Clair-Obscur Une Collection D’Art Contemporain D’Afrique Du Sud
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L’Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord présente Clair-Obscur Une collection d’art contemporain d’Afrique du Sud Livret d’exposition Livret édité en novembre 2018 par l’Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord dans le cadre de l’exposition Clair-Obscur accueillie à l’Espace culturel François Mitterrand à Périgueux du 7 novembre au 28 décembre 2018 Commissariats : Pierre Lombart et Ruzy Rusike Visuel de couverture : Self-portrait with Bicycle wheel, 2010 © William Kentridge Clair-Obscur Cet automne, l’Agence culturelle Dordogne-Périgord accueille l’exposition Clair-Obscur, qui met à l’honneur l’art contemporain sud-africain à travers un ensemble d’œuvres choisies par Pierre Lombart, architecte passionné d’art et co-fondateur de la Southern African Fondation For Contemporary Art (SAFFCA). Cette fondation a été créée en 2014 à Johannesburg afin d’encourager, soutenir et promouvoir les artistes vivants d’Afrique australe, notamment par la constitution et la diffusion d’une collection qui regroupe à ce jour près de cinq-cents œuvres. En vue de développer ce projet en Europe et de favoriser les échanges artistiques entre les continents, Pierre Lombart a ouvert à Saint-Emilion, en Nouvelle-Aquitaine, un espace consacré à l’accueil d’artistes en résidence et à la présentation des pièces de la collection. Désireux de « partager avec nous une partie de ce trésor », il a accepté l’invitation de l’Agence culturelle à concevoir une exposition pour l’Espace culturel François Mitterrand à Périgueux, et a sélectionné en co-commissariat avec Ruzy Rusike au sein de la Collection de la SAFFCA les œuvres de dix-sept artistes : Willem Boshoff, Andre Clements, Kendell Geers, David Goldblatt, Jonathan Hindson, William Kentridge, Themba Khumalo, Marieke Kruger, Benon Lutaaya, Mário Macilau, Nelson Makamo, Gerhard Marx, Kagiso Patrick Mautloa, Lwandiso Njara, Robin Rhode, Tracey Rose, Minnette Vári. Le titre qu’il a choisi, emprunté au vocabulaire pictural, fait référence à l’interprétation du grisé dans les dessins de William Kentridge ; il évoque également l’histoire contrastée de l’Afrique du Sud dont l’empreinte affleure – de façon plus ou moins tangible – les productions artistiques de ce dernier quart de siècle. Les peintures, sculptures, photographies, installations et vidéo, présentées au sein de l’exposition Clair-Obscur laissent entrevoir le contexte historique et politique complexe qui a vu naître ces œuvres. Mais c’est surtout la richesse et la vigueur de la création contemporaine en Afrique australe qui nous est révélée et que Pierre Lombart offre en partage. Dans les pages suivantes, il nous livre le récit de ses rencontres avec les artistes et les œuvres qui l’ont marqué ; à travers une mise en perspective historique et artistique, il en propose une lecture personnelle, engagée et vivante. 3 Clair-Obscur Commentaires de Pierre Lombart C’est à Saint-Emilion que j’ai J’ai pris les coordonnées de Jonathan eu la chance de rencontrer Jonathan et l’ai contacté aussi vite. Nous nous Hindson. Certaines de ses œuvres sommes rencontrés et depuis cette faisaient partie d’une exposition à rencontre, Jonathan est revenu trois fois l’espace Demptos organisée par Stephane en résidences en Afrique du Sud et y a Dousdebes. C’est lui qui me signale à présenté deux expositions. Deux de ses l’époque qu’il s’agissait d’œuvres d’un œuvres sont entrées dans la Collection artiste sud-africain. Vous imaginez ma de la Fondation très tôt après notre surprise de découvrir un artiste de mon rencontre et son premier retour au pays d’adoption au cœur du village de pays de sa tendre enfance. Sept autres Saint-Emilion. En fait, Jonathan est né en photographies de Jonathan réalisées cette Janvier 1963 à Johannesburg en Afrique année sont entrées très récemment dans du Sud et la quitta dès l’âge de onze ans la Collection. Elles ont été réalisées durant après la séparation de ses parents. sa dernière résidence en Afrique du Sud à August House en partenariat avec « The Project Space » et le soutien de L’Institut Français et de la Ville de Bordeaux. On Constitution Hill est ce cliché de Jonathan, sa seconde œuvre entrée dans la collection, qui évoque avec beaucoup de justesse et de respect, comme par chuchotements visuels, les défis d’ordre institutionnel et social auxquels se confronte la jeune démocratie sud- africaine. La nouvelle Cour Constitutionnelle est construite sur le site d’une ancienne prison et d’un fort militaire qui offrent un témoignage du passé turbulent du pays. C’est sur ce site que furent notamment emprisonnés Nelson Mandela, Mahatma Gandhi, ou tant d’autres « Freedom Fighters », mais aussi des dizaines de milliers de femmes et d’hommes de toutes Jonathan Hindson, On Constitution Hill, 2013 races, de couches sociales différentes et aux convictions politiques variées. C’est l’histoire d’un siècle d’incarcérations en tous genres qui confère à ce site son 4 caractère unique et représentatif. C’est pour cela que cette colline fut choisie pour abriter la cour qui protège les fondements même de cette jeune démocratie : sa constitution. Les prisonniers chantaient pour se réconforter, se distraire les uns les autres, maintenir une solidarité ou défier les autorités. A d’autres moments et comme par punition, les prisonniers étaient forcés de chanter par ces mêmes autorités ou par les chefs de bandes nées au sein du pénitencier. Les touristes visitant le lieu de nos jours peuvent découvrir ces chants diffusés par hauts parleurs à la demande. Kasigo Patrick Mautloa, Brazier, 1992 J’en reviens à Jonathan. Son cliché nous offre une façade qui n’est autre que la Depuis 1991, le Bag Factory à coupe transversale dans un corps de Johannesburg abrite certains artistes bâtiment abritant sur deux niveaux un autant en quête d’un studio que corridor central bordé de part et d’autre d’une mouvance. J’apprends à cette de cellules de prisonniers. Les extrémités époque qu’ils tiennent leurs premières du corridor sont aujourd’hui obstruées. « portes ouvertes » et m’y rends avec Une partie des bâtiments a été démolie. autant de joie que de curiosité. Ce sont les briques mêmes sauvées dans cette démolition qui furent récupérées C’est là que je fais la connaissance de Pat. pour construire la Nouvelle Cour Kagiso Patrick Mautloa vient quelques Constitutionnelle du pays. mois auparavant d’abandonner son emploi à la SABC, la télévision nationale Une symphonie de grisés différents sud-africaine, pour se concentrer apparaît et annonce la magnitude de exclusivement à l’Art et partir à la la gageure, du pari : délivrer un mode rencontre des vertiges d’artiste. fonctionnel de société où tous soient égaux, quelle que soit la couleur de leur Pat, comme je l’ai toujours appelé depuis peau ou leur appartenance ancestrale, ce jour, est de sept ans mon aîné. Il vit au cœur des cicatrices laissées par 43 ans la ville au travers de ses masques, de d’apartheid et cinq siècles de conflits en ses ouvertures, de ses meurtrières. Il tout genre sur cette terre que les Khoïsan s’imprègne de ses lumières sous-jacentes ont su respecter, choyer et partager dans qui, comme un réseau, lui prêtent une la plus grande paix pendant quelques trame. Il parle à demi-mots pour nous deux cent cinquante siècles. révéler ses énergies combattantes, et les célébrer. ○ ○ ○ 5 Lors de ses déambulations Pat observe, perçoit et s’imprègne. Il nous livre ses perceptions alertes, ces terres brûlées, et prépare le pays de ses enfants. Il est l’un de ces grands prêtres qui s’ignorent. Avec Brazier il nous confronte, il me confronte. Le brasero est avant tout la principale source de chaleur pour ceux qui restent en ville pour y passer la nuit, qu’ils soient travailleurs ou simples marginaux décrochés de notre société osant à peine et avec discrétion désirer ou espérer sa transformation. Kasigo Patrick Mautloa, Sleeping Quarters, 1995 La férocité du feu n’est que peu perceptible de l’extérieur, comme de Paris, Londres ou Pat adore arpenter la ville. Pendant ses New-York. La presse en parle peu. Juste longues marches citadines entre chien quelques petits orifices nous laissent et loup, il observe les dormeurs dans deviner l’intensité de la combustion. Il les dortoirs qui avaient été créés pour existe toutefois une petite fenestration, accueillir les travailleurs migratoires. fermée, qui ne demande qu’à être ouverte Seuls les hommes y sont acceptés et pour pouvoir y découvrir l’intensité de aucune femme ne peut y avoir le moindre cette rage en flammes, de ce mouvement accès. Les travailleurs doivent fournir une de libération. A travers les joints du preuve de leur qualification 10.A ou 10.B brasero, l’énergie réelle du changement pour pouvoir profiter, pour une modique et de la lutte pour ce dernier crépite et somme d’argent, de cet abri pour la nuit. crie en silence. De petites particules de Ils doivent également s’équiper de leur braises émanant du foyer apparaissent. La propre literie, s’ils le désirent. Le matelas carapace, le contenant, l’encadrement de n’est qu’une simple petite dalle de béton notre société se fissurent et cette dernière dont l’austérité constitue le principal se rend à l’évidence. Le feu ne s’arrêtera agrégat. plus. Nous pouvons le rejoindre « Yes, we Pat les aperçoit au travers des vitrages can… ». embués ou mouillés par un orage de fin d’après-midi. En pensant à eux, il Brazier est la première œuvre d’art que réalise une œuvre exceptionnelle par ce pays d’adoption en transformation son exactitude approximative. Une très fait entrer dans ma vie, le début d’une particulière huile sur toile.