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Le politologue, professeur à Sciences-po Paris, analyse pour Le d’Oc les enjeux des législatives (11 et 18 juin). L’ex candidat de la droite et du centre à la présidence de la région Occitanie revient également sur sa désillusion électorale. Entretien avec une personnalité sincère qui a pris du recul avec sa malheureuse expérience. Pensez-vous vraiment que l’assemblée accueillera une razzia de députés macronistes comme l’indiquent les sondages ? Sauf évènement inattendu, l’élection va déboucher mécaniquement au profit d’Emmanuel Macron. C’est la conséquence d’un double mouvement : d’une part, la volonté de confier la majorité au président élu ; de l’autre, la destitution de la classe politique amorcée en 2016 pendant les primaires de la droite et du centre. Sarkozy, Juppé, Hollande, Valls, Fillon puis Marine Le Pen… On observe clairement la volonté de sortir les sortants. C’est un ressort que je retrouve d’ailleurs puissamment à l’œuvre dans une enquête de la Fondation pour l’innovation politique, réalisée par l’IFOP. Sur 3 000 personnes interrogées sur les candidats de leur circonscription sans que l’étiquette politique ne soit mentionnée, 68% des socialistes sortants sont battus, 61% des LR-UDI le sont également. Nous ne retrouvons donc pas un scrutin d’alternance mais de rupture. C’est fini le temps où les Français étaient obligés de s’asseoir à la table du restaurant qui leur était imposée, avec l’obligation d’un menu unique et la contrainte de dire que le repas était délicieux. Il y a donc une forme de rage électorale. Tout le monde a été touché par les mutations de notre monde, quasiment toutes les professions, sauf la classe politique. Les Français s’adaptent tandis que le personnel politique, lui, n’a fait aucun effort. C’est pour ça qu’aujourd’hui, l’électeur veut envoyer une grande partie des élus à la retraite. Ça aurait pu favoriser le populisme … Depuis plusieurs années, le populisme grossissait au profit du FN. Aux dernières présidentielles, j’ai relevé huit candidats de ruptures (Dominique Reynié exclut messieurs Macron, Fillon et Hamon, ndlr). Mais du coup, Emmanuel Macron devient le bénéficiaire du « dégagisme » mais le maître d’œuvre, ce n’est pas vraiment lui. C’est un peu comme le surfeur qui a du talent, même si son savoir-faire est admirable, il n’est pas à l’origine de la vague. Un seul parti unique englobe une partie des socialistes et des Républicains, n’est-ce pas inquiétant pour la démocratie ? C’est un point clé. Il est possible que La France insoumise et le Front national puisse obtenir un groupe parlementaire mais ils n’auront guère plus d’une petite quinzaine de députés. Pourtant, ces deux formations ont obtenu à elles seules 41% du suffrage aux présidentielles. Finalement, elles pourraient en recueillir 30% aux législatives mais leur représentativité à l’assemblée ne dépasserait pas 5% environ. Cette marginalisation se combinera avec la domination absolue d’un parti qui s’efforce d’absorber le PS et les LR. Qu’un tel parti de coalition puisse valoriser des oppositions radicales alors qu’elles ne compteront pas à l’assemblée, c’est étrange et surtout sans précédent ! Cette force d’opposition risque aussi de s’éloigner du parlementarisme s’il n’y a rien qui la concerne à l’assemblée. Sa représentation s’orientera à l’extérieur : dans la rue, sur les réseaux sociaux, ou prendra même de nouvelles formes à l’image de Nuit debout qui était un mouvement inédit. Vous-même, ici en Occitanie, lors des dernières régionales de 2015, avez essayé d’apporter quelque chose de novateur mais vous avez essuyé un terrible revers. Comment l’expliquez-vous ? On peut dire que je me suis mis en marche tout seul. J’avais tiré le constat que les partis étaient au bout du rouleau et que l’explosion du système profitait au FN. J’ai remporté la primaire des cadres régionaux, élection pour laquelle j’étais le seul candidat sur dix à ne jamais avoir eu de mandat. J’ai réellement été convaincu de Dominique Reynié : « Macron, bénéficiaire du dégagisme » | 1 cette proposition non dogmatique au moment de la fusion des régions. Mais rapidement, je me suis heurté à une furieuse opposition locale, régionale et nationale. Le jour de la validation de mon investiture par la commission nationale, Christian Estrosi (maire de Nice et président de la métropole, ndlr) m’a appelé pour me dire de renoncer car Bernard Carayon (maire de Lavaur, dans le Tarn, depuis 1995, – élu plusieurs fois député, ex conseiller général et ex conseiller régional) serait choisi. Je lui ai répondu que ma campagne commençait et que je la poursuivrais. J’ai finalement été désigné de justesse par 11 voix contre 9. A partir de ce moment, je me suis retrouvé tout seul, quelques amis à peine à Toulouse, Sète et Montpellier. J’ai financé ma campagne tout seul et j’ai refusé la caution du parti. J’ai hypothéqué mes biens. Politiquement, j’aurais certainement dû évoluer en dehors du parti mais financièrement le risque était trop élevé. Au début, il a été dit que votre candidature arrangeait les barons locaux car vous ne leur faisiez pas d’ombre. Qu’en pensez-vous ? Je crois que c’est vrai. Je ne pouvais pas me fâcher avec les élus locaux. Pour l’appareil parisien, je n’avais pas de troupes et pour la primaire des présidentielles, je n’étais un danger pour personne. Je ne l’avais d’ailleurs pas évalué ainsi à l’époque. Les barons n’avaient aucun intérêt à me soutenir une fois investi, encore moins sur la thématique du renouvellement. Par contre, je ne m’attendais vraiment pas à subir un tel caractère outrancier. Est-ce parce que j’ai choisis de composer les listes sans tenir compte de l’appareil national ? Sans doute. Avec moi, il y a eu la volonté de faire un exemple : j’étais devenu le pendu à l’entrée d’un village en plein Far-West. « Passes ton chemin sinon tu subiras la même punition ! » Pour moi, même si je ne suis pas macroniste, le phénomène Macron est donc réjouissant car il produit un souffle de vie nouvelle. Chaque jour des affaires sortent sur des candidats issus de la société civile. Ne faut-il pas relativiser la promotion de cette catégorie de personnes ? Il y a toujours cette idée que la classe politique serait corrompue et que le peuple, lui, serait pur. Évidemment la vérité est bien plus nuancée. Mais c’est sans doute parce que nous n’avons pas l’habitude d’une rotation des candidats aux élections que les problèmes deviennent aussi visibles. Le système doit se réguler davantage. Par la suite, des filtres s’installeront et nous aurons plus de chances de voir arriver des membres intéressés, curieux et surtout bienveillants. D’un autre côté, une personne qui se prépare depuis toujours à une élection a le temps de tout préparer avec soin. Est-ce pour autant mieux ? Les candidats concernés par des affaires, comme c’est le cas dans l’Hérault, doivent-ils se retirer au détriment de la présomption d’innocence ? Ils doivent cesser leur campagne et se retirer. C’est la meilleure des solutions pour leur propre camp. Tout le monde est d’accord pour faire davantage en matière de moralisation de la vie publique. Alors pour les candidats qui seraient dans le collimateur de la justice, ce serait la moindre des choses de participer à cet élan. Que pensez-vous de la méthode Saurel à Montpellier ? Je répertorie trois modèles. Il y a le classique qui repose sur les appareils traditionnels, que je considère comme funeste. Il y en a un second, celui de Macron, bien plus ouvert, permettant que d’autres choses surgissent. Enfin, il y en a un troisième, celui de Philippe Saurel qui se situe entre les deux premiers. Il ne renouvelle pas la vie politique, il maintient le cumul et reste prisonnier des combinaisons d’appareil. C’est l’aménagement, à l’échelle locale, de la cartellisation de la politique. Il y a un point commun avec le président Macron : l’incarnation et l’ultra personnification… C’est inquiétant mais cela semble un passage obligé. C’est sans doute, en partie, à cause d’un manque Dominique Reynié : « Macron, bénéficiaire du dégagisme » | 2 d’incarnation, un déficit de personnification, que des mouvements collectifs s’essoufflent. Je pense à celui fondé par Beppe Grillo en Italie (5 étoiles, ndlr) ou Podemos en Espagne, en proie à des querelles internes. En France, dans plusieurs meetings de candidats à la présidentielle, j’ai trouvé qu’il y avait une disponibilité à l’adoration et au fanatisme qui n’est guère rassurante. Sur trois circonscriptions, la droite héraultaise est divisée. Est-ce que la droite locale est la plus bête de France ? Long silence… Ce qui me frappe, c’est la dépendance à l’égard de logiques parisiennes. Celle-ci vient empêcher l’émergence de toute énergie ou autorité locale. C’est terrible ! Une figure locale, qui se considère comme telle, peut construire son autorité en coupure entière avec son environnement naturel. Lors des dernières régionales, les élus passaient leur temps au téléphone avec Paris. Alors bien sûr une législative est un scrutin national mais souvent les candidats sont désignés par une marque, ils sont présents sur place mais pas engagés sur le terrain. C’est comme s’ils n’étaient pas légitimes sans la validation de Paris. L’appareil national devient alors l’oxygène des candidats qui avancent avec un scaphandre.