DÉCOUVRIR LES CHÂTEAUX FORTS DES © Editions Pierron - 2, rue Gutenberg - 57206 Sarreguemines, 1998 - Tous droits réservés - DÉCOUVRIR LES CHÂTEAUX FORTS DES VOSGES

TEXTE DE GUY TRENDEL ILLUSTRATIONS DE CHRISTOPHE CARMONA

LE HAUT-KŒNIGS B OURG ET SA RÉGION

Fascicule 5

HAUT-KOENIGSBOURG, OEDENBURG, KINTZHEIM, REICHENBERG, SAINT-HIPPOLYTE, BERGHEIM

ÉDITIONS PIERRON UATRE CHÂTEAUX SUR UNE MONTAGNE

La Moyenne-, un terme moderne pour désigner l'espace géogra- phique, aux limites floues, compris entre Barr et Ribeauvillé. La ville de Sélestat en forme le pivot central. Au Moyen Age, cette région représente une zone tampon entre deux géants de la politique du Saint Empire romain germanique.

L'affrontement de deux étendent leur influence vers le nord-ouest. grandes familles Pour asseoir leur puissance, les comtes d'Eguisheim-Dabo ont Le premier clan est celui des progressivement édifié un système "Eberhardiens" qui deviendront castral, à savoir des châteaux forts les comtes d'Eguisheim, descen- ou points d'appui qui s'égrènent dants des ducs d'Alsace. Ils du sud au nord sur les contreforts contrôlent, à la fin du X siècle et vosgiens. Si Eguisheim forme la au début du XI siècle, la plus limite sud, le Herrenstein (au nord grande partie de l'Alsace. Ils sont de Saverne) est la sentinelle sep- comtes du Nordgau et exercent, au tentrionale. nom du roi et de l'empereur, le gouvernement provincial. Le En 1081, les Eguisheim-Dabo Nordgau est ce territoire compris semblent au sommet de leur puis- entre la lisière nord de la forêt de sance. Un de leurs alliés, probable- Haguenau et le Landgraben, ce ment même parent, le noble Diemar, est maître du château fossé d'eau qui coule au sud de Sélestat. Maîtres du "nord", ils impérial du Trifels dans le possèdent de vastes alleux (pro- Palatinat. La lignée contrôle du priétés) au sud, notamment autour coup un espace de plus de deux cents kilomètres de long. Son de la cité d'Eguisheim dont ils ont emprise a progressé d'une quaran- adopté le nom. Ils sont de grands taine de kilomètres vers le nord au donateurs en faveur des fondations détriment du pouvoir impérial. religieuses et se tiennent fidèle- ment aux côtés de l'Eglise. Au X L'empereur Henri IV, de la lignée siècle, ils nouent des alliances des Saliens, charge alors "le plus avec la lignée des Dabo-Moha et courageux de ses chevaliers", Frédéric von Büren, de s'opposer Frédéric von Buren meurt en 1105. aux Eguisheim-Dabo et de C'est son fils, surnommé "der reprendre le contrôle de l'Alsace, Gockler", le Borgne, qui lui succè- couloir naturel du commerce et du de. Il n'a que quinze ans. Il a héri- transit. Frédéric est si bien en té du château de Haguenau grâce auprès de Henri IV que - d'ailleurs fondé par les celui-ci lui donne sa fille en maria- Eguisheim - et du titre de duc de ge et le nomme duc de Souabe et Souabe et d'Alsace. Il reste fidèle- d'Alsace. Cet homme au destin ment attaché à l'empereur parti exceptionnel sera le fondateur de guerroyer en Italie. Il lui assure le la lignée des Hohenstaufen, nom contrôle de la vallée du Rhin, de emprunté à un de ses châteaux en Bâle jusqu'à Mayence. Pour cela il Souabe. va édifier une série de châteaux forts. De lui le chroniqueur Ainsi se mettent en place les (l'évêque de Freising Otton) dira pièces de l'échiquier qui vont faire qu'il traîne toujours un château à de la Moyenne Alsace une case la queue de son cheval. Beaucoup importante du "jeu". Hugues IV de chevaliers vinrent renforcer ses d'Eguisheim-Dabo prend les troupes, espérant faire fortune. devants et effectue une véritable campagne militaire pour pousser C'est dans ce contexte politique les Hohenstaufen et leurs alliés à que va naître le château du la défensive. En 1089, Hugues IV Hohkoenigsburg Henri V, le a la situation bien en mains. Les Salien, a repris le Trifels (1113) où deux camps conviennent d'une il a même emprisonné l'arche- entrevue qui se passe bien. vêque de Mayence Adalbert, l'un de ses principaux adversaires et Mais la nuit venue, dans la maison pilier des partisans de l'Eglise. Il qu'il partage avec Otton de n'empêche que les Eguisheim- Hohenstaufen (nommé évêque de Dabo, en Alsace, représentent tou- Strasbourg en 1083), Hugues est jours un danger. Frédéric le assassiné par des partisans de Borgne est sans doute bien Frédéric et d'Otton. Même si ces conseillé lorsqu'il jette son dévolu derniers nient toute implication sur un site qui domine la Moyenne dans ce crime, ils en sont les béné- Alsace. Il s'agit d'une hauteur qui ficiaires. Les Eguisheim-Dabo ont culmine à 726 mètres d'altitude. perdu leur chef de guerre. Ils ne De là le regard se porte jusque s'en relèveront pas. Leurs ennemis dans la vallée de Lièpvre par où vont mettre les trois prochaines transite une vieille route qui fran- décennies à profit pour agrandir chit les Vosges au col de Sainte- leur emprise sur l'Alsace et se Marie. Par ailleurs, la route straté- construire un système fortifié. gique du pied des Vosges est également sous le regard de cette Des terres lorraines en position. Enfin, elle domine direc- Alsace tement une piste qui depuis Saint- Hippolyte franchit le premier res- saut des Vosges au Schaentzel Ces châteaux reflètent ainsi la lutte pour descendre de là sur Lièpvre. des grandes familles pour l'hégé- La montagne ainsi repérée est un monie. Mais ce terroir alsacien, au "Staufen", terme qui désigne une Moyen Age, forma une enclave longue crête plate, donc facile à lorraine. Chacun des lieux décrits fortifier. En s'installant sur ce site, ici fut, à un moment donné de son les Hohenstaufen coupent le systè- histoire, une possession des ducs me fortifié de leurs ennemis (les de Lorraine. Aux XII et XIII Eguisheim-Dabo) en deux parties. siècles, les ducs ont des visées sur Il y aura désormais un front sud et le versant oriental des Vosges. un front nord écartelé par cette Bien avant eux, l'évêché de Metz nouvelle fortification. En même avait déjà fondé plusieurs abbayes temps les Hohenstaufen réalisent sur ce versant ouest, prenant ainsi aux portes de Sélestat, un site qui pied en Alsace. A leur tour, les est devenu leur propriété, une véri- ducs mettent leur "nez" dans les table tête de pont. affaires alsaciennes. L'affaire est d'autant plus facile que les Cette montagne du "Staufen" n'a Eguisheim-Dabo sont tenus en pas encore livrée tous ses secrets. échec par les Hohenstaufen et que En effet, pas moins de quatre la place est libre pour une troisiè- burgs s'étagent depuis la crête sur me puissance. Il est vrai qu'en ses pentes. On ne peut même pas Alsace les grandes familles sont donner un nom à deux de ces forti- quasi absentes et que ce sont sur- fications qui se situent à quelques tout des ministériels qui cherchent pas du grand château. Les spécia- à se faire une petite place au soleil. listes parlent aujourd'hui de La puissance des ducs de Lorraine "Mittelkoenigsburg" et "Nieder- dépasse, et de loin, l'impact des koenigsburg". Le premier est éga- familles locales. Cette intrusion lement appelé Oedenburg alors lorraine, bien établie sur la rive que le second n'a fait l'objet que gauche de la Lièpvre, puis sur tout récemment d'un travail des- Lièpvre même, poursuit son avan- criptif. Enfin, le quatrième burg cée vers l'ouest en s'accaparant la est placé sur une avancée du côté vallée du Bergenbach, de de la plaine, c'est le château de à la plaine d'Alsace. Kintzheim. Elle étend ses bras, s'installe au Hohkoenigsburg et reste forte- ment ancrée à Saint-Hippolyte. Au XIV siècle, le duc tente même un coup de force en envahissant le sives. Dès lors, les états alsaciens secteur pour tenter de faire échec peuvent reprendre la situation en aux Habsbourg qui poursuivent la mains. Enfin, ce n'est qu'en 1790, même politique expansionniste en l'année de la formation des dépar- Moyenne-Alsace. Les deux tements, que Saint-Hippolyte, la grandes familles se heurtent par ville lorraine, est intégrée au Haut- châteaux et féals sujets interposés. Rhin ! C'est dire que sur près de C'est l'échec pour les Lorrains. Il huit siècles l'empreinte lorraine faudra attendre 1525 pour voir les dans ce secteur fut des plus fortes. états alsaciens faire appel au duc Elle explique aussi, pour partie, la Antoine de Lorraine afin qu'il naissance des petites villes fortes mate la révolte des rustauds et de plus d'un château fort. qu'eux-mêmes n'arrivent pas à réprimer. C'est à Saverne et * Par la suite dans le texte nous optons pour Scherwiller que le puissant lorrain l'orthographe actuelle Haut-Kœnigsbourg remporte les deux batailles déci- utilisée dès la fin du XIXe siècle. TINÉRAIRE D'ACCÈS AU HAUT-KŒNIGSB OURG

Le château est acces- l'on suit par la gauche et qui vous sible en voiture depuis les gros amènera après 2.30 heures de bourgs du pied des Vosges, notam- marche depuis Kintzheim à la ment Kintzheim, Saint-Hippolyte, porte du château. Bergheim, ainsi que de la vallée Un troisième sentier (toujours rec- de Lièpvre. La route est bien flé- tangle rouge barré de blanc) part chée à partir de ces lieux. de Saint-Hippolyte, de derrière les La balade offre bien des murs du collège (ancien château agréments. Le sentier le plus rapi- des ducs de Lorraine). On traverse de part du cimetière d'. le vignoble, puis on entre sous L'itinéraire est balisé par le Club bois pour monter à la gloriette Vosgien (rectangle rouge barré de (438 mètres) installée dans l'espa- blanc). Le sentier se hisse d'abord ce entre la route qui forme là une jusqu'au restaurant du Schaf- épingle à cheveux. Voir alors, laeger, une ancienne bergerie à juste en contre-bas, la pierre à 490 mètres d'altitude. On poursuit légende du Richtstein, une pierre à jusqu'au croisement avec le sen- sacrifice (voir partie légende du tier de grande randonnée (GR 53) texte sur Oedenburg). Après plu- balisé du rectangle rouge. On sieurs montées en zig-zag, on prend à gauche en suivant ce flé- passe à nouveau la route pour chage jusqu'à l'entrée du château trouver, de l'autre côté, le sentier (712 mètres). Il faut compter, du GR 52 (rectangle rouge) que depuis Orschwihr, 2 heures. l'on suit à gauche pour arriver au Un autre itinéraire part de château. Il faut compter environ 2.15 heures de marche depuis la Kintzheim. Il est également balisé petite ville. du rectangle rouge barré de blanc. Remontez la route vers le Haut- Des sentiers balisés partent égale- Kœnigsbourg. Au croisement, ment de Thannenkirch (rectangle prendre à droite en direction du rouge) d'où en 1.45 heure on arri- parking de la Volerie des Aigles. ve par le col du Schaentzel (582 On remonte cette petite route jus- mètres) au château. De même, qu'à l'épingle à cheveux (20 avec départ de Lièpvre (rectangle minutes) où le sentier part tout rouge barré de blanc) avec passa- droit pour monter jusqu'au restau- ge à la citerne de Fulrad (492 rant du lieu-dit "La Wick" (420 mètres) et le col du Schaentzel, on mètres). On rejoint ici le parcours monte en près de 3 heures au châ- du GR 52 (rectangle rouge) que teau. ' HISTOIRE DU HAUT-KŒNIGSBOURG

Comme expliqué dans l'introduction à ce livret, le duc de Souabe et d'Alsace, Frédéric le Borgne, de la puissante maison des Hohenstaufen, est chargé du contrôle de la vallée du Rhin afin d'assurer les arrières de l'empereur Henri V qui guerroie en Italie. C'est probablement autour de l'année 1114 que le duc jette son dévolu sur le "Staufenberg" pour y édi- fier une fortification placée de si bonne façon qu 'elle affaiblie considéra- blement le système castral construit par les partisans de l'Église.

En 1147, en pleine Seconde abbé de Saint-Denis, fondateur du Croisade, au moment où les croi- prieuré de Lièpvre, de vastes ter- sés quittent Ephèse pour longer la rains, dont le "Stophanberch" côte, le chapelain du roi Louis VII, (Staufenberg). Par la suite ces Odon de Deuil, soumet à son suze- biens seront incorporés aux pro- rain une requête. Il explique qu'au priétés de l'abbaye. C'est ainsi que nom de l'abbé Suger de Saint- Saint-Denis est devenue proprié- Denis, il souhaite que le roi inter- taire de la montagne sur laquelle vienne auprès du roi "des Frédéric le Borgne a très vraisem- Germains" Conrad de Hohen- blablement édifié "Estufin" autour staufen afin de réparer une injusti- de 1114 sans se soucier des droits ce. Un terrain appartenant à l'ab- fonciers ! Le médiéviste Francis baye avait été injustement occupé Rapp (1) estime que les événe- (par l'Empire) pour y édifier un ments qui marquent cette année-là château qu'il nomme "castrum fournissent la meilleure trame pour Estufin". Le terrain en question est expliquer la naissance du château. sans doute le "Staufenberg" et le Nous avons déjà abordé le sujet château est très probablement le dans l'introduction. Ajoutons que Haut-Kœnigsbourg (7) dont nous la même année 1114, l'empereur apprenons par là l'appellation pri- mitive. Nous ne connaissons mal- Henri V reprend des mains de l'évêque de Bâle le château de heureusement pas la suite qui sera réservée à l'affaire. "Rapoldstein" (le futur Saint- Ulric). Le burg, d'abord posses- Dans une charte de l'année 774, sion impériale, avait été donné en Charlemagne avait effectivement fief à l'Eglise de Bâle. Mais en fait donation à son ami Fulrad, 1114, afin de soutenir la politique castrale du duc de Souabe et n'aurait été édifié que peu d'an- d'Alsace, l'empereur demande à nées avant 1147, c'est-à-dire juste l'évêque de lui rendre le château avant la protestation de l'abbé qui entre dans le système fortifié Odon de Deuil. élaboré par Frédéric le Borgne. Un autre historien, Wieland, estime Pour l'heure, il est impossible que la construction se place proba- d'épouser avec certitude l'une ou blement aux alentours de l'année l'autre hypothèse. Curieusement, 1120 (8). Odon de Deuil explique en 1147 que le château contesté possède Une autre hypothèse (2) avance l'idée d'une première fortification deux tours, l'une appartenant à sur le Staufenberg sous forme l'empereur Conrad III, l'autre à d'enceinte polygonale en pierres son neveu, le duc Frédéric de sèches sur la pointe est de la hau- Souabe et d'Alsace. Ou le château teur. Elle remonterait au XI est déjà particulièrement impor- siècle. Le Haut-Kœnigsbourg lui- tant, ou existent deux châteaux sur même, dans sa forme primitive, la même crête !

Le Haut-Kœnigsbourg à l'époque romane. Le site est partagé en deux châteaux, le fossé se situant à la hauteur de l'actuel- le fosse aux ours du côté du haut jardin. Un château du duc de Les premiers Burgmänner

von Königsberg ! Lorraine tenu par les

landgraves de Werd Vers 1150, le nom du château a probablement évolué pour passer Au XIII siècle, les chartes sont de Staufenberg à Koenigsberg (8). tout aussi difficiles à interpréter. En effet, au cours de la seconde En effet, un second château moitié du XII siècle apparaît une semble être né au seuil du XIII lignée de chevaliers qui porte le siècle à l'ouest d'Estuphin. Ce nom du château : Königsberg. Ces serait le burg que l'on nomme nobles se retrouvent dans la suite maintenant Mittelkœnigsburg ou de Frédéric Barberousse, plusieurs Oedenburg. Qui l'a construit, dans fois dans ses campagnes d'Italie, quel but ? Autant de questions mais aussi à Haguenau. Ainsi en auxquelles nous n'avons pas de juin 1184 est mentionné Berthold réponse certaine. von Königsberg. Il est légat impé- rial en Italie. Il est le seul chevalier Le duc de Lorraine possède en tout alsacien engagé dans la Seconde cas, au début du XIII siècle, le Croisade aux côtés de l'empereur. château d'Estufin qui porte, pour Nous le retrouverons plus tard à la première fois en 1192, le nom Haguenau en 1192 dans la suite de de Königsberg. l'empereur Henri VI avec pour En 1238, le duc confirme divers mission de prendre le contrôle des fiefs lorrains à Elisabeth, veuve du Pouilles. En 1187, nous trouvons landgrave Henri de Werd, et à ses Anselm et Bourcard von Kö- enfants. Le château n'est pas évo- nigsberg comme hauts fonction- qué dans ce document, mais la naires impériaux en Italie. Quant à suite de l'histoire permet d'avan- Hartmann von Cunisberc, il signe cer l'hypothèse qu'il faisait partie comme témoin d'une donation intégrante de ces fiefs. En effet, en faite en l'honneur de l'église l'année 1250, Cunon de Bergheim, Sainte-Foy de Sélestat. qui a mené une longue guerre Quel sort est ensuite réservé au contre le duc Matthieu de château impérial d'Estufin ? Lorraine, signe la paix et se recon- Frédéric Barberousse, devenu naît vassal du duc, recevant alors empereur en 1152, a-t-il reconnu le fief du château de Königsberg. les droits du prieuré de Lièpvre et Toutefois une clause stipule que si renoncé à la propriété du château ? le duc revenait sur son engage- C'est en tout cas lui qui a rendu en ment pour rendre le fief à Henri- 1162 le Rapoldstein à l'évêché de Sigebert de Werd (né en 1238), il Bâle. Aurait-il agit de même en dédommagerait le chevalier Cuno faveur du prieuré de Lièpvre ? de Bergheim pour la perte subie.