Numéro spécial du 8 janvier 2015

ÉDITION SPÉCIALE NUMÉRIQUE 50 pages d’hommages et d’analyses

DESSIN ORIGINAL DE HANI ABBAS Pour la liberté d’expression Tous debout

C M Y K ÉDITORIAL

Chantal Tauxe Rédactrice en chef adjointe Tous debout!

TRÈS VITE APRÈS LE SENTIMENT D’INCRÉDULITÉ Tant d’hommages commencent par souligner qu’ils SCANDALISÉE ET ÉCŒURÉE, nous avons éprouvé l’in- ne goûtaient guère l’humour bête et méchant des désor- tuition que, comme le 11 septembre 2001, ce 7 janvier mais martyrs de , mais tous regrettent de 2015 marquerait un tournant. Il y aura un avant et un ne pas avoir mieux défendu cette joyeuse insolence, ce après cette ligne de fracture, cette brutale prise de salutaire je-m’en-foutisme, cette irresponsabilité cri- conscience, ce sursaut. tique, cette liberté de tout dire, que l’Occident a mis La , l’Europe, l’Occident, les démocraties ne des siècles à conquérir. Au milieu de la marée des ques- sont pas aussi !nies ou dépressives que certains le disent tions sécuritaires, identitaires, politiques, éthiques qui si sept heures après un lâche attentat contre la rédac- nous submergent depuis mercredi, il faut se demander tion d’un journal – que pour la plupart ils ne lisaient pourquoi ce sursaut survient si naturellement quand pas – des milliers de gens dans des dizaines de villes l’un de nous est attaqué. Jean-François Kahn a cité très sortent de chez eux, en plein mois de janvier, pour faire justement le Chant des partisans: «Ami, si tu tombes, part de leur émotion et de leur un ami sort de l’ombre à ta place.» détermination. La défense de la Ils voulaient mettre démocratie n’est pas aussi mori- FACE AUX IDÉOLOGIES CONQUÉ! bonde que le prétendent des ana- une société qu’ils exècrent RANTES ET BRUYANTES, Houel- lystes las, si des milliers d’inter- à genoux, mais celle-ci lebecq et tant d’autres déclinistes nautes-citoyens reprennent à leur de salon nous font croire que compte le slogan serti de noir: Je s’est levée. nous sommes irrémédiablement suis Charlie. mous, fatigués, désarmés. Erreur: En fauchant l’équipe de Charlie Hebdo, les terroristes si nous avons l’air nonchalants et blasés, c’est parce ont visé un symbole de la liberté d’opinion. Ils voulaient qu’au fond de nous-mêmes nous nous savons assez forts mettre une société qu’ils exècrent à genoux, mais celle- pour résister. ci s’est levée. Spontanément. Face à la tragédie, décalé par son rythme de paru- tion, L’Hebdo a choisi de concevoir une édition spéciale POUR LES FANATIQUES ISLAMISTES (et, dans un autre numérique, et a sollicité des caricaturistes et nos genre, pour Poutine également), les Occidentaux sont blogueurs associés (qui contribuent régulièrement à décadents, avachis dans la société de consommation, notre plate-forme de débat). Très vite, textes et dessins trop libertins, trop libertaires. Mous, prêts à être cro- ont a"ué. Une manière de se sentir droit, debout, mal- qués, soumis d’avance. Ce storytelling qui joue sur notre gré les vents contraires. Un hommage à l’attitude fron- amour de la dérision et de l’autodérision est faux. Une deuse de nos collègues assassinés, qui n’ont jamais attaque au cœur de , une attaque contre les droits fléchi. Avec vous, nous leur rendons les honneurs et de l’homme, une attaque contre les valeurs de l’Europe, reprenons le f lambeau. ■ le plus grand espace de liberté qui ait jamais existé dans l’histoire, cette agression lâche contre une rédaction, fait se dresser d’émotion, de colère, d’indignation des millions de démocrates, certes très attachés à leur confort mais pas moins épris de libertés.

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C M Y K SOMMAIRE N° Spécial 8 janvier 2015

Numéro spécial du 8 janvier 2015

ÉDITION SPÉCIALE NUMÉRIQUE ÉDITION SPÉCIALE NUMÉRIQUE 50 pages d’hommages et d’analyses

DESSIN ORIGINAL DE HANI ABBAS Pour la liberté 50 pages d’hommages et d’analyses d’expression Tous debout

Nos blogs En images Reportage HOMMAGES !NOUS SOMMES !ÇA DEVAIT ET ANALYSES TOUS CHARLIE" ARRIVER"

C M Y K En couverture Un dessin du Syrien d’origine palestinienne Hani Abbas.

4 23 31

# ÉDITORIAL 16 Christophe Vuilleumier %& LARÉDACTION Les nouveaux martyrs. Chantal Tauxe Le reportage d’Antoine Tous debouts! 17 Grégoire Barbey Menusier La liberté d’expression ne sera «Ça devait arriver.» $ NOSBLOGS pas assassinée. 34 La chronique de Hommages et analyses 18 Jean-Pierre Gre! Jean-François Kahn 5 Guy Sorman La liberté de pensée Ami si tu tombes... Tous bêtes et méchants. et de création, un impératif 35 L’analyse d’Isabelle catégorique. 7 Sylviane Roche Falconnier Le 11 septembre de Mai 68... 19 Pierre Novello contre 8 Vincent Pellissier Adieu, Oncle Bernard. Charlie Hebdo. L’innocence assassinée. 20 Charles Poncet 36 L’hommage de Philippe 8 Jacques Neirynck Terrorisme: à Messieurs Le Bé Tuer au nom de Dieu? les assassins. A Dieu, ami . 10 Olivier Guéniat 37 Le témoignage d’Alex -polisse. par Stéphane Gobbo #% DANSLEMONDE «Il ne faut pas céder à la peur.» 11 Olivier Meuwly

La liberté est morte, En images Le commentaire «Nous sommes tous Charlie.» vive sa «re-nativité»! d’Yves Genier 27 En mots Vive la liberté. 12 Sandro Arcioni Les citations les plus Le prix à payer pour la liberté. 38 La galerie photos marquantes. Morts pour la liberté 13 Frédéric Maire 29 Balles tragiques. La revue de presse d’expression. de Sou’al Hemma 14 Martine Brunschwig 39 Le dessin d’Etienne et de Fatima Sator Delessert Graf Notre lecture des journaux Indignation sélective. «Un massacre? C’est arabophones, francophones et une longue guerre...» 15 Gilbert Casasus anglophones du monde arabe. Responsabilité, laïcité et dignité.

Internet www.hebdo.ch L’HEBDO, C’EST TOUS LES JOURS E-mail [email protected] Suivez l’actualité en continu sur notre site internet, Twitter et Facebook ainsi Courrier que sur nos applications mobiles, iPhone et Android. Retrouvez les dernières Case postale 6682, infos, des compléments sur nos articles, des galeries d’images, des dossiers 1002 Lausanne thématiques, des dessins de presse, nos meilleures adresses par région et les Tél. 021 331 76 00 www. Fax 021 331 76 01 hebdo.ch sélections culturelles de la semaine, livres, cinéma, DVD, musique, sorties. Abonnements Réagissez aussi aux articles de nos blogueurs. 0848 48 48 02

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C M Y K ÉDITION SPÉCIALE

DESSIN ORIGINAL MATTHIAS RIHS

C M Y K ÉDITION SPÉCIALE

DESSIN ORIGINAL FRÉDÉRIC MICHAUD

attentat contre Guy Sorman vers les victimes est une forme Charlie Hebdo à de culpabilisation de soi bien L’ Paris coïncide avec connue en psychanalyse: mais, si l’ouverture à Boston du procès Tous bêtes les Occidentaux cessaient de se du terroriste qui, en avril 2013, mêler des a"aires du monde, de !t exploser une bombe à l’arrivée vouloir exporter la raison et d’ironi- du marathon, tuant et blessant des et méchants ser sur tout, seraient-ils encore des centaines de coureurs. Occidentaux? Charlie Hebdo serait-il Dans les deux cas, les meurtriers encore Charlie Hebdo s’il s’autocensurait se réclament de l’islam: ils prétendent et devenait politiquement correct? Cette venger l’agression occidentale contre des L’AUTEUR tentation d’expliquer le crime par le com- nations musulmanes, contre leur civilisa- portement de la victime me rappelle ce tion, contre leur religion. En France comme que les Français demandaient à mes parents aux Etats-Unis, les auteurs sont des immi- qui fuyaient les nazis: «Vous avez bien dû grants, qui semblaient intégrés dans leur leur faire quelque chose, aux Allemands, société d’accueil. A partir de ce simple et pour qu’ils vous en veuillent à ce point?» banal constat, chacun sera tenté de ratio- Mes parents n’avaient que le tort d’être naliser, de proposer quelque explication juifs, de même que Charlie Hebdo a le tort logique à la folie meurtrière. GUY SORMAN d’être «bête et méchant», qui est la devise Il se trouve des Occidentaux à mauvaise Chroniqueur de la du journal, son devoir d’être, en somme. conscience qui feront porter par les vic- mondialisation et times la responsabilité de ces crimes: «Il spécialiste de la Chine, n’aurait pas fallu envahir l’Irak, l’Afgha- il a enseigné l’économie l’opposé des donneurs de leçons nistan…» ni conquérir l’Algérie en 1830. à Sciences Po Paris et qui culpabiliseront les victimes Les mêmes diront que Charlie Hebdo «l’a dans de nombreuses se situent les pseudo-rationa- bien cherché» (le porte-parole de Barack universités étrangères listes anti-islamiques. Eux (Chine, USA, Russie et Obama, dans ce sens, a regretté les erreurs Argentine). Il est nous disent: «Puisque à Bos- de jugement de Charlie Hebdo). A suivre notamment l’auteur de Aton comme à Paris les assassins se récla- ces défaitistes de la pensée, le journal n’au- Le bonheur français, Le ment d’Allah, l’islam est donc la cause de rait jamais dû ironiser sur l’islam, mais progrès et ses ennemis, leur acte.» Sauf que se réclamer d’Allah s’en tenir à son fonds de commerce initial, Le génie de l’Inde et ne veut pas dire qu’Allah ait armé les ter- par exemple caricaturer le pape: un anti- L’année du coq. roristes. Si Allah est Allah, on l’imagine cléricalisme sans risque! Cette autocritique occupé à des tâches plus hautes que de qui transfère la responsabilité de l’assassin gérer la folie de ses adeptes proclamés. Sur ■ ■ ■

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DESSIN ORIGINAL FREDERIC PEETERS

■ ■ ■ un milliard de musulmans dans , A Primo Levi, incarcéré à Auschwitz, exprimée sous une forme et avec le voca- qui n’obéissent à aucune autorité centrale, qui voulait comprendre l’extermination bulaire de notre époque, de même qu’il y ni locale, je doute qu’il s’en trouve beau- des juifs, un soldat nazi avait répondu: «Ici, a un siècle des assassins lançaient des coup pour approuver les attentats de Paris il n’y a pas de pourquoi.» En d’autres termes, bombes dans des enceintes politiques ou ou de Boston. Une des victimes de l’atten- le Mal existe en soi, de même que la folie tuaient des chefs d’Etat au nom de l’anarchie, tat de Paris est d’ailleurs un policier d’ori- meurtrière existe par elle-même. Ce qu’avait en hurlant «Vive l’anarchie!», équivalent gine arabe et de religion musulmane. écrit Hannah Arendt sur Adolf Eichmann aujourd’hui suranné d’«Allah est grand». L’islam, dans ces drames, n’est que lors de son procès à Tel-Aviv: sur l’horreur Un sommet de cette folie meurtrière inhé- l’alibi de la folie meurtrière: se réclamer de la Shoah régnaient des petits bureau- rente à toutes les sociétés humaines fut d’une cause qui vous dépasse – une religion crates, ou la Banalité du Mal. Quali!er les sans doute atteint en Espagne quand, dans ou une idéologie – confère à l’assassin une crimes de Boston ou de Paris d’«attentats les années 30, le militant fasciste José Millán- raison d’être, une raison de vivre, une rai- terroristes» revient déjà à accorder une Astray imposa comme cri de ralliement à son de tuer. Dès lors, il n’est plus un banal quasi-distinction honori!que aux assassins. ses troupes «Vive la mort!». Cette pulsion meurtrier, mais devient dans son propre Ce terme d’attentat terroriste, auquel on de mort qui se drape dans l’idéologie du regard un noble combattant. peut ajouter, en cas de besoin, l’adjectif moment, elle sera toujours avec nous: vou- islamiste, ne sert qu’à nous rassurer, à loir l’expliquer revient à la légitimer, alors introduire de la rationalité historique, à qu’«ici, il n’y a pas de pourquoi». n envisagera donc, au faire entrer l’inconcevable dans une petite rebours de toute emphase, case étiquetée à l’avance. Car il est plus que les crimes de Paris et rassurant de dire «attentat islamiste» que a réponse juste aux assassins de de Boston sont des crimes d’admettre la folie des hommes. Charlie Hebdo sera de rester «bête avant tout, qu’il est possible A Boston ou à Paris, cette folie s’est et méchant», en d’autres termes Od’en décrire les circonstances et les acteurs, ironique, sans peur et sans illu- qu’il est possible de tracer des parallèles, sionL sur la nature humaine. Vouloir expli- de constater le détournement de l’islam, «Se réclamer d’Allah ne veut quer par la terreur l’islam, l’immigration, la di#culté de certains immigrés à s’inté- pas dire qu’Allah ait armé les la mondialisation, l’abus de jeux vidéo, etc., grer, le con$it latent entre les valeurs occi- c’est faire l’intelligent et prendre la pose. dentales et une certaine humiliation dans terroristes. Si Allah est Allah, Aux manifestants partout dans le monde le monde arabe qui peine à entrer dans la on l’imagine occupé à des qui proclament leur solidarité avec Charlie modernité et dans la mondialisation qui Hebdo, j’adresse une invitation à partager lui est imposée. Mais tous ces constats, de tâches plus hautes que de la bêtise délibérée et la méchanceté iro- fait indéniables, décrivent; ils n’expliquent gérer la folie de ses adeptes nique de Charlie Hebdo, rien de moins. ■ rien, parce qu’au fond il n’y a pas d’expli- cation. proclamés.»

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DESSIN ORIGINAL KAZ

ui aurait pu temps des colonies, c’est la imaginer que le Sylviane Roche même chose). Et puis lutter Q grand Duduche, contre le communautarisme mon beauf, et même l’ad- qui sépare les citoyens en judant Kronenbourg, et «identités» plus ou moins fan- aussi les jolies femmes au Le 11 septembre tasmatiques et sert souvent de petit cul bien rond et les masque à la haine de l’autre. Et types au gros nez jaune, , répéter et expliquer encore et Wolinski, , qui aurait de Mai 68… encore ce qu’est la véritable laïcité pu imaginer qu’ils seraient assas- qui n’interdit aucune religion, qui sinés? Assassinés, oui, abattus à PROFIL n’établit entre elles aucune hiérarchie bout portant, l’un après l’autre. Mes (pas de «religion d’Etat»), mais qui au 20 ans, cette fois, c’est sûr, ils sont bien contraire les considère toutes sur le même morts. Tués par les pires représentants de plan individuel et privé. la connerie humaine, les fanatiques religieux. Refuser les notions de blasphème et de C’est Cavanna qui va être étonné de les sacrilège au nom desquels on égorge encore voir tous arriver ensemble. La conf ’ de rédac- aujourd’hui. Au nom desquels on assassine tion de Charlie Hebdo se fera désormais sur l’humour et la liberté de penser, d’écrire et un nuage… Qu’est-ce que j’aimerais pouvoir même de dessiner… y croire! SYLVIANE On ne peut pas regarder comme ça ago- ROCHE Depuis midi, je tourne en rond. J’ai peur. niser tout ce pourquoi nous nous sommes Ce professeur et Pas pour moi, mais pour le monde, pour la battus toute notre vie. On ne peut pas laisser écrivain s’intéresse vie, pour tout ce que nous avons eu la chance depuis toujours à nos enfants le monde tel que le rêvent ces de connaître, la musique, l’amour, la liberté, aux règles qui gèrent barbares. l’humour… Tout ce que ces monstres barbares la vie en société. Je crois à l’universalité des valeurs des veulent tuer, supprimer dé!nitivement. (A Pour les connaître, droits de l’homme (et !chez-moi la paix avec ce propos, allez voir Timbuktu, le !lm de Sis- les comprendre le politiquement correct des droits «humains», sako. C’est un !lm magni!que.) et même, je ne suis pas d’humeur à entendre une conne- Mais, au-delà de l’horreur et de la rage, éventuellement, rie supplémentaire), même si ça horri!e il faut se poser la bête question: «Que faire?» les enfreindre l’angélisme mou d’une certaine gauche. en connaissance D’abord, sans relâche, faire la di"érence entre de cause... Et ce n’est qu’avec ces valeurs-là que nous un musulman et un islamiste, empêcher les pourrons défendre un monde que nous vou- amalgames mortifères. Car j’ai peur aussi lons libre, drôle et heureux et le léguer à nos des pogroms (appelés «ratonnades» au beau enfants. ■

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DESSIN ORIGINAL HÉLÈNE BRULLER

e fais partie de cette Vincent Pellissier L’AUTEUR génération qui a Jgrandi avec le Club Dorothée. Ces person- L’innocence nages m’ont raconté des histoires, des histoires d’en- fants. Je me souviens de assassinée Corbier, Ariane ou encore Jacky faisant les andouilles. Il VINCENT y avait aussi ce drôle de dessi- PELLISSIER nateur chevelu, qui réalisait des Elu PDC à l’exécutif de dessins. On voyait se construire les la ville de Sion, ses gags, sous nos yeux, trait par trait. De domaines de l’humour avec des feutres, avec des crayons. prédilection sont le C’était un mode de communication magique, développement qui touchait par son immédiateté, sa force durable et la formation. Il évocatrice, son intensité: un message avec «Ces Cabu, Gotlib, Reiser appartient à la une image! Ces Cabu, Gotlib, Reiser ou ou encore Wolinski branche humaniste de encore Wolinski utilisaient l’humour. Pour son parti: centriste, tout dire, pour tout dénoncer, pour tout utilisaient l’humour. Pour tout progressiste, expliquer… ou simplement pour rire. démocrate. Aujourd’hui, c’est cette innocence qui s’en dire, pour tout dénoncer, est allée, tragiquement. ■ pour tout expliquer...»

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PHOTOGRAPHIE ORIGINALE DOMINIQUE DERISBOURG

attentat de Jacques Neirynck être unique. La marque des Paris n’est pas vraies religions est la tolé- L’ une affirma- rance, l’humilité et le respect tion de l’islam, si on fait Tuer au nom des autres confessions. Il faut l’e"ort d’apprendre cette que chaque croyant recon- religion et si on la prend naisse que tout autre croyant dès lors au sérieux. En de Dieu? lui est semblable, ni inférieur revanche, cet acte de bar- ni supérieur, mais autre, inscrit barie reproduit un schéma dans une tradition di"érente. Il universel et éternel, le meurtre n’est donc pas nécessaire ou essen- au nom de Dieu. A un moment L’AUTEUR tiel de le convertir. La personne qui ou l’autre de leur histoire, toutes prétend avoir une ligne directe avec le les religions ont été impliquées dans Ciel est au bord de la folie et peut devenir ce détournement spirituel. Et la guerre meurtrière avec la meilleure conscience du devient alors absolue, puisqu’elle ne se monde. Elle !nit par croire qu’elle garan- limite pas à un conflit d’intérêts, mais tit son salut éternel en envoyant les in!dèles devient une croisade, laïque (le commu- dans l’autre monde. nisme, le nazisme) ou religieuse (Saint- Barthélemy, guerre de Kappel, djihad, etc). JACQUES Cela vaut aussi pour ce qu’il faut bien appe- Du XVIe au XVIIIe siècle, l’Europe a été NEIRYNCK ler des religions laïques, qui nient la trans- le théâtre de cette folie. Son ultime avatar Professeur honoraire cendance, et la remplacent par une idéolo- en Suisse est l’odieux article constitution- à l’Ecole gie: le racisme, le nationalisme, le marxisme, nel interdisant la construction de minarets. polytechnique le productivisme, l’écologisme. Les sociétés La majorité du peuple suisse, qui ne pra- fédérale de Lausanne, évoluées négligent par trop leur hygiène tique plus aucune religion, ne supporte il est aussi écrivain et spirituelle. Par un paradoxe révélateur, elles pas qu’une autre tradition surgisse en son conseiller national sont souvent crédules face à des supersti- (PDC/VD). sein. tions grossières comme l’horoscope, la numé- rologie, la voyance, la télépathie, la géo- Il est donc nécessaire de clari!er, de véri- mancie, l’imposition des mains par un fier et de purifier ce que les hommes rebouteux. Férues de rationnel, elles suc- appellent religion. Et cela vaut pour toutes combent au déraisonnable. Et elles suscitent les confessions, y compris le christianisme en leur sein des jeunes a"olés par leur vide avec ses di"érentes chapelles. Le critère spirituel. Ce sont eux qui se jettent dans le d’une fausse religion est sa prétention à djihad en désespoir de cause. ■

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DESSIN ORIGINAL HANI ABBAS

e dis toujours qu’il Olivier Guéniat déjà que la sagesse ne sera pas ne faut jamais respectée et que bien peu J écrire sous le coup attendront les résultats de de l’émotion et de la Je suis l’enquête avant de lancer des colère, mais je ne peux pas analyses douteuses, des slogans m’en empêcher aujourd’hui, nauséabonds, des spéculations la quintessence de l’horreur Charlie-polisse qui ne valent peut-être rien. ayant été commise tellement près de chez nous. Et apprendre ai vu ces vidéos qu’une partie de la rédaction de extrêmement Charlie Hebdo a été décimée aussi L’AUTEUR choquantes sur brutalement, dont les caricaturistes l e s r é s e a u x Cabu, Charb, et Wolinski qui sociaux et je n’ai m’ont tellement nourri depuis plusieurs rien vu d’autreJ’ que deux inconnus, vrai- dizaines d’années, ne peut pas me laisser semblablement fanatiques étant donné ce sans voix. qu’ils ont hurlé, rompus au maniement des Cette sauvagerie est inacceptable, abjecte, armes, agissant avec un sang-froid incon- injuste, elle m’attriste profondément, bien testable, de la même manière que ceux que sûr, sur un plan humain, mais cet acte ter- OLIVIER l’on peut voir dans d’autres vidéos lors de roriste me rappelle tout de suite qu’il ne faut GUÉNIAT braquages de fourgons blindés. C’est d’ail- surtout pas céder à l’appel des émotions ni Chef de la police leurs la première idée «analytique» qui se laisser submerger par la peur, par les désirs judiciaire m’est venue à l’esprit. La seconde pensée de vengeance, ni par les sirènes des amal- neuchâteloise, a été: «J’espère que le policier abattu est games et des stigmatisations. Retenons plu- criminologue, Olivier arabophone ou musulman», comme si cela tôt que nos héros dessinateurs et journalistes Guéniat a 46 ans. pouvait être une contre-onde de choc.» de Charlie Hebdo sont dès aujourd’hui des Son grand dada: Alors, al-Qaida ou pas? Seule l’enquête les stupéfiants. martyrs de la liberté d’expression, de la liberté Ses sphères de nous apprendra – c’est mon vœu le plus de la presse, d’une valeur fondamentale de compétences: les cher – le pro!l de ces assassins. nos démocraties. statistiques de la Je sais déjà aussi que je vais rêver, cette Il faut donc constamment se rappeler criminalité, les nuit, que toute la presse européenne, en acte que cet attentat n’a intrinsèquement rien à violences conjugales, de contestation et de résistance, publiera voir avec la religion musulmane. Il y a peut- les interrogatoires et massivement toutes les caricatures de Charia être quelques dizaines ou quelques centaines les auditions de Hebdo de novembre 2011, pour que le terro- de fanatiques qui se réjouissent de cette atro- police, la délinquance risme sache qu’il ne terrorisera pas la Liberté des jeunes... cité en Europe ou dans le monde, contre des et que nous ne céderons jamais. dizaines de millions de musulmans qui la Et à mes collègues policiers froidement désapprouvent totalement. Je sais pourtant exécutés, je dis: «Honneur à vous!» ■

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émotion est à son Olivier Meuwly attisera l’islamophobie, ou ce que comble, un senti- l’on appelle telle, et ce n’est guère L’ ment de révolte mieux… nous étreint. Les hommages La liberté est Une autre voie s’ouvre à nous, se succèdent, dans une unani- cependant. On ne prônera jamais mité qui doit sans doute amuser morte, vive sa le respect entre les peuples et les les victimes du lâche attentat de cultures si chaque «partenaire» ne ce mercredi 7 janvier. commence pas par se respecter lui-même. Une date assurément appelée à «re-nativité»! Récemment, un tribunal de Nantes devenir un symbole: le symbole d’une a accepté qu’une crèche soit retirée d’un guerre qui ne veut pas dire son nom, le L’AUTEUR bâtiment public. Quelques semaines avant symbole d’un conflit latent qui gangrène nos le drame d’hier… Cette anecdote renvoie à démocraties occidentales depuis plusieurs des événements plus graves qui se sont pro- années maintenant. duits voici quelques années, en France, en Peut-être pas le symbole d’un éventuel Allemagne, en Italie. «choc des civilisations», puisqu’il semblerait Des juges de ces pays avaient envisagé qu’il est malvenu d’employer l’expression de renoncer au droit de la famille en vigueur forgée par Samuel Huntington. Il n’empêche, dans leurs juridictions respectives au pro- deux conceptions du monde s’opposent. OLIVIER !t du droit des plaignants, en l’occurrence Le christianisme, en reconnaissant la MEUWLY la charia. Les médias se sont justement séparation de l’Eglise et de l’Etat, en distin- Docteur en droit et ès insurgés contre cette dérive de notre ordre guant ce qui revient à Dieu et ce qui ressortit lettres, auteur de juridique, mais le problème n’est pas résolu. à la puissance de César, a ouvert la voie au plusieurs ouvrages Ce genre de démission fait le lit du mépris pluralisme démocratique, à la liberté de pen- portant sur l’histoire dans lequel les islamistes purs et durs tiennent sée, à l’humour qui risque parfois de heurter suisse, l’histoire des les valeurs universelles, ou que nous préten- nos semblables dans leurs convictions. partis politiques et dons telles, qui balisent notre ordre juridique. e l’histoire des idées. Le romantisme allemand du XIX siècle Auteur notamment Oser reconnaître que représenter la nais- hissera même le witz, l’ironie, au rang de d’une biographie du sance du Christ ou dresser un sapin de Noël, contribution à la réalisation du Moi, à la fois conseiller fédéral comme ce fut le cas en Allemagne, constitue forti!é à distance du monde et intégré dans Louis Ruchonnet une atteinte à la liberté d’autrui et que l’abou- le «Un» où il se révèle à lui-même. (1824-1893). tissement des droits de l’homme exige le L’islam, de son côté, a connu une histoire Organisateur de reniement de ses propres traditions ne peut complètement di"érente et n’a pas eu l’occa- plusieurs colloques qu’enterrer et la liberté, et les droits de sion d’opérer ce clivage, ou n’a pas connu le (notamment sur l’homme. Frédéric-César de La contexte philosophique et politique qui lui Harpe et les 75 ans de Mon propos sera-t-il considéré comme aurait permis de poser le rapport historique- la Paix du travail). une injure aux musulmans qui n’ont rien à ment ambigu ente la religion et l’Etat sur de voir avec les assassins de Charlie Hebdo? Au nouvelles bases. contraire! Qui a raison, qui a tort? Là n’est pas la La tolérance ne peut s’adosser qu’à un question. Mais tant que nous n’aurons pas des approches du monde potentiellement respect mutuel des valeurs de l’autre. Des accepté cette réalité, nous devons admettre en rivalité. Pire: comment en chanter les valeurs qui, même proclamées universelles, qu’islam et christianisme continueront à se vertus quand chaque partie concernée se ne seront jamais appréciées qu’à l’aune du regarder avec mé!ance: leurs visions de l’in- sent agressée dans ce qui lui est le plus cher? contexte dans lequel elles sont pratiquées, dividu et de l’Etat sont incompatibles et ne La liberté d’expression pour l’Occident qui ou non. peuvent cohabiter sur le même territoire. a expédié la religion à la sphère privée, la La meilleure défense contre la barbarie Le rapport entre Eglise (au sens large) et !délité au Livre sacré pour l’Orient épris reste le courage de pratiquer nos traditions, Etat se trouve aux fondements de nos construc- d’islam. dans la paix et le respect, pas en a#chant tions juridico-institutionnelles. Nous avons Alors, lorsque l’Occident se voit ainsi une pseudo-tolérance qui alimentera un res- tendance à l’oublier dans notre univers sécu- agressé dans ses «valeurs» et sa perception sentiment, ce cancer de tout corps social. Un larisé: le renouveau d’un islam militant depuis de la politique, comment doit-il réagir? S’in- ressentiment à la source de mouvements aussi deux décennies a au moins le mérite de nous venter des «martyrs» en se taisant au nom de malsains que Pediga en Allemagne. rappeler ce «donné» de notre ordre étatique. la tolérance? Tout miser sur l’appareil répres- La liberté n’est pas morte; pour les Occi- La question n’est pas non plus de savoir sif? S’immerger dans la croyance qu’il serait dentaux, elle passe par la Nativité avant que si nos sociétés multiculturelles sont riches possible de détourner certains individus de la Renaissance du XVIe siècle ne l’a"ermisse d’un enrichissement réciproque ou contiennent leur soif jihadiste? et qu’elle se parachève dans le retrait du reli- les germes de notre futur déclin. Le multicul- Cette dernière option est la plus vaine: gieux en dehors de la sphère publique. turalisme est un fait, qu’on le veuille ou non. la liberté individuelle empêchera toujours Mais elle n’est effective que dans la Reste à se demander comment l’orga- l’Etat de barrer la route à quiconque se sent conscience de l’historicité dans laquelle elle niser lorsque se rencontrent sous son égide séduit par une secte… Pourtant, ne rien faire s’inscrit! ■

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a liberté, Charlie Sandro Arcioni trop souvent entravé par des Hebdo en a payé querelles personnelles ou L le prix fort. partisanes? La liberté, comme la Le prix à payer liberté de pensée, est ou Si la rédaction d’un jour- devrait être LE droit fonda- pour la liberté nal est aujourd’hui attaquée, mental dans une démocratie. demain un kiosque vendant C’est une richesse de pouvoir des journaux pourrait l’être, mais s’exprimer en toute sécurité et L’AUTEUR également une banque, une entre- cette libre expression doit être prise, un commerce, etc., pour une garantie par un Etat de droit. seule raison: ils ne respectaient pas Certes, pour garantir notre liberté, la simple philosophie de pensée d’un il y a un prix à payer. Pas celui de morts autre groupe! Idem entre deux personnes (il y en a assez eu lors de la dernière guerre d’avis contraire à la sortie d’un restaurant mondiale, ainsi que dans des conflits qui ont ou d’un dancing! Ouvre-t-on le feu sur l’avis suivi, en Europe, comme en ex-Yougoslavie contraire? ou, aujourd’hui, en Ukraine), mais celui SANDRO d’une «assurance sécuritaire». ARCIONI Et qu’en est-il en Suisse? Quels sont les Dr ès sciences, risques? Mais en amont, il faut oser se poser lieutenant-colonel, En fait, les mêmes que partout en Europe quelques questions: expert en stratégie et et dans le monde, avec juste une question en cyberdéfense, - Quels sont les rôles des religions? Ont- directeur de Mupex d’analyse: «Si acte il y a, quelle sera sa elles encore un sens? Si Dieu existe, en Sàrl et enseignant- portée médiatique et quels seront les e"ets existe-il plusieurs? Des di"érents? chercheur dans le !naux de ce dernier?» En fait, c’est la ques- - Les sectes et mouvements fondamenta- domaine de la tion de départ que la Suisse ne se pose pas! listes ont-ils une place dans notre société? gouvernance. Cette dernière permettrait de mettre en - L’appel à la «guerre sainte», à la haine, etc., exergue les menaces les plus dangereuses est-ce un droit? et les plus probables. - La séparation Etat et religion est-elle comprise et respectée? Malheureusement, la question des «e"ets - Hormis la police, l’armée et autres orga- !naux recherchés» (domaine de l’in$uence) nisations sous la responsabilité de l’Etat, est souvent trop complexe pour les personnes doit-on autoriser ou fermer les yeux sur clés telles que MM. Maurer, Blattmann (qui des organismes de formation militaire ou aime d’ailleurs peu les critiques) ou Schellen- de commando? berg (armée suisse) par manque de capacité - La création de !lms ou de jeux pour ordi- de compréhension internationale, mais nateurs avec organisation et montage de également pour les renseignements straté- tueries ont-ils une raison d’être? Quel est giques de la Confédération concentrés sur leur public cible? ses problèmes internes, les polices canto- - Quel rôle joue l’internet dans l’accès à nales ligotées par leurs autorités, etc. l’information et à la désinformation? Qui est le «régulateur» de l’internet? D’autre part, le système suisse de sécurité - Le !chage de personnes à risques (crimi- est très compliqué à gérer, car il est réparti nels, malades, etc.) doit-il être proscrit? sur les trois à sept départements fédéraux Et bien d’autres questions encore (même (DDPS: armée, DFJP: police, DFF: douane si elles dérangent)… et DFAE pour une partie de l’information Par contre, il ne faut pas mélanger «Etat extérieure, sans compter les trois autres en sécuritaire» et «Etat sûr». En fait, c’est cas d’une catastrophe quelconque). l’Etat de droit qui doit o"rir les aspects «sûrs» de la qualité de vie de ses citoyens Sans dépeindre le pire, mais c’est en pré- sans pour autant être un état sécuritaire, «Il s’agit maintenant d’arrêter voyant le pire que l’on peut anticiper! Il s’agit livré à toutes sortes d’actions dites de «sécu- d’être naïf en Suisse. Il faut maintenant d’arrêter d’être naïf en Suisse. Il rité» mais sans contrôle ni règle. faut raisonner de façon globale et repenser raisonner de façon globale le système de sécurité dans son ensemble et Pour toutes celles et ceux qui prétendent et repenser le système de l’adapter à la vraie menace. Certaines révi- que la France n’a pas vu monter son isla- sions de lois sont en cours, mais ce ne sont misation: sans polémiquer, il faut être sécurité dans son ensemble que quelques briques. Je reviendrai sous peu vraiment aveugle pour le dire ou le croire! et l’adapter à la vraie avec des propositions organisationnelles. Mais Quel est le rôle joué par les politiques au elles mériteront un certain courage pour leur pouvoir dans le domaine de la sécurité, menace.» mise en place. ■

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C M Y K ÉDITION SPÉCIALE HARA!KIRI "# NOVEMBRE "$%&

emprunte à un ces auteurs brutalement exé- élève de l’école Frédéric Maire cutés, je les ai croisés dans les J’ d’arts appliqués festivals de BD, à Sierre ou à d’Angoulême – centre mon- Angoulême, justement; j’ai parlé dial de la BD – le titre de ce Balles de leurs albums et je les ai même, texte; il le brandissait sur un parfois, interviewés. Imaginer panneau en hommage aux vic- Wolinski ou Cabu à terre, exécutés times de l’attentat contre Charlie tragiques par balles, me semble parfaitement Hebdo. Ces deux mots évoquent bien irréel, absurde, comme une farce terrible sûr le fameux «Bal tragique à Colombey L’AUTEUR imaginée par le pour un – 1 mort» mis à la une de Hara-Kiri à la mort de ses redoutables romans-photos. de Charles de Gaulle, titre qui avait valu au Charb, Tignous, Wolinski, Bernard Maris magazine son interdiction par le gouverne- ou Cabu étaient en guerre contre une seule ment – et donné naissance à Charlie Hebdo. chose, la connerie humaine. Ils se battaient Etrange retournement des choses: c’est la plume à la main pour que le droit de rire aujourd’hui le président Hollande et le pre- (donc de critiquer) continue d’exister. mier ministre Valls qui célèbrent la liberté Aujourd’hui, c’est comme si on avait trucidé de la presse devant les locaux meurtris de FRÉDÉRIC Zola quand il défendait Dreyfus. Donc il ne Charlie Hebdo… Les anciens du journal «bête MAIRE faut pas céder. Et continuer à faire comme et méchant» doivent bien rigoler, là-haut! Avant d’être eux, continuer avec courage de dessiner, Les temps ont heureusement changé, croyait- le directeur de la d’écrire et de parler librement. on. On peut rire de (presque) tout, croyait- Cinémathèque suisse, Je suis en colère. Je suis Charlie. ■ on. Mais il y en a certains qui ne pensent il a été journaliste toujours pas la même chose. Et qui consi- et réalisateur, il a Charb, Tignous, Wolinski, dèrent que comme l’Etat n’interdit plus la cofondé le club de cinéma pour enfants Bernard Maris ou Cabu presse satirique et irrévérencieuse, il est temps La Lanterne magique que de nouvelles forces le fassent, les armes, en 1992 et dirigé le étaient en guerre contre la bêtise et la méchanceté à la main. Festival international Je suis triste, aujourd’hui, car je me sen- du film de Locarno une seule chose, la connerie tais doublement proche de Charlie Hebdo. En de 2005 à 2009. humaine. Ils se battaient tant que journaliste plaçant la liberté de la presse au-dessus de tout. Et en tant qu’ama- la plume à la main pour que teur d’illustrations et de bande dessinée, que le droit de rire (donc de j’ai chroniquées pour plusieurs journaux et radios plusieurs années durant… Certains de critiquer) continue d’exister.

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DESSIN ORIGINAL GRECK

ouze personnes Martine Brunschwig Graf l’exercice de leur métier, 79 au moins ont en 2013, 87 en 2012! D perdu la vie à La liberté d’expression est Charlie Hebdo, tuées en rai- Indignation un droit intangible, elle doit son de leur opinion, de leur être protégée, elle doit être liberté de langage et de pen- défendue. Elle ne pro!te pas à sée et de celle de l’hebdo- sélective celles et ceux qui l’exercent – au madaire pour lequel elles tra- péril de leur vie parfois – mais vise vaillaient. La nouvelle fait le à garantir que, dans une société, les tour de la planète et l’indignation opinions puissent s’exprimer, les pro- est forte, de Moscou à Paris en L’AUTEURE testations se manifester, l’ironie s’exer- passant par Londres et Washington. cer. C’est la pensée unique que l’on cherche Nous ne pouvons qu’être révoltés et à imposer lorsque l’on fait taire la libre opi- horri!és par l’acte commis, par la violence nion. Le grand danger, à la suite du drame et la haine qu’il sous-tend, par la disparition qui vient de survenir à Paris, c’est de voir la de personnes talentueuses et courageuses qui pensée unique dominer. Ce n’est pas celle des n’ont jamais craint d’exprimer, même sous auteurs de l’attentat qu’il faut craindre, mais la menace, une forme de pensée provocante celle de ceux qui en tireront prétexte pour mais indispensable dans notre démocratie. MARTINE leurs propres visées politiques… ■ Je ne peux m’empêcher pourtant de BRUNSCHWIG penser que l’horreur et l’indignation res- GRAF senties sont un peu sélectives. Ce qui se Economiste de Le grand danger, à la suite du passe à Paris nous révolte avec raison. Mais formation, membre drame qui vient de survenir, cela doit nous rappeler que d’autres per- du Parti libéral- sonnes, militantes de la liberté d’opinion radical, ancienne c’est de voir la pensée unique et de la défense des droits et de la dignité députée au Grand Conseil genevois, dominer. Ce n’est pas celle humaine, sont emprisonnées, torturées et conseillère d’Etat et tuées dans un silence assourdissant un peu conseillère nationale, des auteurs de l’attentat qu’il partout sur notre planète. Parmi les indi- elle préside depuis faut craindre, mais celle de gnés du drame qui se déroule à Paris !gurent 2012 la Commission les hauts dignitaires de pays qui restent fédérale contre le ceux qui en tireront prétexte bien silencieux lorsque paraissent les sta- racisme. pour leurs propres tistiques annuelles de Reporters sans fron- tières: 66 journalistes tués en 2014 dans visées politiques…

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DESSIN ORIGINAL MATTHIAS RIHS

e m’imagine une s’excuser? Ce ne sont pas elles réponse de toute la Gilbert Casasus qui sont en cause. Rien ne Jpresse francophone serait plus inadéquat que de ou pas. D’une presse libre s’emparer de cet attentat odieux et démocratique. Que tous Responsabilité, pour nourrir ou plus encore déve- les quotidiens français, suisses, lopper les communautarismes. européens et au-delà impriment Ils ne peuvent qu’alimenter les sur leur une de demain les cari- laïcité et dignité haines, favoriser les divisions et appau- catures de Mahomet. Car nous vrir nos valeurs. Si les religions sommes tous des «Charlie Hebdo» demeurent au centre de nos sociétés, elles en ce jour. L’AUTEUR ne doivent pas guider leur destinée. Elles Que l’on comprenne aussi que le terro- doivent demeurer ce qu’elles sont au plus risme islamique a toujours eu pour dénomi- profond de l’âme de chacun d’entre nous, nateur commun l’atteinte à la culture. Que soit une a"aire privée. l’on se souvienne de la destruction des temples Dès que l’on tue au nom de la religion, la en Afghanistan par les talibans, du rapt des guerre rôde à grands pas. Aujourd’hui, elle a lycéennes au Nigeria par la secte Boko Haram sévi à Paris. Et s’il est question de la France ou de l’attentat au musée juif de Bruxelles, en ce 7 janvier 2015, que celle-ci nous enseigne perpétré par le djihadiste français Mehdi GILBERT aussi ce qu’elle a peut-être de meilleur: la laï- Nemmouche. Les cibles du terrorisme isla- CASASUS cité. Non l’anticléricalisme, souvent outrancier mique sont connues: elles dénigrent toujours Professeur ordinaire et a"reusement réducteur. Mais une laïcité le savoir, l’éducation et la pensée. Comment en études du respect, du respect de croire ou de ne pas aussi ne pas se souvenir de Mohammed Merah européennes auprès croire, du respect de l’autre et de soi-même. qui, le 19 mars 2012 devant les portes de l’école de la Faculté des C’est là qu’intervient ce mot si galvaudé de et du lycée Otzar Hatorah de , assas- lettres de l’Université «tolérance» qui devrait peut-être disparaître de Fribourg. sina des écoliers juifs et leur professeur? Politologue, diplômé de nos tablettes. Peut-on être tolérant avec les La raison veut que l’on ne fasse pas le de l’IEP de Lyon et intolérants? Peut-on être tolérant aujourd’hui moindre amalgame. C’est là la voie de la docteur du avec les assassins de Charlie Hebdo? sagesse et de la retenue. Chaque dirigeant y Geschwister-Scholl- La force de nos sociétés démocratiques fera appel, car c’est là aussi son rôle et son Institut de l’Université réside dans leur volonté de résister aux excès. devoir. Mais rien ne sert de dédouaner cer- de Munich, il est De ne pas répondre œil pour œil, dent pour taines responsabilités. Certes, ce n’est pas la spécialiste des dent aux pires crimes de l’histoire. Il en sera religion musulmane qui est en cause. Mais, processus historiques aussi de même aujourd’hui. Et c’est bien qu’il et politiques en que l’on ne l’admette ou pas, nul ne pourra Europe. en soit ainsi. Par sa présence dans un rassem- contredire les mots qui suivent: si l’immense blement, par un geste simple, un dépôt d’unefleur majorité des musulmans ne sont pas des ter- ou une larme, voire par quelques mots écrits à roristes, tous les terroristes islamiques sont la va-vite, le citoyen sera digne. Car la dignité musulmans. Ce n’est pas une attaque, ce n’est est, a été et restera toujours la meilleure des qu’une constatation. réponses qu’il pourra adresser aux assassins, D’ailleurs, pourquoi demander aux ins- aux assassins de la culture, aux assassins de la tances musulmanes de s’expliquer, voire de liberté, aux assassins tout court. ■

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DESSIN ORIGINAL HANI HABAS

amin, je regardais Christophe Vuilleumier de sanctions, ce qu’il doit cher- Cabu à la TV. cher et ce qu’il doit trouver» GC’était l’époque alors que «l’historien n’accepte des polémiques chez Polac Les nouveaux aucun dogme, ne respecte avec François Cavana et aucun interdit, ne connaît pas Coluche. Et puis, il y a eu de tabous». le temps de Fluide glacial et martyrs «Aucun dogme, ni interdit, du Canard enchaîné qui repre- point de tabous» lorsqu’il est naient dans l’esprit feu Hara- L’AUTEUR question de «dire», une dé!nition Kiri, stoppé en 1970. Une ère qui s’applique tout autant aux cari- durant laquelle les bou"ons du caturistes qu’aux journalistes. roi étaient acceptés. Mieux! Ils Las, Cabu, Charb, Tignous et étaient plébiscités, aimés, ils faisaient Wolinski sont morts. Wikipédia a déjà partie d’un paysage plus politique que été modi!ée! On peut lire en tapant le nom culturel où l’ironie faisait rire. de Cabu: «mort assassiné le 7 janvier 2015 Et il y a eu le 11 septembre, un attentat lors de la fusillade au siège du journal Char- qui devait marquer le monde occidental et, CHRISTOPHE lie Hebdo», on comprend «mort assassiné lors sans doute, le monde tout court. Dès lors, la VUILLEUMIER du siège de la liberté». De caricaturistes, les «civilisation» entra en guerre contre la bar- Séjours académiques et voilà devenus martyrs. barie. Dès lors, les contraintes pesèrent pro- recherches ont fait parcourir C’est la pensée que l’on assassine… ■ gressivement sur un nombre grandissant de le monde à cet historien suisse, libertés. Dès lors, l’instrumentalisation des de Genève à Princeton, de Paris informations, des religions, de nos valeurs à Heidelberg, du Caire à Baalbek. Après les attentats allait connaître une inflation di#cilement Indépendant, il publie ses travaux en Suisse et à l’étranger. On lui du 11 septembre 2001, mesurable, l’ironie et la satire devenant des doit plusieurs contributions sur l’instrumentalisation des recours dangereux. l’histoire helvétique du XVIIe siècle Le 25 avril 2005, 19 historiens reconnus, et du XXe siècle, dont certaines informations, des religions, dont Elisabeth Badinter, Alain Decaux et sont devenues des références. Marc Ferro déposaient l’appel «Liberté pour Docteur ès lettres, il est président de nos valeurs allait l’histoire», signé par plus de 1000 intellectuels de la Société d’histoire de la Suisse connaître une inflation français, demandant l’abrogation de toutes romande, active dans le domaine les lois «historiques», soit la loi du 23 février éditorial, et membre de plusieurs di!cilement mesurable, 2005, la loi Gayssot, et la loi Taubira, a#r- comités de sociétés savantes. l’ironie et la satire devenant mant que ces lois ont, je cite, «restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine des recours dangereux.

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ous les matins, que j’exerce, je me sens je suis aussi en Grégoire Barbey !er d’être dans cette noble Ts é a n c e d e profession. Je n’aurai pro- rédaction. Je ne tra- La liberté d’expression bablement jamais à souf- vaille pas dans un jour- frir ce qu’ont vécu les jour- nal satirique. Celui nalistes de Charlie Hebdo. Je pour lequel j’écris n’est ne sera pas assassinée ne travaille pas sur le même pas aussi visible. J’ai fait segment. Mais même à mon mes premières armes chez niveau, on subit aussi des pres- Vigousse, le petit journal sati- sions, on reçoit des menaces. Et rique de Suisse romande, ce L’AUTEUR on continue, persuadé que l’on doit qui fait que j’ai côtoyé quelques se battre pour ce que l’on pense. Plus semaines le monde de la caricature. que jamais, je crois à l’engagement en Aujourd’hui, j’ai le cœur lourd. Une tant que journaliste. Je crois qu’il y a des dizaine de personnes ont été tuées au siège valeurs qu’il nous faut défendre et, parmi du journal Charlie Hebdo. On s’en est pris elles, celle de s’exprimer. Le dialogue doit à la liberté de pensée et à la liberté d’ex- être la seule solution aux désaccords. La pression. Qu’importe si ce sont des musul- violence est le fait des faibles et des lâches. mans fanatiques, des Français perdus qui GRÉGOIRE J’ai mal aujourd’hui, mal au cœur pour voulaient semer la confusion en faisant BARBEY Charb, pour Cabu, pour Wolinski et pour porter le chapeau aux islamistes. Tout cela Autodidacte, ayant Tignous, que je n’ai jamais connus. Ils seront, n’a pas d’importance. Nous ne pouvons débuté dans le je l’espère, le flambeau de la liberté de s’ex- que compter les morts et a"ronter ce gâchis, journalisme politique primer. N’oublions pas qu’ils sont morts en celui d’une société où l’on abat celles et et économique sans faisant ce en quoi ils croyaient. On n’avilit ceux qui pensent di"éremment, celles et avoir emprunté un pas la République en tuant ses membres, ceux qui luttent quotidiennement pour cursus universitaire en tuant ceux qui la font vivre, même indi- traditionnel, Grégoire s’exprimer en toute liberté. Je n’ai pu rete- Barbey est journaliste rectement. On la renforce. nir ma colère et mes larmes en apprenant et community la nouvelle. En découvrant, comme des manager à L’Agefi. e ne saurais dire toute la tristesse qui millions d’autres personnes, les images du Passionné par la s’empare de moi. Je ne peux expliquer massacre dans les journaux télévisés. Je politique, il est très J ce sentiment. Mais j’ai l’impression n’étais pas un lecteur de Charlie Hebdo. Je actif à Genève et sur physique, profondément physique, qu’on les trouvais parfois grossiers, souvent exces- les réseaux sociaux. est tous aujourd’hui un peu Charlie. Sinon sifs. Mais jamais je ne pourrais me résoudre Grégoire tient à quoi bon se lever tous les matins l’esprit à penser que ces journalistes l’avaient cher- également une plein de valeurs et de convictions? chronique politique ché. Ils étaient décalés, ils provoquaient. hebdomadaire les Hommage et condoléances à ces personna- C’était leur rôle. Et d’autres continueront lundis à 12 h 50 sur La lités qui ont succombé face à la terreur. ■ de le faire à leur place. Télé Vaud-Fribourg. PS: Vous êtes un petit homme, M. Freysinger ous découvrons avec e"roi Oskar Freysinger publie un article sur sa que même dans une répu- page Facebook en réaction à la tragédie de blique libre, la liberté n’est Charlie Hebdo. Il dénonce la «barbarie jamais acquise. Nous devons importée». Monsieur se prévaut des droits lutter pour la conserver, de l’homme (que lui-même et son parti Npour asseoir sa légitimité. La liberté de la attaquent depuis tant d’années) et ne res- presse, la liberté de pensée, la liberté d’ex- pecte pas la procédure usuelle d’un Etat de DESSIN ORIGINAL pression, ce sont des valeurs qu’un journa- NIC droit: les auteurs de l’attentat n’ont même liste doit être !er de porter. Aujourd’hui pas encore été arrêtés, semble-t-il, et leur plus que jamais, je me sens proche du métier identité n’avait pas été rendue publique à l’heure où il a publié son article. Qu’en sait- il, qu’elle a été importée? Qu’est-ce qui est «On n’avilit pas importé? Ces individus? La barbarie n’a jamais eu cours en Europe? Cette reprise la République en tuant politique m’a fait vomir. Quel petit homme ses membres, il est de reprendre politiquement cet évé- nement tragique pour rappeler de quel camp en tuant ceux qui la font il est. Ce manque de scrupule me tétanise. C’est ce même Freysinger qui avait atta- vivre, même indirectement. qué Vigousse en justice, et qui défend la On la renforce.» liberté de la presse. ■

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DESSIN ORIGINAL RUBEN L.OPPENEIMER

est une fois Charlie Hebdo renaîtra une encore un des- Jean-Pierre Gre! fois encore avec des journa- C’sin – œuvre de listes, dessinateurs orphelins, l’illustrateur hollandais mais qui n’auront rien perdu Ruben Oppenheimer – qui La liberté de pensée de la verve ni de la salutaire le dit avec le plus d’acuité: capacité d’inconvenance de deux crayons, verts, plan- et de création, leurs prédécesseurs. tés droits comme les deux On a tué Charlie Hebdo, vive tours du World Trade Cen- Charlie Hebdo! Il faut aujourd’hui, ter, ont été la cible de ceux un impératif plus que jamais, lire Charlie Hebdo qui assassinent au nom d’Al- et, collectivement, soutenir par lah. Le dessin, celui-ci parmi tous les moyens sa renaissance. bien d’autres, parvient à exprimer, catégorique Une telle tragédie, si elle frappe alors que les mots bégaient, l’hor- la conscience publique la plus large, reur, l’abjection, l’absurdité sans nom crée une émotion toute particulière dans qui nous sidèrent. L’AUTEUR une école d’art et de design – lieu embléma- On a ce mercredi 7 janvier perpétré un tique de l’institution de la liberté de pensée massacre d’humoristes et de dessinateurs et de création en tant qu’impératif catégo- satiriques. Oui, on peut, en 2015 et en France rique. Et plus encore lorsque celle-ci forme, même, mourir pour des dessins! Parmi les parmi des créateurs de toutes disciplines, des plus talentueux de deux générations succes- illustrateurs, des auteurs de BD et, parfois, sives, plusieurs dessinateurs français sont des dessinateurs de presse dont l’ambition morts aujourd’hui. La stupeur toujours et ultime et le rêve seraient, pour certains, de encore. Mesure-t-on l’escalade invraisem- JEAN-PIERRE rejoindre un magazine tel que Charlie Hebdo. blable de la terreur de cet assassinat collectif GREFF de journalistes-dessinateurs? Le projet d’éli- Ce professeur ais insistons un instant: miner un organe de presse tout entier, en d’histoire de l’art a été tout acte de culture, mitraillant sa conférence de rédaction, pro- nommé directeur de compris dans le sens cède d’un niveau de violence inouï, dans la la Haute école d’art et fort du terme, est émi- prétention insensée à éradiquer toute liberté de design-Genève en nemment politique par 2006 d’expression et de création. Il revêt une dimen- Mnature. Ainsi, l’école d’art elle-même. sion de type quasi «génocidaire» et à ce titre L’œuvre d’art dit: «J’existe, donc je suis marque une césure. libre!» Le dessin de presse, comme l’art «On a tué Charlie Hebdo», criaient les contemporain, comme le cinéma, le design assassins. NON, en dépit du massacre et de (extirpé de sa réduction fonctionnaliste) l’e" roi, ce projet-là, espérons-le, aura échoué. tiennent tout entier à leur capacité critique, ■ ■ ■

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■ ■ ■ au seul fait que leurs existences mêmes champ du droit, si précieux, que défendent relancent sans cesse la confrontation et le La critique des religions, les états démocratiques laïcs. Mais nous défen- débat – serait-ce sur le mode de la provo- de toutes les religions, drons toujours, sans concession, quel qu’en cation, de la satire, du blasphème (mot qui soit le prix, avec Ruwen Ogien (qu’il faut lire), hier encore nous paraissait si désuet…) – et est indispensable comme le droit et la liberté d’o"enser l’ordre et la qu’à ce titre ils a#rment la pluralité de la critique de toute idéologie. morale comme la religion qui ont partie liée. pensée et de croyance et l’échange comme Nous pleurons tous aujourd’hui «la mort indispensables au maintien et à la vie de La satire est l’un bête et méchante» (Zep) qui frappe Cabu, la démocratie. En réalité, cette actualité des moyens légitimes, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski… leurs tragique interroge au plus vif la conception collègues et ami-e-s, parmi lesquel-le-s Zineb que nous formons de la culture et de la e!caces, indispensables, El Rhazoui, militante pour un Maroc libre, création artistique. Nous pensons tous, je de cette critique. démocratique et laïc. crois, à la HEAD–Genève, que la culture, Dans cette guerre aujourd’hui décla- loin d’une fonction décorative, voire d’un rée simultanément aux valeurs de liberté vague «supplément d’âme», promeut un Toute religion, c’est une évidence sans et de démocratie de la République fran- mode de vie qui réinterroge sans cesse le provocation, procède de l’idéologie (quand çaise et à la création, à l’art et à la culture monde, en réinventant sans cesse ses propres elle n’est pas l’instrument des plus vils des- sous toutes ses formes authentiques, Cabu, formes, que l’art a une fonction non seu- seins politiques); la critique des religions, de Charb, Honoré, Tignous, Wolinski sont lement symbolique mais encore opératoire, toutes les religions, est indispensable comme devenus des martyrs et des héros. Morts qu’il informe le monde au sens propre de la critique de toute idéologie. pour notre liberté. On imagine leurs rires lui donner forme, quand bien même ces La satire est l’un des moyens légitimes, irrépressibles, tonitruants et ironiques, formes sont celles de la dérision, de la pro- e#caces, indispensables, de cette critique. à entendre pareille épitaphe. Ces rires vocation… Il nous faut réa#rmer avec force, face à toute nous sauvent. Ils conjurent notre in!nie Une culture, une création de plein exer- menace, quelle qu’elle soit, proche ou loin- tristesse, notre angoisse, notre désarroi. cice, est d’emblée essentiellement et intem- taine, notre droit irrévocable à la satire et Ils font un doigt d’honneur souverain aux pestivement un déni absolu de l’autorité, de notre droit au blasphème. Son éventuelle assassins de nos libertés les plus pré- l’ordre et des clôtures et interdits de toutes impertinence, face à telle situation politique cieuses. natures qui fondent l’idéologie fasciste dont ou géopolitique ou à telle menace, ses Salut Cabu, Charb, Honoré, Tignous, procèdent, en particulier, les fondamenta- outrances mêmes ne peuvent justi!er d’autres Wolinski, nous ne vous oublierons jamais; si listes religieux et toute tentative d’un pouvoir réponses que celles qui appartiennent aux aujourd’hui votre mort nous fait pleurer, vous politique théocratique dont l’archaïsme d’hier champs de la critique esthétique et du débat nous ferez marrer pour l’éternité! est devenu l’actualité d’aujourd’hui. intellectuel. Ou encore, tout au plus, au Inch’Allah! ■

est avec hési- Pierre Novello cière. J’avais tout de même tation que persévéré en lisant quelques C’ j’écris ce billet, années plus tard son fameux ne sachant trouver les mots Adieu, Antimanuel d’économie. Même pour exprimer ma peine et si j’étais loin d’être toujours ma tristesse en cette journée d’accord avec lui, je dois recon- de deuil. Je tenais toutefois à Oncle Bernard naître qu’il avait non seulement rendre hommage à la cinquième des idées, mais aussi qu’il aidait son victime connue, mais moins que les L’AUTEUR lecteur à changer de perspective. J’ap- géants du dessin de presse assassinés préciais d’ailleurs toujours ses interven- ce 7 janvier. Je veux parler de Bernard tions dans l’émission C dans l’air, où son Maris, qui n’était, entre guillemets, que talent de communicateur faisait merveille. chroniqueur économique sous le sobriquet Oncle Bernard, tu nous manqueras! ■ d’Oncle Bernard. Si j’avoue n’avoir jamais lu ses chro- niques dans Charlie Hebdo, qui n’était pas Même si j’étais loin d’être franchement ma tasse de thé, j’ai admiré PIERRE NOVELLO toujours d’accord avec le brillant économiste, frondeur et quelque Journaliste économique indépendant Bernard Maris, je dois peu iconoclaste. Je l’avais découvert dans et auteur d’ouvrages de vulgarisation un livre sur la Bourse il y a une quinzaine dans le domaine de la prévoyance, reconnaître qu’il avait non d’années. Ouvrage qui m’avait d’ailleurs de l’investissement sur les marchés quelque peu agacé par le ton péremptoire financiers ou encore pour l’accession seulement des idées, mais utilisé. Et sans doute aussi parce qu’il met- à la propriété de son logement. aussi qu’il aidait son lecteur tait en question quelques-unes de mes certitudes en matière économique et !nan- à changer de perspective.

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ibérale et devenir un crime s o c i a l e, Cette chronique a été publiée le 2 0ctobre puni sévèrement, de L l’Europe dernier après la décapitation de plusieurs manière à dissua- de la seconde otages de l’Etat islamique. A la suite de der les opérateurs m o i t i é d u l’attentat qui a visé «Charlie Hebdo», l’avocat amoraux. XXe siècle a P u n i r l a modernisé la genevois persiste et signe à demander la peine simple participa- r é p r e s s i o n de mort pour les terroristes assassins. tion à ces mou- pénale. Diminu- vances crimi- tion des homi- Charles Poncet nelles. Il est cides, baisse t o t a l e m e n t générale de la absurde qu’un violence et consi- Suisse s’enrôlant dérations humani- Terrorisme: dans la Légion taires ont induit étrangère commette l’abolition de la peine à Messieurs un délit, mais pas le de mort, la suppression déboussolé qui part en des bagnes, etc. Des trois Syrie, en Irak ou en Soma- objectifs traditionnels de les assassins lie. la peine – prévention géné- Déchoir de la nationalité. rale, punition du coupable et Quiconque «prend du service» son amendement –, c’est le troi- L’AUTEUR chez les assassins sera déchu de la sième qui l’emporte: psychiatres, édu- nationalité suisse et expulsé à vie. Réduit cateurs et travailleurs sociaux se relaient au statut d’apatride, qu’il aille tester la au chevet de criminels tenus pour des qualité des systèmes sociaux au Yémen ou malades que la société doit soigner, parfois au Pakistan. avec des résultats louables. Adapter les textes. Modi!er la dé!nition Jacques Pilet soulignait récemment pénale de l’organisation criminelle pour dans ces colonnes à quel point l’apparition qu’elle inclue sans hésitation possible les d’une mouvance «islamique» adoptant des CHARLES mouvances terroristes et punisse plus sévère- comportements de sauvages chamboule PONCET ment qu’aujourd’hui le !nancement du nos schémas de pensée, au point qu’on Avocat, docteur en terrorisme, renforcer les conventions inter- voit un président américain poursuivre la droit, diplômé de nationales en la matière, etc. chimère de battre les terroristes en Syrie l’université de Punir le recrutement et la propagande. sans pour autant soutenir le régime Assad! Georgetown Qui s’y livre risquera prison, expulsion, (Washington D.C), Le même paradoxe s’applique à la conjonc- député au Grand con!scation et liquidation des «associa- tion nouvelle issue de formes nouvelles Conseil genevois, puis tions» impliquées. d’une criminalité atroce, bestiale et exhi- Conseiller national, S’informer. Les services de renseigne- bitionniste: il y faut une réponse nouvelle, il est aussi auteur de ment suisses sont, au mieux, médiocres. dont les éléments essentiels n’ont rien d’un nombreuses Les travaux parlementaires en cours doivent catalogue à la Prévert: publications. changer de cap. Il faut admettre que des Rétablir la peine de mort. Les auteurs citoyens suisses seront tôt ou tard pris dans de ces assassinats, leurs complices et leurs ces mouvances et la Confédération doit instigateurs sont sans aucun espoir de pouvoir compter sur des opérateurs com- rédemption: ils méritent douze balles dans pétents et disposant des pouvoirs néces- la peau. Cela suppose que des Etats comme saires. la Suisse – qui ont aboli la peine de mort Renforcer le Ministère public fédéral, qui et se sont engagés à ne pas la réintroduire est aujourd’hui très moyen. Il y faut des – adaptent la Convention européenne des forces nouvelles, jeunes et polyglottes, droits de l’homme à la réalité nouvelle. La capables de poursuivre et de démolir les peine de mort ne dissuade pas les criminels thuriféraires de la terreur, dans une unité mais elle rassure une opinion publique qui spécialement formée à cet e"et. doute aujourd’hui de la fermeté de ses Utiliser la justice militaire. La Suisse a gouvernants. des tribunaux militaires, miliciens, indé- Couper les sources de revenus. Pour la pendants et sous-employés. Leur donner première fois dans l’histoire, des groupes la compétence de juger ce genre de terro- terroristes disposent de moyens !nanciers ristes serait sans doute mieux avisé que illimités: ils capturent des puits de pétrole d’exposer des magistrats aux attentats. et en vendent l’or noir. L’achat, le courtage Faut-il pour autant voter Le Pen ou ou le transport de leur pétrole doivent élire des bataillons d’UDC à chaque occa- ■ ■ ■

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DESSIN ORIGINAL ALAIN AUDERSET

■ ■ ■ sion propice? S’il est vrai que compter plexes, qui ne sont guère à leur portée. sur le PDC pour prendre des mesures Les auteurs Lorsqu’une démocratie est en danger – et courageuses relèverait de l’aveuglement la nôtre court aujourd’hui un vrai risque – le «centre» est incapable de choix clairs, de ces assassinats, –, le salut vient de l’alliance traditionnelle il fait du marketing politique, flotte au leurs complices entre la droite libérale et les sociaux- gré des impressions du moment et la démocrates dans les moments di#ciles: girouette lui tient lieu de boussole –, et leurs instigateurs ils savent s’entendre quand les principes mettre la droite «musclée» aux a"aires sont sans aucun fondateurs de l’Etat sont remis en ques- serait tout aussi illusoire: une fois élus, tion. Ils sauront faire face aux dévoyés ses sectateurs exhibent en général leur espoir de rédemption: de ce début de siècle, qui assassinent, impéritie. Ils s’agitent sur l’avortement ils méritent douze balles violent et torturent au nom d’une identité ou le contenu des bibliothèques munici- religieuse dont ils trahissent et l’essence pales, mais négligent les questions com- dans la peau. et le message séculaire. ■

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DESSIN ORIGINAL ZEP

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C M Y K TUNIS Manifestation de soutien près de l’ambassade française, dans la capitale tunisienne, le 7 janvier 2015.

«Nous sommes tous Charlie» Résistance. Des rassemblements ont eu lieu dans le monde entier par solidarité avec les victimes

de l’odieux attentat et pour a!rmer que la barbarie ne vaincra pas. REUTERS

C M Y K ÉDITION SPÉCIALE KEYSTONE PARIS Des milliers de personnes se sont rassemblées place de la République mercredi soir, et une nouvelle manifestation est prévue ce soir. KEYSTONE KEYSTONE DUKAS LAUSANNE Sur la place de la Riponne, des GENÈVE Environ 500 personnes ont rendu un MILAN L’ancien ministre italien de la Défense, bougies ont été allumées. hommage silencieux devant Uni Mail. Ignazio La Russia, devant le consulat de France. DUKAS DUKAS AFP BRUXELLES Rassemblement devant le BERLIN Les Berlinois ont manifesté leur soutien LONDRES «Je suis Charlie», en français, à Parlement européen. devant la porte de Brandebourg. Trafalgar Square.

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C M Y K ÉDITION SPÉCIALE AFP NEW YORK Mercredi soir, des drapeaux tricolores flottaient sur Union Square, une des places principales de Manhattan. Il y avait là des expatriés français chantant «La Marseillaise», mais aussi des Américains venus témoigner leur solidarité. AFP AFP AFP RIO DE JANEIRO «Somos todos Charlie»: même PAPEETE La Polynésie rend hommage aux WASHINGTON Une dizaine de personnes réunies le Brésil est sous le choc. victimes: un millier de personnes au centre-ville. dans le froid, devant le musée de la presse. DUKAS AFP AFP MONTRÉAL Les manifestants se sont rassemblés CALGARY La communauté française s’est donné NOUMÉA Ils étaient un millier à brandir des devant l’hôtel de ville. rendez-vous devant la mairie. a!chettes dans la capitale de la Nouvelle-Calédonie.

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C M Y K ÉDITION SPÉCIALE AFP PARIS Les journalistes et le personnel de l’Agence France-Presse, aux fenêtres du bâtiment avec dans les mains la pancarte «Je suis Charlie», ont observé une minute de silence ce jeudi 8 janvier à midi. Un moment de recueillement qui a été observé dans de nombreuses entreprises et dans tous les services publics.

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«S’il y a une chose «On est tous Français, parce que qui ne sera jamais nous pensons que la liberté, c’est la seule raison d’être de l’Europe enlevée à Charlie et des citoyens européens.» Hebdo, c’est son MATTEO RENZI, président du Conseil italien, en français, Il corriere della sera courage.» NATALIE NOUGAYRÈDE, The Guardian, 7 janvier 2015 «Je suis sûr que Charb s’est levé «Ils sont morts comme des martyrs, mais ils n’étaient pas des saints. Ces emmerdeurs par pour les traiter vocation auraient d’ailleurs détesté ça. Je n’ai jamais aimé Charlie Hebdo: trop vulgaire, trop crade, de cons. (…) Il faut trop too much. Même l’anarchisme assumé qu’on sorte et !nalement assez équitable (j’emmerde tout le monde) de ses journalistes et dessinateurs ou leur un journal encore mauvaise foi jubilatoire n’ont jamais réussi à susciter mon adhésion comme lecteur ou abonné. meilleur, je ne sais Au lendemain de ces assassinats d’une lâcheté pas comment, indicible, je me rends compte que ma nonchalance était un luxe de beau temps démocratique. (…) Je mais on va le faire, n’aime pas Charlie Hebdo, mais je vais m’abonner.» TIBÈRE ADLER, Avenir Suisse, 8 janvier 2015 on va l’écrire avec nos larmes.» «Ils sont morts parce que , L’Exp ress (iTélé), 8 janvier 2015 c’étaient des soldats de la liberté. (…) «Je pense que c’est un nouveau 11 septembre de la pensée libre. La liberté, ce n’est pas Et la liberté, c’est la nôtre.» un problème de dessinateurs, ce n’est pas ROBERT BADINTER, Journal de 20 h, France 2, 7 janvier 2015 un problème de journalistes, mais de citoyens du monde.» PLANTU, Journal de 20 h, France 2, 7 janvier 2015 «12 morts, 66 millions «Ça fait dix ans de blessés.» qu’on s’y prépare PHOTO DE LA PLACE DE LA RÉPUBLIQUE publiée sur Facebook sur la page «Soutien à Charlie Hebdo et à la liberté d’expression», 8 janvier 2015 et on sait qu’être journaliste, c’est ça.» CAROLINE FOUREST, Journal de 20 h, France 2, 7 janvier 2015

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«Ils étaient des symboles de la génération 68, dont «Chers terroristes, on dit tant de mal, mais dont nous sommes des milliers on oublie qu’elle a ferraillé sans cesse pour plus de gros lourds à l’humour de liberté.» déplorable dans une salle LAURENT JOFFRIN, édito de Libération, 8 janvier 2015 de rédaction appelée Internet. Bonne chance…» «C’est l’encre TWEET DE LIONEL DRICOT (@PLOUM), 7 janvier 2015 «J’ai perdu tous mes amis qui doit couler. aujourd’hui. (…) La terreur ne doit pas empêcher la Pas le sang.» joie de vivre (…). Les IMAGE D’UN TWEET PAR REPORTERS SANS FRONTIÈRES idéaux à la con, la (@RSF_RWB), 8 janvier 2015 démocratie, c’est quand même ça qui est en jeu. (…) C’étaient des gens qui voulaient juste qu’on vive heureux. (…) Il faut «Ils ont voulu faire continuer à rire, c’est l’arme absolue.» , vidéo YouTube, France Inter, plier la France 7 janvier 2015 à genoux et ils l’ont mise debout!»

PHOTO SUR LA PAGE DE SOUTIEN À «CHARLIE HEBDO» «Soutien à Charlie Hebdo et à la liberté d’expression», 8 janvier 2015 «Les terroristes nous confirment qu’il n’y a pas de liberté sans journalistes.» «La réponse à l’horreur EZIO MAURO, La Repubblica, 8 janvier 2015 de Paris est plus d’écriture et de rire sceptique, même si c’est di!cile en ce moment. Des journalistes ont été tués, «Ami, si tu tombes, mais le journalisme est vivant et nous allons honorer un ami sort de l’ombre leur mémoire au mieux à ta place.» en continuant de faire «LE CHANT DES PARTISANS», cité par Jean-François Kahn notre travail.» JOAN SMITH, The Guardian, 7 janvier 2015

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KHALID ALBAIH Très engagé politiquement, cet artiste soudanais est aussi caricaturiste, illustrateur, designer et écrivain. Son dessin met en lumière la situation ambiguë des musulmans, considérés comme étant des terroristes par les uns ou des infidèles par les autres. Les angoisses du monde arabe Revue de presse. L’attentat contre «Charlie Hebdo» aura-t-il pour les musulmans les mêmes conséquences que le 11 septembre 2001? C’est la crainte de la majorité des journaux du monde arabe, qu’ils soient arabophones, francophones ou anglophones, qui préviennent contre les risques d’amalgame.

SOU’AL HEMMA ET FATIMA SATOR ALGÉRIE des victimes, rappelant qu’en Algérie le Le quotidien El Watan craint une remon- sang a aussi coulé. «Solidaires des familles La presse du monde arabe, qu’elle soit tée de l’islamophobie. «Comme lors des et du peuple français, nous sommes les arabophone, francophone ou anglophone, a attaques du World Trade Center, en sep- mieux placés pour comprendre la colère qui réagi de manière très factuelle. Ainsi, rares tembre 2001, les regards vont de nouveau monte. Mais les amalgames ne servent ni sont les prises de position des éditorialistes, être braqués sur la communauté musulmane la vérité, ni la justice», écrit le fondateur et quand elles ne sont pas inexistantes, dans les de France et de la majorité des pays d’Occi- chroniqueur du quotidien Maâmar Farah. journaux du Qatar, de l’Egypte, du Yémen dent», annonce Ali Boukhlef. Le journaliste www.lesoirdalgerie.com ou encore de la Libye. Seuls le Liban et les cite notamment le cas de la Suisse où la Etats du Maghreb ont réellement commenté controverse a été poussée jusqu’à donner Alors que les journaux du pays se sont le massacre. A croire que la liberté de la lieu à une initiative populaire lancée contre montrés compatissants, le quotidien ara- presse est trop récente dans ces pays pour la construction de minarets dans le pays. bophone Al Khabar s’est quant à lui démar- qu’ils s’expriment avec la même vigueur www.elwatan.com qué en titrant: «Charlie Hebdo paie le que les médias occidentaux. Le Soir d’Algérie compatit avec les familles prix de Charia Hebdo». Et d’argumenter

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Le deuil universel de BD-FIL

Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, PROFIL Honoré… Parmi les victimes de l’attentat d’hier contre Charlie Hebdo !gurent plu- sieurs de nos héros. Ils avaient fait de DR nous des adultes, DOMINIQUE MAZEN KERBAJ Dessinateur, cet artiste libanais est également peintre et trompettiste. Une allusion nous revoilà des RADRIZZANI à René Descartes, triste mais criante de vérité dans le cas de l’attaque perpétrée contre «Charlie Hebdo». enfants. Après avoir fondé le Les politiques Centre national du en énumérant les dessins chocs de Charlie Tignous, morts pour la liberté d’expres- mesurent la catas- dessin et dirigé le Musée Jenisch de Hebdo et en rappelant l’ouvrage La vie de sion», titre le quotidien Libération. Sans trophe à l’échelle 2004 à 2012, il a été Mahomet. «Dès lors que le journal a publié pour autant prendre davantage position. d’une nation et de nommé en mars les caricatures du prophète Mahomet, les www.libe.ma son passé récent: la dernier à la tête du relations avec le monde musulman se sont Cinquième Répu- festival lausannois détériorées.» TUNISIE blique. Nous crai- BD-FIL. www.elkhabar.com/ar/ «Les tireurs auraient ainsi perpétré ce car- gnons que la Répu- nage au nom de l’islam, salissant encore blique qui saigne ARABIE SAOUDITE plus notre sublime religion et aggravant les aujourd’hui ne la L’attentat contre Charlie Hebdo «met les confusions et les amalgames à son sujet», dépasse jusqu’à contenir toutes les autres. musulmans dans l’embarras car les groupes regrette GlobalNet sous la plume d’un ano- Dans la République des arts, le Dessin est extrémistes européens vont exploiter l’inci- nyme, H.J. Qui appelle les musulmans du sûrement la forme la plus libre, la plus dent pour attiser l’islamophobie», redoute le monde entier à se réveiller avant qu’il ne organique et la plus universelle. Les trois quotidien Al-Charq. Il souligne par ailleurs soit trop tard et à montrer la religion sous qualités qui dérangent le plus. que les extrémistes de tout bord «portent son vrai jour. atteinte aux communautés musulmanes» www.gnet.tn/temps-fort/ C’est, dans l’histoire en Occident. LIBAN de l’homme et sur MAROC Les réactions au Moyen-Orient étant Ahmed Benchemsi, fondateur de l’heb- rares, les journalistes du quotidien libanais la carte du monde, domadaire TelQuel et directeur du maga- L’Orient-Le Jour font alors !gure d’excep- zine en ligne freearabs.com, est également tion. S’identi!ant à la presse occidentale, le plus e!royable l’un des seuls journalistes marocains à ils s’unissent contre la culture de la violence attentat contre la avoir pris position après l’attentat: «J’ai été et s’interrogent sur les moyens de résister très touché. D’abord, parce que c’est une au terrorisme. «Le sang qui a coulé hier à République du Dessin. journée noire pour la liberté d’expression, Paris a été accueilli par des tirs de joie à pour la liberté tout court. Ensuite, en tant Aïn el-Héloué, camp de réfugiés situé dans Elle possède désormais que professionnel et journaliste. Charb, le sud du Liban», rappellent-ils toutefois. son triste Ground Cabu, Wolinski, Tignous… Savoir que ces Avant de temporiser: «Si elle est le fait monuments de l’humour, de la culture et de la présence de groupuscules islamistes Zero. Nous sommes de l’intelligence sont morts, à cause d’une radicaux dans le camp, cette réaction n’est balle tirée par un crétin, est totalement toutefois pas représentative de la rue sun- tous Charlie et BD-FIL insupportable.» nite libanaise qui a largement condamné déclare un deuil http://freearabs.com cet acte de barbarie, exprimant néanmoins des réserves sur la sacro-sainte liberté de universel. «La barbarie frappe en plein Paris. Char- la presse.» lie Hebdo pleure Charb, Cabu, Wolinski et www.lorientlejour.com ■ ■ DOMINIQUE RADRIZZANI

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MOT CLÉ LÉGENDE. Légende In pelit et verumquiandi que nihicab orempori oditem quiam Solores moluptaquam facepudi ario te illandae volorei umquame culpa vellaccum que si

CHRISTOPHE PETIT TESSON/MAXPPP PARIS, RUE NICOLAS-APPERT Des gens rendent hommage aux victimes devant le bâtiment de l’hebdomadaire Charlie Hebdo. «Ça devait arriver» Reportage. L’attentat perpétré contre «Charlie Hebdo», le plus grave commis en France depuis 40 ans, a décimé la rédaction. Cette attaque a fait en tout douze morts, onze blessés, dont quatre grièvement. Et horri!é la France.

ANTOINE MENUSIER PARIS auraient été tués par les assaillants, trois indi- Boulevard Richard-Lenoir, à proximité du vidus encagoulés vêtus de noir et armés de lieu de l’attentat, un membre des forces de «Un acte d’une barbarie exceptionnelle.» fusils automatiques. Quatre autres personnes, l’ordre en civil, parlant dans un talkie-walkie, Ce sont les mots du président de la Répu- blessées, étaient dans un état grave en milieu s’entretenait avec l’un de ses collègues de la blique, François Hollande. Les dessinateurs d’après-midi. possibilité que le plan Vigipirate soit élevé au Charb, Cabu, Wolinski et Tignous sont morts Des images tournées par des voisins niveau «écarlate», le plus élevé. mercredi dans l’attaque terroriste perpétrée montrent l’un des terroristes en train d’ache- en !n de matinée au siège de la rédaction de ver un policier blessé. «Allah akbar», «le Pro- SOUS SURVEILLANCE JOUR ET NUIT l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, dans phète est vengé», «on a tué Charlie Hebdo», Décimée, la rédaction de Charlie Hebdo paie le XIe arrondissement de Paris. Au total, douze entend-on aussi, en guise d’auto-satisfecit, donc, aux yeux de ses assassins, pour des personnes, dont l’économiste et chroniqueur dans une vidéo. Les assassins ont pu prendre caricatures de Mahomet parues dans ses Bernard Maris, ainsi que deux policiers, la fuite en voiture. En début d’après-midi, colonnes: une première fois en 2006, par soli-

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KEYTONE CHARB EN 2012 Le directeur de la publication Stéphane Charbonnier avec un numéro contenant des caricatures de Mahomet qui fait référence au film «Intouchables». darité avec un journal danois qui les avait ce ne sont que des déséquilibrés», chose à travail à vélo a été tué à coups de couteau par publiées en premier, une deuxième fois en laquelle elle ne croit manifestement pas beau- trois personnes. Franchement, ça nous 2011 après l’accession du parti islamiste Enna- coup. dégoûte.» hda au pouvoir en Tunisie et en!n en 2012 lors Quatre ou cinq jeunes femmes, les yeux de la polémique autour du !lm pastiche L’in- mouillés de larmes, forment un petit cercle. LA CRAINTE DES AMALGAMES nocence des musulmans. On se souvient notam- Ce sont des Femen, dont Inna Shevchenko, Une femme, la soixantaine, est en pleurs. «Ça ment du dessin de Cabu, en 2006, illustrant leur leader. «Ceux de Charlie, c’étaient nos recommence! Après les attentats de la rue le Prophète, «débordé par les intégristes» et amis», raconte l’une d’elles. «Pour mon anni- Copernic, de la rue de Rennes, du métro se désolant d’«être aimé par des cons»; de versaire, il y a deux ou trois mois, Charb Saint-Michel, ça recommence! Ils s’en prennent celui de , six ans plus tard, inspiré du Mépris m’avait fait un dessin. Il m’avait dit que ce à nous!» «A la presse!» intervient une passante. de Godard: «Et mes fesses? Tu les aimes, mes dessin prendrait de la valeur après sa mort…» «Oui, à la presse et à nous», reprend la dame. fesses?» Deux ouvriers du bâtiment ont rejoint la Dominique Sopo, dirigeant de SOS La rédaction du satirique avait déménagé quarantaine de journalistes maintenus par un Racime, craint «les amalgames». «Les amal- à plusieurs reprises, quittant le centre de Paris cordon de police à distance des lieux de l’at- games, c’est précisément ce que recherchent pour l’est de la capitale, boulevard Davout, tentat. Ils viennent d’un chantier voisin, ce ceux qui commettent de tels actes.» puis s’installant, après que ses locaux eurent sont des Tunisiens, originaires de Sousse. «On Dans une rue proche de la place des Vosges, été visés par un ou plusieurs cocktails Molo- n’aime pas ça, on est contre ça, en France et on aperçoit Alain Genestar, l’ex-directeur de tov, rue Serpollet, dans le XXe arrondissement en Tunisie, dit l’un, commentant la tuerie. la rédaction de Paris Match et fondateur du toujours, en quasi-bordure de périphérique, Lundi, à El Fahs, près de Kasserine (dans magazine photo Polka. Il connaissait Georges dans un quartier de type HLM, où elle était l’ouest de la Tunisie), à 4 heures du matin, Wolinski, un collaborateur de longue date de placée sous protection policière. Apparem- rapporte-t-il, un policier qui revenait de son Match. «C’était un ami qui suivait l’aventure ment, peu de gens savaient que la bande de de Polka. Il venait à nos vernissages. En 2006, Charlie avait ensuite élu domicile dans le XIe. pour les cinq ans de la chute des talibans à Cette femme d’une cinquantaine d’années, «Ça recommence! Kaboul, on s’était rendus avec une équipe de voisine de la rédaction de l’hebdomadaire, Après les attentats de la Match dans la capitale afghane. Il en faisait l’ignorait, bien qu’elle eût remarqué dans les partie. Ç’avait été l’un des moments les plus parages une voiture de police, «présente jour rue Copernic, de la rue forts de sa vie, disait-il.» Jusqu’à cet autre et nuit». «Ça devait arriver», dit-elle, alors de Rennes, du métro moment, mercredi, le plus moche, celui de que François Hollande est présent sur les lieux sa mort et de celle de ses camarades. Un du drame. «Lui, je préfère ne pas le voir», Saint-Michel, Franco-Algérien se remémorait la guerre civile ajoute-t-elle à propos du président de la Répu- ça recommence! en Algérie des années 90, et redoutait un tel blique. «A les entendre, enchaîne-t-elle, s’ar- scénario pour la France. Dans l’immédiat, rêtant sur le pro!l des auteurs de l’attentat, Ils s’en prennent à nous!» c’est l’«unité nationale» qui prévaut. ■

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CARICATURES DE MAHOMET Cette série de douze dessins publiée dans le journal danois «Jyllands-Posten» le 30 septembre 2005 illustrait un article consacré à l’autocensure et à la liberté de la presse. Elles répondaient à l’écrivain Kåre Bluitgen, qui se plaignait que personne n’accepte d’illustrer son livre sur Mahomet après l’assassinat du réalisateur hollandais Theo van Gogh. Ces caricatures ont été republiées par «Charlie Hebdo» en 2006 «par solidarité et par principe», accompagnées d’une couverture signée Cabu montrant Mahomet la tête entre les mains et clamant «C’est dur d’être aimé par des cons...». Le début des menaces à l’encontre de «Charlie Hebdo».

DR

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La chronique de Jean-François Kahn Ami si tu tombes…

C’ÉTAIT UN GIMMICK ENTRE NOUS. commentaires qu’ils nous infligeaient Un certain chevalier de La Barre Depuis que j’avais engagé Tignous, il y a dix ans. fut brûlé vif pour cela. Aujourd’hui, le caricaturiste le plus doué peut- Tous fauchés par les mêmes les inquisiteurs, incultes ceux-là, être de la nouvelle génération, à rafales. Et aussi Philippe Lançon, sont armés de kalachnikovs. Au nom L’Evénement du Jeudi, puis à Marianne, grièvement blessé, ce chroniqueur de ceux qui bravèrent le bûcher, chaque fois que nous nous rencon- littéraire de Libération, extrêmement bravons leurs kalachnikovs. trions, je lui lançais, ironiquement: doué, à qui j’avais mis le pied à CAR IL S’AGIT DE RELEVER LE DÉFI «Alors, Tignous, toujours de l’étrier, il y a vingt ans, à L’Evénement DE LA BARBARIE. Les tueurs veulent gauche?» Il l’était, en e!et, profon- du Jeudi. Mais d’autres terroriser. La moindre dément, de gauche. Lui. Assez pour aussi, moins célèbres hésitation de notre part, que les oreilles du président François peut-être, dont des poli- Ils sont tombés, la moindre prudence, la Hollande si"ent. Il le restera donc. ciers, martyrs de la nous devons moindre esquisse de De gauche. Pour l’éternité. même cause, comme prendre leur compromission intel- Car il est tombé. Au front. Au encore, faut-il le rappe- place. C’est- lectuelle reviendraient combat. Je serais presque tenté d’em- ler, ces centaines de mil- à-dire accepter donc à intégrer leur stra- ployer cette expression, que j’ai long- liers d’Algériens, de les risques tégie. C’est pourquoi j’ai temps trouvée ridicule: «au champ Syriens, d’Irakiens, de qu’ils ont pris. préconisé de republier, d’honneur!». Crayon à la main. Son Somaliens, de Nigé- Tous les risques. à la une de tous les jour- arme à lui. Prêt à démasquer d’un riens, d’Afghans, de naux, certains des des- trait (car il avait cette supériorité Russes, de toutes les sins pour lesquels les sur beaucoup d’entre nous que croyances, musulmans caricaturistes de Charlie quelques traits lui su#saient) ce que dans leur immense majorité, qui Hebdo ont été exécutés. Voltaire appelait «l’infâme»: l’obs- sont tombés sous les coups de ces Gardons-nous, cependant, de curantisme à front de taureau. L’al- minables sataniques que l’on appelle, deux dérives: le déni et l’amalgame. liance incestueuse de la connerie par euphémisme, comble de la dif- Le déni découle de la peur de sans rivage et de la saloperie sans famation impie, des «fous de Dieu». nommer l’adversaire, qui est aussi frontières. Nous avons pleuré intérieure- le coupable. Quitte – ce à quoi on ment. Beaucoup. Nous avons eu a assisté mercredi – à laisser au Front ILS L’ONT TUÉ. LUI ET TOUS CEUX! droit à une cataracte de déploration national le monopole de cette dési- LÀ DONT JE ME SENTAIS SI PROCHE, solidaire. Tant mieux! Mais, derrière gnation; quitte à inciter les crétins Cabu en compagnie duquel j’avais les mots, fussent-ils dégoulinant de à proférer le pire, parce qu’on s’in- fêté – si on avait su$! – le passage à nos larmes, tartinés de toute la com- terdit de dire le vrai. Folie! la nouvelle année. Cabu dont le passion du monde, quoi? visage éternellement enfantin rayon- Il y a, dans ce qui fut un chant L’AMALGAME CONSISTE À ÉTENDRE nait d’une telle gentillesse, d’une de résistance, cette strophe magni- À L’ISLAMISME EN GÉNÉRAL et, par telle bonté qu’on comprenait, alors, %que: «Ami si tu tombes, un ami extension, à l’islam, le champ de la qu’il puisse devenir si talentueuse- sort de l’ombre à ta place». La seule culpabilité. Or, le combat qu’il nous ment féroce quand passait à la por- réponse est celle-là, précisément: faut, et qu’il nous faudra hélas mener, tée de sa plume la méchanceté au ils sont tombés, nous devons prendre est, répétons-le, celui au nom duquel bras de la bêtise. Wolinski, ce monu- leur place. C’est-à-dire, soyons pré- des centaines de milliers de musul- ment. Et Bernard Maris. Est-on cis et clairs, accepter les risques mans, en Algérie et en Syrie en par- conscients de ce qu’on perd avec qu’ils ont pris. Tous les risques. ticulier, sont déjà morts. Ils se sont Bernard Maris: un économiste, un Je n’aime pas le blasphème, qui battus pour nous, sans tomber au vrai, mais qui – car, oui, ça existe, n’est, à mes yeux, qu’un enfantillage. nom de nos valeurs. On les a trop oui, c’est possible – ne moulinait Mais contre cette monstruosité men- souvent abandonnés, quand on ne pas inlassablement la même doxa tale qui consiste à transformer toute les a pas poignardés dans le dos. Ce prémâchée que la plupart de ses critique d’une croyance en blas- sont nos alliés. Il serait suicidaire confrères qui ne pourraient pas, eux, phème, eh bien, je suis prêt à assu- de les rejeter dans le camp de l’en- sans honte, republier un seul des mer le blasphème. nemi. ■

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C M Y K POLÉMIQUE Faut-il malgré tout lire le dernier ouvrage de Michel Houellebecq? Oui, répond Isabelle Falconnier.

Analyse. Alors que le livre «Soumission» – qui aborde la relation de l’Occident à l’islam – sort de presse, l’horreur est commise au nom d’Allah. Michel Houellebecq contre «Charlie Hebdo»

ISABELLE FALCONNIER le considérant plus comme «la religion la plus con», sortie qui lui avait valu un procès en 2002. Mercredi 7 janvier. Soumission, le nouveau livre de Michel Houellebecq, qui raconte le destin d’un professeur de littérature SIDÉRATION de la Sorbonne se convertissant à l’islam dans une France de l’an Mercredi 7 janvier. Un commando de deux tueurs crie «Allah 2022 qui vient de porter au sommet du pouvoir politique le repré- akbar! Nous avons vengé le Prophète!» après avoir assassiné douze sentant d’un parti musulman modéré, sort en librairie après des personnes, dont Charb et quatre autres dessinateurs, dans les semaines d’un exceptionnel buzz médiatique. Le débat autour de locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, celui-là même l’écrivain fait rage: est-il pour ou contre l’islam? Cherche-t-il à qui avait publié des caricatures de Mahomet en 2006. Les rubriques nous faire peur ou à nous convaincre de nous convertir, comme politiques et culturelles des médias, qui toutes sans exception son héros, qui trouve du réconfort dans cette religion? Après de s’écharpaient à propos du nouveau Houellebecq et préparaient les longues semaines de (quasi-) silence médiatique, les journalistes articles et reportages accompagnant sa sortie en librairie, connaissent réussissent en!n à lui parler. Il apparaît sur le plateau du téléjour- un moment de sidération inédit. Les newsmagazines hebdomadaires nal de David Pujadas (qui lui-même apparaît dans Soumission), qui bouclent le mardi ont tous envoyé leurs articles sur Soumission lequel aura beau poser trois fois la question: «Avez-vous conscience à l’imprimerie, et commencent à le regretter. Julien Sansonnens, d’alimenter les peurs?», il n’obtiendra pas de réponse de l’écrivain, écrivain suisse et homme politique de gauche, retire la critique du qui se borne à préciser que l’islam qu’il décrit dans son livre n’est roman qu’il avait postée sur son blog quatre jours auparavant. «A pas radical, même s’il prône le retour des femmes au foyer et la l’évidence, après cette barbarie, explique-t-il, on ne peut plus par- polygamie. A France Inter, dans la matinale de Patrick Cohen, ler de ce livre de la même manière, les mots perdent de leur sens.» rebelote, l’écrivain refuse que l’on considère son livre comme poli- Jeudi 8 janvier. L’Hebdo sort en kiosque avec six pages consa- tique, con!rmant simplement qu’il a changé d’avis sur l’islam, ne crées à Soumission. Le Nouvel Observateur sort en kiosque avec une ■ ■ ■

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■ ■ ■ grande photo de Houellebecq en couverture et une citation ter- peur, de quête de sens, de valeurs, où se mêlent désormais rible: «J’ai survécu à toutes les attaques». L’ironie est totale. Le rage et larmes. clash de temporalité entre ces deux actualités n’a jamais été aussi Houellebecq ne fait qu’une chose: parler très précisément de troublant. Le drame de Charlie Hebdo, bien évidemment, a immé- ce problème, de notre société qui change et qui nous déstabilise, diatement chassé Houellebecq de l’espace médiatique. La ques- de cet Autre qui nous bouscule, de ces remises en question de tion se pose avec force: peut-on encore parler de Soumission après nos valeurs que nous ne souhaitons pas, que nous n’assumons ce qui vient de se passer? Ceux qui pensent du bien de Soumission pas. De l’intolérance, et de la manière dont nous y réagissons, sont-ils des irresponsables qui doivent impérativement revoir ou y contribuons. leur copie? Il appuie sur la plaie, et il appuie bien fort, de toute la force du pouvoir de la !ction et de l’imagination. Il n’est pas Zemmour, il APPUYER SUR LA PLAIE n’est pas politicien, ni chef de parti. Il n’a pas de programme, et De grâce! Que les commentateurs qui trouvaient du génie à son roman est une œuvre de !ction qui, comme toutes les !ctions, Houellebecq mardi lui en trouvent toujours après ce mercredi échappe en partie à son créateur. L’ambiguïté de son livre est totale: noir. Non seulement le livre de Michel Houellebecq ne tombe inutile de chercher à savoir si l’auteur croit à la concrétisation de pas mal, mais il tombe bien, magni!quement bien. Mardi, ce qu’il décrit, ni s’il l’approuve. Mais les questions qu’il pose sont nous avions un problème avec l’islam, un problème d’incom- celles que nous nous posions mardi, et que nous posons désormais, préhension, de peur, d’a priori, de valeurs, de convictions tous les jours à venir, avec d’autant plus de force encore. Il n’y a pas personnelles, de quête de sens; aujourd’hui, nous avons un de questions taboues: la liberté d’expression est faite de ces ques- problème avec l’islam, un problème d’incompréhension, de tionnements autant que d’a"rmations. ■

Hommage. Notre journaliste Philippe Le Bé relate sa relation amicale avec l’économiste abattu mercredi et livre les extraits d’une interview qu’il avait faite de lui. A Dieu, ami Bernard Maris

PHILIPPE LE BÉ de grandir et de vieillir. Il maintient les hommes dans l’enfance, dans l’insatiabilité. Nous voulons en faire toujours plus dans Bernard Maris. Oncle Bernard, son pseudonyme. C’était mon le travail, nous voulons consommer toujours davantage. Le ami. Un brillant économiste, un brillant journaliste dont les écrits temps, devenu laïque, n’appartient plus aux dieux ou à Dieu, ont fait mouche dans Marianne, Le Nouvel Obsevateur, Le Monde, et mais aux hommes qui cherchent à le rendre de plus en plus aussi Charlie Hebdo, et dont les paroles tissées d’humour et de ten- élastique, à l’allonger. C’est cela, le rendement: faire en une dresse ont animé les ondes de France Inter. heure ce que l’on faisait en un jour, en une minute ce que l’on Bernard Maris a donc été assas- faisait en une heure, etc. En déro- siné mercredi matin à 11 h 30 dans bant le temps à Dieu, nous nous la salle de rédaction de Charlie Hebdo. sommes aussi accaparé la ques- Avec ce grand admirateur de John tion de la mort. Celle-ci est deve- Maynard Keynes, l’économie «vul- nue une sorte de maladie mal garisée» trouvait ses lettres de noblesse soignée. Nous la fuyons, nous la car, toujours, elle mettait en lumière refusons. Et pour mieux y parve- des visages d’hommes et de femmes. nir, nous nous divertissons, Bernard, la terreur et la haine comme le relevait déjà Pascal. t’ont supprimé. Mais personne ne Nous nous étourdissons. pourra jamais atteindre ton âme… A toi et à tes proches vont mes pensées En quoi cela concerne-t-il le les plus chaleureuses, les plus bou- capitalisme?

leversées… AFP Dès que nous introduisons la notion (IM)PERTINENT Bernard Maris abordait l’économie en s’opposant du temps, nous plongeons dans le LE COURAGE DU SAGE à la doxa capitaliste. capitalisme, fondé sur l’accumu- C’était en octobre 2006, dans les lation des biens, dans la seule pers- locaux de Charlie Hebdo. Pour la première fois, je rencontrais Bernard pective du lendemain. Le capitalisme refuse de regarder l’instant Maris en vue d’un entretien pour L’Hebdo après la parution du deu- présent; il préfère l’agitation stérile à l’introspection et à la médi- xième tome de son Antimanuel d’économie (Editions Bréal). tation, le travail et son pendant, la consommation hystérique, à Il faisait un parallèle troublant entre capitalisme et mort. Voici la frugalité. Il joue sur le fait que nous aimons sou#rir. Et il en des extraits de cette interview. pro!te. Quelle perversion! Au vrai, il faut un énorme courage pour refuser de sou#rir et sortir de ce cercle infernal. Il faut avoir «Y a-t-il une manière capitaliste d’appréhender la mort? le courage du sage». Je le crois. Le capitalisme est un système infantile qui refuse Bernard Maris avait le courage du sage. ■ ■ ■ ■

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Témoignage. Le dessinateur de «La Liberté» de Fribourg a con!é son émotion à Stéphane Gobbo, de «L’Hebdo». «Il ne faut pas céder à la peur»

PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE GOBBO dessinateurs au téléphone et on est tous d’accord sur le fait qu’il ne faut pas lâcher l’os, cela serait contre-productif. Dessinateur attitré de La »Même si la perte de Wolinski, Liberté, Alex est comme ses Cabu, Charb et Tignous est indes- confrères et l’ensemble de la criptible pour la confrérie des des- presse bouleversé par la tuerie per- sinateurs de presse, cela va au-delà. pétrée dans les locaux de l’hebdo- C’est un drame qui touche aussi les madaire satirique Charlie Hebdo. journalistes, les lecteurs et les qui- Alors qu’il était en train de tra- dams. Je n’arrive pas à y croire. C’est vailler sur le dessin qui allait faire irréel, mais ça a bien eu lieu. C’étaient la une du quotidien fribourgeois des dessinateurs que je suivais car, le lendemain du drame, il a évoqué quand on fait partie de cette confré- à chaud, pour L’Hebdo, ce que cet rie, on se lit, on ne fait pas son bou- acte barbare lui inspire. lot seul dans son coin. Tout est source «Je suis sous le coup de l’émo- d’inspiration, les dessins, la bande tion, comme tout le monde. Cet dessinée, les livres, les !lms… acte est d’une disproportion invrai- »Le dessin de presse français a semblable. Voir une poignée de fous ALEX La mort de ses confrères français a profondément a!ecté été décapité. Je suis parti ce matin prendre des vies pour quelque chose le dessinateur de «La Liberté». au boulot et ce soir, selon toute vrai- d’aussi anodin que quelques coups semblance, je vais rentrer chez moi de crayon sur une feuille est invraisemblable. Il y a un climat de après avoir rendu mon dessin. Eux pas. Je ne me compare pas, peur, forcément. Et cela ne fait pas peur qu’aux dessinateurs. Mais, l’intensité est di#érente, mais on fait le même boulot. Et rien ne en même temps, il ne faut pas céder à cette peur. J’ai eu d’autres justi!e qu’on y laisse sa peau.» ■

Solidarité. Journaliste économique, Yves Genier n’appréciait pas particulièrement «Charlie Hebdo» mais il dénonce les attaques et les pressions contre la presse. Vive la liberté!

YVES GENIER ne s’en prend pratiquement jamais à leur vie, mais on les soumet, parfois, à des menaces sur leur crédibilité, leur emploi, voire leur vie Charlie Hebdo n’a jamais !guré parmi mes magazines préfé- privée. rés. Son humour m’a trop souvent paru un brin trop graveleux pour me faire vraiment rire, et son goût de la provocation m’a plus d’une ÉQUILIBRE INSTABLE fois semblé surfait. Mais ces quelques réserves ne sont rien face à Les sociétés modernes se sont dotées d’arsenaux très complets visant l’horreur que sa rédaction a subie le mercredi 7 janvier, et encore à limiter le champ de l’expression démocratique, au nom de la pro- moins face à l’ignominieuse attaque contre la liberté de la presse tection de la personne. Ces arsenaux reposent sur un équilibre ins- conduite par cet assaut armé. table, sans cesse redé!ni, qui laisse des victimes aussi bien du côté Que l’on s’indigne contre des publications jugées déplaisantes est des journalistes, blogueurs et tous les autres auteurs de prise de parole une chose, que l’on porte atteinte à la liberté d’informer, de commen- que de leurs sujets, qu’ils soient puissants ou misérables. Mais il n’est ter, que l’on s’en prenne à l’intégrité des individus en est une totale- jamais question de mettre !n de manière radicale aux droits fonda- ment di#érente. La critique, la satire sont des droits fondamentaux mentaux en matière d’information et d’expression. comme celui de béné!cier de l’amour des proches et d’une éducation L’assaut contre Charlie Hebdo est donc une attaque directe contre complète. Ceux qui s’en prennent à ces droits cherchent à nier ce qui toutes les personnes, quels que soient leur bord politique, leurs pré- fait la beauté et la richesse de la vie en société, la pluralité. férences personnelles, leurs goûts, qui prennent la parole en public Les journalistes économiques ne sont pas en première ligne des pour exprimer leur avis. C’est la négation de siècles de dure conquête attentats tels que celui commis par deux terroristes masqués en plein du droit fondamental à la liberté d’expression. L’expression du tota- Paris contre la rédaction de Charlie Hebdo. Mais ils subissent aussi litarisme. La version extrême de toutes les tentatives de censure, maintes pressions visant à leur faire abandonner leurs propos critiques qu’elles passent par les armes ou par des pressions plus subtiles, plus concernant les sujets de leurs articles, ou du moins les atténuer. On insidieuses. ■

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Morts pour la liberté d’expression Victimes. Ils étaient dessinateurs, correcteur, journaliste, policiers, et ils sont tombés sous les balles des terroristes qui, au nom d’Allah, les ont pris pour cibles. Certains d’entre eux – Cabu, Wolinski, Charb, Tignous – symbolisent le dessin de presse impertinent, l’insoumission aux dogmes et aux religions, l’esprit libre et l’expression d’une opposition démocratique à l’autorité. AFP FRÉDÉRIC BOISSEAU 42 ans, agent de FRANCK BRINSOLARO 49 ans, policier, chargé CABU 76 ans, de son vrai nom Jean Cabut, un des maintenance. de la protection de Charb. piliers du journal et du dessin de presse français. DR KEYSTONE KEYSTONE 54 ans, psychiatre et psychanalyste, CHARB 47 ans, de son vrai nom Stéphane BERNARD MARIS 68 ans, économiste elle tenait une rubrique dans «Charlie Hebdo». Charbonnier, directeur du journal depuis 2009. iconoclaste, qui signait «Oncle Bernard». DR KEYTONE AHMED MERABET 42 ans, policier, blessé puis MUSTAPHA OURRAD Correcteur pour PHILIPPE HONORÉ 73 ans, dessinateur, il froidement abattu sur le trottoir. l’hebdomadaire. collaborait au journal depuis 1992. FRANCE 3 FRANCE KEYSTONE AFP MICHEL RENAUD 69 ans, ancien journaliste, TIGNOUS 57 ans, de son vrai nom Bernard Verlhac, WOLINSKI 80 ans, prénommé Georges, invité de la rédaction ce jour-là. dessinateur dans «Charlie» et «Marianne». dessinateur mythique, père du «Roi des cons».

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ÉTIENNE DELESSERT «Un massacre? C’est une longue guerre…» dessin original pour L’Hebdo

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