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Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique

Introduction à la pensée esthétique de Gilles Tremblay à travers ses écrits An Introduction to the Aesthetic Thought of Gilles Tremblay as Seen in his Writings Marie-Thérèse Lefebvre

Musique de Gilles Tremblay / Opéra et pédagogie Article abstract Volume 12, Number 1-2, June 2011 Tremblay’s artistic personality revolves around a single axis of spirituality and sacredness, which also defines his conception of nature and consequently, of URI: https://id.erudit.org/iderudit/1054198ar forms, sound, and silence in his musical works. These works and the DOI: https://doi.org/10.7202/1054198ar composer’s written discourse are combined in the unique and central figure of an artist of faith who conceives of the act of composing as an extension of See table of contents divine Creation. This study is an attempt to better understand Tremblay’s aesthetic and spiritual process through an analysis of his published writings on spirituality and nature.

Publisher(s) Société québécoise de recherche en musique

ISSN 1480-1132 (print) 1929-7394 (digital)

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Cite this article Lefebvre, M.-T. (2011). Introduction à la pensée esthétique de Gilles Tremblay à travers ses écrits. Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, 12(1-2), 31–43. https://doi.org/10.7202/1054198ar

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This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Introduction Étudier le discours qui accompagne le geste Introduction à la de composer est une voie qui permet d’entrer dans le processus de création et de tracer pensée esthétique de des points de repère lors de l’audition d’une œuvre. Et même si la sémiologie a bien établi Gilles Tremblay l’existence d’une certaine étanchéité entre l’intention du créateur et le sens de l’œuvre à travers ses écrits perçue par l’auditeur (Nattiez 1985), ce dis- cours qu’entretient le compositeur au fil de Marie-Thérèse Lefebvre sa production est peut-être une manière pour lui de chercher à contrôler les dérapages pos- (Université de Montréal) sibles sur l’interprétation de ses intentions1. Mais encore faut-il y avoir accès. D’où l’intérêt, depuis quelques décennies, pour la publica- tion d’anthologies de ces textes. Au Québec, Tremblay à Radio-Canada au cours de sa car- 1 Les réticences des com- Gilles Tremblay est l’un de ceux qui, avec rière2. positeurs devant les Serge Garant peut-être, mais pour des raisons analyses proposées par fort différentes, s’est le plus investi dans cette Afin de mieux comprendre le cheminement les musicologues sont démarche réflexive (Lefebvre 1986 ; Gougeon bien connues, comme esthétique et spirituel, ainsi que la cohérence en font foi celles de 1996). Longtemps identifié par les critiques du discours du compositeur, nous avons pro- Gilles Tremblay expri- comme « disciple » d’, il a cédé à un classement thé ma tique et chrono- mées à la suite de sa cherché, par ses écrits, à se distancier esthéti- logique des quelque 400 pages de réflexions. participation au pre- mier congrès européen quement de son maître, tant sur le sens de son Sont exclus de cette présente recherche les d’analyse musicale tenu engagement religieux que sur celui de ses réfé- notes de cours et de programmes, les analyses à Colmar en octobre rences à la nature, deux éléments essentiels de d’œuvres de divers compositeurs et les hom- 1989 : « Deux cents la pensée musicale de Tremblay. mages à quelques créateurs contemporains. analystes venant d’hori- Nous nous en tiendrons donc ici uniquement zons diversifiés est, je Les recherches sur l’esthétique, sur les pense, une première à l’étude d’extraits de documents publiés ou œuvres de Gilles Tremblay et, d’une manière historique valant en diffusés en ondes. Le lecteur trouvera dans un soi le voyage. Il faut plus globale, les études visant à contextuali- autre ar ticle (Lefebvre 2010b) une réflexion bien sûr s’attendre au ser son insertion dans l’histoire culturelle du qui se pose en amont de ces textes afin de meilleur comme au Québec demeurent encore trop peu nom- pire en de telles occa- comprendre les fondements de la pensée sions. Le meilleur étant breuses, probablement parce que l’inven - esthétique de Tremblay : dans ce cas, nous associé aux musiciens taire des sources documentaires est incom- nous sommes appuyés uniquement sur la […] ; le pire, aux musi- plet. Nous pensons plus particulièrement ici correspondance inédite et sur les rencontres cologues enfermés dans aux documents conservés dans ses propres l’esprit de système, décisives qui ont marqué cette pensée. forçant la musique dans ar chives : réflexions, notes de cours, notes de des théories qui en soit voyage, esquisses et autres documents prépa- De l’analyse des textes de Tremblay se peuvent relever d’un ratoires à la réalisation de ses œuvres, puis, dégage une personnalité artistique qui se défi- jeu fort intéressant mais surtout, la correspondance qui, si on s’en tient nit d’abord comme un homme de foi. C’est complètement décro- sur cette prémisse et autour de cet axe que chées de la réalité musi- aux lettres reçues, laisse entrevoir un travail cale infiniment riche de longue haleine pour répertorier celle qu’il nous situons trois principaux thèmes de ses et complexe dans sa a adressée à de nombreux amis et collègues. réflexions : la spiritualité/le sacré, sa concep- globalité. Je pense en tion de la nature (et par ricochet sa conception particulier à l’approche Pour ce qui est de la documentation ac ces- de la forme, du son et du silence) et son enga- réductrice et illisible de sible, nous avons publié en 1994, 1995 et 2010 certains théoriciens que gement citoyen dans son temps et son milieu. je préfère ne pas nom- quelques textes, chronologies et inventaires L’œuvre musicale et le discours s’imbriquent mer ». Rapport sur le dans la revue Circuit (voir références). Par de manière cohérente dans une seule et unique premier Congrès euro- ailleurs, plusieurs réflexions proviennent d’en- figure centrale : Gilles Tremblay est un artiste péen d’analyse musi- tretiens radiophoniques, souvent plus difficiles cale, début novembre croyant qui conçoit l’acte de composition 1989. Inédit. Archives à consulter. Afin d’en faciliter l’accessibilité, comme un prolongement de la Création. Rares du compositeur. nous avons procédé à la transcription de la sont les œuvres qui ne font référence aux 2 À l’exception des entre- plupart des grandes entrevues qu’a données textes sacrés ou qui ne manifestent une inten- vues qui ont eu lieu

LES CAHIERS DE LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE DE RECHERCHE EN MUSIQUE, VOL. 12, NOS 1-2 31 tion religieuse. Nous analyserons ici le discours les plus dangereux. Ils correspondent à la qui permet de mieux comprendre l’ensemble déculturation ambiante. On ne peut pas de sa production en abordant deux des trois être absolument optimiste ou pessimiste. thèmes mentionnés ci-haut : la spiritualité et Je ressens plutôt une inquiétude confiante. Au sein de ce mouvement, il y a beaucoup la nature3. de souffrance, mais l’épreuve peut aussi participer à la vie même de Jésus, illuminée 1. La spiritualité/le sacré par la joie de la résurrection. (Tremblay 2002, 31-33) Avant d’analyser l’importance du sacré chez Tremblay, il nous semble important de préci- Une idée qu’il complète avec Vincent ser d’abord son rapport à l’Église catholique en Ranallo, qui lui demande, en 2006, quels sont tant qu’institution. Conscient des problèmes les livres qui l’ont le plus influencé durant que cette dernière vit depuis quelques années, ses années de formation : « Ce livre [de Henri il n’hésite pas à poser un regard critique sur de Lubac] m’a beaucoup marqué à cause de les hommes qui la dirigent tout en rappelant cet amour de l’Église et j’ai acquis à travers le lien symbolique et transcendant qu’elle ça une notion de l’Église qui m’a permis de représente en tant que dépositaire de la parole passer à travers certaines crises où l’Église est sacrée. souvent remise en question et avec raison très C’est au théologien Henri de Lubac, auteur souvent. Mais disons qu’il y a quelque chose de Méditation sur l’Église (1953), que Gilles de plus transcendant. » (Ranallo 2006). Ayant Tremblay est redevable de sa réflexion sur précisé son rapport à l’institution catholique, l’institution qui représente les catholiques. Le venons-en à ce premier thème, essentiel pour compositeur découvre cet auteur durant son comprendre la pensée du compositeur : le sens lors de la diffusion d’une séjour à Paris, entre 1954 et 1960. Il le men- du sacré. œuvre où le compositeur tionne en 1961 comme l’un des livres impor- À quel moment pouvons-nous situer cette reprend essentiellement tants de sa bibliothèque (Tremblay 1961), et y ses notes de programme prise de conscience que création musicale déjà publiées dans les par- revient en 2002 lorsque Jean-Philippe Trottier et foi seront en parfaite symbiose dans son titions. Nous remercions lui pose cette question : « Vous êtes catholique, parcours de compositeur ? En 2003, Tremblay Sébastien Leblanc-Proulx ce qui veut dire universel. Pensez-vous que le confie à Eitan Cornfield que sa rencontre avec de son aide précieuse à Québec puisse revisiter ces valeurs dans le la réalisation de ces trans- Edgard Varèse en 1952 – l’occasion d’une criptions. À l’exception sens de la convergence ? » Gilles Tremblay de véritable révélation d’un monde sonore qui de son essai sur Guillaume répondre : lui était jusqu’alors inconnu – coïncide avec de Machaut réalisé en le moment où il questionne le sens de sa foi. 1956 (et qui lui a valu le J’ai redécouvert ma propre religion par premier prix d’analyse l’éloignement de mon milieu. Je ne suis Cette « découverte de la conversion », comme au Conservatoire national toutefois pas de ceux qui croient qu’il n’y il le dit lui-même, a en effet lieu à cette même supérieur de musique a rien eu avant la Révolution tranquille. Au époque où il participe au groupe Soli Deo, de Paris), l’ensemble des terme catholique est associée une tonne fondé par le père Paul Vanier, professeur au documents (entrevues de préjugés d’il y a cinquante ans, pas radiophoniques et articles encore éradiqués. J’ai découvert l’Église, collège Brébeuf. Le but de ces rencontres publiés) qui couvre la blessée actuellement par des scandales, était de réfléchir sur des questions fondamen- période de 1958 à 2010 a par le biais de Henri de Lubac. Il com- tales au sujet du rôle de l’Église catholique été rassemblé dans deux cartables et déposé au pare l’Église à une mère qui a transmis au Québec et sur les exigences profondes de Centre de musique cana- une parole à travers les siècles. L’essentiel l’engagement chrétien4. dienne (CMC) à Montréal. n’est pas dans les perversions qui s’y sont Le lecteur y trouvera la infiltrées, mais plutôt dans la Vie transmise, La religion s’inscrivait tout naturellement source de toutes les cita- le message de la Parole, et tous les saints, dans notre famille. Il y a certains moments tions mentionnées dans connus et inconnus. Il faut respecter la réa- dans la vie, comme à l’adolescence, une cet article. lité humaine et spirituelle beaucoup plus sorte de découverte de la conversion. Le 3 Le troisième thème, l’enga- que l’institution. Ma solidarité totale avec mot est peut-être un peu trop fort. Je veux gement citoyen dans son l’Église n’exclut pas la critique car celle- dire que vous redécouvrez ces choses au temps et son milieu, a été ci est saine et signe d’amour. Par contre, moment où vous entrez dans l’âge adulte traité dans Lefebvre 2010, il est toujours douloureux et révoltant de et c’est très important d’avoir une religion 83-120. voir gifler une mère parce qu’elle a des d’adulte et non d’enfant. Dans le contexte 4 L’histoire du groupe Soli rides et des défauts. Au Québec, les valeurs social du Québec de cette époque, la reli- Deo, que nous avons spirituelles, chrétiennes, semblent toujours gion était reliée au pouvoir et c’est quelque découvert à partir de la là, mais comme en jachère ou en hiberna- chose à laquelle il fallait réfléchir, critiquer correspondance du père et dépasser. Heureusement, j’ai pu éviter Paul Vanier adressée à tion. Elles ont été mises de côté, mais dans Gilles Tremblay, est étu- quelle mesure ? Ce rejet n’est-il pas traversé certains de ces problèmes. J’ai eu la chance diée dans notre article par une authentique quête de lumière, de à 22 ans d’aller étudier en Europe, et là, paru dans Les Cahiers des vérité, de signes d’éveil ? C’est l’endor- j’ai découvert un autre univers. (Tremblay Dix (Lefebvre 2010). missement et l’autosatisfaction qui sont 2003b)

32 INTRODUCTION À LA PENSÉE ESTHÉTIQUE DE GILLES TREMBLAY À TRAVERS SES ÉCRITS Gilles Tremblay appartient à cette généra- y compris dans des lieux et par des gens tion des années 1930 et 1940 qui, influencée qui devraient en parler. Chez certains théo- par la pensée de Jacques Maritain (transmise logiens, le sacré devient quelque chose de très passéiste qui n’est plus de mode. par Paul Vanier au groupe Soli Deo), consi- Paradoxalement, alors qu’on a pratique- dérait les œuvres artistiques comme une pro- ment chassé des églises catholiques l’une longation du geste du Créateur (Art et sco las- des plus belles musiques de notre civi- tique, 1920) (Lefebvre 2009) et s’interrogeait lisation et elle-même enracinée dans la sur la forme d’engagement social que devait mu sique de l’ancienne Byzance juive et prendre l’action au sein de l’Église catholique. donc touchant à l’Orient, on s’aperçoit que Même si Tremblay n’a jamais fait directement les poètes et les musiciens ont gardé ce référence au philosophe français dans ses sens et y attachent de plus en plus d’impor- tance aujourd’hui. (Tremblay 1973) écrits ou ses entretiens, sa manière d’expliquer la fonction de l’art dans la société et son enga- Au retour de ce voyage, à Hélène Roy qui l’in- gement comme laïc catholique renvoie à des terroge sur la musique sacrée le 10 dé cembre concepts propres à Maritain, particulièrement 1972 à l’émission 5D, il déclare : dans Humanisme intégral (1936), où le phi- Il ne suffit pas qu’une musique soit chantée losophe traite de la différence entre la notion ou jouée à l’église pour qu’elle soit sacrée. d’individu et de personne. Écoutons la réponse Je pense que l’un des premiers critères que donne Tremblay à la question que lui pose est qu’elle soit la meilleure musique. Le Jean-Paul Bataille, dans une entrevue de 2003, psaume dit : « De tout votre art, louez le « Si l’art est l’une des manifestations les plus Seigneur ». C’est donc au moment où les significatives de notre époque, comme vous le hommes donnent ce qu’il a de mieux, que dites, est-ce parce qu’il est l’expression d’un ce soit à Bali ou ici. Lorsque les gens s’ex- priment à l’occasion d’une crémation, d’un individu, donc par définition unique ? L’art mariage ou d’une naissance, ils expriment serait donc multiple ? » : « Oui. Vous avez rai- quelque chose qui est au cœur de l’homme. son, mais je préférerais employer au lieu d’indi- En plus, il y a cette dimension poétique, vidu le mot personne. L’individualité, oui, c’est comme chez les Balinais où la musique et la sacré et non pas l’individualisme, qui est une danse ont été enseignées par les dieux qui sorte d’égoïsme de la personne. L’individu doit leur ont dit : « Il faut maintenant continuer être respecté dans sa totalité, mais la personne à apprendre la musique des oiseaux, des est unique (Tremblay 2003a). » insectes, des arbres… ». C’est une prolon- gation du mouvement de la création […] Dès 1962, il situe sa démarche de compo- Nous avons un patrimoine énorme et je si teur moderne dans l’élan du Créateur : crois que la musique de plain-chant est infi- « Composer, c’est participer à la vie qui nous niment plus moderne, actuelle, variée et entoure, à la Création, par l’univers so nore. » complexe que tout ce qu’on a fait depuis, et plus simple parce qu’elle rejoint l’univer- (Tremblay 1962, 2). L’allusion aux textes sel. (Tremblay 1972a) sacrés apparaît dans les œuvres vocales à par- tir de Kékoba (1965) et sera présente dans Finalement, dans son rapport de voyage sou- presque toutes les œuvres suivantes. Tremblay mis en novembre 1972 au Conseil des Arts du est un compositeur chrétien et en témoignera Canada, il écrit : « Il est sûr qu’une telle expé- à plusieurs occasions. rience ébranle en profondeur, surtout quand elle se situe dans un monde si éloigné du C’est à l’été 1972 que se manifeste avec nôtre, que les mentales n’ont plus le plus d’acuité cette recherche de trans cen- les mêmes points de repère, et que j’ignore dance. Tremblay fait un voyage en Extrême- moi-même quelles en seront les conséquences Orient. En quête de ses racines musicales, il ultimes dans ma propre pensée5. » explique au cours d’une émission radiopho- nique intitulée « Tendances de la musique Conséquemment à ce voyage, deux œuvres actuelle », que le but de ce voyage était de voient le jour : Oralléluiants, en gestation trouver des points communs entre diverses dès son retour et qui sera créée en 1975, et cultures qui expliqueraient l’origine de la Fleuves, terminée en 1976 et créée l’année musique sacrée. Qu’y a-t-il d’universel dans le suivante. Durant cette période, entre 1973 chant grégorien, la récitation des psaumes, la et 1975, il témoigne de sa foi à plusieurs occa- musique monodique bouddhiste, la musique sions, puis cessera d’en parler publiquement incantatoire indoue et la musique balinaise ? jusqu’en 2000. Ce qui m’attire, c’est que ces musiques ont C’est probablement lors d’une conférence une relation avec le sacré dont on parle prononcée à l’Université de Montréal en 1973 5 Archives personnelles du de plus en plus difficilement aujourd’hui, à l’occasion des « Journées universitaires de la compositeur.

MARIE-THÉRÈSE LEFEBVRE 33 pensée chrétienne » qu’il offre son témoignage les fleuves applaudissent, que les monta- le plus percutant. En voici quelques extraits : gnes é clatent en cri de joie ». (Tremblay 1974/1994, 19-21) Ce qui me stimule le plus, dans la foi, c’est l’idée d’un Dieu créateur. Toute la Lors de l’émission « Rencontres » du 13 jan- création est signe de son Être et en ce vier 1974, au cours de laquelle Jean Deschamps sens est sacrée. Ces signes provoquent cherche avec insistance à lui faire avouer que chez l’homme qui procède de la même Messiaen est bel et bien son père spirituel dans poussée et souche créatrice un Hallel à sa formation musicale, Tremblay répond, en Yahvé, car il reconnaît son Créateur. Cet citant l’apôtre saint Jacques, que « seul Dieu, Alléluia devient à son tour sacré. Chant créateur des étoiles, notre père à tous » est tracé, écriture de la créature, donc venant 6 du Créateur et retournant au Créateur en Notre Père… ». Et Tremblay poursuit : un dialogue ineffable où la créature épouse On ne possède pas Dieu […] Tout l’art à sa manière le geste du Créateur. J’y vois du monde, toute la beauté du monde ne l’origine de tout art au sens le plus large du donnera jamais Dieu. On ne conquiert terme […] Même si cette reconnaissance pas Dieu parce que Dieu se donne. Par reste cachée chez certains, l’enthousiasme contre, celui qui est à l’écoute risque de premier, originel, n’en reste pas moins une saisir certaines fulgurances (mot utilisé poussée créatrice, donc signe du Créateur. par le poète Fernand Ouellette) […] Nous C’est pourquoi je crois que tout art a un ne voyons pas ce grand mystère auquel je aspect sacré authentique, qu’il soit tracé crois, nous ne voyons pas Dieu, mais toute par l’homme des cavernes, celui de l’anti- notre vie est un acheminement vers cet quité, ou par l’artiste contemporain, même endroit […] La foi est un don […] Cela s’il se juge incroyant. Cela fait aussi partie peut paraître illuminé de parler de fulgu- de la foi, pour moi. J’aime assumer ce rances, mais j’en parle comme des signes mouvement de foi, même lorsque la recon- qui sont là pour nous tous. Le musicien a naissance reste cachée […] Dieu Créateur des oreilles, des antennes, et certains ont est aussi Amour et Verbe […] Et à cause de une plus grande sensibilité pour capter cet amour, je crois à la vie éternelle et à la l’écho de cette grande vérité qui nous résurrection. Je crois également au pouvoir entoure […] Le chrétien, c’est celui qui de transfiguration de la foi et de l’amour, au vit une espérance, mais pas celle qui nous pouvoir de la communion. Autrement dit, situe dans un monde ailleurs, dans le futur, je crois que la foi, l’amour et la communion et qui nous permet, disons, de patienter. entre les hommes ont un pouvoir de trans- Au contraire, pour moi, l’espérance, c’est figuration, de transformation. Je ne crois quelque chose qui se passe dans le présent. pas à une espérance lointaine d’un monde (Tremblay 1974) qui ne serait que futur, que l’on attendrait patiemment dans une obscurité, dans un L’une des conséquences importantes de cette clair-obscur actuel. Je crois au contraire à attitude chrétienne devant le geste composi- une espérance assumée, présente à une tionnel se répercute dans sa manière de conce- transformation par l’amour, incarnée dans voir l’histoire musicale, qu’il va transmettre le présent. La fuite du présent m’apparaît dans sa classe d’analyse au Conservatoire de comme une démission, comme le contraire Montréal entre 1962 et 1997. Alors que l’é- même de l’incarnation […] Si je dis que poque dans laquelle se développe l’activité je crois en un seul Dieu, on pourrait me répondre comme saint Jacques : « Tu crois créatrice de Tremblay est marquée par un qu’il n’y a qu’un seul Dieu et tu fais bien, discours de rupture, voilà qu’il propose à ses 6 Allusion à la prière qui pré- mais les démons le croient aussi et ils étudiants une lecture de l’histoire du langage cède la communion dans tremblent. Veux-tu comprendre, homme musical dans la continuité des transformations, la liturgie catholique. vain, que la foi, sans les œuvres, est stérile. des liens historiques qu’il inscrit également 7 Dans plusieurs de ses com- De même que le corps sans âme est mort, dans sa propre démarche7. D’où lui vient ce positions, Gilles Tremblay ainsi la foi sans les œuvres est morte. » fait le pont avec cer taines sens de la continuité si ce n’est dans sa concep- œuvres marquantes de Pour moi, donc, il y a deux points saillants : tion du sacré ? Voici ce qu’il avait dit lors d’une c’est la joie de savoir qu’il y a un Dieu l’histoire du langage entrevue avec Jean-Paul Bataille, en 2003 : musical. Il fait appel, par créateur et qu’il doit y avoir accord entre exemple, tout en les trans- la foi et les actes ou les œuvres […] Je rêve Le « créateur ». J’ai toujours trouvé que formant, aux structures d’une expression religieuse qui soit d’un c’était un mot qui me rendait mal à l’aise des mélismes du chant gré- mode prophétique et intuitif, poétique, et dont nous avons tendance à abuser. La gorien, aux agencements où le rationnel n’ait pas le monopole de création, c’est faire quelque chose à partir rythmiques de Guillaume la relation, mais où la fulgurance éclaire de rien. Or, qui peut faire quelque chose de Machaut, ou encore aux frottements dissonants d’un éclat nouveau et antique à la fois, à partir de rien, sinon notre Créateur, le de Monteverdi ou aux les sources de notre foi. C’est pourquoi je seul qui existe ? Par contre, nous sommes innovations formelles de termine ce court exposé par ces i mages tous continuateurs [c’est nous qui souli- Mozart. enthousiasmantes du psalmiste : « Que gnons] de cette création et, dans ce sens-là,

34 INTRODUCTION À LA PENSÉE ESTHÉTIQUE DE GILLES TREMBLAY À TRAVERS SES ÉCRITS nous participons à la création et devenons ture : « Au XXe siècle, le compositeur a voulu co-créateurs. Par contre, quelle joie de tout bouleverser. Il a tout révolutionné en participer à cette exubérance du Créateur mu sique. » Y a-t-il encore des entraves ? Est- qui a fait des univers avec des espaces ce que le compositeur est encore limité dans galactiques absolument incroyables. Des temps qui sont des éternités. Jouer sur sa liberté d’expression ? Gilles Tremblay le notre échelle temporelle nous prépare, reprend : d’une certaine manière, à cette dimension Je ne crois pas que le compositeur ait d’éternité et qui est d’une poésie énorme. décidé à un moment donné de briser les (Tremblay 2003a) en traves. C’est une évolution qui s’est faite Tremblay transfère cette continuité qu’il naturellement. Cette notion de rupture perçoit du geste divin au geste humain dans est très forte en Occident, mais en Orient, lorsque l’on chante une mélodie ancienne, sa lecture de l’histoire musicale. Pour lui, il ne on n’a pas l’impression de sortir un objet peut y avoir de rupture, ni même d’évolution d’un musée. Il n’y a pas cette notion d’évo- du langage musical, mais une transformation, lution à la fois créatrice et destructrice. une idée qu’il précise dès 1961 (et sur laquelle On peut inventer de nouvelles choses sans il revient régulièrement) lors d’une conférence pour autant détruire le passé. Comme le sur les techniques musicales é lec troa cous- disait Varèse, il ne faut pas confondre tra- tiques : ditions et mauvaises habitudes. (Tremblay 1974) S’émerveiller. Concluons dans une pers- pective poétique : fraîcheur poétique d’un Ce lien entre création et continuité histo- acte naissant, apte à susciter non pas la rique demeure tout aussi présent en 2006, peur, mais l’attitude virile de l’homme lorsqu’il explique à Vincent Ranallo : face à une création qu’il peut transformer en louange. Au lieu de reculer devant Il reste que si on croit à un Dieu créateur, l’avenir, ce qui stériliserait le passé, sa joie aujourd’hui tout art procède et continue sera d’avancer dans un futur fécondant les cette création. C’est pour ça que je n’aime ra cines qu’alimente ce passé. (Tremblay pas beaucoup l’expression « les créateurs ». 1962, 113) Au fond, il n’y a qu’un seul Créateur. Personne ne fait rien à partir de rien, S’il lui semble, comme il le confie à Robert mais, par contre, il y a participation et Daudelin en 1962 (Tremblay 1962a, 2), presque continuation. Il y a continuité et c’est impossible pour un compositeur contempo- une motivation extrêmement forte qu’on rain d’ignorer la pensée sérielle, il appuie oublie quelquefois, que moi-même j’oublie encore une fois sa démarche, non pas sur la malheureusement, mais devant laquelle il rupture, mais sur la continuité. Dans un entre- est bon de se remettre continuellement en tien avec Lucien Loriot, publié dans le Journal présence. (Ranallo 2006, 95) en 1963, il en du Collège de l’Assomption Ce sens de la continuité le mène également, donne une première définition : « La tradition au début des années 1960, vers une profonde vit en avançant, non en reculant ». remise en question de son propre langage Il ira même jusqu’à nuancer les propos de musical, un cheminement qui le conduira, Maryvonne Kendergi, qui affirme, durant son comme nous le verrons, à se tourner vers la entretien avec Tremblay en 1972, que l’ensei- nature, une source d’inspiration qui lui permet gnement de l’histoire musicale devrait débuter de renouveler sa manière de structurer le son, par la musique qui se fait maintenant, le reste la forme et le silence. n’étant, selon elle, qu’une question de culture. Gilles Tremblay lui répond : 2. La nature Je préfère enseigner l’histoire sous C’est par cette volonté d’inscrire sa pensée forme de cercle ou de spirale, car toute la mu sique existe simultanément dans le dans une continuité historique qu’il faut com- temps présent. Je remets en question le prendre et analyser sa réaction très forte au concept d’évolution. Je ne sais pas si la courant sériel qui domine durant ses é tudes musique a vraiment évolué. Elle a changé, à Paris. Cette crise survient après qu’il ait elle s’est transformée et je peux expliquer composé Cantique de durées (1960), où sont ces transformations, mais je pose la ques- appliquées de manière rigoureuse les règles de tion de l’évolution avec un énorme point l’écriture sérielle propagées dans les années d’interrogation. (Tremblay 1972b) 1950, passage obligé pour tout musicien qui Il en sera de même avec Jean Deschamps souhaitait joindre l’intelligentsia musicale à qui, lors de l’émission « Rencontres » déjà cette époque. L’œuvre sera créée le 24 mars citée, cherche à orienter le propos sur la rup- 1963 au Domaine musical de Paris, haut lieu de

MARIE-THÉRÈSE LEFEBVRE 35 ce courant. Pourtant, Gilles Tremblay délaisse Après avoir liquidé cette expérience de son emploi systématique à partir de 1965 avec manière percutante, il tourne définitivement la composition de Champ I et de Kékoba. le dos à une approche abstraite des formes On trouve ensuite encore quelques passages et n’utilisera plus ce vocabulaire structura- sériels dans des œuvres comme Champs III. liste dans la présentation de ses œuvres. Il On comprend un peu mieux les raisons de ce s’en explique dans une autre entrevue avec questionnement lorsqu’on lit attentivement Maryvonne Kendergi, en 1979 : l’analyse qu’il produit de Cantique de durées, La technique de Cantique de durées était en 1968, à la demande de Daniel Charles, dans une sorte d’aventure dramatique et j’ai une revue européenne intitulée La Revue voulu, après cette voix qui était purement d’esthétique. La coupure est violente si on en gratuite à la toute fin de l’œuvre, essayer juge par le ton et les termes qu’il utilise pour l’inverse. Au lieu de tout calculer et de expliquer l’expérience vécue lors de la compo- développer une dialectique avant même sition de Cantique de durées : d’écrire une note, [il s’agissait] d’essayer simplement d’écrire une musique jaillissant Une fois toute cette organisation soigneu- tout d’un trait. C’est d’ailleurs à ce titre, sement établie, prévue, calculée, il ne res- Traits [titre qui deviendra Champs I] que tait plus qu’à réaliser. Enfin, le rêve étoilé j’avais d’abord pensé, par analogie, aux pouvait prendre forme. C’est alors que traits de plain-chant, écrits tout d’un trait, l’imprévisible se produisit. L’imagination- sans retour en arrière. Une sorte d’absence organisation fut confrontée avec l’imagi- de mémoire, d’oubli volontaire, donc de nation-composition, impérieuse, affamée gratuité très grande. J’ai écrit la première d’immédiat et farouchement « en-temps » séquence de manière presque automatiste, (en opposition au « hors-temps » de tout simplement comme un jeu. C’était Xénakis), qui se trouvait acculée à une pas- finalement très structuré, mais de manière sivité révoltante. À ce point, l’œuvre aurait inconsciente. J’ai développé cette struc- pu être confiée à une machine-réalisa- ture et j’ai découvert ainsi une autre façon trice ! Je me trouvai donc dans l’obligation d’écrire. (Tremblay 1983) d’interrompre ma rédaction, paralysé par ce dilemme, n’ayant même plus le choix L’œuvre Champs I (pour piano et deux per- d’annihiler le travail déjà fait – il était déjà cussions), créée en février 1965, nous semble trop vivant et hantant de possibilités en le fondement du langage si personnel du soi. D’autre part, réaliser bêtement l’orga- compositeur. Elle est d’ailleurs accompagnée nisation prévue revenait à une démission d’un texte qui peut être considéré, à notre du compositeur. avis, comme fondateur : son credo musical. Rapprocher les deux imaginations (orga- Tremblay y explique que son langage sera nisation et composition). Attendre qu’a- désormais fondé, non plus sur une conception gissent les hauts-fourneaux de l’imagination abstraite du son, mais sur une conception sur ces monolithes séduisants, mais gelés. concrète par l’écoute des sons environnants, Être à l’écoute. Peu à peu, à travers les les paysages sonores qui sont dans la nature. at taques de l’imagination (composition), Ce texte, d’abord publié comme note de pro- une solution se dégage : la fixité de l’or- ganisation sera progressivement détruite gramme de Champs I en février 1965, puis par des vagues successives au profit d’é- sous le titre « Vie quotidienne et acte musical » changes et de multiplications décidés sur le dans Le Devoir du 27 juin 1970, a été reproduit champ, selon les situations immédiates… en 1971 dans Musiques du Kébek : Comme dans un feu de bois, la matière La vie quotidienne dans laquelle nous change en se consumant, mais les traces baignons est continuellement modelée laissées gardent l’empreinte de la forme du par les événements, les moments, qui en bûcher initial. Dans ce jeu d’échange et de ponctuent le parcours, qui en tissent la contagion transformatrice, la progression durée. Exemple : lever de soleil, événement générale est aimantée vers une liberté de politique, coup de téléphone, danse de la plus en plus grande. (Tremblay 1968, 277- neige, murmure de la foule, rencontre d’un 278 ; 1995, 48-50) regard. À première vue, ces ensembles L’œuvre se termine en effet dans une explo- ne paraissent avoir aucun sens, absurdes sion orchestrale d’où émerge une voix. C’est même, bons simplement pour un inven- la fin de la pièce. L’auteur conclut ainsi son taire. Pourtant, ils sont tendus de relations, de dynamismes, de mouvements, riches ar ticle : « L’auditeur ne peut identifier ce qui d’une variété inouïe : créateurs de rythmes. s’est passé dans ces dernières mesures, mais Le lever du soleil, l’événement politique, seulement avoir le sentiment d’une sorte de le chant de la cigale, celui de la cloche, naissance. » À notre avis, c’est à ce moment qu’a l’éruption volcanique, le silence, ne seront lieu la véritable naissance de Gilles Tremblay. plus aussi étrangers les uns aux autres

36 INTRODUCTION À LA PENSÉE ESTHÉTIQUE DE GILLES TREMBLAY À TRAVERS SES ÉCRITS qu’ils auraient pu le paraître au premier coup. On ne comprend pas. Dans l’évo- abord. Pour le musicien, entendre, perce- lution de la musique, au moment où j’ai voir les relations musicales qui sont dans écrit ça, c’était le triomphe du sérialisme la vie, constitue déjà un acte musical. C’est intégral, qui était absolument fascinant. pour lui, en tout cas, une attirance de plus En même temps, il traduit comme un mys- en plus forte. Qu’il prolonge cet acte de tère. Ce qui fait que les choses, par rap- réception unifiée en articulant l’œuvre aux port à une certaine musique, sont comme musiques perçues que je viens d’évoquer embrouillées. On les voit dans un mystère, et celle-ci entre dans une dimension toute mais c’est un cheminement vers quelque nouvelle, nourrie par des mouvements qui chose. (Ranallo 2006, 101) la dépassent. Si l’œuvre aide l’auditeur à son tour à percevoir les musiques latentes Comment se sort-il de cette crise ? Quel qui nous entourent, alors le musicien sera sera ce cheminement qui le conduit à trouver comblé. (Tremblay 1971, 289) une autre voie que celle du sérialisme pour Après la parution de ce texte, ses interven- élaborer la structure de ses œuvres, chemine- tions portent désormais sur le son et le silence. ment dont on trouve l’aboutissement dans le Le compositeur s’intéresse davantage à la des- texte de son credo musical (cité plus haut) ? cription des sonorités extérieures à l’origine La réponse à ces questions se trouve déjà en de ses œuvres. Curieusement, cette approche germe alors qu’il étudie dans la classe d’analyse concrète et expérimentale du son a certai- d’Olivier Messiaen. En 2007, Tremblay confie nement été inspirée par sa rencontre avec à Mario Paquet, lors d’une entrevue radio pho- Pierre Schaeffer et les membres du Groupe nique à Radio-Canada : de recherches musicales, mais Tremblay n’y a Je me rappelle une de mes propres crises. jamais fait allusion. C’est plutôt parce qu’il est Quand je suis arrivé la première année croyant, et donc, en conséquence à sa quête à Paris, on découvrait Boulez, qui était de spiritualité, qu’il se laisse guider par les sons peu connu à l’époque. Stockhausen. En de son environnement, perçus comme une Belgique Pousseur. Il commençait à y avoir manifestation concrète de la présence divine8. Berio. Et puis Xenakis, absolument fantas - Dans un article consacré à la musique et au tique. On a d’ailleurs développé une amitié sacré, publié dans Le Devoir le 22 avril 2000, quoique l’on ait été très loin l’un de l’autre. Je sais que pendant quelques semaines je il écrit en effet : me suis mis à douter. Je me demandais, Les moments qui m’apparaissent les plus est-ce que tout le monde ne fait pas fausse réussis [dans mes œuvres] sont ceux qui route ? J’en étais tourmenté, jusqu’au jour correspondent le plus à un oubli de ma où je me réveille le matin après une partie propre existence où ma volonté voulante d’insomnie à réfléchir à cela et je me suis [sic] ne compose pas mais est compo- dit que c’était complètement idiot comme sée. Paradoxalement, cette volonté vou- question. Quand on se met à douter, on ne lante sert de préparation ou d’écrin à ces fait rien. Et rien faire, c’est une erreur plus moments très rares de grande plénitude grande que de foncer. Alors conclusion, où l’artiste n’écrit plus mais est écrit (ce fonçons. (Tremblay 2007) qui n’exclut pas le travail très matériel de l’artisan). Moment privilégié où la volonté Mario Paquet poursuit : « Mais qu’est-ce qui est lestée de tout volontarisme. (Tremblay a alimenté ce doute quand vous dites que vous 2000) pensiez faire fausse route ? C’était en lien avec On serait tenté de relier cette attitude d’aban- ces esthétiques tout à fait éclatées ? » : don du contrôle qu’offre la musique sérielle à Il y avait le sérialisme et, heureusement, il celle d’un , bien que Tremblay ait y avait Messiaen. Je suivais aussi ses cours toujours été réticent devant ce rapprochement et Messiaen lui-même avait posé des ques- que le musicologue peut y percevoir. Cet tions aux élèves. Il disait : « La série, c’est abandon de la volonté dont parle Tremblay bien joli, mais il faut la généraliser à tous doit plutôt être relié à sa conception du divin, les aspects de la musique. Il ne faut pas juste faire des séries de sons, il faut faire comme il l’explique à Vincent Ranallo qui lui des séries de rythmes, d’attaques, d’inten- demande, en 2006 : « Pouvez-vous me donner sités. Si on pousse plus loin, il peut y avoir une définition du sacré pour vous ? » des séries d’objets [c’est nous qui sou- Le sacré, cela va dans le sens de l’émer- lignons] » Moi, ça m’a beaucoup stimulé de penser « objets » plutôt que de penser veillement et du dépassement. Il y a, dans 8 Il ne faudrait pas y voir le Cantique de durées, une citation de « séries de notes » parce que ce que l’on pour autant une sorte saint Paul : « Nous voyons les choses actuel- constatait, c’était que la technique sérielle, de panthéisme, mais lement comme dans un miroir, de façon appliquée aux notes, donne finalement une bien le résultat de la embrouillée. » C’est ce qui me frappe beau- assez grande grisaille. Création.

MARIE-THÉRÈSE LEFEBVRE 37 Pour Tremblay, il s’agit donc de construire de sons en vue de réaliser le projet d’environ- la forme d’une œuvre, non plus en fonction nement sonore du pavillon du Québec qui d’un langage directionnel imposé de manière fera partie d’Expo 67. Tremblay raconte, le abstraite par une série préétablie, mais de pen- 23 juillet 1966, à l’émission « À travers le temps ser la forme en fonction d’objets. Où trouver et l’espace : enquête sur les bruits qui nous ces objets qui contribueront à l’élaboration entourent », l’expérience qu’il a vécue : d’une structure musicale sinon dans la nature, J’ai récolté des chants de grenouilles près reflet de la présence divine ? Précisons ici que de la rive nord du Saguenay au pied du mont cette référence à la nature, souvent évoquée Valin, une région très sauvage. J’avais enregis- par Tremblay, n’a rien de métaphorique, ni tré près des Éboulements, il y a deux ans, des n’est liée à une quête d’identité culturelle9. La grenouilles et, de loin, ces bruits donnaient Nature, [on l’a dit,] il s’en émerveille comme l’impression de grelots. Chaque grenouille reflet de la présence divine. « Le moindre produit un seul son et l’ensemble produit plu- chant d’oiseau, la moindre fleur des champs, sieurs intervalles différents. Je suis intrigué par la moindre carapace de tortue possèdent des certains phénomènes. Ainsi, par moments, ces structures absolument inimaginables et splen- petites bêtes s’arrêtent d’un seul coup, comme dides. Devant cette réalité, le compositeur s’il y avait un chef d’orchestre. Le but de cette a envie de chanter, de crier son émerveille- collecte était de préparer des illustrations ment », raconte-t-il à Jean Deschamps lors de so nores pour le pavillon du Québec durant l’émission « Rencontres » le 13 janvier 1974 l’Expo 67. Ce qui est hypnotisant, c’est que (Tremblay 1974). dans cette nuit noire et sans lune, tout ce qu’on C’est aussi dans son observation de la Nature perçoit, c’est ce son infiniment long et presque (au sens large de la réalité vivante qui nous incantatoire. Il est possible de transposer ces entoure) qu’il puisera désormais sa manière sons électroniquement, mais captés ainsi, tel de structurer le son et de concevoir la forme quel dans la nature, il y a toute une musique (souvent par blocs et sans développement existante. Je souhaitais que les gens puissent linéaire), comme il l’explique à Serge Garant, percevoir ces sons de la vie comme si c’était de le 19 octobre 1970, à l’émission « Musique de la musique. Un autre bruit, une source d’eau, notre siècle » : « Ma conception du temps musi- nous donne une leçon for mi dable de rythme cal se rapproche davantage des événements et de mélodie. Cet enregistrement présenté à musicaux eux-mêmes en rapport avec les évé- une vitesse quatre fois plus lente et transposé nements de la vie, de ce qui nous entoure, la à deux octaves inférieures, chaque goutte res- nature, et la réalité mentale qui fait partie de la semble au son d’un marimba imaginaire au nature » (Tremblay 1970). rythme fantaisiste et riche. Quittons cette merveilleuse campagne pour écouter le bruit LE SON des villes. Ces grincements très mélodiques sont ceux d’un train dans une gare de triage. 9 Par exemple, dans Mais, venons-en à ce qui caractérise l’essen- Remarquez la variété infinie des timbres métal- Solstices ou les jours et les tiel de sa musique : sa conception du son et liques qui défilent sous nos oreilles. On entend saisons tournent (1971), du silence en tant qu’objets à partir desquels l’évocation des saisons tout le gémissement du métal et des polypho- sert uniquement à établir il élabore des structures musicales issues des nies de grincements (Tremblay 1966). la structure et à donner bruits de la nature, une idée qu’il tente d’expli- un caractère sonore dif- quer à Jean Lesage au moment de la création LA FORME férent à chaque section de son œuvre pour orgue, Vers une étoile, lors de l’œuvre , sans aucune De là à découvrir les innombrables schémas référence sémantique d’une émission télévisée à Radio-Canada dans aux paysages typiques du la série « Les Beaux dimanches », le 31 octobre formels que pouvaient lui offrir ces objets, il Québec. 1993 : « Les sons harmoniques sont des sons n’y avait qu’un pas à franchir. Deux té moi- 10 Walter Boudreau y fait qui se trouvent derrière la réalité qu’on voit. gnages nous transportent au cœur de la poïé- allusion dans l’entre- On trouve dans la nature une sorte d’image, tique de Tremblay, plus précisément sur la vue publiée ici même : de compréhension du son. Ce qui me fascine, naissance du processus formel10. « Gilles est fasciné par les in sectes ; il y en a partout c’est la beauté naturelle qu’on trouve à l’inté- Le premier témoignage, tiré d’une entrevue dans sa musique. Même rieur du son. » avec Eitan Cornfield datée de 2003, relate chose pour l’eau. On ne parle pas ici d’un art pic- Cette réalité sonore de la nature le fascine l’origine de l’idée formelle et la manière dont tural réaliste, mais d’une depuis son enfance alors qu’il accompagnait il a conçu Le sifflement des vents porteurs de vision très microscopique son père dans des excursions nocturnes dans l’amour en 1971 : du monde. Il « voit » les la forêt. Cependant, il expérimente « musicale- a tomes, les galaxies, de J’ai conçu l’idée générale de la pièce l’infiniment petit à l’in fi- ment » pour la première fois cette idée de son- lorsque je me promenais sur les bords du niment grand ». objet vers 1964, alors qu’il prépare sa collecte Saguenay. J’étais en vacances avec mes

38 INTRODUCTION À LA PENSÉE ESTHÉTIQUE DE GILLES TREMBLAY À TRAVERS SES ÉCRITS parents à ce moment, et la rivière était Dans la même entrevue de 2007 avec Mario gelée dure, même s’il y a des marées sur Paquet, alors que celui-ci l’interroge sur le le Saguenay. J’ai cru entendre une explo- rôle que joue le silence dans son œuvre Avec, sion, comme un coup de fusil. C’était le Wampum symphonique (1992), Tremblay bruit de la glace qui éclate, puis un court silence, un silence de froidure. Il faisait évoque ce passage biblique où le prophète Élie très froid et ça craquait de partout. Ça me cherche à savoir qui est réellement Yahvé : donnait l’idée d’une explosion très violente Dans un songe, un jour, un ange lui apparaît se mutant en silence et progressivement et lui dit « Va dans la grotte et puis attend ». une sorte de réchauffement qui donnait Alors il y va, il attend et arrive un ouragan naissance à la mélodie, à la fluidité de la épouvantable qui brise les rochers. Dieu mélodie, à son exubérance, ainsi de suite, n’était pas là. Ensuite il y a un tremblement passant de la glace au feu. (Tremblay 2003) de terre, absolument terrifiant. Dieu n’est Le second témoignage, offert à Mario Paquet pas là. Ensuite il y a un feu. Dieu n’y est en 2007, est tout aussi instructif pour com- pas. Élie est toujours dans sa grotte, il lit, et puis il entend un merveilleux silence. Une prendre la naissance de Musique du feu, sorte de silence vibratile. Yahvé se trouve composée en 1991. En plus de nous permettre là. C’est donc la douceur, le silence.11 d’admirer la richesse du vocabulaire utilisé afin d’offrir à l’auditeur une porte d’entrée à son Puis, il y a ce silence réel de la pensée œuvre, le compositeur nous convie non seu- que définit Tremblay au cours de l’émis- lement à l’écoute des bruits, mais également sion « Actuelles : la révolution sonore », le à l’observation des formes qu’offre la nature : 5 dé cembre 1980, ce silence nécessaire pour Le feu est quelque chose de convivial. Un que puisse naître une idée musicale : feu de camp. On cuit les aliments sur le Quand je réfléchis au silence, j’en parle à feu. C’est quelque chose de très doux et un niveau presque spirituel que j’appelle- très beau, mais, en même temps, cela peut rais « revirginisant » ou régénérateur. Pour être destructeur. Tout se réduit finalement imprimer une image quelconque, il faut en cendre. Le pire du feu est la bombe une cire vierge. Si la cire est brouillée, on atomique et avec la guerre, c’est un feu qui ne peut rien y imprimer. Quand je parle donne froid dans le dos. Cette œuvre est d’une nouvelle écoute, c’est dans le sens inspirée de tous les bruits physiques du feu d’un silence qui permet d’écouter, d’un – les crépitements, les ronflements, les cra- certain vide, créateur de plénitude. Cela quements – et en même temps des formes semble paradoxal, mais on ne peut avoir un des flammes. Des flammes moyennes , sentiment de plénitude sans avoir cette dis- pe tites, d’autres qui ressemblent à des feux ponibilité, ce vide. Quelqu’un qui est tou- d’artifices qui vont à toute vitesse et qui jours rempli de pensées (ou de lui-même) font des tournoiements en spirale. Et puis est inapte à écouter. Le silence est un état il y a les flammes profondes. Ici, j’ai utilisé qui n’est pas dépourvu de son. En forêt, des instruments graves. J’y ai mis deux par exemple, presque tous les oiseaux tubas parce que je voulais de grands mou- sont perceptibles individuellement parce vements de flammes qui durent, et avec qu’ils ne se nuisent pas entre eux. Il n’y a deux tubas c’est possible. Avec un [seul] pas de sursaturation qui empêcherait d’en- tuba, le tubiste arrive rapidement au bout tendre. Il y a une sorte de transparence qui de son souffle et ne peut pas continuer le permet d’entendre le silence. Aujourd’hui, mouvement. C’est une œuvre où il n’y a le silence est un luxe qui se paie. J’ai pas de cordes, uniquement des vents, des remarqué que le seul endroit dans un train percussions et [un] piano. (Tremblay 2007) où on ne diffuse pas de la muzak est dans la première classe. La muzak est un fond LE SILENCE sonore qui ne doit pas s’entendre, mais La musique ne se conçoit pas sans cette qui est rempli de mini-messages adaptés selon les lieux. C’est un procédé pervers, alternance entre le son et le silence. C’est une diabolique, aliénant et irrespectueux de la évidence. Mais, dans le cas de Tremblay, ce personne. (Tremblay 1980) silence est beaucoup plus qu’un arrêt, qu’une respiration ou qu’un élément structurel à Quant au silence musical, il en parle d’abord proprement parler. C’est ici surtout que l’on comme un préalable nécessaire à la captation peut relier sa vision de la Nature au grand axe d’idées musicales. Lors d’une discussion dans de l’artiste croyant qui chapeaute sa pensée le cadre de l’émission radiophonique Des esthétique. Il y a d’abord le silence qui permet idées plein la tête, en janvier 2006, consacrée 11 Élie au mont Horeb, d’approcher le divin, puis le silence propre- au thème du silence, Tremblay raconte ce Ancien Testament, 1er livre ment musical qui en découle. souvenir : des rois, chap. XIX, 1-18.

MARIE-THÉRÈSE LEFEBVRE 39 J’ai eu un professeur de piano formi dable présence de Denise Robillard et publiée dans lorsque j’étais à Paris. C’était Yvonne Liturgie, Foi et Culture, en 1990 : Loriod. Un jour que je prenais une leçon avec elle, je lui jouais un adagio de Mozart. Le silence de l’écoute totale, de l’écoute Lorsque cela fut terminé, elle m’a dit : adhésion. Pendant ce temps, on ne fait « Tremblay, vous faites trop de bruit avec plus de bruit avec sa pensée. Dans la litur- votre esprit ». Cela m’est resté et j’ai gie, si les silences sont des points morts, compris . Il manquait l’abandon, le silence ils ont raté leur rôle. La pensée naît dans de l’esprit. (Tremblay 2006a) le silence. L’idée de l’espace du silence me paraît particulièrement importante à La tête ainsi « nettoyée de ses bruits » est l’heure actuelle. Alors qu’on s’interroge sur alors apte à capter des idées, comme il le le rôle des bâtiments d’églises, il me paraît confie à Anne Lauber dans un livre publié en absurde de détruire des espaces de respira- 1990 par un collectif d’auteurs et intitulé Sons tion dans les villes. On devra même, pour sauvegarder notre équilibre, construire des d’aujourd’hui : espaces de silence. Cela fait partie du L’inspiration, c’est être à l’écoute des idées patrimoine – le patrimoine du silence – et et cela suppose un silence physique et on devrait y tenir comme à la prunelle de surtout un silence mental. Il faut être à ses yeux […] Quand nous venons prier, l’écoute de son désir en même temps qu’à dans ce geste de déposer, nous vivons l’écoute de l’univers. Nous avons tous l’expérience du désencombrement […] besoin de périodes de silence pour vivre, Si, dans nos liturgies, certains moments et l’inspiration est un surcroît de vie […] sont très bien réussis, les moments forts La vie moderne nous désapprend de plus ne sont pas suffisamment mis en valeur par en plus le silence, ce qui est dramatique. cette es pèce d’écrin de silence. Comme si (Tremblay 1990b) on avait peur du silence […]. (Tremblay 1990a, 48) Dans l’entrevue sur le DVD produit par la SMCQ en 2006, il ajoute : Conclusion La musique est inutile. Parfaitement inutile. S’il est vrai, comme nous avons tenté de le Par contre, elle est totalement nécessaire. On ne peut pas vivre sans musique… mais démontrer à la lumière des écrits de Tremblay, elle ne sert à rien. Si je parle de ce rien, que la foi chrétienne de l’homme a condi- c’est qu’il représente le silence, le vide, tionné ou enveloppé la pensée esthétique de qui permet la naissance de quelque chose. l’artiste en ce qui a trait au sacré et à la nature, La plupart du temps, je ressens beaucoup et ce, tout au long de sa carrière, on est en ce vide, ce rien, pour pouvoir apercevoir droit de questionner les fondements de cette ce qui est, pour pouvoir percevoir l’être foi qui a également guidé son engagement sonore, l’être poétique. (Tremblay 2006b) dans la société. Car, à l’opposé de son maître Mais ce n’est que lors d’un colloque sur l’éco- Olivier Messiaen qui a maintes fois affirmé logie sonore organisé par Raymond Ringuette comme une évidence qu’il était né croyant à l’Université Laval, en avril 1994, et dont les (Balmer 2009), Tremblay est certes, né invo- actes ont été publiés la même année dans la lontairement catholique, comme la plupart des revue Recherche en éducation musicale, que Canadiens-français de cette époque (il est né Tremblay définit le concept dans son contexte en 1932), mais son parcours pour approfondir musical. Sous le titre « Silences, Silence », il et assumer cette foi, puis de l’intégrer à son explore véritablement les différentes sortes de œuvre de compositeur, s’est fait progressi- silences musicaux (les silences d’avant, pen- vement, depuis ses années de formation au dant et après, avec des exemples musicaux) collège Brébeuf, par une succession de ques- pour ensuite aborder les différents sens accor- tionnements et de rencontres dont on trouve dés au mot « silence », une sorte d’inventaire la trace dans sa correspondance avec le père ou de répertoire qui aboutirait à un « traité du Paul Vanier, s.j., le père François Houang et silence », qui reste à faire. « Ce silence appar- avec l’essayiste Pierre Vadeboncoeur (Lefebvre 2010b). Un long cheminement donc, où, à l’ap- tient aux valeurs qu’une société doit cultiver. proche de ses 78 ans, il pouvait enfin répondre On peut donc parler ici, dans une perspective à l’impossible interrogation d’Alain Faubert : équilibrée d’écologie sonore, d’une véritable « Qui est Dieu pour vous ? » : culture du silence » (Tremblay 1994). Quelle question difficile ! Je crois qu’il Les réflexions de Tremblay sur le silence est essentiellement l’amour et la beauté à témoignent également de son engagement travers le mouvement, et j’essaie de perce- social et écologique. Quoi de plus actuel voir, de me mettre à l’unisson de ce mouve- que cette intervention, par exemple, faite en ment et de le transmettre. (Tremblay 2010)

40 INTRODUCTION À LA PENSÉE ESTHÉTIQUE DE GILLES TREMBLAY À TRAVERS SES ÉCRITS Un fait cependant demeure. Pourra-t-on éta- RÉFÉRENCES blir une corrélation directe entre le discours qu’il a tenu sur ces deux pôles, le sacré et la Livres et articles : nature, et son langage musical ? Nous croyons BALMER, Yves (2009). « ‘Je suis né que oui, si l’on se penche sur les œuvres uti- croyant…’. Aux sources du catholicisme lisant des textes religieux ; oui aussi, si l’on d’Olivier Messiaen », Sylvain CARON et étudie les emprunts à la structure du chant Michel DUCHESNEAU (dirs.), Musique, art grégorien ; et oui également, si l’on se penche et religion dans l’entre-deux-guerres, Lyon, sur les transmutations sonores qu’il a réalisées Éditions Symétrie, p. 417-441. à partir de l’observation de la forme des objets naturels. Cependant, l’analyse des formes BOIVIN, Jean (2003). « Musique et nature », musicales qui procèdent de ce mécanisme sera Jean-Jacques NATTIEZ (dir.), Musiques : une plus complexe, car, à moins qu’on en retrouve encyclopédie pour le XXIe siècle, Arles, Actes une trace dans ses notes de cours et dans les Sud, vol. 1 « Musiques du XXe siècle », p. 484- esquisses de ses œuvres, Tremblay n’a expli- 511. cité publiquement cette démarche, à notre LEFEBVRE, Marie-Thérèse (1986). Serge avis, que pour une seule œuvre, Compostelle 1 (1978). Dans une lettre adressée à Françoise Garant et la révolution musicale, Montréal, et Pierre Dansereau, le 19 octobre 1993, il Louise Courteau éditrice. décrit, en y joignant les illustrations, comment , ______(éd.) (1994). « Gilles Tremblay : à partir de l’observation d’une é corce de réflexions », Circuit, revue nord-améri- bouleau, il transpose les stries de cette forme caine de musique du XXe siècle, vol. 5, no 1, naturelle en une structure musicale. « Ce qui p. 9-78. Incluant des repères biographiques, m’a frappé, écrit-il, c’est l’aspect musical de un ca ta logue des œuvres, une chronologie des l’écorce traitée en partition, avec ses lignes ar ticles, entrevues et commentaires radiopho- horizontales de différentes longueurs et ses niques, ainsi qu’une discographie. groupes-réseaux d’événements, comme des constellations vibratiles12. » ______(éd.) (1995). « Tremblay/Varèse/ Autrement, et à l’exception de l’analyse Messiaen : Gilles Tremblay analyste », Circuit, sérielle de Cantique de durées que nous avons revue nord-américaine de musique du évoqué plus tôt, le compositeur préfère expo- XXe siècle, vol. 6, no 1, p. 9-64. Incluant une ser l’origine poétique ou l’idée originale de bibliographie chronologique des textes et tra- ses œuvres plutôt que la manière dont elles vaux consacrés à Gilles Tremblay. ont été construites. Cette attitude discrète ______(2009). « L’influence d’Art et concernant la « cuisine » de l’œuvre L’Espace scolastique (1920) de Jacques Maritain du cœur a été particulièrement évidente dans au Québec », Sylvain CARON et Michel la réponse habilement esquivée qu’il offrit à DUCHESNEAU (dirs.), Musique, art et un intervenant qui l’interrogeait sur ce sujet lors du colloque « Les écrits de compositeurs religion dans l’entre-deux-guerres, Lyon, depuis 1850 » en mars 2008, organisé par Éditions Symétrie, p. 71-81. Michel Duchesneau et Jean-Jacques Nattiez ______(2010a). « Compléments bio gra- à la Faculté de musique de l’Université de phiques. Pour la suite des recherches autour 12 Cette lettre et les trois séquences visuelles du Montréal. Tremblay y présentait la conférence de l’œuvre de Gilles Tremblay », Circuit, d’ouverture et avait choisi de traiter de l’ori - processus de composition musiques contemporaines, vol. 20, no 3, ont été publiées dans la gine de cette œuvre et du choix des textes p. 91-103. revue Circuit 1995, 61-64. plutôt que son écriture proprement dite. 13 Pour approfondir la ______(2010b). « Le compositeur Gilles Enfin, si nous nous sommes attardée ici à pensée religieuse de Tremblay : un artiste croyant et engagé », Les Messiaen, nous suggérons : publier, de manière isolée et dans le cadre d’un Cahiers des Dix, 64, p. 83-120. Brigitte Massin, Olivier colloque, de larges extraits de son discours, Messiaen, une poétique il faudra ultérieurement introduire la pensée MASSIN, Brigitte (1989). Olivier Messiaen, du merveilleux (1989) ; Yves Balmer, « ‘Je suis né de Gilles Tremblay dans le discours plus large une poétique du merveilleux, Aix, Éditions e croyant…’. Aux sources de compositeurs du XX siècle qui ont égale- Alinéa. du catholicisme d’Olivier ment soutenu une conception spirituelle de Messiaen » (2009) ; Claude la musique, même si, à l’exception d’Olivier NATTIEZ, Jean-Jacques (1985). « La relation Samuel, Entretiens avec Messiaen13, ces derniers n’en ont pas fait néces- oblique entre le musicologue et le composi- Olivier Messiaen (1967) ; teur », T. MACHOVER (éd.), Quoi ? Quand ? Claude Samuel, Musique sairement la pierre angulaire de leur réflexion et couleur. Nouveaux esthétique, tels, à titre d’exemples, Stravinski, Comment ? La recherche musicale, Paris, entretiens avec Olivier Schoenberg, Penderecki et Gubaidulina. Christian Bourgois, p. 121 -134. Messiaen (1986).

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