Crimes Morbihannais D'autrefois
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CRIMES MORBIHANNAIS D’AUTREFOIS e-coquerelles éditions 2 C’est à compte d’auteur, imprimé par Alexandre CATHRINE de LORIENT, que Stéphane FAYE édita en 1927 : « CRIMES MORBIHANNAIS D’AUTREFOIS » En tant que légataire universel de Léone PAUPARDIN- FAYE-PETTENS, elle-même héritière des époux Stéphane FAYE et Elisa PETTENS, j’ai estimé utile et intéressant de rééditer cet ouvrage. Toutefois, tenant à profiter des techniques modernes j’ai décidé de diffuser « CRIMES MORBIHANNAIS D’AUTREFOIS », gratuitement sur le site : http://ecoquerelles.jimdo.com/ Couverture : dessin représentant Hélène Jégado vers 1851 Copyright : RMN – Grand Palais – F.RAUX 3 4 Remarques Seules, la police, les coquilles typographiques la présentation, la page de couverture et les gravures intérieures ont été modifiées, les textes, l’orthographe et la ponctuation de l’époque sont restés inchangés. 5 Stéphane FAYE CRIMES MORBIHANNAIS D'AUTREFOIS La lande de Croix-Peinte. La lande de Lanvaux, l'immense, l’interminable lande s’allonge, triste, désolée, lugubre, piquetée de fougères, hérissée d’ajoncs épineux, jalonnée de mégalithes, couronnée de manoirs. Plaudren. Un trio de castels gris et mornes que colorent et qu’animent les cordialités de trois familles. Entre le manoir de Kerscouble, celui du Mortier et celui de La Guitonnière, l’amitié s’échange et fleurit. Elle unit plus étroitement les De L’Escouble, sires de Kerscouble, et les de Trévégat, sei- gneurs du Mortier, quelque peu cousins, que ce soit ou non à la mode de Bretagne, lorsque la dame de Kerscouble met au monde un bel enfançon, qui reçoit le prénom de Jean et lorsque, presque en même temps, la dame de Trévégat devient mère d’un gracieux bébé qu’on appelle Paul. Oh ! Le doux commerce qui naîtra entre ces jeunes seigneurs ! Oreste et Pylade. La dame de Lantivy, désireuse, elle aussi, de se réjouir dans sa postérité, enfanta, quelques années plus tard, une mignonne pouponne dont le baptême, célébré au manoir de La Guitonnière, mit en liesse les trois châtelains et leurs gens. Les mères, retirées chacune en leur chacunière et y laissant leur imagination prendre l’essor, rêvèrent peut-être ce jour-là de mariage pour leurs rejetons. 6 Les papas s’étaient contentés de croquer des dragées et de se congratuler, souhaitant de voir se renouveler d’aussi fraternelles agapes. Le sire de Kerscouble ne connaissait-il donc pas le proverbe du pays gallo qui prétend que « dans une même paroisse, un château, c’est beau, deux châteaux, c’est prise de museaux, trois châteaux, c’est coups de couteaux ? » Avait-il donc oublié que sorditement vêtue, sans doute la fée Carabosse avait interpellé les pâtres de ses terres et leur avait annoncé que ce jour serait fatal à Jean de l’Escouble ? Et comme un bugul goguenardait et qu’il excitait son chien contre la malveillante sorcière, elle avait, levant la main, pris le ciel à témoin que la lande de Croix- Péinte serait un jour criminellement rougie de sang. Ne se souvenait-il donc plus, alors que soir-là son cœur s’était embrumé comme la lande grise ? S’il avait évoqué ce crépuscule troublant, le sire de l’Escouble n’eût pas manqué de trouver aux dragées quelque amertume et aux agapes quelque goût de n’y revenez pas. En 1648, à peine âgé de dix-huit ans, Paul de Trévégat entra au service du roi. Sa bravoure, sa science du combat, prouvées à l’armée de Turenne le calculateur et à l'armée du fougueux Condé, le haussèrent au grade de capitaine. Mais, en Milanais, lui, que les ennemis n’avaient pu entamer, fut secoué par la' fièvre paludéenne et ankylosé par les rhumatismes. Adieu paniers, les lauriers étaient coupés. On le ramena en France à petites journées. Il atteignit enfin, près de Vannes, le château de Limoges que ses parents venaient d’acquérir. Avec quelle hâte Jean de l’Éscouble n’allait-il pas rejoindre son alter ego ! Hélas ! Hélas ! Deux coqs vivaient en paix, une poule survint, et voilà la guerre allumée. Anne de Lantivy fleurissait alors, avec quelle beauté, avec quelle grâce ! Morceau de roi, vers lequel Jean de l’Escouble, orgueilleux de vingt bonnes fortunes, avait tendu une main qu’il croyait irrésistible. 7 Econduit, humilié, il s’était rabattu sur Marie-Servanne Lesné, dame des Rabines, qu’il avait épousée le 12 septembre 1663. Mais il ne cessait de cuver son dépit, qui fermentait et l’aigrissait. Quel vilain sire, maugréant, impatient, irritable, intraitable ! La jeune femme mourut d’ennui et de langueur. Plaudren revit Jean de l’Escouble, et la porte du manoir de Kerscouble se referma hermétique sur sa mélancolie et sur sa colère. Que lui importaient Paul de Trévégat et leur fraternité d’antan? Mais si son cœur s’était endurci comme granit de Kerscouble. Le cœur d’Anne de Lantivy n’avait point manqué de s'émouvoir en contemplant le capitaine rentré au pays breton. Lorsque ce glorieux redevint à peu près ingambe, elle lut sur ses lèvres : Je vous aime : elle lui permit de le lire sur les siennes. Le 1er septembre 1664, le curé de l'Eglise Saint-Patern bénit leurs anneaux de mariage. Et voilà la guerre allumée. Les tenanciers de Kerscouble et les tenanciers du Mortier, pleins de zèle pour leurs maîtres respectifs, trouvaient toute occasion favorable pour s’injurier, se gourmer et se ceinturer. Leurs corps entrelacés écrasaient les fougères : nargue les ajoncs : leurs ongles lacéraient mieux. Un jour, un serviteur de Jean de L’Éscouble, houspillé et accablé par un gars du Mortier, crut sa dernière heure venue ; il glapit, il hurla. Jean de l'Escouble accourut à la rescousse. Au vent, l'épée ! Le paysan du Mortier, transpercé de part en part, faillit être cloué au sol où, parmi les bruyères roses empourprées de son sang, il rendit l’âme. Les juges de Vannes informés accoururent à Plaudren, pour enquêter. Ils enquêtèrent deux jours, pendant lesquels Paul de Trévégat crut qu’il allait de son honneur de les héberger. 8 La colère qui grondait au cœur de Jean de l’Escouble se mua en furie. Ce Trévégat : Sûrement il voulait suborner la justice ; évidemment, il se flattait d’obtenir Condamnation contre l’assassin de son laboureur. Mais un jour viendrait... Le 16 décembre 1672, le seigneur du château de Cadoudal a convié à un dîner somptueux toute la noblesse avoisinante. Paul de Trévégat revient vers Le Mortier, à cheval, en compagnie de deux de ses neveux. Une nuit noire, glaciale : la lande de Croix-Peinte, désertique et sinistre ; hou-hou, hou-hou, gémissent les chouettes. Un coup de sifflet déchire le silence et effarouche les ténèbres. Le cheval de Paul de Trévégat, oreilles pointées, se cabre ; le cavalier essaye de le maîtriser ; une étrivière se rompt ; il faut mettre pied à terre. Pendant qu’ils s’ingénient en vain, des sabots de chevaux, tout près, martèlent le roc ; le désert se peuple, l’obscurité se meut : cinq cavaliers se profilent, que deux hommes à pied suivent. Les neveux de Paul de Trévégat ont saisi leurs pistolets. Une voix menace : « C’est toi, Paul de Trévégat ? Nous voici face à face. Dégaine, si tu n’es pas un lâche ! » Paul n’a recouvré, depuis qu’il a quitté l’armée du roi, ni sa vigueur, ni l’intégrale souplesse de ses mouvements : il s’é- crie : « Vous me prenez à votre avantage, l’Escouble ; mais n’importe ». Campé sur ses jarrets, il se met solidement en garde. L’Escouble, qui veut que sa lame traîtresse s'enfonce aussi sûrement que le poignard d’un assassin, s’élance avec une impétuosité si furieuse que le voilà qui s’enferre, poitrine ouverte, cœur béant. Il tombe, il saigne lamentablement, sans fin ; il menace, d’une voix qui va s’éteignant : « Je suis mort en combat déloyal par ma faute. Je pardonne à Trévégat et à sa femme ». A sa femme ! A Trévégat ! A deux êtres qu’il aima et contre lesquels aveuglément se déchaîna sa haine. Paul de Trévégat s’abîme dans le désespoir. 9 Il est incarcéré le 13 mars 1673 ; il va être condamné. Mais, cédant aux instances des siens, il écrit au maréchal de Turenne qui obtient pour lui des lettres de grâce : en somme, il a été l’assassin malgré lui, dans un guet-apens contre lui machiné. Le roi proclame que « Paul de Trévégat n’a jamais commis aucune action digne de blâme ni indigne de sa naissance, s’étant plutôt dévoué à notre service et ayant mis très souvent sa vie au hasard dans toutes les occasions d’honneur ». Paul de Trévégat regagne tristement le manoir du Mortier où Anne de Lantivy vient, de la Guitonnière, le rejoindre. Deux châteaux, coups de museaux ; trois châteaux, coups de couteaux. Vue du Manoir de Kescouble 10 A bord de « l’Atlante * » Le navire l’« Atlante », armé de trente canons et monté par cent hommes, que commande Thomas Lassalle, revient, le 3 mai 1724, de Pondichéry, à Lorient. Il est neuf heures du soir. Le vent siffle et mugit ; des flots de nuages déferlent ; les vagues amoncelées s’élancent à leur poursuite ; toute sa mâture grinçant, et le pont gémissant sourdement sous les paquets de mer qui l’écrasent, « l’Atlante » danse et roule. Comme il ferait bon dans la grande chambre ! Quelques officiers s’y sont réunis ; ils bavardent, enveloppés de la fumée des pipes. -Je regrette le précédent voyage, la mer était moins forte, dit le lieutenant Grangent. -Erreur, mon lieutenant, déclare l’écrivain de marine Foubert ; le temps était aussi gros ; d’ailleurs, il ne fait jamais bon dans ces parages ».