiques: La "8 C1é dans TaoufikDjebali, "Les femmesafro-américaines quêted'une irlentité", rn Înierry Dubostet AliceMills (dir.), La femmenairc amértcaLhe, p. 19. "t chri.ti"n Béthune,op. cit.,p.129. 280 'Nuthin' Dr. Drefeat. snoop DoggyDogg, Buta G Thing', TheChronic (Death Row, 1992). '8t NWA,'one Less Bitch",Efrt4zaggrn (Ruthless, 1991). '8' C."observationset les exemplescités sont extraitsde EdwardG. Armstrong,"Gangsta -Misogyny: A- ContentAnafysis of the Portrayaisof ViolenceAgainst Women in Rap Music, 1987-1N3', Joumal of CriminatJudice and PoputarCufture,8(21,2001, pp. 96-126,publié sur www.albany'edu'

240 susceptiblede remettreen causeleur virilité.L'association pouvoir dominanUfemmes estd'ailleurs très courante. ll arrivefréquemment aux rappeur dans un mêmevers de fustigerla policetout en proférantdes injuresà l'égarddes femmes.Les autoritéssont elles-mêmesqualifTées de < bitch>. Les héros gangstan'exercent donc aucunesouveraineté sur leurs propres personnes,et la violencequ'ils retournent contre les femmestrahit leur impuissance. Cette misogynien'est pourtantpas le seul fait d'une crise patriarcale,elle est exaspéréepar les réalités socio-économiquesqui ont au cours des dernières décenniesamplifié cette violence sexiste. La disparitiond'emplois industriels dans les années1980 a sensiblementmodifié le systèmepatriarcal traditionnel et a redéfinile rôle de l'hommenoir qui a progressivementperdu sa fonctionde chef de famille.283 Parallèlement,les femmes se sontmieux intégrées socialement et professionnellement à la sociétéaméricaine2so renforçant ainsi I'inquiétudedes hommesnoirs, soucieux d'imposerleur identitémasculine. On reconnaîtà traversles vers des rappeursles effortsde I'hommenoir pour rétablirpar un comportementviolent la positionde force queles hommes ont perdu : Nowstupid little bitches get tossed lf theydon't realize that I'm the mothafuckin boss Com'on get your ass Pinched Andif youtalk shit, you get your ass lynched 'CauseI'm the B theI theT theC theH TheK theI theL theL theA 'Causea bitchis a bitchis a hoeis a slut'285

La situationsociale et économiquede I'hommenoir est un sujet hardcore récurrentqui apparaîtcomme la basedu conflithomme-femme. L'homme du ghetto, mêmesans emploi, doit subvenirà ses besoinset ceuxde sa famille.Les femmes, dansleurs désirs d'ascension sociale, recherchent des hommesaux revenusstables,

'83 Mik"Davis, op. cit.,p.274. '& L"" employeurspréfèrent les femmesnoires aux hommesnoirs. Par ailleurs,ces femmesgagnent en moyenneplus que leurs conioints. (Nicole Bacharan, op' cit.,p'264.) DivârcesètuOeé sur la famillenoire étayent ces observations.Dès 1939,Ihe NegroFamily de Franklin Frazier,puis l'étudesur le ghettonoir publiéeen 1965par le psychologueKenneth Clark soulignèrent que les femmesjouaient un rôle prédominantdans la famillesoit par leur forte personnalité,soit par leur indépendané économique.Le rapportMoynican intitulé The NegroFamily A Case for nationalAction publiéen 1965renforça I'inquiétude des hommesnoirs. ll révélaentre autres qqe lesfemmes_avaient une meilleureformation ei etaiehtmieux intégréessocialement. (Kenneth Clark, Dark Ghetto:Dilemmas of SocialPower,Hanover, NH: Wesleyan University Press, 1965;E. FranklinFrazier, The NegrgFamily in the lJnitedSfates, New York: DrydênPress, 1951 (1939); DanielP. Moynihan,The Negrofamily: The Casefor NationatAction [The Moynihan Repod],Washington D.C.: Govemment Printing Office, 1965.) "Ain't Wordto Me', ShottDog's tn The House(Jive,1990). "u Too $hortfeat. lce Cube, NuthinBut a Exempfecité dans Bakari Kitwana, op. cit., p.35.

241 voire prospères.Le statut de I'homme dans ses rapportsavec la femme semble donc lié à sa situationfinancière. Ne parvenantqu'à peineà subvenirà ses propresbesoins, I'hommen'accepte pas la pressionqu'exercent les femmes sur lui, ni le fait d'être aimé uniquementpour ses ressources.Les femmes sont qualifiéesde < money-hungry)),

To me - all bitchesare the same: Moneyhungry scandalist groopy ho's that's always riding on a nigga'sdick. Alwaysin a nigga'spocket and when the niggaruns out of money Thebitch is gonein the wind.287

En retranscrivantla prétenduevénalité des femmes, les rappeurs révèlent les frustrationsvécues dans le ghetto aussi bien par les femmes que les hommes et soulignent le dysfonctionnementrelationnel lié à la situationsocioéconomique qui y règne. Dans < | Ain't tha One D, NWA abordent par exemple le thème de I'exploitation mutuelle. L'homme conseille de se méfier des femmes et de les exploiter sans vergogne comme objets sexuels puisque ces dernières n'aspirentelles-mêmes qu'à abuser financièrement des hommes. Afin d'illustrer leur thèse, deux femmes interrompentle morceaupour un interludeet parlentd'amour: - Girrrrrl,you got to get thesebrothers for all the money youcan honey.Cause if theyain't got no money,they can't do nothinfor me but get out of myface. - I knowwhat you mean girl, it ain'tnothin right jumpin off unlesshe got dollars... - Yeahljust makeem thinkthey gonna get some, playup theymind a lil bit,and get that money. - Oh lce Cube,can I havesome money pleeeease?288

(Book (DeaflrRow, 1996). "t Trp"r, IVondaWhy They Call You Bitch",All EyezOn Me 2) "t NWA,"One Less Bi]r]h',Efrl4zaggin(Rufhless, 1991). précédentes de NWA, 'l Ain't tha One', Stnight Outta "t C"tt" citationet les sont tiréesdu moriceau Aompton(Tommy Boy, 1990).

242 Les problèmeséconomiques et cette volonté de réaffirmationmasculine n'expliquentpas tout le problèmede la misogynie.On trouveégalement un élémentde réponsedans I'argumentation quelque peu hardiede TriciaRose, lorsqu'elle affirme que le rap reflètela peurde I'hommenoir face à la sexualitéféminine28s. D'après elle, la lascivitéféminine est un pouvoirutilisé contre les hommes.Les femmessavent se servirde leursatouts pour attiserla curiositédu sexe opposéet obtenirtoutes les faveursqu'elles désirent. Elles peuvent de plusfaire planerà tout momentla menace d'unegrossesse, qui devientalors un actede conquête.< YouCan't Fade Me > illustre biencette thèse. lce Cubey relateI'histoire banale d'un hommedu ghettopris au piège par unefemme qui veut lui imposerune paternité:æ0 Ninemonths later she's ready to dropthe load Andeverybody inthe hood already knows It'ssupposed to bemine so they laughing at me Youknow lce Cube can't be having that G l'mthinking to myæelfwhy did I bangher NowI'm in the closetlooking for the hanger JD andJinx and T-Bone won't let up theywon't shut up I'mgettin fed up bitch CauseI knowyou're tryin to breakme Butif lfind out yourtryin to fakeme I'm a buffthat dufffor a hoot Beatya downand leavea crownor two Thatnight she went into labor Andthe shit is gettingkinda major The babycame out damn it wasa lifesaver Lookinglike my next-doorneighbor Shesaid it was minethat was herbest guess Butlet's check the resultsof the bloodtest I startedsmiling yeah cause it readnegative Damnwhy did I let herlive?2e1

Depuis son anivée dans le Nouveau Monde, la femme noire S'est progressivementdétachée de I'homme noir pour diverses raisons historiques,puis socio-économiques.L'esclavage a eu un impact énorme sur l'évolution de leurs relations.Dans I'inconscientcollectif des hommes noirs, la femme est encore perçue comme la traîtresse. Esclave, elle I'a trahi, puis, elle est devenue la maîtresse, la concubine, puis la femme de I'homme blanc, et ce dernier lui a permis de s'élever socialement.Les hommes noirs continuentde reprocher à leurs femmes de ne pas suffisammentles assister, même bien souvent de les trahir et exprimentune grande

289 Tri"i" Rose,"NeverTrust a BigButt and a Smile",Camen Obscun,n'23, May 1990, p. 115. 290 E""mple cité par RobinD. G. Kelley,op. cit.,p. 144. 291 1"" Cube,'YouCan't Fade Me",AmeriKl(Ka's Most Wanted (Piority, 1990).

243 méfianceà leurégard : < lf I got lockedup and sentencedto a quartercentury, Could I counton youto be thereto supportme mentally?,r*'rappe 50 Cent. Par ailleurs,les rappeursjustifient très souventI'attitude brutale des hommes enversles femmesessentiellement issues du prolétariat.lls les accusentde ne plus tenir le rôle structurelde mère. Elles sont dépeintescomme des mères indignes, irresponsableset amorales,survivant d'allocations, et sont indirectementrendues responsablesde la déchéancede la communauténoire. << lt's a Man'sWorld >> d'lce Cube, interprétéen duo avec la rappeuseYo-Yo, reflète de manièrecaricaturale et humoristiquecette pensée sexiste. La dominationmasculine est renforcéepar un effet de sourdinede la voixde la rappeusequi chanteà distancedu microphone:"' ilceCubel [...]| hearfemales always talkin about women's lib Wellget your own crib Andstay there Insteadof havingmore babies for the welfare Causeif youdon't l'll label you a golddigger Thename is lceCube you know that I ain'tthe nigga Foryou to lookat when your hair get nappy Sotake a pieceof the pole and be happy

lYo-Yol Hellno because to meyou're not a thriller Youcome in the room with your three-inch killer Thinkingyou can do damage to mybackbone Leaveyour child in the yard until it's full-grown I'ma putit likethis my man Withoutus your hand would be your best friend Sogive us credit like you know you should lf I don'tlook good you don't look good Cube] flce 2ea I doubtit babycause we're still most dominant...

Le discoursrap sexistesemble néanmoins évoluer et gagnerlentement en maturité,les rappeurssont aussi bien critiquesà I'encontredes femmesque des hommes.Ces dernièresannées, le sexismeprimaire a laissé place à des propos beaucoupplus consensuelsappelant de plus en plus à I'harmonieentre les deux sexes.En abordantles problèmesintrinsèques du ghetto,les MCstentent d'intenoger implicitementleur communautésans proposerde réellessolutions, mais en donnant quelquefoisdes conseils,tel Tupacdans < WondaWhy They Call U Bitch> :

'21 "' SoGent, Questions",Get Rich Or Dielryin'(lnterscope, 2003). 293 E*"rpfe citédans Robin D. G. Kelley,op.cit.,pp.142'143. '* lnGube feat.Yo-Yo, "lt's a Man'sWorld', AmertK(Ka'sMostWanted(Priority, 1990)'

244 Youleave your kids with your mama Cuzyour headin'for the club ln a skintight miniskirt Lookin'forsome love

Gotthem legs wide open Whileyou're sittin'at the bar Talkin'tosome nigga 'Bouthis car t...1 Keepyour head up, legs closed, eyes open Eithera niggawear a rubberor he diesmokin' I'mhearin'rumors so youneed to switch Andniggas wouldn't call you bitch,I betcha.2es

L'image des femmes véhiculée par les gangsta rappersest très contrastée. Dans I'universdes ghettos, la femme est, d'une part, un objet sexuel et, d'autre part, une source de réconfort.Les r€ppeurs énoncent le manque de respect des hommes envers les femmes en général. En revanche, la mère biologiquefait souvent I'objet d'un encensement.lls rendentainsi hommageà ces mères dont la tâche et le progrès socialrelèvent de I'exploit.Le père biologique,souvent absent, est quantà lui maudit. On lui reproched'avoir abandonnéle foyer et refusé le rôle de modèle qu'il aurait dÛ tenir, schémaque les hommesdu ghetto paradoxalementperpétuent: Hadtears with my babysister. Over the Yearswe waspoorer than the otherlittle kids. Andeven though we haddifferent daddys, the samedrama. Whenthings went wrong we'd blame Mama [...] Fora womanit ain'teasy to raisea man[...] A poorsingle mother on welfare[...]Tell me howyou did it. No lovefrom my Daddy'causethe cowardwasn't there ['..] I waslookin'for a father.He wasgone. I hungwith the Thugs and even though they sold drugs. Theyshowed a youngbrother love.e

Dans < Fuck my Daddy ,ræt,W.C. and the MAAD Circlevont jusqu'à dénoncer la violence domestique,la femme et I'enfantdu ghetto y sont les victimesdu père. lls reprennent I'image figée du père absent, une < piene qui roule > (< rolling stone >), reconnaissant ici la responsabilitédes hommes noirs dans la crise familiale. Un discoursquicontraste avec les raps précédentsde Too $hort:

295 Tup"., 1Â/ondaWhy They Call U Bitch",Alt EyezOn Me (DeathRow, 1996). (lnterscope, "u Tup"", "DearMama" , Me AgainsttheWortd 1994)' 297 E""rple citédans Robin D. G. Kelley,op.cit.,p. 146.

245 I'mgivin peace to moms,cause moms was the strongest Causedaddy abandoned me at a youngage And shovedme andmy babybrother my mother'sway And cominhome late everY night I usedto hearhim grabbin momma by the neck,lookin for fights Lit as a wino,but sick as a PsYcho I usedto hideunder the covers with my eyes closed Cryinand hopin tonight that daddy didn't trip Causemomma already need stitches in hertop lip Causedaddy got madand beat the hellout of her And throwinchairs against the wall every night, became a regular I usedto prayand hope that daddy would die t....1 I guessthat you can say that Poppa was a RollingStone But me I'mjust a victimof theplague of the brokenhome Anothersad face with the sickness Daddymust die, God is mYwitness Fordoin my motherwrong, and breakin up her happyhome The reasonthat lwrote this song is for thosewho can't or won't,I say it gladly FUCKMY DADDY! I...1 Withouta daddythought a lotI hadto learnon my own At theyoung age of nineI startdrinkin brews AndI evenhad to teachmyself how to screw Andfor my little brother things wasn't no better see To himlwas the closest thing he ever had to daddy Helpedhim with his school and then taught him how to squab Mommawasn't around, cause see she had three jobs Causedaddy done tracked out, and left us with the bills Nowwe eatin Wish burgers, and stale bread, and Skittles'æ8

Cooliodemande quant à lui pardonaux femmes au nomde tous les hommes noirs: < For every niggerthat ditchedyou/For every niggerthat hit you/Acceptmy apologiesfor my brothers... rr'nn.lce Cube revientégalement sur la douloureuse histoirede I'exploitationsexuelle de la femmenoire par I'hommeblanc à coupde rimes assassines:

Hornylittle devil, you gotta back up Hornylittle devil, you can't bust a nut Lookinat my girlfriend'sblack skin Youwanna jump in, but she don't like white men [.'.] I wannakill the devilfor talkinshit Causehe can'tget a tasteof the chocolate Africanbreast; cause white bitches got no buttand no chest Blackwomen have bodies like goddesses But hornylittle devil true Sortalike Venus, but put away your penis

'9t 'Fuck w.c. andthe MAADCircle, My Daddy",Ain't A Damn ThingCharged (Priorig, 1991). 29 Coolio,'For My Sistaz",Gangsfa's Parcdise (Tommy Boy, 1995),cité dansSteven Best and Douglas Kelfner,'iap, enâ< Rage,and RacialDifference", End)ftuntion,vol.2, No.2, Spring1999, publié sur http://enculturation.gmu.edu.

246 Causethe devil is a savagemotherfucker That'swhy I'm lighter than the average brother Causeyou raped our women and we felt it Butit'll never happen again if I canhelp it (meneither).3m

ll sembleraitque les hommes noirs du ghetto aient intériorisédans leur mémoirecollective une grande blessure, qui persistedans cette attitude sexiste envers lesfemmes. L'image que nous donnent les rappeurs de ces hommesest celled'êtres primaires,immatures, incapables d'amour, voire schizophrènes (< Sillyof me to fall in lovewith a bitch,r'ot, ,, Me give my heartto a woman- Neveru'o' ). L'homme,le vrai, est dansf imaginairegangsta limité à des rôlesde < macksn, de <

Le discourssexiste et misogynegangsta n'est en aucuncas le refletglobal des relationshommes-femmes de la communauténoire américaine. ll soulèvetoutefois les problèmesintrinsèques du ghetto.Les rappeurstraduisent notamment la peur qu'ont les hommesdes femmesdevenues indépendantes économiquement et méfiantesà leur égard.Leur discours sexiste est selonMichelle Wallace3oa un <>, car il se veut avant tout expressiond'un ressentiment,celui d'hommesn'ayant pas encoretrouvé leur place dans la sociétéaméricaine.

300 1"" Cube,"Homy Litde Devil', DeathCertificafe (Priority, 1991). 30t SnoopDoggy Dog, "Ain't No Fun(if the HomiesCan't Have None)", Dqgystyle(Death Row, 1993). 302 J"y-L, "BigPimpin*, The Lifeand Timesof ShaunCafter tl (DefJam, 1999). tot 'eroticism' R"lph Ellison"The of Negro expressionsprings ftom much the same conflictas that displayedin the violentgesturing of a manwho attemptsto expressa complicatedconcept with a limited voôaOirlary;thwarted ideational eneryy is convertedinto unsatisfactorypanto4ime 9n! his words are burdenedwith meaningsthey cannotconvey." (Ralph Ellison, "Richard Wrighfs Blues.' Shadowand Act. NewYork RandomHouse, 19t64, p. 89.) t* Mi.h"lf" Wallace,1Âlhen Black Feminism Faces The Musicand The Musicis Rapz,New York Times, 29 Jufy 1990,p. 20, cité dansStephanie Grimm, Die Reprâsentationvon Mànnlichkeitim Punk und Rap, Tùbingen:Satuffenburg, 1998, p. 35.

247 1.3.2. Homophobie et hypersexualité

La force masculineafro-américaine est interprétéedans le discoursgangsta commeun besoinde domineret d'abuserde tout ce qui peut nuireà la virilitéde I'homme.Le pouvoirdominant, I'autorité castratrice des femmes,I'homosexualité sont parmiles menacesqui planentau-dessus de I'hommedu ghetto.En exhibantune < hypermasculinité>1305, les gangsta rappers ont choisi de perpétuerI'image du < machonoir > pour reprendreles termesde MichelleWallace, une imagereprise par le mouvementmilitant du Black Power qui luttait contre les stéréotypesdu Noir infantiliséet docile. L'homophobieprimaire est dans la communautéafro-américaine pour ainsi dire traditionnelle.Elle apparaîtdans les n foasfsn ou les textes de blues. Depuisles années1960, I'homosexualité a cependant de plus en plus été vécuecomme une trahison,une atteinte à la communauténoire306. Marque de faiblesseet antithèsede la représentationde la masculiniténoire (< True niggazaren't gay/ And you can't play with my Yo-Yo>)307, elle est ouvertement condamnée : TheBig Daddy Kane law is anti-faggot Thatmeans no homosexualitY What'sin mypants will make you see reality.3o8

ll faut être néanmoinsprudent dans l'approchedes textes prétendus homophobes.L'expression de o fag, est dans un anglaispopulaire une insulte courantequi ne vise nullementà remettreen questionI'hétérosexualité du locuteur. Dans un contextebien déterminé,le terme peut égalementavoir une connotation amicafe.Dans le discoursgangsta,l'homophobie ostentatoire des rappeursest plutôt

30u par 'hypermasculinity'is intended to evokewhat UmbertoEco T"-" employé JudithGrant "Theterm 'completely has termed'hypeneality'. For Eco,the phenomenonof the hypenealis characterizedby the real' becomingidentified with the'completely fake'.t...1 As it is deployedand performedin the ritualsof rap and heavymétal, hypermasculinity is a fake masculinity.As such,it is a masculinitythat is morereal than the original,but the originalis alwaysinvoked, reproduced, and redeployedas a performanceof the genderstructure.' (Judith Grant, "Bring The Noise:Hypermasculinity in HeavyMetal and Rap",Joumal of SocialPhilosophy, vol. 27, N"2,Fall 1 996, pp. 8-9.) tou C"g thèsesont été largementétayées par l'églisenoirc, la Nationof tslamet certainsintellectuels afro- américains.La Nationof tslamet certainsuniversitiaires polémistes vont jusqu'à voir dansI'homosexualité un complotfomenté par I'hfuémonieblanche afin d'éradiquerla race noire,notamment Frances Cress Wefsingquipublia en 1991dans son recueilIhe lsr.sPapers un essaiintih.tlé'The Politics Behind Black Male Passivity,Effiminization, Bisexuality and Homosexualitf.Ce discoursest doncrePris sans vergogne par certainsrappeurc. (Frances Cress Welsing, Iâe lsis Papers,Chicago: Third World Press, 1991.) 307 1"" Cube,"Homy Little Devil', DeathCeftifrcate (Priority, 1991). tot t,n DaddyKane feat. Nice& Smooth,"Pimpin' Ain't Easy",tt's a BigDaddy Thittg (llamer, 1989).

24E l'expressiond'un désir d'affirmationhétérosexuelle. Caushun, rappeur homosexuel, interprèteainsi I'homophobie de ses confrères3os: Blackmen have endured so muchthroughout history. Homosexuality is viewed as a weakness.Black men don't want to giveAmerica another reason to viewus as weak.3to

Les texteshomophobes s'avèrent souvent cruels, mettant en scènedes mises à tabacd'homosexuels qui ne sont.passans rappeler le rituelcruel mais courant de la < pratiquéencore de nos jours dans les ghettos,coutume qui a pour but la satisfactionprimaire de s'attaquerà une cible marginale.Réprouvée tout comme ses auteurs,elle rappellele rituel du lynchageaccompli autrefois par les Blancsdans le Suddes États-Unis.Elle en est le prolongementà vocation cathartique. L'homosexualitéqui demeuredans le rap un sujettabou est évoquéedans un contextede violenceà traversles témoignagesde violsvécus dans I'enceintede la prison3tt.ll est intéressantnéanmoins de notercombien les rapportsà I'homosexualité sontambigus. Non pas qu'il faille remettre en questionI'hétérosexualité des rappeurs, mais force est de constaterqu'ils cumulentmalgré eux des allusionsà connotation homosexuelle.Le sentimentde < brother(ly)love > peut par exempleprendre une tonalitééquivoque. Dans un morceauintitulé < | needa girl >1312,Puff Daddytttdéfinit la relationamoureuse qui I'unissaità son amieainsi : < Youwas morethan my girl,we was like brothers>. L'amourque les rappeursportent à leurs < homiezn est ici inversementproportionnel au mépris qu'ils portent aux femmes. Les hommes apparaissentcomme des modèlesde fidélitéet de loyauté: < l'll diefor my niggaz,ride for my niggaz,r.tto ll faut rappelerque dans I'universdes ghettos,la présence

309 L". rappeurshomosexuels ou bisexuelssont quasi inexistants.Les quelquesrares rappeur homosexuelsaffirmés ne sontpas connusdu grandpublic. ll sembleraitnéanmoins ces demièrcsannées que I'homosexualitédevienne un suiet de moinsen moinstrabou et qu'unescène hip hop.homosexuelle soit en train de se développeraux États-Unis.Ce phénomèneenoore tês maqinale reflètesans doute l'évolutiondes mentalitésde la sociétéaméricaine et de la communautéhip hop. Voirà ce sujetlllseed, "The Homo-Erotic Nature of HipHop", 30.04.02, www.AllHipHop.com. 310 Int"ri"* accordéeau sitehip hop www.gayhiphop.com. t" RobinD. G. Kelleycité en exempleThe Producfde lce Cube. lce Cube,"The Producf , Kll at Mll (Priori$,1990). RobinD. G. Kelley,op. cit.,pp. 135-136. t'" PuffDaddy,"l Needa Girl(To Bella)", The SagaContinues(Bad Boy,2001). ttt prff Daddyne peutêtre qualifiéde rappeurgangsta à proprementparler, mais évolue dans la scène gangstaet produitdes rappeursgangsta. 310 L", exemplesmentionnés dans ce paragraphesont cités dans lllseed, op. cit'

249 paternellefait défautet que les adolescentstrouvent leurs modèles masculins dans les gangsou ( crevvsr quifontégalement office de famille3ls. Les vidéos offrent égalementaux rappeurs I'occasionde célébrer cette fraternité(< brotherhood>),lors de misesen scèned'agapes dans de somptueuses villas sur les hauteursde Los Angeles.On constatepar ailleursune évolution intéressantedans la mise en scène des vidéos gangsta.Alors que les premières vidéossexistes, notamment de 2 Live Crew, montraientdes rappeursexaltant leur libido, une nouvelletendance est apparue ces dernièresannées. Les rappeurs apparaissentdélibérément plus distants à l'égarddes jeunesfilles qui les entourent. Afficherune impassibilitéet ignorerla lascivitédes fillesest une manièrede montrer feurassurance, leur sang'froid (318 qu'ils renvoientnotamment dans leurs vidéos ne sembleen rien embanasserles rappeursni remettreen doute la validitéde leurs propos.ll faut y voir plutôt un phénomènede mode< métrosexuel>>.3'n Nouspouvons néanmoins observer dans le cultedu corpsde I'hommenoir une volontéde réhabiliterce corpsqui fut pendantsi longtempsun objetexploité.3æ Les hommesnoirs n'ont pu pendantlongtemps s'afficher en tantqu'être sexué ou objetdu désirde peurde se voir réprimer.Les nombreusescondamnations à mort injustifiées pourviols sur femmes blanches, puis les lynchages opérés sur les hommestraduisent bienque la craintesuprême des hommesblancs ait été de voirleurs femmes séduites par ces hommesnoirc. L'identitésexuelle noire américainea donc été largement

315 P"rado""lement,ils éprouventde I'amouret un respectincommensurable pour leurs pairs (homies") alorsque la violencede leurspropos est elle-mêmedirigée vers ces mêmes"frrères". 3t6 voir,fualement à ce suietp. 285. Big Daddylhing (Wamer,1989). "t t,g DaddyKane, "l Get the Job Done",lt's a 318 flfs""d, op. cit. 3tn L", hommesafro-américains sont en effetrattrapés par I'histoiredes identitéssexuelles. lls recouvrent leurmasculinité à I'heureoù I'ambiguïtéde l'orientationsexuelle n'est plus tabou et se banicadentd'autant plusdenière un machismecaricafural. 3'0 b"ff hooks,'Eatingthe Othe/, BtackLooks, Boston: South End Press,1992, pp.26i27,34-35, cité dansMatthew T. Grant,op. cit.,text 3, p. 1.

250 influencéepar son rapportau pouvoirdominant.3" La libérationsexuelle et une liberté civile retrouvéedans les années 1960 ont permis aux Afro-Américainsd'exposer librementenfin leur légitimité sexuelle au regarddes Blancs.3z Conscientsde la compositionethnique de leur public,les rappeursprennent aussiune nouvelle revanche sur I'histoirede leursancêtres. Dans un rap intitulé( KKK Bitch>>323, lce T revientsur les rapportsambigus homme noir-femmeblanche. Le rappeurcalifornien assouvit ici le fantasmele plus refouléet frustréde I'hommenoir, celuide la femmeblanche, le < MonstreD commela qualifiaitEldridge Cleaver32a, cet objetinterdit de la tentationqui rappellesans cesse I'impuissance de I'hommenoir. Dans un pays dont certainsÉtats interdisentà I'aubedu troisièmemillénaire les mariagesinterraciaux32s, il relate avec cynisme la relationqui unitfictivement un de ses protagonistesà la filled'un membre du Ku KluxKlan. Comme dans la plupartdes raps hardcore,les femmes blanchesy sont évoquéescomme des nymphomanesqui n'aspirentqu'à une chose: avoir des aventuressexuelles avec des Noirs (< white woman'sdream /Big dick straightup Niggau)t*. Si I'interditdes relationssexuelles entre Noirs et Blancsest aujourd'huilevé, lce T entretientici délibérémentle mythe de I'hommenoir, être hypersexué,menace pour I'hommeblanc327 : So everyyear when Body Count comes around We throwan orgyin everylittle Southern town' KKK's,Skinheads, and Nazi Girlsbreak their necks To get to the party. It ain'tlike their men can't nut,

32t "S"lf-r"pr"sentationsof blackmasculinty in the UnitedStates are historicalystructured byend against dominant(dominating) discourses of masculinityand race, specifically whiteness.' (Germann 9ray, "Black MascufiniÇand VisualCulture", in ThemaGolden (ed.), BlackMale. Representationsof Masculinityin ContemporaryAmerican A4 NewYork:Whitney Museum of AmericanArt, 1994,p. 175.) 322 Entretienavec Namu Tucker. t23 BodyCount, "KKK Bitch", Body Count (Vtlamer, 1992). 324'rh" og"r. EfdridgeCfeaver, op. cit.,P.6. 325 Jrrqu'à récemment,quelques États du Sud interdisaienttout mariagemixte bien que.cetteloi soit inconstitutionnelledepuis 1967. L'Alabamaest le demier État à avoir lfualisé en novembre2000 les mariagesintenaciaux. ('Alabama repeals century-old ban on intenacialmaniages", I novembre2000, www.cnn.com.) 3'6 fr" T, 'straightUp Nigga",oG: OrtginatGangsfer(Sire, 1991). 3" D"n, un autre moroeauintitulé "The Real Problem",tce T souligneque la véritablemenace pour I'hommeblanc est la relationamoureuse entre une femme blanche et un hommenOir : The problemisnt the lyricson the records. lfs the fearof the whitekids liking a blackartist. Butthe rcal problemis the fear of the whitegirl Fallingin lovewith the blackman. BodyCount, "The Real Problem", Body Count (Wamer, 1992).

25r Theirdick's too little Andthey just can't fuck. Sowe get buck wild with the white freaks Weshow them how to reallywork the white sheets. I knowher daddy'll really be after me, Whenhis grandson's named little lce T [...] I | | lovemy KKK bitch, mutha fuck her dear old dad.328

Les gangsfazbrisent ainsi tous les interditsen prenantleur revanchesur ce Sud conservateurencore empreintd'une culturexénophobe. lce T poursuitici la provocationen imaginantdans ce mêmemorceau ses rapportssexuels avec les deux niècesde TippyGore âgées de 12 ans,prenant ainsi à partiela fondatricedu Parenfs' MusicResource Centef2e . Une autre insinuationnon moinslourde de sens historiqueest celle de la menacede viol. Les gangsfazaiment, en effet,faire planer dans leurs raps la peurdu viol, notammentcollectif, sur les femmes noires,mais égalementsur les femmes blanches,brisant une fois de plustous les tabous.33o S'attaquer aux femmes blanches, c'estdonc s'accorder la réparationsuprême. Dans < HomeInvasion ,rt", lce T meten scèneI'anivée de jeunesNoirs dans un quartierblanc et toutela peurque suscitecette intrusion,tandis que les NWA suggèrentde forcerles femmesqui ne se soumettent pas sexuellementdans un rap au titre évocateur:<< Punch the bitchin the eye/Then the howillfallto the ground r>33'. Le viol, même lorsqu'ilest parfoisformulé de manièreexplicite et brutale, apparaîtdans le discoursgangsta comme << un acte insunectionnel>, voire politique commele qualifiaitEldridge Cleaver333. Le fait de piétinerla loi de I'hommeblanc et son systèmede valeurs,de souillerses femmes, semble source d'une grande exaltationpour les rappeurs.Qui peut mieux retranscrirecette sorte d'extase qu'EldridgeCleaver dans son recueilSoul On lce écriten prison.Incaréré pourviols, commis entre autres sur des femmes blanches,Cleaver y saisissait I'impact dévastateurdu racismesur I'hommenoir. L'auteur écrivait qu'il ressentait une profonde amertumeen songeantaux conditionshistoriques qui avaientpermis à I'hommeblanc

328 BodyCount, 'KKK Bitch', BodyCount (Wamer, 1992)' p. "t voir'note 408, 99. 330 Ni"kDe Genova, op.cit.,p. 109. 33t f." T, "HomeInvasion', Home lnvasion(Priot$,1gggl. 33' NWA,"She Swallowedl{, Efrt4nggin(Ruthless, 1991). Exempfecité dans Edwad G. Armstrong,op' cit',publié surwww'albany.edu. 33t Etdridg"Cleaver, Soutonlce, New York DellPublishing, 1968.

252 d'abuserde la femme noireet de ce fait, il concevaitses méfaitscomme une vengence sur toute la race blanche: Rape was an insurrectionalact. lt delightedme that I was defying and tramplingupon the whiteman's law, upon his systemof values,and that I was defilinghis women... I felt that I wasgetting ,"u"ng"."4

Dans son recueil,Eldridge Cleaver se penche de manière instinctivesur le rapportde I'hommenoir à la femme blanche.La femme blancheapparaît aux yeux des hommes noirs comme le symboled'une possibleliberté. Avoir une relationavec une femme blancherelève d'une émancipationde I'esprit.Dans le rap < Momm's Gotta Die Tonight >>,lce T relate la relation qui le lie à une fille blanche. Le jour où la mère du protagonisteI'apprend, elle I'implorede la quitter. Le héros choisit finalementde tuer sa propre mère afin de s'affranchir: Shecared for meand put me on thisearth Oh the painof just a simplebirth. Rightnow lfind that she has left me dumb and blind Poisoned,twisted, and destroyedmy mind. Shetaught me things that simply were not true Shetaught me hatefor race That'swhy I hateyou! There'sonly one way I can makeit right, Momma'sgotta die tonight.33s

Les gangsfazmanifestent le besoinqu'ont les hommesde s'émanciperaussi bien de I'autoritécastratrice de la femmeque du paternalismede I'hommeblanc336. L'homophobiedoublée d'une hypermasculinitédevient ainsi la seule réponsede l'hommenoir face à son déclin.En brisantI'image du < garçon> (n boy,), les rappeursréhabilitent cette sexualitési souventopprimée et élaborentune nouvelle définitionde la masculiniténoire. La miseen scènestéréotypée de ce <337 qui défie le pouvoirdominant exprime également le souhaitqu'ont les hommesde s'affirmersocialement.

3g ebriog" Cleaver,op. cit., p.14. 335 Ererpl" citédans Judith Grant, op. cit.,pp.19-20. BodyCount, "Momma's Gotta Die Tonight', Body Count (trlamer, 1992). t3t b"ll hooks,"Sexism and Misogyny:Who Takes The Rap?",p. 26. 337 'Th" whiteman tumed himself into the OmnipotentMministrator and estrablishedhimself in the Front Office.And he tumed the blackman into the SupemaaæulineMenialand kicked him out into the fields.' (EldridgeCleaver, op. cit.,p. 162)

253 1.3.3.Le rapdes n ghettobitches >

Le rap féminina longtempsété victimed'un machismeappuyé et a encoredu mal aujourd'huià s'imposersur unescène à dominantemasculine. Peu de rappeuses se sontdonc fait connaîtrepour leurs raps hardcore et encoreplus rarement pour leur style gangsfa. Nous distingueronsnéanmoins dans notre étude deux types de rappeusesflirtant avec I'universgangsfa. Les premières,peu nombreuses,Boss, Bytcheswith ProblerlS338,les TCD339ou encoreles HoezWith Attitude, sont apparues au débutdes années1990 comme le pendantféminin quelque peu caricaturaldes rappeurshardcore. Comme leurs homologues masculins, ces ( gangstabitches rrm ou < gheftobitches n mettenten scèneavec virulence leur rapport à la société,retournant la violenceverbale et physiquedont elles font I'objeten passantsymboliquement les hommesà tabacou en s'affrontantverbalement aux autresfemmes dans la tradition du < bitching,rtot,tout en formulantun anti-féminismeet unesexualité affranchie3o'. Au milieudes années1990 est apparueune nouvellescène de très jeunesrappeuses, commeLil' Kimou FoxyBrown, qui délaissentquant à ellesla violenceurbaine pour s'inspirerde I'imaginairegangsfa de la blaxploitation.Elles ont choisi de jouer essentiellementde leursatouts féminins et de leur sexualitépour diffuser une image figée de la fille du ghetto(< ghettobitch >). Nousverrons que cettedémarche post- féministeparticipe d'une volonté d'émancipation et d'affirmationsociale. Les rappeuseshardcore reprennent en généralles thèmesrécurrents du rapde la côteOuest:criminalité, drogue, vie des gangs,relations hommes-femmes.... et rendentcompte comme leurs confrèresde I'expériencede la violencevécue par la jeunessedes ghettos de façonbrutale et agressive: I wasborn to starttrouble so they labelled me a gravedigger t...1 l'lltake yo'ass out with just one shot So whenyou duckfrom the bulletsI won'tgive a fuck

ttt ou BWP. tt'A"ronyte de 'Ihe ConsciousDaughters"' ilo Tri.i" Rose,Black Noise, p. 174. tot "to bifch"signifie insulter, critiquer. (Harold Wentworth and StuartBelg Flexner(eds'), Dictionaryof Ameican Slang,New York: Crowell, 1975, pp. 3940.) 3o'Tri"i" Rose,Black Noise, p. 174.

254 Youshoulda died before they hitcha, I'm comin to getcha.3a3

< l'll treatya'll niggas like ya'll treat us > lanceLil' Kimdans un morceauaux relentsde revanche: < Suckmy Dicku'oo. Dans la plus puretradition afro-américaine de l'appef-répons,les r

Les principalesattaques lancées à I'encontredes hommesreposent néanmoins sur leur incapacitéà pourvoiraux besoins physiqueset surtoutmatériels des femmes. Ce reproche nous renvoie une fois de plus à I'importancedu statut économique et social de llhommedans le ghetto. Les hommes qui ne sont pas à la hauteur sont qualifiés de < punksn (< vaurien>), n busfas n (< salauds>), n scruôs n (<) ou < fruityr (< efféminé>) et leur masculinitéest remise en question:s6 CuzI wearthe pants,and you wear the dress Punk,you're lovin' stunk, you're not a hunk 1...1 Womanand lam indePendent I makemy own money so don'ttell me howto spendit Cuzyou need me, and I don'tneed You So listenclose, boy, to my independentfunk Yeah,can Youfeel it? Yes,it's my, it'smy independentfunk t...1 No, no, no morenookie for you cuz I gaveya the boot Go aheadand go in yourYugo, gonna miss the BenzCoupe, hometroop

93 Bos feat.Erick Sermon, "Comin'to Getcha', Bom Gangstaz(DefJam, 1992). g tit' Kim,'Suck My Dick?,Nofonbus K.l.M. (Atlantic, 2000). ilu Borr, "Recipeof a Hoe",Bom Gangstaz(DJ West, 1993)' 306 Tri"i" Rose,Black NoLse, p. 151.

25s Who'ssupportin' ya nov/'? Gota job or do ya rob?| heardyou're sellin' drugs - wow Bigman, huh? But just understand Uncle Sam know the scam You'llendup in the ".n.*'

< Marryyou? Don'tmake me laugh!/Don'tyou know,all lwant is halfl >r,c'est ce que les BytchesWith Problemsrétorquent à leur interlocuteurdans un titre évocateur < We Want Moneyrr*. Les rappeusesinsistent dans I'ensemblede leur discourssur la cupidité et le matérialisme à outrance des femmes du ghetto qui aspirent parallèlement au < respect>. Elles expriment ainsi les insatisfactions socio- économiquesde ces femmes et révèlentle dysfonctionnementdes relationshommes- femmes dans le ghetto : I don'tcare if he'syoung or old Justmake him rich I justwant someone that can spenddough lwantdiamonds Yes I do Anda housethat's made of gold There'sonly one thing better than money Comeinto my bedroomhoney.se

Les rappeusesaiment également donner des conseilspratiques aux femmes pour abuser au mieux des hommes (< Leave a nigga's pocket dry like the cleanersu35o;, mais se posentparadoxalement en moralisatricesen mettanten garde les jeunes femmes : Becareful what you ask for'cause you might get it... Niggasmight take advantage if youlet 'em Playyour card right, and if youfuck 'em in the samenight Makesure that he don'tsnitch.3sl

Parallèlement, ces mêmes femmes font preuve d'une solidarité et d'une affectionvis-à-vis des hommesdu ghetto : Whenyou loseya homeboy You loseyour bestcamarada Youlose a partof whoyou are inside.3s2

tot 'lndepend s"ft'n'P"pa, enf, Blacks'Magic(Polygram, 1992). *t BWP,'weWantMoney', The Bytches(Def Jam, 1991). ilg tit' Kim,"Diamonds", IVotonbus K.r.M. (Atlantic,2000). 350 Trin", feat.J-Shin, '69 Ways',Da BaddestBifcâ(Atlantic, 2O0O). tut Fo,o Brown,"lt's hardbeing wife', Chyna Ddt(fulJam, 1999). 35' 8o"., "Run,Catch and Kill",My Vida Loca[Soundtnck](Polygram, 1994).

256 Tous les problèmesévoqués par les < ghetto bitchesn le sont à traversune insistanteimagerie sexuelle, voire pornographique. Cette tradition n'est pas nouvelle et rappelledans certainscas les paroles suggestivesde certaineschanteuses de blues3s3.Certains récits font apparaîtreI'instabilité et le caractèretransitoire des relationsamoureuses, mais prennent aussi la formed'une rébellion contre I'oppression sociale.Le discourssexuel signale en partieI'aspiration des femmes noires à s'affirmer socialement. Bienque I'onne puissele qualifierde hardcore,TLC est le premiergroupe de rap fémininà avoir traité de la sexualitéféminine. En 1992,les trois rappeuses défrayèrentla chroniqueavec le morceauintitulé danslequel ellesabordaient le sujetdu désiret de la satisfactionsexuelle. De manièreironique, ellesdétournèrent le traditionnelmythe de la sexualitémasculine pour le retourneret I'appliquerau discoursféminin. La femme cessait d'être un objetsexuel, c'est I'homme quile devenaità sontour: Yoff | needit in themorning or themiddle of thenight I ain't2 proud2 beg(no) lf thelovin' is strong then he got it goin'onand I ain't2 proud2 beg(no) 2 inchesor a yardrock hard or if it'ssaggin' I ain't2 proud2 beg(no) t...1 Screaming'loud and holdin' sheets Scaredthat you'll be calleda freak Gottalet it go whileYou can Ain't2 proud2 beg you see Causemy man belongs 2 me And I knowthat he understands...3il

En exposant cette libido, TLC allait briser un tabou, celui de la sexualité féminine et bouleversersymboliquement I'image de la jeune femme afro-américaine. Dans une société occidentaledont la représentationde la sexualité féminine est de tradition victorienne, I'expressionbrute du désir féminin est applaudie par certains parce que révolutionnaire,mais jugée déplacée et vulgaire par la majorité3ss.D'autre part, I'affirmationd'une sexualité épanouie libérée de tout tabou procède d'un rêve d'émanclpationde la femme noire.

3u3 Citon. MemphisMinnie, "Keep lt To Yourselfl(Decca, 1937). C1édans RobertSpringer, Fonctionssociales du blues,Marseille: Editions Parenthèses, 1999, p. 183. 3s TLc, "Ain't2 Proud2 Beg",oooooooh hh...On the TlcTip (La Face,1992)' 3uu Tri"i" Rose,'6 oder 60 Zentimeter.Ax knsur sexuellerArtikulation schwarzer Frauen', Spinger, Mâz-Mai1998; pp.4245.

257 L'influencede ce groupea été considérabledans le discoursdu rap féminin. Les rappeuseshardcore ont poursuiviet développéde manièreoutrancière ce thème de la sexualité.Bytches With Problemsrappent ainsi sans ambages : Damn!You said you was a goodlover Butyou's a twominute brother Nigga,I ain't even broke a sweat Notto mention,I ain't even came yet.356

La nouvellegénération de rappeusesgangsfa, à I'instarde Foxy Brownet de Lil' Kim,a fait de la sexualitéleur sujetde prédilectionen développantune imagerie hautementsexuelle et glamour, inspirée des héroïnes émancipatricesde la btaxploitation.A I'imagedu personnageculte de Foxy Brown357,elles incarnentune certaineidée de la femmenoire à traversI'affirmation d'une forte personnalité et d'une féminitéagressive. Contrairementaux premièresrappeuses qui se voulaient féministes et afrocentristes,les n gangsta bitchesn adoptentune démarcheproprement post- féministepoussée souvent jusqu'à la parodie.Ainsi, Lil'Kim s'autoproclame ((Queen Bitch> tandisque FoxyBrown déverse des rimesmisogynes, voire homophobes dans < Baby Motherrrtut. Leur discours à caractèrepornographique fait I'objetde critiques véhémenteset bon nombrede féministess'interrogent sur le bien-fondéd'un tel discours.On peutcependant y voirune forme de révoltecontre I'oppression masculine. Ellesrépondent en effet de manièrecynique aux rappeursen renvoyantune image caricaturalede la femmede petitevertu, lascive et cupide,popularisée à I'originepar ces mêmeshommes. Elle affichentainsi un contrôletotal de leur aura sexuellequi s'apparenteà une menacepour la gentmasculine : Uh...l'm the type of bitchleave a nigganose stiff Andget his hoes hit, make his toes shift Tellthemans and them, look, y'all ain't have shit Tily'all motherfuckers switch and smoke this shit AndI'm on a niggalike novicane, straight to thebrain Shootit upand get both his nose and toes at the same Nigga'sgave me nickname, Chyna, last name White Guaranteedto have your ass open first night.3ss

356 BWP,"Two Minute Brothef, The Bytches(NoFace, 1991). tut to,o Brownest le nomde I'héroinedu filméponyme' Fory Brown,Jack Hill,(1974). tut tory Brown,"Baby Mothe f , ChynaDoft (Def Jam, 1999). tut too Brown,"Chyna Whyte", ChynaDoll(Def Jam, 1999).

258 Les rappeusesrejettent par ailleursl'afrocentrisme primaire des premières écoles en s'exhibantselon les normesde beauté occidentale(cheveux lissés et blondis,lentilles bleues, vêtements couture, ...). Elles se distancentainsi du discours rétrogradeafrocentriste, en imposantun nouveaumodèle d'identification pour les femmesaffranchies de toutesles conventions,qu'elles soient sexuelles, raciales ou sociales.Dans un environnementcaractérisé par la dominationde I'idéalde beauté wasp,elles tentent de libérerpsychologiquement la personnalité < complexée> de la femmeafro-américaine. En effet,les femmesnoires ont été, dès leur arrivéesur le continent,nounies d'un sentimentd'autodépréciation. A travers les siècles,leur statut socialet économiquene leur a que rarementpermis d'exposer sans complexeleur féminitédans une sociétéblanche. L'emploi du terme < bitchn procèdelui ausside cetteémancipation. En s'auto-qualifiantde < chiennesn, lesfemmes réaffirment d'une partleur sexualité, et, d'autrepart, font preuved'audace. Ce discoursne les privepas néanmoinsde célébrerleur négrité.En effet,les rappeusess'affichent avec fiertécomme produit du ghetto,célèbrent leurs quartiers, leur culture.En étalantun matérialismeostentatoire, elles expriment parallèlement les insatisfactionsdes femmes du ghetto qui rêvent de participerà la société de consommationet à la sociététout court. En créantde toutespièces ce personnagede mauvaisefille du ghetto,les rappeuseschoisissent de répondrede la mêmefaçon que leursconfrères par le renvoi caricaturald'une image raciste qu'ont les Blancsde la femmenoire en général.En développantune imagehypersexuelle, voire vulgaire, elles tiennent un discourspost- féministeaspirant à une émancipationsexuelle et socialede la femme. Elles ambitionnentde faire respecterleur condition de femmeà traversun discourssouvent directif.En faisantmontre d'une autorité sexuelle contrôlée, les fillesmanifestent leur volonté de transformerleur statut de femme, mais aussi celui de MC en s'affranchissantnotamment du modèlemasculin hip hop et en développantun style propre: ficeCubel Yeah I admitYou can flow [Yo-Yo]Well that's true ficeCube] But you see l'm a prowith the bank too [Yo-Yo]Yeahlcan see you got it good ilceCubel Oh that I know [Yo-Yo]But you see you're not better than Yo-Yo Thebrand-new intelligent black lady ficeCube] You're kinda dope but you still can't fade me [Yo-Yo]So what uP then ficeCube] Girlwhat You tryin to do tYo-YolTo provea blackwoman like me can bring the funk through [tceCuOelThis isa man'sworld thank you very much

259 [Yo-Yo]But it wouldn'tbe a damnthing without a woman'stouch flceCubel Or a big butt...æo

A travers I'interprétationverbale et scénique d'un sexisme et d'une hypermasculinité,les gangsta rapperssoulèvent des problèmesinhérents à la communautéafro-américaine. Malgré I'emploi de procédésparfois contestables vis à visde problèmesde sociétéréels et graves,notamment le recoursabusif à un discours pornographiqueet à une mysogynieviolente, les rappeursont le méritede témoigner sans ambagesdu dysfonctionnementdes relationsentre hommeset femmeset du désirqu'ont les hommesnoirs d'une réhabilitation sociale. Les proposdes rappeurs, aussichoquants soient-ils pour un publicnon averti,ne doiventpas pourautant nous faireoublier que le gangstarap est avanttout uneforme artistique qui puiseà ce titre danstout I'héritagede la traditionpoétique afro-américaine pour formater un discours certesambivalent mais non dépourvu de consciencepolitique.

360 f"" Cubefeat. Yo-Yo,'lt's a Man'sWorld", AmeiKKKa's MostWanted(Priority, 1990).

260 Chapitre 2. Ambiguilé du discours gangsta

Commenous venonsde I'observer,le nihilismegangsta rap n'a rien d'un état d'âmeromantique. ll est plutôtsynonyme de dépression,de désespoirsocial et de démission. ll nourrit un sentiment d'autodépréciationet des impulsions autodestructricesqui se traduisentpar des actes de violenceet de défis lancésà I'ordredes convenances.tutAlors que le rapengagé appelle au combatet condamnela brutafitéque les Noirsdirigent contre eux-mêmes, les gangsta rappers tiennent quant à eux un discoursplus contrasté.Sans prêcher la violence- ce dont ils sont si souvent accusés-, mais en contantdans ses détailsles plus crus la vie criminelledes bas- fonds,ils tententde justifieret de disculperla jeunesseen lui attribuantle statutde victimed'un système, lui-même instauré par ces mêmesdétracteurs. Avant de nous interrogersur la consistancepolitique d'un tel discours,nous considéreronsle contexteculturel et la traditionpoétique auquel il doitson émergence. ll sera entreautres essentiel de circonvenirla formedu messagerap. Nous verrons qu'ilest impossiblede comprendreune réalitési I'onne veutpas entendrele langage. Nous rappelleronsdans un premiertemps que le rap est la continuitéde la tradition oraledes fables,des r et que I'on retrouve dansle rap tousles procédésstylistiques du vernaculaireafro-américain, la théâtralité, le sens de la parodieet le sarcasme.ll ne faudrapas oublierdans un secondtemps que la particularitédu rap résidedans la traditionafro-américaine du doublelangage et que cette célébrationoutrancière de la violenceet de la négritédes ghettosrelève d'uneesthétisation poétique de la violence.

2.1. La théâtralitégangsta

The mainmisinterpretation and misunderstandingof rap is in the dialogue--in the ghettotalk andmachismo, even in the basicbody language. This is what I callshit talkin'. From the nastytales of Stagoleein the 1800sto H. RapBrown in the '60s, mostof rap is nothingmore than straight-upblack bravado.Too many people take shit talkin' seriouslybecause they have no frame of 'l'll In the ghetto,a blackman will say, take my dick and wrap it reference. ' aroundthis roomthree times and fuck yo' mama. Now,this mancannot wrap his dick aroundthe roomthree times, and he probablydoesn't want to fuck

361 co*elwest, op.crf., pp. 5-13.

26r your mother,but this is how he's gonnatalk to anotherbrother. lt's a black thang.lt's machismo. lt doesn'tmean anything.

lceT, TheArt of ShitTalkin362

Une contrainteimposée par l'étudedu phénomènegangsfa réside également danssa formethéâtrale. La cultureafro-américaine est traditionnellementcaractérisée par une expressivitéthéâtrale : < BlackCulture is theatrical,verbal, visual, kinetic and laced with allegory,symbolism, metaphore and imagery...rr'ut. Nous devonsdonc minimiserI'impact de la violencedes messagesgangsta qui retranscriventd'une part la colèred'une communauté au borddu gouffreet qui sont d'autrepart une résurgence contemporainede la traditiondu < bad niggern, notammentsous la formepopulaire du ( pimpn. Dans son autobiographieThe lce Opinion,lce T précisecette penséeen insistantsur le fait que le gangstarap n'est que basé sur une réalité(< reality' basedn;364. Les rappeursapportent en effet leur témoignagesous la forme de reportagesou de nanationssemi-autobiographiques afin de mieux illustrerles faits sociauxtout en y mêlantdes éléments fictionnels.365 Nous nousattacherons dans ce chapitreà réhabiliterI'apport stylistique de la traditionorale afro-américaine.On retrouveen effet dans le rap tous les procédés stylistiquesdu vernaculaireafro-américain. Le sarcasmeet le sens de la parodie, répandusen Afrique et exacerbéspar I'esclavage,caractérisent de nombreuses formesde chantsnoirs du continentaméricain, et sontégalement très présentsdans le rap.

2.1.1.Tradition du < badnigger >

L'Histoirenous rappelleque la cultureafro-américaine est née < dans un contextede répressiongénéralisée > et que I'accèsà la cultureest pourI'esclave une

362 f"" T & HeidiSiegmund, op. cit.,extraitcité danswww.globaldarkness.com. 363 G"y, G"nevaand BaberWillie L. (eds.),Expressivety Black. The Cultunt Basisof Ethnicldentify, New York:Praeger, 1987, p.4-5. '* 1." T & HeidiSiegmund, op. cit.,p.97. ttu RobinD. G, Kelley,op. cit.,p.119.

262 < activitédélictueuse ,r.366 Pourtant, la musiquefait très vite figured'exception dans cettesphère d'interdits. Les propriétairesd'esclaves la tolèrentprogressivement pour sa fonctionlénifiante.36t D'une façon générale, la culturenoire prend donc peu à peu racine sur le sol américainsous la forme d'une culture < horsla-loi> (n outlaw culture>) comme la définit bell hooks368.Du personnagedu < tricksterD au <

366 chrirti"n Béthune,op. cit.,pp.86-87. 367 tb'd. 368 b"lf hooks, OutlawCufture: Resr'sting Representations, London: Routledge, 1994, cité dans Christian Béthune,op. cit, p. 89. 369 voi, note190, p.218. 3to chrirti"n Béthune,op.cif., p. 89. LawrenceW. Levineprécise à ce propos: 'From the late ninetèenthcentury Black lore was filled with tales,toasts, and songsof hard, merciless toughsand killersconftonting and generallyvanquishing their adversarieswithout hesitation and without remlorse[... ] Whateverneedbad men filled, Black folk refusesto romanticallyembellish or-sentimentalize them [...i The outlawwas in constantconflict with and continuallyasserted his freedomfrom organized societyt...l fney preyedupon the weak as well as the strong,women as well as women,They killednot meretyin èetdeienée but from sadistic need and sheer joy [...] Coming-fromthe d-epth-ofsociety, repreéentingthe mostoppresses and deprivedstratia, these bandib are manifestationsof the feelingthat, wtitrinttre Circumstancesin which they operate,to assertany power at all is a triumph[...] They are manifestationsof more than this, of course.They expressthe profoundanger festering and smoldering amongthe oppressed[...] The situationof Negroeswas too complexfor nostalgia[...] Societyhad to be unhinled, uricione,maàe-over. That certainlyis the clue to the total anarchyand lawlessnessof Black BandiÉ,and theirtotal hopelessness[...] Theywere pure force,pure vengeance; explosions of furyand futifity.' (LawrenceW. Levine, Black Cufturcand BlackConsciousness. Afro-American Fdk Thoughtfrom Slavâry'toFreedom, New York OxfordUniversi$ Press, 1977, pp. 407-8,417-18,420'21, cité dans Nick DeGenova, op.cit., P. 113.) 3tt Ror"n. écrib de la plumed'authentiques proxénètes repentis. Voir p.275'

263 faillitedu mouvementdes droitsciviques372. Les rappeursne font qu'exhumerune figureclé de la mythologieafro-américaine, le personnagesans foi ni loi du < mauvais nègre>. On le retrouvedans les < baaadmantales t, <, le maquereaudu ghetto,ou du cchustler >. Le < est littéralementun arnaqueur, un entourfoupeur."ull est commele n ticksterrr3" du < SignifyingMonkey n3ts ou Brer Rabbit,une figure roublardequi beme son ennemi et prend sa revanchegrâce essentiellementau pouvoirde son verbe.Ce < badmanr jouitégalement d'une image contestataire,voire révolutionnaire.Figure emblématiquede l'ère < post-droits civiques>, il est élevé au statut de héros dans les écrits romancésdes militants nationalistescomme Rap H. Brown3te,Eldridge Cleaver38o, Bobby Seale381 et Huey P' Newton382.Malcolm X, lui-mêmeancien proxénète,avait lui-même analysé le comportementdu crimineldu < ghettohustler I de la façonsuivante : Themost dangerous black man is theghetto hustler. He hasno religion,no conceptof morality,no civic responsibility,no fear - nothing...forever

3tt N"f"onGeorge, Hip HopAmerica,pp.122,167 3t3 R.A.T.Judy, "on theQuestion of NiggaAuthenticity', Boundary 2,21:3,1994, p' 218. 3to Lightnin'Rod, alias Jalal Uridin, est un ancienmembre des Last Poeb. (Douglas,1 973). "u Lightnin'Rod, Hust/e/s Convention Exemplecité dans Robin D. G. Kelley,op' cit.,p. 119' 3tt 'An enteçrisingand often dishonest person, especially one trying to sellsomething'- Lesfey erou,n and William Shorter (edà.), If,e New OxfordDictionary of English,New York: Oxford UniversityPress, 1 998. 3tt Littéol"rent, un aigrefin. 3t8 voi, pp. 34-35. York:Dial Press,1969 "t *"0 H. Brown,Die NiggerDiel, New 380 eldriog" Cleaver,Soul on lce, NewYork Dell Publishing,1968. 38t BobbySeale, A LonetyRage, New York: New York Times Book Company, 1968. BobbySeale, Seize the Time,New York: Vintage Books, 1970. tt' Hu"y P. Newton,Revolutionary Suiclde, New York: Harcourt Brace Jovanovich, 1973.

2æ frustrated,restless, and anxious for some'action'. Whatever he undertakes, he commitshimself to it fully,absolutely.3s3

Les BtackPanthers, qui s'inspirèrentdes écritsde MalcolmX et de Karl Marx, pensaientque le nihilismede ces petitsdélinquants pouvait également servir la cause révolutionnaireet ils recrutèrentabondamment leurs militants parmi eux. Le protagonistegangsfa, le , apparaîtcomme le produitdérivé de la peur de I'hommenoir en Amérique.ll incarnele Malet une menacepour la communauté blanche.ll est aussi le symboled'un certainaffranchissement. En effet,il ne dépend d'aucuneautorité et passeentre les filets de la justice.ll n'est pas sans rappelerle MelvinVan Peebles,héros de son proprefilm Sweef Sweetback'sBaaadass Songtto. Ce film relateles péripétiesd'un hommenoir poursuivipar la policeà traversle ghetto pourle meurtrede deuxpoliciers blancs, auteurs eux-mêmes du passageà tabacdu leaderd'un groupe militant. Le messagede ce film étaità l'époquerévolutionnaire en ce sens que le personnagedéfie l'<>385. A travers le personnagequi rejettetoute forme d'autoritéet qui échappeà la justicedes Blancs,les rappeurs prennentà leurmanière une revanche symbolique Sur le pouvoirhégémonique. La criminalitéet la délinquanceétant les seulesperspectives qui s'offrentà I'hommedu ghettopour franchir les obstacles qui le maintiennentdans une humanité de seconde zone, les protagonisteshorsla-loi deviennent ainsi une figure emblématiquepour la communautéafro-américaine, car ils conjurentla fatalitéraciale. En diffusantI'image syncrétique du < mackn ou du < hustlern, les gangstarappers souhaitentégalement briser I'image figée de I'hommenoir infantilisé et soumis,et offrir celled'hommes qui ont reprisle contrôlede leurvie. lls comblent ainsi symboliquement les espoirsd'une virilité qui semblaientperdus à l'hommenoir.386 Nous rappelleronsque peu de rappeurssont en fait de véritables< OG > (< OriginalGangster r) et la plupartd'entre eux sontce que I'onappelle narquoisement des n studiogangsfas 1387, c'est-àdire des artistesqui produisentde la musiqueen s'inspirantde I'imaginairegangsfa. En tant que jeunes gens de couleur,bon nombrede rappeursont d'oreset déjà eu des démêlésavec la justicece qui leur permetbien

tt'M"f*f r x, The Autobiographyof MalcolmX,New york BallantineBooks, 19ô4, p. 311 3& M"luinVan Peebles,Sweef Sr,rreefôack's Eaaadass Song, (1971). ttu C"th"rine & John Silk, Racrsmand AntiRacrbmin AmertcanPoputar Cufturc: Porûayats of Afican Americansin Fictionand Film,Manchester University Press, 1990, p.162' 386 voir,Christian Béthune, op.cit., p.127. ttt RobinD. G. Kettey,op. cit.,p.122

265 souventde prétendreavec fiertéet pour des questionsde crédibilitéà un statutde < gangster> ou de ccthug>>. Les artistesjouent de ce rapportfiction-réalité comme TrickDaddy dans son album intitulé Based on a TrueStof88. Quelques-unsne cachentpas leur passéde dealers,certains comme Eazy-È ont parailleurs créé leurs propres labels grâce à ce capitalillicite de départ38t.Certains ont déjàété condamnésou purgentà I'heureactuelle des peinesd'emprisonnement. D'autresse vantent avec fantaisied'avoir exercé ou d'exercerencore la noble professionde souteneur,notamment Suga Babe.3eo Les maisonsde disquen'hésitent paspar ailleursà publierle casierjudiciaire de leurspoulains à la sortiedes . Entretenantun flou artistiquequant à leurspassés, il est souventdifficile de vérifierla véracitéde leursdires. Toutefois, ayant pour la plupartgrandi dans des < ghettos>>3e1, ils en ont été les observateursprivilégiés et s'inspirentlargement de faits réels3e2. Leurs narrationsn'en sont pas moins des hyperboles,des mises en scènes filmographiques,renforcées par I'emploidu s/angdes ghettoet le panachaged'effets sonoreshypenéalistes. Le choix même du qualificatif gangstan'est donc pas fortuit3s3.Dans l'imaginaireoccidental, le mot gangsterfaitlever une ribamdelled'images et attestede cette aspirationà la théâtralisation.L'image figée du gangsterque nous renvoiele cinémafait partieintégrante du paysageculturel américain, c'est celle d'Al Capone,dit Scarface,I'ennemi public numéro un, mythifiépar le public.3sll tue, vole, traficote, mèneun trainde viefaramineux, mais demeure néanmoins un modèleaux yeux de sa communauté.Fidèle au ghettodont il est le produit,il se rebellenon seulementcontre

ttt Tri"t Daddy,Based on aTrueSfory(warlock,1997). 389 HauefockNelson and MichaelGonzales, Brtng the Noise:Guide to Rap Musicand Hip Hop Cutture' NewYork: Harmony Books, 1991, P. 80. 3no Ih" Source,n'138, March 2001, pp. 180-188. La ffuende veut que quelquesgangda rappes aient été découvertspar leurs maisonsde disquesen prisoÀet qu'ils aient memé composécertains de leurs moroeauxin situ. D'autresauraient monté leurs ]lropreslabels avec les capitauxde leursexactions. (Eazy-E, Wu-Tang, Outkast...) Suga Free et se définissentencore auiourd'hui comme proxénètes. 391porr entendonsici par 'ghetto",un quartiercommunautaire, pas forcémentsynonyme de quartier défavorisé. 39'"l oll it reality-basedrap, because I usedreal situations and broughtthem onto the rccods." lceT & HeidiSiegmund, op. cit.,p.97. 393 L", rappeursse plaisentà rappelerque le terme de "gangstarap" étatLà I'origineune invention ont néanmoinsrepris sans vergognece vocablemême si sensationnaiistedes médias.Les rappeurs 'thugstef certainsd'entre eux préÊrent empbyèi bs expressions,"reali$ np" et se qualifierde , "pimp"ou "playa"suivant I'orientation artistique choisie. 3s Voi, David E. Ruth, lnyenfng the Pubtic Enemy, The Gangsterin Ameriæn Culfure, 1918-94, UniversityGhicago Press, 1996.

266 la loi, maisaussi les autrescodes établis par la société.Les rappeursentretiennent ce mythe américainet revendiquecette américanité.KRS-One note à ce propos : < Americawas founded by criminals,it was builtby criminals,and it has had criminal 'a actsthroughout its history- whichsome people call countrygrowing up.' n3e5 En se réfugiantderrière une certainemarge de fiction,les gangsfa rappers décriventun mondeinspiré des films de gangsters,de Scadace3e6et de Bonnie and Clyde.Le termede gangsfaest donctrès chargéet la plupartdes MCsadoptent des pseudonymesde héros de films, de romans ou encore de bandes dessinées (Scarface,Capone, Don P, Corleone,lce T, TerminatorX...) qui tendentà théâtraliser leur parole. En reprenantcette même esthétiquede la violence d'inspiration cinématographique,ilsinvitent I'auditoire essentiellement blanc à plongerle tempsd'un morceauet sansrisque dans I'univers aventureux et impitoyabledu milieucriminel du ghetto, l'< underworld>. Gelui-ci devient alors une échappatoireà I'ennui des banlieuesblanches tout en offrantmatière à réflexion: Nowlet me welcome to thewild, wild west A statethat's untouchable like Elliot Nessttt'

Les rappeursopèrent souvent une miseà distancedu référent,signalée par un méta-discours.Un bon nombrede raps débutentpar exemplepar des introductions narrativessituant ainsi I'ambiance fictionnelle de leurhistoire : < OnceUpon a Timein The Projects...> < Rightabout now/ lwanna tell you a littlelove story'.. > < < Youare now about to witnessthe strength of streetknowledge. >

Ces préambulesparodiques, pastiches des contespour enfants,ouvrent les nouveauxcontes urbains que sontles raps.L'effet oxymorique est recherchéet permet de confronterde manièretroublante la fiction à la réalité.L'usage de poncifset d'imagesrécurrentes, le ton et les imagespeu réalistes,qui sont une manièrede détacherle texte du sujet,renforcent de plus la fictivitéde tels récits. Nouspouvons parler de véritablejeu théâtral.Le modede scansionvocale, la prosodie,le rythmemusical et la performancevisuelle oeuvrent également à installerle

395 KRs-on" cité dans DanGoldstein, op. cd.,p. 83. 396 A f'o"""rion du vingtièmeanniversaire du film ScaÊace,Def Jam et UniversalVideo se sont associés en 2003pour sortir une éditionlimitée du film en DVD comprenantun fiim documentairede vingtminutes dans lequelquelques vedettes du rap américainsrendent hommage à cefte souroed'inspiration qu'est l'æuvrede Briande Palmadans leur Guvre musicale comme dars leurvie. 39t Tup"", 'CalifomiaLove", All EyezOn Me(DeathRow, 1996).

267 proposdans un espacefictif. L'agressivité des propos,renforcée par I'insistancedes rythmes martelés,les samplesen boucle et I'insertionde bruitagesévocateurs participentà cetternise en scèneet attestenten permanencede la théâtralitégangsfa. lce T ne fait pas de doutessur ces intentions: ( My songsare like a movie,they shouldbe an adventureuttt. Lesrappeurs sont des artistes qui interprètentde manière presqueburlesque des personnagescaricaturaux dans des universstéréotypés, allant jusqu'àtravestir leur voix. La théâtralitégangsta prend aussi toute son ampleurlors de leursspectacles, élémentsessentiels de la culturehip hop.L'interprétation sur scèneprovoque un effet de distanciationqui souligneI'aspect fictif des propos.Gestuelle, chorégraphie et scénographiesont les prolongementsdu discours,mais cettedramaturgie minimise simultanémentla portéedes messages.Les concerts gangsta s'avèrent avant tout des lieuxde célébrationd'une culture. La vidéo, prolongementdu discours gangsta, est également un outil complémentairedans la diffusionde I'imagegangsta. Les clips vidéos ont été le moyen de populariserà grandeéchelle ce genremusical initialement marginal. Les rappeurs investissentplus que de raisondans la productionde clipsvidéo, faisant appel à des réalisateursde renom.lls aiments'y mettreen scènede façon réalistedans la plus puretradition des filmsde gangsters,usant de clichésmontrant des mauvaisgarçons errant dans des quartiersmalfamés en quête de nouveauxcoups. Les < pimp rappersn offrentdes vidéosplus triviales dans des célébrationscarnavalesques de la culture( pimprrtnt.lls apparaissenten tant qu'hôtescélébrant leur virilitétout en réifiantle corpsde la femme.ll faut néanmoinsminimiser cet aspectindécent du rap' L'érotisationde la soumissionféminine sont somme toute très conventionnelles, puisqu'ellesfont partieintégrante du paysageaudiovisuel occidental. L'utilisation de ces poncifssouligne d'autant mieux la fictiondu discours' Commenous venonsde le voir, le gangstarap est une forme artistiquetrès élaboréeet chorégraphiéeverbalement et visuellement,par laquelleles rappeurs manipulentdélibérément le rapportfiction-réalité. En glorifiantcet art de vivregangsta et une certainephilosophie de la culture< hors-la-loi>, les rappeursont fini par se prendreeux-mêmes au piègede I'auto-fiction.La surmédiatisationet la théâtralitédu gangstarap seraà I'originede véritablesconflits entre labels de la côteEst et Ouestau

398 lnt"rie* publiéedans Dan Goldstein, Rapperc Rappin: The Storyof The FreshestSoundAround from Rap's'Maddest'and'Baddest,New York Sanctuary,1996' p. 58. 399 Voi, chapitresuivant pp.27o-274.

26E milieu des années 1990. Dans la plus pure traditionafro-américaine d'insultes (n dissrn'rr*01,les rappeursvont par rapset interviewsinterposés se mettreau défi. Cette surenchèrede violenceverbale, qui sera un temps leur fond de commerce, aboutiraen 1996et 1997aux assassinatsencore non élucidésde deux artistestrès prometteurs: Notorious BIG et Tupac. Les gangsta rappersn'auront jamais vendu autant de disquesque lors de I'apogéedu conflitCôte Est-Côte Ouest. Producteurs, maisons de disqueset rappeurs ont comprisI'intérêt qu'il y avaità développercette image de violencepour un public friandd'émotions fortes et ont déclinésur tous les tonscette esthétique gangsfa même si paradoxalement,cette surenchèrede violencecorrespondra à une baissede la criminalitéen généralchez les jeunes Noirsao1.Pour garantirla sincéritédes rimes gangsta,certains directeurs artistiques, essentiellement ceux de la scèneunderground, vontjusqu'à recruter dans les prisonsafin d'offrirau publicd'authentiques produits du ghetto.La légendeveut que certainsrappeurs aient été pris sous contratalors qu'ils étaientemprisonnés ; d'autres ont mêmeenregistré leurs albums en prisonoo'.Le jeune protégéde Eminem,50 Cent,arbore fièrement les neufimpacts par ballequi bardent son corps et évoque sans vergogneson passé de dealer de crack, comme bien d'autres.Le gangstercontinue donc d'entretenir I'imaginaire du publicet son succès attestede I'attraitpour les personnagesen margede la société. L'industriedu cinémasaura également tirer profitde cette mannegangsfa et inaugureraf'ère de la < gangstaploitationn dès la fin des années1980. Color{3, New JackCityaoo, Boyz 'n the Hoot}u ou encore Menacett Societyaæsont les exemplesles plus populairesde cettesérie de films,signés pour la plupartpar des cinéastesafro- américains.Ces ceuvrescinématographiques classées ,, R r&7 tententde saisir la

ooo "Todis" est synonymede ro dlsrespect'' AlonzoWestbrook, op. ctt, P.36. oot voir'p. 190. 402 er"lqres exemplesparmi d'autres : X-Raidedqui est condamnép_our meurtre à une peinede prison de 31 ans a enregisiréson premieralbum, Xorcist, par téléphone, puis lhe Unforgivensur formatDAT. Suge Knighta qùantà lui purgécinq annéesde prisontout en continuantà dirigerson label DeathRow. (www.daveyd.com.) X-Raided,Xorcisf (Black Market Records, 1995). X-Raided,The lJnforgiven (Black Market Recods, 1999). 403 D"nnisHopper, Colots, (1988). o@ M"rio Van Peebles, NewJackCrfy, (1991). oou JohnSingleton, Boyz'n the Hæd,(1991)' oou Aff"n & AlbertHugues, Menace lt Society,(1993). 407 "Restricted; interditau moinsde 17 ans.

269 réal1éde la vie des gangsdans le ghettodans des narrationsponctuées de mélodies gangsta.Les rappeurseux-mêmes sont des comédiensqui se voientaujourd'hui offrir des rôlesau cinémaet à la télévision,parfois à contre-emploi.Ainsi lce T est-ildevenu le hérosd'une série policière Players, dans laquelle il tientle rôled'un reprisde justice devenuagent du FBl. D'autresà I'instarde Tupacont débutéleur carrièreartistique dansle théâtreet la danseavant de se lancerdans la musique,puis le cinéma'408

2.1.2.La < pimpculture >

Le maquereauest de loin le héros le plus populairedu discoursgangsta, puisqu'ifa mêmedonné naissance à une branchede la scènehardcore communément baptiséec< mack rap D ou ( pimp rap D. Le personnagedu ( pimpI (ou <), figuretraditionnelle de la cultureafro-américaine, est un descendantdirect du < bad niggern popularisénotamment dans les foasfs.Sa popularitén'a cessé de croître depuisles années1960 de sorteque sa philosophieet sonart de vivresont devenus une véritableculture. Nous verrons que le < pimpn est plusqu'un simpleproxénète dansf imaginairegangsta.ll symbolise avant tout le héroscontestataire incarnant des espoirsde liberté. La figurerécunente du c pimp> a êté populariséedans les années1970 à travers notammentles films de la blaxploitationqui ont suivi la prolifération d'autobiographiesde proxénètesrepentis, elle apparaîtégalement dans la musique populaireafro-américaine, notamment dans la musiquefunk. Désillusionnés, aliénés par leurenvironnement, les personnagesdes gangstaraps ne sont pas sansrappeler les hérosdéchaînés et souventhorrifiants de DonaldGoines ou encorelceberg Slim, dépeintsdans des æuvres aux échos largementautobiographiques et aux titres évocateurstels que Sfreef Players,Whoreson ou encore Pimp. Certains gangsta rappers,comme lce T et lce Cube,se réclamentde ces auteurs.lls se sontlargement inspirésnotamment de l'æuvrede RobertBeck, alias lcebergSlim, chantre du < pimp nanativen, qui fit connaftreà la fin des années1960 la vie dissoluedes maquereaux du ghetto.æe

oot C"rt"in. rappeurs(Queen Latifah, Will Smith)ont auiourd'huipratiquement délaissé leurs canières musicalespour se consacnêrà la comédie. 009 t."b"rg Sfim,Pimp; The Storyof Mylife, LosAngeles: Holloway House, 1969'

270 Les souteneursont toujoursfait partiedu paysagecitadin américain depuis I'urbanisationde la communautéafro-américaine, mais la < culturepimp ), tellequ'elle est esthétiséedans le rap, remonteà la fin des années1960410. Cette période post- droitsciviques avait vu la montéed'un nationalisme militant noir, mené notamment par le mouvementdu Btack Power et sa célébrationde la vie de ghetto. Le < black machorétait devenu I'emblème de ce mouvementmilitant qui, en imposantI'image de misogynesviolents, souhaitait briser I'image stéréotypée du Noir.Dans un contextede libérationsexuelle et de chute du modèle patriarcal,la valorisationsoudaine du ((pimp r apparaîtégalement comme la réponsede I'hommeà la dominationféminine, annoncéeplus tôt dans le rapportMoynihanall. La < culturepimp ) est donc indissociablede l'histoiresocio-politique de la communautéafro-américaine. Selon AdissaBanjonko, il sembleraiten outreque le Kpimp game > ou Kptimpotogy >>412 n'ait jamaisété aussivivace qu'au lendemaindes assassinatsdes deuxgrands leaders MalcolmX et MartinLuther King.a13 Dans le film documentaireintitulé < AmericanPimp >>ala, les frères Hugues, citantun proxénète,définissent ainsi le < pimpin'n: < [Pimpinis] the one businessthe whiteman can't control >. Le n pimpD est en effetun hors-la-loiqui bafouela loi des Blancset renversesymboliquement la relationtraditionnelle de pouvoirentre dominant et dominé.C'est lui qui à son tour exploitele Blancen lui soutirantson argent.A traverslui, ce sont tous les hommesnoirs qui prennentainsi une revanchepas moins dénuéede symbolisme.De plus,son activité ne présentantpas d'infractions flagrantes, ce personnageéchappe bien souventà la justiceet s'affranchitsymboliquement de la sociétéblanche.al5 Commele note Gerda Lerner,< les hommesnoirs, privésdu privilègedes hommesblancs, sont également privés du privilègede dominerles femmesnoires du point de vue économiqueet social,privilège dont les hommesblancs jouissent par

oto Adi"r" Banjoko,op. cit.,www.daveyd.com. 411 DaniefP. Moynihan, The NegroFamily: The Case for NationalAction fTlre Moynihan Report], WashingtonD.C.: Govemment Pdnting Office, 1965. ot2 L'"rtdu 'maquereautiage". Le terme de "pimpolqy" a élé popularisépar Too $hort dans son rap du même nom. ll y donne la définitionsuivante: 'Pimpology: A Pimp'sProfession". 'Pimpology", Too $hort, ShortDog's ln The House(Jive, 1990). 413 Adi.r" Banjoko,op. cit.,www.daveyd.com. oto Alb"rt& AllenHugues, AmericanPimp, (1999). 4t5 chri"ti"nBéthune, op. crf., p.63.

271 rapport aux femmes blanches>416. Les < pimps> prennentainsi une seconde revanchesur la femme en général.Le proxénétismeest la seule fonctionqui leur permette de posséder des femmes blanches aussi bien physiquementque matériellementet d'exercerun ascendantsur lesfemmes noires. Exploiter ces femmes s'avèredonc être un moyenconcret d'accéder à tout ce qu'onrefuse à I'homme,la libertééconomique et sociale. En endossantce rôle de maquereau,les n pimp rappersr avilissentles femmes(< Treat'em like a prostitute>;0" commel'homme noir l'estsouvent lui lui- mêmeet les réduisentsystématiquement à des objetssexuels vendus sur le marché de la prostitutionals.Les n pimp rapsnlnversent symboliquement cet asservissement et reflètentle désir des hommesde marquerleur ascendantsur les femmes.lls affichentaussi symboliquement leur virilité en se détachantde toutaffectif : Youknow | - thugem, fuck em, love em, leave em CauseI don't fuckin need em... Megive my heart to a woman? Notfor nothin, never haPPen l'llbe forever mackin Heartcold as assassins, I got no passionals

Les récitsglamour de la vie de proxénèteont suscitébien des controverses.ll faut cependantdépasser ici la caricaturegrotesque que les rappeursdressent délibérément.Même si I'auditeurle plus averti peut parfoisrester perplexeface à certainsexcès, les morceauxaux titres aussi évocateursque < Big Pimpin'>420ou < DirtyMack >421 dans lesquelsles rappeursvantent sous la formede fablesla dure vie de proxénète,ou encore< | Love Ladies,r0", ,, Somebody'sGotta Do lt [Pimpin' Ain't Easyl,r0", à traverslesquels ils offrentdes conseilsprofessionnels aux jeunes

otu G"rd" Lemer,De l'esclavageà ta ségégation,les femmesnoires dans t'Amértque des B/ancs,Paris : Denoël-Gonthier,1972,p. 158, cité dans Christian Béthune, op. cit',p' 120' o" Sfi"t Rick,'"[reat Her like a Prostitute',Tha GreatAdventures of StickRick (Def Jam, 1995). o" B"th Colemanétudie dans son essai les originesde cette Iradition" afro-américainequ'elle le "pimpin'et évoquenotamment le lourdtribut laissé par l'esclavage.ll décèlenotamment dans I'interdiction qui étaitfaite aux esclavesde se marierune causede l'étiolementdes relationsentre hommes et femmes noirs. Voir Beth Coleman,'Pimp Notes on Autonomy",rn Greg Tate (ed.), EverythirryBut the Burden:What WhitePeopte Are Taking from BlackCulture, New York: Bantram Dell, 2003, pp. 68€0. 419 J^y-Z,"BigPimpin"', The Lifeand Times of ShaunCarter tl (DeathJam, 1999). oto tnid. o" lnCube, "Dirg Mack",The Predator(Priority,1992). 422 1""T,'l LoveLadies', RhymePays (Sire, 1987). o'3 'somebody's 1".T, GottiaDo lt [Pimpin'Ain't Easy]",Rhyme Pays (Sire, 1987)'

272 K macks)), sontavant tout des n boasfs,ro'0. Ces vantardises démesurées ne fontque narer de manièrevirulente et souventcorrosive les mythesurbains et perpétrerainsi la traditionde la n hustlerpoet,y ,n". Le retourglorieux de cette ctpimpculturen dans les années 1990 apparaît aussicomme un hommagenostalgique que les rappeursrendent à cetteculture illicite du ghetto.Les misesen scène,au coursdesquelles ils adoptentles règles,rites et codes linguistiqueset vestimentairesde I'art du < pimp game)) s'apparententà de véritablescélébrations de cet art de vivre. Les artistesont par ailleurschoisi des pseudonymesévocateurs tels que TrickDaddy, Suga Babe, Mack Daddy qui ne sont pas sans rappelerles personnagesde certainsfoasfs. Ces dandysarborent bien souvent la panopliecarnavalesque et désuète du < pimpn de la blaxploitation: manteauxde vison,couvre-chef, chaînes et dentiersen or, baguesserties de diamants imposants,cheveux lissés, canne de patriarche,... L'art du < pimpin'n est égalementun art de la < tchatche>. Les mots constituentle principalinstrument de la réussitedu maquereau.< Recognizethe pimp type flow) rappelce T dans son hymne< PimpAnthem ,ro*. Les < pimpsn sont de talentueuxmanipulateurs, des séducteursqui utilisent leur éloquence afin de s'approprierla grâcedes femmesou de mystifierla société.Ce sont par naturedes poètes,spécialistes du < sfrï talking) pourreprendre I'expression de lce'lt2t. Pourles rappeurs,reprendre la métaphoredu ( pimp n, c'est donc affirmerson talent de < tchatcheurD, sa forcerhétorique. Dans un articleintitulé ( Mythof the GreatBlack Pimp>, AdissaBanjoko définit ainsi ce mythe: Thetruth of thematter is thatpimps, in allreality are very creative thinkers. They are fluid speakersand they havethe gift to see into people's minds.a28

Nousrappellerons icique les procédésrhétoriques du rap puisentleurs origines dans l'art d'insinuer,le < signifying)roæ. Toute I'imageriedu gangstérismeet du proxénétismeest égalementutilisée métaphoriquement pour signifierla violenceet I'expfoitationde la vie courante.Le verbe< to pimpI signifiepar extension<< abuser >

o'o voirptusbas, p.280. o'u RobinD. G. Kelley, op.cit., p.141. o" lnT,'Pimp Anthem",Vt - RetumOf TheReal(Pdority,1996). o2' lnT & HeidiSiegmund, op. cit.,extraitcité dans www'globaldarkness.com. "8 Adirr" Banjoko,op. cit.,www.daveyd.com. o'9 voi, pp.51-52.

273 de quelqu'un.o3oLes MCsemploient par exemplela métaphoredu proxénétismepour témoignerde la volontéqu'ont les hommesde dominerla femmeen abusantd'elle physiquementet moralement,mais le termede < mackr peutégalement désigner une personnequi abuseverbalement de sa victime: Who'sthe mack? is it somebrother in a bighat Thinkinghe can get any bitchwith a good rap? t...1 It is thatfool that wanna pump the gas Giveyou a sadstory and you give him cash? t...1 ls itthat nigga in that club asking Haveyou ever been in a hottub?431

Le < pimp gamen s'avère être une métaphorequi s'appliqueà tous les domainesde la vie, qu'ilssoient économique, politique ou social.Dans le langage courant,est considérécomme c pimpn, touthomme se laissantpar exemple entretenir par une femme.lce Cube compareégalement le gouvernementrépublicain à un maquereau,tandis qu'il pointe du doigtI'industrie du disquequi < maque> lesartistes noirs: A Niggatold the record company is the pimp Theartist is the hoe, the stage is the corner And the audienceis the trip, god damn'432

Le < pimpr jouit encoreaujourd'hui d'une aura mythique et I'esthétiquede cette cultureséduit de plusen plusla jeunesse noire et blanche.Dans le langagecourant, le terme de < pimpn est devenuaujourd'hui un terme de dérision.Surfant sur cette vague,Hollywood produira dans les années1990 des æuvrescinématographiques d'inspiration btaxptoitafibn sur des bandessons sou/ et gangsta,notamment Sha/33 de John Singletonou encoreJackie BrcwnM de QuentinTarantino, alors que les frères Huguesont consacréun reportageintitulé AmericanPimpa3s en 1999 aux grandes légendesdu proxénétismecomme Fillmore Slim Bishopou encoreDon MagicJuan. L'éditionaméricaine profite égalernent de cette mode pour republierde nombreux

430 Afonrowestbrcok, op. cit.,p.106. 431 1." Cube,Who's the Mack?",AmeiKKKa's Most Wanted (Priority, 1990). 432 lnçube, "RecordCompany Pimpin' ", War& Peaæ(vol. 2): The PeaceDisc (Priority, 2000)' ot'John singleton,sfafi, (2ooo) 4il QuentinTarantino, Jackie Brown, (1997). 435 Aff"n& AlbertHugues, AmericanPimp, (1999).

274 'u ouvragesautobiographiques de proxénètes(Ihe Pimp'srap: A True Strory ou encoreRosebud : The AmericanPimpasT) tandis queWhoreson : The Storyof a Ghefto pimpaæde DonaldGoines et Pimp:The Storyof my Life43sd'lceberg Slim ont atteintle statutde livrescultes. D'un point de vue sociologique,le succèsdes ( pimp rapsD révèleavant tout le désir des jeunesgénérations de s'identifierà une imagede masculinitédominante et de retrouverdans une certainemesure leur place dans la société.

2.1.3.Humour << noir >

Rapis reallyfunny, man. But if youdon't see that it's funny, it willscare the shit out of you lcE T440

C'estHenry Louis Gates qui, lorsdu procèshistorique du groupe2 LiveCrew en 1990,souligna à la justiceaméricaine I'aspect traditionnel de I'humourafro-américain, un élémentsi souventnégligé par les détracteursde la culturehip hop.L'album de 2 Live Crew As Nasfy As They WannaBe avait à l'époqueété jugé obscèneet les membresdu groupeavaient été condamnéspar la justice4t.Henry Louis Gates Jr, appelé à la bane en tant que témoin expert, réaffirmalors du procèsque Luke Campbell,le leaderdu groupe,ne faisait en aucuncas I'apologie du sexismeet queles morceauxaux titres aussi évocateurs que ( Me So HornyD, ne pouvaientêtre qualifiés d'obscènes,ni être accusésde diffuserune violence sexiste. L'universitaire américain soulignaI'aspect ludique et traditionnelde cette célébrationdu désir animal, de I'humourtypiquement < noir> et insistasur le fait que Luke Campbellvoulait < signifier> quelquechose : 2 LiveCrew is engagedin heavy-handedparody, turning the stereotypesof blackand whiteAmerican culture on theirheads. These young artists are

o3t Th" MasterPimp, The Pimp's rcp: A TrueSfory, Old SchoolPublishing, 1999. ott JohnS. Dickson,Roseôud: The Ameriæn Pimp,RealFly Publishing,2001' 438 DonaldGoines, Whoreson: The Storyof a GhettoPimp,LosAngeles: Holloway House, 1969. 439 l""b"rg Sfim,Prmp; The Storyof mylife, LosAngeles: Holloway House, 1969' *o f"" T est cité par AnthonyDe Curtis,"\Â/ord", in Alan Light(ed.), Vibe Historyof Hip Hop, NewYork: ThreeRiver Press, 1999, p. 93. *t *, J. Binder,opt. cit.,p. 760.

275 actingout, to livelydance music, a parodicexaggeration of the age-old stereotypesof the oversexedblack female and male. Their exuberant use of hyperbole(phantasmagoric sexual organs, for example)undermines--for anyonefluent in blackcultural codes--a too literal-minded hearing of thelyrics. 1...12 LiveCrew must be interpretedwithin the contextof blackculture generallyand of signifying specifically.a2

L'humoura toujoursjoué un rôle essentieldans la sociétéafro-américaine. ll <

< badman >.47 Au XlXe siècle,le publicblanc devint friand de < Minstrelsn au coursdesquels les artistesnoirs, le visagenoirci au bouchonbrûlé, se livraientà un pasticheraciste de leurcommunauté. Si ces spectaclesparodiques ne firentque renforcerles stéréotypes raciaux,I'autodérision s'avèrait apte à exorciserleur condition de citoyende seconde

*' H"nry LouisGates Jr, "2 Live Crew,Decoded. Rap MusicGroup's Use of StreetLanguage in Context of Afto-AmericanCultural Heritage Analyzed," New York Times, 19 June1990. *' John Lowe, 'Modifierla frarcepour renverserles rôles:La traditionde l'humourafto-américain", in ThierryDubost et Alice Mills(dir.), La femmenoire. Aspectsd'une crised'identité, Presses universitaires de Caen,1997, p.23. * toid. *u John Lowe,"Humo/, in WilliamL. Andrews,ef aL (eds.),The Oxford Companion to AfricanAmerican Litemture,New York: Oxford University Press, 1997, p. 370. oot JohnLowe, "Modifier la farcepour renverser les rôles:La traditionde I'humourafio-américain" , p. 24. *'toid.

276 zone448.La communautéafro-américaine a donc appris à rired'elle-même. Ce que les théoriciensde l'humour,à l'instarde John Lowe,nomment << humour correcteur > (< correctivecomedy rrlaae, une forme de satire auto-réflexivequi n'est pas sans rappelerI'autodérision de I'humourjuif, LangstonHugues la définitainsi : < Jokes NegroesTell on Themselves,rouo. Cet < humourdésespéré > trouveses originesdans les tourments,la frustrationet les problèmesqui opprimentles Noirs,c'est en quelque sorteun < salutpsychique >.Æ1 Pendantles annéesdifficiles qui suivirentla guerrede Sécession,les nouveaux héros des fables deviennentdes brigandshérorques, des < bad nigger,rou'. lJne successionde personnages,Stagger Lee ou Stackolee,Railroad Bill, John Hardyou encore Great Daddy naissentde cette périodemarquée par I'oppression.ot3Leur faconde, souvent grossière,et leurs vantardisesabusives flirtent souvent avec I'obscénité.Parallèlement, les premiersdisques pressés de blues,qui hésitententre grivoiserieset mélancolie,proposent une nouvelleforme de divertissementà un public noir et blanc. La libertéet la Renaissancenoire à Harlemoffrent, quant à eux, l'occasionaux auteurs afro-américains,notamment Zora Neale Hurston,de faire revivrece folklore.asa Au tournantdu XXe siècle,le passagedes fablesanimalières aux ( foasfsn urbainsen passantpar les contesde Stackoleefut déterminantpour la cultureafro- américaine.ouuLes mouvementsde migrationvers les grandesmétropoles furent ainsi accompagnésde nouvellespratiques verbales appelées < signifying>>, tt soundingtt, < woofing>, r loud-talking>...4ffi qui empreindrontla littératuremais aussi la musique

*t JohnLowe,'Humof ,pp.371-372. 449 'Humof L"ngtonHughes cité par John Lowe, , p. 370. abo bid. out John Lowe,"Modifier la farcepour renvercer les rôles:La traditionde I'humourafro-américain, pp. 25- 26. 4'2 voi, pp.2G2-2G9. ou' John Lowe,-Modifier la farcepour renvercer les rôles:La traditionde I'humourafro-amédcain, pp. 25- 26. o* JohnLowe, "Humo f, pp.373-374. ouu JohnLowe, "Modifier la farcepour renvercer les rôles:La traditionde I'humouraftoaméricain', pp. 26- 27. PatriciaLiggins Hill, Bemard W. Bell,Call andresponse.' The Riversideantholqy of the AfricanAmeican litenry tndition,Boston:Houghton Miffiin, 1998, pp. 778'779' 056 John Lowe,'Modifier la farcepour renverser les rôles:La traditionde I'humourafro-anréricain", pp. 26- 27.

277 afro-américaines.De par leur forme et leur contenu,les < foasfsrr*t peuventêtre considéréscomme les précurseursdu rap. En plus d'être divertissants,ces longs poèmesnarratifs sont exécutés dans un contexteurbain. La performancedramatique et rythmiquede leurs narrateursrappelle celle des rappeursqui recherchent I'approbationdu publicen se targuantde leursprouesses verbales.ass Tous les élémentsde ces procédéssurvivent donc dans le rap, lorsqueles rappeursémaillent par exemple leurs rimes d'insultes salaces ou dansdes interjections sousla formedes blagues< Yo mamar> : < débutepar le pastiched'un affront.Une rasaded'insultes sexistes est lancéeà I'encontred'lce Cubequi conclut par la répliqueexclamative <. lce Cubese lanceensuite dansun monologueparodique dans lequel il explique< à quoiservent les femmes>. La rappeuseYo-Yo I'intenompt brutalement et se lanceà son tour dans une attaque cyniquedans laquelle elle remeten questionles capacitésd'lce Cube à rappertout en mettanten doutesa virilité:61 ilce Cubel Womenthey're good for nothingno maybeone thing To serveneeds to my ding-aling I'ma manwho loves the one-nightstand Causeafter I do ya HuhI neverknew ya t...1 lYo-Yol Firstof all let me tellyou my nameit's Yo-Yo Whendown on a girlfirst the fist and that's a no-no Yo-Yothinks the kitchensink should be thrownin Niggasbe schemingand fiending to stickthe bonein No, Yo-Yo'snot a hoe or a whore And if that'swhat you'rehere for

flce Cube] Ay what up buttercupperMiss Yo-Yo I knowyou liketo rap and like to flow so Butwhen it comesto hiphop this is a man'sworld

o5t voir'définition note 151, p. 51. out JohnLowe, "Modifier la farcepour renverser les rôles:La traditionde l'humourafro-américain", p. 26. 459 Phar"yde,"Ya Mama',Bizane Ridett(Rhino Records, 2001)' ouo G*rg", Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cit',p' 54. o6t voi, fualementà proposde ce rap pp.2&245.

278 Staydown and play the playground you little girl

lYo-YoI Whatyou're saying I don't consider it as rapping Causeyou're on rewind and I'm the new what's-happening It neverfails l'll always get respect Andyou lose so take a rainchecka62

Dans les vers gangsfacomme dans I'ensembledu discoursrap, I'humourse déclinesous diversescolorations, des jeux de mots au burlesqueen passantpar la parodie,voire I'autodérision. Les rappeursaiment manipuler le verbeen jouant avec les motset les sons,mais se plaisentaussi à rirede la réalitédans un humoursouvent sombreet cynique,Cette malicese manifestesous un aspectcréatif et exubérant, maisapparaît aussi cruel et grossier.Si le rap a été libérédu < double-entendre> qui faisaitla particularitéde la traditionorale des esclaves, les rappeursse plaisentà jouer délibérémentde I'ambiguiTéde leurs propos d'où une surenchèrede procédés humoristiquesutilisés avec démesure,en insistantsur les stéréotypes,le sexisme, l'agressivité,la salacité,plus particulièrementdans le discoursgangsta. Toutes ces manifestationshumoristiques remplissent un rôletraditionnel récréatif et possèdentde plusdiverses fonctions, régulatrice, éducative, voire politique. Que ce soit par l'ironie,la parodieou le cynisme,I'humour gangsfa révèle la gravitéde certainsphénomènes sociaux. Les fanfaronnadesmisogynes sont comme nous I'avonsvu les témoinsdes dysfonctionnementsde la sociétéet ont aussi une fonction conative,voire didactique.Ainsi NotoriousBIG n'hésite pas à moquer I'hypervirilitédans un pastichemachiste intitulé < One MoreChance ,rout. Dans < You Can'tFade Me >1464,lce T abordeun sujetdélicat et répandudans le ghetto,celui d'une affaire sans lendemain(< one-night-stand>) qui finit par une demande de reconnaissanceen paternité.Désireux d'évoquer I'instabilité des rapportshommes- femmes,il souhaiteaussi apporter un sujetde réflexionaux habitantsdu ghetto.La dérisionet I'autodérisiondeviennent ici un véhiculepédagogique de persuasion sociale: It'scrazy cause before I couldsleep with her I hadto duckand dodge and try to creepwith her Seethe bootyand the frontwas all in place Butthe girlhad the pitbullface Sowe ranjumped drove swam crawled hid Oh lordgod forbid

ou' 1"" Cube,feat. yo-yo, "lt's Man'sworld", AmeriKKKa'sMostWanted (Priority, 1990). 063 Notoriou,BlG, 'one MoreChance", Ready to Die(Bad Boy, 1994 4s 1"" Cube,"You Can't Fade Me",AmeriKKtbb Mosf Wanted(Priority, 1990).

279 Myhomies see me at themotel Causethose fools would love to just go tell Everybodyinthe hood that knows your rep Sojump in the back seat and quiet is kept Andhold your big fat buttsteadY Causeyo hoeI gotthe paper bag ready Shestarted moaning and gobbling like a turkey I knockedthe boots from here to Albuquerque ldroppedher off man and l'm knowing Thatl'm a hatemyself in the morning I gotdrunk to helPme forget Yoanother daY another hit shit I'mgettin fadedaos

Les raps offrent un exempled'humour fonctionnant comme des < bâtons tordus>> (< crookedsficks n), pourreprendre I'expression de John Loweà proposdes toasfs.a66En mettanten scène de manièreburlesque la vie de < hustlersn ou de dealerspeu scrupuleux,les rappeursrévèlent ainsi que toute délinquanceconduit irrémédiablementà une perte de dignité et à I'autodestruction.La caricatureet I'emphasesont utiliséesici pour frapperles espritsdans un but éducatif.Dans leurs descriptionsexcessives de la vie urbaine,les hérautsdu rapforcent de touteévidence le traitafin de dévoilerles incohérencesde la société. Tousles procédéshumoristiques rendent également compte de I'absurditédu systèmeet dénoncentles intentionsdu pouvoirhégémonique. Les rappeursperçoivent le monde comme un désordreabsurde, où la logiqueet la vérité ne sont pas respectées,mais bafouées. La représentationcritique et comiqueà la foisdu viceet de la réalitésocio-politique met en évidencecette absurdité. En tournanten dérisiontout ce qui appartientà ce monde,en grossissant,en caricaturantses défautset ses vices, les rappeurscherchent à le discréditer,à dévoilerson incohérencecomme le fait lce Cube,lorsqu'il relate les affrontementsqui opposentjeunes des ghettoset policeou lorsqu'ildéfinit une arme à feu comme la < meilleureamie de I'homme> noir. Le moindre jeu de mots signale une remise en question susceptibled'inquiéter (< Black'n'Deckeoout1.Le caractèreagressif de ce persiflagen'est nifortuit ni gratuit,il vise à démasqueret à démystifier.L'humour des rappeursn'est donc pas un simple divertissement,il peut être connoté dramatiquement et prendreles formes d'un humour trèssombre comme le dévoilece calembour: - We'regoing to do you likeKing. - Whatgoddamned King? o6u 1"" Cube,"You Can't Fade Me", AmertKKtb'sMosf Wanted (Pnority, 1990). ouu JohnLowe, 'Modifier la farcepour renverser les rôles:La traditionde I'humourafro-amédcain" , p' 25 o6t 1"" T, "Bfack'N'Deckef,The tcefurylFrcedom of Speecfr(Sire, 1989).

2E0 - RodneyKing, Martin Luther King and all of the goddamned kings from Africa.68

L'humourest biensouvent un agentde défoulement.En tournanten dérision les symbolesde I'hégémonieblanche, leur propre communauté ou bieneux-mêmes, les rappeursconjurent les sentiments de frustrationde leurcommunauté. L'hyperboleest égalementune figuredominante du discoursrap. La pratique du < boasting>, cette vantardiseexcessive, est par ailleurs I'un des procédés traditionnelsde I'oralitéafro-américaine que I'onretrouve fréquemment dans les foasfs. ll faut rappelerque le rapétait à I'origineauto-référentiel. Au coursdes joutes verbales (n dissrn'wars >) qui opposaientles MCs, les rappeursdevaient se targuerde leur dextérité verbale et de leurs exploits personels (< ego'trippingn). Les gangstaz poursuiventcette tradition: <

068 f." Cube,"My Summer Vacation", Death Certifrcate (Pdority, 1991)' 469 Grauediggaz,.unexplained', rhe pick, the Sickleand the Shovet (\2./BMG, 1997). oto Trin" feat.J-Shin, "69 Ways', Da Baddest&fch(Atlantic, 2000), 471 'Get Junio,Mafia feat. Lil'Kim, Little Ceas, Biggie, Money",Gettin'Money(Atlantic, 1996).

281 de remettreen causeles conventionsmorales et politiquesétablies. lce T débuteson afbumHome lnvasionaT2 par la miseen gardesuivante : Attention! Atthis moment you are listening at an lceT LP lf youare offended by wordslike: shit,bitch, fuck, dick, ass, ho, cunt, dirty bitch, lowmotherfucker, nigga, hooker, slut, tran [...] Takethe taPe out now Thisis not a popalbum! Andby the way, SUCKMY MOTHERFUCK]N DICK!473

Cetteintroduction parodique illustre la volontéde provoquerune Éactionde la part des auditeurs.Elle est une manièredétournée d'apostropher les autoritéset la bourgeoisieempreinte d'une tradition très conservatrice.Toute cette jurologie était en outrerevendiquée dès les années1960 comme un langagepolitisé par les Panthères NoiresaTa,car elle était I'expressiondu refus et de la contestationaTs.On peut égalementvoir danscette agression discursive la transpositionverbale d'une violence vécueau quotidienpar la minoriténoire américaine. Pour indécentesque certainesrimes puissentparaître à un auditoirenon éclairé,cet étalagede vocablessalaces atteste ( un sensaigu de la formule> et un goût pourla métaphore.otull convient de rappelerque la fonctionpremière du rap est celle de divertir.La richessedu frp hop slang,I'inventivité verbale, le sens de la formule,la hardiessedes images,mais aussi la qualitéde I'articulationet le rythmede la scansionlui confèrentun aspect ludique.Cet esprit, les rappeursle cultivent égalementdans leur théâtralité lorsqu'ils travestlssent leurs voix de manièreburlesque. On a tendance à sous-estimerla valeur phonétique,rythmique et articulatoire qu'accordentles rappeursaux mots.attLe rap est à I'origineun jeu de joutesverbales qui permetaux MCsde fairepreuve de créativitéface à un partened'admirateurs. Les rappeur aimentainsijouer avec les sons,créant des paronomasessans signification réelledans le but de produiredes effetsrythmiques et comiques: A babaloo,ooh, a babalooboogedY boo

472 Er"mple cité dans MatthewT. Grant,qp' cif.,lssue 2, texte3, p.4. ot3 f." T, '\A/aming',Home lnvasion(Priority,199g\' oto G"org", Lapassadeet PhilippeRousselot, op. crf',p' 58. 475 civiques,les manifestanbnoirs se servaientdes A, cours de grandesmanifestations des droits 'Les ndozens"pour apoJtropher les policiers(?rgs") des forcesanti-émeutes. (1. Young, PanthèresNoires et la languedu ghetto',Esprit n" 386,Oct 1970') ot6 chri"ti"nBéthune, op. cit.,p. 113. 477 chrirti"n Béthune,op. cit.,p. 114.

282 I wentfrom Gucci to Stussy,to fliggedy-flama groupie ToZsa Zsa, to yibbedy-yabbadabba hoochie koochie Tallyho l-l'll take my Stove Top instead of potatoes,so. '.0t8

La fonctionde I'humourrap est donc polyvalente.L'humour permet d'attirer I'attentiondes auditeursen provoquantun effet de surprise.ll crée un rapportde familiarité,voire de complicitéentre locuteuret destinataire,notamment lorsque les rappeurss'adressent aux jeunesdes ghettos.En adoptantun langageludique, les rappeursfont égalementpasser leur messagede façonplus éloquente et persuasive' Cettearme est d'autantplus efficace qu'elle est d'apparenceanodine. L'humour peut deveniraussi une anne redoutablecontre les prejugés,les interditset lestabous. Cette stratégierhétorique permet également d'exorciser la douleur,de libérerdes tensions socialestout en dénonçantle système

2.2.Unepoétique de la violence

La consécrationdu gangstarap dès la fin des années1980 a porté sur le devantde la scène hip hop une nouvelleesthétique de la violencetrès subversive, voire rudimentaire.Le rap devientalors synonymede criminalité,de règlementsde compteentre gangs et de misogynie.Les rappeurss'attirent les foudresdes autorités et de la bourgeoisiequi accusentses acteursde promouvoirla barbarie.Les rappeurs affirment,eux, que la violenceverbale et sonoredes rapsse fait l'échod'une réalité qu'ilsn'ont pas choisie.lls invoquentégalement le droitimprescriptible de I'artiste d'user librementdes formes d'expressionsartistiques. Nous nous proposonsici d'étudierl'expression violente du rap en tantque formeesthétique à partentière' Nous verronsque par-delàla fonctioncarhartique de cette violenceverbale, I'expression sonoredu rap remplitune fonctionpoétique et rythmiquequi attestedu génie créatif des rappeurs,mais qui trahitégalement une consciencepolitique. Tout en interpellant la sociétéet les autorités,la glorificationd'une négrité et la reconstructiond'une image figée du < mauvaisnègre > participed'un désir de valorisationde I'identiténoire et d'unereconnaissance sociale.

ott EFX,"They Want EF}, , DeadSanbus (Atlantic, 1992)

283 2.2.1.Esthétisation de la violence

L'esthétisationde la violencedu rap n'est pas le fait uniquede la mouvance gangsta.La musiquepopulaire contemporaine n'a eu de cessed'esthétiser la violence sousdiverses formes, notamment le heavymetal, le punkou encorele rockgothique' En outre,la poétiquede la violencea fait partieintégrante de I'histoirelittéraire et artistiquede tout temps.oteLe rappeurest commenous I'avons vu I'héritiersymbolique du < trickster> et du r badman>>. ll perpétueainsi cette traditiond'une part de I'agressivitéverbale sous le signe de I'excès. La culture afro-américaineétant traditionnellementcaractérisée par la richessede son expressionverbale et rythmique, il convientde minimiserI'impact des images violentes destinées en partieà traduireun désir de transgresserles conventionsmorales. Les rappeurss'inspirent de la réalité contemporaineet la violenceexprimée de nosjours dans le rapfait d'autrepart écho à uneviolence physique, visuelle ou discursiveinhérente à la sociétéaméricaine. D'unpoint de vue historique,les Noirsont été pendantlongtemps contraints par la force des chosesà contenirleurs pulsionsviolentes, que ce soit au cours de l'esclavageou aprèsson abolition.Pour survivre, ils devaienten étoufferI'expression et la circonscrireà des manifestationssymboliques, notamment à traversla pratiquedu chant ou encore l'échangerituel des <. Ce qui différencienéanmoins l'agressivitégangsta de cettelongue tradition littéraire afro-américaine est la démesure et I'emphasede ses propos.Les hérautsdu rap radicalisenttant dans le fondque dans la forme leur discourscomme s'ils aspiraientà démultiplierla virulencejusque-là bâillonnéede leursancêtres. lls font ainsiéclater au grandjour une rageprofonde qui a non seulementpour fonction de heurterles convenances,mais ausside libérerla communautéde sesrancoeurs. Si le gangstarap a fait de la violenceune figure de styleet de rhétorique,c'est que les auteursaffirment trouver en premierlieu leur sourced'inspiration dans la réalité.Lors d'interviewset en réponseaux attaqueslancées à leur encontre,les rappeursinsistent sur le fait que les rapssont peutêtrefictifs, mais que leurshistoires sont < authentiques>, puisquelnspirées de faits réels.Les rappeursayant vécu dans les ghettosont été souventles témoinsde la violenceurbaine et sontdonc empreints d'uneculture criminelle. Pourne pas passerà côtéde I'enjeupoétique du rap, il ne faut pas perdrede

ot9 chrirti"n Béthune,op. cit.,p.1g4.

284 vue que f'essencemême du rap résidedans la notionde défiverbal (n dtsswars >). A l'instardes musiciensde jazz. qui comparaientnaguère leurs instrumentsà une hacheaso(< axer) qui servaità couper(< cut>), c'est-àdireécraser son rival lors d'unejoute musicaleott,les rappeursgangsta - auto-proclamésç killers)) - ne font que poursuivrecette tradition en reprenantmétaphoriquement la riche imagerie du gangstérisme.Le microphone(< themic v ou < miker) devientune arme,comparable à un n Tech-9)) ou un ( AK-47n : <, c'est plagierle morceauou le styled'un autre rappeur.Les n drive-bys/roofrngs n sont en défïnitivedes défis verbaux,le flot de parolesdevient un tir en rafaleset le plagiatune attaqueà mainarmée. La personne qui tombeau combatest cellequi perd ce défi et par là mêmeson sang-froid,aveu d'impuissance.La parolese substituedonc à I'acte:a83 I'mthe arsenal I gotartillery, lyrics of ammo Roundsof rhYthm ThenI'm'a give'em Piano Bringa bullet-proofvest Nothin'toricochet Readyto aimat the brain Nowwhat the trigger say [...1 Letthe rhythm hit'em.aM

Commenous I'avons vu, le verbe< to pimpn peut-êtreégalement polysémique et s'appliqueà tousles domaines de la vie,que ce soitdans la viesociale, économique ou politique.De mêmeque dans le morceaude lceT <45, le dealer s'avère en fait un ( marchand de rimes> : < dope beats and lyrics/nobeepers needed>. lce T joue ici sciemmentavec les mots,en détournantle vocabulairedes trafiquantsde drogue,une manièrevoilée de critiquerle marchéde la droguesans remettreen causesa crédibilitéde n homeboyt>Æ6

o8o chrirti"n Béthune,op. cit.,p.71. 481 J""n-P"rl Levet,Talkin'that talk : te tangagedu blueset duiazz, Paris: Kargo,2003, p. 156. 482 Boogi" DownProductions, "Criminal Minded', Criminat Mided (B.Boy1 987). ott RobinD. G. Kelley,op. cit.,p.121. o* 'Let Eri. B. andRakim, the RhythmHit'Em", Letthe Rhythm Hit'E7(MCA, 1990). 485 f"" T, "l'm YourPusher' , Power(Wamer,1988). 486 Er"rple citédans Robin D. G. Kelley,q. cit',p'121.

285 Tothe rap criminals, we're succeeded Dopebeats and lyrics, no beepers needed Forthis drug deal, I'm the big wheel Thedope I'm sellin', you don't smoke, you feel Outon the dance floor, on myworld tour l'msellin'dope in each and every record store I'mthe king pin when the wax sPins Crackor smackwill take you to a sureend Youdon't need it, just throw that stuff away Youwanna get high? Let the record play

I'myour pusherasT

Le discoursgangsta se joue en permanencede ce rapportqu'entretiennent fictionet réalité: < ls this real or fictionf/ou'llnever knowMhile you're locked to the pulse of the rhymedflow >488rappe lce T. Les coupletsviolents ne sont pas pour autantà prendreau sens littéral.Ce sont avanttout des n boastsn, des figuresde style hyperboliquesqui permettentaux rappeursde se vantermétaphoriquement en démontrantles ressourcesde leurcréativité. La violenceexcessive et explicitemise en æuvredans le rap doit s'interpréter égalementcomme une stratégie langagière qui vise à donnerpar les motsun pouvoir que la réalitédénie à la communauténoire. La parole,par sa force même,est plus efficaceque lesarmes et peutà elleseule supprimer I'injustice et rétablirI'ordre : Cops,critics and punks, never ever wanta see me in POWER Well,that's too bad, Apocalypse Now I'm back and I'm mad We'recomin', you're runnin'cold and cunning [...] Wordsthrillin', so realthey're chillin', the hit author Gettin'louder than a shotgun, you don't want none [...] I causehavoc when I speakupon the microphone [...]otn

L'esthétisationde la violencedans le rappasse également par la représentation visuellede la culturehip hop,notamment les clipsvidéos, mais également I'art de vivre hip hop, ses codeset ses rites.La modevestimentaire, la gestuelle,l'< attitude> et I'apparencephysique participent également d'un désirde signaliserson appartenance à la culturehip hop. L'un de ses signesde reconnaissanceest I'attitudenonchalante de distanceet de n coolnessn. Beaucoupde MCs ont adoptédes surnomsévoquant cettefroideur, tels que Coolio,Kid Frost, Kool G. Rap,lce T, lceberg.Pour les hommes du ghetto, étaler une impassibilitéaffectée est en effet bien plus qu'une simple < attitude>. Fairepreuve d'une certaine rudesse, en affichantun contrôletotal de soi, ott 1""T, "l'mYour Pusher", Power(Wamer, 1988)' 488 lr" T,'Pulseof the RhymeSong", OG; OiginalGangsfer(Sire, 1991).

2E6 c'est asseoirun pouvoiret s'armerdans le milieu hostilequ'est le ghetto.a'oEn reprenantcette posture,ils rejettentla figure centralede I'OncleTom contraint d'assumeravec bonne humeur la servilitéimposée par les Blancs,et font unefois de plus preuve d'une certaine consciencepolitique. Phil Petrie définit ainsi cette < coolness>; For BLACKMen, being cool is not just an attitude;it becomesa political stance,a metaphorfor power.To givethat up is, in effect,to renderoneself powerless- to losecontrol. For Black men who control so little, to losethis cool isto losea weaponin their arsenal for survival.ael

Un autreaspect subversif du discoursdes gangstazconcerne leur rapportaux armesà feu. Les rappeursaiment glorifier leurs armes, les ç uzis,r, ( gatsn et autres < glocks>. Les gangstaz véhiculent ainsi deux images contradictoireset complémentairesà la fois. lls dressent,d'une part, le portraitde jeunessauvageons à la gâchettefacile et offrent,d'autre part, une imagerévolutionnaire en brandissantsur les pochettesd'albums de gros calibres.À ses détracteursqui lui reprochaient d'exhiberdes armes sur la pochettede son album CriminalMindeês2, KRS-One rétorquaitqu'il souhaitaitainsi encouragerson auditoireà déposerles armes. Les rappeurssouhaitent ainsi confronter I'audience aux problèmesde la violence.Ce type de prisede positionest certestrès ambiguë et beaucoups'intenogent sur I'efficacitéde tels procédés.Exhiber et glorifierles armes, c'est égalementpour les rappeurs I'occasionde dénoncerimplicitement leur omniprésence.lls critiquentainsi la banalisationde I'usagedes armesà feu dans les ghettosqui est à I'originede I'hécatombede la jeunessenoire.oe3 lls font unefois de plusnaître symboliquement la

o8n f"" T, "Powef, Power(Wamer,1988). 490 'Etr" cool signifiegader le contrôlede soi-mêmecar I'affolementmène directement à une rigidité psychiqueet phisique qui nuit à la capacitéd'agir. Dans la jungle industrielle-capitaliste,le Noirs ârËericàinsont'appris à penseret à se comportercomme des êtrestraqués, qui cultiventune vie culturelle secrète,exutoire èt refugedes frustrationsd'un peupleghettoi'sé.' (Larry Po{is, "Musiquepopulaire dans L'iommeet la société,Paris : L'Harmattan,no 126,199714,p'76.) le mondecapitafiste", 'Ne MichelFabre revient sur I'originede cettecaractéristique : pouvantaffnonter ouvertement le racisme sans risquerla mort,le Noiràméricaina dû développeren lui tout un mécanismed'accommodation' de défense,et de compensation."(Michel Fabre, op. crf.,p. 106.)Ce sang-froidaffché évoqueégalement un contrôlede soi, un bétachementde I'affectif,toutes les qualitésindispensables à un bon criminel.Elle est de plus une marquede virilitéet de pouvoiren oppositionavec I'imagecaricaturale de I'oncleTom. (ChristianBéthune, ap. cit., pp. 126-127.\ 'nt ptrilpetrie,'Real Men Don'tCry... and Other uncætMyths',in PaulaS, Tothenberg(ed.), Raclsm and Sexisrn:An tntegmtedSfudy, New York St. Martin'sPrcss, p. 153. 492 Boogi"Down Productions, Criminal Miùed (B'Boy,1987). 093 ll n" faut pas oublierque les Etats-Unisdétiennent le taux de criminalitéle plus élevé des pays industrialisései que l'homicideest la premièrecause de décèsdes adolescenbaux EtaF-Unis'(Peter Dreier,'America'è Urban Crisis", in J.i2. Bogerand J. W. Wegner(eds.), Race,Povefty and Ameican Cifies,London: University of NorthCalifomia Press, 1996' pp. 83-84-)

287 peur pour confronterles pouvoirspublics à leursresponsabilités et I'opinionpublique auxproblèmes liés à la criminalité. L'emploidu s/angaeaparticipe également de cetteesthétisation de la violence expriméepar les rappeurs.Comme nous avons pu I'observer,son emploiexprime le refusde se soumettreaux principesétablis et devientainsi un symbolede résistance, voirede rébellion.L'argot et son caractèretrivialjouissent également d'un pouvoirde transgression.Les injureset jurons lancésà I'encontredu pouvoirou encoredes femmesont de plusun caractèrespectaculaire.oss par-delàla fonctionde transgressionjubilatoire, les motsgrossiers et de s/ang remplissentune fonction rythmique et euphoniquenon négligeable.aeo L'insulte la plus populairedu vocabulaireafro-américain, < fuckn, êst la < cheville ouvrière> de nombreuxvers rap.ott L'organisation syllabique de < offre également ( tout un choix de variationsrythmiques.ont Les mots grossierstels que fuck>>, < bitch>, ctdick n sontdonc utilisés pour leur force explosive et balisentI'organisation rythmiquedes vers.oes Les rappeursjouent également de I'ambiguiTémusicale de leursmorceaux. Le gangstarap présenteen généralun fond sonoreagressif possédant une puissance évocatriceet soulignantla violencede ses rimes.Les textessubversifs sont débités sur un fond musicalcacophonique, agrémenté d'échantillonnages et autres effets sonores intensifiantles propos.La variante< G-Funkn oppose en revancheune suavitémusicale et une violencediscursive. Outre I'effet de surprisequ'elle engendre, cettesynthèse oxymorique entraîne une < dissociationde la phrasesémantique et de la phrase musicale>1500 créant un effet de surpriseet jettant le trouble dans la perceptiondu message.Les rappeursinsistent ainsi cyniquementsur la banalisation desfaits criminels dans les ghettos.

o9o voi, à proposdu slangt,pp' 54'62' 495 ll f"rt néanmoinsnoter que les iniureset juronspeuvent être fualementemployés pour- exprimer des sentimàntspositiË de joie. lis libèrentun exéèsd'intensité affective. Les juronstels que "motherfuckef sont rentrésdans le langagecourant, vidés de leurssens. lls sont le plussouvent employés de manière spontanée. ott chrirti"n Béthune,op. cit.,p'114' as' toid. ott chrirti"n Béthune,op. cit.,pp'114-115. ottchrirti"n Béthune,op. cit.,p. 1 15. l.lWA,Starght Outta Compton (Tommy Boy' 1990).

æE Outresa fonctiondivertissante, nous pouvons donc attribuer à la stylisationde la violenceune dimensionsociale et politique.L'expression de la violencepossède en effet une fonctionrégulatrice pour les rappeurseux-mêmes et leur public.Toutes les formesd'agressivité, qu'elles soient verbales ou rythmiques,apparaissent également commeautant de défisà I'autorité.Les rappeursinterpellent d'une part discursivement la sociétéet les autorités.L'agression sonore de leursraps s'apparente d'autre part à une menacephysique, voire à I'invasiond'un espace.Le rap devientalors un enjeu d'appropriationdu Pouvoir.

2.2.2.Le < ghettocentrisme) : expressiond'une négrité

Dans le discoursgangsta, les rappeursglorifient plus que tout leur lieu d'origine,le ghetto(< hoodst>, << the sfreefs>, < prciecfs>). Pointd'ancrage de leur identitésocioculturelle, il est le lieu permanentde référence.ll devient,en outre,une marque d'authenticité(( realnessn), marquantd'un sceau la < crédlbilité> des auteurs.A traversla constructionet la mythificationd'un ghettocauchemardesque, le < ghettocentrismeu (., ghettocentricity,)uot des rappeurs offre une nouvelle interprétationde I'idéede négrité.C'est la célébrationd'une culturedu ghettoet, à traverselle, celle d'une nouvelle identité, celle de <, les gangsta rappers manifestentde plus le désir de leur communautéd'être égalementreconnue socialement.

uoo chrirti"n Béthune,op. cit.,p.115. uot N"lron Georgedéfinit ainsi le "ghettocentrisme": "[ghettocentricity-is]... makingthàvalues and lifestyles-B-Boys,of America's poverty-stricken urban. hornelands cËntratto one'é Oéing.'(Nelslon George, Buppies, Baps & Bohos,lVofes on Fosf-Sou/B/ack Cufture,New York: Harper Collins, 1992, p. 95.)

289 Le ghetto possède deux acceptionsdans I'imaginairedes rappeurs' ll représentetout d'abordI'ensemble des lieux d'habitationdes communautésnoires, sansdistinction de classesociale, et devientplus particulièrement dans le rap engagé et le gangsta rap le signifiantdes quartiersoù vivent les plus démunis.Ce ghetto apparaîtcomme un Etat en lui-même,( a black city withinthe white> comme le qualifiaientles intellectuelsafro-américains de Frazierà DuBoisso'.Si le ghetto,tel qu'il a été favorisé par le groupe dominanta eu pendant longtempsune fonction économique,celle de réservoirde main-d'æuvrebon marchépour I'industriedes grandesmétropolesuo', il fut néanmoinsjusque dans les années1960 le tremplinpour l'émergenced'une solide classe moyenne noires@. Depuis une vingtained'années, pourles Noirset les Hispaniques,I'enclave ethnique n'est plus synonyme de quartier de transitet de nécessitédans le processusd'insertion, comme il le fut pourd'autres communautés- italienne, juive ou irlandaise- à la fin du XlXe et au débutdu XXe siècle. Face au phénomènede < brunissement>1505 de la populationaméricaine, on assistepar ailleursdepuis deux décennies au phénomènede périurbanisationde la communautéblanche dans des quartiersrésidentiels fermés (< gate communities>), construisantà présenten dur la fameuse< barrièreraciale ,ruou selon la formulede W.E.B.DuBois.5o7 Ces îlots de misèreque sontles ghettossont désormais coupés du reste du monde par une nouvelleforme de ségrégation,l'hypersegregafionsos. lls deviennentalors le pôlede toutesles pathologiessociales. Les sociologues emploient

u02 'A Lo'bWacquant, BlackCity Within the White:Revisiting America's Dark Ghetto", Black Renaissance - RenaissanceNoire,2-1, Fall-Winter 1998, pp. 141-151. uot 'Deadly Loi. w".quant, Symbiosis.when Ghettoand Prison meet and mesh", p. 103. 504 Rog"rW. Caves,Explortng Urban America,Thousand Oaks: Sage, 1994, p' 75' GenevàSmitherman, Eitack iatk: Wordsand Phrasesftom the Hood to the Amen Comer' New York: HoughtonMifilin, 2000 (1994), p.1M' 5ou L" paysageracial est en trainde changeraux Etats-Uniset voit les minoritésdevenir la majoritéde la popùàtiotisu-r le sol américain.La popuÈtionblanche ne cessede baisserdepuis 1970 alors que les ôommunautésdites de couleurn'ont beisé de croîtreen nombre.Time Magazine évoquait en avril1990 le "brunissement"de I'Amérique("The browningof Ameica'| Le bureaugouvememental de.s statistiques révèle que les hispaniqueioni dépasséen nombrela communautéafro-américaine en I'an 2000. lls ràprésententdésormaisi3o/o de la Éopulationenntre 12,7Yo d'Afto'Amédcains. (Données publiées sur le siie intemetdu US CensusBureau, www.census.gov') 506 Un tiersde la populationafroaméricaine vit dansdes quartiersentièrement noirs, le restantdans des anondissementsessentiellement noirs. Dans les grandesvilles américaines, quatre Blancs sur cinqvivent dansun quartier monoracial. (Peter Dreier, @.cit', p. 85.) uot W.E.B.Dubois, rhe Soulsof BtackFolk,New York: Blue Heron Press, 1953 (1903). 508 DouglasS. Massey,Nancy A. Denton, AmericanApaftheid: Segregation aN the Making of the Underclass,Cambridge: Harvad UniversityPress, 1993'

290 à son proposle termed'< hyperghetto>5æ pour soulignerson caractèreexcessif. Du fait de la ségrégationblanche qui leurrefuse I'accès à I'espacepublic, les habitantsdu ghetto se replientsur eux-mêmeset surviventdans un microcosmesouverain. Le ghettos'apparente donc à une villedans la ville,dans laquelle s'est développée une culture singulièreet dont la rue est devenue l'épicentrede la vie sociale et économique: n Sfreefsschoo/ed u{.../Recruited Lieutenantswith ludicrousdreams of gettincream ,ruto. CommeI'a mis en reliefI'anthropologue Oscar Lewis à proposde la < culture de pauvreté>s11, les habitants des ghettos sont imprégnés dès leur plus jeune âge par des valeursinhérentes au ghettoet tendentà reproduireles traitsculturels de cette culturepathologiquest2 qu'ils absorbent fièrement et cultiventsl3même si elle contribue paradoxalementà leur autodestruction.Le mouvementhip hop a su également réinvestirla notionde ghettopour lui conférerune connotationpositive à I'instardes intellectuelsafro-américains qui s'élevèrentau débutdes années1970 pour souligner I'aspectpositif de I'expériencepropre au ghettoen mettantI'accent sur lesforces vives de la communauténoire.uto Commele note GenevaSmitherman, le ghettoest en outrelié à la notionde source (< homey) et d'essencenoire (r5t6, < GhettoFabulous uutt1. Se revendiquercomme un authentiqueproduit du ghetto,c'est

509 T"-" utilisé par Loic Wacquantet William J. Wilson pour définir le ghetto de la périodepost- industriellerarqué par une hyperségrégationraciale et socio-économique.(Lojc Wacqqant & WilliamJ' Wifiàn, *fn" Co'stof Racialan'd Claés Éxdusion in the InnerCity", Anlals of the Ameican Academyof PoliticataNSocia/sciences, vol.501, University of Chicago,January 1989' pp.8-25.) 510 J^y-L,'Can I Live",lJ nreasonableDoubf (Priority, 1 996). utt Or"", Lewisdéveloppa cette notionet la définitcomme < la réponseadaptative des pauvresà une societèùpitafiste stratifi'éepar des classeset fortementindividualisée. > (Oscar Lewis, Or Underctanding poverty: Èeæpectivesfroà tne Socla/ Sciences,New York: Basic Books, 1968, cité dans Philippe Bourgois,oP. cit., P. 63.) 512 Mi"ha"lEric Dyson, op. ctf., p. 90. u13 Ni"k DeGenova, op. cit.,p.'sociologues,106. Comme I'ont observê les "l'habitude d'être stigmatisésocialement est source de " (PascaleLombard- itrèàtratisation[...] dans un jeu où Ia dramaturgietente de masquerle drame. Deschamps,oP. cit., P.311.) 5t4 Wifli"t J. Wilson,Les oublrésde t'Amérique,p. 34. ut5 G"n"u" Smitherman,Black Tatk: Words and Phnsesftom the Hoodto the AmenComer' New York: HoughtonMifflin, 2000 (1994), p. 1zl4-166' 516 M"ste, P, "GhettoLove', Ihe LastDon (Priority, 1998) utt Ræ Kass,"Ghetto Fabulous", RasassinaÛbn (Priority, 1998).

29r êtrefidèle à une philosophiehip hop,mais également porter avec fierté les empreintes et stigmatesde son quartieret de I'histoirede sa communautélls célèbrentde plus I'identitéculturelle que leurcommunauté a su se forgerau coursdes siècles. Cetteaffirmation identitaire va de pairavec une constructionidéologique et un processusde différenciationsocio-culturelle. Le ghettoest en effet un espaceou ses habitantsluttent pour leur survie et à ce titreun lieude transcendanceutt.En marquant leurdifférence, les rappeursdéfendent symboliquement leur identité culturelle, niée par I'hégémonieblanche et exprimentla nécessitéde reconnaissancesociale, mais aussi de résistanceculturelle de la communautéghettoi'sée. La marqued'authenticité (< realness>) se manifestedans la pratiquehip hop par I'adoptiond'une < attitude> de ghetto(démarche, gestuelle, vêtements, pratique du low-ridingî1e...)avec ses codes et ses valeurs. Verbalement,une myriade d'expressionsviennent de plusponctuer les rimesdes rappeurs,telles que ( to keepit real >, < to be true to the game>, < straightup nigga) ou encore < real niggan. Les actantsmettent par exempleleur appartenance urbaine en valeuren revendiquantleur identitéfocale à partirde leur Etat(n Ktta Calin), leurquartier (( CPTn acronymede Compton,ç LBC) pourLongbeach, < Bed'Stuy)) pourle quartierde Brooklyn),les avenues(Slauson, Roscran, Crenshaw pour Los Angeles),I'indicatif local (213 pour Los Angeles,310 pourLong Beach). Cette assise territoriale revendiquée initialement par les gangs participeaujourd'hui d'une volontéde reconnaissancesocioethnique maisaussi de légitimationd'une culture. < This is not a pop album!>prévient lce T dans< Warning>5æ. La culture du ghetto étant liée à I'idée de négrité,la notion d'authenticité procède donc également d'une redéfinition de I'identité noire du ghetto (< niggadom>)521. Au-delà de 1896,un des moyenspour maintenirI'illusion de I'inférioritédes Noirsétait d'étiqueter du suffixe< noir> tout ce que faisaientles Afro-

utt Ni"kDe Genova, op. cit.,p. 119. ut9 L" "low ridingf est un loisir né dans les années 1940 dans les quartiers"chicanos" (mexicains- américains)de l]os Angeles. Cette mode consiste à customiserson véhicule (antes chromées, peinture...jet plus particiulièrementd'ajuster les suspensionspour rculer la canosserieabaissée. Les voituressont éduipéès également de pompespermettant de fairetressauter I'avant de la voiture. Ce phénomèneOe persônnalisationdes voituresqui était un moyen.pourles Chicanosde marquerleur appàrtenanceà leui communautéest devenuentre temps une véritrableculture de ghetto.Les /ow-nders exiri5entleurs belles américaineslors du cruisingde fin de semaine,ces baladessur les grands boulevardsdes quartiers. Voir DiegoVigil james, "CarChanos: Cruising and Lowridingin the Baniosof EastLos Angeles',Latino Sfudies,2(2), 1991,9P. 7 1-79. u'o 1." T, nVaming',Home lnvasion(Prioity,1N3l. u" R.A.T.Judy, op. cit.,p.211.

292 Américains.Ce qui fut considérépendant longtemps comme un qualificatifpéjoratif, a été au coursdes décenniesrevalorisé par les intellectuelsafro-américains. Au cours desannées 1920 qui avaientdéjà vu l'émergenced'une culture du ghetto,symbolisée parla Renaissancenoire de Harlem,l'élite noire qui exigeait de retrouverla mémoireet de se libérerdu joug de la culturedominante, avait déjà glorifié la nouvelleidentité du < New Negron. A l'imagede W.E.B.DuBois qui réhabilitaitle termede < Negro> atin d'exorciserle complexeracial des Noirsaméricains, la grandemajorité des rappeurs exalte aussi leur négritész.L'emploi marqué de < niggerD ou < nigga ) ou encore < nigguhr dansle gangstarap provoquecependant l'ire d'une bourgeoisie noire et des afrocentristesqui ont mis d'innombrablesannées à faire accepterleur statutd'Afro- Américain.Pour certains intellectuels afro-américains, comme le critiqueculturel Haki Madhubuti,I'emploi de termesaussi affectésque le ç N-word) - pour reprendrele terme politiquementcorrect - ne peutêtre < déstéréotypé>. Les marqueurs< bitchtt, < whoren and < niggern sont des termesdésignant des sous-hommeset beaucoup craignentque la répétitionde mots injurieuxet autodénigrantsrenforce le sentiment d'infériorité,les préjugéset n'altèreI'idée de négrité: Thereare certain words [...] that are debilitation to us, no matter how often they are used.Such a wordis nigger[...] A nigger,which is pitifuland shameful inventionof Europeans,cannot be de-stereotypedby usingit in another context,even if theusers are Black and supposedly politically correct (they are niggeris a niggerand white folks mostlyyoung and unaware). A niggeris a 'Ghetto', loveto hearus denigrate each other [...] We can all visualize a butcan we conceiveof a deliberatedcommunity? Anyone can rap reality. Only artists have visionof a betterworld.s23

Le termede < niggern n'est pas par ailleursperçu comme tel par I'ensemble des membresde la communauté.Comme nous I'avonsdéjà évoqué,I'une des particularitésde I'anglaisafro-américain vemaculaire est d'inverserun sensdes motsà connotationnégative pour leur conférerun nouveausens positif2a.< Niggern peut donc avoirune connotationamicale et neutre,parfois humoristique dans un contexte

u2' voi, définitionnote 17, p. 24. 523 HukiMadhubuti,cité dans Bakari Kitwana,op. cit.,pp.26'27. u'o 'niggers" C"tt" réappropriationdes mots controversésest même d'otdre écrite. Les termesde et "bitches"sont souventremplacés par "Niggaf ou "Bytch, commenous pouvons le trouverdans I'album de Tupac Sfictly for my Niggazou encore de Snoop Doggy Dogg For my Niggazand Bytches,une manièie de dénaturerèes mots et de leur accorderune dimensionesthétique. Les rappeursjouent égafementavec les acronymes.Les BWP accordentau vocable "bytch"la significationde "Beautiful Yôung TatentedCottege Honeys'alors que Tupacinsiste sur le fait que le mot higga'est I'acronymede "Nevérlgnonnt, AettingGoaté Accomptished. Les variationsorthographiques et le détoumementde ces vocableJsignalent paiailleurs une résistanceaux stéréotypes.Ce prccessusn'est pas sans rappeler I'utilisationdIu touUie-entendrc"des esclaves. Les rappeursjouent une fois de plusde cetteambiguilé en laissantsupposer plusieurs niveaux d'interprétation possible de leursrimes.

293 défini. < Niggern êst employé de longue date dans son sens neutre par la communautéafro-américaine et fit un grandretour dans les 1960avec le mouvement du BtackPower. Claude Brown qualifie même le terme < nigge:r> de <s25, alorsque ClarenceMajor propose la définitionsuivante : < [nigger]is a racialterm with undertonesof warmthand good will - reflecting,aside from the ironya tragicomic sensibilitythat is awareof blackhistory >.sæ Dans biendes cas, les gangsfazont choisid'utiliser la versionphonétique du sud des États-Unisde < nigga> ou < nigguh) pour célébrer leurc racines origineffes.szTtcNigger n est déjà en soi un vocabletrès chargéhistoriquement et sa versionsudiste est perçuecomme encore plus régressive et insultante.La préférence de ce termeà celuide < nigger) marqueavant tout un aboutissementdans l'évolution de I'identitésocio-économique du Noir.Comme le note R.A'T.Judy, I'emploi de la forme < niggan est une tentativede penserune autre identitéafro-américaine, celle d'individusau boutde la chaîneéconomique. Le termede < nigger> étaitautrefois lié à la fonctionproductive et la valeuréconomique du Noiravant son émancipation. L'emploide < negron reflétapar la suiteune mutation sociale et moraledu Noir.R.A.T. Judyétablit ici le lienentre identité raciale et fonctionéconomique du Noir: A niggais that whichemerges from the demiseof humancapital, what get articùtâteOwhen the field nigger loses value as labor.The nigga is unemployed, null,void.528

Le termede < niggan est d'autantplus subversif qu'il possède une connotation encoreplus péjorative que < niggernet porteles tracesd'une inhumanitét*. Le travail ne pouvantplus définir I'identité sociale du Noir,ce termesouligne en effetI'inutilité de I'individu.En optantpour un terme aussi dénigrant,les rappeursfont preuved'une consciencepolitique. Ce choixmarque la luciditédes rappeursface à l'évolutionréelle du statutsocio-économique de leur communauté53o.lls reconnaissent ainsi les limites de politiqueraciale du gouvemementet du discoursintégrationniste des politiques afro-américains.

525 RobinD. G. Kelley,op.cit., p. 136. 5" Cl"r"n"" Major(ed.), BlackSlang: A Dictionaryof Afro-AmericanTalk, London: Routledge & Kegan Paul,1970, p.85. 527 Nor" rappellercnsque les Afro-Américainssont en maioritéorig-inaires du Sud des Etats-Unisqu'ils ont quittétors'des grandes migrations après notamment les deuxconflits mondiaux. 528 n.R.T.Judy, qp. cit.,p.212 u" tbid.,p.214 uto R.l.T. Judy,op. cit.,p.214.

294 En délaissantn nigger) pour < niggan, les gangstazfigent à jamais cette iden1té < ghettocentrique> et se démarquentainsi du discours nationalisteet afrocentriste.Cette désignation permet également de tisserun lien identitaireau sein du ghettoet marqueune consciencede classe< second-classcitizen rru3t. Dans un morceauintitulé < Straightup Niggan, lce T délimitecette identité dans un contexte socio-économiqueen se démarquantici de la middleclass pour finir par se définir comme< niggerD o.t K nigga>. Ce termedevient ici le signifiantde race,de classe,de pauvreté,d'oppression et de violence: I'ma CapitalN-ldouble-G-E-R... Blackpeople might get mad Causethey don't see Thatthey're looked uPon Asa niggajust like me llm a nigga,not a coloredman or a black Or a negroor an African-American- I'm all that Yes,lwas bornin Americatoo. Butdoes South Central look like America to you?532

Dans ce morceau, lce T affirme son identité < ghettocentrique> par la négation: < ['m] not a coloredman or a black/ora negroor an African-American>. Le rappeurrejette ici la successiondes diversesacceptions de I'identitéafro-américaine à I'instarde W.E.B.Dubois qui répondaitdans Cn'srs533 à un jeunehomme sceptique: < lf men despiseNegroes, they will not despisethem less if Negroesare called < ColoredD or < African-Americansnss. lce T se définit alors comme < nigger>/< nigga n, I'aboutissementde ses diversesidentités I <' Contrairementaux afrocentristes,les gangstarappers revendiquent une fois de plusleur personnalitéaméricaine. lls réfutentla < doubleconscience > de leur identité africaineet américaineen s'affichantcomme résultat syncrétique de I'Amérique.Le < niggan, bien que produitde I'exploitationcapitaliste, est donc inémédiablement américain.En s'acceptantcomme produit du ghetto,les rappeursdénoncent I'injustice socialeet exprimentune certaine lucidité fataliste face au destinde leurcommunauté.

53' RobinD. G. Kelley,op.cit., pp. 13&138. u3' f." T, "StraightUp Nigga",OG: Ortginat Gangster(Sire, 1991). 533 Org"n" de pressedu NMCP. (WilliamL. Andrews,ef aL(eds.), op.cit.,p. 184.) uil W. E. B. DuBois,Writings,New York LiteraryClassics of the UnitedStrates, 1986, p. 1220.

295 Dans < Niggazfor Life,ru'u, NWA maintientque tous les < nègres> sont des < nègres) par essence,qu'ils le veulentou non.lls distinguentles <) et les domestiques(n house niggers>). lls reprennentainsi la rhétoriquede MalcolmX qui soulignaitdans de nombreuxdiscours la divisionentre les classes existant depuis I'esclavage.Les rappeursétablissent à nouveauun lien entre la négritéet le statut économique,reprochant à leurtour à la bourgeoisienoire leur lâcheté : You'rea niggertil' You die lf you'rea poornigger, then you're a poorbigger lf you'rea richnigger, you're a richnigger Butyou never stoP being a nigger Andif youget to beeducated, you's an educated nigger.sto

Même s'ils revendiquentune négrité,les gangsta rappersn'adhèrent pas toujoursaux idéesutopistes des afrocentristeset des nationalistes.lls exprimentavant tout le væu de ne pasfaire de politique: <

All thosemotherfuckers who say theytoo black Putem overseas,they be beggin'tocome backil1

Le rejet de I'héritage africain est perçue par la middle c/ass afro-américaine comme une haine de soi menant au suicide racial. Si les MCs tournent en dérision cette africanité,c'est qu'ils refusent I'artificialitéde cette identité.lls opposent ainsi la

u35 tlwA, "Niggazfor Life",Efrt4nggin(Ruthless, 1991). u36 NWA,"Niggaz4Life" , Niggaz4Life(Priority, 1991). 53t D, Dre,'Let Me Ride', The Chrcnic(DeathRow, 1992). 538 'Get WC andthe MAADCircle, Up On That Funk",Ain't A DamnThing Changed (Prtority, 1991). 539 L"s exemplessuivants sont cités dans Robin D. G. Kelley,op'cit.,p. 119' s0 f Cube,'Endangered Species (Tales of the DarkSide)", AmeriKKKa's Most Wanted (Priority, 1990). ""

296 démarcheidéologique de l'éliteau réalismesocial des ghettos.Malgré une critique fucidedu discoursnostalgique des précédentesécoles rap, les gangstazfontl'éloge de la négrité: <542. Dans I'imaginairedes rappeurs,le qualificatifde < nigger)) ou < nigga> apparaîtdonc comme une valorisationde I'identiténègre. ll est entreautre associé au personnagedu n badniggern, cet individurebelle et marginalisé.lce T en fait non seulementun symboled'authenticité et de courage,mais réhabilite aussi I'image du < nègredes champsD, ce Noirde secondezone : 'nigger'. I don'thave a problemwith the word [...]Thefield nigger was in the field, fuckingshit up. They wouldn't conform. They were the realniggers. I wear that term like a badgeof honor.il3

Ce marquageculturel s'opère également à traversI'adoption de I'argotdu ghetto,un sous-genrede I'anglaisafro-américain vernaculaire, et plusparticulièrement du hip hop stang.Ce choixest fait dansle but de mieuxdiffuser leurs messages aux habitantsdes inner cifiesauquels ils s'adressenten premierlieu. L'emploide I'argot renforcepar ailleursI'impression d'authenticité et les problèmesévoqués se dessinent avecplus de vérité.ll permetde créerun simulacrede spontanéitéet de familiarité. L'emploidu s/angmarque aussi une affirmationde soi et, à traverselle, du groupe socioethniquedes rappeurs.Dans son discours,le rappeur affirme son indépendanceet sa liberté de penséeen refusantde se soumettreaux normes établies.Cette quête de la différenceest égalementperceptible dans sa forme graphiqueet phonétique*. Le slangscelle I'identité socioculturelle des habitantsdu ghetto,il est la marqued'une appartenance à un groupeéconomiquement défavorisé, socialementexclu et opprimé.ll portede plus les stigmatesd'un passédouloureux et son emploiprocède d'une conscience collective. L'argotdéfin1 aussi une frontièresymbolique. Ce sont les rappeursqui à leur tour érigent symboliquementune < barrière raciale>. lls veulent se distinguer culturellementdes classes dominantes, êî maintenant selon la formule

s' 1"" Cube,"The Nigga ya Loveto Hate",AmertKKKa's Most Wanted (Priorig, 1990). s' 1"" Cube,When WillTheyShoot', The Prcdator(Priority, 1992)' il3 1""T & HeidiSiegmund, op.cit.,p. 104 . * On constateque les gangstaz-Leur favorisent une prononciationappuyée du ghetto, censée refléter I'authenticitéde leurs prop-os. quête de la différenceest fualement perceptible.dans la forme gËËniq,léOl Èur "staw".les gangstaioptent souvent pour une esthétisationde la graphiede leur slang én honorantdans de nombreuxcas les mob d'unemajuscule' Voirpp. 59€0.

297 bourdieusienneu*une distanceculturelle en modifiantpar exempleconstamment leur terminologie.uouEnfin, en optrantpour une langueinformelle, méprisee et péjorative,ils excluentsymboliquement toute idée de communicationpossible avec le pouvoir dominant.lls opèrentainsi une mise à distanceet remiseen questionde I'ordreet des valeursdes autorités. Lesrappeurs donnent I'impression de s'adresseruniquement à la communauté du ghetto.lls souhaitentnéanmoins se fairecomprendre par le restede la société.Le hip hop slang,à I'origineun jargonculturel cryptique, est victimeaujourd'hui de son succès,puisque la jeunesseblanche I'emploie en partie. Ce slang,ainsi que I'ebonicsilTont largementinfluencé I'anglais américain standard. Big L offre ici un cours de < criminal slang) pour les non-initiésdans le titre < Ebonics>' Cette démarchetrahit partiellement la volontéd'être diffusé et entendude tous : Checkit, myweed smoke is mYlYe A kiof cokeis a Pie WhenI'm lifted,I'm high Withnew clothes on, l'mfly Carsis whipsand sneakers is kicks Moneyis chiPs,movies is flicks Also,cribs is homes,jacks is payphones Cocaineis nosecandy, cigarettes is bones t...1 Smilin'ischeesin', bleedin' is leakin' Begginis bummin,if you nuttinyou comin Takin'orders is sunnin',an ounceof cokeis a onion A hotel'sa telly,a cellphone's a celly Jealousis jelly,your food box is yourbelly To guerrillamean to use physicalforce Youtook a L, Youtook a loss To showoff meanfloss, uh I knowyou likethe way I'mfreakin'it I talkwith slang and I'ma never stop speakin' it'il8

Nous pouvons donc attribuerà la célébrationmême de cette culture marginale une fonction politique. Marginaliséespar une société qui leur refuse I'accès aux mêmes chances,I'underclass etla poor workingclass se sont forgé des normes et des valeursqui leur permettentde élébrer leur culture.Cette glorificationest renforcéepar

s5 pi"* Bourdieu,La distinclion: critiquesociate du jugement,Paris : Editionsde Minuit,1979. *u AndréJ- M. prévos note que les argob évoluenten permanencecar'la communicationde masse dévoilele senscaché de leursexpressions et que leursconstructions essaiment hors de I'environnement socio-cultureldans lequel elles fonctionnaient à I'origine." (AndréJ.M. Pévos, "La languedes rappeurs: populaireafro- pàrol"r-américaine, et argot noir américain",in Robert Springer(dir.) te texte dans la musique Bem: PeterLang, 2001, pp.173'174.) il7 voir.note 174, p. 55. uot B,gL, "Ebonics",The Big Picture(Priority,2000).

29E le fait que les Afro-Américainsont souffert égalementd'un racisme culturel. L'hégémonieblanche a longtempsélevé le modèleeuropéen et dénigréI'africain. Célébrerla cultureviolente du ghetto,c'est égalementprendre sa revanchesur le modèleblanc en s'affirmantcomme culture autonome à part entière.Une revanche d'autantplus jouissive qu'en brisant le mécanismed'hégémonie culturelle, ce sontles Afro-Américainsqui dominela culturepopulaire américaine et mondiale.

Le < ghettocentrisme> apparaît donc commeune réponseà I'ethnocentrisme blancqui a toujoursperçu I'autre comme une menace à I'intégritédu groupe.On peuty décelerun acte de résistance.Développer une <>, c'est défendreun ensemblede valeurset de modèlesopposés à la culturedominante et la contester, c'est donc s'inscriredans une logique de conflit explicitevis-à-vis du pouvoir hégémonique.D'un point de vue social,cette valorisationde la culturedu ghetto permetde rompreavec la logiquefataliste d'exclusion. Elle est le moyende s'affirmer socialement,de fédérer et d'aider la jeunessedes ghettos à se construireen transcendantle sentimentd'illégalité et d'inférioritésociale'

2.2.3.Stéréotypes I une imageaccusatrice

parceque nousvous haissons, vous et votreraison, nous nous réclamons de la démenceprécoce, de la folie flambante, du cannibalisme tenace.

AiméCésaire, Cahier d'un retour au pays natalsae

A I'inversedes rappeursnationalistes et afro-centristesdont le but est de valoriserI'identité afro-américaine et de détruireI'image du < bad nigger>, les gangsfa rappers endossent le rôle du parangon urbain impitoyableet reproduisent musicalementet textuellementles pathologiesstéréotypées du ghetto: violence, criminalité,toxicomanie, misogynie... Paradoxalement, ces mêmes rappeurs qui accusentles médiasde diffuserune imagefigée des Noirs,usent et abusentde ces mêmesstéréotypes. A I'heureoù RichardHemstein et CharlesMunay publient le très

549 Airé Césaire,Cahierd'un rctour au paysnafal,Paris : PésenceAfricaine, 1986'

299 controversé The BellCuruetuo, dans lequelles auteursavancent que I'intelligenceest racialementquantifiable, une idée qui sembleraitbien ancrée dans la psyché américainesut,les gangstarappers reproduisent le clichédu Noir en tant que sous- homme,asocial et criminelde surcroît.Dans I'ensemble de leurdiscours, les rappeurs forcent délibérémentle trait. Cette stéréotypie,qu'elle soit lexicale,visuelle ou rythmique,fait partiedu jeu théâtraldes gangsfaraps. Nous nous attarderons dans ce chapitresur la stéréotypiediscursive gangsta. Nous verrons que le portraitcaricatural et stéréotypéque les rappeursdressent d'eux-mêmes renvoie une imageaccusatrice à I'auditoireblanc, celle du <

Au lieu de combattreles prejugésraciaux en créant une image < contre- hégémonique,rsuo et de libérerleur discours de toutetrace de poncifsracistes, sexistes ou autres, les rappeursgangsfa ont choisi de créer une image consensuelledu <. Lesrappeurs adoptent ainsi une démarche surprenante en utilisant une fois de plus la techniquede I'inversion.L'homme noir devientun n niggat, la femme,une ( bitch>. Au lieude mettreà mal le clichéinitial, ils choisissentd'inverser I'imageinverse du cliché racistepour mieux transcenderle statut de victime' lls

uuo R. H".rtein, Ch. Munay, TheBetlCurve, New York FreePress, 1994' uu' Ur1"étude entreprise en 1990par te NationatOpinion Research Center a démontréque la moitiédes Américainsnon-noirs jugent les Afro-Américainsmoins intelligenb que les Blancs,les suspectentd'être que moinspatriotiques. 'du 62%i'entre euxestimaient que les Noirssontfainéants et 78%qu'ils necomptent sur les aides gouvemementpour vivre. (Farai Chideya,Dont Bglievettre Hype: FightingCultunl is informationAbout-African-Americans, New York: Penguin Books, 1995' p' 182.) 552 stephanieGrimm, op. cit.,p.34. s53 fceT, 'straightUp Nigga", OG: OiginalGangsfer(Sire, 1991). us voir.à ce proposnote 121, p. 35.

300 reproduisentau final une imageencore plus caricaturaleque I'initiale,comme s'ils souhaitaientpar cettedouble négation annuler I'effet de stéréotypie.ll ressortde ce procédéalambiqué le désird'exorciser leur identitéen la vidantdes prejugésraciaux. Le gangsfarap appaÊîtici commeun discoursde négrituderévoltée, s'exprimant dans la < négationde la négationdu nègre> pour reprendrela thèsede Sartre.sutCette stratégiediscursive est, par ailleurs,explicitement soutenue par les rappeurseux- mêmes,notamment 2 LiveCrew dans < In the Dust> : I'mstereotyped, soI fitthe description A niggerhas a stigmafor pushin' or pimpin'.ss6

La reconstructionà I'identiqued'une imagefigée du < bad nigger> participe d'une démarchecomplexe à diversesfonctions. La logiqued'autodiabolisation conscientenous renvoie tout d'abordaux observationsde RalphEllison dans /nvisrble man à proposde I'invisibilitédes gens de couleur: < de I'identitéafro-américainess8. Les rappeursn'hésitent pas à reprendreà leur comptela < métaphorede la jungle,r55t, en faisantnotamment usage dans leurs vers de vieuxtermes racistes aussi péjoratifsque ,

555 J"an-P"rl Sartre,Sifuafrbns ltl, Paris: Gallimad,1949, p' 229-286' La nfuritudeincame selon Césaire le refusde s'assimileret de se perdredans I'Autre.Sartre la définit ainsi àommeI'affirmation identitaire par la nfuation. Nouspouvons en ce sens rapprocherla démarche des rappeursde celledes auteursde la négritude,pour lutter contre l'état d'infériodté dans lequel les Noirs étaieniienus, les rappeursprennent en effetle rôle nfuatif qu'ilsont héritéde la traditioneuropéenne et le transformenten quelquechose de positif,en lui donnantplus d'intensité,en le rcvendiquantcomme un momentde la consciencede soi. 556 2Liu" Crew,"ln the Dusf, NewJack City [Soundtnck/ (Wamer, 1991). 55t R"lphEllison, tnvisibteMan, New York: Random House, 1994 (1952), p. 3. uut Voi, notede basde page142,p. 145. 559 Ni"k DeGenova, op. cit.,p. 106. uuo H"nry LouisGates Jr citédans The Source,N'l00,January 1998, p. 5'4. u6t 1." Cube,"The Predato/, Ttre Prcdator(Priority,1992).

301 terreur>>562, et traduisent la penséede ClaudeLévi-strauss qui écrivait: < Le barbare, c'estd'abord celuiqui croit à la barbarie>s3. L'idéologieconservatrice a su asseoirl'exclusion actuelle de la communauté afro-américaineen véhiculantI'image d'un groupeethnique composé de délinquants parasites,dealers, prostituées sidéennes, filles-mères, ... lce T résumeainsi le profil psychologiquede ce fruitcauchemardesque du ghetto: I ama nightmarewalkin' Psychopathtalkin' Kingof thejungle Justa gangsterstalkin...sa

En insistantsur I'identitépathologique des habitantsdu ghetto,les gangstaz témoignentaussi de la stagnationde la situationdes Afro-Américainset confrontent ainsi les Blancsà leur responsabilité.565Les rappeursont en effet consciencede la compositionde leur publicet saisissentcette aubaine pour renvoyer à cet auditoirela culpabilitéde la déchéancede leurcommunauté : << I'm a productof yoursins > rappe Lil' Nationsuu.On peutsupposer que les gangsfarappers s'adressent aux Blancsdans I'espoirde les guérirde leursprejugés racistes.567 A l'instard'Aimé Césairedans < Cahierd'un retour au pays natalu568, les hérautsdu gangsfarap n'hésitentpas à invoquerla démence,le cannibalisme,que ce soit parexaltation, par révolte ou par provocation.lls retournentainsi le clichéraciste et font ressortirnon plusle nègrejovial et simplet,mais la menacedes forcesprimitives que représenteI'homme de couleur.A I'instarde RichardWright qui créa son

uu'Ni"k DeGenova, op. cit.,p. 107. 563 Cl"ud" Lévi-Strauss,Race et Histoire,Paris : Gonthier,1961,pp' 19-20. 5il 1"" T, "Colors",Co/ors fsoundtrrck] ltVamer, 1988). uuu Cor." I'on montréClark et Fanon,I'exposition permanente à des stéréotypesnfuatiÊ fait que les membresde groupes oppdméslntériorisent ces mêmes stéréotypeset il en résulte un sentiment d'infériorité,voîre une reôètitionde ces mêmesstéréotypes. (Kenneth Clark, Dark Ghefto:Dilemmas of SocialPower, Hanover, NH: WesleyanUniversi$ Press, 1965 ;Franz Fanon,Peau noirc,masque blanc, Paris: Le Seuil,Esprit, 1975 (1952). u66 'Ballad CpO feat.MC Ren, of a Menace', To HeltaN B/ack(Capitol, 1990). Stt D"n, le bien-nommé"Stereotype", le rappeurhardcore Kam choisitd'énumérerdemanière presque linéairela sommedes pÉjugésque les Blancsont à leur encontre.En rappantde manièrecondensée et surun airenjoué tous ces clichés peu fiatteurs, Kam aspire à lesmoquer: ;eig fat extrâ-crispybucket of chiôken/2liter of pepsi-cotadrinkin' ass", "Talkin' slang and walkin'with a radTo/Drippin'sweai on basketballcourtso, "inventin' a newkind of handshakeffoget they pictureon a box 'teenage 'Br.rt of pancaie mit', grandmas', prayin' aint all yve_.do,see/Next we play bingo and barbecueflhemàays I àouù praise the lod and still gamble/Now,I just kick it and finish this watermelonfOausel'm the stereotype..'" Kam,"Stereotype", Neva Agarn (Atlantic' 1993). 568 voir citationplus haut p. 299.

302 personnage de Bigger Thomas de telle sorte qu'il ne puisse inspirer aucune compassion de la part des lecteurs blancssGe,les gangsfaz n'attendent aucune complaisancede la partde leurauditoire : Whathave You left me? Lastnight in coldblood a youngbrother got shot My homeboYgot jacked My mother'son crack 'cause Mysister ain't work herarms show tracks Madness,insanity Livein profanitY Thensome young punk claimin'they're understanding me Giveme a break!570

ll s'agit pour les rappeurs d'interpellerla société blanche qui vit dans ses quartierssécurisés pour se protégerdu dangerque présententles inner cities: Societywishes for mydeath, or mydownfall Butthey're playin theyself, as if theyplayin some roundball Causel'm terrorizin,the territoryI'm steppin on Endangerincitizens while l'm keepinmy weapon on Myhip like a PsYcho[...] ln otherwords, I'm a badmotherfucker! So nexttime I walkyour streets you should know To lockyour doors, and close your windows Andif youwas thinkin that protection could stop me It takesa continent,full of niggazto dropme Andfor me to be viciousYo it's valid WhileI'm conductin and Producin A balladof a motherfuckinmenace

'l'm a menaceto societY...'Ix2l

Killem andkill another mercy my only incapacity StartedbY killin mY own mother Maniacalmadman, son of MePhisto t...1 Fineto go to Hell,since lwas an embryo A criminal,cold standin in a gangstapose Steppinwith Renthe Villain slappin up all the hoes Yourmother your sister your daughter your wife And if you was reincarnatedI would snatch your second life In it for the money,down for me mpelf and I Yousee, and fuck the communitY

u69 Ri"h"rd Wrightécrit à proposde Uncle'sTom Chitdrcn,le romanqui a préédé la publicationde NafiveSon: nVhen the reviewsof that book beganto appear,I realizedthat I had madean arrfullynalve. mistake. I good found that I had writtena bookwhÈh even-bankers'daughters could readand weep overand feel aUdui.t sworeto myselfthat if I everwrote another book, no one wouldweep over lti thgt !t would be so thatihey wouldhave to face it withoutthe consolationof tears.lt wasthis that mademe get nàrOanO deep 'How'Bigge/ to work in dead eamest."(Le texte was bom" est publiédans RichardWright, Nafive Son' NewYork HarperCollins,1998 (1940), p'454.) 570 1." T,'Colors",Colors [Soundûack](Wamer, 1988)'

303 I knowin conclusionthat death is mydestiny Butfuck it, beshootin motherfuckers that's left to me Sowrite my malevolent epitaph, put it inthe book of Guinness Andtitle it. The Ballad of a Menace.sTl

Les gangstazse rient des peurs fantasméesen manipulantles clichésde terreurque sontla négritéet la violence.u" Le Noirest dépeintici commele géniedu mal : <. Lesrappeurs font ainsi planer la menace d'unepossible invasion territoriale de Noirsdans les quartiers résidentiels blancs. Dans < Home Invasionrrutt, lce T narreI'intrusion de jeunesdu ghettoet les craintesque susciteleur présencesur un territoirewasp. Ces fantasmesde violationphysique et sonore d'un territoireblanc de banlieueapparaissent comme des transgressions jubilatoiresaussi bien pour les interprètesque pour les jeunesdestinataires de leurs messages:< All I want is the motherfuckin'kids!/.../As far as momsbust her in her

goddamn head! >.570 Cette violationsymbolique du territoires'apparente également à une forme de colonisationculturelle à rebourssTs: Everyoneget back,this is a raPjack I'mtakin'your kids'brains, you aint gettin'em back Witha moveof perfection,my dissection Somecall it lethalinjection I'mgonna fill'em with hard drums Bigdrums, bitches, hoes and death, come on andget some I'mnot the niggathat you want to leaveyour kids alone CauseI got mYown oPening-dome kit Andonce again I'm gonna put them under my fuckin' spell Theymight start givin' you fuckin' hell Startchangin'the waY theY walk Theytalk, they act, now, whose fuckin'fault is that? The homeinvader...576

La pochette de I'album Home Invasionreprésente au premier plan un jeune adolescentblanc en train d'écouterdu rap sur son walkman,au milieu de cassettesde rap hardcore et du livre de Malcolm X. En anière-plan de cette illustration,sont symboliséetoutes les peurs ténébreusesintériorisées par les Blancs et véhiculée à

utt 'Ballad CPOfeat. MC Ren, of a Menace", To HetlaN Black(Gapitol, 1990). 5t' b"ll hooks,"Eating the Othef , citédans Matthew T. Grant,op. crf.,text 3, p. 4. 5t3 1." T, 'Homelnvasion', Home lnvasion(Priority,1993l. 5'o tb'd. utu t"rry Portis, "Musiquepopulaire dans le monde capitialiste',in L'hommeet la sæiété, Paris: L'Harmattan,1æ714, n'126, P.76. 576 f"" T, "HomeInvasion", Home lnvasion(Priority,1993l.

304 traversle gangsfarap: la violencebrutale, le viol, la criminalitéet lce T, le rappeur. Cetteillustration veut révéler qu'une révolution insidieuse et viraleest en préparationet que ( I'injectionde la rage noiredans la jeunesseblanche est la dernièreétape de la préparationde la révolution.>>577 S'ils inspirentvolontairement une crainteparanoiaque, c'est avanttout afin de démasquerle racismeblanc, de rappelerà I'ordreles autoritéset la société,mais égalementpour se réapproprierle pouvoir en renversantun instant les rôles d'oppresseuret d'opprimé.Les rappeursne veulentplus poser I'hommenoir en victime,mais bien en agent oppresseur(< I'm from CPT, punk policeare afraidof utt). me/.../becausethe niggazon the streetis a majority...u Les rappeursinversent le statutde victime,ces intrusionss'apparentent à des actestenoristes. D'ailleurs, les Kilfarmyse qualifientde < underworldtenoristsrrtte. lls prennentainsi une revanche symboliqueen tenorisantles massesà traversleurs agressions sonores. Les gangstaz s'approprientenfin le pouvoiren renversantsymboliquement I'ordre social. A I'image du < SignifyingMonkey n qui devient le Lion puissant,le .580 Uneautre manière de vilipenderles Blancs et de sortirdu manichéismehabituel est de retoumerces clichés à I'encontrede ces mêmes Blancs. Les rappeurs répondentau racismepar un racismehyperbolique à fonctiond'exutoire qui permetde dénoncerles pratiquesracistes tout en interpellantI'hégémonie blanche. Dans < Horny Little Devil>>, lce Cube désignele < visage pâle> comme un être diaboliqueet lubrique: Youare the prince of darkness ArchenemY, father of evil Hellborn, demonic, savage, fierce, vicious, wild Tameless,barbaric, uncontrollable, obstinate beasts8l

Autre techniqued'inversion poussée à I'extrême,les rappeusesgangsta mettenten scèneI'archétype caricatural de la femmedu ghetto(< ghettobitch >) en

utt G"org"" Lapassadeet PhilippeRousselot, op.cit',p.124- MatthewT. Grant,op. cd.,texte 3, pp. 4-5. 578 NWA,'Fuck Tha Police', Stnight OuttaCompton (Tommy Boy, 1990). utt Kifl"*y, "Bloodfor Blood', SitentWeapons for QuietWaæ (Priority, 1997). 580 Voi;, à ce sujet Eamest Lamb, "From Coon to Gangsta:the African American ldentity Cri-sis Representedin Pôpuhr Music', in RobertSpringer (dir.), Le brte dans la musiguepqulaire afro- américaine,Bem: PeterLang,2001,pp 139-160. 5ttf"" Cub", 'Homy LittleDevil", Death Ceftifrcate (Priority, 1991).

30s *' affichantune sexualité tapageuse à l'imagede leursconfrères. Ellesrépondent ainsi de fa mêmefaçon que les gangstarappers par le renvoid'une image figée qu'ont les Blancsde la femmenoire en général. Le message gangstademeure cependant ambivalent et nombreuxsont ceux qui doutentde I'efficacitéde tels procédés.Une certaine élite noire accuse notamment les rappeursde promouvoirla violence,ainsi que de livrerune imagedépréciative et nuisibleà la jeunesseentière. En mettanten scènela décadencede la race noire,ils pourraientcontrecarrer les efforts de réhabilitationdes ghettos. L'approchesensationaliste des médiasde la violencecriminelle suscite en effet une levéede boucliersdans la communauténoire, qui leur reprochede ne mettre I'accentque sur les échecsde la communauténoire. lls entretiennentce que Tricia Rosedésignait en 1994par la < diabolisationmédiatique >> (t demonizationrr;s83 à une époqueoù la criminaliténe cessaitde baisser.Mais la suneprésentationmédiatique de ces faitsau quotidienfausse la réalité.La populationaméricaine est inondéed'images de crimesgratuits en apparencequi reproduisentle clichébestial et fantasmatiquede l'hommenoir violent, popularisé dans le filmBifth of A Nationssa' Certainsvoient dans cette réappropriationde stéréotypesla poursuitede la traditiondes n btackfaces)),ces spectaclesde Minstrersutudont les artistesnoirs se noircissaientle visagepour parodier I'image stéréotypée du Noir à un publicamateur de clichésracistes. bell hooks rappelle dans un articleintitulé < Misogyny,gangsta rap, and The Piano,rut' que le messagegangsfa est la réponseà la diabolisationde I'hommenoir fomentée par les médiaset que le messageviolent et misogynegangsta se contentede refléterdes valeurs créées et entretenuespar la sociétéblanche : To whitedominated mass media, the controversyover gangsta rap makes great spectacle.Besides the exploitation of theses issues to attractaudiences, a central motivationfor highlightinggangsta rap continues to bethe sensationalist drama of demonizingblack youth culture in generaland the contributionsof young black menin paÀicular.lt is a contemporaryremake of < Birthof a Nation> onlythis time

582 Tri.i" Rose,Btack Norse, p. 174 u83 Voi, TriciaRose, "Rap Music and the demonizationof YoungBlack Males', rn ThemaGolden (ed.), BtackMate. Representationsof Mascutinityin ContempomryAmertcan A4 NewYork WhitneyMuseum of AmericanArt, 1994, p.149-152. 5e D. w. Griffith,Birth of A Nation,(1915). 58u 'Zip Mi"h"ll" Shockedet BertBull comparcnt le lieu imaginaireque décriventles gangsfazà un Coon ToonTown', ou encoreun "CoonSong Fantasyland'. (Michelle Shocked & BartBull,'L.A. Riots: Cartoons vs. Reafig.ôangster Rappers Preservê White Myth", Bitlbærd, June 20,1992, p. 6, cité dans_Mafthew T. Grant,'O? Gangltas and-Guerillas", Appendx: CutturclTheory/Praxis, Cambridge, lssue 2, 1994'texte 5' p.1) Voir à ce sujetEamest Lamb, op. cif.,pp 139-160. u86 b"fl hooks,outaw Cutturc,p. 116.

306 we areencouraged to believe it is notjust vulnerable white womanhood that risks destructionby blackhands but everyone.When I counterthis demonizationof blackmales by insistingthat gangsta rap does not appear in a culturalvacuum, but,rather, is-expressive of the culturalcrossing, mixings, and engagementof blackyouth culture with the values, attitudes, and concerns of thewhite majority, somefolks stoP listening.587

Si pourcertains, ces procédésd'auto-flagellation renforcent, voire valident les préjugésmettant en relationles critèresraciaux et ceuxde déviance,sE8il convient de rappelerque les procédésdes rappeurssont littéraires,donc calculéset stylisés.La répétitionrécurrente de stéréotypesrelève plus de la critiquesociale implicite que du désir de dévaloriser.la communauténoire. L'emploide clichés tend en effet à démontrerque les Noirsne peuvents'émanciper de la réalitésocio-économique. Les MCs évoquentdans le mêmetemps la diabolisationde l'hommenoir qui depuisla Reconstructionavait été indispensableà la justificationde la ségrégation.Leur démarches'avère donc une recherche d'hypervalorisation de I'image de I'hommenoir qu'ilsreprésentent invincible, refusant tout compromis.

En scellantleur identité d'homme noir dans cette antiphrase constante, les MCs insistentainsi sur I'impossibilitéde changerd'image tant que les prejugéspersistent. Le caractèrepétrifié des stéréotypessouligne la fatalitéde la conditiondes Noirs.À traverscette démarche racoleuse et le désirde choquer,subsiste néanmoins le rêve enfouide renverserà jamaiscette image que les rappeursprojettent d'eux-mêmes. En instaurantla peur,ils cherchent à déstabiliserl'équilibre social, mais plus que tout autre formede rap,les rappeurss'adressent aux Blancsdans I'espoir peut-être de guérirde ses prejugésune communauté qui, paradoxalement, plébiscite ce genremusical.

3. Conclusion: La dimensionpolitique du nihilismegangsta

Commenous venonsde le voir, les gangsfa rappersretranscrivent dans un langageoutrancier I'ambigu'rté des rapportsque les hommesdu ghettoentretiennent vis à vis de la société.lls ont choisipour ce fairede mettreen scèneune violence et un hédonismeexacerbés dans un discoursqui canaliseet amplifieI'appel de détressede

Stt 'sexism b"ll hooks, and Misogyny:Who TakesThe Rap?',p. 26. utt M"l"rn" Karengacité dansBakari Kitwana, qp. cit, p. 35.

307 leurs < frères> plus que toute autreforme de rap commesi la frustrationjusque là contenued'une communauté entière s'étalait au grandjour danstoute sa démesure'Si les rappeursn'ont pas de velléitérévolutionnaire manifeste, leurs récitsexplicites et empreintsde nihilismeparticipent d'une stratégiediscursive qui masque une conscienceimplicitement politique et sociale. Nous rappelleronsque lorsquesort I'albumStraight Outta Compton en 1988, les NWArépondent alors au discoursstructuré et intellectualiséde PublicEnemy et au rap idéologiquede KRS-Onepar un arrêtsur imagesur le misérabilismedes ghettos. En intensifiantla critiquesur le thème de la violencesous toutesses formes,cette nouvellegénération de rappeursrévèlent alors qu'elle n'entretient plus aucune illusion sur f'évolutionsociale des habitantsdu ghetto.Si, par son discours,le gangstarap relatela lassitudeet la démissiond'une communauté, son nihilismediscursif est loin d'êtredéterministe. Ainsi,le nihilismeaffiché par les gangstaztend à dénoncercet état mêmede renoncement.Dans leurs raps fiction, les rappeursaspirent avant tout à dépeindrele mal-êtreexistentiel et à soulignerles failles de la sociétémoderne. La violence expriméedemeure certes symbolique, mais en immergeantI'auditoire dans le monde brutaldes rnnercifies, les MCscherchent à confronterun instantle mondeextérieur au mondeclos du ghetto.Loin de banaliserla violence,ils rendentde la sortesensible à la conditiond'une communauté au borddu suicidesocial tout en clamantà la facedu mondela < justeindignation > des Afro-Américains. Si ce nihilismesemble par ailleurs releverla plupartdu tempsd'un constatd'impuissance, on notedans la narrationdes rappeursla volontéde protagonistesde s'extirperdu ghettopar < quelquemoyen que ce soit>. Les gangsta rappers s'apparententen fait à de véritablesCyniques. lls choisissenten effetde mimerla misèredu ghettopour la jeterà la face du mondeet faireainsi éclater les hypocrisies.Le rappeurgangsta choisit de prendre< le masque de ce qu'il y a de plus odieux[...] et, plutôtque de montrerdu doigtle désespoir utt criminel,il le fait parler> dansun discoursplus que troublant.A I'instarde Diogène qui étaitmotivé par la volontéde choqueret de perturberI'ordre social établi, I'artiste gangstaaspire ainsi à provoquerle scandaledans une perspectiveinformative et pédagogique. Les rappeurss'adressent également à leurs semblablesdans ce même but,

utt G"oç", Lapassadeet PhilippeRousselot, op. cit.,p' 126.

30E celui de susciterun éveil et de les éclairerde manièremaïêutique. En dépit de quelquesexcès quelquesfois discutables,I'exaspération de la violenceest une manièrede stimulerune prise de consciencechez les auditeursdu ghettosans remettreen questionleur droit à exprimercette rage. En célébrantune culture pathologique,l'auto-dépréciation des jeunes du ghettoest égalementcontrebattue par I'affirmationd'une fiertéraciale et culturelle,mais aussi par I'inversionfantasmée et inéditedes rapportsde forcetraditionnels. C'esten effetpour la premièrefois dansI'histoire de la sociétéaméricaine que les Noirsaméricains exhibent avec tant d'ardeur et d'insolenceune toute-puissanceet unebestialité revendiquée face au publicblanc. lls tentent ainsi de véhiculerune image qui va à I'encontredes clichéstraditionnels en abusantparadoxalement de clichésà I'origineeux-mêmes discriminatoires et dépréciatifs.Les artistesrenvoient ainsi la culpabilitéde la communautéblanche et prennentune revanche symbolique sur celle- ci. La miseen scènestéréotypée d'hommes violents qui défientle pouvoirdominant et dominentles femmes,exprime également le souhaitqu'ont les hommesdu ghettode recouvrerune autorité,de s'affirmersocialement ou pour le moins d'imposerune imagenouvelle de I'hommenoir, quasi révolutionnaire' Nousavons pu par ailleursobserver que les gangstarappers ne chantentpas d'hymneà la gloirede I'Afriquemythique, n'incarnent généralement ni nationalisme,ni prosélytisme.En montrantqu'ils sont détachés de toutcourant idéologique et qu'ilsne font aucunedémonstration de lutte des classes,ils font foncièrementpreuve d'un apolitismepolitisé. A exhiber un désintéressementdélibéré de la politique,ils témoignentpar ailleursde l'attitudede replisur soi qui règnentdans les ghettosnoirs et du refusdes valeursmorales et hiérarchiques. Cettevolonté de dépolitiserleur discoursest en outrela révélatricemanifeste d'uneréalité socio-économique. L'adoration exaltée et sanscomplexe de I'argentainsi que la célébrationde I'hédonismeapparaissent notamment comme une révoltecontre l'aliénationet peuvents'interpréter comme un désird'aller à I'encontrede la logique sociale. lls exposent une vision certes puérile d'une société idéalisée,mais communiquentde façondivertissante les rêvesqui hantentune jeunesse sacrifiée. lls revendiquentainsi le droitinaliénable à la < poursuitedu bonheur> à laquelleelle est en droitde prétendre. Lesrappeurs affirment vouloir rapporter simplement les réalitésquotidiennes de la vie du ghetto dans le seul but de témoignersans autre objectif.Leurs rimes s'avèrentnéanmoins plus la théâtralisationd'une réalité obscure que le refletabsolu

309 d'une réalité.En oscillantcontinuellement entre fiction et réalité,ils transmettent cependantun discoursparfois inintelligible qui peut leurrerjusqu'à leur propre auditoire.Les rappeurssemblent s'être eux-mêmes pris à leur proprepiège comme I'attestele conflitentre les deux côtes américainesqui ont eu pour conséquence tragiquela disparitionde Tupacet de NotoriousBlG. Le messagedes gangstarappers n'est donc pas dénuéde contradictionset d'ambiguilés.Les mêmesauteurs qui envoientdes avertissementssur les dangersde la vie criminelleen fontdans le mêmetemps l'éloge. Ces paradoxesse cristallisent dans le discoursparatextuel et les activitésphilanthropiques des rappeurs.Ainsi Suge Knightss,personnage polémique de la scènegangsta et promoteurd'un rap violentet sexiste,financet-il annuellement un jour de célébrationdes mères(< Mother'sDay Celebrationr) à Los Angeles.Master P, autreicône gangsfa fait quantà lui des dons conséquentsaux égliseset institutsscolaires catholiques, et enfin,Eazy E qui ne jurait que par l'< écolede la rue> fut I'initiateurde ReachOne TeachOne, un programme d'aideaux jeunesdu ghetto.setLes exemplesdu mêmeacabit sont légions.Si le gangstarap suscitede nombreuxparadoxes, cultivés consciemment ou non,c'est que le discoursrappé porteprécisément en lui les incertitudesde la communauténoire américaineet les contradictionsde la sociétéaméricaine.

uto Sug" Knightest le fondateurdu labelDeath Row Recods qui a produitles oeuvresdes plus grands artistei gangéfa,citons entre autres Tupac et Snoop Dæg. ll a été maintesfois incarcéréces cinq demièreà ainées tout en continuantà diriger sa maison de disque. Certains l'accusent d'avoir commanditéles assassinatsde Tupacet de NotoriousBIG' 591 www.naa.org.

310 GONCLUSION

Par la musique,cet espritrévolutionnaire s'insinue très facilement et sansqu'on le remarque,comme s'il n'étaitque jeu et que riende mal n'endût sortir.Mais il n'en sortrien d'autre sinon que, se fixantpeu à peu,il pénètregraduellement les mæurs et les habitudes.De là, s'étantrenforcé, il passejusque dans les affairesprivées, arriveensuite jusqu'aux lois et à la constitutionpolitique avec une grande insolence et un grandmanque de retenue,et finitpar tout mettresens dessus dessous [...]. Nullepart on ne modifieles lois de la musiquesans modifieren mêmetemps les dispositionsciviles les plusimportantes. C'est ici que les gardiensdoivent édifier leurposte. Platon,La République'

Thereare a lot of peoplemy age thattalk aboutthe lyricsof rap artists.They are upsetthat the rap artistsspeak of killing,using drugs, the misuseof our women, rippingoff peopleand killingpolice, but theselyrics do not comefrom applesthat havefallen from some other tree. The societysays it wantsthe rappers to cleanup theirlyrics, but the societydoes not want to cleanitself up.

LouisFarrakhan2

L'objet de cette étude était de démontrerla politisationdu rap afro-américainet I'engagement dont il était porteur. Nous avons observé qu'à I'instar des formes musicales qui I'ont préédé, le rap a été I'expressiondes transformationspolitiques, socialeset économiquesainsi qu'une réponseà leur encontre.Ce qui le distingue néanmoins des formes antérieuresde chants noirs, c'est son caractère explicite et subversifquifut à I'originede son succès,certes, mais aussi de la polémiqueentourant I'ensembledu phénomènehip hop. Tout au long de ces pages,nous avons pu, d'une part, mettre au jour la dimension sociale du rap, aborder son rôle informateur, fédérateur, moralisateur, voire éducateur, et révéler, d'autre part, la conscience politiquedu rap hardcore,qu'il soit contestataireou nihiliste. Au cours de nos recherches,nous avons observéque le messagedes rappeurs est par son fond et sa forme politiqueà multiples égards. Audelà de la thématique développéeautour du ghetto, le MC ( assure les fonctionsde porte-voixet de porte-

1 Platon,La Républiqus,Paris: Gamier-Flammarion,p.424, cité dansJacques Attali, Bruifs: Essai sur l'économiepditique de ta musique,Paris : PUF,1981, pp. 5G57' 2 Extraitd'un discoursprononé dansle cadredu Hip-HopSummit enjuin 2001, wwwhsan.org.

3ll paroleut. Lorsqu'ilss'adressent à leurs semblables,les rappeursconsacrent leur énergieà mobiliseret à développerune conscienceidentitaire et politique.Que ce soit en évoquantdes faits historiques, en se référantaux grandesicônes afro-américaines, en condamnantla discriminationou en relatantdes faits urbains,tous les récitsrappés ont pour but de sensibiliserI'auditoire aux problèmesde la communauténoire et d'attiserune conscienceethnique et politique.Modèles aux yeuxde leursadeptes, les rappeurssont devenuségalement des instrumentsde socialisationde massegrâce à leurvisibilité médiatique. Ces artistes ne sontpas pour la plupartdes activistesau sens strictdu terme,ils participentnéanmoins directement à la vie de leur communautéen s'engageantsocialement et en soutenantdes projetssociaux de proximitéou des actionspolitiques. Les rappeursfont mine de se cantonnerdans une languedu ghettopour destinerleur messageà un groupebien défini,nous avonsvu qu'ils permettent toutefoisd'envoyer des signauxau reste de la société.En mettanten exergueles problèmesdes minoritéset en dénonçantI'incompétence politique ou I'injustice,les rappeursoffrent matière à réflexionet exprimentla volontéde faireévoluer la société versplus de justicesociale. Au-delà du texte,la forcedu rapse trouveégalement dans la formede l'énonciation.L'acte même de rapperconstitue une interpellationen soi, uneapostrophe lancée aux autoritéset à la société' Si les rappeursne rappentpas d'uneseule voix, nous avons pu établirque l'élémentfort de leur discoursdemeure la demanded'intégration sociale et économiquede leur communautéaux grandesstructures de la société,et ceci quels que soientles thèmesabordés et la voie choisie.Leurs raps sont révélateursdes problèmessocio-économiques et des faillespolitiques, mais sont aussi le refletdes aspirationsà une égalité de fait. Qu'ils se disent nationalistes,éducateurs, individualistes,maxistes ou nihilistes,les rappeurstraduisent implicitement ou explicitement- parfoismême maladroitement- le désir de tous les membresd'une communautéde jouir pleinementde leur citoyennetésociale et économique,quarante ans après la garantiede leur citoyennetépolitique. Pour ce faire, les rappeursont choisila subversion,I'emphase et souventI'ambiguïTé. lls dénoncentainsi une situation ressentiecomme urgente et exprimentle sentimentde frustrationde plusieurs générationsface à la conditionquasi anachronique de la majoritédes Afro-Américains à I'aubedu troisièmemillénaire.

3 HuguesBazin, La culturehip hop,Paris : Descléede Bouwer,1995' p. 219'

312 Le rap est ainsi le lieu d'expressiond'un besoin de reconnaissanceet d'intégrationsociale, un objectifque les rappeursont aujourd'huiatteint comme jamais personnedans I'histoire noire américaine. lls sontdevenus en effetles ambassadeurs de la cultureaméricaine à traversle mondeet la liste des artistesdevenus multi- millionairesne cessede s'allonger.Cette réussite a valeurd'exemple. Elle valorise en effet I'ensemblede la communauténoire - même si elle le fait parfoisde manière contestable- et la stimuledans sa luttepour I'ascensionsociale. Plus encore que les athlètes et les leaders noirs, les rappeurs incarnentune véritablevictoire sur f'Amériquewasp, une revanche économique, sociale et culturelle,mais aussi politique. Au vu du caractèreparfois explicite et subversifdes textes de certainsraps, les rappeursheurtent I'opinion et interviennentdans le débatpublic. lls vontmême parfois à s'immiscerdirectement dans la vie politiquedevenant eux-mêmes un enjeupolitique et confirmantainsi leur rôle d'agitateurs. On peut néanmoinsreprocher au rap de s'engluerdans des poncifset rester égalementperplexe face aux accès de misogynieet de violencedont font preuve certainsartistes. ll existeen effetune contradiction profonde entre le discoursrappé et I'aspirationréelle de ses auteurs. A traversun discoursparfois obscur pour le grand public,voire pour son auditoire même, les rappeursprennent le risquede desservirles causesqu'ils semblentpromouvoir. En se consignantà des clichésréducteurs, le dangerest en effetcelui de la miseen valeurde personnagescondamnables auprès d'unejeunesse dépourvue de repèresmais aussi la diffusiond'une image tronquée de fa jeunessenoire notammentà traversle gangstarap. Les rappeurssont d'ailleurs apparusces dernièresannées comme des boucs émissaires,accusés d'être les responsablesde tous les maux.Si les rappeursinsistent sur le fait qu'ilsne sontque les symptômesde cettesociété, de nombreuxobservateurs continuent de craindreque le rap n'obstruele véritablecombat auquel se livrentles habitantsdu ghetto,voire sape les effortsde réhabilitationde la communauténoire. Nous avons égalementconstaté que le discours politisé des rappeurs s'apparenteparfois à un amalgameidéologique n'allant pas nécessairementdans le sensd'un véritable projet politique. Les rappeursont en effetdes idéespolitiques et se réfèrentaux grands courants idéologiques ; nous pourrions cependant leur reprocher le caractèreparfois épidermique et velléitairede leurspropos reposant la force de leur discourssur la chargesymbolique des mots et des images. Ces < fragmentsde

313 consciencepolitique >>a n'offrent peut-être pas toujoursde véritablessolutions aux problèmesposés et relèventplus souvent du constat.Les rappeurc ne rejettenten effet ni la société,ni ne proposentd'en construire une nouvelle, car ils demandentavant tout à I'intégrer.Nous avons néanmoinsobservé que la volonté des rappeurs de bouleverserle systèmequi les a engendrésn'est pas si abstraite,à en jugerpar leurs discoursparatextuels et leurs engagementsparallèles qui témoignentd'un désir d'accompagnerleurs propos de réellessolutions sociales et politiques. ll seraitabusif cependant d'accorder aux rappeursun rôlede leaderspolitiques carils n'aspirentpas encore à embrasserune telle carrière, même s'ils jouent d'ores et déjàpartiellement un rôledans le paysagepolitique. On peutnéanmoins leur accorder un rôle d'

4 Bakari Kitwana, The Rap on GangstaRap: Wta Run lt? GangstaRap and Visionsof Black Violence, Chicago:Third World Press, 1994, p. 56. 5 NathanD. Abrams,"Antonio's B-Boys: Rap, Rappers,and Gramscilntellectuals', in PopularMusic and Sociefy,Bowling Green State Universi$: Department of Sociology,19:4' 1995' GeorgeLipsiE, DangerousCrossroads. Popular Music,Postmodemism, and tt:c Pætics of Place, London: Verso,1994. GeorgeLipsitz, "Cruising Around the HegemonicBlock', Cultunl Critique,Winter 1986-87, pp' 157-177.

314 aujourd'huiignorer le rôle symboliqueet I'aurade certainsrappeurs. Symboles de réussiteéconomique et sociale,ils sont égalementdevenus de véritablesicônes révolutionnaires.Depuis sa mort brutale,Tupac Shakur est apparucomme le martyr romantiqued'une générationfoudroyée en pleine jeunesse. Son portrait orne désormaisles mursdes ghettosdu mondeentier, de Wattsà Soweto,à côtéd'autres grandesfigures comme Malcolm X et NelsonMandela' En plus de ses vertus musicaleset divertissantes,I'un des méritesles plus évidentsdu rap est d'avoirsu fédérer.ll est non seulementparvenu à mobiliserla communauténoire et notammentà réconcilierla bourgeoisieafro-américaine avec ses racinesnoires, mais de plusa opéréun rapprochementinédit entre les communautés noireset blanches,plus que les courantsmusicaux qui I'ontprécédé. Le rap a façonné le modede vie et de penséede plusieursgénérations et permisd'unifier culturellement les deux communautés,tout en sensibilisantnotamment la jeunesseblanche aux problèmesdes minoritéset des ghettos. Au-delàdu discoursrappé, le hip hop est devenu I'indicateurde l'évolution profonded'une sociétéaméricaine en pleinemutation ethniqueo et accompagneles bouleversementsdes notionsde raceet de < transracialité>7 que vivent les Etats-Unis à I'heureoù il est devenuun clichéde répéterque ( le plusgrand rappeur est blancet le plus grandjoueur de golf est noir>. Si certainsobservateurs - généralementafro- américains- interprètenll'<< afrc-américanisation > de la sociétéblanche comme un nouveau pillage pur et simple de la culture noire, nullementsynonyme de conscientisationpolitique, la plupartdécèlent dans la progressionde ce phénomène une évolutionsociale, politiqueet ethniquede la société américaineet de sa représentation.Dans un chapitreintitulé < Elvis, Wiggers,and CrossingOver to Nonwhitenessn8, David R. Roedigerqui explore les significationsculturelles et politiquesdes wiggers,avance que la mixitéethnique et culturellede la population américainene permettraitplus de parlerde cultureblanche, allant jusqu'à évoquer

6 CharfesAron, "Black like them", Spin magazine, May-June 1999' p. 69. 7 Dans AmericanSkln, Leon Wynter évoque la Iransracialité'(tnansracialism')d'une cultureaméricaine partagéepar les communautésnoires et blancheset qui ne connaîtplus de lignesde démarcation'A I'heureoù l'autoproclamé"King of Pop' est noir de naissanceet que le plus grand rappeuractuel est blanc,ce phénomèneserait en train d'accompagnerune transformationprofonde de I'identitéaméricaine même.La culturepopulaire apparaît donc commeun moteurdes relationsraciales' (Leon E. Wynter, AmericanSkin. Pop Cufturc,BigBusiness &the Endof WhiteAmerica, NewYork Crown,2002.) 8 David R. Roediger,Cdorcd White: TnnscendingThe Racial Past, Universityof CalifomiaPress' 2002,9p.222-240.

315 f' de celle-ci.Dans un ouvrageà paraÎtre,Why WhiteKds Love Hip-Hop, BakariKitwana demande quant à lui si le hip hopne seraitpas en trainpartiellement de réaliserle < rêve> de MartinLuther King - on peut en effet se demanders'il n'y contribuepas.n La musiquen'est-elle pas dans un processusde pacificationsociale, ( promessede réconciliation>>10, selon Adorno ? S'il est encoretrop tôt pour mesurer I'impactréel du rap sur la sociétéaméricaine, le hip hopet son expressionmusicale semblentnéanmoins être un pas vers la dissolutionde la < barrièreraciale > selonla formulede W.E.B. Dubois. Nous pourrons en conclureque le rapest devenu, grâce au géniemusical et à I'espritdes rappeurs,un véritableoutil de communicationet de contestationpolitique mais aussi le moteurd'une possible transformation de la société américaine.

9 Communicationpersonelle de NamuTucker. 10Cité dans Jacques Attrali, Bruils ; Essai surl'économie politique de la musique,Paris : PUF, 1977,p. 58. Dans SoUl,Amold Shaw décrit la musique,plus pécisémentle rhythm'n'blues,comme un processus d'intégrationet de réconciliationentre Noils et Blancs(Reinbeck bei Hamburg:Rohwolt, 1978, p' 11)'

316 187 (nom)voir définition ( one-eighty-seven>

2 <>

4

40(o.2.),40's (nom)bière (relatif au contenud'une bouteille de bièrede 40 onces) awol,to be < to be absentwithout leave >>, terme militaire signifiant < et par extension < disparaîtrede la circulation>

AK(47) (nom)< AutomaticKalachnikov >, fusil d'assaut russe amped,to be être prêt(e) ave (nom)abréviation d'<< avenue >r bananaclip (nom)un chargeurpour arme automatique bang,to (verbe)- êtreassocié à desactivités de gang - frapperviolemment - baiser bang (nom) - injectionde drogue - excitation - coup,< to havea bang> : baiser base (nom)abréviation de < freebase>, formede cocaïneproche du crackà fumerou à inhaler base,to (verbe)fumer de la < base> basehead (nom)fumeur de < base>

Bed€tuy (nom)contraction de < Bedford-Stuyesant>, quartierde Brooklyn beef (nom)muscle beotchlbeyatch (nom)voir définition suivante. biatch (nom)altération phonétique de < bitch>

bltch (nom)chienne, une salope

3t7 blast,to (verbe)- éclater - fumerde la drogue - jouerde la musiquefort block party (nom)fête de quartier blunt (nom)joint bodycount (nom)décompte des morts bone (nom) - pénisen érection - joint boot(y) (nom)cul boy (nom)mec, pote buck wild, to get se déchaîner buddahhead (nom)fumeur de marijuana buddah (nom)marijuana bum (nom)clodo, bon à rien bust a nut, to jouir,éjaculer bust, to (verbe)- frapper - rapper - se tirer - < bustthis! >: écoute bien ça! busta (nom)crétin buttercupper (nom)chérie, chou can (nom)taule caper (nom)imposteur check it out, to écouter,prêter attention cheese (nom)argent, allocations chill (out),to (verbe)se détendre,se relaxer,< chiller>

Ching€how (nom)chinetoque chink (nom)chinetoque chips (nom)argent

3lE chopsuey (nom)chinetoque chronic (nom)variété de marijuanaconsommée sur la côteOuest

chump,to (verbe)- voler - abuserde

chump (nom)crétin, idiot

clock, to (verbe)- se fairede I'argent(< to clockdollars >) - observer,jeter un ceil - frapPer,flanquer un marron

cock the hammer,to appuyersur la détente

cookie (nom)- jeunot,jeunette - sexeféminin

coon (nom)terme péjoratif pour désigner un Noir,un raton

copper (nom)flic

cos, coz, cuz, cus abréviationde < because>

CPT (nom)Abréviation de Compton,un quartier sud de LosAngeles

crack house (nom)lieu de consommationde crack

cream (nom)argent

creep,to (verbe)avoir des relationssexuelles illégitimes

crew (nom)bande de potes,grouPe

crib (nom)maison, crèche, Piaule

cunt (nom)salope, une chatte

cuss, to (verbe)altération phonétique de <>, jurer

dap (nom)poignée de mainstYlisée < to givea dapn, saluer

ding.a-ling (nom)pénis, zizi

diss, to (verbe)abréviation de < to disrespect>, insulter

dog(g) (nom)terme de la coteOuest signifiant < homie>

dome (nom)caboche

319 dope - (nom)drogue, doPe - (adj.)super, bon(ne) dough (nom)fric, tune

down with, to be soutenir,être du côtéde

drag, in en trav(esti)

duck from, to (verbe)échapper à, esquiver

duck and dodge,to (verbe)passer entre les gouttes, esquiver

dun (nom)Pote

fad (adj.)branché(e), < in >

fiend,to êtreaccro à, êtrehostile à

fiend (nom) - unfana, un mordu,un accro - un toxico

flash,to (verbe)frimer (avec), déballer

flat (adj.)fauché(e)

flow, to (verbe)raPPer

forty (nom)bière (voir plushaut < 40 o.z'>)

freak (nom) - unenymPhomane - un dingue,un fana - un homosexuel

freak,to (verbe)se défouler,s'éclater

fruity (adj.)efféminé

funk (nom) - genremusicalfunk - termequi qualifiela qualitémusicale et I'essence mêmede la musiquenoire

funky (adj') - dégueulasse,puant(e) - cool,branché - qualifieaussi la qualitédu rythmede la musique

G (nom)gangster

game (nom)activités illicites ou criminelles

gang bang,to (verbe)- avoirdes activités criminelles liées à un gang participerà un violcollectif

320 gang-banger (nom) - membred'un gang - personnequi participeà un violcollectif

gank,to (verbe)attaquer

ga(a)t (nom)flingue

gauge (nom)arme

ghetto bird (nom)hélicoptère de la police

glock (nom)pistolet léger autrichien

gold-digger (nom)femme intéressée uniquement par I'argent des hommes

gook (nom)terme péjoratif pour désigner un coréen et parextension toute personne d'origine asiatique

gravy (nom)flouze

groopy (nom)grouPie

hag,a (nom)vieille harPie

ho(e) (nom)saloPe

homeboy (nom)Pote du ghetto

hometroop (nom)(( crew D, gang

homie (nom)pluriel : < homies>, < homiez> abréviationde < homeboy>

hop (nom)espoir

hoochiecoochie (nom) 'sexe féminin - activitésexuelle

hood (nom)quartier, abréviation de < neighborhood>

hunk (nom)beau mec

hype - (nom)rumeur, intox - (adj.)génial(e), cool

hyped (adj.)excitant(e), excité(e)

indo (nom)marijuana indonésienne

jack (nom)flingue

jack, to (verbe)voler, braquer

321 jack-move (nom)vol jerk (nom) abruti,crétin, pauvre type jigaboo (nom)bamboula

joint (nom)endroit, lieu

juice (nom) - respect - énergie - boissonalcoolisée

keep it real,to resterauthentique

key/ki (nom)abréviation de < kilogram>

kike (nom)juif, YouPin

lame (nom)Paumé, crétin

L.M. (nom)Abréviation de < LenchMob >, ( crew> et nomdu labeld'lceCube

loco (adj.)hisPanisme:fou

tow ride,to (verbe)traîner en voituredans les rues

lude (nom)cachet de drogue

mack (nom)mac

maytag (nom)prisonnier quifait la blanchisseriede soncodétenu

MC (nom)< Masterof Ceremonies>r, un rappeur

Miata (nom)modèle de voitureMazda

mic,mike (nom)micro

mix, to be in the êtredans les embrouilles,les histoires

mob (nom)gang, ( crewD

nappy (adj.)crêPu(e)

nightey (nom)nuit

noize (nom)bruit

nookle (nom) - vagin - activitéssexuelles

322 novicane (nom)nom d'un analgésique numberbooktaker (nom)Parieur nut, to (verbe)jouir, baiser nuttin' rien

OG (nom)< OriginalGangstan, un vraigangster one-eighty-seven (nom)référence à un homicidedans le codepénal californien give peaceto, to respecter,faire honneur à pen (nom)abréviation de < penitentiary>, prison

Philly (nom)abréviation de Philadelphie pig (nom)flic pamp (nom)mac, maquereau player (nom)- un baratineur,un hommeà femme - un rappeur - undur

Pound,the (nom)nom de la cliquedu rappeurSnoop Dogg projects (nom)Abréviation de < Housingprojects >, HLMsaméricains pump the gas,to taxerde I'argent punk (nom)vaurien, nase punk-ass (nom)Pauvre mec, nase rap (nom) - un rap - un baratin rep (nom)abréviation de <, représentation represent,to (verbe)représenter (son quartier/son < crew>) scrambler (nom)dealer scrub (nom)nulos seed (nom)enfant, descendance

sell-out (nom)vendu

323 silly-ass (adj.)crétin(e), idiot(e) simitac (nom)lait en poudrepour nounissons

skeezer (nom)saloPe, Pute

slut (nom)saloPe

smack (nom)hérotne

snitch (nom)saloPe

snitch, to (verbe)- piquer,chaparder - tricher

souljah (nom)altération phonétique de < soldier>>, soldat

spliff (nom)joint

spook (nom)terme péjoratif pour designer un noir

spot (nom)lieu de reventeet de consommationde drogue

squab,to (verbe)fraPPer, se baftre

straightup (adj.)vrai, authentique

sucka/sucker (nom) - pigeon,bonne poire - branleur

tha altérationphonétique de < the >

ten (nom)billet de dixdollars

thang (nom)chose

Thugs (nom)nom de la cliquede Tupac

Tom (nom)Oncle Tom

trip, to (verbe)- êtresous I'efiet de la drogue - piquerune crise

twenty (nom)un billetde vingtdollars

U (youD

uzi (nom) pistolet mitrailleur automatique de I'armée israélienne

wack, to get êtrefoutu(e)

324 wax (nom)disque vinyl w-2 (nom)formulaire de déclarationd'imposition

women'stib (nom)libération de la femme

ya altérationphonétique de < you > ou de ( your)

yo altérationPhonétique de < You>

Yo interjectionhiP hoP

Yugo (nom)marque de voituretrès bon marché

325 BIBLIOGRAPHIE

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Radikal,< Le magazinedu mouvementhip-hop > français.

RapPages, autre magazine de référencesur I'actualitédu rapaméricain.

R.ER. Rapet Raggat,bimestrielfrançaisaujourd'hui disparu d'actualité rap et reggae.

The Source:The magazineof hip-hopmusic, culture and politics,mensuel américain de référencequitraite de la musiquerap, mais aussi des questionsde sociétéliée à la communauténoire américaine.

Vrbe,mensuelgénéraliste dédié aux musiqueship hop américaines.

)O(L,mensuel consacré plus particulièrement au rapet à la culturegangsta.

341 2. Sites internet:

a) Hiphop : www.360hiphop.com,site disparu aujourd'hui, lancé par Russel Simmons et dédiéà la culturehip hop. www.allhiphop.com,webzine consacré à I'actualitéhip hop. www.chez.com/hiphopculture,site proposantentre autres un dictionnaireanglais- françaisde s/anghip hop. www.daveyd.com,site indépendantde référencedédié à I'actualité,la cultureet au fait politiquehip hop. www.gayhiphop.com,site consacré comme son nomI'indique à la culturehip hopgay. www.hiphop.com,webzine dédié à la culturehip hop. www.hsan.org,site officiel du Hip Hop SummitAction Network. www.leoslyricscom,base de donnéede textesde chansons. www.ohhla.com,site indépendantoffrant une banquede donnéesexhaustive de textes de rap. www.planetslam.com,site défunt consacré à la cultureslam. www.publicenemy.com,site officiel du groupePublic Enemy. www.rapdict.org,dictionnaire en lignede s/anghip hop. www.riaa.org,site officieldu Recordinglndustry Association of America. www.slameur.com,site consacré à la scèneslam française. www.urbandictionary.com,dictionnaire en lignede slang. www.urbanthinktank.org,première plate-forme officielle de réflexionsur la culturehip hopet sa fonctionpolitique. www.zufunation.com, site officiel de la Universal Zulu Nation.

b) Autressites :

http://enculturation.gmu.edu,sitede la revueEnculturation.

http://usinfo.state.gov,site govemmentaldu lntemationallnformation Prcgrams.

342 www.blackelectorate.com, site créépar CedricMuhammad, chroniqueur, éditorialiste et auteur.Ce site de référencese consacreà I'analyseet I'actualitépolitique liée à la communauténoire américaine et I'ensemblede la diasporanoire.

www.afgen.com

www.africana.com,est un sitelancé à I'originepar HenryLouis Gates, Jr. et dédiéà la promotionde la cultureet de I'histoirenoire américaine.

www.albany.edu.

www.bilkent.edu,portail de la BilkentUniversity.

www.blackpanther.org,site officieldédié à la mémoiredes PanthèresNoires.

www.caag.state.ca.us,site du départementde justice de l'Étatde Califomie.

www.cdc.gov,site gouvernemental du Departmentof Healthand Human Services.

www.census.gov,site gouvemementalaméricain réunissant toutes les statistiques liéesà la populationaméricaine.

www.cnn.com.

www.english.uiuc.edu.

www.ferris.edu,site de FerrisState University.

www.fortune.com,portail du magazineaméricain fortune'

www.g lo ba ld a rk ness. com

www.guerillafunk.com,site du rappeurParis.

www.lehman.cuny.edu,site universitaire de la CityUniversity of NewYork.

www.medialifemagazine.com,webzine sur I'actualitémédiatique américaine.

www.pbs.org/wgbh/pages/frontline,revue frontline électronique d'actualité.

www.progressive.org.

www.synesthesie.com,revue électroniq ue culturelle.

www.sistahspace. com, site womanisfafro-canad ien.

www.tbwt.org, The Black Wotid Today est un site afro-américainindépendant d'actualitéculturelle, économique, politique et sociale.

www.uiuc.edu,portail de I'Univercityof lllinois.

www.urbanisme. eq uipement. gouv.fr

343 3. Filmoqraphie:

Alfen& AlbertHugues, ,(1999).

Affen& AlbertHugues, Menace Il Society,(1993).

CharlieAhearn, Wild Style, (1982).

D. W. Griffith,Birth of A Nation,(1915).

DennisHopper, Colors, (1988).

FoxyBrown, Jack Hill, (1974).

GordonParks Jr., Shafi, (1971).

GordonParks Jr., SuperflY, (1972)

JackHill, Coffy, (1973). 'n JohnSingle ton, Boyz the Hood,(1991).

JohnSingleton, Shafr, (2000).

MarioVan Peebles,New Jack City, (1991).

MichaelCampus,The Mack, (1973).

MelvinVan Peebles,Suveef Sweetback's Baaadass Song, (1971).

NeeleshaBavora, Heike Woosey und Janna Wonders, Bling Bling, (2001)

NeeleshaBavora, Heike Woosey, En WhyCee' (1999)

QuentinTarantino, Jackie Brown, (1997)'

SpikeLee, Do The RightThing, (1989).

TonySilver, Style Wars, (1983)

4. Entretiens:

DaveyD., joumaliste, le 4 novembre1997

Gra nd master Flash, d isc-jockey af ro-a méricain, rencont ré le 25.02.2002.

MichelleLaflamme, enseignante et activisteafro-canadienne, entre février et avril2002

344 NamuTucker, divers entretiens entre 2000 et 2003.

NelsonGeorge, journaliste et auteurafro-américain, le I mai2003.

PF Cuttin',DJ new-yorkais,le 13janvier 2002.

PrincessAnies, rappeuse le 28 mars2001.

RichardWernicke, directeur artistique du labelFour Music (Sony), le 11novembre 97

RobinKelley, professeur à la ColumbiaUniversity, entretiens entre février et mars 2002.

Schowi,rappeur membre du groupede rapallemand Massive Tône, le 25 novembre 99

Scorpio,alias Mr Ness,membre de GrandmasterFlash and the FuriousFive entre 1976et 1983,le 29 avril1999.

SaiânSupa Crew, groupe de rapfrançais, le 20 octobre2002.

Sékou,rappeur afro-américain et membredu groupeFK Allstars,le 28 février2002'

Shurik'N,rappeurfrançais et membredu groupelAM, le 14 avril1999.

Strachi,directeur du label0711,le 14 mai 2001.

Warda,rappeuse interviewée le 15 octobre2001.

Yvonne Bynoe,journaliste, activiste et co-fondatricedu Urban Think Tank. Inc', interrogéeentre février et mars2002.

ZoranBihac, réalisateur de clipsvidéos, le 02 mai 2001.

5. lllustration:

Portraitde Big Pun par JonnathanMannion, publié dans Nichole Beattie and DJ Lindy (eds.),Hip Hop lmmoftals,Berlin: Schwazkopf & SchwarzkopfVerlag, 2003, p. 112.

345 DISCOGRAPHIE

1. Musiqueship hop:

2 LiveCrew, As NasfyAs TheyWanna Be (Lil'Joe Records,1989).

2 LiveCrew, Banned in the USA(Atlantic, 1990).

2 LiveCrew, ls WhatWe Are (LukeRecords, 1986).

2live Crew, NewJack City [Soundtrack] (Warner, 1991).

50 Cent,Get RichOr DieTryin' (lnterscope, 2003).

AboveThe Law,Livin'Like Hustlers(Sony, 1990).

Ali,Heavy Starch(Universal, 2002).

ArrestedDevelopment, 3 Years,5 MonthsAnd 2 Daysln TheLife Of... (Capitol, 1992).

ArrestedDevelopment, Zingalamaduni (Capitol, 1 994).

BeastieBoys, Licensed To lll(Del Jam,1986).

BigDaddy Cane, Long Live TheKane (Warner, 1988).

BigDaddy Kane, lt's a Big DaddyThing (Cold Chillin', 1989).

BigDaddy Kane, lt'sa Big DaddyThing (Warner, 1989).

BigStan, The Corruptor [Soundtrack] (1999, Jive). BizMarkie, All SamplesCleared (Wamer, 1993).

BodyCount, Body Count (Warner, 1992).

BodyCounl, Bom Dead (Virgin, 1994).

BoogieDown Production s, By all MeansNecessary(Jive, 1988).

BoogieDown Productions, Crtminal Minded (B.Boy 1987).

BoogieDown Productions, Edutainmenf (Jive, 1990).

BoogieDown Productions, Gheffo Music: The Blueprint Of Hip Hop (Jive,1989).

BoogieDown Productions, Sex and Violence(Jive, 1992).

36 Boss,Bom Gangsfaz(Def Jam, 1992).

Boss,My Vida Loca[Soundtrack] (Polygram, 1994). BWP,The Bytches(Def Jam, 1991).

Coolio,Gangsfa's Paradise (Tommy Boy, 1995),

Coofio,ft lakes a Thief(Tommy Boy, 1994).

Cormega,The Realness (Landspeed, 2001).

CPO,To Helland Black (Capitol, 1990).

CypressHll, BtackSunday(Col, 1993).

Da LenchMob, Guerillas in ThaMisf(Atlantic, 1992).

Da LenchMob, P/anet of da Apes(Priority, 1994).

De La Soul,De la SoulisDead (Tommy Boy, 1991).

DeadPrez, Lefs GetFree (Relativity, 2000).

DisposableHeroes of Hiphoprisy& WilliamS. Burroughs,Spare Ass Annie(lsland, 19e3).

DisposableHeroes Of Hyphoprisy,Hypocrisy ls The GreafesfLuxury, Fourth & Broadway,1992).

Dr Dre,The Chronic ( DeathRow, 1992).

EFX,Dead Senbus (Atlantic, 1992)

EricB & Rakim,Follow the Leader(Uni, 1988).

EricB & Rakim,Letthe Rhythm Hit'Em (MCA,1990).

Fatback,"King Tim lll (PersonalityJock)" (Spring, 1979)'

FoxyBrown, Broken Silence (Universal, 2001).

FoxyBrown, Chyna Doll(Def Jam, 1999).

GetoBoys, The GetoBoys (Rap-A-Lot, 1995).

GetoBoys, We CanTBe Stopped(Rap-A-Lot,1995).

GrandmasterFlash and The FuriousFive, Adventuresof GnndmasterFlash on the Wheelsof Steel(Sugarhill,1982).

GrandmasterMelle Mel, "Jesse" (Sugar Hill Records,1984).

347 Gravediggaz,The Pick, the Sickleand the Shovel(V2./BMG,1997).

HerbieHancock, Future Shock (Columbia, 1983). lce Cube,AmeriKKKa's Mosf Wanted (Priority, 1990). fce Cube,Death Certificate (Priority, 1991). fce Cube,Kll at Will(Priority, 1990). fce Cube,Lethal lniection (Priority, 1993). fce Cube,The Predator(Priority, 1992). fce Cube,War & PeaceUoL 2): ThePeace Disc (Priority, 2000). lceT, "NewJack Hustle/'(Wamer, 1991). fce T, Colors[Soundtrack] (Warner, 1988). lce T, Homelnvasion (Priority, 1993). fceT, O.G.Original Gangster(Sire, 1991). fceT, Power(Warner, 1988). lce T, RhymePays(Sire, 1987). fceT, Thelceberg/Freedom of Speech(Sire, 1989). lce T, The lceberg/Freedomof Speech(Sire, 1989). fce T, Vl - RetumOf TheReal (Priority, 1996). fceberg, Exit Wounds[Soundtrack] (Virgin, 2001). Jay-Z,The Lifeand Timesof ShaunCarter // (DeathJam, 1999).

Jay-Z,Unreasonable Doubt (Priority, 1996).

Jeru Tha Damajafeat. Afu-Ra, Ghosf Dog: The Way of The Samurai[Soundtrack] (Sony,2000).

JungleBrothers, Done by the Forcesof Nature(Warner, 1989)'

JungleBrothers, Strcight Out TheJungle (Warlock, 1988).

JuniorMafia, Geftin'Money (Atlantic, 1996).

Kam,Neva Again (Atlantic 1993).

KeithLeBlanc, "No SellOut" (Tommy Boy, 1983).

348 Kiflarmy, Sr/enf Weapon s for Quiet Wars(Priority, 1 997).

KoofMoe Dee, Funke, Funke Wisdom (Jive, 1991).

KoolMoe Dee, l'm KoolMoe Dee (Jive, 1987).

KoolMoe Dee, Knowledge is Ktng(Jive, 1989).

KRS-One,Jive's lJnreleased Masters (Jive, 1997).

KRS-One,Kristytes(Koch Records, 2003).

KRS-One,KRS-One (Jive, 1995).

KurtisBlow, "Hard Times" (Mercury Records,1980).

Lil'Kim,Notorious K.l.M. (Atlantic, 2000).

LL CoolJ, Mama SaidKtock YouOut (Def Jam, 1991).

LL CoofJ, Radio(Def Jam, 1985).

LL CoolJ, SuruivalOfThe /l/esf (Def Jam, 1998).

Makaveli,The Don Klluminati: The 7 Day Theory(lnterscope, 1996).

MasterP, The LastDon (Priority, 1998)

MenaceClan, Da Hood(Virgin, 1995).

Mr. Lif,I Phantom(Definitive Jux, 2002).

Mr. Serv-On,Life lnsurance(Priority, 1997).

Mysticaf, Unpredictible (Jive, 1997).

Mystikal,Unpredictaôle (Jive, 1 997).

Nas,///mafic (Sony, 1994).

Nas,/f WasWritten(SonY, 1996).

NotoriousBlG, Lffe After Death...Til DeathDo Us Part(Bad Boy, 1997).

NotoriousBlG, Ready to Die(Bad Boy, 1994).

NW,\ Efil4zaggin'(Ruthless, 1991 ).

NWA, StraightOutta Compton (Tommy Boy, 1990).

OrganizedKonfusion, "Hate", Equinox (Priority, 1997).

Outkast,Southe m pl ayali sticad illacm uzik (Lafaæ, 1994).

349 Paris,Guerilla Funk (Superrappin, 1994).

Paris,Sleeping With The Enemy (Scarface, 1992).

Paris,Sonic Jihad (Superrappin, 2003).

Paris,The Devit Made Me Dolf (TommyBoy, 1991).

Paris,lJnleashed (Whirling Records, 1998).

Pharcyde,Bizarre Ride ll (RhinoRecords, 2001 ).

Prodigy,H.N.l.C (Head Nigga ln Charge)(Relativity, 2000)'

ProfessorGriff and The LastAsiatic People, Pawns in the Game(Deadline, 1991 ).

PublicEnemy, 'fSon of a Bush"(Koch records, 2003).

PubficEnemy, Apocalypse 91... TheEnemy Sfnkes Black (Def Jam, 1991)'

PublicEnemy, Fear of a BlackPlanet (Def Jam, 1990).

PubficEnemy, Fear of a BlackPlanet (Def Jam, 1990).

PubficEnemy, tt Takesa Nationof Millionsto Holdus Back(DefJam, 1988).

PublicEnemy, Muse Srbk -N- Hour MessAge (DefJam, 1994).

PublicEnemy, Yo! Bum RushThe Shorry (Def Jam, 1987).

PuffDaddy, The Saga Continues (Bad Boy, 2001).

QueenLatifah, All Hail The Queen(Tommy Boy, 1989).

QueenLatifah, Black Reign (Motown, 1993).

QueenLatifah, Sunsef Parl< [Soundtrack] (Elektra 1996).

RasKass, Rasassinafion (Priority, 1998).

RBX,Ihe RBXFiles, (Premeditated, 1995).

Run-DMC,Raising Hel/(Profile, 1986).

Saft'n'Pepa,Blacks' Magic (Polygram, 1992).

Scarface,Mr. Scartacels Back(Priority, 1991).

Shyheim,The LostGeneration (Virgin, 1996).

SisterSouljah, 360 DegreesPower(Epic, 1991).

SfickRick, The Great Adventurcs of SlickRtbk (Def Jam, 1995).

350 SnoopDoggy Dogg, Doggystyle (Priority, 1993).

Stetsasonic,"A.F.R.l.C.A" (Tommy Boy, 1993).

StopThe Violence Movement, "Self Destruction" (Jive, 1988).

SugarhillGang, "Rapper's Delight" (Sugarhill, 1979).

SunVarious Artists, One Million Strong: the All-AtarAlbum (Solar, 1995).

TheCoup, Pafty Music (Tommy Boy, 2001).

TheWest Coast Rap All-Sta rs, We're Att in theSame Gang(Warner,1990).

TLC,Oooo ooohhh...On the Tlc Tip(La Face,1gg2).

Too$hort, Life Is Too$hort(Jive, 1989).

Too$hort, Short Dog's ln The House(Jive, 1990).

TrickDaddy, Based On a TrueSfory(Warlock, 1997).

Trina,Da BaddestBitch (Atlantic, 2000).

Tupac,2Pacalypse Now (Jive, 1991 ). Tupac,All EyezOn Me (DeathRow, 1996).

Tupac,Me Againstthe World(lnterscope, 1994).

Tupac,R U StillDown? (Jive, 1997).

UrsulaRucker, Supa Srsfa (K7, 2001).

W.C.and the MAADCircle, AinT A DamnThing Changed (Priority, 1991).

Wu-TangClan, Enter the Wu-Tang(36 Chambers)(RCA, 1993).

Wu-TangClan, Wu-Tang Forever (RCA, 1 997).

Wu-TangClan, The Swarm,Vol 1 (Priority,1998).

X-Raided,The UnforgrVen (Black Market Records, 1999).

X-Raided,Xorcist (Black Market Records, 1995).

Yo-Yo,Black Pearl (Eastwest 1992).

351 2. Autresmusiques:

ArethaFranklin, I NeverLoved a Man TheWay That I LoveYou (Atlantic, 1967).

CurtisMayfield, Curtis (Buddah, 1970).

CurtisMayfield, Sweef Exorcist (Buddah, 1974).

Gil Scott-Heron,Ihe RevolutionWitl NotBe Televised(RCA, 1974).

JamesBrown, Get on the GoodFoot (Polydor,1972)

JamesBrown, Papa's Got a BrandNew Bag (Polygram, 1965).

JamesBrown, Say lt Loud- I'm Blackand I'm Proud(King, 1969).

Lightnin'Rod, Husf/els Convenfion (Douglas, 1973).

MemphisMinnie, "Keep lt To Yourself'(Decca,1937).

Parfiament, Chocol ate Ctfy(Casablanca, 1975).

Slyand The FamilyStone, Dance To TheMusic (Sony, 1968).

Slyand The Family Stone, Sfand I (Sony,1969).

Slyand The FamilyStone, There's a RiotGoing On (Sony, 1971).

The lmpressions,People Get Ready (Rhino, 1965).

The LastPoets, Jazzoetry (Celluloid, 1975).

The LastPoets, The LastPoefs(Douglas, 1970).

352 TABLEDES MAflÈRES

INTRODUCTIONGENERALE

PREMIEREPARTIE : LE RAP,EXPRESSION MUSICALE DU MOUVEMENT HIP HOP lntroduction 19

Ghapitre1. Le hip hop,une culture de la rue 20

1.1.Une culture de ghetto 20 1.2.Zulu Nation,la naissance d'une Nation 1.3.Phifosophie, mode de vie et ccattitude r hip hop 29 1.4.Les autres expressions de la culturehip hop 34 1.4.1 . Expressionscorporelles 34 1.4.2.Arts graphiques 39

Ghapitre2. Le rap, une musiquenoire 45

2.1.Définition et étymologie 45 2.2. La traditionvernaculaire 46 2.3.Langage et parole 54 2.4. Musicalitéet technicité 67

Ghapitre3. Les racinesdu rap 78

3.1.Soul et funk: I'héritagemusical 78 3.2. LesDjs de radio 83 3.3.JamaiQue : aux sourcesdu rap 84 3.4.Le BlackArts Movemenf ou la poésiedu ghetto 87

Ghapitre4. Les écoleset scènesrap 92

4.1. Lespionnierc de la n old schooln 94 4.2. La ( new school> 99 4.3. Le rap < explicite> de Miami 100 4.4. Le rap < gangsta> 100 4.5. Le < Southemrap t et autresgenres 102 4.6.Le rapféminin 4.7 Le rap des < 105

353 DEUXIEMEPARTIE : L'EXPRESSIONSOCIOPOLITIQUE DU RAP ( CONSCIENTD lntroduction 111

Chapitre1. Le rappeur,chroniqueur social 113

1.1.Le messagesocial, expression d'une communauté en crise 114

1.1.1.Dénonciation de la situationsocio-économique des ghettos 114 1.1.2.Dénonciation de la discriminationraciale 117

1.2.L'expression sociale d'une crise intracommunautaire 121

1.2.1.Appel au réveilafro-américain 121 1.2.3.Recherche d'une unité et solidarité 124 1.3.4.Edutainmenf ; Rôle pédagogique et prisede conscience 129

Chapitre2. Le rap protestataire: verc un rap politique 139

2.1.Lapoursuite du combatidéologique des grands leaders 140

2.1.1.Afrocentrisme : Glorification du passéet de I'héritageafricain 140 2.1.2.Intrication du religieuxet du politique 146 2.1.3.La récupérationdes grands leaders 151

2.2.Nouvel activisme politique 156

2.2.1. Discoursanti-hégémonique 156 2.2.2.Critique du gouvernementet de sonsystème génocide 163 2.2.3.Activisme hip hopet actionpolitique 167

TROISIEMEPARTIE : LE NIHILISMEPOLITIQUE DU r GAÂIGSTARAPu lntroduction 180

Chapitre1. Le dlscours nihiliste gangsâ 1U

1.1.Une culture de la violence 186

1.1.2.Le ghetto: lieud'expression de frustrationssocioéconomiques 187 1.1.3.La < black-on-blackviolence n: I'autovictimisationafro-américaine 201 1.1.4.< Righteousindignation n ou la miseà mortfantasmatique de I'hégémonieblanche 213

354 1.2.Le ghetto : Produitdu capitalisme 221

1.2.1.Critique du capitalisme 221 1.2.2. Glorification de I'ultralibéralisme 228 1.2.3.Le capitalismenoir 232

1.3.Sexisme et misogynie 235

1.3.1.Le legs d'une histoire 238 1.3.2. Homophobie et hypersexualité 248 1.3.3.Le rapdes n gheftobitches > 254

Chapitre2. Ambigui'ttédu discours gangsta : un nihilismepolitique ? 261

2.1. La théâtralitégangsta 261

2.1.1.La tradition du < badnigger tt 262 2.1.2.La < pimpculture > 270 2.1.3.Humour << noir >> 275

2.2.Une poétique de la violence 283

2.2.1.Esthétisation de la violence 284 2.2.2.Le < ghettocentrisme>: expression d'une négrité 289 2.2.3.Stéréotypes : une imageaccusatrice 299

3. ConcfusionLa dimensionpolitique du gangstarap ? 307

CONCLUSIONGENERALE 311

GLOSSAIRE 317 BIBLIOGRAPHIE 326 DISCOGRAPHIE 346 TABLEDES MATIERES 353

355