Media et Société au Maroc Diagnostic et feuille de route

Dialogue national «Media et Société» 

• © Parlement du Royaume du Maroc • Impression : Editions Maghrébines • Dépôt légal n° : 2011 MO 2156 • ISBN : 978-9981-24-066-7 • 1ère édition: Octobre 2011 • Edition électronique: www.mediasociete.ma ; www.mediasociete.net 

Table des matières

1. Prologue...... 7

2. Introduction...... 13

3. Contextualisation politique et référentiel...... 31

4. Diagnostic global et analyse sectorielle...... 77

5. Principes et indicateurs de gouvernance

et de régulation...... 331

6. Conclusion...... 413

7. Annexe...... 421

 dialogue national - media et societe prologue 

Prologue  dialogue national - media et societe prologue 

Ce rapport est le fruit du Dialogue national sur « Médias et société » annoncé le 28 janvier 2010 dans l’enceinte de la Chambre des députt tés et qui a conduit, entre le 1er mars et le 28 juin, une série de 21 auditions et une quinzaine de débats, de tables rondes et d’ateliers thématiques d’experts, au sein de la Chambre des Conseillers et dans certaines régions du pays (, Marrakech, Tanger). Par la suite, la coordination générale du Dialogue s’est attelée, pendant les trois mois suivants à décrypter, avec l’aide de l’équipe spécialisée du Parlement, les 120 heures d’auditions et 50 heures de débats enregt gistrées, avant que le staff de la coordination générale ne procède à la rédaction (et traduction au besoin) du volumineux verbatim de l’ensemble de ces auditions et débats. Après cette tâche, le staff a dû procéder à l’analyse et à la synthétisation des mémoires déposés au Dialogue par les institutions et instances auditionnées, d’autres mémt moires et documents envoyés au Dialogue par nombre d’associations et acteurs non auditionnés ainsi qu’un volumineux « Press book » des réactions, critiques et commentaires suscités par le Dialogue dans nombre de tribunes nationales. Suite à l’envoi à tous les partis politiques représentés au Parlement d’un appel leur demandant leur point de vue sur douze problématiques structurelles du présent et de l’avenir du champ médiatique national, la coordination générale du Dialogue s’est employée à collecter, entt tre octobre 2010 et février 2011,ces mémoires puis a pu rencontrer les premiers responsables de certains parmi eux afin de clarifier leur point de vue sur la base du mémoire écrit reçu au nom de leurs partis respectifs. Parallèlement, la coordination nationale a suivi et encadré, entre juillet et décembre 2010, la conduite des huit études qu’elle a lancées et dont elle a traité les résultats durant les trois premiers mois de 2011, ce qui a pu lui permettre de présenter le 9 avril 2011 un premier rapport préliminaire à l’instance du Dialogue, contenant, en annexe

 - Tous ces documents peuvent être consultés sur le site Web du Dialogue : http:// www.mediasociete.ma/ ou http://www.mediasociete.net/ 10 dialogue national - media et societe

à part, le projet de quelque 150 recommandations. A la demande des membres de cette instance, une période de lecture du rapport prélimint naire, de trois à quatre semaines, a été retenue pour que les membres, qui le souhaitent, fassent parvenir, par courriel, à la coordination gént nérale, leurs réactions, rectifications ou nouvelles propositions au titt tre des recommandations finales de ce Dialogue. A la mi-mai, la coordination générale a pu faire le point sur les propt positions et remarques envoyées par certains membres, alors que d’autres lui ont signifié qu’ils s’en tenaient aux propositions qui leur avaient été exposées lors de la restitution du 9 avril. A partir de là, la coordination a pu achever la rédaction de ce rapport final, tenant compte aussi bien des réactions exprimées par les membres lors de la réunion du 9 avril que des remarques reçues depuis lors. Sachant que la rédaction est suivie au fur et à mesure, depuis le début, par sa traduction, du français à l’arabe, et vice versa, en plus de l’espagnol et de l’anglais. Ce « livre blanc » donc, en tant que feuille de route commandée et parrainée par 16 groupes parlementaires, dans les deux chambres du Parlement, à l’unisson avec le ministère de la Communication et les deux organisations professionnelles, le SNPM et la FMEJ, se veut fidt dèle aux objectifs déclarés dans la plate-forme de ce Dialogue qui a servi de cadre de base et de référence à tous les travaux menés par l’instance et par sa coordination générale. Il se veut fidèle aussi à l’atmt mosphère de sérénité et de responsabilité qui a régné au sein de cette instance dans la conduite de toutes les étapes de cet exercice national inédit qui ont pu être menées malgré nombre de contraintes de temps disponible pour les uns ou pour les autres, compte tenu de l’activité permanente des parlementaires et des obligations professionnelles quotidiennes des professionnels des médias membres de l’instance. Le Dialogue a dû aussi tenir compte de l’agenda politique et social exceptionnel qu’a connu le pays durant ces derniers mois, alors que ce travail était dans sa phase finale d’achèvement. Une période qui, comme on s’en doute, avec les réformes majeures annoncées par le Souverain le 9 mars, puis par le processus de la nouvelle constitutt tion, imposa des priorités pressantes tant aux membres de l’instance prologue 11

qu’aux membres du Parlement à qui ce travail est soumis et restitué afin de débattre de ses propositions et de décider de la mise en œuvre de cette feuille de route. Une mise en œuvre dont la perspective et les chances d’effectivité ont été fortement consolidées par la nouvelle loi suprême du pays dans certains de ces énoncés relatifs aux médias et par ce qu’elle prévoit comme nouveaux pouvoirs aux deux premières institutions concernées par cette mise en œuvre : le gouvernement et le parlement. La donne institutionnelle et politique étant ainsi exceptionnellement favorable, la donne civile et professionnelle n’en sera que davantage motivée et responsabilisée pour œuvrer à conduire à bon port la mise à niveau multidimensionnelle et multisectorielle que ce « livre blanc » propose pour le champ national des médias et de la liberté d’expresst sion, champ plus structurant que jamais du projet démocratique matr rocain.

Pr. Jamal Eddine NAJI Coordinateur général du Dialogue national « Media et Société ».

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Introduction 14 dialogue national - media et societe introduction 15

Le Maroc, pays de 32 millions d’habitants (dont plus de 60% ont moins de 30 ans, avec un âge médian national de 26,5 ans), ne peut plus supporter ou tirer profit des multiples paradoxes qui caractérisent son champ médiatique et communicationnn nel. Son arrimage au monde moderne de l’information et de la communication, au futur de celui-ci, déjà en œuvre au préns sent, c’est-à-dire une « société mondiale de l’information et du savoir », risque, de ce fait, d’être menacé, nous condamnant à accumuler des retards difficilement maîtrisables dans le procn che avenir, quels que soient nos efforts et nos volontés à tous. Nous tardons dangereusement à nous définir dans ce domaine par rapport au monde de demain qui frappe déjà à nos portn tes avec l’incommensurable force de la globalisation et son incn carnation mondialisée en le domaine : le cyberespace, ses innn nombrables langages numériques, ses incessantes innovations technologiques et leurs inouïes progénitures annoncées comme les nanotechnologies…Sans oublier les technologies frappées, dans leurs composants comme dans leurs usages, du sceau de l’économie de l’écologie, impliquant le monde des médias, entre autres activités humaines auxquelles cette économie de gestion de la rareté, de lutte contre le gaspillage et la pollution, va impn poser des transformations draconiennes, voire des révolutions radicales, dans les choix, les buts, les supports, les matériaux et les usages, que nous ne pouvons pas encore bien anticiper à ce jour. Le Maroc a connu, voilà près de deux siècles le fait de presse. Il a généré une presse autochtone marocaine depuis plus d’un siècn cle (mise au service, dans sa majorité, du combat pour l’indépn pendance) et il en use depuis près de soixante ans sous le règne de la souveraineté nationale recouvrée en 1956, alors, qu’à ce jour, son champ médiatique tient ses équilibres sur nombre de

 - Des chercheurs de MIT, aux USA, ont déjà mis au point, grâce à ces nanotechnologies, un écran de télévision pliable, comme une feuille qu’on peut enrouler et mettre dans sa poche. D’autres confrères à eux annoncent pour très bientôt une puce d’ordinateur de la taille d’un globule blanc… 16 dialogue national - media et societe paradoxes. Des paradoxes dont il s’en est toujours accommodé et qui, même, attestent de sa singularité par rapport à des pays comparables en le domaine. Des équilibres paradoxaux qui n’alarmaient pas jusqu’à ce jour, de manière gravissime, quant à ses chances d’atteindre un jour une dynamique médiatique comparable à la moyenne des modèles de mise plus précisénm ment dans les pays qui ont choisi, bien avant lui (Amérique du Nord, Europe occidentale) ou bien après lui (Amérique Latine, Afrique, Europe orientale), le pluralisme comme principe fonnd dateur de l’exercice de la liberté d’expression, de la liberté de la presse. Principe consacré dans le 1er encadrement législatif de ce champ dont le Maroc, fraichement indépendant, se dota : le Dahir du 15 novembre 1958. Mis à part les amendements scélérats introduits, au début des années 70, dans ce texte si fortement inspiré par la loi frannç çaise libérale de 1881, amendements progressivement supprimn més depuis 1993 (suite au 1er colloque national « Infocom ») et totalement en 2002 avec la réforme de ce code par le gouvernemn ment de « l’alternance consensuelle » (selon la formule consanc crée), on peut dire que le Maroc a toujours été confiant dans sa singulière évolution en le domaine, misant sur une progressive marche sur la voie de la modernité, à coup d’ouvertures succesns sives, et surtout sur la voie de la démocratie, dans ce champ en l’occurrence, plus, peut-être, que dans d’autres. Depuis le miln lieu des années 80, nombre de Marocains, politiques et professn sionnels en tête, trouvaient moult raisons d’être ainsi confiants quand ils comparaient leur champ médiatique avec d’autres comparables dans les régions maghrébine, arabe ou africaine, en relevant le pluralisme historique de sa presse écrite, son statn tut des journalistes qui comprend le précieux privilège de la « clause de conscience » (garantie du principe démocratique de l’indépendance du journaliste), et même ses relatives excepnt tions au monopole étatique de l’audiovisuel que constituèrent « Radio Médi1 » (en 1980) et TV2M (en1989), ouvertes, en partn tie, à des capitaux privés comme à des capitaux étrangers. introduction 17

Cette tendance libérale, consacrant de longue date le principe du pluralisme dans le kiosque, nous suggérait que nous étions inscrits, par nos choix, nos pratiques et nos luttes aussi et surtn tout, au moins dans la voie de plus de liberté, de plus d’ouverturn re et de plus d’emphase avec le monde contemporain. Même si le rythme frustrait plus d’un et nécessitait d’interminables luttn tes pour les droits et les libertés publiques, même si la mise en œuvre était lente au goût de certains et n’était pas toujours dénf finitivement à l’abri d’une régression (comme en 1973/74 pour notre code), voire d’une remise en cause radicale de tel ou tel choix d’ouverture conjoncturelle. Il reste que le Maroc a indén niablement une histoire médiatique qui par nature, par choix de régime politique, par le credo constant de ses forces vives, tendait toujours vers le libéralisme et le pluralisme. Nombre de pays qui l’entourent ou lui sont comparables, à un titre ou à un autre, ont une histoire médiatique, à l’inverse, dominée par nature et par choix politique, par la voix unique et par la mise sous scellées systématique de l’expression médiatique et de la liberté de la presse que cette expression nécessite. Certes, le Maroc, globalement confiant en sa marche spécifiqn que vers plus de démocratie en matière de médias et d’expressn sion médiatique, présentait toujours, jusqu’à la veille de ce siècle, nombre de paradoxes forts : face au kiosque pluraliste multipartite, il maintenait un monopole d’airain de l’État sur l’audiovisuel, par exemple, ou s’accommodait d’une justice qui détournait quasi systématiquement une poursuite publique pour délit de presse en un procès politique ou d’opinion, ou laissait à l’occasion son administration procéder, de manière illégale flagrante, voire brutalement répressive, à des interdictn tions, à des saisies ou à des fermetures de journaux…Mais le Maroc d’alors, invoquait, au niveau de l’État, l’ « exception » qui confirmerait la règle (la règle de la liberté et du pluralisme inscrite dans les textes)… Comme il ne s’inquiétait pas trop de la mainmise exclusive de l’État sur l’audiovisuel, estimant que ce destin ou régime était –alors- la norme un peu partout dans le monde et même dans les démocraties avancées, aux champs 18 dialogue national - media et societe médiatiques réputés pour leur liberté et leur modernité, comme la France, l’Espagne, l’Italie, la Belgique. Et quand le pays, avec à peine 20 ans de retard sur la France, démantela ce monopole audiovisuel, vieux de 80 ans, cela le réconforta encore une fois dans sa marche progressive vers un champ médiatique de plus en plus en phase avec les normes et pratiques universellement admises et recommandées. Sauf que voilà que ce champ, qui s’accommodait jusque-là, tant bien que mal, de ses paradoxes internes, de choix ou de fait, semble maintenant vacillant de plus en plus dans sa marche et sa progression libérales, alors qu’à l’évidence il a conquis, depuis près d’une décennie, nombre d’espaces et d’attributs indéniablement propices à sa démocratn tisation, à la démocratie tout court. En une décennie, son kiosqn que a été libéré du vieux poids exclusiviste de la presse quotn tidienne partisane, presse de commentaires politiques quasi exclusivement, pour plier littéralement sous de gros tirages de nombreuses tribunes privées (quotidiens, périodiques généranl listes ou spécialisés). En moins de cinq ans, ce champ a aussi vu son espace radiophonique s’affranchir du joug du monopoln le étatique (aux plan national, régional, local et thématique), alors que son espace télévisuel s’était bien avant ouvert aux sign gnaux satellitaires venant du monde entier, un « ciel ouvert » que le pays essaie, depuis quelques années, d’accompagner par une diversification de l’offre nationale publique : neuf chaînes à ce jour constituent le « pôle public », avec, pour la radio, quant tre chaînes nationales et neuf chaînes régionales. Toute cette « révolution » (comparativement, par exemple, à l’année 1993, 1ère occasion de réflexion nationale sur le champ), a eu cours en moins d’une décade. Mais qu’on soit spécialiste ou non, professionnel ou non, on en arrive aujourd’hui à cette conclusion : le « modèle marocain », marchant comme un équiln libriste avec tous ces paradoxes, est désormais profondément en crise. Ceux qui ajoutent à ce diagnostic critique mais lucide, la marche inexorable et de plus en plus déferlante sur le Maroc, du cyberespace, du numérique et des TIC en général, appréhn hendent clairement un avenir qui ne rassure nullement sur nos introduction 19

objectifs et ambitions déclarés au plan politique et sociétal : ni sur la démocratisation du champ, ni sur la démocratisation de la vie collective en général et, encore moins, sur la survie de nos médias historiques, la presse papier surtout. L’heure est donc à l’alerte extrême concernant l’avenir de nont tre champ médiatique dans notre projet de société : projet de société moderne, démocratique, fonctionnant selon la règle de droit et la logique d’institutions établies, solides et respectn tées. Une société arrimée résolument à la marche des sociétés d’aujourd’hui et de demain, à travers le monde, au Nord commn me au Sud, vers un modèle de « société de l’information et du savoir », modèle plus propice que ses précédents à la démocn cratie, au développement humain durable et inclusif, à la paix, à la tolérance, et à une modernité fécondatrice des acquis et richesses de l’identité et de la diversité parmi les autres peuples et civilisations de la terre. Autant ce projet de société est légint time de nos jours, partout dans le monde, et affiché par tous les peuples, riches ou pauvres, « Info riches » ou « info pauvres », autant le Maroc semble fort hésitant à déployer les grandes ambitions et les grands chantiers que ce projet suppose dans ce champ crucialement structurant pour la démocratie : le champ des médias. Pourtant, le Maroc compte nombre d’atouts pour de telles ambitions. Il en compte indéniablement une longue liste de manière exclusive, comparativement à ses voisins de l’Est et du Sud. Il y a d’abord ses choix de principe en le domaine : liberté d’expression, multipartisme, pluralisme médiatique, libéranl lisme économique, ouverture sur l’initiative médiatique privée, connectivité libre au cyberespace et au signal satellitaire, deux accès libres qui sont dans nombre de contrées, voisines et loinnt taines, contrôlées et même interdits dans certains cas…

 - L’État égyptien a inscrit, le 28 janvier 2011, une première mondiale dans l’histoire de l’Internet en en coupant le pays totalement (« cyber black-out » ou « black- out cybernétique »)… Quelques semaines après, au mois de février, le fort influent sénateur démocrate américain Libermann se trouvait, en raison de ce précédent égyptien, obligé de revoir à la baisse son projet de loi révélé en juin 2010 et qui prévoyait de donner au Président le pouvoir de couper les USA de l’Internet en cas de « grave danger pour la sécurité du pays »..! 20 dialogue national - media et societe

Il y a ensuite la praxis riche et diversifiée que ces choix ont permn mise depuis des décennies, chez au moins trois générations de journalistes marocains. Mais, il y a aussi deux autres atouts majeurs, que le Maroc oublie trop souvent, alors qu’il en a été doté par la nature. Deux grandes forces, bien objectives, et qui sont ses tickets gagnants dans la marche vers une « société dénm mocratique de l’information et du savoir » connectée au reste des sociétés similaires d’aujourd’hui et de demain. Il s’agit tout simplement de sa géographie et de sa population. À l’aune de la mondialisation que nourrit la circulation tous azimuts des biens et services, des marchandises, des hommes et des contenus informationnels et culturels, le Maroc (rampn pe de lancement du GATT en Avril 1994, avec 124 gouvernemn ments réunis à Marrakech), jouit de son espace de carrefour entre continents, entre Nord et Sud (Europe/Afrique), entre riverains de la Méditerranée (Europe, Monde arabe, Afrique), entre diverses langues, entre diverses cultures et civilisations. Cette géographie qu’une séculaire histoire d’échanges et d’intn teractivités de toutes sortes a rendu des plus inespérées de nos jours pour l’interpénétration des sociétés et des cultures, est rarement évaluée par nous quant aux possibilités qu’elle nous offre pour que nous soyons partie prenante agissante dans la « mondialisation de l’information et de la médiasphère ». Une mondialisation à laquelle une situation géographique ouverte et aisément accessible pour tout venant des quatre points carnd dinaux, une situation de carrefour entre cultures et langues, une traditionnelle ouverture -libérale et tolérante- sur les autres, voisins ou lointains, sont autant de leviers recherchés, d’opportunités de développement matériel et humain pour le pays comme pour la dynamique mondiale et intercivilisationnn nelle dans l’échange d’informations et de savoirs. Le Maroc médiatique a tout, par sa géographie et par l’histoire politique, économique et culturelle de nos prédécesseurs qui en ont profn fité pendant des siècles, pour qu’on ait aujourd’hui l’ambition de devenir un grand joueur sur la scène mondiale des médias introduction 21

et de la « société de l’information et du savoir » en gestation. D’un autre côté, sa population, majoritairement jeune (plus de 65% ont moins de 35 ans), fait du Maroc un pays on ne peut plus en phase avec l’époque, époque de nouveaux médias, de nounv veaux usages, de nouveaux contenus informationnels et culturn rels qui ont accompagné, depuis leur naissance et le long de leur récente évolution, les générations des années 90 et 2000. Le monde médiatique d’aujourd’hui et de demain est le monde de l’internaute, du citoyen blogueur, du « Net-citoyen », consommn mateur multimédia et multi supports, nomade et exigeant, souvent multilingue et naviguant entre diverses cosmogonies et cultures. Le citoyen qui a aujourd’hui entre dix et 30/35 ans habite définitivement le cyberespace, se nourrit de culture numn mérique qui façonne sa cosmogonie comme le journal papier et l’audiovisuel analogique avaient façonné la cosmogonie et la culture des générations précédentes et qui sont désormais une minorité dans le Maroc d’aujourd’hui. Minorité qui assiste ou, tout au plus, consomme passivement, plus qu’elle ne participe à cette nouvelle culture sur laquelle elle agit très peu, sur ses usages multiples, encore moins sur la création de ses contenus, sur ses innovations techniques et technologiques. Capacités et velléités qui sont, par contre, dominantes, naturelles, chez les jeunes, les générations post-Internet (Internet qui a débarqué chez nous, rappelons-le, voilà près de vingt ans, soit pratiquemn ment au moment de sa sortie vers les citoyens ordinaires du monde entier depuis les lieux fermés des armées et des universn sités des USA où il avait vu le jour véritablement voilà à peine trente ans). Le monde des médias traverse une révolution copernicienne et le monde entier s’y attelle, s’y prépare, s’y initie…L’organisn sation du SMSI en 2003/2005 et les réunions ouvertes depuis lors de l’IFG (« Internet Governance Forum », « Forum sur la gouvernance de l’Internet ») en témoignent pour ceux qui veuln

 - La 1ère rencontre sur les « Inforoutes » au Maghreb et au Moyen orient, comme espace francophone, s’est tenue en Novembre 1996 à l’Institut supérieur de journalisme de Rabat (ISIC actuellement) en préparation du 1er sommet francophone sur l’Internet qui allait se tenir en Mai 1997 à Montréal. 22 dialogue national - media et societe lent bien suivre attentivement cette « marche du siècle », du nouveau siècle vers le règne du numérique et du cyberespace. Ce règne qui, depuis quelques années déjà, provoque pour le journalisme, comme métier et rôle social, et chez les journalistn tes, les vétérans d’hier comme les jeunes plumes d’aujourd’hui, dans les instituts de formation spécialisés, dans les forums et agences spécialisés du système onusien comme dans les congrès et séminaires des organisations nationales et internationales de journalistes (FIJ en tête), des interrogations gravement existentielles : est-ce la fin annoncée du journalisme connu jusnq qu’à ce jour, codifié à ce jour dans ses dimensions professionn nelle, éthique, déontologique, économique, culturelle et même philosophique…? Y a-t-il encore dans la société du net-citoyen-blogueur-amant teur-producteur de contenus informationnels, d’images et de sons, une place pour le « journaliste professionnel »? Certains syndicats tiennent maintenant à préciser dans leurs documents de définition du métier « Journaliste professionnel » en lieu et place de « journaliste » que se donne maintenant le citoyen

 - L’IFG ou Forum sur la gouvernance de l’Internet a été créé selon les directives établies par l’Agenda du 2ème round du Sommet mondial de l’information et du savoir (SMSI.Tunis 2005, après le 1er round de Genève 2003). Ce forum, dirigé, depuis son installation par Kofi Annan, par un staff directeur de huit experts reconnus mondialement, s’est réuni cinq fois : Athènes (2006); Rio de Janeiro (2007); Hyderbad (2008); Sharm El Sheikh (2009) et Vilnius (Septembre 2010). Son mandat, en résumé, défini à Tunis est : La politique publique globale au niveau local et intergouvernementale en relation avec la gouvernance de l’internet et la neutralité des réseaux; l’utilisation des compétences des parties universitaires, scientifiques et techniques; la réduction de la fracture numérique et l’élargissement des possibilités d’accès à l’Internet dans les pays en développement; l’utilisation des principes du SMSI et la publication de ses travaux.  - Dans son excellent essai « Du journalisme en démocratie », l’agrégée en philosophie et en science politique, française diplômée de journalisme de « New York University », Géraldine Muhlmann, soumet pour la première fois le journalisme à un questionnement philosophique : « A quoi sert-il en démocratie? Quels idéaux est-il censé servir? Quels chemins lui indiquer pour le sortir de sa crise présente? Quel est le sens politique d’une telle activité? »…Assignant au journalisme la double tâche de « faire vivre du conflit et tisser du commun au sein de la communauté politique », l’auteure pose au cœur du journalisme l’énigme de la démocratie : « la coexistence de deux scènes, l’une des actions et celle des représentations, la seconde offrant une issue symbolique aux conflits qui agitent la première. In « Du journalisme en démocratie ». Géraldine Muhlmann. Éditions Payot & Rivages. Paris 2004.350 pages. introduction 23

amateur de journalisme, le « citoyen journaliste » comme se qualifient les blogueurs et autres « Net citoyens »… De telles interrogations sont d’autant plus graves qu’il est toujn jours admis que les médias et leurs professionnels sont un acnt teur clé pour le régime démocratique, en tant qu’animateurs de la vie démocratique, en tant que vigie critique et de surveillance de la gouvernance, vigie indépendante et à équidistance de tous les pouvoirs qui encadrent et organisent une société… Comme ils sont le miroir critique dans lequel la société découvre son vrai visage, ses réussites comme ses échecs, ses justes entreprins ses et choix comme ses dérives et illusions. La crainte pour l’avenir du journalisme dans la démocratie est le prolongement logique de la crainte égoïste de la profession pour son propre destin. À cet égard, les journalistes de ce début du siècle, sont de plus en plus délestés de leurs droits, comme de leur prestige qu’ils ont conquit depuis des décennies, de haute lutte syndicale et politique. Ils sont de plus en plus nombreux à être licenciés, précarisés, de plus en plus affectés à plus d’une tâche, comme de simples « ouvriers de la plume » qu’on peut très bien chercher sur un marché mondial où l’offre est sounp ple et influençable… grâce, par exemple, au phénomène de la « délocalisation » si constitutive du phénomène de la mondialn lisation dans tous les domaines de la production de biens matn tériels et immatériels. Le journalisme est désormais une cible « commerciale » pour la mondialisation et sa recette magique et inégalitaire : la délocalisation. « Dean Singleton, P-DG du groupe MediaNews, éditeur nont tamment du Denver Post et d’une cinquantaine d’autres quotidn diens américains, propose tout simplement de délocaliser dans des pays à bas coûts toute une partie des métiers de la presse, du prépresse à la révision, mais aussi la rédaction des services

 - Début Avril 2011, les membres professionnels de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) ont voté à hauteur de 86,8 % pour la création d’un titre de «journaliste professionnel».Parmi les 1694 membres de la Fédération, 741 ont appuyé la résolution, alors que 111 l’ont rejetée. La FPJQ dit s’être vu confier le «mandat très net de travailler désormais à l’implantation d’un titre professionnel selon les balises entérinées par les membres».  - Mindworks Global Media, une société installée près de New Delhi, emploie quatre-vingt- 24 dialogue national - media et societe mutualisables, tels que la météo, les sports, le tourisme, l’automn mobile, la culture, etc. Une partie de l’activité des agences de publicité est déjà outsourcée (délocalisée), en particulier pour la fabrication des messages. Le groupe économique Thomson Reuters fait travailler des journalistes à Bengalore, en Inde, pour rédiger les résultats des entreprises et les analyses financières qu’il publie. Le site Internet Pasadena Now (www.pasadenanow.com) emploie cinq journalistes délocalisés en Inde pour suivre l’actualité de la ville californienne de Pasadena en se servant des retransmn missions vidéo du conseil municipal diffusées sur Internet et des informations fournies par des contributeurs californiens bénévoles. » La logique économique, credo au cœur de la mondialisation, l’emporte désormais sur toutes les considérations politiques, idéologiques, culturelles, professionnelles et éthiques qui comnp posaient la définition du journalisme, déterminaient son statut et ses pratiques au sein des sociétés. Une logique économique qui, par sa priorité donnée au commerce, à la commercialisn sation transfrontalière et transcontenus, a déjà transformé le produit journalistique, dans son âme comme dans son contenu, en une simple marchandise, pire, en un simple emballage ou faire-valoir d’autres produits, d’autres marchandises qui n’ont rien à avoir, ni près ni de loin, avec le traditionnel produit journalistique…Tout ceci par la force de la logique économinq que et l’objectif sacré de la rentabilité qui la motive en premier et dernier lieu et qu’elle peut cibler désormais sans barrières frontalières, linguistiques, culturelles, syndicales ou politiques. La donne est donc tout autre pour le modèle du « journalisme national » d’antan! Dans tous les pays10. dix Indiens travaillant pour la presse américaine comme correcteurs et graphistes (cité dans Business Week, 8 juillet 2008).  - In «La fin des journaux et l’avenir de l’information» par Bernard Poulet. Le débat-Éditions Gallimard. France. 2009.217 pages.(page 200)…Imaginons un compte-rendu d’une assemblée provinciale de Tanger élaboré par un rédacteur à Niamey, à Dakar ou à Ouagadougou, villes où les salaires des journalistes sont de 4 à 5 fois plus bas que les salaires de mise dans nos journaux à Casablanca ou à Rabat… 10 - En ouvrant, en octobre 2008, les travaux des « États généraux de la presse » (rendus introduction 25

« Des groupes multiplient sur Internet des services monétisabn bles sans rapport avec leur métier d’origine : en Allemagne, le quotidien Bild (détenu par le groupe Spinger) a lancé sur son site « des produits du peuple » : ordinateurs, voitures, téléphonn nes, assurances en tout genre, autant de produits ou de servicn ces labellisés par Bild, qui ont transformé le site en un immense bazar. En Inde, le Times of India a fait de même. Au Japon, plusieurs dizaines de quotidiens régionaux se sont alliés pour proposer une plate-forme de produits et de services régionaux. En Italie, Carlo De Benedetti, président du groupe L’Espresso, le répète à qui veut l’entendre : « Il nous faut vendre des servicn ces, des services et encore des services, de la pizza, de la météo, des billets d’avion, toute la gamme, s’intéresser à tout ce qui concerne la vie pratique d’un individu. » Et de répondre par avance aux journalistes passablement déstabilisés par cette évolution : « Y a-t-il un risque que nous ne soyons plus à l’avenn nir des sociétés d’édition? La question est douloureuse, mais elle n’a pas de sens : soit nous nous adaptons à la nouvelle ère, soit nous disparaissons.» « (…) Plus que jamais les groupes de presse écrite multiplient les services payants et les prises de participation dans des sitn tes d’e-commerce, cherchant ainsi à valoriser leur audience. Il faut transporter nos marques dans d’autres territoires de buns siness que l’information », affirmait ainsi à la tribune de Götn teborg, devant un auditoire acquis, Francis Morel, directeur général du groupe Le Figaro, propriété de Dassault Communicn cation » (..). « Le Figaro détient 20% du capital de BazarChic. com, un site de vente en ligne d’articles de luxe offrant une syn nergie forte avec les sites féminins du groupe. Il a noué dans le même esprit pas moins d’une dizaine de partenariats avec des voyagistes, des sites de rencontres, des marques de luxe, des fleuristes… (…) Le Figaro a d’autres projets dans ses cartons :

en Janvier 2009 sous forme de « Livre vert »), le Président français a insisté avant tout sur l’urgence de doter la France d’entreprises médias capables de résister aux grands groupes médiatiques allemands ou britanniques qui menacent de faire disparaitre le label France de la scène médiatique de l’hexagone comme de l’espace européen, grâce bien sûr à leur puissance économique et commerciale et non en raison de leurs discours ou contenus. 26 dialogue national - media et societe une chaîne de télévision consacrée à l’automobile, un carnet du jour en ligne et une conciergerie sur le Web. À Göteborg, sur la même estrade, le DGA du groupe, Pierre Conte, a donné la clé de cette évolution : « La publicité ne suffira pas à équilibrer les comptes d’un groupe de presse et d’infn formation comme Le Figaro. Il faudra trouver de nouvelles recettes sur le Web. Voilà pourquoi nous nous sommes engn gagés dans le service et le commerce en ligne. » Les groupes Marie-Claire et l’Express-L’Expansion ne pensn sent pas autrement, ils se sont associés à bestmarques.com pour proposer à leurs internautes d’accéder au « meilleur des marques » dans les univers de la mode, de l’art de vivn vre, de la décoration, du high-tech et de la joaillerie. Le MediaNews Group vise qu’un jour – dans cinq, dix ans?- les activités numériques éditoriales et commerciales attn teindront la barre des 50% du chiffre d’affaires. À côté du business tourmenté de l’information, des centres de profits autonomes se développeront grâce à l’e-commerce. C’est en ce sens que le chercheur Gilles Fontaine, de l’IDATE11, a pu évoquer le scénario d’une « désintégration des entreprises de presse ».12 De telles perspectives, à l’œuvre en ce moment, partout dans les démocraties ouvertes à la compétition médiatiqn que mondiale dans la nouvelle arène des médias, la seule désormais, l’arène de l’ « économie de l’information », doivn vent pousser à la rupture totale avec nos analyses et projn jections, quant à nous, Marocains, face à notre jeune matn turité en matière d’exercice médiatique, laborieusement et péniblement acquise et entretenue sur les choix de liberté et de pluralisme qui sont les siens. Il nous faut une posture de rupture, pour rompre avec toute vision étriquée qui ne penserait le champ national que par rapport à lui-même, que par rapport à sa chronique quotidienne, par rapport à

11 - Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe. 12 - « La fin des journaux et l’avenir de l’Information ».idem. Pages 179/181. introduction 27

une conception du fait de presse qui date du milieu du siècn cle dernier et que notre citoyen ignorera à coup sûr avant même que l’environnement médiatique mondial et les technn nologies ne la rendent à terme inopérante et inadaptée en ce siècle du tout cybernétique. La conception, vieille de deux ou trois siècles et qui sévit encore chez nos décideurs médias comme chez nos politiques et même chez nos professionnels, est fondée sur la notion de « tribune », encore fort inspirée par la place et le rôle dévolus historiquemn ment à notre séculaire « Minbar »…Tribune sacralisée comme porte-voix noble au service d’une idée, d’un discours, d’un partn ti, d’une chapelle, qui vaut par elle-même et qui est la raison d’être et le mode opératoire de l’exercice de la liberté d’expressn sion. Notion que n’imprègne ou ne relativise ni la dimension économique, ni la compétition mondiale, encore moins la technn nologie de la vieille galaxie Gutenberg, si maîtrisable, « territn torialisable », si aisément accessible et manipulable. L’entrepn prise était au service de la « Tribune » et ne pouvait, en aucun cas, déterminer sérieusement la vie ou la survie du message, du contenu : de la « Tribune ». La donne est inverse désormais : le contenu n’est plus justifiable – et vendable- que s’il cadre avec les contraintes et les objectifs de l’entreprise. Sinon il n’a aucune chance de voir le jour, sa libn berté et sa qualité ne lui suffisent pas en elles mêmes et par elles mêmes. La viabilité économique de son mode de production est maintenant l’essentiel. Viabilité qui tient à deux leviers, avant même le levier des contenus : la technologie (le numérique) et la commercialisation (la marchandisation). La numérisation, la diversification (marchandisation grâce à la multiplication de supports et de produits), la mondialisation (qui peut avoir recours à la délocalisation tout en exploitant plus profondément la dimension locale –radios et TV locales; journaux locaux; e-Commerce de proximité, etc.) et la comnm mercialisation globalisée, sont les nouvelles rampes qui sous- tendent maintenant l’entreprise média, alors que son aspect 28 dialogue national - media et societe

« tribune » n’est plus qu’une marque de fabrique, qu’on soigne certes, mais qui sert à promouvoir moult produits, les uns plus lointains que d’autres du journalisme d’antan. L’entreprise média est donc définitivement la matrice des ménd dias de demain, une fois acquis - préalablement bien sûr - un environnement de liberté et de démocratie dans un champ médn diatique national, forcément exposé et perméable au champ communicationnel mondial, qui, lui, conquiert frontières, espn paces, ondes, circuits et toute connexion (fixe ou mobile) grâce au satellite, au numérique et à l’Internet. Au Maroc, une telle conversion qui ferait de l’entreprise medn dia l’endroit stratégique pour l’avenir des médias comme pour l’avenir de la liberté d’expression et la démocratie, est à peine effleurée, à l’occasion de telle ou telle faillite, au gré de certains rares débats et réflexions. La marche du monde des médias et des TIC à travers la planète, le seuil de liberté d’expression, d’ouverture et d’initiatives atteint par notre champ sur les dix dernières années, nous somment d’ériger l’entreprise media au cœur de toutes nos stratégies en le domaine. Y compris notre stratégie globale concernant l’ancrage, parmi les institutions et les populations, de la démocratie et de sa culture. Tourner notre réflexion vers l’entreprise nous amènera à aborder profondément nos déficits sur tous les registres et levn viers indispensables à une entreprise viable : les journalistes et ressources humaines, les modèles d’entreprise, les technonl logies et équipements, les innovations techniques et créations de contenus, les règles du jeu démocratique de l’exercice de la liberté d’expression (lois, réglementations, codes d’éthique, mécanismes de régulation et d’autorégulation), des mécanismn mes et leviers de solidarité et de mobilisation collective au profn fit des médias (aides publiques), des publics (par le levier de l’alphabétisation de base et l’alphabétisation numérique), des standards de qualité des produits et de la gouvernance des médn dias, des standards de formation et d’apprentissage pratique des professionnels, des clarifications des statuts, des normes, introduction 29

des rôles, des droits, des devoirs et des obligations de tous les acteurs, depuis l’opérateur media jusqu’à l’État, la justice, le journaliste, le parlementaire, l’activiste civil etc. Si, comme on dit, comparer c’est se rassurer, il est temps aussi, pour le Maroc médiatique en relation avec son projet démocratn tique, de se regarder en face pour s’inquiéter. S’inquiéter des efnf forts que nous devons faire pour relever le défi d’être en mesure de résister et composer/accompagner profitablement face au mouvement copernicien mondial des médias qui déterminera la marche vers la démocratie. Défi que toutes les sociétés s’empn ploient à relever, chacune avec son contexte spécifique d’acquis et d’ambitions. Un défi aussi qu’on ne peut rendre intelligible que si, en langage vrai, sans concession et sans peur des inqn quiétudes qu’il peut nous causer, nous trouvions tous ensemble des réponses aux questions : Qui sommes-nous? De quoi disnp posons-nous? Que voulons-nous? Que peut-on viser ensemble pour que le Maroc soit partie prenante et agissante dans la médiasphère mondiale? Quelle feuille de route guiderait, par un consensus clair et responsable, toutes nos ambitions dans ce domaine? Par l’évidence même, un tel « travail sur soi » nécessite un dénb bat, un large débat entre la totalité des acteurs, depuis l’État et ses institutions jusqu’à la société et ses mouvements politiques et civils, en passant par le monde des médias et leurs profesns sionnels, sans oublier le citoyen, qu’il soit simple consommatn teur des médias ou « Net-citoyen » ayant sa marque dans l’actn tivité de ce champ grâce aux TIC et à l’Internet. Tel est le plaidoyer à retenir pour admettre, sans quelconque infructueuse suspicion ou analyse simpliste et de courte vue, l’impérieuse nécessité de procéder à un large débat entre la socn ciété marocaine et ses médias avec leurs professionnels. 30 dialogue national - media et societe contextualisation politique et référentiel 31

Contextualisation politique et référentiel 32 dialogue national - media et societe contextualisation politique et référentiel 33

Le présent et le futur des pratiques des médias et de leur rôle effectif ou supposé dans la société peuvent-ils faire l’objet d’un débat public? C’est-à-dire d’un débat ouvert à tous les acteurs et à toutes les composantes de la société dans le Maroc de 2010. Les journalistes et autres professionnels des médias sont-ils les seuls à décider de la nature d’un tel débat, de ses motivations, de sa programmation, de son « casting », de ses axes et de ses objectifs? Qui, en dehors d’eux, a-t-il la légitimité, acceptable à leurs yeux, eux les premiers et derniers concernés, pour lancer et, qui plus est, pour conduire et conclure un tel débat? De telles interrogations ont précédé et accompagné, en filigrane le plus souvent, mais parfois aussi, de manière déclamatoire, sur certaines tribunes médiatiques, les quatre mois qu’aura duré la période consacrée aux premières auditions au sein du Parlement (1er mars au 29 avril) et aux ateliers thématiques et journées d’études (du 20 avril au 28 juin). En fait, toutes ces interrogations, bien que prévisibles autant qu’elles furent mar-g ginales, en tout cas sans impact notoire sur l’historique et la ten- nue de ce Dialogue, reviennent à deux malentendus majeurs qui semblent imprégner, sinon motiver, les postures des uns et des autres (surtout les politiques et les journalistes) dans le Maroc actuel à propos de la place et du rôle des médias dans une soc- ciété aspirant, peu ou prou, à une démocratie comparable, pour l’essentiel de sa vie politique et médiatique, aux démocraties oc-c cidentales les plus citées en exemple au Maroc sur ce registre dual : UK, France, Espagne… Le premier malentendu concerne la foi des uns et des autres en ce choix de la démocratie qu’aucun acteur politique (le Souver- rain, l’État, les partis politiques, les syndicats, les associations et ONG de la société civile, les journalistes, les opérateurs médias, les intellectuels, artistes, créateurs et tout tribun ou commentat- teur, de profession ou amateur) n’hésite à clamer. Sauf que ce choix de la démocratie, de par sa désignation depuis plus de 15 ans, comme étant un « processus démocratique » en marche, 34 dialogue national - media et societe suscite d’innombrables méfiances, défiances, suspicions, illus- sions, désillusions, surenchères, accusations etc. … Un « proc- cessus » qui, de par son nom même provoque l’impatience chez certains et des sentences chez d’autres, suscite en toute logique des interrogations à propos de sa courante définition en étapes par nombre de ses chantres… Quelles étapes, quelles échéances? Quel rythme pris, quel rythme privilégier? Quel rythme permis? Permis par qui? De quel droit, au nom de quelle légitimité? De quelle vision, historiquement juste? La focalisation sur l’aspect « processus » affaiblit en fait l’adhés- sion, voire la foi, une foi qui serait - et devrait?- être inébranl- lable et volontariste. Et surtout lucide pour ce qui concerne la question des médias. Car, ce malentendu interpelle en vérité la perception qu’on a et de la démocratie et du rôle que les médias peuvent ou doivent y occuper au meilleur de l’exercice des droits et libertés dont se distingue ce régime ou choix d’organisation politique, sociale, économique et culturelle du « vivre ensemb- ble » qu’est la démocratie. En un mot, le malentendu originel concerne des définitions de base, sans la clarté desquelles nulle appréhension de ce rôle et place des médias dans une société, projetée dans le futur comme société régie de fond en comble par le régime démocratique, ne peut être une appréhension int- telligible et crédible, encore moins une acception admise par les acteurs clés dans la société, voire, par la majorité des citoyens et citoyennes, au Maroc en l’occurrence. Si une telle interpellation de fond dépasse largement l’équation simple de la relation entre « médias et société », et doit donc être logée ailleurs, dans un débat purement politique entre pol- litiques et citoyens, il n’en demeure pas moins qu’elle doit être visitée au moins dans l’un de ses prolongements qui concerne directement les médias et les journalistes. Elle devrait être vi-s sitée sous cet angle, indépendamment du stade d’évaluation qu’on fait, à un moment donné, du réputé « processus démoc- cratique », du moment qu’il y a serment de foi majoritaire, voire contextualisation politique et référentiel 35

unanime, à propos du choix de la démocratie… Car toute analyse de la dynamique propre au régime démocratique, débouche sur une incontournable réalité structurante de cette dynamique : le champ de la liberté d’expression. Champ naturel et nourricier pour les médias et les journalistes, champ déterminant pour l’éclosion de la démocratie, pour son ancrage dans la vie collec-t tive d’une nation, comme pour la pratique et l’exercice de tous les droits et libertés constitutifs du régime démocratique et de l’État de droit sur lequel ce régime se construit et évolue, par étapes, par à coups, par réformes, par bouleversements ou, tout simplement, par une logique de « processus », justement. Autrement dit, le champ de la liberté d’expression où le journal- liste exerce cette liberté de manière privilégiée et ce, avec légitim- mité reconnue dans la démocratie, est véritablement le champ de la mise à l’épreuve réelle, sérieuse et des plus pertinentes qui soient, de toute intention démocratique ou tout serment clamé au nom d’une foi en la démocratie. La liberté d’expression, de par l’exercice démocratique qu’on peut en faire, interpelle et impacte toutes les autres libertés comme tous les autres droits que comporte, promeut, octroie et défend la démocratie. C’est une évidence qui ne peut se prêter à quelconque confusion ou malentendu. N’est-il pas dans ce cas hautement stratégique sinon logique de réserver à cette liberté la meilleure des attentions, les approches les plus audacieuses, la mobilisation la plus large possible de tous ceux qui se proclament adeptes de la démocratie et de ses libertés et droits ? Il faut la privilégier parce que l’irréversibilité et l’ancrage de la démocratie la privilégient : toute régression ou agression contre cette liberté démocratique est un pas vers l’enterrement de la démocratie, qu’elle soit bien établie, émerg- gente, balbutiante ou simple « processus en cours ». C’est donc hautement stratégique que de privilégier la liberté d’expression dans le projet démocratique13.

13 - La chronique des grands bouleversements survenus depuis le début des années 90 (en Europe de l’Est et, un peu avant, en Amérique Latine) et fin 2010/début 2011 dans le monde arabe, attestent clairement de cette décisive place qu’occupe désormais la liberté d’expression dans le devenir des États, des régimes et des sociétés. 36 dialogue national - media et societe

Les défis décisifs pour l’avènement et la consécration de la dé-m mocratie, de ses valeurs et de ses différents exercices et pratiq- ques, prennent la liberté d’expression pour scène et pour champ de bataille. Dans ce champ, l’enjeu est tout simplement le destin de la démocratie. Or sur cette scène ou dans ce champ, médias et journalistes sont des acteurs titulaires, attitrés, détenant le plus souvent les premiers rôles et décidant même du dénouement final à chaque intrigue ou conflit mettant en jeu un droit ou une liberté démocratiques…Et tout d’abord la liberté d’informer et le droit à l’information qui s’y attache intrinsèquement. Dans le Maroc de 2010-2011, de nombreuses affaires de confront- tation entre les médias et les pouvoirs publics, entre les journal- listes et l’État, entre les journaux et les tribunaux, témoignent de l’existence déjà de la pesanteur de cet enjeu décisif, pour peu qu’on veuille bien anticiper sur l’avenir du projet démocratique, du « processus démocratique », et ne point s’arrêter sur une analyse de circonstance ou une préoccupation de conjoncture qui refuserait de peser à sa juste valeur le poids des médias dans l’évolution d’un tel « processus » . Dans notre histoire national- le, ces dix dernières années, des accrocs de ce type ont défrayé la chronique politique, parfois de manière incompréhensible ou surprenante pour plus d’un analyste, car, souvent, ces conflits entre la presse et l’État dénaturaient d’emblée la traditionnell- le confrontation, de mise dans toute démocratie vivante, entre certains droits et libertés (droit à l’information versus liberté d’informer, liberté d’informer versus le droit à l’image, à la vie privée, droit au respect des fondamentaux de la collectivité et de sa cohésion, liberté de recourir à la justice, liberté de l’État de défendre ses prérogatives et obligations légitimes comme la préservation de l’intérêt général ou l’ « ordre public »…).Mais à y voir de près, ce type de confrontations ou accrocs deviennent symptomatiques d’un grand péril pour le projet démocratique, quand ils révèlent des dysfonctionnements organiques dans la constitution même du projet démocratique, qu’il soit à un stade embryonnaire ou à un stade avancé d’un « processus » d’install- lation ou d’ancrage. contextualisation politique et référentiel 37

Quand, à l’occasion, on assiste à des télescopages entre la liberté d’expression et d’autres libertés fondamentales, entre le droit d’informer et d’autres droits humains aussi fondamentaux, on découvre que l’édifice projeté, un État de droit fondant une dém- mocratie, est lézardé dès ses premières bases, déséquilibré dans ses premières fondations par, notamment… : • Une législation moulée dans un carcan dépassé tant par l’évolution du credo démocratique (ou son « processus ») que par l’exponentielle progression et diversification des médias, des supports, des technologies, des contenus, des publics, etc. • Des pratiques médiatiques et journalistiques toujours de moins en moins rigoureuses au plan professionnel, de moins en moins indépendantes au plan de leurs liens avec les mondes politique, économique, religieux, avec les services de l’État les plus connus comme les moins connus…Des pratiques de moins en moins respectables et de moins en moins convaincantes au plan de leur éthiq- que et de leur déontologie; des médias et des journalistes de plus en plus coupables de violations graves de droits humains et de valeurs démocratiques universelles • Des tribunaux et des magistrats qui, quand ils ne sont pas déphasés par rapport à la nouvelle exigence induite par la démocratie, à savoir le « procès de délit de presse », en place et lieu du traditionnel et fort longtemps usité au Maroc « procès d’opinion ou procès politique », sont les témoins agissants qui laissent planer tous les doutes imag- ginables quant à leur subordination à divers pouvoirs, les anciens (politiques) comme les nouveaux (lobbies éco-n nomiques…). Situation qui ne peut conforter quelconque prétention à l’existence de la règle d’airain en régime dém- mocratique : l’indépendance de la justice • Des politiques qui, à la faveur d’un jeu relativement plus ouvert quant aux opportunités d’accéder à quelques ma-n 38 dialogue national - media et societe

nettes du champ médiatique (via des alliances ou converg- gences d’intérêts politiques, de clans, de famille, ou via des convergences d’intérêts de lobbies économiques), se donnent de plus en plus au jeu d’inféodation et de dévoie-m ment, sinon de manipulation de tribunes médiatiques et de journalistes. Situation qui menace dans l’œuf l’une des naissances attendues par l’avènement du régime de la démocratie pour la presse : l’indépendance et l’intégrité qui siéent au journalisme dans l’édifice de la démocratie en tant que vigie d’alerte sur les manquements à la bonne gouvernance par les gouvernants (presse, « Watch dog ») comme sur les déviations de la société et des citoyens par rapport au credo démocratique et au respect des droits humains qu’il porte comme obligation pour tous, gouvern- nants et gouvernés, élites des différents pouvoirs (politiq- que, économique, symbolique…) ou simples citoyens • Des citoyens qui, devant une scène où règne l’incertitude et les inattendus en matière d’échanges entre la presse d’un côté, l’État, la justice et divers genres de pouvoirs de l’autre côté, face à une confusion et une opacité entre les postures, les légitimités revendiquées (presse parti-s sane qui se dit responsable face à une presse qui se dit indépendante de tout, des partis et de l’État en premier), entre les glorioles affichées des uns et des autres, entre les satisfecit et les blâmes venant de l’étranger notifier aux Marocains qui est le bon journal, le bon journaliste, le mauvais journal, le mauvais journaliste, le mauvais déc- cideur, etc. Face à la sempiternelle situation bien démot- tivante de l’audiovisuel public national qui n’arrive pas à juguler l’émigration vers les satellitaires moyen-orient- taux et européens, qui est indéniablement peu outillé, en tout genre de moyens adéquats et suffisants, pour esp- pérer s’acquitter valablement de sa mission de « service public » et relever les défis de contenus, de proximité, de pluralisme et de diversité, défis découlant de la concept- tion de ce type de médias publics dans une démocratie… contextualisation politique et référentiel 39

les citoyens semblent s’inscrire définitivement aux abon-n nés absents concernant tout ce qui peut concerner le prés- sent comme le futur des médias nationaux : 1% de lector- rat, propension à ne consommer, avec goût friand, que le fait divers, vrai ou faux, la rumeur, le lynchage, c’est- à-dire d’abord et avant tout des contenus qui sacrifient à la « faitdiversification », à la spectacularisation du fait politique comme de la rumeur sur quelconque registre de l’actualité, nationale ou étrangère, qu’elle soit un crime crapuleux ou un schisme politique agitant les tréfonds d’une formation politique. La défiance, pour résultante logique qu’elle devienne parmi les Marocains à l’endroit de leurs médias est, in fine, un dysfonc-t tionnement gravissime pour la perspective de la démocratie. Nulle démocratie ne fonctionne de façon productive (de valeurs démocratiques, de citoyenneté, de performances et avancées de l’État de droit), sans une relation positivement dynamique, sans une confiance raisonnable, entre les citoyens et les médias de leur pays. La crédibilité des médias est une exigence indispensab- ble dans la démocratie. Autrement, comment se forgerait et où logerait l’ « opinion publique », acteur avec lequel la démocratie et sa dynamique comptent, parfois, selon le pays, de façon quasi exclusive pour le devenir de la gouvernance (par la voie des élect- tions périodiques et l’alternance aux commandes du pouvoir qu’elles supposent et qu’annoncent avec anticipation plus ou moins relative les sondages d’opinion, autre exercice d’expres-s sion libre d’opinion propre au régime démocratique)..? La somme de ces dysfonctionnements ou handicaps quasi orig- ginels au Maroc, ne peut militer qu’en faveur d’absence de dial- logue, absence de confiance en l’utilité d’un dialogue, rendant infructueux un dialogue entre parties dont l’antagonisme histo-r rique alimente justement ces dysfonctionnements (presse/ État; presse/ justice; presse/ citoyens diffamés-calomniés; presse / droits de l’homme…). Le choix du dialogue procède donc d’une volonté de rupture : 40 dialogue national - media et societe introduire une rupture dans ce cycle historique et bien périlleux à long terme pour la démocratie. Un cycle qui, sur le lourd legs hérité du passé en la matière, s’est particulièrement emballé ces dix dernières années de manière paradoxale et asymétrique par rapport à l’indéniable avancée de la liberté d’expression et la liberté des médias au Maroc, depuis l’an 2000 dirions-nous. Un emballement qui, tantôt nous rappelle la règle naturelle qui veut que l’ancien ne peut disparaître complètement, sans résistance et résiduel, au présent, du simple fait d’une volonté de change-m ment déclarée, et tantôt nous apprend que la liberté d’expression démocratique nécessite moult apprentissages et aménagements structurels et de praxis de la part de tous les intervenants qui en sont concernés, et tout particulièrement dans le champ des mé-d dias et le leur sacro sainte liberté de presse qui exige de la part des professionnels des règles de conduite précises et reconnues, aux plans professionnel et éthique, par les professionnels des médias eux-mêmes et dont ils tirent prestige et capacité d’indép- pendance par rapport à tous les pouvoirs dans une démocratie. Ce qui est la qualité première de la presse dans une démocratie fondée, comme il se doit, sur le principe de la séparation des pouvoirs. Démocratie où nul pouvoir constitutionnel n’est ac-c cordé à la presse pour qu’elle revendique – légitimement- un pouvoir formel qui soit de mêmes force et légitimité que les trois pouvoirs qui définissent le régime démocratique : le législatif, l’exécutif et le pouvoir de la justice. La recommandation d’apprentissage de l’exercice de la liberté de la presse, de la liberté d’expression en général par tous les cit- toyens, n’est plus à démontrer ni à tempérer ou à relativiser sous prétexte du caractère absolu de cette liberté ou de contraintes inhérentes à un contexte de « phase transitoire » ou de « périod- de de mutation démocratique ».Les exemples pullulent depuis les années 80 en Amérique latine et, depuis les années 90 en Afrique (et même en Grèce, pays-matrice de la démocratie) et plus récemment sur la vaste partie Est du continent européen. Des exemples qui illustrent combien la libération de la parole dans des pays longtemps déficitaires en matière de liberté de la contextualisation politique et référentiel 41

presse dévoilent des inadéquations et irrégularités des espaces, des encadrements et des législations, des institutions, des entre-p prises, des codes de conduite, des pratiques et normes profess- sionnelles et éthiques, des postures et des positions, des object- tifs et des ambitions, de l’offre et de la demande etc. Certes, à chaque illustration d’une telle situation, l’on doit veiller à la contextualisation de l’analyse pour prendre la mesure de l’état des lieux au présent, de la survivance du passé répressif des libertés et des chances de réforme pour le futur de la démoc- cratie, le futur de la démocratisation des médias et de l’exercice de la liberté d’expression qu’ils sont appelés à assumer à l’aune des normes d’une démocratie véritable. Mais, à des fins d’illus-t tration la plus édifiante qui soit, arrêtons-nous sur le cas de la Grèce, berceau originel de la démocratie et témoin de sa lon-g gue genèse théorique et pratique sur plus de deux millénaires et demi… « Depuis les années 1990, l’inféodation des médias au pouvn voir économique est venue s’ajouter à leur très ancienne inféodation au pouvoir politique. Quant à l’activité journaln listique, elle prend des formes multiples et fluctuantes selon la conjoncture historique, selon l’organe examiné ou encore selon la position occupée par le journaliste au sein du champ médiatique. Le trait le plus caractéristique du milieu journaln listique grec aujourd’hui, c’est son imbrication avec le mondn de politique, judiciaire, scientifique et intellectuel par le jeu d’appartenances multiples, sous l’effet d’ambitions variées, grâce aux passerelles posées entre les différents secteurs. Chaque journaliste se transforme en acteur autonome, se sent investi d’une mission « cathartique », devient un « corrn recteur » de la chose publique au détriment des instances légn gitimes. De par leur action, les journalistes se positionnent à la fois comme médiateurs et comme acteurs dans les événenm 42 dialogue national - media et societe

ments. Ces deux postures assumées simultanément contribn buent à conférer aux mieux placés d’entre eux un statut envn viable. Le médiateur devient alors modèle moral, culturel, social, voire physique. Par la personnalisation extrême de son activité, le journaliste devient ainsi un penseur public, le rhéteur (maître orateur) dans la Cité. Longtemps traités en parias de la société politique et tenaillés par un désir de notoriété, les journalistes semblent chercher à prendre leur revanche sur une classe politique en déclin ».14 S’il n’y a pas lieu de décréter une similarité totale entre cette pér- ripétie grecque (singularisée par la délivrance du pays d’un régim- me de dictature militaire particulièrement répressif en matière de libertés), et la « transition démocratique » au Maroc, force est d’admettre que nombre de phénomènes et d’épiphénomè-n nes similaires, « à la grecque », rappellent, presque à l’identiq- que, ce qui meuble la scène médiatique marocaine depuis près d’une décennie. Aussi bien dans la relation entre le politique et le médiatique qu’en ce qui concerne les postures du journaliste au sein de la société, société aux prises, en l’occurrence, avec une laborieuse éclosion de la liberté d’expression, avec ses chantres, anciens et nouveaux, avec ses adeptes nouvellement convertis, par conviction ou à dessein plus ou moins sincère, plus ou moins désintéressé : politiciens, entrepreneurs, investisseurs, lobbyis-t tes, ralliés de dernière heure au journalisme (journalisme tout court ou journalisme dit « indépendant »), historiques ou inatt- tendus défenseurs des causes de la démocratie, de la défense des libertés et des droits de l’homme… D’autres exemples attestent des mêmes phénomènes et épiphén- nomènes, notamment en Afrique francophone engagée depuis 20 ans (suite notamment à la fort controversée 16ème conférence « France-Afrique » de La Baule orchestrée en Juin 1990 par F. Mitterrand) dans des « conférences nationales » comme prélud-

14 - Chalkia, Angélique. « Grèce : M*A*R*S au pays des Hellènes », Revue MédiasPouvoirs, « Déontologie des médias, les exigences de la démocratie », No 4, Nouvelle série, Paris. 3e trimestre 1998. contextualisation politique et référentiel 43

de à l’apprentissage de la démocratie, à l’initiation aux premiers pas de celle-ci que sont les élections et une loi consacrant la lib- berté de la presse. Les cas de certains de ces pays africains, tém- moignent, bien plus gravement qu’en Grèce, de ces dysfonctionn- nements ou faux pas, de ces déviations et atrophies imprévues sur le long chemin qui mène à la liberté d’expression. Mais, quel que soit l’exemple (qui peut être aussi le cas de l’Argentine ou du Brésil post dictatures militaires), il semble que la première source de tels dysfonctionnements soit la relation entre le polit- tique, ultimement personnifié par l’État, et la presse, concrètem- ment identifiée par le journaliste. Qu’en est-il au Maroc en 2010? Au gré des écrits des uns (journalistes) et des déclarations des autres (politiques, représentants de l’État, parlementaires, ma-g gistrats, avocats, activistes des droits de l’Homme, etc.), il y a bel et bien un « état de crise » entre la presse et le monde politi-q que. Un constat dont l’argumentaire repose, pour l’essentiel, sur trois types d’éléments de preuve : • Le premier se fonde sur les comportements de la justice de plus en plus dommageables pour les entreprises méd- dias et pour le journaliste, de par des peines unanimem- ment qualifiées de disproportionnées, lourdes, voire inj- justifiables par rapport à la dimension « normale » dans une démocratie d’une poursuite pour «délit de presse»; • Le deuxième se base sur les comportements d’ordre adm- ministratif et réglementaire, notamment pour ce qui est relatif aux agissements des services du ministère de l’In-t térieur et la façon dont ils appliquent les procédures et interprètent leurs prérogatives légales ou s’en donnent d’autres sans fondement légal; • Une propension sans limite ni retenue, d’ordre profess- sionnel ou moral, chez le journaliste à dévoyer son mét- tier, la vérité, l’information, usant, sans vergogne, de la rumeur, du faux, de la calomnie, de la diffamation pour 44 dialogue national - media et societe

faire de la chose publique et de l’homme publique, des institutions (de l’État et ses symboles surtout, mais aussi de l’artiste, de l’activiste civil, et d’autres), ses terrains préférés de prédilection pour tenter de s’affirmer sur la scène publique…Pour y revendiquer un pouvoir sans lé-g gitimité aucune du point de vue de la démocratie et de l’État de droit nécessairement bâti sur des institutions constitutionnelles et des pouvoirs codifiés, sur le mode électif notamment…En somme, il travestit une impost- ture de pouvoir en une posture de rhéteur (à la grecque des années 90), comptant sans doute sur une supposée crédulité du public, d’une société encore peu initiée aux tréfonds, techniques et artifices de ce métier, métier à la tradition si jeune au Maroc, si récemment affranchi des censures et autocensures ayant sévit pendant près de quarante ans. Ce genre de journalisme fallacieux, qui se complait et prospère dans la marge de la loi et de l’éthiq- que universelle du journalisme, n’a aucune difficulté à se déclarer victime, aux yeux du monde entier et des sinc- cères défenseurs de la liberté d’expression comme d’off- ficines faisant de cette cause un fonds de commerce au Maroc ou ailleurs… A chaque fois que la loi le rattrape, ce type de journalisme (bien connu chez nos voisins subs- sahariens, récemment engagés sur la longue route men- nant à la démocratie) invoque la sacro sainte liberté de la presse, se drapant de fait d’un principe d’impunité qui serait constitutif de l’exercice de cette liberté…Cette post- ture/imposture de victime que ce journalisme se donne sans mal, en l’absence de quelconque autorité morale ou ordre éthique veillant à l’honneur du métier, résonne d’autant plus, au pays et dans le monde, que bien souvent l’État et la justice pêchent, voire dérapent, plus ou moins gravement, dans leurs réactions à ces pratiques et pos-t tures indéniablement blâmables aux plans professionnel et déontologique, comme au plan du droit et du respect de la règle de droit. C’est ainsi que bien trop souvent, des contextualisation politique et référentiel 45

autorités publiques cèdent à des réactions épidermiques qui n’hésitent pas à jeter de manière plus ou moins explic- cite des formes d’anathème sur tel ou tel journaliste ou média, que l’un ou l’autre ait failli déontologiquement ou qu’il ait cédé – manifestement ou supposément- à quelc- conque dessin occulte, pression ou intérêt…ou par simp- ple légèreté dans la conduite professionnelle requise. Cet argumentaire, explicitant, pour l’essentiel, l’état de crise en-t tre la presse et le politique, procède aussi de deux perceptions qui dominent chez les gens des médias : • La crise de la liberté d’expression au Maroc est, en tout et pour tout, une crise/confrontation entre la presse privée, dite de préférence « indépendante » par ses opérateurs, et les appareils de l’État, c’est-à-dire les deux principales institutions que l’État utilise dans ses prestations face ou contre la presse : la justice et la police; • La crise est alimentée par des desseins de manipulation, inféodation et domestication, dont seraient animés cer-t tains groupes ou lobbies gravitant autour du pouvoir, des centres de décision comme dans les rouages de l’État et qui, pour nombre d’entre eux, la perspective d’une ruptu-r re totale avec le passé de contrôle des médias serait inacc- ceptable tout autant que l’émergence d’une presse libre et influente sur le devenir politique du pays. Du côté du politique et de l’État, on a affaire à au moins deux attitudes qui inspirent les réactions – trop souvent précipitées voire épidermiques et maladroites- aux prestations de la pres-s se : • Une appréhension plus que sourcilleuse, voire frileuse, quant aux risques que comporte le choix de la libéralisa-t tion du champ de l’expression pour l’autorité de l’État, pour la crédibilité de ses choix et actes aux yeux de l’opin- nion publique nationale comme de l’opinion internat- tionale, dimension fort sensible aux yeux des autorités 46 dialogue national - media et societe

politiques préoccupées qu’elles sont par l’image du pays à l’extérieur en tant que vecteur porteur de ses causes sa-c crées dont celle de l’intégrité territoriale qui alimente au pays une véritable guerre de « tranchées d’ondes » avec le voisin algérien; • Une propension quasi instinctive de certains cercles du pouvoir politique et dans les rouages de l’État, à chercher à faire du maximum de médias possible des auxiliaires, voire des alliés aux ordres, au nom de la nécessaire discip- pline et unanimité qu’impose la conjoncture de « période de transition démocratique » que menaceraient nombre d’aléas et de périls, depuis les adversaires irréductibles de l’intégrité territoriale, à leur tête le voisin algérien, jusqu’aux courants et mouvements antidémocratiques, rétrogrades ou carrément séditieux déterminés et/ou terroristes, en passant par des « forces nihilistes » qui font dans le dénigrement systématique de toute prestat- tion de l’État, tous pouvoirs constitutionnels confondus. Comme on le voit donc, la période dite de « transition démocrat- tique » profite à diverses stratégies, souvent antagonistes entre médias et opérateurs médias, d’un côté, et politiques et cercles de pouvoir (politique, économique…) de l’autre. D’où conflits, plus ou moins ouverts, initiatives démesurées provoquant des réactions tout aussi disproportionnées, malentendus, procès d’intention, suspicions, défiance… La clarté des desseins, des projets et des postures semble être le fond qui manque le moins. Impératif de clarté qui, in fine, est la véritable motivation d’un appel à un Dialogue national, ouvert à tous, les antagonistes principaux (médias, État et pouvoirs) comme leur large envi-r ronnement qui est, après tout, le destinataire final de l’express- sion dans une démocratie : le citoyen, la société toute entière. Dialogue national à quelles fins de clarté? La clarté concernant la place et le rôle des médias dans la société marocaine, y compris les rapports entre la presse et l’État, entre contextualisation politique et référentiel 47

les journalistes et les institutions et acteurs politiques, ne peut procéder que d’un parti pris, d’un choix porteur d’une vision volontariste et fondamentalement cohérente avec l’option de la démocratie comme forme de gouvernance politique et sociéta-l le. Une telle vision doit donc découler, au préalable, d’un choix politique solennellement assumé et, si possible, provenant de la majorité des acteurs politiques clés dans le pays, acteurs qui sont partie prenante, à un niveau ou à un autre, dans la prise des décisions et choix stratégiques du pays. Si ce choix politique, résolument partisan de l’option démocrat- tique, a été maintes fois proclamé et initié dans plus d’un dom- maine de la vie publique et institutionnelle, par le Souverain, il doit gagner en efficience et en puissance de référence au niveau du gouvernement (l’exécutif) et du parlement, tout particulièr- rement en le domaine des médias. Domaine dont la gestion au quotidien revient largement à ces deux derniers pouvoirs et, au pouvoir judiciaire dans une moindre mesure, à l’occasion de circonstances relevant de l’exception par rapport à la règle, par rapport au cours normal des choses, c’est-à-dire le cours ordi-n naire des pratiques médiatiques que la justice n’entrave -légit- timement- qu’occasionnellement pour préserver des droits et libertés d’autrui, individu ou collectivité… Ce qui, dans une dé-m mocratie aux médias respectueux du jeu de la démocratie n’int- tervient qu’exceptionnellement, témoignant d’un exercice nor-m mal, c’est-à-dire d’un rythme ordinaire de la mise à l’épreuve et du perfectionnement, tous les deux nécessaires pour le meilleur et le plus harmonieux exercice de toutes les libertés individuel-l les et collectives portées par une démocratie vivante, dynamiq- que, apaisée, conquérante sans cesse de vastes et infinis espaces de l’État de droit et de la citoyenneté. Partant de là, la notion de dialogue doit trouver la voie qui lui octroie le maximum de latitude pour impliquer le plus large éventail de l’ensemble des acteurs et intervenants concernés, à un degré ou à un autre, par l’acte médiatique. D’où la voie, on ne 48 dialogue national - media et societe peut plus démocratique, de la représentation populaire, c’est- à-dire le Parlement. Parlement qui, en plus, par son pouvoir de légiférer, occupe un rôle central dans le devenir de l’exercice de la liberté d’expression. Quant à l’exécutif, dans le cas qui nous intéresse, le cas du Mar- roc de 2010, il a très tôt adopté une attitude on ne peut plus franche, en faveur d’un dialogue global et franc avec les médias et les journalistes. Ce qui se traduisit par son adhésion totale à l’initiative parlementaire pour un Dialogue national « Médias et Société » que Onze familles politiques, représentées par seize groupes parlementaires dans les deux chambres du Parlement, proclamèrent solennellement sous la coupole de la Chambre des députés le 28 janvier 201015. L’octroi par la primature d’un budget spécial pour conduire ce Dialogue est venu renforcer cet engagement de l’exécutif, attestant d’une cohérence volonta-r riste de la part du gouvernement aux côtés des parlementaires des deux Chambres et des professionnels des médias impliqués dans ce Dialogue par leurs deux principaux regroupements prof- fessionnels, la FMEJ et le SNPM, partenaires officiels du gou-v vernement sur nombre d’accords et tentatives de mise à niveau de ce champ, notamment le contrat programme signé, en mars 2005, par les deux organisations avec le gouvernement repré-s senté par le ministère de la Communication, lui aussi adhérant à ce dialogue. Ce triple engagement, celui du parlement, celui du Gouverne-m ment et celui des professionnels des médias (opérateurs et journ- nalistes) est donc le socle de base qui, de par ses composantes, devait donner la dimension « États généraux » du champ méd- diatique national, alors que l’ouverture – inédite- de cet exercice de large consultation au public, à tous les citoyens et citoyennes, devait consacrer la dimension « nationale » dans le sens où la parole est donnée à tous les citoyens et citoyennes pour s’exp-

15 - Une fois l'alliance parlementaire UC et RNI scellée, le nombre des groupes parlementaires représentés devint 14. contextualisation politique et référentiel 49

primer sur un champ sur lequel ils n’ont jamais été consultés auparavant. « Dialogue national » donc, plus large que des « États génér- raux » que le Maroc avait déjà entrepris en 1993, mais sans im-p pliquer, à l’époque, ni les citoyens ni leurs représentants, l’obj- jectif stratégique ayant été dans la difficile conjoncture d’alors, d’introduire dans les agendas et projets de réforme de l’État et des différents acteurs politiques et ONGs civiles la liberté d’ex-p pression et les médias tout en donnant enfin un droit de cité au journalisme marocain en tant que profession et en tant que catégorie socioprofessionnelle qui doit être considérée par l’État et les états-majors politiques comme partenaire à part entière dans toute action publique ou privée qui concernerait leur champ d’activité16. Par ailleurs, l’opportunité et la pertinence d’un Dialogue nation- nal s’imposait de plus en plus ces dernières années au fur et à mesure que se multipliaient les accrocs entre la presse et les pouv- voirs publics, entre la presse et la justice, entre la presse et des citoyens victimes de diffamation et autres violations de droits de tiers (délits de presse), dans une atmosphère de crispation, de méfiance, de défiance, de perte de repères, de malentendus et d’ambigüités, en somme, d’incohérence dans les relations entre les médias et la société dans sa globalité, avec ses institutions étatiques et politiques, ses citoyens, sa société civile…17 Si un tel dialogue devait forcément s’appuyer/s’arrimer à un néc- cessaire diagnostic du présent, il courait néanmoins le risque de s’enfermer dans des formulations trop étriquées parce que trop

16 - Pour ceux qui suivaient de près l’évolution de la scène politique d’alors, marquée notamment par l’adoption de la constitution de 1992, il était de notoriété que l’heure était à la préparation d’une phase d’ouverture politique qui préfigurait, comme on le sait maintenant, l’ «alternance consensuelle » de 1998, bâtie, entre autres, sur la révision de la constitution en 1996. Les agendas politiques de tous les antagonistes changeaient en conséquence et donc il fallait y inscrire les journalistes et les médias, c’est-à-dire leurs revendications et ambitions, et d’abord la reconnaissance de leur place dans la vie publique et politique. 17 - Lors de l’audition du Forum social Marocain, les membres de l’instance du Dialogue national ont pris note d’exemples de campagnes de diffamation menées par certains titres de la presse nationale contre des associations civiles et leurs responsables… 50 dialogue national - media et societe collées aux « affaires » et contingences en cours ou de fraîche date. La pesanteur de l’instantané et de l’inattendu (et même de l’impromptu intervenu au cours même de ce Dialogue et il y en a eu!) pouvait effectivement enfermer le Dialogue et ses échang- ges dans des formulations piégées, dans des équations sectaires, sectorielles, juste limitées au factuel18. Alors que l’objectif est de gagner en hauteur de vue pour réfléc- chir et solutionner de manière structurelle, de manière surtout anticipatrice sur le futur. Pour qu’il y ait dialogue, avec l’ambi-t tion de la démocratie comme horizon clair pour l’exercice de la liberté d’expression et pour un rôle efficient des médias dans la dynamique d’une société démocratique en construction à l’ère des sociétés modernes d’information et du savoir, il fallait que ce Dialogue et ses animateurs se projettent dans l’avenir plus qu’ils ne s’arc-boutent sur le présent ou sur le passé d’hier ou d’avant-hier et les variables dysfonctionnements ou déficits des pratiques et des attitudes. C’est cette démarche qui a dicté la plate forme par laquelle ce projet de Dialogue national a défini ses objectifs.

18 - Le soir même du lancement officiel de ce Dialogue au Parlement, le 28 Janvier 2010, le monde des médias apprenait la fermeture définitive de l’Hebdomadaire « Le Journal » et la mise sous scellés de son local et de ses biens par huissiers de justice pour faillite. contextualisation politique et référentiel 51

Plate forme pour un Dialogue national « Media et société »

Objectif stratégique : Normaliser et policer la place et le rôle des médias au sein de la société marocaine au profit d’un exercice démocratique de la liberté d’expression, d’une crédibilité influente des médias nationaux sur l’opinion publique en tant qu’animateurs légitimes et modernes de la vie démocratique.

v Objectifs spécifiques : Ø Installer/féconder des rapports de dialogue permanents, organi-s sés et sereins entre le monde des médias et les acteurs institutionn- nels de la vie démocratique : parlement, gouvernement, justice… Ø Légitimer/crédibiliser les médias et leur rôle sociétal aux yeux de tous les acteurs et composantes de la société marocaine par une mise à niveau aux plans de la formation, de la formation contin- nue, du professionnalisme, de l’éthique, des pratiques déontolog- giques, de l’autorégulation et de l’organisation syndicale Ø Encadrer les droits et devoirs des médias et de leurs profession-n nels par un nouvel arsenal législatif et réglementaire consacrant de manière claire et moderne les libertés et principes démocra-t tiques inhérents à l’exercice de cette profession dans toutes ses variantes de contenus et de supports technologiques écrits, audiov- visuels et électroniques. Veiller à ce que cet arsenal consacre so-l lennellement et respecte les droits de l’Homme et les valeurs univ- verselles qui les inspirent Ø Outiller/appuyer les médias nationaux par un environnement in-c citatif et transparent au plan économique, financier et commerc- cial, au bénéfice de l’émergence d’une entreprise media moderne, viable, respectueuse des droits de ses personnels et de ses obligat- tions légales, et animée, en interne, par une culture démocratique et citoyenne

La teneur de ces objectifs vise une mise à plat, à froid, serein- nement, de la situation des médias au Maroc accumulée à ce jour, avec ses crispations et ses dysfonctionnements, les récents comme les anciens, mais pour pouvoir les relire à la lumière d’ambitions et d’objectifs à long terme qui découlent des fond- damentaux de l’exercice démocratique et moderne de la liberté d’expression dans une démocratie bien ancrée et dynamique. 52 dialogue national - media et societe

Pour dégager une telle appréhension, ambitieuse certes par son désir d’anticiper sur le monde des médias modernes si boulev- versé par l’avancée inexorable du numérique multimédia et par la toile envahissante du cyberespace, la dimension diagnostic devait nécessairement recenser les points de vue du maximum d’acteurs, à des fins de dialogue et de communion, plus tard, dans les choix et les actions à entreprendre pour le futur. La confrontation des points de vue, des visions animant un pro-f fessionnel d’un secteur média en particulier, d’un député invité, pour la première fois peut-être à interroger ses perceptions et attitudes de politique, de citoyen, de représentant de citoyens, à propos du champ médiatique national dans sa globalité comme dans ses détails pas nécessairement bien connus de lui, est un exercice, sans conteste démocratique puisqu’il permet le débat contradictoire et surtout l’échange entre deux mondes distincts mais qui le sont bien moins quant à leur responsabilité partagée dans la construction de la démocratie et la démocratisation des médias qu’elle suppose. Organiser donc des séances d’écoute (auditions), des sessions et des journées de débat entre journalistes, politiques, patrons des médias, responsables gouvernementaux ou d’organismes publics, responsables et volontaires de la société civile, experts, nationaux ou étrangers (pour la comparaison et l’éclairage util- les)… était donc le pari à faire sur une agora sans précédent pour ce qui concerne ce champ d’activités et d’exercice de li-b bertés et de droits qui n’a jamais bénéficié d’une telle démarche démocratique, de débat démocratique au Maroc. Près de 120 heures d’enregistrements de 21 auditions à huis clos au Parlement et près de 50 heures de journées d’études et d’ateliers thématiques ouverts, organisés au sein du Parlement ou à l’extérieur, ont, dans leur ensemble, confirmé le souhait de tous les participants à dialoguer, à débattre de la manière la plus large et la plus franche possible pour sonder et interroger toutes les données et les réalités de tout le champ médiatique national. Ce besoin de « vue d’ensemble », voire systématique, contextualisation politique et référentiel 53

de regard panoramique, conduit surtout de manière collective, était le premier gage que l’approche prospectiviste, anticipatrice et systématique proposée a bel et bien été souhaitée par tous. Si les professionnels des médias et leurs corporations étaient bien au fait de l’interpénétration de leurs réalités et problématiq- ques, de l’aspect contenu et de l’aspect économique, par exem-p ple, ou des pratiques et défis de la presse papier et de la presse électronique, les politiques, eux, du propre aveu de la majorité des parlementaires membres de l’Instance du Dialogue, découv- vraient, à cette occasion inédite pour les deux parties, ces comp- plexités, ces dialectiques. Tant le monde réel des médias, avec ses tréfonds insondés publiquement à ce jour, n’a jamais été visité par le parlementaire, ne lui a jamais été attrayant outre mesure, intelligible, accessible ou exposé, sachant que le monde des médias lui-même informe peu ou pas du tout sur les profon-d deurs de sa réalité apparente à la surface pour le politique comm- me pour le grand public. Ce que reconnurent bien volontiers les responsables des organisations professionnelles. Ce fût là le premier input de ce Dialogue entre le monde des méd- dias et les parlementaires. Un acquis de communication, assez profonde, qui a révélé parfois des convergences entre les points de vue des deux parties, qu’on ne pouvait prévoir tant les rela-t tions entre ces deux mondes sont jusqu’à ce jour, marquées par des échanges épisodiques, parcellaires, le plus souvent, à l’occa-s sion de conflits et de reproches généralement provoqués par des malentendus ou des maladresses de propos ou de pratiques, de la part des uns comme de la part des autres. Le deuxième acquis de convergence dans les points de vue, qu’on peut particulièrement souligner est relatif à la prééminence de l’ «économie de l’information » qui doit guider, de manière profonde et structurante, la réflexion sur l’ensemble du champ médiatique comme sur ses principales composantes, ses plus récurrentes contingences, difficultés, manquements et déficits. C’est là, à vrai dire, un tournant de rupture qui a véritablement marqué, en tant que tel, le Dialogue national de manière globale 54 dialogue national - media et societe et, de manière particulière, nombre d’acteurs-partenaires du Dialogue et notamment les parlementaires comme d’ailleurs, dans une moindre mesure, les organisations civiles (des droits de l’Homme et de forums sociaux). L’appréhension du champ médiatique marocain, pris d’ailleurs dans sa globalité, qui mettrait l’économie des médias au centre de la réflexion, dans l’établissement du diagnostic comme dans l’élaboration des stratégies d’action future, est une nouveauté au pays, alors que c’est le cas depuis assez longtemps dans nombre de pays et tout particulièrement les pays de traditions avancées en matière de libertés, liberté d’expression, liberté d’entreprise dans le champ des médias, liberté des ondes, etc. La nouvelle réalité, dans ce sens de la libéralisation, à laquelle le champ médiatique marocain a accédé depuis une quinzaine d’années, surtout depuis une dizaine d’années (avec notamment depuis près de cinq ans, la libéralisation de l’audiovisuel), im-p pose déjà, bien que cette nouvelle réalité soit encore jeune, une remise en question de nos schémas d’analyse habituels, ceux qui cadraient, peu ou prou, avec un champ longtemps réduit, sous un règne fort contrôlé de l’expression, à une bipolarisation ent- tre un audiovisuel monolithique aux mains de l’État, et un kios-q que dominé quasi exclusivement par juste une pléiade de titres partisans, aux discours souvent exclusivistes comme supports d’opinions et de commentaires, versant rarement ou subsidiair- rement dans de l’information pluraliste et impartiale. L’infor-m mation tout court, en somme, telle qu’attendue du journalisme sous tous les cieux, par le lecteur. Une telle démarche de la réflexion, moderne, faut-il le préciser, met au cœur de nombre de problématiques révélées, l’entreprise média prise en tant qu’acteur et en tant qu’outil dans un envir- ronnement global : le « marché médiatique » ou le « marché de l’information ». Avec cette remarque que le terme « marché » ici fait référence à un système où, désormais, avec la liberté et la concurrence que celle-ci induit forcément, l’exercice de la lib- berté d’expression est dialectiquement lié, quant à sa pérenn- contextualisation politique et référentiel 55

nité, son efficacité et son impact, à la capacité économique et financière du support, à sa capacité à user de façon optimale et constamment mise à jour, de nouvelles technologies des médias qui changent à un rythme impitoyable pour les hésitants, qui rendent chaque jour le réputé impossible d’hier aisément poss- sible aujourd’hui et fort probablement à même d’être dépassé demain. Le Maroc médiatique a lui aussi, comme les champs médiati-q ques de toutes les nations, rendez-vous avec la « révolution nu-m mérique » qui enfantera à terme la société de l’information et du savoir dans laquelle les médias seront à la fois fort importants mais aussi un simple acteur parmi d’autres architectes de cette nouvelle société, dont le simple citoyen diffuseur, redistributeur et même producteur et créateur de contenus et de supports d’ex-p pressions diverses… sans obligation ou nécessaire médiation du genre que les médias revendiquent à ce jour et qui est, après tout, leur raison d’être hier comme aujourd’hui. L’entreprise média est, de ce point de vue, l’espace stratégique le plus porteur pour le projet de modernisation et de développ- pement du champ médiatique et au niveau le plus élevé d’adéq- quation tant avec les défis de la société de demain, la Société de l’Information, qu’avec les normes et standards de médias réellement démocratiques et partenaires agissants sur la vitalité de la démocratie. Vitalité qui, de nos jours, est souvent jaugée dans tout pays par le niveau de modernité et de démocratisation des médias. L’enjeu, pourrait-on dire, dépasse même les médias alors qu’ils en sont l’origine et la finalité. Du fait de la nouveauté de cette démarche « économiste » au Maroc, pour diagnostiquer et promouvoir le champ médiatique, qui n’était appréhendé, jadis, que sous l’angle politique et avec l’importante jauge des libertés, il était évident lors de ce Dialo-g gue, qu’on devait procéder à une réflexion large et profonde. Une réflexion qui devait embrasser de manière systématique toutes les données et réalités du champ et d’abord celles de l’entrep- prise-média, par le moyen de diverses recherches et différents 56 dialogue national - media et societe

éclairages, tant cet objet est nouveau en tant qu’objet d’analyse et de réflexion pour les professionnels et spécialistes eux-mêm- mes, à fortiori pour les autres acteurs comme les politiques et les parlementaires ou les activistes de la société civile. Cet inté-r rêt inédit pour l’entreprise-média et ses environnements (écon- nomique, juridique, fiscal…) devait, en plus, au-delà de l’éval- luation du présent, c’est-à-dire du modèle bien peu structuré et bien peu viable jusqu’à présent, faire un effort d’anticipation et d’imagination pour dessiner, pour le futur, un modèle adapté, de tout point de vue, à l’évolution du champ politico-médiatique au Maroc, adapté surtout à cette explosion de la sphère médiatiq- que et technologique mondiale. Mais le Dialogue national a bien identifié trois grandes portes, bien spécifiques au Maroc, pour mener une telle réflexion prospectiviste sur l’entreprise média : • Viser une contribution structurante de l’entreprise mé-d dia à la consolidation du choix de la démocratie pour la société et l’État et la dynamisation moderniste de la vie démocratique et son débat • Viser la performance économique et professionnelle, à l’enseigne d’un journalisme d’excellence capable de réconcilier le public avec ses médias nationaux et de conforter la crédibilité de ces derniers par une confiance des citoyens en leurs médias, confiance qui passe nécess- sairement par une fidélisation des publics • Viser la bonne gouvernance de l’entreprise-média qui suppose une démocratie à l’interne, une transparence économique à l’intérieur de l’entreprise comme dans tout le secteur de l’ « économie de l’information » au Maroc. Avec ces trois objectifs (ou grilles pour la réflexion), toutes les chances seraient réunies pour circonscrire, pour de vrai cette fois, le rôle des médias dans la société, leur place par rapport à l’État comme par rapport au public puisqu’on fera du média, dans sa plénitude, c’est-à-dire, en l’occurrence, avec sa dimens- sion économique et technologique, un acteur social, alors que contextualisation politique et référentiel 57

jusqu’à présent on limitait cet attribut d’acteur au seul journa-l liste, et encore, avec une trop grande imprécision ou une trop restreinte définition bien en deçà durôle reconnu au journaliste dans les démocraties modernes. Ceci nous amène à la nécessaire et inévitable question de la ré-g gulation qui a été le troisième grand point de convergence entre les divers avis exprimés ou collectés à l’occasion de ce Dialogue national. Du moment que le médium, en tant qu’entité complète (comme support d’expression, comme entreprise économique, comme producteur de contenus et de symbolique pour la société) est identifié comme acteur légitime et important dans la vie démoc- cratique, il est nécessairement obligatoire de définir les latitud- des et les limites d’action qu’une telle posture exige de lui pour préserver l’harmonie globale et le partage des rôles comme il sied dans une démocratie stable et dynamique. D’où donc l’outil de la régulation par la loi et son corollaire nécessaire en ce dom- maine de « profession libérale » : l’auto régulation. Sur l’encadrement législatif, professionnels, parlementaires et décideurs de l’État, ont exprimé, à l’occasion, leur conviction que le code de la presse actuel (2002), est devenu dépassé, voire obsolète non seulement par rapport à l’évolution technologique des médias dans l’absolu, mais aussi et surtout par rapport à la nouvelle réalité du champ national depuis bientôt une décennie. L’intérêt de moderniser et d’anticiper sur le futur doit concern- ner, de ce fait, tout un arsenal de textes législatifs et réglement- taires, voire toucher même la Constitution, dans le but de procéd- der à une profonde mise à niveau de cet encadrement dans tous les registres qui concernent les médias : la liberté d’expression, la liberté de la presse, les droits et devoirs de ceux et celles qui exerceraient ces deux libertés (le citoyen – pour la première-, les journalistes pour la seconde), les modes et mécanismes de régul- lation, les modes et pratiques d’ordre commercial, les droits et obligations d’ordre fiscal ou relevant des droits sociaux des pers- sonnels, l’investissement, les aides publiques, la publicité privée 58 dialogue national - media et societe et institutionnelle, la formation, etc. Avec cette importante rem- marque que cet effort devrait être guidé par la volonté politique d’arrimer le pays aux plus élevées des normes et valeurs recomm- mandées par la démocratie et par la communauté internatio-n nale, institutionnelle (système onusien) et civile (ONG internat- tionales spécialisées dans la promotion de ces valeurs, droits et libertés de l’Homme). Le projet de modernisation tourné vers l’objectif d’une société de l’information et du savoir exige une telle ambition d’ancrage d’ordre normatif. Mais une telle démarche « universaliste » doit néanmoins tenir compte bien relativement, non pas de prétendues « spécificit- tés » marocaines, mais des impératifs de construction qu’impo-s se la phase « transitoire » et fondatrice pour l’avenir par laquell- le passe indéniablement en ce moment le champ médiatique marocain. Ici, les données et analyses d’ordre diagnostic sont l’éclairage à prendre en considération. C’est ainsi que la régulation, par la loi, doit retenir le principe, unanimement admis par tous les partenaires du Dialogue natio-n nal, corporations professionnelles comprises, et qui est le prin-c cipe du « ticket d’entrée » au métier de journalisme. C’est-à-dire une définition claire, basée sur des critères d’attributs en termes de pré-requis de connaissances et de formation spécialisée en le domaine, qui permettrait à ce métier de bénéficier à la fois de la vocation et de l’ambition, mais aussi d’un minimum de « cap- pabilités » à même d’amener le prétendant au métier à adopter ses règles professionnelles et déontologiques et à les développer au service d’un journalisme d’excellence qui se soucie avant et après tout du prestige de cette profession, de sa crédibilité et de sa légitimité aux yeux du public. Un public dont le respect, voire le soutien, pour le journaliste, ne peut être acquis que si ce public accorde sa confiance, confiance dont le seul terreau ne peut être que la crédibilité et la performance d’ordre éthique et professionnelle. Ainsi en est-il en tout cas pour les médias et les journalistes dans une démocratie réelle. contextualisation politique et référentiel 59

Une telle clarification/assainissement des voies d’accès au mét- tier de journaliste (et à ses différentes spécialités et variantes à préciser dans une nomenclature de métiers et fonctions à éla-b borer par les professionnels eux-mêmes) permettrait en même temps de lever les équivoques ou les confusions induites ces dernières années, au Maroc et ailleurs dans le monde, par les TIC et le cyberspace de l’ère numérique. Aussi pourrait-on déf- finir précisément les attributs du journaliste pour des produc-t tions de contenus journalistiques dans la presse électronique, distinguer à ce titre l’e-journalisme de la blogosphère (animée par des citoyens comme par des journalistes) et bien appréhend- der la régulation et la gouvernance de l’Internet ouvert qu’il est au citoyen producteur/distributeur/redistributeur de contenus qu’on ne doit pas confondre avec le journalisme… « Le jour-n naliste est citoyen », le « citoyen n’est pas journaliste », dit un ancien patron d’une grande agence mondiale d’information, faisant ainsi la mise au point qu’il faut sur des affirmations du genre « journaliste citoyen » ou « citoyen journaliste », alors que le « journalisme citoyen » fait référence à un journalisme de professionnels particulièrement engagés pour la citoyenneté démocratique et les causes qui la nourrissent comme la défense des droits de l’Homme ou le droit des citoyens de s’approprier l’acte média comme dans le cas des médias communautaires ou associatifs. Ce besoin ou effort de clarification des rôles et postures,- not tamment entre le journaliste professionnel et le simple citoyen usant, à sa guise – et légitimement, certes – des nouveaux sup-p ports de communication que lui offrent les TIC, le cyberspace etle numérique, doit donc inspirer en profondeur les mécanis-m mes de régulation, depuis les lois jusqu’aux mandats des inst- tances de régulation, en passant par les instruments de droit réglementaire ou décisions d’ordre administratif. La même clarification doit servir de base à la conception des mandats et mécanismes d’autorégulation que les participants au Dialogue national ont érigé comme une urgence au même 60 dialogue national - media et societe niveau que celui de la nécessaire modernisation de l’encadre-m ment législatif et réglementaire. Une autorégulation, dévolue en priorité, sinon exclusivement, aux professionnels eux-mêmes (opérateurs médias et professionnels de contenus, voire des ci-t toyens) et qui doit être la première et l’ultime ligne de défense du journalisme professionnel, de ses attributs et de ses critères d’accès et d’exercice. Autorégulation qui nécessite l’installation d’une autorité en la matière, soit un « Ordre professionnel » que tous les participants à ce Dialogue ont appelé de leurs vœux, faisant ainsi échos favorable à la vision royale contenue dans le discours du Trône du Souverain en date du 30 Juillet 2004 et qui soulignait le lien naturel entre liberté et le professionnal- lisme soucieux de sa déontologie et de la « noble mission » du journalisme19. Le professionnalisme, voilà le quatrième point de convergence autour duquel toutes les organisations et instances auditionnées lors de ce Dialogue, tous les intervenants dans les nombreux débats organisés ou suscités par le Dialogue, se sont retrouvés pour se pencher, avec autant d’acuité et de gravité qu’ils l’ont fait autour de l’entreprise média. En fait, le Dialogue national, recommande la plus large et la plus sérieuse des attentions à réserver, dans cette réflexion de réforme globale, à deux acteurs décisifs : l’entreprise-média et le journaliste, tous les deux à int- terpeller sur l’établi du professionnalisme qui, dans l’acception fort pertinente du monde anglo-saxon, incorpore intrinsèque-m ment la dimension éthique et déontologique.

19 - Dans ce discours, le Souverain déclarait : « Comme la réforme du champ politique resterait incomplète sans le parachèvement de la réforme globale du paysage médiatique, eu égard à leur intime interdépendance dans l'œuvre de démocratisation de l'État et de la société, Nous sommes déterminé à poursuivre les réformes fondamentales du paysage médiatique national, y compris par l'élaboration d'une législation régissant les sondages d'opinion. A cet égard, Nous attendons du gouvernement qu'il favorise l'émergence d'entreprises de médias professionnels, libres et crédibles. Il devra également permettre à la presse écrite de se doter, en concertation avec les différents acteurs concernés et dans un cadre contractuel, d'un Ordre professionnel qui tiendrait lieu d'organe de représentation et de régulation, et qui veillerait au respect de la déontologie de la profession, afin de la prémunir contre toute pratique susceptible de porter atteinte à la noblesse de sa mission ». contextualisation politique et référentiel 61

L’insistance sur le professionnalisme comme chantier d’avenir pour le champ médiatique national, relève, après tout, du réalism- me dans la mesure où deux données majeures s’imposent dans le diagnostic que l’on fait du présent de ce champ : • La prédominance dans les contenus de la presse écrite de l’amateurisme, de la superficialité des traitements de l’information, de la propension, quasi systématique, à verser dans la spectacularisation (ou « fait-diversificat- tion » des nouvelles), à user de la rumeur sur tout sujet, grave ou anecdotique, à céder aux chroniques d’humeur personnelles en lieu et place de chroniques de traitement ou d’analyse de faits, à cultiver le flou, voire les volte-face, en ce qui concerne la ligne éditoriale, à user et abuser de l’iconographie, de la caricature, à recourir à la contrefa-ç çon, au plagiat, sans parler de la diffamation, de l’injure, de la calomnie et de l’insulte, devenues quasi systémati-q quement présentes dans le kiosque marocain… • La récente sortie du kiosque national du long couloir de la presse partisane exclusiviste et de sa dominante trad- dition de commentaire, au détriment de l’information, ce qui laissait peu de chances au professionnalisme, au véritable journalisme professionnel, et profitait à la do-m mination quasi-totale dans la plupart des titres partisans au « journalisme assis » (champion du commentaire et de la réécriture de dépêches d’agence), au détriment du « journalisme debout » (investigation sur le terrain) qui est la nature première et finale du journalisme, c’est-à- dire un métier de recherche et de collecte (sur le « terr- rain »), d’investigation, de vérifications et recoupements multiples, de suivi… Si d’aucuns avaient suggéré que le journalisme marocain était entré dans l’ « An Un du prof- fessionnalisme », en 1994 quand les journalistes récup- pérèrent enfin leur syndicat, le SNPM, occupé et dirigé, depuis sa création, par les patrons de presse, il nous faut admettre que cet « An Un » a cours encore aujourd’hui, 62 dialogue national - media et societe

bien qu’une large initiation au professionnalisme s’est bien installée depuis près d’une décennie, à la faveur des nouvelles marges de liberté de presse et de l’accumula-t tion de contenus et de pratiques réalisée par une foultit- tude de titres privés parus depuis dix à quinze ans, et par les deux vagues de radios privées autorisées à occuper les ondes depuis la libération de ces dernières en 2002 (déc- cret loi de Septembre 2002 mettant fin au monopole de l’État datant de 1924) et l’octroi en 2006 des premières licences d’exploitation à des radios privées par la Haut- te Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA créée par Dahir en Août 2002) et après la promulgation, en janvier 2005, de la loi relative à la communication audiovisuelle. Autant dire donc que le journalisme marocain est désormais as-s sez mûr, assez «âgé», pour qu’il puisse rentrer enfin de plain pied dans le professionnalisme tel que pratiqué dans les vieilles nations du journalisme qui sont en même temps des démocrat- ties réputées pour leur vitalité et pour celle de leurs médias qui en découle naturellement. Il ne s’agit plus donc de s’assurer d’un «An Un» du professionnalisme mais d’un «âge mûr» de professionnalisme. Pour cela, comme l’ont souligné la majorité des participants au Dialogue national, un effort public et massif doit être porté sur la formation et de développement des compétences. Le Maroc qui s’est doté d’un institut public spécialisé depuis une qua-r rantaine d’années et qui compte depuis près de 20 ans nombre d’écoles privées et qui, en plus, a un kiosque national de plus de 500 titres et un paysage audiovisuel offrant à présent 17 radios privées, un pôle public de 10 chaînes TV et une quinzaine de stations radio régionales et thématiques, a réuni assez de masse critique en ressources humaines (près de 3000 journalistes et professionnels détenteurs de la carte d’exercice) pour ériger, dés- sormais, la question de la formation (formation initiale, forma-t tion continue, recyclage, perfectionnement) en question hautem- contextualisation politique et référentiel 63

ment stratégique pour le devenir de son champ médiatique. Une question qui, partout dans le monde, est devenue de nos jours un leitmotiv dans toute réforme promotionnelle du champ méd- diatique conduite par les États, dans tout projet de lancement d’un média, sous la pression de la profonde et effrénée révolut- tion numérique et cybernétique des médias.20 Nombre de pays, parmi les plus avancés en matière de médias, ont même tracé des politiques nationales, des stratégies pub- bliques pour aider les médias à perfectionner et à moderniser les compétences de leurs personnels, à améliorer en somme le professionnalisme et en adapter les normes et les pratiques aux nouvelles donnes technologiques mais aussi aux nouvel-l les attentes des publics. Des publics devenus plus familiarisés avec les moyens d’information et de communication, grâce au numérique, à l’Internet, au Smartphone, et aux plus récents outils : iPad, SmartPad, Android Tablet…). Des publics devenus plus exigeants et plus avisés en la matière. Un seuil d’exigence et d’implication atteint par le citoyen ordinaire dans l’univers de la communication et des médias, au point que le journaliste professionnel s’interroge sur son avenir dans la société, se sent menacé d’inutilité sociale, craignant que sa profession dispar- raisse…Nombre de colloques, de conférences internationales d’organisations professionnelles, ont eu pour thèmes ces der-n nières années en Amérique du Nord et en Europe, des interrog- gations existentielles du type : «la fin du journalisme?», «l’Int- ternet menace-t-il le journalisme?», «le cyber citoyen sera-t-il le journaliste de demain?», etc. … Mais, outre cette crainte existentielle qui a accusé davantage le caractère décisif de la formation professionnelle et du prof-

20 - Les auteurs du « Livre vert » français ont appelé l’État français à « appuyer la modernisation de la formation initiale et continue » en recommandant notamment : des programmes obligatoires de formation continue aux non diplômés en journalisme (cas de 75% des journalistes de ce pays qui compte 70 écoles de journalisme); une taxe d’apprentissage à verser par les entreprises aux écoles de journalisme agréées; un cursus de formation reconnu par la profession et annexé à la convention collective; une « plate-forme technique de formation en ligne » sous forme de « salle de rédaction du futur » ( usant des TIC ); une « Conférence annuelle des métiers » réunissant écoles, opérateurs et professionnels de tous les médias… 64 dialogue national - media et societe fessionnalisme, le monde des médias confronte partout dans le monde, plus dans certains pays que dans d’autres, un sérieux problème attestant qu’il y a de moins en moins de rigueur prof- fessionnelle et de plus en plus d’écarts par rapport à l’éthique et à la déontologie du métier. Au point que de tels manquements, graves pour le métier et sa réputation auprès du public, sont devenus tolérables voire banals aux yeux de la profession elle- même.21 De grands journalistes, réputés dans les pays aux traditions prof- fessionnelles et éthiques les plus ancrées (dont même des récip- piendaires de l’illustre « Prix Pulitzer »), ont été pris en flagrant délit de violation de la déontologie ces dernières années : fauss- ses interviews, fausses informations, fausses enquêtes, conflits d’intérêts avec les sources, etc. Les normes professionnelles comme les canons de l’éthique et des bonnes pratiques déontol- logiques sont de plus en plus invoquées comme urgence à rétab- blir, y compris par les grandes organisations mondiales du journ- nalisme, comme la FIJ. Une urgence que l’on ne peut résoudre qu’en investissant profondément et durablement le champ de la formation, avec, bien entendu, l’appoint d’une bonne gouver-n nance du média en interne qui, d’ailleurs, fait de la formation continue un levier – et un droit- de gouvernance indispensable. D’un autre côté, une formation de niveau qui construit le pro-f fessionnalisme comme la sensibilité et les réflexes éthiques et déontologiques, est le seul repère sûr pour décider de l’éligibilité d’un candidat au métier de journalisme. Ce qui rejoint, dans not- tre cas au Maroc, la notion de «ticket d’entrée» : le requis d’une formation en journalisme est le premier critère pour pouvoir accéder à ce métier de manière légale et reconnue par la profess-

21 - Lors des 42ème Assises de la presse francophone tenues à Rabat, en Juin 2010, sous le thème de « La responsabilité politique et sociétale des médias », l'ex Patron du journal « Le Monde », Jean Marie Colombani, rapportait que de son temps, comme membre de la rédaction de ce journal, une faute de français coûtait un avertissement et trois fautes pouvaient exposer même au licenciement, alors que maintenant, disait-il devant ces assises, «vous ne pouvez plus prévoir de telles sanctions, car vous risqueriez d’affronter une forte opposition syndicale, solidaire avec le fautif concerné »… contextualisation politique et référentiel 65

sion. Sur ce point, il y a eu une quasi-unanimité des points de vue exprimés lors de notre Dialogue national. On comprend aisément qu’en conséquence, un appel pressant a été fait pour que les pouvoirs publics élaborent une stratégie nationale de formation et de perfectionnement dans ce domai-n ne, en collaboration avec le monde des médias et avec l’appui et l’implication du monde de l’enseignement et de l’université et celui de la formation professionnelle, sans oublier l’acteur clé : l’entreprise média elle-même. Avec cette remarque que l’impé-r ratif de la formation ne doit pas concerner uniquement les prof- fessionnels de contenus (journalistes, producteurs, techniciens, créatifs…) mais aussi l’entrepreneur-média et les personnels d’encadrement de l’acte médiatique : administrateurs, gestionn- naires, etc. Là on rejoint les objectifs de la mise à niveau globale de l’entreprise média, tout particulièrement sur le chapitre des ressources humaines. L’importance d’une stratégie nationale de formation qui soit tracée et portée de manière volontariste par l’État, égale l’imp- portance de l’aide de l’État pour la mise à niveau, tous azimuts, de l’entreprise média. Car l’État, veillant à la satisfaction des bes- soins de la société, doit s’intéresser, bien évidemment, à la qual- lité du produit journalistique offert aux citoyens. «Éduquer et élever le goût du public» est une mission cardinale des médias, comme le soulignait plusieurs fois une parlementaire, membre de l’Instance du Dialogue national. Une réflexion qui confirme une autre convergence dans les points de vue : les «médias sont, in fine, un bien public». C’est-à-dire qu’ils influent sur l’intérêt général de la société et participent, à leur manière, à sa constitut- tion, sa défense, sa promotion, son développement pour le bien de tous les membres de leur société faite, en grande partie, de publics médias. Il est donc logique que la question de la for-m mation des journalistes, qui peut garantir fondamentalement le professionnalisme (avec son éthique), soit approchée par la société, par l’État, comme une question relevant de l’intérêt gén- néral. 66 dialogue national - media et societe

L’intérêt général ou «intérêt public» est un concept référentiel qui a été, d’ailleurs, le cinquième point de convergence dans ce Dialogue national. Invoqué d’abord pour admettre l’idée que les médias font œuvre utile à l’intérêt général et doivent donc être considérés comme un «bien public»… Mais ce concept univers- sel a été invoqué aussi pour définir de façon plus précise, plus moderne et surtout plus conforme aux normes de la démocratie, ce grand pan du champ médiatique national que constituent les médias dits de «service public». Comme on peut l’imaginer, les débats de ce Dialogue se sont longuement attardés sur le «pôle public» de l’audiovisuel pour lequel la nécessité de mieux définir la notion de «service public» est devenue on ne peut plus impérative suite à la libéralisation du secteur et à la concurrence privée qui, par ricochet, met ce pôle dans une posture d’interrogation sans précédent, sur sa voc- cation, sa mission, ses marges de différenciation, etc. Partant bien entendu du lourd héritage de monopole d’État, avec ses longues traditions, ses subtiles pesanteurs et ses plis bien profonds des pratiques et réflexes, le débat national a perm- mis de rejoindre, par la réflexion, y compris avec les premiers décideurs de ce paysage audiovisuel marocain (PAM), les prin-c cipes et définitions les plus actuelles recommandées internation- nalement tant par les agences onusiennes comme l’Unesco que par des ONG qui font autorité comme Article 19 ou le Conseil mondial de la radio et télévision (CMRTV). Avec l’éclairage d’experts internationaux et de nombre de docu-m ments de référence, en plus d’un large benchmarking (allant du Canada à l’Afrique du Sud et du Royaume Uni à l’Australie et le Japon), l’Instance en charge du Dialogue national a pu circons-c crire les standards et modèles les plus élevés du «PSB» («Public Service of Broadcasting») et en définir le mandat minima et les attributs et caractéristiques les moins perméables à quelconque exception de contexte ou spécificité politique ou culturelle. En vérité, tout revient dans cet effort de clarification du concept «service public» au large référentiel des droits de l’Homme et contextualisation politique et référentiel 67

les valeurs que ces droits renferment ou supportent. Ces droits et valeurs se traduisent pour le média de service public en term- mes professionnels essentiellement en : Pluralisme; Indépend- dance; Diversité/équité; Innovation/qualité. Ces quatre directives de valeurs configurent le type de gouvern- nance auquel un média dit de service public doit se conformer dans un régime démocratique où nulle confusion ne doit être faite entre l’État et ce type de média, nulle collusion ne doit être permise entre de tels médias et quelconque centre de pouvoir, étatique ou autre (partisan, économique, religieux…). Des mé-d dias qui donc doivent servir «l’intérêt général» de la société, la totalité de la société avec ses différentes composantes et ses div- vers publics-médias. L’une des définitions les plus complètes et les plus pertinentes, souvent citée en référence lors de ce Dialogue national, est celle proposée par le CMRTV22 : « Ni commerciale, ni étatique, la radiodiffusion publique (rad- dio et télévision) puise sa raison d’être dans le seul accomplisns sement du service public. C’est la radiodiffusion du public: elle s’adresse à chacun à titre de citoyenne. Elle encourage l’accès et la participation à la vie publique. Elle développe les connaissn sances, élargit les horizons et permet à chacun de mieux se comprendre en comprenant le monde et les autres ». Cette définition (reprise par la « Déclaration de Rabat » de mai 2000, elle-même consignée par l’Unesco au même titre que la Déclaration de Windhoek de 1991 sur la presse écrite), donne toute la mesure de la mission qui incombe à l’audiovisuel de « service public ». Ce qui, on s’en doute, va induire une grande

22 - Le Conseil Mondial de la Radio Télévision (WRTVC/CMRTV), fondé en 1997, avec l’appui de l’Unesco, par Pierre Juneau, ex Président de Radio Canada (CBC), puis Président de l’autorité canadienne de régulation de l’audiovisuel (CRTC), organisa en Mai 2000, conjointement avec le gouvernement marocain, l’Unesco et la Chaire Unesco/Orbicom en communication, une conférence internationale sur « Les défis à la radiotélévision de service public en Afrique ». Conférence qui fût sanctionnée par la « Déclaration de Rabat » définissant le mandat et les standards (démocratiques et de qualité) d’un service public audiovisuel, comme la « Déclaration de Windhoek » définissait en 1991, sous la férule de l’Unesco, les principes et standards pour une presse écrite libre, pluraliste et de qualité. 68 dialogue national - media et societe responsabilité pour l’État dans le sens d’appuyer et d’outiller ces services de gros moyens qu’un tel mandat exige, mais sans ingér- rence ou tutelle quant à la ligne éditoriale et aux contenus. Diffic- cile équilibre que pourtant de grandes démocraties réussissent, à quelques exceptions près. En tout cas, le Maroc, pays ayant fait le choix de renoncer au monopole d’État, se doit de viser un tel standard, de s’y conformer du maximum qu’il peut. Mais cette définition, de l’avis de nombre de spécialistes comme de l’avis de la majorité des participants à notre Dialogue nation- nal, peut s’étendre à tous les types de médias. Dans le sens où, avec le postulat admis selon lequel les « médias sont un bien public », nombre de contenus et de prestations de médias privés (écrits, audiovisuels ou cybernétiques), sans parler bien évidem-m ment de l’agence nationale de presse (MAP), dans notre cas, rel- lèvent forcément de l’intérêt général ou ont un impact sur lui. Nombre de pays, plus proches ou comparables du Maroc, com-m me l’Afrique du Sud, le Bénin ou le Pakistan par exemple, att- tribuent, notamment par le biais des autorités de régulation de l’AV, une ou des missions de « service public » aux médias priv- vés, c’est-à-dire que ces médias sont qualifiés, pour certains de leurs contenus et du fait de certaines obligations juridiques ou déontologiques, d’acteurs ayant un impact sur l’«intérêt génér- ral», et donc ayant des obligations à son endroit au niveau de leur offre de contenus, voire même dans leur gouvernance en interne. Ce concept-phare d’ « intérêt général » ou « intérêt public » dev- vient un concept de référence majeur quand on aborde la poli-t tique publique d’aide de l’État à la presse. Aide qui a toujours existé au Maroc, depuis la promulgation du 1er code de la presse sous l’indépendance, le Dahir du 15 Novembre 1958 (dégrèvem- ments et ristournes au plan fiscal, octroi d’annonces légales, ta-r rification douanière ou fiscale spécialement soutenue par l’État pour le papier, les télécommunications, les consommables, la distribution ; abattement fiscal sur les salaires des journalistes etc.)… contextualisation politique et référentiel 69

Ces aides de l’État ont connu une évolution, avec l’octroi, au mil- lieu des années 80, d’une aide royale annuelle au profit des partis pour soutenir leurs journaux, puis, dans les années 90, par l’institutionnalisation et l’inscription dans la loi de finances d’une aide annuelle directe à la presse, davantage généralisée à la presse nationale, et enfin, dans les années 2000, par une aide directe encadrée par un « Contrat programme » signé entre le gouvernement et les éditeurs (la FMEJ) et qui a profité en 2010 à plus d’une soixantaine de titres, selon les responsables du min- nistère de la communication et de la FMEJ. Le choix de l’aide publique à la presse écrite (parallèlement à l’audiovisuel de service public qui a connu lui aussi une évolu-t tion promotionnelle de l’appui financier de l’État et de sa gest- tion avec la création de la SNRT en 2005) est donc une tradition au Maroc qui ne déroge pas, sur ce registre, du modèle originel qui a inspiré, même avant l’indépendance, sa démarche en la matière, à savoir le modèle français (dont la loi sur la presse de 1881 a été la dominante source d’inspiration pour le code mar- rocain de 1958, lui-même maintenu dans sa grande substance dans le texte réformé de 2002). S’il n’y a pas lieu de remonter aux origines politiques et même philosophiques de ce choix de l’aide publique à la presse (off- ficielle, privée, partisane), choix quasi absent dans le modèle anglo-saxon (à quelques «crédits d’impôts» et tarifications spéc- ciales près – des soutiens indirects exclusivement -), il est imp- portant d’en discuter la motivation, la légitimité et les objectifs dans le cas du Maroc actuel et de ses futurs lendemains. Comme il a été admis et longuement argumenté par la majorité des acteurs institutionnels et civils dans ce débat national, que la juste appréhension de la place et du rôle des médias dans la société marocaine doit consister à les qualifier de «bien public», c’est-à-dire, dépositaires, à un degré ou à un autre, selon les cas et leur nature de statut et de régime, d’une mission de «service public»… À l’enseigne, bien entendu de diverses activités pro-f fitables pour l’intérêt général de la société : éducation, sensibil- 70 dialogue national - media et societe lisation, divertissement, enrichissement culturel – individuel et collectif - enrichissement par la connaissance, promotion du goût pour et par les arts, production de valeurs et de symboliq- que pour le comportement individuel comme pour l’imaginaire collectif, œuvre de cohésion sociale, d’ouverture sur le monde, promotion de la culture des droits de l’Homme, protection et défense des droits des minorités et des groupes aux besoins spéc- cifiques, culture de paix et de tolérance, culture de citoyenneté, arrimage au monde moderne des technologies de la communi-c cation et de la société du savoir et de l’information… Autant de champs de contributions pour les médias qui en font un intervenant influent, voire crucial, dans la sphère de l’intérêt général pour l’individu comme pour la communauté nationale. Aussi est-il normal que la société – dans la logique d’un régime démocratique solidaire et inclusif- assiste et aide cet acteur au mieux de l’accomplissement de sa contribution à l’intérêt de tous. L’«intérêt de tous» qui, certes, doit être, au préalable, bien défini par rapport à l’objectif –les objectifs- du «vivre ensemb- ble» et du «progresser ensemble» dans la cohésion, la paix et la prospérité, idéal triptyque de la démocratie. À partir de la définition de ce référentiel – ce que nous avons longuement décrit jusque-là dans cette section grâce au corp- pus accumulé lors des auditions et débats du dialogue- l’on doit choisir quelle démarche adopter pour aborder la nécessaire aide publique à la presse. À ce jour, depuis la lettre royale de 1987 jusqu’au dernier contrat programme (qui devait être renouvelé fin 2010), l’aide de l’État à la presse a été conçue et gérée selon une démarche de subvent- tion, d’aide au sens premier du terme. Dans le «livre vert» présenté au président français et à son gouv- vernement en janvier 2009, les auteurs de ces «états généraux de la presse française» ont proposé un changement de démar-c che, traditionnelle dans le modèle français qui a largement insp- piré notre expérience au Maroc en la matière. D’une démarche contextualisation politique et référentiel 71

de subvention, ils ont en effet recommandé à l’État français de passer à une démarche d’«aide investissement». La différence est importante : on n’aidera plus la presse juste pour alléger ses dépenses ou la soutenir pour traverser une conjoncture difficile ou encore juste pour le principe, mais on l’aidera pour attein-d dre des objectifs préalablement convenus avec l’État. Non pas des objectifs dictés par l’État, mais des objectifs identifiés, par la consultation et le dialogue justement, à partir des attentes et bes- soins exprimés par la société ou indéniablement intrinsèques au projet de société que la communauté des citoyennes et citoyens du pays souhaite et soutient, avec ses ambitions et ses valeurs de démocratie en l’occurrence. Ces objectifs devront également être identifiés quand ils convergent avec des objectifs propres au monde des médias comme les objectifs de la modernisation des infrastructures et des technologies, du développement et de la diversification des contenus, de l’augmentation numérique des publics et progression de leur fidélisation. Sans oublier des obj- jectifs purement économiques en termes de rendements et prof- fits, d’investissement, d’expansion de marché, de rayonnement économique plus large que le champ national (objectif central pour le « livre vert » français préoccupé par la place des groupes de presse français dans le grand espace, fort concurrentiel, de l’Europe qui menace le « label » français par les stratégies de concentration et de mondialisation des géants européens –allem- mands, anglais- et mondiaux )... Lier l’aide publique à des objectifs est une démarche déjà pré-s sente dans le contrat programme de 2005. Mais les objectifs retenus, sous l’impératif conjoncturel de l’époque sans doute, se limitaient au besoin, fort important, de mettre à niveau l’ent- treprise média par rapport aux obligations légales de base : transparence des chiffres de tirage et de distribution (OJD), rég- gularisation de la situation légale du statut et des droits des journalistes, régularisation – progressive- de la situation de l’entreprise vis-à-vis de ses obligations fiscales et sociales (imp- pôts, CNSS)… Or maintenant, il s’agit d’aller de l’avant dans ce «lien contractuel» entre les médias et la société (laquelle société 72 dialogue national - media et societe est représentée par l’État interpellé, dans le cas d’espèce, par le Parlement et les professionnels du secteur, animateurs de ce Dialogue national). Aller de l’avant dans le sens d’une mutuelle responsabilisation : responsabilisation de l’État et responsabilis- sation des médias, des entrepreneurs médias. Pour ce qui concerne l’État, l’évocation de cette question de l’aide à la presse – aux médias en général, dans toutes leurs diversités technologiques- renvoie à une question plus large : l’État a-t-il une politique visant le champ communicationnel dans sa glob- balité, avec des choix stratégiques, des stratégies d’action, des planifications et des échéanciers de mise en œuvre? Aussi bien durant nos auditions au Parlement, que durant nos débats et ateliers publics, qu’au vu des mémoires envoyés à la coordination générale du Dialogue par les partis politiques, qu’au travers du volumineux « Press Book » amassé par ce Dial- logue, ce questionnement majeur a été évoqué avec insistance et moult argumentaires. Tant l’évolution positive indéniable du champ des libertés, liberté d’expression en tête, que l’explosion du kiosque en titres (523 titres nationaux recensés en Novemb- bre 2010) que la libéralisation du secteur audiovisuel, impos- sent, aujourd’hui plus que par le passé, la définition d’un cap pour l’État, d’une politique publique incorporant des objectifs à court, moyen et long terme. La définition d’une politique ouvertement et publiquement as-s sumée par l’État permettrait d’abord la continuité et la cohér- rence, et donc ferait éviter aux pouvoirs publics l’hésitation, les mesures improvisées, les renoncements ou reniements, les ma-l ladresses et les malentendus, la confusion, la non coordination entre ses actions et ses différents intervenants (ministères, auto-r rités locales…)… Une politique annoncée, confortée par un vote positif au Parlement, relayée en toute transparence et avec disc- cours vrai, par une stratégie de communication et d’explication à l’adresse des citoyens et de leurs cadres sociaux et civils (par-t tis, syndicats –du secteur notamment- ONGs et associations…), profiterait, en plus, grandement, et à l’État et aux médias, à la contextualisation politique et référentiel 73

société in fine. Bien entendu, une telle politique doit forcément être ancrée, au niveau des principes et des orientations stratégiq- ques ou choix de société, aux : • Droits humains et valeurs universelles admises par la communauté internationale, dont la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information et aux sources • Fondamentaux du «contrat social» de la société maro-c caine, inscrits, pour l’essentiel, dans la Constitution du pays, stipulés explicitement • Ambitions légitimes de développement et de modernis- sation du monde des médias, à l’enseigne d’une réelle participation à l’émergence et à la construction effective d’une société du savoir et de l’information au Maroc • Besoins et ambitions de l’individu marocain et de la soc- ciété marocaine à l’enseigne du progrès, de la prospérité, de l’équité, de la cohésion, de la dignité et de la participa-t tion à l’œuvre universelle de l’homme en tant que peuple et culture ayant un génie propre et une identité contribut- tive à la diversité des peuples et des cultures, dimension d’apport civilisationnel. Avec donc de telles références, l’aide de l’État aux médias doit non seulement être vue à la hausse, au niveau des multiples ob-j jectifs inscrits dans la perspective d’une «société de l’informa-t tion» démocratique, moderne et inclusive, mais doit être repens- sée de fond en comble pour changer de nature et d’approches en tant qu’investissements liés à des résultats attendus, à des objectifs intermédiaires et sectoriels à atteindre, à des planifica-t tions dans le temps, intervenant parfois sur des termes limités (comme des moratoires réglementaires ou amnisties fiscales, par exemple), d’autres fois sur des activités ponctuelles ou tran-s sitoires (comme dans le cas de la mutation technologique d’une entreprise média ou de l’installation des fondements d’un sys-t tème, comme celui d’un système informatique ou celui de la dist- tribution de la presse par un réseau modélisé de kiosques…). 74 dialogue national - media et societe

On comprend bien qu’à ce niveau, on devra avoir recours large-m ment à la technique du «cahier de charges» déjà introduite par l’État dans le secteur de l’audiovisuel qui, d’ailleurs, est en attent- te, et spécifiquement, d’une profonde réforme de l’aide publique qui le concerne et qui est encore bien en deçà de ses besoins et de sa large et véritable mission sociétale d’intérêt public. On comprend bien aussi que cette pratique du «cahier de char-g ges» renforcera les deux leviers de la démocratisation du champ des médias au profit, in fine, de la démocratie : la régulation et l’autorégulation. La régulation législative (par la loi) et institut- tionnelle (par des autorités institutionnelles comme la HACA) délimite le périmètre extrême, avec les zones d’exceptions légal- les, du champ d’exercice de la liberté d’expression, permettant à l’autorégulation de chercher l’optimisation de cet exercice sans que l’exerçant (média, journaliste, citoyen communicateur) et le récepteur/bénéficiaire (public média, citoyen) en soient frustrés ou exposés à l’intervention restrictive de la loi. Autrement dit, la dynamique qui doit s’installer entre la régulation (dont l’aide de l’État aux médias est un des mécanismes, peut-être des plus efficients) et l’autorégulation (qui, en démocratie avancée est le plus souvent le fait –indépendant- des professionnels, c’est- à-dire, des concernés eux-mêmes du monde des médias) est le moteur même de la démocratisation du champ médiatique. Dy-n namique ou moteur qui fournit substantiellement de l’énergie à la démocratie dans son ensemble, confirmant ainsi les médias dans leur rôle d’«animateurs de la vie démocratique». Tout compte fait, le cadrage politique et de référentiel, partant du référentiel universel des droits de la personne, dont la lib- berté d’expression, aboutit, au plan pratique de mise en œuvre de cette liberté dans le champ communicationnel (au profit des médias comme des citoyens devenus «net-citoyens » grâce à l’Internet et aux TIC) à la nécessité de parier fondamentalement sur ces deux leviers : la régulation et l’autorégulation, et sur une intelligente, souple et moderne dynamique ou synergie entre les deux. contextualisation politique et référentiel 75

Finalement, la faiblesse, quand ce n’est pas carrément l’absence de ces deux leviers et de leur interaction, explique l’état actuel du champ médiatique marocain dont le diagnostic présente nom-b bre de dysfonctionnements et de vides ou absences de mécanism- mes indispensables à son amélioration, à son développement, à sa modernisation, à l’aune de standards universellement re-c commandés dès lors qu’on a fait, au plan politique suprême, le choix de la démocratie. Ainsi en est-il de l’absence d’autorégul- lation dans le secteur spécifique de la presse écrite, ce qui a été un déficit souligné par la quasi-totalité des intervenants dans ce Dialogue national pour appeler à l’installation d’une instance de régulation chargée de veiller au respect de l’éthique et de la déontologie, universellement recommandées pour la pratique dans ce secteur. 76 dialogue national - media et societe diagnostic global et analyse sectorielle 77

Diagnostic global et analyse sectorielle 78 dialogue national - media et societe diagnostic global et analyse sectorielle 79

Presque la quasi-totalité des analyses qui s’affichent ces -dern nières années à propos de la situation de notre champ médiat- tique, sont mues finalement par cette recherche d’une synergie agissante, ordonnée et sereine, entre ces deux leviers, comme partout dans les démocraties : la régulation par la loi, portée par une justice au dessus de tout soupçon quant à son indépend- dance, et l’autorégulation de par les tables de l’éthique et de la déontologie portées par des professionnels et des médias souc- cieux de préserver et de défendre le prestige et l’honneur de leur profession. Le but étant d’arriver à rendre naturelle et ordinaire, au quotidien, une dynamique entre ces deux leviers. Dynamique qui s’inscrirait, sans gros grincements ou graves accrocs, dans le mouvement général du projet sociétal d’une démocratie dynamiq- que au présent, gérant sereinement et normalement des conflits maîtrisables –inévitables en démocratie- entre les pouvoirs, les institutions et les acteurs… Une démocratie ouverte sur le futur, tirant de cette « vivacité conflictuelle » (mystère de la démocrat- tie, nous disent les philosophes) sa capacité de s’adapter touj- jours dans sa marche vers le perfectible, vers le futur. Un futur, en l’occurrence, d’une société inclusive, tolérante et moderne, une société d’État de droit et d’équité, dans un monde diversifié, ouvert à tous, mais au prix d’une compétition féroce qui ne pro-f fitera, in fine, qu’aux peuples qui ont une foi solide en ce but et qui se donnent les véritables moyens pour l’atteindre. Nul doute que ce but pour l’avenir de notre champ médiatique (peut-on viser un autre, différent?!) est bel et bien présent dans l’esprit de tous ceux, d’un bord comme d’un autre, qui ont un ressentiment pour la situation actuelle de ce champ si crucial pour le devenir du Maroc, pour son projet de démocratie et de développement, comme pour sa place dans le concert des na-t tions (à commencer par ses relations avec ses voisins et compét- titeurs immédiats du Nord et de l’Est). Si ce ressentiment peut trouver, pour s’exprimer, des raisons –ou de solides prétextes- dans la chronique quotidienne des prestations de nos médias et 80 dialogue national - media et societe journalistes, de nos politiques et juges, il aurait le tort de nous engluer par-là dans l’immobilisme, voire la régression ou la dém- mission, que nourrit l’émotion, avec ses emphases et ses défianc- ces, ses slogans démagogiques et ses ataviques préjugés. Alors que l’heure est pour nous de nous engager sur le difficile chemin de l’étude et de l’effort, du raisonnement serein et de la planifi-c cation d’action bien décidée, sans nulle place pour l’affect. Le recours –volontariste comme il en a été dans ce Dialogue – au raisonnement, à la raison, doit nous amener à dégager un diagnostic opératoire pour la réflexion et l’action qu’un seul mot peut résumer : décalages. Des décalages multiples et multiformes entre la société maro-c caine, dans sa globalité, et ses médias : Ø Décalages entre la demande qu’on peut raisonnablement supposer dans un pays de 32 millions d’habitants (aux 2/3 des jeunes), de près de six millions de ménages, urb- banisés à plus de 50%, et la consommation réelle des méd- dias et de leurs produits; Ø Décalages entre, d’un côté, la demande réelle, la demand- de potentielle et des attentes exprimées ou frustrations et, de l’autre côté, l’offre réelle, tous médias confondus; Ø Décalages entre le rythme d’ouverture, de libéralisme et de démocratisation de nombre de champs d’activités du pays et le rythme, en dents de scie et bien tendu, que connait encore son champ médiatique; Ø Décalages entre les potentialités réelles présentes et fut- tures du champ médiatique en termes économiques et d’emplois et ses actuelles et prévisibles performances, fort limitées encore, sur ces deux registres; Ø Décalages, d’une part, entre les textes et codifications morales et éthiques encadrant l’exercice de la liberté d’expression en général et la liberté de la presse en partic- diagnostic global et analyse sectorielle 81

culier, et, d’autre part, les pratiques et produits des mé-d dias, des journalistes et des « Net citoyens »; Ø Décalages entre les postures, attentes et objectifs des po-l litiques, d’une part, et ceux des journalistes et des méd- dias, d’autre part; Ø Décalages entre, d’un côté, les intentions et les réactions de l’État et, d’un autre côté, celles des médias et des jour-n nalistes, tout particulièrement à l’occasion de quelconq- que accroc, malentendu ou conflit entre les deux parties; Ø Décalages entre, d’une part, les rendus de justice des tri-b bunaux, avec leurs graves conséquences sur le champ et l’avenir de la liberté d’expression et, d’autre part, la na-t ture des délits de presse jugés; Ø Décalages entre les valeurs humaines, démocratiques et éthiques défendues par la majorité des médias et les pratiques réelles de ces derniers tant dans leurs contenus que dans leur gouvernance en interne et dans leur propre champ professionnel et socio-économique; Ø Décalages entre, d’un côté, la relative longue histoire du journalisme marocain, ses nombreuses luttes syndicales et politiques, ses nombreuses tribunes et ses effectifs ass- sez nombreux et, de l’autre côté, son taux de syndicalis- sation et son degré de cohésion et d’union en tant que corps de métier et en tant que corporation, capable de se présenter et de s’imposer comme interlocuteur des ins-t titutions de l’État et qui soit cohérent dans ses postures face à la société, aux pouvoirs publics et à tout autre vis- à-vis dans le champ. Cette diversité de décalages constituant l’essentiel de la réalité de notre champ médiatique menace, en fait, de conduire le Maroc à un fossé monstre avec ceux des pays, de mêmes choix de régime libéral et de mêmes potentialités et ambitions, qui ont déjà mis le pied à l’étrier de la société de demain : une société moderne et démocratique, une société inclusive, d’information et de savoir. 82 dialogue national - media et societe

Il suffit juste d’un examen d’ordre monographique, sans ana-l lyse de type quantitatif ou qualitatif, pour voir une telle menace se profiler à l’horizon. Menace, à terme, de sous-développement en le domaine, de sous démocratisation, de sous information et d’inculture de la société…Un retard civilisationnel en somme, en ce 21ème siècle, siècle des médias et des savoirs numériques et cybernétiques auxquels n’accèderont que les peuples qui prenn- nent une part active à leurs apports théoriques et pratiques, à leurs créations et innovations techniques et technologiques. Autrement dit, le simple rappel de certaines données chiffrées et de certaines réalités saillantes et indéniables caractérisant ce champ, suffirait à nous édifier sur l’existant et sur les défisà souligner en relation avec une telle menace potentielle.

Choisissons donc, à titre de diagnostic synthétique, de survol- ler un certain nombre de données, secteur par secteur. Mais en nous arrêtant juste sur la finalité de chaque secteur, c’est-à-dire son seuil de pénétration dans la société marocaine, notre ré-f flexion ayant privilégié, dès le départ, l’examen de la relation entre la société marocaine et ses médias. diagnostic global et analyse sectorielle 83

SECTEUR DE LA PRESSE ECRITE

En termes de données, ce secteur présente une réalité domi-n nante de décalage on ne peut plus criarde et sur laquelle butent toutes les analyses depuis près d’une décennie au moins : un lectorat quasi insignifiant, représentant à peine 1% des 32 mill- lions d’habitants, jeunes en majorité, et qui, à l’horizon 2030, nous prédit le Haut Commissariat au Plan, seront 38 millions dont 24,4 millions (63%) seront urbanisés. Qui plus est, cet insig- gnifiant lectorat, au plan quantitatif, est concentré sur l’axe Cas- sablanca-Rabat qui regroupe à lui seul environ 60% des lecteurs francophones et autour de 50% des arabophones, ce dualisme linguistique étant un décalage structurel du lectorat national, sinon une « spécifique » anomalie, comparativement à ce qu’il en est dans nombre de pays démocratiques. Ainsi, sur les 300.000 à 350.000 lecteurs journaliers (moyenne des quotidiens et des hebdomadaires du kiosque national, les deux langues confondues), ce sont plus de 150.000 – 50% – qui se trouvent dans deux villes qui ne représentent que 15% de la population globale. Autant dire que la lecture de la presse et son commerce relèvent encore de la marginalité dans le Maroc du 21ème siècle! En élargissant le rayon de cet axe à ses environs, ville de Kenitra comprise (soit un rayon de 150 kilomètres au plus), on constate que sur les 300.000 lecteurs quotidiens, 150 à 170.000 habitent Casablanca, Rabat et leurs régions, ce qui laisse environ 130 à 150.000 personnes qui se répartissent sur l’ensemble du territ- toire national, grandes et moyennes villes comprises (Tanger, Tétouan, Fès, Meknès, Marrakech, Oujda, Agadir…). Autrement dit, 50 à 60% des ventes du kiosque national sont écoulés sur l’axe Casablanca/Kenitra. Alors que le lectorat dans le monde rural ou dans les villes de moins de 50.000 habitants, est extrêmement faible et est constitué, dans son écrasante ma-j jorité, de personnes étrangères à la région examinée (souvent des fonctionnaires affectés dans ces régions depuis l’axe cen-t tral de la presse, Casa/Rabat ou depuis de grandes villes).23Sans

23 - Des indications importantes que nous ont apportées, avec recoupements clairs, quatre études réalisées par des chercheurs associés au Dialogue national. Il s’agit de deux études sur l’économie de l’information au Maroc et sur le modèle de l’entreprise média, et deux études, quantitative et qualitative, sur « les jeunes et les médias » (usages et attentes ou CAP). 84 dialogue national - media et societe oublier un autre indicateur significatif de cette marginalité : se-l lon les titres, le taux d’invendus (« bouillon ») peut varier entre 40% et 90% du volume distribué!24 Au regard des titres écoulés dans le Maroc hors Casa/Rabat et les habitudes de lecture déclarées, ces 150.000 lecteurs sont peu intéressés par l’information écrite généraliste et/ou nationale. Ils sont urbains mais avec des dépenses en «enseignement, culture et loisirs» de moins de 5%. En somme l’avenir de la presse écrite en général et celui de la presse nationale généraliste d’informa-t tion n’est pas pour le moment entre les mains des Marocains vivant en dehors des 100 kms de l’axe des deux grandes capit- tales du littoral atlantique! Alors que ces deux agglomérations concentrent la quasi-totalité des équipements, des entreprises et des professionnels que compte le pays depuis toujours dans ce champ d’activités économiques et culturelles.25 Comparatif du lectorat de la région Rabat/Casablanca et Reste du Maroc (estimations)

Régions Population Lectorat Pourcentage

Rabat/Casablanca 5.000.000 150.000 3%

Reste du Maroc 27.000.000 150.000 0,56%

Source Sapress Le lectorat connaît un tassement depuis 2007, après la forte poussée des 5 années précédentes, comme l’indique le tableau ci-dessous :

24 - Le pourcentage d’invendus conventionnellement admis dans la profession pour témoigner d’une adéquation conséquente entre l’offre et la demande est de 30%, plus ce taux augmente, plus la publication glisse vers la marginalité et plus l’entreprise éditrice devient fragile et menacée, à terme, de faillite économique. 25 - Durant la lutte pour l’indépendance cet axe de presse vivait une forte concurrence avec l’axe originel de l’introduction de la presse au Maroc, l’axe Tanger/Tétouan. Tétouan qui, au moment de l’indépendance, comptait près de 80 imprimeries de travaux de ville et d’impression de périodiques et qui fournit aux grandes imprimeries de Casablanca et de Rabat nombre d’ouvriers du livre et de cadres d’imprimerie durant les années 60 et 70, années de déclin de cet axe du Nord au profit définitif et monopolistique de l’axe Casa/Rabat. diagnostic global et analyse sectorielle 85

Source OJD Maroc 86 dialogue national - media et societe

Ce tassement semble glisser en 2010 vers un mouvement de baisse substantiel, comme en témoigne le tableau ci-dessous qui présente une comparaison des ventes de 19 quotidiens sur les mois d’octobre et de Novembre 2010 :

Quotidiens Écart nombre Octobre 2010 Novembre 2010 arabophones de copies

Assabah 71 042 68 271 Moins 2 771

Al Ahdath 15 046 15 530 Plus 484

Akhbar Al Youm 9 396 9 677 Plus 281

Al Ittihad 5 840 6 062 Plus 222

Annahar 2 800 2 789 Moins 82

Assahra 1 174 1 249 Plus 75

Bayane AlYoum 690 725 Plus 35

Rissalat Alouma 525 601 Plus 76

Al Mounataf 306 336 Plus 30

Al Haraka 236 244 Plus 8

Quotidiens francophones

Le Matin 17 144 16 326 Moins 818

L’Économiste 15 422 14 681 Moins 741

L’Opinion 10 906 10 164 Moins 742

Le Soir 3 062 2 960 Moins 102

Aujourd’hui le Maroc 2 816 2 779 Moins 37

Libération 1 462 1 456 Moins 6

Al Bayane 1 265 1 223 Moins 42

Les Échos 1 228 1 215 Moins 13

Total Général 162 596 158 606 Moins 3 990

Source Sapress diagnostic global et analyse sectorielle 87

La tendance donc est vers une lente baisse, totalement avérée pour les publications francophones et assez présente dans le cas des quotidiens arabophones dont les écarts positifs de vente dép- passant les 6% sont à ce point minimes, car n’intervenant que sur des volumes de vente totale presque « confidentiels » (300 à 500 copies)…Alors que les écarts négatifs touchent, dans des pourcentages de 4% à 7% des volumes de vente globale allant de 10 000 à 15 000, à 17 000, à 71 000 exemplaires… Sur juste un mois donc, par période forte de rentrée après la lon-g gue saison estivale, ces 19 quotidiens ont perdu quelque 4000 lecteurs. La perte ayant été systématique pour tous les titres francophones et bien substantielle dans le cas des arabophones. Une perte donc globale de 2% sur 160 000 lecteurs de tous ces titres (la moitié du lectorat marocain, en fait.). Cette illustration, comme coupe mince et aléatoire dans la réal- lité du lectorat de tous les jours, est bien édifiante sur la margi-n nalité de la presse, d’une part, en termes de pénétration dans la société, et, d’autre part, sur la tendance lourde à la baisse à la-q quelle on assiste d’ailleurs un peu partout dans le monde, dans les sociétés à fort lectorat comme dans les pays à faible lector- rat. Sauf que dans le cas du Maroc, cette tendance intervient dans un contexte sociétal des moins portés sur la consommation de la presse. L’indicateur international du nombre moyen de copies disponibles pour 1000 habitants nous le confirme amplement :

Nombre de copie Pays ou région pour 1000 Habitants Maroc 13 Monde arabe 46 France 167 USA 274 Royaume Uni 322 Allemagne 371 Finlande 594 Japon 664 88 dialogue national - media et societe

Un autre indicateur, tout aussi standard à l’échelle internatio-n nale, concerne cette fois le volume de consommation du papier d’imprimerie, donnant une idée sur le lectorat en général, de la presse comme de tout imprimé :

Papier d’impression consommé Moyenne consommation/ dans : 1000 habitants/an

Le Monde 20,3 tonnes

Les Pays industrialisés (OCDE) 95,2 tonnes

L’Afrique 1,5 tonne

Le Maroc 4 tonnes

Ces données chiffrées suffisent donc à témoigner du réel et in-q quiétant décalage qui va en s’élargissant entre la presse écrite et le public, alors que l’examen plus qualitatif des modes de consommation de cette presse, notamment chez les jeunes (maj- joritaires au pays), illustre davantage et autrement plus fort cett- te grande fracture. Une offre qui –autre décalage- propose aux Marocains un kios-q que de plus de 520 titres nationaux (dont 22 quotidiens et près de 100 hebdomadaires), sans parler de plus de 1000 titres étrang- gers que dominent largement les titres débarquant de France dans nos kiosques. Le phénomène de la sous-consommation de la presse écrite est plus qu’inquiétant pour son avenir comme pour l’avenir de la société quand on s’intéresse aux jeunes, majoritaires dans le pays et cible première à fidéliser pour que l’habitude de lecture de presse s’enracine dans la société de demain… Sur un échant- tillon de 900 jeunes, des deux sexes, répartis sur l’ensemble du territoire national, dans les zones urbaines comme dans les zo-n nes rurales, la fracture entre la presse écrite et cette cible semble gravissime… diagnostic global et analyse sectorielle 89

Répartition des jeunes selon leur fréquence de lecture de la presse

Réponses Fréquences % Fréquence/lecture presse Oui, régulièrement 21 2,3

Oui, parfois 351 39,0

Non 286 31,8

Rarement 111 12,3

NC 131 14,6

Total 900 100,0

Répartition des jeunes selon les journaux et les revues qu’ils achètent

Achat /journaux et revues Oui Non Types/journaux et revues Fréquences % Fréquences %

Journaux marocains 360 40,0 540 60,0

Revues marocaines 204 22,7 696 77,3

Journaux étrangers 58 6,4 842 93,6

Revues étrangères 97 10,8 803 89,2

Dans l’ensemble, les jeunes sont nettement plus nombreux à acheter des journaux et des revues marocains que ceux prove-n nant de l’étranger. Mais la proportion de 40% des jeunes qui achètent des journaux marocains correspond, presque de ma-n nière égale, à celle des jeunes qui lisent régulièrement ou irrég- gulièrement la presse, sans oublier de souligner trois chiffres éloquents : seulement 2,3% la lisent régulièrement, alors que près de 32% déclarent franchement qu’ils ne la lisent jamais et que près de 15% se déclarent totalement non concernés par ce produit ! 90 dialogue national - media et societe

Mais il nous faut reconnaître que cette fracture que subit la presse – et le citoyen marocain vivant en marge de ce formida-b ble outil d’information et de culture, comme d’insertion sociop- politique dans la communauté nationale- est en fait plus grave et plus profonde dans ses négatives conséquences sur la société et son projet : c’est à la lecture tout court que les Marocains et Marocaines – majoritairement jeunes - tournent le dos…Au point qu’on peut parler d’une « catastrophe culturelle » comme la qualifia un des meilleurs et constants défenseurs de la presse dans ce pays, comme journaliste, comme éditeur, comme écriv- vain, comme ex-patron du syndicat des journalistes et comme ex-ministre de la communication et porte parole du gouvernem- ment de l’alternance, M. Mohamed Larbi Messari. Tirant ainsi une sonnette d’alarme lors de la table-ronde orga-n nisée par le dialogue national sur le thème de « la culture et les médias », M. Messari proposa d’organiser, périodiquement, un téléthon de promotion de la lecture pour équiper, alimenter et multiplier des bibliothèques de proximité partout dans le pays, estimant, à juste titre, que ce déficit est des plus graves que confronte le futur du Maroc dans le monde de demain, le monde de la société de l’information et du savoir. Le phénomène de la non lecture de la presse au Maroc est une réalité endémique qui est d’autant plus inquiétante que, d’une part, tous les concernés semblent la vivre comme une fatalité, comme un déficit inexorablement croissant, et que, d’autre part, nulle hypothèse d’explication ne semble convaincante pour tout le monde. En tout cas, la frange majoritaire dans la population marocaine et qui est la première concernée par cette réalité, c’est-à-dire la jeunesse, frange déterminante pour l’avenir du pays et pour sa presse, elle exprime clairement ses raisons d’une lecture de presse quasi insignifiante par son taux d’irrégularité (21 répondants sur 900 interrogés des deux sexes!) : diagnostic global et analyse sectorielle 91

Répartition des jeunes selon leurs raisons de non lecture ou lecture rare des journaux

Non lecture/lecture rare Premier choix Deuxième choix Raisons Fréquences % Fréquences % Inexistence de journaux 8 0,9 8 ,9 indépendants Désintérêt par rapport à la vie 22 2,4 29 3,2 quotidienne Parce qu’elle priorise l’opinion sur 3 ,3 5 ,6 l’information Manque d’objectivité dans 18 2,0 32 3,6 l’information Désintérêt des questions 24 2,7 18 2,0 concernant les jeunes Incapacité à acheter des journaux 56 6,2 20 2,2 Autre 265 29,4 71 7,9 NC 5 03 55,9 503 55,9 Sans réponse 1 0,1 214 23,8 Total 900 100,0 900 100,0

Répartition des jeunes selon les raisons du non achat des journaux et revues (Marocains et/ou étrangers)

Réponses Fréquences % Raisons A cause de leur négligence des vraies 38 4,2 préoccupations des citoyens A cause de la cherté de leur prix 34 3,8 Parce qu’ils n’abordent pas les questions locales/ 35 3,9 régionales Du fait de l’incapacité à les acheter 38 4,2 Parce qu’ils ne sont pas objectifs 21 2,3 A cause de leur désintérêt des questions 18 2,0 concernant la jeunesse L’audio-visuel me suffit 174 19,3 C’est une habitude 278 30,9 Autre 67 7,4 NC 197 21,9 Total 900 100,0 92 dialogue national - media et societe

Dans ces déclarations on relève tout d’abord que les jeunes invoq- quent comme première raison de leur non lecture de la presse, leur « incapacité à acheter des journaux ». Au niveau de l’achat, cette question d’incapacité désigne clairement « la cherté du prix des journaux ». Il semble donc que la question du coût, qu’on peut évidemment invoquer en général pour la majorité des Marocains, vu le pouvoir d’achat moyen national, constitue une cause assez importante dans ce comportement des jeunes de sous consommation de la presse écrite sur support papier, en raison avant tout de leur propre pouvoir d’achat, mais aussi en raison de leur prix jugé cher ou trop cher, de l’avis de près de 200 jeunes interrogés sur 651 qui ont exprimé leur avis sur cet aspect des tarifs des journaux, avec cette remarque que cette cherté de la presse leur semble davantage handicapante dans le cas des revues.

diagnostic global et analyse sectorielle 93

Si on sait que le tarif des journaux, imposé par l’État, est bien en deçà de son coût réel, cette question du coût du produit presse, renvoie en fait, du côté de la presse, à la dimension économiq- que de notre presse, au modèle économique de l’entreprise de presse marocaine, dans le sens de ses contraintes, structures, sources de financement, dépenses etc. Mais, avant d’interroger ce modèle, relevons, chez les jeunes, deux paramètres qui nous aideront à aborder ce modèle dans une optique d’avenir, de ré-f forme et de mise à niveau avec l’appui de l’État, c’est-à-dire de la société. Ces deux paramètres sont relatifs aux promesses d’ave-n nir de la consommation de la presse, c’est-à-dire les attitudes potentiellement favorables à la consommation de la presse (la fréquence de lecture chez ceux qui lisent la presse) et les préfér- rences de lecture chez ceux qui lisent régulièrement ou irrégul- lièrement la presse. 94 dialogue national - media et societe

Répartition des jeunes selon lecture régulière ou irrégulière des journaux

Premier choix Deuxième choix Lecture régulière ou irrégulière des journaux Fréquences % Fréquences % Raisons

Quand un événement politique 50 5,6 18 2,0 important se produit Quand un événement sportif 38 4,2 41 4,6 important se produit Pour s’informer sur les actes de 34 3,8 42 4,7 crime/délinquance Quand un événement culturel/ 20 2,2 35 3,9 artistique important se produit Quand je dispose de temps libre 66 7,3 59 6,6 Quand j’arrive à avoir accès aux 104 11,6 59 6,6 journaux Autre 48 5,3 30 3,3

NC 528 58,7 528 58,7

Sans réponse 12 1,3 88 9,8

Total 900 100,0 900 100,0

Si la non lecture des journaux est relativement due à l’incapacité financière des jeunes à se les procurer, leur lecture dépend de la capacité ou non d’y avoir accès. C’est le facteur qui détermine le plus la lecture des journaux par les jeunes. La disposition de temps libre vient au deuxième rang des raisons invoquées. Un fait qui signifie que la lecture d’un journal demeure toujours aléatoire dans la vie de ces jeunes. Elle ne fait pas encore par-t tie intégrante de leurs activités quotidiennes. D’autre part, les jeunes lient la lecture d’un journal à la survenue d’un événem- ment important. Toutefois, la proportion des lecteurs est presq- que égale s’agissant d’un événement politique, sportif ou divers. Mais il est particulièrement bas quand il s’agit d’un événement culturel ou artistique. diagnostic global et analyse sectorielle 95 174 1 3 0 254 100 3 42 900 19, 3 14,4 28,2 3 8,0 Total F 72 5 3 175 158 11,5 458 15,7 3 4,4 3 8,2 50,9 77 M 96 Spectacles/ 167 102 442 21,7 17,4 3 7,7 49,1 2 3 ,0 divertissement 144 169 245 100 3 42 900 18,7 16,0 27,2 3 8,0 Total F 55 92 175 1 3 6 458 12,0 29,6 3 8,2 50,9 20,0 (N+%) 77 M 89 167 109 442 17,4 3 7,7 49,1 20,1 24,6 Informations 261 11,1 194 3 45 100 100 21,5 900 3 8, 29,0 Total F 91 3 9 151 8,5 177 458 19,8 3 2,9 50,9 3 8,6 61 M 110 168 442 49,1 10 3 1 3 ,8 2 3 , 24,8 3 8,0 Evénements variés (N+%) 96 167 3 45 100 282 900 3 1, 18,5 10,6 100,0 Total F 4 3 80 9, 3 176 154 458 17,4 51,0 33 ,6 50,9 (N+%) Culture M 5 3 87 169 128 442 11,9 49,1 19,6 28,9 49,0 de journaux qu’ils préfèrent le plus lire 110 3 41 100 249 200 900 12,2 27,6 22,2 100,0 Total Répartition des jeunes selon le sexe et les rubriques F 52 69 161 176 11, 3 458 3 5,1 51,6 15,0 50,9 M 3 9 58 8,8 165 180 1 3 ,1 442 49,1 40,7 48,4 Sport (N+%) NC 4 – 6 0 – 3 Total 7 – 10 Rubriques préférées Notation 96 dialogue national - media et societe

Si pour des rubriques telles que l’éditorial, les jeux et les artic- cles journalistiques personnels les réponses des jeunes se dist- tribuent dans l’ensemble de manière plus ou moins égale sur les trois catégories de notation retenues, pour celles concernant les données présentées au tableau ci-dessus les réponses des jeun- nes différent notoirement d’une catégorie de notation à l’autre. C’est ainsi que l’on note qu’à l’exception de la rubrique « Inf- formation » dont la lecture est la moins préférée par les jeunes (seulement 16% des jeunes l’ont noté entre 7 et 10), pour toutes les autres rubriques, les réponses exprimant un plus haut degré de préférence sont plus nombreuses. Pour ce qui est de la comparaison entre les préférences des deux sexes, on constate que si les jeunes hommes sont plus enclins à préférer la lecture des rubriques du « sport » et de « l’inform- mation », les jeunes filles montrent une plus nette prédilection pour la lecture des rubriques « d’événements variés » et du « spectacles / divertissement ». Les préférences des deux sexes concernant la rubrique de la « culture » étant grosso modo d’égale incidence. En sortant de la corrélation classique entre les préférences et la fréquence de la lecture, on peut parvenir à obtenir d’autres mo-t tivations ou causes de la non lecture chez les jeunes. C’est ce que nous avons cherché dans cette étude à approcher en sondant leur points de vue sur ce phénomène si étendu parmi la majorité des Marocains : diagnostic global et analyse sectorielle 97

Répartition des jeunes selon les raisons qu’ils invo-q quent pour expliquer le score de (1%) des Marocains qui lisent la presse

Réponses Choix 1+2 Premier choix Deuxième choix Raisons Fréquences % Fréquences %

A cause de son prix élevé 73 8,1 51 5,7 Parce qu’elle priorise l’opinion sur 18 2,0 27 3,0 l’information A cause de son désintérêt des vrais 69 7,7 72 8,0 problèmes des citoyens

Parce qu’elle n’est pas objective 78 8,7 94 10,4

A cause de l’ampleur de l’analphab- 201 22,3 124 13,8 bétisme Parce qu’elle n’est pas indépend- 14 1,6 30 3,3 dante Parce qu’elle n’est pas professionn- 12 1,3 31 3,4 nelle A cause de l’absence de spécialisat- 4 ,4 9 1,0 tion des journalistes Parce qu’elle est en rupture avec 9 1,0 23 2,6 les valeurs islamiques A cause de sa mauvaise distribut- 31 3,4 39 4,3 tion sur le territoire national Autre 192 21,3 90 10,0

NSP 128 14,2 137 15,2

Sans réponse 71 7,9 173 19,2

Total 900 100,0 900 100,0

Dans l’explication du phénomène de non lecture de la presse de la part de la grande majorité des Marocains, les jeunes mettent en exergue, d’abord « l’ampleur de l’analphabétisme » dans la société Marocaine. Après viennent, dans leurs explications, sel- lon un ordre d’importance descendant, des facteurs, tels que la « non objectivité de la presse », son « désintérêt par rapport aux vrais problèmes des citoyens », puis les problèmes relatifs au 98 dialogue national - media et societe

« prix élevé » et à la « mauvaise distribution » de la presse sur le territoire national. Du point de vue des jeunes, l’explication se situe beaucoup plus dans le camp de la presse que dans celui des citoyens Marocains. Avant de revenir plus loin sur l’aspect de la distribution, invoq- quée indirectement par les jeunes en parlant de leur « accès » à la presse - aspect bien important dans la disponibilité de l’offre, indépendamment de l’état réel ou potentiel de la demande - int- téressons nous, d’un point de vue global, à la dimension struct- turelle de l’entreprise de presse. Dimension qui détermine, à divers niveaux, le contenu dont l’offre ne semble pas rencontrer de manière satisfaisante la demande réelle ou potentielle des Marocains en général et des jeunes en particulier. Au cours du Dialogue national, sur la foi de nombre d’analys- ses exposées devant l’Instance du Dialogue, notamment par la FMEJ et par le SNPM, comme au regard de certaines études d’expertise demandées par la coordination générale du Dialo-g gue, il a été admis que l’entreprise de presse marocaine est, en général, bien peu viable au plan économique et au plan de la structuration de ses activités. Il est bien connu que ce type d’en-t treprise est bien spécifique car il doit réussir le difficile équilibre –quasi contre naturel- et une audacieuse synergie entre deux act- tivités bien distinctes par leurs objectifs respectifs, leurs moyens et leurs contraintes : d’un côté des activités purement économiq- ques et industrielles, et, de l’autre, des activités de « bien social et culturel » à objectifs d’ « intérêt public » pour lequel la rentab- bilité économique, en principe, n’est pas une finalité en soi. Autrement dit, la viabilité complète d’une entreprise de presse dépend d’un difficile équilibre synergique entre ces deux types d’activités fondamentalement différentes, voire antagonistes au niveau de leurs objectifs respectifs. diagnostic global et analyse sectorielle 99

D’autre part, les entreprises de presse ne constituent pas un ensemble homogène. Elles présentent à la fois de profondes différences et de nombreux points communs. La diversité des statuts, des conceptions (politiques, idéologiques, de lignes éditoriales…), de la périodicité et des fonctions d’information privilégiées par la ligne éditoriale (éducation, divertissement, information, commentaire…) vont influencer le contenu des or-g ganes et leurs méthodes d’organisation, de travail et de gestion économique. Cette double nature de la presse, bien social mais aussi bien économique, implique la nécessité de la part des entreprises de presse, de trouver un point équilibre entre ces deux aspects, car « sans argent, l’information n’existe pas et sans information de qualité, il n’y a pas d’argent ».26 Or la viabilité économique, la rentabilité du produit de presse, devrait-on dire, n’a pas une longue histoire au Maroc. Cette préoccupation était quasiment une donnée contre-nature (un « blasphème » même, selon certains militants purs et durs) dans la conception de la presse partisane qui a dominé le kiosq- que national jusqu’à la fin du siècle dernier. C’est une très réc- cente préoccupation qui s’installa tout naturellement, depuis le milieu des années 90, avec l’avènement de la presse privée, qui se positionne comme « indépendante » pour se différencier de la longue et forte tradition partisane. Depuis lors, on assiste à l’intervention de ce souci de rentabilité économique et des équil- libres financiers que celle-ci suppose dans nombre de projets de presse, dans la gestion et la gouvernance, dans les investissem- ments et les équipements, comme dans les choix de contenus et même dans le destin de vie de la publication puisque des faillites ont été déclarées au Maroc et d’autres sont régulièrement red- doutées ou pronostiquées. Mais l’avènement de cet impératif d’équilibres économiques a coïncidé particulièrement avec la grande révolution technolog- gique qui secoua l’activité industrielle de l’entreprise de presse,

26 - H. PIGEAT et Jean-Charles PARACUELLOS, Tendances économiques de la presse quotidienne dans le monde, Académie des sciences Morales et Politiques, octobre 2001. p.4 100 dialogue national - media et societe c’est-à-dire le passage d’abord à l’impression à froid, puis à l’in-f formatisation et enfin à l’ère du tout numérique. Une révolution qui imposa à nos entreprises, comme partout dans le monde, un rythme incessant d’équipements, de reconversions et mises à niveau de modernisation des moyens matériels et humains, part- ticulièrement dans les activités d’impression, poste le plus lourd dans la gestion de ce type d’entreprises et qui a connu le plus de transformations dans ses outils comme dans ses coûts. Selon une récente étude concernant 4 pays européens, les édit- teurs de ces pays, engagés dans une logique de modernisation de leur activité d’impression privilégient les stratégies suivan-t tes27: - En interne, Une stratégie de rentabilisation de l’appareil productif: transformer l’activité d’impression d’un « centre de coût » en un « centre de profits», en développant de manière croissante les contrats extérieurs (impression d’autres quoti-d diens, de journaux du week-end, journaux spécialisés, de petit- tes annonces, de « travaux de ville » divers…). Cela passe le plus souvent par une filialisation de cette activité; -Une stratégie de mutualisation des moyens de production, décidée a priori : l’imprimerie devient une entité conjointement détenue par plusieurs éditeurs. De manière externalisée; - Une stratégie d’externalisation de l’impression pour les éditeurs souhaitant se séparer de cette activité « industrielle » (tendance croissante au Maroc). Au Maroc, la modernisation de l’appareil productif n’a pas tou-j jours été menée avec la rigueur souhaitable. De trop nombreux titres nationaux sont suréquipés ou mal équipés provocant ainsi un surcoût financier et un manque de productivité et parfois même des retards de parution et de distribution du journal.

27 - Cecilia BERTHAUD et Vincent MENUET (sous la supervision de François AUVIGN), La situation de la presse quotidienne dans quatre pays européens : Allemagne, Espagne, Royaume- Uni, Suède, Inspection Générale des Finances, N° 2008-06-01, Novembre 2008, Ministère Français de l’économie des finances et de l’emploi. P. 23 diagnostic global et analyse sectorielle 101

v Les sources de financement de l’entreprise de presse Quand on s’intéresse à l’important poste dans la gestion d’une entreprise de presse, à savoir le poste du financement, on se rend compte que l’entreprise de presse marocaine est à l’image de l’entreprise marocaine tout court, c’est-à-dire qu’elle est ma-n nifestement sous-capitalisée. De ce fait, et dès le démarrage, les entreprises de presse sont confrontées à de sérieux problèmes de trésorerie et trouvent en face d’elles des banques qui refusent généralement de les financer tant pour des raisons financières (capital peu important, fonds de roulement inexistant, action-n naires récalcitrants, peu audacieux ou peu confiants en cette activité longtemps réputée par ses hauts risques…),que pour des raisons d’ordre politique dans la mesure où se déploient, dans ce secteur, des stratégies d’influence, d’intérêts, de group- pes de pression et de lobbies politiques et économiques potent- tiellement inhibitrices de toute grande audace éditoriale qui ne tiendrait pas compte de telle ou telle pesanteur induite par de telles stratégies et intérêts, y compris la pesanteur de l’État et de divers pouvoirs politiques, économiques… Aussi, les éditeurs placent-ils leurs espoirs dans le financement par le lectorat, mais aussi et surtout dans le chiffre d’affaires pub- blicitaire. Cependant, là aussi, les ennuis pour l’entrepreneur de presse sont à la mesure des attentes : les distributeurs règlent en général les entreprises de presse sur un délai de 15 jours, fin de mois, bien moins, certes, que ces dernières années, où les règlem- ments pouvaient atteindre jusqu’à 45 jours, fin de mois. Quant aux annonces publicitaires, les règlements n’interviennent que plusieurs mois après l’insertion, alors que le délai communém- ment admis, à défaut d’être contractuel, est de quatre vingt dix jours. Ce délai n’est en règle générale jamais respecté, et quand le paiement est effectué, il l’est le plus souvent au moyen d’effets de commerce d’une durée moyenne de 60 à 90 jours, après les 90 jours habituels. 102 dialogue national - media et societe

Sur la foi des expériences documentées par la FMEJ et des rés- sultats des études et investigations menées par le Dialogue, il est établi que les éditeurs n’ont absolument aucun recours contre les annonceurs et leurs agences, car, au départ de leur activité, les publications sont encore en position de faiblesse et la soup- plesse financière qui leur est de fait imposée, comme contrainte périlleuse pour l’entreprise et son économie, est partie intégrant- te, avec l’audience et les tarifs, de l’attrait du journal auprès des agences de communication et des régies des budgets publicitair- res. Les éditeurs marocains doivent donc effectuer quotidiennement un réglage fin et assez critique entre leur audace éditoriale, c’est- à-dire l’indépendance éditoriale requise pour tout journal digne de la mission et des valeurs éthiques de la presse dans une dé-m mocratie, et le volume de leur chiffre d’affaires publicitaire qui, comme on le voit, est dépendant de toutes ces pesanteurs inhibi-t trices et déstabilisatrices pour tout équilibre financier favorable à une rentabilité économique… La hardiesse d’un journal dans son indépendance éditoriale lui draine, en principe, un lectorat important et l’impose de ce fait comme un véritable support de publicité pour des annonceurs ayant le culte de l’audience. Mais, au Maroc, une trop grande audace éditoriale peut l’exp- poser à des rétentions et à des pressions de toutes sortes de la part des annonceurs, comme de la part des différents pouvoirs qui pèsent ou s’activent dans ce secteur : pouvoirs politiques, économiques, pouvoirs publics, l’État…La pesanteur de l’État est à souligner ici dans son influence purement économique sur la situation de l’entreprise de presse, sachant aussi que l’État est également un gros annonceur, tant à travers ses annonces publicitaires que par ses annonces légales, administratives et autres appels d’offres… Par ailleurs, le financement des activités de l’entreprise de presse marocaine par la source publicitaire augurait de bonnes tendances jusqu’à 2008, année de la crise financière mondiale. diagnostic global et analyse sectorielle 103

Or, pour ces raisons évoquées concernant la publicité (et que nous analyserons plus longuement plus loin), les journaux ma-r rocains, privés en particulier, concentrent tous leurs efforts de marketing en direction des multinationales qui présentent une approche «apolitique» de la publicité ou en tout cas suffisamm- ment peu perméables aux différentes pressions et pesanteurs locales. Grâce à ces annonceurs étrangers, le ratio optimal de sécurisation du chiffre d’affaires (CA) de ce type de publications marocaines était alors de 70% et 30% du CA assuré par l’État avec ses organismes publics et ceux qui lui sont affiliés de man- nière plus ou moins directe. Mais depuis 2009, la crise aidant, un véritable coup de massue s’est abattu sur la presse puisque les multinationales ont réduit de manière drastique leurs budg- gets de publicité, laissant les titres de presse en butte directem- ment aux annonces publiques, semi-publiques, ou assimilées, aux annonceurs locaux avec leurs pratiques qui tiennent le plus souvent de l’informel, en l’absence de codes de conduite formal- lisés et respectés, dans un marché qui n’est ni organisé, ni rég- gulé, encore moins mobilisé par souci de citoyenneté au profit de la survie et du développement de la presse nationale qui est ainsi fragilisée par une telle dépendance vis à vis de l’insertion étrangère et internationale. Il est difficile pour une entreprise d’envisager une stabilité de prévisions publicitaires dans un secteur où, par exemple, au moins dix opérateurs médias sont en même temps annonceurs (conflit d’intérêt flagrant) et où sévit une pratique opaque dite de «mécénat» éditorial à laquelle se soumettent plusieurs titres pour régler leurs difficultés de trésorerie : ces titres ont recours épisodiquement à un ou plusieurs bienfaiteurs qui leur offrent leur soutien en cas de problème de trésorerie… Le mécène peut appartenir à l’actionnariat et donc agit par des versements en numéraire sur le compte courant de l’entreprise ou, s’il ne fait pas partie des associés ou actionnaires, il accorde des contrats publicitaires généreux, sans que cela aboutisse nécessairement à l’insertion et sa publication..! 104 dialogue national - media et societe

En fait, ici, nous effleurons une question que nous voulons dév- velopper davantage en une section plus loin : l’absence, en plus d’une autorégulation, d’une quelconque politique publique de régulation et de promotion du secteur publicitaire, public et privé, qui soit au profit du développement et de la viabilité éco-n nomique de l’entreprise de presse nationale. Mais soulignons au moins ici qu’une telle politique publique est impérative du moment que l’entreprise de presse marocaine confronte la com-b binaison de la désaffection du lectorat, de l’assèchement de la manne publicitaire et de la subordination, aux conséquences imprévisibles, qu’induit le recours à ce type de financement opaque ou informel dit de « mécénat » et qui, par définition, ne peut être que périlleux pour l’indépendance éditoriale et fort commode pour toutes sortes de pressions, d’inféodations et de luttes d’influences et d’intérêts, via les médias. Subissant donc cette situation bien peu propice à la viabilité économique, un lectorat extrêmement réduit et des sources de financement incertaines, opaques dans leurs pratiques - ettrad ditions (publicité privée et publique), peu volontaristes et rar- rement audacieuses (banques) imprévisibles avec des objectifs inavoués (annonceurs, « mécènes », lobbys divers),hors aides directes et indirectes de l’État, l’entreprise de presse marocaine subit aussi des déficits et des dysfonctionnements dans trois autres domaines de son économie : l’impression, les salaires et la distribution. v La production industrielle et ses coûts La presse se vend deux fois, d’une part, au numéro aux lecteurs et d’autre part, pour l’ensemble du tirage aux annonceurs. Il y a donc coexistence de deux marchés différents, l’un en aval, c’est le marché des lecteurs, et l’autre latéral, celui des annonceurs et donc nous avons deux offres et deux demandes qui sont techniq- quement liées et dépendantes car la demande de l’un des prod- duits (l’espace publicitaire) est étroitement conditionnée par les ventes de l’autre (le nombre d’exemplaires vendus) ainsi que par diagnostic global et analyse sectorielle 105 les caractéristiques socio-économiques de ses lecteurs (l’âge, le sexe, l’habitat, le niveau d’instruction…). Ceci nous montre que ce que vend la presse aux annonceurs, ce sont ses lecteurs. L’éditeur de presse doit donc concilier entre deux finalités et deux logiques (sociale et marchande) indissolublement liées et fournir donc à deux marchés deux produits différents. Il doit donc tenir compte dans sa stratégie commerciale de la double origine de ses recettes et il doit donc définir ses objectifs et le style du journal en fonction des attentes présumées de ces deux clientèles afin de parvenir à un équilibre entre ces deux sour-c ces de revenus. Et c’est ici qu’un véritable problème de cercle vicieux se pose à l’éditeur : l’augmentation des coûts nécessite le recours accru à la publicité dont la croissance des recettes dé-p pend de la croissance de l’audience, laquelle peut fléchir à cause de la présence de trop de publicité ! L’impératif de rapidité, naturel pour la presse, implique des inv- vestissements en capital et des coûts de main d’œuvre très élev- vés. Mais en raison de la diversité des entreprises de presse, ces coûts vont varier dans chaque cas et entrainer des dépenses d’un montant changeant. Le contenu du journal, le nombre de pages, les rubriques, les illustrations, le tirage… ne sont donc pas ident- tiques et il s’en suit des coûts différents et variables. Ainsi au Japon, certaines publications comme « ASAHI » et « YUMIUR- RI » tirent à plus de 12 millions d’exemplaires par jour chacune, alors qu’au Maroc le tirage de l’ensemble de la presse marocaine oscille entre 300.000 et 350.000 exemplaires. De même, il faut signaler une différence fondamentale entre la presse quotidienne et la presse périodique. Le caractère émin- nemment périssable du produit fait peser sur les entreprises de la presse quotidienne plus de contraintes. Elles doivent se doter d’importantes infrastructures de rédaction, de production, voire de distribution, ce qui implique fréquemment une relative surc- capacité en machines et en hommes ainsi que des charges fixes élevées. Alors que pour les périodiques, du fait de leur périodi-c cité espacée, les frais fixes sont moins élevés, car leurs équipes 106 dialogue national - media et societe rédactionnelles sont moins importantes et la plupart du temps la fabrication, c’est-à-dire l’impression, est sous-traitée. L’économie d’un journal quotidien, ou d’un titre de presse, re-p pose sur la combinaison de coûts fixes élevés et d’économies d’échelle importantes lors de la production («économie de prot- totype»). La confection du prototype (l’exemplaire n°1 du journ- nal) correspond aux coûts fixes qu’il faut consentir pour la prod- duction de la série. Le coût marginal de production des exemp- plaires suivants est très faible et correspond essentiellement aux coûts variables. Le coût du prototype est plus élevé pour un titre dont la périodicité est quotidienne (tendance à l’internalisation des activités pour sécuriser le processus). Le niveau de la diffusion est un facteur critique de la rentabilité d’un journal quotidien, en permettant d’amortir les coûts fixes initiaux importants. Chaque titre, en fonction du niveau de ses coûts fixes, a une «taille minimale efficiente» (celle-ci augmente proportionnellement avec le niveau de ces coûts). Cette taille minimale efficiente a pu être réduite par les évolutions techno-l logiques. L’activité d’impression, qui combine à parts à peu près égales coûts fixes (notamment les rotatives) et coûts variables (notamment le papier), représente la majeure partie des coûts de production d’un quotidien (entre 30% et 40%), selon un rapp- port réalisé en 2003 pour l’Union européenne28 et confirmé par une récente étude de l’IGF en France29. Aussi la structure des coûts est assez difficile à isoler car, les produits proposés et les situations diffèrent considérablement. En plus, pour apprécier ces coûts, on ne dispose pas au Maroc, de données objectives sur les différents éléments d’exploitation des entreprises de presse marocaines bien que l’article 22 du Code de la Presse et son décret d’application (N°2-64-381) oblig-

28 - Commission Européenne , The EU industry publishing: an assessment of competitiveness, Pira international 2003. 29 - Cecilia BERTHAUD et Vincent MENUET (sous la supervision de François AUVIGN), La situation de la presse quotidienne dans quatre pays européens : Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Suède, Inspection Générale des Finances, N° 2008-06-01, Novembre 2008, Ministère de l’économie des finances et de l’emploi (France). diagnostic global et analyse sectorielle 107 gent les entreprises à publier sur leurs colonnes leur bilan et leurs comptes d’exploitation. Mais, rares sont les entreprises de presse qui se conforment à cette obligation et le secret statistiq- que, qui d’ailleurs n’est pas propre au Maroc, est devenu une tradition bien respectée, ce qui ne facilite pas la recherche en matière d’économie des médias et fait obstacle à la transparence sur ce volet. Pour ce qui concerne les coûts de l’administration, il semble que la moyenne des frais oscille entre 11 et 14%. A cela il faut bien entendu ajouter les frais généraux qui varient considérablement d’un journal à un autre, en fonction de la rigueur en matière de gestion, mais peuvent accaparer, généralement, entre 3 et 10% des dépenses globales. Avec cette remarque que le service com-m mercial, qui peut apporter, en plus d’un chiffre d’affaires accru, un gain en matière de charges de personnel, coûte environ 15% du CA à son entreprise. L’augmentation des coûts de fabrication est un fait commun à tous les pays et à toutes les formes d’entreprises de presse. Ces coûts se constituent essentiellement de coûts d’impression qui comprennent l’amortissement de matériels d’imprimerie, les coûts des matières premières et les coûts salariaux du person-n nel de l’imprimerie. Le poste de l’imprimerie est caractérisé par des investissements lourds. Dans le domaine de la presse, les investissements en immobil- lisations et les coûts de la main d’œuvre sont très disproport- tionnés par rapport à la valeur marchande du produit. En plus, ces dernières années, le progrès technique rapide et plusieurs autres facteurs se sont enchainés pour aboutir à un renchérissem- ment croissant des coûts de production. L’impératif de rapidité, le rôle déterminant de la mise en page, les exigences des annon-c ceurs et des publicitaires en matière de qualité etc., nécessitent le recours à une technologie de plus en plus sophistiquée et qui est sans cesse en pleine transformation au point de faire de cha-q que décision d’investissement un pari coûteux et risqué. 108 dialogue national - media et societe

Les investissements liés à l’imprimerie représentent la dépense la plus élevée et sont fonction de plusieurs facteurs, notamment le procédé d’impression utilisé, le niveau du tirage, la paginat- tion, l’emploi ou non des couleurs… Ainsi pour l’impression des journaux, la typographie, avec sa composition à chaud par les linotypes et le clichage de ses form- mes à partir des flancs, a cédé la place à l’offset dont les techn- niques d’impression utilisent des procédés photographiques. Mais, c’est surtout dans le domaine de la composition que l’in-n novation a pris forme de révolution grâce au développement électronique, l’introduction des ordinateurs et l’apparition de la photocomposition. Par ailleurs, l’introduction de la micro-informatique dans les salles de rédaction a bouleversé les méthodes de travail et a donné naissance à une nouvelle génération de journalistes et d’éditeurs, et à une répartition des tâches entre journalistes, sec- crétaires de rédaction et maquettistes. Ceci s’est confirmé avec l’arrivée sur le marché de systèmes rédactionnels totaux où le montage des pages, le tirage des plaques Offset et le traitement des photos peuvent être traités par l’ordinateur et confinent le personnel ouvrier aux seules rotatives d’impression. On est en présence d’une technologie souvent sophistiquée et d’un matériel onéreux, dont les charges d’amortissement sont estimées en moyenne autour de 3 à 5% des coûts de production, et qui restent en partie sous-utilisés ou carrément inemployés, pour certains segments. De sorte qu’au Maroc une imprimerie de presse ne tourne pas toujours à plein régime sauf en recou-r rant à des travaux extérieurs comme le font d’ailleurs la plupart des imprimeries afin de réduire la sous utilisation des capacités de production. La remarque générale étant que les équipements sont le plus souvent sous utilisés, la capacité des équipements dépassant les tirages que permet un marché si exigu (350 000 lecteurs). Alors que l’impression d’un titre quotidien accapare une part importante (environ 30%) de ses coûts de production. diagnostic global et analyse sectorielle 109

Le coût à l’exemplaire est difficile à comparer en raison de diff- férences dans les salaires et les caractéristiques techniques qui peuvent avoir un impact très important sur les coûts. A tire d’exemple, l’impression de l’International Herald Tribune dans les différents pays européens fait ressortir, pour 30 000 exemplaires d’un 22 pages, un coût d’impression de 3 854 € en France, de 2 334 € à Londres et à Madrid, 2 350 en Belgique ou 2 575 en Suisse30. Des études relèvent l’existence des écarts ent- tre les titres en fonction notamment des solutions retenues (en interne, externalisé, en fonction des modes de tarification). La décomposition des coûts d’impression, fait ressortir : le poids prépondérant du papier (entre 40 et 50% des coûts d’impress- sion) et l’importance des frais de personnel en raison de salaires élevés constatés dans le secteur. Dès lors, les facteurs de différenciation en termes de coûts d’im-p pression d’un quotidien dépendent de 3 éléments essentiels considérés comme de véritables leviers de productivité et de rentabilisation de l’outil industriel : taux d’utilisation des capac- cités d’impression, le prix du papier (bien que celui-ci soit assez homogène d’un pays à un autre, les volumes achetés, en fonct- tion de l’importance des titres ou groupes de presse, peuvent en effet faire varier le prix d’achat), et la productivité par effectifs employés sur des fonctions d’impression. Par ailleurs, les dépenses du papier journal et d’encre sont par-m mi les dépenses les plus faciles à évaluer, car ce sont des charges variables qui varient proportionnellement à la pagination. Mais le papier est un poste de dépense difficile à comprimer. Son prix au niveau international connaît des fluctuations importantes, il a beaucoup augmenté durant les années 70 pour se stabiliser depuis 198531, et se relancer à nouveau vers la fin 1995 et 2001. Ainsi, la tonne qui coutait 469 $ en 1990, a augmenté à 565 $ en 1995 pour atteindre 667 $ en 2007. Depuis 2002, les prix

30 - Etats généraux de la presse, Livre vert, pole 2, op.cit. 31 - En raison de la chute de la demande suite à la stabilité des tirages des titres, la crise publicitaire et le lancement d’unités de production à forte capacité. 110 dialogue national - media et societe retrouvent progressivement les valeurs observées au début d la décennie. Le Maroc reste un faible consommateur du papier journal puisq- que la part per capita est de l’ordre de 800g par personne en 200632 et il importe la totalité de ses besoins en papier presse de l’Espagne et de certains pays scandinaves. Le coût du papier dans les dépenses de production au Maroc représente 45 à 60 % tandis que dans les pays industrialisés cette part est relative-m ment basse puisqu’elle est de 25 à 30 %. Quant aux dépenses relatives aux personnels de la rédaction, elles varient selon les publications, en fonction de l’effectif de journalistes, du style et du genre journalistique et du mode d’ex-p pression adopté. Un journal généraliste ou d’opinion cherchera à couvrir plusieurs types d’événements politiques afin de les commenter alors qu’une publication économique s’intéressera davantage à l’information économique et financière et aura donc besoin de moins d’effectifs journalistiques. A côté de journalist- tes permanents, il faut ajouter les pigistes, les correspondants locaux ou régionaux, les freelances… dont les rémunérations sont variables en fonction de leur qualification. Les frais de rédaction varient également en fonction de la qual- lification des journalistes, du degré hiérarchique et du salaire moyen pratiqué par la profession. Différentes études dans les pays industrialisés indiquent que la part de la rédaction avoi-s sine en moyenne de 15 à 20% des coûts totaux d’un journal. Ce taux est relativement inférieur dans les pays en voie de développ- pement comme le Maroc où le salaire moyen oscille entre 3500 et 5000 DH, mais sans empêcher certains éditeurs (particulièr- rement dans la presse périodique francophone) d’octroyer des salaires bien plus importants, de sorte que l’écart salarial peut aller de 1 à 20… Ainsi, un journaliste francophone expériment- té peut émarger jusqu’à 30.000 DH, pendant que son collègue arabophone débutant ne dépasserait guère 1.500 DH ! Néanm-

32 - En prenant en compte la population âgée de 15ans et plus. diagnostic global et analyse sectorielle 111 moins, la Convention collective a amélioré les conditions sala-r riales, portant le salaire minimum à 5.800 DH brut et prévoyant les protections sociales Retenons enfin que le nombre moyen de journalistes professionn- nels par quotidien est de 28, ce qui ne suppose pas des charges salariales élevées. Ces charges assimilées ici à des charges fixes peuvent facilement être amorties et rentabilisées lorsque le ti-r rage de la publication est élevé. Les charges de personnel représentent des parts variant de 30 à 50% de l’ensemble des charges ; et au sein même de ces charges, les personnels hors rédaction (administration, diffusion, comm- merciaux) représentent des parts allant de 30 à 40% des charges totales. Par ailleurs, on remarque que les charges du personnel, au-delà d’un certain seuil de tirage, cessent d’augmenter, com-m me si ces salaires étaient plafonnés. Il n’en demeure pas moins que les charges du personnel représentent un fardeau très lourd pour les résultats comptables qu’elles grèvent, et pour la tréso-r rerie qu’elles alourdissent. v Les coûts de la distribution Situé en aval de l’impression, la fonction de distribution représ- sente un intérêt majeur pour les entreprises de presse. Tout comme la production, l’impératif du temps qu’impose le carac-t tère périssable du produit, pousse les publications à développer un réseau de distribution susceptible de faire parvenir quotid- diennement et rapidement le journal à ses lecteurs. La distribut- tion de la presse obéit donc à une contrainte temporelle extrêm- mement forte où les stocks n’ont pas cours et le service s’opère à flux tendu. Il y a divers procédés de distribution et de vente. ü L’abonnement C’est le système le plus avantageux pour les entreprises de presse car il assure une vente stable sans invendus, permet une limitation du tirage et une aisance financière à la trésorerie puisque le payement se fait par avance ce qui facilite l’établiss- sement du budget prévisionnel. C’est pourquoi les entreprises 112 dialogue national - media et societe de presse cherchent, par des campagnes de promotion à prix réduit, à augmenter le nombre de leurs abonnés voire même, pour certaines types de publications, à n’utiliser que ce procédé. Et pour réduire les réticences économiques des lecteurs face à l’importance relative de la somme à avancer, les journaux tend- dent à fractionner les durées d’abonnement ce qui complique la gestion de fichiers d’abonnés33. Au Maroc, l’abonnement n’est pas développé et parait ne pas intéresser beaucoup les journaux dans la mesure où il n’y a que très rarement des campagnes de promotion de la part de certains périodiques. De surcroit, les réductions proposées ne sont pas encourageantes puisqu’elles ne dépassent pas dans le meilleur des cas 12%, alors que dans d’autres pays, elles oscillent entre 25% et 50% en fonction des catégories de clients et de la durée de l’abonnement. En raison de l’indéniable lenteur des services postaux, on obtient au Maroc un des taux les plus faib- bles d’abonnement, soit 3,63 % en moyenne selon les données de l’OJD. Pour augmenter le nombre d’abonnés, les journaux doivent multiplier des campagnes onéreuses de prospection d’abonnés , en louant des fichiers d’adresses, en envoyant des courriers au domicile de potentiels lecteurs, en proposant de substantielles réductions de tarifs et des cadeaux, etc. Bref il faut engager des investissements importants dans des opérations dont la renta-b bilité n’est pas immédiate.

La situation d’abonnement est variable d’un pays à un autre et parfois, à l’intérieur d’un même pays, elle est variable d’une rég- gion à une autre, en fonction de plusieurs facteurs d’ordre économ- mique, politique, pratique et en fonction des us et habitudes de lecture et de consommation de « biens culturels » en général... Par conséquent, on constate une importance très variable des

33 - Au Canada, on peut s’abonner à un quotidien pour une semaine, pour juste les éditions de certains jours de la semaine ou juste pour l’édition dominicale. diagnostic global et analyse sectorielle 113 modes de distribution selon les pays et selon le type de publica-t tion. Jadis exclusif, l’abonnement postal représente aujourd’hui un pourcentage variable suivant les familles de presse et suivant les pays, comme cela ressort du graphique suivant qui nous permet une comparaison utile avec la situation au Maroc :

Les canaux de vente au Maroc

Source : OJD, 3ème observatoire de la presse au Maroc 114 dialogue national - media et societe

ü Le portage Pour remédier au retard d’acheminement par la poste (en rai-s son de l’heure d’arrivée du courrier, sa non distribution le sam- medi après-midi, le dimanche et les jours fériés, etc.), il y a un autre procédé d’abonnement qui s’est généralisé dans les pays développés et qui s’est substitué à la poste pour faire parvenir les quotidiens chez les lecteurs : c’est le portage à domicile (li-v vraison du journal à la maison). Dans ce système, un réseau de porteurs est rétribué par l’éditeur, le dépositaire ou le distribut- teur. Le service peut être réglé d’avance ou payé par semaine, quinzaine ou mois par le destinataire. Il s’agit en somme d’une forme d’abonnement individuel, même si cela peut prendre parf- fois la forme d’une vente au numéro effectuée sous la responsa-b bilité de l’éditeur ou de l’un de ses mandataires. Le portage est très inégalement pratiqué dans le monde. Très utilisée en Irlande (99 %), au Japon (93 %) ou dans les pays d’Eur- rope centrale ou du Nord (90 % en Suisse, 67 % en Allemagne, 90 % aux Pays-Bas, 72 % en Suède)34, il s’avère sous développé dans d’autres pays comme l’Espagne, la France, l’Italie, etc. En raison d’une part, de la très faible ampleur du portage multi-tit- tre et, d’autre part, de la faible proportion des foyers vivant dans des agglomérations. Aussi, dans certains pays, le portage n’est plus important que pour les magazines (90% des abonnements aux magazines en Allemagne) et non pour les quotidiens. Il existe deux modèles de gestion des abonnements. Soit par les éditeurs, comme c’est le cas en Allemagne, en Suède et en Espagne35 : l’abonnement est géré par l’éditeur qui cherche à attirer de nouveaux lecteurs, à les fidéliser et à les connaître. Le portage est assuré dans ce cas essentiellement par des sociétés

34 - Michel MULLER, Garantir le pluralisme et l’indépendance de la presse quotidienne pour assurer son avenir, rapport du Conseil Economique et social de la République française, juillet 2005, p.122 35 - En Espagne le portage est beaucoup moins développé en raison du faible taux de pénétration de la presse espagnole qui le rend économiquement peu viable diagnostic global et analyse sectorielle 115 auxquelles les éditeurs participent36. Soit la gestion des abonn- nés est gérée dans les points de vente comme au Royaume Uni où le portage est confié aux diffuseurs de presse. Cela permet une grande flexibilité pour le lecteur mais ce service n’est pas disponible partout dans le pays. Seuls les points de vente tradit- tionnels proposent ce service, soit 23 000 points de vente (43% des points de vente). Seul handicap, les éditeurs ne connaissent pas leurs abonnés, ni même la part des ventes par ce canal dans chaque point de vente. Le portage a partout un coût élevé, du fait que le porteur est, en règle générale, un métier d’appoint et qu’il n’y a pas en général de réductions de charges particulières pour les porteurs dans le cadre de l’aide de l’État. Le coût moyen du portage d’un exemp- plaire de presse est estimé en France à 0,32€37. Il n’est rentabil- lisé qu’à certaines conditions : un fort taux de pénétration; une mutualisation des coûts par le biais d’un portage multi titre; la prise en charge par l’abonné d’une partie des coûts du portage. Le portage a été expérimenté pour la première fois au Maroc, en 1984 à Casablanca, par le quotidien «Al Itihad Ichtiraki », mais a été abandonné rapidement en raison de la médiocrité du résultat. Il est actuellement tenté, notamment, par les titres du groupe « Eco média » (L’Économiste et ) et l’hebdoma-d daire La Vie Economique, au niveau de Casablanca et de Rabat, mais il reste marginal puisqu’il ne représente que 0,59%. Pour réussir, le portage à domicile exige un effort de démarchag- ge pour convaincre le client et la mise en place d’un service de livraison d’autant plus difficile et onéreux quand l’aire est large et l’habitat dispersé.

36 - En Suède, même si Tidningstjänst AB, une filiale à 100% de Posten AB, est le principal acteur (part de marché d’environ 45%), elle s’appuie sur une dizaine de sous-traitants détenus par les actionnaires de la presse quotidienne locale. 37 - Livre vert états généraux de la presse, op.cit. 116 dialogue national - media et societe

ü La vente au numéro Le système de distribution au Maroc repose sur une architect- ture comportant deux niveaux (messageries, détaillants), alors que dans les pays développés il comporte trois niveaux (messa-g geries, dépositaires ou grossistes, détaillants). Ce sont les messageries qui assurent l’approvisionnement des différents points de vente constitués au Maroc: § Des kiosques dont le nombre est réduit et qu’on trouve principalement dans les principales artères des grandes villes

§ Des bureaux de tabac, les épiceries et les librairies pour qui souvent les journaux sont une marchandise comme les autres ne nécessitant pas de soins particuliers, mais qui restent néanmoins les seuls moyens de se procurer un journal dans certains quartiers ou endroits

§ Des vendeurs ambulants qui sont d’un grand rendement à double titre : d’une part, avec leur mobilité, ils cher-c chent les lecteurs et provoquent l’acte d’achat, d’autre part, ils ne nécessitent aucun investissement de la part des messageries, car ils s’approvisionnent par leurs pro-p pres moyens et rendent de la même manière les invend- dus.

Outre les opérations matérielles de tri, groupage, transport… les sociétés de distribution ne s’occupent pas que de l’acheminem- ment physique des exemplaires, mais elles assument aussi toute la gestion financière de la distribution de leurs clients. Cela in-c clut la facturation correspondant à chaque envoi journalier, la tenue de statistiques de vente, la remontée des recettes de ven-t tes, la récupération des invendus et la demande d’anciens num- méros. Par conséquent l’ensemble de cette chaine coûte cher. diagnostic global et analyse sectorielle 117

La vente au numéro coûte donc plus cher à l’entreprise de presse que l’abonnement. Non seulement parce que les frais d’expédition et de messageries sont plus élevés, mais surtout à cause du « bouillon » (les invendus). On estime en général, qu’il faut distribuer 2 exemplaires pour en vendre un seul… Or, tout numéro invendu engendre des coûts pour l’entrepris- se et il appartient à l’éditeur d’opérer un arbitrage entre le coût des invendus (fabrication, distribution, retour) et les risques en-c courus en fournissant trop peu d’exemplaires aux diffuseurs. Le « bouillon » est donc un phénomène normal à la vente au numéro, lorsqu’il reste circonscrit à un certain niveau, ce qui n’est pas le cas de certaines publications marocaines où le taux d’invendus atteint des niveaux alarmants, (comme le montre le tableau qui suit). 118 dialogue national - media et societe

Tirage et diffusion de la presse au Maroc en 2008/2009

TAUX TITRES TIRAGE DIFFUSION INVENDUS D’invendus AL AHDAT AL MAHGRIBIYA 39 369 19 811 19 558 49,68 % AL ALAM 23 892 10 274 13 618 57 % AL HARAKA 5 756 1 002 4 754 82,59 % AL ITIHAD AL ICHTIRAKI 25 286 9 513 15 773 62,38 % AL MASSAE 2006 154 127 113 849 40 275 26,13 % AL MOUNAATAF 5 202 942 4 260 81,89 % AL MOUNTAKHAB 35 846 25 137 10 709 29,87 % AS SABBAH 105 752 71 935 33 817 31,98 % AL NAHAR MARGRIBIYA 21 479 6 953 14 526 67,63 % 7 529 2 923 4 606 61,18 % AUJOURD’HUI LE MAROC 21 031 5 435 15 596 74,16 % L’ECONOMISTE 31 196 19 937 11 259 36,09 % Du SAHARA 42 310 24 816 17 494 41,35 % LIBERATION 11 657 2 719 8 938 76,67 % L’OPINION 38 006 18 347 19 659 51, 73% 11 082 2.364 8.718 78,67% Al MOSTAKIL 4.900 274 4.626 94,41% AL AYAM 36 360 22 163 14 197 39,04 % Al MICHAAL 22 142 14 883 7 259 32,78% FEMMES DU MAROC 19 392 12 029 7 363 37,97 % 19 633 8 969 10 664 54,32 % TELQUEL 34 488 23 172 11 316 32,81 % LA VIE ECO 23 788 16 426 7 362 30,95 % LE JOURNAL HEBDOMADD 20 973 11 895 9 078 43,28 % DAIRE

Source : OJD Maroc diagnostic global et analyse sectorielle 119

A titre de comparaison 38le taux d’invendus est de 35 à 38 % en France et en Espagne et de 19 % au Royaume Uni et il est supér- rieur pour les magazines que pour les quotidiens, contrairement au Maroc. Un consensus professionnel veut qu’à plus de 30% d’invendus, on perd de l’argent, et à moins, on perd des ventes. ü La structure des coûts de la diffusion De multiples facteurs concourent à la formation du coût global de la distribution. Il se décompose, en général, en coûts directs et indirects suivant qu’il s’agit de l’acheminement du journal (tri, routage, transport-messagerie, Poste, chemins de fer, port- tage) et des frais commerciaux (promotion, prospection, gestion des abonnés, frais de vente), ou bien des coûts induits, tels que la gestion des invendus ou les remises octroyées aux abonnés. Certains de ces coûts résultent du service facturé (affranchisse-m ment, portage...) et d’autres du prix facial du quotidien (rétrib- bution des mandataires), ce qui complexifie davantage encore l’analyse. Le coût de distribution d’un journal aura donc une structure différente selon qu’il y a une proportion faible ou importante d’abonnements, selon le poids du journal et l’étendue de l’aire de diffusion. Bien que la comparaison entre les pays dans ce domaine soit difficile, du fait que les bases ne sont pas homogènes et de la différenciation au niveau des commissions et des pratiques39, on peut cependant souligner à titre indicatif, que ce coût est de 45% en France, et que la fourchette de rémunération des points de vente varie de 11 à 29% en France, de 21 à 26,5% en Angleterre, de 18,31 à 20,24% en Allemagne et de 20 à 25% en Espagne.

38 - La comparaison est difficile dans la mesure où les invendus dépendent de plusieurs éléments tels que la qualité de la diffusion, notamment la qualité de l’assortiment, du volume de diffusion du titre (plus il est important, plus le taux d’invendus sera faible) et de la politique de diffusion du titre. 39 - Le principe de la commission ad valorem prévaut dans la plupart des pays mais de nombreuses charges ou bonifications doivent être prises en compte ce qui rend la tarification et le coût de la distribution difficiles à appréhender. 120 dialogue national - media et societe Comm issions de distribution dans certains pays européens diagnostic global et analyse sectorielle 121

Au Maroc, on trouve un pourcentage proche puisque les niveaux 1 et 3 (les messageries et les vendeurs) prennent à eux seuls près de 30%, ce qui donne en fin de compte, vu les autres charges, un coût total de l’ordre de 45 à 50%. Enfin, il est à signaler qu’au Maroc, beaucoup de facteurs s’im-b briquent faisant obstacle à la distribution. Citons à titre indicat- tif :

Ø L’étroitesse du marché qui fait que la croissance du tir- rage est de loin inférieure à la croissance démographiq- que. Le Maroc est un très petit consommateur du papier journal, come on l’a vu, puisque la part du papier journal consommé annuellement par habitant est de l’ordre de 0,800 kg alors que dans certains petits pays tels la Suède et la Suisse, on trouve respectivement 45kg et 42kg de papier journal par habitant;

Ø La faiblesse du réseau de distribution traditionnel qui couvre à peine la moitié de l’aire géographique;

Ø L’intensité de la concurrence étrangère puisque plus de 1000 titres étrangers sont distribués au Maroc;

Ø L’importance de l’analphabétisme;

Ø L’inexistence d’habitudes journalistiques, contrairement aux pays avancés qui fait du journal un bien de consom-m mation essentiel et régulier;

Ø La faiblesse de l’infrastructure routière et du réseau de transport.

ü Les recettes de vente

L’essentiel du produit de la vente provient, dans beaucoup de pays, dont le Maroc, de la vente au numéro car l’app- 122 dialogue national - media et societe

port de l’abonnement reste marginal. Au Maroc, le nombre total d’exemplaires des quotidiens vendus chaque jour et contrôlés par l’OJD est de 308 871 en 2008. Il reste cep- pendant en deçà des chiffres réalisés en Tunisie et l’Algér- rie (410 000 et 1million d’exemplaires respectivement). Le chiffre d’affaires journalier approximatif provenant de la vente au numéro des quotidiens représente donc près 902 613 DH.

Diffusion payée des quotidiens au Maroc

Source : OJD

Évolution du prix de vente des quotidiens au Maroc en DH

Années 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952 1956

Prix 0,03 0,05 0,07 0,08 0,010 0,12 0,15 0,25

Années 1963 1975 1977 1980 1989 1995 2001 2008

Prix 0,30 0,40 0,60 1,00 1,3 0 2,00 2,50 3,00 diagnostic global et analyse sectorielle 123

Pour la presse hebdomadaire (18 titres OJD) et la presse ma-g gazine les ventes représentent en 2008 respectivement 9 927 194 exemplaires (soit 190 194 chaque semaine), et 1 967 490 exemplaires. Diffusion payée des hebdomadaires au Maroc

Diffusion payée des magazines au Maroc

Source : OJD 124 dialogue national - media et societe

Accoutumé à un prix bon marché et stable, le public perd l’habi-t tude de payer son journal au prix réel et accepte mal de voir ce prix augmenter. Il est intéressant à ce sujet de s’interroger sur l’élasticité de la demande des journaux en fonction de l’évolut- tion de leurs prix40. Selon certaines études, il ressort que toute augmentation de prix provoque, durant les premiers jours, une perte de lecteurs de l’ordre de 10% et par la suite la demande re-t trouve son cours normal. Au Maroc, l’augmentation du 20 octo-b bre 1980 a entrainé une baisse moyenne des ventes de l’ordre de 24% en novembre et de près de 12 % en décembre alors que pour celle de 1989, il semble que la baisse est moins importante. Bref, la demande des journaux n’est donc pas totalement insensible à leurs prix, mais elle est cependant commandée par d’autres facteurs plus déterminants. Il est à noter aussi que si la demande des journaux est rigide parmi les lecteurs habituels, elle ne l’est pas au niveau des consommateurs potentiels, car pour ces derniers, toute hausse de prix peut les conduire à renoncer à l’achat des journaux et à se tourner vers d’autres médias ou produits culturels. Ainsi, les avantages financiers attendus d’une augmentation des prix peuvent produire un effet contraire si l’augmentation aboutit à une chute de la diffusion non suivie d’une remontée équivalente compensatrice, d’où des conséquences néfastes aussi sur les rec- cettes publicitaires. On met là, en évidence l’un des paradoxes de la presse : des charges qui croissent fortement et régulièrement, des recettes de vente qui ne peuvent évoluer sans risque, des recettes public- citaires qui s’accroissent afin de compenser la hausse des coûts mais qui risquent de soumettre l’entreprise à des éléments ext- térieurs et lui faire perdre son autonomie et par conséquent sa fonction primordiale, celle d’informer dans le respect de son in-d dépendance éditoriale.

40 - L’élasticité est définie à partir du rapport négatif de la variation de la quantité demandée par rapport à la variation du prix. diagnostic global et analyse sectorielle 125

ü Les recettes publicitaires

En raison de la crise financière qu’a connue le monde, les inves-t tissements publicitaires ont enregistré un recul dans la plupart des pays à l’exception de certains pays émergents. La compa-r raison entre les différents pays, en tenant compte de la place de la publicité dans le PIB, ne manque pas d’être éloquente. Il suffit de souligner que dans les pays industrialisés, -les invest tissements publicitaires représentent entre 1,4 et 2,7 % du PIB alors qu’ils représentent à peine 0,6 % du PIB au Maroc contre 1% en Égypte. Autre référence significative pour rendre compte du poids des dépenses publicitaires d’un pays, est le niveau de dépenses par tête d’habitant. Il est de 604 Euros en Grande Bret- tagne, 278 Euros en Espagne et près de 6 Euros au Maroc. Le cas du Maroc est à cet égard significatif. Malgré sa croissance en valeur absolue, puisque le montant des dépenses publicitair- res est passé de 40 MDH en 1976 à près de 2,775 milliards DH en 2005, il reste néanmoins en deçà du niveau souhaité, peu développé au regard de certains pays de même niveau de dével- loppement et bien insuffisant pour financer les médias.

Les causes du sous investissement sont dues à l’imbrication de beaucoup d’éléments :

• L'investissement publicitaire est le fait de quelques fir-m mes multinationales qui accaparent plus de 60% des dép- penses des annonceurs;

• Les PME qui représentent 92% du tissu économique marocain demeurent en retrait de la communication et de ses outils;

• La distribution moderne reste encore assez peu déve-l loppée; 126 dialogue national - media et societe

• Il faut aussi ajouter à cela la faiblesse du pouvoir d'achat, une profession peu structurée et le manque d'outils de références… On ne dispose pas au Maroc de données sur la répartition de la publicité entre les différents genres, mais d’après le feuilletage de quelques publications marocaines, il ressort d’une part, que la publicité profite d'avantage aux titres francophones et d’autre part, qu'elle est accaparée par les périodiques notamment les spécialisés où la publicité représente près de 50% de l'espace. Ainsi, les plans médias des annonceurs sont établis à partir de deux considérations essentielles : les caractéristiques socioé-c conomiques et démographiques des audiences effectives ou potentielles des différents médias et l'approche plus ou moins subjective, diversement fondée sur les possibilités des différents supports quant à leur capacité de concrétiser et de réaliser les objectifs recherchés. La presse doit donc, d'un côté, prouver, par des sondages et des enquêtes, l'importance de son public et ses caractéristiques, et d'un autre côté, fournir les données sur sa distribution et sa diff- fusion. Pour plus de transparence, dans certains pays, ces donn- nées sont d’ailleurs contrôlées par des organismes spécialisés crées par les intéressés. C’est le cas en France avec l'OJD et le CESP (Centre d’études des supports publicitaires), qui sont des organismes à but non lucratif et tripartites, spécialisés dans l'étude quantitative et qualitative de la presse et de son public. Si le Maroc a opté finalement pour se doter d’une OJD, il n’a pas encore choisi l’outil d’un CESP qui, lui, évalue qualitativement l’impact réel des publications en matière de publicité pour éclair- rer les choix des annonceurs de manière neutre et objective. L’importance des petites annonces Outre les diverses formes de publicité qu’elle permet, la presse se distingue aussi par les possibilités qu’elle offre dans le dom- maine des « petites annonces » ou « annonces classées » qui diagnostic global et analyse sectorielle 127 occupent une place importante dans la presse marocaine. Ces annonces furent, rappelons le, à l’origine de la publicité et sont d’un très grand apport pour les journaux au point de constituer pour certains titres la principale source de revenus. Elles concern- nent d’une part, le marché du travail puisqu’elles constituent le mode de recrutement le plus répandu, ainsi que le marché de l’immobilier et le marché de l’occasion, et d’autre part, la pub- blicité légale, judiciaire et administrative dont le but vise à rend- dre publiques une action ou une procédure administrative ou judiciaire. Les annonces légales, judiciaires et administratives (ALJA) sont régies par le décret du 29 mars 1965 (BO N°2636 du7 avril 1965), qui pose un certain nombre de conditions pour la publication de ces annonces. Les tarifs d’insertion de ces ALJA sont fixés par un arrêté du Ministère de la communication. Le plus récent date du 5 mai 2006, (BO 15/06/06) et il fixe les tarifs comme suit: pour les quotidiens : 8 DH par ligne de 34 lettres, signes et espaces en corps 6 ; pour les autres publications : 6 DH par ligne de 34 lett- tres, signes et espaces en corps 6. Enfin, Il nous faut signaler le phénomène de publicité détourn- née, interdite par la loi et par l’éthique si elle n’est pas signalée comme « publicité » ou « communiqué », fort présente dans la presse marocaine et qui est susceptible de prendre de l’import- tance : c’est la publicité rédactionnelle qui a la caractéristique d’être, au Maroc trop souvent « clandestine » dans la mesure où elle se présente comme de l’information générale dans un journ- nal, sous forme d’enquêtes, de reportages, de photos…sans qu’il soit précisé qu’il s’agit d’une publicité rédactionnelle (« publi- reportage ») comme l’exige la loi. Tout compte fait, la question de financement de la presse écrite est le nœud gordien de la presse marocaine, maintenant qu’elle est ouverte à l’entreprise privée, comparativement à son passé partisan « anti- rentabilité économique », dans la mesure où elle est largement, sinon systématiquement, ouverte à des sourc- ces et pratiques que ne caractérisent ni une codification légale 128 dialogue national - media et societe précise et respectée, ni une codification déontologique, ni la transparence, ni la compétition loyale et ses règles. L’opacité et l’informel semblent dominer comme culture dans ce secteur, à l’exception de l’État annonceur, quoique certaines pratiques de cet acteur ne résistent pas à nombre de critiques et de suspic- cions. L’aide de l’État à la presse écrite L’aide de l’État à la presse écrite est un des éléments de l’économie de la presse dans la mesure où elle conditionne la survie de certaines publications en difficulté qui n’arrivent pas, par leurs propres moyens, à assurer l’équilibre de gestion. Le fondement de cette intervention est aujourd’hui largement ad-m mis dans nombre de pays afin de garantir le pluralisme de la pensée et de l’expression, de faciliter et promouvoir la mission de service public de la presse – mission bien reconnue par les États démocratiques- et pour limiter le mouvement de concentration dans ce secteur. Mais les modalités de l’aide, son volume et son importance varient d’un pays à l’autre, bien qu’on trouve dans la plupart des systèmes des points communs. La caractéristique essentielle de cette aide publique est qu’elle est soit directe (par un ou des fonds spécialement dédiés), soit indirecte (par le biais de dégrèvements fiscaux, tarifications et impositions spécialem- ment allégées ou même des moratoires fiscaux), soit combinant les deux traitements. En Allemagne et au Royaume Uni, la presse ne bénéficie d’aucu-n ne aide directe de l’État. En Espagne, la loi de finances de 1997 avait supprimé les aides directes nationales de l’État, cependant certaines communautés autonomes accordent toujours des aides à la presse écrite au titre de la promotion des langues rég- gionales41. La France se distingue parmi ses voisins européens, ou même dans le monde, par l’ampleur et la lourdeur de l’arsenal juridique et financier de son système d’aide. Ce système d’aide,

41 - La Navarre soutient la promotion de la langue basque depuis 1990 (249 541 € pour l’ensemble de la presse en 2003), le Pays Basque fait de même depuis 1994 (1,7 M€ en 2003) et la Catalogne fournit des aides pour la promotion de la langue catalane depuis 1998, et depuis 2002, pour la promotion de la langue aranaise (2,7 M€ en tout en 2002). diagnostic global et analyse sectorielle 129 qui a largement inspiré le système marocain, date de plusieurs années, privilégie davantage l’aide neutre et indirecte, tout en accordant des aides indirectes. Il se situe à mi-chemin entre cel- lui de Grande-Bretagne (aide indirecte), restreint et peu interv- venant et celui adopté par certains pays scandinaves tel que la Suède qui est direct et sélectif. Le système que s’est donné le Maroc à partir de 1987 s’inspire en partie de ces systèmes mais il reste très faible en volume et sélectif, ne couvre pas tous les aspects de l’exploitation et sur-t tout ignore les investissements (relatifs notamment aux équipem- ments). Il existe donc deux types d’aides : les aides directes : aides sous forme de subventions et les aides indirectes : aides consistant en une minoration des dépenses normalement dues à l’État ou à des entreprises publiques. Parmi les principaux pays européens seules la France et la Suède ont un système d’aides directes à la presse. Deux pays qui se détachent largement dans le tableau comparatif suivant :42

42 - Source : Cecilia BERTHAUD et Vincent MENUET (sous la supervision de François AUVIGNE), op.cit. 130 dialogue national - media et societe

Toutefois, la TVA réduite est la principale mesure d’aide indir- recte commune à la plupart des pays43.

Taux de TVA appliqué à la presse écrite

France Allemagne Royaume-Uni Espagne Suède

Taux se TVA payé par la presse 2,1% 7,0% 0,0% 4,0% 6,0% Journaux et Journaux et Journaux et Journaux et Journaux et Type de presse concernée magazines magazines magazines magazines magazines Taux se TVA réduit 5,5% 7,0% 5,0% 7,0% 6% ou 12%

Taux se TVA normal 19,6% 19,0% 17,5% 16,0% 25,0%

En France, le dispositif de l’aide est très ancien. Il date de la ré-v volution française, car depuis 1796, il y a eu une aide au niveau de la diffusion mais, depuis, d’autres mesures se sont progressiv- vement ajoutées44. Aujourd’hui, le système d’aide répond à l’un ou l’autre des trois objectifs majeurs suivants : le développem- ment de la diffusion, la défense du pluralisme, la modernisation et la diversification vers le multimédia des entreprises de press- se. Cette aide bénéficie aux seules publications inscrites sur les registres de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) qui est un organisme associant des représent- tants de l’État et des éditeurs, chargé de contrôler et d’émettre un avis, en fonction de divers critères, sur les entreprises bénéf- ficiaires de l’aide publique, stipulant notamment que les journ- naux et magazines répondent bien à certaines exigences: - « avoir un caractère d’intérêt général quant à la diffusion de la pensée : instruction, éducation, information, récréation du public… ; - paraître régulièrement au moins une fois par trimestre… ; - avoir au plus les deux tiers de leur surface consacrés à des réclames ou des annonces.».

43 - Idem. 44 - C’est la loi du 4 thermidor an IV (1796) qui a introduit un allègement des tarifs postaux qui s’en trouve à l’origine. De même, l’exonération de la patente pour les entreprises de presse en 1844 préfigure l’exonération de la taxe professionnelle qui sera accordée en 1975 à ces mêmes entreprises. diagnostic global et analyse sectorielle 131

Les aides directes en France, jusqu’en 2009, portent sur 2 volets essentiels : les aides à la diffusion et les aides concourant au maintien du pluralisme

§ les aides à la diffusion consistent en :

- une subvention versée à la SNCF (7,3 millions d’euros en 2007 et 5,8 millions d’euros en 2008) en compensation du tarif réduit qu’elle consent aux sociétés de messagerie de presse (NMPP, TP et MLP);

- l’aide à l’impression décentralisée des quotidiens;

- l’aide à la modernisation des diffuseurs pour sou-t tenir la modernisation du réseau de vente de la presse écrite;

- l’aide exceptionnelle au bénéfice des diffuseurs de presse spécialistes et indépendants;

- l’aide à la distribution et à la promotion de la presse française à l’étranger;

- l’aide au portage de la presse;

- l’aide à la distribution de la presse quotidienne nationale d’information politique et générale.

§ Les aides concourant au maintien du pluralisme :

- Le fonds d’aide aux quotidiens nationaux d’infor-m mation politique et générale à faibles ressources publicitaires; 132 dialogue national - media et societe

- Le fonds d’aide aux quotidiens régionaux, dépar-t tementaux et locaux d’information politique et gén- nérale à faibles ressources de petites annonces;

- L’aide aux publications hebdomadaires régiona-l les et locales; - Le fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale; - Fonds d’aide au développement des services de presse en ligne. Quant aux aides indirectes, elles sont de différente nature : § Sur le plan fiscal : il faut mentionner l’application d’un taux réduit de TVA de 2,1%, l’exonération de la taxe professionn- nelle pour les éditeurs de journaux et agences de presse, et la mise en place d’un régime spécial des provisions pour investis-s sement (Art.39Bis du code général des impôts)45; § Sur le plan postal : La presse bénéficie de tarifs postaux préférentiels pour son acheminement et sa distribution par La Poste; § Sur le plan social : un abattement de 20 % est appliqué aux taux de cotisations sociales des journalises, application d’un régime dérogatoire des taux de cotisations de sécurité sociale des vendeurs-colporteurs et des porteurs de presse et d’un stat- tut social spécial des correspondants locaux de la presse. Le système d’aide français vise deux objectifs : soutenir la dif-f fusion de la presse d’information générale et renforcer la divers-

45 - Les dispositions de l’article 39 bis permettent aux entreprises de presse, éditant soit un journal, soit une publication mensuelle ou bimensuelle consacrée pour une large part à l’information politique, d’affecter en franchise d’impôt une partie de leurs profits à l’acquisition d’éléments d’actif nécessaires à leur exploitation. Les entreprises concernées peuvent donc retrancher de leur bénéfice imposable, dans certaines limites : soit les dépenses effectuées au cours de l’exercice pour l’acquisition de matériels ou de constructions strictement nécessaires à l’exploitation du journal ; soit une provision destinée à leur permettre de faire face au financement ultérieur d’investissements de même nature. diagnostic global et analyse sectorielle 133 sité. Mais plusieurs rapports et études sur ce système révèlent son inefficacité et soulignent que ces deux objectifs n’ont pas été réellement atteints puisque la situation de la presse en France est loin d’être parmi les meilleures. On reproche à ce système le fait qu’il a ancré la culture d’assistance de la presse, qu’il a permis à plusieurs entreprises de presse de se développer sans capitaux et sans stratégie industrielle ni initiatives de diversifi-c cation, ce qui a freiné le développement d’un véritable potentiel industriel de la presse française. Ce qui peut être retenu égalem- ment comme évaluation dans le cas du Maroc. Le « Livre vert » remis au Président français en janvier 2009 par un groupe d’experts a recommandé en conséquence à l’État français d’opter pour une « aide investissement » en lieu et pla-c ce de cette traditionnelle « aide subvention ». En Suède, le régime d’aides publiques en faveur de la presse a été introduit en 1969 pour enrayer la multiplication des faillites d’entreprises de presse. A l’origine transitoire, le dispositif s’est pérennisé et les aides directes s’élèvent aujourd’hui à près de 55 M€, soit environ 2,5 % des revenus totaux du secteur46. Cette aide dont l’objectif principal est la défense du pluralisme se compose de deux volets : - une aide à l’exploitation et au fonctionnement (85% des aides globales accordées à la presse quot- tidienne en 2007, soit environ 47 M€)47; - et une aide à la distribution (15% des aides global- les, soit environ 8 M€) qui bénéficie à 137 quotid- diens (soit presque tous les journaux payants, au nombre de 165). Elle vise essentiellement à incit- ter les quotidiens à mettre en place des sociétés

46 - Cecilia BERTHAUD et Vincent MENUET (sous la supervision de François AUVIGNE), op.cit. 47 - Cette aide concerne 77 quotidiens1, soit 17% du tirage global ; et la moitié environ des titres de la presse payante. Elle est néanmoins très concentrée, deux quotidiens en perçoivent l’essentiel, ce qui est source de nombreuses critiques 134 dialogue national - media et societe

de distribution communes. Par ailleurs, en 2003, une subvention spécifique à la distribution de la presse «quotidienne» le samedi a été introduite (1 M€, pour 73 journaux). Les conditions d’obtention de l’aide sont :

- Pour l’aide à l’exploitation, il faut avoir une diffus- sion (2 000) et un taux d’abonnement minimum (70%), ne pas proposer un prix d’abonnement sens- siblement en dessous de ceux de quotidiens similai-r res et disposer d’un taux de couverture des ménages ne dépassant pas 30% de la zone considérée; - Pour le régime d’aides à la distribution, il faut transférer l’activité de distribution à une société de «distribution commune», elle-même détenue par les quotidiens concernés, qui assure le service de codistribution des quotidiens. Il faut également garantir le même prix de distribution à tous les éditeurs, même ceux qui ne participent pas à la soc- ciété de distribution. L’objectif est d’harmoniser les coûts de la distribution des journaux afin de mieux garantir le pluralisme de la presse suédoise; - Sont exclus les journaux gratuits et, partiellement, les journaux de presse populaire du soir; - Les aides directes ont essentiellement un caractère automatique et sont allouées par un Comité de subv- vention de la presse (Presstödsnämnden), sous tu-t telle du ministère de la Culture. Le régime d’aide suédois fait l’objet de quelques critiq- ques, notamment son volet concernant l’exploitation, car on estime qu’elle entraînerait des distorsions de concurrence sans être nécessaire au pluralisme de la presse (deux titres dits «mé-t diagnostic global et analyse sectorielle 135 tropolitains» obtiennent 15% des aides, qui représentent 8% et 26% de leur chiffre d’affaires). Enfin, le dispositif d’aides en Suède ne tient pas compte du développement de la presse num- mérique et concerne exclusivement la presse écrite. Au Maroc, Depuis 1987, l’Etat Marocain a commencé à attrib- buer l’aide aux organisations syndicales et politiques et à leurs organes de presse. Cette aide consiste en une subvention an-n nuelle directe et autres avantages octroyés à la presse en plus d’une aide supplémentaire fournie aux partis à l’occasion des élections législatives et communales. Ainsi, de 1987 à 1994, le cumul total de cette aide a atteint 500 millions de dirhams. Cette aide était limitée, au départ, à quelques organes et n’était pas réglementée et de facto la presse non partisane était exclue. Mais à la suite de la conclusion d’un contrat programme entre l’État et la FMEJ, en 2005, l’octroi de cette aide s’est relativem- ment réglementée48. - Institution d’une Commission Paritaire de la Presse Écrite Cette commission a pour rôle d’étudier les dossiers des entrep- prises de presse écrite devant bénéficier des dispositions du Contrat Programme, notamment le volet concernant l’aide. Elle délivre à cette fin un numéro propre à chaque entreprise de presse lui permettant de bénéficier de cette aide et elle se réser-v ve le droit de retirer le numéro de CPPE, en cas de non respect de l’une des conditions requises, et de le restituer si les condi-t tions sont à nouveau réunies. Elle est composée de 12 membres (6 représentant l’État et 6 les éditeurs dont le 1/3 est réélu tous les deux ans). - Les conditions pour l’obtention de l’aide Pour bénéficier de l’aide, il faut répondre à un certain nombre de conditions :

48 - Ce contrat programme a pour objectif la mise à niveau de l’entreprise de presse et sa modernisation. 136 dialogue national - media et societe

1. La publication ou l’entreprise de presse écrite doit être dans une situation régulière vis-à-vis des lois en vigueur; 2. A l’exception des journaux partisans, la publication ou l’en-t treprise de presse écrite doit être assujettie au droit des sociétés et ayant son siège social au Maroc; 3. La publication ou l’entreprise de presse écrite doit être d’in-f formations nationales ou régionales; 4. La publicité ne doit pas dépasser 50% comme moyenne an-n nuelle de l’espace de la publication ; 5. La publication doit être destinée au public à prix défini ou par abonnement ; 6. La publication ou l’entreprise de presse écrite doit signer la Convention Collective propre aux journalistes après son approb- bation par la Fédération Marocaine des Éditeurs de Journaux et le Syndicat National de la Presse Marocaine avec comme date limite le 1er janvier 2007. 7. La publication ou l’entreprise de presse écrite doit employer au moins : - Un rédacteur en chef, 7 journalistes professionnels et 7 employés pour les quotidiens; - Un rédacteur en chef, 4 journalistes professionnels et 5 employés pour les hebdomadaires - Un rédacteur en chef et 3 journalistes professionnels pour les quotidiens régionaux ; - Un rédacteur en chef et 2 journalistes professionnels pour les hebdomadaires régionaux ; 8. Il est exigé une régularité de parution, et pour les publications paraissant pour la première fois une parution régulière de deux ans; 9. La publication ou l’entreprise de presse écrite doit publier an-n nuellement les comptes d’exploitation ainsi que son tirage pour chaque numéro. diagnostic global et analyse sectorielle 137

- La nature de l’aide au Maroc L’aide est octroyée aux entreprises de presse écrite munie du numéro de la commission paritaire, dans la limite des crédits ouverts annuellement, sous forme de subvention pour contrib- buer au financement de leurs programmes de modernisation, notamment les dépenses d’équipement nécessaires et les frais relatifs à l’achat de papier, au téléphone, au fax, à la connexion Internet, l’hébergement des sites et aux coûts de transport des journaux à l’étranger. Les entreprises de presse écrite bénéficient également de tarifs préférentiels pour le déplacement des journalistes et pour le transport de la presse nationale au Maroc et à l’étranger. Cette aide est réservée dans une proportion de 80% aux titres nationaux et de 20% aux titres régionaux. Au niveau de l’aide directe, depuis 1987, suite à la lettre royale adressée au Premier ministre (19 décembre 1986), la presse part- tisane représentée au parlement bénéficie d’un don royal annuel de 20 millions DH dont l’enveloppe est répartie inégalement ent- tre les partis proportionnellement à la représentation de chaque formation politique au parlement. De surcroit, depuis 1988, la presse bénéficie d’une subvention pour l’acquisition du papier journal qui permet aux publications dont le tirage est inférieur à 20.000 exemplaires de couvrir 40% du prix réel du papier presse et celles dont le tirage est supér- rieur à 20.000 exemplaires de couvrir 30% du prix réel du pa-p pier presse, dans la limite d’un plafond de 50.000 exemplaires quantifiés. L’État prend également en charge à concurrence de 50% les dépenses au titre de la ristourne sur les frais de commu-n nications téléphoniques, fax et lignes spécialisées dans la limite de 6 lignes. De même, en plus des ALJA signalés précédemment, les entrep- prises de presse bénéficient d’une subvention relative au trans-p 138 dialogue national - media et societe port des journaux à l’étranger dans la limite des crédits annuell- lement consacrés à cet effet (qui restent peu précisés). En ce qui concerne l’aide indirecte, elle se compose d’une réd- duction de 30% des frais d’abonnement aux services de l’Agence MAP, la gratuité des photos couvrant les activités nationales, la gratuité ou la réduction du transport ferroviaire pour les journ- nalises, l’exonération de la TVA pour les annonces légales. L’en-v veloppe budgétaire allouée à l’aide, dans le budget du ministère de la communication s’élève depuis 2008 à 50 millions de di-r rhams. En 2005, l’aide totale octroyée à la presse a bénéficié à 42 publications (18 quotidiens, 19 hebdomadaires et 5 mensuels). En 2010, à l’occasion du Dialogue national, la FMEJ précisait que cette aide bénéficiait à un total de 62 publications. En résumé, on constate que le système d’aide érigé par le Ma-r roc, renferme plusieurs similitudes avec les systèmes étrangers, mais il reste de très faible importance représentant des somm- mes modiques et négligeant certains aspects d’intérêt majeur tels que la distribution, l’encouragement à l’investissement et à la modernisation de l’équipement. Certes, dans le contrat pro-g gramme, il est prévu que l’entreprise de presse puisse bénéficier des dispositions du Programme National de Mise à Niveau et donc d’un appui et d’un soutien technique (expertise, forma-t tion, diagnostic stratégique, etc.) et financier (lignes de crédit étrangères, ligne capital risque, FOGAM, FGIC, FONMAN - Fonds National de la Mise à Niveau-), etc. Mais apparemment, ces dispositions n’ont pas été activées. Or, comme on l’a vu au niveau des coûts de production, les mutations technologiques dans ce secteur sont très rapides, obligeant les entreprises de presse, du fait de l’accélération de l’obsolescence et l’accentua-t tion de la concurrence, à renouveler leur matériel dans un laps de temps de plus en plus réduit, alors qu’auparavant, l’inves-t tissement s’étalait sur plusieurs années. La lourdeur de ces inv- vestissements doit donc être allégée par un soutien de l’État à l’équipement et à l’investissement, à l’image de ce qui se passe dans d’autres pays. diagnostic global et analyse sectorielle 139

Par ailleurs, telle qu’elle se présente et selon sa forme actuell- le, l’aide profite d’avantage aux journaux qui bénéficient d’une large diffusion et d’importants apports publicitaires et on ne trouve aucune mesure au profit de publications à faible ressourc- ces publicitaires, ce qui risque de renforcer les inégalités dans la presse et même de les accentuer, si on ne cherche pas à rendre le système plus juste et de le moduler en fonction des besoins , en s’inspirant des expériences d’autres pays dans ce domaine. En fait, le montant de 50 millions de DH alloués annuellement à la presse écrite au titre du contrat programme signé suite aux assises de 2005, reste très en deçà des besoins réels en matière de modernisation puisque dans la plupart des cas, il ne représ- sente même pas un mois du CA des entreprises concernées. D’un autre côté, force est de relever que le concours bancaire, prévu par le contrat programme, reste quasi-inopérant. Les banques restent, comme on l’a vu, démesurément prudentes et récalcitrantes à accorder des capitaux à un secteur réputé diffi-c cile et risqué. Le cas des entreprises de presse risque de connaît- tre, à l’égard des banques, le même sort que celles-ci avaient réservé jadis aux crédits jeunes promoteurs, c’est-à-dire des ac-c cords écrits avec l’État mais soumis à des instructions orales et à des « politiques de la maison » allant à l’encontre des engagem- ments pris avec les pouvoirs publics. Dans la réalité de tous les jours pour les journaux, avec la crise de liquidités que rencontre actuellement le secteur bancaire, tout concours financier aux entreprises de presse devient très hypothétique. Les banques sont des organismes privés, qui prennent leurs décisions d’oc-t troi de crédit de façon souveraine, et qui veillent farouchement sur leur autonomie décisionnelle en la matière. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les banques ne sont pas de farouches partisans du financement des entreprises de presse. Aussi, et comme nous l’avons déjà mentionné, en cas de problèm- me financier ou de resserrement de trésorerie, les entreprises de 140 dialogue national - media et societe presse savent ne pas pouvoir compter sur les subventions pub- bliques ou les concours bancaires. Elles sont alors contraintes d’actionner l’un des leviers suivants : - Versements en compte courant de leurs actionnaires ou associés ; - Mécénats publicitaires, plus ou moins déguisés, en provenance de personnes étrangères au capital ;

- Pression sur le distributeur pour versement d’avan-c ces sur les ventes ; - Insistance auprès des agences de communication pour régler leurs arriérés ou, plus rarement et plus difficilement, accorder des avances sur chiffres d’af-f faires à venir. Ce sont ces solutions bien aléatoires, ajoutées l’inorga-n nisation bien préjudiciable du marché publicitaire, qui s’avèrent être fortement déstabilisatrices pour quelcon-q que politique – ou génie - de management, plombant vér- ritablement l’entreprise de presse marocaine et la maint- tenant dans des zones de précarité économique, d’incert- titude et d’hésitation au plan de ses stratégies commerc- ciale, infrastructurelle et au plan de son développement global, sa production de contenus comprise. Ce sont là les tendances lourdes qui expliquent le sous développem- ment économique de notre entreprise de presse écrite, sous développement qui a des répercussions évidentes sur ses contenus comme sur sa gouvernance. Le cas de la presse gratuite Le recours à la publicité a donné lieu aussi dans beaucoup de pays, notamment, industrialisés, au développement du phéno-m mène de la presse gratuite. Les gratuits, sous forme de journaux d’annonces ou d’informations culturelles, existaient depuis longtemps, mais l’apparition de quotidiens d’information politiq- diagnostic global et analyse sectorielle 141 que et générale distribués gratuitement est relativement récente dans la plupart des pays49. Actuellement, on relève la présence de cette forme de presse gratuite partout dans le monde avec des titres couvrant différ- rentes thématiques et à périodicité variée. La presse gratuite est devenue partout un nouvel acteur sauf en Allemagne où elle n’est pas parvenue à s’implanter pour deux raisons : la création par les éditeurs de leurs propres titres gratuits empêchant ainsi cette presse d’obtenir de contrats auprès des annonceurs, avant de les retirer et leur refus d’être son partenaire en matière d’imp- pression et de distribution. En France, le secteur du gratuit est devenu tellement dynamiq- que qu’il a réalisé en 2008 un chiffre d’affaire de 1,08 milliards d’euros dont 750M€ pour la presse gratuite d’annonces et 334 M€ pour la presse gratuite d’information. La récente amplificat- tion de ce phénomène a débuté au printemps 2002 par le lanc- cement de 2 quotidiens gratuits d’information (20 minutes et Metro) dans les plus grandes villes françaises (Paris, Marseille, Lyon au départ et par la suite Toulouse, Bordeaux, Lille, Stras-b bourg, Nantes…). Mais rapidement d’autres titres gratuits, crées par les éditeurs des quotidiens payants pour contrer les deux nouveaux arrivants ont vu le jour : Marseille Plus, Ville Plus, Direct Plus, etc. On compte aujourd’hui sur le marché français plus de 500 journaux et magazines dont 85 sont contrôlés par l’OJD. Le public cible visé par les gratuits, notamment « Metro » et « 20 minutes », est un public jeune qui ne lisait pas habituell- lement les quotidiens. Ce qui est une tendance de ciblage avérée également dans le cas de la débutante presse gratuite au Ma-r roc. Au Canada, depuis près d’une dizaine d’années, les anglophon- nes comme les francophones se voient offrir aux bouches du métro, dans les grandes villes, au moins deux quotidiens gra-t

49 - C’est seulement en 1995 que le journal Métro paraît à Stockholm sous la houlette du groupe suédois Kinnevick, spécialisé dans les aciers, les métaux spéciaux, les propriétés et les exploitations forestières… 142 dialogue national - media et societe tuits (« Métro » ou « 24H »). Sachant que ce pays a une longue tradition de presse gratuite dominicale nationale ou régionale ou encore ciblant les arts et spectacles et qui, en moyenne, sous forme tabloïd, offre une quarantaine de pages ou plus dont une proportion infime est réservée à de brèves informations, interv- views et reportages de proximité, le grand reste étant occupé par la publicité de marques et les annonces classées. Le Maroc à son tour, n’a pas échappé à ce formidable essor de la presse gratuite. Depuis 2005, le nombre des titres de la presse gratuite d’information n’a cessé de se développer, qu’ils soient destinés à un lectorat arabophone (ex : « Assahra Almassa’iya ») ou francophone (ex : « Au Fait », fortement inspiré par l’exemp- ple montréalais francophone « Métro »). Ce type de presse est apparu au Maroc vers 2003, avec Exit et CasaMaVille à leurs débuts, avant qu’ils ne deviennent payants, puis plus tard Madinati, Sport Hebdo, Plurielle et, plus récemm- ment, Au Fait… Les tirages sont importants mais, suite à l’arrêt de Madinati, on est en droit de s’interroger sur la viabilité d’un tel modèle de presse au Maroc. Deux groupes se distinguent dans ce domaine : DOVOCEAN qui édite le quotidien « Au Fait » et le groupe GEOMEDIA plus connu au travers de ses trois titres phares : Madinati devenu Madincity, Plurielle, le gratuit féminin, ou encore Sport Hebnd do. diagnostic global et analyse sectorielle 143

Titres gratuits contrôlés par l’OJD au Maroc

Organisme Tirage Titre Périodicité Catégorie éditeur 2008/2009° Actualité Au FAIT quotidien DEVOCEAN 44.206° générale Actualité CASA POKET mensuel 35.000 générale L’INTERMIDIAIRE Press Group Actualité Hebdomadaire 150.000° CASABLANCAIS l’Intermédiaire générale

MADEINCITY Bimensuel GEOMEDIA 39.436

PLURIELLE Mensuel GEOMEDIA Féminin 32.360 magazine

SPORT HEBDO Hebdomadaire GEOMEDIA Sport 61 .600

Le secteur gratuit au Maroc ne constitue pas, jusqu’à présent, une menace pour la presse payante, car son impact reste très limité. Il génère des revenus publicitaires limités estimés à en-v viron 50 millions de dirhams annuellement. Et c’est le groupe GEOMEDIA qui se taille la part du lion avec 17 millions de di-r rhams de revenus publicitaires pour l’année 2008, ce qui représ- sente moins de 10 % du chiffre d’affaires publicitaire du quoti-d dien L’Economiste estimé en 2008 à 200 millions dirhams.50 Ces journaux jouent aujourd’hui sur un phénomène, qui s’est amplifié avec le développement des réseaux en ligne, qui, eux, cultivent cette impression d’un accès gratuit à l’information et à la culture : ils permettent, dans le cas du Maroc, à une certaine frange de la population d’accéder à la presse, non seulement pour des raisons de pouvoir d’achat mais aussi pour des raisons liées au réseau archaïque de la distribution classique (kiosquiers). Ils apportent donc une réponse concrète à la faiblesse de la pénét- tration de la presse chez le public marocain dont le potentiel de lecteurs est estimé de 4 à 5 millions d’individus, alors que la diffusion payante ne dépasse pas dans la meilleure des conjonct- tures les 400.000 exemplaires. Cependant, pour se distinguer

50 - Rachid HALLAOUY, in Yabiladi.com sep 2008 144 dialogue national - media et societe et être pertinente, il est nécessaire pour la presse gratuite de se démarquer sur le plan éditorial, sur le contenu et être efficace au niveau de la distribution. C’est pourquoi, partout, en Europe et en Amérique du Nord, les gratuits ont développé un produit basé sur une neutralité éditor- riale totale, comme le souligne M. Jean-Pierre Bozo, président directeur général du français 20 minutes : « Nous faisons du ‘’hard news’’ c’est-à-dire des faits sans commentaires, avec une information brute, des chiffres, des faits et un visuel. Nous ne prenons pas position politiquement, nous laissons le lecteur se forger son opinion à partir des faits »51. Le modèle économique de la presse gratuite est très différent de celui de la presse payante. Il se différencie essentiellement dans les domaines de l’impression, de la distribution et de la promotion. Ø L’impression fait appel à la sous-traitance et est confiée donc à des imprimeries hors-presse. Elle est donc négoc- ciée d’une manière avantageuse; Ø La distribution est assurée par un personnel à statut in-c certain et souvent précaire au moyen de présentoirs ou par colportage, en particulier à l’entrée des bouches de métro, sur les carrefours des routes et devant les gares aux heures des trajets matinaux domicile/travail, ce qui fait que les stocks sont écoulés très rapidement; Ø La promotion de ces journaux fait l’objet de campagnes de marketing particulières faisant appel souvent à des

51 - Cette ligne éditoriale répond à quatre impératifs : - « la notion d’information essentielle ; - l’information, sous forme de coordonnées postales, de numéros de téléphone, liens Internet, voire SMS… - l’ancrage local développé sur six à huit pages (sur une pagination moyenne de 22 pages) portant aussi bien sur des informations générales d’actualité locale que des informations sportives et des informations de services (« bons plans » pour les sorties du soir) ; - l’information « fun » offrant aux lecteurs « la possibilité de résister à une actualité… parfois triste », par une information « people » éloignée des contenus des tabloïds britanniques. » In, Michel MULLER, Garantir le pluralisme et l’indépendance de la presse quotidienne pour assurer son avenir, op.cit, p.81 diagnostic global et analyse sectorielle 145

alliances avec des chaines de restauration rapide, voire des accords d’exclusivité de distribution comme le fait « 20 minutes» avec la SNCF et « A nous Paris » avec la RATP. Les plans de lancement de ces gratuits se proposent un obj- jectif d’équilibre financier rapide sur 3 ans ; mais souvent ces dates sont repoussées. Les investissements nécessaires au lanc- cement d’un gratuit en France restent importants. Ils atteignent selon les éditeurs 38 millions d’euros pour « Metro » et 35 mil-l lions d’euros pour « 20 minutes ». Les gratuits réalisent des revenus publicitaires en constante progression. Mais en 2008, en raison de la crise financière, on note une légère baisse due à la chute du marché de l’immobi-l lier et des annonces, et des effets de la concurrence de l’Internet dans le domaine des petites annonces. Néanmoins, les gratuits font aujourd’hui partie intégrante des plans média des annonc- ceurs. Et il est à redouter que le marché publicitaire ne soit pas en mesure de satisfaire toutes les demandes. Or, étant donné que la publicité est la seule ressource de ces publications, il faudrait alors que les investissements publicitaires croissent fortement pour éviter que ne s’opèrent des transferts de la presse payante vers la presse gratuite. Il reste qu’au Maroc, cette presse bénéf- ficie de la part des annonceurs de maigres parts, tant les condit- tions attrayantes de consommation de cette presse font encore défaut au Maroc (transports communs organisés et conforta-b bles, pouvoir d’achat, habitude de lecture…). La preuve, Au Fait n’a dépassé le million de dirhams de recettes publicitaires que deux fois depuis son lancement, alors que pour un quotidien à diffusion de 50.000 exemplaires quotidiens, ce chiffre reste extrêmement modeste. A titre de comparaison, le Matin réalise des chiffres d’affaires en publicité variant mensuellement entre 6 et 10 millions de dirhams, et l’Économiste dépasse très souv- vent ce dernier seuil. Plus éloquent encore, le groupe avait lancé, en 2008, son quotidien arabophone gratuit à (très) grand tirage, « Al Massa’iya », qui imprimait chaque jour quel-q 146 dialogue national - media et societe que 100.000 exemplaires, mais l’expérience s’est soldée par un échec commercial, significatif de l’inadaptabilité de ce modèle économique au Maroc. Bref, les créations de journaux gratuits n’ont d’égales que les fermetures des mêmes journaux, tant en arabe qu’en français. Il ne reste alors en matière de presse gra-t tuite que les titres spécialisés, et essentiellement en immobil- lier. Et même ce type de presse gratuite dédiée à un domaine d’activité déterminé résiste difficilement à la crise actuelle que connaît ce secteur. Face à ces enjeux, les quotidiens payants ont adopté des stratégies différenciées : • Conclusion d’accords pour l’impression de titres gratuits, ainsi Au Fait est imprimé sur les rotatives de Maroc soir, Metro est imprimé sur les rotatives de France Soir et 20 minutes sur celles du Monde ; • Edition de gratuits par des titres payants comme l’illus-t tre l’expérience avortée du groupe Maroc Soir qui a lancé pendant un certain temps, Al Massa’iya, un gratuit qui, en fait, se contentait, de fournir un sommaire détaillé des infos, invitant le lecteur à les approfondir sur les titres payants du groupe et Assabahia; • Développement du réseau Villes Plus par les groupes Ha-c chette Filipacchi Médias et Socpresse et leurs quotidiens régionaux, avec des stratégies défensives pour capter les recettes publicitaires de Metro et de 20 minutes ; • Participation au capital des gratuits (le groupe Ouest France est présent par exemple dans le capital de 20 minutes France et l’éditeur du Parisien dans celui d’ A nous Paris) ; • Collaboration à la publication par la vente de certains contenus ou en matière de régie publicitaire. Ainsi, si les gratuits peuvent provoquer un effet d’évict- tion publicitaire en raison de leur modèle économique diagnostic global et analyse sectorielle 147

basé sur la manne publicitaire, ils ont néanmoins montré qu’avec une nouvelle approche éditoriale, des formes de distribution appropriées et des techniques de marketing efficientes, il est possible de séduire un lectorat négligé ou en voie de disparition avec le développent du web. Par ailleurs, en France, les gratuits bénéficient de certaines aides fiscales comme l’exonération de la taxe professionnelle, ou bien les mécanismes de l’article 39 bis du code général des impôts. Cependant, ils ne peuvent prétendre aux aides directes dont l’obtention est conditionnée par l’inscription auprès de la Commission paritaire des publications et agences de presse qui suppose une diffusion payante. Au Maroc, le Dialogue national a reçu un mémoire de l’équipe du journal « Au Fait » appelant à l’accès pour cette presse à l’aide publique, au même titre que la presse payante. Face à ce développement de la presse gratuite et à ses vel-l léités de prétendre à une aide publique, certains éditeurs de presse pensent que les gratuits sont responsables de la baisse de la diffusion des payants et qu’ils constituent un concurrent déloyal. Ainsi le journal français « Libération » constate qu’il a perdu des lecteurs avec l’émergence des gratuits52. Cependant, d’une part, l’expérience prouve, jusqu’à présent, qu’un nouveau média ne réduit pas forcément l’audience de ses concurrents, et d’autre part, différentes enquêtes ont montré un effet neutre des gratuits sur la diffusion des payants et une certaine complément- tarité des deux supports.53 Dans le même sens, Khalil Hachimi Idrissi, Président de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ), et directeur de publication d’Aujourd’hui le Maroc estimait que « La presse gratuite constitue une concurr- rence déloyale qui risque à très court terme de fragiliser la presse payante comme cela a d’ailleurs été le cas et à des degrés divers

52 - Dans son édition du 17 février 2002 ; Libération titrait à la Une « Méfiez-vous des contrefaçons ». 53 - Voir à ce sujet, M. Louis de BROISSIA, La crise de la presse, rapport d’information du Senat, N°13, 3 octobre 2007, p.25-26. 148 dialogue national - media et societe dans des pays, notamment en France » ou encore « Nous ne croyons pas que le modèle de la presse gratuite soit aujourd’hui une réponse aux problèmes profonds et récurrents de la presse au Maroc. Bien au contraire, nous pensons que la presse grat- tuite est un facteur de déstabilisation de notre secteur qui est si vital pour la construction d’une réelle démocratie et d’une opi-n nion éclairée ». Le cas de l’Agence Maghreb Arabe Presse Il est professionnellement convenu, depuis la création de la 1ère agence de presse par le français Charles Havas en 1835 (« Agenc- ce Havas »), de compter dans le secteur de la presse écrite les « agences de presse ». En fait, le journalisme d’agence est au cœur du secteur de la presse écrite. Comme il sied au « grossiste de l’information » qu’est l’agence et qu’Havas avait lancée, au départ, comme « bureau des nouvelles » (Paris, 1832) au service des journaux, en leur vendant tout particulièrement des traduct- tions de nouvelles qu’il récoltait à l’étranger par tout un système de correspondants et de transport, par une « flotte » de pigeons voyageurs ( !) , avant de profiter des « nouvelles technologies » de l’époque, époque de la « révolution industrielle » : bateau à vapeur (pour rejoindre l’Amérique et ses grands journaux nais-s sants à New York notamment) ; Télégraphe (1837/1850); câble sous la Manche (1851); câble transatlantique (1866) et, bien plus tard, le Téléscripteur (1880) qui dominera pendant plus d’un siècle avant que l’informatique ne débarque dans les années 80 du siècle dernier. Honoré de Balzac, que le journalisme partage avec la grande littérature, résuma en 1840 parfaitement le rôle de l’agence de presse imaginée par Havas : « Le public peut croire qu’il y a plusieurs journaux, mais il n’y a en définitive qu’un seul journal. M. HAVAS a des correspondn dances dans le monde entier; il reçoit tous les journaux de tous les pays du globe, lui le premier (…) Tous les journaux de Paris ont renoncé pour des motifs d’économie à faire pour leur comptn diagnostic global et analyse sectorielle 149 te les dépenses auxquelles M. HAVAS se livre d’autant plus en grand qu’il a maintenant un monopole, et tous les journaux dispensés de traduire comme autrefois les journaux étrangers et d’entretenir des agents, subventionnent M. HAVAS par une somme mensuelle pour recevoir de lui, à l’heure fixe, les nounv velles de l’étranger. Chacun teint en blanc, en vert, en rouge, ou encore en bleu la nouvelle que lui renvoie M. HAVAS ». (In La Revue Parisienne.1840). La pertinence de cette définition est dans la dernière phrase : « Chacun teint en blanc, en vert, en rouge, ou encore en bleu la nouvelle que lui renvoie M. HAVAS ». L’agence est par conséq- quent un service « neutre », c’est-à-dire un service d’informa-t tions brutes, sans commentaire et sans quelconque nuance se prêtant à une interprétation au-delà du sens porté, stricto sens- su, par le fait, le « factuel ». Une production de « grossiste » qui laisse à ses clients (Médias essentiellement) le soin et la latitude d’interpréter, d’éclairer, de nuancer, de « teinter », de présent- ter et de commenter selon leurs propres visions, leurs propres lignes éditoriales. Ce que traduisit, dès le milieu du 19ème siècle, la devise adoptée par le « nouveau journalisme » de la presse anglo-saxonne, à l’époque (notamment le « Times » londonien) : « les faits sont sacrés et l’opinion libre ». Une devise qu’adopta, à sa création en Novembre 1959, l’agence marocaine, la MAP : « L’information est sacrée et le commentaire est libre ». En 1953, l’Unesco définissait comme suit l’agence de presse : « Toute entreprise dont `` l’objet principal `` serait de rechercn cher des nouvelles et tous les éléments ou documents portant expression ou représentation de faits d’actualité en vue de distn tribuer instantanément et régulièrement aux entreprises de publication qui les désirent, et éventuellement à d’autres perns sonnes, contre paiement d’une redevance, des services d’informn mation aussi complets que possible ». Il est indispensable de rappeler cet aspect de définition pour souligner le rôle central que joue une agence de presse – génér- raliste, parce qu’il y a aussi des agences spécialisées, de photos, 150 dialogue national - media et societe de vidéos, de la bourse etc.- dans un champ médiatique donné. Rôle que jouent les agences dites « nationales », plus ou moins liées à l’État, comme les agences, nationales à l’origine, mais qui ont pu s’imposer comme agences internationales (cas de l’AFP des défuntes TASS et Tanyoug par exemple). Dans le cas du Maroc, l’agence « Maghreb Arabe Presse », com-m me initiative privée de son fondateur, le journaliste et diplom- mate Feu Mehdi Bennouna, avait originellement une vocation régionale au niveau de l’Afrique du Nord et du monde arabe aux prises, à l’époque, avec les combats contre l’occupation étrang- gère. Hélas, cette vocation régionale de la MAP, impliquant, aux côtés de son fondateur Bennouna, des personnalités algérienn- nes et tunisiennes notamment, n’a pu résister longtemps aux velléités nationalistes bien fortes à l’époque dans les trois pays du Maghreb fraîchement indépendants. Le 1er Janvier 1961, la Tunisie créait son « Agence Tunis Afrique Presse » (TAP) et le 1er Décembre 1961, l’Algérie, encore en lutte contre l’occupation, se dota de l’agence « Algérie Presse Service » (APS). Quant à la MAP, la conjoncture induite par le déclenchement des hostilit- tés ouvertes avec l’Algérie, aux plans politique et médiatique, au lendemain de la Marche Verte (1975), allait être pour beau-c coup dans la récupération par l’État de ce stratégique outil d’inf- formation…Récupération scellée par le Dahir de 1977 portant statut de la MAP, quoique l’État semble avoir programmé cette récupération dès 1973, quand l’agence de Mehdi Bennouna fit preuve d’audace d’indépendance en informant, comme il se doit pour une agence d’informations, sur les coups d’État militaires de 1971 et, surtout, celui de 1972. Le transfert, forcé, de l’agence dans le giron de l’État dura d’ailleurs, au plan procédural et adm- ministratif, de 1973 à la date de publication du Dahir de 1977. De sorte qu’à cette date, la MAP n’avait plus quelconque prétent- tion ni à une ligne éditoriale plus ou moins indépendante des desiderata des pouvoirs publics et du gouvernement, ni à quelc- conque résiduel de sa vocation régionale première. Elle rejoignit alors totalement la vocation première et dernière de ses jeunes diagnostic global et analyse sectorielle 151 voisines de la région, la TAP et l’APS, en tant qu’établissement public, agence officielle en l’occurrence, dont le statut stipule clairement, jusqu’à nos jours, dans le fameux article 2 du Dahir constitutif créant la MAP (19 Septembre 1977) : L’agence MAP a pour objet : - de rechercher tant au Maroc qu’à l’étranger les éléments d’une information complète et objective ; - de mettre, contre paiement, l’information à la dispositn tion des usagers tant au Maroc qu’à l’étranger ; - de diffuser pour le compte des pouvoirs publics constint tutionnels toute information que ces derniers jugeraient bon de rendre publique ; - de concourir, tant au Maroc qu’à l’étranger, à la difnf fusion des points de vue, buts et objectifs de la politique du Royaume du Maroc ; Ceci dit, le rappel de la vocation régionale originelle, dans le cas de la MAP, est important dans la mesure où son avenir, comme le confirme son état des lieux actuel, est plus que jamais dépend- dant de cette vocation, comme il éclaire son évolution historiq- que assez particulière, passant d’une institution privée indépend- dante à une institution étatique et gouvernementale. Le diagnostic de la place et du rôle de la MAP dans le champ communicationnel national, plus de 50 ans après sa création, met en relief tout d’abord cet assujettissement juridique à l’État et aux « pouvoirs publics constitutionnels », sans qu’il soit pré-c cisé ce que le texte entend, limitativement, par ces dits pouvoirs, ni parce qu’il appelle « objectifs de la politique du Royaume »… Toujours est-il que ce statut plombe véritablement aujourd’hui plus que jamais l’agence marocaine qui, par ailleurs, a accumulé nombre d’atouts et de ressources, surtout depuis une vingtaine d’années, pour prétendre jouer son rôle de grossiste indépend- 152 dialogue national - media et societe dant de l’information au profit de tous les médias et institutions communicationnelles nationales et, aussi, pour rayonner, au- delà des frontières du Maroc, par cette mission d’information, dans la région multi pôles, que lui permet d’arroser la géograp- phie du pays de son siège, et d’où elle se déploie avec des antenn- nes sur tous les continents. De par la place qu’elle occupe dans le champ médiatique nation- nal, de par son caractère d’établissement public et de par la déf- finition même du journalisme d’agence (dixit Balzac et Unesco), la MAP relève du service public, de ce secteur pris en charge par la communauté (moyennant des deniers publics) afin de remplir une mission de service public. Encore faut-il que le concept de « service public » soit bien compris et établi, avec ses normes et ses caractéristiques bien connus dans le secteur de l’audiovisuel public notamment. Sauf qu’au Maroc, comme il en est encore dans le secteur audiovisuel, la notion de service public est bien en retrait dans de tels établissements au profit d’une situation d’inféodation à l’État, au gouvernement du moment, aux pouv- voirs publics bien établis, à « l’establishment »…C’est là le prem- mier point d’entrée critique pour quelconque diagnostic de la situation présente comme pour quelconque réforme envisagée dans le cas de l’agence marocaine. Une revue synthétique ou résumée du diagnostic qu’on peut proposer de la situation de la MAP nous indiquerait essentiell- lement les éléments critiques suivants qui sont autant de préal- lables à prendre en considération avant de se proposer des pist- tes de mise à niveau ou de réforme de cet important acteur du champ national : 1. l’Agence MAP est une institution stratégique aussi bien pour le champ national de la communication que pour le rayonne-m ment politique et informationnel du Maroc et de ses médias, dans les aires régionales qui intéressent le Royaume (Monde arabe et Afrique notamment); diagnostic global et analyse sectorielle 153

2. Sa longévité (plus de cinquante ans) et sa constante expan-s sion (à l’extérieur du Maroc) lui ont permis de gagner une visibilité particulière parmi les agences du Sud en général et des pays des régions stratégiques pour le Maroc en particul- lier (le Monde arabe, l’Afrique et la rive Sud de la Méditerran- née); 3. Seule parmi les agences nationales du Sud, et même par comparaison à certaines du Nord, la MAP dispose d’un ré-s seau de bureaux permanents dans 24 capitales du monde, un dispositif qui, avec une douzaine de correspondants loc- caux, lui permet d’être présente dans plus de 30 pays; 4. Elle a le privilège, parmi ses consœurs du Sud, de produire et de travailler en quatre langues, 24 heures sur 24 : arabe, français, espagnol, anglais, en plus de récents services en jap- ponais et en coréen dont la pertinence est néanmoins loin d’être convaincante; 5. Elle couvre le territoire national grâce à 27 bureaux dans toutes les régions du pays, certains comptent près d’une dizaine de journalistes permanents (cas de Casablanca, no-t tamment); 6. Malgré des vicissitudes budgétaires chroniques, l’Agence marocaine suit de façon assez satisfaisante l’évolution techn- nologique des matériels et modes de production et de diffu-s sion propres au secteur des agences de presse, avec un chiff- fre d’affaires qui est passé de 16 Millions DH en 2005 à 27 Millions DH en 2009; elle a été la première, dans la région arabe, à introduire l’outil informatique dans ses rédactions, avec l’appui du programme PIDC de l’Unesco dès le début des années 80; 7. L’État a consenti pour l’agence, depuis 1980 notamment, des efforts budgétaires et d’investissement exceptionnels et considérables, en lui accordant, par exemple, un budget de fonctionnement qui avoisine les 180 millions DH (en 2010), sachant que la subvention de l’État intervient pour près de 154 dialogue national - media et societe

85% dans le budget global de l’agence dont les recettes n’att- teignent pas les 20 millions de dirhams (2010). Seule une vision étrangère au domaine ou, tout simplement de courte vue, n’accorderait pas donc un intérêt des plus attentifs à la MAP en tant qu’acteur stratégique dans l’optique d’un dév- veloppement général et moderne de l’ensemble du champ méd- diatique national. Son cas bien particulier en général, sa long- gévité bien imposante, parmi les agences nationales de pays comparables, ne manquent pas en effet de singularités quand on s’arrête devant certaines réalités et données inscrites dans son parcours. Tout d’abord, elle présente la singularité d’un rythme de conti-n nuité tendant vers l’expansion de ses activités et de l’espace de son rayonnement, plutôt que vers la réduction ou le repli, com-m me il en a été pour ses consœurs de la région (agences d’Algérie, de Tunisie, du Sénégal, de l’Égypte...). Sur le plan national, elle a, progressivement et à la faveur du développement du champ national de la communication et des libertés, conquis nombre de positions qui sont soit tenues de-p puis longtemps par les majors mondiaux (AFP, Reuter, AP), soit naturellement révélées par le développement endogène de la scène nationale. Au niveau régional, la MAP s’est singularisée indéniablement de par sa présence continue (souvent fondatrice), au niveau maghrébin, arabe, africain, méditerranéen et dans l’aire non alignée. Dans nombre de ces espaces, force est de reconnaître que la MAP est le seul acteur constant dans ce type de regroupem- ments d’agences. La singularité à ce niveau est davantage évidente par l’effort qu’elle a consenti depuis une trentaine d’années pour entretenir une présence productive sur les territoires de ces ensembles. En attestent ses bureaux à Tunis, Dakar, Alger, Le Caire, Beyrouth, Amman, Djeddah, Madrid, Lisbonne, Rome, New Delhi... Sans oublier l’autre preuve de cette présence dynamique que constit- diagnostic global et analyse sectorielle 155 tue l’utilisation de quatre langues (Arabe, Français, Espagnol et Anglais) et le recours pour certaines régions difficiles d’accès ou plus lointaines à l’émission de bulletins spécifiques (Afrique, Asie…). Ce réseau de bureaux de la MAP à l’étranger, atteste bien entendu, à un autre niveau, d’un atout tout aussi singulier : une présence à l’échelle internationale rarement rencontrée chez les agences comparables. L’Agence a un personnel permanent à Pa-r ris, Bruxelles, Bonn, Genève, Londres, Washington, Montréal, Mexico, Buenos Aires, Brasilia, New Delhi, Pékin, Moscou, Jo-h hannesburg, Adis Abeba… en plus des capitales déjà citées. Avec 24 bureaux à l’étranger, elle est donc bien engagée dans une vocation, assurément régionale, mais aussi internationale, alors qu’à l’origine elle n’avait comme ambition fondamentale (une fois écarté le rêve maghrébin des années 50), que d’être une agence marocaine chargée, aux yeux de l’État et du législa-t teur, de porter la voix du Maroc à l’étranger. Un tel rappel est sans aucun doute nécessaire pour mettre le doigt, de façon insistante, sur ce qui nous semble devoir être le point nodale pour toute réflexion prospectiviste sur cette agen-c ce. C’est-à-dire qu’il nous faut prendre comme point de départ, et comme point final également, cette propension “naturelle”, dégagée et confirmée par cinquante années d’exercice, à savoir, la propension à devenir une agence régionale ayant des velléités qui pourraient la faire rayonner au-delà de ses aires de proxim- mité géographique, politique ou culturelle. Cette double vocation, à l’échelle régionale et internationale, peut fort bien s’accomoder avec la vocation première d’une agence nationale, celle d’un service public de « grossiste de l’in-f formation » au service de tous les médias nationaux. L’exemple de l’AFP, subventionné par l’État Français, peut largement ill- lustrer une telle posture. On peut même dire que la caractéristiq- que de « service public » détermine la crédibilité et les chances de rayonnement au-delà des frontières nationales. Une agence 156 dialogue national - media et societe qualifiée d’ «officielle », à cause de son inféodation ou accoin-t tance avec le gouvernement ou l’État du pays d’où elle émet, est une source parmi d’autres, c’est-à-dire qu’elles est perçue comme un « point de vue », une source de commentaire, teintée d’une certaine couleur, et non une agence d’informations brut- tes, neutres, sélectionnées et traitées selon une ligne éditoriale indépendante, comme il se doit selon la mission de principe d’une agence. Un utilisateur d’agence de presse peut recourir ponctuellement à une agence « officielle » pour exposer le point de vue- forcément partisan- d’un gouvernement ou d’un État, mais il n’y accorderait pas le crédit nécessaire à une agence de presse telle que l’agence est définie par les milieux professionn- nels depuis le siècle de Balzac et d’Havas. C’est tout le dilemme dans lequel est enfermée l’agence maro-c caine qui ne peut plus vivre de ce paradoxe qui lui est bien par-t ticulier à cause de la singularité de ses ambitions et moyens, comparativement aux agences de la région qui, d’Alger au Koweït par exemple, sont, sans réserve, bel et bien des agences officielles, gouvernementales et de rayonnement bien plus mod- deste au-delà de leurs frontières nationales, ne disposant, dans le meilleur des cas, que de quelques correspondants à l’étran-g ger, émettant fréquemment depuis les ambassades de leurs pays quand leurs « journalistes » ne sont pas tout simplement des agents de services et d’administrations publiques, diploma-t tiques ou sécuritaires détachés à l’agence officielle… La question donc est une question existentielle pour l’agence. Le Maroc veut-il disposer d’une agence de presse à vocation d’agence de presse livrant un « service public » au champ mé-d diatique national, y compris par ses correspondances depuis l’étranger, et exploitant ses moyens matériels et humains, déjà en fonction, pour compétitionner, à l’échelle nationale et dans certaines régions qui lui sont proches et accessibles, avec les grandes agences régionales ou internationales ? Trop souvent la MAP est « battue », professionnellement, sur son propre terrain national par des correspondants d’agences étrangères au Pays (AFP, Reuters…)! diagnostic global et analyse sectorielle 157

En conséquence, quels que soient les détails de diagnostic qu’on peut retenir de la situation actuelle de l’agence, l’impératif est plus que jamais celui de procéder à un recadrage radical de sa mission en tant qu’agence de presse, « grossiste de l’informa-t tion » au service de tous ses clients (nationaux et étrangers) et dispensant à ce titre des prestations de « service public », concept de service qui suppose un statut particulier, un mode de fonctionnement et de gouvernance particulier et des modes de financement, d’investissement et de gestion garantissant et développant la mission d’agence de presse d’abord et la mission de « service public » ensuite.54 Ceci dit, il est symptomatique d’éclairer cette situation d’impass- se de la mission de l’agence par le volet de sa production et des contenus de cette production qui ne militent pas en faveur, pour l’instant, loin s’en faut, des ambitions que l’on est légitimement en mesure de dessiner pour elle à l’avenir, plus que jamais du fait du stade d’évolution atteint globalement par le champ méd- diatique national et du fait de l’intrusion des nouveaux médias et du cyberespace. Avec un total de près de quelque 587 employés, dont 214 ad-m ministratifs et juste 311 journalistes et 36 techniciens, l’agence présente une situation de ressources humaines indéniablement plus proche d’une administration classique que d’une agence de presse. Avec près de 37% des effectifs comme agents administra-t tifs, soit plus du tiers des personnels, on est dans une logique de gestion bureaucratique et non dans une logique de production de contenus…D’ailleurs, nombre de journalistes de l’agence ne sont pas affectés comme compétences journalistiques dans les services de la pure production rédactionnelle, ils sont en poste, soit dans le « service d’écoute », ou ils sont employés à reproduir-

54 - Le 4 Novembre 1998 le Conseil d’administration de la MAP, sous la présidence du 1er Ministre, Me Abderrahmane Youssoufi , a adopté une « Stratégie de développement de la MAP, étude de prospective », par Jamal Eddine Naji. Cette étude proposait un « plan de développement » à l’horizon 2012 en défendant ces deux postulats de base : agence de presse et service public. Voir ce document sur le site Web du Dialogue national : www.mediasociete.ma ou www.mediasociete.net. (Études et expertises). 158 dialogue national - media et societe re les productions de l’agence dans des publications imprimées, ou encore, ils sont chargés d’alimenter le web site de l’agence en contenus élaborés par leurs confrères des services rédactionnels et sur lesquels ils n’interviennent que pour des tâches de secrét- tariat de rédaction (synthèse, titraille, maquette…). Dans les grandes agences de presse, les producteurs de conte-n nus purs et originaux (dépêches) constituent, dans le pire des cas, les deux tiers des effectifs et, dans les meilleurs des cas, les trois quarts, voire les quatre cinquièmes des effectifs, alors qu’à la MAP ils représentent à peine la moitié des effectifs employés par l’agence. Structuration qui indique clairement combien la pesanteur de l’administratif et les énergies qu’il doit mobiliser seront dominants dans l’atmosphère et la culture au sein de l’entreprise, voire sur ses priorités d’action de tous les jours. Par expérience vécue, l’impératif administratif prime toujours à la MAP sur la production et les initiatives qu’elle suppose et doit supposer (salaires, avancement, plans de carrière, nominations, organisation hiérarchique, décisions de mission, procédures de toutes sortes…). Bref, l’agence marocaine est davantage une ad-m ministration qu’une agence de presse où les journalistes, prod- ducteurs de contenus, sont censés être la principale richesse de l’institution et ses précieuses compétences stratégiques qui imp- priment de leur empreinte, leurs activités et leurs besoins, la vie de l’entreprise. Il semble bien que ce rôle est davantage occupé par l’administratif et par la culture de la gestion bureaucratiq- que. Sans oublier qu’à l’heure où la technologie et la technicité des moyens et des supports envahissent la chaîne de production de la presse en général et du journalisme d’agence en particulier (supports et plateformes multimédia, systèmes informatiques, programmes et logiciels…), il est quand même fort symptomatiq- que que sur près de 600 employés, on ne compte que 36 agents qualifiés de « techniciens » (soit 6,1%) dont 20 en dessous de l’échelle 10, 7 rémunérés à l’échelle 10 et 2 à l’échelle 11. Ceci indique, entre autres, aussi bien un sous encadrement techniq- diagnostic global et analyse sectorielle 159 que, peu propice à la recherche/développement si stratégique dans ce domaine pour pouvoir développer et varier la produc-t tion agencière, qu’un niveau de compétences techniques bien en deçà de ce qu’exige le journalisme d’agence moderne et les nouvelles technologies de l’information qui le révolutionnent chaque jour dans les volets de la production des contenus, des supports, des modes de diffusion, des systèmes de document- tation et d’archivage, des systèmes de gestion etc. D’ailleurs, cet état de prédominance de réalités et impératifs administrat- tifs sur les impératifs professionnels, journalistiques et technol- logiques, se reflète au niveau de la production : une moyenne quotidienne de moins de 200 dépêches par jour, avec des pics de 400 informations/jour et un total moyen de 600 dépêches/ jour pour quatre langues réunies, la majorité de cette product- tion consistant en des informations traduites d’une langue à une autre d’une même information, souvent traitée en premier par une des deux langues majeures de l’agence : l’arabe ou le franç- çais. Bien rares sont les informations traitées en premier par les services anglais ou espagnol dont les « fils » ne sont que des traductions des deux premières. Cette faible production, avec de tels dysfonctionnements et sous exploitation/minorisation des deux principales langues intern- nationales, l’anglais et l’espagnol, et avec cet handicap majeur qu’est le carcan global de culture d’ « administration publique », manifestement bureaucratique, peut expliquer aussi la sous rentabilité des services de l’agence : plus de 85% du budget de l’agence est assuré par la subvention de l’État et comme il en est pour nombre d’administrations budgétivores en subventions de l’État, son budget de fonctionnement est sans commune mesure avec le chiffre d’affaires : 176,1 Millions DHS pour le fonction-n nement (contre 27 Millions DHS en chiffres d’affaires en 2010) dont près de 80% au titre des charges des personnels (salaires, indemnités etc.). Autant dire que nous sommes bel et bien face à un modèle d’entreprise – de presse- pour qui son processus de production de services n’est pas nécessairement voué à quelc- conque rentabilité ni à une stratégie de développement de prod- 160 dialogue national - media et societe duits qui soit réellement en phase avec les attentes et les besoins de sa clientèle. Certes, la MAP, de par son statut de principe (juridique et financ- cier) et de fait, par sa pratique sur les 45 dernières années, est une institution de « service public », c’est-à-dire qu’elle pour-r rait ne pas avoir comme objectif ultime la rentabilité économ- mique. Mais une telle appréciation relève d’une conception du « service public » bien étriquée et d’une vision qui, en tout cas, ne peut plus de nos jours être retenue de manière indiscutable dans le secteur des médias (comme le cas de l’audiovisuel pub- blic d’ailleurs), encore moins dans le domaine des agences de presse. Domaine qui, comme le précise aussi bien Balzac que l’Unesco, doit obéir, dans une proportion ou une autre, à la loi de l’offre (par l’agence) et de la demande (d’une clientèle, les médias en premier). Partout dans le monde, les agences de presse nationales, ori-g ginellement publiques, semi-publiques, étatiques ou gouvernem- mentales, privées ou même à statut de coopérative (entre des journaux comme, par exemple, la nord-américaine « Associated Press ») ont fait le nécessaire, en termes de réformes juridique, financière, managériale, de marketing et de leurs productions, pour rencontrer plus de rentabilité économique, pour épouser une logique naturelle d’ « économie de l’information » garan-t tissant la viabilité économique de l’agence, sa capacité à investir dans les équipements , les ressources humaines, les nouvelles technologies, dans de nouveaux produits et services que ces techn- nologies permettent, alors que le « marché de l’information » est éclaté, mondialisé, soumis comme jamais à une concurrence quasi-insoutenable, avec l’irruption de l’Internet, de la télépho-n nie cellulaire (SMS…), du cyberespace, des portails, de la presse électronique, de l’audiovisuel satellitaire, des chaînes TV d’in-f formation 24/24H (véritables agences de presse, avec l’audiovis- suel en plus!), de la blogosphère etc.55

55 - L’étude « Stratégie de développement de la MAP, étude de prospective » (op.cit), présentée au CA de la MAP en Novembre 1998 indiquait à l’époque que le coût d’une dépêche envoyée diagnostic global et analyse sectorielle 161

Ce bref diagnostic dégage donc une réalité de modèle d’entrep- prise antiéconomique, avec des coûts de fabrication intenables économiquement, avec une situation d’assistanat de l’État ins- soutenable à terme, avec des coûts de fonctionnement défiant tout équilibre économique, comparativement aux recettes et aux investissements, et surtout contre productive, sur tous les plans, y compris au plan de la crédibilité et de l’indépendance éditoriale dont un média public doit pouvoir jouir, à fortiori une agence de presse (« grossiste de l’information » - « information sacrée »-)… Au plan des ressources humaines, capital de base d’une agence de presse, cette réalité se traduit par une gestion aux dysfonct- tionnements et aux modes de gouvernance classiques dans une administration publique marocaine : une absence quasi-totale de démocratie et de participation à la marche de l’institution, ses choix et ses processus de décision; une grille de salaires constamment objet de conflits sociaux et de frustrations, tant elle est inadaptée à la charge de travail demandée aux personn- nels, journalistes en l’occurrence; une quasi-absence de plans de carrière; des processus de recrutement, de nominations, d’accès à des postes de responsabilité, d’affectations (notam-m ment à la tête de bureaux internationaux ou régionaux) et des systèmes de notation, d’évaluation, d’octroi de primes, qui sont, pour le moins, extrêmement préjudiciables tant pour l’agence et sa mission que pour ses employés de plus en plus démotivés et de plus en plus en conflit ouvert avec leur administration, avec de constantes remontrances, revendications et manifestations syndicales, particulièrement ces deux dernières années. Lors de l’audition du staff directeur de l’agence par le Dialogue national, on a appris, par exemple, que les salaires des journa-l listes sont deux à trois fois inférieurs aux salaires de mise dans le secteur de la presse écrite : moyenne de 5 000 DHS pour un depuis un bureau de la MAP à l’étranger pouvait atteindre 2000 DHS, que son contenu soit une information ou une simple synthèse de la presse locale..! 162 dialogue national - media et societe diplômé Bac+4 et entre 12 000 et 15 000 DHS pour un cadre ayant 20 ans de carrière dans l’agence et qui, à la retraite ne peut espérer qu’une pension de moins de 10 000Dhs..! Situat- tion salariale qui explique d’ailleurs pourquoi l’affectation dans un bureau à l’étranger est devenue une véritable fixation et un sujet de crispation et de conflits entre les journalistes, entre les journalistes et l’administration à cause des avantages en indem-n nités de séjour calquées sur celles pratiquées par les services du Ministère des Affaires étrangères et qui ont été obtenues de haute lutte dans les années 80. Le salaire d’un chef de bur- reau à l’étranger, ainsi « gonflé » provisoirement par de telles indemnités (qui disparaissent avec la fin de l’affectation comme à la retraite) peut atteindre jusqu’à cinq à six fois le salaire d’un poste au desk central à Rabat! Une telle perspective, on s’en doute, fait de l’affectation à l’étranger un véritable privilège et comme tout privilège, il sera fort perméable à toutes sortes de dysfonctionnements et de pratiques discutables, voire condam-n nables ou, pour le moins, peu défendables du point de vue d’une gouvernance acceptable dans une administration publique… Sans oublier, et les exemples sont nombreux dans l’histoire de l’agence, cette situation profite au phénomène de la « fuite des cerveaux », certains journalistes de la MAP préférant, au bout de certaines années passées à l’étranger, opter carrément pour l’immigration définitive dans le pays de leur affectation et quit-t ter l’agence… Tout compte fait, outre le problème majeur et fondamental du statut et du régime juridique de l’agence qui doivent recadrer fondamentalement sa mission comme société d’intérêt public ouverte à la participation de privés (médias, comme nous le suggérons), la MAP a besoin d’une radicale mise à niveau de sa gouvernance, tout particulièrement dans sa politique de gest- tion de ses ressources humaines qui, soit dit aussi, vit actuellem- ment une période charnière, avec un risque patent d’hémorrag- gie de compétences, attirées par de meilleures conditions dans d’autres médias (avec, à la clé, une sortie du frustrant anonymat diagnostic global et analyse sectorielle 163 de l’agencier qui lui interdit signature et visibilité si prisées par les journalistes), et du fait du départ à la retraite de nombre de cadres journalistes ayant accumulé 30 ans et plus d’expérience durant toute la période de transformation de l’agence à tous les niveaux, depuis son statut de 1977 jusqu’à son passage à l’infor-m matique ou le déploiement de son imposant réseau de bureaux à l’étranger, en passant par son nouveau siège, conçu de manière assez adéquate et inauguré en 1989, à l’occasion de son 30ème anniversaire. En somme, l’analyse de la situation de la MAP en 2011, alors qu’à l’instar de tous les médias publics, elle passe une période de tension parmi ses ressources humaines, aboutit à une remise en question de sa vocation en tant que média de service public, à une réévaluation de son apport au champ médiatique en termes de contenus professionnels, en termes de coûts et de rentabilité, en termes d’anticipation sur les développements futurs des serv- vices d’une agence en relation avec l’ère du numérique, de l’imag- ge et de l’Internet , en termes d’ambitions de rayonnement rég- gional et international, en termes d’anticipation sur les besoins d’information du Maroc de demain (le Maroc des régions et du local, de plus de médias privés sur tous supports, le Maroc de médias associatifs ou « communautaires », le Maroc d’une large pénétration de la 3G, le Maroc d’un plus large accès à l’informa-t tion et à ses sources…). Or, le diagnostic de la situation actuelle porte à croire que la MAP est un chantier majeur dans le travail à mener pour la modernisation, la professionnalisation et la dé-m mocratisation du champ communicationnel national. A des fins de circonscrire les tendances lourdes qu’une stratégie, ou plan de développement, devra affronter, listons sur quatre volets des réalités structurelles et de pratiques dont l’agence sub- bit aujourd’hui des pesanteurs et des dysfonctionnements qui rendent son rôle et sa place dans le champ médiatique national bien en deçà de ce que son histoire, ses moyens techniques et humains, son expérience à l’international, devraient permet-t tre… 164 dialogue national - media et societe

1/ Au plan institutionnel et juridique ♦ Le Dahir constitutif de 1977 est un véritable carcan, plus inadapté que jamais à la vocation d’agence de presse et au concept de « service public » qui doit jouir de l’indépendance éditoriale qu’il faut pour un tel service d’intérêt public (intérêt du champ médiat- tique national et intérêt du citoyen ayant droit à l’inf- formation, une information exhaustive, pluraliste et indépendante); ♦ Le statut d’établissement public, presque totalement subventionné par l’État, ne recoupe pas dans la réal- lité la notion de service public pour l'Agence et renf- force démesurément la tutelle de l’État en rendant possible, voire « légitimes » sinon mécaniques, toutes sortes d’influences et de pressions de la part de tout acteur ou agent de l’État assimilant l’agence à une simple administration sous tutelle de l’État et donc à ses ordres à lui, représentant de l’État à un niveau ou à un autre; ♦ La non implication dans les structures de décision, dans le mode de financement de l’agence d’entités non étatiques, notamment des clients de l’agence, comme les médias, ne favorise ni l’indépendance éditoriale de l’agence ni sa viabilité économique, encore moins une gouvernance de production qui soit en phase avec les attentes de la clientèle de l’agence et, via cette clientèle (les médias), la satisfaction du grand public consommateur des contenus des médias que l’agence est supposée fournir, à la base, en grande partie, com-m me « grossiste de l’information », s’interdisant tout parti pris ou commentaire, même implicite, ou de fait par la technique de la rétention de l’information ou le fameux réflexe dit « dans le doute s’abstenir » de diffuser une information. diagnostic global et analyse sectorielle 165

2/ Au plan de la production ♦ La domination de “la culture de la fonction publiq- que” qui marque sa production et dirige/inspire ses ressources humaines en lieu et place d’une “culture d'entreprise” qui soit respectueuse des normes pro-f fessionnelles, de l'optimisation des moyens et de la qualité du produit, produit d’agence indépendante au service du fait et de l’information avant tout; ♦ La toute relative diversification de sa production qui ne permet pas de la rendre professionnelle de manière optimale, plus compétitive et résolument adaptée aux besoins de ses diverses clientèles. Client- tèles, contractuelles ou potentielles, qui ne comptent plus maintenant uniquement les médias tradition-n nels, mais aussi les portails d’information, les radios privées de proximité, les journaux électroniques et même les blogueurs à la recherche de l’information brute nationale pour alimenter leurs commentaires et leurs réactions en tant que citoyens en quête légitime d’informations sur la vie publique que doit couvrir, de par sa vocation, une agence de presse nationale; ♦ Une sous exploitation du support photo dans la pro-d duction de l’agence dont le service n’est pas valable-m ment structuré, ni intégré structurellement à la chaîn- ne de production et fortement limité dans ses moyens matériels et humains, avec cette remarque que si la pratique imposée actuellement aux journalistes de documenter, par la photo, leurs reportages, est utile et exploitable, cela ne doit pas exclure une production iconographique conduite en tant que service spécial- lisé par des professionnels formé pour; ♦ L’handicap majeur de l’absence de la vidéo des servi-c ces d’information offerts par l’agence; 166 dialogue national - media et societe

♦ Un flou entretenu de fait sur son mandat de service public quant à son obligation statutaire de “diffuser l'information gouvernementale” qui fait qu’elle ne l’assume pas, avec assurance et dans la sérénité, c’est- à-dire dans le respect des règles professionnelles du journalisme d'agence qui n’exclut nullement que cette information soit confrontée, le cas échéant, à une in-f formation qui lui est critique ou l’éclaire autrement au mieux des règles du journalisme d’agence : l’exh- haustivité, la contextualisation, la diversité des sourc- ces et des points de vue, la distance (indépendance), le pluralisme et la diversité… ♦ Une organisation des services rédactionnels sur des critères davantage administratifs, voire bureaucrati-q ques, que professionnels (par rubrique, par type de production, par support technologique...) et qui dis-c crimine ou élimine, le plus souvent, la production d’une information de proximité, une information plu-r raliste et diversifiée, comme elle exclut ou inhibe le journalisme d'investigation et l’initiative du journa-l liste (et du documentaliste, comme il arrive dans de grandes agences internationales pour certains types de produits confiés aux documentalistes); ♦ Des traditions et réflexes bien ancrés de relations trop étroites, voire d’inféodation, entre les journalistes et les pouvoirs publics en tant que sources d'informat- tion et qui, de ce fait, se comportent avec l’agence, le plus souvent, plutôt comme des sources de pouvoir et d’ordres.

3/ Volet des ressources humaines ♦ Absence d’une “culture d'entreprise” qui procurerait de la motivation professionnelle aux journalistes de l'Agence inhibés jusqu'à présent par leur statut de fonctionnaires, d’agents mal payés (les moins payés diagnostic global et analyse sectorielle 167

de la presse écrite) et dont les obligations d’horaires de travail sont exceptionnelles, comme il en est dans les agences du monde entier puisqu’il s’agit d’un méd- dia qui produit 24/24H; ♦ La flagrante inadaptation, en conséquence, du stat- tut du personnel de l'Agence à la charge de travail, au stress bien spécifique à ce genre de journalisme, aux spécificités inhérentes au travail du journaliste d’agence qui est constamment à l’épreuve face, uniq- quement, au factuel avec tout ce que cela suppose comme prudence, comme travail poussé de recoupem- ment et de vérification, d’investigation, de méticulos- sité dans la rédaction etc.; ♦ Une instable, épisodique et peu consistante politique de formation continue au profit des journalistes, com-m me du reste des personnels, et qui ne bénéficie que de peu de moyens (1Million Dhs » par an) et est bien loin d’être alerte et constamment à l’écoute des nouveaux besoins de perfectionnement et de recyclage (pour tous les types de personnels de l’agence) que génère l’incessante évolution des technologies en le domai-n ne; ♦ Une politique de recrutement peu exigeante concer-n nant les pré requis de formations spécialisées en journ- nalisme ou en disciplines assimilées, doublée d’une absence de programmes d’accompagnement ou de tutorat pour les débutants et de programmes et pro-c cédures d’encadrement productif et prospectif de compétences en direction des stagiaires; ♦ Une indéniable et flagrante insuffisance des effectifs de journalistes et absence d’un système permanent de rotation dans tous les services pour la meilleure polyvalence possible et la meilleure synergie possible entre les compétences, les cultures, les expériences et les profils; 168 dialogue national - media et societe

♦ La non systématisation, au profit de tous les - journ nalistes, des “sorties sur le terrain”, dans les régions comme à l'étranger, et qui sont indispensables tant pour la qualité de la production de l'Agence que pour l'aiguisement des compétences de ses agents; ♦ L’absence de soutien de l'entreprise aux journalistes pour qu'ils maîtrisent toute nouveauté technologique, dès son apparition dans le champ, et pour qu'ils en acquièrent, à titre personnel, certains outils de base comme un ordinateur personnel ou des logiciels uti-l les pour leur travail et leurs initiatives au profit de la production de l’agence ou ses objectifs de recherche et développement; ♦ L’absence d'un plan de communication interne per-m manent, sans cesse évalué, et destiné à promouvoir une communication intégrationniste, solidaire et prof- fessionnellement motivante entre les personnels en général et entre les journalistes en particulier; ♦ Le règne d’une gouvernance qui ne favorise pas une vie syndicale et sociale à l'intérieur de l'entreprise qui soit motivante et démocratique pour les personnels, qui soit profitable pour l’agence et ses objectifs de production et de bonne visibilité dans le champ méd- diatique national; ♦ Une gouvernance et une « culture ambiante » au sein de l’entreprise qui n’est pas toujours à l’abri d’attitud- des et de décisions discriminatoires pour le genre, ni valablement inscrite dans une politique d’équité du genre (la MAP compte une soixantaine de femmes journalistes - sur un total de 311journalistes - dont nombre de recyclées à partir de services administra-t tifs et techniques, leurs services d’origine de leur rec- crutement par l’agence…). diagnostic global et analyse sectorielle 169

4/ Volet de l’équipement : ♦ Absence d’un schéma directeur des équipements de l'Agence afin de mettre fin à la juxtaposition actuelle de différentes générations de matériels et d’outils et d’accompagner, à temps et efficacement, le rythme des nouveautés en le domaine, notamment les invent- tions du numérique et des TIC; ♦ Absence de politique volontariste, au plan de la rec- cherche/développement, d’investissements dans la création d’outils, de plateformes, d’applications et de solutions informatiques aussi bien pour les propres besoins de la MAP que pour en faire des productions ou prototypes à commercialiser, notamment auprès d’agences et de médias dans des régions proches et stratégiques comme le monde arabe ou l’Afrique;

♦ Un sous encadrement en effectifs et en profils qualifiés de l’ensemble des équipements, du parc technique et absence d’une veille technologique à même d’antici-p per sur les besoins d’avenir de l’agence et de générer les potentielles solutions à y apporter intra muros;

♦ Un recours épisodique, peu rentable et souvent de faible impact sur les compétences des personnels de l’agence, de certains accords de coopération étran-g gère, notamment en matière de formation ou d’assist- tance technique;

♦ Un interminable projet de mise à niveau et de mo-d dernisation du fonds documentaire et d’archives de l’agence qui, sous équipé et sous encadré, n’est ex-p ploité que minimalement par l’agence au niveau de sa production comme au niveau de la commercialisation de ses services; 170 dialogue national - media et societe

♦ L’absence d’une stratégie à long terme et d’objectifs mesurables de l’exploitation optimale par l’agence des opportunités de contenus, de supports, de moyens de diffusion, de produits commercialisables (publicités comprises), de cibles de clientèles qu’offre le Net, la blogosphère, les réseaux sociaux et autres espaces à venir dans le « marché de l’information ».

En un mot, une réflexion réformatrice sur le cas de l’agen-c ce MAP devrait nécessairement placer cette institution au cœur d’un débat générique sur la notion d’ « intérêt public », de façon générale, au Maroc, et, plus précisé-m ment, sur le concept de « service public » que cette notion démocratique induit pour les médias en général et fort précisément pour les médias subventionnés par l’État, à un niveau ou à un autre. Cette réflexion doit prendre en considération au moins quatre directions stratégiques et structurantes : la direction d’un service public profitant fondamentalement aux clientèles nationales (y compris en intégrant des entités médiatiques privées et publiques dans sa gestion comme dans son financement); une direct- tion d’ambitions conquérantes régionalement et internat- tionalement; une direction de rentabilité économique et une direction de modernisation constante en termes de gouvernance comme en termes d’exploitation optimale des nouveautés technologiques et d’anticipation sur leurs usages d’avenir…Et enfin, une direction de professionnal- lisation poussée de l’entreprise et de ses personnels jour-n nalistiques, au plan de la gouvernance et de la politique des salaires et des divers systèmes de motivation et de compensations, sans oublier les droits sociaux et moraux du journaliste, question des plus pressantes en ce mom- ment. Le cas du photojournalisme et de la caricature Dans le secteur de la presse écrite, la photo de presse est une diagnostic global et analyse sectorielle 171 donne récente et source de nombre de travers pour la profess- sion du journalisme et son éthique. Longtemps soumise à un monopole d’airain du Ministère de tutelle du secteur de l’infor-m mation (depuis l’indépendance jusqu’au début des années 90), elle a progressivement occupé les surfaces de la presse privée, capitalisant sur des recommandations et signaux appelant à son affranchissement et à son développement lors du colloque nat- tional de 1993. Longtemps dépendante, essentiellement des services photo de l’AFP (dépendance héritée depuis la période d’avant l’indépen-d dance) puis des services du ministère de tutelle, la presse ma-r rocaine a, pendant des décennies, ignoré la photo d’actualité, hormis les photos des activités officielles du Roi et du gouvernem- ment, soit fournies par le Ministère, soit fournies par quelques pionniers de ce métier, dont le doyen du photojournalisme ma-r rocain, M. Mohammed Maradji. Cette absence de tradition de photojournalisme dans la presse marocaine s’explique, en fait, aussi, par l’`état de la liberté de la presse au Maroc pendant des décennies. Jusqu’aux dix der-n nières années, la pesanteur de la censure, qui, comme l’épée de Damoclès, pouvait sévir à tout moment sans logique prévisible, encore moins sur une base juridique défendable, passait aux yeux de tous les opérateurs médias (majoritairement à l’époque opérateurs de presse partisane) d’être particulièrement intrai-t table et vigilante dans le cas d’une publication iconographique (photo ou caricature) qu’elle ne l’est d’habitude dans le cas d’un contenu textuel56. Hantise qui, bien entendu, hypertrophiait les réflexes d’autocensure si bien ancrée dans le secteur de la presse marocaine. Une partie de l’explication réside aussi, indéniablement, dans les politiques rédactionnelles et de gestion du modèle traditionn-

56 - L’illustration historique à cet égard est l’emprisonnement, sans jugement, au début des années 70, d’un photographe et d’un journaliste du Journal l’Opinion pour avoir publié, sans le reconnaître, la photo d’un petit prince dans la rue avec une légende qui portait un commentaire mettant en exergue la différence entre riches et pauvres au Maroc… 172 dialogue national - media et societe nel de l’entreprise de presse au Maroc. Politiques dont on peut souligner des dominantes de « culture d’entreprise » comme : • La primauté donnée au commentaire (dans la dominante presse partisane dans le kiosque national jusqu’à, presq- que, l’année 2000) ne laisse pas beaucoup de place au factuel, encore moins à sa couverture par une iconograp- phie qui peut être envahissante sur l’espace jugé si préc- cieux : celui dédié, largement et prioritairement, au com-m mentaire; • La presse partisane étant une presse d’opinion, la phot- to ne peut porter le message éditorial de telles publicat- tions; • La faible moyenne des effectifs des rédactions (5 à 10 au maximum, généralement « journalistes militants ou sympathisants » du parti commanditaire) ne peut justif- fier un ou plusieurs postes de travail pour un photogra-p phe, alors que le besoin de rédacteurs est patent, compte tenu du choix éditorial privilégiant le texte et le comment- taire… • La photo est comparativement à à la rigueur admise pour les contenus, peu porteuse de la ligne politique du jour-n nal partisan et indéniablement, ne rencontre une attente évidente que d’un certain public : la féru de l’actualité sportive (traditionnellement nombre de quotidiens part- tisans de l’époque n’usaient de la photo que dans leurs pages sportives); • Dans le meilleur des cas, la photo était utilisée à des fins de consacrer la visibilité du ou des leaders de la forma-t tion commanditaire du journal (portraits ou cliché d’une réunion d’une instance du parti)57. Pour toutes ces raisons, et d’autres, la photo de presse était

57 - La publication de la photo d’une personnalité du parti n’excluait pas des tensions, des frustrations et des « guerres » de course au leadership dans laquelle la photo n’est pas une arme négligeable pour les compétiteurs au sein du parti… diagnostic global et analyse sectorielle 173 donc sous utilisée, ignorée, reléguée à certaines pages spécial- lisées (sport, culture, arts…) et par conséquent, le photographe de presse n’était pas perçu comme un profil faisant partie, à part entière, du monde des journalistes. La légitimité, toute la légitim- mité du travail journalistique, n’était reconnue, exclusivement, qu’aux rédacteurs de textes, aussi bien de la part des journalis-t tes et de leur corporation que de la part des autorités (minis-t tère de tutelle en premier)…Bref, le résultat structurel de cette situation, pour le champ médiatique national, est, jusqu’à nos jours, l’absence de conception/reconnaissance/utilisation du « photojournalisme . En atteste d’ailleurs le fait qu’en 40 ans d’existence l’ISIC (ex CFJ et ex ISJ) n’a jamais pu mettre sur pied dans son offre de formation une filière spécialisée en ce type de journalisme, hormis certains stages limités ou ateliers grâce, le plus souvent, à la coopération étrangère. Il faut dire que la culture et les pratiques de la presse marocaine ne dével- loppent pas une demande dans ce sens. Avec l’apparition foisonnante de la presse privée, début de ce siècle, la photo de presse a fait une grande irruption dans le kiosque national et des dizaines et des dizaines de vocations se sont introduites dans les rédactions et sur les scènes de l’événe-m mentiel national. Au point que, souvent, dans certaines publica-t tions, la photo a pris le dessus sur le textuel et, surtout, qu’une nuée de photographes a envahi le secteur, ne manquant pas de provoquer irritations et tensions entre les partenaires de l’ac-t tualité (acteurs politiques et journalistes) et même de sérieux conflits et poursuites judiciaires, certaines plus préjudiciables que d’autres aux éditeurs. Avec cette remarque, que ce volet iconographique a été sour-c ce de poursuites judiciaires fort dommageables pour la presse dans le cas de la caricature, forme de journalisme autrement plus périlleuse dans le champ de l’expression par voie de press- se au Maroc et qui ne manque pas de partager avec la photo de presse, nombre des mêmes déficits et dysfonctionnements. La caricature, qui n’avait pratiquement pas droit de cité dans la presse marocaine pendant des décennies, à l’exception du 174 dialogue national - media et societe pionnier du genre dans la presse, Filali du journal l’Opinion et dont les caricatures n’abordaient quasi exclusivement que des thématiques de société, avec une prédilection bien misogyne, et d’une facture artistique bien peu séduisante, pour les relations homme /femme, mari/belle mère etc. Aussi bien la photo de presse donc que la caricature (comme commentaire de presse, contrairement à la photo du factuel) sont des genres journalistiques de très récent usage au Maroc et n’ont donc bénéficié d’aucune politique de soutien, ni de la part de l’État, au niveau de l’unique institut public de formation de journalistes (ISIC actuellement), ni de la part des opérateurs et éditeurs des journaux et périodiques58. Une approche sociologique de la presse conclurait certainem- ment à une sorte de tabou ou d’autocensure endémique quant à concevoir ces deux genres comme des genres journalistiques à part entière : couverture du factuel par la photo, commentaire sur le factuel par la caricature de presse. D’un autre point de vue qu’on ne peut pas ne pas adjoindre à toutes ces explications reste quand même l’évolution sinon la transformation de la dimension symbolique de mise dans le mi-l lieu des médias ou plutôt dans les milieux politico-médiatiques au Maroc… N’est-il pas pertinent de retenir dans l’explication du récent et bien inégal et désordonné foisonnement de la phot- to de presse et de la caricature dans la presse, la « désacralis- sation » de la photo de certaines figures et certaines situations du plus haut sommet de l’État, réputées avant comme absolum- ment inaccessibles pour la photographie à diffusion publique, la photo de presse en l’occurrence…Si cela s’est déjà quelque peu annoncé lors des mariages des Princesses avant 1999, cela se confirma définitivement et de façon complète et radicale, par la suite, avec l’apparition publique, offerte normalement et natur- rellement à la photographie, de l’épouse du Roi…

58 - Signalons ici l’existence d’un centre de formation pratique lancé il ya quelques années par le doyen du métier, Mohammed Maradji. diagnostic global et analyse sectorielle 175

Depuis lors (année 2000 surtout), la photo n’a plus de raison de s’interdire quelconque sujet de la scène politique publique et, de ce fait, trouva nombre de raisons et de sujets pour s’imp- poser dans l’actualité et pour conquérir plus d’espace dans les publications. Sauf que l’affranchissement de la photo de presse, comme de la caricature, n’a bénéficié ni de longues traditions professionnelles dans le domaine chez les entreprises ni de comp- pétences professionnelles formées et aguerries dans le photoj- journalisme et l’art de la caricature appliqué à l’événementiel et à son commentaire. La conséquence en a été tout naturellement l’intrusion de l’amateurisme, pas nécessairement prometteur, de preneurs de clichés dans les fêtes et les mariages et autres pseudo-photographes de presse… Lors de la table ronde consacrée par le Dialogue national au photojournalisme, en présence de nombre de professionnels, y compris le doyen Maradji et de quelques sociétaires marocains de grandes agences spécialisées internationales, nous avons appris que l’ « Association des photographes journalistes » demande depuis son 6ème congrès de mars 2008 aux autorités concernées comme au syndicat national de la presse marocain- ne (SNPM) d’ « accorder l’attention nécessaire à la situation contraignante et fort préjudiciable au métier que les professn sionnels vivent de plus en plus du fait de la forte prolifération des imposteurs », appelant à ce que le SNPM «incite les autorn rités de tutelle de sévir contre tout imposteur par l’application de la loi ». Dans le même rapport de leur 6ème congrès, les professionnels dénoncent « la marginalisation du photographe professionnel par certaines rédactions au profit de photographes étrangers à la rédaction de la publication ». Comme ils demandent « plus d’espace à la photo dans les journaux avec mention du nom de l’auteur photographe » et « l’obligation pour le SNPM de faire bénéficier les photographes journalistes de cycles de fornm mations, deux fois par an au moins, en partenariat avec l’ISIC et les associations et organismes spécialisés ». De même que 176 dialogue national - media et societe cette association demande à être représentée au sein de la com-m mission paritaire de délivrance de la carte de journaliste profess- sionnel dans laquelle siège le SNPM, comme elle demande que le syndicat installe en son sein une « commission permanente » de photographes professionnels pour prendre en charge leurs problèmes spécifiques. Bien entendu, à la tête de ces problèmes, comme en ont tém- moigné nombre de professionnels auditionnés lors du débat national, et comme en atteste la chronique récente des mani-f festations de rue, il y a ce qu’ils qualifient dans leurs rapports d’« abus, agressions et interdictions » qu’ils subissent lors des événements qui se déroulent sur la voie publique. En somme, la profession de photojournalisme est exercée dans une indéniable anarchie dans laquelle se côtoient professionn- nels éprouvés et formés, des amateurs, des imposteurs, n’étant un métier ni crédibilisé par l’existence d’une formation dispens- sée légalement et reconnue, ni valablement et correctement in-t tégrée dans les politiques éditoriales et la gouvernance des ent- treprises de presse, ni forçant le respect à cause de son ordre dispersé et du nombre de ses pratiques condamnables du point de vue éthique et même aux yeux de la loi : traitement avec légèr- reté, sinon avec intrusion et violation, de l’intimité et des droits des tiers comme le droit à l’image, le non respect quasi systémat- tique de l’identité du mineur, le non respect de la douleur des victimes et leurs proches etc. Les mêmes remarques peuvent globalement être retenues dans le cas de la caricature de presse, avec, en plus, un niveau artis-t tique rarement digne de cet art de commentaire de l’actualité, réputé sophistiqué, exigeant talent avéré et certaines capacités intellectuelles d’assimilation et de lecture du fait ou de l’infor-m mation à « croquer » par la caricature. Le champ médiatique national a donc a un besoin urgent de se pencher sur le photojournalisme, comme sur la caricature, pour déployer une politique nationale de formation, diplômante, pour diagnostic global et analyse sectorielle 177 encourager et encadrer des vocations dès les premières années de l’école (1er cycle du secondaire notamment), pour défendre et garantir, avec les partenaires concernés, comme le SNPM et la FMEJ, les droits matériels, professionnels et déontologiques de ces deux métiers au sein des entreprises et de leurs rédactions, pour les aider à mieux s’organiser et, surtout, à s’autoréguler au plan éthique et déontologique dans leurs pratiques et sur le terrain. Une telle politique publique conséquente, appuyée par un volon-t tarisme efficient des organisations professionnelles du champ médiatique national, doit être en même temps assez prospectiv- viste pour anticiper sur des situations inédites dans l’exercice de prise d’images : des vidéastes amateurs ou blogueurs ou « Net- citoyens » qui, à titre personnel, de plus en plus, fréquentent les lieux de l’événementiel, prennent des photos ou des images vidéo amateurs, les exploitent et les diffusent sans règles profess- sionnelles ou déontologiques, sans identité juridique d’entrepris- se et donc sans obligations ou responsabilité légales nécessaires en cas de plainte…A ce niveau, une partie de la réflexion doit se pencher sur le dispositif d’organisation de l’événementiel et de son accès, quand l’événement est prévu et non fortuit (pratique du badge d’accès, listings d’identification, carte de presse etc.). Comme on le voit donc, le Maroc est pour le moment sérieusem- ment diminué dans ses formes d’expression médiatique, avec cette situation de l’expression iconographique (photo et carica-t ture de presse) et celle particulièrement du photojournalisme, perçu et usité encore comme une expression mineure, subsid- diaire ou accessoire par rapport à l’écrit. Le défi donc pour tous les acteurs du champ médiatique (édit- teurs, journalistes, formateurs et autorités, syndicats, associat- tions, les concernés eux-mêmes) est celui d’œuvrer à l’unisson, chacun pour la part qui lui revient, afin que ce genre atteigne un droit de cité complet et respecté dans les rédactions et une maturité professionnelle, déontologique et créative qui en ferait 178 dialogue national - media et societe un plus pour l’exercice de l’expression médiatique nationale, un genre majeur du journalisme. D’autant plus que l’iconographie, l’image, sont, de nous jours, partout dans le monde, les formes d’expression les plus demandées par les publics des médias et les plus recherchées par les médias dans la confection de leurs contenus (l’option multimédia)…Tendance bien avérée au Ma-r roc aussi, alors que sa scène médiatique s’est indéniablement enrichie, ces dernières années, par de multiples canaux et supp- ports usant de la dimension iconographique, de sa symbolique et se son impact : télévision, sites web et portails, journaux élect- troniques, blogs, magazines « people »…L’image, la photo, la caricature sont partout dans le cyberespace qui conquiert sans cesse de plus en plus de franges de la jeunesse marocaine, cible qui s’impose au Maroc, par le fait qu’elle est majoritaire au pays, à toute stratégie médiatique, de presse écrite ou d’autres supp- ports comme la radio, la télévision ou la presse électronique. diagnostic global et analyse sectorielle 179

SECTEUR DE LA RADIO

Indéniablement, la date du 30 septembre 2002 constitue un tournant historique dans le champ médiatique marocain. Le déc- cret loi qui leva à cette date le monopole de l’État en matière de radiodiffusion (en vigueur depuis la promulgation du Dahir du 25 novembre 1924) sonna le début d’une ère nouvelle an-n noncée déjà, un mois auparavant, par le Dahir du 31 août 2002 confiant à une « Haute Autorité de la Communication Audiovis- suelle » (HACA) la mission d’octroi d’autorisations de création d’entreprises de radio et de télévision. Une fois ce tournant de régime complété par la loi 77/03 du 7 janvier 2005, relative à la communication audiovisuelle, la HACA s’attela à opérer concrè-t tement cette révolution pour laquelle elle a été créée : v Régularisation des opérateurs publics • Le 27 juillet 2005 : approbation du cahier de charges de la SOREAD-2M (nouveau cahier de charges approuvé en juillet 2009) • Le 4 janvier 2006 : approbation du cahier de charges de la SNRT (nouveau cahier de charges approuvé en juillet 2009). v Mise en conformité des services privés déjà en activité au Maroc • Le 29 juillet 2005 : octroi d’une licence d’exploitation de service radiophonique à Médi1International et signature d’un cahier de charges • Le 3 mai 2006 : octroi d’une licence d’exploitation de serv- vice radiophonique à Radio Sawa et signature d’un cahier de charges v Octroi de la première vague de licences pour opérateurs privés (janvier/juin 2006) : 10 radios et 1TV (Medi1 SAT) v Octroi de la 2ème vague de licences pour opérateurs privés (2009) 180 dialogue national - media et societe

Depuis, le paysage audiovisuel marocain présente une diversifi-c cation de l’offre publique et privée v Diversification de l’offre du pôle public

Offre radiophonique publique : 15 stations

4 radios généralistes nationales dont une radio nationale d’expression Amazigh

1 radio nationale thématique (Coran)

1 radio régionale thématique musicale

9 stations régionales

17 stations radio privées en 2010 59

Vocation Opérateur Radio Nombre

Radio locale de proximité Radio Plus Marrakech 2 Radio Plus Agadir

Radio régionale de proximité MFM Saïss 7 MFM Souss MFM Atlas MFM Casa MFM Sahara MFM Oriental Chada FM

Radio multirégionale musicale Hit Radio 1

Radio multirégionale de Cap Radio 1 proximité

Radio multirégionale thématique Radio Atlantique (économie 6 & finances) Radio Aswat (économie) Luxe Radio (artisanat) Radio Med (vie associative & médiation) Radio Mars (sport) Medina FM (monde rural)

En moins de cinq ans donc, l’auditeur marocain a pratiquement

59 - En plus de Radio Méditerranée Internationale et Radio Sawa, partiellement ouverts à des capitaux étrangers. diagnostic global et analyse sectorielle 181 effacé de sa mémoire les 80 ans d’un paysage unidimensionnel, monopolisé par la « Radio Nationale » bien quelque peu dess- serré sur les 30 dernières années par la mise en ondes en 1980 de Radio Méditerranée International, Médi1. Au vu de nombre d’indicateurs et d’habitudes d’écoute de plus en plus dominantes dans la société, on peut dire que la libérat- tion des ondes a égalé, en termes de changement quasi révolu-t tionnaire pour les Marocains, l’accès illimité à la télévision sa-t tellitaire qui, depuis quinze ans au moins a fait pousser comme des champignons les paraboles sur tous les types d’habitations, bidonvilles et Ksours compris. Sauf que dans le cas de la radio, l’ouverture du champ a apporté aux Marocains ce que ne pou-v vaient apporter les télévisions satellitaires étrangères : ü Une offre diversifiée de contenus nationaux ü Une offre diversifiée de langues et de parlers ü Une proximité diversifiée de contenus : locale, régionale, linguistique, thématique… ü Une disponibilité – enfin! – de l’information locale et d’informations services de proximité sur un média de large audience ü Une aisance d’accès technique, dans quelconque lieu (transports compris), avec qualité d’écoute (FM, fréq- quences ciblées par bassin d’audience) ü Une inédite interactivité et diverses offres pour les audit- teurs de réagir et de participer aux contenus, en direct qui plus est ü Une indéniable liberté de ton, doublée d’une liberté sal- lutaire et inédite d’aborder des thèmes jadis réputés int- terdits ou tabous sur les ondes (gouvernance, sexualité, femmes battues…) ü Des occasions multiples (dans le temps, 24H sur 24H, comme dans les thèmes) pour l’auditeur de s’exprimer, de débattre, de se connaître et de se reconnaître, de connaître et de reconnaître les autres… 182 dialogue national - media et societe

ü Une profitable émulation pour les auditeurs, du fait de la concurrence entre les 15 chaînes publiques et les 17 priv- vées, au niveau national et régional. Avec ce média, en fait, on est devant une réalité évolutive, concrètement en phase avec la société et ses pratiques et tout d’abord parmi sa majorité, les jeunes. C’est un média bien prés- sent dans la consommation des médias chez les jeunes des deux sexes, il est même le plus consommé, comme en témoigne notre étude auprès de 900 jeunes de toutes les régions du pays.

Près des ¾ des jeunes répondants écoutent la radio, soit contin- nuellement, soit de manière intermittente. Inversement, moins de 13% des jeunes n’écoutent pas la radio. Même si l’audience des émissions radiophoniques a dû certainement diminuer parmi les jeunes au profit notamment de la télévision et de l’Internet, tous les deux en explosion comme médias modernes, de l’ère numérique, la radio demeure quand même un média largement utilisé par les jeunes. C’est une consommation qui se détache, presque dans les mêmes proportions, chez les jeunes des deux sexes. Signe clair que ce média, à l’offre bouleversée depuis la libération des ondes voilà moins de cinq ans, est en phase avec diagnostic global et analyse sectorielle 183 la jeunesse de ce pays. La radio fait donc œuvre utile à la société puisqu’elle bénéficie d’une si large adhésion/consommation. Mais ce média, pour populaire qu’il soit et pour couru qu’il soit par les jeunes, ne semble pas à l’abri d’accidents de parcours, voire de décalages fort préjudiciables à terme, alors qu’il est enc- core en période de construction comme paysage nouveau de par son offre et de par ses apports inédits au profit du public et que nous avons relevés plus haut. En fait, comme nous l’ont exprimé quasi unanimement les opér- rateurs de ces radions privées, lors de la séance de débat que le Dialogue national leur a consacrée au sein du Parlement, ce nouveau paysage radiophonique a maintenant assez vécu pour qu’il devienne indispensable pour lui de passer de la phase de construction à la phase de développement. Un développement qui doit être nécessairement accompagné, encouragé et amén- nagé par les pouvoirs publics, c’est-à-dire l’État, afin que ce secteur optimise toutes ses potentialités au profit du public, au profit de tous les Marocains dont 60% écoutent la radio, nous confirmaient à l’unanimité ces opérateurs, alors que certaines estimations parlent d’environ 14 millions d’auditeurs que se partagent les radios privées et publiques, mais avec une audienc- ce journalière qui varie, pour les radios privées, entre 2 et 3 mill- lions d’auditeurs pour près de 460 heures de diffusion sur ces radios. Autant souligner ici la nécessité de se pencher sur ce secteur en mettant en avant la mission de service public qu’il rencontre par là, comme en atteste sa forte pénétration dans la société en général et parmi les jeunes en particulier. L’interpellation d’un accompagnement de l’État pour ce secteur, dont les acteurs sa-l luent le travail accompli par la HACA et la qualité de l’expérienc- ce de régulation accumulée par le Maroc, trouve, par ailleurs, nombre de justificatifs dans différentes réalités qui font obstacle au passage de ce secteur à une phase de développement qui soit 184 dialogue national - media et societe au niveau de ses potentialités et des attentes d’un public large, fidèle et majoritairement jeune. Le premier obstacle réside dans cette sorte d’ « étouffement lég- gal », comme l’appellent les opérateurs privés qui relèvent que la spécificité de leur type d’entreprise n’est pas assez prise en compte par le législateur, les soumettant à presque toutes les législations en vigueur pour tout type d’entreprise tout en les encadrant de manière spécifique par la loi sur l’audiovisuel et ses obligations bien précises contenues dans les cahiers des charges…Sans parler, en plus, du Code de la presse qui, malgré son retard sur ces nouveaux acteurs, leur est appliqué au bes- soin. Avec le régime général d’entreprise, disent les opérateurs de ce secteur, comme avec le régime d’entreprise de presse, on peut toujours trouver des équilibres et des adaptations, mais la conjonction de plusieurs régimes appliqués à la naissante radio privée la fragilise tant le secteur est nouveau et pas encore sta-b bilisé, avec vitesse de croisière conséquente, dans une logique économique qui reste à trouver. Surtout que ce secteur est fort- tement exposé à une faiblesse avérée de sources de financement et à un marché publicitaire instable, à peine initié à ce nouveau secteur et pas du tout organisé ni régulé. Ne disposant que de la publicité comme seule source de finan-c cement, ces radios, quasi-pionnières en la matière face à des ann- nonceurs jusque-là rivés à un seul horizon de publicité radiophon- nique, celui de Médi1, ont été confrontées, dès leur démarrage, aux aléas habituelles et inhérentes à un début d’ère…Des annon-c ceurs aux habitudes bien établies dans le recours de préférence à la télévision et subsidiairement à la presse, ayant pris le seul pli de l’insertion sur Médi1, et invariablement demandeurs de rayonnement national, alors que nombre de radios, la plupart, ont comme champ de diffusion l’échelle régionale ou locale. Combien même des annonceurs «aventureux» s’essaient à des annonces sur des radios régionales ou locales, ils cherchent sou-v vent à réduire au maximum leur investissement en demandant à la station d’assurer tout le package du spot, depuis le concept, diagnostic global et analyse sectorielle 185 la création, le casting… jusqu’à la diffusion et le media plann- ning…Or, les radios n’en ont ni la vocation, ni les équipements adéquatement dédiés, ni les ressources humaines nécessaires, etc. … Souvent, ces radios ont dû accepter ce type de commande, à perte, avec un résultat technique et créatif médiocre, dans l’esp- poir de participer à la familiarisation, voire la fidélisation, de l’annonceur à ce recours aux radios privées régionales, locales ou thématiques. L’annonceur reste « national » et davantage « télévision » que « presse » et n’ayant comme modèle possible d’insertion radiophonique que celui, national et maghrébin, de Radio Méditerranée ou le jumelage bien intéressant car ne sor-t tant pas de cette vision de « large cible » qui date et qu’offre 2M International avec sa station radio, au rayonnement national et au label bien installé grâce à sa chaîne de télévision. Néanmoins, ces tendances lourdes, n’ont pas tout à fait entamé le pouvoir de séduction que tout naturellement ces nouveaux can- naux ont produit sur la scène nationale à leurs débuts, puisque ces radios, en particulier celles détentrices d’une licence de diff- fusion nationale, ont engrangé des recettes publicitaires qui ont fortement augmenté entre 2007, première année de ces radios, et l’année 2008, ce qui explique les demandes de nouvelles licen-c ces et d’extension de bassins introduites en 2009 par certaines radios autorisées en 2006. Sauf que l’instabilité du marché – ces radios étant nées avec le début de la crise économique mondiale - en plus de l’augmentation du nombre de licences qu’invoquent bien volontiers les pionnières de la première vague, et surtout, le net recul de la publicité partout dans le monde, allaient, dès le milieu de l’année 2009, démontrer la précarité de cette uniq- que source de financement pour ce nouvel acteur. Précarité due, entre autres, au retrait ou extrême réduction des budgets pu-b blicitaires des gros annonceurs que sont les multinationales, crise économique oblige, et qui, par une certaine constance et une solide imperméabilité aux pressions locales (de toute sorte) ont toujours constitué pour le marché publicitaire marocain un point d’équilibre salutaire, voire le filon central dans une mine 186 dialogue national - media et societe aux galeries incertaines, sans transparence, pleines de points obscurs et de jeux d’ombres et d’influences. Certaines études ou rapports confidentiels, circulant dans ce sect- teur, ont estimé que la manne publicitaire a chuté, globalement, de 50% entre 2009 et 2010, chaque radio ayant plus ou moins résisté à cette baisse, mais dans des proportions invariablement bien inquiétantes pour l’équilibre financier de l’entreprise type. Au chapitre donc des obstacles structurels au développement de ce secteur, le diagnostic révèle en premier cette question des sources de financement en la liant avec un encadrement législat- tif multiforme et inadapté à l’apport d’intérêt public de ces rad- dios, ce qui suggère un besoin exprimé d’aide publique selon des mécanismes ciblés et adaptés, comme il en est pour la presse écrite, disent les concernés. Cette question de financement est également liée à un marché publicitaire désorganisé, non régulé et non incité à se tourner davantage vers ce secteur d’avenir. Ce qui suggère une intervention ou, pour le moins, un accompa-g gnement de l’État pour aider à assainir ce secteur, à l’organis- ser, à y faire émerger un mécanisme de régulation, comme cela suggère que l’État, comme annonceur, soit plus volontariste au profit de ce secteur qui, par ailleurs, est appelé à devenir, à brève échéance, hautement stratégique une fois le pays engagé sur la voie d’une régionalisation avancée. Et l’État devrait déjà se penc- cher, disent ces opérateurs privés, sur le système technique de diffusion confié à son opérateur public, la SNRT, dont les tarifs, les équipements, les difficultés d’accès et de maintenance rela-t tifs aux émetteurs, sont des charges inadaptées aux capacités financières de ce jeune secteur. Les concernés incriminent dans le même sens les montants des redevances annuelles des licences accordées par l’autorité de régulation, jugés trop chers. Autant dire qu’il y a lieu, devant ce diagnostic brandi par le secteur lors de ce débat national, de convoquer une large consultation pour engager, de manière volontariste et bienveillante, un réaménagement des politiques diagnostic global et analyse sectorielle 187 publiques concernant ce secteur, dans le but d’optimiser et de développer ses réelles et indéniables potentialités et apports aux publics. Une des pistes pour un tel réaménagement, évoquée par les concernés et que certains ont commencé à initier durant cette année 2010, est celle de la « mutualisation » des moyens et outils entre différents opérateurs, depuis la gestion de la pub- blicité par une seule régie commune, jusqu’aux équipements de diffusion, en passant par la pondération de la forte concurrence des radios publiques, comme Médi1, sur le marché publicitaire, ou par la formation des ressources humaines. Il reste cependant que « le principal frein au développement est surtout la formation du personnel, journaliste, animateur, techn- nicien… », comme le souligne un opérateur dans un mémoire déposé auprès du Dialogue national. Là aussi, l’appel est adressé à l’État pour déployer, au profit du secteur, un plan national de formation qui devait, en principe, intervenir déjà au moment de l’engagement du pays sur la voie de la libéralisation des ondes. Souci majeur dont les parlementaires, membres de l’instance du Dialogue, en confortèrent la pertinence en relation avec leur évaluation unanimement critique à l’endroit du faible profess- sionnalisme et du grave et quasi systématique déficit en matière d’éthique et de déontologie qui dominent sur les ondes de la plupart de ces radios. Le diagnostic de ce secteur, dans son essentiel, aboutit donc à la constatation qu’il est un secteur d’avenir, secteur à plus-value stratégique : en rapport avec la jeunesse, avec la régionalisation annoncée, avec la libération de la parole du citoyen, avec la li-b bération de l’information locale, avec la culture de la diversité et de la tolérance, avec l’impératif de l’inclusion médiatique et socioculturelle à tous les échelons de la société et de ses différ- rentes couches…Sans oublier qu’il est un secteur économique porteur de richesses (publicité, Show-biz, produits culturels, e-Commerce, investissements, équipements…) et incubateur d’emplois et de compétences professionnelles pour le paysage médiatique national, multimédia, grâce bien sûr au numérique 188 dialogue national - media et societe qui a investi massivement les studios, les équipements et leurs divers applications et extensions. Un formidable acquis en nouv- velles technologies pour le champ médiatique national dans son ensemble et qui ne manquera pas d’avoir, à terme, un impact positif sur le « savoir-faire » des hommes et des femmes – quasi exclusivement des jeunes – qui y sont engagés. Une voie donc de fécondation/développement des compétences nationales présentes et à venir. diagnostic global et analyse sectorielle 189

SECTEUR DE TETEVISION

Si le nouveau paysage radiophonique provoque chez les Maro-c cains et les Marocaines d’aujourd’hui un attrait compréhensible et sans précédent, de par la diversité de son offre privée et pub- blique et l’interactivité qu’il favorise, le paysage télévisuel, lui, reste le média qui accapare le plus l’attention de l’opinion publi-q que, le plus commenté, par la presse comme par l’homme de la rue. Alors qu’il n’offre, jusqu’à présent ni interactivité, ni offre privée, puisqu’il est encore dominé par le pôle public, bien que celui-ci compte neuf chaînes, auxquelles on doit ajouter Medi SAT 1 à forte participation de l’État. Outre les caractéristiques attractives intrinsèques au media lui- même, bien connues des sociologues des medias, sa force d’att- trait réside, en fait, dans deux données majeures de diagnostic : les attentes et aspirations légitimes du public à l’endroit de leur pôle public et la quasi infinie offre satellitaire du « ciel ouvert » qui permet aux Marocains de voyager librement et à moindre coût, voire gratuitement, entre près de 500 chaînes étrangères. Les responsables de notre pôle public estiment que le taux de pénétration des paraboles dans les foyers marocains est supér- rieur à 65%, ce qui signifie que plus des deux tiers des citoyens Marocains ont accès à une programmation internationale, ont accès à des programmes qui nous proviennent de l’étranger.60 Cette alternative, entre le pôle public national et la galaxie des télévisions satellitaires étrangères est la réalité attractive et bien motivante pour la consommation de ce media, mais elle est le dilemme ou le nœud gordien auquel aboutit toute analyse, tout diagnostic de ce secteur. Un secteur qui, pourtant, a bénéficié, ces dernières années, de nombre de mesures, de politiques pu-b

60 - On se souvient qu’au début des années 90 l’État marocain a tenté une expérience malheureuse de taxation des paraboles, mesure vite arrêtée et les services concernés se sont démenés difficilement pour rembourser nombre de foyers déjà taxés selon cette dite mesure, notamment à Fès..! Comme les organisations humanitaires, notamment l’OMDH, se souviennent d’avoir poussé certains partis d’opposition à renoncer au dépôt d’un projet de loi au Parlement chargeant le Ministère de l’intérieur et de l’information, à l’époque, de déployer « les moyens techniques nécessaires » pour interdire le ciel marocain aux signaux télévisuels étrangers!! 190 dialogue national - media et societe bliques, de moyens et d’encadrements législatifs et réglementair- res bien avancés, sinon bien proches des standards recommand- dés à l’échelle internationale, par référence à la gouvernance de ce type de média en démocratie : bannissement juridique du monopole de l’État, autorité de régulation, marché d’investissem- ment ouvert aux privés, nationaux et étrangers, statut de société nationale pour les chaînes publiques (SNRT et 2M SOREAD)... Certes, nombre de pays comparables au Maroc et même cert- tains plus avancés que lui en la matière, sont confrontés à ce dilemme. Mais pour le Maroc cette difficulté fort ardue doit être résolue de manière radicale car son nouveau paysage télévisuel est fragile, peu outillé et dans lequel se logent des enjeux déci-s sifs pour la société marocaine et son avenir au plan politique (la démocratie, en premier), aux plans identitaire, culturel, créatif et artistique comme au plan de la nécessaire cohésion nationale dans laquelle ce type de media a un rôle indéniable à jouer de nos jours. L’examen d’une telle situation, pour ce qui nous concerne, doit nécessairement prendre en considération le fait que les Maroc- cains ont enfin la latitude d’interpeller leur service télévisuel pub- blic dans les termes dont on l’interpelle dans les démocraties, dont on l’interpelle, du moins, dans les paysages qui se sont libér- rés du monopole de l’État sur ce média. Tant que le monopole de l’État -ou du gouvernement, ce qui est pire- sévissait, le concept de « Public Service Broadcasting » (PSB), bien anglo-saxon, ne pouvait être promu de manière réaliste. Un tel concept, selon les normes internationalement reconnues (par l’Unesco, par le Conseil mondial de la radiotélévision -CMRTV, par Article 19…) ne peut devenir opérationnel que dans une atmosphère de li-b berté de tous les medias qui soit consacrée dans des textes fon-d dateurs et réellement exercée au mieux de la démocratie et de la liberté d’expression et d’opinion. En somme, depuis la libéralisation de son paysage audiovis- suel, le Maroc est plus que jamais en mesure de prétendre à la diagnostic global et analyse sectorielle 191 construction d’un service public (en radio comme en télévision) qui soit au mieux de la conformité avec les standards interna-t tionaux et au mieux de la comparaison avec les expériences de référence en le domaine, en Europe (UK, Allemagne, Hollande, Suisse, Scandinavie, France, Espagne…), en Amérique du Nord (Canada), ou en Afrique (Afrique du Sud, Ghana, Bénin…)…Il doit avoir cette ambition, d’autant plus que ce paysage, dans son secteur télévisuel -encore en retard sur le secteur radiophoniq- que en termes de libéralisation et d’ouverture sur le privé- couve des enjeux cruciaux pour le pays à différents plans du développ- pement de sa démocratie encore en construction. Avoir l’ambition de tenir la comparaison avec les paysages audio-v visuels les plus modernes et les plus démocratiques au monde, au plan de l’audience du moins, n’est point une ambition démes- surée dans la mesure où tous les services publics sont menacés par la « fragmentation des audiences » induite par de nouvelles habitudes des publics privilégiant de plus en plus les chaînes thématiques au détriment des chaînes généralistes. Fragmentat- tion induite surtout par l’offre TNT (télévision numérique terr- restre) qui doit obligatoirement régner partout dans le monde en 2015, date butoir pour la disparition de l’analogique comme l’a décrété l’Union Internationale des Télécommunications (IUT), en tant qu’obligation pour les États membres de l’IUT dont le Maroc. Pour le Maroc, qui a démarré l’offre de la TNT en 2007, il faudra d’ici cette date de 2015 équiper cinq millions et demi de foyers. Les responsables du pôle public annoncent que nous avons déjà atteint un taux de couverture par la TNT comparable au taux atteint en France. La TNT est un grand défi technologique et managérial qui an-n nonce un bouleversement, à terme, de l’audience, et donc de tout le système du pôle public, depuis les équipements et les financements jusqu’aux ressources humaines et les contenus… Sans oublier que la TNT permet une réduction de coûts import- tante par rapport à la diffusion satellitaire (la location satellit- taire coûte à notre pôle plus de 12 millions US par an), comme 192 dialogue national - media et societe elle permet une qualité de réception exceptionnelle, en parti-c culier en haute définition pour certains programmes, ce que le pôle public marocain a commencé à offrir aussi. Un tel défi, en plus d’autres, pour l’avenir de l’audiovisuel national, exige au présent une mise à plat complète de sa situation actuelle sur tous les plans. Lors de l’audition consacrée à ce secteur par l’Instance en charge du Dialogue national, le PDG du pôle public a d’ailleurs insisté sur la nécessité de procéder au plus vite à une « réingénierie » de ce pôle. De son sens originel en anglais, « Reengineering », cela désigne une réorganisation d’un processus ou d’un système afin de le rendre plus efficient. L’objectif ultime étant, pour un organisme ou une structure, d’opérer un changement positif, un changement qui en augmente l’efficacité globale, tout en en réd- duisant les coûts. Il est bien évident que dans le cas qui nous intéresse, un service public audiovisuel, la question des coûts est importante mais ne doit pas être discriminatoire pour la mission de ce service. Cert- tes, ce secteur a besoin d’un réingénering systématique mais, vus les enjeux de sa mission sociale ou sociétale hautement im-p portante, il a besoin aussi d’une « Rétro-ingénierie » qui consiste à revenir sur la conception, à reconstituer, de manière critique, le fonctionnement d’un système pour en recadrer les principes internes. En clair, cela vise à revisiter les principes et choix qui sont à la base de l’organisation de ce pôle télévisuel et des polit- tiques qui le guident et le gèrent dans tous ses aspects, depuis la gouvernance en interne jusqu’à ses productions et contenus, en passant par son rayonnement socio-économique, artistique, et, bien sûr, son impact socioculturel et politique sur la société dans son ensemble. Sans revenir sur le référentiel de valeurs et principes qui doi-v vent guider un service public audiovisuel (ce que nous avons largement exposé dans notre premier « cadrage politique et de diagnostic global et analyse sectorielle 193 référence »), rappelons juste que ces valeurs et principes se trad- duisent pour le media de service public dans des termes profess- sionnels qui sont essentiellement : Pluralisme; indépendance; diversité/équité; innovation/qualité. Car, dans un régime dém- mocratique « la radiodiffusion publique (radio et télévision), c’est la radiodiffusion du public : elle s’adresse à chacun à titre de citoyenne. Elle encourage l’accès et la participation à la vie publique. Elle développe les connaissances, élargit les horizons et permet à chacun de mieux se comprendre en comprenant le monde et les autres ».61 Comment le paysage télévisuel public marocain pourrait préten-d dre à un tel rôle, maintenant qu’il est assez bien étoffé et diversif- fié et surtout installé dans un environnement des plus favorables à un tel rôle (libération des ondes qui suppose plus de liberté d’expression, plus de dégagement de l’État, ce qui suppose plus d’indépendance éditoriale pour ce secteur ; régulation fonctionn- nant de manière globalement satisfaisante ; concurrence à forte émulation du privé, comme des bouquets étrangers…) ? Force est de constater que le pôle public télévisuel marocain est d’abord bien fragile pour relever un tel défi du fait, indéniable, de la forte concurrence, en nombre et en proximité des chaînes arabes satellitaires (quelque 300 stations, la plupart captées en clair, moyennant un seul investissement modique, une parabol- le). Proximité par la langue, tout d’abord, ce que ne connaissent pas d’autres pays confrontés au même phénomène satellitaire, leur langue étant une barrière salutaire, quasi « naturelle », face au déferlement étranger (cas de la France, de l’Italie, de la Hollande…). Or, les Marocains, arabophones, sont familiarisés même avec les dialectes du Moyen Orient, parfois depuis des générations, comme dans le cas du dialecte égyptien. Proximité aussi par les contenus pour cause de mêmes référents culturels et d’imaginaire collectif partagé, au Maroc, avec nombre de peup- ples arabes de chez qui ces programmes satellitaires nous prov- viennent.

61 - Rappel de la définition du CMRTV déjà commentée dans notre premier cadrage. 194 dialogue national - media et societe

Pour le Maroc la confrontation avec ces chaînes satellitaires, arabes ou occidentales (bien que ces dernières ne dépassent pas les 2% d’audience sur l’offre satellitaire, estime-t-on à la SNRT), est des plus inégales au niveau des moyens aussi, notamment financiers : le budget de la chaîne Al Jazzera (450 millions US) fait une fois et demi le budget global de tout l’audiovisuel mar- rocain (qui est de moins de 300 millions US, frais de diffusion terrestre et satellitaire compris) ; celui de la BBC (400 milliards Dhs) fait vingt fois celui du pôle marocain (2 milliards Dhs). Budget marocain qui est bien plus bas aussi que le budget de la Chaîne 5 française (3,2% d’audience) ou la chaîne espagnole régionale « TV Andalusia ».Le pôle public français consacre 7 milliards Dhs à la fiction, contre 120 millions Dhs chez le pôle public marocain… Des indications et indicateurs qui, bien que relativisés et contex-t tualisés, révèlent une sérieuse faiblesse par rapport aux défis majeurs que d’aucuns désignent comme objectifs à atteindre pour notre pôle public, et qui révèlent combien il est important de garder présent cet éclairage des moyens financiers quand on diagnostique les défaillances de notre pôle public quant aux at-t tentes du public, de la société, ou par référence aux principes et valeurs qui définissent la véritable mission d’un service public télévisuel dans un projet de société démocratique. Mais garder présent cet éclairage ne signifie pas en faire une circonstance atténuante pour la défaillance ou l’échec. L’ap-p proche doit être inverse (rétro-conception ou rétro-ingénierie – « Reengineering »-) : revenir à la mission pour aborder, en fonction de cette mission, les moyens qu’il faut pour l’accom-p plir. Une approche qui s’inscrit, bien entendu, dans l’esprit de la démarche privilégiée et recommandée par le Dialogue national : une démarche d’ambition et d’anticipation sur le futur, pliant la question des moyens à la finalité stratégique pour le pays et son projet de société. Se pencher donc sur le service public tel qu’il doit se déployer dans le contexte du Maroc, si exposé à nombre de défis exté-r diagnostic global et analyse sectorielle 195 rieurs (le « ciel satellitaire ouvert ») et intérieurs (la construc-t tion de la démocratie, en un mot), c’est donc l’approche qui peut véritablement circonscrire les forces et les faiblesses de notre télévision publique.Quelles sont donc ces forces et ces faibles-s ses ? Sans doute, l’indicateur de la consommation, ou d’impact, est le premier à prendre en compte dans un diagnostic. Selon le PDG du pôle public, les émissions nationales atteignent en moyenne autour de 40% à 45 % de l’audience. Un chiffre qui est d’ailleurs assez répandu à travers le monde, c’est-à-dire que dans nombre de pays plus ou moins confrontés à la concurrence satellitaire étrangère, le pôle public national arrive à naviguer dans ces eaux là : entre 30% et 40% d’audience62. Avec cette remarque que, comme on l’a relevé, plus la langue fait barrière « naturelle » aux signaux étrangers, plus l’audience des chaînes nationales a des chances d’être élevée (cas des pays Scandinaves, comme le Danemark, ou du Japon, par exemple). En fait, de manière globale, à travers le monde, l’audience du service public est en constante baisse depuis le milieu des an-n nées 90. Bien entendu le taux d’audience nationale dépend du type d’émissions, de la structure thématique et de la programma-t tion des contenus diffusés nationalement. Ainsi, apprenait-on lors du Dialogue national, du premier responsable de notre pôle public, que les Marocains, dont 70% des foyers s’exposent, via leurs paraboles, au Nile SAT et 30% au Hotbird, suivent à plus de 30% le JT d’Al Oula de 20H30 et le JT 12H45 de 2M In-t ternational (le pôle public, toutes chaînes réunies, diffuse 17 JT

62 - Dans le précieux rapport annuel de l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel, les chiffres indiquent pour l’année 2007 par exemple (année du début de la crise économique mondiale et de la régression de la publicité dans les médias), des moyennes d’audience des chaînes publiques, variant généralement entre 30% et 40% dans 36 pays européens (Est & Ouest, Turquie comprise). Cette audience était de 36,9% en France, de 41,8 en Italie, de 47,6 en Allemagne, de 49,3% en Croatie et de 50,1% en Grande Bretagne…Avec des extrêmes : 72,4% au Danemark d’un côté et 14,3% en Lituanie. Confère rapport 2008 (Volume 2, page 147), sur : www.obs.coe. int/oea_publ/yb/yb_premium 196 dialogue national - media et societe par jour). Selon les chiffres de médiamétrie Maroc, cités par le même responsable, l’audience globale des chaînes nationales « s’est améliorée de 15% en deux ans, passant de 42,5% en Avril 2008 à 49% en Avril 2010 ». Ces chiffres ne doivent pas être interprétés outre mesure, mais ils indiquent clairement que les Marocains fréquentent valablement, dans des proportions com-p parables à d’autres nationaux dans d’autres pays, malgré l’exc- ceptionnelle et massive présence des stations satellitaires, no-t tamment arabophones, dans la cosmogonie télévisuelle de nos téléspectateurs. D’un autre côté, les chiffres avancés par le pôle public au plan du financement de ses programmes ne sont pas de moindre int- térêt : 100 millions Dhs investis en 2009 pour 300 heures de fict- tions marocaines (contre 10 millions Dhs en l’an 2000) ; soutien à la production de dix longs métrages par an, production de 300 épisodes de feuilleton, de 30 téléfilms, de dix pièces de théâtre… Autant de performances, au regard de ce que ce pôle proposait au public il y a dix ans, et au regard de ce dont ce service public reçoit comme subventions de l’État et ce qu’il arrive à engranger comme recettes sur un marché publicitaire limité, instable et dernièrement en forte, voire inquiétante, régression. En fait, quand on n’approche pas ces chiffres ou performances sous l’éclairage des objectifs ultimes et stratégiques d’un service public efficient et conséquent pour le pays et dans la société, on ne peut qu’admettre qu’un long chemin a été parcouru par ce pôle, surtout quand on examine de manière critique ses sources de financement disponibles. Car, la complémentarité nécessaire entre les deux sources de financement d’un service public part- tout dans le monde, que sont la publicité et la subvention de l’État, est dans notre cas bien déséquilibrée et fortement expos- sée aux aléas conjoncturels. Le cas emblématique à cet égard est celui de 2M (Soread) qui, en tant que chaîne publique généraliste, est pratiquement tot-l lement financée par la publicité : 100% en 2008 et son contrat programme signé avec l’État en 2010, pour une période de 4 diagnostic global et analyse sectorielle 197 ans, prévoit un financement public de 7%, tablant sur la public- cité pour financer les 93 % restants. Alors que pour la 1ère chaîne, « Al Oula » (SNRT), son contrat programme de trois ans avec le gouvernement prévoit un financement par la publicité à hauteur de 15 à 16 % et autour de 85 % comme subvention publique. Le déséquilibre est manifeste, dans le premier cas comme dans le second. Nulle part dans le monde un opérateur de service public ne lie le sort d’une chaîne publique totalement au marché publicitaire comme dans le cas de 2M…63 Or, si on prend l’année 2009, ann- née de forte crise économique internationale, on a assisté part- tout dans le monde à l’effondrement du marché publicitaire de l’ordre de 10%, avec des baisses de 12 % en France, de 16 % aux USA, de 19% en Espagne et de 12% au Maroc (pour le secteur de la télévision). On imagine que dans une telle situation, le pôle public était obligé de sacrifier substantiellement, voire sérieu-s sement, certains pans de sa mission de service public…« Vous êtes même obligé d’aller vers un type de programmation qui va attirer les annonceurs, et donc de renoncer à des émissions de type service public qui sont importantes à cet égard mais qui font peu d’audience : émissions éducatives, émissions sur la santé, sur la femme, sur l’environnement etc. », reconnaissait, lors de son audition par le Dialogue national, le PDG de notre pôle public. Quant à la situation de la 1ère chaîne du pôle, il est hautement risqué de la maintenir dans une dépendance quasi absolue par rapport aux subsides de l’État. L’État qui, partout dans le mon-d de, n’est plus à l’abri de nos jours, avec la forte probabilité d’une cyclique crise financière et économique, de révision à la baisse de ses aides, à la réorganisation de ses priorités. Réorganisation faite souvent au détriment, entre autres, du secteur des medias

63 - Il faut croire que cette chaîne a la destinée de se donner toujours en exemple unique dans le monde : son balancement de chaîne majoritairement privée au départ, à une chaîne majoritairement publique aujourd’hui n’a pas de précédent connu dans le monde…Le balancement inverse est plus courant, plus logique aussi par rapport au régime libéral en matière de médias. 198 dialogue national - media et societe comme en attestent nombre d’exemples à travers le monde dé-m mocratique.64 Il semble que l’État ne se soucie pas assez de la cohérence né-c cessaire à ses prévisions de financement de ses deux pans du pôle public (la SNRT et la SOREAD), cohérence qui, au moins, pourrait se traduire par une gestion équilibrée et coordonnée de la manne publicitaire, entre « Al Oula » et « 2M » surtout, par le moyen d’une seule régie et la mutualisation des moyens et stratégies commerciales qui en découlerait.65 Cette lecture de diagnostic de la prestation des chaînes publiq- ques, en relation avec la source incertaine de la publicité, rejoint par ailleurs l’argument officiel avancé par la HACA pour expliq- quer son refus d’accorder, en 2009, des licences à des opérat- teurs TV privés. Car, selon le PDG du pôle public, comme confir-m mé par le Président de la HACA devant l’Instance du Dialogue national, le marché publicitaire aujourd’hui n’est pas suffisant pour envisager une telle aventure à des opérateurs privés. Une chaîne généraliste, privée, aurait besoin d’un financement de 120 à 150 millions de dirhams au minimum par an, précisait le PDG du pôle public. Si donc la HACA, poursuivait-il, avait acc- cordé des licences à deux chaînes généralistes privées, comme on s’y attendait, au vu des demandes déposées en 2009, il aurait fallu lever sur le marché publicitaire entre 250 millions et 300 millions de dirhams de plus, dans un marché publicitaire qui

64 - Régulièrement depuis près d’une dizaine d’années la puissante organisation citoyenne des auditeurs et téléspectateurs canadiens (« Friends of Canadian Broadcasting » regroupant, depuis sa création en 1987, plus de 100 000 membres) dénonce au parlement et par des pétitions populaires les coupes régulières dans le budget de ce pôle public fédéral (anglophone et francophone) auxquelles les gouvernements successifs, libéraux et conservateurs, se sont livrés au détriment de nombre de programmes qui relèvent de la diversité, de la culture, de l’éducation, des droits des minorités…dans un pays fédéral et multicommunautaire. Autant de valeurs et de principes de service public que ce pôle canadien, bien réputé mondialement, a servi jusqu’à présent de manière exemplaire par comparaison aux pôles publics audiovisuels de nombre de démocraties avancées. 65 - Rappelons, au passage, que « Créée à l’initiative du Groupe ONA en 1991, REGIE 3 s’est vu confier à l’origine la gestion des espaces publicitaires de 2M, Médi 1 et Téléplus auxquels sont venus s’ajouter par la suite, successivement, les trois publications du Centre Marocain de Conjoncture, Maisons du Maroc, Femmes du Maroc, Sur la 2, Nissaa Mina Al Maghrib , Radio 2M, Médi1 Sat, le Courrier de l’Atlas et le portail Menara ». Consulter : (http://www. regie3.ma). diagnostic global et analyse sectorielle 199

était alors en régression. Avec ces deux chaînes privées, obligées forcément de s’inscrire dans une dynamique commerciale très agressive comme chaînes généralistes qui partent de zéro, qui doivent construire leur audience, on allait se retrouver dans une situation où ces nouvelles venues allaient être très vite affaiblies par manque de recettes publicitaires, et les chaînes publiques allaient être également affaiblies par cette nouvelle concurrence sur un marché en forte baisse. De façon globale, comme nous l’a précisé le 1er responsable de notre pôle public, 2M draine en moyenne 75 % du marché pub- blicitaire disponible, la SNRT drainant les 25 % restants, mais le marché publicitaire reste menacé comme partout dans le monde. La publicité est de moins en moins une source stabil- lisatrice pour les équilibres financiers des services publics : si elle finance, en moyenne, aux environs de 20% le budget de la SNRT chez nous, et à plus de 80% celui de 2M, elle finance le service public à hauteur de : 7% en Allemagne, 16% en Australie, 20% en Grande Bretagne, 22% au Canada, 29% en France. Cinq pays qui sont réputés pour la qualité de leurs services publics bien loin devant l’Égypte par exemple où la publicité intervient pour 41%, ou l’Italie (49%) où la publicité est une source suspect- tée de conflits d’intérêts par référence au rapport bien spéciaux et étroits qui existent entre la RAI et le 1er ministre Berlusconi, homme d’affaires toujours actif et bien connu en tant que tel avant d’entrer en politique et même une fois y présidant aux destinées du pays. Cette question du financement du service public pose finalement deux problématiques à résoudre à l’aune des exigences réelles d’un service public efficient et performant, de tout point de vue, auprès de l’audience nationale et, pourquoi pas, en dehors des frontières nationales (diasporas marocaines en priorité) : la pro-b blématique de l’aide publique, appelée manifestement à s’élever davantage au niveau des défis à relever et la complexe problémat- tique du marché publicitaire qui est, chez nous, en déficit grave d’organisation, de régulation et d’accompagnement/incitation 200 dialogue national - media et societe de la part des pouvoirs publics pour qu’il tienne compte des enj- jeux du pays dans le champ médiatique en général et dans le secteur audiovisuel en particulier (Télévision et Radio, comme on l’a déjà soulevé pour ce dernier media, précédemment). Sans parler du rôle de la publicité plus que préjudiciable pour l’ins-t tant dans le cas de la presse écrite, où juste le fait que les dix plus grands annonceurs sont en même temps des opérateurs médias, à un degré ou à un autre d’investissement, donne une idée sur les anomalies et conflits d’intérêts qu’on peut rencontrer dans ce secteur, à cause du marché publicitaire. En un mot, le financement du service public doit être revu de fond en comble, à la hausse certainement, mais devra être vol- lontairement aménagé, mis à niveau et accompagné selon les nécessités des meilleurs standards qui soient du service public et avec beaucoup d’audace face aux sérieux enjeux qu’il pose au pays, de par la concurrence étrangère inégale comme de par la relative, mais assez inquiétante, défiance des nationaux. Les nationaux, élites en tête (politiques, presse, société civile…), sont globalement dans une position critique, certains, comme la presse écrite, le sont de manière systématique, à l’endroit de ce pôle public. La quasi-unanimité dans cette posture critique vise les contenus, en fonction de deux normes centrales pour un service public : la proximité et la qualité. Pour les responsables de ce pôle, les acquis récents vont dans le sens de ces deux directions, dans les limites des faibles moyens disponibles. À l’actif de la proximité, ces responsables comptent la diversité des chaînes du pôle : religion, éducation et culture, Amazighité (chaîne généraliste offrant la proximité aux amazi-g ghophones), sport, films, la régionale de Laayoune et la chaîne Al Maghribia destinée originellement aux diasporas marocaines mais qui rencontre une audience appréciable à l’intérieur des frontières, selon les responsables du pôle public. Apparemment, sa formule de jumelage des meilleurs programmes des deux chaînes publiques séduit autant les originaires du pays établis à diagnostic global et analyse sectorielle 201 l’étranger que les nationaux vivant au pays qui y accèdent dans de bonnes conditions de réception, par satellite ou via la TNT. On estime également que la proximité a gagné avec l’augment- tation de la fiction nationale, avec l’augmentation de nombres d’émissions sociales et culturelles sur les deux chaînes du pôle public. Mais si cette diversité de chaînes thématiques et les sens- sibles augmentations du volume de certaines émissions ou prog- grammes nationaux peut convaincre du cap pris par notre pôle de plus en plus en direction de la proximité, il reste que les avis critiques insistent souvent sur la faible part réservée à la vie lo-c cale des régions et des localités, information et culture notamm- ment, le peu d’émissions- avec qualité- sur le monde rural et en direction de ses populations, ainsi que la pauvreté et la faiblesse de certaines émissions importantes, relevant fondamentalement du service public, comme les émissions politiques, de débat soc- cial, d’émissions d’apprentissage et de connaissances ou encore le faible apport de la télévision publique à un adéquat traitem- ment de la dimension des langues et sa diversité. Sans oublier la critique largement insistante lors de ce débat sur l’image né-g gative de la femme véhiculée généralement par les contenus de la télévision publique, tout particulièrement dans la publicité qu’elle accepte de diffuser. Mais tout compte fait, les incriminations dont fait l’objet le pôle public télévisuel et dont certaines sont jugées justifiées même par les responsables de ce pôle, se concentrent sur la question de la qualité, comme cela a été largement le cas parmi les mem-b bres de l’Instance du Dialogue lors de l’audition consacrée au staff directeur de ce pôle et lors du débat ouvert organisé par la suite par cette Instance avec nombre de professionnels de l’audiovisuel public. Cette problématique de la qualité a été aussi soulevée lors de l’audition de la présidence de la HACA quoique cette instance de régulation n’a pas un mandat explicite pour « réguler la qua-l lité » (!) des contenus, en dehors du respect de cahiers de charg- 202 dialogue national - media et societe ges qui, partout dans le monde, se limitent à énoncer des princi-p pes tenant au pluralisme, à la tolérance, au respect des droits de l’Homme, de la femme, de l’enfant, des minorités etc. En fait, la question de la qualité dépend, certes, des choix re-l levant de la politique suivie par la direction d’une chaîne, des moyens financiers dont la chaîne dispose, surtout stables et croissants, mais elle dépend aussi de deux leviers indispensa-b bles qui sont bien déficitaires dans le cas du Maroc. Le premier levier est l’environnement culturel et de création artistique dans tous ses types d’expression. Lors de la large tab- ble-ronde organisée par le Dialogue national avec nombre de créateurs et de professionnels de l’audiovisuel, nombre d’interv- venants ont admis que le Maroc vit ces dernières années une pér- riode de grand appauvrissement de ses potentialités de création culturelle et artistique, ce qui ne profite guère à la rencontre de la qualité dans les programmes télévisuels nationaux, product- tion nationale que le pôle public recherche, semble-t-il, coûte que coûte, pour servir, au moins en volume horaire, les objectifs de la proximité, de l’éducation et, comme diraient les dirigeants du service public français, la « préférence nationale ». Cette situation pose la question de l’environnement culturel nourricier disponible sur la scène nationale et potentiellement exploitable par la télévision publique. Ce qui, en clair, comme cela a été souligné lors de cette table ronde, interpelle les pol- litiques publiques, comme la politique propre au pôle public, en matière de culture, d’aide à la création, d’encouragement et d’accompagnement des créateurs, jeunes en priorité, politiques d’infrastructures dans toutes les régions du pays et pour toutes les sortes de l’expression artistique, politiques de formation de ressources humaines dans les différentes expressions culturell- les et artistiques etc. Sur ces différents registres, les déficits du Maroc sont connus pour ce qui concerne les divers chantiers de l’expression cultur- relle : théâtre, cinéma, danse, musique, arts plastiques…Un tel environnement n’aide pas à priori la télévision publique à puis- diagnostic global et analyse sectorielle 203 ser au mieux de la qualité et de la diversité des expressions et de leurs contenus66. Certes, la télévision publique se doit d’aider à la création, y comp- pris en dehors de ses murs par l’aide à la production (de films pour le cinéma par exemple) ou par le sponsoring de diverses formes d’expression (concerts, salons culturels, expositions, publications littéraires etc.). Mais se substituer totalement à ces expressions dans leurs formes et contenus originaux, c’est nuire à leur propre destin ou économie : une pièce de théâtre, par exemple, doit d’abord avoir comme destinée un verdict du public sur les planches, soit dans une relation à la fois promot- tionnelle pour cette forme d’art et créatrice de public de théâtre, avant de développer une audience de théâtre –filmé- parmi les téléspectateurs. D’un autre côté, il nous faut relever le fait que le pôle public nat- tional a pris sur lui, par sa nouvelle politique et par ses nouvelles commandes pour son bouquet de chaînes, de développer autour de lui un environnement de production privée de produits télév- visuels : de cinq maisons de production en l’an 2000, le secteur compte maintenant 45 maisons de production privées. Mais, au regard de nombre de produits livrés au pôle public par ces producteurs privés, les raisons ne manquent pas pour appeler (comme le firent nombre de nos interlocuteurs lors des audit- tions et débats du Dialogue national) à une réelle évaluation de ce recours, tant au niveau des procédures des commandes et de

66 - En France comme en Angleterre, la radio, le cinéma, la télévision, ont toujours, depuis les premières années du siècle dernier (avec l’apparition des deux premiers médias audiovisuels, le cinéma et la radio) puisé dans des environnements culturels autonomes, produisant de l’art et de la culture indépendamment des médias : théâtres, cafés-théâtres, cabarets, concerts, mouvements et salons littéraires, académies des arts, conservatoires d’arts, troupes et compagnies privées… Vivier qui continue cette fonction de nos jours dans ces pays où un artiste d’arts de scène (comédien, metteur en scène, chorégraphe…) ne limite pas son expression et sa prestation publique à sa seule production à la télévision comme il en est chez nous où il arrive qu’un réputé artiste ne soit connu que des téléspectateurs…Dans ce cas, la télévision ne joue plus son rôle de relais à la création et aux originelles formes de l’expression culturelle, elle se substitue totalement et dangereusement aux environnements naturels de certains arts, comme les arts de scène, avec tout ce que cela comporte comme faiblesse de création, transformation réductrice de la forme originelle de la création pour s’adapter à l’audiovisuel, réduction d’audience (limitée aux téléspectateurs), carences dans la qualité et décalage avec le jugement, le goût et les attentes du public, du large public, plus large que le public de la télévision. 204 dialogue national - media et societe la diffusion qu’au niveau des conditions requises pour garantir la qualité et le professionnalisme dignes d’un service public. Mais la télévision publique ne peut se substituer aux autres lev- viers pour le développement de la culture dans tout l’environne-m ment culturel du pays. La télévision a un rôle à jouer, de plus en plus fort de nos jours, dans la mise en œuvre du droit du public à accéder à la culture (droit humain, pour lequel le Maroc est eng- gagé vis-à-vis de la communauté internationale, sa Constitution en témoigne dans l’enchâssement qu’elle comporte des Droits de l’Homme). Mise en œuvre de ce droit humain surtout dans les pays à gros taux d’analphabétisme et aux faibles traditions de consommation de l’écrit, ce qui fait de l’audiovisuel le moyen le plus efficient pour faire exercer ce droit à la majorité afin de la familiariser avec la culture, de l’informer sur la culture, de lui donner accès à la connaissance, aux différentes expressions ar-t tistiques et afin de l’aider ainsi à améliorer son goût esthétique et à consommer plus de produits culturels. La question de la qualité des produits télévisuels, comme les rad- diophoniques d’ailleurs, de service public, est donc fortement dépendante de l’aire culturelle au pays, c’est-à-dire des ressourc- ces du pays en créations et en créateurs et aussi des politiques publiques – et privées comme le levier du mécénat culturel – en matière de développement culturel et de mise en œuvre réelle du « Droit à la culture » au profit de tous les citoyens et citoyenn- nes. Mais la qualité est question aussi, pour la télévision publique, de ressources humaines et de compétences. A cet égard, le nombre comme les qualifications – modernes – des personnels de notre pôle public sont interpellés comme de gros déficits empêchant que la qualité soit au rendez-vous. Les 2 300 fonctionnaires de ce pôle (contre 32 000 au service du pôle public égyptien, par exemple) ont manifestement un grand besoin d’être plus nom-b breux, de compter parmi eux plus de profils pointus, de bénéf- diagnostic global et analyse sectorielle 205 ficier d’une stratégie publique en matière de formation perman- nente67. En fait, le Maroc a besoin, depuis longtemps, d’une politique publique permanente et consistante en matière de formation initiale et de formation permanente sur les métiers de l’audio-v visuel68. Des métiers qui changent continuellement à cause des incessantes nouveautés technologiques liées à l’ère numérique et qui, à ce jour au Maroc, ne disposent toujours pas d’une no-m menclature nationale complète, faisant obligation à tous les act- teurs du champ audiovisuel de la respecter et qui soit flexible et évolutive en fonction des nouveautés technologiques à venir. Une telle nomenclature est, comme on le sait, fort importante pour la bonne gouvernance du secteur, notamment en matière de salaires, de spécialisation et d’augmentation/diversification des profils et des effectifs, sans parler du droit légitime du pro-f fessionnel à évoluer professionnellement, à se planifier un plan de carrière.69 Si les personnels du pôle public en général, et ceux de la vieille maison, « Al Oula », étonnent parfois par des capacités d’adapt- tation et d’ingéniosité, voire de « débrouillardise », hors de tout programme permanent de formation et de recyclage, il est inc- contournable pour l’État de déployer une stratégie nationale systématique de formation et de perfectionnement des compét- tences en le domaine.70 Certes, notre service public a démontré, ces dernières années une forte sensibilité à cette question de la formation en y in-v

67 - Nous ne pouvons éviter ici de recommander d’être prudent avec l’euphorie et les satisfécits que peuvent provoquer chez les professionnels l’obtention de prix dans des festivals nationaux ou étrangers, car la meilleure performance est celle qui témoigne de l’adhésion, de la satisfaction et de la fidélité de son propre public, les Marocains en l’occurrence. 68 - On sait que le chantier de la construction d’un institut de l’audiovisuel (projet datant des années 70, sans cesse reporté) a été enfin lancé cette année 2010 par le Ministère de la Communication. 69 - D’après son premier responsable, le pôle public national a multiplié les salaires de ses personnels, depuis 2006, par deux fois et demi, et il a été fort laborieux jusqu’à présent de travailler sur une nomenclature des métiers en conséquence. 70 - « Nos ingénieurs ont pu nous faire une économie de 40% en construisant des cars de régie et des stations satellitaires mobiles à partir de nos propres moyens » nous disait le PDG du pôle lors de son audition par le Dialogue national. 206 dialogue national - media et societe vestissant 6 millions d’Euros entre 2002 et 2009, au profit de tous les profils et comprenant également des formations sur les langues. Mais cela reste en deçà des besoins et en tout cas bien moins rentable en termes de développement et de diversifica-t tion de compétences qu’il ne le serait en cas d’encadrement par une stratégie publique de long terme, plutôt permanente et mise en œuvre localement pour renoncer au recours/secours des par-t tenaires hors des frontières (cas de l’INA français, quasi om-n niprésent dans les demandes et efforts de formation de notre service public depuis des décennies). D’un autre côté, cet impératif de la formation relève et parti-c cipe de la gouvernance du service public. Une gouvernance qui, à son tour, attire nombre de critiques qui estiment globalement que les modèles de gouvernance appliqués dans les différentes chaînes de ce pôle, sont à revoir dans le sens d’une plus large et plus conséquente participation des personnels aux prises de décision, une plus libre et plus tolérable activité syndicale et surtout une plus précise et plus indépendante politique rel- lative aux lignes éditoriales appliquées aux différentes chaînes de radio et de télévision. Nombre de membres de l’Instance du Dialogue national, de syndicalistes, de professionnels du sect- teur audiovisuel ou de celui de la presse, d’activistes de la soc- ciété civile, ont incriminé des politiques et des lignes éditoriales qui sont encore marquées par l’ère passée du monopole étatique sur l’audiovisuel et la perméabilité encore vivace qu’il permet aux interventions, influences et pressions venant de l’extérieur, du gouvernement et des pouvoirs publics en particulier…Il faut dire que, partout dans le monde démocratique, ce type de pro-p pension d’influences – ou de pressions - visant l’indépendance du pôle public et sa ligne éditoriale de service public au service de tous, est constamment décrié tant il est toujours probable, voire résistant, à un degré ou à un autre, dans une conjoncture plutôt que dans une autre, surtout dans le cas de jeunes services publics à peine sortis du monopole de l’État. diagnostic global et analyse sectorielle 207

Néanmoins, il est de tradition dans les démocraties médiatiq- ques que le service public trouve dans l’autorité de régulation le soutien nécessaire pour dissuader, autant que faire se peut, ce type d’interventions extérieures pour préserver son indépend- dance que, normalement, défendent et contiennent ses cahiers de charges conclus avec la dite autorité de régulation. Pour le Maroc, c’est une question de maturité à atteindre au fur et à mesure que la pratique du service public s’enrichit et se conso-l lide sous ce récent règne de la libération de l’audiovisuel de la mainmise de l’État. Sans oublier que l’indépendance du service public dépend aussi de la vigilance de ses professionnels qui, pour jouer un tel rôle, doivent nécessairement être en mesure d’être entendus, c’est-à- dire, convaincre de par leur professionnalisme et leur éthique déontologique, de par leur respect total de la ligne éditoriale sur la base de laquelle ils se sont engagés et de par leur unité comme corporation responsable et réellement jalouse de servir le ser-v vice public au mieux de ses standards et au mieux des attent- tes légitimes et démocratiques du public. Avec cette remarque que dans les démocraties avancées, notamment scandinaves et certaines des pays du Commonwealth, la défense de l’indépen-d dance du service public bénéficie également du soutien agissant du public quand des associations d’auditeurs et/ou de téléspect- tateurs sont représentées dans un rouage décisionnel, ou même consultatif, au sein de la structure du service public, ou ont la latitude de faire entendre leur point de vue dans une enceinte décisionnelle, comme le Parlement (cas des « Amis de Radio Canada », par exemple, ou de la «Voie de l’auditeur et du tél- léspectateur – VLV - » britannique, réputée championne en la matière à travers le monde, depuis sa création en 1983)71.

71 - La « Voice of The Listener & Viewer » (VLV) a comme objectifs : «Préserver l'indépendance de la gouvernance de la BBC et la qualité des programmes de la BBC ; Préserver la qualité, la diversité et l’intégrité éditoriale des programmes et émissions ;Promouvoir un plus large choix de programmes de qualité ; Lutter contre toute influence indue de quelconque intérêt commercial, politique, sectaire ou d'autres intérêts ;Faire prendre conscience du rôle crucial que joue la radiodiffusion& télévision dans la démocratie, dans notre vie nationale, pour notre communauté et pour notre culture ;œuvrer pour s’assurer que les opportunités de l'innovation et les nouvelles technologies numériques soient développées au bénéfice de tous ; Promouvoir 208 dialogue national - media et societe

Certes, il est encore difficile d’imaginer l’implication, à brève échéance, du public marocain, à un titre ou à un autre, dans la gouvernance de leur si jeune service public audiovisuel libéré du monopole de l’État, mais il est temps de soumettre cette perspect- tive à la réflexion et à la consultation, d’autant plus qu’il y a en ce moment un début d’organisation associative des publics de la radio et de la télévision. Comme il est clair qu’il serait hasardeux d’envisager une telle participation du public avant que le service public ne soit définitivement consolidé dans sa vocation pleine et entière, avec les moyens qu’il faut, matériels et humains, avec les stratégies et les politiques de gouvernance et de contenus requises pour un service public de qualité et de rayonnement et d’impact réels et durables sur son public. Tout compte fait et quelques que soient les obstacles, les diffic- cultés de parcours, les déficits structurels ou non, les stratégies et les politiques de gouvernance, de production et de formation, qu’un diagnostic complet de ce secteur peut énumérer, il reste que la clé d’une réelle mise-à-niveau de la mission, des moyens et des contenus de notre service public audiovisuel est dans la rencontre avec les Marocains et les Marocaines au mieux de leur satisfaction sur tous les plans, au mieux du meilleur taux possib- ble de leur adhésion sinon de leur fidélité. Le cap déterminant doit donc être d’estampiller le plus largement possible et le plus profondément possible ce service public du sceau de l’identité et du génie marocains, sachant que, comme il en est pour le serv- vice public le plus performant auprès de son public national, une telle intégrité/empreinte locale permet de séduire aussi, à la longue, des publics étrangers attirés par la cohérence d’une identité forte et riche, livrée avec qualité et adossée à une réelle crédibilité et impact dans son propre territoire. Comme il en est pour les arts, une télévision nationale peut s’exp- porter sur l’universel et y accéder quand elle est réussie et perf- formante chez elle parmi ses publics premiers…D’où l’ambition le potentiel de la radiodiffusion et des médias numériques pour contribuer à l'éducation dans les institutions formelles et informelles et ce durant toute la durée de vie des bénéficiaires». diagnostic global et analyse sectorielle 209 que notre pôle marocain doit avoir sans complexe de rayonner sur la région, maghrébine, arabe et africaine, et au-delà, en se donnant bien sûr les moyens pour ce faire comme notamment la montée sur satellite. Option technologique et stratégique qui doit maintenant être sérieusement envisagée et examinée dans le détail de sa réalisation technique, comme dans le détail de son financement, en regardant deux options : option pour lanc- cer son propre satellite (une dépense estimée autour de 200 mill- lions US) ou option pour la location de satellites étrangers (fort coûteuse et sans garantie totale d’indépendance ni de constante présence rayonnante auprès des publics étrangers visés)72. L’option satellitaire plus ou moins autonome, donc, ajoutée à l’option obligée de la TNT, les deux devraient être conçues toutes les deux dès à présent par le Maroc comme les deux leviers strat- tégiques capables de l’aider à relever le non moins gros défi que représente pour le média télévision : l’Internet. Un défi auquel sont confrontées toutes les télévisions du monde avec plus ou moins d’expectative, voire d’inquiétude, pour la survie de la tél- lévision telle que nous la connaissons jusqu’à aujourd’hui.73 Tél- lévision qui, dans le cas de notre service public doit affronter plusieurs défis à la fois, les défis de l’Internet et du numérique, du satellitaire et de la TNT et, last but not the least, le défi de

72 - La présence du pôle public marocain sur la scène mondiale de la télévision satellitaire peut aussi être conséquente pour le pays par la participation à des réseaux internationaux…Notons à cet égard, par exemple, qu’en février 2011, l’assemblée générale des actionnaires du réseau « Euronews » (lancé en 1993) devait entériner par vote le passage de la participation de la SNRT marocaine à son capital de 0,33% à 6%, ce qui met désormais le Maroc au rang des principaux actionnaires, derrière les fondateurs du réseau : France Télévisions (25,37%), Rai (22,84%), RTR (16,94%), TRT Türkiye Radyo Televizyon Kurumu (15.70%) et SRG SSR idée suisse (9,20%). Euronews, basée à Lyon, diffusant simultanément en 10 langues, était proposée, en 2009, à 300 millions de foyers, répartis dans 151 pays. Avec 6,5 millions de téléspectateurs chaque jour, il s’agit de la première chaîne internationale d’information en Europe, devant CNN International, BBC World News, CNBC Europe3, et France 24. Il semble que notre pôle public n’exlpoite de façon optimale sa présence dans ce réseau pour y rendre fréquente son empreinte par des contenus marocains de qualité (reportages d’informations, magazines, interviews, quota de journalistes marocains…). 73 - Nombre de décideurs et de spécialistes américains présagent que d’ici peu la majorité des citoyens américains n’auront de recours pour l’audiovisuel que via l’Internet… Une récente étude a révélé que le citoyen américain en moyenne a passé, l’année dernière, plus de temps sur Internet que sur la télévision dans une journée. Une première dans l’histoire de la télévision dans ce pays qui, depuis son apparition, n’a jamais été sérieusement devancée par un autre média. 210 dialogue national - media et societe l’institutionnalisation, c’est-à-dire le réaménagement institut- tionnel et de gouvernance qui passe par le préalable à toutes les mises à niveau exigées par ces défis : la redéfinition du concept de « service public » et le contrat global qu’il suppose établi avec la société dans son ensemble et qui implique un plus fort enga-g gement de l’État au profit de ce stratégique service public, plus sensible avec ses enjeux aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été pour le devenir d’une société. Car, en plus des enjeux de fond, en rapp- port avec sa mission de service public, de media citoyen par exc- cellence au service de tous les citoyens et de leurs aspirations collectives, le pôle public audiovisuel, comme ses semblables partout dans le monde, est secoué dans son concept, dans ses moyens et approches, dans ses compétences et contenus, par la révolution en marche du numérique, du cyberespace, de la blogosphère, du « Net-citoyen »… Sans oublier le choc déjà reçu ces dernières années du fait de la volumineuse offre satellitaire transfrontalière. Le Maroc doit admettre d’abord que le choix d’un « service pub- blic », après la levée du monopole de l’État, exige le respect total et volontariste des règles de l’indépendance éditoriale, du plur- ralisme des voix, de la diversité des contenus, de la qualité et de la proximité de ces derniers, des normes et standards internat- tionaux de bonne gouvernance et de démocratie en interne. Sur cette dernière exigence, le pôle public se doit d’être exemplaire, comme standard à l’échelle nationale. Le Maroc du 21ème siècle doit considérablement mieux outiller son service audiovisuel public, l’accompagner plus largement dans les profondes mutat- tions que lui imposent les TIC, dans le but de l’assister dans ses légitimes ambitions d’un rayonnement qui soit fort et de qualité tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle des régions environnan-t tes. En un mot, l’audiovisuel public marocain doit lui aussi être abordé comme « pôle public dans le monde » comme doit l’être l’ensemble de notre champ médiatique, afin que ce service pu-b diagnostic global et analyse sectorielle 211 blic puisse investir, par son rayonnement et sa production, le large creuset de l’identité marocaine telle qu’elle se forge, et s’est toujours forgée, parmi les autres peuples du monde. Creu-s set marocain, arabe, africain et méditerranéen, riche par une diversité de sensibilités, de cultures et d’horizons et qui est la meilleure chance pour que ce pays marque de son empreinte la dimension de l’universel, cette dimension qui, désormais, passe obligatoirement par les médias en général et par le cyberespace en particulier…La preuve : tous les audiovisuels du monde qui veulent compter dans le monde d’aujourd’hui et qui veulent que leurs peuples comptent autant, se donnent une extension dans cette dimension cybernétique et médiatique de l’universel, en se plaçant sur les réseaux sociaux mondiaux : Face book, Twitter, You tube… 212 dialogue national - media et societe

SECTEUR DES TIC ET DE L’INTERNET

Depuis le milieu des années 50 du siècle dernier, le vocable « Mass Media » (« Médias de masses ») s’est imposé pour désig- gner tous les « Moyens de diffusion collective » (autre vocable historique de la sociologie des médias) ou « Moyens d’inform- mation », vocable le plus usité et omniprésent encore chez les arabophones, encore peu utilisateurs de vocables moins anciens comme « Moyens de communication » (« Ittissal » ou « Tawass- soul »). Le lexique a son importance, car il arrive qu’il ne suive pas les évolutions ni les révolutions. La révolution numérique et cybernétique du monde des médias pourrait-elle nous obliger à inverser pour dire : « Des masses aux médias », des « mas-s ses qui disposent de médias », des « citoyens-médias », le « cit- toyen-média », le « Net-citoyen »…Un mouvement alternatif et communautaire lançait, il y a quelques années, le slogan : « Aux médias, citoyens! »…74 Mais, tout compte fait, il est désormais clair que le vocable « technologies de l’information et de la communication » (TIC, qui ne sont plus « nouveaux TIC –NTIC- »), est le vocable le plus adéquat pour embrasser tout le champ communicationnel contemporain, champ de l’ère bien installée du numérique qui conquiert et domine aussi bien les « médias traditionnels » que les « nouveaux médias ». Le monde est donc en passe d’oublier le mot « médias » pour ne plus utiliser que l’abréviation « TIC » afin d’appréhender plus correctement et totalement la nouvelle réalité du champ communicationnel. Réalité à laquelle le Maroc n’est plus totalement soustrait, au contraire. Le Maroc est bel et bien engagé dans l’ère du numérique et du cyberespace. Il vit cette ère au présent, avec, certes, des décalages, des inégalités, des résistances de l’ère ante-numérique, de l’ère de la commu-n nication unidimensionnelle qui ne permet ni interactivité entre émetteur et récepteur, ni liberté individuelle pour l’accès comm- me pour la diffusion d’informations, de messages, de points de vue…

74 - A l’occasion de la conférence internationale sur « Les défis à la radiotélévision de service public en Afrique », organisée à Rabat en Mai 2000, un magazine consacré à la conférence par la télévision canadienne reprenait ce slogan comme titre. Ce magazine de 52 minutes (en français et en anglais) a été diffusé par la télévision canadienne (et TV5), mais n’a pas été malheureusement diffusé par notre service public, comme convenu avec la RTM de l’époque qui avait pourtant pris part à sa production! diagnostic global et analyse sectorielle 213

Dans la vie publique, comme dans la vie individuelle des Mar- rocains et des Marocaines, la communication moderne, c’est- à-dire les TIC (tous médias confondus), est de plus en plus prés- sente, voire de plus en plus influente sur la marche du pays et sur l’évolution et les transformations de la société. La ruée, sans précédent, des TIC et de l’Internet, sur les places publiques, sur le devant de la scène politique des États, des rég- gimes et des sociétés, en ce début de la deuxième décennie du siècle du cyberespace, doit plus que jamais constituer la référ- rence majeure pour le Maroc dans ses efforts et stratégies pour le futur de son champ médiatique ou communicationnel. Une référence aisément assimilable pour un pays qui a déjà fait de grands pas dans l’arrimage à ce nouveau monde, à ce nouvel es-p pace médiatique avec ses différents outils, et qui exploite assez valablement les potentialités dont il dispose, en premier lieu sa jeunesse. Le Maroc est sur le Net depuis 1995. Quinze ans après, fin 2010, plus du 1/3 de sa population use de l’Internet, soit plus de 13 millions d’internautes. Alors qu’il compte, fin Mars 2011, plus de 2,2 millions d’abonnés Internet (1 866 963 abonnés fin 2010), soit une hausse de 57,29% par rapport à 2009 (1 186 923 abonnés). Sur ce total d’abonnés plus de 76% le sont à l’Internet mobile 3G (passant de 707 137 fin 2009 à 1 366 472 abonnés fin 2010 soit une croissance annuelle de 93,24%), et 26,65% pour l’Internet haut débit (ADSL), près de 500.000 clients en 2010. Le Maroc présente donc des chiffres assez impressionnants dans les régions arabe et africaine, pour un pays où la moyenne na-t tionale de l’analphabétisme tourne autour de 40% et plus, avec dix à quinze points en plus, dès qu’on s’intéresse à ce taux dans le monde rural ou parmi les femmes ou, pire, parmi les femmes rurales. Cet état de connectivité et d’utilisation de l’Internet est d’autant plus impressionnant que les Internautes Marocains disposent, au plan de la bande passante, de l’une des plus performantes liaisons Internet en Afrique (51 Gigabits). 214 dialogue national - media et societe

On peut donc parler, bien mesurèrent, d’un boom de croissance du pays dans le monde de l’Internet, avec un taux de croissance annuel de plus de 100%, surtout sur les cinq dernières années (105,3% en 2009) et un taux trimestriel de croissance de l’ordre de 7% à 10%, selon le trimestre. D’autre part, l’engouement des Marocains et Marocaines pour les nouvelles technologies, qu’on peut observer dans les villes comme dans les centres du monde rural – et qui explique en grande partie ce « boom »-, est particulièrement manifeste dans le domaine de la téléphonie mobile : selon l’ANRT, au terme de l’année 2010, le parc des abonnés mobile a enregistré une crois-s sance annuelle de 26,36% en atteignant 32 millions d’abonnés contre 25 310 761 abonnés une année auparavant. En Mars 2011, l’ANRT comptait plus de 33,5 millions de clients au mobil- le. Comme pour l’année 2009, le taux de croissance trimestriel des abonnés du mobile a enregistré des évolutions moyennes tout au long de l’année mais avec des ampleurs différentes d’un trimestre à l’autre. En effet, le troisième trimestre de l’année 2010 a connu la plus grande hausse avec un taux de croissance trimestrielle de 9,41% suivi du premier trimestre avec 6,86% de croissance. Un indicateur sur l’usage du mobile: 14 miiliards SMS envoyés en 2010 contre 6 milliards en 2006. Cette performance du segment de la téléphonie mobile s’est rép- percutée positivement sur le taux de pénétration qui a gagné plus de 20 points en une année en affichant plus de 101% à fin décembre 2010 contre 81,18% en 2009 et en Mars 2011 il attei-g gnait plus de 104%/. Le marché de la téléphonie fixe a, lui, enregistré une hausse annuelle de 6,63% à fin 2010, dans un parc global d’abonnés de 3 749 364 au 31 décembre 2010 (contre 3 516 281 abonnés en décembre 2009). Le taux de pénétration du fixe était, selon l’ANRT, de l’ordre de 11,90% à la fin de l’année 2010 contre 11,28% en 2009. En ce qui concerne les parts des différents seg-m ments du marché, on remarque que les clients résidentiels occ- diagnostic global et analyse sectorielle 215 cupent toujours la première place avec 85,37% suivi des profes-s sionnels avec 10,75% et les publiphones avec 3,88%. Ces parts étaient respectivement de 84,49%, 11,01% et 4,51% à fin 2009. En termes de part de marché, l’opérateur Wana Corporate dét- tient 66,72% du marché suivi d’IAM avec 32,83% et Medi Telec- com avec 0,45%. Il est à relever que le secteur du fixe est néanmoins bien promett- teur d’une forte croissance à l’avenir en liaison avec l’Internet haut débit (ADSL) qui ne compte actuellement, à ses débuts en fait, qu’un demi million d’abonnés. Indicateurs des TIC au Maroc Source : www.anrt.ma

Marché de l’internet Au 31 mars 2011, le parc10 total Internet a atteint 2 172 903 abonnés contre 1 866 963 à fin décembre 2010, enregistrant un taux de croissance de 16,39% au cours du premier trimestre 2011 et de 59,54% sur une année.

Parc Internet 216 dialogue national - media et societe

Evolution de la croissance nette trimestrielle du parc Internet ADSL

TELE

Evolution de la croissance nette trimestrielle du parc Internet 3G

Le parc Internet 3G a atteint 1 655 499 abonnés à fin mars 2011 en réalisant un taux de croissance de 21,15% durant le premier trimestre 2011 et de 88,37% sur une année.

PHONE MOBILE Parc global TELEPHONIE MOBILE

Marché de la téléphonie mobile1 Au 31 mars 2011, le parc des abonnés mobile a atteint 33 375 498 soit une croissance de 4,36% sur un trimestre. Le taux de pénétration a évolué pour atteindre 104,78% à fin mars 2011 contre 101,49% à fin décembre 2010. diagnostic global et analyse sectorielle 217

Parc MOBILE

Evolution de la croissance nette trimestrielle du parc Postpayé 218 dialogue national - media et societe

Evolution de la croissance nette trimestrielle du parc Prépayé

Marché de la téléphonie fixe Au 31 mars 2011, le parc global d’abonnés au fixe a atteint3 643 1065 (contre 3 749 364 abonnés à fin décembre 2010) dont 2 377 618 en mobilité restreinte. Le parc de la téléphonie fixe a connu une baisse trimestrielle de 2,83% au terme du premier tri-m mestre de cette année 2011. Le taux de pénétration du fixe est passé de 11,90% à fin décemb- bre 2010 à 11,44% au 31 mars 2011. diagnostic global et analyse sectorielle 219

Parc FIXE

Nombre d’abonnés Résidentiels

Nombre d’abonnés Professionnels

Marché des publiphones A fin mars 2011, le parc des publiphones a enregistréune bais-s se de 3,57% par rapport à fin 2010. Ainsi, le parc global des 220 dialogue national - media et societe publiphones9 a atteint 175 090 (contre 181 580 au 31 décemb- bre 2010).

L’équipement informatique que le pays a entrepris depuis le dé-b but des années 80, atteste lui aussi de tendances à la croissance qui confirment combien ce secteur est pour le pays un gisement de richesses et d’emplois, avec une forte valeur ajoutée aux paln- ns économique, social et culturel…Au plan économique, on doit souligner le chiffre d’affaires réalisé par le marché de l’équipe-m ment informatique en 2009 : 1,11 milliard de Dirhams. Au plan socio-culturel, l’on doit bien intreprêter le fait que la vente des ordinateurs portables (Laptops) égale progressivement celle des ordinateurs de bureau (Desktops) : sur plus de 200 000 ordina-t teurs écoulés sur le marché national en 2010, près de 50% sont des ordinateurs portables et cette tendance sera certainement à la hausse dans les années à venir. Ce qui signifie que l’équipem- ment/appropriation de l’outil informatique à l’échelle de l’indiv- vidu progresse et que l’accès à l’Internet n’est plus dépendant, majoritairement, de l’équipement collectif, lieux de travail gé-n néralement75.

75 - Dans notre enquête CAP auprès des jeunes nous avons particulièrement insisté, par des questions ciblées, sur cette différence entre équipement individuel et équipement collectif (à l’école, à l’université, au travail ou ordinateur familial…). diagnostic global et analyse sectorielle 221

Répartition des jeunes selon qu’ils disposent ou pas d’un ordinateur connecté à Internet

Disponibilité Connexion Connexion Disponibilté/ Disponibilté/ ordinateur/Internet Internet/ Internet/ ordinateur ordinateur ______ordinateur ordinateur commun individuel ___ commun individuel Réponses Fréq % Fréq % Fréq % Fréq %

Oui 334 37,1 263 29,2 226 25,1 157 17,4

Non 566 62,9 55 6,1 674 74,8 26 2,9

NC - - 582 64,7 - - 717 79,7

Total 900 100,0 900 100,0 900 100,0 900 100,0

Chez les jeunes donc, la propriété de l’ordinateur utilisé individ- duellement, elle revient aux jeunes eux-mêmes dans une prop- portion de 17,1%. Les institutions professionnelles, éducatives ou autres n’en sont propriétaires que dans 3,3% des cas, et près de 80% de jeunes (monde urbain et monde rural), soit ne pos-s sèdent pas d’ordinateur utilisé individuellement, soit n’ont pas d’ordinateur du tout. Mais la tendance à retenir est que l’outil informatique, l’ordi-n nateur en l’occurrence, prend petit à petit sa place comme outil domestique, personnel, au même titre que le téléphone mobile. Signe donc d’une réelle pénétration en marche progressive de l’outil informatique dans la vie de tous les jours des gens et dans toutes leurs activités, pas uniquement leurs obligations d’activ- vités publiques et l’offre d’équipement et d’usages que celles-ci induisent, dans les lieux de travail, par exemple. Autre indicateur sur ce recours bien progressif aux TIC, est ce-l lui des domaines Web du pays détenus par des entreprises, des administrations et des particuliers. Le parc de noms de domaine «.ma» a quant à lui atteint près de 40 000 noms début 2011, dont plus de 400 noms de domaines avec l’extension “.press.ma” dédiée à la presse et aux médias. Avec une croissance de près de 12% sur une année, la situation de ces domaines se présentait fin 2010 comme le montre le shé-m ma ci-après. 222 dialogue national - media et societe

Indicateurs nom de domaine « .ma »

Source : www.nic.ma

Force donc est d’admettre que le Maroc a enregistré à ce jour des progrès importants dans son arrimage au cyberespace et à ses TIC. Ce dont témoigne d’ailleurs le rapport de l’Union In-t ternationale des Télécommunications (IUT) révélé, fin Février 2011, à la presse au Palais des Nations Unies à Genève, sous l’in-t titulé : « Mesurer la société de l’information 2010 ». L’IUT soul- ligne ainsi que le Maroc a gagné en 2008 six points dans l’indice de développement des TIC (IDI) de l’organisation, par rapport à 2007, en se classant à la 97ème place (sur 159 pays classés), avec un IDI de 2,68 qu’il a ainsi amélioré de 15% de sa valeur enreg- gistrée en 2007 (2,33)76. Le même rapport de l’IUT nous révèle aussi qu’au niveau de l’utilisation des TIC, le Maroc a pu, en un an, de 2007 à 2008, enregistrer un taux d’utilisation d’Internet de 33 utilisateurs sur 100 habitants, contre 21, une année auparavant, gagnant dans le classement de cet indicateur six points.

76 - Les dix premiers pays selon l'indice IDI 2008 étaient la Suède, le Luxembourg, la République de Corée, le Danemark, les Pays- Bas, l>Islande, la Suisse, le Japon, la Norvège et le Royaume- Uni. diagnostic global et analyse sectorielle 223

Ces performances de l’IDI du Maroc, retenues par l’IUT, sont fort pertinentes pour les stratégies d’avenir du pays, car cet indice, récemment établi pour suivre l’avancée de la « société de l’infor-m mation mondiale », se base sur 11 indicateurs dont notamment : le nombre de ménages ayant un ordinateur, le nombre d’abonn- nés à l’Internet fixe large bande (ADSL) et le taux d’alphabétisat- tion, taux qu’il faut relever tout particulièrement dans le cas du Maroc…Car il est fort discriminatoire dans notre cas, tirant vers le bas l’IDI du Maroc et son classement dans le tableau de la « société mondiale de l’information », alors que les acquis et les évolutions du pays dans le champ global des TIC devraient nor-m malement lui octroyer un IDI meilleur et un classement, probab- blement au milieu des 159 pays suivis par l’IUT en le domaine. Cette remarque sur le taux d’alphabétisation s’impose, là aussi, pour réitérer notre insistance sur l’étroite relation organique et décisive entre le futur du champ communicationnel et la donne de l’enseignement, c’est-à-dire la lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme, parallèlement ou préalablement, à la lutte contre l’analphabétisme numérique.

Ceci étant, il est de notoriété que ce domaine est des plus volati-l les dans ses situations établies ou arrêtées comme dans les perf- formances calculées, tant son rythme d’évolution est constant et le changement des données y est permanent et fortement perm- méable à moult éléments de contexte et divers environnements. C’est ainsi qu’au regard d’un autre indicateur international, le Maroc semble régresser plutôt qu’avancer entre 2008 et 2009. Il s’agit de l’indicateur «Networked Readiness Index (NRI)», du puissant World Economic Forum ou le Forum économique mondial (FEM), qui classe le Maroc au 86ème rang parmi 134 pays dans le «Positionnement mondial et régional en matière de technologies de l’information et de la communication». Cett- te position est en recul de 12 rangs par rapport au classement précédent du FEM. Comparé à de nombreux pays émergents, le Maroc est devancé par la Tunisie (38ème), le Chili (39ème), la Chine (46ème), l’Inde (54ème), la Turquie (61ème), le Mexique 224 dialogue national - media et societe

(67ème) et l’Égypte (76ème). Il est, par contre, mieux position-n né que certains pays tels que l’Argentine (87ème) et l’Algérie (108ème).

Le recul du classement du Maroc est dû, lit-on dans une étud- de basée sur le rapport du FEM, à la dégradation de son score dans l’indicateur «Networked Readiness Index (NRI)». Ainsi, les trois principales composantes de l’indicateur global (NRI) ont à leur tour reculé, à savoir «l’Environnement des TIC», le «Niveau de préparation» et «l’Usage des TIC». Au niveau de l’«Environnement des TIC», après de grands progrès de cet in-d dicateur au cours des dernières années, le Maroc perd 7 places mondiales en 2009, passant de la 67ème à la 74ème. Même s’il est moyennement positionné mondialement au niveau de cette composante du NRI et se positionne mieux que certains pays, comme le Mexique, l’Indonésie et l’Argentine, il se retrouve loin derrière d’autres pays tels que la Tunisie et l’Égypte. La dégrad- dation du positionnement du Maroc est liée essentiellement à celle enregistrée au niveau du «cadre politique et réglementair- re» et de «l’infrastructure». Par rapport au «Niveau de prépar- ration», le classement du Maroc a reculé plus pour se retrouver à un niveau moins avancé comparativement à la majorité des pays émergents ou de même niveau de développement. Le recul a concerné surtout les indicateurs de TIC relatifs au gouvernem- ment et aux entreprises. En effet, le Royaume est classé faiblem- ment pour ce qui est de l’e-gouvernement (113 ème), de la prior- rité allouée par les autorités publiques aux TIC (111 ème). Enfin, en matière d’«usage des TIC», le Maroc, reculant de 10 places en 2009, se retrouve parmi les pays ayant un recours relat- tivement faible aux technologies de l’information et de commun- diagnostic global et analyse sectorielle 225 nication. Notre pays est largement devancé par ses concurrents, en particulier ceux du pourtour méditerranéen (Tunisie 47ème, Turquie 54ème et Égypte 72ème). Le recul du Maroc incombe essentiellement au repli au niveau de la mise à disponibilité par le gouvernement d’informations, d’outils participatifs et de serv- vices en ligne de qualité et d’utilité77. D’un autre côté, en deçà de l’IDI de l’IUT ou du NRI du FEM, il nous faut, à notre échelle nationale, relever que les efforts du pays en matière de TIC et d’Internet, ne semblent pas bien ill- lustrés dans le champ spécifique qui intéresse notre Dialogue national : le champ des médias à diffusion collective et tout part- ticulièrement la presse. Au plan des infrastructures au service du développement des TIC dans le pays, le Maroc a investi dans plusieurs zones techn- nologiques, avec l’objectif d’encourager trois types d’activités et d’entreprises : • Les TPE et PME innovantes dans le domaine des TIC en général • Le BPO (Business Process Outsourcing ou externalisat- tion des processus métiers) • L'ITO (Information Technology Outsourcing ou externa-l lisation des processus liés aux technologies de l’informat- tion). Actuellement, le Maroc dispose de trois zones technologiques opérationnelles qui offrent une infrastructure d’hébergement des entreprises, des locaux prêts à l’emploi, climatisés, insonor- risés, pré-câblés avec des services d’accompagnement mutualis- sés (téléphonie, entretien, restauration, maintenance…). Il s’agit de : Casablanca Technopark, de Casanearshore à Casablanca et de Technopolis Rabat-Salé.

77 - Confère cette analyse telle que résumée par Dounia Mounadi dans le quotidien « Aujourd’hui le Maroc » (édition du 12.10.2009, numéro 2033) à partir d’une étude publiée en Septembre 2009 par la « Direction des études et des prévisions financières », étude qui s’est basée sur le rapport cité du FEM. 226 dialogue national - media et societe

1- Casablanca Technopark Première zone technologique créée au Maroc en 2001, le Tech-n nopark, avec ses 30.000 m2, se veut un espace dédié à l’héber-g gement de sociétés innovantes qui opèrent dans le domaine des technologies de l’information. Aujourd’hui, dix ans après son ouverture, le Technopark accueille 170 TPE et PME technologiq- ques qui emploient plus de 1400 salariés avec un chiffre d’affair- res cumulé de plus de 700 millions de DH. Structure de gestion privée, le Technopark compte dans son tour de table le gouver-n nement marocain et des banques privées. A l’instar des bonnes pratiques internationales dans le domaine, le Technopark offre une boucle locale télécom, des bureaux modulaires prêts à l’em-p ploi, des services généraux et une offre de restauration sur site. A rappeler que plusieurs expériences de nouveaux médias et d’entreprises dans le domaine du contenu en ligne et sur mobile ont pu se développer grâce à l’existence de cette première zone technologique78. 2- Casanearshore Premier pôle nearshore du Maroc, le plus grand d’Afrique du Nord, Casanearshore a été inauguré officiellement en 2008. Cette zone, dont l’investissement s’élève à 3,4 miliards de DH, offre plus de 300 000 m² de bureaux et services à destination de toute entreprise opérant dans les activités liées au nearshoring et réalisant au moins 70% de leur chiffre d’affaires à l’export, à partir de la troisième année qui suit le début de leur activité ou de leur installation dans la dite zone technologique. Les activi-t tés concernées par le nearshoring relèvent principalement de deux grands domaines et six filières : • Le domaine du BPO (Business Process Outsourcing ou externalisation des processus métiers) : les activités/fonc-t tions administratives générales ; les activités de gestion de la relation client ; les activités métiers spécifiques

78 - Pour en savoir plus : www.technopark.ma diagnostic global et analyse sectorielle 227

• Le domaine de l'ITO (Information Technology Outsourc- cing ou externalisation des processus liés aux technolog- gies de l’information) : les activités de gestion d’infrast- tructure ; les activités de développement de logiciels ; les activités de maintenance applicative79. 3- Technopolis de Rabat-Salé Inauguré en octobre 2008, le Technopolis de Rabat dispose de plusieurs pôles d’activités, à savoir : o Pôle Offshore o Pôle Recherche & développement o Pôle microélectronique o Pôle académique o Pôle valorisation de la recherche o Pôle médias Cette nouvelle infrastructure destinée à soutenir la stratégie « Emergence » et « Maroc Numéric 2013 » est édifiée sur une superficie de 107 hectares avec des investissements globaux de 3,314 milliards DH, dont 2,755 milliards pour les travaux de construction et 559 millions pour l’aménagement. L’une des spécificités de cette zone technologique, par rapport au Tech-n nopark et Casanearshore, est de prévoir un espace dédié à l’enc- couragement des investissements dans les médias. Le « Pôle Médias » de Technopolis de 15 hectares est destiné à coopter les entreprises et les ressources humaines spécialisées dans les métiers de la convergence entre le contenu, techniques, audiov- visuel et les industries numériques80. En capitalisant sur le retour d’expériences des villes de Casab- blanca et Rabat dans le domaine de structures d’accueil intell- ligentes, le Maroc a décidé de régionaliser le concept des zones

79 - Pour en savoir plus : www.casanearshore.com 80 - Pour en savoir plus : www.technopolis.ma 228 dialogue national - media et societe technologiques à travers l’ouverture d’autres zones technologiq- ques d’ici 2015 à Fès (Fès Shore) et Tétouan (Tétouan Shore). Parallèlement, le Technopark de Casablanca s’active pour ouvrir d’autres antennes dans différentes villes du Royaume (Rabat, Agadir, Oujda….) dans le cadre de sa politique de duplication de son modèle. Ceci nous amène enfin à aborder les politiques publiques conduites par l’État, depuis particulièrement le lendemain du 2ème round du Sommet Mondial du Savoir et de l’Information (SMSI, Tunis 2005). Il est donc acquis que le pays a initié nomb- bre d’initiatives et de programmes fort conséquents et assez structurants même s’ils ne dégagent pas, par leur ensemble, la cohérence d’une stratégie globale nationale qu’on pourrait qualifier de « stratégie nationale pour la société de l’informa-t tion », comme recommandé par le SMSI. Une stratégie qui doit inclure, entre autres, des politiques volontaristes en faveur du monde des médias pour les accompagner dans leur mutation technologique par le recours aux TIC et que ces dernières soient décrétées comme priorité pour le pays dans tous les secteurs gérés par l’État. Les initiatives et programmes à ce jour conduits par l’État ont substantiellement mis sur les autoroutes de l’in-f formation nombre de secteurs et d’activités du pays. Avec des efforts, parfois imposants, d’infrastructures plantées aussi bien sur l’historique site des médias, l’axe Casa-Rabat, que dans des villes et régions traditionnellement hors monde des médias : comme relevé, des pôles de TIC programmés à Tétouan, Fès, Agadir, Oujda, après Rabat, Salé et Casablanca. En fait, le Maroc déploie une stratégie, « Maroc-Numéric 2013 », lancée en Octobre 2009 avec un budget prévision-n nel de 5,2 Milliards de Dirhams dont 3,7 Milliards ont été déb- boursés fin 2010. Mais cette stratégie, qui table sur deuxobj- jectifs majeurs, générer un PIB additionnel de 27 milliards de DH et créer 26.000 nouveaux emplois à l’horizon 2013, semb- ble avoir été fondamentalement construite sur les besoins du monde de l’éducation, avec un programme en direction des diagnostic global et analyse sectorielle 229

élèves, un autre en direction d’étudiants et un troisième en dir- rection des enseignants… En plus d’objectifs assez limités au plan de l’e.gouvernement (ce que releva le rapport du FEM) et au plan de l’économie numérique relative au commerce électronique et à la confiance que ce commerce nécessite. Disposant d’un « Fonds du service universel des télécommunic- cations » (FSUT), cette stratégie gouvernementale a pu, dans le cadre du 1er programme, le programme « GÉNIE », destiné aux établissements scolaires, équiper 1.000 établissements en 2009, acquérir 82% des contenus numériques requis et former 700 encadrants centraux. Le 2ème programme, le programme «INJAZ», conçu pour les étudiants-ingénieurs, a, selon le Ministre des nouvelles techn- nologies, profité à 15.000 bénéficiaires au titre de l’année acad- démique 2009-2010, avec l’objectif de l’offrir à 13.500 autres étudiants-ingénieurs, au cours de 2010-2011, et qu’il soit génér- ralisé, à terme, aux étudiants chercheurs, selon le même resp- ponsable. Quant au 3ème programme, le programme « Nafida », déployé par la Fondation Mohammed VI de Promotion des Œuvres Sociales de l’Éducation-Formation, il n’a pas encore révélé ses premières réalisations. Lancé en 2008, ce programme consiste à faciliter l’accès de la famille de l’enseignement aux technologies de l’In-f formation et de la Communication, et à leur permettre d’utiliser ces outils dans le système éducatif national, en accédant à des contenus multimédia et à des ressources pédagogiques numér- riques. Cette initiative a été intégrée dans le cadre de la straté-g gie « Maroc Numéric 2013 » affichant souvent qu’elle donne la priorité au vaste chantier de l’e.gouvernement. Or, ce chantier véritablement structurant du Maroc numérique, l’est aussi pour le champ communicationnel, sous des impératifs cruciaux pour ce champ : le droit d’accès, pour le citoyen, à l’information en général et au « domaine informationnel public » en particulier, l’accès, pour les médias et les journalistes, aux sources d’infor-m 230 dialogue national - media et societe mation…Sans oublier le fait que la transparence information-n nelle, au niveau de l’État, des pouvoirs publics, des services pub- blics et des administrations, est un outil des plus efficaces pour réduire au maximum les chances pour toutes les pratiques de corruption, de détournements, de trafic d’influences, de conflits d’intérêts, de délits d’initiés, d’opacité des rapports et transact- tions, de sape de la culture de la citoyenneté démocratique et de l’État de droit. En Juin 2010, lors d’une deuxième réunion du « Conseil nation- nal des technologies de l’information et de l’économie numér- rique », le 1er Ministre, selon un communiqué de la Primature, s’est déclaré satisfait du niveau atteint par l’indice e-gouverne-m ment qui est passé de 0,2 en 2008 à 0,34, dans la perspective de réaliser un taux de 0,8 à l’horizon 2013. Au cours de la même réunion, le Ministre en charge du secteur a déclaré que « les mécanismes nécessaires à la gouvernance et au lancement des services on-line ont été mis en place pour le lancement de l’e- administration ». En Fait, le Maroc a commencé, depuis 2005, à jeter les premiers jalons d’une politique publique qui vise le renforcement de la présence des administrations et des organismes publics sur int- ternet. C’est dans ce sens qu’une stratégie pour l’administration électronique 2005-2008 a été adoptée avec comme devise «Pour une administration électronique intégrée et citoyenne»81. Avec l’adoption d’un programme beaucoup plus ambitieux dans le cadre de la stratégie « Maroc Numéric 2013 », la thématique egov a connu indéniablement un nouveau tournant. Une in-t tégration amplifiée et une large diffusion des technologies de l’information dans les services publics, tel est le dénominateur commun de la stratégie «Maroc Numéric 2013» pour le egov, lancée fin 2009, à l’initiative du ministère de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies.

81 - Consulter : www.mmsp.gov.ma/egov diagnostic global et analyse sectorielle 231

Cette nouvelle stratégie, dotée d’un budget prévisionnel de 2,2 milliards de DH, s’est fixé comme objectif la mise en ligne, à l’horizon 2013, de 89 services dont 15 projets-phares à réaliser, au plus tard, en 2011. Le programme cherche à rompre avec les programmes précédents puisque l’enjeu est beaucoup plus imp- portant. Il ne s’agit plus d’une simple informatisation de procé-d dures et de processus existants. L’e-gouvernement requiert une configuration beaucoup plus en profondeur qui s’appuie sur la compréhension du fonctionnement de l’administration publiq- que. C’est la raison de l’élaboration d’un modèle de gouvernance spécifique piloté par le CIGOV (Comité interministériel egov)82. Ce choix prioritaire exprime la conviction du gouvernement que le secteur public réalisera des gains importants en termes d’efficacité et d’efficience grâce à la mise en œuvre de services e-gouvernement par le biais d’un traitement simplifié et auto-m matisé de l’information. Un souci auquel on peut relier cette dernière initiative du gouvernement, début 2011, le site : http:// fikra.egov.ma/. Ce site vise à faire participer les citoyens, de man- nière interactive, dans l’amélioration des services publics en lig- gne, avec ce message phare sur l’objectif du site : « Vous trouvez les démarches administratives trop compliquées ? Fatigué de faire de longues queues pour obtenir un service administratif ? L’Administration marocaine vous donne la parole. Déposez vos idées, vos suggestions,... pour simplifier vos démarches admn ministratives ».

82 - Consulter : www.egov.ma 232 dialogue national - media et societe

Ajoutons, à ce propos, qu’un communiqué du ministère de la modernisation des secteurs publics indiquait en Novembre 2010 qu’il a établi une nouvelle cartographie de l’utilisation des techn- nologies de l’information et de la communication (TIC) pour l’année 2009, afin de suivre l’évolution de l’usage des TIC dans les secteurs publics comprenant les départements ministériels, les hauts commissariats et les établissements publics. Pour élab- borer cette cartographie, le Ministère a pu recenser un total de 278 entités, avec un taux de réponse global de 75,54 pc pour 2009, contre 72,66 pc pour l’année 2008, relevant que 33 indi-c cateurs relatifs à l’utilisation des TIC dans les secteurs publics ont été retenus. Ces indicateurs s’articulent autour de cinq axes, portant sur la structure et l’organisation, les ressources humain- nes, la formation et le budget, les infrastructures matérielle et logicielle, l’utilisation de l’internet, les sites web et les télé-serv- vices. Parmi les indicateurs les plus importants, figurent le taux d’équipement en ordinateurs (31,22 pc), le pourcentage de pos-t tes de travail connectés à internet (59,61 pc), 283 télé-services, 356 sites web, la proportion de télé-services en arabe (47 pc), la proportion d’entités disposant de plan de sécurité des systèmes d’information (56,19 pc)83. D’un autre côté, en plus de rapprocher l’administration des bes- soins de l’usager à travers l’e.gov, Maroc Numeric 2013 vise à inciter à l’informatisation des PME et au développement de la filière locale des technologies de l’information, notamment en favorisant l’émergence de pôles d’excellence à fort potentiel à l’export. Les entreprises sont donc également concernées par cet effort, à travers des offres intéressantes de financement d’in-f formatisation par le biais d’un autre programme (programme «Moussanada»), l’accompagnement de la numérisation des transactions et l’appui aux entreprises productrices de techno-l logies de l’information. Ces programmes et mesures sont bien entendu à l’actif d’objectifs de développement du commerce

83 - Tous les résultats de la cartographie sont accessibles via le site web www.mmsp.gov.ma/ Carto2009 diagnostic global et analyse sectorielle 233

électronique au Maroc, secteur porteur d’avenir pour le dév- veloppement du champ des médias en tant qu’environnement technologique et économique, au titre de la nouvelle économie du marché de l’information, promouvant de nouveaux modes et outils de gestion et de commercialisation du produit médiati-q que, sans oublier la publicité électronique que ce nouveau comm- merce induit pour les médias, au vu des expériences vécues par les pays en avance sur ce registre (dont la Tunisie, sensiblement en avance sur le Maroc sur ce registre qui exploite la publicité des commerces et services de proximité). Mais soulignons que le commerce électronique est surtout favorable aux médias en tant qu’environnement propice à la circulation de l’information, aux opportunités d’y accéder, à sa transparence, à sa diversité dans les contenus comme dans les sources. Le commerce électronique au Maroc est un secteur certes emb- bryonnaire, mais à l’instar de la dynamique de développement de l’équipement informatique et l’Internet, il enregistre une croissance exponentielle. Pour preuve, pour l’année 2010, le chiffre d’affaires du e-commerce a triplé en dépassant le seuil de 300 millions de DH contre 107 millions pour l’année 2009. Le CA prévisionnel pour 2011 se situant à plus de 500 millions DH. Cette dynamique résulte, en partie, de la démocratisation de l’accès à la carte bancaire puisque selon les derniers chiffres du Centre monétique interbancaire (CMI), le Maroc compte près de sept millions de cartes dont plus de six millions de cartes de paiement et de retrait sous les labels Visa, Mastercard et la marque nationale cmi.L’activité d’achat en ligne reste fortement dominée par les cartes marocaines à hauteur de 93% en volume avec un panier moyen de 1000 dirhams. Techniquement, le Royaume dispose d’une seule plate-forme de commerce électronique, en l’occurrence Maroc Telecommerc- ce. Cette plate-forme dispose aujourd’hui de plus de 100 sites marchands affiliés, contre seulement 40 en 2009. L’année 2011 marque un tournant dans la mesure où le marché du commerce 234 dialogue national - media et societe

électronique sera boosté par l’importance des projets en cours de préparation de déploiement auprès de la plate-forme de Mar- roc Telecommerce et le CMI. Les tendances lourdes du e-comm- merce pour les prochains mois se situent au niveau du développ- pement des services de tourisme, de paiement des factures en ligne et des services de l’administration électronique. D’ailleurs, l’arrivée en 2010 d’acteurs tels que les opérateurs télécoms (Mar- roc Telecom et Méditel) et les services gouvernementaux et de manufacturiers ( Lydec et la Trésorerie Générale du Royaume) représente un signe avant coureur sur le point d’inflexion du marché à travers l’élargissement de l’offre pour toucher aussi bien le secteur public que privé. Même le secteur associatif commence à explorer les atouts du commerce électronique pour lever des fonds auprès du grand public. Ce fût le cas en décembre 2010 de l’action Sidaction pour la collecte de dons en ligne, en marge de la journée mondiale de lutte contre le Sida. Certes, l’évolution du commerce électronique est tributaire de l’offre mais aussi du changement de mentalité des porteurs de cartes bancaires. Malgré la réticence des internautes de passer à l’acte d’achat en ligne, il n’en demeure pas moins que les habitu-d des commencent à changer. A titre indicatif, les ventes de billets des compagnies aériennes à explosé sur internet sous l’effet des tarifs attractifs et des promotions en ligne. Les passionnés des TIC, peuvent aussi, s’équiper et commander tous les gadgets in-f formatiques par leurs cartes bancaires. Les opérations par cartes bancaires (locales et étrangères), au Maroc, ont atteint au terme du 1er trimestre 2011, 44,7 mill- lions d’opérations pour un montant global de 38,1 milliards DH (MMDH). Ce montant est en progression de 22,5% par rapport à la même période de l’année précédente. Les cartes émises par les banques marocaines ont atteint un encours de 7,4 millions de cartes (+4,1% par rapport au 31/12/2010) dont 6,4 millions de cartes ‘‘Paiement & Retrait’’ sous les labels Visa, Mastercard et la marque nationale CMI. Au courant de cette 1ère période diagnostic global et analyse sectorielle 235

2011, les cartes marocaines ont représenté 42,6 millions d’opér- rations pour un montant de 34,7 MMDH alors que les cartes étrangères on totalisé 2,2 millions d’opérations pour un mont- tant de 3,4 MMDH. La voie est donc ouverte aux médias pour qu’ils muent vers la commercialisation de leurs produits via l’achat on-line, du mo-m ment que les consommateurs – jeunes surtout et ils sont major- ritaires au pays- font montre d’habitudes d’achat fort promett- teuses dans ce sens. A l’appui de cette tendance, est maintenant intervenue une mesure gouvernementale qui décrète que 2011 soit l’année de consécration du commerce électronique au Maroc. Cette mes- sure a rendu le commerce électronique avec l’étranger désorm- mais possible pour les porteurs de cartes bancaires marocaines. En effet, l’Office des changes autorise maintenant les banques à délivrer aux personnes physiques résidentes une dotation d’un montant de 10 000 DH par année civile, chargés sur une carte de crédit internationale. Cette carte est destinée à effectuer des achats à l’étranger, via le web, comme les titres de voyages, les logiciels d’application, etc. Autrement dit, l’offre internationale dans le domaine de commerce électronique est accessible aux internautes marocains pour la première fois après tant d’années d’attente. Ce qui doit encourager les internautes à s’engager dans la consommation de produits médiatiques, au moyen du paiement électronique, et contribuer, voire développer le phé-n nomène de la monétique au Maroc. Cependant, on sait, par ailleurs, que le développement du com-m merce électronique dépend fortement d’un élément capital : la confiance numérique. Une confiance qui, certes, s’installe progressivement par l’accumulation des expériences pratiques des consommateurs, mais elle dépend au préalable des garan-t ties d’ordre juridique et légal sur le registre de la protection des droits du consommateur, notamment la protection de ses donn- nées à caractère personnel. 236 dialogue national - media et societe

Nul doute que l’année 2010 a marqué un tournant dans le pro-c cessus de mise à niveau de l’arsenal juridique du Maroc en mat- tière de protection des données nominatives pour être en phase avec les standards internationaux et notamment européens. Concrètement, le texte de loi 09-08 a été promulgué en 2009, dans le cadre de la stratégie Maroc Numeric 2013, visant la ga-r rantie de la protection des personnes physiques en matière de traitement des données à caractère personnel. Inspirée de la loi française « Informatique et Libertés », la loi 09-08 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements des données à caractère personnel, a été publiée au Bulletin Of-f ficiel n° 5744 du 18 Juin 2009, après avoir été promulguée par le Décret n° 2-09-165, en date du 21 mai 2009. Dans un contexte marqué par une forte pénétration des outils technologiques auprès du grand public et l’accroissement exp- ponentiel d’applications informatiques de tout genre, cette loi introduit, pour la première fois au Maroc, un ensemble de disp- positions légales destinées à protéger la vie privée des citoyens. L’article premier de cette loi stipule d’ailleurs que :» l’informn matique est au service du citoyen et évolue dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit pas porter atteinte à l’identité, aux droits et aux libertés collectives ou individuelles de l’Homme. Elle ne doit pas constituer un moyen de divulguer des secrets de la vie privée des citoyens.» Ce texte fondateur a donné naissance à une Commission nation- nale de contrôle de la protection des données à caractère pers- sonnel (CNDP). Investie de la mission de veiller au respect et à l’application des dispositions de cette loi, la CNDP a pour obj- jectif de protéger les données personnelles des citoyens et d’en garantir le traitement dans un cadre juridique légal afin d’éviter toute menace susceptible de violer leurs aspects confidentiels. Pour accomplir cette mission, la CNDP est dotée de pouvoirs d’investigation et d’enquête. A ce titre, elle est habilitée à collect- ter tous les documents nécessaires à sa mission, clôturer, interd- diagnostic global et analyse sectorielle 237 dire le traitement ou effacer les données, et à retirer le récépissé d’autorisation d’opération de traitement de données. Sur le plan opérationnel, la loi 09-08 définit le droit d’accéder aux bases contenant les données personnelles, de s’opposer à certains traitements, de demander la rectification des -donn nées erronées ou la suppression des données périmées ou dont la finalité du traitement a été réalisée. En outre, la loi fixe les conditions de transfert des données à caractère personnel vers les Etats étrangers en exigeant soit que ces Etats disposent d’un niveau de protection des données personnelles jugé adéquat par la CNDP, soit que le transfert envisagé obtienne l’autorisation de la CNDP. En cas de contravention aux dispositions de la loi 09-08, les contrevenants seront passibles de peines pouvant all- ler jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant atteindre 300 000 dirhams. Au-delà de l’adoption de ce nouveau texte, l’indépendance, la crédibilité et la confiance sont les conditions sine qua non pour garantir l’efficacité et le succès de la CNDP. D’ailleurs, jusqu’à présent, aucun site privé, administration ou services e-gov ne font référence à ce nouvel dispositif juridique. Une phase tran-s sitoire est prévue par le texte avant sa mise en œuvre. Vu la réc- cente composition de la CNDP (août 2010), il est, aujourd’hui, difficile d’en juger l’action. Il reste que si le Maroc s’est doté d’un arsenal juridique et rég- glementaire qui essaie d’accompagner le tournant pris par le pays depuis plus de dix ans en matière de télécommunications, d’audiovisuel et de TIC et Internet, cet arsenal est peu connu, encore moins analysé à des fins de sa nécessaire et continuelle révision et mise à jour, tant ces domaines connaissent, comme on le voit chaque jour, des transformations et innovations inces-s santes, du fait des inventions technologiques, comme du fait des usages et des droits et obligations que ces usages interpellent ou remettent en question, en partie ou en totalité. Globalement donc, le Maroc dispose actuellement d’un arsenal juridique conforme aux standards internationaux. Le véritable 238 dialogue national - media et societe enjeu reste d’en d’assurer la mise en œuvre conformément au contenu des articles et des dispositions des différents textes jur- ridiques adoptés. Comme il serait efficient, dans l’optique d’ant- ticipation recommandée par le Dialogue national, d’en assurer une lecture critique, de manière périodique, afin de mettre à jour cet arsenal, au besoin, pour l’enrichir et le moderniser. Cet arsenal, en liaison directe ou indirecte avec le secteur des TIC et de l’Internet (avec, entre autres, la question de la confiance numérique) comporte, pour l’essentiel, les textes ci-après.

L’arsenal juridique sur la confiance numérique au Maroc

Libéralisation du secteur des télécoms : Loi 24-96 relative à la poste et aux télécommunications (7 août 1997) qui a introduit la concurrence. Depuis la libéralisat- tion de la téléphonie mobile, l’octroi de licences à des opérateurs satellitaires et la privatisation de l’opérateur historique ont été ses principales réalisations. Loi 55-01 modifiant et complétant la loi 24-96 relative à la poste et aux télécommunications (4 novembre 2004) : pour encourager les investissements, rationaliser l’utilisation des infrastructures existantes et promouvoir la recherche dans le secteur. Droits d’auteur : Loi 2-00 relative aux droits d’auteur et droits voisins (15 février 2000). Loi 34-05 modifiant et complétant la loi 2-00 relative aux droits d’auteur et droits voisins (2 mars 2006). Libéralisation de l’audiovisuel : Loi 77-03 relative à la communication audiovisuelle (7 janvier 2005) diagnostic global et analyse sectorielle 239

Cybercriminliaté : Loi 07-03 complétant le code pénal, relative à l’atteinte aux systè-m mes de traitement automatisé des données (11 novembre 2003) Cyber-lois : *Loi 53-05 sur l’échange électronique de données juridiques (30 novembre 2007) *Loi 35-06 instituant la carte nationale d’identité électronique (30 novembre 2007) + Décret d’application 2-06-478 (25 décembre 2007) *Décret 2-05-1369 fixant les règles d’organisation des départe-m ments ministériels et de la déconcentration administrative (2 dé-c cembre 2005) *Articles 115 et 178 du livre d’assiette et de recouvrement institué par l’article 6 de la loi de finances n°35-05 pour l’année budgétaire 2006 promulguée par le dahir n°1-05-197 du 26 décembre 2005. *Arrêté du ministre des finances et de la privatisation n°2623-06 du 7 novembre 2006 fixant les conditions de mise en œuvre d’une procédure de télé-déclaration et de télépaiement de la taxe sur la valeur ajoutée. B.O. n°5480 (7-12-2006) *Articles 155 et 169 du code général des impôts institué par l’ar-t ticle 5 de la loi de finances n°43-06 pour l’année budgétaire 2007 promulguée par le dahir n°1-06-232 du 31 décembre 2006 *Arrêté du ministre de l’économie et des finances n°1214-08 du 17 juillet 2008 fixant les conditions de mise en œuvre d’une procé-d dure de télé-déclaration et de télépaiement de l’impôt sur les so-c ciétés. B.O. n°5662 (4-9-2008) *Décret n°2-09-165 d’application de la loi 09-08 relative à la pro-t tection des personnes physiques à l’égard des traitements des don-n nées à caractère personnel *Décret n°2-08-518 d’application de la loi n°53-05 relative à l’échange électronique des données juridiques * Décret n°2-08-444 instituant le Conseil national des TI et de l’économie numérique 240 dialogue national - media et societe

Tout compte fait, le Maroc a engrangé nombre de choix dans les politiques de l’État, d’infrastructures, d’outils économiques, législatifs et réglementaires qui, dans leur ensemble, sont bien à même de lui donner la capacité de relever valablement le défi de la « société de l’information » et d’anticiper sur son futur au niveau de tous ces registres, à l’aune de la meilleure intégration possible du pays à la société mondiale du savoir et de l’infor-m mation. Sous réserve que les politiques publiques s’engagent de manière plus volontariste dans quatre grands chantiers : • la permanente imagination anticipatrice et critique des encadrements législatifs, réglementaires et d’autorégula-t tion, avec souci constant de prospective ouverte sur l’aven- nir afin de s’approprier le futur au présent, de s’y préparer à temps et à l’aune des meilleurs standards et pratiques éprouvés et recommandés à l’échelle internationale par référence aux valeurs des libertés démocratiques et des caractéristiques de l’État de droit ; • Privilégier dans les politiques et programmes de l’État l’accès universel aux TIC et à l’Internet au profit de tous les citoyens et citoyennes, sans que les programmes sec-t toriels, comme ceux conduits en ce moment, notamment en direction du monde de l’enseignement, n’accaparent trop les moyens et les efforts de l’État au détriment de cet objectif stratégique d’équité et d’inclusion de tous les Marocains dans le monde numérique et cybernétique… Les prévisions de l’État de mettre en place, dans le cadre de « Maroc numéric 2013 » quelque 400 centres d’accès collectif aux NTIC, dans différentes régions du Maroc, ne traduit pas une politique d’un grand volontarisme par rapport à l’objectif de réduire au plus vite la « fracture numérique » nationale; • Mettre à niveau le champ médiatique national dans le re-c cours au numérique et aux TIC, l’appuyer dans ce sens par des politiques publiques qui intègrent cet important acteur dans la stratégie nationale de le société de l’infor-m diagnostic global et analyse sectorielle 241

mation qui, sans l’inclusion des médias et de leurs pro-f fessionnels, serait sérieusement handicapée pour atteind- dre ses objectifs stratégiques dont la généralisation des TIC et de leur culture à toute la population quotidienne-m ment exposée aux médias et à leur symbolique de culture et de pratiques comportementales… Les médias étant le meilleur vecteur pour disséminer la culture du numér- rique, des TIC, de l’Internet et d’en encourager les usag- ges, l’innovation, la créativité, la confiance, notamment auprès des jeunes. Les jeunes qui, comme l’atteste clair- rement notre enquête nationale, sont majoritairement utilisateurs d’une panoplie de supports numériques et de TIC, ce qui souligne la nécessité pour le Maroc d’aider à un fort développement de médias électroniques et de TIC pour cette majorité de sa population, c’est-à dire près des deux tiers de nos concitoyens…

Équipements médiatiques utilisés individuellement par les jeunes

Disponibilité/ Oui Non NSP Total équipements FR % FR % FR % FR % Types/équipements Ordinateur portable 124 13,8 765 85 11 1,2 900 100 Ordinateur de bureau 102 11,3 785 87,2 13 1,4 900 100 I-POD 109 12,1 745 82,8 46 5,1 900 100 Lecteur MP3 293 32,6 590 65,6 17 1,9 900 100 Téléphone portable 770 85,6 123 13,7 7 0,8 900 100 Console/jeux vidéo 80 8,9 806 89,6 14 1,6 900 100

• Conduire une stratégie publique, à long terme, de forma-t tion (initiale et permanente) de tous les profils des prof- fessionnels des médias, en matière de technologies num- mériques et de leurs diverses applications, dans les for-m mes et les contenus des produits médiatiques, avec une standardisation de cursus et de modules faisant obligat- 242 dialogue national - media et societe

tion d’en respecter un minima aussi bien par les écoles et instituts, publics et privés, que par les entreprises médias publiques et privées.

Les médias nationaux à l’heure des nouveaux supports et TIC 1. La presse écrite Le Maroc s’est relié au réseau internet fin 1995 et a lancé alors le site Web du Ministère de la communication « Mincom », 1er site institutionnel du gouvernement. La présence du Maroc et des Marocains sur internet s’est développée rapidement au fil des années dans le secteur privé et parmi les universitaires. Mais les médias n’ont pas suivi le mouvement et ne se sont int- téressés au journalisme en ligne et nouveaux médias qu’à partir de l’an 2000, en un mouvement dispersé, bien plus soutenu et précoce chez les titres francophones, périodiques d’abord puis quotidiens, que chez leurs confrères arabophones, quotidiens en premier. Dix dix ans après, le paysage médiatique est globalement animé encore par la logique de la vieille logique de la presse papier, les « pure players » étant encore un petit nombre et bien peu visib- bles sur la toile, c’est-à-dire, le nouveau kiosque des journaux, virtuel celui-là . Chez les journalistes, la première tendance dans l’accès à l’In-t ternet fût l’usage du courrier électronique. Certains médias ont franchi le pas pour lancer des versions électroniques de leurs journaux. Ce fût le cas, à titre de pionniers, de et de l’Économiste. Cette première tendance a donné naissance à des sites web qui ne font, à ce jour, que reprendre l’intégral- lité ou une partie de la version papier en format PDF ou web mais toujours avec un décalage d’une journée ou une semaine en fonction de la périodicité de chaque support. En l’an 2000, le Ministère de la Communication lance une exp- périence pilote de son quotidien officiel « Al Anbaa » sur intern- net en capitalisant sur l’équipe éditoriale qui était en charge de la version papier .Une expérience qui n’a pas pu avoir long feu diagnostic global et analyse sectorielle 243 malgré l’importance des investissements financiers et techniq- ques ainsi que les moyens humains dédiés au projet. Par la suite le phénomène de développement de contenu en li-g gne a pris de l’importance au fil des années avec un décalage d’appropriation entre les médias francophones et arabophones. Au niveau des portails d’information, une des expériences qui ont marqué le web marocain est le portail « Menara.ma » qui, avant d’être racheté par l’opérateur public « », fût l’initiative privée qui a pu, dès 1999, investir dans la fournit- ture de contenu hors le périmètre traditionnel des médias class- siques. Aujourd’hui, la majorité des médias marocains ont un site web, mais très peu d’entre eux disposent d’une version électroniq- que dédiée spécifiquement en tant que support exclusivement électronique. Autrement dit, le web est toujours perçu comme un prolongement de la version papier, de la radio ou de la TV. Le niveau d’interactivité reste basique et se limite à de rares exceptions. De ce fait. Internet est perçu comme un nouveau support mais sans pour autant que les opérateurs développent une logique de canal de diffusion autonome avec une gestion et une équipe spécifique dédiée, avec des concepts de forme et de contenus propres à l’édition électronique et à ses propres car- ractéristiques comme l’instantanéité ou l’interactivité, encore moins l’activité e.commerciale qu’elle permet. Cette attitude d’approche basique du canal « web » résulte, selon plusieurs directeurs de publications, de l’absence d’un modèle économique pour diffuser l’information sur internet au Maroc. La gratuité est le seul modèle actuellement en vigueur, puisque si pour le cas de la presse écrite, les journaux sont payants dans le kiosque, la version électronique, quant à elle est gratuite par défaut. Seul le quotidien « Aujourd’hui le Maroc » (ALM) s’est aventuré à ce jour pour explorer les atouts de vente en ligne : il offre à ses utilisateurs, outre l’information gratuite disponible en ligne, un nouveau module d’abonnement à son journal élect- tronique. L’édition électronique payante permet la consultation 244 dialogue national - media et societe enrichie, et l’affichage interactif donne l’illusion de lire un jour-n nal papier. Ce produit est disponible en avant première chaque soir sur l’espace abonné à partir de 18h dans son intégralité. En fonction du pack choisi, les prix varient entre 130 et 450 DH. Les internautes peuvent ainsi lire, feuilleter, zoomer, télécharg- ger, imprimer le journal et consulter les éditions archivées. Ex-p périence sans aucun retour d’expériences encore au niveau du volume des abonnements et de la consommation, néanmoins, l’offre d’ALM a le mérite d’exister et marque un tournant dans l’intérêt de certains groupes de presse pour tester l’opportunité de micro-paiement et l’abonnement en ligne. Sur le plan organisationnel, très peu de rédactions disposent de ressources qualifiées en mesure d’animer des mises à jour en temps réel du contenu de leurs sites web. Les expériences timid- des de certains supports révèlent le caractère embryonnaire de l’approche « journalisme en ligne & nouveaux médias». Le déc- calage des éditeurs ou opérateurs médias par rapport à ce nouv- veau média fait que généralement, la mise à jour, par exemple, est confiée à un journaliste « placardé », comme une punition qui ne dit pas son nom, ou bien à de jeunes animateurs début- tants, sinon, à un simple technicien sommé d’assurer la tâche fastidieuse de publier en ligne les fichiers PDF ou HTMEL des différentes rubriques du journal de la veille, le journal papier..! Ceci dit, la dynamique de publication sur Internet n’est pas l’apanage seulement des médias traditionnels. Depuis 1998 et jusqu’à présent, plusieurs projets web ont vu le jour. C’est le cas, à titre indicatif des portails Menara, (ex Wanadoo), Emarr- rakech, Yabiladi, Elajdida.ma, et les deux derniers app- parus en 2011 : Lakome et Goud (lancé par des anciens de l’heb-d domadaire –papier- « Nichane » du groupe « Tel Quel »). Fait intéressant dans l’expérience marocaine : à partir de 2006, surtout, une vague de médias en ligne régionaux a pu se dével- lopper, notamment à Nador, Oujda et Erradichia, en plus de Marrakech déjà. Certes, il ne s’agit pas d’entreprises de presse au sens traditionnel, mais ces expériences, sont le plus souvent diagnostic global et analyse sectorielle 245 l’œuvre d’équipes d’éditeurs réduites et réussissent à développ- per une démarche de proximité dans le traitement de l’informat- tion, apparemment bien plus attractive que les pages régionales de la presse papier nationale de Casablanca ou de Rabat. C’est là une voie bien prometteuse de développement des nouveaux médias, sous réserve d’une mise à niveau au plan de la forma-t tion des ressources humaines qui s’y adonnent et sous réserve de l’imagination d’un modèle économique qui soit viable pour le cas d’espèce, avec certainement des politiques publiques d’app- pui et d’aide. Aujourd’hui, et sur la base de retour d’expériences de plusieurs projets éditoriaux sur le Web, une entreprise de presse électron- nique au Maroc n’est généralement pas viable économiquement. Les investissements publicitaires en ligne restent faibles, d’où la difficulté de l’émergence d’entreprises de presse en ligne, des « pure players ». La configuration des projets web actuellement au Maroc comprend deux catégories : Une première catégorie de sites d’informations édités par des entreprises qui fournissent d’autres prestations pour soutenir l’activité gratuite d’information. Ces entreprises se positionnent généralement dans la fourniture de services de développement web, l’hébergement, la vente de noms de domaine, la formation dans le domaine des nouveaux médias, Internet et le multimé-d dia en général. Certaines commencent à générer des revenus publicitaires, mais le volume n’est pas encore en mesure de leur assurer une viabilité tangible. Une deuxième catégorie, regroupe des médias traditionnels qui se positionnent sur Internet et s’adonnent, avec un manifeste amateurisme, au journalisme en ligne avec une logique de prés- sence basique, peu attractive pour les jeunes par exemple... Ces médias se contentent de dupliquer leurs contenus sans prendre en considération les spécificités d’écriture multimédia. Ainsi, l’investissement dans la version électronique est perçu comme un centre de coût, qu’on semble supporter pour la supposée vi-s sibilité que cette présence sur la toile offre au titre papier, d’où 246 dialogue national - media et societe la faiblesse de la qualité de présence de plusieurs médias tradi-t tionnels sur Internet et les nouveaux médias. En témoignent les habitudes déclarées des 900 jeunes interrogés par notre enquête nationale et qui ne témoignent pas d’une grande attractivité de ces éditions électroniques des titres de la presse nationale, mais il reste que l’avenir au Maroc est pour la presse électronique, comme en atteste la tendance partout dans le monde84 :

En somme, le kiosque national, toutes périodicités confondues, est encore profondément ancré dans la logique d’hier, la logique de l’édition papier, conçue et trônant comme l’édition-mère, l’édition « officielle » ou « attitrée », à laquelle on adjoint une « copie » subsidiaire, à des fins de visibilité essentiellement, et avec laquelle on ne fera pas preuve d’extrême rigueur au

84 - Pour la 1ère fois aux Etats-Unis, le nombre de lecteurs de la presse en ligne a dépassé le nombre de lecteurs de la presse papier. Selon le dernier rapport du ‘‘Pew Research Center’s project for excellence in journalism’’ (2011), 46% des américains disent s’informer au moins 3 fois par semaine sur Internet. Ils ne sont que 40% à déclarer lire des journaux sur papier. Toujours selon la même source, en 2010, la publicité des journaux papier est estimée à 22,8 milliards de dollars, alors que celle sur Internet a atteint 25,8 milliards de dollars. diagnostic global et analyse sectorielle 247 plan du contenu comme au plan des règles professionnelles et déontologiques85.

2. L’Agence de presse : La MAP L’Agence officielle, de par son Dahir de 1977 (notamment son article 2), est parmi les organismes médiatiques qui ont investi très tôt dans le web, après avoir bénéficié, début des années 80, du Programme International de Développement de la Commun- nication (PIDC) de l’UNESCO pour réaliser, comme premier média au Maghreb et 1ère agence arabe, son passage à l’informa-t tisation de son processus de production et de diffusion. Plus de vingt ans après son informatisation, la MAP offre une partie de son fil gratuitement sur son site www.map.ma en six langues : arabe, français, espagnol, anglais, chinois et japonais. Un relift- ting de son site a été opéré au courant de l’année 2010 avec l’in-t tégration de contenus multimédia (photo, vidéo) et de dossiers thématiques. A noter aussi que la MAP est le seul organisme médiatique au Maroc qui dispose d’un canal de news par SMS. Certes, la mise à jour est aléatoire et irrégulière et le service est toujours dans une phase expérimentale, mais au moins, il s’agit d’un embryon

85 - En France, le prestigieux hebdomadaire, « le Nouvel Observateur » a donné en 2008 une preuve de cette légèreté de gouvernance que les médias traditionnels réservent à leurs éditions électroniques : l’hebdomadaire publia sur son site web le contenu d’un prétendu SMS envoyé par le Président Sarkozy à son ex épouse Cecilia, ce qui s’avéra faux et contraint les principaux responsables du journal à présenter leurs excuses au Président et à sa deuxième épouse Carla…Le directeur, Jean Daniel reconnut dans nombre de déclarations que lui et son équipe ne réservaient pas la même vigilance professionnelle et déontologique à ce qu’ils diffusent sur leur site, comparativement à ce qu’ils insèrent dans leur édition papier…S’excusant pour cette « dérive », il écrivit dans un éditorial (13 Février 2008) : « De nombreux lecteurs partagent cette indignation et s’alarment devant notre «dérive». La «dérive», c’est l’affirmation sur notre site internet – et non dans l’hebdomadaire -, par l’un de nos journalistes, que le président de la République était prêt, quelque temps avant son mariage, à en annuler les cérémonies à la condition que son épouse précédente, dont il venait de divorcer, revienne à lui. C’était loin d’être en conformité avec notre éthique. Cela ne l’a jamais été ». Pour le commentateur bien connu, Alain Duhamel, « La difficulté du problème - et la responsabilité spécifique du Nouvel Observateur -, c’est qu’Internet se prête tout naturellement à ces effeuillages réels ou imaginaires, que les sites leur assurent une publicité instantanée et un retentissement d’autant plus fort que la transgression est plus neuve, et que le nombre de connexions s’accroît proportionnellement à la rumeur de scandale qui se propage. Si cela se produit sur le site d’un hebdomadaire aussi prestigieux et aussi passionné d’éthique, c’est sans doute que l’invasion déferle ». 248 dialogue national - media et societe dans l’exploration du potentiel de l’information par le mobile surtout dans un marché marqué par un taux de pénétration qui avoisine les 100%. Sur un autre registre, l’Agence a exploré la distribution web payante de ses services et surtout son fil d’information à part- tir de début 2000. D’ailleurs, les dépêches de la MAP sont aujourd’hui l’une des premières sources d’informations les plus importantes parmis les médias marocains y compris les portails et sites internet. Abstraction faite de l’état actuel du site de la MAP, il n’en dem- meure pas moins que l’Agence a une approche fonctionnelle d’Internet. Une sorte de vitrine du contenu produit pour le fil « traditionnel ». L’Agence n’a pas encore réussi à disposer d’une vision stratégique dédiée à internet avec une approche organi-s sationnelle permettant de fournir du contenu en ligne directem- ment sans subir les pesanteurs traditionnelles d’acheminement de l’information via le fil officiel d’abord, conçu selon les canons habituels d’une dépêche d’agence classique destinée à la presse papier. Outre le retard enregistré sur la convergence, puisque la logi-q que qui prédomine sur le site de la MAP est « textuelle » au dét- triment de la photo et de la vidéo, encore marginales et juste illustratives de textes, l’Agence ne dispose pas de présence sur les réseaux sociaux tels que Face book. Cependant, en 2011, un compte Twitter a été lancé avec une mise à jour aléatoire et qui consiste, le plus souvent, en une simple duplication de titrailles ou « leads » de dépêches du « fil » principal de l’agence! (http:// twitter.com/map_maroc).

3. L’audiovisuel Comparativement à la presse écrite, les médias audiovisuels, surtout les portails de 2M et de Medi 1 ont marqué l’expérience du contenu web au Maroc. La maturité de l’expérience de public- cation en ligne de contenu multimédia et audio a permis à ces diagnostic global et analyse sectorielle 249 deux sites web de fournir très tôt une partie de leurs contenus sur internet. Certes, l’investissement « à perte » dans les projets web par certains médias audiovisuels résulte en partie du niveau de la santé financière de ces médias. La mise en ligne d’un site web multimédia est perçue comme un prolongement de communic- cation, mais sans pour autant arriver à un niveau de complém- mentarité. Le web est perçu comme une vitrine qui reproduit le contenu diffusé sur antenne (radio ou TV). C’est dire que malgré la maturité de la diffusion en ligne des médias audiovisuels, In-t ternet n’est pas partie intégrante de la stratégie de production d’un contenu spécifique pour ce canal qui commence à s’impos- ser avec force sous l’effet de la convergence, phénomène devenu inévitable pour les médias du monde entier, au Nord comme au sud. Parallèlement, l’ouverture de l’espace hertzien a entraîné l’ex-p plosion du nombre de radios. Un phénomène positif marque cette ouverture, dans la mesure où le lancement des radios a coïncidé généralement avec la mise en ligne simultanément du contenu sur internet. La majorité des radios marocaines dispos- sent d’un site web avec la possibilité d’écouter leurs programm- mes en direct sur internet. Certaines même ont investi dans des plates-formes d’accès mobile. C’est le cas, à tire d’exemple, de Luxe Radio (http://www.anaka.ma/) qui a lancé une application Iphone téléchargeable sur l’Appstore de Apple. 250 dialogue national - media et societe

Liste des principaux Médias en ligne au Maroc

CASA FM Radio MFM ORIENTAL Radio MFM SAHARA Radio Chada FM Radio www.chadafm.net Radio Plus Marrakech Radio www.radioplus.ma Radio Plus Agadir Radio www.radioplus.ma Cap Radio Radio www.capradio.ma LUXE RADIO Radio Radio MARS Radio Radio MED Radio Presse écrite Akhbar Alyoum www.akhbar.press.ma Arabe et Internet Presse écrite Al Alam www.alalam.ma et Internet Presse écrite Al Haraka www.harakamp.ma et Internet Presse écrite Al Ittihad Al Ishtiraki www.alittihad.press.ma et Internet Presse écrite Assahra Al Maghribia j www.almaghribia.ma et Internet Presse écrite Al Massae www.almassae.press.ma et Internet Presse écrite Al Mountakhab www.almountakhab.com et Internet Presse écrite Annoukhba www.annoukhba.com et Internet Presse écrite Assabah www.assabah.press.ma et Internet Presse écrite Attajdid www.attajdid.info et Internet Presse écrite Al Ahdath Al Magribia www. al ahdath.ma et Internet Presse écrite Al Bayane www. al bayane.ma et Internet Presse écrite www.bayanealyaoume.ma et Internet Presse écrite Actuel www.actuel.ma Français et internet Presse écrite Au fait www.aufaitmaroc.com et internet Presse écrite Aujourd>hui Le Maroc www.aujourdhui.ma et internet diagnostic global et analyse sectorielle 251

Presse écrite Autonews www.autonews.press.ma et internet Centre Marocain de Presse écrite www.conjoncture.ma Conjoncture (CMC) et internet Presse écrite Conjoncture www.cfcim.org et internet Presse écrite www.lejournaldetanger. Journal de Tanger et internet com Presse écrite L>Économiste www.leconomiste.com et internet Presse écrite www.lagazettedumaroc. La Gazette du Maroc et internet com Presse écrite INFO MAGAZINE www.infomagazine.ma et internet Presse écrite ITMaroc.com www.itmaroc.com et internet Presse écrite Libération www.libe.ma et internet Presse écrite MAP www.map.co.ma et internet Maroc Hebdo Presse écrite www.maroc-hebdo.press.

International et internet ma Presse écrite w w w . Morocco Business News et internet moroccobusinessnews.com Presse écrite Le Matin www.lematin.ma et internet Presse écrite La Marocaine www.lamarocaine.com et internet Presse écrite North Africa Journal www.north-africa.com et internet Presse écrite www.lanouvelletribune. et internet com Presse écrite L>Observateur.ma www.mybrowserbar.com et internet L>Observateur de Presse écrite www.ode.ma l>Entreprenariat et internet Presse écrite L>Opinion www.lopinion.ma et internet Presse écrite La Vie Eco www.lavieeco.com et internet Presse écrite Sodipress www.sodipress.com et internet Presse écrite TelQuel www.-online.com et internet Menara Internet www.menara.ma 252 dialogue national - media et societe

4. Journalisme citoyen : Blogosphère & réseaux sociaux L’évolution technologique a marqué la fin du monopole des journ- nalistes et des médias en tant que fournisseurs principaux et exclusifs de l’information. Avec le développement des blogs, des micro-blogs (Twitter) et les réseaux sociaux, la donne a changé. Ces nouveaux médias ont permis l’explosion du phénomène de journalisme du citoyen ou du « Net-citoyen ». Au Maroc, le phénomène des blogs a commencé son développem- ment à partir de 2004. L’année 2006 a constitué l’année d’exp- plosion par excellence sous l’effet de la généralisation de l’accès internet notamment l’internet haut débit (ADSL). Au départ, la majorité des blogs étaient en langue française, au fil des années, les plates-formes de blogging ont enregistré la multiplication des blogs en langue arabe. Que ce soit en français ou en langue arabe, les blogs et les podc- casts via You tube et Dailymotion ont permis l’émergence d’un journalisme de citoyens et amateur proactif. Ces outils de comm- munication interactifs ont significativement élargi le nombre de sujets dont les marocains peuvent discuter en dehors des méd- dias traditionnels qu’ils soient publics ou privés. Ce mouvement d’information alternative venu d’internet a amen- né les médias traditionnels à traiter de sujets auparavant tabous, comme la corruption, la monarchie, la condition de la femme… L’année 2008 a marqué un tournant dans cette dynamique d’in-f formation avec le boom des réseaux sociaux, principalement Face book. Les internautes qui ont raté la vague des blogs, ont profité de cette nouvelle tribune pour s’exprimer à travers les pages Face book et leurs murs sur les faits marquants de la soc- ciété : politique, grève, phénomènes sociaux, monarchie, islam… D’ailleurs, Face book a enregistré une croissance fulgurante au niveau du Maroc. Le Royaume comptait en Mars 2011 plus de 3,5 millions d’utilisateurs actifs sur ce réseau social qui fédère plus de 600 millions utilisateurs à travers le monde. On estime que le taux de pénétration de face book dépasse les 12% avec un ratio de 62% pour les hommes, contre 38% pour les diagnostic global et analyse sectorielle 253 femmes. La tranche d’âge 18/24 ans est dominante avec plus de 40% de «face bookers» actifs. Historiquement, le site est né à Harvard en tant que réseau social fermé des étudiants de cette prestigieuse université qui y publiaient leur album photo, d’où son nom (face book ou «trombinoscope» en français). Par la suite, ses fondateurs l’ont ouvert aux autres universités puis au grand public à partir de mai 2007. Concrètement, Face book est un réseau social qui permet à ses utilisateurs de poster des informations personnelles (état civil, photos, études et centres d’intérêt ...) et d’interagir avec d’autres utilisateurs. Ces informations permettent aux membres de re-t trouver les utilisateurs partageant les mêmes centres d’intérêt qu’eux et de créer des groupes thématiques. Plus intéressant encore, l’interaction permet à chaque mem-b bre, sans nécessairement disposer d’un savoir-faire technique, d’échanger avec son «réseau social virtuel» des messages, du contenu multimédia (image et son). Une kyrielle d’applications gratuites est mise à disposition par d’autres développeurs pour permettre à chaque utilisateur de les intégrer à son espace vir-t tuel (compteur de statistiques, films favoris, livres lus....). Dans notre enquête nationale nous avons demandé aux jeunes de noter entre 1 et 10 la fréquence de leur usage du Net pour spécifiquement participer à ces réseaux sociaux : 254 dialogue national - media et societe

Dans la liste des 20 premiers sites visités par les Marocains, Hespress a fait son entrée et se positionne à la 12ème place. Le tableau ci-dessous indique ces vingt premiers sites : Rang Maroc

1 Face book 2 Google.co.ma 3 You tube 4 Google 5 Windows Live 6 Google.fr 7 Yahoo! 8 Kooora 9 MSN 10 Star Times 11 Wikipédia 12 Hespress 13 Conduit.com 14 XNXX Galleries 15 Maroc Telecom 16 Travian.ma 17 Comment ça marche 18 Maktoob.com 19 Inwi.ma

Source : alexa.com (données modifiées chaque jour, en fonction des clics) diagnostic global et analyse sectorielle 255

Sur un autre registre, Twitter, le site de référence de micro-blogg- ging avec 140 caractères par message semble séduire de plus en plus les internautes marocains : 400.000 utilisateurs en Mars 2011. Si jusqu’à présent, Twitter s’est imposé au fil des mois comme un outil de communication interactif, c’est parce qu’il est aujourd’hui le moyen le plus facile et plus accessible pour poster une information et recueillir des réactions. C’est un outil de micro-blogging de réseaux sociaux qui permet à ses utilisat- teurs d’envoyer des messages (tweets) a une liste d’amis, il est accessible à partir d’ordinateur ou/et de téléphone portable qui permet d’informer une liste de personnes des actions du mo-m ment (conférence, meeting, manifestation de rue, concert…). Twitter a séduit déjà les particuliers et les activistes du champ politique. Il était au cœur de la course aux présidentielles aux USA puisque Barak Obama l’a utilisé d’une manière intense pour communiquer sur son programme mais surtout pour sa levée de fonds nécessaires au financement de sa campagne élect- torale. Plus récemment, cet outil de micro-blogging était un vecteur de communication pour couvrir et répercuter, dans la large planète des médias du monde entier, traditionnels et nouveaux, les ma-n nifestations post-électorales en Iran et les mouvements de prot- testations en Tunisie, en Égypte, en Jordanie, en Algérie, au Yém- men, au Bahreïn, en Libye, à Oman, en Mauritanie, au Maroc… Ce phénomène web commence à attirer l’attention des profess- sionnels de l’information. Les médias sont les premiers utilisat- teurs qui ont adopté ce nouveau-né de la toile. C’est le cas, à titre indicatif, de CNN, BBC, Al Jazzera, Al Arabia, France 24, AP, AFP et autres en Asie, en Amérique latine, qui utilisent ce canal pour annoncer des alertes et news fraîches. Au Maroc, certains médias ont franchi le pas : la MAP, Au Fait, Yabiladi…Le succès de Twitter ne se limite pas à la publication de news et des flashs. Son moteur de recherche http://search.twitter.com est un outil privilégié de veille, en premier lieu pour les journalistes86.

86 - Début Mars 2011, on apprenait que grâce à un récent « placement d’actions, Twitter s’est valorisé à 7,7 milliards de dollars, soit 2 fois plus que la valorisation sous-tendue par une 256 dialogue national - media et societe

Néanmoins, l’usage du Twitter est encore au stade embryon-n naire au Maroc. Après la communauté des blogueurs «Blogom- ma», c’est une nouvelle communauté qui est en construction « la Twittoma». Elle est jeune et sa caractéristique principale c’est qu’elle est animée par des jeunes «geeks» très liés au secteur des TIC. Comme on le voit donc, la majorité de la population marocaine, c’est-à dire la jeunesse, est foncièrement, et de plus en plus maj- joritairement, tournée vers les nouveaux médias, vers les TIC précisément, avec l’Internet et les réseaux sociaux et les divers supports, canaux et plateformes qu’il offre à tout citoyen ou groupe de citoyens qui y accèdent. Alors qu’en face, nos médias nationaux (presse, agence, radios et télévisions) s’y engagent, soit timidement, soit avec des projets ou initiatives inadaptées, limitées, parce que fondamentalement inspirées par une culture ante-ère numérique, d’avant l’ère du cyberespace. Face à ces deux acteurs, la jeunesse connectée au cyberespace et nos médias traditionnels, l’État semble ne pas dimensionner les enjeux de ce nouveau monde à leur juste mesure par rapp- port aux attentes de la société (majoritairement jeune) ni aux défis véritablement civilisationnels que ces technologies de l’in-f formation, de la communication et du savoir, recèlent pour le développement et le futur du pays, aux plans politique, économ- mique, social et culturel, que le Maroc soit pris isolément ou qu’il soit abordé dans les prolongements de ses environnements géopolitiques et culturels (Afrique, Monde Arabe, bassin médi-t terranéen) ou qu’il soit encore appréhendé dans la globalité de la société de l’information mondiale. Par conséquent, il est impératif que, d’une part, l’État redimens- sionne les objectifs de ses politiques dans ce vaste secteur des nouveaux médias et TIC, en déployant une réforme globale et profonde de toutes ses interventions, mécanismes et prérogativ- précédente levée de fonds en décembre 2010. Les investisseurs intéressés ont accepté de payer 34,50 dollars par action Twitter lors du dernier placement mené par Sharespost, une Bourse d’échange pour les actions de sociétés non cotées en Bourse. diagnostic global et analyse sectorielle 257 ves dans le domaine. Le Maroc doit profiter de l’opportunité des nouveaux médias pour encourager l’émergence d’une industrie de la société de savoir. L’enjeu d’appropriation des technolog- gies de l’information et des nouveaux médias ne se limite pas aux médias au sens traditionnel, il transcende d’une manière transversale tous les secteurs de l’édition et la production de contenu. Le numérique est ainsi un passeport privilégié pour la croissance. La presse écrite, la presse audiovisuelle et les nouv- veaux médias doivent investir dans l’économie du numérique pour toucher de nouveaux lecteurs (internautes & mobinautes). Y investir d’une manière volontariste sans le considérer comme un centre de coût, mais plutôt comme un choix d’investissement dans le futur de long terme. A défaut d’un modèle économique viable, seuls les pouvoirs publics et les acteurs du système éducatif peuvent contribuer à l’émergence d’une culture de « nouveaux médias » et former les acteurs qui prendront part à la dynamique de la publication en ligne à travers les différents canaux : web, mobile, smartpho-n ne…L’avenir des nouveaux médias dépend de plusieurs interven- nants. La mise en œuvre d’une stratégie volontariste est tribut- taire d’une approche participative et transversale des différents acteurs, tels que : l’autorité de régulation l’ANRT, la HACA, le Ministère de la Communication, celui de l’Enseignement Supér- rieur et de l’Éducation Nationale, celui de la Culture, en plus du ministère de l’industrie, du commerce et des nouvelles technol- logies et du Ministère des finances à qui reviendrait le rôle décis- sif d’accompagner de manière volontariste et imaginative toutes les politiques sectorielles de promotion, de développement et de modernisation de ce champ crucial pour le Maroc de demain. Les organismes représentatifs des secteurs des médias, en l’occ- currence le SNPM et la Fédération marocaine des Éditeurs de Journaux (FMEJ) doivent être au cœur de cette dynamique de promotion des nouveaux médias et non pas des forces de résist- tance. Une démarche d’anticipation de leur part est l’alternat- tive nécessaire pour encourager l’écosystème de changement à 258 dialogue national - media et societe même de permettre au Maroc de s’approprier les technologies de l’information pour mettre à niveau son système médiatique et jeter les bases d’une société de savoir participative et démo-c cratique. La série de mesures proposées dans ce rapport peut paraître imprégnée par une logique « d’assistanat ». Or, le Maroc doit investir dans l’avenir et non pas rester prisonnier d’une logique de court terme basée sur l’équation « dépenses/recettes ». Les pouvoirs publics et particulièrement le système éducatif ont in-t térêt à investir dans la nouvelle économie des médias s’ils veu-l lent faire du Maroc un hub régional à fort valeur ajoutée et créer de l’emploi dans les métiers des nouveaux médias, secteur fort attractif par nature pour la jeunesse de ce pays si handicapée et menacée par le chômage et le sous-emploi. diagnostic global et analyse sectorielle 259

LE SECTEUR DE LA PUBLICITÉ Dans le domaine des médias, la publicité est un élément essent- tiel de ce droit de choisir dans une économie de concurrence. Les rapports entre médias et publicité sont de nature ambiguë et complexe : pour la presse et les autres médias, la publicité est une ressource alors que pour les annonceurs, elle est un in-v vestissement. Si les intérêts des deux protagonistes convergent souvent, ils ne se confondent pas cependant, car l’un est au serv- vice du public et l’autre au service des producteurs. C’est dire combien sont fortes les liens réciproques entre les deux acteurs qu’illustre l’intégration réussie de la publicité dans le paysage médiatique de plusieurs pays. La publicité est omniprésente dans tous les médias, elle est devenue un partenaire essentiel, joue un rôle prépondérant dans le financement des médias. Tous deux forment un couple indissociable, traversant des périodes de crise et entretenant parfois des relations conflictuelles. L’un des faits majeurs des prochaines années peut être marqué par deux phénomènes : la montée en puissance de l’Asie Pacifique dopée par la croissance exponentielle du marché chinois d’une part, et la croissance de la publicité en ligne qui pèse désormais plus que le segment de la publicité affichage et radio comme le montre le graphique suivant :

Symbole de la société de consommation, la publicité fait de plus en plus partie intégrante de l’économie du marché. C’est un 260 dialogue national - media et societe rouage important de l’économie et elle participe puissamment à son développement. Elle crée des marques, elle les fait vivre, elle contribue à mettre en relation l’industrie et les services et leurs consommateurs. Elle est l’émanation d’un type d’organisa-t tion sociale caractéristique des pays industrialisés qualifiée par certains théoriciens de “ démocratie mercantile ”. Par la multi-p plication de l’offre qu’elle permet, par la diffusion de l’informat- tion économique et par sa contribution à la “ transparence ” des marchés, elle facilite l’accès du consommateur aux produits et aux marques à un plus grand choix. Elle est considérée par M. Dagnaud comme : “ Fille de l’économie de marché, chantre de l’individualisme et du narcissisme de la petite différence, comp- plice de la communication de masse, elle symbolise une société où les actes de consommation, loin de se résumer à la satisfact- tion d’un besoin, incluent plaisir, projection, marque identitair- re, immersion dans les mythologies contemporaines”87. La publicité est un phénomène essentiellement occidental. Le gros des investissements publicitaires est détenu par les pays industrialisés. Les États-Unis arrivent en tête avec un marché en 2003 de plus de 148 milliards de dollars (45,7% du total mond- dial). Ce marché est quasiment le double de celui de l’Europe, 78 milliards (24% du total) pour près de 284 millions consommat- teurs aux USA contre près de 370 millions en Europe. Ces deux blocs sont suivis par l’Asie pacifique avec près de 64,5 milliards (19,9%) et l’Amérique du Sud avec 16,3 milliards (prés de 6% du total). Le reste du monde, qui regroupe la majorité des pays du Tiers-monde, détient à peine 3%, soit près de 12 milliards de dollars.

87 - Monique DAGNAUD, Enfants, consommation et publicité télévisée, op. cit. p. 7. diagnostic global et analyse sectorielle 261

Source : ZenithOptimedia Mais en raison de la crise financière qu’a connue le monde dep- puis 2008, les investissements publicitaires ont enregistré un recul dans la plupart des pays à l’exception de certains pays émergents. Au Maroc, chacun se rappelle des anciennes publicités qui pas-s saient à la télévision dans les années 70 et 80, et même les ann- nées 90. C’était plutôt des réclames, au sens primaire du terme. Les produits étaient soit alimentaires soit des produits de pre-m mière nécessité. Les supports médiatiques étaient limités : la tél- lévision unique (RTM), Médi1, le Matin et la Vie économique. Dans les années 90, un début de professionnalisation prend forme, avec l’émergence d’agences de communication, lesquell- les avaient plus de choix, avec l’apparition de 2M et de quelq- ques nouveaux médias, comme l’Économiste. Mais l’économie et la structure entrepreneuriale ne se prêtaient pas encore à une activité publicitaire massive. On peut avancer que ce sont les agences de communication, recrutant des profils de mieux en mieux formés à la publicité multi-support, qui ont véritablem- ment mis au jour les besoins de communication des entreprises. Mais c’est le processus de mondialisation qui a donné le coup d’envoi à une véritable politique de communication au sein des entreprises. Parallèlement, l’apparition, puis la multiplication de nouveaux supports de publicité ont encouragé et favorisé ce 262 dialogue national - media et societe mouvement. Ainsi, en matière de presse écrite, Maroc Hebdo et Le Journal ont rejoint les supports écrits déjà existants. Quant aux supports hors médias, ils ont fait leur première apparition avec les grands panneaux d’affichage lancés à la fin de ladéc- cennie 90 par FCcom, premier et dominant intervenant dans le secteur encore aujourd’hui. Au début des années 2000, TelQuel arrive sur le marché, presq- que simultanément à Économie & Entreprises, et ouvrant la voie aux autres, comme Assabah, Essor, M Magazine, Parade, et l’ensemble de titres féminins arabophones et anglophones. On ne sait pas, et on ne saura jamais, si c’est un besoin éditorial nouveau qui a été à l’origine de la création de ces titres, ou si c’est plutôt une activité publicitaire pléthorique qui nécessitait de nouveaux supports, en faisant naître au passage des voca-t tions éditoriales. Toujours est-il qu’au milieu des années 2000, la publicité battait son plein avec la fameuse triade publicitaire : téléphonie, automobile et immobilier, en plus de l’État qui est devenu résolument annonceur à travers ses ministères, ses offi-c ces, ses régies et ses entreprises publiques et semi-publiques.

Évolution des investissements publicitaires au Maroc (en M DH)

1988 1996 2001 2005 Montant PDM Montant PDM Montant PDM Montant PDM Télévision 106 53 290 38,67 640 32 840,01 30,27 Presse 30 15 98 13,07 254 12,7 295,26 10,64 Radio 24 12 45,5 6,07 102 5,1 110,72 3,99 Affichage 7 3,5 25,3 3,37 145 7,25 225,87 8,14 Cinéma 0,8 0,4 1,2 0,16 4 0,2 0.44 0,16 Total grand 167,8 83,9 460 61,33 1145 57,25 1 476,3 53,2 médias Total hors 32,2 16,1 290 38,66 855 42,75 1 298,7 46,8 médias Total général 200 100 750 100 2000 100 2 775 100

Source : Régie 3 diagnostic global et analyse sectorielle 263

En 2007, le chiffre d’affaires publicitaires tous médias dépassait les 2,5 milliards de DH, avec 500 millions de DH exclusivement dans la presse écrite. La répartition de cette manne se faisait inégalement entre télévis- sion, radios (entretemps libéralisées), affichage et presse écrite. Ainsi, les produits de base ou de première nécessité (CSP CDE) annonçaient sur les télévisions, les radios, en d’autres termes les supports audio-visuels, et l’affichage. Quant aux produits dest- tinés aux CSP A et B, ils allaient vers la presse écrite, essentiell- lement francophone, qui présentait une offre d’espaces impor-t tante. De 2005 à 2007, la presse écrite a connu ses meilleurs an-n nées, l’argent de la publicité coulant à flots ininterrompus et les journalistes étant de mieux en mieux payés. Durant la période faste de la publicité, certains journaux avaient même développé des stratégies de protection de leur indépendance à l’égard de l’État, agissant sur leurs services commerciaux pour réduire la part publique dans leur CA publicité et accroissant d’autant ce-l lui des privés, et surtout la part multinationales dans celui-ci. Ainsi, des périodiques comme TelQuel avaient une proportion de 70% environ de privés, et 30% de public, et dans la part pri-v vée, près de 60% du CA étaient commandés par des multination- nales. Cette politique, reprise plus tard par le Journal, puis par les arabophones, comme al Massae, permettait de sécuriser un CA publicité qui entrait environ pour 50 à 60% dans les ressourc- ces de ces entreprises. La structure du marché publicitaire au Maroc se distingue de celle des pays européens, par la prépondérance des investissem- ments via les médias qui représentent, en 2005, 53,2% du to-t tal des dépenses publicitaires réalisées au cours de cette année, contre 46,8% pour le hors média. La TV détient une place privi-l légiée puisqu’elle occupe la première place avec 56,9% des parts de marché médias et 32% du total des investissements public- citaires, suivi par la presse avec 20%. La structure du marché se caractérise aussi par des écarts significatifs entre différentes catégories de titres de la presse écrite. Le tableau ci-dessous 264 dialogue national - media et societe montre, à titre indicatif (à 10% près), le classement des titres de presse écrite qui viennent en tête au Maroc en matière de chiffre d’affaires publicitaire mensuel, en 2008 (en Dirhams) :

Périodique L’Économiste le Matin Telquel la Vie éco al Massae Assabah

CA pub 10.000.000 8.000.000 3.000.000 2.500.000 2.500.000 2.000.000

Trois enseignements peuvent être tirés de ce tableau : - La presse francophone dépasse de loin son homolog- gue arabophone, toutes périodicités confondues, en matière de CA publicitaire ; - La presse quotidienne, quelle que soit la langue, réalise des chiffres plus importants, et de loin, que la presse hebdomadaire. La raison de ceci se trouve dans le nombre de numéros au mois, plus importants dans le quotidien que dans l’hebdo, mais aussi dans les tirages des quotidiens, de loin supérieurs à ceux des hebdomadaires ; - Les titres cités sont ceux qui disposent d’un vérita-b ble service commercial, structuré, hiérarchisé et doté d’une véritable stratégie de ventes et de prix, combi-n nant agressivité et dumping. Pour les autres périodiques, le chiffre d’affaires publicitaire est réalisé principalement par le directeur de la publication, qui util- lise pour ce faire son réseau de connaissances, forcément large pour un journaliste. L’avantage est que ces personnes ont ac-c cès directement aux dirigeants d’entreprises ou d’administra-t tions, mais l’inconvénient réside dans l’avantage même, puisq- que le procédé est porteur de ses faiblesses, à savoir un certain amateurisme rejeté par les entrepreneurs mais aussi et surtout par les agences de communication qui voient dans ces intervent- tions des incursions – intolérables et non tolérées – dans leurs chasses gardées… Sans parler de l’inévitable influence de l’an-n nonceur sur les choix rédactionnels, étant ainsi démarché par contact personnel et personnalisé. diagnostic global et analyse sectorielle 265

D’un autre côté, l’état du chiffres d’affaires publicitaire pour 2007 et 2008 fourni par le GAM (Groupement des Annonceurs du Maroc) est autrement indicatif car il semble être basé sur une «pige» (relevé systématique) qui ne tient pas compte des dégressifs accordés ou des espaces offerts. Les chiffres d’affair- res ci-dessous sont basés sur les pleins tarifs des supports. A notre connaissance, ces valeurs devraient pouvoir être réduites de 40 à 50%, essentiellement pour la presse écrite. Ce tableau, enfin, ne fournit pas de renseignements sur l’exercice 2009, qui aurait montré la chute sévère des budgets publicitaires confiés, sur tous les supports.

Catégorie Média Support 2007 2008 Media FC Com 178 031 634 196 238 852 City Pub 53 049 000 61 381 000 Affichage White Owl 49 168 368 46 738 516 New Pub 43 608 000 49 768 000 Smarty Pub 34 847 678 34 782 480 Al Massae 33 981 700 65 961 950 Assabah 37 856 500 42 909 000 Arabophone Al Ahdath 24 506 500 17 123 300 Assabahia 882 100 4 400 750 Presse quotid. Le Matin 85 733 260 88 581 860 L’Économiste 105 116 000 125 295 800 Francophone Aujourd>hui 29 682 850 34 377 100 le Maroc L’Opinion 9 397 843 4 650 470 Arabophone Al Ayyam 5 422 500 5 164 400 Telquel 33 043 000 45 707 000 le Journal hebdo 25 348 000 26 464 000 Presse hebdo. Maroc hebdo 16 447 600 16 209 000 Francophone Challenge 20 180 000 25 193 000 La vie éco 41 564 700 42 514 000 Finances News 7 838 500 7 531 200 266 dialogue national - media et societe

Économie Presse mens. Économique 15 346 750 14 021 100 & Entreprises Nissae min 10 691 200 9 633 000 al Maghrib Arabophone Lalla Fatema 2 559 000 4 230 000 Presse mens. Nissae min fém 10 691 200 9 633 000 al Maghrib Femmes du Maroc 19 947 600 22 575 600 Francophone Famille actuelle 13 364 300 15 675 000

P r e s s e Plurielle 9 394 000 11 770 000

gratuite Au fait 6 211 500 15 730 300 Medi1 128 686 760 129 367 783 Hit radio 80 511 059 158 575 397 Casa FM 54 203 363 70 014 118 Radio 2M 51 738 804 51 169 992

Radio Radio Aswat 41 258 690 71 501 050 Atlantic radio 37 202 737 48 943 814 MFM Souss 21 059 012 53 516 094 Radio plus Agadir 5 866 286 17 065 461

Chada FM 6 981 345 29 747 536

Catégorie Média Support 2007 2008 Media 1 492 829 1 545 675 2M 148 963 Al Oula 517 361 113 581 639 701 Télévisions TV 275 689 672 Arriyadia 21 777 989 39 161 150 Media1 SAT 16 464 995 10 639 559

Source : GAM, en DH

Bien que les chiffres ne correspondent pas à la réalité des CA effectifs enregistrés et encaissés, et bien qu’ils n’aillent pas jusq- qu’à l’année charnière en matière de publicité qu’à été 2009, on peut tirer de ce tableau de nombreux enseignements : diagnostic global et analyse sectorielle 267

- En affichage, la société FC Com tient une grande part du marché, loin devant ses concurrentes ; - Pour les quotidiens arabophones, les chiffres semb- blent être au double des CA effectifs, mais le marché semble respecter les audiences, à l’exception notable d’Assabahia, dont l’exemple montre l’orientation des annonceurs, Assabahia a des annonceurs principale-m ment publics, comme la CGI ; - Pour les quotidiens francophones, le Matin semble avoir perdu face à l’Economiste, qui attire davantage les annonceurs, en raison de sa qualité éditoriale, et de la souplesse relative de son service commercial en comparaison avec la rigidité dont fait montre les équip- pes du Matin, selon nombre d’acteurs du secteur ; - Telquel est le seul hebdomadaire qui semble emport- ter l’adhésion des annonceurs, mais la tendance s’est inversée dès 2009 ; - Lalla Fatema, pour ses Unes marocaines, pour son contenu populaire, est le magazine féminin qui aura connu la plus forte croissance de son CA en 2008, et ça s’est poursuivi en 2009 ; - Les gratuits se tiennent bien également, mais la quest- tion est de savoir si les chiffres réalisés permettent au modèle économique de se maintenir, en l’absence de ressources de vente suffisantes ; - Pour les radios, et malgré les difficultés administrati-v ves rencontrées par Hit Radio, force est de reconnaî-t tre que son contenu plaît : les annonceurs ne s’y sont pas trompés en confiant à cette station le CA le plus élevé en 2008, en dépassement de l’historique Médi1 ; mais il est très important également de remarquer les chiffres réalisés en région d’Agadir, avec des CA qui triplent presque d’une année sur l’autre, montrant les dispositions des annonceurs à l’égard des médias éta-b 268 dialogue national - media et societe

blis dans des régions affichant un grand dynamisme socio-économique ; - Enfin, pour les télévisions, et en l’absence de chiffres significatifs sur les audiences des TV étrangères, il est important de relever que Nessma TV est arrivée à réaliser la moitié du CA d’Al Oula, chaîne nationale et historique. Quant à 2M, elle plafonne puisque la publicité la finance à presque 100%. Quels sont maintenant les secteurs les plus marquants en mat- tière de budgets publicitaires ? Leur connaissance et une étude approfondie et précise montreraient les axes de réflexion pour la création de nouveaux médias, ainsi que les niches à investir en la matière. Observons le tableau ci-dessous, tiré des chiffres publiés par le GAM : Affichage Presse Radio TV

Secteurs 2007 2008 2007 2008 2007 2008 2007 2008 d>activité

Télécommunication 109 185 114 129 69 083 70 952 110 131 146 740 814 443 644 914 Alimentation 24 667 29 783 13 367 19 470 18 666 41 558 329 282 397 629 Org. financiers - 50 205 51 612 105 932 95 137 71 655 92 388 156 541 96 924 assureurs. Transport 50 605 74 666 122 663 159 787 27 985 55 795 13 206 12 479 Immobilier 30 402 46 706 66 504 127 002 21 450 29 367 27 508 41 603 Enseignement 7 865 8 990 32 283 43 957 3 190 10 634 41 036 1 341 Services 16 741 9 835 49 550 50 544 55 506 85 459 248 349 193 434

Source GAM, en MDH

Ici aussi, et malgré un marché médias qui se cherche encore au Maroc, il est important de souligner que les annonceurs respect- tent leur logique de fonctionnement : - Les télécoms, comme secteur ciblant la masse, inter-v vient principalement sur les supports de masse, avec la télévision loin devant l’affichage et la radio, à éga-l lité, la presse venant loin derrière ; - Le secteur des transports, incluant l’industrie auto-m diagnostic global et analyse sectorielle 269

mobile, privilégie, pour ses annonces, la presse, l’auto-m mobile étant essentiellement un produit pour CSP ABC, des catégories qui lisent. De plus, ce genre de produit accorde une place importante au visuel, d’où la présence de l’affichage en seconde position. Là, la presse n’est plus un support d’appoint comme aiment à le dire les annonceurs, mais un véritable média de priorité ; - Il en va de même pour le secteur de l’enseignement qui, remarque décisive, a compris en 2008 que sa cib- ble ne regarde pas la télévision, ce qui souligne le fort limité rapport du jeune public à la télévision nationale; - Enfin, la logique continue de la nette préférence des annonceurs «alimentaires» pour la télévision et son public. Depuis 2009, la crise a été aussi brutale qu’imprévue. D’abord financière, elle n’a pas vraiment touché le Maroc, pour diverses raisons. Ensuite économique, les tissus productifs nationaux ont été atteints en plein cœur. L’économie marocaine est une économie basée sur l’industrie de transformation (en grande partie textile) et l’industrie agroalimentaire, les deux destinées à l’export. Le tissu industriel national n’étant pas orienté vers la consommation intérieure, celle-ci est alimentée par une impor-t tation à vaste échelle de produits finis. Or, ce sont ces industries (automobile, électroménager, équipementiers téléphoniques…) qui constituent l’ossature de l’activité publicitaire nationale, avec le secteur bancaire, les opérateurs téléphoniques et l’imm- mobilier. Par ailleurs, la consommation des ménages est le fondement de l’activité économique nationale. Cette consommation, au vu du pouvoir d’achat, est soutenue par le crédit à la consommation sous toutes ses facettes, leasing, crédits personnels, prêts à court terme, facilités de caisse, location longue durée… Aussi, lorsque la crise financière a basculé en crise économique, le Maroc a été 270 dialogue national - media et societe durement touché, les organismes de crédit étant filiales de banq- ques, elles-mêmes de grandes institutions étrangères, durement ébranlées par la récession des pays de l’OCDE. En effet, l’écono-m mie productive est entrée dans une phase de marasme, mettant en péril des centaines d’entreprises et, par là-même, les emplois qu’elles assurent. Les impayés se sont alors multipliés auprès des organismes de crédit, lesquels organismes ont ralenti leur production. De leur côté, les banques, sollicitées de toutes parts par les inv- vestisseurs étrangers qui se financent au local, ont été contraint- tes, au vu du resserrement de leurs trésoreries, de ralentir les financements à l’économie et aux sociétés de financement, réd- duisant de façon encore plus drastique les crédits consommat- tion, et donc la consommation de biens et de services. Conséq- quence logique : les budgets de communication et de publicité ont été revus à la baisse, parfois simplement annulés. Ce n’est pas le plus grave, car la crise économique a grandement et du-r rablement affecté les habitudes des annonceurs en matière de communication externe. En effet, la bulle qui prévalait voilà encore deux ans a, semble- t-il, éclaté : un changement dans le choix et la priorité des sup-p ports est intervenu suite à la crise, les annonceurs délaissant de plus en plus la presse écrite pour d’autres supports plus visibles, comme l’affichage, ou plus audibles, la radio et la télévision. Tout compte fait et d’après les chiffres, approximatifs, mis à not- tre disposition lors du Dialogue national, la presse écrite, toutes langues et toutes périodicités confondues, a perdu de 2008 à 2009, 15% sur le chiffre d’affaires, puis 30% entre 2009 et 2010 (projection), soit un total de près de la moitié du chiffre d’affair- res publicitaire entre 2008 et 2010. Les budgets n’ont pas tous été affectés à d’autres supports puisqu’une partie a été purement et simplement annulée. Mais le reste a migré vers l’affichage et la radio, grands bénéficiaires de cette crise. diagnostic global et analyse sectorielle 271

Le changement revêt une très grande importance en matière de médias car les modèles économiques qui régissent la presse écrit- te, à savoir une répartition 60-70% des ressources en provenanc- ce de la publicité et 40-30% par les ventes sont remis en cause. Certains annonceurs ne voulant plus avoir de périodiques dans leurs médias plannings ou, pour maintenir leurs relations avec la presse, réduisent à une portion congrue leurs investissements publicitaires, soit un ou deux passages toutes les deux ou trois campagnes. C’est le cas par exemple de LG, de Samsung, de Re-n nault, de Hyundai… qui ont ouvertement déclaré leur nouveau positionnement en matière de publicité dans la presse écrite.

En matière d’audience, les annonceurs qui privilégiaient jusq- que-là l’approche quantitative du lectorat, semblent aujourd’hui mettre davantage l’accent sur l’aspect qualitatif des lecteurs, insistant sur le profil, la classification socioprofessionnelle et donc, sur le retour sur investissement de leurs annonces. De là découlerait, ou découlera, un net recul de l’audience, en faveur du Web ou de l’affichage, supports hors médias qui ont actuell- lement la grâce des annonceurs. Et ce mouvement, semble-t-il, n’en est encore qu’à ses débuts.

En définitive, nous pouvons conclure que le modèle économi-q que qui a fait la fortune de certains organes de presse, et qui a contribué à faire paraître de nouvelles tribunes, à façonner des vocations journalistiques, est en passe de disparaître. Selon cert- tains acteurs et analystes du secteur, les journaux qui pourront encore exister sont ceux qui seront créés à l’avenir, ou les act- tuels qui se regrouperaient pour fonder des groupes à l’assise fin- nancière plus solide et à l’audience plus large, et qui répondront à d’autres critères que celui de l’analyse politique et économique pointue : les gratuits, les thématiques et les almanachs divers. En dehors de cela, la publicité irait fort probablement vers les nouveaux supports : radios, télévisions et affichage.

Or, la gestion des entreprises de presse repose sur un principe fondamental : c’est à partir des ressources publicitaires qu’on ar-r rête l’ensemble du budget notamment les charges. C’est en fonct- 272 dialogue national - media et societe tion du nombre de pages publicitaires qu’on fixe celui consacré à la rédaction. Ainsi, et c’est là un point essentiel de l’économie de la presse, la publicité va commander la rédaction. Ce qui est aberrant dans la mesure où, au niveau de la déontologie de l’inf- formation, c’est l’abondance de l’actualité qui doit déterminer le nombre de pages. Par conséquent ; quel que soit l’ampleur des évènements et de l’actualité, on ne pourra pas trop en parler si on ne dispose pas de réserves financières suffisantes pour couv- vrir les frais d’impression. La publicité exerce donc une influence directe sur la pagination des journaux. Les quotidiens ayant peu de ressources publicitair- res offrent à leurs lecteurs des exemplaires deux à trois fois plus minces que les autres88. Aussi, malgré l’impression que peut donner une publication abondamment pourvue de publicité, elle comporte en fait plus de textes rédactionnels. Sachant qu’il est admis que la publicité ne doit pas dépasser une proportion raisonnable (au plus, 50%). Par ailleurs, une publication riche en publicité est aussi parfois mieux présentée car les annonceurs tiennent à ce que leurs pla-c cards soient bien mis en valeur. Esthétiquement aussi, la pub- blicité influe sur la mise en page du journal et en général de manière positive. Ainsi, pour répondre aux exigences des an-n nonceurs et des publicitaires en matière de qualité, beaucoup de publications ont dû améliorer de façon sensible, la mise en page, la qualité du papier, pour assurer les reproductions phot- tographiques satisfaisantes, utiliser sans cesse plus de couleurs, et même changer de format. La publicité affecte aussi le contenu rédactionnel de la presse, car bien qu’en principe, les domaines soient censés être séparés, il n’empêche que le journal subit, de temps à autre, des pressions et il est parfois obligé de faire des concessions pour avoir plus de publicité. Il a tendance ainsi à gommer certaines prises de posit-

88 - Libération, Al Bayane et L’Opinion ont des surfaces rédactionnelles bien plus limitées que celles de L’Economiste ou du Matin du Sahara. diagnostic global et analyse sectorielle 273 tion et à neutraliser un contenu pour ne pas déplaire ou effarouc- cher ni les lecteurs, ni les annonceurs. On peut donc, considérer que les titres dépendant exclusivement de la publicité peuvent être plus vulnérables que d’autres aux pressions de gros annon-c ceurs. Les exemples des pressions des annonceurs ne manquent pas et la plupart des journaux ont eu à faire face à cette amère expérience (retrait ou non renouvèlement de contrat) lorsqu’ils publient des informations qui déplaisent aux annonceurs, touc- chent leurs intérêts ou incommodent leurs alliés politiques ou d’affaires89. Enfin, ajoutons que d’autres publications se compromettent et se laissent aller à des comportements mercantilistes en s’adon-n nant à la publicité clandestine et au « publi-reportages » dégui-s sés, ou en multipliant les dossiers entiers fournis « clé en main » par les services de communication de grandes entreprises ou des pages spécialisées, afin d’attirer le plus de publicité, au point que certaines publications périodiques (notamment les maga-z zines) sont devenues des sous produits publicitaires plutôt que des supports d’information. Bien entendu, la presse n’est pas la seule à bénéficier de la public- cité car d’autres supports la concurrencent. Les publicitaires dist- tinguent habituellement entre les grands médias qui comprenn- nent outre la presse écrite, la TV, la radio, l’affichage (publicité extérieure) et le cinéma, et les “ hors média ” qui englobent les techniques de communication n’utilisant pas les médias classiq- ques tels que la publicité sur les lieux de vente (PLV), le mailing, les envois à domicile, la promotion des ventes, la publicité direct- te (ou marketing direct), les jeux, l’envoi de produits gratuits, les foires, salons d’exposition, l’insertion dans les annuaires etc. Il s’ensuit qu’au niveau de la répartition de ces investissements, on peut dégager deux constats :

89 - La dernière en date au Maroc est l’affaire du quotidien «Al Massae» avec «Lydec». et celle du groupe Chaabi avec L’Economiste 274 dialogue national - media et societe

§ d’une part, dans l’ensemble des pays européens, hormis l’Espagne et l’Italie, la presse continue encore à dominer le marché des médias, puisque sa part, malgré sa régress- sion au profit de la TV, représente encore plus de 50% des investissements dans les médias, § d’autre part, les dépenses hors médias accaparent une part importante des dépenses des annonceurs qui dépass- se dans plusieurs cas les 50%. Par ailleurs, si dans la plupart des cas, les entreprises de presse gèrent elles-mêmes leur publicité et leurs petites annon-c ces, elles recourent parfois à des régies publicitaires, dont le rôle diffère des agences de publicité, car leur objet est de gérer et de promouvoir la publicité dans les supports dont elles sont res-p ponsables. Tel est le cas, par exemple, de « Régie 3 » qui, à coté de « 2M », « Médi1 » et Télé plus gère aussi les trois publicat- tions du Centre Marocain de Conjoncture, Maisons du Maroc, Femmes du Maroc, Sur la 2, Nissaa Mina Al Maghreb, Radio 2M, Médi1 SAT, le Courrier de l’Atlas et le portail Menara. diagnostic global et analyse sectorielle 275

LA FORMATION DU JOURNALISTE Dans la quasi-totalité des débats sur les médias au Maroc, comme dans les conflits et reproches entre la presse et ses in-t terlocuteurs (autorités, société civile, publics), la question de la formation est un véritable leitmotiv dans nombre de réact- tions critiques et d’attaques à l’endroit des journalistes. Mais si à l’échelle internationale, dans les pays aux longues traditions de journalisme et de démocratie, on retrouve de plus en plus d’incriminations de cet ordre, elles évoquent le plus souvent la dimension de l’éthique et de la déontologie. Au Maroc, comme dans nombre de pays aux modestes, fragiles ou récentes expériences, en matière de presse et de démocrat- tisation, l’invocation critique cible invariablement les deux dim- mensions de la pratique du journalisme : le professionnalisme et l’éthique. Dans la réalité marocaine, qui est de tradition franç- çaise à plusieurs égards, en matière de presse, on fait toujours le distinguo entre « professionnalisme » et « déontologie » alors que ce distinguo n’existe pas, comme on le sait, dans les tradi-t tions du journalisme anglo-saxon pour qui le terme « profess- sionnalisme » englobe intrinsèquement les normes et les prat- tiques d’ordre éthique et déontologique. Mais en fait, on fait le distinguo au Maroc parce qu’il y a lieu de départager, dans la pratique du journalisme marocain, entre des déficits et dysfonc-t tionnements qui reviennent à l’apprentissage et à la formation technique, sur les techniques d’élaboration de contenus de méd- dias, et ce qui doit les accompagner comme « code de conduite » éthique et moral en usant de ces techniques, les techniques du journalisme qui, elles, nécessitent, partout dans le monde, une formation initiale et un perfectionnement constant ou formtion continue. Historiquement, le Maroc indépendant s’y est pris tard, rela-t tivement, pour ériger l’apprentissage du journalisme comme offre d’enseignement universitaire. Ce n’est qu’en 1977 que l’Etat créa par statut législatif (Dahir) l’institut supérieur du journalisme (ISJ), transformant par là le Centre de formation 276 dialogue national - media et societe de journalistes (CFJ) créé, en 1970, par une fondation ouest- allemande, en partenariat avec le ministère de l’information de l’époque (ministère de la Communication maintenant) et qui est toujours l’autorité de tutelle de l’ISIC actuel90. On peut disting- guer deux phases dans l’évolution de l’enseignement du journal- lisme au Maroc. Une première phase qui débuta avec la 1ère promotion de diplôm- més, de niveau universitaire, en Juin 1974, grâce à une offre pub- blique de ce niveau de formation, celle du « CFJ », sous tutelle du Ministère de l’Information91. Une deuxième phase qui débuta au début des années 90, au lendemain du colloque national sur la communication de 1993, avec l’apparition, pour la première fois au Maroc, d’une offre de formation au journalisme par des institutions privées au statut imprécis du point de vue légal, officiant sur la base d’autorisat- tions délivrées par le département de la formation professionn- nelle et non par le Ministère de l’enseignement supérieur. Avec, dans certains cas de ces écoles privées (une au départ, trois dans les années 2000) des ambigüités dans les statuts et les autorisations telles, qu’elles sont réputées davantage tolérées qu’irréprochablement établies aux yeux de la loi et par référence au niveau de la qualité de leur offre de contenus de formation quasi unanimement critiqués par les milieux des professionnels et des formateurs du secteur public. Certaines n’ont absolument pas obtenu un feu vert formel de la part du Ministère de l’enseig- gnement supérieur, d’autres invoquent une reconnaissance plus

90 - Après avoir lancé un programme de recyclage de journalistes en 1968, la fondation allemande, affiliée au Parti Libéral ouest-allemand, la « Fondation Friedrich Naumann » organisa, janvier 1970, en partenariat avec le ministère de tutelle du secteur un concours national pour recruter 15 étudiants pour un cycle de formation de 4 années, niveau licence à l’époque. La même Fondation initia des projets similaires en Égypte et en Tunisie où son projet se transforma par la suite en l’IPSI actuel, comme le CFJ marocain devint en 1977 l’ISJ, une fois créé par Dahir. 91 - En 1976, suite à une lettre ouverte au Ministre d’État à l’information, parue dans la presse et dénonçant, au nom des lauréats des lauréats des trois premières promotions du CFJ, l’absence dans le corps enseignant de professionnels marocains, le Ministère accorda des bourses pour une poignée de lauréats pour préparer des doctorats à l’université Paris 2 afin de constituer le 1er noyau de professeurs spécialisés marocains. Un recours qui devint par la suite une tradition annuelle à l’ISJ, permettant ainsi d’augmenter chaque année le corps des enseignants nationaux, ce qui explique, entre autre, le fort taux d’encadrement actuel à l’ISIC. diagnostic global et analyse sectorielle 277 ou moins explicite ou tacite de ce département, d’autres encore n’officient qu’avec le statut ou autorisation d’une unité de form- mation professionnelle accordé par le ministère concerné par ce secteur et celui de l’emploi… D’autre part, durant la première phase, qui a duré une décennie, les diplômés du CFJ (créé en 1970) puis de l’ISJ (créé en 1977), étaient pour ainsi dire retirés du marché du travail, ayant l’obli-g gation, à l’époque, d’effectuer leur période de deux années de « service civil » comme tous les diplômés de l’université, de ni-v veau de la licence. Ce qui profita exclusivement aux médias pub- blics et aux administrations publiques (Ministères, organisme publiques, administrations de la gouvernance locale – préfect- tures, provinces, wilayas- etc.). On était alors devant un champ d’offre et de demande qui, pour les lauréats, leur garantissait dès le départ leur premier emploi (affectation automatique dès la remise du diplôme final du CFJ, puis de l’ISJ) et en leur assur- rant, dans la quasi-totalité des cas, l’intégration définitive dans le média public ou administration publique où le « civiliste » a effectué ses deux années obligatoires, à la place du service milit- taire, rappelons-le, qui était le lot des jeunes de cette génération qui n’arrivaient pas au stade universitaire. La seconde phase historique de la formation du journaliste com-m mença, quant à elle, avec la disparition du service civil en 1984. Mais jusqu’au début des années 90, l’institut public restait la seule institution qui offrait exclusivement au Maroc une format- tion universitaire (Bac+4) en journalisme écrit et audiovisuel. Comme on peut dire que ses promotions ne rencontraient pas alors de chômage, mais se voyaient quand-même confrontées à la réalité du marché qui, pour l’essentiel, se réduisait alors à des offres de salaires peu motivants, dans les médias publics com-m me dans les médias partisans (dominants en ces années là et qui pratiquaient des « salaires de militants ou de sympathisants)… Les publications partisanes n’offraient que rarement aux jeunes recrues leurs droits sociaux de base que les médias publics sont obligés d’accorder conformément à la loi et à la législation du travail (contrat, couverture sociale…). 278 dialogue national - media et societe

Cette nouvelle situation, alors que le journalisme marocain bén- néficiait enfin de ses deux premières générations de journalistes formés sur les bancs de l’université, s’installait dans une périod- de des plus difficiles pour les diplômés universitaires du pays en général qui n’avaient même plus la garantie de la première insertion dans le monde professionnel qu’offrait le service civil obligatoire. De 1984 à pratiquement le milieu des années 90, le Maroc était aux prises avec l’impact catastrophique sur les programmes sociaux, dont l’enseignement et l’emploi, en plus de la santé, du « PAS » (programme d’ajustement structurel) imposé à nombre de pays en développement par les institutions financières internationales…Les jeunes diplômés universitaires ne trouvaient même plus d’offres de concours à l’embauche, dur- rant ces années là (marquées, entre autres, par les graves émeut- tes et mouvements de contestation des jeunes en 1981, 1984 et à l’occasion de la grève générale de décembre 1990 et les émeutes qui l’ont marquée) 92… Néanmoins, la faible offre, du fait que l’ISJ (ISIC par la suite) avait le monopole de la formation dans le secteur et ne mettait sur le marché chaque année qu’entre 30 et 40 diplômés ( moitié arabophones, moitié francophones et avec une moyenne de 10% d’étrangers), a fait que, malgré la conjoncture, ses lauréats arri-v vaient à s’insérer, en majorité dans les médias publics (Ministèr- res et administrations, Agence MAP, Radio et la Télévision surt- tout, avec la venue d’une 2ème chaîne TV – « 2M » - en 1989, qui absorba chaque année, parfois, jusqu’à la moitié ou plus d’une promotion de cet institut). A partir du milieu des années 90, la donne changea complètem- ment du fait de deux changements majeurs : l’intrusion du sect- teur privé dans la formation en journalisme et l’apparition grad- duelle et soutenue de publications privées.

92 - D’ailleurs, nombre de « diplômés chômeurs » qui manifestent encore aujourd’hui dans la rue et, quasi quotidiennement devant le Parlement, sont de ces cohortes de la fin des années 80 et début des années 90. Plusieurs licenciés parmi eux ont été à l’époque contraints de prolonger leurs études jusqu’au cycle doctoral, leur licence ou maîtrise ne leur ayant pas servi alors à trouver un emploi. Situation qui explique le nombre de « Docteurs chômeurs » encore dans la rue aujourd’hui … diagnostic global et analyse sectorielle 279

L’apparition d’une première école privée (à Casablanca) a antic- cipé en quelque sorte sur le mouvement qui s’annonçait depuis la fin des années 90 dans la sphère publique et en matière de libertés publiques (conjoncture politique illustrée par la constit- tution de 1992, puis par les premiers états généraux de la presse du colloque de 1993 et par les premières tractations politiques qui aboutiront, en 1996, à une nouvelle constitution, ensuite, en 1998, au gouvernement consensuel de l’alternance). Ce mouve-m ment qui, avec des flux et des reflux (procès de presse, saisies et interdictions alternant avec de nombreuses autorisations de paraitre délivrées par les autorités) va tout naturellement bou-l leverser l’offre de la formation comme la demande sur le mar-c ché du travail dans le secteur. De sorte que, depuis lors, l’offre, publique et privée, est bien peu correspondante à la demande, dans le nombre comme en ce qui concerne les profils spécial- lisés. Il y a un véritable gap entre formation et emploi dans le champ médiatique marocain... Qui plus est, quand le secteur de l’audiovisuel se libéralisa en 2006, la formation devint un déficit structurel du champ méd- diatique national, au point que les opérateurs médias radio (17 de nos jours) eurent recours à toute vocation disponible : du journaliste formé, débauché de la presse écrite, au « disc joc-k key » repéré dans une boîte de nuit, en passant par l’animateur culturel formé à l’ISADAC, le comédien amateur, le copain féru d’anecdotes etc. La conséquence, on s’en doute, fût une série de déficits et de faiblesses dans les contenus, de tout point de vue, et de fréquentes dérives condamnables par la loi, par l’autorité de régulation de l’audiovisuel (HACA) ou aux yeux de l’éthique et de la déontologie communément admises par les milieux prof- fessionnels à travers le monde. Nombre d’opérateurs radio ont insisté, lors de leur audition par le Dialogue national, sur ce grave déficit de l’offre de la forma-t tion qui risque de s’aggraver encore avec les nouvelles vagues de licences que la HACA accordera à terme, dans les domaines de la radio comme de la télévision. 280 dialogue national - media et societe

En ce qui concerne la presse écrite, la prolifération, relative mais conséquente, d’institutions privées, n’a ni asséché complèt- tement la demande ni profité à l’amélioration du niveau de form- mation, au contraire…Au point que certains groupes de presse ont créé, ces dernières années, leur propre école de formation ou une unité de formation en interne. Et l’ensemble de cette situat- tion a engendré des paradoxes : certains profils bien recherchés décrochent de hauts salaires, d’autres moins rares sont payés au minimum prévu par la convention collective (5500Dhs) sinon moins et, souvent, bien souvent, les recrues découvrent, à un moment ou à un autre, qu’ils ne sont pas déclarés à la protection sociale ou à une caisse de retraite ou qu’ils ont une protection mineure, voire aucune, en cas de maladie… Le cas des femmes journalistes est davantage discriminatoire et inéquitable (salai-r res bien plus bas, refus plus ou moins systématique des droits dus en cas de grossesse…). Bref, les déficits du marché dans ce secteur, débouchent sur nombre de paradoxes qui ne sont ni en faveur du journaliste ni en faveur du professionnalisme ou de la qualité des contenus. Selon l’étude menée par le Dialogue national sur cette problémat- tique de la formation des professionnels des médias, il apparait évident qu’il y a un besoin crucial d’un standard de formation qui soit porté et contrôlé dans le cadre d’une stratégie nationale, avec un leadership pédagogique du secteur public, se référant à des modèles de formation internationalement admis et avec une vision prospectiviste et anticipatrice à la fois sur l’évolution du marché national et sur les métiers à venir du fait de la révolution technologique et numérique qui est entrain de bouleverser la médiasphère à l’échelle du monde93.

93 - Notre étude a été menée par une autorité en la matière, connue dans la région arabe et africaine et reconnue par les organismes onusiens spécialisés comme l’Unesco, le Pr. Ridha Najar, ex professeur à l’IPSI de Tunis, ex directeur de la télévision publique tunisienne, fondateur et ex directeur, pendant près de 30 ans du Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (CAPJC) et auteur de plusieurs ouvrages et études sur les médias, la formation, la pédagogie de l’enseignement du journalisme, au Maghreb, en Orient arabe et en Afrique francophone. Le Dialogue a porté son choix sur cette expertise bien connue et reconnue par les professionnels Marocains et qui offrait à la fois une proximité de contexte et une neutralité de non implication directe dans le contexte marocain. diagnostic global et analyse sectorielle 281

Cette étude, qui a consisté en de nombreux entretiens, débats et focus groupes avec différents acteurs (plus d’une quarantaine) intervenant dans la problématique de la formation (journalis-t tes, éditeurs et opérateurs Radio et TV, autorités de tutelle – le ministre de la communication notamment-, directeurs d’insti-t tuts et d’écoles, syndicalistes, professeurs et formateurs...) a débouché sur un diagnostic dont les grandes lignes sont les suiv- vantes : - Un système de formation public (ISIC) nettement plus apprécié que celui du secteur privé, mais cependant amél- liorable au plan qualitatif (programmes, nouveaux profils à introduire, conditions de recrutement des enseignants, ouverture et participation de la profession) et quantitatif (nombre de formés selon les besoins du marché) ; - Un système privé, qui recrute parfois sans Baccalauréat, sous tutelle de la Formation professionnelle, sans normes minimales ni cahier des charges impératif, plus soucieux du profit commercial que de la rigueur pédagogique et de la déontologie (en attendant de juger qualitativement les lauréats de la récente école du groupe Eco-Médias dont la première promotion doit sortir en Juin 2011) ; - Une demande de diversification, de régionalisation et de proximité des offres de formation (initiale et continue), le plus souvent concentrées sur Rabat et Casa (à l’exception d’antennes privées à Marrakech et Agadir et quelques nouvelles sections dans 4 universités comme celle de Fès — cette dernière en partenariat avec le privé d’ailleurs) ; - Un manque de participation manifeste des acteurs prof- fessionnels dans le système de formation (représentation dans les structures participatives des établissements, contribution effective aux enseignements et à l’encadrem- ment des étudiants lors des stages intégrés) ; - Un marché porteur où l’offre d’emplois est supérieure à la demande. Cette indigence a obligé les groupes de 282 dialogue national - media et societe

presse soit à organiser des cycles internes de formation (première au recrutement ou de perfectionnement, cas d’, de « 2M » ou d’ALM) soit à fonder même une école de journalisme et de communic- cation (cas du groupe de l’Économiste/Assabah) ; - Un classicisme dépassé et une rigidité des programmes et cursus qui n’ont pas assez de souplesse et de réactivité par rapport à l’évolution et aux besoins réels du paysage des médias ; - Des besoins qualitatifs de profils non disponibles sur le marché de journalistes maîtrisant les langues étrangères (français et anglais notamment) ou les nouvelles technol- logies de l’information (culture numérique, presse élect- tronique et pluri médias) ; - Une grande mobilité (« turn over ») au sein de la prof- fession, provoquée à la fois par la concurrence nationale (chantage au salaire) et internationale (les médias des pays du Golfe « débauchent » les meilleurs talents et les séduisent par des niveaux de salaires hors de portée des médias nationaux, ce qui fût largement exposé lors du colloque organisé, début février 2011, par le Dialogue na-t tional en partenariat avec le CCME, avec la participation de près de 200 journalistes Marocains travaillant dans des médias étrangers à travers le monde, en grand nom-b bre dans les pays du Golfe) ; - Une absence (et une revendication) d’un système organ- nisé de formation continue et de perfectionnement mal-g gré la disponibilité d’opportunités de financement (Taxe à la Formation Professionnelle payée par les entreprises de presse, financement prévu dans le cadre du contrat- programme signé entre la profession et le ministère de la Communication et dont une part est dédiée à la forma-t tion) ; diagnostic global et analyse sectorielle 283

- Une forte demande de formation de formateurs, à la fois au bénéfice des professionnels (pédagogie, andragogie) et des enseignants universitaires du journalisme (pratiq- ques professionnelles). De ces tendances lourdes dans le diagnostic de la situation ac-t tuelle, l’étude a cherché à évaluer le système marocain de form- mation de journalistes en identifiant, de façon syncrétique, les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces que l’on doit cibler par une réflexion volontariste de réforme et de mise à niveau. C’est donc une évaluation qui a eu recours à la mét- thode qualitative bien connue dans l’évaluation de systèmes, la méthode anglo-saxonne « SWOT » : Forces (Strenghts), les Fai-b blesses (Weakenesses), les Opportunités (Opportunities) et les Menaces (Threats) du (des) système (s). Dans notre cas cette méthode a dégagé le tableau suivant ci-dessous, avec ces rem- marques d’ordre méthodologique : Système de Notation : les facteurs ont été notés de 1 = Faible, à 5 = Très fort. Le classement des priorités a été ensuite dégagé selon le total général obtenu par chaque facteur. Pour ne pas tomber dans les points de détails secondaires la liste des priorités des indica-t teurs a été arrêtée, lorsqu’ils étaient trop nombreux, à 10. Échantillon qualitatif : Cette approche qualitative a concerné l’ensemble des secteurs (agence de presse, presse écrite, élect- tronique, radio et télévision), des spécialisations (presse quoti-d dienne, hebdomadaire, économique, de partis) et le plus grand nombre d’acteurs au niveau du statut (fédération des éditeurs, syndicat de journalistes, ministère de tutelle, structures de for-m mation publiques et privées). L’analyse SWOT a touché en tout 41 personnes, certaines indivi-d duellement, certaines en groupe. Les analyses en groupes (focus Groups) ont touché le Syndicat National de la Presse Marocaine (4), les enseignants de l’ISIC (4), les journalistes d’Attajdid (7) et ceux de l’agence MAP (17). 284 dialogue national - media et societe 1 7 5 3 2 4 6 Priorité de la formation des Journalistes ? En quoi cela constitue-t-il une force pour la réussite L’ISIC n’a pas de motivation commerciale. Les journalistes formés par l’ISIC par formés journalistes Les commerciale. motivation de pas n’a L’ISIC secteur du ceux que générale culture meilleure une et niveau meilleur un ont privé. Le système de sélection des étudiants (Bac, bonne moyenne + concours) est rigoureux La demande est supérieure à l’offre même et excellent un permet permanents professeurs de nombre le l’ISIC, A exceptionnel taux d’encadrement équipements bons de possède l’ISIC privées, écoles certaines à Relativement techniques pour l’enseignement du journalisme (radio, TV, informatique, bibliothèque). La concurrence entre les médias, nationaux et, surtout, internationaux fait que les journalistes, après avoir été formés au sein d’institutions nationales qui ont investi en eux, quittent le pays attirés par de meilleurs salaires. Cet aspect peut à la fois être considéré comme une preuve de santé et de qui entreprises les sur menace une comme également mais secteur, du force investissent dans la formation et l’encadrement des diplômés. Certaines institutions ont pallié le manque de cadres politique de formation en par interne (2M, ALM, Al une Ahdath), voire en véritable fondant leur propre école de journalisme (Groupe Eco-Médias). La multiplicité de l’offre de formation (public, privé, universités, régions) installe une concurrence positive. Type de facteur Système public de formation Débouchés Taux d’encadrement du secteur public Équipement Mobilité des journalistes et concurrence Encadrement par la profession Multiplicité de l’offre de formation FORCES (internes) du Système de Formation des journalistes au Maroc Facteur spécifique La formation à l’ISIC (secteur public) est, relativement, la moins mauvaise Il n’y a pas de chômage. Opportunités travail. Bon taux d’encadrement à l’ISIC Bonne infrastructure technique à l’ISIC professionnels Réaction de certains organes pour encadrer les jeunes journalistes Offres concurrentes de formation Mobilité et « turn over » des diagnostic global et analyse sectorielle 285 1 3 2 4 Priorité Ils manquent Ils Journalistes ? Journalistes En quoi cela constitue-t-il une faiblesse pour la formation des pour la formation une faiblesse cela constitue-t-il En quoi de connaissances sur leur propre environnement et d’esprit de synthèse. Résultat : synthèse. de d’esprit et environnement propre leur sur connaissances de on est obligé de les « reformer » après recrutement. Le faible nombre de ressortissants de l’ISIC a favorisé l’éclosion des écoles privées, écoles des l’éclosion favorisé a l’ISIC de ressortissants de nombre faible Le plus soucieuses de rentabilité économique que la qualité de la formation. des à recours le et débrouillardise la tas, le sur formation la favorisé également a Il étrangers (surtout francophones, pas nécessairement parfaitement qualifiés). salaire du l’augmentation à chantage un engendré également a l’offre de manque Le (tension sur lesle salaires) et a favorisé « nomadisme » des journalistes. et théorique trop est elle mais bonne, relativement est l’ISIC à générale formation La « opérationnels rarement ». sont diplômés jeunes « disperséeLes ». de matière en fois la à qualifiés pas sont ne (jusqu’ici) privé secteur du diplômés Les culture générale et en matière de techniques professionnelles et de déontologie. Pas de sélection des étudiants, parfois sans Bac. Faible taux d’équipement et d’encadrement. Durée de formation trop courte (2, 3 ans) La participation d’enseignants professionnels est viciée : on fait croire aux jeunes auront des qu’ils introductions pour l’embauche. Les besoins du marché sont tels que l’on est obligé parfois de se contenter de ces profils non achevés. Alors que l’ouverture au privé du de secteur plus radiophonique de 15 permettait nouvelles l’éclosion radios, le système de programmes et cursus en fonction de la demande du marché formation n’avait pas changé ses Type de facteur Rendement (quantitatif) de la formation Absence de la participation la profession au système de formation Qualité de l’aspect professionnel de la formation Critères de recrutement des enseignants du journalisme Qualité et professionnalisation de la formation de de planification, Manque souplesse et de réactivité du secteur FAIBLESSES (interne) du Système de formation des journalistes au Maroc Facteur spécifique Le Le système de formation ne répond pas à la demande quantitative du marché : Faible nombre de diplômés de l’ISIC et même du secteur privé professionnel. monde du coupé est L’ISIC de structures aux associé pas n’est Celui-ci les et l’établissement de décision de prise véritables professionnels interviennent enseignants Les TP. et cours les dans peu universitaires n’ont pas professionnelles. de pratiques Le système de recherche que le gain formation privé ne Le système de assez souple. Il ne s’est pas formation préparé à la n’est privatisation du pas paysage radiophonique et ne s’est pas adapté au changement de médiatique l’environnement 286 dialogue national - media et societe 7 5 6 8 9 10 Les professionnels n’ont aucun cadre organisé en matière de formation continue et continue formation de matière en organisé cadre aucun n’ont professionnels Les de recyclage. Le secteur professionnel doit constamment être mis à niveau. de maîtrise des langues étrangères Manque (français, anglais, espagnol…) L’absence de convention avec les entreprises de presse pour l’encadrement des stages vide ces derniers de tout sérieux et impact sur la formation finale L’ISIC devrait être rattaché au ministère de Supérieur, avec large autonomie l’Éducation et de l’Enseignement Le système de sélection de l’ISIC est bon, mais le niveau de recrutement des journalistes devrait être à au moins socle du Bac+ 3 question la (Licence résolu moins actuelle au aurait on dans cela, Comme le LMD). système de culture générale et celui la spécialisation Les programmes et cursus actuels traditionnel des traduisent médias. On encore y sépare un encore les schéma médias écrits, compte en prenne qui multimédia d’approche encore pas a n’y Il télévisés. trop parlés et la convergence des médias multimédias en temps et réel. On se coupe ainsi du lectorat jeune actuel qui la nécessité d’engranger est sur le cyberespace. des contenus : Faible niveau de culture générale et de connaissance de l’environnement l’environnement de connaissance de et générale culture de niveau Faible Diplômés : régional ; culturel) politique, économique, national (juridique, Formation continue Culture générale et Langues Encadrement des Stages étudiants Cadre juridique et réglementaire Conditions d’accès formation au journalisme à la Cursus et contenus formation de la Contenus de programmes : L’absence de système de formation L’absence continue Manque de culture journalistes polyglottes générale et de Absence de entreprises de presse convention pour l’encadrement des stages organiser avec les Le rattachement de l’ISIC au Ministère de la Communication Faible niveau de recrutement étudiants en journalisme des Schéma trop formation classique de la diagnostic global et analyse sectorielle 287 1 5 3 2 4 Priorité de la formation des Journalistes ? En quoi cela pourrait-il contribuer à la réussite et peut encourager les structures de formation à augmenter le nombre de formés Étant donné la nécessité de la des formation différents continue et corps du de recyclage métiers de du financement disponibles secteur, est l’existence un atout de pour sources mécanisme la mise en place d’un Opportunités d’emplois. Nouvelles spécialités pour la formation. leur de éditoriales lignes les pour d’opter libres sont diplômés jeunes Les choix. est Maroc le où secteur un dans multimédias profils nouveaux de Besoins en passe de devenir un leader régional Opportunités d’emplois : la demande du marché encourage les jeunes Type de facteur Opportunités d’emplois Source de financementla de formation continue Diversification du paysage médiatique Politique Opportunités d’emplois Facteur spécifique OPPORTUNITES OFFERTES (Externes) au Système de formation des Journalistes Maroc Demande du marché La TFP (1% de la masse salariale) est un gisement de pour financement la formation continue comme le contrat-Programme entre tout la profession et le Ministère de la Communication au médiatique paysage du Ouverture privé en matière de radio et bientôt de la télévision médiatique et politique pluralisme Le et la liberté d’expression La presse électronique 288 dialogue national - media et societe 7 6 9 8 10 Besoins de nouveaux profils multimédias Besoins de chargés de communication administrations publiques et semi dans les entreprises et les Peut contribuer à résorber le manque de diplômés du développement le favorise et populations des formation la Rapproche journalisme régional et local Le Ministère de tutelle a signé un contrat-cadre avec la profession et a institué une aide financière au secteur dont une partie est destinée à la formation. L’évolution du secteur des médias fait émerger dans les entreprises de presse une demande forte de formation continue, voire de recyclage et de reconversion dans des nouveaux métiers ou de nouvelles fonctions techniques. régionalisée déjà s’est (qui privée formation mauvaise la contre lutter Pour il faudrait régionaliser davantage la formation et à Agadir), à Marrakech publique au journalisme et offrir une plus large gamme de profils. Nouveaux gisements d’emplois et perspectives de développement Augmentation de l’offre formation Offre de formation proximité Engagement des autorités Formation continue et recyclage Diversification et régionalisation La demande des régions, entreprises et des administrations en spécialistes journalisme et communication institutionnelle L’ouverture de sections dans certaines universités formation de sections de L’ouverture en régions La volonté des autorités actuelles Demandes de recyclage et reconversion Diversifier et régionaliser l’offre publique de formation diagnostic global et analyse sectorielle 289 1 7 5 3 2 4 6 9 8 10 Priorité Journalistes ? En quoi cela menace-t-il le Système de formation des Le secteur de la formation, public et privé, risque la « myopie » par la L’absence d’un cahier des charges précis pour les écoles privées de journalisme de privées écoles les pour précis charges des cahier d’un L’absence a permis l’éclosion d’une « fausse monnaie » sur le marché. de Il est mieux impératif organiser la délivrance des agréments d’anarchie. aux écoles privées. Risque vers écrite presse certaine une glisser fait formés mal jeunes de recrutement Le la « presse jaune » Les gens mal formés sont vulnérables. Ils sont soumis au chantage de certains patrons. Les diplômes du privé ne sont pas reconnus par la fonction publique. L’éclatement du cyberespace a permis l’accès de tout directe sur l’Internet. Ces citoyen citoyens ne connaissent pas et ne respectent à pas les l’expression règles élémentaires du métier. suffit Il journal. un d’éditer qui n’importe à permet presse la sur actuelle loi La d’en avoir les moyens financiers. Le secteur audiovisuel, lui, est mieux balisé par la HACA. La prolifération des titres menace entreprises par la baisse des recettes publicitaires la pérennité des véritables La domination du souci économique gagne le service public au détriment de ses fonctions. Jouant sur la demande et sur la régionalisation des radios privées, le secteur privé s’est empressé de répondre antennes régionales qui risquent de perpétuer la même absence qualitative. à la demande régionale en ouvrant des reproduction des schémas de formation dépassés. La maîtrise des langues (français, anglais, espagnol…) étrangères se perd chez les jeunes Le secteur public, s’il ne se renouvelle pas, risque d’être dépassé par le secteur journalistes privé au détriment de la qualité de la formation, du journalisme marocain, de ses contenus et de sa « mission sociale, informative, éducative culturelle » Type de facteur Cadre juridique et réglementaire Déontologie Fragilité de la profession Concurrence du cyberespace Cadre juridique et réglementaire Cadre juridique et réglementaire Insuffisance du système de formation au niveau quantitatif Cursus et contenus de programmes Enseignement des langues Concurrence Facteur spécifique MENACES (Environnement Externe) sur le Système de formation des journalistes au Maroc Inexistence de réglementation pour le secteur privé de la formation des journalistes Tendance au sensationnel Précarité du métier L’accès du citoyen et des blogueurs au journalisme amateur Menaces sur le métier Menaces sur le service public Opportunisme du secteur privé La reproduction des mêmes schémas de formation Le multilinguisme est menacé Le secteur public de risque d’être dépassé. la formation 290 dialogue national - media et societe

Ce tableau syncrétique résume largement les éléments de dia-g gnostic comme les grandes lignes de la feuille de route à retenir pour cet important secteur, le secteur de la formation des profess- sionnels des médias. Là aussi, comme nous le soulignions pour la dimension juridique et pour la dimension de l’économie de l’entreprise, l’approche doit consister en une vision anticipatrice qui place le Maroc dans le monde, et non le Maroc par rapport à lui-même, c’est-à dire qui doit tenir compte de l’évolution, voire les révolutions, qui s’annoncent dans la médiasphère à l’échelle universelle, dans les technologies, les contenus, les pratiques et les métiers. Car, les nouvelles technologies de l’information ont radicalement transformé les métiers de l’information, à tous les stades de son élaboration : du recueil de la nouvelle à son archi-v vage, en passant par son traitement, son mode de diffusion et de consommation différée (podcasting). Les techniques numériques, en unifiant l’unité de mesure par le langage binaire, ont permis une convergence totale des conten- nus et des supports. Les opérateurs des télécommunications et les fournisseurs d’accès à l’Internet et à la téléphonie sont dev- venus des producteurs de contenus et de services. Le téléphone mobile est en passe de devenir un média d’information en temps réel et personnalisé. Les médias traditionnels lourds (presse, ra-d dio, TV) ont perdu leurs fonctions traditionnelles et cherchent de nouvelles reconversions. Grâce à l’Internet, le citoyen s’est libéré du monopole étatique ou partisan et est devenu product- teur et diffuseur. Les réseaux sociaux et le web 2.0 ont créé une nouvelle agora pour le débat public qui, du fait de la liberté totale, sans régul- lation par la loi ni autorégulation déontologique, glisse souvent dans la désinformation et la diffamation. L’architecture de tra-v vail en réseaux a aplati la pyramide de la hiérarchie traditionn- nelle en imposant le travail collectif et la culture du partage. Les systèmes de «work flow» deviennent une nécessité dans la gest- tion des flux rédactionnels (NRCS, News room, Computer syst- tem). diagnostic global et analyse sectorielle 291

Les frontières tombent entre les fonctions éditoriales du journal- liste et les nouvelles fonctions techniques qu’il doit, désormais, accomplir. De nombreux métiers disparaissent (correcteurs, preneurs de sons, monteurs, chargés du mixage et les photograp- phes de presse sont menacés)…De nouveaux métiers apparaiss- sent (scanneurs, flasheurs, infographes, webmasters, administ- trateurs système et de bases de données, …). Bref, la nécessité du travail en temps réel et la déclinaison de la même informa-t tion pour différents supports imposent de former de nouveaux profils dans les écoles de journalisme. Par conséquent, les nouveaux axes de la formation en médias s’articulent, de nos jours, autour d’au moins cinq repères : ü La maîtrise et l’appropriation des outils : l’informatique et les bases de données ; ü L’écriture, multiforme et multisuports pour le cross méd- dia (du fait de l’inévitable phénomène de la convergenc- ce) ü Le savoir-être de professionnel : travail collectif et cultur- re du partage ü La distance critique par rapport aux sources de l’Internet et aux facilités offertes par les outils ü La capacité personnelle du professionnel à développer un sens de l’éthique du journalisme et à respecter, de maniè-r re volontariste, ses règles déontologiques (qui comport- tent des devoirs mais aussi des droits). Ces axes sont les repères constants dans toutes les réflexions et les programmes de réformes des cursus de formation des journ- nalistes à travers le monde. Personne n’a encore trouvé la form- mule magique pour la formation des journalistes. Chacun y va avec ses recettes. Il n’y a donc pas péril en la demeure, mais il y a ces cinq repères standards, au minimum, que chaque pays tente de rencontrer dans ses politiques publiques (universités et instit- tuts publics) de formation de journalistes comme dans nombre d’institutions privées (universités, instituts ou écoles). 292 dialogue national - media et societe

Depuis près d’une dizaine d’années il y a un débat mondial sur les cursus de formation initiale des journalistes que les États se doivent de promouvoir dans leurs établissements et veiller à ce qu’un cursus standard soit respecté dans le secteur privé. Un débat dans lequel l’agence onusienne spécialisée, l’Unesco, s’est engagée depuis plus de cinq ans, avec des études d’experts de plusieurs nationalités et contextes, avant d’aboutir à une ar-c chitecture de base pour deux modèles majeurs de cursus, soit en trois ans de formation, soit en quatre ans94. Ces modèles, pub- bliés entre 2006 et 2009, se présentent succinctement comme ci-après.

A. Modèle Unesco de cursus en trois ans

1ère année 2ème année

1ère période 2ème période 1ère période 2ème période

Journalisme Journalisme Journalisme (niveau 1) : (niveau Compétences de (niveau fondements 2) : genres base : écriture 2) : genres (démarches et journalistiques journalistiques écriture) (suite) Compétences de Journalisme Droit des Journalisme base : logique, sur Internet et médias et de radio méthodes de les nouveaux l’information recherche, de médias recoupement et de vérification Compétences de Connaissances Journalisme base : institutions Journalisme et suivi de d’image nationales et télévisé l’actualité internationales (Immersion Compétences sur le terr- Éthique et Stage Médias et de base : culture rain) déontologie du société générale journalisme Cours de Cours de Cours de Cours de connaissances connaissances connaissances connaissances générales générales générales générales

94 - Groupes d’experts dont Pr R.Najar & Pr.J.E.Naji du Maghreb qui se sont penchés sur ces modèles de cursus, d’abord en anglais, puis en arabe et enfin en français avec le concours du réseau Théophraste. Confère ces modèles sur le site du Dialogue national (www.mediasociete. ma). diagnostic global et analyse sectorielle 293

3ème année

1ère période 2ème période

Journalisme (niveau 3a) : journalisme Journalisme (niveau 3b) : journalisme approfondi appliqué à différents spécialisé domaines

Atelier de presse écrite Atelier de journalisme télévisé

Atelier de journalisme radio Atelier de journalisme plurimédia

Projet de fin d’études de baccalauréat/ Économie des médias licence

Cours à option en journalisme

Cours de connaissances générales Cours de connaissances générales 294 dialogue national - media et societe

B. Modèle Unesco de cursus en quatre ans

1ère année 2ème année

1ère période 2ème période 1ère période 2ème période

Compétences de Journalisme Journalisme Compétences de base : écriture (niveau 1) : (niveau 1) : base : écriture (suite) fondements fondements (démarches et (démarches et écriture) écriture) (suite) Connaissances Compétences de Connaissances et Compétences de et base : logique, suivi de l’actualité base: logique, suivi de l’act- méthodes de méthodes de tualité recherche, de recherche, de recoupement et recoupement et de de vérification vérification (suite)

Compétences de Droit des méd- ( I m m e r -s Compétences de base : institutions dias Éthique et sion sur le base : institutions nationales et et de l’informat- déontologie du terrain) nationales et internationales tion journalisme internationales (suite)

Compétences Compétences de base : culture de base : culture générale générale (suite)

Cours de Cours de Cours de Cours de connaissances connaissances connaissances connaissances générales générales générales générales diagnostic global et analyse sectorielle 295

3ème année 4ème année

1ère période 2ème période 1ère période 2ème période Journalisme Journalisme (niveau 3a) Journalisme Journalisme (niv- (niveau 2) : : journalisme (niveau 3b) : veau 2) : genres genres Approfondi appliqué à journalisme journalistiques journalistiques Différents domaines spécialisé (suite) Journalisme sur Atelier de Journalisme Internet et les Atelier de presse écrite journalisme radio nouveaux télévisé médias Atelier de J o u r n a l i s m e Journalisme Atelier de journalisme journalisme d’image télévisé radio plurimédia Projet de fin Médias Cours à option en Économie des d’études de et société journalisme médias Stage baccalauréat/ licence En option En option Journalisme Journalisme d’analyse et d’analyse et d’opinion d’opinion Cours de Cours de Cours de Cours de connaissances connaissances connaissances connaissances générales générales générales générales

Par référence à ces modèles, et à d’autres plus courts, spécial- lisés, ou de niveau Master spécialisé, également proposés par l’Unesco (cursus de deux ans, par exemple), on peut résumer la vision qui doit présider à l’architecture d’une formation initiale sur le journalisme en retenant essentiellement les piliers suiv- vants : Ø le niveau et le mode de sélection des étudiants (motivat- tion, curiosité, connaissance de l’actualité, qualités ré-d dactionnelles et d’empathie) ; Ø la proportion de cours de culture générale, de cours théor- riques et de cours pratiques sur les techniques profess- sionnelles ; Ø le nombre de langues et leurs méthodes d’enseignem- ment ; 296 dialogue national - media et societe

Ø la place et l’enseignement de l’éthique et de la déontolog- gie ; Ø la connaissance de l’Histoire, de la géopolitique et de l’environnement législatif, juridique, économique envi-r ronnemental et social du pays et de ses différents context- tes; Ø le profil des enseignants et la participation des profess- ،sionnels dans l’enseignement Ø les passerelles permanentes et organisées entre l’établiss- sement de formation et le monde de l’entreprise, pour les enseignements comme pour les stages et l’emploi des ،lauréats ü les équipements et les ressources pédagogiques nécessai-r res. Cette architecture, qui concerne avant tout le secteur public de la formation initiale mais qui doit aussi être promue auprès du secteur privé et inspirer fondamentalement les programmes, publics ou privés, de la formation continue, est, de nos jours, ac-c cessible à tout contexte national, pour peu que le pays concerné soit engagé, au plan médiatique, sur une voie ou dans un proc- cessus de liberté d’expression, de diversité d’expressions média-t tiques et de modernité dans toutes les formes et les divers supp- ports d’expression que permettent les avancées technologiques du numérique et du cyberespace. Or, le Maroc est un pays qui a nombre d’atouts à cet enseigne. A cet égard, il est fort édifiant de lire le point de vue d’un exp- pert international, observateur étranger au contexte marocain, le professeur tunisien Ridha Najjar, sur les potentialités et les chances du Maroc quant à mener une telle réforme de la forma-t tion du journaliste , par référence à ces standards et architectur- res : « Le Royaume du Maroc a su construire un espace médiatique ouvert où un réel pluralisme éditorial permet une liberté d’expn diagnostic global et analyse sectorielle 297 pression, d’entreprendre et de mobilité remarquable. Les titres de presse pullulent : 22 quotidiens, 100 hebdos et 450 périodiqn ques. Plus de 100 sites électroniques. Les radios aussi : 15 radn dios publiques (en comptant les régionales), 17 radios privées. Trois télévisions publiques (on s’attend à l’ouverture au privé de l’espace TV). C’est autant d’opportunités d’emplois pour les jeunes diplômés du secteur de la formation des journalistes. Cependant, une constatation de base surprend l’observateur : établissement public comme écoles privées ne semblent pas connaître les vrais besoins du marché et ne fournissent pas asns sez de cadres, assez de nouveaux profils. La première recommn mandation, à double dimension, s’impose donc d’elle même : - Mener une étude scientifique urgente à la fois sur les besoins des médias marocains en cadres et profils et sur les besoins des entreprises de presse et des journalistes marocains en formatn tion continue. Actualiser cette étude périodiquement (tous les 5 ans) et mettre en place un dispositif quasi permanent de consulnt tation et de veille sur les développements du secteur. Tous les acteurs, unis, (Ministère, médias, syndicat et structures de fornm mation) se doivent d’y contribuer. - La seconde recommandation découle de la première constatn tation : la rupture entre la profession et les structures de formn mation. Il est urgent que les acteurs représentatifs de la profn fession soient associés d’une manière organique (membres des structures délibératives comme les conseils scientifiques, les départements de spécialité…). - Cette participation de la profession devrait également se tradn duire par l’implication étroite de professionnels, choisis pour leur compétence et leur crédibilité, dans les programmes d’ensn seignement. Les ateliers pratiques pourraient, à ce titre, être assurés par des duos universitaires/professionnels, les prenm miers étant là à la fois pour assurer la continuité des cours (l’actualité dictant parfois aux professionnels de s’absenter) et pour la nécessaire théorisation et l’indispensable recul critique par rapport aux pratiques quotidiennes). A ce niveau, il est urgent de mettre en place des actions de formation de formatn 298 dialogue national - media et societe teurs dans toutes les spécialités et tous les métiers de la chaîne de l’information (y compris la gestion et le marketing des médn dias). Ces sessions de très haut niveau apporteraient les outils pédagogiques nécessaires aux professionnels et permettraient aux enseignants universitaires d’actualiser leurs connaissancn ces des outils et des pratiques professionnelles. - Les critères de recrutement des enseignants de journalisme de l’ISIC devraient exiger, en plus du niveau universitaire renq quis, soit une expérience professionnelle d’au moins 5 ans, soit imposer aux jeunes enseignants d’intégrer obligatoirement, et parallèlement, une rédaction (de leur choix) pendant cette même période. - Au niveau des programmes, il faudrait profiter de la nouvelle dynamique actuelle de l’ISIC pour associer la profession à une révision des programmes et des méthodes de travail en vue de consolider : ü l’enseignement des langues (au sens de « techniques de rédaction » et de « compréhension orale et capacités d’expression » pour les langues étrangères, et non au sens de l’étude classique de la langue, de la grammaire et de l’orthographe uniquement ou exclusivement) ; ü les pratiques professionnelles en atelier et sur le terrn rain; ü la culture numérique qui ouvre les perspectives aux nouveaux métiers de l’information, à la convergence des médias et au travail en temps réel ; ü la connaissance étroite de l’environnement juridique et socio-économique du pays, à la fois par les contenus enseignés et par des actions d’animation au sein des écoles (conférences, invités, colloque et séminaires, expn positions) et de participation, en direct et en immersion, à l’actualité et à la vie du pays. En ce sens, avant même le stage dans les médias, un premier stage « ouvrier » (comme dans les grandes écoles d’ingénieurs) dans les diagnostic global et analyse sectorielle 299

entreprises économiques de leur région serait souhaitn table pour les étudiants de première année ; ü l’articulation, l’encadrement et la sanction des stages intégrés par la définition, de concert avec la professn sion, d’un cadre précis qui précise les droits et devoirs de chacun et qui identifie un « coach » pour chaque stagiaire. Cette réforme n’a pas à partir de zéro. De grands acquis, auxqn quels il ne faut pas renoncer, ont été patiemment bâtis par les différentes générations d’enseignants et de directeurs de l’ISIC. La réforme peut donc s’adosser à l’héritage culturel de l’ISIC, à l’expérience de terrain de ses différentes promotions qui occupent, souvent avec compétence, le terrain professionnn nel et aux nombreuses réflexions et colloques qu’il a organisés. Comme elle se doit de se référer, en les adoptant nécessairemn ment à la réalité marocaine, aux standards internationaux comme les « Modèles de curricula de l’UNESCO pour la formn mation au journalisme », en particulier dans sa version frannc cophone, adaptée par le Réseau Théophraste des Écoles et Centres francophones de journalisme, version qui a, d’ailleurs été présentée à Rabat lors de l’assemblée générale du réseau fin 2009. Toutes ces réformes exigent de sortir des schémas universitn taires classiques qui saucissonnent l’enseignement du journaln lisme en intitulés trop vagues et en tranches horaires scolaires (cours de 8h à 10h00) peu adaptées à la pratique du métier et à l’interactivité. L’espace même des salles de cours et leurs équipements devraient être repensés dans le sens d’``open spaces`` qui stimulent la vie et le pouls des rédactions professn sionnelles. Attention, cependant, à ne pas tomber dans l’excès inverse en formant, quantitativement, plus de diplômés que la demande du marché, et, qualitativement, des profils qui ne corresponnd dent pas aux besoins. C’est en cela que réside l’importance de l’étroite relation à instaurer entre le monde de la formation et celui des milieux professionnels et la mise sur pied, ensemble, 300 dialogue national - media et societe

d’un dispositif de veille, sorte de tableau de bord qui piloterait, au moins une fois tous les deux ans, la mise sur pied (ou la supnp pression) de spécialités et/ou de nouveaux profils ». Ce point de vue d’un observateur étranger au contexte marocain nous amène à évaluer à leur juste valeur les potentialités du sect- teur public de la formation et les facteurs fort favorables pour sa réforme dont recèle l’environnement médiatique professionnel comme l’environnement politique et des libertés publiques en place au pays. Car, dans nombre de pays, la volonté de réforme de pédagogues peut ne jamais voir le jour du fait d’un environn- nement politique et juridique plus ou moins fermé à la liberté de l’expression et à la liberté d’entreprendre dans le domaine des médias (cas, jusqu’à début 2011, de la Tunisie par exemple) ou du fait d’un champ médiatique exigu, peu professionnel et quasi informel en termes d’équipements, d’investissements et de ressources humaines (cas de la Mauritanie, par exemple). Les potentialités, les forces même, du Maroc sur ces deux reg- gistres, font donc que le Maroc est largement bien préparé et outillé pour déployer une mise à niveau profonde, moderne et de référence, de son secteur de formation des professionnels des médias. Une mise à niveau qui est également aisée à conduire sur l’aspect de la formation continue et de perfectionnement des professionnels en exercice. Car, selon l’étude menée par le Dialogue national, un besoin urgent de formation continue a été largement exprimé, à la fois par les patrons de médias et par les journalistes eux-mêmes, du secteur public comme du secteur privé. Certes, de nombreuses entreprises ont recouru à des solutions en interne pour offrir sessions de perfectionnement et actions de recyclage. Mais ces actions méritoires sont trop dispersées, circonstancielles et ne s’inscrivent ni dans la durée ni dans une stratégie de développement et de promotion du secteur. La nécessité d’une structure de formation continue dans le do-m maine du journalisme, des métiers de l’information et de la communication, à l’instar du CAPJC de Tunis (Centre Africain diagnostic global et analyse sectorielle 301 de Perfectionnement des Journalistes et Communicateurs) s’imp- pose. Un centre de ce type au Maroc a même de réelles chances de rayonner dans les régions arabe et sub-saharienne et donc de supplanter le centre tunisien (le seul dans la région pendant près de 30 ans) car celui-ci est en nette et indéniable régression depuis au moins trois ans. De plus, estime, Pr. Ridha Najjar, fondateur et ex directeur du CAPJC, « l’environnement médiatique marocain et de nombn breux facteurs plaident en faveur de la création d’un tel centn tre: - multiplicité des entreprises, des titres de presse, des rand dios et des sites ; - pluralisme éditorial ; - nombre important de journalistes professionnels (près de 2400 cartes professionnelles délivrées en 2010) et, encore plus nécessiteux en formation, de correspondn dants et collaborateurs régionaux qui n’ont pas reçu de formation de base au journalisme ; - nombre d’attachés de presse, de communicateurs et de responsables de relations presse ou de relations publiqn ques dans les administrations publiques ou les entreprisn ses économiques, publiques et privées ; - nécessité de recyclage de cadres en fonction de l’évolutn tion des métiers et des technologies ; - possibilité de contribution au financement grâce au sysnt tème de la TFP (Taxe à la Formation Professionnelle — système dont il faudrait cependant assouplir les modaln lités de validation et de ristourne —) et grâce aux crédits alloués aux contrats programmes entre le ministère et la profession ; - enfin, et ce n’est pas le moindre des arguments, l’engagn gement du Ministère de la Communication et la prise de conscience de la profession. 302 dialogue national - media et societe

Il est clair que pour la formation continue, l’engagement et la responsabilisation de la profession, tous acteurs confondus, est fondamentale. Les entreprises médiatiques, tous secteurs confondus, doivent obligatoirement s’engager pour une ponl litique volontariste au bénéfice de la formation continue de toutes les ressources humaines de leurs secteurs respectifs. Il y va de leur développement stratégique, de leur survie même. Aujourd’hui, la formation permanente, l’apprentissage tout au long de la vie, est devenue une nécessité vitale pour chacun, pour tous les corps de métiers. Dans certains pays, comme la France, on a même instauré un Droit Individuel à la Formatn tion (DIF) que les patrons ne peuvent dénier ». Les autorités de tutelle et les acteurs de la profession sont, évid- demment, souverains pour décider de la forme et des modali-t tés de fonctionnement à donner à cette structure de formation permanente. Ceci dit, l’étude du secteur menée par le Dialogue national, arrive à la conclusion que ce besoin structurel de for-m mation performante, permanente et à l’écoute des nouveautés et incessants défis de la société du savoir, dont la médiasphère est la locomotive, doit amener le Maroc à anticiper valablement sur l’avenir et opter pour la création d’un « pôle du savoir et de l’intelligence » dédiée à la formation sur les métiers des médias. Devant les nouveaux projets annoncés par le Ministère de la Communication (Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovi-s suel, Institut Supérieur pour les Métiers de la Publicité), avec la création de cette structure de perfectionnement en journalisme, avec la perspective de l’ouverture du paysage télévisé au privé, il serait légitime de penser à créer un pôle technologique des médias et des industries du savoir. Ce pôle abriterait des médias, des centres de recherche, des écoles de formation pour l’industrie des médias, l’école du son et de l’image, l’école de la publicité, des studios de production et de postproduction en TV et cinéma, des centres de fabrication (rotatives, édition du livre, supports numériques CD, DVD), les instruments de médiamét- trie, des industries du soft, de développement de logiciels et de jeux vidéo… diagnostic global et analyse sectorielle 303

La proximité de la formation, de la recherche et de l’industrie engendrerait une indispensable synergie et une fructueuse dyn- namique. Cette option, recommandée par notre étude sur le secteur, est ambitieuse il est vrai, mais elle serait en tout cas en parfaite cohérence avec la stratégie marocaine en faveur de l’innovation et de l’investissement dans les secteurs innovants et à forte valeur ajoutée, sans qu’elle soit en concurrence avec les pôles existants ou envisagés dans le secteur pur des TIC. Il faudrait juste assurer une complémentarité et une synergie en-t tre ces derniers et ce pôle spécifiquement dédié aux médias et à la formation sur les métiers des médias. En tout cas, comme souligné plus haut, l’important est de me-n ner une étude de faisabilité urgente qui aborde tous les aspects de ce projet : - identification des besoins de formation des entreprises, des individus (parfois différents de ceux des entrepris- ses) ; - identification des sources de financement ; - identification des personnes ressources disponibles et besoins en formation de formateurs ; - définition du statut, de la tutelle et du mode de gestion de la structure en association avec la profession et le syndic- cat des journalistes ; - rapports et coopération avec l’ISIC et les autres structur- res de formation ; - opportunités de financement international et de coopér- ration; - modalités de programmation et veille stratégique. Comme consigné dans notre étude sur le secteur, à l’exception des enseignants de l’ISIC, un consensus général semble se dégag- ger pour que cette structure de formation continue : - se fasse en dehors du cadre de l’ISIC afin que le journal- liste ne sente pas « qu’il revient à l’école »; 304 dialogue national - media et societe

- n’ait pas recours à un corps d’enseignants permanents; - soit souple au niveau de la programmation afin de répon-d dre à des besoins urgents ou à des formations à la dem- mande (à la carte); - soit qualifiante et non diplômante, quoiqu’il faille étudier impérativement un système de validation des stages pour la promotion dans la profession; - ne soit pas un obstacle à l’organisation par les entrepris- ses d’actions internes de formation, de stages et de séj- jours d’information dans les médias étrangers pour des besoins spécifiques ou pointus. D’autre part, aussi bien la formation initiale et universitaire offerte par le secteur public que les programmes de formation continue, de perfectionnement ou de recyclage, ne peuvent prétendre à un impact positif et modernisateur sur la forma-t tion des ressources humaines du champ médiatique et sur son professionnalisme et son éthique si, parallèlement, un secteur privé officie dans le domaine de la formation avec des normes et des pratiques en deçà du seuil requis en termes de modèles de cursus, de pédagogie, de gouvernance et d’encadrement ens- seignant. L’état actuel du secteur privé est, comme le dégage notre diagnostic, le véritable nœud gordien dans la question de la formation du journaliste au Maroc qu’une politique publique claire et rigoureuse doit trancher au plus vite. La tâche n’est pas si ardue, car l’essentiel du problème peut être résolu par l’ins-t titution, à partir du concept d’intérêt public, d’un cadre réglem- mentaire définissant les conditions minimales pour accréditer une école privée, autour d’une série de questions qui sont, au minimum : - le statut de formation professionnelle ou de formation de niveau universitaire ? Ou les deux ? - le niveau de recrutement, sans Baccalauréat ou nécessair- rement avec ? - le concours de sélection ou sélection uniquement par l’argent ? diagnostic global et analyse sectorielle 305

- le nombre d’étudiants par classe ? - l’état et la qualité des locaux, équipements, ressources pédagogiques ? - le nombre minimal et le niveau des enseignants perma-n nents ? - le niveau et le nombre des professionnels associés ? - le type d’homologation du programme dispensé en référ- rence aux standards internationaux de la formation en journalisme et au standard de mise dans le secteur pub- blic ? - les modalités d’inspection et d’homologation des diplôm- mes ? Autant d’éléments que pourrait regrouper un cahier des charg- ges minimal auquel devrait obéir toute école privée avant d’être accréditée. Pour concrétiser cet objectif, une coopération est néc- cessaire entre les trois ministères concernés (Communication, Formation Professionnelle et Enseignement) avec la participat- tion des acteurs de la profession (patrons, syndicat et experts). S’il est aisément envisageable de procéder, à court terme, à une refonte de la donne de la formation du professionnel des médias (avec tous ses profils) dans le secteur public, il est urgentissime d’organiser et de standardiser le secteur privé tant celui-ci, pour moult raisons, depuis l’explosion du champ médiatique, favoris- sée par la liberté d’entreprendre, jusqu’aux défaillances actuell- les de l’offre publique, marque de plus en plus de ses empreint- tes le champ dans sa globalité, dans les compétences employées comme dans les contenus et les pratiques des médias et de leurs personnels. C’est au prix d’une telle refonte globale que la formation pourra jouer le rôle qui lui revient dans le triptyque décisif pour la mo-d dernisation et la démocratisation du champ médiatique natio-n nal : l’encadrement législatif, l’économie de l’entreprise média et la formation des ressources humaines. 306 dialogue national - media et societe

LE VECU DU JOURNALISTE PROFESSIONNEL De moins de 400 cartes professionnelles, tous métiers confon-d dus, délivrées en l’année des premiers états généraux du journal- lisme marocain (l’année1993), on est passé en 2010 à 2387 qui se répartissent comme suit :

Total journalistes professionnels : 1495

Journalistes Hommes : 1039

Femmes Journalistes : 456

Total journalistes stagiaires : 242 (152 hommes ; 90 femmes)

Photographes de presse : 274 (dont seulement 14 femmes photographes)

Techniciens de médias : 359 (dont 60 femmes)

Caricaturistes de presse : 5 (aucune femme)

Total tous profils professionnels : 1755 hommes et 632 femmes (2387 cartes)

Ces hommes et ces femmes travaillent, en tant que professionn- nels de journalisme dans : - 12 quotidiens partisans (sur 22 au kiosque) - 111quotidiens et périodiques privés - 142 périodiques régionaux Selon les secteurs, ils se répartissent entre : - Presse écrite : 1091 (agence MAP comprise avec 220 journ- nalistes) - Radio : 330 (dont 243 à la radio nationale, 52 dans les stations privées et 45 à «Médi 1» - Télévision : 835 (dont 563 à la SNRT, 225 à 2M –radio comprise- et 47 à «Médi1 sat») - Agences de communication, de production ou de public- cité : 40 (32 hommes et 8 femmes) diagnostic global et analyse sectorielle 307

- Presse électronique (détenteurs de carte de journaliste professionnel) : 16 (dont 3 femmes) - Free lance : 61 (dont 7 femmes) Cette corporation, longtemps assimilée à des « militants ou symp- pathisants » dans le cas dominant de la presse écrite partisane, ou à des fonctionnaires dans le cas des médias sous la tutelle ou la férule de l’État (RTM, MAP, groupe le Matin / Maroc Soir), n’a recouvré son indépendance syndicale complète, par rapport aux patrons (de la presse des partis) qu’en novembre 1996, soit 33 ans après la création du Syndicat National de la Presse Ma-r rocaine (SNPM), en janvier 1963. « Jusqu’en 1984, le Bureau national du Syndicat était exclusn sivement composé de directeurs des journaux nationaux. Après cette date, les journalistes professionnels furent élus membres du Bureau, à titre consultatif, à côté des directeurs des journaux. Cette opération a été considérée comme évolutn tion qualitative de la structure de la conception du syndicat. Après cela, en 1989, le syndicat a connu une autre expériencn ce, celle de former des sections de journalistes. Lors du 2ème congrès du SNPM, mai 1993 (soit au lendemain du colloque national de mars de la même année. NDLR), un autre amendenm ment a permis la mise en place de deux chambres, une chambn bre des directeurs et une autre des journalistes (…) Lors du 3ème congrès, en novembre 1996, le SNPM a changé complètenm ment sa structure; les instances élues du syndicat, tel le Conseil Administratif et le Bureau National, sont alors formés excluns sivement de journalistes, et la chambre des directeurs a évoln lué vers un statut consultatif » ( avant de disparaître, la FMEJ étant créée comme cadre propre à la corporation des patrons de presse)95. Ce bref rappel historique est nécessaire pour éclairer les diffici-l les et bien paradoxales conditions sociales et professionnelles

95 - Pour l’histoire et les activités du syndicat, consulter le site officiel du SNPM : www.snpm. ma 308 dialogue national - media et societe que vit le journaliste, ou la journaliste, dans le Maroc du 3ème millénaire. Autant, ces dernières années, le journaliste semble occuper les devants de la scène publique, de par ses productions comme de par la chronique incessante de ses affrontements avec les autorités, avec la justice et, aussi, avec le public (plaignants devant la justice ou manifestants dans la rue), autant, son vécu professionnel et social au quotidien semble des plus fragiles et même bien révoltants dans certains cas d’espèce. En tant que métier, le journalisme ne jouit pas encore d’une intégrité complète de statut dans la société marocaine qui lui identifierait et lui reconnaitrait une place et un rôle respectés et protégés parce que jugé d’un apport indispensable à la société dans son ensemble, à l’instar du médecin, du pharmacien, de l’avocat ou de l’ingénieur…Il n’occupe pas encore une place stab- ble et définitivement acceptée dans l’imaginaire collectif, il est encore méconnu et suscite défiance et crainte mêlées…Son exp- position permanente au politique, sa suspecte accointance avec celui-ci, ses confrontations permanentes avec l’État, sont pour beaucoup dans cette situation « socialement orpheline ». Mais sa place fragile et bien controversée dans la société doit beauc- coup aussi à la précarité de ses conditions professionnelles, à la réalité de tous les jours qu’il confronte dans l’accomplissement de son travail pour quelconque des entreprises médias, qu’elles soient publiques ou privées. Dans le cadre des études lancées par le Dialogue national, on a choisi de confier à une femme journaliste, récipiendaire de prix nationaux et étrangers pour la qualité de ses enquêtes journa-l listiques, de traquer ce vécu quotidien des journalistes, par les techniques du reportage, de l’interview, de l’enquête et des récits de vie, en accompagnant, par l’observation aussi, des confrères sur le terrain afin de restituer leurs difficultés de travail, leurs confidences et commentaires, entre confrères, sur leur vécu prof- fessionnel96. L’objectif était d’illustrer ce qu’une analyse scient-

96 - Consulter cette enquête, réalisée par Mme Maria Moukrime, sur le site du Dialogue : www. mediasociete.ma diagnostic global et analyse sectorielle 309 tifique et froide de ces conditions pourrait dégager, afin de rap-p porter des réalités individuelles et particulières vécues dans le feu de l’action. Donner de la chaire à un squelette d’analyse, en somme, ou confirmer l’analyse par la sueur des hommes et des femmes de ce métier dont peu de gens connaissent les réalités de tous les jours et les tréfonds de cette corporation. Répétant à satiété qu’il exerce « le métier de toutes les peines », le journaliste marocain étale rarement au grand jour, à titre pers- sonnel, et non collectif ou syndical, ce qu’il vit et subit comme conditions de travail, sa vulnérabilité dans l’entreprise, les faci-l lités, légèretés et déviations professionnelles auxquelles il cède en conséquence, les frustrations qu’il accumule au plan profess- sionnel et les sacrifices qu’il concède en lieu et place de droits qui lui sont pourtant reconnus par la loi ou par les traditions universelles de la profession. Il arrive même, comme en témoi-g gne notre étude, qu’il requiert l’anonymat quand il lui arrive de confier à un tiers ce qu’il endure comme « travailleur de la plume » ou quand il accepte de répondre à une enquête sociolog- gique ou journalistique portant sur ses conditions de travail!97

1. Effectifs et équité Le journaliste marocain dans les quotidiens de la presse écrite (papier) travaille dans des rédactions qui, en moyenne, tour-n nent avec une dizaine de rédacteurs. Dans les rédactions les plus étoffées (Assabah, Al Ahdath, Al Massae, les trois plus forts tirages et ventes, de la presse arabophone, la plus lue de nos jours) on peut compter jusqu’à 20 à 25, en moyenne, mais avec des profils aux compétences inégales qui font que le plus gros

97 - Plus la situation du journaliste dans l’entreprise est précaire, plus cette hantise pousse même au refus de se confier à un étranger ou, pour le moins, de ne le faire qu’avec extrême précaution (anonymat, hors de l’entreprise, à l’abri des oreilles indiscrètes), de peur de représailles de la part de l’employeur. C’est le cas, particulièrement des femmes journalistes, comme l’illustre une enquête menée par l’Unesco, en 2007, auprès des femmes journalistes dans les pays du Maghreb, dont nombre d’interviewées ont refusé de rencontrer les enquêtrices, sur leur lieu de travail, certaines refusant totalement de répondre, pour ces mêmes raisons, en Tunisie, en Algérie, au Maroc, en Mauritanie et en Libye. Consulter « Le journalisme maghrébin au féminin » sur le site du bureau multi pays de l’Unesco à Rabat : http://rabat.unesco.org/ 310 dialogue national - media et societe du travail (16, 20, 24 pages) est pris en charge généralement par certains et par des collaborateurs externes, pas nécessairement rémunérés. Dans la presse hebdomadaire (papier), la moyenne des rédacteurs permanents, à une ou deux exceptions près, est de cinq, avec apports de collaborateurs externes, pas nécessai-r rement journalistes et pas nécessairement des pigistes rémunér- rés. Pour ce qui concerne les correspondants de ces titres, à part certains quotidiens qui ont un noyau rédactionnel régional (de deux ou trois journalistes), soit à Casablanca, soit à Rabat, dép- pendamment du siège central du journal dans l’une ou l’autre de ces deux villes, le recours à des journalistes permanents dans les régions, dûment formés, n’est pas la règle dominante. Ce qui domine est le recours à des pigistes et, trop souvent, ces corresp- pondants ne sont même pas éligibles à la carte de journaliste professionnel tel que prévu par la loi, ou à cause du refus de leur employeur de présenter leur demande à la commission paritaire d’octroi de cette carte… Quant aux périodiques de la presse régionale, le schéma domin- nant est un éditeur qui est en même temps le directeur et le seul journaliste permanent et, dans le meilleur des cas, avec un ou deux journalistes permanents ou semi permanents; tous les ti-t tres régionaux comptent, pour l’essentiel de leurs contenus, sur des contributions à titre gracieux, de différents horizons (enseig- gnants, techniciens, écrivains, animateurs culturels, activistes associatifs etc.). Enfin, on doit relever la faible, sinon marginale, présence, des femmes dans les rédactions de la presse écrite. Selon les stat- tistiques relatives aux cartes de journalistes professionnels (es) délivrées en 2010, les femmes journalistes représentent : ü Dans la presse quotidienne (papier) : 21,4% (76 F pour 279 H) ü Dans la presse hebdomadaire : 15,4% (19F pour 104H) ü Dans la presse périodique : 24,2% (42F pour 131H) diagnostic global et analyse sectorielle 311

Alors que dans l’agence MAP, l’effectif féminin arrive à représ- senter le tiers des effectifs des journalistes (69F pour 130H), on relève que l’équité du genre est bien meilleure dans les médias audiovisuels : ü Radio Nationale (SNRT) : 46,2% (103F pour 113H) ü 2M (SOREAD) : 39,7% (29F pour 44H) ü Al Oula (SNRT) : 37,2% (60F pour 101H) ü Radios privées : 36,1% (13F pour 23H) Il reste que dans le total global des journalistes détenteurs de la carte professionnelle, soit 1495 cartes, les femmes en déten- naient, en 2010, 456, soit 30,5%. Par contre, ce pourcentage monte à 37,1% dans le total des cartes des journalistes stagiair- res (90F pour 152H), alors que les femmes ne représentent que 16,7% sur le total des cartes délivrées au titre de « technicien » (60F pour 299H), et juste 5,1% dans le cas des photographes de presse (14F pour 260H). Quant à la caricature de presse, elle est exclusivement masculine et bien embryonnaire au pays, comme on l’a vu : juste 5 cartes délivrées en 2010. Tout compte fait, la femme n’atteint pas, globalement, le quota de 30% parmi les effectifs des journalistes (31,4 % si on cumule journalistes et stagiaires, soit un total de 1737 avec l’ajout de 90 femmes stagiaires et 152 hommes stagiaires). En fait, en tant que professionnelles des médias (tous profils confondus), elles ne représentent que 26,4% (632 détentrices de cartes dans le to-t tal global des professionnels des médias au Maroc qui est 2387 cartes délivrées).98 Une présence donc d’un quart dans les effectifs nationaux qui, on s’en doute, va avoir de profondes conséquences sur les conten- nus de ces médias, leurs rubriques et thématiques comme leurs modes de traitement, leur lexique, la symbolique qu’ils vont véh- hiculer et transmettre, c’est-a-dire une culture masculine domin-

98 - Le pourcentage des femmes atteint les 35% en Égypte, 39% au Portugal, 40% au Danemark, 46% en Tunisie, 55% en Finlande, 80% en Russie et 25% en Algérie, situation quasi similaire à celle du Maroc. 312 dialogue national - media et societe nante, misogyne souvent et fondamentalement discriminatoire, comme en témoignent nombre d’analyses qui ont d’ailleurs inc- cité l’État à adopter, en 2005, un « plan national » (ou charte nationale) de lutte contre l’image discriminatoire de la femme dans les médias et de promotion de la place et des compétences de la professionnelle dans les médias…Il est de notoriété pub- blique au sein de la profession, par exemple, que les femmes sont en règle générale marginalisées ou discriminées dans les tableaux d’avancement, comme dans les décisions d’augmenta-t tion de salaires ou d’octroi de primes de rendement et qu’elles n’accèdent que rarement aux postes de responsabilité au sein de l’entreprise. À ce jour, on ne compte qu’une rédactrice en chef dans un hebdomadaire généraliste à gros tirage, une directrice de chaîne TV du pôle public, deux directrices d’information dans deux chaînes TV du même pôle, cinq responsables dans onze stations radios, à l’exception de certains périodiques et magazi-n nes qui sont soit éditées par des femmes, soit occupant un crén- neau dans la presse spécialisée (économie, famille, mode…). Force est de relever quand même que, relativement, les médias dits publics affichent une meilleure représentation de l’élém- ment féminin parmi leurs effectifs, avec une nette avancée dans l’audiovisuel ( la radio nationale en tête) mais sans que cela sig- gnifie que les femmes jouissent des mêmes droits et des mêmes conditions de travail que leurs confrères hommes, depuis les sa-l laires jusqu’à l’accès à des postes de responsabilité, en passant par les horaires, les tâches confiées et les conditions et outils de travail. Et sans aussi que leurs droits spécifiques, en tant que femmes, soient scrupuleusement respectés, comme le congé de maternité.

2. Salaires, moyens de travail et droits sociaux Il est indéniable que la convention collective, signée le 14 dé-c cembre 2005 entre la FMEJ et le SNPM, et le contrat programm- me, signé le 11 mars 2005 entre la FMEJ et le ministère de la diagnostic global et analyse sectorielle 313

Communication, constituent des ancrages fondateurs d’une rec- connaissance, enfin, des droits sociaux du journaliste auMar- roc. Les consultations et réunions menées par ces parties tout le long de 2010 et les premiers mois de 2011 pour renouveler ces deux importants documents de régulation ont été l’occasion de pointer leurs faiblesses quant à leur effectivité. Car, il est mani-f feste pour tous les concernés, et d’abord pour les journalistes, que la convention collective est peu ou sélectivement appliquée, quand elle n’est pas ignorée, par nombre d’éditeurs, et le contrat programme n’est plus tout à fait adapté, cinq ans après sa sig- gnature, aux nouvelles donnes intervenues depuis lors dans le paysage de la presse écrite, devenu plus diversifié, eu égard au moins à l’avènement progressif de la presse électronique dans son champ99. Certes, on est loin des décennies 70 ou 80, quand le journaliste était payé en cash par une enveloppe remise par le Directeur (souvent leader du parti politique commanditaire du journal), moyennant des marques de déférence comme le veulent les coutumes marocaines pour un père ou pour un protecteur (un directeur de quotidien connu avait même droit au baisemain quand il remettait les salaires en personne, dans son bureau!)… Les contrats de travail qu’offraient de rares entreprises (organes publics ou semi-publics, comme la MAP ou la RTM de l’époque ou encore le groupe Le Matin/Maroc Soir), n’étaient pas respect- tueuses de toutes les obligations prévues par la loi (législation du travail et statut du journaliste).

On était alors dans une logique d’emploi accordé, sans garan-t ties légales, à un « militant ou sympathisant » (dans le cas de la

99 - A partir de début 2011, deux sites d’information on line, des « pure players », s’imposent au top des sites d’information consultés, il s’agit de www.goud.ma (lancé par des anciens de l’hebdomadaire papier disparu « Nichane » et de www.lakome.com (lancé par l’ex éditeur du quotidien papier « Al Jarida Al Oula »). La vague d’événements quotidiens, depuis l’apparition du « Mouvement du 20 Février » », que ces deux supports couvrent largement, heure par heure même, avec contenus multimédia, est pour beaucoup dans leur fulgurante popularité, auprès des jeunes tout particulièrement et des élites. 314 dialogue national - media et societe presse partisane) ou, dans le cas des établissements publics ou entreprises assimilées, dans une logique de fonctionnariat avec tous les régimes de gestion bureaucratique et d’applications va-r riables qui ne manquent ni d’injustices ni d’exceptions contrai-r res aux dispositions légales. En tout cas, le journaliste n’était nullement, en général, dans ses droits de manière complète et légale.

L’actuelle génération de journalistes était donc en droit d’envi-s sager avec la signature, fin 2005, de la « Convention collective- cadre des journalistes professionnels » à rentrer dans une ère de normalité concernant ses droits matériels et sociaux, à partir de janvier 2007, au plus tard, puisque cette convention, stipu-l lait dans son article 21, relatif à son entrée en vigueur, que :

« la présente convention-cadre sera notifiée au ministère de la communication pour être prise en compte dans le cadre du contrat-programme conclu entre l’État et les parties signant taires. Elle prend effet avec ses dispositions actuelles à partir du 1er janvier 2006.Toutes les entreprises de presse devront impérativement se conformer aux dispositions de la présente convention et de ses annexes adoptées en 2006, au plus tard, avant le 1er janvier 2007 ».

Or, en 2011, l’application de cette convention, en partie ou glo-b balement, n’est toujours pas de mise dans nombre d’entreprises, avec des situations bien similaires aux situations de non droit de l’ère d’avant cette convention. Le vécu du journaliste en atteste dans plusieurs cas de « récits de vie professionnelle »…

Confrontons donc les principaux droits octroyés, depuis près de cinq ans, par cette convention collective et le vécu actuel de nos professionnels, illustré par des exemples documentés par notre étude, dans diverses entreprises de la presse écrite nationale. diagnostic global et analyse sectorielle 315

Principales dispositions de la convention collective au plan matériel et social

- Article 6 – Carte de presse et attestations d’emploi Le journaliste reçoit dès son engagement un document écrit sous forme de carte de travail, de lettre d’engagement ou de contrat écrit établissant sa qualité, la durée de son engagement et son salaire. Après sa confirmat- tion au terme de la période de stage, il est proposé pour l’obtention de la carte de presse officielle. Pendant son maintien au service de l’entreprise de presse il a droit à tout moment d’obtenir de celle-ci des documents faisant état de sa profession, de son ancienneté et de son salaire, conformément à la législation en vi-g gueur. Article 9 – Rémunération principale La rémunération du journaliste professionnel est fixée selon son classem- ment en tenant compte de sa qualification et de ses aptitudes professionn- nelles. Le salaire brut d’un journaliste ne peut en aucun cas être inférieur à 5800 Dhs par mois au terme de la période de stage. Article 10 – Primes diverses Les journalistes professionnels perçoivent une indemnité mensuelle de transport qui ne doit pas être inférieure à 400 Dhs. 1- Dans les entreprises de presse où il existe à la date de la signature de la présente convention, un 13ème mois au bénéfice des journalistes prof- fessionnels, cette prime est considérée comme un droit acquis et ne peut faire l’objet d’aucune remise en cause. 2- A partir de janvier 2007, le droit à la prime dite 13ème mois sera eff- fectif dans toutes les entreprises de presse membres de la Fédération des éditeurs de journaux. Article 12 – Frais de missions Les déplacement à titre professionnel des journalistes en dehors de leur ville d’affectation ou de résidence habituelle déclarée, donnent lieu au remboursement par l’entreprise de presse, des dépenses effectives qu’ils occasionnent au titre du transport, de la restauration, de l’hébergement, et de la communication. Sous réserve de respecter les standards de décence admis dans la profess- sion, ces frais peuvent être plafonnés et/ou soumis à des critères objectifs 316 dialogue national - media et societe

d’évaluation préétablis ou encore à autorisation d’engagement. L’exigence de justificatifs de dépenses admis par la législation fiscale ne peut être interprétée comme une mesure restrictive ou abusive. A défaut de conditions fixées dans l’accord d’établissement, le règlement intérieur ou dans l’ordre de déplacement donné, les frais de mission sont présumés être fixés sur les bases forfaitaires suivantes : - 300 Dhs par jour, pour tout déplacement dans un rayon de plus de 200 km du lieu de résidence du journaliste ou du siège de l’entreprise de pres-s se ; - 1000 Dhs par jour, pour tout déplacement à l’étranger accompli pour l’exercice d’une mission journalistique. Article 16 – couverture sociale Le journaliste professionnel est obligatoirement immatriculé à la CNSS. L’entreprise de presse verse mensuellement à celle-ci les cotisations légales au titre du régime général. Elle assure également la couverture du risque maladie auprès de cet organisme ou de tout autre régime autorisé par la loi. Des couvertures complémentaires sont souscrites par chaque entreprise de presse au profit des journalistes professionnels ou de l’ensemble du personnel, notamment contre les risques maladies, invalidité et vieillesse en contribuant à leur financement à concurrence de 50% au moins des primes qui en découlent.

Qu’en est-il dans la réalité? Si la réalité est bien déficitaire, en termes de salaires, pour tous les journalistes, elle est en fait duale dans ces déficits. D’un côté, elle est globalement peu réglementaire dans la presse francop- phone, et de l’autre, elle est scandaleusement inéquitable et ma-n nifestement illégale dans le cas de la presse arabophone. Quand certaines publications francophones concèdent un sal- laire minimum de débutant conformément à l’article 9 de la convention collective, soit 5500 DH net ou 5800 brut (on peut même parler d’une moyenne de 6000DH), la majorité des pub- blications arabophones concèdent un salaire minimum pour le même profil, de 3000 DH, et dans le meilleur des cas, un journ- naliste arabophone ne peut espérer un minimum de 5000 ou 5500 DH qu’au bout de trois ans ou plus de travail. Notre étude est arrivée même à la conclusion qu’en termes d’avancement, un diagnostic global et analyse sectorielle 317 journaliste arabophone doit travailler dix ans avant d’atteindre le salaire d’un journaliste débutant dans la presse francophone. Bien entendu, dans le cas des femmes journalistes qui, de fait, et quelque soit le secteur, sont payées 18% à 20% moins que leurs confrères du sexe masculin, la situation est quasi inique dans les publications arabophones. La situation dans la presse partisane n’est pas reluisante non plus sur ce registre des droits matériels et sociaux des journalis-t tes, au moment où elle est confrontée à des impératifs décisifs de mise à niveau, de nouvelles performances et de développem- ment, risquant de voir son déclin actuel continuer, au profit de la presse électronique notamment. Ses journalistes, les arabo-p phones comme les francophones, sont bien moins payés que leurs confrères de la presse privée. Alors que les correspondants régionaux, sont en règle générale, payés 50% moins que leurs collègues de la rédaction centrale, et dans le cas de la presse part- tisane, ils peuvent toucher encore moins ou sont payés à la pige, plus ou moins correctement, plus ou moins régulièrement. Quant aux indemnités et frais de mission (article 12 de la conven-t tion), c’est un poste qui atteste plus gravement encore des situat- tions d’infra droit et de gestion contre productive auxquelles sont confrontés les journalistes dans nos entreprises de presse, même en cas de couverture d’un événement majeur qui fait la « une » et est potentiellement un sujet vendeur par excellence et donc fort rentable pour l’entreprise en termes de diffusion, de vente et de notoriété professionnelle. Il est difficile d’imaginer, par exemple, comme collecté par not- tre étude, que pour couvrir les émeutes du 8 novembre 2010 à Laayoune, événements dits du «camp de Gdim Izik » : - un hebdomadaire arabophone n’a accordé à son re-p porter qu’une indemnité forfaitaire de 800DH pour tous les frais de séjour et de travail, durant trois jours 318 dialogue national - media et societe

d’enquête sur le terrain, sur un sujet qui fît, par la suit- te, la couverture de la publication; - un journaliste d’un autre hebdomadaire arabophone, récipiendaire d’un prix international pour son enq- quête sur ces événements, n’a réalisé celle-ci, en deux jours, qu’en comptant sur ses propres deniers et sur l’aide de ses propres amitiés sur place, n’ayant eu droit qu’à 300Dhs, en tout et pour tout, comme frais « complets » de mission! (la convention dans son article 12, prévoit 300 Dhs par jour, au-delà de 200 Kms, ce qui, en soi, est à revoir à la hausse comme la somme prévue de 1000Dhs/jour pour un déplacem- ment à l’étranger); - un journaliste, arabophone, affecté en principe à la rubrique économique du journal, a été obligé par son directeur, d’enfiler, en une journée, moyennant des déplacements par taxi à Rabat et à Casablanca, la couverture d’une conférence de presse du ministre de la communication sur ces événements de Laayoune (à Rabat), d’une conférence de presse d’une grande banq- que à Casablanca, d’une autre d’un grand opérateur de télécommunications, d’une autre encore du Prési-d dent de la Banque du Maroc et, comme le lui ordonna son directeur, de « faire au moins de furtives appanr ritions et de s’inscrire dans les listes de présence » des points de presse organisés le même jour, dans trois lieux différents à Casablanca, par trois grands groupes financiers qui sont d’importants annonceurs pour la publication…Ce journaliste devait, en plus, préparer sa page économique hebdomadaire pour le lendemain, comme l’exigea de lui son directeur dans la même conversation téléphonique! Ces trois « tranches de vie professionnelle », suffisent pour confirmer la tendance lourde d’une situation fort précaire du journaliste marocain, relevant même de l’ « informel » ou du diagnostic global et analyse sectorielle 319

« militantisme », au plan des salaires, des moyens et conditions qu’on lui concède pour mener son travail sur le terrain. Elles soulignent aussi la césure qui existe, sur ce plan, entre journa-l listes arabophones et leurs confrères francophones. Car, pour la couverture du même sérieux et dangereux événement du 8 novembre 2010 à Laayoune, le reporter d’un magazine d’infor-m mation francophone a eu droit, comme il le confie dans notre étude, à : une indemnité d’hébergement de 600Dhs par nuit, une indemnité de 150Dhs par repas, une indemnité de location de voiture (en cas de besoin, sur justificatif) et une indemnité forfaitaire de 200Dhs par jour pour le recrutement d’un « guid- de » ou « facilitateur » sur le terrain (en cas de besoin et sans nécessaire justificatif)… Avec ce dernier cas, on est, dirions-nous, dans la normalité qu’on souhaiterait pour tous les journalistes, qu’ils soient employés par des titres francophones ou par des titres arabophones, par des titres partisans ou par des titres privés. Mais le paradoxe existe et, en fait, il subsiste, car il a toujours existé, depuis l’ind- dépendance. Alors que le champ médiatique a fortement changé puisque, d’une domination des publications francophones on est passé à l’inverse : une domination nette des tribunes arabo-p phones, dans les tirages comme dans les ventes, avec, en parall- lèle, une dominante présence de l’expression arabophone dans les médias audiovisuels (dans la majorité des radios privées, notamment), sans oublier la langue Amazigh, qui accède petit à petit au kiosque, alors qu’elle renforce progressivement sa pré-s sence dans les radios et les chaînes de télévision du pôle public et dans les médias associatifs embryonnaires. Pour expliquer ce fossé structurel (et culturel?) entre les condi-t tions matérielles et professionnelles des journalistes francophon- nes et celles subies par leurs confrères arabophones, on invoque généralement le quasi-monopole des titres francophones sur le marché des insertions publicitaires. Explication avancée, souv- vent, par les éditeurs ou directeurs de publications, justifiant par là leurs politiques salariales, leurs grilles d’indemnités et le 320 dialogue national - media et societe peu de moyens de travail qu’ils offrent aux journalistes (télép- phone GSM, laptop, véhicule : panoplie minimale pour qu’un journaliste effectue correctement son travail de nos jours…)100. A cet argument avancé par certains éditeurs, doublé du juste argument concernant l’insuffisante aide publique dans le cas de certaines entreprises, les journalistes répondent que, justement, l’aide publique à la presse, encadrée par le contrat programme, et les engagements pris par les éditeurs sur la base de la conven-t tion collective, doivent normalement aider à assainir, en prior- rité, cette situation si déficitaire et inique pour le journaliste, quelle que soit la publication qui l’emploie. Le débat revient donc au point de départ : quid de la mise en œuvre effective de ces deux documents dans la totalité de leurs dispositions et quelles refontes doivent-ils subir à présent, à des fins d’adaptation et de mise en œuvre plus conséquente sur la réalité du vécu professionnel des journalistes? Refontes qui doiv- vent déboucher, entre autres, sur une nomenclature nationale de tous les médias qui, révisée périodiquement, doit définir les différents métiers, les différentes tâches et les grilles de salai-r res et d’indemnités qui leur sont appliqués. Refontes qui doiv- vent aussi concerner l’aide publique, ses montants et les postes auxquels elle doit être affectée prioritairement par les éditeurs bénéficiaires, selon un cahier des charges clair, précis et à resp- pecter obligatoirement, sous peine de sanctions, c’est-à-dire d’exclusion du régime de l’aide publique.

100 - Dans nombre de grands journaux, comme d’ailleurs à la MAP ou dans les médias audiovisuels publics, l’octroi d’un ordinateur portable est sélectif, quand il est concédé, et certains directeurs accordent à leurs journalistes des montants pour leurs crédits d’appels sur cellulaire si peu suffisants que les journalistes sont obligés, pour leur travail, de payer de leur poche…A la radio nationale, le service de production ne disposerait que d’une seule ligne fixe de téléphone…Même situation dans une radio privée (Cap radio).Quant aux véhicules, la règle pour le journaliste reporter est de compter pour ses déplacements, dans la plupart des cas, sur un véhicule de service qui sert à divers services : distribution de courrier, transport de matériels et de marchandises, transport de personnels! Quant à une « prime d’habillement », non évoquée par la convention collective, personne n’ose la revendiquer (dans le cas de la MAP, elle existe comme rubrique dans le budget de fonctionnement, mais elle sert juste à titre d’indemnité complémentaire au salaire sans qu’elle soit obligatoirement dépensée pour l’objet déclaré). diagnostic global et analyse sectorielle 321

La révision de ces deux textes devra tenir compte, cependant, de certaines réalités qu’il faudra analyser plus profondément et imaginer de nouvelles approches pour les infléchir vers une dém- mocratisation des pratiques des entreprises et de leur gouvern- nance au plan des droits professionnels et sociaux des journal- listes comme au plan de la configuration du champ médiatique national dans son ensemble. Car, il est indéniable, que la réalité de l’activité économique et du monde des affaires au Maroc est encore bien dominée par la langue française, de sorte que le marché publicitaire est fon-d damentalement francophone, particulièrement en direction de la presse écrite…Bien qu’on assiste, ces dernières années, à un intérêt croissant des annonceurs pour les publications arabo-p phones lesquelles ont pu, il faut le reconnaître, s’imposer à ce marché du fait de leurs tirages et ventes, en plus d’autres pa-r ramètres, moins évidents ou moins connus et que nous avons déjà évoqués dans notre analyse du secteur de la publicité (in-s sertions de complaisance, soutiens financiers indirectes d’un groupe économique, soit participant au capital de la publication concernée, soit poursuivant un objectif d’influence ou d’ambi-t tions d’ordre économique ou politique, via la presse …). D’un autre côté, l’évolution du champ de la presse écrite, qui a profité ces dernières années particulièrement aux titres ara-b bophones, provoquant, par voie de conséquence, un constant recul d’influence de la presse francophone, a fini par rendre le profil du «journaliste francophone» assez rare sur le marché. D’autant plus que, d’une part, la spécialité «presse écrite» est de plus en plus désertée par les étudiants de l’institution publiq- que (ISIC) au profit de la spécialité audiovisuelle et que, d’autre part, deux écoles privées sur les trois qui recrutent le plus d’étud- diants (à Casablanca), offrent quasi exclusivement des format- tions en arabe. D’ailleurs, il est de plus en plus fréquent de ren-c contrer quotidiennement dans la presse des offres d’emplois en journalisme, pour tout francophone détenteur d’un quelconque diplôme universitaire, à défaut d’un diplôme universitaire spéc- cialisé en journalisme. 322 dialogue national - media et societe

La faible offre en profils francophones a donc sa part dans l’ex-p plication de leurs meilleures situations dans l’entreprise et à l’inverse, la relative disponibilité de nombre d’arabophones comme demandeurs d’emploi dans les médias, explique la fra-g gilité du professionnel arabophone qui le pousse à accepter le renoncement, plus ou moins forcé, à certains droits sociaux et professionnels légitimes. Mais ce tableau n’est pas toujours aus-s si simple de lecture, les paradoxes étant la dominante du champ médiatique national, il peut arriver des situations atypiques ou exceptionnelles à la règle par rapport à ces pratiques dominant- tes. Ainsi, par exemple, la corporation a assisté, quasi impuissante, au lock-out de deux quotidiens partisans (Al Mithaq et Al Ma-g ghrib), avec une lutte quasi vaine, de plusieurs années, menée par leurs journalistes pour essayer de recouvrer leurs droits lég- gitimes d’avant la fermeture et leurs indemnités prévues par la loi en cas de lock-out. En 2008, les journalistes de deux autres journaux partisans (Al Bayane et Bayane Al Youm) , s’engagèr- rent dans un conflit ouvert avec leur direction pour leurs droits à la retraite, à un salaire légal et au13ème mois légal (prévu par l’article 10 de la convention)…Dans un communiqué du 28 fév- vrier 2008 le SNPM soulignait à propos de ce conflit : « le non règlement des crédits cumulés envers la société envers la caisse marocaine interprofessionnelle de retraite (CIMR) malgré les prélèvements effectués régulièrement depuis 1998 sur les salairn res des journalistes ; la non application d’une façon convenable de la convention collective concernant notamment les salaires et le treizième mois »…(le 13ème mois qui, comme l’augmentat- tion annuelle du salaire ou la prime à l’ancienneté ,prévue par l’article 8 de la convention, sont rarement appliqués)101.

101 - Nul n’envisage encore de voir aboutir, à terme, dans une telle réalité, la revendication bien récente du SNPM d’une prime de risques, alors que ces deux dernières années des journalistes ont été menacés de mort à Tétouan pour leurs enquêtes sur des affaires touchant au secteur de l’immobilier ou au trafic de stupéfiants, que les journalistes de la station TV de Laayoune sont épisodiquement agressés, menacés et que journalistes et caméramans ont été molestés, violentés et harcelés lors de diverses manifestations de rue, notamment depuis les manifestations du 20 Février 2011. diagnostic global et analyse sectorielle 323

Dans le camp de la presse privée, il y a le cas d’un hebdomadaire francophone, des plus lus et des plus en vue par ses serments de foi pour la défense de la culture du respect des droits. Sa direct- tion dût reconnaître en janvier 2010, à l’occasion d’une faillite financière exécutée par huissiers, qu’elle ne payait pas les droits sociaux de ses journalistes (cotisations sociales, prévues par l’article 16 de la convention), alors que son administration prél- levait, à cet effet, les sommes dues sur les salaires à cet effet… Parlant de son expérience de six années dans cet hebdomadaire, un de ses anciens journalistes commente : «La fermeture du ``Journal`` fût une grande perte pour le paysage médiatique mais elle fût tout autant une grande pertn te pour ses journalistes et ses personnels quand ils apprirent, avec surprise, que leurs cotisations à la CNSS n’ont jamais été payées par l’employeur, alors que pendant des années, on leur prélevait mensuellement les sommes de ces cotisations sur leur salaire… Dès le lendemain de la fermeture, on s’est retrouvé sans ressources, ni indemnités pour cessation de paraitre, ni droits sociaux… un véritable deuil pour nous tous ». Ces vécus particuliers attestent donc que, quel que soit le type de publication, arabophone ou francophone, quels que soient ses moyens, ses traditions, sa ligne éditoriale, ses performances éditoriales ou commerciales, la tendance globale de la gouver-n nance d’entreprise tend vers l’application du moins possible des droits sociaux et professionnels dûs aux personnels de l’entrep- prise, aux journalistes en particulier. Même si un certain nombre d’entreprises poursuivent depuis 2007 des efforts pour se conformer à la convention collective et au contrat programme, nombre d’exemples vécus, de rapports et communiqués du SNPM et d’autres centrales syndicales, de cahiers revendicatifs, dans la presse écrite comme dans la presse audiovisuelle, témoignent amplement de ce type de gouvernan-c ce aux multiples défaillances et travers. Car il s’agit fondament- talement d’un sérieux problème, structurel, de gouvernance en interne dans tous nos médias, comme en témoignent aussi les 324 dialogue national - media et societe mouvements de contestations, de revendications, de grèves, de pétitions et de sit-in que les médias publics vivent depuis des mois, à l’intérieur de leurs murs comme devant leurs sièges (agence MAP, SNRT, 2M).

3. Droits déontologiques ou moraux, formation et professionnalisme Cette gouvernance, globalement bien peu respectueuse des droits socioprofessionnels des journalistes, a également des conséquences sur les droits moraux et déontologiques de ces derniers. Ils sont, par exemple, rares les publications qui por-t tent dans leur « ours » les noms de tous les journalistes. Souv- vent, cette visibilité n’est accordée qu’aux chefs et chroniqueurs vedettes ou signatures invitées pour leur renom. Et si les jour-n nalistes marocains sont confrontés, comme nombre de leurs confrères ailleurs, au phénomène de la convergence qui les obli-g gent à produire, avec un seul salaire, pour deux supports de leur éditeur (édition papier et édition électronique) ou même trois (quotidien papier, quotidien électronique et publication hebdom- madaire), ils sont particulièrement exposés à la censure induite par le souci permanent de l’éditeur d’attirer le plus d’annon-c ceurs, les plus gros et les plus réguliers. Une censure qui ne dit pas son nom et qui fait dire à un journaliste que « la sphère des lignes rouges et du sacré s’est élargie, elle englobe maintenant de gros annonceurs, des hommes d’affaires sont devenus sacrés dans nombre de journaux et la sacralisation d’un opérateur économique dans une publication provoque, presque mécaninq quement, la sacralisation de son rival dans un autre journal, de sorte que le journaliste avec ses écrits commandés par son patron, devient un simple instrument aux mains des antagon nistes, sans qu’il espère trouver ailleurs une gouvernance qui lui permette d’exercer son métier sans être instrumentalisé de la sorte dans des conflits qui le dépassent». C’est là l’illustration la plus concrète de l’intrusion en cours, dep- puis une dizaine d’années, du pouvoir économique dans le dom- diagnostic global et analyse sectorielle 325 maine de la presse, comme nous l’avons longuement exposée et commentée dans notre cadrage politique et dans notre analyse du diagnostic du secteur de la presse écrite. Au gouvernail de plusieurs titres, des lobbys économiques, groupes financiers et hommes d’affaires, sont, soit aux commandes, comme opérat- teurs médias, soit pas loin. Et leur influence sur la presse n’est pas uniquement d’ordre économique et financier, elle est aussi d’ordre politique, encadrant ou infléchissant explicitement ou implicitement leurs contenus et leurs lignes éditoriales. Un défi pour la démocratie tout court comme pour la promotion d’une presse professionnelle, démocratique par ses contenus et par sa propre gouvernance. Un grave déficit donc pour les droits moraux dont celui qui vient en tête des chartes déontologiques du journalisme à travers le monde : l’Indépendance du journaliste, notamment par rapport aux interventions du monde des annonceurs. Un journaliste résume cette inféodation forcée à l’annonceur, craint ou couru par l’éditeur, en disant : « les articles roses sur les puissants groupes financiers et hommes d’affaires prolifèrent dans nos journaux, la politique et l’argent sont devenus bien mêlés et nombre de politiques ont maintenant des sortes de sponsors puissants auprès de la presse»… Il n’est donc pas étonnant, comme le confirment nombre de journalistes interrogés par no-t tre enquête, qu’une culture permissive et favorable à la corrupt- tion s’installe dans l’entreprise et gagne le journaliste qui, par ailleurs, compte tenu de sa situation fragile, voire précaire, au plan pécunier, est bien fragile devant une telle tentation, légitim- mée en quelque sorte par les pratiques de son patron. Ce qu’il faut bien qualifier de « misère sociale », comme le fait l’auteure de cette étude sur le vécu du journaliste moyen, eng- gendre une « indigence professionnelle »… « Il faut voir, écrit Mme Moukrim, comment nombre de correspondants de la presse quotidienne et de journalistes de publications régionanl les vivent un genre de ``misère sociale``, qui ne leur permet pas d’accéder aux sources de façon digne et professionnelle, 326 dialogue national - media et societe finissant par devenir de simples porte-voix au discours de telle ou telle source et se contentant d’avoir recours à des sources de seconde main et donc de livrer des contenus sans qualité professionnelle requise »102…Alors qu’un responsable syndical régional rapporte, de son côté, que : « A l’exception d’un petit nombre de quotidiens qui offrent à leurs correspondants des conditions de travail conformes aux exigences professionnelles, la plupart des correspondants passent leurs journées et leurs soirées à déambuler entre les cafés, les administrations publiqn ques et des rencontres de médisance (« namima »), à la quête d’informations fraîches ou dépassées la plupart du temps»…Ce professionnel révèle, à cet égard, la « recette », bien connue parmi ces journalistes : la recette dite du « réchauffement du Tagine » : une information dépassée qu’on réécrit sous forme de chronique ou même de nouvelle pseudo-littéraire, pleine d’ingrédients attractifs dans la narration…Porte ouverte donc à l’information approximative, à l’interprétation non fondée, à la rumeur et même…à l’imagination de faits… Cette situation si favorable et si profitable au non profession-n nalisme et à toutes sortes de déviations par rapport à l’éthique et à la déontologie du métier, comme aux droits moraux, voire politiques et civils, du journaliste, interpelle aussi, bien entend- du, la dimension de la formation du journaliste103. Dimension que nous avons longuement analysée dans notre diagnostic de ce secteur. Mais, il est autrement édifiant d’entendre les profess- sionnels l’évaluer à la lumière de ces déficits socio- professionn- nels qu’ils vivent au quotidien et qu’ils reconnaissent en grand nombre…

102 - Un journaliste d’un grand groupe de presse, éditeur de deux influents quotidiens (en arabe et en français) dit être souvent obligé de recourir à la technique du « bip » ou à une cabine téléphonique publique pour contacter ses sources, une fois qu’il a consommé le crédit mensuel de son cellulaire fixé par l’employeur à 250Dhs. « Imaginez l’impression que vous laissez auprès d’une source quand vous lui reconnaissez que vous n’avez pas les moyens de votre demande d’information! », commente-il. 103 - Les 21 et 22 mars 2011 paraissait dans la presse une offre d’emploi pour recruter des correspondants régionaux par un grand quotidien de la place. Parmi les conditions requises pour appliquer à cet emploi, celle-ci : « n’avoir aucune appartenance, ni politique ni syndicale »… sans commentaire! diagnostic global et analyse sectorielle 327

A l’occasion de notre étude, nombre de journalistes interviewés ont incriminé « la simplicité » avec laquelle n’importe qui peut créer une institution de formation, l’anarchie qui sévit, sans contrôle dans ce secteur au point que certains décrètent qu’ils offrent une « formation de niveau universitaire », alors qu’ils recrutent des candidats, même sans le baccalauréat, alors que d’autres, autorisés ou tolérés par le Ministère de l’enseignement supérieur dispensent des formations qui ne sont nullement de niveau universitaire, ne disposant pas d’enseignants qualifiés pour… « De sorte, dit Mme Moukrim, résumant les propos de ses interviewés, qu’on assiste à une escroquerie dont sont victimes les étudiants, nombre d’entre nos journalistes internr rogés ont été unanimes pour nous dire qu’ils ont été déstabiln lisés et choqués, une fois diplômés de ce type d’institutions, en découvrant que leur formation ne correspondait en rien aux demandes du marché et aux compétences recherchées par les employeurs ». D’autres interviewés, témoignant des tarifs élevés pratiqués par ces « commerces de la formation », dévoilent même que certain- nes « vendent leurs diplômes », alors qu’il est courant de fair- re payer aux étudiants les stages en cours de formation même quand ils sont offerts gracieusement par les entreprises, publiq- ques ou privées, à ces écoles..! Une fois sur le marché du travail, concluent certains lauréats de ces écoles « on se retrouve dans un paradoxe terrible : ni journalistes, ni non journalistes ». Quant à la formation continue, qui est un droit légal, confirmé dans la convention collective du 14 décembre 2005 ( Article 13), comme par le contrat programme du 11 mars 2005 (titre 8), mais qui est aussi un droit majeur inscrit dans toutes les chartes déontologiques à travers le monde (y compris celle de la FIJ), elle n’est assurée, par de rares entreprises, qu’épisodiq- quement et sans profond et pérenne impact sur les compétences employées et les contenus produits. Outre toutes les conséquenc- ces négatives et les menaces induites par ces déficits structurels dans le domaine de la formation (formation initiale et forma-t 328 dialogue national - media et societe tion continue) et que nous avons longuement exposées dans la section précédente, il est une conséquence fort préjudiciable pour l’émergence et l’ancrage d’un véritable professionnalisme : l’auto-formation et l’auto-apprentissage qui, sur la base d’une formation initiale solide et avec l’appui d’un perfectionnement permanent, permet au journaliste de développer des capacités personnelles, des performances particulières , un sens et des ré-f flexes éprouvés et sans cesse cultivés et entretenus au plan des règles professionnelles comme au plan des normes éthiques et des règles déontologiques. Tout compte fait, la « misère sociale et professionnelle » que dé-g gage, globalement, le vécu réel du journaliste au Maroc, revient, fondamentalement, dans plusieurs de ses aspects, à interpeller le mode de gouvernance de l’entreprise média marocaine. Dans le secteur de la presse écrite, on peut dire que la gouver-n nance bénéficie, depuis l’avènement de la convention collect- tive et du contrat programme, de repères et de balises potent- tiellement à même d’en améliorer les modes et les pratiques. Entretemps, la presse électronique, d’apparition récente et qui donc n’a pas été spécifiquement abordée par ces deux leviers de régulation, est encore livrée à elle-même, de tout point de vue. Tandis que le secteur de l’audiovisuel vit indéniablement une situation d’impérieuse nécessité d’une réelle refonte de sa gouvernance, comme nous l’avons amplement souligné dans le diagnostic de ce secteur. Certes, ce secteur est le seul qui dispose dans notre champ médiatique national d’une autorité de régul- lation (HACA) qui, par ses outils, comme les cahiers de charge, ou par les rendus de ses décisions post-diffusion, aide à l’amé-l lioration de la gouvernance et à l’ancrage de standards en faveur d’une meilleure gouvernance de la production, des contenus et des choix et pratiques qui doivent être conformes à la mission et aux objectifs admis ou désignés par cette autorité. Mais, pour ce qui concerne la gouvernance en matière de ressources humain- nes, de leurs droits et devoirs, qui ne font pas partie expressém- ment du mandat de cette autorité, il y a un gros déficit à comb- diagnostic global et analyse sectorielle 329 bler, tout spécialement dans le secteur du pôle public : depuis la domination d’une « culture bureaucratique et d’allégeances », qui « congèle les décisions », comme dit un professionnel de ce pôle, jusqu’à l’incapacité d’attirer de performantes compét- tences, surtout après l’hémorragie provoquée par la politique, bien controversée, du départ volontaire (« DVD » qui a porté un préjudice similaire à la MAP), en passant par des stratégies ina-d daptées ou inconséquentes par rapport aux objectifs globaux de ce pôle (le budget de la radio nationale, média à large audience populaire, ne représente qu’un quart du budget alloué à la télév- vision)… Sans oublier, bien entendu, la question de l’indépend- dance éditoriale qui est le point nodal dans l’évaluation de toute gouvernance de média qu’il soit écrit ou audiovisuel, qu’il soit public ou privé. Le voyage dans le quotidien vécu par tous les professionnels des médias au Maroc revient finalement à remettre sur la table les grands choix structurels qui doivent être revisités de fond en comble pour mettre à niveau, moderniser et démocratiser, un champ où il est désormais loisible à quiconque d’éditer une pub- blication, de lancer un journal électronique ou un portail d’inf- formation et même, moyennant quelques conditions d’éligibil- lité à remplir, d’obtenir de la HACA une licence pour une station radio ou de télévision. La somme de tous ces impératifs de l’heure revient à déployer une réforme globale avec des objectifs qu’une politique nation- nale devra aborder comme un ensemble où chaque élément dép- pend des autres : ü Un encadrement de régulation par la loi (Constitution, législations et règlements) et d’autorégulation indépend- dant, conforme aux normes internationalement recomm- mandées; ü Une mise à niveau de l’économie de l’information et de l’entreprise média en tant qu’entreprise ayant des bes- soins, contraintes et objectifs spécifiques par référence au rôle d’intérêt public des médias et par rapport à la néc- 330 dialogue national - media et societe

cessaire viabilité économique de ce type d’entreprise; ü Une mise à niveau performante, variée et soutenue par l’État, de tout le secteur de la formation et de la forma-t tion continue; ü Une démocratisation de la gouvernance en interne de l’entreprise média ayant le souci ultime de la qualité par référence à la noble mission de la presse, en relation avec l’intérêt général et à l’écoute des attentes et besoins des publics en tant que citoyens ayant des droits inaliéna-b bles en démocratie, comme le droit d’être valablement et honnêtement informés sur la gouvernance comme sur leur société. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 331

Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 332 dialogue national - media et societe Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 333

Le concept ou souci de «la gouvernance des médias» est relativ- vement récent. Voilà à peine vingt ans qu’il a commencé à app- paraître dans les documents du système onusien, notamment ceux de son agence spécialisée, l’Unesco. On peut dire qu’il a eu droit de cité à partir de la Déclaration de Windhoek, qui sanct- tionna, le 3 mai 1991, la première d’une série de conférences sur la liberté de la presse que l’Unesco convoqua depuis lors, dans les différentes régions du monde (Afrique, Asie, Amérique Lat- tine, Europe occidentale, Europe centrale et orientale, Monde arabe, au Yémen en 1996…). Car l’Unesco, comme organisation intergouvernementale, s’est progressivement engagée dans une approche de développement des médias à l’aune du référentiel universel des droits humains et des normes de la démocratie, avec l’objectif de promouvoir, dans le domaine qui est le sien, la «bonne gouvernance» (dans l’éducation, la culture et la comm- munication). Durant les années 70, avec le débat sur le «NOMIC» (Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication), qui fût «un des plus forts affrontements culturels de la guerre froi-d de», comme l’écrit l’experte Divina FRAU - MEIGS ,104 l’Orga-n nisation entra dans une période très difficile, suite tout partic- culièrement à la remise de l’historique rapport dit «Rapport McBride» qui exposait les pistes et les mesures nécessaires à l’émergence d’un nouvel ordre mondial de la communication (NOMIC).105 Ce rapport et le débat qu’il suscita à travers le mon-d de, partagé alors par la guerre froide, provoquèrent le retrait des USA de l’Unesco, pour près de vingt ans (1984 /2003) et le retrait du Royaume Uni, pendant douze ans (1985/1997, avec,

104 - Consulter son article consacré à cette crise, « Le retour des États-Unis au sein de l’Unesco» : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/AFRI%2045.pdf . Pr. Divina FRAU-MEIGS a participé, en tant qu’experte sur la gouvernance de l’Internet, au Dialogue national, à l’occasion de l’audition du Ministre et de la Secrétaire d’État du département de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Formation des cadres et de la Recherche scientifique. 105 - Sean McBride (1904/1988), avocat irlandais, fondateur d’Amnesty International, prix Nobel de la paix (1974), présida en 1977, à la demande de l’Unesco, une commission de réflexion sur le NOMIC qui réunissait, entre autres, le fondateur du journal français « Le Monde », Hubert Beuve-Méry, le prix Nobel de la littérature, le colombien Gabriel Gracia Marquez et le théoricien canadien des médias, Marshall MacLuhan. 334 dialogue national - media et societe aussi, celui de Singapour en 1985). Ce retrait fût longtemps jus-t tifié par les USA et l’UK, deux membres fondateurs de l’organis- sation, au nom de la liberté, que le NOMIC menacerait, de leur point de vue, et au nom de la bonne gouvernance qui, selon eux, manquait gravement à l’Organisation, avec un fonctionnement qui engloutissait 80% du budget. En conséquence, cela se trad- duisit pour l’Unesco par la perte de près de 30% de son budget (les USA, à eux seuls, y intervenaient à hauteur de 22%). Si cette situation déstabilisa sérieusement les stratégies et prog- grammes de l’Organisation, elle lui profita, paradoxalement, pour lancer, sous certains éclairages du rapport McBride à n’en pas douter, une réflexion anticipatrice et profonde sur le rôle et la place des médias dans les sociétés, notamment les sociétés du Sud en quête de modèle de démocratie et de bonne gouver-n nance. Avec son programme PIDC (Programme International de Dév- veloppement de la Communication), lancé en 1980, donc déjà avant la crise avec les USA et l’UK, l’Organisation a œuvré pour, essentiellement, faire rattraper aux pays du Sud leurs différents retards technologiques, infrastructurels et au plan de la forma-t tion des ressources humaines des médias106. A partir de 1990, l’Unesco développa nombre d’approches et de programmes centrés sur le développement des médias en relat- tion avec la démocratie, le développement et la bonne gouver-n nance. Cela se traduisit par nombre de publications, de rapports d’analyse, de guides et indicateurs pour décideurs politiques, pour opérateurs médias, publics, privés et communautaires, de manuels pour les professionnels, pour les formateurs… Des initiatives que l’Unesco a souvent conduites ou partagées avec

106 - Grâce au PIDC, par exemple, l’SIC (ex ISJ) et la MAP, au Maroc, l’IPSI, la TAP et le CAPJC, en Tunisie, introduisirent la PAO dans leurs classes et rédactions et, dans le cas du Maroc, l’ISJ a pu déployer en conséquence la promotion de ces nouvelles technologies auprès de la presse de l’époque, qui était encore à l’ère de l’impression à chaud et typographique. L’ISJ de Rabat, comme l’IPSI et le CAPJC de Tunisie organisèrent les premiers ateliers de familiarisation des professionnels à la PAO, grâce aux fonds du PIDC. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 335 des organisations internationales de la société civile mondiale comme la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ/IFJ) ou Article XIX… Dans son dernier guide «Indicateurs de développement des méd- dias» comme «cadre pour l’évaluation du développement des médias», l’Unesco souligne que : « L’accent mis sur l’aide au développement des médias est clainr rement lié à la capacité des médias de renforcer les processus démocratiques participatifs et transparents, et qui impliquent tous les acteurs de la société. L’expérience nous montre qu’un environnement médiatique libre, indépendant et plurr raliste constitue un ingrédient essentiel au renforcement de la démocratie. De plus, par la mise à disposition d’un moyen de communication et d’accès à l’information, les médias peuvent contribuer à assurer que les citoyens soient pourvus d’instruments nécessaires pour opérer des choix informés et accroître leur participation à la prise de décision sur des sunj jets qui affectent leur existence (…) Il est important d’identifier les principales caractéristiques d’un environnement médiatn tique dans lequel la liberté d’expression, l’indépendance et le pluralisme des médias peuvent s’épanouir, conformément aux principes édictés dans la Déclaration de Windhoek (en 1991) et dans les déclarations régionales qui ont suivi, portant sur la promotion des médias indépendants et pluralistes, adoptées à Almaty, Santiago, Sanaa et Sofia».107 « (..) Des médias libres, indépendants et pluralistes fournissent aux citoyens des informations qui leur permettent de faire des choix informés et de participer activement aux processus démn mocratiques. Ils peuvent aider à renforcer la transparence et la responsabilité des autorités envers les citoyens, en facilitant le dialogue et en exposant les abus de pouvoir. Ils jouent aussi

107 - « Indicateurs de développement des médias » ( http://portal.unesco.org/ci/fr/ev.php- URL_ID=26032&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html. Préface de la 1ère édition, 2008, par Abdul WAHEED KHAN, Sous Directeur Général pour la Communication et l’information de l’Unesco 336 dialogue national - media et societe un rôle crucial dans l’amélioration de la compréhension par le public des questions d’actualité, des événements, des priorités, des politiques engagées et des options envisageables. Cependant, quelles sont les conditions nécessaires pour profitn ter pleinement du potentiel démocratique des médias et renfn forcer leur contribution au développement ? Quelles politiques doivent être élaborées à cet égard ?(…) Si la création d’un envirn ronnement propice à l’épanouissement de médias libres et indn dépendants est essentielle, il est également important d’assurer la pluralité et la diversité des sources d’information, la participation de tous les secteurs de la société dans les médias, des normes professionnelles élevées parmi les journalistes, et des infrastructures et ressources techniques appropriés.».108 Environnement médiatique libre, indépendant et pluraliste ; moyens de communication et d’accès à l’information ; pluralité et diversité des sources d’information ; participation de tous les secteurs de la société dans les médias ; normes professionnelles élevées ; infrastructures et ressources techniques appropriées, tels sont les principaux repères de la gouvernance des médias. Une bonne gouvernance qui, sur la base de ces indicateurs, peut garantir une démocratie en interne - démocratisation des méd- dias eux-mêmes - et participer à la démocratisation de la société et de la gouvernance de l’État. Ce sont là d’ailleurs, les repères qui ont guidé la plate forme du Dialogue national, comme développé dans notre introduction et notre cadrage politique. Des repères ou objectifs spécifiques qu’on peut expliciter, en reprenant certaines des fonctions sur lesquelles doivent déboucher ces indicateurs de l’Unesco et que partagent avec elle nombre d’ONGs internationales et forums mondiaux, notamment Article XIX et Global Forum for Media Development (GFMD) :

108 - Idem.Préface de la 2ème édition (2010), par Janis Karklins, Sous Directeur Général pour la communication et l’information de l’Unesco. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 337

Dix fonctions de gouvernance des médias dans une démocratie

1. « un canal d’information et 6. un véhicule d’expression d’éducation permettant aux culturelle et de cohésion citoyens de communiquer les culturelle à l’intérieur des uns avec les autres nations et entre les nations 2. un diffuseur de reportages, 7. un chien de garde du gouver-n d’idées et d’informations nement sous toutes ses form- 3. un élément remédiant à mes, chargé de promouvoir « l’asymétrie naturelle de la transparence dans la vie l’information » entre gouvern- publique et la vigilance de nants et gouvernés et entre l’opinion publique à l’égard des agents privés en concur-r de ceux qui exercent le pouv- rence voir, en dénonçant la corrupt- 4. un élément facilitant un dé-b tion, la mauvaise gestion et bat éclairé entre les divers les méfaits des entreprises acteurs sociaux et encoura-g geant la résolution pacifique 8. un outil visant à accroître des conflits par la voie de la l’efficacité en économie démocratie 9. un élément essentiel facilit- 5. un moyen par lequel une soc- tant le processus démocratiq- ciété peut apprendre sur elle- que et un des garants d’élect- même et développer un sens tions libres et régulières de la communauté, et qui influence la compréhension 10. un avocat et un véritable ac-t des valeurs, des coutumes et teur social qui respecte la des traditions pluralité des valeurs

Il n’en est pas moins vrai que les médias peuvent parfois servir à asseoir des intérêts personnels et aggraver les inégalités soc- ciales, en excluant les opinions critiques»109. L’impératif de «bonne gouvernance» est donc au cœur des méd- dias, de leur vie en interne comme il est le maître mot dans la mission et le rôle qui leur reviennent dans une société démoc- cratique. Sauf que pour qu’ils puissent atteindre ou aider à att- teindre les objectifs de ces dix fonctions que leur bonne gouvern- nance exige, ils doivent bénéficier d’un environnement où sont

109 - « Indicateurs de développement des médias ».op.cit 338 dialogue national - media et societe garantis deux préalables : des médias, réseaux et supports de communication de masse libres et indépendants de tout intérêt politique, économique ou religieux et un large accès du public à ces médias, réseaux et supports de communication. Deux mots- clés donc : indépendance et accessibilité. Ce qui interpelle les encadrements constitutionnels, législatifs et réglementaires qui balisent cet environnement dans la société. Encadrements forcément fondés, dans une démocratie, sur la règle de droit qui, seule, peut organiser la garantie de l’indépendance et de l’accessibilité au profit de tous et de chacun dans une société démocratique. La gouvernance démocratique imposant tout na-t turellement la régulation par la loi. Dans le cas de notre champ médiatique national, le diagnostic qu’on en a fait au sortir du Dialogue national, à tous les étages et dans tout secteur, aboutit, soit à remettre en question l’encadre-m ment actuel de la loi, soit appelle à un nouvel encadrement, qu’il soit constitutionnel, législatif ou réglementaire, qui est indis-p pensable pour installer un environnement propice à une « écol- logie médias » démocratique et au service de la démocratie. Sur ce registre, deux perspectives structurantes à cet effet, ont été dégagées par le Dialogue national, avec tous les outils qu’il a utilisés (auditions, débats, études et expertises) : Ø la perspective de la dimension constitutionnelle Ø la perspective de la dimension législative concernant la presse ou code dit « Code de la presse » Au niveau constitutionnel, une bonne gouvernance des médias ne peut être envisagée que si la liberté de s’informer et d’infor-m mer est consacrée solennellement par la constitution du pays. Que si cette liberté est ainsi consacrée par référence au référ- rentiel universel, notamment l’article 19 de la déclaration univ- verselle des droits de l’Homme de 1948 et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. Mais il faut qu’elle le soit dans des formulations claires et précises, reprenant les termes de ce référentiel universel et non se limiter Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 339

à y faire référence comme déclaration de principe, ou dans une formulation qui en réduit ou en dilue le détail du contenu : « Liberté d’opinion, liberté de chercher, de recevoir et de rénp pandre les informations et les idées » (1948) ; « des informatn tions et des idées de toute espèce, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen… »(1966)…

Déclaration 1948 Pacte 1966 Article 19 : Article 19 : 1. « Nul ne peut être inquiété pour « Tout individu a droit à la lib- ses opinions. berté d’opinion et d’expression, 2. « Toute personne a droit à la ce qui implique le droit de ne liberté d’expression; ce droit compn pas être inquiété pour ses opin- prend la liberté de rechercher, nions et celui de chercher, de de recevoir et de répandre des informations et des idées de recevoir et de répandre, sans toute espèce, sans considération considération de frontières, les de frontières, sous une forme informations et les idées par orale, écrite, imprimée ou quelque moyen d’expression artistique, ou par tout autre que ce soit ». moyen de son choix.

L’enchâssement de ce référentiel universel dans le texte de la loi suprême du pays doit aussi chercher la formulation la plus explicite qui tienne compte du contexte du pays, c’est-à-dire des traditions de mise dans la vie institutionnelle du pays quant à l’interprétation des textes, par la justice notamment, et quant à leur application, tout particulièrement en cas de recours à la constitution – recours qui n’est pas de tradition dans nombre de pays mais qui l’est souvent dans les démocraties dynamiques - ou quand elle est invoquée dans un litige ou par un plaignant. Autrement dit, le libellé constitutionnel doit aider au maximum à la bonne interprétation pour générer une jurisprudence qui ait le même objectif et la même finalité : préserver au maximum l’intégrité du principe de la liberté d’expression telle que décrite par le référentiel universellement admis dans les textes de 1948, de 1966 et autres (Acte constitutif créant l’Unesco en 1945; la ré-s 340 dialogue national - media et societe solution 104 adoptée en 1989 par la 25ème session de la confé-r rence générale de l’Unesco…). Plusieurs démocraties avancées ont choisi, comme l’Espagne par exemple, de stipuler, en plus de la déclaration de principe concernant la liberté de l’expression, que la constitution « pro-t tège » les droits qui en découlent.

Constitution d’Espagne du 27 décembre 1978

Article 10 Article 20 2. On interprète les normes 1. Sont reconnus et protégés : relatives aux droits fondamentaux a) le droit d’exprimer et de et aux libertés reconnues par la diffuser librement les pens- Constitution conformément à sées, les idées et les opinions par la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux traités la parole, par l’écrit ou par tout et accords internationaux en la ma-t autre moyen de reproduction ; tière ratifiés par l’Espagne. 2) le droit à la production et à la création littéraire, artis-t Article 16 tique, scientifique et technique; 1. On garantit la liberté d’opi-n d) le droit de communiquer et nion, de religion et de culte des de recevoir librement une inform- individus et des communautés mation véridique par tout moyen sans autres limitations, dans ses manifestations, que celles qui sont de diffusion dans l’exercice de ces nécessaires au maintien de l’ordre libertés. La loi règle le droit à la public protégé par la loi. clause de conscience et au se-c cret professionnel.

Nous avons choisi d’illustrer juste par la constitution espagnole afin d’insister sur l’importante nécessité de doubler la référenc- ce aux normes internationales, dans les principes comme dans leur interprétation, par la force déclarée de la constitution pour protéger les droits que les libertés induisent ou traduisent dans leur mise en œuvre. Ce texte, dans son article 20 (alinéa 2), est également pertinent par le fait qu’il évoque, à son niveau, deux droits fondamentaux pour la liberté des médias : la clause de conscience et le secret professionnel. Il est unique en cela parmi les textes constitutionnels des démocraties occidentales. A cet Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 341

égard, il est pertinent parce qu’il réfère à la dimension de la loi pour ces deux droits majeurs pour la presse, de telle sorte que l’encadrement législatif de l’exercice de la liberté de l’expression par les médias s’en trouve préalablement (et constitutionnellem- ment) renforcé et aiguillé en faveur d’une bonne régulation, par la loi, de l’exercice de cette liberté de presse, en tenant compte, dès le niveau constitutionnel, de droits qui sont si spécifiquem- ment importants pour cet exercice qu’ils sont également décrét- tés par les professionnels des médias comme droits déontologiq- ques découlant de l’éthique du journalisme. Car, comment prét- tendre sauvegarder l’indépendance d’esprit et de conscience du journaliste sans le droit de protéger ses sources et sans le droit d’invoquer une clause de conscience, en cas de conflit, par exemp- ple, entre ses convictions et des ordres de son employeur, ou en cas de préjudice moral ressenti par lui du fait d’une pratique de gouvernance au sein de son média? La bonne gouvernance dans la pratique du journalisme a besoin de ces deux garanties, dans la loi et dans la déontologie et si ces garanties accèdent au texte de la constitution, cela comble et augmente leurs chances d’être respectées et d’être réellement effectives. La régulation par la loi de l’exercice de la liberté des médias doit donc bénéficier, pour ses différents échafaudages, de- fondat tions bien ancrées et les plus explicites possibles au niveau de la loi suprême, la constitution. Cela a toujours manqué dans les constitutions marocaines, y compris celle de 1996. Dans la perspective donc d’un réel exercice démocratique de la liberté des médias, sur la base d’un édifice institutionnel fon-d damentalement démocratique, garantissant, entre autres, l’État de droit et la séparation des pouvoirs, dont le judiciaire qui intér- resse au plus haut point cet exercice, la régulation par la loi, doit être caractérisée en elle-même par une intégrité de corpus qui met le journaliste à l’abri d’applications, dans son cas, d’autres corpus législatifs qui peuvent fort bien être préjudiciables aux principes, libertés et droits inhérents spécifiquement au libre exercice de l’expression, comme peuvent l’être le code pénal, 342 dialogue national - media et societe par exemple, ou les récentes lois contre le terrorisme qui ont fleuri un petit partout dans le monde, y compris au Maroc. Par conséquent, une bonne gouvernance du champ médiatique marocain par le moyen de la régulation qui revient à la loi, doit, en plus d’un explicite et libéral ancrage au niveau de la consti-t tution, reposer sur un code, nécessairement adapté au monde médiatique tel qu’il se présente aujourd’hui au Maroc, avec une diversité et une liberté inédites et indéniables, une variété de supports, de canaux, de contenus et de technologies, cyberes-p pace compris, et tenter, autant que faire se peut, d’anticiper, avec l’approche la plus libérale aussi, sur ce que les pratiques, les usages et les technologies annoncent pour le futur ou en sont potentiellement porteuses. Une telle codification doit donc jouir d’un règne exclusif quand il s’agit d’interpeller le journaliste ou le média devant la justice au sujet d’un acte relevant stricto sensu de l’exercice de la liberté des médias telle que définie en conformité avec le référentiel des droits de l’homme et avec les limites que ces droits de la personne imposent à toute liberté quand elle sévit, de manière caractérisée, comme violation grav- ve de ces droits (appel à la haine, à la guerre, à la discrimination raciale, au meurtre…). En fait, toute l’ingéniosité du législateur démocrate, va consist- ter à départager dans l’acte du média ou du journaliste entre ce qui relève de la liberté de la presse, avec ses privilèges admis dans la démocratie, comme le principe de la « bonne foi », et ce qui relève d’un acte individuel, provenant d’un membre de la communauté qui est justiciable comme tous ses concitoyens. Le débat est sans fin dans la démocratie à ce sujet, mais les démo-c craties avancées comptent sur deux leviers pour trouver, devant chaque cas conflictuel de la sorte, le fil d’Ariane qui permet de préserver les deux principes : le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi et le principe de la liberté de la presse ou des médias. Ces deux leviers sont : la justice en tant que pouvoir indépendant qui conforte le jugement juste du juge, d’une part, et, d’autre Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 343 part, la jurisprudence qui s’enrichit du débat contradictoire bien spécifique au procès pour « délit de presse » comme des voies de recours qui, pour certains pays, comme dans les Amériques ou dans l’Union Européenne peuvent s’étendre jusqu’à des jur- ridictions régionales ou internationales, hors des frontières du pays et du champ judiciaire strictement national. L’indépendance de la justice, l’indépendance et la compétence du magistrat, les spécificités propres au procès pour « délit de presse », en plus des spécificités reconnues à l’exercice de l’exp- pression par les médias et leurs professionnels, (liberté d’ex-p pression, principe de la « bonne foi »), sont autant de balises pour que la régulation de cette liberté par la loi soit au profit de son développement et de sa défense, comme au profit d’une dém- mocratique gouvernance du champ médiatique dans un pays. La question donc, dans notre contexte marocain, est de savoir comment mener la mise à niveau de tous ces leviers à la fois (code, justice, magistrat, procès de « délit de presse »…)? Cela signifie en tout cas, dans le Maroc de 2011, qu’il est indispens- sable de garantir, préalablement, ce qui doit être garanti dans la constitution, puis de promouvoir, en conséquence, l’indépen-d dance de la justice, comme l’indépendance de conscience et la formation idoine du magistrat et de l’avocat, d’encourager la ri-c chesse et la diversité de la jurisprudence, y compris par l’éclair- rage de la jurisprudence de pays démocratiques ou de Cours de référence et de renommée internationale en la matière (comme la Cour européenne des droits de l’Homme, par exemple, qui génère de plus en plus une jurisprudence inédite et avancée sur les usages des TIC, sur la protection des données personnelles, sur la protection des sources journalistiques..).La référence ou la prise en compte de jurisprudences internationales seraient bien fondées, pour une justice volontariste à l’endroit du credo de la démocratie, du moment que la constitution du pays aurait admis, plus ou moins restrictivement, la référence à des chartes et traités internationaux110.

110 - Comme il a été stipulé dans le préambule de la constitution votée le 1er juillet 2011. 344 dialogue national - media et societe

Pour reconduire le même exemple d’illustration, indiquons, à ce sujet, que la constitution espagnole dispose dans son article 10 (alinéa 2) : « On interprète les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés reconnues par la Constitution conformément à la Déclaration universelle des droits de l’hommn me et aux traités et accords internationaux en la matière ratn tifiés par l’Espagne ». Là, on s’en doute, s’ouvre le débat sur quel degré de conformité, voire de primauté, entre le référentiel universel et la législation nationale… Débat qui agite depuis des années nombre d’organisations humanitaires et de magistrats et avocats au Maroc.

La régulation par la codification de la loi Par ailleurs, si le Dialogue national a soulevé de telles questions, structurantes pour la réforme globale qu’il appelle pour l’en-s semble des aspects et dimensions du champ de l’expression et des médias au Maroc, il a choisi d’en éclairer ainsi juste les enj- jeux et la pertinence, comme orientations d’une feuille de rout- te, laissant leur résolution, au plan technique et institutionnel, aux pouvoirs qui ont la légitimité pour : le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, en plus des contributions aux débats et aux expertises, nécessaires à cet égard, que des acteurs concernés au premier chef pourraient et devraient apporter, c’est-à-dire les journalistes et leurs regroupements professionnels, les opér- rateurs médias et leurs corporations et, nécessairement, dans la mesure du possible, les citoyens et leurs regroupements civils (ONGs, associations, réseaux…).111 Il reste, néanmoins, que la somme des points de vue expri-m més lors du Dialogue national à propos de la refonte de la loi codificatrice de l’expression par voie médiatique a servi àdél-

111 - Le SNPM et la FMEJ ont ainsi conduit, printemps 2011, des débats et consultations, aussi bien avec le ministère de la Communication qu’avec des experts, magistrats, avocats, leaders de la société civile autour de la réforme du projet du code de la presse dans sa forme élaborée en 2007, sans que ce projet aboutisse à son adoption et à sa promulgation. Le Dialogue s’en remet donc aux recommandations techniques et la rédaction auxquelles aboutiront ces consultations tripartites que mènent ces trois institutions membres de l‘instance du Dialogue national, comptant sur elles pour tenir compte des orientations retenues par ce Dialogue concernant les choix fondamentaux et l’approche qui doivent inspirer un code ou « Moudouwana » de la liberté d’expression et de la liberté des médias. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 345 limiter certains préalables et paramètres à prendre en compte dans cette réflexion sur le code afin d’adopter l’approche la plus conséquente pour se doter d’une codification au niveau des défis actuels et à venir pour le champ des médias et pour la liberté d’expression dans toutes les formes possibles de son exercice. Ainsi a-t-on souligné que le souci d’élaborer un texte relatif à l’exercice de la liberté d’expression par le biais des médias (trad- ditionnels et modernes) ne saurait être abordé sous quelconque contrainte conjoncturelle, politique soit-elle, professionnelle ou législative. Cinquante ans après le texte structurant des libertés publiques de 1958 (puisque la réforme de 2002 a été fort limitée et justem- ment plus perméable au conjoncturel qu’à une vision stratégique et prospectiviste ou anticipatrice), on ne peut prétendre réussir un simple exercice de revisite ou de remise en ordre technique, voire même normative. Eu égard, d’une part, à l’accumulation d’applications plus déficitaires qu’enrichissantes du texte de 1958, et eu égard, d’autre part, à la formidable explosion des moyens d’information et de communication, collective et indi-v viduelle, via les médias numériques et les TIC, et ce, à l’échelle de toute la planète et dans toutes les sociétés. Que ces sociétés soient « info-riches » ou « info-pauvres », qu’elles soient « dém- mocraties en construction », « démocraties émergentes », tout- tes ont accès, désormais, de manière transfrontalière, de man- nière autonome et même dans l’anonymat quasi-total, à toutes les expressions et à tous les moyens d’expression dans le cybe-r respace et dans le vaste champ du numérique et du satellitaire. Le rendez-vous est donc historique, tant par rapport au passé (dont le présent tient encore, pour beaucoup, dans ses diagnost- tics comme dans ses pratiques, comme on l’a vu), que par rapp- port au futur qui galope vers nous plutôt qu’on ne galope vers lui, dans la plupart des situations propres à ce champ : le champ des médias. 346 dialogue national - media et societe

En conséquence, nulle contrainte, de quelque ordre que ce soit, ne peut évacuer ou écarter cette dimension historique, structur- rante et décisive pour l’avenir, qu’un nouveau code portera inél- luctablement par son apparition… L’attendu est donc un code du 21ème siècle et surtout un code qui tire vers le haut la société et sa liberté d’expression. Seule voie convaincante et conséquente pour s’inscrire, par ce texte, comme par d’autres, dans le proc- cessus qui est d’actualité : celui de l’irréversibilité du choix de la démocratie réellement vécue et soutenue par tous les citoyens, les journalistes en premier. À partir de ce souci préalable qui concerne les questions « pourq- quoi réformer? », « dans quel but ultime réformer? », on pourr- rait retenir quelques repères quant aux deux questions pratiq- ques : « comment réformer? » et « quoi réformer? ». Questions que nous pouvons visualiser comme des paramètres à respecter ou à surveiller dans l’approche à adopter pour faire atterrir, avec le contenu requis, un nouveau « code des médias et des journa-l listes », sur la large piste des grandes réformes en cours et à ven- nir, à l’enseigne d’une démocratie enracinée, institutionnalisée, apaisée et productrice de valeurs et de pratiques démocratiques. Ce qui constitue le référentiel de choix politique et sociétal re-t tenu par le Dialogue national. En conséquence, il nous faut tenir compte de certains paramèt- tres dans l’approche, notamment : • Identifier/évaluer l'étape par rapport à la situation des Droits de l'Homme au Maroc? À la place et à la consécra-t tion de la liberté d'expression au plan normatif dans les textes suprêmes du pays? À l'exercice pratique et réel de cette liberté? À la situation, la force et la place du corps professionnel dans le champ des libertés publiques, de la liberté d’expression en particulier? À l’équation jamais encore posée : Quid la place et le rôle du métier de journ- naliste dans la société? • Prendre en considération le moment et les conditions d'intervention de la réforme du code. Conditions qui Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 347

diffèrent de la normalité dans les démocraties avancées puisqu’il intervient : ü Après, et non avant, la loi sur l’audiovisuel (qui est avancée et éprouvée dans sa mise en œuvre) ; ü Absence d’autorégulation institutionnelle et effectiv- ve, comme tradition éprouvée, reconnue et pratiquée chez tous les professionnels; ü Absence de loi sur le droit d’accès à l’information ü Absence de loi sur la publicité; ü Absence - partagée avec le reste du monde – de lois et de codes d’éthique relatifs aux TIC (comme la « gouv- vernance de l’Internet ») ; ü Absence totale d’organisations des publics des méd- dias ou d’institutions indépendantes de médiation entre médias et publics; • Dans les pays démocratiques, la pratique, la jurisp- prudence et l'environnement général de la démocrat- tie, gardent toujours désactivées les dispositions qui comportent encore subsidiairement la contrainte par le corps. Quid au Maroc? • Faut-il prévoir l'exclusion de cette peine dans le texte ou la balancer par la possibilité de l'exclure par le recours à l'amende, proportionnelle au délit, ou la rendre difficilement applicable, et, en tout cas, lourd- dement liée à plusieurs recours possibles pour la vict- time. • Retenir l’approche fortement souhaitée par les prof- fessionnels et les défenseurs des droits de l’Homme: un seul texte réunissant à la fois un code de tous les médias, le statut du journaliste et la délivrance de la carte professionnelle 348 dialogue national - media et societe

• Quels autres contenus doit-on inclure dans ce même texte? : Le journalisme électronique, l’Internet (la génér- ration 2.0, la blogosphère) les TIC, I. Phone compris? Le colportage? La publicité? Information et libertés de l'in-d dividu? • Résoudre la question de la bonne gouvernance des mé-d dias et la problématique de l’« économie de l’informa-t tion » ou le pouvoir économique qui supplante, partout dans le monde, Maroc compris , le rôle jadis prépondér- rant et déterminant du pouvoir politique avec sa pratique historique d’inféodation des médias : la concentration, la convergence numérique, le déclin manifeste du sup-p port papier, la naissance des rédactions multimédia en relation avec la problématique de « l’indépendance» et les droits sociaux et moraux du journaliste, la nécessaire transparence de l’élément économique dans l’entreprise média, la démocratie en interne (n’y-a-t-il pas des droits spécifiques au journaliste qu’il faut protéger et énumérer dans ce code, en plus de ce que lui octroie le code du trav- vail et ce qu’il arrache au plan syndical?). Des médias non démocratiques ne peuvent exercer démocratiquement la liberté d’expression… • Convaincre par le texte, à la fois le citoyen et le journal- liste, que ce dernier est un citoyen qui n'est pas, pour l'essentiel, au dessus des lois, qui n’est pas au dessus de tous les citoyens, bien qu'il bénéficie de privilèges et de régimes d'exception à la loi dont il faudra convaincre de leur légitimité et de leur utilité aux yeux du citoyen et de la société; • Veiller, à chaque fois qu'il est possible dans le texte, de préciser l'intérêt général (par exemple, toute loi de libér- ralisation de l’audiovisuel n’a été rendue possible que par la précision de ce concept d’« intérêt général » qui déb- bouche sur la configuration d’un « service public »); Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 349

• Référer à la Constitution pour ce qui concerne les fondem- ments de l'État, c’est-à-dire tout ce qui doit être respecté, de manière exceptionnelle dans l’exercice de la liberté d’expression, pour préserver la cohésion sociale et l’édif- fice institutionnel du régime démocratique choisi par la société; • Réduire ou maintenir quelconque recours au code pénal pour ce qui concerne les violations dont la sanction att- testerait de l'égalité de tous les citoyens devant la loi, le journaliste comme simple citoyen et le citoyen non jour-n naliste? • Trancher entre le droit de la presse et le droit pénal concernant les discriminations et les violations graves des droits et valeurs humaines : la haine et le racisme, la discrimination du genre et des croyances religieuses, l’appel au meurtre et à la violence, l’apologie du terro-r risme et de sa violence… • Prévoir par la loi le recours, autant que faire se peut, à la médiation et au règlement à l'amiable, sur la base du principe du débat contradictoire porteur d'arbitrage, de-v vant la justice comme devant une instance d’autorégulat- tion du corps professionnel; • Instituer comme principe fondamental, clairement énoncé, le principe de la «bonne foi» et l'appuyer sur la règle du débat contradictoire et de l'assistance judiciaire devant toute instance, y compris l'instance d'autorégulat- tion; • Renforcer par le texte du code, le droit à la clause de conscience, indépendamment de sa nécessaire consécra-t tion dans la partie relative au statut du journaliste • Dans les droits des tiers, consacrer le « droit à l’image » et en décider entre l’acception de l’école anglo-saxonne fondamentalement permissive, et celle de l’école nord- méditerranéenne, beaucoup plus jalouse et sourcilleuse dans la protection de ce droit et dont l’intérêt pour ce 350 dialogue national - media et societe

droit est relativement récent (années 80, en France, par exemple); • Quelles relations prévoir entre l’instance d’autorégul- lation et la justice, notamment au plan des recours, du chevauchement possible des compétences et des décisions..?Faut-il dissocier du code la création de cette entité? (par une loi spécifique); • Éviter que le texte reprenne par son esprit et ses dispos- sitions la préoccupation omniprésente qui a marqué les codes de 1958, 2002 et le projet de 2007 : la protection des institutions abordée selon une logique plus ou moins explicite de confrontation permanente entre l’État, ses institutions et les médias, la presse en particulier. Adm- mettre qu’une telle problématique est dépassée ou doit l’être; • Ne pas sacrifier la protection de l’individu contre toute violation par les médias de ses droits légitimes, mais sans sacrifier non plus les droits de la société prise dans son ensemble (« bonnes mœurs », cohésion, solidarité) ou dans ses groupes et regroupements : droits de l’enf- fant, droits de la femme, droits des victimes, droits des présumés coupables, droits des personnes aux besoins spécifiques; droits aussi des organisations de masse qui peuvent subir un préjudice de la part des médias : partis politiques, syndicats, associations et organisations de la société civile etc. Sans oublier l’entreprise qui peut, elle aussi, être déstabilisée par un préjudice induit par un fait de presse illégal ou condamnable aux yeux de la loi … D’autre part, compte tenu de l’insistance de plusieurs acteurs, y compris des partis politiques, notamment dans leurs mémoires envoyés au Dialogue national, la codification à venir doit admett- tre le principe du « ticket d’entrée » tant pour l’opérateur média (éditeur, directeur) que pour le journaliste. C’est-à-dire stipuler Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 351 certaines conditions et compétences à réunir pour tout postul- lant à l’exercice de ces métiers. Certaines démocraties, comme la France parmi d’autres, ne font pas obligation, par exemple, de détenir un diplôme en journalisme pour exercer le métier, mais obligent le demandeur de sa 1ère carte professionnelle à suivre des formations de mise à niveau (trois mois de formation initiale, puis des modules de recyclage annuel notamment en matière de déontologie). Il reste que notre codification depuis son origine de 1958 s’en tient à une définition élémentaire (dépassée) du métier de jour-n naliste. Elle ne prend pas en compte les variantes et les spécif- ficités liées à l’audiovisuel (animateurs, producteurs…) et à l’e- journalisme. Le métier est défini depuis 58 par exclusion, or, de nos jours, le métier est défini par ses attributs (que dire d’un animateur d’une émission de divertissement dont un invité tient des propos condamnables, est-il journaliste – interviewer ou non, est-il responsable et donc visé par le code ou non ?). En fait, cette définition dépassée et restreinte du journaliste limite de fait le champ d’application et du code et du statut du journa-l liste. Comme, il est des dispositions qui n’ont plus lieu d’être à l’ère du cyberespace, comme la notion de la territorialité pour nombre de procédures, à l’heure du virtuel et du cyberespace, ou encore la responsabilité de l’imprimeur ou du diffuseur. Enfin, à titre d’orientations transversales majeures pour la réf- flexion technique sur la codification par la loi, le Dialogue a fort- tement recommandé, de lier entre la responsabilité, la déontol- logie et l’autorégulation, si l’on veut véritablement épouser tous les enjeux présents et futurs du monde moderne des médias, monde qui, dans une démocratie, ne peut évoluer dans sa resp- ponsabilité sociale que si seule la justice est habilitée à statuer sur les conflits qui mettent en cause les médias. Une justice qui soit spécialisée, indépendante et en mesure de tirer profit de la jurisprudence. La jurisprudence qui, dans nombre de pays, sans codifications par la loi de la liberté de la presse, constitue la pre-m mière sinon l’unique source de la régulation par la justice de l’exercice de cette liberté. 352 dialogue national - media et societe

Avec donc comme objectif l’élaboration d’un texte de loi uniq- que encadrant toutes les formes médiatiques, sur tout type de supports et de TIC, couvrant tous les secteurs des médias et des nouveaux médias, de l’exercice de la liberté d’expression, il est donc indispensable de procéder, par une large consultation en-t tre professionnels, autorités gouvernementales, parlementair- res, société civile, acteurs, formateurs et experts du monde de la justice, professeurs de droit et chercheurs en le domaine, afin de passer en revue tout l’arsenal juridique et réglementaire du pays qui touche de près ou de loin cet exercice. L’approche consister- rait à faire la revue nécessaire de sorte que, par la clarté de ses dispositions et leurs précisions, l’exhaustivité de sa couverture du champ, un nouveau code, ou « Moudouwana de l’informa-t tion et de la communication », devienne l’instrument premier et dernier par lequel le législateur et la justice encadrent, défend- dent, promeuvent, régulent et sanctionnent l’exercice de l’exp- pression au moyen de tout type de médias et supports, depuis les grands médias de masse jusqu’aux formes et supports utilisés par le « Net citoyen », individuellement (blogs, par exemple) ou en groupe (médias associatifs à but non lucratif, notamment), en passant par les secteurs de la publicité, de la photographie et la caricature de presse, les droits d’auteur et droits voisins, le droit à l’image etc.

Bien entendu, ce texte majeur d’encadrement de la liberté d’ex-p pression, devra être soutenu, par des textes spécifiquement dédiés à des problématiques ou droits pointus participant à l’ « écologie des médias » : loi d’accès à l’information, loi de pro-t tection des données personnelles qui a besoin déjà d’une actual- lisation, loi sur les sondages d’opinion, loi sur les archives (qui à revoir sous les besoins spécifiques aux médias), loi organisant spécifiquement le marché de la publicité et les métiers qui est lui sont connexes , loi ou réglementation organisant le secteur et le marché de la formation des professionnels des médias, loi ou réglementation sur l’évaluation de l’audience et de l’impact Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 353 des médias …L’essentiel est de déboucher sur un arsenal juridiq- que et réglementaire dont le cœur vital serait le code (ou « Moud- douwana ») et les prolongements seraient des lois et règlements quand la spécificité sectorielle ou du droit concerné l’exige tant pour la sauvegarde de l’exercice maximal de la liberté d’expres-s sion que pour la plus libérale et la plus démocratique possible des gouvernances du champ médiatique national.

Le cas de la HACA Cependant la gouvernance des médias par l’encadrement législ- latif et réglementaire, ne peut faire l’économie, dans une démoc- cratie, d’autres instruments et formes de régulation qui interv- viennent, au jour le jour, dans les pratiques des média comme le cas d’autorités de régulation, en principe indépendantes, créées à cet effet. Le Maroc en possède jusqu’à présent une seule spéc- cifiquement dédiée au monde des médias : la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA). Quoiqu’on doit considérer que le Conseil National des Droits de l’Homme (ex CCDH), le Conseil de la Concurrence, l’Instance Centrale de Pré-v vention de la Corruption (devenue instance nationale de probité et de lutte contre la corruption) et l’Instance du Médiateur (ex « Diwan Al Madhalim ») participent ou peuvent participer à la régulation du champ médiatique dans les limites de leurs man-d dats respectifs quand des aspects de ces mandats touchent la sphère médiatique ou participent, à un niveau ou à un autre, à « l’écologie globale des médias ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Dialogue national a tenu à auditionner les premiers responsables de ces conseils et instances et/ou en solliciter des mémoires et recommandations que le Dialogue, de leur point de vue, doit prendre en considération, fondamentalement pour une meilleure gouvernance/ régulation du champ médiatique national. A l’occasion de son audition par le Dialogue national, la HACA a exposé les objectifs atteints conformément à la mission que lui a définie le législateur par le Dahir du 31 Août 2002… Des obj- 354 dialogue national - media et societe jectifs qui, selon le Président de la HACA, concernent les enjeux induits par la libéralisation du secteur audiovisuel consacrée par le décret loi du 30 Septembre 2002 qui mit fin au monopole de l’État sur le secteur en vigueur depuis 1924 et par la loi 77-03 relative à la communication audiovisuelle (Dahir du 7 Janvier 2005) qui, elle, apporta les instruments juridiques nécessaires à la HACA pour que celle-ci remplisse son mandat d’autorité publique de régulation. Au titre des enjeux inhérents à la libéra-l lisation du secteur, le président de la HACA a cité : ü des enjeux économiques à des fins de « drainage d’invest- tissements et de création d’emplois » dans le secteur; ü des enjeux socioculturels à des fins de promotion de la diversité culturelle, artistique et linguistique, de répond- dre aux attentes des jeunes générations en matière de culture, d’éducation et de divertissement, de diffusion et de promotion de valeurs de civisme et de solidarité, de protection des citoyens contre la marginalisation, l’ex-c clusion et contre tout ce qui peut menacer la cohésion et l’épanouissement du tissu social; ü des enjeux « liés à la construction démocratique et au dév- veloppement durable », comme l’apport du secteur à la construction démocratique, au processus de l’ouverture politique, aux choix stratégiques du pays que sont la déc- centralisation et la régionalisation et à l’élargissement de l’espace des libertés publiques. Pour relever tous ces grands défis, tout en gérant les tâches techniques (octroi de licences, définition de cahiers de charg- ges, veille et contrôle de l’application de ces cahiers de charges etc.), la HACA, souligne son Président, doit œuvrer pour « la consécration de la dualité liberté/responsabilité comme nouvn veau mode de gouvernance du secteur, à travers un nouveau concept : la régulation ». Le concept de la régulation par une autorité publique est, comm- me l’admet le Président de la HACA, perméable au contexte Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 355 dans lequel il y est fait recours : il est d’inspiration libérale dans le monde anglo-saxon (allant, dans ses extrêmes, jusqu’à parier totalement sur la régulation par le marché), alors qu’il est fondam- mentalement acquis à une approche interventionniste de l’État et des pouvoirs publics dans les sociétés latines et dans nombre de leurs ex-colonies, avec des extrêmes qui peuvent aller jusqu’à vider de son sens le concept de régulation. Sauf que la longue mise à l’épreuve, aussi bien des normes de la démocratie que du concept de régulation des médias, tout part- ticulièrement dans les démocraties anglo-saxonnes et les réform- mes incessantes que n’ont cessé de connaître certaines sociétés latines, et des ex colonies britanniques et françaises, en Afrique et en Asie notamment, avec une évidente influence progressive du modèle anglo-saxon, ont fini, de nos jours, par configurer un modèle standard de la régulation, de l’audiovisuel en l’occur-r rence, à l’élaboration duquel ont contribué nombre d’organisat- tions spécialisées de la société civile mondiale et tout particul- lièrement « Article 19 » et des agences onusiennes, à leur tête l’Unesco. Limitons nous ici à approcher un modèle que l’organisation Art- ticle 19, qui a le plus généré des réflexions à ce sujet, a élaboré dans une recherche d’adaptation aux contextes africains, en ten- nant compte aussi bien des modèles et pratiques de mise dans les démocraties du Nord, que d’expériences avancées en Afrique où notre HACA a acquis indéniablement une visibilité et une place de référence et de source d’expertise.112 Soulignons d’abord, comme préalable à ce modèle, les principes qui doivent fonder le recours à une politique de régulation : 1. « Toute autorité publique qui exerce des pouvoirs dans le domaine de la radiodiffusion-télévision et de la régul- lation des télécommunications doit être indépendante et bien protégée contre l’ingérence, en particulier de nature politique ou économique;

112 - Le modèle d’Article XIX, auquel nous faisons largement référence ici est consultable sur : http://www.article19.org/pdfs/tools/politiques-regulations-audiovisuel-afrique-fre.pdf 356 dialogue national - media et societe

2. La procédure de nomination des membres d’un organe de régulation doit être ouverte, transparente, prendre en compte la participation de la société civile et ne doit pas être contrôlée par un parti politique donné; 3. Toute autorité publique qui exerce des pouvoirs dans le domaine de la radiodiffusion-télévision ou des télécomm- munications doit formellement rendre compte au public par le biais d’un organe multipartite ». Ces principes fondateurs d’une politique présidant à une rég- gulation de l’audiovisuel résonnent dans le contexte marocain concernant deux critiques récurrentes retenues par le Dialogue national à l’adresse de la HACA. Critiques exprimées par différ- rents partenaires de ce Dialogue et bien souvent sur les colonn- nes de la presse. La première critique concerne le degré et les garanties d’indép- pendance de l’instance vis-à-vis de quelconque influence d’ord- dre politique ou économique. Nombre de critiques en doutent113. Des critiques qui se basent sur des réalités, qui peuvent être plus ou moins fondées, entre autres, celles relatives au mode de no-m mination des membres. Ce mode veut qu’en plus des membres nommés par le Roi, sans que leur indépendance soit toujours convaincante pour tous les observateurs, deux membres le sont par le 1er Ministre (chef de parti) et deux autres par les prés- sidents des deux chambres du Parlement (également chefs de partis). L’expérience, certes courte, enregistrée sur ce registre par la HACA, a été, pour deux mandats déjà, au profit de nomi-n nations manifestement partisanes, c’est-à-dire qu’au moins la moitié des désignés sortent des rangs de partis politiques. Or, pour Article XIX :

113 - Comme, par exemple, dans le cas de non octroi à ce jour de licence TV : les arguments avancés par la présidence de la HACA, évoquées dans notre section de diagnostic et d’analyse du secteur de la télévision, n’arrivent pas à enlever des doutes quant à la prise en compte, dans ce refus, de considérations d’ordre politique ou revenant à des conflits d’intérêts entre différents lobbys économiques… Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 357

- « La procédure de nomination des membres devrait être transparente et démocratique, à l’abri de toute domination d’un quelconque parti politique ou d’in-t térêts commerciaux, et permettre la participation et la consultation du public. Seules les personnes ayant les compétences et/ou expériences requises devraient être éligibles. La composition des membres devrait être représentative de l’ensemble de la société; - Les membres des instances dirigeantes (conseils d’adm- ministration) des entités publiques dotées du pouvoir de réglementation dans le domaine de l’audiovisuel et/ou des télécommunications, devraient être nom-m més selon une procédure qui réduit les risques d’ing- gérence politique ou commerciale. La procédure de nomination des membres devrait être clairement dé-f finie par la loi. Les membres devraient siéger à titre personnel et toujours exercer leurs fonctions confor-m mément à l’intérêt général. - Les critères d’exclusion ou ‘règles d’incompatibilité’ suivants devraient s’appliquer. Ne devrait être nom-m mé aucun individu qui: ü est employé dans la fonction publique ou par d’autres organes du gouvernement; ü occupe une fonction officielle ou est employé d’un parti politique, ou occupe un poste au gouvernement, qu’il ait été élu ou nommé » Pour cette organisation il faut aussi pour que « le fonctionnem- ment quotidien du régulateur ne soit pas influencé par le gouv- vernement ou les autres organes politiques» et pour « que les méthodes de travail permettent une prise de décision indépen-d dante » : ü «que les membres des organes d’administration soient choisis sur la base du mérite et de manière à assurer une pluralité des intérêts; ü que les organisations de la société civile puissent nom-m mer des membres aux organes d’administration des rég- 358 dialogue national - media et societe

gulateurs et/ou des cadres devraient être crées pour fac- ciliter une collaboration étroite entre le régulateur et ces organes ». Sur la même question de l’indépendance de l’instance de rég- gulation en relation avec la nomination de son membership, l’Unesco retient de son côté, comme indicateurs clés : • « garanties légales explicites d’autonomie et d’indépend- dance vis-à-vis des ingérences partisanes ou commercia-l les ; • choix des membres de l’organisme de régulation à l’issue d’un processus transparent et démocratique, destiné à minimiser les risques d’interférence partisane ou com-m merciale (par exemple, en définissant des règles d’inc- compatibilité et d’éligibilité) ».114 La 2ème critique est relative à la nécessaire obligation de l’ins-t tance de régulation de rendre compte de ses activités devant « un organe multipartite ». Pour beaucoup, dans le cas maro-c cain, cela ne doit pas concerner uniquement le parlement, mais doit impliquer également la société civile. Dans ses indicateurs, Article 19 souligne que « les organes de régulation devraient être formellement tenus responsables envers le public par l’intn termédiaire d’un corps multipartite, tel que le corps législatif ou un comité de celui-ci plutôt qu’un ministre, un autre indivn vidu ou un organe partisan». L’indicateur Unesco parle lui de : « rapports émanant d’institutions crédibles sur l’autonomie institutionnelle de l’organisme de régulation » et «sur l’efficacn cité dans la réalisation de ses buts ». Dans tous les cas, tous les modèles retiennent que l’instance de régulation « est formellement responsable devant le public » (Unesco) et se doit de produire un rapport annuel et d’en ass- surer la plus large diffusion publique, comme moyen de rendre compte au public dans la plus grande transparence : « Les orgn ganes de régulation devraient être obligés par la loi de préparn

114 - Confère « Indicateurs de développement des médias ».op.cit. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 359 rer un rapport annuel détaillé sur leurs activités et leur budget comprenant leurs comptes vérifiés. Ce rapport annuel devrait être publié et largement diffusé » (Article XIX). Il reste que les critiques, ou les interrogations, les plus partagées par les élites comme par le grand public restent celles qui inter-p pellent ou souhaitent un rôle fort de la HACA au niveau de la régulation, voire du contrôle, des contenus audiovisuels. S’interroger sur la latitude d’une autorité de régulation de régu-l ler les contenus peut être à la fois une interrogation qui n’a pas de sens, vu que ce type d’instance régule les contenus en posant des principes et valeurs à respecter et/ou à promouvoir, avec même des détails dans ses cahiers de charges, et l’interrogation peut aussi être dangereuse dans la mesure où l’autorité de ré-g gulation doit éviter de toucher à l’indépendance éditoriale et de programmation du média régulé. Tous les modèles et les standards internationaux de la régulat- tion sont, ou prudents, ou peu développés sur cette question de réguler les contenus, au niveau de la qualité doit-on le préciser… Car, la régulation touche aux contenus quand elle veille sur le respect de certains principes et valeurs universelles prévus dans un certain nombre d’instruments internationaux, notamment : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (ICC-P PR), le Pacte International relatif aux Droits Sociaux et Cultur- rels (ICESCR), la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte de Banjul), la Convention Européenne des Droits de l’Homme (ECHR), et la Convention Inter-Américaine des Droits de l’Homme (IACHR). Ce référentiel universel sout- tient les droits fondamentaux relatifs à la personne humaine, dont la liberté d’expression… Un contenu de médias qui ne fait pas la promotion des principes démocratiques comme la diver-s sité, l’accès, et l’égalité, viole ces instruments et, au niveau du contenu des médias, ces instruments doivent présider à la ré-g gulation pour protéger les aspects socioculturels, politiques et économiques d’une société. 360 dialogue national - media et societe

Si on met de côté l’aspect quantitatif du contenu, avec notamm- ment la question du quota à garantir pour le contenu local (National) et que nous avons longuement analysé dans notre diagnostic du secteur de la télévision, nous sommes ici sur l’aspect qualitatif de ce contenu… Article XIX le précise ains- si : « Les aspects qualitatifs sont ceux qui sont basés sur les val- leurs de la culture, de la langue, du genre, de la démographie ainsi que d’autres valeurs connexes. Par exemple, l’Afrique du Sud, le Canada et l’Australie disposent tous de réglementat- tions qualitatives sur le théâtre, les films, les émissions enfan-t tines, les informations, les causerie-débats, les vidéos musiq- ques, etc.». On s’en doute, ce qui est en jeu ici ce sont les valeurs morales de la société… « Les objectifs moraux se fondent sur le besoin de préserver la décence publique et la bienséance. Les objectifs présuppos- sent l’existence de mesures classiques sur des valeurs souvent subjectives, comme le bon goût, la violence, le crime et les comportements antisociaux, la diffamation, la vie privée, etc. Par exemple, la Loi sur l’Audiovisuel (1990 et 1996) a mis en place en Grande Bretagne la Commission Indépendante de la Télévision (ITC), qui à son tour a élaboré un code détaillé de programmes sur les questions morales/éthiques comme la précision, l’impartialité, la représentation sexuelle, le lang- gage, la violence, le goût et la décence, et les crimes raciaux et religieux ». Globalement, le critère majeur qu’on peut retenir à ce niveau est celui d’informer le public et de d’éduquer, valablement, c’est-à-dire dans le respect de ses valeurs communes et moral- les. Mais avec des limites, car, autrement, on tomberait dans un contrôle inacceptable, parce que non démocratique, de la liberté de création et sur la question des goûts qui ne se discut- tent pas comme dit l’adage. C’est donc un terrain très délicat à faire endosser automatiquement ou totalement à une instance publique de régulation. C’est d’ailleurs, à cause de cette prud- dence que nombre de standards internationaux préfèrent détailler Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 361 davantage les limites et les interdits à l’intervention de la régul- lation dans les contenus que la nature d’une intervention poss- sible. Ainsi en est-t-il dans le modèle de principes, concernant le « contenu positif », que propose Article XIX et que l’Unesco qualifie d’ «excellent résumé » comme une section de ce modèle consacrée aux « Questions relatives au contenu du matériel difnf fusé »115 : Ø Les lois régissant l’audiovisuel ne devraient pas imposer aux organismes de radiotélévision des restrictions quant au contenu, de nature civile ou criminelle, au-delà de, ou reproduisant, celles qui s’appliquent à toutes les formes d’expression; Ø Un régime administratif de réglementation du contenu des émissions conforme aux principes définis dans la présente Section, peut être légitime. Lorsqu’il existe un système d’autorégulation efficace pour régler les quest- tions relatives au contenu des émissions, il ne faudrait pas imposer un système administratif; Ø Toute règle relative au contenu devrait être élaborée en étroite collaboration avec les organismes de radiotélévis- sion et d’autres parties intéressées, et ne devrait être fi-n nalisée qu’après consultation du public. Les règles conven- nues devraient être clairement définies dans le détail et publiées. Les règles devraient tenir compte des différent- tes situations des trois types d’opérateurs et des deux typ- pes d’organismes de radiotélévision; Ø La responsabilité de surveillance de toute règle de conten- nu devrait être attribuée à un organe de régulation qui sat- tisfait aux conditions d’indépendance définies. Il est pré-f férable qu’un seul organe applique les règles de contenu à tous les organismes de radiotélévision; Ø Les organismes publics de radiotélévision ont l’obligat- tion première de promouvoir le droit du public à l’inform-

115 - Confère « Indicateurs de développement des médias ».op.cit.2008. Page 14. 362 dialogue national - media et societe

mation par la diversité d’expressions et de points de vue, et par un large éventail d’émissions, conformément au principe de la mission de Service Public; Ø Sous réserve de la présente Section, l’obligation de conten- nu positif pourrait être imposée aux organismes de radiot- télévision commerciaux et communautaires, mais uniq- quement lorsque leur but et leur effet est de promouvoir la diversité des émissions en améliorant celle du contenu proposé au public; Ø De telles obligations ne sont pas légitimes lorsqu’elles ont pour effet d’empêcher le développement de l’audiov- visuel, par exemple du fait de leur nature irréaliste ou de leur coût prohibitif; Ø De telles obligations devraient, d’une part, être de nature suffisamment générale pour être politiquement neutres, d’autre part, clairement définir le type d’émission propos- sée (afin de lever tout équivoque), et enfin, éviter d’être trop vagues ou générales. Ces obligations pourraient être imposées, par exemple, par rapport au contenu local et/ ou à la (aux) langue(s), aux programmes destinés aux mi-n norités et aux enfants, et aux actualités.; Ø L’élaboration d’un régime administratif distinct pour réglementer le contenu publicitaire, conformément aux principes définis dans la présente Section, pourrait être envisagée ». Comme le résument nos deux standards de référence, celui de l’Unesco et celui d’Article XIX, la seule approche critique quant à la régulation, bien relative, qui reviendrait à une instance de régulation concernant le contenu est celle qui vérifierait comme indicateurs de bonne gouvernance si le média s’emploie à : • promouvoir la liberté d’expression et d’opinion, la diver-s sité, l’impartialité et la libre circulation de l’information • promouvoir l’équité et les programmes de service public (qui, rappelons-le, a comme missions majeures : plura-l Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 363

lisme et diversité, en plus de l’indépendance et de la qual- lité). Dans ses indicateurs, l’Unesco ajoute trois types d’indicateurs fort pertinents pour s’assurer de « contenus positifs » tels que la régulation devrait les vérifier : • LE PUBLIC MANIFESTE UN FORT TAUX DE CONFIAN-C CE À L’ÉGARD DES MÉDIAS ü les médias sont perçus comme traitant de sujets d’un réel intérêt ; ü l’équilibre entre les informations locales et nationales est jugé satisfaisant ; ü les journalistes et les organisations des médias sont perç- çus comme intègres et non corrompus ; ü l’information est perçue comme équitable et impartiale ; ü fort taux de participation des citoyens aux médias, com-m me le montrent : le taux de participation aux émissions de discussion, la place accordée aux courriers des lecteurs dans la presse écrite, etc. • LES ORGANISATIONS DES MÉDIAS SONT SENSI-B BLES À LA FAÇON DONT LEUR TRAVAIL EST PERÇU PAR LE PUBLIC ü les organisations des médias s’efforcent de mieux connaît- tre leur public et la façon dont sont perçues la qualité et la diversité culturelle de leurs programmes et de leurs in-f formations ; ü les organisations des médias ouvrent des espaces d’exp- pression publique – appels téléphoniques, débats, témoig- gnages de citoyens- ; ü les organisations des médias créent des mécanismes de contrôle interne afin de garantir la transparence et le dial- logue avec leur public ; 364 dialogue national - media et societe

• LES ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE EXERC- CENT UN SUIVI SYSTÉMATIQUE DES MÉDIAS ü les organisations de la société civile suivent de près le contenu des médias et de la propriété dans le but de prom- mouvoir le pluralisme et la diversité ; ü les organisations de la société civile apportent une analys- se critique des médias, notamment sur la place accordée aux groupes marginalisés ; ü les organisations de la société civile jouent un rôle dans la promotion de l’initiation aux médias. Pour résumer donc notre éclairage de la donne de la régulation par une autorité publique qui concerne, ne l’oublions pas, aussi bien la radio que la télévision, nous retenons que cette confront- tation entre notre jeune expérience nationale et les modèles et pratiques recommandés à l’échelle internationale ou par réfé-r rence à des pays performants en la matière, nous amène à soul- ligner comme orientation majeure : une régulation par la loi (puisque l’autorité de régulation est créée par la loi et se réfère à une loi, la loi sur l’audiovisuel) doit servir une politique publique et s’en inspirer, une politique qui vise l’intérêt général tel qu’il peut être pris en charge par les médias pour ce qui les concerne. Et la condition sine qua none pour que les médias s’inscrivent dans cet objectif d’intérêt général est que l’État, en charge des politiques publiques, œuvre pour promouvoir « un environnenm ment médiatique caractérisé par la liberté d’expression, le plurn ralisme et la diversité, grâce, d’une part, à une définition très étroite des lois réduisant la liberté des médias, limitées à ce qui est nécessaire dans une démocratie, et grâce, d’autre part, à des dispositions légales qui garantissent un cadre économique dans lequel tous les acteurs sont en situation d’équité concurrn rentielle. Ceci exige que soient prises des dispositions pour les médias publics et communautaires ainsi que pour les médias privés ».116

116 - Confère « Indicateurs de développement des médias ».op.cit.2008. Page 4. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 365

En l’absence d’une politique volontariste à l’égard de ces princi-p pes, comme stratégie de gouvernance démocratique du champ des médias, champ qui doit être perçu comme « bien public » rappelons le, la tâche de la régulation ne pourra pas se déployer aux meilleures normes qui dynamiseraient dans les structures, la gouvernance et les contenus, la démocratisation des médias et permettraient aux médias audiovisuels de produire dans l’in-t térêt général avec tous ses aspects, politiques, socioculturels, artistiques et civiques. Comme nous l’avons vu, hormis des questions structurelles comme le mode de nomination des membres, leurs profils, le respect de la durée légale de leur mandat ou celle de leur rempla-c cement; le degré d’indépendance de l’instance par rapport aux pouvoirs politiques et économiques, à tous les niveaux; le peu de promotion et d’effectivité des voies de recours pour les acteurs sanctionnés par l’instance, celle-ci, la HACA en l’occurrence, est particulièrement interpellée sur la question des contenus, tant par certains aspects des programmes du pôle télévisuel public que par la foultitude d’émissions des radios privées : faibles vo-l lume et qualité des émissions TV politiques et de débat, émiss- sions TV de divertissement de très faible niveau, « novellas » étrangères décalées par rapport aux valeurs et aux langues de la société marocaine…Émissions radiophoniques animées par des non professionnels et sans code de conduite déontologique, programmation d’émissions qui ne tient pas compte des horair- res adaptées aux cibles et aux contenus diffusés sur les ondes etc.

La question de la qualité et l’autorégulation Or, réguler le contenu, dans ces dimensions qu’on peut résumer par l’impératif de la « qualité », ne peut être valablement et légit- timement envisagé que si on s’y attèle aussi dans un 2ème espace que celui de la régulation par une autorité externe et publique : l’espace de la gouvernance du média en interne. C’est effectivem- ment là que, dans le respect de l’indépendance du média, y comp- pris vis-à-vis de l’autorité de régulation, que l’on doit observer 366 dialogue national - media et societe des normes et des conduites à même de garantir l’élaboration et la diffusion d’un contenu de qualité, c’est-à-dire acceptable aussi bien au regard des standards internationaux qu’aux yeux du public. On a même, ces dernières années, développé une norm- me « ISO 9000 » pour mesurer la qualité des médias. Soit un label de qualité qui, comme tout système d’évaluation similaire dans d’autres secteurs, passe et scrute les contenus au travers de nombreux critères de la gouvernance globale du média, avant de conclure quand un média peut produire de la qualité et quand et comment il lui faut y travailler. A l’occasion du Dialogue national, nous avons fait appel à deux experts suisses, en la matière, qui ont exposé devant des parl- lementaires et des opérateurs médias, un standard de qualité qu’ils ont fondé avec l’appui de la Fondation suisse du développ- pement des médias, de l’Unesco et du réseau de chercheurs et de chaires Unesco en communication, le réseau « Orbicom », basé au Canada, présidé pendant longtemps par un des deux experts cités117. Cette norme, dite ISAS (International Standardization and Acc- creditation Services), propose, pour la presse écrite comme pour la presse audiovisuelle des « SYSTEMES DE MANAGEMENT DE LA QUALITE » ou « Exigences pour les médias ». La norme, « BCP 9001 » qui fusionne une « BC 9001 » dédiée aux médias audiovisuels et une « BP 9001 » dédiée à la presse écrite, sert de base à des certifications de qualité des médias. Pour les fondateurs de cette norme, « ce standard international a l’ambition d’aider les médias et toutes les parties prenantes associées à se mettre en conformité avec un modèle équilibré de leur industrie ».118 Le travail d’évaluation à des fins de certif- fication de la qualité, dans le cas des médias, part de l’identificat- tion de « l’environnement » :

117 - Il s’agit de M. Alain Modoux, ex Directeur général adjoint de l’Unesco pour la liberté d’expression et la démocratie et du Pr Magalie Modoux, directrice de « Certimedia ». 118 - Guide ISAS, Page 12. http://www.media-society.org/en/press-reports/57-isas-bc-9001- -quality-certification-for-media. Cette norme est le fruit de plusieurs années de travail d’un groupe d’experts de plusieurs continents avec l’appui financier de la Fondation suisse « Médias & Société » dédiée au développement des médias. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 367

Interactions de l’industrie des médias avec son environnement119

119 - ISAS, Idem. Page 13 368 dialogue national - media et societe

Aussi bien donc pour la presse écrite que pour la presse audiovis- suelle, on relève un « flux – ou influence- du pouvoir » (qu’il soit politique ou économique), venant de toutes les parties associées en direction des médias. Les médias, de leur côté, émettent du pouvoir (politique et économique) en direction du public, c’est- à-dire sur l’opinion publique. Ce qui conforte ceux qui qualifient les médias de « 4ème pouvoir », c’est-à-dire un acteur, comme les trois autres, dans la gouvernance de la société. Mais on aura remarqué dans ce diagramme qu’il n’indique pas de « flux financier » allant du gouvernement aux médias parce que, dans le régime démocratique, il doit être exceptionnel, sous forme d’aides (directes ou indirectes) et au nom de l’État (la col-l lectivité) et non du gouvernement. A cet égard les auteurs de la norme attirent l’attention sur le fait que « la réalité diffère souvent de cette représentation » proposée par le diagramme ci-dessus, car, à un degré ou à un autre, partout dans le monde on assiste à : « 1. «Une forte dépendance vis-à-vis des gouvernements, parnt ticulièrement lorsque ces derniers contribuent de manière sign gnificative, voire dominante, au financement du média et/ou exercent des pressions par un ensemble de dispositions légales, techniques, économiques et politiques ainsi que par des internv ventions directes ; « 2. Une forte dépendance vis-à-vis des annonceurs, qui repréns sentent l’autre source principale de financement, dominante dans les médias commerciaux ; « 3. Une considération insuffisante pour la satisfaction des utiln lisateurs, essentiellement mesurée en quantité et plus rarement en qualité, exactitude, équité et mise en forme des contenus orign ginale. D’une manière générale, les boucles de retro alimentatn tion (feedback) en provenance de l’audience / lectorat et des citoyens devraient avoir une forte influence sur la stratégie de l’organisation ; Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 369

« 4. D’autres retours d’information non-officiels ne sont pas montrés sur le diagramme, tels que ceux en provenance des annonceurs et/ou des propriétaires des médias en direction des gouvernements et vice versa et peuvent être dangereux en termes d’influence »120. Ce système d’évaluation, guidé donc par l’option et le préalable d’un environnement démocratique tel que défendu par le référ- rentiel onusien, notamment l’Unesco, au profit des médias, vise à installer/vérifier la qualité du média dans trois directions : • « Service à ses utilisateurs (audience / lecteurs) et au pub- blic en général ; • « Service à la société dans laquelle il opère, notamment en promouvant la libre circulation de l’information, ess- sentielle dans une démocratie ; • « Service à d’autres parties prenantes d’importance telles que : o le personnel; o les annonceurs; o les sous-traitants ; o les actionnaires ; o les associations de la société civile; o les syndicats de journalistes o les autorités publiques »121. Ceci dit, cette norme de qualité, qui a été appliquée pour certif- fication dans nombre de médias (écrits et audiovisuels) en Eur- rope, en Asie et en Amérique Latine, se veut adaptée aux spécif- ficités du monde des médias où la question de la qualité, comme socle et but de la bonne gouvernance ne se pose pas de la même manière que dans d’autres domaines…Car « tout système de management de la qualité appliqué à un média doit considérer que celui-ci, en tant qu’industrie, a un certain nombre de spénc cificités »122.

120 - ISAS, Idem. Page 12 121 - ISAS, Idem. Page 8. 122 - ISAS, Idem. Page 11 370 dialogue national - media et societe

La norme « BCP 9001» résume ces spécificités des médias comm- me ci-dessous.

Spécificités de l’industrie des médias en relation avec leur qualité

Ø « Son rôle social ne peut être mesuré avec les indicateurs financiers habituels ; Ø Il est soumis à des pressions de ses propriétaires, des gouv- vernements et d’autres institutions de pouvoir qui peuv- vent avoir tendance à influencer ses contenus ; Ø Son équilibre économique dépend à la fois des utilisateurs (audience / lectorat) et des annonceurs dont les intérêts ne sont pas nécessairement convergents; Ø La qualité d’un média est, à maints égards, subjective. Elle ne peut pas être évaluée uniquement avec les donn- nées habituellement utilisées dans les affaires : tirage, chiffre d’affaires ou profitabilité; Ø La mesure de la qualité dans ce domaine demande plus que l’évaluation de fonctions techniques telles que la réd- daction, le son, la photographie, la production, la concept- tion, le montage, etc. Ø Par-dessus tout, un média doit faire montre d’intégrité. Il doit être honnête, juste et digne de confiance; Ø Tout média qui aspire à se mettre en conformité avec cette norme doit être: o Indépendant sur le plan éditorial ; o Transparent pour ce qui concerne les propriétair- res du média et les autres liens qui pourraient inf- fluencer ses contenus ; o Régi par une ligne éditoriale qui soit comprise par les producteurs de contenus, l’audience/lectorat et les autres parties prenantes ; Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 371

o Respectueux des standards internationaux en matière de conditions de travail et de dialogue so-c cial. Ø Sa culture interne et ses processus devraient inclure :

o Une mission claire et une ligne éditoriale bien déf- finie pour chaque plateforme de publication ou de radiodiffusion à l’intérieur de l’organisation; o L’accent mis sur l’exactitude dans la couverture des faits ; o Des mécanismes efficaces pour identifier et corri-g ger les erreurs ; o Une claire distinction entre opinion et fait ; o La prise en compte des réactions des utilisateurs du média (audience / lectorat) et des autres parties prenantes ; o Un code d’éthique largement diffusé ; o Une formation et une évaluation du personnel au plus haut niveau de qualité ; o Une séparation non ambiguë entre la publicité et les contenus éditoriaux ainsi qu’une interdiction d’interférence des annonceurs en termes d’influenc- ce sur la prise de décision éditoriale ».123 Dans l’ensemble de ces indicateurs de qualité nous retrouvons tous les éléments que nous avons rencontrés et soulignés tout le long de nos diagnostics, secteur par secteur, et ceux, synthét- tiques, que nous avons relevés, notamment avec les modèles de l’Unesco et d’Article 19, concernant la bonne gouvernance et la positive régulation des médias. Tout compte fait, la régulation par la loi, texte législatif, texte ré-g glementaire, ou par des instances indépendantes mais qui sont,

123 - ISAS, Idem. Page 11. 372 dialogue national - media et societe de par leur statut (comme la HACA), des autorités publiques liées, sous une forme ou une autre, au chef de l’État, à l’exéc- cutif ou au parlement, ne peut être démocratique et prétendre aux normes de la bonne gouvernance que si elle est appuyée/sec- condée par l’autorégulation, garante, pour une grande part, de l’objectif de la qualité comme des standards de la bonne gouvern- nance en interne. Or, si la régulation est, peu ou prou, anti-dém- mocratique (administrative, aux commandes d’un quelconque pouvoir ou s’y inféodant, à l’occasion), elle ne peut concéder à l’autorégulation la place et le rôle qui lui sont nécessaires au mieux de son efficience. L’autorégulation, droit syndical et déont- tologique revendiqué par les professionnels des médias, partout dans le monde et par leurs organisations internationales, ne se conçoit que dans une indépendance totale par rapport à toute source de pouvoir ou de pressions, y compris de la part des trois pouvoirs constitutionnels dans une démocratie : le pouvoir lég- gislatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. A l’inverse, l’autorégulation ne peut être envisageable qu’en présence d’une régulation par la loi qui soit démocratique, vivante, réactive et anticipatrice, de telle sorte que l’autorégulation devienne indis-p pensable pour : ü couvrir des zones difficilement envisageables pour le rè-g gne de la loi; ü prévenir au maximum l’intervention de la loi qui, par nature et par interprétation de son mandat parfois, peut être trop interventionniste, voire oppressive de la liberté des médias et de leurs pratiques, tombant, à l’extrême, dans l’iniquité, l’abus ou l’arbitraire. Mais si la force de l’autorégulation repose sur un acte volontar- riste des concernés, médias et leurs professionnels, elle ne peut être construite et être conséquente sur la vie professionnelle et l’exercice de la liberté d’expression, que si elle se fonde sur un socle de valeurs éthiques et un code de pratiques déontologiques d’inspiration universelle. Comme elle ne peut tirer son énergie, s’améliorer et augmenter son influence que dans une interact- Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 373 tion avec le règne codifié de la loi…Il ya donc une interaction, une dynamique organique entre le domaine de la loi et celui de l’autorégulation au moyen de l’éthique et de la déontologie des médias, il y une dialectique entre les deux. L’un ne peut bien fonctionner sans le bon fonctionnement de l’autre. Par conséquent, une autorité d’autorégulation du champ mé-d diatique dans son ensemble, dans le cas qui est le nôtre, au Mar- roc, ne peut espérer jouer le rôle de dynamo de la bonne gouv- vernance des médias en interne comme en externe, de défens- seur vigilant et influent de la liberté des médias et des droits de leurs professionnels, de fécondateur d’une démocratisation de la société et des médias et de levier de la modernisation et de la responsabilisation des médias et de leurs contenus que si elle - cette autorité d’autorégulation donc – prend place dans un env- vironnement où les encadrements constitutionnels, législatifs et réglementaires sont aux plus hautes normes de la démocratie et de l’État de droit avec son référentiel universel des droits de la personne. C’est avec une telle recommandation que l’on doit envisager une haute instance indépendante de l’information et de la communication dans le Maroc actuel. Une Haute Instance d’autorégulation et de développe-m ment des médias Une instance qui, comme on l’a longuement évoquée dans nos sections précédentes, notamment dans notre cadrage politique et de référence, doit prendre en charge deux missions, organi-q quement liées : la veille déontologique et la veille stratégique.

v Veille Déontologique Par veille déontologique, nous entendons l’autorégulation par excellence dans le journalisme : la défense de ses valeurs éthiq- ques et la codification d’un « code de conduite » des pratiques du professionnel en conformité avec des règles déontologiques induites par ces valeurs éthiques. Des valeurs qui, partout dans le monde et chez toutes les organisations professionnelles inter-n 374 dialogue national - media et societe nationales rejoignent ou s’inspirent des valeurs universelles des Droits de l’Homme.124 Le rôle des médias dans la défense et la promotion des Droits de l’Homme n’est plus à démontrer de nos jours. Partout dans le monde, depuis au moins un demi siècle, ils ont été d’un apport, plus ou moins engagé, dans la défense des libertés et des droits individuels, dans la dénonciation des violations des Droits de l’Homme, dans la lutte contre les régimes totalitaires, autoritai-r res ou anti démocratiques. Très tôt, la communauté internationale, avec ses institutions, s’est intéressée à l’impact des médias sur la gouvernance mond- diale, en allant même jusqu’à tenter de codifier la déontologie du métier du journalisme. En effet, en 1950, l’ONU a élaboré un « code d’honneur international du personnel de presse et d’in-f formation ». Mais après divers débats et consultations et, en raison sans doute de l’atmosphère de guerre froide qui régnait à l’époque entre deux thèses opposées, ce projet fût abandonné, confirmant, s’il en était besoin, que la codification de la déon-t tologie des médias doit être laissée exclusivement aux profess- sionnels des médias. Car il s’agit d’une autorégulation volonta-r riste des concernés eux-mêmes pour défendre leur métier et sa « noblesse » soulignée dans nombre de leurs chartes à travers le monde, depuis celle des journalistes français en 1918 jusqu’à la charte de référence mondiale, adoptée par la Fédération Inter-n nationale des Journalistes (FIJ) : la « Déclaration de Munich », élaborée en 1971 et autour de laquelle se rallièrent, au lendem- main de la chute du mur de Berlin en 1989, la FIJ et l’Organi-s sation Internationale des Journalistes (OIJ) qui, elle, réunissait les syndicats des journalistes des pays de l’Est de l’Europe et certains des pays du sud.

124 - Confère l’ouvrage « Médias et journalistes, Précis de déontologie » (par J.E.Naji.) qui expose les valeurs de l’éthique du journalisme, son référentiel et passe en revue les chartes déontologiques de plus d’une cinquantaine de pays. Version française (2002) et version arabe (2004) à consulter sur www.rabat.unesco.org ou www.unesco.org/communication/chaires Ces deux ouvrages ont été largement disséminés dans les rédactions au Maroc, en Afrique francophone et dans certains pays arabes et à l’occasion du Dialogue national une réédition spéciale de la version arabe a été distribuée à tous les participants à ce Dialogue, à titre de documentation. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 375

« Déclaration de principes de la FIJ sur la conduite des journalistes » (1954; 1986) La présente déclaration internationale précise les règles de conduite des journall listes dans la recherche, la transition, la diffusion et le commentaire des nouvelll les et de l’information et dans la prescription des événements. 1. Respecter la vérité et le droit que le public a de la connaître constitue le delv voir primordial du journaliste; 2. Conformément à ce devoir, le journaliste défendra, en tout temps, le double principe de la liberté de rechercher et de publier honnêtement l’information, du commentaire et de la critique et le droit au commentaire équitable et à la critique loyale. 3. Le journaliste ne rapportera que les faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas les informations essentielles et ne falsifiera pas de doculm ments. 4. Le journaliste n’utilisera que des moyens équitables pour obtenir des inforlm mations, des photographies et des documents. 5. Le journaliste s’efforcera par tous les moyens de rectifier toute information publiée et révélée inexacte et nuisible. 6. Le journaliste gardera le secret professionnel concernant la source des inforlm mations obtenues confidentiellement. 7. Le journaliste prendra garde aux risques d’une discrimination propagée par les médias et fera son possible pour éviter de faciliter une telle discriminatl tion, fondée notamment sur la race, le sexe, les mœurs sexuelles, la langue, la religion, les opinions politiques et autres et l’origine nationale ou sociale. 8. Le journaliste considérera comme fautes professionnelles graves: le plagiat; la distorsion malveillante; la calomnie, la médisance, la diffamation, les accl cusations sans fondement; l’acceptation d’une quelconque gratification en raison de la publication d’une information ou de sa suppression. 9. Tout journaliste digne de ce nom se fait un devoir d’observer strictement les principes énoncés ci-dessus. Reconnaissant le droit connu de chaque pays, le journaliste n’acceptera, en matière professionnelle, que la juridiction de ses pairs, à l’exclusion de toute intrusion gouvernementale ou autre.

Par rapport à la déclaration de la FIJ, la « Déclaration de Mun- nich » a surtout tenté d’épouser les deux volets qui sous-tendent à la fois la préoccupation déontologique chez les journalistes acquis à la nécessité de codifier leur conduite et leur pratique, c’est-à-dire le volet des devoirs du journaliste envers le public, et le volet des droits du journaliste pour bien exercer son métier, notamment dans le respect de ces « devoirs déontologiques ». 376 dialogue national - media et societe

Déclaration de Munich (1971; 1989…)

Préambule Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain. De ce droit du public de connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. La responsabilité des journalistes vis-à- vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics. La mission d’information comporte nécessairement des limites que les journalistes eux-mêmes s’imposent spontanément. Tel est l’objet de la décn claration des devoirs formulés ici. Mais ces devoirs ne peuvent être effectivement respectés dans l’exercice de la profession de journaliste que si les conditions concrètes de l’indépn pendance et de la dignité professionnelle sont réalisées. Tel est l’objet de la déclaration des droits qui suit. Déclaration des devoirs Les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements, sont : 1. respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public à de connaître; 2. défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critiqn que; 3. publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents; 4. ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents; 5. s’obliger à respecter la vie privée des personnes; 6. rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte; 7. garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informn mations obtenues confidentiellement; 8. s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information; Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 377

9. ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitn taire ou du propagandiste; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs; 10. refuser toute pression et n’accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction. Tout journaliste digne de ce nom se fait un devoir d’observer strictement les principes énoncés ci-dessus; reconnaissant le droit en vigueur dans chaque pays, le journaliste n’accepte, en matière d’honneur professionnn nel, que la juridiction de ses pairs, à l’exclusion de toute ingérence gounv vernementale ou autre. Déclaration des droits 1. Les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d’infn formation et le droit d’enquêter librement sur tous les faits qui condint tionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut en ce cas être opposé au journaliste que par exception en vertu de motifs clairement exprimés. 2. Le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle qu’elle est déternm minée par écrit dans son contrat d’engagement, de même que toute subordination qui ne serait pas clairement impliquée par cette ligne générale. 3. Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnn nel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience. 4. L’équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie de l’entreprise. Elle doit être au moins consultée, avant décision définitive, sur toute mesn sure intéressant la composition de la rédaction : embauche, licencienm ment, mutation et promotion de journaliste. 5. En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaln liste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu’une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance écononm mique. 378 dialogue national - media et societe

Comme on le voit, cette « Déclaration de Munich » a, d’une part, englobé et élargi les repères déontologiques retenus par la charte de la FIJ de 1954, amendée en 1986, mais surtout, elle a donné la preuve, en un seul texte, du lien organique qui existe entre la dimension des « devoirs » du journaliste et celle de ses « droits ». Un lien qui installe une logique, sans laquelle aucune réelle application, sur le terrain, ne peut être envisagée au profit d’une pratique de journalisme conforme aux différentes recomm- mandations d’ordre éthique (depuis le référentiel d’origine, cel- lui des droits et libertés fondamentales de l’Homme), ou d’ordre purement professionnel, c’est-à-dire strictement déontologique. Un « journalisme d’excellence » comme le qualifient nombre de chartes et de textes internationaux. D’ailleurs, cette démarche qui construit la déontologie des mé-d dias sur la double fondation des « devoirs » et des « droits » du journaliste, est celle justement qu’adopte le référentiel universel, à l’origine de la proclamation du règne de la liberté d’expression et de la liberté de la presse grâce à l’Article 19 de la Déclaration de 1948. Il est donc fondamental de souligner qu’il faut comp- prendre par la déontologie du journalisme ce lien établi entre obligations et droits du journaliste pour que la jouissance de la liberté de l’expression et de la liberté de la presse soit acceptab- ble et digne aussi bien aux yeux des professionnels que de la société démocratique, qu’aux yeux des défenseurs des droits et libertés fondamentales de l’Homme. L’éthique du journalisme, traduite en règles déontologiques dans la pratique de ce métier, débouche, pour le professionnel des médias, sur deux niveaux de responsabilités allant de pair pour lui : Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 379

Deux niveaux de dix responsabilités pour le journal- liste 1. Au sein de son entreprise médiatique, le journaliste est personnellement responsable § envers son public et l’opinion publique en général; § envers ses sources et les personnes dont il parle; § envers ses règles professionnelles et les organes qui en ont la gardn de;125 § envers ses propres convictions relevant de sa conscience individuelln le; § envers la hiérarchie rédactionnelle, qui est elle-même comptable du travail de chaque journaliste devant l’éditeur ou le propriétaire du média, ainsi que devant les clients annonceurs. 2. Le journaliste partage, d’autre part, les responsabilités de son entrenp prise médiatique § envers son public et l’opinion publique; § envers les sources et les personnes faisant l’objet d’informations; § envers les groupes d’intérêt, puissants ou non, qui constituent l’envirn ronnement économique et social de l’entreprise; § envers l’État et ses organes, qui définissent la mission générale des médias et encadrent leurs activités par un certain nombre de lois; § envers la société dans son ensemble.126

En ce qui concerne ses droits – sur le registre déontologique in-d dépendamment de la stipulation par la loi de certains parmi eux - on peut les résumer comme suit, sachant qu’ils sont indispens- sables à garantir pour que les devoirs puissent être valablement assumés par le journaliste :

125 - La Déclaration de Munich, comme la Charte de la FIJ, parle de « la juridiction de ses pairs » (exclusivement) 126 - Résumés des responsabilités et des droits propos é par Daniel Cornu in «Journalisme et vérité, pour une éthique de l’information ». Genève, Édit. Labor et Fides, 1994. 380 dialogue national - media et societe

Dix droits déontologiques du journaliste

1. Droit de jouir librement de la liberté d’expression en général et de la liberté de la presse, en particulier 2. Droit au libre accès à toutes les sources d’information 3. Droit au « secret professionnel » 4. Droit moral de refuser toute subordination 5. Droit à une « clause de conscience » 6. Droit de confier la surveillance de sa déontologie exclusivement à ses pairs 7. Droit à la transparence au sein de l’entreprise 8. Droit à un contrat de travail 9. Droit à une convention collective 10. Droit à la formation professionnelle et éthique

L’autorégulation est donc le fruit de cette synergie constante et organique entre les droits et les devoirs du journaliste. Mais cette autorégulation n’est pas du tout imperméable aux contex-t tes nationaux, sociaux et culturels dans lesquels le journaliste pratique ce métier, même si ces dix responsabilités et ces dix droits sont universellement admis par toutes les organisations professionnelles et syndicales des journalistes. Toujours est-il, que, par référence au credo de la démocratie, quel que soit le contexte dans lequel on pratique le journalisme et quels que soient les formulations, les termes et les énoncés explicites ou implicites que l’on peut rencontrer dans les diverses chartes déontologiques à travers le monde, il y a un substrat commun qui anime toute charte déontologique127 :

127 - Code synthétique proposé par Claude-Jean Bernard in : « La déontologie des médias ». PUF. Paris. Que sais-je? No 3255. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 381

Code déontologique synthétique (substrat commun à toutes les chartes) Valeurs fondamentales • Respecter la vie • Promouvoir la solidarité entre les humains Prohibitions fondamentales • Ne pas mentir • Ne pas s’approprier le bien d’autrui (plagiat) • Ne pas faire souffrir inutilement Principes journalistiques • Être compétent (donc sûr de soi, donc prêt à reconnaître ses erreurs). • Être indépendant, vis-à-vis des forces économiques, politiques et intn tel lectuelles. • Ne rien faire qui diminue la confiance du public envers les médias. • Avoir une définition large et profonde de l’information (pas limitée à l’évident, à l’intéressant, au superficiel). • Fournir un rapport exact, complet et compréhensible sur l’activité (les faits) • Servir tous les groupes (riches/pauvres, jeunes/vieux, gauche/droint te). • Défendre et promouvoir les droits de l’homme et la démocratie • Travailler à l’amélioration de la société environnante.

L’autorégulation, ce pendant d’équilibre à la régulation par la loi, dépend donc exclusivement des journalistes eux-mêmes, avec l’accord de la société et de son législateur. C’est pourquoi, nombre de syndicats et de corporations de professionnels, com-m me le SNPM au Maroc, choisissent de se doter d’une structure, en interne, pour veiller à la mise en œuvre de cette autorégu-l lation. Alors que dans certains pays cette « veille déontologiq- que » est confiée à une autorité indépendante du syndicat qui y est présent, parfois de manière majoritaire, aux côtés de rep- présentations diverses, selon les pays : des opérateurs médias ou employeurs, des juges – souvent retraités et respectés pour leur indépendance d’esprit- des professeurs d’université spéc- cialisés ou experts, des parlementaires, des anciens ministres (cas du Pakistan), des activistes de la société civile…Les deux 382 dialogue national - media et societe formules les plus en vogue étant des instances déontologiques constituées pour moitié par des journalistes et pour l’autre moi-t tié d’opérateurs médias (cas de l’Allemagne), ou des instances dont le membership est partagé, plus ou moins à égalité, entre journalistes, employeurs et représentants du public… Le public qui, dans certaines instances scandinaves peut occuper même les 2/3 des sièges de l’instance (cas de la Suède). Si on met de côté les conseils dont l’origine ou la constitution émanent de l’État (cas du Danemark, de la Grèce, de Chypre, de l’Égypte, de l’Inde…), ou les pays où cet instrument a été dilué dans une « Haute autorité » de régulation de tous les médias (mode actuelle dans les pays africains, ou cas du Portugal), on constate donc que les conseils diffèrent selon qu’ils : • Impliquent le public et les usagers • Impliquent les éditeurs aux côtés des journalistes • Impliquent des représentants de secteurs proches des médias (magistrats, experts, professeurs de journalisme, industriels, parlementaires…) • Impliquent des représentants de la « société civile », nou-v vel acteur (assez difficile à définir) de plus en plus évoqué, notamment dans les pays où les ONG humanitaires et de développement font figure de défenseurs/promoteurs de progrès, de démocratie et des libertés fondamentales. Dans ce panorama de l’alchimie possible pour constituer un conseil, on peut retrouver : • Le cas du Conseil suisse qui n’est constitué que de journ- nalistes; • Le cas du Conseil allemand que partagent les patrons de presse et les journalistes; • Les cas où le conseil est de constitution tripartite, avec patrons, journalistes et les usagers qui, selon le pays, sont plus ou moins représentés au sein du conseil par Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 383

rapport aux deux autres parties : cas de la Finlande, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, des conseils provinciaux ou régionaux aux États-Unis (comme au Minnesota), ou au Canada (cas de l’Ontario, de la Colombie-Britannique ou du Québec), et cas de la Norvège et de la Suède où le pu-b blic a plus de représentants que les deux autres parties du conseil tripartite. A relever aussi le cas où le public n’intervient que lors de « forums » ou d’audiences publiq- ques que lui ouvre ponctuellement le conseil (cas de cert- tains conseils américains) 128; • Les cas où le conseil intègre des membres désignés par le gouvernement et les partis politiques (Grèce), des exp- perts et des universitaires (Italie, Royaume-Uni, Islande, Pays-Bas), l’association des professeurs de journalisme (Estonie), des magistrats (Suède, Italie, Pays-Bas, Espa-g gne). Bref, l’instance en charge de la veille déontologique diffère quant à sa composition d’un contexte à un autre, comme elle diffère concernant ses prérogatives : outre la sanction morale du journaliste auteur d’un écart déontologique, par exemple, qu’on rencontre dans la mission de toutes les instances, certain- nes instances ont la prérogative exclusive de délivrer et de retir- rer la carte professionnelle, d’autres de déclarer un incriminé ne plus être reconnu par elle comme appartenant à la profess- sion…Certaines reçoivent les plaintes d’employeurs en plus des plaintes du public et des journalistes que toute instance du genre reçoit…La plupart sont conçues comme « commission », « coll- lège », « autorité », « instance », « conseil », mais certaines ont toutes les qualités et les prérogatives d’un « ordre » à l’instar de l’ « ordre des médecins » ou « l’ordre des architectes »…

128 - « L’idée - du conseil national ou régional - fut suédoise à l’origine (1916). Elle ressurgit en 1928 dans un rapport de l’Organisation Internationale du Travail, puis dans un projet de Cour d’honneur conçu par la Fédération internationale des journalistes en 1931. La commission Hutchins reprit l’idée d’un conseil national en 1947. Et, en 1953, la Grande Bretagne mit en place son Press Council qui allait devenir un modèle ». Confère Claude-Jean Bertrand, « La déontologie des médias », Que sais-je ?, op. cit. (page 94). 384 dialogue national - media et societe

À l’exception du cas atypique de l’Italie où le « Conseil national de l’ordre des journalistes » peut prononcer la suspension d’ac-t tivité contre le journaliste coupable d’avoir transgressé les règles de la déontologie, les avis du conseil n’ont comme force d’effet que l’impact moral qu’une décision peut avoir sur le contreven- nant, sur son employeur et ses confrères pour faire pression sur eux afin qu’ils améliorent leur comportement. Un tel impact est surtout recherché à travers la publication dans les médias, et tout particulièrement le média concerné, de l’avis rendu, du blâme prononcé, de la sanction infligée… La publication du blâ-m me, auprès des professionnels et du public, est supposée être un instrument dissuasif à long terme. Car il s’agit davantage d’une longue éducation que d’une prompte injonction ou d’une obli-g gation au pouvoir coercitif comme l’est la loi…Le paradoxe du souci déontologique étant : alors qu’on est résigné à admettre que l’éthique n’est finalement sauve que du fait du comportem- ment et de la conscience individuelle de chaque journaliste, on est forcé malgré tout d’inciter le journaliste, d’encadrer sa « vert- tu » par des instruments qui lui sont externes, quitte à ce qu’ils soient contraignants et frustrants pour sa liberté d’exercice de l’expression. « Comment amener – le journaliste – comme tout être hunm main à se bien comporter ? On peut envisager que s’exercn cent sur lui trois types de pression. Sa perversité entraîne que, dans l’intérêt de ses semblables, il doit être soumis à une pression physique externe. Sa noblesse fait qu’il est sensible à la valeur de certains principes et donc à une pression morn rale interne. Son ambivalence amène à espérer qu’une pressn sion morale externe suffise; c’est-à-dire celles qu’exercent des règles d’éthique professionnelles, dont la violation par un individu, lui vaut la réprobation de ses pairs et le mépris des usagers ». 129 Quand on invoque le « droit du public à l’information », l’« in-t térêt public » ou quelconque « mandat social » de la presse,

129 - Claude-Jean Bertrand, « La déontologie des médias », Que sais-je ?. op. cit. (page 82) Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 385 l’argument ultime pour justifier une démarche favorable à un mécanisme de surveillance déontologique est celui qui fait réf- férence aux usagers des médias pour en sonder ou défendre les attentes, le regard qu’ils jettent sur les médias et les journalistes et de là leur droit à contrôler et à surveiller les pratiques des professionnels. Cette conception est basée donc sur le postulat de « responsabilité sociale des médias », avec le principe de leur imputabilité vis-à-vis de la société. Par là donc, on peut parler de contrôle des médias et des journalistes par la société dans leur exercice de la liberté d’expression que les professionnels, souvent, veulent absolue. Ceci dit, il reste que la propension à vouloir contrôler les prati-q ques journalistiques, à l’aune de repères déontologiques profess- sionnels, menace directement le sacro-saint « droit à l’informa-t tion », le « droit du public à être informé » qui procède de « l’int- térêt public » et auquel la primauté doit être donnée en toute circonstance. Toute charte déontologique, code d’éthique, guide d’application, insistent sur ce droit comme préalable. Cette primauté du droit à l’information ne manque pas généra-l lement de marquer de son empreinte la démarche constitutive des instances de surveillance, quelle que soit la forme de l’inst- tance. On peut même dire que les instances de surveillance diff- fèrent fondamentalement selon qu’elles ont tendance à privilég- gier davantage, dans leurs attendus, avis ou jugements, ce droit du public à l’information, ou les droits des tiers, supposés lésés par un acte médiatique jugé « journalistiquement incorrect », pour reprendre une formule contestable mais significative quant aux excès latents et dangereux des prétentions à la surveillanc- ce. Mais « tout dire, tout permettre » au nom de la sacro-sainte liberté de la presse, n’est plus acceptable, même aux yeux des concernés eux-mêmes, parce que l’absence de « balises » éthiq- ques rend pour le moins, la compétition - qui est de plus en plus vive - intenable, improductive, voire dangereuse pour la place et le crédit des médias et des journalistes au sein de la société. La méfiance doit certes être toujours présente face à quelconque 386 dialogue national - media et societe projet de codification, mais l’absence de tout repère éthique ou déontologique est de moins en moins défendable. À l’opposé, l’option pour une surveillance coercitive de la déont- tologie est autrement plus préjudiciable à la liberté des méd- dias, puisqu’elle peut générer des limites inadmissibles à la li-b berté d’expression et à la liberté de la presse, et peut servir les desseins des adversaires habituels de la presse : les pouvoirs. Néanmoins, dans certains contextes, on n’a pas hésité à faire ce dernier choix dissuasif au point d’ériger un « ordre », à l’instar des ordres qui ont pouvoir de sanctionner sévèrement, comme l’ordre des médecins, par exemple. 130 Ce type d’encadrement institutionnel contraignant (que le syndicat tunisien, par exemp- ple, souhaite depuis la révolution du 14 janvier 2011) est, de tout point de vue, incompatible, voire antinomique, avec l’essence même de ce métier, qui a comme fondement la liberté d’exercice de la liberté d’expression (une des libertés suprêmes de l’Homm- me) et, tenant compte de l’évolution irrémédiable des moyens de communication et de leurs usages, cet exercice tend de nos jours vers de plus en plus de liberté de parole, vers plus d’univ- versalisme, vers plus de communication libre et autonome entre les individus à l’échelle de la planète, via le cyberespace. Admett- tre l’idée d’un ordre signifie ipso facto l’institution d’une sorte de « délit de pratique illégal du journalisme », ce qui, en réalité, « donne au gouvernement un contrôle de fait sur l’exercice de la profession ». 131 Ce détournement de l’exigence déontologique qui finit par réin-t troduire le contrôle de l’exécutif, ou d’hypertrophier celui de la justice, sur la presse et sur l’exercice de sa liberté, peut prend- dre plusieurs formes, selon les contextes. Il peut s’opérer par la création, par texte de loi, d’une instance de surveillance, appelée

130 - Confère Henri Pigeat, in « Médias et déontologie ; règles du jeu ou jeu sans règles », Paris, Édit. PUF 1997,qui commente « l’ordre des journalistes » créé en Italie en 1953 et divers « colegios », ou ordres, créés dans dix pays d’Amérique latine dont le Costa Rica où cependant la Cour suprême se prononça en jugeant ce type d’institution « inconstitutionnelle », prenant en considération un avis de la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme qualifiant ce système d’incompatible avec les droits de l’Homme (page 101). 131 - Cas du Venezuela qui a institué en 1994 un ordre de ce type ou « colegio ». Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 387 généralement, « Conseil de presse » (cas de l’Inde par exemple), à l’instar d’un tribunal qui va interpréter de son point de vue un code déontologique même si celui-ci émane, de façon volonta-r riste, de la profession. Il peut prendre la forme d’une « loi sur la presse » qui comporte aussi bien des dispositions d’ordre légal que des dispositions d’ordre éthique et déontologique (cas de l’Égypte ou de la France, par exemple). Il peut prendre la forme d’une « Haute autorité », chargée en principe de « réguler » mais, dans de nombreux cas, se transformant petit à petit en un « tribunal déontologique », dictant au journaliste quoi respecter et comment pratiquer son métier (une tendance qu’on retrouve en Afrique francophone)…La limitation de l’exercice de la liberté d’expression par les médias peut aussi venir d’un parlement ou d’une commission parlementaire qui aurait un droit de regard sur les pratiques des médias, notamment publics, avec, comme moyens de pression le vote des budgets, la nomination ou la val- lidation de la nomination des dirigeants, l’obligation de certain- nes programmations (cas du Royaume-Uni, de la France pour ce qui concerne l’audiovisuel)132. Bref, la préoccupation déontol- logique peut se prêter à diverses formes d’institutionnalisation de la fonction de surveillance, ce qui explique pourquoi, dans l’écrasante majorité des pays où cette préoccupation a fait l’ob-j jet d’une charte, les rédacteurs insistent pour que cette fonction soit attribuée exclusivement au seul corps des professionnels. C’est d’ailleurs ce que revendique le SNPM depuis l’évocation d’une telle instance dans le discours royal du 30 juillet 2004. La méfiance des journalistes de se voir surveiller, concernant leur éthique et leur déontologie, par une instance qui soit en totalité ou en partie constituée de personnes étrangères à leur monde, est de plus en plus renforcée, comme c’est le cas au Maroc actuellement, par la tendance de la justice à invoquer la déontologie dans ses verdicts. La judiciarisation qui assaille de

132 - Depuis le début de l’année 2011, on assiste en Afrique du Sud à une forte confrontation entre, d’une part, les journalistes et la société civile et, d’autre part, le gouvernement qui compte faire adopter une loi instituant un « tribunal éthique ». 388 dialogue national - media et societe plus en plus l’activité des médias et des journalistes peut être as-s similée à un redéploiement de la censure et du contrôle des méd- dias. Si la censure gouvernementale dans ses formes classiques (censure préalable, saisie, interdiction, aux mains du pouvoir exécutif) est en constant recul à travers le monde, il apparaît de plus en plus évident que par le biais des jurisprudences et de l’arbitraire d’appréciation qu’elles permettent aux juges, y com-p pris sur le registre de la déontologie, on assiste à une sorte de « privatisation de la censure »… « Via le pouvoir judiciaire, des particuliers ou des entreprisn ses multiplient les procès en diffamation et en dommages et intérêts, intimidant jusqu’aux émissions et aux publications les plus respectables. Ces actions en justice sont parfois légn gitimes, car la liberté d’expression doit être mise en balance avec d’autres droits, comme la non-discrimination, le respn pect de la vie privée, la réputation et l’honneur des personnn nes, mais elles sont de plus en plus souvent conçues comme un moyen visant à intimider les médias et à réduire le débat public. Aux États-Unis d’Amérique, on leur a donné le nom éloquent de « slapp » (Strategic lawsuits against public partn ticipation, - actions en justice stratégiques contre la participn pation publique -, le mot anglais « slap » signifie « claque » ou « gifle ») ». 133 C’est une tendance lourde, tout particulièrement dans les pays de faible ou récente expérience en matière de « procès de dél- lit de presse » et de longue tradition de régulation autoritaire, voire répressive, de la liberté des médias. Le Maroc ne fait pas encore exception à cet égard. D’un autre côté, il faut aussi faire preuve de prudence sur un autre registre : celui du financement d’une instance d’autorég- gulation déontologique, car une dépendance par rapport à un financement de l’État, par exemple, peut induire une influence

133 - Jean-Paul Marthoz, « La liberté des médias », dans Rapport mondial sur la communication et l’information 1999-2000 ». Paris. 1999. Éditions UNESCO (page 82) Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 389 des pouvoirs publics sur les activités, les initiatives et les décis- sions d’une telle instance, voire un contrôle. Le financement des activités de ces instances ou conseils d’autorégulation, paramè-t tre important pour juger de leur indépendance, peut prendre diverses formules dépendant des parties impliquées : finance-m ment de l’État, des organisations et syndicats des journalistes, des industriels des médias, et même le financement grâce aux amendes infligées pour manquement à l’éthique comme dans le cas, rare, de la Suède (seul pays, avec la Grèce, où on prévoit des amendes). Par ailleurs, la déontologie propre au monde des médias connait de nos jours un bouleversement sans précédent au point que son autorégulation semble de moins en moins possible à mettre en œuvre sur toute l’étendue de ce monde… Confrontée à la révolution actuelle de ses moyens techniques d’expression, avec les TIC, la communauté internationale des médias et des journalistes, n’a pas pour autant été découragée d’accompagner, en même temps, ce formidable et complexe bouleversement des données de son enjeu principal, la liberté d’expression, par une réflexion – à chaud – sur les registres de l’éthique et de la déontologie. Bien que cela soit un défi sans préc- cédent, dans la mesure où ces nouveaux moyens ont déclenché l’irruption massive, inattendue et impossible à réguler, du pub- blic, du « Net citoyen ». Le public étant un acteur que le monde médiatique d’avant cette nouvelle ère technologique, pouvait garder loin de sa sphère de travail, loin de ses outils et de sa « cuisine » de fabrication et de diffusion de l’information et de l’expression. La promesse généreuse de donner la parole au pub- blic, de développer l’interactivité, une fois devenue réalité, malg- gré les médias et les journalistes, a donc pris l’allure d’une remis- se en question de la position de ces derniers et de leur mission dans la société… Même l’exclusivité de leur savoir-faire, de leur rôle, naguère prédominante dans l’exercice de la liberté d’exp- pression, est remise en question, chaque jour, inexorablement. 390 dialogue national - media et societe

Pour se rendre compte de l’ampleur d’un tel bouleversement des données pour le souci déontologique, il suffit de prendre connaissance d’une résolution récente de la FIJ à propos du journalisme électronique : « En raison des conditions dans lesquelles sont reçus les nouveaux services d’information, souvent par-delà les frontn tières nationales, les structures nationales existantes en matn tière de régulation du contenu médiatique devraient être adaptées afin de se conformer aux principes suivants : « L’information mise à la disposition du public par des moyens électroniques est à considérer comme étant du ressn sort des organes nationaux de régulation; « Les organes nationaux de régulation devront traiter les plaintes sur le contenu de l’information fournie électronn niquement et qui provient de leur domaine de juridiction, même si ces plaintes sont formulées par des personnes ou des institutions pertinentes situées à l’extérieur des frontièrn res nationales; « Sur cette base, la FIJ estime inopportun d’envisager des structures internationales de régulation du contenu médiatn tique, et s’oppose à toute initiative d’instaurer une quelconqn que structure transnationale de régulation chargée de régir le contenu médiatique ». L’enjeu déontologique a pris donc de nos jours des dimensions que les rédacteurs des premières chartes ne pouvaient imagin- ner. L’effort de la réflexion sur l’éthique, sur la déontologie de la pratique, sur la surveillance et la régulation, avait été mené, généralement, de manière circonscrite à un territoire natio-n nal, dans le cadre d’une société ayant un contexte et un référ- rentiel qui lui sont particuliers. Or, voilà que l’interpellation de la déontologie peut enjamber les frontières, être formulée dans un contexte donné pour dénoncer la pratique de mise dans un contexte étranger : une personne d’un pays peut se plaindre et obtenir gain de cause - en principe - à propos d’un manquement à la déontologie commis à l’autre bout de la planète, via un mé-d dia traditionnel ou un nouveau média de type TIC. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 391

Ne maintenant, pour l’instant, comme légitimité, que celle des organes nationaux de régulation, et écartant - pour le moment - l’idée d’une structure internationale, la FIJ, comme d’autres instances concernées à l’échelle mondiale, ne saurait dire si l’évolution future du monde des médias ne l’obligera pas un jour à revoir sa position actuelle. Devenant de plus en plus mon-d dial, le champ des médias a lentement, surtout sur les quinze ou vingt dernières années, progressé vers une réflexion sur soi- même qui fait référence à des dispositifs et édifices de droits et de principes internationaux, cherchant sources d’inspiration et repères d’énoncés dans les consensus et règles de conduite admis par la communauté internationale, par le système onus- sien et sa littérature. Ce champ a maintenant admis, au plan de l’éthique et de la déontologie, qu’un litige survenu dans un pays soit examiné à la lumière des textes d’un autre pays (ou d’une instance, organisation ou cour multilatérale ou internationale). Le Conseil de presse suisse, par exemple, se recommande de se fonder, pour ses directives et avis d’instance de régulation, non seulement sur la « Déclaration des devoirs et droits du journa-l liste suisse » mais « également sur les codes d’éthique étrangers et internationaux ». La tentative américaine en 1996 de la « loi sur la décence dans les télécommunications » (Communication Decency Act), pionnière en la matière, a intéressé et nourri déb- bats et propositions de juristes et de spécialistes dans presque tous les pays confrontés à la nouveauté de la communication via Internet. La loi française, dite « ADOPI » concernant le piratage de contenus numériques est en passe de devenir une référence d’inspiration pour nombre de pays, voire d’organisations intern- nationales… C’est dire combien la déontologie est une préoccupation ma-j jeure à l’échelle planétaire, une constante inévitable dans tout produit et processus médiatiques, et non une panacée superfét- tatoire, ou un alibi pour une condamnable intention de réduire la liberté de l’expression ou de contrôler la liberté des journalis-t tes et des médias dans un pays en particulier. On se rend bien compte, tous les jours, dans le nouveau monde des médias, que 392 dialogue national - media et societe chaque saut technologique de ce monde transforme les données de la problématique de l’éthique, sans l’élimer, chaque nouveau moyen de communication, chaque nouvelle forme d’expression, permettent en fait d’affaiblir davantage les velléités à la censure, au contrôle et à la domestication de la liberté de la parole et de l’opinion. « La déontologie n’est pas une mode, qui serait née aux États-Unis après la contestation des années 1960 et en Eunr rope après la guerre du Golfe. Elle n’est pas une éphémère contre-offensive provoquée par une vague de méfiance pubn blique. La déontologie est la seule méthode à la fois efficace et inoffensive pour améliorer le service des médias. Mais elle est lente, elle opère à long terme: raison de plus pour la mettn tre en œuvre sans attendre ». 134 Dans le contexte du Maroc, le souci de la déontologie et de sa surveillance, est encore dominé par nombre d’ambivalences et de fausses croyances qu’on peut expliquer par l’histoire de la pratique du journalisme au pays. Des pratiques longtemps cein-t turées et inhibées par la censure et l’autocensure qui étouffaient et les droits et les devoirs déontologiques du journaliste. Autant dire que la dimension déontologique est peu comprise et quand elle est évoquée elle est quasi automatiquement suspectée d’être comme étant une ultime forme de censure et une sophistiquée injonction de limitation de la liberté, surtout si elle est brandie par les autorités, judiciaires ou autres…Si le déficit en forma-t tion sur l’éthique et la déontologie est patent, voire gravissime, parmi nos journalistes, il y a eu, ces dernières années, nombre d’initiatives et de déclarations, émanant en particulier des autor- rités et de la justice, au nom de la déontologie, qui poussaient à la défiance, car il leur était souvent difficile de convaincre qu’ell- les n’étaient pas motivées par quelconque dessein de réduire la marge de liberté d’expression des journalistes.135

134 - Claude-Jean Bertrand, « La déontologie des médias », Que sais-je ?, op. cit. (page 124). 135 - Au plan de la formation, il est symptomatique de relever que ce n’est qu’à partir de Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 393

Quoiqu’il en soit, il est difficile d’imaginer qu’un journaliste mar- rocain, normalement ou particulièrement respectueux des nor-m mes de son éthique et des règles de sa déontologique, aura une facilité dans les réflexes à cet égard, alors qu’il pratique dans un champ médiatique où la violation de ces normes et de ces règles est monnaie courante, circulant dans la quasi-totalité des médias, dans tous leurs secteurs et avec toutes les formes imaginables, sur tous les registres qui préoccupent l’éthique et la déontologie de ce métier : vie privée, réputation et honneur d’autrui, présomption d’innocence, véracité et exactitude des faits et des sources, protection des droits des minorités et des mineurs, droit à l’image, respect de la propriété intellectuelle du confrère, respect de la souffrance de victimes, respect de la diversité et de la différence, respect d’institutions, de valeurs morales de la société, etc. Comme il est difficile que le journaliste fasse preuve d’une vigi-l lance déontologique en l’état actuel de la gouvernance de l’entrep- prise-type marocaine qui ne promeut réellement ni une charte déontologique propre à l’entreprise, ni une formation continue sur cet aspect et dont nombre de pratiques, comme on l’a vu, ne manquent pas d’écarts non seulement aux normes de l’éthique et de la déontologie, mais même aux dispositions de la loi et à la législation du travail. La culture ambiante dans l’entreprise média-type au Maroc est fondamentalement, voire structurellem- ment, hostile à un règne effectif et conséquent sur les contenus, comme sur la gouvernance de l’éthique et de la déontologie. De cette situation, nous voulons tirer deux enseignements struc-t turants majeurs : 1. Il est urgent que le champ médiatique national dispose d’une instance nationale d’autorégulation au plan de

2005/2006 qu’un module annuel de 40 heures sur l’éthique et la déontologie a été intégré au cursus de la 4ème année à l’ISIC, avec un faible coefficient de notation, alors que cette matière n’est pas du tout enseignée ni dans les établissements privés du secteur, ni à l’occasion des rares sessions de formation continue organisées épisodiquement par certaines entreprises. 394 dialogue national - media et societe

l’éthique et de la déontologie, qui soit en charge de tous les types de médias, les traditionnels comme les nouv- veaux; 2. Il est urgent que le champ médiatique national, dans sa globalité, soit encadré et soutenu par un instrument na-t tional de « veille stratégique » qui aurait en charge, avec les moyens qu’il faut, le développement, la modernisat- tion, la démocratisation et la moralisation (éthique et déontologie) de l’entreprise média nationale, de sa gouv- vernance et, partant, de ses contenus comme de ses différ- rentes ressources, les matérielles comme les humaines. Ces deux urgences ne sont pas incompatibles, ni parallèles. Au contraire elles sont organiquement liées et intrinsèquement l’une dépendante de l’autre. C’est pourquoi, les deux missions doivent aller de pair, de sorte que la veille déontologique ne soit pas assimilée à une dimension exclusivement de contrôle et de sanctions, surtout aux yeux des journalistes si sceptiques à cet égard.

v Veille stratégique Par conséquent, la veille stratégique doit être liée à la veille déont- tologique et vice versa, dans la mesure où les deux se rejoignent sur la question de la bonne gouvernance du média de laquelle dépend l’efficacité de son autorégulation, de l’autorégulation du professionnel. Partant de tous les éléments de diagnostic que nous avons relevés, secteur par secteur, et de notre analyse de la gouvernance des médias par le biais de la régulation par la loi et la gouvernance interne à l’entreprise média, nous avons souvent dégagé nombre de pistes de réformes qui nécessitent une grande politique publique de mise à niveau, de refontes, d’accompagnem- ment et de soutien par les pouvoirs publics et les institutions de l’État concernées. Cette tâche, qui revient à déployer une « stra-t tégie de développement et de démocratisation des médias mar- rocains », converge vers les objectifs de la veille déontologique Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 395 comme elle constitue sa raison d’être et la quintessence de ses objectifs ultimes et stratégiques : ceux de la viabilité de l’entrep- prise média, de sa bonne gouvernance, de sa bonne régulation et sa conséquente autorégulation, de la professionnalisation des pratiques du journaliste et de la qualité de son journalisme. Autrement dit, le motif de l’autorégulation est dans le dessein national de développer le champ des médias au Maroc, en invest- tissant des efforts collectifs et publics dans l’entreprise et dans le journaliste. Un investissement d’intérêt public en un bien pu-b blic (les médias) qui doit être encadré et orchestré par un outil institutionnel dédié à cet objectif. Certains pays, comme la France, tout récemment, ou la Belgique, optent pour des fonds de financement conçus pour une tâche de développement et de modernisation d’un secteur ou de tous les secteurs des médias. Certes, l’aspect financement de plans na-t tionaux de développement est le cœur d’un dispositif de « veille stratégique », mais il n’est, en définitive, que l’outil de mise en œuvre d’une vision, d’une feuille de route qui identifie des choix stratégiques de mise à niveau du présent et d’anticipation du futur. Dans ce cas, une stratégie nationale de développement des médias s’inscrit dans le structurant à court, moyen et long terme, inspirant des politiques publiques, sur tous les registres, depuis les initiatives législatives gouvernant le champ jusqu’aux agissements et pratiques des acteurs, les évaluant périodiquem- ment à des fins d’amélioration, de rectification et de réajustem- ment. Cette stratégie nationale doit faire de même vis-à-vis des politiques et pratiques de gouvernance au sein de l’entreprise, vis-à-vis des professionnels, de leurs pratiques professionnell- les et déontologiques, de leurs productions (contenus). Sans oublier de suivre et de promouvoir les publics des médias, tant dans leurs attentes et besoins en tant que consommateurs de contenus des médias, que dans leur éducation sur les médias et leur droit légitime de participer à la vie et aux contenus des médias. 396 dialogue national - media et societe

L’essentiel donc, dans notre cas, celui du Maroc, est d’ériger un espace qui opère comme un régulateur des choix et des pol- litiques publiques et privées du développement et de la moder-n nisation du champ médiatique, en assurant un rôle de veille stratégique concernant l’arrimage au futur : le futur de la démoc- cratie et de la démocratisation des médias dans le pays, le futur des technologies et nouveaux supports du cyberespace, le futur de l’économie de l’information, le futur des contenus et de leur qualité, le futur de la formation et du recyclage, le futur de la régulation par la loi, le futur de l’autorégulation… En l’état actuel de notre champ médiatique national et tenant compte de l’insoutenable rythme d’évolution, pour tous les pays, des moyens, formes, contenus et technologies du monde des médias, une telle stratégie nationale de veille et de développ- pement prend la caractéristique d’un programme de « salut pub- blic ». On doit nécessairement la concevoir ainsi, d’autant plus que la donne médiatique est devenue désormais, comme jamais auparavant, une donne politique par excellence, déterminant même l’avenir politique d’un pays, son « contrat social » ses chances de vivre ou non sous le règne de la paix, de la cohésion, de la démocratie et de l’État de droit. L’intrusion en force des médias et autres réseaux cybernétiques et blogs dans la sphère publique, là où se construit le « contrat social », exige désormais que le monde des médias devienne un secteur des plus prioritaires dans quelconque projet de société. Surtout dans les sociétés à faible masse critique en matière de gouvernance démocratique (confirmation faite par ce que les médias internationaux ont appelé : « le printemps arabe » ou « les indignés espagnols et grecs». Qui dit un « programme de salut public » dit une obligation d’engagement fort de la part de l’État. Il est donc bien évident qu’une telle stratégie de veille et de développement du champ médiatique doit être portée fondamentalement par l’État, dans le cadre d’une politique publique volontariste. Si une telle polit- tique, avec ses objectifs de mise à niveau, doit inspirer, comme Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 397 on l’a dit, toutes les formes de la régulation du champ de l’exp- pression médiatique et citoyenne, comme la régulation par la loi ou par des institutions de régulations publiques ou semi-pu-b bliques, il reste que l’État dispose d’un instrument de développ- pement et de régulation séculaire : le financement. C’est-à-dire l’ « aide publique ».

La régulation par l’aide de l’État Dans la logique d’une politique publique au service d’une strat- tégie de veille et de développement, il y a nécessairement besoin de compter sur des leviers de soutien et d’accompagnement de la part de l’État au profit des médias et de leurs professionnels. Les chantiers de mise à niveau et de modernisation des équi-p pements, des technologies, des formations, des contenus et de la gouvernance nécessitent des investissements et des mécanism- mes de soutien financier que le champ médiatique national et l’entreprise média marocaine en particulier ne peuvent affron-t ter avec leurs propres ressources générées par leurs activités. Une intervention des deniers publics pour ce champ d’intérêt public est indispensable, d’autant plus que le champ marocain est historiquement et structurellement bâti, pour une part im-p portante, sur cette aide publique. Aide directe et aide indirecte, selon un modèle fortement inspiré du modèle français, réputé champion en matière d’aide publique à la presse. Ce modèle a depuis toujours, pratiquement depuis la révolu-t tion française, en passant par la loi de 1881 puis par les mesur- res prises en faveur de la presse au lendemain de la libération de 1945, comme philosophie : la subvention. Or, les rédacteurs du « Livre vert» remis au Président de la république en 2009, ont recommandé de renoncer à cette conception pour concevoir l’aide à la presse comme un « investissement ». Nous avons déjà eu l’occasion d’exposer la différence entre ces deux démarches quand on a abordé notamment le secteur de la presse écrite. Ce que nous voulons souligner ici c’est qu’une aide publique en 398 dialogue national - media et societe

tant qu’investissement est la conception qui sied à une politique publique soucieuse de responsabiliser et l’État et les médias et leurs professionnels. Il s’agit d’une aide basée en quelque sorte sur un « contrat social » entre le monde des médias et le monde politique représenté par l’État, entre le monde des médias et la société représentée par toutes ses institutions et ses organisat- tions civiles. Dans le livre vert français, fruit d’un travail d’écoute et de déb- bats auprès de 150 professionnels, ciblé uniquement sur la press- se écrite, on peut lire : « Il faut repenser les aides de l’État (…) Les États généraux de la presse écrite auraient raté leur objectif s’ils n’avaient saisi l’occasion d’une réflexion de fond sur le système d’aides publiques et sur sa refonte (…) Les États généraux ont mis en lumière les effets pervers des aides, qui structurent les comportn tements dans une logique conservatrice au lieu de pousser au renouvellement de l’offre, et qui n’encouragent pas nécessainr rement le dialogue social (…) Les aides doivent désormais être conditionnées à l’obtention de résultats tangibles et chiffrables. Il faut passer en la matière d’une logique de subvention à une logique d’investissement »136. A des fins d’illustrer le choix français d’une « aide investissem- ment », voici un tableau succinct sur la démarche et les recomm- mandations du « Livre vert » : 137

136 - Consulter : http://www.etatsgenerauxdelapresseecrite.fr 137 - Ces États généraux ont été organisés en 4 pôles : Pôle « Métiers du journalisme» présidé par Bruno Frappat; Pôle «Processus industriel» présidé par Arnaud de Puyfontaine; Pôle «Le choc d’internet, quels modèles pour la presse écrite» présidé par Bruno Patino; Pôle «Presse et société» présidé par François Dufour et « Mise en Perspective », synthèse de Bernard Spitz, Délégué à la coordination des États généraux de la presse écrite. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 399

Les Etats généraux de la presse écrite en France (2008/2009)

Les États généraux de la presse écrite ont été lancés le 2 octobre 2008 par le Président de la République. Il s’agissait d’apporter des réponses aux difficultés économiques que rencontre la presse écrite, notamment face au développement de l’Internet et des journaux gratuits. Quatre pôles de réflexion ont été mis sur pied, chaque pôle constituant un groupe de travail :

Ø La situation des journalistes et l’évolution de leur métier ; Ø Les aspects économiques et industriels de la presse (impression, dist- tribution). Réflexion sur l’évolution du Syndicat du livre ; Ø Réflexion sur le numérique ; Ø Réflexion sur les questions de presse et de société. Les quatre pôles ont réuni plus de 140 participants, composés de représ- sentants de la presse, de députés, d’universitaires et de membres d’asso-c ciations. En plus des nombreuses auditions organisées au sein des groupes de travail, plusieurs auditions publiques ou débats publics ont eu lieu. Le 8 janvier 2009, les chefs de pôles ont remis un Livre vert de plus de 90 recommandations à la ministre de la Culture et de la Communic- cation. Le Président de la République a présenté, le 23 janvier 2009, les mesures de soutien qu’il a retenues parmi les 90 préconisées. L’aide que l’État consentira représente un total de 200 millions d’euros par an pend- dant trois ans - hors coût des mesures sur l’imprimerie. Cette aide doit s’accompagner de réformes profondes du secteur, que les acteurs doivent eux-mêmes mener à bien. Les principales mesures sont : - Le report d’un an de l’augmentation des tarifs postaux ; - L’augmentation de la part de dépenses de communication de l’Etat consacrée à la presse écrite. - Le soutien aux diffuseurs de presse : augmentation de l’aide à la moder-n nisation des lieux de vente (l’aide à la modernisation des diffuseurs) et aide exceptionnelle de 4 000 euros (l’aide exceptionnelle au bénéfice des diffuseurs de presse spécialistes et indépendants) ; - L’augmentation de l’aide au portage à domicile (l’aide au portage de la presse) ; 400 dialogue national - media et societe

- Un abonnement gratuit pour les jeunes à un quotidien de leur choix, un jour par semaine pendant un an (www.monjournaloffert.fr) ; - La création d’un statut d’éditeur de presse en ligne (le régime des servi-c ces de presse en ligne) et l’augmentation de l’aide de l’Etat au développem- ment de la presse en ligne (fonds d’aide au développement des services de presse en ligne) ; - L’adaptation du régime des droits d’auteur des journalistes à l’ère numér- rique : remplacement d’un droit lié à la publication dans un support par un droit lié à un temps d’exploitation ; - La conclusion d’un engagement de développement de l’emploi et des compétences; - L’élaboration d’un projet de code de déontologie, par un groupe de pro-f fessionnels (projet de code de déontologie) ; - L’expérimentation de formes alternatives de distribution, par exemple la distribution des quotidiens nationaux par le réseau de la presse régio-n nale ou la distribution par les éditeurs eux-mêmes de leurs titres dans des enseignes spécialisées et la réforme du Conseil supérieur des messageries de presse ; - La levée des obstacles au développement du réseau de vente au numér- ro.

L’approche est donc une approche similaire à l’approche de ca-h hier des charges dont on retrouve l’esprit ayant présidé à l’éla-b boration du « contrat programme » au Maroc. Sauf que dans ce cas, l’aide et sa reconduction, comme sa suppression, sont autom- matiquement liées à « des résultats tangibles et chiffrables », certaines sont limitées dans le temps, d’autres reposant davant- tage sur l’apport des médias eux-mêmes que sur celui de l’État… Bref, l’aide de l’État est accordée et distillée en fonction d’une feuille de route nationale conçue à partir d’un dialogue national entre pouvoirs publics et acteurs du champ médiatique. C’est l’approche la plus adaptée tant à l’objectif de la démocratisation du champ médiatique et à la gouvernance de l’État vis-à-vis de ce monde (responsabilisation mutuelle et partagée), qu’à l’obj- jectif de garantir la modernisation continuelle du champ et sa mise à niveau par rapport aux évolutions et progrès de toutes sortes qui le transforment à chaque invention technologique, à chaque nouveauté dans les comportements de consommation des médias par les publics. C’est dans ce sens que l’aide publiq- Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 401

que aux médias joue un rôle progressiste et citoyen de régulat- tion, responsabilisant les médias par rapport à leurs enjeux et ambitions comme par rapport à leur mission et à leurs devoirs vis-à-vis de la société. Et l’État se responsabilise lui-même en tant qu’État œuvrant pour l’intérêt général, développant ainsi les capacités et les ambitions de ce « bien public » que sont les médias. Dans l’exemple français, de tout temps champion dans l’aide à la presse (si on met de côté l’exemple suédois, similaire et dif-f férent à la fois), la refonte de l’aide de l’État a débouché sur la recommandation par le « livre vert » de réunir toutes les aides, celles déjà existantes et celles proposées par ces États généraux, en un seul « Fonds de modernisation de la presse écrite » conçu en quatre « paniers » correspondant aux quatre types de bes- soins identifiés en 2009 par ces travaux : ü Des aides ciblées pour le maintien du pluralisme, pour soutenir des publications menacées à terme d’incapaci-t tés économiques à paraitre ou à se développer de manièr- re viable économiquement; ü Des aides à la distribution visant de nouveaux équilibres entre presse nationale et presse régionale, une aide en faveur du mécanisme de portage, notamment par un mo-r ratoire accordé par les services de la poste; ü Des mesures de restructuration, s’étalant sur le moyen terme, mais à vocation non pérenne, et visant les défic- cits industriels et sociaux de l’entreprise. « Ce panier de ``modernisation industrielle`` sera consacré à ces inv- vestissements structurants, avec une réelle exigence de l’État quant à la rationalité des projets, au respect des conditions, et avec des taux de subvention moindres que pour les aides allouées à l’innovation, au numérique, au développement qui sont prioritaires »;138

138 - Synthèse de mise en perspective du « Livre vert » (« Pour gagner la bataille de l’écrit »), par Bernard Spitz, Délégué à la coordination des États généraux de la presse écrite (page 62 & 63). 402 dialogue national - media et societe

ü Des mesures d’incitation à l’innovation, à la création et au développement : « le panier ``innovation`` concern nerait l’aide éditoriale et technologique, les projets ciblés sur de nouveaux publics (jeunesse…), l’aide au dévelopnp pement des services en ligne et du e-Paper… Ce panier pour des aides qui devront être précisément évaluées quant à leur pertinence, sera substantiellement abondé eu égard au caractère essentiel de ces chantiers. Les Etats généraux ont suggéré qu’il puisse, le cas échéant, être financé par une augmentation de la taxe sur la punb blicité hors médias »139. Autant les deux premiers paniers consacrent la volonté polit- tique de l’État français d’aider au pluralisme des médias, à la démocratisation, à la diversité et à la proximité de l’offre de la presse sur tout le territoire national, ce qui relève d’un choix de gouvernance et de régulation, autant les deux derniers sont au cœur d’une stratégie publique d’ordre structurel et réformateur, inscrite dans le long terme et visant la plus solide adaptation possible au futur. Une prise en charge donc du futur des méd- dias qui apporte le soutien qu’il faut et la vision prospectiviste qu’exigent les moult défis lancés par les mutations technologiq- ques, économiques et sociologiques au monde des médias de nos jours. Les médias français étant, en plus, comme le souligna à l’occasion leur chef d’État confrontés à une rude menace de la part des grands groupes européens. C’est vers cette démarche de gouvernance et de régulation par l’outil de l’aide publique que nombre de pays, « info riches » se tournent de plus en plus, car nul doute n’est permis désormais quand à l’indispensable et la décisive aide de l’État démocrati-q que aux médias, levier plus dynamique que jamais pour la dém- mocratie et qui confronte nombre de périls et de défis : concent- tration et convergence, stratégies conquérantes de grands group- pes multinationaux, recul et instabilité de la manne publicitaire, menaces de la presse électronique sur la presse papier, précarité

139 - Idem.op.cit. Page 63. Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 403

des conditions des professionnels et chômage en hausse, régres-s sion du professionnalisme et de la déontologie, éclatement des publics, intrusion du « Net citoyen » ou « journalisme » des cit- toyens, réseaux sociaux etc. « Dans un système idéal, la presse ne devrait pas avoir besoin d’aides publiques. Elle devrait vivre de ses ventes, de ses recettn tes publicitaires, de sa rentabilité, meilleure garantie de son indépendance vis-à-vis de tous les pouvoirs, l’État, comme les annonceurs et les actionnaires. C’est l’objectif qui anime toutes les propositions des États généraux. Pour autant, le principe de réalité l’emporte : la suppression des aides ne peut intervenn nir du jour au lendemain. Leur gouvernance doit en revanche être professionnalisée : les aides doivent devenir plus efficaces, plus transparentes, mieux évaluées, elles doivent encourager les mutations et les adaptations, non pas les retarder ».140 De l’autre côté de l’Atlantique, au Canada, en décembre 2010, une spécialiste remettait au gouvernement du Québec le fruit d’un travail d’une année, sur la question stratégique qui lui a été posée par le gouvernement de cette 2ème province de la Fédération canadienne (près de 8 millions d’habitants, leader à l’échelle nord-américaine dans nombre de secteurs de technolog- gies des médias) : « comment cerner les difficultés de l’informant tion au Québec dans le contexte des nouvelles technologies et devant la crise générale des médias qui secoue l’ensemble des pays industrialisés? »141. Estimant qu’ «un effort collectif s’impose si on veut s’assurer que la population continue de bénéficier d’une information de qualité, fondement de la démocratie et de la participation ci-t toyenne, et qu’elle soit équitablement répartie », l’auteure de ce rapport, Dominique Payette dégage 51 recommandations dont notamment :

140 - Idem. Op.cit. page 63. 141 - « L’information au Québec : un intérêt public » (Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec), par Dominique Payette : www.etatdelinfo.qc.ca 404 dialogue national - media et societe

Exemple d’un système d’aide-investissement intégré de l’État (Québec) Ø Qu’une structure de gestion du titre de journaliste pro-f fessionnel soit instituée et qu’elle ait le mandat de définir les critères devant être rencontrés pour le droit d’obten-t tion du titre de journaliste professionnel; Ø Nous recommandons que 25 % du budget dont disposera le Fonds pour le journalisme québécois soit versé à l’or-g ganisation qui se chargera de la gestion du titre de journ- naliste professionnel; Ø Que le Conseil de presse ait la responsabilité supplément- taire de proposer une définition de l’entreprise de presse, d’admettre en ses rangs toutes les entreprises qui se qual- lifient selon cette définition et d’assurer le suivi des avan-t tages permis aux entreprises de presse membres; Ø Que le gouvernement du Québec verse annuellement un minimum de 250 000 $ au budget du Conseil de presse du Québec ; à cette somme il devra s’engager à ajouter un montant équivalent aux contributions réunies des entrep- prises de presse; Ø Qu’un financement additionnel et temporaire soit accor-d dé au Conseil de presse pour les trois prochaines années. Ce financement servira à la mise en place des nouvelles mesures et permettra d’évaluer l’effet structurant sur l’organisation; Ø Que les entreprises de presse membres du Conseil de presse soient les seules admissibles à toutes formes de subventions accordées par l’État dans le cadre de tout programme de soutien aux médias ou à la presse; Ø Que la publicité gouvernementale et les annonces judic- ciaires soient réservées aux seules entreprises membres du Conseil de presse du Québec, sous réserve du respect du quota de 4 % garanti aux médias communautaires; Ø La mise en œuvre d’un crédit d’impôt remboursable à l’embauche de journalistes professionnels dans les ent- treprises de presse en région; Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 405

Ø La mise en œuvre d’un crédit d’impôt remboursable à l’embauche de journalistes professionnels dans les mé-d dias indépendants en incluant les coopératives de press- se, les producteurs indépendants d’information et les éditeurs de presse en ligne indépendants qui emploient des journalistes professionnels et qui correspondent à la définition d’entreprise de presse établie par le Conseil de presse; Ø La création d’un Fonds pour le journalisme québécois qui permettra la réalisation de projets d’enquête journa-l listique et de projets d’information. Ce fonds indépend- dant servira également à financer les activités de gestion du titre de journaliste professionnel; Ø Qu’il soit possible pour les médias d’une même région de se regrouper en coopérative pour obtenir des services ju-r ridiques et que ces dépenses soient déductibles d’impôt pour les entreprises de presse ou compris dans les frais de fonctionnement admissibles pour les médias commun- nautaires; Ø Que le Conseil de presse du Québec ait le mandat de créer et promouvoir une ligne téléphonique gratuite : 1- 800-Déontologie pour les journalistes et les entreprises de presse; Ø Qu’Internet haute vitesse soit reconnu comme un service essentiel au même titre que l’électricité et le téléphone et que des mesures soient prises en conséquence; Ø Un soutien accru aux organismes qui offrent des services d’alphabétisation numérique et d’accompagnement dans les nouvelles technologies; Ø Que le statut d’éditeur de presse en ligne soit reconnu aux entreprises de presse correspondant aux critères éta-b blis par le Conseil de presse; Ø Que le journaliste professionnel réussisse un certain 406 dialogue national - media et societe

nombre de crédits de formation annuels pour maintenir son titre et sa carte; Ø Que les écoles de journalisme ajoutent un cours de déont- tologie appliquée obligatoire dans leurs cursus. La réuss- site de ce cours permettrait aux finissants d’obtenir leur carte de presse automatiquement avec leur diplôme. Pour les titulaires d’autres diplômes ou pour les individus dés- sirant obtenir la carte de presse sans passer par une école de journalisme, nous recommandons à l’association prof- fessionnelle d’établir un examen basé sur la déontologie et la pratique et de reconnaître certains examens profess- sionnels dans certaines entreprises de presse; Ø Que le ministère de l’Éducation prévoie un programme de bourses pour les étudiants qui choisissent de faire leur stage de journalisme en région éloignée et de s’y établir; Ø Que le Conseil de presse offre une formation aux écoles du Québec sur la responsabilité des médias et la déontol- logie; Ø Que les associations professionnelles et les médias finan-c cent conjointement un programme qui permettra aux journalistes de visiter les classes et parler de leur profes-s sion; Ø Que des abonnements gratuits aux journaux soient off- ferts aux écoles du Québec par un partenariat entre les éditeurs qui le désirent et le ministère de l’Éducation; Ø L’initiative du gouvernement français d’offrir, en collab- boration avec les journaux, un abonnement d’un jour par semaine pour une année à un quotidien aux jeunes de 18 à 25 ans nous semble efficace pour stimuler le lectorat et nous croyons que Québec devrait s’en inspirer pour créer son propre programme; Ø Création d’un laboratoire de recherche sur l’informa-t Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 407

tion et les pratiques journalistiques disposant de fonds publics de fonctionnement récurrents, soit à l’intérieur d’une structure déjà existante, soit à l’extérieur de ma-n nière autonome. Si nous avons choisi d’illustrer par autant de recommandations de ce récent exemple, unique en Amérique du Nord où, comme de tradition anglo-saxonne, l’aide publique aux médias est sinon inexistante, à peine symbolique et bien souvent indirecte, c’est pour donner à voir comment l’aide de l’État, une fois conçue comme un système intégré, guidé par des objectifs partagés coll- lectivement par la société (État, médias et publics), devienne une régulation et un instrument de gouvernance au profit de tout acteur et cible concernés directement ou indirectement par la donne médiatique : journalistes, bloggeurs, employeurs et éditeurs, syndicalistes, distributeurs et diffuseurs, enseignants et formateurs, écoles et universités, collectivités territoriales et associations civiles et communautaires, publicitaires et annon-c ceurs, décideurs politiques et chercheurs etc. L’enseignement à tirer est dans la comparaison avec notre sys-t tème actuel d’aide publique au Maroc qui ne peut plus rester dans une logique de subvention, logique qui date de plus d’un demi-siècle, bien que le contrat programme signé entre l’État et la FMEJ ait introduit quelques aides conditionnées par quelques objectifs obligatoires de gouvernance de l’entreprise média. no-t tre système d’aide se présente essentiellement comme suit : 408 dialogue national - media et societe

Exonérations et subventions accordées au secteur de la presse au Maroc (En Millions DH)

Exonération 2008 2009

TVA

- Exonération à l’intérieur et à l’importation des journaux, des publications, des livres, de la musique imprimée ainsi que des CD-ROM reproduisant les publications et les livres ; 431 415 - Exonération de la vente de déchets provenant de l’impression des journaux, publications et livres ; - Exonération des ventes à l’intérieur et à l’importation des papiers destinés à l’impression des journaux et publications périodiques ainsi qu’à l’édition, lorsqu’ils sont dirigés sur une imprimerie.

Subventions directes du budget général au titre des années : 2008 ; 2009 et 2010

- Subvention aux associations et organismes 2008 2009 2010 professionnels nationaux opérant dans le domaine de la communication - - 1,5 - Subvention à la presse nationale : 50 50 50 • Subvention au titre de l’achat de papier 37 35 35 • Subvention au titre du transport de 2 2 2 journaux • Subvention au titre de la ristourne sur frais 6,4 4 4 de communications téléphoniques et télex • Subvention au profit de l’ONCF au titre de 2,9 2,9 2,9 transport des journalistes • Subvention au titre de l’abonnement à la 0,6 5 5 MAP • Grand prix national de la presse 1,1 1,1 1,1

Quant au contrat programme, et tout en tenant compte de la pesanteur de contexte qui l’a marquée en mars 2005 - étant le 1er de l’histoire au Maroc - il est resté, pour l’essentiel, calé sur cette traditionnelle conception de subventions, directes et indir- rectes, quoique dans certains de ses annexes (annexes 4 et 5), il met en perspective d’ « éventuelles » aides dont « pourront » Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 409

bénéficier les entreprises et qui sont à même de constituer des leviers à une mise à niveau structurelle et stratégique142. Pour l’essentiel, en fait, l’aide publique précisée et consolidée dans ce contrat programme est ainsi évoquée : « Les aides publiques directes aux entreprises de presse écritn te éligibles sont octroyées, dans la limite des crédits ouverts annuellement, sous forme de subvention pour contribuer au financement de leurs programmes de modernisation, notamnm ment les dépenses d’équipement nécessaires et les frais relatifs à l’achat de papier, au téléphone, au fax, à la connexion Intern net, l’hébergement des sites et aux coûts de transport des journ naux à l’étranger…Les entreprises de presse écrite bénéficient également de tarifs préférentiels pour le déplacement des journn nalistes et pour le transport de la presse nationale au Maroc et à l’étranger ». En résumé donc, il est devenu impératif que le Maroc opte, comme nombre de démocraties, pour une nouvelle conception de l’aide publique, d’en élever sérieusement les sommes, de l’arr- rimer à un « contrat social » entre la collectivité (représentée par l’État) et les médias pour la diversifier, la planifier en fonct- tion du futur et ce qu’il nous réserve à court comme à long term- me, pour mieux cibler toute aide directe ou indirecte sur les enj- jeux et les défis structurants de notre champ national : viabilité économique et modernité technologique de l’entreprise, accès universel, peu coûteux et de proximité de l’offre médiatique sur tout support, professionnalisation des compétences techniques et déontologiques des professionnels, promotion de la diversité, du pluralisme, de la qualité des produits et des droits sociaux et moraux des journalistes, mécanismes efficients et démocrat- tiques de régulation…L’aide publique doit en fait épouser total- lement le rôle d’un instrument de gouvernance et de régulation, à l’aune de la responsabilisation de l’État et des médias et de

142 - Dans l’annexe 4 relatif à « l’appui direct aux entreprises de presse », on lit : « Par la présente convention, l’entreprise de presse écrite pourra bénéficier, dans le cadre du Programme National de Mise à Niveau de la définition et la mise en œuvre de programmes d’assistance intégrée (technique et financière) ». 410 dialogue national - media et societe

l’ambition collective de démocratiser le champ médiatique, de le rendre performant dans son apport à la démocratisation des institutions et de la société. Pour ce faire, il est clairement recommandé par les systèmes dém- mocratiques avancés, et par leurs expériences avérées, d’opter pour un mécanisme qui soit en charge de cette régulation en même temps que de l’autorégulation du point de vue de l’éthiq- que et de la déontologie. De sorte que la bonne gouvernance, la régulation et l’autorégulation soient menées dans une cohéren-c ce bien articulée, dans l’interdépendance entre aide publique et bonne gouvernance en interne de l’entreprise du média, avec, bien sûr, une responsabilité partagée, dans cette conduite, entre l’État et les professionnels…Sans écarter l’indispensable asso-c ciation, sous une forme ou une autre, du citoyen, c’est-à-dire les publics des médias. Autrement dit, et comme le résumait, en substance, au cours des débats du Dialogue national, un juriste marocain, reconnu pour son expertise en matière de législation de presse : il faut que le Maroc imagine une instance de veille, d’autorégulation et de développement, dans ce champ de l’expression, et qui se char-g gerait en même temps, d’une part, de réguler la dimension éthiq- que et les pratiques déontologiques et qui, d’autre part, aurait des prérogatives décisionnelles dans l’octroi des aides publiques aux médias destinées à la mise à niveau continuelle, à la modern- nisation et à la démocratisation des médias nationaux sur tous les plans. De telle sorte que cette autorité, propre aux médias, devienne l’interlocuteur de l’État pour ces objectifs stratégiques et structurants de l’avenir de la démocratie au pays, pour la part qui revient aux médias et aux journalistes. En tant que telle, elle sera le porte-parole et le régulateur de toutes les formes, tradi-t tionnelles et nouvelles, de l’expression médiatique. La force du corps professionnel réside, de nos jours, dans l’existence d’une telle instance, en face de l’État comme vis-à-vis de la société et du journaliste. Ce dernier doit y voir, non pas une autorité exc- clusivement destinée à contrôler et à sanctionner ses pratiques Principes et indicateurs de gouvernance et de régulation 411

professionnelles, mais un cadre lui appartenant et qui régule ses pratiques et ses obligations, mais en même temps, lui profite en soutenant par divers mécanismes et aides publiques le prog- grès du journalisme national, de ses performances en matière de compétences et de contenus, le progrès de toute l’écologie du système médiatique national, de son impact conséquent auprès de la société, auprès de l’opinion publique dont le journalisme est, en principe, dans une démocratie, un artisan de premier plan…Le but final de la démocratie n’est-il pas que les médias soient en phase, fécondatrice de démocratie, avec l’opinion pu-b blique ? 412 dialogue national - media et societe Conclusion 413

Conclusion 414 dialogue national - media et societe Conclusion 415

La perspective de la mise en œuvre de cette feuille de route a été indéniablement rendue plus claire et raisonnablement atteig- gnable suite à la nouvelle donne constitutionnelle et politique déclenchée par le discours royal du 9 mars. La régulation du champ de la liberté d’expression et de la liberté des médias aux niveaux constitutionnel et législatif a désormais des ancrages bien plus favorables et plus solides que ne l’étaient ceux permis par la période antérieure, la période encadrée par la Constitu-t tion de 1996. Ces nouveaux ancrages dans la loi suprême sont à même d’ouvrir des espaces potentiellement promotionnels d’une plus profond- de démocratisation du champ des médias au Maroc, à condit- tion qu’ils soient compris, interprétés et invoqués par tous les concernés du champ, le législateur comme le professionnel des médias, avec vigilance et vision libérale, dans le sens de cette démocratisation avancée. Tout dépend de l’effort que tout un chacun mettra dans ce sens, afin de transformer les nouveaux énoncés de la Constitution en forces pour l’avenir démocratique et moderne des médias et de leur libre expression. Ces forces potentielles sont, en particulier :

1. Dans le préambule : Outre un plus explicite engagement à « Protéger et promouvn voir les dispositifs des droits de l’Homme et du droit internationn nal humanitaire et contribuer à leur développement dans leur indivisibilité et leur universalité », il est stipulé que le Maroc s’engage à : « Accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du Royaume, dans le respect de son identité nationale imnm muable, et dès la publication de ces conventions, la primauté sur le droit interne du pays, et harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale ». Ces affirmations et engagements doivent renforcer le lien que cette feuille de route recommande d’établir entre les choix de 416 dialogue national - media et societe

réforme du champ médiatique et le référentiel universel des droits de l’Homme, avec primauté du droit international et de ses normes en le domaine.

2. Sur la liberté d’expression

article 25 : Sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes. Sont garanties les libertés de création, de publication et d’expos- sition en matière littéraire et artistique et de recherche scientif- fique et technique.

Article 28 La liberté de la presse est garantie et ne peut être limitée par aucune forme de censure préalable. Tous ont le droit d’exprimer et de diffuser librement et dans les seules limites expressément prévues par la loi, les informations, les idées et les opinions. Les pouvoirs publics favorisent l’organisation du secteur de la presse de manière indépendante et sur des bases démocratiq- ques, ainsi que la détermination des règles juridiques et déon-t tologiques le concernant. La loi fixe les règles d’organisation et de contrôle des moyens publics de communication. Elle garantit l’accès à ces moyens en respectant le pluralisme linguistique, culturel et politique de la société marocaine. Ce que nous relevons en souligné dans ces deux articles confor-t tent ce que recommande le Dialogue national : préciser « toutes les formes » de l’expression ; « aucune forme de censure préal- lable », le droit d’exprimer « et de diffuser » librement ; « fav- Conclusion 417

voriser l’organisation du secteur de la presse de manière indép- pendante et sur des bases démocratiques » ; « déterminer des règles juridiques et déontologiques » ; « organiser et contrôler par la loi les moyens publics de communication » et en « garant- tir l’accès dans le respect du pluralisme ».

3. Le droit d’accès à l’information Article 27 Les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’informn mation détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service pubn blic. Le droit à l’information ne peut être limité que par la loi, dans le but d’assurer la protection de tout ce qui concerne la défense nationale, la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, ainsi que la vie privée des personnes, de prévenir l’atteinte aux droits et libertés énoncés dans la présente Constitution et de protéger des sources et des domaines expressément déterminés par la loi. Cette disposition est manifestement le plus grand acquis à soul- ligner tant pour le citoyen que pour les médias, d’autant plus que son énoncé est assez explicite pour inspirer une loi - que le Dialogue national souhaite organique – qui soit aux normes les plus avancées internationalement, tout particulièrement dans la définition du « domaine informationnel public ».

4. De la bonne gouvernance Sur l’axe majeur sur lequel ce rapport insiste longuement, à sav- voir la bonne gouvernance des médias et leur régulation indép- pendante, le texte de la nouvelle Constitution stipule ce qui peut et doit inspirer/guider la gouvernance des médias de service public : 418 dialogue national - media et societe

Article 154 Les services publics sont organisés sur la base de l’égal accès des citoyennes et citoyens, de la couverture équitable du territn toire national et de la continuité des prestations. Ils sont soumis aux normes de qualité, de transparence, de reddn dition des comptes et de responsabilité, et sont régis par les principes et valeurs démocratiques consacrés par la Constitutn tion. Enfin, dans l’article 159, libellé sous le même titre de« Prin-c cipes généraux de la bonne gouvernance », on dispose désorm- mais de la possibilité de création d’une autorité indépendante de régulation de la gouvernance du champ médiatique, par une loi organique, ce que souhaite le Dialogue national puisque la constitutionnalisation d’une telle instance n’a pas été retenue comme le demandaient le « Dialogue national », les organisa-t tions professionnelles et certains partis politiques…Cet article reste néanmoins un sérieux ancrage pour envisager la création de cet instrument si décisif pour une gouvernance des médias en général et de la presse écrite et électronique en particulier :

Article 159 Les instances en charge de la bonne gouvernance sont indépn pendantes. Elles bénéficient del’appui des organes de l’Etat. La loi pourra, si nécessaire, créer d’autres instances de régulation et de bonne gouvernance. En somme, il nous faut, tous, aborder la perspective de la réform- me globale de notre champ médiatique national et l’exercice de la liberté d’expression avec donc ces lignes de force, au niveau constitutionnel, mais aussi aux niveaux institutionnel et politi-q que… Car il ne faut pas négliger les clairs énoncés de la nouvelle Constitution tant en ce qui concerne l’indépendance de la just- tice, qu’en ce qui concerne les nouvelles et larges prérogatives des pouvoirs exécutif et législatif. Conclusion 419

Mais la portée effective de ces ancrages normatifs et politiques dépendra, à n’en pas douter, d’une culture de partage entre tous les acteurs concernés, l’État comme les professionnels des méd- dias : partage des valeurs démocratiques, partage des responsab- bilités, des droits et des devoirs, partage de la prise en charge de la gouvernance et de la qualité, partage de l’ambition collective de doter le pays d’un journalisme d’excellence, bien outillé maté-r riellement, technologiquement, professionnellement et déontol- logiquement pour contribuer à l’avancée de la démocratisation de l’État, des institutions, des médias et de la société. Démocrat- tisation de la société qui est, pour les médias, le défi qui exige le plus d’efforts au quotidien, car elle ne peut être décrétée ni par un texte constitutionnel, ni par une mesure législative, encore moins par une décision politique. C’est, d’ailleurs, pourquoi ce Dialogue national a choisi de confronter les médias à leur so-c ciété, la société marocaine, mais avec une vision ouverte sur le monde, ses meilleures normes et ses meilleures pratiques, car, dans ce domaine, la seule stratégie possible est celle qui place le Maroc dans le monde de ce début du 21ème siècle, monde dés- sormais planétaire, sans frontière aucune, ni pour l’expression, ni pour les médias ou leurs technologies et contenus. 420 dialogue national - media et societe annexe 421

Annexe 422 dialogue national - media et societe

Consultez sur le web site (www.mediasociete.ma ; www.mediasociete.net) :

• Versions arabe, française, anglaise et espagnole • Mémoires des partis politiques • Verbatim des auditions au Parlement • Rapports de synthèse des tables-rondes et ateliers thématiques • Press-book et communiqués • Photothèque des auditions • Documents de référence • Forum «Media et Société » • Etudes et expertises annexe 423

Membres de l’instance

Des deux chambres du Parlement Groupe Istiqlalien pour l’Unité et l’égalitarisme Groupe socialiste Groupe « Authenticité et modernité » Groupe du Rassemblement constitutionnel unifié (RNI et UC) Groupe Justice et développement Groupe de la Mouvance populaire « Haraki » (MP) Groupe de l’Alliance des forces démocratiques et progressistes.

Du Gouvernement Ministère de la communication Du monde des médias Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) Fédération marocaine des éditeurs de journaux

Coordination générale du Dialogue national « Médias et société »

Jamal Eddine NAJI, coordinateur général du Dialogue national Secrétariat de la coordination générale Mohammed DOUKHA, coordinateur administratif et technique du Dialogue national Khalid EL MESFIOUI, adjoint au coordinateur administratif et technique 424 dialogue national - media et societe

Les partis politiques représentés par leurs parlementaires au sein de l’instance en charge du dialogue national

1. Parti de l’Istiqlal 2. Parti de l’Union socialiste des forces populaires 3. Parti de l’Authenticité et de la modernité 4. Parti du progrès et du socialisme 5. Parti du Mouvement populaire 6. Rassemblement national des indépendants 7. L’Union constitutionnelle 8. Parti de la Justice et du développement 9. Front des forces démocratiques 10. Parti travailliste 11. Parti Alâhd démocratique

Auditions et débats du Dialogue national « Media et société »

(21 auditions, 15 séminaires, débats et rencontres thématiques et trois conférences de presse)

Auditions à huis clos au Parlement avec : 1. Fédération marocaines des éditeurs de journaux 2. Syndicat national de la presse marocaine 3. Ministère de la communication 4. L’Association marocaine des droits de l’Homme 5. L’organisation marocaine des droits de l’Homme 6. La société Sapress 7. Centre d’études sur les droits de l’Homme et la démocratie 8. Forum social marocain annexe 425

9. La ligue marocaine de défense des droits de l’Homme 10. Transparency Maroc 11. Forum marocain vérité et justice 12. Forum « Al Karama » pour les droits de l’Homme 13. Conseil de la concurrence 14. L’Agence Maghreb arabe presse 15. Conseil consultatif des droits de l’Homme 16. L’instance Centrale de lutte et de la prévention de la corruption 17. L’Institut royal de la culture Amazigh 18. Conseil consultatif des Marocains résidant à l’étranger 19. Acteurs et associations de la presse électronique et des nouveaux médias 20. La société nationale de radio télévision et Soread 2M 21. La Haute autorité de la communication audio-visuelle

Débats, journées d’études et tables rondes 1. Journées d’études sur la presse régionale au Maroc (Tanger) 2. Journée d’étude sur les radios privées 3. Journée d’étude sur « Femme et médias » 4. Séminaire sur « Les indicateurs d’évaluation de la qualité des médias écrits et audiovisuels » (Casablanca) 5. Journée d’étude sur « Culture et Médias : patrimoine, identité, éthique, esthétique, arts et création » 6. Journée d’étude sur « la gouvernance d’Internet » 7. Journée d’étude sur « École et Médias : l’éducation sur les médias, les pédagogies, les partenariats, usages et innovations » (avec participation du Ministre et de la 426 dialogue national - media et societe

secrétaire d’État à l’éducation nationale, l’enseignement supérieur, formation des cadres et recherche scientifique) 8. Journée d’étude sur « Législation, encadrement de la justice et rapports entre pouvoirs publics et Médias » (avec participation des ministres de la justice et de la communication) 9. Journée d’étude sur « Formation et éthique professionnelle »(avec participation des responsables des institutions de formation publiques et privées et enseignants spécialisés 10. Journée d’étude sur « Le pôle des médias publics », avec participation des professionnels (journalistes, techniciens de la MAP, de la SNRT et de Soread 2M) 11. Journée d’étude sur « le photojournalisme » avec participation des professionnels de médias nationaux et étrangers accrédités au Maroc 12. Journée d’étude sur « La presse généraliste et politique : l’entreprise, les contenus et les publics » (Casablanca) 13. Journée d’étude sur « Publicité et communication » avec participation des professionnels et des annonceurs 14. Journée d’étude sur « L’information régionale : l’information, les sources locales et la déontologie » (Marrakech) 15. Colloque national des journalistes marocains exerçant dans des médias hors du Maroc (en partenariat avec le CCME, El Jadida).

Études réalisées par le Dialogue national

1. Étude quantitative sur « Les CAP des jeunes et les médias », enquête nationale ( par Pr Mokhtar El Harras) 2. Étude qualitative sur « Les usages des médias et des Tic annexe 427

par les jeunes », enquête nationale (par Pr Mkhtar El Harras) 3. Étude sur « L’économie de l’information au Maroc et dans le monde » (par Pr. Abdelmajid Fadil) 4. Étude sur « Le modèle de l’entreprise de presse écrite au Maroc » (par Aziz Boucetta) 5. Étude sur « La gestion et le management de l’entreprise de presse marocaine » (par Nadia Akkouri) 6. Étude sur « Les TIC et l’Internet au Maroc » (par Rachid Jankari) 7. Étude sur « Formation et formation continue des journalistes » (par Pr Ridha Najar) 8. Enquête sur « Le vécu et les conditions des journalistes » (par Mme Maria Moukrim)

Mémoires, points de vue et documents reçus par la coordination générale du Dialogue national

Du Gouvernement (points de vue et documents)

1. Ministère de la communication 2. Ministère de la culture 3. Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la formation des cadres et de la recherche scientifique 4. Ministère de la justice 5. Ministère de la formation professionnelle et de l’emploi 6. Ministère du commerce, de l’industrie et des nouvelles technologies 428 dialogue national - media et societe

7. Ministère de l’économie et des finances

Des partis politiques (Mémoire au nom du parti) 1. Parti de l’Istiqlal 2. Parti de l’Union socialiste des forces populaires 3. Parti de l’Authenticité et de la modernité 4. Parti du progrès et du socialisme 5. Parti du Mouvement populaire 6. Rassemblement national des indépendants 7. L’union constitutionnelle 8. Parti de Justice et du développement 9. Parti démocrate national 10. Parti du mouvement démocratique et social

D’instances ou institutions publiques et d’organisations civiles (Mémoires et points de vue, documents) 1. Syndicat national de la presse marocaine 2. L’Association marocaine des droits de l’Homme 3. L’organisation marocaine des droits de l’Homme 4. La société Sapress 5. Centre d’études sur les droits de l’Homme et la démocratie 6. Association des femmes démocratiques 7. Forum « Az Zahra » pour la femme marocaine 8. La ligue marocaine de défense des droits de l’Homme 9. Transparency Maroc 10. « Diwan Al Madhalim » 11. Conseil de la concurrence 12. L’agence Maghreb arabe presse 13. Conseil consultatif de la prévention de la corruption annexe 429

14. L’Institut royal de la culture Amazigh 15. Conseil consultatif des Marocains résidant à l’étranger 16. Radios privées 17. Opérateurs de la presse électronique 18. Opérateurs/agences dans le domaine de la publicité 19. La Haute autorité de la communication audio-visuelle 20. Magistrats et avocats En plus de points de vue et de propositions envoyés à la coordination générale par nombre d’associations nationales, régionales et sectorielles.