Dictée du 6 janvier 2020 : texte de Jean d’Ormesson (sept 1980)

La ville d’Orléans rend hommage à Maurice Genevoix à l’occasion du Centenaire 14-18

"Maurice Genevoix, le seigneur des fleuves et des bois” (Jean d’Ormesson)

Je le vois, je l’écoute, j’entends sa voix : personne n’était plus présent que lui. Il a eu une existence merveilleuse parce qu’il était ouvert aux autres, à la nature, au monde. Il n’était pas médiocre, ni enfermé en lui-même, ni mesquin. Il savait ce qu’il valait: il n’était pas orgueilleux. Il pouvait être vif, incisif: il n’était jamais méchant. Il avait de la tendresse pour les forêts, les animaux, sa natale, sa Sologne, pour ceux qui souffrent et qui meurent : les hommes l’aimaient en retour. Il savait tout: il était le contraire d’un pédant. Il comprenait tout. Mais il savait vivre.

Tous les honneurs étaient passés sur lui sans l’atteindre. Cet homme des bois et ce guerrier était un intellectuel. Au lycée d’Orléans puis au lycée Lakanal, il avait poursuivi des études très brillantes qui l’avaient mené avec éclat jusqu’à l’École normale supérieure. Et puis il avait consacré sa vie à la littérature. Il y avait accumulé tous les succès qu’il est permis de connaître. Il avait reçu le , il avait été élu en 1946 à l’Académie française, il en était devenu le secrétaire perpétuel, il y a amené Montherlant et beaucoup d’autres, il n’a jamais cessé d’y jouer un rôle considérable et bénéfique. Il était grand-croix de la Légion d’honneur. Dans d’innombrables conseils, comités, sociétés, jurys de prix littéraires qu’il a fréquentés ou présidés il a défendu la langue française. Mais bien au-delà de ces honneurs qu’il n’a jamais ni méprisés ni réclamés, il était resté, profondément, un homme de la terre de . C’était un enfant de la campagne et de la province qui était monté à la ville et qui avait conquis la gloire.

Il aurait pu faire de la politique. À voir ce qu’il a réussi ailleurs, je ne doute pas un instant de la carrière éblouissante qu’il aurait parcourue. Mais cette tentation lui est restée étrangère. Il avait mieux à entreprendre: une œuvre qui est et restera, une des plus fortes et des plus attachantes de notre temps. Il avait à porter témoignage sur tout ce qu’une génération de Français a connu de malheurs et de joies: la vie simple et heureuse, l’amour de la terre, la guerre et la paix, le souvenir.

La Guerre –l’autre- la Grande Guerre, la guerre interminable des tranchées et de la boue – l’avait profondément marqué. Maurice Genevoix est mort à la veille de ses quatre-vingt-dix ans, qu’il portait allègrement. Il est l’un des derniers témoins littéraires de la grande tuerie illustrée par les Barbusse, les Dorgelès ou les Jules Romains. Jules Romains n’avait pas participé à cette bataille de si prodigieusement reconstituée par son seul génie poétique. Maurice Genevoix, lui, a été un des millions d’hommes emportés dans la tourmente. Et elle ne l’a pas épargné. S’il évoque, dans Sous Verdun ou dans Nuits de guerre, dans Les Éparges, la mêlée collective et ses souffrances, Maurice Genevoix nous a laissé aussi – et notamment dans un de ses plus beaux livres, et un de ceux, je crois, qui lui tenaient le plus à cœur : La Mort de près – le récit hallucinant et plus personnel des graves blessures dont il allait garder la trace toute son existence. Elles auraient dû être fatales. Mais la balle mortelle s’était écrasée sur le bouton de sa capote: ce mince morceau de métal ou de cuir nous a conservé un grand écrivain qui a su être un témoin. Du coup, tout le reste de sa vie, les soixante-cinq ans qui l’ont séparé de cette nuit d’Espagne où il nous a été enlevé, lui apparaissaient, selon ses propres mots, comme une sorte de «rabiot».

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Ce long sursis, ce délai de grâce, il allait l’utiliser superbement. Qui ne se souvient, parmi d’autres aventures pleines d’émotion et de force, de Raboliot ou de La Dernière Harde? Personne n’a parlé comme Genevoix des forêts frémissantes et de leurs habitants : braconniers et chasseurs, cerfs, chevreuils, bûcherons, promeneurs et rêveurs. Il partait pour l’Afrique, pour le , pour la Grèce. Mais la Loire et la Sologne était(aient) le royaume où il régnait en maître. À la fin de sa vie, dans les livres où il se souvenait, il y revenait encore avec une grâce et une puissance d’évocation souveraines.

C’est que Maurice Genevoix était un conteur incomparable. Ceux qui, comme moi, ont la chance d’oser se dire son ami, savent ce qu’étaient, dans la nuit, les récits de Genevoix. Mais quoi! la France entière le savait: au soir de sa vie, chez Chancel, chez Pivot, par sa présence chaleureuse, sa drôlerie simple, ses trésors de sagesse antique, il s’était fait des millions d’amis. Ils ne l’oublieront pas. Tant qu’il restera des hommes et des femmes – et des enfants aussi – pour savoir ce qu’est un récit écrit dans notre langue avec force et clarté, ils se souviendront de lui.

Soldat si extraordinairement français dans son modeste héroïsme, seigneur de fleuves et des bois, conteur inépuisable, Maurice Genevoix était aussi un dessinateur étonnant. Quiconque a pu admirer ses dessins d’animaux était convaincu qu’une autre carrière aurait pu s’ouvrir devant lui. Des traces de ce talent exceptionnel figurent dans la série des Bestiaires où le pinceau passe le relais aux mots dont il dominait, avec une virtuosité de grand artiste, la multiplicité et la rareté.

Un talent immense et si divers n’était pas le seul lot de Maurice Genevoix. Un charme presque envoûtant se dégageait de sa personne. Il se souvenait, avec une aisance suprême, des trente mille jours de sa longue et belle vie. Je me souviens, à mon tour, de ces heures lumineuses passées à l’écouter, aux côtés de Suzanne, belle et douce, de Françoise et de Sylvie. Leur chagrin est le mien, leur tristesse est la nôtre. Il donnait à la littérature ce mélange si rare de dignité et de talent, il rendait confiance dans les hommes. On ne sortait jamais de chez lui avec des sentiments mêlés: la ville était plus propre, le jour était plus gai, la nuit était plus pure. Voilà qu’il retourne à cette terre qu’il avait tant aimée. Qu’elle lui soit tendre comme notre souvenir.

C’est tout d’abord avec l’oncle, Wladimir d’Ormesson, écrivain et diplomate, membre de l’Académie française de 1956 à 1973, que Maurice Genevoix noua une belle amitié. Le neveu, Jean d’Ormesson, journaliste et écrivain, devait être élu à l’Académie en 1973. Il avait pour Maurice Genevoix une immense et affectueuse admiration, tant pour l’écrivain que pour l’homme; au lendemain de la mort de ce dernier, en septembre 1980, il lui rendait hommage en redisant, avec émotion, le bonheur de l’avoir connu.

(dictée du 4 juin 2018 pour un autre texte de M Genevoix et sa bio.)

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Le pluriel des noms propres :

Quand on s’intéresse au pluriel des noms propres, les règles sont subtiles et l’usage indécis. Nous pouvons néanmoins dégager trois principes directeurs :

1- S’il s’agit de noms désignant directement des personnes, la règle générale énonce que les noms propres de personnes sont invariables.

 Quand il s’agit de familles non particulièrement illustres : Nos voisins, les Durand, nous ont invités ce soir.  Quand il s’agit de personnes appartenant à la même famille : Les sœurs Lefebvre sont vraiment jolies.  Quand il s’agit de noms employés par emphase : Y a-t-il des Marianne dans la salle ?  Toutefois, les noms propres prennent la marque du pluriel.  Quand ils désignent des peuples : Les Canadiens, les Allemands, les Belges.  Quand ils désignent des personnes dont la gloire est ancienne, en particulier lorsqu’elles ont vécu pendant l’Antiquité, ainsi que celles qui appartiennent à une dynastie ou une famille royale : Les Horaces et les Curiaces, les Capétiens, les Bourbons, les Stuarts.

Attention : Il existe deux exceptions à cette exception, pour lesquelles l’invariabilité est la règle:

 Les noms de dynastie non francisés : Les Habsbourg, les Borgia.  Certains noms français pour lesquels le pluriel n’est pas admis : Les Napoléon, les Corneille.  Quand les noms propres sont employés pour désigner des espèces, des types de personnes possédant une caractéristique commune ; on utilise alors un procédé appelé « antonomase ». Un bel exemple nous est offert par Jean Rostand dans ses Pensées d’un biologiste: « Dans notre société soi-disant civilisée, combien de Mozarts naissent chaque jour en des îles sauvages ! »

Attention : Il est important de noter que dans ce cas-ci, l’usage accepte également l’invariabilité des noms propres afin, sans doute, de les rendre reconnaissables ou d’éviter une confusion. Ainsi l’écrit Victor Hugo, dans L’homme qui rit : « Les Goliath seront toujours vaincus par les David. »

2- S’il s’agit de noms désignant des lieux géographiques, des toponymes, la règle générale indique que les noms propres de lieux prennent la marque du pluriel.

 Quand ils désignent un regroupement d’entités géographiques ou politiques : les Laurentides, les Maritimes, les Alpes, les Antilles, les deux , les États-Unis.

Attention : Dans ce cas-ci également, l’usage accepte invariabilité du toponyme : Il me reste des Everest à conquérir.

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Toutefois les noms de lieux demeurent invariables.

 Lorsqu’ils désignent plusieurs réalités géographiques ; exemple : On compte plusieurs Montréal dans le monde.  Lorsqu’ils sont employés pour souligner différents aspects du lieu, sociologiques ou politiques. Empruntons cette fois un exemple à Jules Michelet, extrait de son Histoire de la Révolution française : « Il y avait deux Avignon, celle des prêtres et celle des commerçants. »

3- S’il s’agit de noms propres désignant des œuvres d’art par le nom de leurs auteurs, ou encore des noms de marque de produits, comme des automobiles, la règle générale énonce alors que ces noms sont invariables.

 Gustave Flaubert en livre un exemple dans L’Éducation sentimentale : « Il avait été revoir les Titien. » Nous dirions ainsi : J’ai lu tous les Zola, ou encore : la cinémathèque organise une rétrospective des Buñuel. Pour les produits, empruntons un exemple à François Nourissier, dans Une histoire française : « Des Ford ou des Chevrolet bicolores sont parquées devant chaque pavillon blanc… » et un autre à , dans Les Belles Images : « Ils boivent du vin, du bourbon, des Martini. »  Attention: Quand l’usage a transformé les noms propres de marque en noms communs, alors ils prennent une minuscule initiale et admettentle pluriel : des camemberts, des frigidaires, des mobylettes,

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- Jean d’Ormesson :

Jean d'Ormesson est un écrivain et journaliste français. Membre et doyen de l'Académie française, il est une figure littéraire et médiatique française incontournable. Jean d'Ormesson naît à Paris le 16 juin 1925 d'un père diplomate et ami de Léon Blum. Son enfance se divise entre le château de sa mère dans l'Yonne et les différents pays où son père est muté. De retour à Paris, Jean d'Ormesson entre à l'École normale supérieure d'où il ressort agrégé en philosophie et licencié en lettres et histoire. Il demande à effectuer son service militaire chez les parachutistes de Vannes.

Jean d'Ormesson commence à enseigner le grec dans un lycée parisien, mais écrit très vite des articles pour différentes revues comme "Paris Match" ou "Ouest-France". En 1950, il est nommé secrétaire général du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines à l'UNESCO. En 1992, il en deviendra président. En 1962, il épouse Françoise Béghin, héritière du magnat de la presse Ferdinand Béghin. Il travaille à plusieurs reprises dans des cabinets ministériels en tant que conseiller. En 1971, il rencontre un premier succès en tant qu'écrivain avec son roman "La gloire de l'empire", qui reçoit le Grand prix du roman de l'Académie française. Sa carrière d'écrivain débute réellement et, le 18 octobre 1973, il est élu à l'Académie française. Beaucoup de ses romans deviennent des best-sellers. La dimension autobiographique y est souvent présente et donne un style à son écriture. Son parcours professionnel évolue constamment. En 1974, il occupe le poste de directeur général du Figaro. Il est fait grand officier de la Légion d'honneur et publie en 2001 "Voyez comme on danse", récompensé par le prix Combourg. En 2012, pour la première fois de sa vie, Jean d'Ormesson endosse un rôle au cinéma. Il joue François Mitterrand dans Les saveurs du palais de Christian Vincent. En 2014, Jean d'Ormesson est promu grand-croix de l'ordre national de la Légion d'honneur, il est également commandeur de l'ordre national de la Croix du Sud du Brésil.

Jean d'Ormesson est décédé d'une crise cardiaque le 5 décembre 2017. Il était âgé de 92 ans.

(bio plus détaillée avec la dictée du 18.12.2017, discours de réception de S Veil à l’Académie française)

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Maurice Genevoix (1890-1980)

https://www.lemonde.fr/critique-litteraire/article/2019/11/10/biographie-maurice-genevoix-fidele- porte-voix-des-poilus_6018656_5473203.html https://ceuxde14.wordpress.com/maurice-genevoix/biographie/

Maurice Genevoix est né à Decize le 29 novembre 1890, dans une famille de médecins et pharmaciens du côté de son père. Ses parents s'installent dans le , à Châteauneuf-sur- Loire, pour y reprendre une épicerie doublée d'une mercerie. Toute cette époque sera reprise dans Trente mille jours et Au cadran de mon clocher. Maurice Genevoix pense toute sa vie qu'avoir passé son enfance dans une petite ville rurale avant 1914 est un privilège. Sa mère décède en 1903. Genevoix a douze ans et il est bouleversé. Il passe beaucoup de son temps sur les bords de la Loire, un lieu qui lui donnera de nombreuses sources d'inspiration dans ses écrits à venir : Rémi des rauches, la Boîte à pêche, Agnès, la Loire et les garçons. Après avoir été reçu premier du canton à son certificat d'études, Maurice Genevoix devient interne au lycée Pothier d'Orléans. Ces années sont difficiles pour le jeune homme, qui évoque « l'encasernement, la discipline, les sinistres et interminables promenades surveillées ». On retrouve ces années dans l'Aventure est en nous. De 1908 à 1911, il étudie les lettres au lycée Lakanal (Sceaux). Puis il est admis à l'Ecole Normale Supérieure. Ensuite, Genevoix fait deux ans de service militaire à Bordeaux. Il revient pour étudier à l'ENS et présente deux ans plus tard une étude sur le « réalisme dans les romans de Maupassant ». Il envisage déjà une carrière dans la littérature. Pour obtenir son agrégation, il lui reste une année à accomplir. En août 1914, Genevoix est mobilisé dans le 106e Régiment d'Infanterie, ce qui l'amène à participer à la bataille de la Marne et à la marche vers Verdun. Il est grièvement blessé en avril 1915, juste après la mort de son meilleur ami, le lieutenant Porchon. Soigné pendant sept mois, il change en permanence d'hôpital. Il est réformé à 70% d'invalidité et perd l'usage de sa main gauche. De retour à Paris, il est bénévole à la Father's Children Association et vit à l'ENS. Genevoix commence d'écrire et publie cinq ouvrages formant un témoignage authentique et précis de ce qu’il a vécu et observé : Sous Verdun, en avril 1916, Nuits de guerre, en décembre 1916, Au seuil des guitounes, en septembre 1918, La Boue, en février 1921, et Les Éparges, en septembre 1921. Cette œuvre à la fois historique et littéraire figure au premier rang des témoignages publiés sur la Première Guerre mondiale.

La grippe espagnole le frappe violemment en 1919, et il retourne dans son village natal, chez son père. Ecrivain de guerre, il évolue alors vers l'écriture du pays de Loire.

En 1925, Raboliot décroche le prix Goncourt. En 1927, Genevoix s'installe à Saint-Denis-de-l'Hôtel, dans une maison sur les bords de la Loire, « vieille maison, rêveuse, pleine de mémoire et souriant à ses secrets ». En 1928, son père meurt et il s'y installe définitivement. C'est là qu'il écrira la majorité de son œuvre. En 1937, Maurice Genevoix épouse Yvonne Montrosier, mais elle décède en 1938. De 1940 à 1943, l'écrivain s'installe en Aveyron, dans sa belle-famille, où il écrit Sanglar. Il se remarie en 1943 avec Suzanne Viales, et leur fille naît l'année suivante. Le 24 octobre 1946, Maurice Genevoix est élu à l'Académie française.

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Quatre ans plus tard, il s'installe à Paris. En octobre 1958, l'écrivain devient secrétaire perpétuel de l'Académie. De 1958 à 1963, il écrit tous les discours d'attribution pour les lauréats des prix de littérature, de poésie, d'histoire et de roman. C'est aussi sous son impulsion que l'institution crée en 1966 le Conseil international de la langue française. Genevoix démissionne de ce poste en janvier 1974, un geste seulement accompli par Raynouard en 1826. En effet, il a 83 ans et veut encore écrire. L'écrivain quitte Paris et revient aux Vernelles (où il revient toujours tout au long de sa vie). Il publie Un Jour en 1976, Lorelei en 1978 et Trente mille jours en 1980. A 89 ans, Maurice Genevoix prévoit encore un roman portant sur le passage de l'enfance à l'adolescence. Il compte y insérer en épigraphe une citation de Victor Hugo : « l'un des privilèges de la vieillesse, c'est d'avoir, outre son âge, tous les âges ». Le 8 septembre 1980, Maurice Genevoix meurt en Espagne, alors qu'il passe ses vacances dans sa maison d'Alsudia-Cansades, dans la province d'Alicante. Il est inhumé au cimetière de Passy. Il laisse inachevé son roman Vent de mars, ainsi que ses Nouvelles Espagnoles.

Il est question que M Genevoix entre au Panthéon en novembre 2020 pour honorer « Ceux de 14 ».

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Ordre national de la Légion d'honneur

L’ordre national de la Légion d'honneur est l'institution qui, sous l'égide du grand chancelier et du grand maître, est chargée de décerner la plus haute décoration honorifique française. Instituée le 19 mai 1802 par Napoléon Bonaparte, elle récompense depuis ses origines les militaires comme les civils ayant rendu des « services éminents » à la Nation. En 2016, il existe 93 000 récipiendaires vivants, et environ un million de personnes ont reçu cette médaille depuis sa création.

Histoire.

Romaine par son nom (inspirée par la Legio honoratorum conscripta de l'Antiquité), par son symbolisme (les aigles) et son organisation (seize cohortes pour la France), la Légion d'honneur infléchit la tradition des ordres d'Ancien Régime en étant ouverte à tous, et non plus seulement aux officiers. La Révolution française avait en effet aboli toutes les décorations de l'Ancien Régime Le projet de loi est discuté devant le Conseil d'État à partir du 14 floréal an X (4 mai 1802) : Bonaparte y intervient personnellement et pèse de tout son poids pour soutenir la nécessité de distinctions, pour repousser la création d'un ordre strictement militaire et pour réfuter les accusations de retour à l'Ancien Régime. Le projet est adopté par 14 voix contre 10. Les insignes sont fixés par décret le 22 messidor an XII (11 juillet 1804) : une étoile d'argent pour les légionnaires, une étoile d'or pour les autres grades. Par bien des aspects, ces insignes rappellent visuellement ceux de l'ordre de Saint-Louis, créé par Louis XIV pour honorer les officiers et supprimé en 1792 : le ruban rouge, les branches en croix de Malte pommetées et émaillée de blanc de l'étoile, qui supporte un médaillon central doré à la bordure émaillée de bleu. Les premières nominations sont publiées en fructidor an XI (septembre 1803). Quatre grades sont créés : « légionnaire », « officier », « commandant » et « grand officier ». Le 26 messidor an XII (15 juillet 1804)7 a lieu en la chapelle des Invalides la toute première remise de Légion d'honneur par Napoléon Bonaparte aux officiers méritants au cours d'une fastueuse cérémonie officielle, la première de l'Empire. La remise des insignes se fait selon un appel alphabétique des récipiendaires,signe de respect par le nouveau régime du principe révolutionnaire d'égalité. Napoléon décore pour la première fois] des militaires lors de la 8

deuxième cérémonie au camp de Boulogne le 16 août 1804. La Légion d'honneur s'adresse dès les origines aussi bien aux civils qu'aux militaires, on prête d'ailleurs à Napoléon la célèbre phrase : « Je veux décorer mes soldats et mes savants ». Un décret du 10 pluviôse an XIII (30 janvier 1805) ajoute la Grande Décoration dont les titulaires seront par la suite nommés « grand aigle », puis « grand cordon » (ordonnance du 19 juillet 1814) et enfin « grand'croix » (ordonnance du 26 mars 1816). À cette date, les appellations sont modifiées comme suit : les légionnaires deviennent des « chevaliers », les commandants des « commandeurs ». L'association des mérites militaires et civils (la répartition actuelle est environ : deux tiers – un tiers), permet à l'ordre de survivre à tous les régimes jusqu'à aujourd'hui, où on dénombre plus de 93 000 légionnaires (en 2017), ce qui correspond actuellement à environ 3 500 citoyens décorés par an (650 militaires d'active, 650 militaires à titre d'anciens combattants, et 2 200 civils). En 1981, le général d'armée Alain de Boissieu, grand chancelier de la Légion d'honneur depuis 1975, démissionne pour ne pas avoir à remettre, comme cela est la tradition pour tout président élu, le collier de grand maître de l'ordre à François Mitterrand, parce que ce dernier avait par le passé traité Charles de Gaulle de « dictateur ».

Depuis les années 2010, l'institution incite les décorés à s'investir dans la société en finançant des projets d'entraide. Cette initiative de l'ordre est pilotée par la Société des Membres de la Légion d'honneur, qui compte 52 000 membres, sur les 92 500 décorés vivants. En novembre 2017, le président de la République Emmanuel Macron se prononce pour la revalorisation de la Légion d'honneur, estimant que « le mérite doit être désormais le seul et unique critère retenu ». Pour cela, il compte limiter le nombre de décorations remises. À cette fin, aucune promotion n'est effectuée à Pâques en 2018. Hors promotion spéciale, ne demeurent que la promotion du 14 juillet et celle du 1er janvier. Ce nouveau calendrier des promotions civiles est entériné par le décret no 2018-1007 du 21 novembre 2018. Le grand maître.

Le président de la République (ou jadis, selon les régimes, le Premier Consul, l'Empereur, ou le Roi) est le grand maître de l'ordre. La dignité de grand-croix lui est conférée de plein droit. Le président de la République, lors de la cérémonie de son investiture, est reconnu comme grand maître de l'ordre par le grand chancelier qui lui remet le grand collier en prononçant les paroles suivantes : « Monsieur le président de la République, nous vous reconnaissons comme grand maître de l'ordre national de la Légion d'honneur » L'admission dans l'ordre (chevalier) comportait, à sa création, une rente annuelle (importante pour l'époque, notamment pour la plupart des soldats décorés d'origine modeste, quand n'existaient pas alors les actuels régimes sociaux de retraite et où les rentes militaires versées aux anciens soldats d'une armée beaucoup plus nombreuse étaient minimes) insaisissable de 250 francs or. En 2017, cette rente annuelle, réservée aux décorations attribuées à titre militaire46, est beaucoup plus symbolique et ne s'élève plus qu'à :

 chevalier : 6,10 € ;  officier : 9,15 € ;  commandeur : 12,20 € ;  grand officier : 24,39 € ;

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 grand-croix : 36,59 €.

En juillet 2016, un rapport du Sénat propose de supprimer ces rentes symboliques, mettant en avant que les coûts de traitement (entre 650 000 et 800 000 €) sont aussi élevés que les montants effectivement distribués (720 000 €). (Le franc-or ou franc germinal, disparaît avec l'entrée en guerre de la France en 1914 : l'inflation divise par cinq en termes de pouvoir d'achat cette rente dès 1925. À titre d'exemple comparatif, un ouvrier gagnait en 1913, la somme de 5 francs par jour en moyenne.)

Retrait de la décoration

Les procédures disciplinaires concernant des légionnaires qui ont commis des actes contraires à l'honneur peuvent aboutir à trois peines : le blâme (appelé censure), la suspension (de durée variable 1 à 10 ans) et la radiation définitive (exclusion) de l'ordre. La radiation de l'ordre peut intervenir comme sanction ultime en cas d'atteinte à l'honneur ou à la dignité, à la suite d'une procédure disciplinaire au cours de laquelle l'intéressé est appelé à faire valoir sa défense. Cette radiation, qui vaut retrait de la décoration, est en théorie automatique en cas de condamnation pour crime, ou à une peine d'emprisonnement ferme supérieure ou égale à un an. Ce fut le cas de Maurice Papon qui, bien que s'étant vu retirer cette décoration, a néanmoins tenu à être enterré avec elle. Le policier Jean-Claude Labourdette a été également exclu de la Légion d'honneur après sa condamnation en 1994 pour un trafic d'armes au Liban. Un arrêté du 17 mai 2019 exclut Claude Guéant de l'ordre de la Légion d'honneur à compter du 16 janvier 2019, date de sa condamnation définitive à un an de prison ferme. Pour les récipiendaires étrangers, qui sont seulement décorés, ils ne sont pas membres, la seule sanction possible est le retrait de la décoration. Les exemples le plus récents concernent John Galliano en 2012 (La mesure fait suite à la condamnation du styliste pour avoir proféré des injures antisémites) et Lance Armstrong en 2014 pour « comportement contraire à l'honneur ». En octobre 2017, la procédure de retrait de la décoration du producteur Harvey Weinstein pour « manquement à l'honneur » est engagée. Sanctionnée en 2015, Agnès Saal, ex-patronne de l’INA a été suspendue de son titre pour des frais de taxis indus Nomination controversée médiatiquement

La décoration du prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Nayef Al Saoud, au rang de grand officier a suscité de nombreuses réactions médiatiquesau 1er trimestre 2016, le prince étant accusé d'être à la tête d'un pays où la décapitation au sabre reste une pratique courante et dont la bonne foi concernant la lutte contre le terrorisme est fortement remise en cause. Ces réactions médiatiques ont été plus vives encore à la suite du meurtre de Jamal Khashoggi.

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