écologie & politique PORTRAIT

Une histoire de blonde Biberonnée dès son plus jeune âge aux rouages du palais Bourbon, avec Yves Cochet et Noël Mamère pour mentors, Barbara Pompili s’est imposée en 2012 en tant que coprésidente du groupe écologiste de l’Assemblée nationale. Récit de l’ascension de cette jeune fille du nord qui a déjà failli être nommée ministre à deux reprises et qui pensait au départ que « l’engagement politique, c’était des pourris qui prenaient du fric ».

par Mathilde Carton portraits Yannick Labrousse

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Auprès d’Yves Cochet, Pompili apprend tout. L’écologie d’abord, cette « pensée systémique où Il faut que j’amène ma veste ? » Barbara la gorge, mais c’est sûrement parce qu’il fumait, pas parce tout ce qui se passe dans la Pompili n’a pas vu l’heure de la séance photo qu’il rentrait noir tous les jours », ironise-t-elle. Pompili arriver. Gêné, son assistant essaie de s’expli- blâme un Parti socialiste surpuissant qui régnait alors forêt amazonienne va avoir des quer. « Euh… Carine m’a dit que si tu portais en maître sur les mines. « Plus je grandissais, et plus je me répercussions chez nous », ce qui des manches courtes, il valait mieux mettre disais qu’il y avait des trucs pas nets. Pour moi la politique, oblige à « penser les problèmes une veste pour la photo. » La députée de la jette c’était ça. Hors de question de s’engager là-dedans. » Elle un œil à sa tenue : robe noire légère et talons fuchsia. passe le concours de Sciences Po Lille, se destine au jour- dans leur ensemble ». Le terrain «D’un coup, elle comprend, et se met à rire. « J’ai eu des nalisme. Bien sûr, Barbara fait quelques « manifs géné- ensuite : la circonscription, surprises, explique t-elle en cherchant un blazer blanc. Il rationnelles » histoire de louper un cours ou deux. Mais y a eu ce portrait dans Libération où j’apparais comme une la politique à proprement parler ne l’intéresse toujours le travail parlementaire, les pin-up, mes cuisses en gros plan. L’horreur. J’ai eu droit à pas. « D’autant qu’il existe d’autres formes d’engagement. » « vicelardises du personnel des commentaires abominables. Mais au moins, j’ai appris le La voix de la députée se fait douce lorsqu’elle évoque sa potentiel sexuel de mes cuisses que je ne connaissais pas ! », mère, éducatrice spécialisée en charge d’enfants handi- politique », les « questions rigole-t-elle. capés. « J’ai vu ce que c’était l’engagement de tous les jours, emmerdantes des journalistes ». qui ne se dit pas. Lorsqu’elle allait voir les familles de ces En deux ans à peine, Barbara Pompili a beaucoup appris enfants le soir, qu’elle gérait les problèmes d’alcoolisme… de ses erreurs. Primo-députée et première femme pré- C’est un travail qui ne passe pas par les associations, ce sont sidente, ou plutôt coprésidente d"un groupe parle- des gens qui donnent de leur temps. Ma mère était un modèle mentaire, elle entre dans l’hémicycle avec l’étiquette d’altruisme et de bienveillance. En comparaison, pour moi, « Barbie » – un surnom venu des rangs mêmes d’Europe l’engagement politique c’était ces pourris qui prenaient du Écologie Les Verts. Ce ne sera pas le seul : « Jeune fille », fric.» Et elle éclate de rire. nienne va avoir des répercussions chez nous », ce qui oblige « La blonde de service », « Miss »... Mais très vite, à « penser les problèmes dans leur ensemble ». Le terrain ça se tasse. « Aujourd’hui, nul n’estime qu’elle n’est pas à sa Mercure dentaire ensuite : la circonscription, le travail parlementaire, place », assure François-Michel Lambert, député EELV À sa sortie de Sciences Po, Barbara Pompili prépare l’ENA. les « vicelardises du personnel politique », les « questions des Bouches-du-Rhône. Même son homologue à l’UMP, Sauf que le métier de haut fonctionnaire ne l’intéresse emmerdantes des journalistes ». Et même à répondre aux Christian Jacob, tresse ses louanges : « On trouve assez peu pas. Elle ne veut pas exécuter, mais décider. Le hasard des « fous » qui appellent à longueur de journée le bureau du de points d’accord mais on travaille très bien ensemble. Elle rencontres la mène alors vers l’écologie et l’Assemblée député, persuadés d’être espionnés par la CIA. Il y a des n’est pas dans la caricature, le sectarisme propre aux Verts. » nationale. Elle y met les pieds pour la première fois à 22 tâches ingrates mais le travail avec « Cochet » est « pas- Sentence finale signée Noël Mamère, député-maire de ans, afin de rédiger un rapport sur les dangers du mercure sionnant ». « On a eu une espèce de déclic, ça s’est tout de Bègles : « Elle est faite pour ça et elle a encore beaucoup de dentaire. « Je ne sais même plus si j’avais été payée pour le suite très bien passé, dit-elle en agitant les mains. On se potentiel. » faire. En tout cas, c’est la première fois que j’ai mis le doigt parlait franchement. Je pouvais être dure avec lui, tout en sur les questions de santé et d’environnement, et ça m’a sachant qu’il n’y aurait pas de conséquence. » De son côté, Barbara Pompili ne se destinait pas à la politique. Elle a passionné. » Une copine lui souffle qu’Yves Cochet cherche Yves Cochet est peu disert sur leurs sept ans de collabo- grandi dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, vu une assistante parlementaire. Elle postule et décroche un ration. L’ancien ministre préfère minimiser son rôle dans les mines fermer les unes après les autres. « C’était un stage qui se transformera en premier job. l’ascension politique de Barbara : « On a beaucoup travaillé monde qui n’anticipait pas. On a géré la reconversion des Auprès de « l’ancêtre écolo », comme elle l’appelle, Barbara ensemble, mais on ne peut pas dire que j’ai été son mentor. mineurs à court terme sans penser aux problèmes ultérieurs, Pompili apprend tout. L’écologie d’abord, cette « pensée Elle n’a cessé de monter par elle-même grâce à son intelli- notamment la santé. Mon grand-père est mort d’un cancer de systémique où tout ce qui se passe dans la forêt amazo- gence, sa vivacité et sa répartie. » suite p.75

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Stagiaire, assistante parlementaire, secrétaire générale « J’étais sur un quai de gare adjointe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) quand Noël m’a appelée pour – groupe présidé par Yves Cochet –, puis députée et coprésidente du groupe EELV, à seulement 37 ans ! me proposer une coprésidence À ce beau CV, il faut ajouter le poste de responsable avec lui, comme cela se fait de la communication du candidat Noël Mamère à la présidentielle de 2002. Cet autre cacique écolo énumère au Bundestag. C’était le plus lui aussi les qualités de la jeune femme : compétente, vieux des élus, moi la plus jeune. chaleureuse, sérieuse. « Chez les Verts on fait confiance aux Je lui ai demandé un temps petits jeunes tout de suite, on les forme sur le tas », se justifie Barbara Pompili, sur le ton de la modestie. Elle se souvient de réflexion. J’étais encore du pot qui a suivi la première conférence de presse qu’elle dans le train quand j’ai lu a organisée pour Noël Mamère. Un peu pompette, la jeune femme en raconte un peu trop sur les coulisses une dépêche AFP annonçant de la campagne… Un collègue la tire par la manche. Le notre candidature commune. » dégrisement est immédiat : « On apprend vite, mais il ne faut pas non plus que les jeunes avancent trop rapidement. J’ai eu de la chance, j’ai pu aller à mon rythme sans qu’on m’embête. » L’assistante parlementaire a peut-être eu l’intelligence de ne pas afficher d’ambitions trop démesurées. « À l’époque, rien ne laissait présager son ascension », se de court », rigole-t-elle. Finalement, Mamère s’écarte souvient son ancien collègue Mathias Chaplain, autre au profit d’un autre habitué de l’Assemblée, François collaborateur d’Yves Cochet. Il garde le souvenir d’une de Rugy. Le binôme de Pompili affiche comme elle une jeune femme devenue jeune maman, loin d’accepter tous longue expérience parlementaire : secrétaire général les compromis pour accéder au pouvoir. Que ce soit en adjoint du groupe Radical, citoyen et vert (RCV) de 1997 tant que collaboratrice parlementaire ou secrétaire du à 2002, député en 2007 réélu en 2012. Ils se connaissent groupe GDR, le travail de l’ombre plaît à Barbara Pompili : très bien. « Je crois même que c’est moi qui l’ai convaincue débattre avec ses détracteurs, convaincre les adversaires, d’aller aux Verts », sourit le quadragénaire. ergoter sur chaque terme d’un amendement, créer des Leur amitié de longue date et leurs orientations poli- alliances en vue d’un vote… Une expérience de quinze tiques font de cette coprésidence inédite un phénomène ans dans les arcanes de l’Assemblée qui convainc Noël aussi loué (« une démarche démocratique extraordinaire », Mamère de la pertinence d’une candidature Pompili à la dit François-Michel Lambert), que moqué (« une usine à coprésidence du groupe parlementaire en 2012. gaz faite pour les Verts », tacle Christian Jacob). Le tandem « Ken et Barbie » prend ses marques sous les quolibets. Ken et Barbie L’institution, peu habituée aux innovations, impose qu’un « J’étais sur un quai de gare quand Noël m’a appelée pour me seul des deux soit le chef. La coprésidence devient alors proposer une coprésidence avec lui, comme cela se fait au tournante, et chacun en prend la tête tous les six mois. Le Bundestag. J’étais la seule femme qui avait déjà l’expérience partage des commissions parlementaires donne Pompili de l’Assemblée nationale. C’était le plus vieux des élus, moi à l’éducation et la culture, et de Rugy à la défense. Un la plus jeune. Je lui ai demandé un temps de réflexion. J’étais hasard qui enterre le duo « paritaire et moderne » dans une encore dans le train quand j’ai lu une dépêche AFP annonçant répartition des rôles bien plus traditionnelle.

i ck labrousse pour charles © yann notre candidature commune. Autant dire que ça m’a pris

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Reste que le parcours de Barbara, celui d’un appa- militants investissent Émilie Thérouin, 30 ans, adjointe à pour faire le bilan annuel de sa députation, et sait « Il y a des gens pour qui le ratchik salarié du parti, ne plaît pas à tout le monde, la sécurité au maire. Paris refuse en bloc et impose Barbara se rendre disponible lorsque les médias locaux la sollici- pouvoir c’est sale parce qu’il et notamment aux militants. « Il y a une philosophie écolo Pompili prétextant une histoire de tendances politiques. tent. Pompili dit prôner la transparence et de nouvelles vis-à-vis du boulot qui n’est pas toujours simple, tente-t-elle Pourtant, les deux candidates, ex-collaboratrices d’Yves pratiques politiques. « J’ai des responsabilités, mais je sais faut faire des compromis. Quand d’expliquer. Comme on est peu nombreux, on a tendance à Cochet, ne sont pas si éloignées. Il faut dire que Cécile ce que c’est d’être parlementaire d’un petit parti dans la vème on a des codes politiques, on demander aux salariés de faire le boulot des militants. Ils ne Duflot a négocié ferme avec Martine Aubry le nombre de République. On peut changer les choses mais il faut être comprennent pas toujours qu’il est 18 heures et qu’on veut circonscriptions réservées aux écolos. La lutte interne conscient de ses limites. » sait que parfois il faut lâcher prendre son train pour rentrer chez soi. » Pourtant, Barbara fait le reste. « Cochet a troqué son départ à Strasbourg et des choses pour en gagner Pompili ne rechigne pas à s’investir sur le terrain. Elle sa réserve de voix pour le prochain congrès en échange de En ligne de mire, le fonctionnement chaotique d’EELV, d’autres. Si tu veux des élus, il présente sa candidature de jeune pousse aux élections places pour ses protégés », murmure-t-on à Amiens. La divisé depuis son entrée – et sa sortie – du gouvernement. législatives de 2007, suivies des municipales de 2008, presse locale se régale. Les adhérents déposent alors un Pour Pompili, l’affaire est simple : il faut participer au gou- faut faire des alliances. Sinon dans le xvème arrondissement parisien, bastion immuable recours auprès des instances du parti, qui, selon eux, vernement pour améliorer le quotidien des gens. « Moi je on reste militant, et on ne de la droite et véritable casse-pipe écolo. Naturellement, « ne sera jamais examiné ». Une bonne partie de la section fais de la politique, c’est-à-dire que je propose des choses, et les résultats électoraux sont minces – 2 % en 2007, 4 % claque la porte, dégoûtée par ceux qui « embrassent la che- que j’applique des choses. Ce n’est pas logique pour tout le s’emmerde pas à se faire élire. » en 2008 – mais l’expérience est positive. « Ça m’a beaucoup valière de Jean-Vincent Placé », nouveau chantre d’Europe monde chez les Verts. Il y a des gens pour qui le pouvoir c’est aidée quand je suis arrivée à Amiens, loin d’être un endroit Écologie Les Verts. La crise continue même après l’élec- sale parce qu’il faut faire des compromis. Mais quand on fait acquis aux écologistes. » tion : en décembre 2012, quatre des sept élus écolos au 2 % à la présidentielle, on n’a pas le même poids que quand conseil municipal déchirent leur carte. on fait 20 %. Ça s’appelle du rapport de force. » Énervée, elle La chevalière de Placé continue : « le compromis n’est pas synonyme de compromis- Née à Liévin dans le Pas-de-Calais, Barbara Pompili « Tout le monde vous adore quand vous vous présentez dans sion. Quand on a des codes politiques, on sait que parfois il ne connaît pas la région voisine. « Au départ, ce n’est les trucs ingagnables, mais dès que vous dites que vous faut lâcher des choses pour en gagner d’autres. Si tu veux des pas une histoire d’amour avec la Picardie, mais avec un voulez gagner, les rivalités explosent, se défend la députée, élus, il faut faire des alliances. Sinon on reste militant, et on Picard », reconnaît-elle. Il s’appelle Christophe Porquier encore blessée. Humainement, c’était très dur. J’avais en ne s’emmerde pas à se faire élire. » et chapeaute la section régionale des Verts, un pied au face de moi des gens très acharnés, qui ont tout fait pour que national, l’autre comme élu local à Amiens. Les deux je perde alors qu’on est censés être dans le même parti. » À Un pragmatisme – un « réalisme » corrige-t-elle – qui lui tombent amoureux ; l’abonnement Fréquence Plus de la Paris, on moque les réflexes grégaires des militants. « On vaut bien des critiques. Les proches de Duflot regrettent SNCF devient inéluctable. « J’ai commencé à vivre à Amiens est supposé être un parti cosmopolite qui défend le droit ainsi que les députés ne votent pas comme le bureau tout en gardant mon boulot et ma fille à Paris. J’ai jonglé entre de vote pour les étrangers, la citoyenneté mondiale, et on exécutif le souhaiterait. D’autres considèrent que les les deux villes pendant cinq ou six ans. » Entre deux TER, s’écharpe parce qu’une candidate n’est pas présente sur un intérêts écolos sont mieux défendus par les députés elle assiste aux réunions locales, s’intéresse à la politique territoire depuis quatre générations ? » raille Jean-Vincent Éva Sas ou Sergio Coronado. Enfin, les pères spirituels picarde « par procuration ». Des évènements familiaux la Placé. Ce n’est pas le seul à venir en aide à la candidate. eux-mêmes déplorent parfois une attitude jugée complai- détournent un temps du chemin politique. Elle remonte Yves Cochet transforme ainsi le manque d’ancrage local sante envers le gouvernement socialiste. Sentence finale, à la surface à l’orée des législatives. Faut-il y aller ? « J’ai en atout politique : « Barbara n’a pas constitué de réseau signée Noël Mamère : « On ne peut pas dire qu’elle ait l’âme longuement hésité mais j’arrivais à la fin d’un cycle comme comme Cécile Duflot. Elle est reconnue parce qu’elle bosse, d’une dissidente. Ce n’est pas nécessairement un défaut mais collaboratrice parlementaire. J’avais envie de parler par pas parce qu’elle compile les fichiers adhérents de chaque le pragmatisme n’est pas non plus toujours une force : c’est moi-même et non par la voix de quelqu’un d’autre. » région. » Sentence finale, signée Noël Mamère : « Barbara a aussi un cache-sexe qui permet de justifier n’importe quel fait son bonhomme de chemin sans intrigue particulière. Elle renoncement. » — En septembre 2011, les militants amiénois découvrent la n’a tué personne pour avancer. » candidature de celle qui n’était jusque-là que la compagne du patron. Stupeur et tremblements. Bien sûr on reconnaît La séquence bouscule néanmoins la jeune élue. Lorsqu’elle les compétences de la Parisienne mais cela reste un n’est pas en séance, elle tweete ses nombreux déplace- parachutage aux yeux d’une majorité. En décembre, les ments dans la région, organise des réunions publiques à

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