@ Éditions Garnier Frères, 1979 @ L'HYDRE Éditions, 2012 Route du Mont Saint-Cyr 46000 CAHORS ISBN : 978.2.913703.98.8 Habitat et vie paysanne en Quercy Nous remercions le Service Patrimoine du Conseil général ainsi que les Archives départementales du pour l'aide apportée dans la recherche iconographique. À Jean LAFFARGUE, vigneron à ANGLARS-JUILLAC, et à sa longue lignée quercynoise. HABITAT ET VIE PAYSANNE EN QUERCY

Par Alfred CAYLA en collaboration avec Bernard CAYLA Architecte D.PL.G.

Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Conseil général du Lot et du Conseil régional Midi-Pyrénées

L'HYDRE 1 -Dans la diversité des reliefs créés par l'érosion, l'habitat fait un Choix. Le hameau de Ganil, à St-Cirq-Lapopie (canton de St-Géry) s'est implanté dans la plaine alluviale du Lot. La rive gauche, aux falaises abruptes, ne possède qu'une rare végétation d'épineux (1950). Il nous a paru nécessaire de rééditer en totalité, textes et illustrations, l'ouvrage depuis longtemps introuvable d'Alfred CAYLA. Il fut un des premiers, dès 1946*, à attirer l'attention sur l'étude de la vie campagnarde et les beautés qui s'en dégagent. Les résul- tats de quarante années de recherches, de réflexions et de photographies nous décrivent les traditions et les constructions si variées, encore visibles au XXIe siècle. Il nous montre com- ment le monde rural a su s'adapter à l'environnement. Nous devons penser à vivre dans ce cadre admirable en le respectant malgré la modernité qui nous pousse pour offrir à nos enfants des souvenirs du passé qui nous a fait et laissons-leur un environnement où l'homme a toute sa place. Le Docteur Alfred CAYLA est né à Neuilly-sur-Seine où son père exerçait depuis 1875. Dès sa plus tendre enfance il a parcouru le Quercy avec ce père veuf qui l'emmenait à cha- que vacance vers son pays natal. Puis avec son épouse il partagea la maison familiale de la vallée du Lot. Il fut un des premiers à attirer l'attention sur la beauté et les caractères particuliers de l'architecture de nos campagnes. Cofondateurs de l'association des Maisons paysannes de France, il en fut le Président de 1965 à 1971. Cette association sera reconnue d'utilité publique en 1985.

* L'habitation rurale du Quercy et de ses alentours, Coueslant, 1946.

PRÉFACE

Selon l'expression de Pierre Grimai, dans un volume Cela entraîne un mouvement inverse. Les citadins de récent, le Quercy est une terre où la confrontation du passé souche ancienne ou d'immigration récente s'aperçoivent que et du présent se révèle fructueuse. On y sent la continuité de la vie concentrationnaire des villes, dans une circulation la vie, malgré la mécanique générale des travaux de la terre, motorisée de plus en plus dense, est mangeuse de notre des transports et même de la vie domestique. On y voit sur- temps et de notre pensée, veulent s'assurer le bienfait du gir des vestiges de très anciennes traditions, dans les façons calme restant à la campagne, pour les temps de repos ou de de penser, de s'exprimer dans un occitan commun à toute la retraite. Ceux qui en ont obtenu les moyens vont ainsi se France méridionale, mais avec des nuances particulières ; de créer une seconde demeure, en trouvant une maison pay- préparer sa nourriture, avec les mêmes aliments qu'ailleurs, sanne abandonnée ou cédée. Ils vont la restaurer de son de construire des maisons différentes de celles de régions vieillissement normal et l'aménager à leurs besoins actuels. voisines. Il y a là des différenciations dépassant largement les Sans le chercher ils banalisent d'ordinaire une architecture étroits besoins naturels. adaptée à la vie des terriens qui, en créant les terroirs de cul- Cela constitue une civilisation paysanne, née de la terre, ture, ont réalisé les paysages que nous apprécions. au contact de laquelle les hommes se sont formés. Cette analyse objective d'une campagne sans paysans, Civilisation relativement homogène, dans la variété des ter- n'est que le résultat de l'évolution spontanée de notre roirs de culture créés et humanisés par la succession des société, sans que nous en prenions conscience. Nous dilapi- générations. Nous l'évoquerons, avant tout dans l'architec- dons non seulement nos biens actuels, mais les biens futurs ture spontanée, indigène disent les publications anglaises, des générations qui nous suivent ; ceux qui représentent la « vernaculaire » d'après le mot latin. qualité de la vie. Mais on ne peut fermer les yeux aux transformations de Restaurer une maison suppose de bien connaître sa la vie. De toute antiquité, les campagnes ont fourni aux villes conception en rapport avec les productions et le genre de vie une grande part de leur population. Dans une démographie de ceux qui l'ont habité ; mais aussi de réaliser une construc- ascendante, elles n'envoyaient que ceux pour lesquels elles tion où l'on utilise les matériaux courants et leurs techniques n'avaient pas de travail. Y émigraient aussi ceux qui souhai- d'emploi, sans y ajouter des décorations, mêmes prétendues taient ce qu'on nomme une ascension sociale, que la ville rurales, pour attirer le regard. pouvait leur permettre. Si l'on est amené à construire une habitation nouvelle, Or, nous assistons depuis plusieurs décennies, par une on ne pourra profiter de la campagne qu'en la laissant telle progression croissante, à une évolution sociale tendant à qu'elle est, sans l'urbaniser par des constructions disparates ; entraîner la désertification des campagnes. la laisser dans sa simplicité souveraine, sans en faire un de ces Depuis le milieu du XIX" siècle, date de l'apparition des sites de villégiature, par lesquels on a gâché tant de nos côtes chemins de fer, les conquêtes scientifiques en accélération et de nos sites réputés. constante, ont fait naître et s'étendre une industrie qui ne Au-delà de ce point de vue esthétique, il y a la connais- peut vivre que par l'apport de main-d'œuvre qu'elle attire, et sance de la vie du pays. Les historiens actuels se rendent par un système commercial assurant la vente de tout ce compte que leurs études ne doivent pas ne considérer que qu'elle produit en abondance : en un mot, une consommation, l'histoire politique des règnes, des conquêtes ou des défaites, sans période de repos qui compromettrait tout le système. Ce des révoltes ou des révolutions politiques ou religieuses ; ni ne sont plus quelques individus, venant de la campagne vivi- même dans les lettres, les arts ou les sciences. Cette connais- fier les villes, c'est presque la majorité des terriens, attiré par sance est dans la vie quotidienne de cette société terrienne, la facilité de vie apparente de ces villes que touche cette créatrice des terroirs culturaux, des paysages qu'ils ont mutation. Ils abandonnent leurs terres productrices et leurs humanisés. Les citadins peuvent l'y chercher, sans provoquer habitations pour devenir citadins, travailler à une création de de destructions sociales, d'une civilisation traditionnelle plus produits dont il faut obtenir la consommation. créatrice que consommatrice.

2 - Page précédente. Le moulin Darnis, dans la vallée de la Masse, à naturelles de cette architecture fonctionnelle, des volumes ou de Cazals (1949). L'intégration au paysage découle-t-elle des qualités leur sensibilité à la lumière ambiante ? 3 -La Combe de Filhol (canton de Puy-L'Evêque). Parmi les principes élémentaires d'implantation de l'habitat rural, la recherche de la pro- tection apportée par le relief, situation idéale lorsqu'elle coïncide avec le choix d'un sol fertile (1959). SITUATION

Carte administrative du Quercy. Le Quercy est un petit pays de l'ancien régime, dépendant du Tarn-et-Garonne, pris en 1808, lorsque, voulant donner à l'époque de la vaste Guyenne. L'Assemblée constituante, dès une préfecture à Montauban, on a détaché onze cantons au 1790, a fait de ses limites celles du département du Lot. Il faut Lot, ancien Quercy, pour former ce département. Nous en y ajouter quelques communes voisines, mais surtout, le nord étudierons l'architecture. L'ensemble était donc voisin à l'est du Rouergue et de et granitiques, imperméables, où l'eau circule en surface. On y l'Auvergne cantalienne ; au nord du Bas Limousin corrézien ; trouve le point culminant du pays, à Labastide-du-Haut-Mont, à l'ouest du Périgord (Dordogne) et de l'Agenais (Lot-et- à 778 mètres d'altitude. Région assez rude, on lui donne les Garonne) ; au midi, des plaines garonnaises du Toulousain. noms de Châtaigneraie ou de Ségala, rappelant les seules Le nom de Quercy n'est que l'évolution linguistique du productions végétales que put donner ce sol avant que n'in- nom de « Cadurques », par lequel, au temps de César qui tervienne la pratique du chaulage, dans la première moitié du l'employait, on désignait ce peuple, entré en rébellion contre XIXe siècle. Comme dans l'Auvergne voisine, l'élevage y l'envahisseur, en 52 avant notre ère. Il désigne une popula- domine. tion d'une telle particularité que l'Assemblée Nationale Au nord-ouest au contraire, une région sidérolithique, Constituante, en 1790, en a adopté les limites traditionnelles calcaire, assez boisée, confine au « Pays au Bois de Belvès » en pour en faire un département. Elle repoussa son nom tradi- Périgord. Elle porte le nom de Bouriane, le pays des « bories » tionnel pour lui attribuer celui de la rivière qui le traverse c'est-à-dire des fermes dans des clairières. d'est en ouest et formait une voie de communication active. Il faut encore compter une bande de lias argileux, large Géographiquement, il est essentiellement constitué de de 10 km environ, partant du nord près de Cavagnac, vers le causses pierreux et de vallées alternativement larges ou étroi- sud-est près de Livernon et le Lot même. Elle porte le nom tes, dont les nombreuses sinuosités coulent entre des pentes de « Limargue ». Verte et humide, elle contraste, par ses cul- abruptes nommées « cévennes », des falaises verticales et des tures et ses prairies, avec les terres sèches du causse de plaines alluviales fertiles. Gramat. Les ruisseaux qui la traversent ou y naissent, telle Les causses appelés « karstiques » par les géologues, l'Ouysse, se perdent dans les fissures de ce sol karstique n'ont ni l'altitude, ni l'aridité des grands causses du Rouergue quelles abordent. Elles reparaissent jusqu'à 20 km plus loin, ou de la Lozère. Ils n'ont que 200 ou 400 mètres d'altitude et dans un bassin de résurgence, après un parcours de rivière sont traversés par de profondes vallées secondaires, pauvres souterraine. en eau, parfois totalement sèches, lorsque l'eau circule souter- Il n'y a pas dans ce bref aperçu de raisons géographiques raine, dans un sous-sol largement fissuré et creusé de cavités. ou géologiques valables pour une délimitation du pays de Cette eau apparaît ensuite au jour, après un trajet de plusieurs Quercy. kilomètres, dans des bassins de résurgence, ou, rarement, en Il n'y a pas non plus de raisons politiques. Le Quercy n'a chute d'eau dans la paroi d'une falaise. jamais été un fief seigneurial homogène. Il faisait partie de la Les grandes vallées sinueuses du Lot et de la Dordogne, Guyenne, province de la monarchie française. Celle-ci la fai- nées dans le Massif central, coulent l'une et l'autre d'est en sait administrer par un Sénéchal, au rôle surtout fiscal. À la fin ouest, tantôt dans les plaines alluviales tantôt entre des de l'Ancien Régime, celui-ci administrait aussi le Rouergue et cévennes ou des falaises rocheuses. Elles drainent les causses siégeait à Villefranche-de-Rouergue. Les cahiers de doléances par des rivières, affluents dont les plus importants sont la de 1789 s'en plaignaient. Bave et la Cère pour la rive gauche de la Dordogne et le Célé C'est dans la communauté d'une vie traditionnelle, au pour la rive droite du Lot. contact de la terre, dans le folklore de ce groupe humain, Vers le Midi, nées des causses au sud du Lot même, les dans une civilisation paysanne, qu'il faut chercher une cer- vallées des Barguelonne, Lupte, Lemboulas et Lindou, taine raison à la délimitation du pays. convergent du nord-est au sud-ouest, vers les plaines alluviales La langue, et son accent même, est une variété du dia- du Tarn et de la Garonne. On donne le nom de « Pays des lecte occitan, différente par des nuances des parlers voisins, Vaux » à celui qu'elles ont arrosé, en traversant ce qu'on celui du Rouergue, du Bas Limousin, du Périgord et de nomme le Quercy Blanc, parce que la mince couche de terre l'Agenais. Il faut y rattacher les proverbes, les chants, les arable laisse apparaître un sous-sol de calcaire blanc. Il contes et les légendes, les jurons même ; les méthodes de contient d'ailleurs des carrières de belles pierres, rares ail- culture et leur matériel, les modes d'élevage et les habitudes leurs sous cette forme. Elles permettent des constructions culinaires ; jusqu'aux croyances particulières et aux nuances biens appareillées, sur lesquelles nous aurons à nous arrêter. des pratiques religieuses, dans un commun christianisme. Cette zone précède les plaines alluviales dépourvues de Tout cela se retrouve dans l'organisation sociale et juridi- pierre, où l'on construira souvent en terre (cuite ou crue). que inscrite dans les coutumes locales, souvent conservées. Elle dépendait bien du Quercy ; mais administrativement elle On le constate dans les constructions, sur lesquelles appartient au Tarn-et-Garonne depuis 1808. nous devons nous arrêter plus longuement. Nous noterons À l'opposé, au nord-est, les derniers contreforts du les limites que l'on peut constater par l'apparition des types Massif central sont constitués de terrains primaires, schisteux de réalisations habituelles dans les pays voisins. 1 INTRODUCTION A L'ARCHITECTURE QUERCYNOISE '4 - Habitation à Lagarde, commune de Valroufié (canton de canal. Un comble à surcroît est éclairé par desfenestrous carrés, Cahors-Nord). La cave voûtée occupe le rez-de-sol, tandis qu 'une axés sur les arcades de la terrasse (1950). galerie à arcades dessert l'étage auquel on accède par un escalier 5 -Escalier d'une modeste maison sur cave aux Ramonets (canton à bolet. Malgré une couverture de tuiles plates, le pigeonnier- de Cahors-Nord) en 1952. tourelle adopte la même pente que le toit méditerranéen de tuiles INTRODUCTION À L'ARCHITECTURE QUERCYNOISE

La conception de ce qu'on veut abriter est le premier souci La construction, elle, doit répondre aux directives de la de l'homme qui entreprend une construction à cet usage. conception traditionnelle. Mais la nature des matériaux utili- Pour le « brassier », seul, avec sa famille ; la pauvreté sables, les particularités du sol, la disposition du parcellaire l'oblige à la réaliser souvent lui-même, avec les matériaux disponible, et même les désirs particuliers de l'habitant, dont il dispose sur le sol même. entraînent une diversification dans l'aspect. Cela évite la Pour le cultivateur exploitant, désigné en Quercy sous le triste uniformité, sans sortir de la disposition générale tradi- nom de « pagès », il doit protéger son matériel de culture, tionnelle. Chaque maison manifeste la personnalité de la d'artisanat ou de transport, ses animaux de travail ou d'éle- famille, parfois même par les modifications très visibles vage, ses récoltes surtout. Le géographe Albert Demangeon apportées par les générations successives. nous a montré en 1932 que la maison du paysan est un outil En Quercy, le sol, calcaire dans sa plus grande étendue, de travail, plus encore qu'une habitation pour sa famille. Les présente cependant de grandes variétés. Depuis la séche- deux fonctions sont souvent réunies dans une même maison- resse des causses à brebis, l'humidité des hautes terres pri- bloc. La conception de la maison devra répondre, avant tout, maires de la Châtaigneraie, au nord-est, près du Cantal, aux impératifs de l'exploitation principale. Dans une même jusqu'à la fertilité des vallées alluviales. Les matériaux que l'on région, les travaux de la terre étant analogues, la disposition peut utiliser diffèrent plus ou moins d'une région à l'autre. générale de la maison répond à une conception commune. L'architecture soumise, et aux besoins de l'exploitation, Elle devient traditionnelle dans une région et représente un et aux matériaux possibles dans chaque partie du pays, doit élément de la civilisation paysanne du pays. être étudiée pour chacune d'elles. Pour la commodité, nous le ferons, canton par canton, en groupant entre eux ceux traditionnelle dont la conception est commune, sans que la dont les affinités débordent les limites administratives, par- construction présente une triste uniformité. fois factices. Nous aurons ainsi connaissance des conceptions Ces maisons méritent d'être étudiées en premier ; en et des constructions, aussi proche que possible des réalités remarquant qu'elles ont des représentants semblables dans de la vie du pays, de sa civilisation terrienne. d'autres parties du pays, sans que l'on puisse dire que c'est le Pays de polyculture et de division des terres, le Quercy a type traditionnel de tous le pays. de la vigne, dans presque toutes ses parties ; mais il possède Nous relèverons les particularités de conception des autres une région où celle-ci est nettement dominante et où son vin régions. Mais il existe dans la construction et ses techniques a acquis, de longue date, une haute réputation. C'est la basse des points communs. Cela nous amènera à étudier les cons- vallée du Lot : les cantons de Cahors, de et de Puy- tructions depuis les fondations, les murs, leurs ouvertures et l'Évêque. On y trouve en même temps un type de maison plus encore pour les toitures, après ces cantons viticoles. Nous y reviendrons lorsque nous envisagerons l'architecture Nous aurons ainsi vu l'architecture paysanne représen- des autres cantons. Après cette étude par groupes de cantons tant une civilisation terrienne ; avant d'en venir à notre temps différents, nous réserverons un chapitre pour l'architecture de où les paysans ne sont plus seuls à construire dans nos cam- pierres sèches, présente dans les causses pierreux, mais aussi pagnes, et où il est bon d'éviter des erreurs trop visibles dans dans d'autres régions, telle la Bouriane. tout notre pays. L'architecture des dépendances, granges, écuries, berge- Dès maintenant, étudions les maisons de ces cantons de ries, fours, puits et lavoirs, pigeonniers isolés ou en tourelle la basse vallée du Lot. sur la maison suivra, puis celle des moulins de l'industrie ali- 6 -Maison à pigeonnier de grenier desservie par un bolet à arcades, mentaire, la seule industrie jusqu'au milieu du xix0 siècle. Ils au village d Espère (1940). Cette remarquable façade a été depuis utilisaient alternativement les deux sources'd'énergie natu- lors saccagée. relles selon les conditions de la saison. 7 -Bolet à pilier maçonné sur voûte à Espère (1940). 8 - Belles arcades appareillées d'une maison en hauteur du canton de Cahors-Nord, à Espère (1967). 9 - Escalier extérieur à ram- barde maçonnée : Lagarde, commune de Valroufié (1950). 10- Aux Mazets, commune d'Arcambal, canton de Cahors-Sud (1978). Belle construction de plaquettes et de moellons aujourdhui abandonnée. L'habitation à l'étage était desservie par deux escaliers ; le rez-de- chaussée étant occupé par des caves et des celliers voû- tés. CANTONS DE LA BASSE VALLÉE DU LOT : CAHORS, LUZECH, PUY-L'ÉVÊQUE En descendant cette partie de la vallée du Lot, de Cahors jusqu'à Soturac et Fumel, on est obligé de voir qu'il existe une bonne étendue de vignoble, et aussi une disposition des mai- sons d'habitation répondant à une conception particulière. Les maisons présentent à peu près toutes un important escalier extérieur en pierre, amenant à une terrasse, souvent couverte. C'est que cet escalier extérieur conduit à l'habitation à l'étage, surmontée d'un grenier. Le niveau du sol est affecté à l'exploi- tation agricole. On nomme « cave » ce niveau, bien qu'il ne soit pas souterrain, mais parfois solidement voûté en pierre. On ne descend que deux ou trois marches pour atteindre le sol de terre battue. Cette disposition répond à ce que le géographe Albert Demangeon a nommé en 1932 une « maison-bloc en hauteur », sans qu'elle soit très haute, mais parce que les deux fonctions, habitation et exploitation sont réunies dans un même bloc et se superposent entre elles. On rencontre une disposition analogue dans d'autres régions de petits vignobles : Mâconnais, certaines parties de la Limagne et du Vivarais, et dans le pays Nantais, chez le producteur de Muscadet. On conçoit qu'on ne puisse, pour entrer chez soi, traver- ser une cave de vinification donc de fermentation. La diversité des formes de construction des escaliers extérieurs donne une très grande personnalité à chaque maison, et l'oppose à une conception générale commune, pour la disposition des niveaux utilisés. L'autre particularité observée, est qu'il y a toujours une place dans la maison pour les pigeons, soit que leurs trous d'envol soient ouverts au haut des murs porteurs si le toit est de type méditerranéen, soit qu'ils apparaissent dans une lucarne du toit ou dans l'angle du pignon si le toit est de type celtique. D'autres fois encore on a construit un pigeonnier- tourelle sur une partie du toit qu'il domine. Nous en verrons les multiples formes, ainsi que celle des pigeonniers isolés. il - Pigeonnier-tourelle formant arcades au-dessus du bolet, au Ces maisons sont ici maisons de petits vignerons, comme village d'Espère (1952). dans d'autres régions. Ils n'ont pas besoin de grands celliers, ni de vastes chais pour leur récolte. La surface nécessaire à recommandant, conseille de ne l'épandre que pendant la pluie. leur exploitation n'est pas supérieure à celle nécessaire à l'ha- Ainsi dilué il ne brûle pas les semences. On lui attribuait tant bitation. Il sera aisé d'y porter les corbeilles ou les comportes d'utilité qu'on en précisait le partage dans les contrats de de vendange, ou d'en faire sortir les barriques pleines. métayage ou de mariage, et qu'on le vendait au boisseau. Quant au besoin d'avoir des pigeons, il est général dans Viollet-le-Duc écrit dans son dictionnaire d'architecture tout le Quercy, plus que dans toute autre région de France, en 1860 : « Dans les régions méridionales de notre pays, les non pas pour l'alimentation de la famille, la basse-cour et le colombiers sont beaucoup plus petits que ceux des provinces cochon y suffisaient, ni pour la vente, mais parce que, en un septentrionales, mais en revanche, ils sont beaucoup plus temps où l'on ignorait les engrais chimiques, dans un pays sans nombreux ». Ce fait exact a une raison politique : sous l'Ancien élevage fournisseur de fumier, la « colombine » pulvérulente Régime monarchique, avoir un pigeonnier était un privilège des pigeons, était le seul engrais possible. Engrais d'une nobiliaire ou ecclésiastique, les pigeonniers étaient construits telle qualité qu'au temps d'Henri Iv," Olivier de Serres, en le à côté des châteaux, avec un même souci de prestige. Ce privilège était tombé en désuétude dans la France du autour de Cahors, que dans toute autre partie du pays. La sud, depuis le XVe siècle. On l'avait remplacé par la condition vigne a besoin de pentes pierreuses bien exposées au soleil. de posséder assez de terre pour que l'on puisse estimer que Elles sont nombreuses dans presque tout le Quercy ; la vallée les occupants du pigeonnier n'iraient pas se nourrir dans les du Lot en possède aussi. Sur les hauteurs avoisinant la vallée champs des voisins. Ce n'était qu'une condition de proprié- même, on a invoqué l'influence favorable des vapeurs, s'éle- taire. La surface de propriété exigée était très différente vant au niveau de l'eau. Roger Dion nous a donné une raison d'une région à l'autre, l'application était assez lâche, presque pratique plus simple. tout petit propriétaire pouvait réserver une place aux Le vin transporté dans des barriques de bois était une pigeons et même se construire un pigeonnier, dont l'impor- marchandise pondérale, difficile à faire circuler par des che- tance dépendait de ses moyens. mins ràres et mauvais, lorsqu'on n'avait pas d'autre source Il est d'autre part remarquable de constater que la vigne d'énergie que celle des animaux traînant des chariots ou a plus d'importance et de qualité dans la basse vallée du Lot, même portant sur leur dos. On avait besoin du chemin qui marche représenté par la rivière Lot, et ainsi, acheminer La tradition a subi une éclipse grave au moment de l'invasion jusqu'au centre maritime et commercial de Bordeaux une du « phylloxéra » anéantissant tout le vignoble français au marchandise de qualité se vendant dans de bonnes condi- milieu du XIXe siècle. Il a fallu beaucoup d'initiative, de travail tions pour être exportée vers les pays du Nord. Cela n'était et d'intelligence pour remonter une situation que les généra- possible que pour un produit de qualité. De là le soin pris par tions actuelles ont tendance à oublier. Les autres parties du les Évêques, propriétaires d'une grande part de la vallée, pays, aimaient à consommer le vin qu'elles produisaient, à en d'entretenir les passages difficiles de la rivière, d'assurer des vendre autour d'elles, mais l'insuffisance de transports ne passelis là où il y avait des balmes rocheuses, et de régler les leur permettait pas d'en faire un commerce de cette impor- difficultés pouvant se produire entre les bateliers conduisant tance. Cette facilité n'est venue qu'avec l'apparition du che- leurs lourdes « gabarres » et les meuniers utilisant les barra- min de fer et les transports routiers actuels. ges formés par des balmes rocheuses. Un tel commerce inci- tait à soigner le vin, à ne planter que les bons cépages, cet auxerrois à tailler en temps utile, à labourer. Tous ces soins 12 - Façade de la maison reproduite ill. 6 (1956). faisaient du vigneron un prince de la culture, par le travail 13 -A Arcambal (canton de Cahors-Sud). Terrasse à piliers monoli- constant et réfléchi nécessité par la production d'un bon vin. thes soutenant un grenier de séchage (1952). 14 - Ferme au Montat, canton de Cahors-Sud. Le toit médi- terranéen à quatre pentes, est prolongé au pignon pour couvrir l'escalier exté- rieur. Le bolet donne accès à la salle, pièce renfermant l'unique foyer (1950). 15 - Habitation datée de 1848 aux Campagnes, commune de , canton de Luzech. L'escalier est ici ins- crit dans le plan de la mai- son. 16 - Étal de boutique en dalle de pierre, à , can- ton de Luzech (1940). 17 - Le mas de la Roque à . Habitation villa- geoise à double escalier (l'un deux ouvre sur la rue) desservant une ter- rasse à arcades, surmontée d'un pigeonnier-tourelle (1948). 18- Maison à bolet soutenu par des poteaux en bois à Sauzet, canton de Luzech. Le-grenier couvert d'un toit à très faible pente abrite plusieurs pigeonniers. MAQUETTE ET COMPOSITION : L'HYDRE ÉDITIONS CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D'IMPRIMER EN SUR LES PRESSES DE COMPOSERVICES À ANGOULEME

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