paradis, les grands muets de la fin des années 1920 (dont Le LACHMAN Ed Vent de V. Sjöström) pour une partie du Musée des merveilles...

Lachman semble affectionner les lumières colorées dès Ed Lachman se définit lui-même comme un « nomade Union City en 1980. À propos de Recherche Susan visuel » ou un « caméléon » tant son parcours, le plus souvent désespérément il déclarait s’être inspiré des images de Lajos en marge d'un cinéma mainstream, quand il ne flirte pas avec Koltai dans Le Temps suspendu du hongrois Peter Gothar l'underground, traverse des territoires très différents tout en (1982), mais là où Koltai créait une atmosphère à la fois puisant son inspiration à de multiples sources, assimilées, blafarde et onirique (par un mélange habile et audacieux de digérées et qu'il se réapproprie avec pour fil conducteur, son sources de lumières aux spectres incohérents), Lachman opte goût assumé pour un colorisme qui navigue entre baroque et pour un rendu beaucoup plus chromo, une palette de couleurs hyperréalisme, mais qui renvoie aussi à certaines comédies acidulées façon “Quality Street”, distinguant le monde de américaines des années 1950 (Frank Tashlin, Doris Day...). Madonna de celui de Rosanna Arquette en modulant contraste et saturation. « Je joue toujours avec les gélatines colorées et C'est durant cette première période qu'il retrouve Wenders la température de couleur. (…) On voit les couleurs pour deux documentaires : Nick's Movie en 1980 et Tokyo-Ga dans les films que je photographie parce que j'insiste en 1983. Dans ce dernier, on découvre Yuharu Atsuta, le fidèle toujours sur les contrastes. S'il y a du vert, j'utilise et discret chef opérateur de Yasujiro Ozu, dont Lachman capte du magenta, du bleu, j'utilise du jaune. Une couleur l'émotion lorsqu'il évoque, parfois les larmes aux yeux, sa avance, l'autre recule. C'est ce qui crée des figures et longue collaboration avec Ozu et la façon de placer la caméra. des formes. » (E. L.) Entre ces deux tournages, les pas de Lachman croisent aussi ceux de Jean-Luc Godard pour un projet qui ne verra pas le Si son nom apparaît dès 1974 au générique d'un petit film jour. américain avec le tout jeune Sylvester Stallone (Les Mains dans les poches), sa carrière démarre vraiment au contact du jeune True Stories en 1986, de et avec David Byrne (du groupe cinéma allemand des années 1970, Werner Herzog et Wim Talking Heads), dépeint sur le ton du documentaire une Wenders (puis Volker Schlöndorff quelques années plus tard), amérique comme surgie des images de William Eggleston à avant d'être révélé en 1984 par le film de Susan Seidelman, travers une succession de portraits hauts en couleurs de Recherche Susan désespérément. différents personnages pour le moins insolites, habitants d'une petite ville du Texas. Né le 31 mars 1946 dans le New Jersey, Ed Lachman Après deux comédies aux couleurs sirupeuses – Et la femme poursuit ses études à Harvard mais vient aussi passer un an en créa l'homme parfait de S. Seidelman et Neige sur Beverly France, à Poitiers, pour étudier l’histoire de l’art. Il découvre Hills de Marek Kanievska (après Less Than Zero de Bret alors le cinéma européen, le néo-réalisme (Umberto D. de Easton Ellis) –, on relèvera un style plus naturaliste avec Vittorio de Sica) et la Nouvelle Vague (Jean-Luc Godard). De Volker Schlöndorff (Colère en Louisiane) et Mira Nair retour à l’université de l’Ohio, il commence à tourner de petits (Mississippi Masala). Lachman tourne aussi avec deux figures films influencés par l’expressionnisme et le Pop Art. emblématiques du Nouvel Hollywood : Dennis Hopper En 1974 il collabore à un documentaire des frères Maysles (Catchfire) et Paul Schrader (Light Sleeper et Touch). Mais on (Christo’s Valley Curtain), puis travaille avec l’opérateur le retrouve aussi à Londres en 1991 sur le seul film réalisé par allemand Schmidt-Reitwein (How Much Wood Would a le romancier et scénariste Hanif Kureishi (London Kills Me) et Woodchuck Chuck et La Soufrière réalisés par Werner Herzog en 1995, entre la Californie et le Mexique, pour My Family de en 1976). Gregory Nava qui dépeint la vie de trois générations d'une Passé ensuite à la fiction, c’est au titre d'assistant opérateur, famille d'émigrés mexicains, un film dont l'univers visuel très de cadreur ou d’opérateur seconde équipe que Lachman côtoie maitrisé alterne des séquences aux dominantes “sunset” et des alors des directeurs de la photo prestigieux. Il assiste Robby nuits profondément bleutées. Müller sur L’Ami américain (W. Wenders) et cadre Et tout le monde riait (Peter Bogdanovich) ; il assure la seconde caméra À la charnière des années 1990-2000, sa carrière connait un au côté de sur La Ballade de Bruno (W. coup d’accélérateur grâce au succès des films de Sofia Coppola Herzog), il côtoie en assurant les prises prises de (Virgin Suicides) et de Steven Soderbergh (Erin Brockovich), vues additionnelles sur Le Roi des gitans (Frank Pierson) en deux films qui déroulent un chromatisme apaisé, comme 1978... En 1979, Ed Lachman fut même la “couverture” du débarrassé de références trop prégnantes, jouant même sur le syndicat auprès de pour le tournage de La Luna contrepoint dans le cas du film de Sofia Coppola où la violence de Bernardo Bertolucci. du récit est volontairement tempérée par une image plus douce Devenu chef-opérateur à part entière au début des années et pastel, à la manière de Badlands de : 1980, il est d’abord associé à un certain cinéma indépendant. Il y affirme rapidement une conception particulière de la couleur, « Virgin Suicides est un monde d'enfants, vu à plus exactement des lumières colorées, conceptualisant son travers les yeux des garçons, mais c'est aussi un travail à la manière de Storaro (psychologie des couleurs) tout souvenir. Il y a une grande fluidité, les couleurs sont en assumant une forme de post-modernisme propre aux années douces. Et je voulais qu'on sente le grain. » 1980 qui puise aussi son inspiration à différentes sources : la peinture expressionniste allemande et un théoricien de la En 2001, Simone de Andrew Niccol est une comédie couleur comme Josef Albers, le Pop Art, mais aussi certains satirique sur fond de réalité virtuelle où un réalisateur (Al courants de la photo américaine (Robert Frank mais surtout Pacino) tombé en disgrâce crée une actrice virtuelle dont le William Eggleston, Joel Meyerowitz et Len Jenshel pour la succès dépassera toutes ses espérances. Lachman décline ici couleur) ou le cinéma lui-même : les séries B de Roger Corman une palette de tonalités bistres parfois mises en opposition avec pour Making Mr Right, le sens de l'architecture et de l'espace des fonds verdâtres ou bleutés. Déjà en 1990, avec The Local chez M. Antonioni (L'Eclipse et L'Avventura) pour Light Stigmatic, produit et interprété par Al Pacino, les images se Sleeper ; le film noir pour Blacktrack, les films mexicains voulaient monochromatiques. photographiés par Gabriel Figueroa pour My Family, les films L'année 2002 reste comme une sorte d'acmé dans sa de Douglas Sirk photographiés par Russell Metty pour Loin du filmographie avec Ken Park et Loin du Paradis, deux films aux styles on ne peut plus antinomiques. Le premier, co-réalisé avec 1992 : My New Gun (Stacy Cochran) Larry Clark (célèbre photographe révélé en 1971 par son album 1993 : Dark Blood (George Sluizer) Tulsa, une plongée sans concession dans le monde 1995 : My Family / Rêves de famille (Gregory Nava) d'adolescents toxicos qui jouent aussi avec des armes à feu) 1997 : Touch (P. Schrader) ; Selena (G. Nava) décrit le quotidien violent et tragique de quatre jeunes 1998 : The Limey / L'Anglais (Steven Soderbergh) ; Why Do californiens, confrontés à la violence familiale, physique ou Fools Fall in Love ? (G. Nava) psychologique. Aux antipodes, Loin du paradis est d'une 1999 : The Virgin Suicides (Sofia Coppola) ; Hemingway, the grande rigueur et cohérence formelles, un hommage aux Hunter of Death (S. Dow) mélodrames de Douglas Sirk tournés dans les années cinquante 2000 : Erin Brockovich / Erin Brockovich, seule contre tous (S. avec son génial chef opérateur Russell Metty. Avec Todd Soderbergh) Haynes, Ed Lachman trouve ici une forme d'aboutissement et 2001 : Sweet November (Pat O’Connor) ; S1mOne / Simone de synthèse esthétique aux couleurs exubérantes, ce qui lui (Andrew Niccol) 2002 : Ken Park (L. Clark & E. Lachman) ; Far from Heaven / vaudra une nomination aux Oscars en 2003, mais face à Conrad Loin du paradis (Todd Haynes) Hall qui l'emporte à titre posthume (Les Sentiers de la 2004 : Stryker (Noam Gonick) perdition). 2005 : A Prairie Home Companion / The Last Show (Robert Lachman retrouve Todd Haynes en 2007 (I'm Not There), en Altman) (Sony HDW-F900) 2015 avec Carol puis en 2017 avec Le Musée des merveilles. 2006 : Posledniy poezd so stancii roppongi (Vera Svichina) ; Mais dans une filmographie aussi riche que variée il faudrait Import-Export (Ulrich Seidl) (co-ph: W. Thaler) encore mentionner le dernier film de Robert Altman en 2005 2007 : I’m Not There (T. Haines) (n&b et couleur / 16 et 35mm) (The Last Show) tourné en HD (caméra Sony HDW-F900), 2009 : Life During Wartime (Todd Solondz) (caméra RED) deux films de Todd Solondz, réalisateur provocateur et 2010 : Howl (Rob Epstein & Jeffrey Friedman) controversé (Life During Wartime et Le Teckel) ainsi que la 2011 : Mildred Pierce (Todd Haynes) (Super 16) (série TV) trilogie de l'autrichien Ulrich Seidl (Paradis : Amour – Foi – 2012 : Paradise: Liebe / Paradis: Amour (Ulrich Seidl) (Super16) Espoir). ; Paradise: Glaube / Paradis: Foi (U. Seidl) (Super16) ; Dark On lui doit par ailleurs la mise en images de nombreux films Blood (George Sluizer) musicaux, concerts ou clips : Lou Reed & John Cale, Tina 2013 : Paradise: Hoffnung / Paradis: Espoir (U. Seidl) (Super16) Turner, Elvis Costello, Annie Lennox, mais aussi Karajan et 2015 : Carol (Todd Haines) (Super16) ; Don't Blink - Robert Rostropovich... Frank (Laura Israel) (docu) 2016 : Wiener-Dog / Le Teckel (Todd Solondz) 2017 : Wonderstruck / Le Musée des merveilles (Todd Haynes) B IBLIOGRAPHIE

― Cahiers du Cinéma n° 577, mars 2003 (“Les scénarios visuels d’Ed Lachman” propos recueillis par Stéphane Delorme) ― Entretien dans “ Principal Photography - Interviews with Feature Film Cinematographers ” Vincent LoBrutto (Praegger Publishers, 1999) ― Ed Lachman dans “ Métier : directeur de la photo ” (Quand les maîtres du cinéma se racontent) par Mike Goodridge & Tim Grierson (Dunod, 2014) ― Ed Lachman a publié en 1981 un photo-roman “Chausses-trappes” préfacé par Alain Robbe-Grillet.

F ILMOGRAPHIE

1974 : The Lords of Flatbush / Les Mains dans les poches (S. F. Verona & M. Davidson) (co-ph : J. Mangine) 1976 : False Face (John Grissmer) ; La soufrière (Werner Herzog) (documentaire) 1979 Blank Generation (Ulli Lommel) ; () (ph. additionnelle uniquement ; co-ph : Tak Fujimoto) 1980 : Nick’s Movie (Wim Wenders) ; Union City (Mark Reichert) 1982 : Les petites guerres (Maroun Bagdadi) (co-ph : H. Hölscher) ; Say Amen, Somebody (George Nierenberg) (documentaire) 1984 : Tokyo-Ga (W. Wenders) ; Desperately Seeking Susan / Recherche Susan désespérément (Susan Seidelman) ; The Little Sister (Jan Egleson) (TV) ; Ornette – Made in America (Shirley Clarke) (docu) 1985 : Insignificance (Nicholas Roeg) (séq. USA uniquement ; co-ph : P. Hannan) 1986 : Making Mr Right / Et la femme créa l’homme parfait (S. Seidelman) ; True Stories (David Byrne) 1987 : Less Than Zero / Neige sur Beverly Hills (Marek Kanievska) (n&b et Couleur) ; A Gathering of Old Men / Colère en Louisiane (Volker Schlöndorff) 1988 : Mère Teresa (Ann & Jeanne Petrie) (documentaire) (co-ph : S. Sissel) ; El día que me quieras (S. Dow) 1989 : Catchfire / Backtrack / Une trop belle cible (Dennis Hopper) 1990 : The Local Stigmatic (David F. Wheeler) 1991 : Light Sleeper (Paul Schrader) ; London Kills Me (Hanif Kureishi) ; Mississippi Masala (Mira Nair)