Revue d'histoire du XIXe siècle Société d'histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle

1 | 1985 Varia 1848. Révolutions et mutations au XIXe siècle

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/rh19/462 DOI: 10.4000/rh19.462 ISSN: 1777-5329

Publisher La Société de 1848

Printed version Date of publication: 1 June 1985 ISSN: 1265-1354

Electronic reference Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 [Online], Online since 26 August 2006, connection on 03 October 2020. URL : http://journals.openedition.org/rh19/462 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rh19.462

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TABLE OF CONTENTS

Le mot du président ou les raisons et les limites d'un retour aux sources Philippe Vigier

Éléments pour un historique de la Société d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle 1904-1940 Rémi Gossez

La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881 : source de l'histoire de la répression de l'insurrection de décembre 1851 Denise Devos

Les archives des bagnes de Cayenne et de Nouvelle-Calédonie : la sous-série colonies H aux archives nationales. Odile Krakovitch

La serie CC aux archives nationales : cour des Pairs. Procès politiques Jeannine Charon-Bordas

Considérations sur la Seconde République et les beaux-arts Pierre Vaisse

Le souvenir du 2 décembre dans la mémoire républicaine 1868-1901 Edith Rozier-Robin

Comptes rendus

Pierre PIERRARD, L'église et les ouvriers en (1840-1940) , Éditions Hachette, 1984, 600 p. Philippe Vigier

Un ouvrier en 1820, manuscrit inédit de Jacques Étienne Bédé édité par Rémi Gossez, avant-propos de Louis Girard, Presses universitaires de France, 1984, 405 p. Jean-Yves Mollier

Yves LEMOINE et Pierre LENOEL, Les avenues de la République. Souvenirs de F.- V. Raspail Paris, Éditions Hachette, 1984, in-8°, 379 p. Henri Dubief

L'esprit de 48 au pilori. Philippe MURAY, Le XIXe siècle à travers les âges Paris, Éditions Denoël, 1984, 686 p. Maurice Agulhon

Jean-Yves MOLLIER, Dans les bagnes de Napoléon III, Mémoires de Charles Ferdinand Gambon Éditions du Centre de Correspondances du XIXe siècle de l'Université Paris IV, Paris, Presses universitaires de France, 1983, 296 p. Maurice Agulhon

Karl MARX, Les luttes de classes en France 1848-1850 et Le Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte, présentation et annotations de Raymond Huard, traductions revues par Gérard Cornillet Éditions sociales, 1984, collection "Essentiel", 251 p. et 230 p. Jean-Yves Mollier

Aux sources du socialisme. Flora Tristan (1803-1844), présentée par Stéphane Michaud Paris, Les Éditions ouvrières, 1984, 140 p. Jean-Claude Caron

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Gordon WRIGHT, Between the Guillotine and Liberty. Two Centuries of the Crime Problem in France New York/Oxford, Oxford University Press, 1983, IX + 290 p. Jean-Claude Caron

Susan GROAG BELL and Karen M. OFFEN, Women, The Family and Freedom. The Debate in Documents Stanford University Press, 1983, volume one, 1750-1880, 561 p., volume two, 1880-1950, 474 p. Jean-Claude Caron

Daniel LICOU [dir.], Histoire de Montauban Toulouse, Éditions Privat, 1984, 350 p., collection "Pays et Villes de France". Jean-Claude Caron

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Le mot du président ou les raisons et les limites d'un retour aux sources

Philippe Vigier

Il y a deux ans déjà que la Société d'histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle a admis le principe de renouer avec une tradition de publication périodique qui lui soit propre. Une tradition qui remontait à ses origines même --en 1904-- mais qui, après bien des avatars, s'était interrompue depuis le début des années 1950. Ce qui ne veut pas dire que, depuis lors, la Société ait cessé toute activité. Tant s'en faut. En dehors d'assemblées générales annuelles, en février, bien sûr, qui permettaient d'entendre d'intéressantes communications scientifiques, elle a publié, avec une périodicité malheureusement irrégulière, des volumes d'Études groupées autour d'un thème : Armée, Choléra, Crise de 1846-1851, Presse ouvrière. Impossible prison, Utopismes sociaux, etc. Enfin, depuis une dizaine d'années, grâce essentiellement à Maurice Agulhon qui m'a précédé à la tête d'une société à laquelle il a donné une nouvelle vie, successivement Les Annales historiques de la Révolution française, puis Romantisme, ont accepté (et nous en sommes fort reconnaissants aux responsables de ces revues) d'insérer dans leurs publications propres une chronique réservée à notre société. Nous voici revenus à la solution d'un périodique annuel accueillant articles de fond, comptes rendus, chroniques, etc. émanant des membres de notre société --de jeunes chercheurs, en particulier-- auxquels nous souhaitons largement ouvrir cette tribune. C'est que l'expérience a prouvé qu'il est bien difficile à une Société savante de conserver ses adhérents, et surtout (ce qui est notre ambition) d'en recruter de nouveaux, sans le support d'une publication régulière et autonome. Même si celle-ci se veut modeste --dans la mesure, en particulier, où la Société entend également publier, tous les deux ans, les Actes du colloque où sont présentés les résultats du thème de recherche autour duquel nous entendons, davantage que précédemment, mobiliser le maximum de sociétaires, tout en élargissant notre "champ de recrutement", aux non- historiens tout particulièrement. Fort encourageante, à cet égard, me semble

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l'expérience faite, les deux dernières années, autour du thème du Maintien de l'ordre au XIXe siècle : le colloque conclusif, tenu en décembre 1983, a connu un si franc succès que nous avons décidé de prolonger, et d'élargir notre enquête, en traitant, dans les deux années qui viennent, des victimes du maintien de l'ordre, et de la prison politique. Encore faut-il, bien sûr, que publication annuelle et recherche collective répondent à un besoin ressenti par un nombre suffisant de chercheurs et lecteurs professionnels ou bénévoles. Y a-t-il place. actuellement, pour une société qui se donne pour tâche d'étudier les grandes mutations survenues au XIXe siècle dans la France et dans le monde, ainsi que les problèmes qu'elles posent, et les résistances qu'elles suscitent -- ceci tout en respectant le désir des fondateurs d'attacher une particulière importance au phénomène révolutionnaire, et aux réactions qu'il provoque ? C'est parce que nous le pensons que nous continuons l'entreprise sur ces bases élargies. Avec la ferme volonté d'approfondir, et de mieux faire connaître, le renouvellement intervenu depuis plusieurs décennies dans cette histoire du siècle passé dont la richesse foisonnante est encore (contrairement à ce que l'on pense souvent…) insuffisamment connue. L'apport des littéraires, des sociologues, des politologues, des philosophes… a été essentiel dans l'élargissement d'un champ historique qui couvre les phénomènes culturels et artistiques, les faits de mentalités, aussi bien que le social et le politique, largement renouvelés par ailleurs ; aussi comptons-nous beaucoup sur leur concours, comme sur ceux de nos collègues étrangers, qui ont tant contribué, ces derniers temps, à une meilleure connaissance du XIXe siècle français --pour ne parler que de lui. Possible, l'entreprise nous apparaît également nécessaire --dans la mesure où, dans notre pays du moins, existe actuellement un étonnant décalage (mais n'est-il pas révélateur de crise ?) entre l'intérêt passionné que l'histoire du XIXe siècle suscite dans un très vaste public, et la place réduite qui lui est faite, depuis quelques années, dans les programmes scolaires. Les Commissions Girault, puis Le Goff, de réforme et de revalorisation de l'enseignement de l'Histoire, l'ont d'ailleurs déploré, et comptent bien "corriger le tir". Nous souhaitons nous associer à cet effort de remise en perspective -- convaincus que nous sommes du rôle essentiel joué par les faits, les œuvres et les hommes du siècle passé dans la formation et, partant, dans la compréhension du monde contemporain. Un dernier mot : ce bulletin n'aurait pas vu le jour sans la foi et l'efficacité de Jean- Claude Caron qui, au sein de notre bureau, en a accepté la responsabilité rédactionnelle. Qu'il en soit vivement remercié.

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Éléments pour un historique de la Société d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle 1904-1940

Rémi Gossez

1 “Le meilleur hommage qu’on puisse rendre au passé, surtout a un passé si voisin de nous et encore objet de jugements si passionnés et si contradictoires, c’est de verser à flots la lumière sur ce qui fut volcan en éruption et n’est plus désormais que lave encore chaude, mais déjà refroidie”.

2 Cette conclusion d’un texte inédit 1 de Georges Renard, fondateur de la Société, peut définir ce qu’elle a accompli sous sa direction de 1904 à 1930, puis ce qu’elle est devenue depuis sa disparition, le 17 octobre 1930.

3 Lors du vingt-cinquième anniversaire de la Société, Renard rappelait sa naissance, comme un “rameau détache de la Société d’Histoire moderne”, celle-ci n’ayant pas accepte de créer une section vouée a l’étude du milieu du XIXe siècle.

4 L’exemple des résultats importants obtenus par la Société d’histoire de la Révolution n’était pas étranger a cette suggestion De la création de la Société a la première guerre mondiale 5 Dans l’été 1903 le rédacteur en chef du Temps, Henri Michel, charge de cours a l’Université de Paris, offrit a Renard de la reprendre en créant une Société autonome. Le Comité d’initiative comprit A. Aulard, P. Baudin, ancien ministre, Ad. Carnot, directeur de l’École des Mines, P. Caron, archiviste, A. Debidour, inspecteur général E. Denis, professeur à l’Université de Paris, Maurice Faure, sénateur, G. Geffroy, homme de lettres, H. Michel, G. Renard, Ch. Schmidt, archiviste aux Archives nationales.

6 Début février 1904, un appel aux adhésions spécifiait le double but poursuivi “avant tout organiser scientifiquement le labeur historique devenu possible sur une période défigurée par une foule de légendes, en seconde ligne, travailler a répandre les idées de

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1848, considérées comme le développement naturel et logique des idées de la Révolution”.

7 Le 24 février, devant une soixantaine de personnes assemblées dans l’amphithéâtre Quinet, Adolphe Carnot rappellera quel mouvement d’idées s’était produit de 1830 a 1848 chez les penseurs, s’était poursuivi dans les masses populaires et avait retenti dans d’autres pays d’Europe. Or, “l’intervalle qui nous en sépare est suffisant pour que les appréciations soient équitables” et “quelques témoignages pourront être rapportes par des contemporains de la Révolution de 1848 et par des descendants immédiats des hommes qui ont pris part soit aux événements, soit au mouvement philosophique et social qui a donne son caractère spécial a cette révolution”.

8 Des statuts furent discutés et votés, ils n’ont guère été modifiés par le décret de 1933, déclarant la société reconnue d’utilité publique, qui entérinera la décision de 1916 d’étendre l’objet de ses études aux révolutions du XIXe siècle.

9 Un Comité directeur fut composé de 32 membres, parmi lesquels, outre ceux du Comité d’initiative, figuraient Camille Bloch, inspecteur général des bibliothèques et des archives, Henri Brisson, président de la Chambre, Sébastien Charléty, professeur a l’Université de Lyon, E. Dejean, directeur des Archives, Armand Dayot, inspecteur des Beaux-Arts, Lucien Descaves, homme de lettres, E. Espinas, professeur a l’Université de Paris, M. Fallieres, président du Sénat, Ferdinand Dreyfus, avocat, ancien députe, Mme Charles Floquet, Anatole France, Ch. Gide, Jean Jaures, E. Levasseur, membre de l’Institut, Louis Liard, recteur de l’Université de Paris, A. Millerand, députe, ancien ministre, le général Pedoya, ancien commandant de corps d’armée, Ph. Sagnac, professeur a l’Université de Lille, Ch. Seignobos, maître de conférences a l’Université de Paris.

10 Le bureau, élu le 29 février, était préside par Ad. Carnot, assiste de Aulard, Maurice Faure, Millerand, Michel, secrétaire général avec Pierre Caron pour adjoint, G. Renard était rédacteur en chef du bulletin de la Société et C. Bloch, trésorier.

11 Parmi ses 182 membres de 1904, on note les noms de descendants d’Arago, Barbes et Flocon, en compagnie de Albert Bayet, Henri Berr, Léon Blurn, Georges et Hubert Bougin, Léon Brunschwig, Mme Charras, Jules Claretie, Armand Dennery, Eugène d’Eichtal, Paul Faure, Octave Festy, , Eugène Fourniere, Genêt père, A. M Cossez, Michel Goudchaux, Octave Greard, E. Halevy, Émile Kahn, président de la Ligue des Droits de l’Homme, --également représentée par sa section d’Angoulême--, Levy-Bruhl, René Lisbonne, Lyon-Caen, Albert Mallet, Paul et Victor Margueritte, Albert Mathiez, Noël Parfait, Raymond Poincaré, Joseph Reinach, Romain Rolland, Albert et Maurice Sarraut, Camille Sée, Albert Thomas, Weulersse.

12 Lucipia, conseiller municipal de Paris, bien connu par son rôle en 1870 et 1871, disparut des la création de la société dont il était membre. Henri Michel également né a Metz en 1857, il était d’origine alsacienne normalien, sorti en 1880, il devint, deux ans après, rédacteur au “Temps” Sa thèse sur L’Idée de l’État, Paris, 1896, in 8°, 650 p., embrasse l’ensemble des systèmes de philosophie politique, en particulier ceux de Villeneuve- Bargement, Tocqueville et Renouvier, professeur a l’École Normale de Sevres, la crise boulangiste l’amène a quitter le Temps et, en 1896, il est charge de cours a l’Université de Paris ou son enseignement, d’abord, s’attache a Quinet et Michelet. Malgré son décès en octobre 1904, les comptes rendus dans les deux premiers bulletins sont de lui.

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13 La Société se promettait d’organiser des conférences a Paris et en province, et par son bulletin, d’être un lien entre tous les travailleurs qui, en France et a l’étranger, se livrent a l’étude de la période dont 1848 est le centre.

14 Dans un “Coup d’œil sur nos travaux futurs”, G. Renard traçait au bulletin un programme : publication de documents inédits, des témoignages oraux recueillis, de lettres, mémoires et récits, réservant une grande place a la critique des livres, aux études originales ou aux travaux en préparation. La bibliographie était confiée a P. Caron.

15 Renard voyait des points de contacts entre l’époque de 1848 et celle de 1904, s’agissant de théories, entre celles de Tolstoï et Leroux ou entre celles de Marx et Proudhon. S’agissant d’applications pratiques, c’était l’embarras du choix : l’alliance russe deja prônée par Lamartine ; la séparation de l’Église et de l’État, acceptée par le pape et l’archevêque de Paris dans un premier moment d’émoi, en 1848. Renard citait d’autres exemples concernant les instituteurs, les chemins de fer, le service de deux ans, le régime légal du travail, la création d’un ministère du travail, l’arbitrage obligatoire entre patrons et ouvriers, le minimum de salaire, l’assurance mutuelle et obligatoire contre l’incendie, le repos hebdomadaire, les États Unis d’Europe évoqués dans le Moniteur, dès le 28 février 1848. Rêves ou inventions ?

16 En groupant sous quatre chefs les matières sociales pour la commodité de leur étude, G. Renard, sous celui de l’évolution géographique et économique, place la surpopulation et la peur qu’elle suscite, l’enquête agricole et industrielle, les ateliers nationaux, les associations ouvrières

17 Sous celui de l’évolution politique la peur des ouvriers en 1848, et des rouges en 1851, les premières applications du suffrage universel, la campagne des banquets, les déportations de juin et de décembre, des travaux étaient en cours sur Blanqui, Herwegh, Barbes, Leroux, Fourier, sur le ministre Marie (Cherest), sur Louis Napoléon avant l’Empire (Thirria), sur Montatembert (le père Lecanuet). Un vent de résurrection soufflait pour 1848 : on s’interrogeait sur l’ajournement de la proposition Carnot relative a l’instruction gratuite et obligatoire, les lectures du soir renaissaient ; 1848 en Europe marquait l’entrée en scène définitive des masses populaires désormais a l’ordre du jour du XXe siècle.

18 Quant a l’évolution religieuse, dans le rapprochement entre l’Église et la bourgeoisie ou le détachement du socialisme par rapport a la religion, le grand tournant paraissait se situer en 1848.

19 L’examen de l’évolution intellectuelle et morale montrait que “ce qui est vaincu, honni, c’est l’idéalisme au lendemain d’une époque ou les utopies ont foisonné. Le triomphe du réalisme en tout domaine, l’infiltration, puis la domination brutale de cet esprit nouveau dans la vie, le théâtre, la philosophie, le roman, la poésie même, comme dans la peinture et la musique”, s’expriment dans la violence des polémiques, et Renard concluait que le progrès scientifique paraissait avoir eu pour pendant le fléchissement des mœurs et du caractère.

20 La nouvelle Société se mit aussitôt a l’ouvrage, menant une activité laborieuse et discrète, sans guère d’incidents. À l’ordre du jour de SES réunions d’études figurent des questions de l’actualité du moment comme celle des chemins de fer ou de la décentralisation politique. Ses conférences se tenaient au Collège libre des sciences sociales.

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21 Elle s’efforça de suivre dans différents pays les échos de la révolution de 1848, ses sourds contrecoups en Russie, les journées rouges en Bohême, son influence sur Ibsen en Norvège et sur la jeunesse en Serbie en Italie, la Société française se découvrait une émule et une alliée dans la Societa per lo studio del Risorgimento, fondée en 1908. Dans l’Europe de 1913 c’était des “légions” de chercheurs qui étaient a l’œuvre sur le mouvement de 48 2.

22 La “Bibliothèque de la Révolution de 1848”, créée en 1907, consacra son premier volume aux procès-verbaux du Comité des Travailleurs, le second aux Mémoires de l’ouvrier François Leblanc, le troisième, a “Victor Considérant, son Œuvre” puis parurent jusqu’en 1914, l’”Histoire politique de Lyon” par François Dutacq, les ouvrages d’Henri Vlonin sur D. Bancel, de Victor Fleury sur le poète George Herwegh et de Robert Pimienta sur la propagande bonapartiste.

23 Depuis 1907, un banquet annuel réunissait les sociétaires, se terminant souvent par des chansons quarante-huitardes. La guerre le suspendit. En 1909, de concert avec la Bibliothèque de la Ville de Paris, une “Exposition de Paris en 1848” organisée par la Société fit suite, rue Sévigné, a celle de “Paris du temps des Romantiques” due à Marcel Poète. Cependant, le musée de “48” alors projeté attendra longtemps ; à la veille de la guerre, Camille Bloch, . alors trésorier de la Société, tenta la création d’un Musée de la Défense Nationale centre sur la guerre de 1870, avec une salle pour les révolutions nationales en Europe 3.

24 De 1904 a 1914, le bulletin traite des événements, principalement de 1848 a 1851, en insistant sur les personnages qui y ont été mêlés, sur les correspondants et autres sources dont Pierre Caron faisait le recensement systématique. De Buonarotti au comte de Chambord, de Manuel a Lesseps, de ministres comme Léon Faucher ou Carnot aux historiens comme Henri Martin et Villemain ou a un économiste comme Léon Walras et au chimiste Marcellin Berthelot, on ne saurait citer tous ceux qui sont étudiés ; cependant, si peu de socialistes manquent à la liste, sont omis les ouvriers, leurs principaux militants et ces “masses” que la société mettait à son programme : quoique membre de la Société, l’inspecteur du travail Octave Festy, initiateur des travaux sur le mouvement ouvrier proprement dit, ne publie rien dans le bulletin et l’œuvre de Renard sur l’histoire du travail a Florence ne fit pas école.

25 Tout au plus est démantelée la légende sur la responsabilité de dans la formation des Ateliers Nationaux. Pourtant, Gustave Geffroy aborde les journées de Juin dès le premier numéro, également consacré à l’apparition du socialisme en Angleterre, avec un article d’Édouard Dolléans. Le bulletin s’intéressait toujours plus aux révolutions du XIXe siècle en Europe --de la Belgique a l’Italie, de la Bohême a la Pologne et avec la guerre mondiale a l’Allemagne,

26 La vie politique et sociale des départements est, comme prévu, le thème principal des travaux de la Société, quoique l’enquête industrielle et agricole de 1848 ne soit encore guère mise a contribution, sauf pour le département du Nord, -- ce qui valut a l’auteur, de la part au jury de thèse, le reproche d’expliquer la révolution par la conjonction de la crise vinrent aussitôt le confirmer. S’il n’avait pas adhéré à l’Internationale d’Amsterdam, Renard avait pris le recul nécessaire à une observation aussi bien politique qu’historique, comme sa coopération avec le journaliste Henry Michel l’indique ; ses rapports avec Romain Rolland le tenaient informé des initiatives révolutionnaires en Europe. La Société entre les deux guerres

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27 L’Assemblée générale de 1919 institua des délégués de la Société à l’étranger, grâce à diverses initiatives :

28 --Depuis 1912 membre donateur, James Hyde, attaché à la diffusion de la culture française aux États-Unis, fut admis en 1917 au Comité Directeur ;

29 --En 1916, un collaborateur de la Revue Historique adhéra à la Société :

30 Stanislas Posner, avocat à la Cour de Varsovie, obtint, en 1918, d’insérer dans notre périodique un “bulletin polonais” qui amena, début 1919, l’adhésion collective à la Société d’une réunion d’historiens polonais ;

31 --Au même moment, le professeur Wilmotte, de l’Université de Liège et secrétaire général du Comité d’Entente franco-belge, s’entendait avec la Société pour fonder à Bruxelles une Société d’Histoire de la Révolution de 1830 qui devait avoir pour organe le même bulletin que la Société de 1848.

32 --Délégué en 1917 à La Chaux-de-Fonds, Henry Moisset y fit huit conférences sur le Mouvement des Nationalités, dont deux sur la question polonaise en la liant à la “Fédération Européenne” --présentée comme une idée française de 1830 à 1848, bien que Henri IV l’ait déjà mise en avant et que, une fois à Sainte Hélène, Napoléon l’ait reprise. La Société Pédagogique Neuchatéloise, qui l’avait accueilli, appelait au renouvellement de cette délégation.

33 --Ernest Denis, professeur à la Sorbonne et l’un des fondateurs de la Société, considéré comme un actif artisan de la résurrection nationale en Tchécoslovaquie, fit à Prague en automne 1919, un voyage fécond pour les relations entre historiens d’Europe ; sa mort l’interrompit.

34 La Société autorisa, en 1919, son comité à organiser des ententes avec les sociétés historiques étrangères. L’article 19 des statuts fut ainsi conçu :

35 “Le comité peut désigner parmi les membre de la Société des délégués et des délégués adjoints à l’étranger”. Par suite furent désignés, outre les correspondants précités, M. de Boer, professeur à l’Université d’Amsterdam, et Mlle Despréaux, directrice du lycée français de jeunes filles de Riga.

36 En nombre, des étrangers --y compris des étudiants chinois à Paris-- adhérèrent ou collaborèrent au bulletin, décidément ouvert au monde, non sans rapport avec le mouvement pour la Société des Nations. Mais cette ouverture souffrit d’un désaccord entre historiens Flamands et Wallons, de l’absence de moyens pour obtenir des universitaires à l’étranger de la continuité dans leur collaboration, des dépréciations monétaires qui vinrent gêner la rentrée des cotisations demandées à ces universitaires, comme des difficultés financières en France.

37 De tous ces efforts en direction des autres pays, il demeura un développement très net des études les concernant, que l’on peut chiffrer.

38 Un classement par thèmes des études, chroniques et autres matières du bulletin de 1919 à 1940 permet ce décompte :

Histoire d’autres pays 24

Travaux sur les départements 23

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Économie sociale 03

Économie, industrie 04

Chansons et poésies 14

Histoire littéraire, artistes

musiciens, caricaturistes 10

Finances 04

Administration 03

Paysans 03

Hommes politiques 08

Monarques et princes 10

Socialistes 08

Révolutionnaires 08

Icariens, colonies sociétaires 08

Cultes 11

Enseignement 08

Féminisme 04

Santé publique 01

Ouvriers 09

Colonisation 06

Armée et guerre 11

Politique étrangère 02

Partis, élections, lois électorales, banquets 06

Presse 08

Coups d’état, complots 07

Insurrections 11

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39 La méthodologie et la recherche des sources ne donnent lieu qu’à la publication de trois études particulières. monarchie de Juillet. Seconde République, Second Empire monopolisent presque toutes l’attention, les autres régimes n’étant abordés qu’une dizaine de fois, et la Commune deux fois. Il est rare que, sauf à propos de “L’Esprit de 1848”, les travaux (onze au total) s’élèvent soit à des généralités, comme la politique de paix du gouvernement provisoire, soit à des questions d’ordre culturel, telles les fêtes populaires et cérémonies, alors que les chansons quarante-huitardes restent fort prisées.

40 Si cette production est abondante --le double de celle de 1904 à 1919-- et bien que les études sur les événements et les personnages politiques soient nettement en régression par rapport à l’avant-guerre, elle paraît assez timide par rapport aux orientations contemporaines de François Simiand --qui a succédé à Georges Renard à la chaire d’histoire du travail du Collège de France-- ou de Lucien Fèvre et Marc Bloch.

41 Les recherches en direction des départements ont amené à la Société un grand nombre d’enseignants résidant en province, plutôt du secondaire et du primaire ; collaborateurs et adhérents venant des archives départementales ont suivi l’impulsion donnée de Paris par d’éminents archivistes, mais sauf Charles Schmidt, ces derniers s’attachent maintenant aux documents produits par une actualité plus récente que ceux de 1848. Les derniers quarante-huitards ne sont plus et leurs descendants se sont disséminés.

42 Dans le maintien de la “Société de tradition”, des journalistes comme Gabriel Perreux, G. Vauthier ou Alexandre Zévaés prennent la relève et assurent à ses publications toute la qualité qui caractérisait encore la Presse malgré ses divisions politiques.

43 Si Renard a réussi à obtenir de la Société toute l’attention que méritait l’histoire des autres pays, comme des départements, l’orientation méthodologique qui lui était propre --sur l’histoire économique et sociale, la démographie-- n’avait pas fait école au sein de la Société. Pourtant, le banquier Paul Raphaël, secrétaire général depuis 1922, rappelait lors d’une cérémonie à la mémoire de Renard en novembre 1930, que son maître “avait su mettre en lumière l’importance des phénomènes économiques, sans négliger le facteur idéaliste et les passions humaines”.

44 Lors de ses quatre-vingts ans en 1927, elle s’était bien réduite, l’équipe qui l’entourait en 1904, quand étaient là autour de leur “archicube” Renard, promotion 1867, non seulement Aulard et Debidour, combattants comme lui ou Georges Weulersse, son neveu, en 1870 au 7e mobile de la Seine, mais aussi Lucien Herr, Simiand, M. Croiset, Roger Picard, E. Thiebaut, Albert Thomas, Jean Jaurès, Pierre Paraf ou Camille Bougie : “Vous avez trouvé le moyen d’allier l’esprit normalien à l’esprit de 1848”, comme ce dernier le définissait.

45 Selon le résumé que fait Renard de l’œuvre accomplie, non seulement elle avait détruit bon nombre de légendes trop souvent colportées mais elle a eu le mérite de décentraliser l’histoire de l’époque étudiée : “Nous avons, sans négliger Paris, restitué à la province la place à laquelle elle a droit, suscité des travaux, déclenché des enquêtes sur les événements qui s’y sont passés, sur le mouvement des esprits qui s’y est produit. Nous avons étendu nos investigations à l’étranger et jeté quelque lumière sur les pays les plus divers : l’Allemagne, la Bohème, la Hongrie, la Serbie, la Pologne, la Russie, les pays Scandinaves, l’Italie, les États-Unis”.

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46 Répétant un mot d’Aulard, “nous avons rendu des services non seulement scientifiques mais civiques”, affirme Renard. Civisme qui reste celui qui l’avait conduit jadis auprès du délégué à la guerre. Rosse ! , puis à la direction de la Revue Socialiste où il succédait à Benoît Malon et qui lui permettrait d’éclairer “ce qui fut pour l’Europe entière une Révolution-mère, grosse d’idées et de réformes qui entrent peu à peu dans les mœurs et les lois”.

47 Renard décédé, une nouvelle équipe était mise en place puisqu’il avait pris soin de préparer la relève : son ami et voisin rue Meslay, P. Raphaël, était à son tour “l’âme” de la Société, présidée par Justin Godard, député radical des ouvriers de Lyon et chevalier de l’ordre de Malte, plusieurs fois ministre. Depuis son arrivée à Paris en 1925, la rédaction du bulletin était confiée à A. M. Gossez, historien de la Seconde République dans le département du Nord, où son aïeul Bianchi avait été le premier conseiller général élu des ouvriers des caves de Lille ; secrétaire général de la Société des Ecrivains de Province, on pouvait être sûr qu’il continuerait d’encourager les recherches d’histoire locale et régionale.

48 Depuis 1927 où. comme beaucoup d’autres sociétés savantes, elle avait été arrêtée dans son effort par les difficultés financières, la Société bénéficiait de subventions du Ministère de l’Instruction publique, du Conseil Municipal de Paris et du Conseil général ; son trésorier depuis 1918 était le

49 directeur du Crédit municipal de Paris Adam Flocon, fils du membre du gouvernement provisoire Ferdinand Flocon ; son collègue Marcel Pain le remplaça de 1930 à 1940 --ce qui assura une excellente gestion financière et quelques ressources supplémentaires que Robert Perotin, également fonctionnaire, sut maintenir jusqu’à son départ en 1951 du Mont-de-Piété.

50 Parmi les vices-présidents de cette époque, on peut distinguer Jules-Louis Puech, l’auteur de la thèse sur Flora Tristan qui reste la base de tous les travaux sur l’illustre féministe ; avec Madame Puech, née Henneguy, l’une des petites-filles de Proudhon, et Georges Duveau, il collaborait à l’édition par la librairie Marcel Rivière, et sous la direction de C. Bougie des œuvres complètes de Proudhon ; occasion en février 1936 d’un important débat devant la Société sur l’attitude de Proudhon vis-à-vis de Louis Bonaparte. Entré au comité en 1932, Félix Ponteil, qui publiait dans le bulletin des études sur la crise et l’agitation ouvrière de 1847 en Alsace accéda à la vice-présidence quand sa nomination à l’Université de Strasbourg survint. Vice-président de 1921 à 1940, le sénateur Aimé Berthod, en 1933 pendant son ministère à l’Instruction publique, obtint pour la Société la reconnaissance d’utilité publique par un décret du 14 avril.

51 Cette consécration pour l’œuvre accomplie --complétée par une présentation des publications de la Société à l’Exposition Universelle de 1937-- doit beaucoup aux auteurs des comptes rendus, raison d’être d’une revue véritable, à Georges Renard d’abord, avec 78 chroniques bibliographiques, puis à Victor Chazelas (20), à A. M. Gossez (54), à P. Raphaël (19) et à J.-L. Puech (21) mais une trentaine d’autres historiens les y aidèrent occasionnellement. À la faveur du mouvement populaire de 1936, les ouvrages portant sur le monde ouvrier et la situation économique et sociale attirent les comptes rendus : L’histoire du mouvement ouvrier de Dolléans, par exemple. La Guerre de 1870 et la Commune de G. Bourgin, ou Le siège de Paris de G. Duveau, ainsi que La Chouannerie de 1832 du Dr Paul Delaunay bénéficient d’un attrait qui fait le succès des études publiées dans le bulletin, de François Rude sur “L’Insurrection ouvrière de Lyon en 1831 et le rôle de Pierre Charnier”, de G. Duveau sur la Pensée ouvrière en 1848 en

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matière d’instruction, de A. M. Gossez relatif à la situation sociale de l’ouvrier lillois du textile autour de 1848 ou de Marie-Madeleine Kahan-Rabecq sur la crise des subsistances dans le Haut-Rhin à la veille de la Révolution de 1848 suivie d’un compte rendu, par Puech, de sa thèse sur l’Alsace économique et sociale sous le régime de Juillet.

52 Les chansonniers ouvriers retrouvent une audience : le dessinateur Gilbert Randon, de Lyon, l’ouvrier-poète Gabriel Cauny et Jean-Baptiste Clément. “À l’Avenir”, chanson d’un proscrit de Décembre, Louis Collin, est éditée ainsi que la consultation de l’avocat Eugène Delattre sur les dommages-intérêts aux victimes du 2 écembre, avec une étude de R. Gossez, dernière publication du bulletin de 1940.

53 La Belgique et Delescluze sont l’objet de recherches de Marcel Dessal ; le bulletin n’omet pas les républicains allemands et Arnold Ruge, dont paraît un inédit de 1855, sur “Paris et Saint-Pétersbourg”, grâce à Victor Fleury et à M. F. Rude qui s’attache aux réfugiés allemands à Besançon sous la Seconde République.

54 En 1940, Victor Fleury consacre un dernier travail aux idées politiques de Lassalle et de Marx, précédé d’un compte rendu par Raphaël sur l’ouvrage de Suzanne Gugenheim “Madame d’Agoult et la pensée européenne de son époque” ; Gabriel Monod venait de publier sa biographie de Daniel Stern, non sans que Puech en rende compte.

55 Par une sorte de transposition dans le passé, la Société de la Révolution de 1848 et des Révolutions du XIXe siècle montrait une évidente sensibilité à l’histoire en train de se faire.

56 * * *

57 Nous publions, à la suite de l’article de R. Gossez, des extraits des statuts de 1904, et de ceux de 1933, ainsi que la liste du premier Comité directeur et des membres fondateurs.

58 Pourquoi ne pas le dire ? Ce n’est pas sans émotion que l’on trouve rassemblés côte à côte les noms de J. Jaurès, H. Brisson, A. Fallières, A. Millerand, L. Blum, R. Poincaré, J. Reinach, mais aussi d’écrivains comme A. France, R. Rolland, etc. et de très nombreux universitaires. Statuts (1904) 59 TITRE 1 Objet de la Société

60 ARTICLE PREMIER. -- II est institué une Société d’Histoire de la Révolution

61 de 1848.

62 ART. 2. -- L’objet de la Société est de grouper les personnes qui, en tous pays, s’intéressent dans un esprit démocratique à l’histoire de cette époque, soit en France, soit à l’étranger, et d’en organiser l’étude scientifique.

63 ART. 3. -- La Société fera office de bureau d’information pour les historiens qui s’occupent de cette époque.

64 ART. 4. -- La Société aura pour organe une publication périodique, qui fera connaître ses travaux et sera envoyée à tous ses membres.

65 Voici maintenant la composition du Comité directeur :

66 MM. A. AULARD, professeur à l’Université de Paris ; Pierre BAUDIN, député, ancien ministre ; Mme Paul BERT ; MM. Camille BLOCH, inspecteur général des Bibliothèques et des Archives ; Henri BRISSON, président de la Chambre des députés ; Ad. CARNOT, membre de l’Institut, directeur de l’École des mines ; Pierre CARON, archiviste aux

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Archives nationales ; S. CHARLETY, professeur à l’Université de Lyon ; Armand DAYOT, inspecteur des Beaux-Arts ; A. DEBIDOUR, inspecteur général de l’Instruction publique ; E. DEJEAN, directeur des Archives ; E. DENIS, professeur à l’Université de Paris ; L. DESCAVES, homme de lettres ; A. ESPINAS, professeur à l’Université de Paris ; M. FALLIERES, président du Sénat ; FERDINAND-DREYFUS, avocat, ancien député ; Maurice FAURE, sénateur ; Mme Charles FLOQUET ; MM. Anatole FRANCE, de l’Académie française ; G. GEFFROY, homme de lettres ; Ch. GIDE. professeur à l’Université de Paris ; Jean JAURES, député ; E. LEVASSEUR, membre de l’Institut, administrateur du Collège de France ; L. LIARD, membre de l’Institut, vice-recteur de l’Académie de Paris ; Henry MICHEL, professeur à l’Université de Paris ; A. MILLERAND, député, ancien ministre ; Général PEDOYA, ancien commandant de corps d’armée ; Georges RENARD, professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers ; Ph. SAGNAC. professeur adjoint à l’Université de Lille ; Ch. SCHMIDT, archiviste aux Archives nationales ; Ch. SEIGNOBOS, maître de conférences à l’Université de Paris.

67 Ce Comité directeur, convoqué le 29 février, composait son bureau ainsi qu’il suit :

68 MM. Ad. CARNOT, président.

69 A. AULARD, Maurice FAURE, A. MILLERAND, vice-présidents.

70 H. MICHEL, secrétaire général.

71 P. CARON, secrétaire général adjoint.

72 G. RENARD, rédacteur en chef du Bulletin de la Société.

73 C. BLOCH. trésorier.

74 La Société a été, conformément à la loi, inscrite au Journal officiel.

75 Il ne reste plus, pour achever ce rapide historique de sa naissance, qu’à donner la liste de ses membres à la date du 25 avril, jour où cet article a été remis à l’imprimeur.

ADAM-FLOCON 75, rue Caulaincourt, Paris.

ALENGRY inspecteur d’Académie, à Limoges (Haute-Vienne).

ALLIER (R.) 282, boulevard Raspail, Paris.

AMANIEUX (Marc) Le Ray (Dordogne).

ARAGO (François) 18, rue d’Enghien, Paris.

ARNAUD professeur au lycée, Aix (Bouches-du-Rhône).

AULARD (A.) 1, place de l’École, Paris.

BARBES (Armand) 75, rue Saint-Jacques, Paris.

BARDOUX (Jacques) 23, rue Montaigne, Paris.

BAUDIN (Pierre) 81, rue Taitbout, Paris.

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 15

BAYET (Albert) 37, quai des Grands-Augustins. Paris.

BERR (Henri) 2, rue de Villebois-Mareuil, Paris.

BERT (Mme Paul) 12. avenue Carnot. Paris.

BLOCH (Camille) 3, rue Donizetti, Paris.

BLUM (Léon) 38, rue du Luxembourg, Paris.

BLUM (Simon) 41, rue des Écoles, Paris.

BOURDE 22, boulevard Flandrin, Paris.

BOUILLY-LEMAIRE à Verdun (Meuse).

BOURGEOIS (Léon) 5, rue Palatine, Paris.

BOURGIN (Hubert) 2, rue du Mont-Capron, Beauvais (Oise).

BOURGIN (Georges) 18, via del Maccherino, Rome (Italie).

BRETTE (Armand) 59 bis, rue Rochechouart, Paris.

BRISSON (Henri) président de la Chambre des Députés, q. d’Orsay, Paris

BRUNET (Maurice) 16, rue des Courtines-Saint-Gervais, Paris.

BRUNSCHWIG 22, villa Dupont, Paris.

BULOT 12, rue Decaen, Paris.

BUREAU (Paul) 33, rue du Cherche-Midi, Paris.

CAHEN (Georges) 49 bis, avenue d’Antin, Paris.

CAHEN (Léon) 43, rue Saint-Pétersbourg, Paris.

CALVET 72, boulevard de Strasbourg, Paris.

CARNOT (Adolphe) 60, boulevard Saint-Michel, Paris.

CARON (Pierre) 24, rue des Boulangers, Paris.

CHAMBON bibliothécaire de l’Université, Paris.

CHARLETY (S.) 4, quai de la Cuillotière, Lyon (Rhône).

CHARRAS (Mme 1, rue Bayard, Paris.

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 16

CLARETIE (Jules) 115. boulevard Haussmann, Paris.

CORCELLE 3, route de Lyon, Chambéry (Savoie).

CORDA docteur en droit.

CORNELY 101, rue de Vaugirard, Paris.

COUCHEROND (Mlle Sarah) 20, rue Chaudron. Paris.

COYECQUE 20, avenue Reille, Paris.

CROS rue Cail, Paris.

DAYOT (Armand) 8, boulevard Flandrin, Paris.

DEBIDOUR (A.) 7, rue Nicole, Paris.

DEJEAN (Et.) 60, rue des Francs-Bourgeois, Paris.

DELBET 2, rue des Beaux-Arts, Paris.

DENIS (E.) 44, rue de Fontenay, Sceaux (Seine).

DENNERY (Armand) 31, quai Bourbon, Paris.

DEPASSE (Hector) 11, villa du Roule, Neuilly (Seine).

DESCAVES (Lucien) 46, rue de la Santé, Paris.

DOLERIS (Dr) 20, boulevard de Courcelles. Paris.

DREYFUS (Robert) 8, rue Cadet. Paris.

DREYFUS-BRISAC (Ed.) 6. rue de Tocqueville, Paris.

DUBOIS professeur au lycée, Alençon (Orne).

DUGUE 10, rue Victor-Hugo. Les Aydes (Loiret).

DUMOULIN (M.) 59, route d’Ecquevilly, Les Mureaux (Seine-et-Oise).

DUPUY (Ernest) 2, avenue de Montsouris, Paris.

DUPUY (Pierre) 18, rue d’Enghien, Paris.

sénateur, au Palais du Luxembourg, rue de Vaugirard, DUSSOLIER Paris.

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 17

DUVAL (H.) 1, rue du Plat, Lyon (Rhône).

DUVAND (A.) 3, place Vintimille, Paris.

EICHTAL (Eug. d’) 144. boulevard Malesherbes, Paris.

ESPINAS (A.) 84, rue du Ranelagh. Paris.

FALLIERES président du Sénat, au palais du Luxembourg, Paris.

FAURE (Fernand) 79, rue Mozart, Paris.

FAURE (Maurice) 9 bis. boulevard Montparnasse, Paris.

FAURE (Paul) 115, boulevard Saint-Germain, Paris.

FELDMANN (Arm.) 11, rue de Penthièvre. Paris.

FERDINAND-DREYFUS 98, avenue de Villiers. Paris.

FERRY (Gustave) à Lexy (Meurthe-et-Moselle).

FESTY (0.) 36, rue Vaneau. Paris.

FINOT (Jean) 12, avenue de l’Opéra, Paris.

FLOQUET (MME Ch.) 19, rue de Lille, Paris.

FLOCON (Ferd.) 57, rue Caulaincourt, Paris.

FONTAINE (Arthur) 2, avenue de Villars, Paris.

FORMENTIN 31, rue Franklin. Paris.

FOURNIERE (Eug.) 119, rue Caulaincourt, Paris,

FRANCE (Anatole) 5, villa Saîd, Paris,

GAISMAN (Alb.) 23, avenue de Noailles. Lyon (Rhône).

GAUTIER (Jules) 10, quai des Célestins, Paris.

GEFFROY (Gust.) 210, boulevard Pereire, Paris.

GENET 9, rue Gassendi, Paris.

GIDE (Ch.) 141. rue de la Tour, Paris.

GLOTZ 73, rue du Cardinal-Lemoine, Paris.

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 18

G0INEAU (A.) 56, rue Cay-Lussac. Paris.

GOSSEZ professeur à Montivilliers (Seine-Inférieure).

GOUDCHAUX 26, avenue de la Grande-Armée, Paris.

GREARD (0.) 30, rue du Luxembourg, Paris.

GROS (Ch.) professeur au lycée de Chaumont (Haute-Marne).

GROS au Ministère de la Guerre, Paris.

HALEVY (E.) 8, quai de la Mégisserie. Paris.

HARDOUIN à la Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne).

HAVET (Mme Louis) 5, avenue de l’Opéra, Paris.

HERR (L.) 11, rue du Val-de-Crâce, Paris.

directeur de la Dépêche de Toulouse, 57, rue Bayard, HUC Paris.

JAUBERT 13, rue de Beaune, Paris.

JAURES (Jean) 7, avenue des Chalets, Paris.

Jeunesse laïque de Villeneuve-sur-Lot représentée par M. Louis BERTRAND, avenue d’Eysses, (Lot-et-Garonne) à Villeneuve-sur-Lot.

JOUSSELIN 22, avenue Jules-Janin, Paris.

KAHN (Émile) 183, rue du Faubourg-Poissonnière, Paris.

KAPFERER (Louis) à Neuilly (Seine).

KLEINE 9, avenue de la Bourdonnais, Paris.

LACOMBE 5, avenue de Saint-Mandé, Charenton (Seine).

LACROIX (Mme) Le Val-André, par Pléneuf (Côtes-du-Nord).

LATERRADE 77, boulevard Saint-Michel. Paris.

LAURENT à Reims (Marne).

LAZARD (R.) 18, rue de Berry, Paris.

LECOMTE (G.) 54, rue de Prony, Paris.

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 19

LEVASSEUR (Em.) administrateur du Collège de France, Paris.

LEVY (Roger) 24, rue de la Banque, Bar-le-Duc (Meuse).

LEVY-BRUHL 7, rue Lincoln, Paris.

LEVY-SCHNEIDER 121, rue Pierre-Corneille, Lyon (Rhône).

LIARD (L.) vice-recteur à la Sorbonne, rue des Écoles, Paris.

Ligue des Droits de l’Homme section d’Angoulême (Charente).

LISBONNE (René) 87, boulevard Saint-Michel, Paris.

LOUIS (Paul) 45, boulevard Magenta, Paris.

LUCIPIA avenue de l’Asile, Villejuif (Seine).

LYON-CAEN 13, rue Soufflot, Paris.

MAILLEFERT professeur à l’Université de Lausanne (Suisse).

MALET (Albert) 79, rue Claude-Bernard. Paris.

MANTOUX (Paul) 39, rue du Faubourg-Poissonnière, Paris.

MARGUERITTE (Paul) 7, boulevard Beauséjour, Paris.

MARCUERITTE (Victor) 80, rue de Passy, Paris.

MATHIEZ (Albert) 32, rue du Costil-Saint-Julien, Caen (Calvados).

MICHEL (Henry) 79, rue Jouffroy. Paris.

MILHAUD (Albert) 52, boulevard Alexandre-Martin, Orléans (Loiret).

MILLERAND (A.) 2, avenue de Villars. Paris.

MONIN (H.) 2, rue Alfred-Stevens. Paris.

MONOD (Aug.) professeur au lycée Montaigne, Paris.

MONTIER (A.) 46, rue Notre-Dame-du-Pin. Pont-Audemer (Eure).

MOULINIER 17, rue Montalembert. Angoulême (Charente).

MOYSSET (Henry) 6, rue de Commailles, Paris.

NECTOUX secrétaire général de la Préfecture, Moulins (Allier).

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 20

OSSIP-LOURIE 136, rue d’Assas, Paris.

PALLAIN gouverneur de la Banque de France, Paris.

PARFAIT (Noël) 164, rue de Bécon. Courbevoie (Seine).

PARISET 26, rue Cambon, Paris.

recteur de l’Institut catholique, rue de Vaugirard, PECHENARD (Mgr) Paris.

PEDOYA (Général).

PELISSIER (Léon-G.) villa Leyris, Montpellier (Hérault).

PERROUD recteur de l’Académie, Toulouse (Haute-Garonne).

PILLASTRE 13, rue de l’Abbaye, Paris.

POINCARE (R.) 26, avenue des Champs-Elysées, Paris.

POULET (Henry) au Palais de l’Elysée, faubourg Saint-Honoré, Paris.

POUVILLON (Émile) à Montauban (Tarn-et-Garonne).

PREVOT 4, rue Papillon, Paris.

PRUDHOMME 11, rue Bourdaloue, Nîmes (Gard).

PUAUX (Franck) 11, avenue de l’Observatoire, Paris.

RAUH 4 bis, rue d’Ulm, Paris.

REINACH (Joseph) 6, avenue Van-Dyck, Paris.

RENARD (Georges) 32, rue Meslay, Paris.

REVON professeur au Collège de France.

ROLLAND (Romain) 162, boulevard Montparnasse, Paris.

ROTH 9 bis, avenue Cambetta, Saint-Mandé (Seine).

directeur du bureau international de l’Union postale à RUFFY Berne (Suisse).

SAGNAC (Ph.) 11, place Simon-Volland, Lille (Nord).

SAINTE-CROIX (Camille de) 77, rue du Bac, Paris.

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 21

SALOMON (Mlle) 10, rue de Condé, Paris.

SARRAUT (Albert) 27, boulevard Latour-Maubourg, Paris.

SARRAUT (Maurice) 2, square Labruyère, Paris.

SCHMIDT (Ch.) 109, avenue de Neuilly, Neuilly (Seine).

SCHNEIDER 9, quai de l’Hôpital, Lyon (Rhône).

SCHNEIDER 15, Sonnenweg, Bale (Suisse).

SCHŒN (F.) 11, rue d’Uzès, Paris.

SEE (Camille) 65, avenue des Champs-Elysées, Paris.

SEIGNOBOS (Ch.) 6, rue Dante, Paris.

SELIGMAN 5, avenue Montaigne, Paris.

TARBOURIECH 19, rue du Sommerard, Paris.

THALAMAS 3, rue de Limoges, Versailles (Seme-et-Oise).

THOMAS (Albert) 15, avenue de Brétigny, Champigny (Seine).

TOITON (l’abbé) 7, avenue des Gobelins, Paris.

TRUCHY 7, boulevard Thiers, Dijon (Côte-d’Or).

VERGNES professeur au lycée, Montauban (Tarn-et-Garonne).

VICOUROUX 39, avenue Rapp, Paris.

VILLEMAGNE secrétaire de la mairie de Saint-Thibéry (Hérault).

WEULERSSE 20, rue de la Terrasse, Paris.

WIRIATH professeur au collège Chaptal, Paris.

WYROUBOFF 20, rue Lacépede, Paris.

ZABLONDOWSKI (Léon) 43, rue de la Harpe, Paris.

ZABLONDOWSKI (Zoé) 43, rue de la Harpe, Paris.

Statuts (1933)

76 But et composition de l’association

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 22

77 Article Premier

78 L’Association dite “Société d’Histoire de la Révolution de 1848”, fondée en 1901, a pour but de grouper les personnes qui, en tous pays, s’intéressent à l’histoire de cette époque et en général à tous les mouvements politiques et sociaux à partir du XIXe siècle.

79 Elle en organise l’étude et en fait office de bureau de renseignements. Sa durée est limitée.

80 Elle a son siège social à Paris.

NOTES

1. Ce que fut la Commune en 1871, par Georges Renard, ancien attaché de cabinet du Délégué à la Guerre de la Commune, Rossel. 2. Rapport à l’assemblée de la Société, en 1913, par Henry Moysset. Nouveau secrétaire général, il est bientôt mobilisé puis, en 1917, il est nommé au Comité Français d’Action à l’étranger ; auteur d’études sur l’Allemagne, dans le bulletin en particulier, il énonce, dans son rapport de février 1917 : “Le triomphe de la Justice et du Droit aura pour conséquence un plus libre développement des diverses nationalités, ce qui était un des buts des hommes de 1848 […] Les socialistes qui avaient en partie abandonné la tradition idéaliste des démocrates de la Seconde République, tendent à y revenir”. En 1918, il devint chef du cabinet civil du ministre de la Marine. 3. En 1918, chargé de l’organisation de la Bibliothèque-Musée de la Guerre, il dut laisser la trésorerie à Adam-Flocon ; on retrouvera, en 1946, le frère de Marc Bloch, quand, vice-président de la Société, il entreprit de fédérer les sociétés historiques pour leur permettre de renaître.

INDEX

Mots-clés : Société de 1848

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 23

La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881 : source de l'histoire de la répression de l'insurrection de décembre 1851

Denise Devos

La sous-série F15 des Archives nationales renferme un groupe de 259 articles cotés F15 3964 à 4223 classés sous le titre : Indemnités aux victimes du coup d'état du 2 décembre 1851 et de la loi de sûreté générale du 27 février 1858. Ces indemnités résultent de la loi du 30 juillet 1881, dite de réparation nationale, qui allouait une pension ou rente viagère aux citoyens français victimes du coup d'état du 2 décembre 1851 et de la loi de sûreté générale du 27 février 1858. Si les intéressés étaient décédés, les veuves non remariées, les ascendants ou descendants au 1er degré pouvaient obtenir une pension. Les prétendants à l'indemnité devaient adresser leur demande avec renseignements et pièces à l'appui au Préfet du département où ils résidaient quand ils ont été frappés ou atteints. Une notice était ensuite établie par le Sous-préfet de l'arrondissement du domicile, souvent d'après les renseignements fournis par le maire de la commune. Elle comprenait les éléments suivants : état-civil, profession, nature des condamnations et mesures politiques, durée et conséquences de celles-ci, ressources et conduite politique actuelles du pétitionnaire. Les dossiers ainsi constitués étaient centralisés à la Préfecture et soumis à l'examen d'une Commission composée du Préfet, de trois membres du Conseil général désignés par le Préfet et de trois délégués élus par les victimes. La Commission départementale après délibération dressait un état des demandes admises et proposait le chiffre de la pension à allouer. Les dossiers étaient ensuite soumis à l'examen d'une Commission générale siégeant à Paris qui statuait en dernier ressort. Cette Commission générale était présidée par le Ministre de l'Intérieur et comprenait huit parlementaires, tous d'anciennes victimes : 4 sénateurs (Victor Hugo, Jean-Baptiste Massé, Elzéar Pin, Victor Schœlcher), 4 députés (Louis Greppo, Noël Madier de Montjau. Martin Nadaud et Alexandre Dethou). Deux conseillers d'Etat, un conseiller à la Cour des comptes et quatre hauts fonctionnaires représentaient les Ministères de l'Intérieur (Direction de la

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 24

Sûreté générale. Direction de l'Administration départementale et communale), de la Justice et des Finances. Au décès du crédirentier, la moitié de la pension obtenue était réversible sur la veuve et sur les descendants au premier degré. Le nombre des demandes formulées fut d'environ 25 000. Elles sont actuellement réparties en pensions accordées, annulées, reversées, demandes rejetées, demandes dites tardives, c'est-à-dire introduites après le délai fixé par la loi complémentaire du 20 décembre 1881. Trois systèmes de classement ont été utilisés pour ces cinq catégories de dossiers. L'inventaire en cours se présentera sous la forme d'un fichier, par département, comprenant dans l'ordre alphabétique des noms : 1°) les pensions accordées, annulées et reversées, 2°) une sélection des demandes rejetées, 3°) une sélection des demandes tardives. Chaque fiche comporte les nom et prénoms de la victime, dans la mesure où ils sont connus : les dates et lieux de naissance et de décès, la profession et le domicile en 1851 (ou à la date du fait invoqué, quand les demandes n'entrent pas dans le cadre fixé par la loi), enfin, les noms des ayants droit indemnisés ou des prétendants à l'indemnité. On peut puiser dans ces dossier des éléments qui intéressent l'histoire de la Seconde République : insurgés de juin 1848, sociétés secrètes, révocations, affaires électorales diverses, mouvements insurrectionnels locaux, complots des années proches du coup d'État… Les récits sur les événements de décembre 1851 sont peu nombreux et partiels ; ils proviennent des demandes rejetées ou tardives. Cependant, la mémoire des victimes restitue les conditions climatiques des journées de décembre, les groupes d'individus partis ensemble, les lieux de rassemblement, les itinéraires suivis, les lieux des combats, les blessés, les tués, les fusillés, les arrestations en pleine action, les circonstances de la dispersion. Les motivations sont sommaires et souvent repensées à la lumière des mesures de répression qui suivirent le coup d'État. Les suites des événements de décembre sont largement développées. L'apport principal du fonds réside dans l'histoire de la répression de 1852. Toute la trame du devenir des victimes des commissions mixtes, comme des clandestins et des fuyards, nous est livrée. Lieux et conditions de la détention immédiate, séjour sur les pontons, peines de transportation réellement subies avec à l'appui les livrets de transportés, conditions et durée de la transportation à Cayenne ou en Algérie, lettres de transportés, décès à Cayenne ou en Algérie avec indication des maladies ayant entraîné la mort, évasions, retour au pays, fixation immédiate ou après coup en Algérie, émigration en raison de la perte d'un négoce ou d'un artisanat, aventures diverses quelquefois réussies, mais le plus souvent des séquelles physiques et un appauvrissement des ressources. Dans le cas des internés et surveillés, le lieu du domicile dans ou hors du département est indiqué et sont énumérées les cœrcitions diverses ayant entraîné la ruine des artisans et des professions libérales. II en est de même pour les expulsés hors du département et pour les expulsés de France. Les dossiers permettent de distinguer les contumaces, les exilés volontaires immédiats qui n'apparaissent pas dans les commissions mixtes s'ils n'ont pas été dénoncés, et les exilés volontaires après les résultats des travaux des commissions. Les pays d'exil sont le plus souvent, en premier temps : Belgique, Angleterre, Suisse, Italie, Espagne et Portugal ; en deuxième temps : Jersey, Irlande, Hollande, Luxembourg, États-Unis, Mexique, Argentine, Porto-Rico, Australie, etc. Les fuyards et les clandestins qui sont restés quelque temps chez des sympathisants ou dans la forêt forment le lot des pensionnés à 100 francs. Cette répression officieuse que

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 25

tous les historiens du coup d'État ont pressentie nous est révélée ici. Son étude pourrait peut-être apporter des correctifs à la statistique officielle de la répression de BB30* 24. Enfin, la réparation elle-même reflète un certain état d'esprit de la TroisièmeRépublique naissante qui n'a voulu voir qu'une certaine image de l'insurgé de 1851. D'où la grande importance donnée à la preuve des sentiments républicains de la victime ou des familles et différentes sortes de rejets. L'indignité est déclarée quand il y a un casier judiciaire. Si l'école est privilégiée à travers les vieux instituteurs ou les fils d'instituteurs, les enfants des victimes s'ils sont religieux ou ecclésiastiques perdent leur droit à l'indemnité. D'autre part, les exilés demeurés dans leur pays de refuge. propagateurs possibles de l'idée républicaine, accèdent au bénéfice de la loi, sauf s'ils ont abandonné la nationalité française. Dans ce cas, ils sont assimilés aux étrangers victimes de la répression qui, même transportés, ne sont pas reconnus comme telles. Les décisions d'attribution de pension permettent d'étudier le rôle des autorités nouvellement mises en place. Préfets. Sous-préfets et maires, dont certains sont d'anciens proscrits ou ont été victimes de la crise du 16 mai 1877 ainsi que le jeu des influences parlementaires et parfois de la solidarité franc-maçonnique. Les pensions des ayants droit et les réversions font découvrir, outre la date et le lieu du décès de la victime, l'identité du conjoint et les parentés par alliance, assez fréquentes, entre les inculpés, l'état-civil des descendants au premier degré et leur profession, l'évolution du niveau social de la famille, le degré d'instruction, etc. Comme les ascendants des victimes nous sont connus par les pièces d'état-civil du dossier principal, trois générations sont ainsi présentes dans les documents. Leur étude permettrait sans doute de réaliser une vaste enquête sociologique allant de la deuxième moitié du XVIIIe siècle à la Troisième République.

INDEX

Mots-clés : Archives, Répression, Coup d'Etat

Revue d'histoire du XIXe siècle, 1 | 1985 26

Les archives des bagnes de Cayenne et de Nouvelle-Calédonie : la sous- série colonies H aux archives nationales.

Odile Krakovitch

Les bagnes

1 Les bagnes coloniaux, comme “terres de la Grande Punition” 1, furent créés par la loi de Napoléon III du 30 mai 1854. Les départs pour Cayenne avaient commencé, cependant, deux ans auparavant, avec les décrets du 8 décembre 1851 (4 jours après l’Insurrection) et de mars 1852. Les bagnes avaient déjà une longue histoire. Les galères, tout d’abord, servirent comme moyens de punition des condamnés. Puis, avec le progrès de la marine à voile, on utilisa les détenus à différents travaux forcés, tout en continuant à les rassembler dans les ports, principalement Rochefort, Brest et Toulon.

2 Les transports outre-mer des condamnés avaient commencé très tôt, dès le XVIe siècle : envoi de populations au Canada, en Louisiane ; il faut rappeler la sombre affaire de l’hécatombe de la population de Kourou en Guyane, au milieu du XVIIIe siècle. Ces transports servaient cependant à peupler les colonies plus qu’à réprimer et punir.

3 La Guyane apparut très tôt comme une terre choisie pour se débarrasser de personnes indésirables en métropole. C’est la Révolution qui y envoya les premiers déportés politiques.

4 Les ports restèrent jusqu’au milieu du XIXe siècle le lieu d’enfermement des condamnés. On se servit de l’Algérie pour les insurgés de 1851. Dès 1852, cependant, la priorité fut donnée à Cayenne ; les bagnes des ports fermèrent alors progressivement : Rochefort en 1852, Brest en 1858, Toulon en 1873. L’envoi dans cette terre lointaine présentait un double avantage par rapport aux ports : la disparition, sans retour possible, de la population dangereuse, le remplacement, avantageux pour la mise en valeur d’une colonie qui ne voulait pas démarrer, des esclaves libérés en 1848 par une autre main-d’œuvre aussi peu coûteuse.

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Les sources 5 Les sources, comme toutes les archives des organismes pénitentiaires, sont prodigieuses, tant par leur importance que par l’ampleur des renseignements fournis et la méticulosité de leur conservation. Le fonds, actuellement conservé à la Cité des Archives de Fontainebleau, se compose de 2 663 articles, registres et cartons répertoriés par M. Prêteux. Ceci ne représente qu’une partie des archives, puisque se trouve encore à Saint-Martin-de-Ré, un fonds important qui doit prochainement être transféré à Fleury-Mérogis pour y être traité. Les deux parties sont indissociables et nécessitent absolument d’être rassemblées et conservées en un seul et même lieu.

6 Ces archives sont soumises à la réserve des 100 ans, réserve qui s’applique à tous les documents judiciaires. Elles dépendent de la Section des Archives d’Outre-Mer, située dans les locaux du Secrétariat aux DOM-TOM, 27, rue Oudinot, section qui fait, cependant, administrativement partie des Archives nationales. Les demandes d’autorisation de consultation sont à soumettre au Directeur général des Archives de France, par l’intermédiaire du Conservateur en chef de la Section des Archives d’Outre- Mer. Le fonds de Saint-Martin-de-Ré, qui doit faire l’objet d’un traitement informatique par une équipe de chercheurs du CNRS attachée à la Justice, demeure jusqu’à son prochain versement aux Archives nationales, sous la tutelle du Ministère de la Justice.

7 Le premier versement d’archives, soit 843 articles, fut fait en 1901 au Ministère des Colonies, qui, faute de place, le transféra en 1928 aux Archives nationales. La grande majorité des 2 663 articles conservés aux Archives nationales fut versée vers 1947-1948, soit dix ans après la suppression des bagnes. Il faut ajouter une trentaine de cartons, demeurés à la Justice et versés, il y a une dizaine d’années, aux Archives nationales.

8 Les derniers bagnards ne furent rapatriés qu’en 1953. On peut penser que les papiers, aujourd’hui conservés à Saint-Martin-de-Ré, furent rapatriés à cette date, avec la liquidation définitive du bagne. La vie dans les bagnes de Cayenne et Nouvelle-Calédonie 9 Le bagne de Cayenne fut ouvert en 1952, et fermé momentanément aux métropolitains, pour cause de trop grande mortalité, en 1867. Les condamnés coloniaux continuèrent cependant à y être envoyés. En 1871, fut inauguré le bagne de Nouvelle-Calédonie qui subsista jusqu’en 1887, date à laquelle il fut à son tour fermé, la raison étant alors que les condamnés y étaient trop heureux. Cayenne fonctionna ensuite sans interruption de 1887 à 1938 ; le dernier retour se situe en 1953 seulement.

10 On compte une population de 100 000 personnes environ pour les deux bagnes et, pour les années 1852 à 1938, 52 000 “transportés” et 16 000”relégués” pour Cayenne, 20 000”transportés” et 10 000”relégués” pour la Nouvelle-Calédonie.

11 La loi du 30 mai 1854 qui institua les bagnes coloniaux décidé l’envoi à Cayenne de tout condamné aux travaux forcés, ainsi que celui des femmes, pour y être mariées aux bagnards et participer ainsi au peuplement de la colonie. La loi, toujours dans le même souci de colonisation, inaugurait le système du “doublage”, c’est-à-dire l’obligation de résidence à la fin de la condamnation, pour un temps égal à celui des travaux forcés, ou à perpétuité, pour une peine de plus de huit ans. Ce “doublage” s’accompagnait de l’attribution de lopins de terre, de concessions.

12 L’autre loi fondamentale pour l’histoire des bagnes de Guyane est celle dite de la “relégation” du 27 mai 1885. Une des lois les plus scélérates de la Troisième République, elle décidait l’envoi à Cayenne des récidivistes, des coupables de petits

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délits “qui, dans quelqu’ordre que ce soit et dans un intervalle de 10 ans, auront encouru deux condamnations à l’emprisonnement…”. C’était se débarrasser, pour la Métropole, des gens sans-aveux, sans-logis, des petits voleurs, des “paumés” sans domicile fixe.

13 Une fois arrivés à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie, les condamnés étaient séparés suivant l’importance des délits. On appelait “transportés” les condamnés aux travaux forcés. Furent cependant compris dans cette catégorie les condamnés politiques de 1851 à 1870. À partir de la Commune, les politiques furent administrativement distingués sous le nom de “déportés”. À partir de 1885, les “relégués” furent à leur tour l’objet d’un troisième classement administratif.

14 Mais là ne s’arrêtaient pas les dédales de cette administration tatillonne. Les condamnés étaient classés en catégories, lesquelles se divisaient en classes. Les passages de catégorie en catégorie donnaient lieu à l’ouverture de nouveaux dossiers et à l’attribution de nouveaux matricules.

15 Les “1ère catégorie” étaient les condamnés aux travaux forcés. Ceux qui, à l’intérieur de cette catégorie, appartenaient à la cinquième et à la quatrième classe, étaient employés aux travaux les plus pénibles. Seuls les 2e et 1e classes recevaient un salaire, ou pouvaient être nommés concessionnaires. La “quatrième catégorie”, celle dite des libérés, était aussi divisée en deux sections. Les “4 1ere” devaient rester dans la colonie en vertu du “doublage”. Les “4 2e”, ayant achevé leur obligation de résidence, pouvaient quitter la Guyane. Les relégués étaient, eux aussi, séparés en “relégués collectifs”, astreints au travail forcé, et “relégués individuels”, contraints à la résidence. À toutes ces divisions et subdivisions, correspondaient des costumes, des lieux de résidence, et même des “manies” administratives : traits bleus ou rouges barrant les dossiers et fiches matricules, croix sur la feuille pour signaler la mort, etc. Classement du fonds 16 Le classement de ce fonds gigantesque, opéré par M. Prêteux, a été effectué en fonction des différents versements. Aucun remaniement des articles, dans un souci de cohérence logique, mais artificielle, n’a été opéré.

17 On peut distinguer de grands ensembles de dossiers classés par ordre alphabétique des noms :

18 H 69 à 104 : dossiers des “déportés” communards,

19 H 105 à 759 : dossiers des “transportés” : 1ère grande série,

20 H 844 à 1211 : dossiers des “relégués”,

21 H 1260 à 1566 : dossiers des “transportés” : 2eme grande série,

22 H 1567 à 1832 : dossiers des “relégués”.

23 Des articles concernant l’administration, le personnel, séparent ces grands ensembles.

24 Pour se repérer dans ces dossiers d’autant plus nombreux que chaque bagnard, on l’a vu, pouvait faire l’objet de plusieurs enregistrements et

25 matricules suivant l’évolution de sa “carrière”, il faut utiliser les registres matricules : H* 2097 à * 2663, qui permettent de connaître le jugement,

26 les différents matricules, les dates de mort ou de libération, tout ce qui enfin constitue en somme le résumé de la vie du condamné.

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27 On prendra, en guise d’exemples sur la façon de procéder, le cas des déportés politiques et celui des femmes. Les “deportes” 28 II y eut trois séries de départs pour Cayenne de condamnés politiques :

29 1) De 1792 à 1798, 688 prisonniers furent envoyés en Guyane, recensés dans le registre H* 762.

30 2) Après l’insurrection du 4 décembre 1851, les départs en Colonies furent décidés, on l’a vu, par le décret du 8 décembre 1851. 329 condamnés partirent pour Cayenne ; la plupart des autres insurgés furent transportés en Algérie. 177 seulement revinrent du “grand voyage” Outre-Atlantique.

31 Considérés encore comme des condamnés de droit commun, les dossiers des insurgés sont mélangés avec ceux des transportés. Comme les grandes séries d’archives s’étendent au-delà de la date de 1884, il faut donc, malheureusement, demander à ce que le dossier fasse l’objet d’une extraction, si l’on veut en avoir connaissance.

32 Heureusement, les condamnés politiques à Cayenne ont eu un classement particulier grâce aux registres matricules. Il est possible de les repérer rapidement à partir des deux articles H* 373-2374 où ils sont recensés.

33 3) Les Communards, par contre, envoyés pour la plupart en Nouvelle-Calédonie, sont classés, aussi bien pour les dossiers que pour les registres matricules, séparément des “transportés” ou condamnés de droit commun, sous la dénomination de “déportés”. Leurs dossiers sont librement consultables puisqu’ils sont tous revenus en 1880.

34 Il y eut 3 859”déportés”. Ceux astreints aux travaux forcés étaient au bagne de l’île de Nou, les condamnés à l’enceinte fortifiée ou réclusion se trouvaient dans la presqu’île Ducos. La fameuse île des Pins était réservée aux déportés “simples”. Les dossiers des Communards se trouvent

35 dans les cartons cotés H 69 à 104 ; les registres matricules qui permettent de les repérer rapidement ont été cotés : H* 789-790 et H* 810-823. Deux cartons concernent les conditions de voyages et les femmes : H 30 et H 33. Les femmes bagnardes 36 L’article 4 de la loi du 30 mai 1854 stipulait : “les femmes condamnées aux travaux forcés pourront être conduites dans des établissements créés aux colonies”. Les femmes purent choisir de partir, jusqu’en 1885, à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie : elles furent cependant peu nombreuses et comme les “déportés” politiques, elles fournissent un exemple pour montrer comment se repérer dans la masse considérable des dossiers du fonds des bagnes. On compte 308 transportées” en Guyane jusqu’en 1867, 200”pétroleuses”, ensuite, contre 1 000 femmes condamnées aux travaux forcés ou “reléguées” sous la Troisième République. À partir de 1885 et de la loi sur la “relégation”, les femmes n’ont plus le choix : on les envoie de force, plus pour débarrasser la métropole que pour peupler les colonies, qu’elles fussent coupables d’infanticides ou de meurtres, ou simplement de vols ou de prostitution.

37 En 1907, cependant, en face de l’insuccès de la colonisation, de la mortalité, de l’établissement précaire des couples, de l’infécondité, le gouvernement arrêta définitivement l’envoi des femmes, renonçant, de ce fait, au peuplement de cette terre inhospitalière.

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38 Comme pour les déportés politiques avant 1871, pour retrouver les dossiers des femmes dans les grandes séries des transportés, il faut se référer aux registres qui recensent à part les femmes :

39 - H* 380 à 2382 : pour les condamnées aux travaux forcés en

40 Guyane,

41 - H* 2626-2627 : pour la Nouvelle-Calédonie.

42 Les dossiers des femmes reléguées, eux, ont, par contre, fait l’objet d’un classement particulier. Ce fonds donne des informations très précieuses sur l’état de santé des condamnées, la nature des délits, la situation familiale et professionnelle, la conduite et la “morale”. Le dépouillement des cartons H 844 à 878, et des registres correspondants H* 2383-2385 permettrait une étude très précieuse sur l’état social et juridique, sur les mentalités des femmes, durant le Second Empire et la Troisième République. Conclusion 43 Le fonds des bagnes de Cayenne, à condition de se retrouver dans le dédale des dossiers et d’observer la réserve imposée aux documents de la justice, est une source d’une richesse unique pour toute étude, non seulement de l’histoire des révoltes et des révolutions, mais pour celle de la criminalité et de la répression, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.

NOTES

1. La Terre de la Grande Punition est le titre du livre de Michel PIERRE, paru aux éditions Ramsay, en 1982.

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Mots-clés : Archives, Colonies, Bagne, Répression

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La serie CC aux archives nationales : cour des Pairs. Procès politiques

Jeannine Charon-Bordas

La série CC conserve les archives issues du Sénat du Premier Empire et de la Chambre des pairs qui a siégé entre 1815 et 1848. Inséré au milieu de la série CC, on trouve un groupe documentaire de plus de trois cents articles relatif à l'activité de la Chambre Haute siégeant en cour de justice entre 1815 et 1847. Les procès jugés par la Cour des pairs sont naturellement hétérogènes, mais un certain nombre d'entre eux peut intéresser l'historien des mouvements sociaux au XIXe siècle. Les procès jugés par la Cour des pairs sont connus tout d'abord par les publications faites par la Cour elle-même au moment des procès. Cependant le fonds conservé dans la série CC a gardé sa valeur propre ; la Cour n'a évidemment pas publié tous les documents réunis pour l'instruction ; parfois même, elle a volontairement passé sous silence certains documents, ce qui rend les pièces originales plus précieuses. En outre, à l'occasion des arrestations opérées, les commissaires de police ont procédé à de nombreuses perquisitions et à des saisies de pièces à conviction, de correspondances et d'écrits divers, pièces qui n'ont été qu'exceptionnellement reproduites dans les publications de la Cour. Ces considérations et l'importance numérique du groupe documentaire CC 499 à 812 resté jusqu'ici sans inventaire même manuscrit, nous ont amené à établir un inventaire de ces articles, inventaire dont la publication est en cours 1. Le fonds a été divisé en trois tranches chronologiques, la première correspondant à la période de la Restauration, dont les procès ne présentent guère d'intérêt dans l'optique de cette réunion ; la seconde correspondant aux années 1830-1835 englobe l'énorme procès des insurrections d'avril 1834, le plus important de la série CC ; la troisième, enfin, correspond aux années 1835-1847, années d'activité intense de la Cour, pendant lesquelles prédominent les attentats contre le roi, mais où l'on trouve aussi le procès des journées insurrectionnelles des 12 et 13 mai 1839. Cent seize articles renferment les dossiers des inculpés des insurrections d'avril 1834, les papiers saisis sur eux, à leur domicile ou dans leurs cellules de prison, les archives des associations ou des organes de presse poursuivis, les interrogatoires de ces mêmes

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inculpés, les dépositions des témoins, les rapports des autorités judiciaires et militaires, les enquêtes de police et les pièces de procédure. On peut donc estimer que les dossiers de ce procès constituent une source de premier ordre pour la connaissance des protagonistes connus ou obscurs des émeutes de 1834. Les dossiers des inculpés sont évidemment très inégaux, mais beaucoup d'entre eux présentent un réel intérêt pour plusieurs raisons : d'abord, d'après une procédure largement suivie dans tous les procès jugés par la Cour des pairs, les autorités policières et les magistrats ont communiqué aux pairs les pièces relatives aux poursuites ou aux condamnations antérieures des inculpés, permettant ainsi de remonter dans leur passé (par exemple, pour les inculpés de Lyon en 1834, des documents relatifs à leur rôle dans les événements de 1831 ; le dossier Caussidière réunit les deux affaires du 21 février et d'avril 1834 à Saint-Étienne dans lesquelles Caussidière se trouve impliqué avec Nicot, etc.) ; ensuite, les pièces saisies jointes en général aux dossiers des inculpés constituent d'authentiques archives du monde ouvrier (correspondance politique ou familiale, écrits divers, chansons et poèmes, règles de versification, tables pour coder la correspondance, pièces imprimées, petites brochures, pamphlets, libelles, chansonniers, publications à un sou ou à deux sous très répandues, statuts, listes de membres, comptes des associations, archives des journaux, essentiellement lyonnais et parisiens. En dernier lieu, il faut noter que les auteurs du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français n'ont pas utilisé les dossiers de la série CC ni même les publications de la Cour des pairs, du moins pour les insurrections de 1834 ; par la suite, ils ont eu recours au moins aux publications. Il faut ici ouvrir une parenthèse sur le traitement subi par les archives des procès politiques après leur versement aux Archives nationales à la suite de la Révolution de 1848. Dans les années qui ont suivi ce versement, une partie des pièces à conviction et les objets saisis ont été distraits de leur série d'origine et placés dans les collections du Musée de l'Histoire de France, mesure qui se conçoit fort bien pour des objets (fusils, drapeaux, etc.) difficilement insérables dans une série de documents d'archives ; mais, à cette occasion, on a également distrait de la série CC des papiers saisis sur les inculpés, manuscrits ou imprimés, dont la nature ne diffère pas des papiers restés dans les dossiers et qui auraient dû y être conservés. Pour remédier à cette mutilation bien inutile du fonds, nous avons ajouté en appendice au tome III de l'inventaire en cours, un inventaire analytique de tout ce qui est conservé dans les collections du Musée de l'Histoire de France et qui intéresse les procès politiques ; cela permettra de connaître l'existence de ces pièces qui restait jusqu'ici parfaitement ignorée. Le tome 3 de l'inventaire des procès politiques comprend les douze affaires jugées entre 1835 et 1847, au nombre desquelles figurent sept attentats contre la personne du roi, affaires bien connues et qu'on pourrait croire sans intérêt. Cependant, il ne faut pas oublier que ces attentats ont été l'occasion d'enquêtes policières, d'arrestations, de perquisitions et de saisies de papiers dans les rangs de l'opposition républicaine pourtant décimée après la répression de 1834, de recherches concernant les sociétés secrètes qui se sont formées après le vote de la loi sur les associations, de poursuites contre la presse d'opposition. Il faut aussi noter que les fonds de la police (sous-série F7) font défaut pour toute cette période et que les dossiers de la série CC renferment des liasses de pièces confidentielles émanant souvent du cabinet du préfet de police, des notes de police sur les réunions des membres des sociétés secrètes, etc. que l'on ne peut évidemment plus trouver dans le fonds de la police. Ainsi, après l'attentat de Fieschi, les services de police enquêtèrent et procédèrent à des arrestations dans les

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rangs républicains (et aussi légitimistes) et impliquèrent un certain nombre de directeurs de journaux (Desnoyers, Raspail, Carrel) ; des papiers furent saisis au bureau du Charivari. Lors du procès de Meunier, furent annexées des copies de documents relatifs aux sociétés secrètes. Plus intéressants se révèlent les dossiers du procès de Darmès en raison de la personnalité de ce dernier qui le rattache à la fois à l'Église française de l'abbé Chatel et aux sociétés communistes ; une masse importante de papiers fut saisie, en particulier au domicile d'Henri Stévenot et également à Rouen, chez Charles Noiret "gloire ouvrière méconnue sinon inconnue", selon le Dictionnaire du mouvement ouvrier. Enfin, l'attentat commis par Quenisset n'aurait guère d'intérêt si on n'avait pas jugé à propos d'y rattacher le rédacteur du Journal du Peuple, d'ailleurs complètement étranger à l'attentat. Des perquisitions furent opérées au domicile de Dupoty et dans les bureaux du journal et des papiers furent saisis. En outre, un article renferme des pièces extraites de la procédure instruite devant le tribunal civil de la Seine contre les nommés Charavay et autres, fondateurs du journal L'Humanitaire, arrêtés précisément la veille de l'attentat alors qu'ils semblaient diriger une émeute qui avait éclaté place du Châtelet. Les journées insurrectionnelles des 12 et 13 mai 1839 visaient au renversement du gouvernement monarchique et à l'instauration d'une république sociale ; les noms de Blanqui, Barbès et Martin-Bernard apparaissent à cette occasion dans le fonds de la Cour des pairs. Les archives de ce procès réunissent 750 dossiers d'inculpés dont beaucoup d'ailleurs, bénéficièrent d'un non-lieu, dossiers qui sont une source intéressante pour l'étude des sociétés secrètes. Société des Saisons qui avait succédé à la Société des Familles, sociétés plus fugitives comme la Société des Vengeurs. Comme on l'a déjà fait observer pour les tentatives dirigées contre la vie du roi, l'intérêt des dossiers conservés dans la série CC se situe un peu en dehors des affaires proprement dites, par ailleurs bien connues, dans les rapports de police, les liasses de pièces confidentielles qui suppléent aux lacunes de la sous-série F7, et dans les pièces saisies qui nous livrent les papiers des inculpés. Les pièces saisies à l'occasion du procès des journées de 1839 sont particulièrement importantes : papiers saisis au domicile de Blanqui (parmi lesquels une liasse relative à son inculpation dans l'affaire des poudres de la rue de l'Oursine), au domicile du marchand de vin Charles chez lequel se tenaient des réunions de sociétés secrètes, et de nouveau au domicile du compositeur d'imprimerie Henri Stévenot. Nous ne voudrions pas conclure sans signaler l'existence d'un versement de la 12e Chambre de la Cour d'appel de Paris, effectué en 1975 ; il concerne les archives des Hautes Cours qui ont siégé à Bourges et à Versailles en 1849 pour juger les inculpés des journées des 15 mai 1848 et 13 juin 1849. Ce versement a fait l'objet d'un classement et d'un inventaire sommaire établi par Madame Bertho, alors stagiaire à la Section Moderne ; il serait souhaitable de voir cet inventaire repris et développé et mis enfin à la disposition du public dans la Salle des Inventaires des Archives. Pour te moment, cet inventaire du groupe documentaire coté W 568 à 586 est consultable dans mon bureau. Bien que les hautes cours de la Seconde République ne se rattachent en rien sur le plan juridique à la Cour des pairs, l'ensemble des fonds de ces juridictions constitue une source historique importante pour toute la période couvrant la monarchie de Juillet et la Seconde République. La série C (fonds des assemblées nationales) conserve sous les cotes C 3103 à 3128 les papiers de la Commission des Grâces instituée le 10 juillet 1871 pour examiner les recours en grâce formés par les insurgés de la Commune. Le recours en grâce était la

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dernière procédure que pouvait engager un condamné après avoir formé un pourvoi en revision et un pourvoi en cassation ; quelquefois, le condamné n'avait formé que le pourvoi en révision, quelquefois, il n'avait formé aucun pourvoi et s'adressait à la Commission directement pour obtenir une commutation de peine ou une grâce pure et simple. La Commission n'examinait naturellement que les dossiers des condamnés ayant formé un recours (eux-mêmes ou leur famille) ; une dérogation fut cependant prévue pour les condamnés à la peine capitale dont les dossiers furent examinés d'office par la Commission. Ce groupe documentaire a au moins le mérite de nous être parvenu dans son intégrité sans avoir subi comme les dossiers de grâce conservés dans la sous-série BB 24 des tris fâcheux. 6 530 rapports, dont certains relatifs à plusieurs accusés, adressés par le Garde des Sceaux avec un avis de l'autorité militaire ajouté à la suite du rapport, nous sont parvenus classés dans un ordre alphabétique quelque peu imparfait (surtout dans l'ordre des prénoms en cas d'homonymie) mais aisément repérables. Ces rapports recoupent évidemment d'autres sources, bien connues et largement exploitées. Pour la Section Moderne, il faut citer en premier lieu les fichiers des condamnés de la Commune cotés BB 27 724 à 871. Sans doute aurait-on pu craindre que les rapports conservés dans la série C --fassent double emploi avec ceux de la sous-série BB 24, mais les sondages effectués laissent apparaître qu'il n'en est rien. Trois registres cotés conservés dans l'article C 3103 renferment les procès-verbaux des séances de la Commission qui a siégé d'août 1871 au 7 mars 1876. Un article du règlement qui régissait les travaux de la Commission des Grâces stipulait que les résultats des votes des membres devaient être tenus secrets et que les noms des rapporteurs et des divers orateurs ne devaient pas être mentionnés. Il eût été intéressant, pourtant, de connaître les opinions des députés formant la Commission, tous issus de la province, qui eurent à juger les protagonistes d'une insurrection parisienne. Trente trois registres cotés C 3124 à 3128 renferment les avis donnés par la Commission sur les recours en grâce. Un inventaire analytique manuscrit a été établi pour ce groupe documentaire.

NOTES

1 CHARON-BORDAS Jeannine, Conservateur aux Arch. nat. Cour des Pairs : procès politiques. Avant-propos de Jean Favier. Paris, Arch. nat. tome 1., La Restauration : inventaire des articles CC 499 à 545, 1982, 106 p. ; tome 2., La monarchie de Juillet : inventaire des articles CC 546 à 670, 1983, 259 p. ; tome 3., A paraître en 1984. Diffusion : La Documentation Française, et Arch. nat.

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Mots-clés : Archives, Pairs, Répression, Procès

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Considérations sur la Seconde République et les beaux-arts

Pierre Vaisse

1 Le 15 septembre 1848, la direction des Beaux-Arts passait commande à Daumier d’une peinture, Madeleine au désert, qu’il n’acheva jamais, malgré le versement immédiat d’un acompte, et celui du solde quelques mois plus tard 1. En compensation, l’État, de guerre lasse, accepta en 1863 un dessin de lui, une Marche de Silène 2.

2 Symptomatique du mal qu’éprouvait l’artiste à finir ses compositions peintes, l’épisode révèle également avec quelle légèreté l’administration gérait le budget des beaux-arts. Non seulement elle versa le solde avant livraison, mais elle avait passé en septembre commande d’une œuvre sur un crédit spécial de secours aux artistes, voté par l’Assemblée nationale le 17 juillet 1848, qui devait en principe être dépensé avant la fin de l’exercice budgétaire, c’est-à-dire de l’année civile 3.

3 Dans un catalogue récent de l’œuvre peinte d’Honoré Daumier, l’affaire fait l’objet du plus étrange récit 4. On y apprend que le peintre Jeanron était ministre de l’Intérieur, et François Cave toujours directeur des Beaux-Arts après la révolution de février, que le tableau avait été commandé à l’artiste à la place de l’allégorie de la République, et que le sujet en aurait été refusé par une (mystérieuse) commission de l’Académie des Beaux-Arts. Certes, l’auteur de la notice a pu commettre quelques lapsus, mais il ne saurait être tenu seul pour responsable d’aberrations dont l’histoire de l’art français du XIXe siècle offre bien d’autres exemples, surtout lorsqu’il s’agit de l’action des pouvoirs publics en ce domaine. Il a fallu, par exemple, attendre 1980 pour que fût éclaircie l’affaire du triple concours de 1830 pour la Chambre des Députés, dont circulaient jusqu’alors des versions plus ou moins fantaisistes 5. Non seulement les auteurs qui en parlaient n’avaient pas consulté les archives, mais ils n’avaient même pas pris garde au résumé, pourtant exact, que Léon Rosenthal en avait donné au début du siècle dans son livre sur la peinture sous la monarchie de Juillet 6.

4 A soixante-dix ans de distance, l’ouvrage de Rosenthal reste fondamental, tout comme les thèses de François Benoît sur l’art sous la Révolution et l’Empire, et de René Schneider sur Quatremère de Quincy, parues quelques années plus tôt 7. L’histoire de

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l’art d’une époque pourtant relativement récente s’appuyait alors sur l’érudition la plus solide. Elle devait bientôt s’engager dans une autre voie, du moins pour la peinture et la sculpture du XIXe siècle. Pendant une cinquantaine d’années, seuls parurent dignes de retenir l’attention les grands créateurs, les pionniers de l’art moderne. Les conditions de la vie artistique n’intéressaient qu’autant qu’ils étaient concernés, d’où la méconnaissance à peu près totale dans laquelle on se trouvait d’elles, ou des erreurs de perspective encore plus fâcheuses. Du triple concours de 1830, on ne retenait que l’esquisse de Delacroix, et le concours pour la figure peinte de la République en 1848, aurait sombré dans le même oubli que les deux autres, pour la médaille et la figure sculptée, qui eurent lieu en même temps, si Daumier n’y avait pas participé 8.

5 Depuis une vingtaine d’années, un revirement s’est produit, un retour à la recherche patiente. Longtemps négligées, les archives de l’ancienne direction des Beaux-Arts attirent en particulier un nombre croissant de chercheurs et, bien que leur exploitation soit loin d’être achevée, elles ont 9 déjà fourni matière à de précieuses études. C’est ainsi que, dans son livre The Absolute Bourgeois, T. J. Clark a pu consacrer à l’action artistique de l’État sous la Seconde République un chapitre qui, reposant sur une documentation aussi solide qu’étendue, constitue non seulement la meilleure, mais aussi la première et la seule présentation d’ensemble du sujet dont nous disposions 10. Vouloir le reprendre ici dans un espace plus restreint n’aurait pas de sens ; c’est pourquoi les pages qui suivent se bornent à préciser quelques points concernant les questions administratives, et à proposer quelques vues personnelles sur le problème des Salons et des associations d’artistes.

6 Il semblerait que l’action des pouvoirs publics dût se juger plutôt sur les œuvres acquises ou commandées, sur les tendances artistiques favorisées par ces achats et commandes, sur l’enrichissement qui en résulta pour le patrimoine. Mais nous inclinons à penser que le temps n’est pas encore venu de porter un tel jugement. T. J. Clark s’y est essayé, mais son argumentation ressemble trop à la démonstration d’une thèse. Il conclut à un échec ; or, l’échec se définit par rapport à un but. À celui-ci, aux objectifs imprécis et changeants de l’administration des Beaux-Arts, il tend à substituer l’idéal d’un art républicain dont il déplore qu’il n’ait pas vu le jour, mais dont on voit mal ce qu’il aurait dû être.

7 En matière d’acquisitions et de commandes, un jugement solide ne peut s’appuyer (cela va de soi, mais il n’en fut pas toujours ainsi) que sur des listes exhaustives, et non, comme on a trop souvent tendu à le faire, sur l’exemple de quelques noms plus ou moins réputés. Quelles conclusions tirer lorsqu’à côté de ceux de Daumier ou Millet, on lit ceux d’Apport, de Timbel ou de Matout ? Les raisons, les circonstances précises de chaque mesure particulière devraient être connues, si l’on ne veut pas interpréter comme la manifestation d’un certain goût l’effet d’une recommandation politique, ou inversement. Pour les commandes, il importe aussi de pouvoir apprécier la liberté dont l’artiste a joui dans le choix et dans la conception du sujet, ainsi que le contrôle exercé par l’administration, si l’on ne veut pas créditer celle-ci d’intentions qui lui furent toujours étrangères. Ces précautions prises, reste une tâche essentielle : voir les œuvres elles-mêmes, et savoir les regarder en s’affranchissant du manichéisme réducteur qui a si longtemps dominé l’histoire de l’art du XIXe siècle. L’œuvre d’un artiste tombé dans l’oubli n’est pas nécessairement une œuvre médiocre, encore moins le produit d’une esthétique attardée. Il y aurait, enfin, quelque abus à confondre l’échelle des valeurs artistiques avec l’éventail des positions politiques ou des orientations idéologiques, et à

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juger un tableau d’autant plus républicain que son auteur passe pour plus révolutionnaire en art. Mais c’est toucher là des problèmes qui soulèvent encore, on le sait, des passions incompatibles avec les exigences d’un jugement historique.

8 L’histoire de la Révolution de 1848 et de la Seconde République est souvent présentée comme celle d’un flux rapidement suivi d’un reflux qui s’opère par étapes. Il est tentant d’interpréter selon le même schéma d’évolution l’action artistique de l’État, d’autant plus tentant que l’assimilation entre les deux domaines a déjà été faite par les contemporains : c’est au nom des conquêtes de la démocratie que les artistes réclamèrent une nouvelle organisation des beaux-arts. Mais il serait vain de vouloir faire coïncider la chronologie des événements d’ordre artistique avec celle des mouvements politiques. Le décalage s’explique d’autant mieux que ces mêmes artistes, pour la plupart du moins, penchaient pour une République modérée, quand ils ne préféraient pas la monarchie. Il est enfin permis de se demander s’ils ne furent pas victimes d’une illusion, si l’intensité des luttes politiques pendant le XIXe siècle n’a pas marqué les esprits avec une force telle que le vocabulaire et les catégories qui leur étaient propres en vinrent, par extrapolation, à servir pour penser des problèmes qui, sans leur être totalement étrangers, n’en étaient cependant pas, tant s’en faut, un aspect secondaire ou le reflet pur et simple.

9 Le 18 mars 1848, un arrêté du gouvernement provisoire faisait entrer “les musées du Louvre, du Luxembourg, de Versailles, les galeries des anciennes résidences royales et palais du gouvernement”, qui dépendaient auparavant de la Liste civile, dans les attributions du Ministère de l’Intérieur, et les trois manufactures de Sèvres, des Gobelins et de Beauvais, dans celles du Ministère de l’Agriculture et du Commerce. Il précisait la première phrase d’un arrêté signé dès le 24 février par Ledru-Rollin : “Tout ce qui concerne la direction des Beaux-Arts et des Musées, autrefois dans les attributions de la Liste civile, constituera une division du Ministère de l’Intérieur” 11. En réalité, ce département ministériel comprenait déjà une division des Beaux-Arts, et cela, depuis l’époque de la Révolution 12. En 1804, les musées en furent distraits pour former une direction de la Maison de l’Empereur, une situation qui devait se maintenir sous les règnes suivants. L’organisation des Salons, qui eurent lieu au Louvre jusqu’en 1848, relevait de cette administration, ainsi, par voie de conséquence, que les achats d’œuvres aux artistes vivants, qui se faisaient à cette occasion. Il s’en faut cependant que le départ des compétences entre elle et la division des Beaux-Arts du Ministère de l’Intérieur ait toujours été bien défini.

10 On sait qu’en 1870, les Beaux-Arts furent rattachés au Ministère de l’Instruction publique, comme ils l’avaient été au Comité de l’Instruction publique en 1791, conformément à la conception qu’en avait la pensée des Lumières. En 1848, des voix s’élevèrent pour réclamer un tel rattachement ; une pétition en ce sens fut adressée à l’Assemblée nationale, et reproduite dans le Corsaire du 24 mai 13. Leur maintien à l’Intérieur, au lendemain de la révolution de février, tient peut-être à l’intérêt personnel que leur portait Ledru-Rollin, puis, lors de la formation d’un nouveau ministère, en mai, à la pesanteur d’un état de fait --à moins qu’on ne pense à l’attention que la police, pendant tout le siècle, a vouée aux théâtres. Louis Napoléon Bonaparte aurait eu, avant son élection à la présidence, l’idée d’un ministère des Arts et Lettres, mais elle ne connaîtra une réalisation, partielle, qu’en mai 1870 14.

11 Comme les musées, les manufactures relevaient, sous les régimes précédents, et relevèrent sous le Second Empire de la Maison du souverain ; elles ne passèrent à

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l’administration des Beaux-Arts que sous la Troisième République. Leur rattachement au Commerce et à l’Agriculture, en 1848, s’explique par l’illusion, largement répandue à l’époque, qu’elles jouaient ou pouvaient jouer un rôle comme modèles pour l’industrie privée 15.

12 Aux manufactures près, le nouveau régime organisait donc, par la réunion des musées à la division déjà existante au ministère de l’Intérieur, une administration unifiée des Beaux-Arts. La direction des Musées, débarrassée du soin, ou du souci d’organiser les Salons annuels, conserva cependant, semble-t-il, une forte autonomie, moins peut-être par le poids de la tradition que par la personnalité du directeur, le peintre Jeanron 16 C’était un républicain de vieille souche, un habitué des sociétés secrètes, qui fut porté à ce poste grâce à ses amitiés politiques 17. Ce système donne parfois de bons résultats : même ses adversaires ont rendu hommage à son action. Henri Delaborde, qui jugeait sa nomination injustifiable “du point de vue des droits acquis et des titres”, reconnaissait que pendant son passage au Louvre, “il ne laissa pas d’y rendre quelques services” 18, et Chennevières, après avoir beaucoup médit de son caractère, résumait ainsi le bilan de sa gestion : “II débarrassa le Louvre des expositions annuelles qui pendant quatre mois en cachaient les chefs-d’œuvre ; lui étant directeur, furent entrepris et quasi terminés les magnifiques travaux de décoration du grand Salon et de la salle des Sept-Cheminées, et la restauration de la galerie d’Apollon ; furent reclassés dans la grande galerie les tableaux de toutes les écoles, furent rédigés et imprimés par Villot, le premier des catalogues modèles de ces tableaux et par Soulié, celui de la chalcographie, tirée la pauvre chalcographie, de sa complète obscurité. Villot commença à surveiller les premiers montages de dessins à la mode de Mariette. On vit peu à peu s’ordonner les antiques et les monuments égyptiens ; et fut vraiment constituée la biliothèque des musées, sous la conduite de Kolloff, le fidèle et savant instrument de Jeanron. Et tout cela en moins de deux ans” 19.

13 II l’accuse auparavant de s’être attribué la paternité d’un rapport que lui, Chennevières, avait rédigé sur les musées de province, rapport qui provoqua la nomination de quatre inspecteurs, et qui est à l’origine de l’Inspection des Musées classés et contrôlés 20. Mais le souci qu’avait Jeanron de la bonne conservation des œuvres anciennes se manifeste encore dans un autre rapport, moins connu, du 25 mai 1848, à la suite duquel le ministre de l’Intérieur prit un arrêté interdisant de distraire aucun objet des collections des Musées nationaux, soit pour servir de décoration dans les palais nationaux ou des administrations, soit pour être utilisé comme modèle dans les manufactures nationales 21.

14 Si l’on en croit Chennevières, Bonaparte aurait, dès le mois de décembre 1848, désigné à la succession de Jeanron le comte de Nieuwerkerke, jeune sculpteur déjà bien en vue ; mais Jeanron aurait su jouer des amitiés et des inimitiés au sein du personnel politique pour se maintenir encore toute une année 22. La chute de Ledru-Rollin, auquel il devait sa nomination, n’avait par contre été d’aucune conséquence pour sa carrière. Son départ semble donc tenir moins aux liens qu’on aurait pu lui reprocher avec les républicains de la première heure qu’au besoin qu’on avait de son poste pour accorder une faveur.

15 Son supérieur hiérarchique et rival, le directeur des Beaux-Arts Charles Blanc, connut à peu près le même sort. Révoqué peu après lui, en mars 1850, il dut céder sa place à un ancien journaliste du Globe, de Guizard, qui parvint à la conserver deux ans, jusqu’après le coup d’État, mais qui. “sentant son incompétence, ne fit ni bien ni mal”

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23. Ayant succédé lui-même, le 1er avril 1848, au sculpteur Carraud, qui occupait ces mêmes fonctions depuis le 24 février. Charles Blanc “était amené là, comme on pense bien, par le crédit de son frère” 24 ; mais il se maintint, comme Jeanron, bien après que l’évolution politique eut changé de cours. Habileté d’un homme qui savait plaire à ses ministres successifs, ou relative indifférence du pouvoir à l’égard d’une administration chargée, certes, d’intérêts prestigieux, mais à peu près dépourvue de toute efficacité sur l’échiquier des luttes politiques ? La seconde des deux hypothèses (qui ne s’excluent pas) conduit à s’interroger sur la nature de la considération dont l’art jouissait aux yeux des gouvernants, une question à laquelle il est difficile de répondre, mais sans la réponse à laquelle il est difficile de porter un jugement sur l’action des pouvoirs publics en ce domaine.

16 La nomination de Charles Blanc et celle de Jeanron eurent pour les artistes une conséquence favorable que souligne Chennevières, qui pourtant ne les aimait pas. L’administration précédente, dit-il, les traitait, sauf les plus grands, avec une insupportable hauteur ; “on commença, dès lors, à les respecter et à les tenir pour ce qu’ils valaient” 25. C’est que Jeanron était peintre lui-même ; quant à Charles Blanc, s’il s’était déjà fait à cette époque un nom comme écrivain d’art, il avait d’abord appris la gravure, qu’il pratiqua d’ailleurs longtemps, et appartenait donc au même milieu que ses administres 26.

17 En prenant ses fonctions, Charles Blanc n’était pas dépourvu d’idées, loin de là. Il les exposa dans un rapport au ministre de l’Intérieur publié par le Moniteur universel du 10 octobre 1848, dans lequel il réclamait un crédit de 500 000 francs pour les arts, égal à celui dont disposait l’ancienne Liste civile. Mais sa demande ne s’appuyait sur aucun projet précis ; c’était, pour reprendre le commentaire qu’en donna L’Artiste du 15 octobre, “un large programme des rêves que fait la République”, “une solennelle déclaration de principes” analogue au manifeste adressé par Lamartine à l’Europe après la révolution 27. En gros, il s’agissait d’un hymne à l’art public, destiné aux masses, sous toutes ses formes, depuis l’architecture des gares jusqu’à la gravure, qui permet une vaste diffusion des images, en passant par la peinture murale, qu’il opposait aux tableaux de chevalet, conçus pour une clientèle particulière, fruits de l’individualisme, production sans grandeur qu’avaient favorisée les régimes précédents. Charles Blanc voyait grand, trop grand sans doute pour les difficultés de l’heure, trop grand surtout pour lui, qui n’était pas un homme d’action, et n’entreprit à peu près rien pour réaliser ses vues généreuses.

18 Ce n’est pas que de grands travaux n’aient pas été commandés sous son directorat, mais sans programme d’ensemble. Il faut mettre à part la décoration des églises parisiennes, qui se poursuit pendant la Seconde République : l’entreprise dépendait de la Ville, même si l’État y participait financièrement ; elle avait commencé sous la Restauration, et se poursuivit jusqu’à la République des ducs. Certes, plusieurs commandes passées dans ce cadre en 1849-1850 ont une importance particulière. Elles sont loin, toutefois, d’égaler en ampleur et en signification celle que reçut Chenavard, en avril 1848, de décorer le Panthéon. C’est à Charles Blanc que revient le mérite, dès son entrée en fonction, d’avoir introduit auprès de Ledru-Rollin le peintre, qu’il connaissait bien, mais l’idée venait --de celui-ci, qui tenait ses esquisses toutes prêtes 28. La décoration de la galerie d’Apollon, avec le plafond de Delacroix et les tapisseries des Gobelins, entre dans les travaux de restauration du Louvre, entrepris par l’architecte Duban 29. En matière de sculpture publique, le monument à la mémoire de Mgr Affre, à Notre-Dame,

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est un ouvrage de circonstance dont l’érection fut décidée par l’Assemblée nationale ; quant aux groupes du pont d’Iéna, les cavaliers grec, romain, arabe et gaulois, c’est l’exécution en pierre de groupes en plâtre commandés pour la Fête de la Concorde 30. Paradoxalement, Charles Blanc fit commander de nombreux tableaux sans destination précise, ou destinés au musée du Luxembourg, une pratique contraire à ses convictions en matière d’action artistique de l’État ; il fit, par ailleurs, exécuter un certain nombre de copies, première tentative pour réaliser ce musée des copies qui fut sa principale préoccupation pendant son second directorat, de 1870 à 1873 31.

19 Un temps, il put craindre que son pouvoir, qu’il exerçait modérément, ne fut menacé. Le 29 octobre 1848, le Ministère instituait auprès de lui une commission permanente des Beaux-Arts, chargée de donner son avis sur l’emploi des crédits et leur répartition, sur les commandes et acquisitions d’ouvrages d’art et leur affectation, sur les secours, les subventions, les souscriptions, sur les écoles d’art et sur les expositions. Elle tint sa première séance le 24 novembre suivant, sa dernière le 12 décembre 1849 mais ne fut officiellement supprimée que par un décret du 7 décembre 1851. En l’absence de procès-verbaux, introuvables aujourd’hui, son activité nous est connue par une courte étude publiée en 1908, et consacrée à la réforme des Salons 32. Le règlement de celui de 1849 reposa en effet sur le résultat de ses délibérations. Elle ne fut, par contre, jamais consultée sur les commandes et les acquisitions, le directeur des Beaux-Arts (qui n’en devint membre qu’en mai 1849) n’entendant pas se départir de ses pouvoirs en la matière. Autant que nous puissions en juger, son importance tient moins à l’influence, assez restreinte, qu’elle a pu exercer qu’à son existence même. Pour les manufactures nationales, le Ministère de l’Agriculture et du Commerce avait institué le 30 mars 1848 une commission semblable, dite commission supérieure de perfectionnement, qui se réunit plus ou moins régulièrement jusqu’au 18 novembre 1851 et qui joua, elle, le rôle d’un véritable directoire 33. Malgré la différence profonde entre la situation politique en mars 1848 et au mois d’octobre suivant, les deux créations relèvent du même esprit et préfigurent celles du Conseil supérieur des Beaux-Arts et des commissions de perfectionnement des différentes manufactures sous la Troisième République : elles illustrent la volonté du pouvoir de fonder ses décisions sur les avis de commissions techniques.

20 On aurait pu considérer que telles commissions existaient déjà, sous la forme des différentes classes de l’Institut. C’était, en théorie du moins, l’une de leurs fonctions, fonction dont l’Académie des Beaux-Arts revendiqua l’exercice tout au long du siècle. Le Ministère de l’Instruction publique s’en souvint dans les premiers jours qui suivirent la révolution de février. Il voulut alors remettre en vigueur une disposition prescrivant a l’Institut de nommer tous les ans six de ses membres pour entreprendre des voyages de recherche sur les différentes branches des connaissances humaines autres que l’agriculture. L’Académie des Beaux-Arts envisagea dans le cadre de ces missions l’étude des collections d’art et des monuments historiques, de leur conservation et de leur usage, et celle des écoles d’art et des améliorations qui pourraient leur être apportées 34. Mais l’affaire ne semble pas avoir connu de suite.

21 L’Académie des Beaux-Arts régnait de droit sur la villa Médicis, et de fait (en particulier par le jugement du concours pour le prix de Rome) sur l’École des Beaux-Arts. Dans les derniers jours de son directorat, Carraud fit créer une commission chargée d’étudier une réforme de ces deux institutions. Elle se choisit pour président le peintre Horace Vernet, qui assumait aussi à l’époque la présidence de l’Académie. Très vite, à propos

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du jury des concours, un désaccord apparut entre ses membres, provoquant le départ des minoritaires et la dissolution d’”une commission, qui n’avait été instituée que pour examiner quelles étaient les réformes à faire et qui de prime abord se refusait à toute réforme”, comme l’écrivait Charles Blanc dans un rapport au ministre, vers la fin avril 35. La tournure prise par les choses était prévisible : l’échec reproduisait très exactement celui de la commission chargée en 1831 par Montalivet de la même tâche 36.

22 Mais la signification de ces réformes ou tentatives de réformes administratives semble s’effacer devant celle du vaste mouvement suscité par la révolution de février en faveur de la création d’une assemblée générale des artistes, qui aurait assumé démocratiquement la conduite de leurs affaires. L’histoire de ce mouvement est loin d’être éclaircie dans tous ses épisodes, et peut-être ne le sera-t-elle jamais. Du moins peut-on essayer d’en résumer les grandes lignes. Dès la proclamation de la République, Barye, Couture et Diaz adressèrent au gouvernement provisoire, au nom de leurs confrères, une pétition pour réclamer que “les fonctionnaires qui, par la nature de leur emploi, exercent une action immédiate et directe sur les beaux-arts soient élus par la corporation des artistes en assemblée générale” 37. Une autre pétition des artistes concernait l’autorisation de se réunir en assemblée générale et d’élire un comité chargé de s’occuper des grandes questions relatives à l’organisation des beaux-arts 38. Après accord du gouvernement, elle fut suivie d’une nouvelle pétition, en date du 2 mars, pour réclamer une salle de réunion 39.

23 En réalité, un malentendu existait déjà entre les artistes et le gouvernement. Par un arrêté du 29 février, celui-ci les avait bien convoqués pour le 5 mars, mais il n’avait fixé d’autre tâche à cette assemblée que d’élire une commission chargée du placement des œuvres au Salon dont l’ouverture était prévue pour le 15. Certains d’entre eux ayant voulu profiter de cette occasion pour élire un comité représentant les intérêts des arts, les “délégués provisoires des artistes du dessin” demandèrent au ministre de rappeler le but précis de la réunion du 5 et d’avertir qu’une autre convocation suivrait en vue de constituer l’assemblée permanente des artistes 40.

24 Une assemblée, finalement, se tint le 21 avril au Palais Bourbon, sous la présidence du peintre Decamps 41. Elle ne réunissait pas tous les artistes, mais seulement les peintres, et rien n’indique que l’initiative en soit venue de l’administration. On sait toutefois que Charles Blanc y parut, et qu’il monta à la tribune “pour annoncer l’intention du ministre de prendre en grande considération les vœux des artistes tout en sauvegardant l’autorité déposée entre ses mains” 42. Un comité de 72 membres y fut alors élu, qui constitua le 30 avril son bureau 43. Peu après, six membres du bureau signaient une lettre au ministre pour lui proposer le concours du comité dans toutes les occasions touchant aux intérêts de l’art et des artistes 44. Une demande plus précise, formulée un peu plus tard, concernait les récompenses à décerner par l’État : les peintres désiraient qu’elles le fussent par un jury nommé par les artistes et suivant des dispositions arrêtées par eux. Elle reçut le 26 mai une réponse négative, signée par le ministre, mais rédigée par Charles Blanc : “Les membres du Comité de peinture ont trop d’expérience et j’ai trop de confiance dans leurs lumières et dans leur haute intelligence pour croire qu’ils voulussent appuyer des prétentions dont l’exigence ne tendrait à rien moins qu’à dicter les résolutions dont le Ministre doit seul rester le maître, parce que seul il connaît les ressources dont il lui est permis de disposer et que seul il est responsable de leur emploi devant l’assemblée souveraine” 45.

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25 Les journées de juin et l’état de siège mirent en sommeil l’action du comité de peinture, mais il parvint à rédiger un projet de constitution qui fut présenté aux peintres lors d’une assemblée générale organisée a l’Institut le 7 janvier 1849, et approuvé par une seconde assemblée qui se tint le 10 février suivant au Conservatoire des Arts et Métiers 46. Dans le même temps, les sculpteurs et les graveurs avaient élaboré de leur côté deux projets analogues, sur le contenu desquels nous sommes aussi peu renseignés que sur celui des peintres. Il est à peu près certain que ces textes restèrent lettre morte.

26 Tout ce mouvement avait eu lieu au nom de la démocratie, plus précisément au nom du principe électif, qui en était le critère et le garant. On sait ce que furent les luttes pour la conquête ou l’élargissement du droit de vote dans la première moitié du XIXe siècle. La volonté de faire triompher en tout et partout ce principe caractérise l’esprit du temps. C’est en son nom que les délégués de la section de peinture protestèrent en 1848 contre la création d’une commission chargée d’étudier les réformes à apporter à l’École des Beaux-Arts et à la villa Médicis, parce qu’il s’agissait d’une décision administrative 47 ; c’est encore en son nom que, lors de la-première séance de la commission de perfectionnement des manufactures nationales, certains de ses membres, des artistes, s’interrogèrent sur la légitimité de leur présence, du fait qu’ils avaient été nommés par le ministre, et non élus par leurs confrères 48.

27 Le lien avec les événements politiques, évident pour les contemporains, continue à inspirer certaines interprétations, comme celle de T. J. Clark, qui dénonce dans les termes du refus opposé par le ministre, le 26 mai 1848, à une demande du bureau du comité des 72, “the language of reaction, polite, vague, completely obstructive” 49. À cette lettre, il oppose la généreuse réponse qu’en mars, Armand Marrast, au nom du gouvernement provisoire, aurait faite aux artistes : “Organisez-vous vous-mêmes” 50. Flux de l’esprit démocratique, donc, puis reflux, retour à l’ordre ancien. Mais la déclaration d’Armand Marrast faisait suite à une demande adressée par les artistes au gouvernement, de bien vouloir les réunir en assemblée, Le droit d’association venant d’être proclamé avec la République, il leur rappelait qu’ils étaient libres d’en former une sans avoir à en demandera l’autorisation, ni à solliciter de l’État qu’il en prenne l’initiative : “Nous n’avons ni à vous réunir, ni à vous constituer, organisez-vous vous- mêmes”. Cela ne préjugeait en rien du départ des compétences respectives entre cette association et le gouvernement, comme Charles Blanc le laissa entendre à l’assemblée du 21 avril, et là réside le vrai problème.

28 La position des artistes aurait été plus solide si, voulant assumer eux-mêmes le pouvoir de décision dans toutes les affaires concernant l’art, ils avaient fait valoir qu’elles n’intéressaient qu’eux et leurs rapports avec le public, que l’État n’avait pas à s’en mêler, bref, s’ils s’étaient prononcés pour cette “séparation de l’Art et de l’État” que certains réclamèrent un demi-siècle plus tard, à une époque où le désengagement constituait le fondement de la doctrine officielle en la matière 51. Bien au contraire, formés à la longue tradition du mécénat royal, puis impérial et même républicain, et y trouvant peut-être aussi leur avantage, ils ne contestaient pas l’intervention de l’État, que ce soit dans l’organisation des expositions annuelles que par les achats et la distribution de récompenses. Ce faisant, ils pouvaient demander au gouvernement d’écouter leur avis dans les questions techniques, mais non, comme représentants d’une profession, disposer à sa place de l’utilisation des fonds publics, dont il est, selon le principe même du régime parlementaire, responsable devant la représentation nationale : tel était le sens de la lettre adressée par le ministre au comité des 72 le

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26 mai. Il est probable que, confronté à une demande similaire, Armand Marrast leur eût opposé la même fin de non recevoir.

29 En réalité, même si l’on n’attache pas de signification particulière à l’emploi, courant à l’époque, du terme de corporation, hérité de l’Ancien Régime, et que remplace parfois l’expression de République des Arts, il semble que ce soit, très confusément, un idéal de société corporatiste qui ait inspiré les revendications des artistes. Or, moins encore que l’évolution générale de la société française, celle de leur propre métier ne favorisait Pas la réalisation d’un tel idéal. Une association corporative ne se maintient que si le métier possède une définition tant soit peu précise, et ses membres suffisamment d’intérêts communs à défendre, ce qui n’était plus le cass au milieu du XIXe siècle. Les critères retenus en 1848 pour établir la qualité d’artiste en vue d’une assemblée générale (qui restait, au demeurant, exclusivement parisienne) étaient trop larges et trop formels Pour que pût en résulter une solidarité véritable 52. Sauf à ce que l’État lui confère ce monopole dont jouissait l’ancienne Académie royale de peinture et de sculpture, ce qui était impensable à l’époque, une association des Listes autre qu’une simple société de secours mutuels comme celle que le baron Taylor avait fondée en 1844 (et qui se maintint parce qu’elle ne se proposa jamais d’autres buts) était vouée à plus ou moins brève échéance à l’éclatement et à la concurrence d’associations rivales, comme cela se produisit après 1880, lorsque les artistes furent contraints de s’organiser pour assurer la tenue des Salons 53.

30 La volonté de démocratie qu’ils affichèrent au début de la Seconde République est évidemment liée aux événements, plus précisément à la conquête du suffrage universel. Il s’agit là d’un droit purement politique dont la revendication ne permet pas de distinguer les républicains sociaux de février des républicains modérés de mai. La liste des peintres qui formaierrt le bureau du comité des 72 montre bien que les limites de leur engagement politique : si tous ne partageaient pas les mêmes sentiments, ni Ingres, ni Delacroix, ni Fiandrin, ni Lehmann ne peuvent passer pour de farouches démocrates, en dépit d’un ralliement sincère au régime 54. Plus révélateur encore est l’exemple de Nieuwerkerke, qui, devenu directeur des Beaux-Arts, le resta pendant tout l’Empire (avec même, à partir de 1863, le titre de surintendant) : sa signature se rencontre, avec celle des autres délégués des sculpteurs, au bas de la protestation du 6 avril 1848 contre la nomination par voie administrative d’une commission chargée d’étudier la réforme de l’École des Beaux-Arts, et de quelques autres textes de tendance analogue rédigés par les mêmes délégués 55.

31 De toutes les affaires dont s’occupait l’administration des Beaux-Arts, il en est une qui retenait particulièrement l’attention des artistes et de l’opinion publique, à laquelle les principes de la vie politique semblaient s’appliquer directement et sur laquelle la révolution de février eut des conséquences immédiates et considérables en apparence : l’organisation des Salons annuels. Par le même arrêté du 24 février qui réorganisait la direction des Beaux-Arts, Ledru-Rollin décidait que celui de 1848 serait ouvert le 15 mars, et que le jury chargé de recevoir les œuvres (le texte, par un lapsus significatif de l’importance particulière qu’avait la peinture, dit “les tableaux”) serait élu par les artistes. Cinq jours plus tard, un nouvel arrêté rendait libre l’admission pour tous les ouvrages envoyés ; il convoquait par ailleurs les artistes pour le 5 mars afin d’élire une commission de placement --mesure qui, nous l’avons vu, suscita de la part de certains d’entre eux une interprétation erronée.

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32 Cette liberté totale d’admission n’était pas nouvelle ; elle avait déjà régné à partir de 1791, jusqu’à ce que les protestations des artistes eux-mêmes entraînent en 1798 la création d’un jury. L’aspect du Salon de 1848, où le nombre des ouvrages exposés atteignait 5 180, conduisit le gouvernement à rétablir l’année suivante le jury, mais un jury élu par tous les artistes, en apparente conformité avec le principe de la démocratie.

33 L’importance de ces mesures ne se comprend que si l’on se rappelle les scandales provoqués tous les ans, sous la monarchie de Juillet, par les proscriptions dues à un jury composé des membres de l’Académie des Beaux-Arts 56. On trouvera dans le livre de Rosenthal déjà cité des exemples des protestations annuelles, et de remèdes proposés 57. Un petit livre anonyme, intitulé De l’Exposition et du jury, mérite une attention particulière, car, publié tout au début de l’année 1848, il passe pour avoir inspiré le système adopté l’année suivante. Dû à la collaboration de Boissard, Villot et Clément de Ris, il reprenait dans sa première partie une plaquette rédigée par ce dernier en vue du Salon de 1847, et présentée sous un titre on ne peut plus significatif : De l’Oppression dans les Arts. L’auteur y prônait un jury de vingt membres élus, dont dix choisis dans la quatrième classe de l’Institut. Cette clause restrictive disparut de l’ouvrage suivant, dont les auteurs, tout en insistant sur la nécessité d’un jury d’admission, le voulaient librement élu par tous les artistes ayant exposé depuis 1830.

34 L’essentiel, cependant, ne résidait pas dans les détails du règlement proposé, mais dans le ton, dans la dénonciation de “l’oppression qui pèse depuis tant de siècles sur les artistes” (p. III), du “pouvoir tyrannique” qui “impose sans appel des lois émanées de son bon plaisir à une corporation tout entière” (p. 1). Le rapprochement s’imposait avec la lutte menée contre les abus de l’Ancien Régime. Aussi les mesures prises en 1848 et 1849 semblent-elles s’opposer à l’arbitraire précédent comme la république s’oppose à la monarchie. Parallèle évident, mais en grande partie fallacieux.

35 En confiant l’admission des œuvres à l’Académie des Beaux-Arts, qui pouvait passer, a priori, pour la plus haute autorité en la matière et qui jouissait d’une indépendance certaine à l’égard du pouvoir, le gouvernement de la monarchie de Juillet avait sans doute voulu dégager sa responsabilité, ou la responsabilité de l’administration. D’ailleurs, les proscriptions du jury frappèrent souvent, et comme à dessein, des peintres qui jouissaient de la faveur des bureaux. Son arbitraire, qu’aggravait cette circonstance particulière, souvent dénoncée, que les décisions étaient imposées par quelques architectes aussi ignorants de peinture qu’assidus aux séances, en l’absence chronique d’une majorité des peintres, ne saurait donc s’assimiler directement à l’autoritarisme de la monarchie. Bien plutôt résulterait-il de la conjonction du principe (électif) de cooptation qui est encore celui des Académies comme de la quasi totalité des sociétés savantes, et d’une doctrine artistique (le néo-classicisme) très exclusive --mais dont le caractère exclusif tenait moins à son contenu proprement esthétique (on peut sans intolérance aucune juger le dessin supérieur à la couleur) qu’au contexte moral et politique dans lequel elle était apparue et s’était affirmée, c’est-à-dire, paradoxalement, l’esprit des Lumières et les luttes de la Révolution.

36 Reposant sur une analyse superficielle, sur l’illusion des mots, l’assimilation entre le mode de recrutement du jury d’admission et le principe du régime politique devait aussi conduire à une solution fausse, qui a pu passer pour idéale, mais qui n’a fait que perpétuer les contradictions dont souffrait le Salon 58. Pour les uns, celui-ci devait être une exposition choisie, de prestige, destinée à montrer par la réunion de ce que les

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artistes avaient produit de meilleur, les progrès accomplis par l’école française. D’où la nécessité d’un jury sévère, ce dont la majorité des exposants ne voulaient pas, d’un jury dont aucun mode de recrutement ne pouvait assurer parfaitement la compétence, mais dont la nomination semblait devoir revenir à l’État, dans la mesure où il assumait la charge de son organisation. Pour d’autres, au contraire, le Salon n’était plus qu’un marché d’œuvres d’art, un bazar, pour reprendre un mot dont l’usage se perpétua tard dans le siècle 59. C’est l’opinion qu’Ingres, qui n’exposait plus depuis longtemps, défendit devant la Commission permanente des Beaux-Arts 60. Mais rien, dans ce cas, comme il le fit valoir, ne justifiait l’existence d’un jury, n’autorisait à empêcher quiconque d’offrir sa production à la vue d’éventuels acheteurs. Il fallait par contre en tirer cette conséquence que son organisation ne relevait pas de la compétence des pouvoirs publics et que c’était aux artistes de s’entendre pour s’occuper de leurs propres affaires. Cette idée, qui commence à se manifester à l’époque, se confond souvent avec la notion d’exposition permanente, que l’on retrouve sous de nombreuses plumes, avec des acceptions diverses, jusqu’au début de la Troisième République. Elle se rencontre en particulier dans le rapport adressé par Charles Blanc au ministre de l’Intérieur et publié le 10 octobre 1848 61. En regard de ces conceptions divergentes, mais cohérentes, la solution adoptée en 1849 était une solution bâtarde logique dans le cadre d’une société d’artistes organisant sa propre exposition, mais qui, appliquée au Salon, se révéla par la suite incapable d’en résoudre les problèmes.

37 Une autre réforme eut plus de poids que celle du jury. Depuis son origine, le Salon se tenait au Louvre. Il en résultait une gêne considérable, et des risques renouvelés pour les tableaux anciens, visibles six mois par an, compte tenu de la longueur des travaux d’installation et de démontage. En 1849, l’administration, sur les instances de Jeanron, décida de le déplacer. Il eut lieu cette année-là aux Tuileries, puis au Palais national (le Palais royal) l’année suivante. La portée de ce changement n’était pas seulement d’ordre matériel. Certains contemporains tenaient la présentation d’œuvres modernes dans le musée du Louvre pour un symbole du maintien de la tradition. Cette manière de voir impliquait un choix sévère, qui ne laissât pénétrer dans le temple de l’Art que les œuvres susceptibles de supporter dignement la comparaison avec celles qui s’y trouvaient à demeure. Dans cette optique, l’abandon de ce lieu confirmait la transformation du Salon en bazar, c’est-à-dire en foire et en divertissement mondain, une évolution que déplorait déjà Balzac dans Pierre Crassou dix ans plus tôt, et qui, à terme, devait provoquer son déclin.

38 La révolution, l’établissement de la République suscitèrent de grandes espérances dans le domaine des arts. La revue L’Artiste s’en est fait l’écho à plusieurs reprises, en particulier avec un article de Théophile Gautier sur “L’Art en 1848”, paru dans le numéro du 15 mai, et un autre, de Charles Isnard, publié le 1er octobre sous le titre “De la peinture la veille et le lendemain de la République”. Les deux auteurs prônaient, comme Charles Blanc dans son rapport au ministre de l’Intérieur, la décoration peinte des édifices publics, parce qu’il s’agit d’un art pour le peuple, destiné a l’instruire, à le fortifier dans les vertus civiques, à cimenter son unité.

39 Mais cette mission attribuée à la peinture monumentale, comme à la sculpture du même ordre, le fut sous tous les régimes du XIXe siècle, et encore par certains régimes du XXe, avec une simple différence dans la coloration politique. Pour le reste, les intérêts, les opinions diffèrent, comme si, par delà l’enthousiasme commun provoqué par l’avènement de la république, chacun avait attendu d’elle la réalisation de ce qui lui

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tenait particulièrement à cœur, et qui ressortissait souvent à une conception très traditionnelle de l’art. Lacune symptomatique : ces auteurs qui parlent de grande peinture et de paysage ne semblent s’intéresser ni à l’artisanat, ni à l’art industriel. N’était-ce pas de là, pourtant, qu’allaient venir les changements les plus profonds ?

NOTES

1. Ces pages reprennent, en la précisant, la première partie d’une communication sur la politique artistique des pouvoirs publics sous la Seconde République présentée en 1981 devant la Société d’Histoire de la Révolution de 1848. 2. Arch. nat., F21 23. Voir aussi Pierre Angrand. “L’Administration des Beaux-Arts et l’œuvre de Daumier”, La Pensée, n° 177, octobre 1974, ainsi que le livre de T. J. Clark cité note 10 (p. 108-111). 3. Arch. nat. F21 496. Près de la moitié de ce crédit devait être dépensé en secours, encouragements, subventions. Les achats et commandes de peinture s’élevaient à 68 600 francs. Aucun tableau ne dépassait le prix de 1 500 francs ; la commande à Daumier s’élevait à 1 000 francs. La minute d’une réponse du ministre de l’Intérieur au Président du Comité de l’Intérieur concernant un programme de travaux artistiques que celui-ci lui avait soumis apporte quelques précisions sur l’emploi de ce crédit : “A peine suffisant pour apporter quelques soulagements aux misères les plus pressantes, il ne peut être dépensé, ainsi que le chef du Pouvoir exécutif et le Conseil des Ministres l’ont décidé, que par petites sommes. Ce fonds, d’une nature toute spéciale, doit être d’ailleurs dépensé dans l’année, ne peut être reporté d’un exercice sur l’autre et ne doit, par conséquent, être appliqué qu’à des encouragements et à des commandes d’un ordre secondaire ; les règles de la comptabilité s’opposant à ce que l’on impute une même dépense sur différents crédits, il ne pourrait être employé aux paiements d’acomptes, comme l’indique la note du comité”. C’est pourtant ce qui se produisit avec la commande à Daumier ! 4. Tout l’œuvre peint de Daumier, coll. Les Classiques de l’Art, Paris, 1972, cat. n° 38 (esquisse pour le tableau). 5. Michael Marrinan, “Resistance, Revolution and the : Images to Inspire the Chamber of Deputies”, Oxford Art Journal, III/2, octobre 1980, p. 26-37. Sur les versions qui en furent données entre 1939 et 1981, voir la “Note bibliographique” p. 36. 6. Léon Rosenthal, Du Romantisme au Réalisme. Essai sur l’évolution de la peinture en France de 1830 à 1848, Paris, 1914, p. 7. 7. François Benoît, L’Art français sous la Révolution et l’Empire, Paris, 1897 (réédition anastatique, Genève, 1975) ; René Schneider, Quatremère de Quincy et son intervention dans les arts, Paris, 1910. 8. Les résultats des différents concours sont présentés par Maurice Agulhon dans son livre Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaine de 1789 à 1880, Paris, 1979, p. 97 et suivantes ; mais il s’agit d’un ouvrage consacré, comme son sous-titre l’indique, à l’imagerie politique. La principale étude sur le concours pour la figure peinte est celle d’Albert Boime, The Second Republic’s Contest for the Figure of the Republic, The Art

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Bulletin, March 1971, p. 68-83. Il est symptomatique que T. J. Clark (ouv. cité infra, note 10) signale les trois concours (p. 63) mais ne commente que celui pour la figure peinte, et cela pour souligner (p. 64) l’originalité de l’esquisse de Daumier face à la monotonie de celles des autres concurrents, qui se limitaient pour la plupart à une seule figure allégorique -- ce qui était… une condition spécifiée dans le programme du concours ! Sur le concours pour la figure sculptée, voir Jacques Lethève, “Une statue malchanceuse, “La République”” de Jean-François Soitoux, Gazette des Beaux-Arts, octobre 1963. p. 229-240. 9. Il faut rendre ici hommage à Pierre Angrand pour son rôle de pionnier, ainsi que pour ses nombreuses publications fondées sur le dépouillement des archives de l’ancienne Direction des Beaux-Arts. 10. T. J. Clark, The Absolute Bourgeois. Artists and Politics in France 1848-1851, Londres. 1973. chap. 2. “The Art of the Republic”, pp. 31-72. 11. En dehors de cette phrase, l’arrêté du 24 février concernait l’organisation du Salon de 1848. Voici le texte de l’arrêté du 18 mars 1848 : “1°) Les musées du Louvre, du Luxembourg, de Versailles, les galeries des anciennes résidences royales et palais du gouvernement, sont distraits de l’administration de la liste civile pour rentrer dans les attributions du ministère de l’Intérieur. 2°) Le ministre de l’Intérieur fera rechercher les objets d’art appartenant à l’État qui auraient été déplacés et qui se trouveraient compris indûment dans le domaine privé, ainsi que ceux qui se trouveraient dans les établissements publics quels qu’ils soient. 3°) Les trois manufactures de Sèvres, des Gobelins et de Beauvais rentrent dans le département de l’agriculture et du commerce”. 12. François Benoît, ouv. cité (note 7), p. 146-147. 13. Le texte en est reproduit par Philippe de Chennevières, Souvenirs d’un Directeur des Beaux-Arts, 2e partie, Paris, 1886, p. 63 (réédition anastatique, Paris, Arthéna, 1979). Un peu plus tard, la Société libre des Beaux-Arts adressait à l’Assemblée nationale une pétition dans laquelle ce rattachement était aussi demandé, ainsi que celui des manufactures nationales au ministère des Travaux publics [L’Artiste, Ve série, tome I, 15 juillet 1848, p. 208). 14. L’Artiste du 1e janvier 1849, “Mouvement des arts”, par Lord Pilgrim : “Avant d’être nommé président, M. Louis-Napoléon Bonaparte avait eu l’idée d’un ministère des Arts et des Lettres. On aurait détaché à l’Intérieur la division des Beaux-Arts, à l’Instruction publique la division des Lettres : rien de plus intelligent. Déjà on avait, il y a deux ans, pensé à ce ministère pour M. Vitet. Mais, en France, on a peur du nouveau comme de l’inconnu” (p. 146). Le ministère des Beaux-Arts fut créé par décret du 2 janvier 1870 ; il prit le titre de ministère des Lettres, Sciences et Beaux-Arts par décret du 15 mai 1870. 15. Pierre Vaisse, Le Conseil Supérieur de Perfectionnement des manufactures nationales sous la Deuxième République, Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art Français, Année 1974, Paris, 1975, p. 153-171. 16. Si l’on en croit Philippe de Chennevières, Charles Blanc était “mal disposé pour Jeanron par les perpétuels tiraillements de leurs deux directions” (ouv. cité (note 13), 2e Partie, 1885, p. 85) ; il dit ailleurs que “ce qui agaçait le plus Jeanron dans son départ, c’était que Charles Blanc lui survivrait” (Ibidem. 3e Partie, p. 79). 17. Philippe de Chennevières, Ibidem., 3e Partie, p. 60. 18. Henri Delaborde, L’Académie des Beaux-Arts depuis la fondation de l’Institut de France, Paris, 1891, p. 281. 19. Ouv. cité (note 13), p. 83.

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20. Ibidem., p. 68-70. Le rapport de Jeanron date du 3 avril 1848. Voir Harsène Houssaye, “Les Musées de Province”, L’Artiste du 16 avril 1848, p. 89-90. 21. L’arrêté du ministre de l’Intérieur date du 4 juin 1848. Il dispose qu’”aucun objet ne pourra être distrait des Musées nationaux, soit pour servir de décoration, soit pour être reproduit dans les Établissements spéciaux. Pour ce dernier objet, les manufactures publiques recevront, dans les Musées mêmes, toutes les facilités nécessaires pour établir les copies ou cartons qui pourront leur être utiles, le tout sous la surveillance des conservateurs compétents”. 22. Ouv. cité (note 13), p. 78. 23. Ibidem, 2e Partie, p. 55. 24. Ibidem,. p. 54. 25. Ibidem. 26. Sur Charles Blanc, voir e. a., Philippe de Chennevières, Souvenirs d’un Directeur des Beaux-Arts, 1e Partie, 1883, p. 86-98 ; Tullo Massarani, Charles Blanc et son œuvre, Paris, 1885 ; A. Soubies, Les membres de l’Académie des Beaux-Arts depuis la fondation de l’Institut, 3e série, 1852-1876, Paris, 1911, tome 3, p. 228-233 ; et le catalogue de l’exposition Hommage à Charles Blanc, Castres, musée Goya, 1948. 27. L’Artiste du 15 octobre 1848, p. 65. 28. Pour cette commande, il faut se reporter au récit qu’en a donné Philippe de Chennevières. Souvenirs d’un Directeur des Beaux-Arts. Les décorations du Panthéon, Paris, 1885, p. 62 et suivantes. L’ambitieux programme de Chenavard a été décrit ou étudié par Théophile Gautier, L’Art moderne, Paris, 1856, p. 59-94 (réédition d’un article de septembre 1848, paru dans La Presse) ; Gustave Planche, “Les cartons de M. P. Chenavard”, Revue des Deux Mondes, XIII (1852/1), p. 362-377 ; Joseph C. Sloane, Paul Chenavard, Art Bulletin, décembre 1951, p. 240-258 ; idem, Paul Marc Joseph Chenavard, Artist of 1848, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1962 ; M. A. Grunewald, Paul Chenavard et la décoration du Panthéon de Paris en 1848, Lyon, Musée des Beaux-Arts, 1977 ; idem, “Paul Chenavard (1807-1895), La Palingénésie sociale ou la Philosophie de l’histoire (1830 ? -- 1852 ?)”, Bulletin des Musées lyonnais, 1980/1, p. 1-27. 29. Philippe de Chennevières, Notice historique et descriptive sur la galerie d’Apollon au Louvre, Paris, 1851, rééd. 1855, p. 65 sqq. 30. Pour le monument à la mémoire de Mgr Affre, le vote de l’Assemblée nationale eut lieu le 17 juillet 1848. A la suite d’un concours, la commande fut passée au sculpteur Auguste Debay, pour la somme de 49 000 francs ( Arch. nat., F21 42). Les groupes du pont d’Iéna furent commandés à Daumas (F21 23), Devaulx (F21 25), Feuchère (F21 29 B), Préault (F21 51). La commande des modèles en plâtre date du 12 mai 1848 ; elle s’élevait à 7 000 francs par artiste, pris sur le crédit de 950 000 francs ouvert pour la Fête de la Concorde par un décret du gouvernement provisoire en date du 27 avril. Celle des groupes en pierre fut signée le 21 septembre 1849, à raison de 22 000 francs l’un ; leur mise en place était achevée le 15 juin 1853. 31. Pierre Vaisse, “Charles Blanc und das "Musée des copies"“, Zeitschrift fur Kunstgeschichte, 1976/1, p. 54-66. 32. Jean-Louis Fouché, “L’Opinion d’Ingres sur les Salons. Procès-verbaux de la Commission permanente des Beaux-Arts (1848-1849)”, Chronique des Arts et de la Curiosité , 14 mars 1908, p. 98-99 et 4 avril 1908, p. 129-130. La liste des membres donnée p. 98 diffère un peu de celle que l’on trouve dans l’Almanach national 1848-1849-1850, p. 136 : Ingres avait donné sa démission, et d’Albert de Luynes, Charles Blanc et le député

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Frémy avaient été nommés. Le décret du 7 décembre 1851 supprimait aussi la Commission permanente des Théâtres, instituée par le même arrêté du 29 octobre 1848. 33. Pierre Vaisse, ouv. cité, supra (note 15). 34. P.-v. de l’Académie des Beaux-Arts, séances des 4 et 18 mars 1848 (Arch. de l’Institut, 2 E 10). 35. Ibidem, séance du 1er avril 1848, et Henri Lapauze, L’Académie de France à Rome, Paris, 1924, II, p. 292 et suivantes. 36. Léon Rosenthal, ouv. cité (note 6), p. 5. 37. Arsène Houssaye, “République des Arts et des Lettres”, L’Artiste des 25 février et 5 mars, p. 258. Les trois artistes envoyèrent (ou projetèrent d’envoyer) aux journaux qui avaient fait état de leur pétition une lettre pour préciser qu’ils n’avaient été que “l’écho de la pensée générale” (Bibl. Doucet, carton 36, sculpteurs -- Barye). Voir aussi T. J. Clark, ouv. cité (note 10), p. 50. 38. Arch. nat., F21 527, “Communication officieuse des délégués des artistes” : “La majorité des artistes peintres, sculpteurs, etc., parmi laquelle on remarque les plus grands noms, ont adressé une pétition au gouvernement provisoire à l’effet d’avoir l’autorisation de se réunir en assemblée générale. Dans cette assemblée générale, un comité serait nommé et s’occuperait des grandes questions relatives à une organisation large des beaux-arts. Leur travail serait communiqué au gouvernement. Le gouvernement provisoires a accueilli cette pétition avec sympathie et a invité les artistes à se réunir le plus tôt possible. Les mêmes artistes demandent donc au ministère de l’Intérieur qu’un local soit mis à leur disposition. Ils ont hâte de se constituer en société permanente et de nommer un comité afin qu’il soit procédé sans retard aux mesures que réclame l’état actuel des beaux-arts”. 39. Ibidem., Cette pétition était signée, entre autres, par Rousseau, Delacroix, Picot, Muller, Ingres, Delaroche, Ary Scheffer, Jeanron, Barye, Diaz, Couture. 40. Ibidem, Le texte de l’arrêté du 29 février figure dans le livret du Salon de 1848. Voir aussi Chennevières, ouv. cité (note 13), p. 62. 41. La convocation parut dans L’Artiste du 16 avril 1848. p. 91. Voir aussi Paul Mantz, Decamps, Gazette des Beaux-Arts, février 1862, p. 122. 42. L’Artiste du 30 avril 1848, p. 110. 43. Le bureau était ainsi constitué : Présidents : Delaroche (Paul), Ingres, Delacroix (Eugène), Decamps ; Vice-Présidents : Cogniet (Léon), Nanteuil (Célestin), Drolling, Flandrin (Hippolyte), Leleux (Armand), Corot ; Secrétaires : Pérignon, Dauzats, Lehmann (Henri), Lefevre (Charles), Boissard, Lazerges, Billotte, Cérôme, Aligny, Jollivet, Ouvrié (Justin), Timbal, Riesener ( Arch. nat., F21 566). 44. Ibidem., Fac-similé de la lettre dans T. J. Clark, ouv. cité (note 10), p. 53. 45. Ibidem. 46. L’Artiste du 15 janvier 1849, p. 163-164, et du 15 février, p. 188-191. 47. Arch. nat., F21 566, lettre du 6 avril 1848. Premier signataire, en tant que président. Rude avait été nommé par le pouvoir pour faire partie de la commission. Selon T. J. Clark, ouv. cité (note 10), p. 50, la lettre aurait été rédigée “in protest at the new regulations for the Arts, which put an end to improvisation and the power of Jeanron, and put Museums and Fine Art under separate management” : elle ne contient, en réalité, aucune allusion à ces questions et ne concerne que “l’arrêté du 30 mars qui nomme une commission chargée des réformes à faire à l’organisation de l’école française de Rome et de l’école des Beaux-Arts”.

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48. Pierre Vaisse. ouv. cité (note 15), p. 155-156. C’est Delaroche qui ouvrit le débat sur cette question. 49. T. J. Clark, ouv. cité (note 10), p. 51. 50. Réponse rappelée par les délégués des sculpteurs dans leur lettre du 6 avril [supra, note 47). Ils l’interprétaient (abusivement) comme une reconnaissance de la compétence des commissions formées par les artistes au sein des différentes sections pour étudier les réformes à faire, donc comme un argument contre la nomination d’une commission par le gouvernement. 51. Voir l’Enquête sur la Séparation des Beaux-Arts et de l’État, publiée par Les Arts de la Vie, octobre 1904. 52. L’Artiste du 16 avril 1848, p. 91 : “Les peintres qui désireraient se faire inscrire comme électeurs devront justifier de leur qualité d’artistes par une preuve d’admission aux expositions du Louvre antérieures et non compris celle de 1848, ou par une médaille ou un prix obtenu à l’École des Beaux-Arts, ou enfin ceux qui n’auraient aucun de ces moyens d’admission seront tenus de présenter la signature de quatre peintres exposants, au moins, répondant de leur capacité comme électeurs”. 53. Pierre Vaisse, Salons, expositions et sociétés d’artistes en France 1871-1914, Saloni, Callerie, Musei e loro influenza sullo sviluppo dell’arte dei secoli XIX e XX, a cura di Fracis Haskell, Atti del XXIV Congresso Internazionale di Storia dell’Arte, volume 7, Bologna, s. d., p. 141-155. 54. Les sentiments d’Ingres et de Delacroix sont bien connus. Sur Hippolyte Flandrin, voir Louis Flandrin, Hippolyte Flandrin. Sa vie, son œuvre, Paris, 1902, p. 190 sqq., et Michael Paul Driskel, Painting, Piety, and Politics in 1848 : Hippolyte Flandrin’s Emblem of Equality at Nîmes, Art Bulletin, June 1984, p. 270-285. 55. Arch. nat., F21 566 : lettres des délégués de la section de sculpture des 23 mars (et non février, comme il est écrit par erreur) et 11 avril 1848 relatives à l’organisation du concours pour la figure sculptée de la République et au mode de désignation du jury (les délégués réclament qu’il soit élu). 56. Les musiciens en furent toutefois exclus à partir d’octobre 1833. 57. Ouv. cité (note 6), p. 38 sqq. 58. Cette illusion s’est perpétuée longtemps. Voir, par ex. Germain Bazin, Le Salon de 1830 à 1900, Scritti di storia dell’arte in onore di Lionello Venturi, Rome, 1956, tome 2, p. 117-123 (p. 119 : “La solution de 1849 était la bonne. Conforme aux usages démocratiques, elle remettait aux artistes le gouvernement du Salon, la sélection des envois, la distribution des récompenses”). 59. Émile Zola l’emploie encore dans son Salon de 1880 (Émile Zola, Salons, recueillis, annotés et présentés par F. W. J. Hemmings et Robert J. Niess, Genève/Paris, 1959, p. 237). 60. Ouv. cité (note 32). 61. Charles Blanc reprenait la distinction entre le grand art, qui est affaire de l’État, et l’art secondaire, destiné aux particuliers, pour lequel il préconise des associations d’acheteurs organisant des expositions avec loterie (analogues, donc, aux Kunstvereine dont la création avait commencé en Allemagne).

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INDEX

Mots-clés : Arts, Administration

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Le souvenir du 2 décembre dans la mémoire républicaine 1868-1901

Edith Rozier-Robin

1 “L’homme existe-t-il après tout quand le droit a cessé de vivre ?” Pascal Duprat

2 “C’est une bien vieille histoire” 1 aurait dit Napoléon III au moment de l’affaire de la souscription Baudin et du procès qui y fit suite en 1868. En effet, à quoi bon dix-sept ans après ressortir les vieux souvenirs ? La droite a souvent reproché aux républicains leur manie de commémorations, ces pseudo-manifestations du souvenir, prétextes à réveiller les passions et les antagonismes, qui détournent la légitime mémoire des morts vers des fins partisanes. Le substitut Aulois, au cours du “procès Baudin” en novembre 1868, sacrifia lui aussi à cette tradition : la tombe de Cavaignac ne suffisant plus à satisfaire les passions qui avaient “fait du chemin et pris plus d’audace significative… il fallait pour point de ralliement un personnage plus actuel, un souvenir plus vivace, plus irritant surtout” 2. Irritant donc provocant : pourquoi ce subit intérêt pour Baudin, ce souci bien suspect de lui offrir un monument alors que “les morts des 3 et 4 décembre n’avaient pas eu de funérailles” 3, si ce n’est pour créer des troubles ?

3 Dix-sept ans après, alors que la page est tournée, que le souvenir de la mort de Baudin est “effacé dans la mémoire du plus grand nombre par de longues années de repos et de calme dans les esprits” 4, à quoi bon relancer des querelles d’un autre âge ? Louis Napoléon ne montrait-il pas l’exemple de la mémoire courte : dès la fin décembre 1851, oubliant “l’événement” pour reprendre le mot de Maupas, il déclarait : “la France a compris que je n’étais sorti de la légalité que pour rentrer dans le droit. Plus de sept millions de suffrages viennent de m’absoudre en justifiant un acte qui n’avait d’autre but que d’épargner à la France et à l’Europe peut-être des années de troubles et de malheurs” 5. En un mot : la fin justifiant les moyens, seul compte le présent. On notera simplement le paradoxe soulevé par la droite tantôt si prompte à revendiquer haut et fort le droit au souvenir des morts et des martyrs, politiques ou autres, à l’ériger en vertu nationale, voire nationaliste et qui, par ailleurs, fait sienne la thèse du nécessaire oubli du passé au nom du présent, de la paix publique et du consensus national.

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4 Les droites dénient aux républicains le droit de commémorer, c’est-à-dire le droit à la tradition et à l’identité, le droit de revendiquer un héritage, à le faire vivre et à le transmettre. L’affaire de la souscription en est une illustration parmi d’autres. Soit on cherche à ridiculiser, à tourner en dérision, comme le firent les royalistes en 1889 au moment du transfert des cendres de Baudin au Panthéon, soit on s’y prend de façon plus habile, plus “politique”, tel Émile Ollivier. Il accuse Delescluze, après avoir dit toute l’estime qu’il avait pour l’homme, comme il se doit, de s’emparer de la mort de Baudin et d’organiser une savante manœuvre pour mettre à mal l’Empire libéral, en radicalisant les luttes. Aussi fin psychologue que rusé politicien, Delescluze qui sait que “le peuple de Paris a le culte de la tombe” 6, souhaitait d’après Ollivier amorcer l’opération par une démonstration au cimetière Montmartre, en espérant que les choses tourneraient mal car “une répression dans un cimetière ressemblerait à un sacrifice” 7. C’est non seulement prêter à Delescluze un machiavélisme qui lui est bien étranger, mais c’est surtout faire abstraction du contexte, de l’évolution politique du régime et du renouveau des forces républicaines.

5 En effet, les années 1865 voient le réveil de la gauche qui achève enfin sa traversée du désert. La peur et les plaies consécutives à la répression et aux années de compression s’apaisent et se cicatrisent peu à peu ; mais plus que tout, c’est d’elle-même dont elle se libère, de sa mauvaise conscience due à “la honte d’avoir subi le deux décembre” 8. Sa relative absence des événements, son incompréhension de la situation l’avaient atteinte au moins autant que les coups de la dictature. Les républicains des années 1865 ont fait le bilan de leur “apprentissage de la République”. Le constat de la sous- éducation politique de la majorité des militants n’est certes pas l’élément le moins important du débat de clarification idéologique qui s’opère. Cette prise de conscience faite, la gauche se sent à nouveau capable d’initiative. Sans honte, les républicains acceptent de se souvenir, d’écrire l’histoire du coup d’État qui est aussi celle de leurs erreurs et pour tout dire de leur échec, d’assumer dans sa totalité ce proche passé et de lui faire une place à part entière dans le patrimoine républicain.

6 C’est la genèse de ce souvenir, les premiers pas d’une mémoire encore convalescente que nous suivrons tout d’abord. Mais après : le souvenir pour quoi faire ? Une mémoire seulement faite de nostalgie, immobilisée par le poids du passé est un feu vite consumé, sans lendemain. Actifs et entreprenants en cette fin de Second Empire, les Républicains ont su éviter cet écueil ; ils utiliseront le souvenir du 2 décembre, le mettront au service de leur projet politique. La République au combat va le prendre, le façonner, lui donner ses représentations et symboles, choisissant dans la masse d’images qui composent le souvenir global du coup d’État. Elle privilégiera presque exclusivement le thème de la défense du droit, de la loi, aux dépens de celui plus dynamique, plus créateur mais conflictuel, des luttes et des résistances populaires à l’entreprise bonapartiste. Mémoire institutionnalisée, officielle, et mémoires individuelles, militantes et contestataires, ne seront pas pour autant systématiquement opposées l’une à l’autre. Elles sauront, comme en 1888, se retrouver et mêler leurs convictions. Mais à mesure que le temps passe, que les luttes et les revendications évoluent, que la classe ouvrière s’affirme, l’interprétation officielle du coup d’État, les modèles proposés, satisfont de moins en moins, les militants de gauche. Alors que l’internationalisme bouscule les idées et les hommes, ouvrant d’immenses espoirs aux luttes ouvrières, le recours à un thème aussi formel que celui de la défense du droit, symbolisé par un héros solitaire, Baudin, coupé des luttes, semble bien fade et démobilisateur. Rejeté des aspirations nouvelles faites de

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solidarité, de communauté et de fraternité, il est la preuve que la République ne peut imposer des valeurs si celles-ci ne sont pas ou plus légitimées par les forces populaires. Le Réveil 7 Si la gauche a mis tant d’années à rassembler ses forces et à refaire surface, c’est non seulement parce que le “parti républicain” sort laminé physiquement et idéologiquement du coup d’État, mais c’est aussi en raison du traumatisme créé par les massacres du jeudi 4 décembre à Paris, dont les conséquences dépassent très largement les limites de la zone d’influence républicaine. On ne tire plus seulement sur les “monstres de barricades” 9, sur les professionnels du désordre, les balles perdues faisant quelques victimes dans la population, au hasard. En décembre 1851, on tire volontairement sur la foule, plus ou moins hostile, certes, mais non engagée directement sur le terrain. Voulant éviter à tout prix que ne se développe un mouvement insurrectionnel, à l’issue toujours incertaine, les militaires ont pris les devants, provoquant une répression sans commune mesure avec les troubles de la rue. Les parisiens resteront choqués pendant de longues années par ces scènes de violence.

8 Les mouvements de résistance ne s’organisèrent véritablement que le 3 ; les classes populaires, se souvenant de juin 1848, de leurs aspirations déçues, et du sort âpre qui leur était réservé depuis, n’ont pas immédiatement compris la véritable nature de l’acte de Louis Napoléon. “Le sentiment de la légalité violée les toucha peu… Là où les ouvriers n’avaient vu que le rétablissement du suffrage universel, les Républicains de la classe moyenne virent clairement la dictature militaire, la suspension indéfinie de toutes les libertés et la restauration de l’Empire à bref délai”, écrit Ténot 10. Si l’effet de surprise joint à la présence massive de l’armée ont pleinement joué le 2 et une partie du 3 décembre, à cette date, Louis Napoléon n’est plus aussi assuré de sa victoire. Tandis que la résistance armée s’organise, se dresse ce que Pascal Duprat appelle cette “sorte d’insurrection morale” 11. Renouant avec la tradition révolutionnaire, les grands boulevards voient se former un “flot qui montait, montait toujours, comme si la nation tout entière eût voulu se montrer à l’armée, que l’usurpateur entraînait dans son crime. Il y avait plus de mépris que de colère…” 12. C’est pour endiguer cette force que furent décrétés les massacres du 4 : terroriser les Parisiens, ces ennemis en puissance, pour leur ôter définitivement le goût de l’insurrection. La thèse qui fait de cette tuerie un acte non prémédité --la troupe cédant à la fatigue, à la peur ou à l’inexpérience-- semble bien fragile. Victor Schœlcher rapporte des paroles de P. Mayer qui traduisent assez bien l’état d’esprit et la détermination des bonapartistes durant ces journées : “en somme tout commentaire était inutile. Il fallait, sous peine de défaite honteuse et de guerre civile, ne pas seulement prévenir mais épouvanter. En matière de coup d’État, on ne discute pas, on frappe. On n’attend pas l’ennemi, on fond dessus. On broie ou l’on est broyé” 13. On retrouve cette violence prête à tout chez le Préfet de Police, C. E. de Maupas ; à cette nuance près que le Préfet a peur et que cela transpraît au fil de ses communiqués alarmistes ; sa volonté d’en finir vite n’en est que plus forte. Dans une note datée du 4 décembre, minuit dix minutes, et adressée au Ministre de la Guerre, S Arnaud, Maupas se montre dans les mêmes dispositions que les autres militaires : “… la terreur dans une insurrection est incontestablement la force la plus puissante” 14.

9 Le bilan de ces journées : plusieurs centaines de cadavres qui “gisaient pêle-mêle sur le seuil des portes comme au milieu des rues” 15, mais c’est surtout l’effroi : “une impression de terreur dominait et semblait paralyser tout le monde, car chacun se retirait en silence, après avoir recueilli sa part des sinistres nouvelles du moment” 16.

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Mais le but est atteint : “demain Paris sera dans la terreur, je ne le conteste pas, mais nullement tenté de prolonger sa lutte” 17.

10 Les barrières subjectives levées, il reste les causes objectives du réveil de la gauche. La France politique et sociale des années 1865 n’est plus celle des années de compression. Le régime impérial, usé et déconsidéré, est contraint à faire des concessions. La libéralisation des écrits en général et de la presse en particulier est le signe, comme toujours, que le processus est en marche. E. Ollivier souligne que “l’abolition du régime discrétionnaire de la presse n’a pas seulement pour effet de rendre très hardie la polémique… des journaux de partis déjà autorisés, tels le Temps de l’orléaniste Nefftzer, L’Avenir National du jacobin Peyrat, l’Univers de Veuillot…” 18, mais conduit à l’apparition de nouvelles feuilles, situées très à gauche pour certaines : le Réveil de Delescluze, au titre significatif, la Revue Politique de Challmel-Lacour, etc. II voit dans cette floraison un “signe des temps” 19. Liberté relative puisque les amendes, les tracasseries diverses, voire la prison, menacent encore les écrits, mais liberté incontestablement, car désormais la presse est pluraliste. Ce printemps s’étend aussi à la province ; dans de nombreuses villes “cent journaux allument des foyers de liberté” 20. L’évolution, c’est aussi la foule des parisiens qui se pressent aux réunions publiques : “Paris depuis près de vingt ans n’a pas vu parole libre vivre sur les lèvres”, dit encore Lissagaray 21. Émile OIIivier remarque fort justement que si ces journaux n’avaient été que de simples feuilles partisanes, véhiculant les ressentiments-dés partis, jamais elles n’auraient connu un tel succès. Or, loin de ressasser le passé, ils répondent avant tout à une attente impatiente, à un besoin d’air frais de “tous les hommes de pensée, de travail, las de l’incertitude dans laquelle un gouvernement sans résolutions (les) tenait depuis 1866, (qui) brûlaient de sortir de cet état incohérent où l’on ne retrouvait du passé que ce qui avait été faiblesse et imperfection” 22.

11 L’enthousiasme qui accueille en 1868 l’ouvrage de Ténot Paris en décembre 1851. Étude historique sur le coup d’État n’est pas vraiment surprenant. L’auteur qui est journaliste au Siècle, s’affirme ouvertement républicain dans son avant-propos, qu’il date symboliquement du 14 juillet 1868. Il veut faire œuvre d’historien, pas de polémiste : “j’expose les faits, je ne les apprécie pas ni ne les juge” 23, mais quelle arme que cette “impartialité, d’autant plus vengeresse”, selon l’expression de Cambetta. Ce qui l’a déterminé, c’est que “les années passent ; il y a bientôt dix sept années écoulées depuis le 2 décembre. Toute une génération a grandi, qui ne sait pas, qui ne peut savoir comment s’est accompli ce coup d’État célèbre, origine du régime sous lequel elle vit. Où irait-elle puiser la connaissance exacte des faits ? Où est le livre honnêtement écrit qui raconte ces événements ?” 24. Ténot dresse, entre autres, une liste des victimes ; énumération très incomplète mais qui a le mérite de donner un nom, une identité à ces morts jusque-là si contestés 25 par le régime. Invitation à la mémoire mais aussi outil du combat au quotidien, le livre propose à cette jeune génération de républicains “d’entrer dans la carrière alors que leurs aînés n’y sont plus, d’y trouver leur poussière et la trace de leur vertu” pour paraphraser la Marseillaise, et de poursuivre la lutte qui est désormais la leur. Il va s’attacher à démontrer que les anciens n’ont pas tous démérité, n’ont pas tous baissé les bras devant Louis Napoléon. Preuve en est : Baudin. Si ce n’est pas là le premier récit de sa mort, c’est en tout cas le premier à remettre cette mort en situation 26, à l’expliquer politiquement, à l’interpréter et à présenter son sacrifice comme un exemple. La presse républicaine contribuera largement à diffuser ce texte. Le coup d’État a enfin une histoire.

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Baudin : de la tombe au tombeau 12 C’est dans ce climat nouveau que se produit la découverte de la tombe de Baudin en novembre 1868. Si l’événement provoque une incontestable mobilisation dans les rangs républicains, le “peuple de gauche” parisien n’a cependant pas attendu cette circonstance pour manifester contre l’Empire. Baudin deviendra le symbole d’un combat ; il a même certainement contribué à affermir sa légitimité en assurant la filiation des luttes présentes avec les luttes passées ; mais s’il a donné ampleur et grandeur au souvenir, il ne l’a pas créé. Mémoire de l’ombre, adaptée à la rudesse des temps, attendant son heure, la mémoire républicaine n’avait jamais cessé de vivre. Des signes avant-coureurs en témoignent.

13 Dès 1866 peut-être même avant, les militants les plus avancés se retrouvaient le jour des morts au cimetière Montmartre. L’un des accusés du “procès Baudin”, Charles Louis Quentin déclare : “je suis allé au cimetière Montmartre comme simple citoyen, ainsi que je le fais chaque année…” 27. À défaut de Baudin, les manifestants réaffirmaient leur piété républicaine devant la tombe de Codefroy Cavaignac. On vient seul ou accompagné de ses enfants, afin qu’eux aussi participent au souvenir et se préparent à la lutte ; c’est le cas de Napoléon Gaillard : “je suis venu pour rendre hommage à des personnes dont la mémoire m’est chère… je suis allé au cimetière pour déposer deux couronnes et j’ai amené mon fils avec moi, parce que c’est mon devoir d’honorer ceux qui me sont chers, j’allais a la tombe de Cavaignac…” 28. Les deux novembre sont donc une occasion de rassemblement pour la famille républicaine. Un peu plus tard, en novembre 1867, toujours au cimetière Montmartre, se tient une manifestation de solidarité avec Garibaldi, aux prises avec les troupes françaises. Cette démonstration de l’internationalisme républicain salue au passage Cavaignac, puis se rend à la tombe de Manin entourée par la foule : “Pour la première fois, les ouvriers remplissent les boulevards” 29. On entrevoit déjà la place que tiendront dans l’expressionisme de gauche les monuments, qu’ils soient tombeaux, statues… En concentrant autour de lui les manifestants, le monument devient le symbole de l’anti-dispersion, le non- éparpillement des hommes et de leurs forces. L’unité du mouvement est à chaque fois éprouvée et recréée. Mais il ne s’agit encore ici que d’auto-pédagogie et pas encore de pédagogie des masses.

14 Mais venons en à Baudin, puisque c’est lui qui est à l’origine d’un renouveau militant incontestable en cette fin d’Empire, mais également celui vers lequel se tournera la Troisième République chaque fois qu’il lui faudra, au cours des moments difficiles, faire appel au civisme républicain.

15 Alphonse Baudin a été tué sur une barricade du Faubourg S Antoine, le mercredi 3 décembre 1851 30. À l’époque, l’événement est passé presque inaperçu. La Patrie, journal bonapartiste en parle comme du “seul événement un peu grave de la journée” ; passé inaperçu parce que son frère Camille Baudin s’est hâté de récupérer le cadavre à l’hôpital Sainte Marguerite, le soustrayant du même coup à d’éventuels rassemblements populaires ; passé inaperçu parce que le jour des obsèques, le 5 décembre, le commissaire de police responsable de la bonne marche des opérations n’autorisa pas Camille Baudin à placer les insignes de Réprésentant sur le cercueil. C’est donc un catafalque anonyme qui partit au cimetière Montmartre ; une centaine de personnes formaient le cortège 31 ; passé inaperçu enfin, parce que Paris était en proie à la terreur après les événements de la veille, ainsi que nous l’avons vu.

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16 Que la gauche n’ait pas attendu Baudin pour manifester son attachement à la Republique est vrai ; mais il n’en est pas moins vrai que la découverte de sa tombe a soulevé une grande émotion parmi ceux qui participaient au rassemblement du 2 novembre 1868. Napoléon Gaillard exprime bien le trouble qui les saisit au moment des retrouvailles : “Nous y sommes restés sur cette tombe, mon fils et moi une heure et demie sans dire un mot. C’est [a vérité. J’ai entendu quelqu’un dire : on ne prononce donc pas de discours ? Mais moi je n’aurais pas pu prendre la parole tellement j’étais ému” 32. Les manifestants savaient depuis peu que Baudin était inhumé au cimetière Montmartre, mais ils ne savaient pas précisément où. Tous les intervenants au “procès Baudin”, y compris le substitut Aulois, avoueront leur ignorance. Le fait que ce soit seulement en 1868 que les Républicains aient eu l’idée de chercher cette tombe est une nouvelle preuve de l’évolution des consciences : on est plus sûr de soi, plus hardi ; mais le livre de Ténot a été déterminant pour leur démarche, leur permettant de retrouver enfin ce lieu trop longtemps caché. Lorsque N. Gaillard, encore lui, militant exemplaire et homme d’honneur déclare : “… il était tout naturel que, partageant ses opinions politiques et sociales 33, j’eusse gardé de lui un souvenir qui ne s’effacera jamais… Je déclare que si j’avais été au cimetière pour me rendre sur sa tombe, je l’avouerais hautement… Mais la pure vérité, c’est que je ne connaissais que la tombe de Cavaignac” 34.

17 On le croit volontiers.

18 Mais où était donc enterré Baudin ?

19 Quatre moments sont à distinguer.

20 1) Du 5 décembre 1851 au 13 février 1857, tout d’abord. Il est inhumé dans une fosse temporaire du cimetière Montmartre, située dans la 42e ou 43 e division, aujourd’hui désaffectée. L’hôpital Bretonneau occupe l’emplacement de l’ancien cimetière.

21 2) Du 13 février 1857 au 25 octobre 1872. Le 13 février a lieu le transfert des restes dans la concession perpétuelle accordée à M Claudine Baudin (?). Elle est située dans la 25e division, 15e ligne, n° 1, avenue du Tunnel. C’est à cet emplacement que le tombeau a été découvert en 1868.

22 3) Du 25 octobre 1872 à août 1889. Nouveau transfert des restes et inauguration de la statue de Millet, le 2 décembre 1872. On y lit : “À Alphonse Baudin, Représentant du peuple, mort en défendant le droit et la loi, le 3 décembre 1851. Ses concitoyens, 1872” 35. La concession, 9 m de terrain, est faite à “Monsieur Millet, statuaire, agissant comme mandataire du Comité de souscription Baudin… pour y fonder la sépulture perpétuelle de M. A. Baudin… Le terrain est situé 27e division, 2e ligne, allée de la Chapelle”.

23 4) 3 août 1889. Dernier voyage de Baudin, pour le Panthéon. Le 3 août 1889, dans le cadre des fêtes du Centenaire de la République, en présence du Président de la République , Baudin est une nouvelle fois honoré.

24 Il n’entre pas dans cette étude de faire l’histoire de la souscription et au monument élevé à Baudin. Nous relèverons néanmoins les éléments qui nous semblent participer à la formation du symbole qu’il devient à partir de ce moment.

25 L’initiative en revient à Charles Delescluze, au lendemain de la manifestation du 2 novembre 1868. Son journal, le Réveil, étant un hebdomadaire, il fait appel pour des raisons d’efficacité au quotidien d’Alphonse Peyrat, l’Avenir national, pour lancer la souscription. Le 4 novembre, on lit dans l’Avenir : “Aujourd’hui que le lieu où repose Baudin est connu, la démocratie doit un monument à ce Représentant héroïque. Les […]

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d’adresser un appel à leurs amis. À dater de demain, une souscription est ouverte…”. Elle connaît un succès considérable. Non seulement les signataires constituent “le véritable palmarès, le livre d’or du parti républicain à la fin de l’Empire” 36, mais encore nombre d’orléanistes que leurs sensibilités du moment rendaient proches des républicains vont signer, comme J. J. Weiss, directeur du Journal de Paris. Le légitimiste Berryer, qui avait fait voter la déchéance de Louis Napoléon en décembre 1851, se fait également un point d’honneur de souscrire, d’adresser son “testament d’indignation, qui prouve que tous les partis se tiennent pour la revendication de la morale” 37. Seule l’image et bientôt le symbole d’un homme, en l’occurrence Baudin, mort pour la défense du droit et de la légalité, références formelles et intemporelles s’il en est, pouvaient rassembler des hommes allant de l’extrême gauche à la droite libérale ; seul ce thème pouvait leur faire accepter de laisser de côté leurs divisions politiques, sociales, économiques. Delescluze et ses amis ont fait preuve d’un sens d’opportunité politique tout à fait extraordinaire. En choisissant le plus grand dénominateur commun, la défense du droit en général, en se situant sur le plan formel, évitant ainsi les prises de positions, ils ont su créer un front unique et isoler encore un peu plus Napoléon III et les bonapartistes. À droite comme à gauche, le message a été entendu : pas une note discordante dans les réponses ; on n’y parle pas de République, à peine de liberté et pas du tout de socialisme.

26 Après un moment d’hésitation --un procès public ne comportait-il pas plus d’inconvénients que d’avantages ?-- le pouvoir bonapartiste contre-attaque finalement, en lançant des poursuites judiciaires, assimilant la manifestation et la souscription à des “manœuvres de l’intérieur”, les faisant ainsi tomber sous les rigueurs de la loi fourre-tout de 1858, dite loi de Sûreté générale : “est passible d’un emprisonnement d’un mois à 2 ans de prison et d’une amende de 100 francs à 2 000 francs tout individu qui, dans un but de troubler la paix publique ou d’exciter à la haine et au mépris du gouvernement de l’Empereur, a pratiqué des manœuvres ou entretenu des intelligences soit à l’intérieur, soit à l’étranger”. Les autorités judiciaires ne laissent pas traîner les choses : le procès est fixé aux 13 et 14 novembre. Sont inculpés les journalistes du Réveil et de l’Avenir National, mais également les principaux participants à la manifestation du cimetière. Les avocats de la défense appartiennent bien évidemment au clan républicain. Certains sont déjà fort célèbres, tels Adolphe Crémieux qui plaidera pour Charles Quentin ou Emmanuel Arago qui défend Peyrat. D’autres attendent leur heure : Gambetta est de ceux-là. Il va assurer la défense de Charles Delescluze. Ce choix peut surprendre. Les deux hommes se connaissent, pour s’être opposés en 1865 lors d’un procès où Gambetta défendait les intérêts de la Revue de Paris contre Delescluze. Il ne semble pas que cet épisode ait laissé de traces d’hostilité, apparentes tout au moins, entre les deux hommes.

27 Le déroulement du procès n’est marqué par aucun incident notoire ;

28 les débats sont peu passionnés et très juridiques. Les inculpés insisteront au cours des interrogatoires sur le caractère spontané et pacifique du rassemblement autour de Baudin. Un avocat à la Cour impériale, cité par la défense, confirmera le recueillement et la dignité des manifestants. Le réquisitoire du Ministère public est agressif mais sans surprise : “…Ce n’est pas la première fois que les partis politiques ont l’idée d’associer à leurs rancunes les noms de ceux qui ne sont plus et de choisir leurs tombes pour y faire étalage de leurs sentiments de haine contre les vivants”, mais il reste prudent quant aux peines à demander : “… il faut donner un avertissement aux uns, une assurance aux

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autres. Votre sévérité y pourvoira”, laissant ainsi aux juges toute latitude d’appréciation et d’interprétation, les plaidoiries de Crémieux et d’Arago ne rehaussent pas le débat ; celle de Cambetta va créer la surprise, tant elle va contraster avec le climat d’assoupissement du procès, où finalement le pouvoir bonapartiste s’en tirait plutôt bien. Gambetta va se livrer à une attaque en règle du régime de l’Empereur ; mais plus que le présent, c’est l’origine de l’Empire, ce coup de main sur la France qui est passé au crible ; Gambetta trouvera dans le Président du Tribunal, orléaniste, un allié objectif qui lui laissera tout loisir de se transformer en accusateur de l’Empire, le laissant démonter et étaler les rouages, transformés en autant de pièces à conviction.

29 Si Delescluze est bien vite délaissé par Cambetta au cours de sa plaidoirie, il nesera pas oublié en revanche par le tribunal qui le condamne lourdement La Cour, qui n’en est pas à une illégalité près, a jugé que Delescluze était en état de récidive, puisqu’il avait été condamné par le passé à des peines dépassant l’année de prison ; elle a donc considéré que la loi d’amnistie de 1859 ne lui était pas applicable. Le tribunal lui inflige une peine de 6 mois de prison, assortis de 2 000 francs d’amende (le maximum), qui seront ramenés à 50 francs, après appel ; la prison, elle, est maintenue. Seuls, parmi les inculpés. Gaillard fils et Peyrouton seront condamnés à un mois de prison et à 150 francs d’amende. Les autres devront payer des amendes.

30 Finalement, le coup d’éclat de Gambetta, inefficace sur le strict plan de la défense, puisque Charles Delescluze en a fait les frais, trouve toute sa signification et sa justification dans le retentissement et les prises de position qu’il provoque. H. Brisson résume l’impression produite : “la veille du procès, on parlait de Sadowa, du Mexique, du pape. Le lendemain, on ne parla plus que du 2 décembre, et, dévoilé, flétri dans son origine criminelle, l’Empire était condamné 38.

31 Le substitut Aulois, dans son réquisitoire, accusait les républicains d’exhumer un cadavre et de le promener “ici d’abord, par tout le pays ensuite, encore sanglant et troué de balles, pour que sa vue appelle sur ceux qui ont causé sa mort la malédiction publique et mette au peuple les armes à la main”. Le peuple en armes, ce n’est pas pour tout de suite. Mais dans tous les cas, Baudin ne servira jamais de référence pour déclencher des luttes sociales 39. En effet, le symbole que va peaufiner la Troisième République, faisant de Baudin un compagnon de route bien malléable, propre et présentable sous tous rapports, est tout le contraire d’une arme de lutte des classes. On ne peut cependant pas accuser la République au pouvoir de détournement de symbole. Elle n’a fait que reprendre, en le développant, en l’officialisant par des cérémonies, des inaugurations, etc. ce que l’opposition républicaine avait déjà élaboré, à la fin de l’Empire.

32 Souvenons-nous que dès l’origine, dès 1852, P. Duprat tranchait la question et réduisait la lutte contre le coup d’État à la seule lutte pour le droit 40 ; les autres motivations passaient du même coup à la trappe. Cette tradition qu’on pourrait qualifier d’hyper- légaliste devait se perpétuer dans les milieux républicains universitaires, occultant ainsi la part la plus dynamique des luttes anti-bonapartistes. Le rassemblement spontané du 2 novembre 1868 est, finalement, le seul où Baudin ait été perçu dans sa totalité ; c’est le document à l’état brut, si l’on peut dire. Les militants présents le reçoivent tel quel, sans chercher à interpréter, sans choisir entre le combattant pour le droit et le combattant des luttes sociales. Les dirigeants républicains en revanche ont une certaine idée de ce que doit être Baudin, quelles idées son symbole doit véhiculer. À partir de là, le militant de la République démocratique et sociale est définitivement

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oublié, relégué. Mais après tout, l’oubli n’est-ce pas “lorsque la réparation légitime a commencé ?” 41Le symbolie élaboré, diffusé et popularisé par la République au combat puis gouvernementale était cependant le seul possible, le seul en lequel se reconnaissaient toutes les tendances politiques, à l’exception des bonapartistes et de quelques extrémistes. Les termes de l’adhésion de l’orléaniste J. J. Weiss marquent bien les limites du compromis : “… l’hommage public qui sera rendu à la mémoire de Baudin n’est et ne peut être qu’un hommage rendu à la liberté et à la patrie, en la personne de l’héroïque citoyen qui a voulu mourir pour elles” 42. Weiss n’a que faire du républicain Baudin ; seul le citoyen, le héros civique, héros presque antique, sans couleur politique doit être célébré. À travers Baudin, c’est l’état de droit, les institutions démocratiques qui sont attendues et valorisées. Sur ce projet, l’unité nationale peut se reformer ; par- delà les hommes et les partis, c’est le consensus retrouvé. En ces dernières années de l’Empire, la reconquête du terrain politique par les républicains ne peut se faire que par une République la plus accueillante possible, la plus œcuménique. Un accord peut se trouver sur l’essentiel : la fin de l’Empire et le rétablissement d’un état démocratique, d’un état de droit qui pourrait prendre la forme d’une République. Mais cela suppose de la part des Républicains de sévères concessions. Il leur faut en particulier ne pas pousser en avant les revendications sociales, pour ne pas effrayer. Baudin sert ce projet : il est le symbole de la réconciliation puis de l’unité nationale retrouvées.

33 Nous allons voir comment la Troisième République, à diverses époques, saura l’utiliser, l’affiner au gré des circonstances, s’appuyer sur lui comme sur un garde-fou, face aux tentations extrémistes. Trois dates illustreront cette idée : 1878, 1888 et 1901. Baudin au service de la République 34 De 1872 à 1878, la France connaît les rigueurs de l’ordre moral et les dangers de la République conservatrice. Durant ces années sombres la République, si peu républicaine, délaisse les symboles trop évocateurs. L’année 1878, qualifiée par J. J. Chevalier “d’année d’apaisement” voit une première initiative. Le 9 mai, un Conseiller municipal de Paris, M. Moricourt, dépose sur le bureau du Conseil une pétition demandant que l’on appose une plaque rue du Faubourg Saint Antoine, là où fut tué Baudin “en défendant les droits de la nation violée par Louis Napoléon Bonaparte”. La crise du 16 mai, toute proche, avait réveillé le spectre du coup d’État et les tentations totalitaires ; l’alerte était passée, mais plus que jamais la mémoire républicaine se devait d’être en éveil, l’arme au pied. Le Conseil Municipal adopte la proposition à sa séance du 14 mai, mais il faudra attendre près d’un an, le 25 mars 1879, pour que le Président de la République autorise par décret la pose de la plaque. Entre ces deux dates, le paysage politique s’est considérablement modifié. La République s’affirme de plus en plus républicaine : par son Président tout d’abord, Jules Grévy, élu en janvier, sans heurts grâce à un mécanisme institutionnel bien au point, par le renouvellement partiel du Sénat qui entraîne un changement de majorité, au profit des républicains, au sein de cette assemblée. L’inscription portée sur la plaque est la seule où il soit fait référence à un régime politique précis, en l’occurrence la République : “Devant cette maison est tombé glorieusement Jean Baptiste Alphonse Baudin, Représentant du peuple pour le département de l’Ain. Tué le 3 décembre 1851, en défendant la loi et la République”, comme si l’on voulait montrer que la République, c’est la synthèse entre le suffrage populaire, sa volonté et le droit sans lequel il ne peut y avoir de démocratie ; la République réalise l’équilibre des forces.

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35 Nous l’avons dit, Baudin sera le recours symbolique chaque fois que l’État de droit sera menacé par l’État de fait, par la force, par le césarisme. Une alerte sérieuse se produit en 1888 et donne aux républicains l’occasion de manifester leur attachement aux principes fondateurs du régime et contre le pouvoir personnel. En dépit du rééquilibrage qui se produit par la nomination du républicain Floquet comme Président du Conseil, l’agitation boulangiste est intense et les craintes les plus vives demeurent. Le choix de la tombe de Baudin n’en est que plus significatif. Paris, à cette époque, n’est pas démuni de symboles républicains ; mais c’est celui de Baudin qui est le plus en accord avec la situation, qui sert le mieux la démonstration qu’entreprend le Conseil Municipal.

36 La manifestation désormais traditionnelle au Cimetière Montmartre va prendre cette année un caractère exceptionnel tant sur le fond que sur la forme. Les soixante-quinze membres républicains du Conseil Municipal, avec à leur tête son Président, M. Darlot, appellent, en effet, à la manifestation du 2 décembre : “l’anniversaire du coup d’État de décembre n’a jamais cessé d’éveiller dans les consciences républicaines une réprobation unanime. Cette protestation du droit contre la force, de la liberté contre le pouvoir personnel, s’impose plus que jamais dans les circonstances présentes, comme un pieux souvenir et comme un noble exemple. Le Conseil Municipal de Paris… fait appel au concours de tous les républicains pour affirmer sur la tombe de Baudin que le crime ne se prescrit pas… À cet effet, le Conseil décide de se rendre en corps, le dimanche 2 décembre, à 2 h de l’après-midi, au Cimetière Montmartre pour déposer une couronne sur la tombe de l’héroïque défenseur de la République et il convie le peuple républicain de Paris à venir témoigner avec lui, dans un calme recueillement, de son inébranlable attachement au droit, à la liberté, à la République” 43. C’est cet appel officiel et solennel à la participation populaire qui est nouveau. Le pouvoir effectue un retour aux sources, à ses racines populaires dans les heures sombres. Un succès de la manifestation sera le signe éclatant de la légitimité républicaine, reconnue et voulue par tous. Cette manifestation sera la démonstration que le fondement de la République c’est le peuple, qu’ils vivent l’un par l’autre, l’un pour l’autre ; démonstration de masse par opposition à la poignée de factieux de Boulanger ; manifestation-avertissement aussi : connu pour Napoléon III et sa clique, c’est le même sort qui attend Boulanger s’il attente à la République puisque les crimes “portent en eux-mêmes leur expiation et leur châtiment” 44. L’État et le peuple dans la rue, c’est la nation tout entière qui s’insurge et fait front contre l’ennemi. L’esprit de 93 n’est pas loin. La droite du Conseil va se déchaîner : l’initiative partirait de la rue Cadet 45, ce qui est bien évidemment une circonstance aggravante ; si elle n’est pas opposée à un hommage à Baudin, elle est en revanche hostile à une manifestation populaire “à la merci de laquelle se trouvera l’ordre public” 46 ; des provocations sont à craindre : certains vont sortir des drapeaux rouges, d’autres vont crier Vive Boulanger ; mais de toutes les façons, cette manifestation est illégale car le Conseil Municipal pas plus que le Conseil Général n’ont le droit d’adresser des proclamations aux populations et encore moins de les convier à manifester. Le Conseil général de la Seine passant outre ces protestations s’associe à l’initiative municipale.

37 Unité : tel est le mot d’ordre pour cette journée du souvenir. Unité partout, y compris en ne se recueillant qu’en un seul lieu. Un Conseiller avait généreusement proposé d’associer Denis Dussoubs, somme toute aussi méritant que Baudin. Sa proposition fut refusée car la cérémonie au Cimetière Montmartre “constitue une manifestation

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politique devant laquelle toutes autres doivent d’effacer… Nous ne devons rien faire qui puisse affaiblir le caractère de la grande manifestation sur la tombe de Baudin” 47. La droite en profiterait à l’évidence pour parler de division du mouvement. Tout ce que la France compte d’associations, de cercles, loges, etc. , républicains, socialistes, radicaux, en un mot la gauche, envoie son adhésion et son soutien à Paris. De très nombreux Conseils généraux et municipaux font de même 48. Cette initiative, bien que parisienne à l’origine, prend un caractère national par son ampleur et son retentissement. Avant même que ne se déroule la manifestation, les républicains avaient gagné leur pari.

38 La municipalité qui a voulu donner à cette journée un caractère de grandeur et de “force tranquille”, en a particulièrement soigné la préparation ; on ne fait pas défiler des milliers de personnes sans ordre. “Les manifestants seront échelonnés le long des quais de Cesvres, de l’Hôtel de Ville, des Célestins, Henri IV, et du Boulevard Bourdon, jusqu’à la Bastille s’il y a lieu. Des piquets indicateurs portant les numéros assignés a chaque corporation seront déposés le long de ces voies… Les commissaires sont invités à prier les groupes auxquels ils appartiennent d’assister a la manifestation sans autre emblème que leurs insignes ou leurs couronnes” 49.

39 Afin d’éviter tout débordement, seuls les porteurs de couronnes s’approcheront du monument, tandis que les musiques joueront des airs de marche afin de hâter le mouvement. Baudin est partout, en ce dimanche 2 décembre 1888. Paris prend un bain de républicanisme ; images, sensations, sons, musique : tous vibrent pour la République. Place de l’Hôtel de Ville : le statuaire Jules Printemps y a déposé son “Baudin” ; le compositeur populaire Jules Jouy a créé pour la circonstance deux strophes que l’on chante sur l’air du Chant du Départ : “Marianne en chantant nous mène vers la tombe / Où Baudin gît le crâne ouvert / Lorsque pour une idée un soldat lutte et tombe / Son laurier reste toujours vert / etc. Le refrain proclame : “La République nous appelle / À ses cris, il faut accourir / Si décembre se renouvelle / Comme Baudin sachons mourir (bis)”. La dérision recherchée par les royalistes du Triboulet ne porte nullement atteinte à l’immense succès de la “manifestation grandiose”. M. Darlot peut saluer cette foule qui “a fait ressortir avec tant d’éclat l’accord intime qui existe entre la République et la Nation, le profond attachement qui les unit l’un à l’autre” 50.

40 Une nouvelle fois, Baudin a rempli son rôle. Le peuple de gauche était là au rendez- vous, venu “demander le mot d’ordre pour le prochain combat” 51, conscient de ses responsabilités, consentant à être silencieux, une fois de plus, dans cette manifestation muette où pas un discours ne devait être prononcé comme “si vous portiez déjà le deuil de la République, comme si vous en étiez encore réduits à murmurer gloire au vaincu” 52. Et pourtant, il y en avait des choses à dire. Lissagaray a écrit pour cette cérémonie un texte qui restera inconnu et qui témoigne du profond déchirement de ce militant de tous les combats de la République et du socialisme face à la signification d’une telle manifestation. “Ce n’est pas le silence que vous cherchez, génération nouvelle… Ce n’est pas un hommage d’impuissants et de résignés, c’est un acte de vie que vous prétendez apporter sur cette tombe. Mourir pour la République n’est pas un mot d’ordre en République. Comment faire vivre la République et vivre libre par elle, voilà ce que vous voulez savoir” 53. Lissagaray sait, quant à lui, que la République ne tient pas ses promesses, mais il sait aussi que la pire des choses serait de céder aux charlatans, à ceux, ou pire à celui, qui prétendraient donner tout de suite. Les ennemis de la République sont toujours là. Comme par le passé, les “nouveaux ratapoils” et tous les réactionnaires guettent, attendent leur heure. Alors, que les revendications

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s’expriment avec force : “Vous êtes mécontents parce que vous êtes mal servis ; eh bien servez-vous vous-mêmes” mais dans le cadre de la République. En dépit des insatisfactions, des déceptions, voire des trahisons, la République demeure un acquis inestimable. “Aujourd’hui, la République est vivante… Il dépend de vous de la conserver”, et de la faire progresser, pourrait-on ajouter. C’est pourquoi il exhorte les jeunes générations à ne pas brader sur un coup de tête l’héritage, en particulier ces Droits de l’Homme et du Citoyen, si chèrement payés par leurs pères, car tout alors serait à refaire. Delescluze est mort désespéré en 1871. Lissagaray espère encore en une République sociale ; c’est pour cet idéal. pour qu’un jour advienne la promesse toujours renouvelée et jamais tenue qu’il continue à se battre, par principe, pour les principes, qu’il légitime malgré tout des cérémonies comme celles du 2 décembre 1888.

41 Une dernière fois, en 1901, la République fait appel à Baudin. Un comité formé d’habitants du 12e arrondissement envoie au Conseil Municipal une pétition demandant que l’on élève une statue au Représentant de l’Ain. Le Conseil donne un avis favorable à la proposition dans sa séance du 21 juin 1901. L’emplacement choisi se situe au croisement de l’avenue Ledru-Rollin et de la rue Traversière 54.

42 Après diverses péripéties, l’inauguration est fixée au 8 décembre, puis reportée au 22. Les élections municipales qui viennent de se dérouler ont amené au Conseil une majorité de droite, à forte représentation nationaliste ; à leur tête, Dausset, fondateur de la Ligue de la Patrie française. Les rapports entre le Conseil Municipal et le Gouvernement sont donc pour le moins tendus. L’inauguration de la statue sera une occasion de tester le rapport de forces, chaque parti essayant de tirer bénéfice de la situation. L’usage veut que ce soit la ville qui organise les cérémonies puisque c’est elle qui a commandité l’œuvre et que. de plus, le terrain est municipal. Le Conseil, sûr de son bon droit --n’a-t-il pas reçu une lettre du Secrétaire du Comité pour l’érection du monument Baudin, Jules Porral, qui le remercie de son aide pour “consacrer la mémoire de celui qui est mort pour la défense du droit et des libertés publiques”-- n’entend pas se faire distancer par le gouvernement. Dans une motion du 9 décembre, le Conseil réaffirme qu’il est “résolu à maintenir les droits et prérogatives de l’Assemblée Municipale et décide qu’il assistera en corps à la réception solennelle du monument érigé… à la mémoire du Représentant Baudin, mort pour la République”. Finalement, le gouvernement trouve la parade et transforme cette inauguration en une cérémonie pour le cinquantenaire de la mort de Baudin. On peut donc se passer du Président du Conseil Municipal Dausset. De toutes les façons, les formes sont respectées, puisque le gouvernement invite au lieu et place du Président, le Conseiller Opportun, Vice-président de gauche du Conseil. “Il fallait un républicain non soupçonné de cléricalisme ou de monarchisme”, pas “un partisan des capucins et des nonnes”. Cette inauguration fut un échec. Loin de s’appuyer sur la population parisienne, qui ne lui était certes plus favorable depuis les dernières élections, mais il y avait encore des gens de gauche à Paris, qui seraient volontiers venus, pour soutenir la République, sentant bien les dangers potentiels de la situation, le gouvernement a eu une attitude défensive, frileuse, refusant la présence populaire, lui préférant celle de quelques notables refroidis. Les articles qui relatent ce moment font état de son caractère bâclé : “la célébration a eu lieu à neuf heures du matin, par un triste jour d’hiver, et au milieu d’un cortège où il y avait tant de militaires et de policiers que s’il n’avait pas été coulé en bronze, Baudin n’en aurait peut-être pas été rassuré… C’est que le gouvernement, au lieu de faire de la cérémonie une fête pour Paris, en avait fait une fête contre Paris” 55. Cette fois, le consensus est brisé. Le gouvernement, par son

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attitude, par sa maladresse, porte une large responsabilité dans l’échec, mais de l’autre côté, le cœur n’y est plus. Ce rendez-vous manqué met en évidence les limites du symbole Baudin. La gauche ne s’y reconnaît plus ; depuis 1872, les mentalités politiques ont fait du chemin et ce type d’évocation n’a peut-être plus grande résonnance dans la mémoire républicaine, a fortiori si les militants se sentent exclus par ceux-là mêmes qui ont en charge les forces de gauche et qui devraient chercher à unir, pas à diviser. D’autres luttes, d’autres ambitions ont pris la relève ; cette dernière inauguration est en porte-à-faux avec les préoccupations de la gauche, mais aussi avec la réalité politique. Les institutions républicaines ne sont plus menacées comme par le passé ; ce qui compte, maintenant que l’acquis essentiel n’est plus remis en question, ce sont les conquêtes sociales. Plus que jamais, c’est le combat collectif qui s’impose et qui paye. L’exemple de la mort d’un homme seul, sur sa barricade, ne suffit plus à mobiliser ; la figure romantique du héros solitaire symbolisant à l’évidence l’échec, la résignation pour les jeunes générations.

43 Reconquête du pouvoir politique, normalisation de son image, éducation des masses : ce sont là trois explications possibles pour saisir le fonctionnement et la démarche de la mémoire républicaine, en cette fin du XIXe siècle et des toutes premières années du XXe siècle.

44 La République se souvient des événements de 1851, en se focalisant sur un seul élément, en privilégiant un seul thème : la défense du droit, symbolisée par le combat d’un seul homme : Baudin. Toute sa stratégie politico-éducative s’appuiera là-dessus. Le droit étant, par définition, un concept universel, celui qui le représentera ne devra pas être trop marqué, trop déterminé, apparaître comme l’homme d’une situation. En conséquence, pour que le modèle soit efficient, il faut le débarrasser de ses scories temporelles, le dépouiller jusqu’à en faire une pure image. C’est donc un Baudin désincarné, intemporel, qui est présenté aux masses populaires. Les inscriptions sur les plaques commémoratives attestent de cette volonté d’universalité : 1872 : le droit et la loi ; 1879 : le droit et la République ; enfin, en 1901 : Représentant du peuple. L’appauvrissement est à son comble. Mais le procédé a un autre avantage. La volonté d’universalité entraîne la volonté de neutralité ; Baudin n’est d’aucun clan ; aucune classe ne peut le revendiquer ; il appartient à la nation tout entière. En symbolisant le consensus national, il dépassionne du même coup le débat. Vidé de son contenu, le coup d’État est dédramatisé ; immobile solitude de Baudin --que jamais on ne voit au côté de ses camarades, armé comme eux d’un fusil, prêt à se battre-- dans une sorte de face à face, de défi à Louis Napoléon ; le droit et la force.

45 Pas plus que lors du vote de la loi de Réparation nationale en 1881, où les pouvoirs publics ne venaient en aide aux soldats de la République ou aux résistants mais aux victimes de l’arbitraire, exprimant ainsi leur “dette de reconnaissance”, la Troisième République n’a pas eu le courage ou la générosité d’accepter que des hommages collectifs soient rendus à l’ensemble des victimes parisiennes, c’est-à-dire aussi bien aux “obscurs héros du droit”, qu’aux combattants, militants et conscients, portés par un idéal politique et social. La présence du Mur des Fédérés n’explique pas tout. Confiantes dans la bonne volonté de cette République qu’elles avaient tant voulu, des associations comme la Famille des Proscrits lanceront l’idée, le 3 décembre 1883. d’un monument dédié à toutes les victimes du coup d’État. Presque dix ans plus tard, c’est l’échec qui mettait un point final à d’interminables et dérisoires démêlés politico- administratifs. Seuls restaient la colère, la tristesse et le doute.

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46 Edith Rozier-Robin, Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne

NOTES

1. Propos rapporté par C. Delescluze dans son éditorial du Réveil, 3 décembre 1869. 2. Affaire de la souscription Baudin. Seul compte rendu complet recueilli par la sténographie et revu par les défenseurs, Paris. Armand Le Chevalier, 1868, p. 27. 3. Idem, p. 69. 4. Extrait des attendus du jugement in : A. Zevaes : Les Débuts de la Troisième République et le procès Baudin, Paris. Arthaud, 1935, p. 70. 5. Il s’agit de la réponse de Louis Napoléon au message du Président de la Commission Consultative, Baroche, au lendemain du plébiscite. Cité par le Capitaine H. de Mauduit : Révolution militaire du 2 décembre 1851, Paris, A. Delahays, 1852, p. 283-284. 6. Émile Ollivier, “L’Affaire Baudin”, Revue des deux mondes, Mai 1906, p. 294. 7. Idem. 8. C. Delescluze, Le Réveil, vendredi 3 décembre 1869. 9. Expression utilisée par les Commissions mixtes. 10. Eugène Ténot, Paris en décembre 1851. Étude historique sur le coup d’État, Paris, A. Le Chevalier, pp. 132 & 134. 11. Pascal Duprat, Les tables de proscription de Louis Bonaparte et de ses complices, Liège, chez Redouté, imprimeur-libraire, 1852. 2 tomes, tome 1, p. 53. 12. P. Duprat. ouv. cité, p. 53. 13. Victor Schœlcher, Le deux décembre. Les massacres dans Paris, Paris, Librairie de la bibliothèque démocratique, 1872, p. 7. 14. Arch. nat., 45 AP dossier 4, Papiers Rouher. Contient un échange de notes Maupas- Saint-Arnaud et Saint-Arnaud-Général Magnan. Maupas ne cessa de réclamer le canon, arme disproportionnée pour la répression des combats de rue sauf à vouloir faire une tuerie. 4 décembre 1 h. 15 : “il me faut le bruit du canon et son effet. Surtout du canon. Et vite”. 4 décembre, 1 h 35 : “un symptôme fâcheux se produit… les habits noirs se mettent aux barricades, les gardes nationaux portent leurs fusils… Il faut agir avec le canon”. 4 décembre, 1 h 50 : “nous sommes entourés d’émeutiers. On tire à ma porte… Envoyez à la Préfecture un régiment et le canon”. Comme ce qui s’est passé le 4 ne semble pas suffire à Saint-Arnaud, il écrit à Magnan, le 4 décembre à 5 h 30 : “donnez des ordres ce soir pour que le combat puisse recommencer demain avec avantage. N’omettez aucun détail surtout en artillerie et génie pour pénétrer dans les maisons… Je regarde comme important de faire évacuer les boulevards. C’est là le foyer de la révolte”. 15. Capitaine Hippolyte de Mauduit, Révolution militaire du 2 décembre. Paris, A. Delahays, 1852, p. 260. 16. Capitaine H. de Mauduit, ouv. cité, p. 255. 17. Idem, p. 256. 18. E. Ollivier, ouv. cité. p. 280. 19. Idem, p. 281.

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20. P. 0. Lissagaray, Histoire de la Commune, Paris, F. Maspéro, 1982. 21. Idem. 22. E. Ollivier, ouv. cité, p. 284. 23. F. Ténot, ouv. cité, p. 7. 24. Idem, p. 6. 25. P. Duprat signalait lui aussi quelques noms ; mais son livre écrit en exil, en Belgique, n’a connu qu’une très faible diffusion et encore probablement dans un cercle de proscrits, donc de gens qui savaient. 26. Peu de temps après l’ouvrage de Ténot, toujours en 1868, paraît la première biographie de Baudin, écrite par Jules termina : Alphonse Baudin, Représentant du peuple. Mort le 3 décembre 1851. Biographie, Paris, Armand Léon, 1868, 32 p. avec un autographe. Lermina insiste sur le Baudin médecin des pauvres (p. 6), militant de gauche très avancé : “Baudin était ou plutôt se disait communiste,… il n’acceptait ni le système de Cabet, ni celui de Considérant, il était très opposé à l’organisation sociale défendue par Louis Blanc. Autrement dit, Baudin voulait la révolution sociale, le bien du plus grand nombre” (p. 9). On verra plus loin que cet aspect, lié à la lutte des classes sera “oublié” par la République officielle. 27. A. Zevaes, Les Débuts de la IIIe République et le procès Baudin, Grenoble, Arthaud, 1935, p. 54. 28. Affaire de la souscription Baudin. Compte rendu sténographique, p. 108. N. Gaillard est un bel exemple de continuité et de fidélité au combat de la gauche. 1848, 1851, futur chef de barricade pendant la Commune. R. Huard, dans sa thèse (tome II) et dans son livre Le Mouvement républicain en Bas Languedoc, donne de très intéressants renseignements sur ce militant. 29. Lissagaray, ouv. cité 30. À ma connaissance, il n’existe qu’une seule étude récente sur Baudin ; il s’agit d’une thèse de médecine soutenue par le Médecin Colonel Pierre Foras, à Lyon en 1975. Ce travail m’a été communiqué par M. Brault, directeur du Bureau des Cimetières à Paris. 31. Larousse, Grand Dictionnaire Universel du XIXe, 1er supplément (ca. 1877). La 1re édition de 1867 ne consacre à Baudin que de très brèves lignes, écrites par P. Larousse lui- même et qui a été témoin de la mort de Baudin. 32. Affaire de la souscription Baudin. Compte rendu sténographique, p. 109. 33. Nous avons une nouvelle confirmation que Baudin était plus qu’un simple défenseur du droit ; le fait que ce soit un militant révolutionnaire comme Gaillard qui l’affirme n’est pas sans importance. 34. Affaire de la souscription Baudin. Compte rendu sténographique, p. 108. 35. On a pu voir la maquette du tombeau lors de l’exposition Gambetta a Paris. Elle appartient aux collections du Musée Carnavalet. 36. A. Zevaes, ouv. cité, p. 37. 37. Dans Plaidoirie de Gambetta lors du procès Baudin. 38. Zevaes, ouv. cité, p. 77. 39. Nous ne savons pas si Baudin a été reconnu, d’une manière ou d’une autre, par les Communards. 40. P. Duprat, ouv. cité, p. 53 et suiv. 41. Gambetta in : Zevaes, ouv. cité, p. 73. 42. Idem, p. 71. 43. Conseil Municipal de Paris. Procès-verbal de la séance du 74 novembre 1888. P. 569. 44. Idem.

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45. Conseil Municipal. Procès-verbal du 16 novembre 1888. Intervention de M. Despres. P. 606. 46. Conseil général de la Seine. Procès-verbal de la séance du 19 novembre 1888. Intervention de M. Despres (idem). 47. Conseil Municipal. Procès-verbal de la séance du 21 novembre 1888. Intervention de M. Chautemps. P. 648. 48. Voir la liste détaillée dans les P.-V. du Conseil Municipal. Séances des 16, 21, 23, 28 novembre et 3 décembre (les retardataires). 49. Carnavalet. Cabinet des Estampes. Portrait 17. Ce carton consacré à Baudin est intéressant par les pièces relatives à la manifestation de 1888 : instructions à l’usage des commissaires délégués pour le bon déroulement du cortège. Un plan du parcours. Un texte de Lissagaray : “Ce qu’il faudrait dire sur la tombe de Baudin, etc.”. 50. Conseil Municipal. P.-V. de la séance du 3 décembre 1888. P. 758. 51. Lissagaray, “Ce qu’il faudrait dire…”. 52. Idem. 53. Idem. 54. La statue de bronze est l'œuvre d'Eugène Boverie. Il obtiendra pour cette réalisation une médaille lors du salon de 1901. En 1941, au nom de l'ordre nouveau, Abel Bonnard, à la suite de Pétain, demande "une juste et salutaire révision de nos gloires, de façon qu'il n'y ait plus d'intrus ni d'indignes dans ce peuple peu nombreux des statues, qui doivent pourtant proposer de nobles exemples à l'innombrable peuple des hommes". Au nombres des "intrus" et des "indignes" : Hugo, Lamartine, Baudin. Le symbole est toujours vivant. 55. Francis Charmes, “Chronique de la quinzaine”, Revue des deux Mondes, janvier 1902.

INDEX

Mots-clés : Histoire politique, République, Mémoire

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Comptes rendus

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Pierre PIERRARD, L'église et les ouvriers en France (1840-1940) Paris, Éditions Hachette, 1984, 600 p.

Philippe Vigier

Il faut souligner, d'entrée de jeu, la richesse foisonnante, et l'intérêt de ce gros livre qui traite, pour plus des 9/10e, de la période chronologique nous intéressant ici (la Première Guerre mondiale et l'Entre-deux-guerres sont rapidement envisagés, sinon sacrifiés), et dont le propos est au cœur des préoccupations de notre Société. Ne s'agit-il pas, pour P. Pierrard, d'envisager la façon dont l'Église catholique (clercs et laïcs) a su -- ou n'a pas su, ou pas voulu-- adapter son message, sa façon de le diffuser, et son comportement en général, à cette révolution industrielle qui, à partir de 1840, modifie les mentalités comme les structures socio-économiques de notre pays ? La conclusion de l'auteur est claire : en dépit de nombreuses tentatives --que Pierrard décrit fort bien, en puisant aux meilleures sources -, le fossé n'a cessé de se creuser, tout au long du XIXe siècle, entre l'Église catholique et "un peuple ouvrier" qui prend lentement conscience de lui-même au sein du monde du travail. Pour expliquer cet insuccès, Pierrard --après bien d'autres-- incrimine aussi bien l'insuffisance de la formation intellectuelle du clergé (quelle consternante "littérature pieuse" !) que les méfaits d'un régime concordataire qui crée un "corps engourdi" de fonctionnaires du culte. Mais ce n'est qu'après la guerre 14-18 que se feront sentir les effets bénéfiques, à cet égard, de la Séparation de 1905. En même temps que s'atténuera --sans pourtant disparaître-- cette autre raison des difficultés rencontrées par les hommes et les œuvres du catholicisme social : la vigueur des forces contraires, à commencer par un. anticléricalisme populaire que la révolution industrielle et l'émergence d'une classe ouvrière n'ont certes pas créé --il s'agit là, sans aucun doute, d'un vieux trait de caractère "national" (?), autant rural qu'urbain -, mais qu'elles ont largement amplifié. Un fait est sûr, en tout cas : ce sont les vingt années qui précèdent la Grande guerre qui fournissent à Pierrard le plus remarquable florilège d'écrits et de chansons où le christianisme est bafoué, et où s'étale une "pétrophobie", une détestation du prêtre qui

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dépasse, en intensité de haine comme en grossièreté, tout ce qui avait été écrit précédemment --et Dieu sait pourtant (si j'ose dire) que la moisson était déjà ample… Car l'un des grands intérêts de cet ouvrage, c'est la masse documentaire qu'il fournit. Elle concerne, tout particulièrement, cette littérature spécialement destinée aux classes populaires que P. Pierrard connaît bien, depuis ses thèses sur La Vie ouvrière à Lille sous le Second Empire et Les Chansons en patois à Lille sous le Second Empire. Nous constatons du même coup, grâce à diverses chansons en ce "rude patois du Nord", qui "ajoute encore à la grossièreté des évocations" anticléricales, combien le chtimi reste vivace à Roubaix ou à Tourcoing en cette fin du siècle dernier. Le Nord est pourtant l'une des régions françaises où l'influence du clergé, et de la religion, est traditionnellement la plus forte ; qui a aussi fourni au catholicisme social français quelques-uns de ses apôtres les plus remarquables, du passionnant Armand de Melun, encore trop mal connu, à l'abbé Lemire que nous situons mieux, en revanche, grâce à J. M. Mayeur. On aurait souhaité (mais peut-on en faire le reproche à l'auteur ?) une comparaison avec la région lyonnaise --autre grand foyer français de rayonnement religieux, et irréligieux -, ou avec la région rouennaise-- ici, la thèse récemment soutenue de Nadine Chaline, sur Le Diocèse de Rouen de 1880 à 1939, permettrait d'utiles comparaisons. Sans parler des régions beaucoup moins "christianisées" que sont Limoges et ses alentours, ou le Bassin Parisien ; ou, au contraire, de ces "régions de chrétienté" comme l'Ouest, où le problème des relations entre l'Église catholique et le monde du travail se pose d'une façon toute différente --on s'en convainc en lisant une autre thèse récente, celle de Cl. Ceslin, sur Le Syndicalisme breton de 1870 à 1914. À ce poids des variantes régionales --que Pierrard a, d'ailleurs, signalées--, on peut ajouter --comme éléments d'explication-- l'influence d'événements et d'expériences survenus hors de nos frontières. Les événements de 1848-1849 en Italie, la révolution et l'expédition romaine, ont, tout autant que les journées de juin 1848, joué un rôle essentiel dans l'échec de la première démocratie chrétienne --celle qui tentait une réconciliation "en profondeur", et non conjoncturelle, entre le "catholicisme" et "89". Tandis que l'antériorité, et la force beaucoup plus grande du catholicisme social de l'autre côté du Rhin, dans une Allemagne qui ignore pratiquement "l'anticléricalisme à la française", pouvaient aussi contribuer à éclairer le débat. J'aurais également personnellement souhaité que soit davantage mis en lumière le rôle joué par le petit noyau des catholiques sociaux (quelle que soit leur étiquette politique, et étant bien entendu qu'ils n'ont toujours constitué qu'une faible minorité tenue en suspicion par la majeure partie de l'épiscopat comme du patronat ou du monde ouvrier) dans le vote des trop rares lois sociales consenties par le Parlement français -- en 1849-1851, tout d'abord, puis autour de 1900. Les mémoires de maîtrise qu'avec Fr. Demier et J. Gaillard, j'ai dirigé sur ce sujet me conduisent à atténuer un peu le sentiment de caractère purement gratuit, et d'échec à peu près complet, laissé au lecteur des pages que Pierrard consacre au bilan de ces essais sympathiques, mais à peu près inefficaces. Il n'en reste pas moins que Pierrard a globalement raison : jusqu'en 1914, à tout le moins, l'Église catholique a mal pris le tournant de l'industrialisation. Elle reste fondamentalement liée à un type de civilisation, pré-industrielle et hiérarchique. Et c'est finalement vers les campagnes que s'opère, à partir des années 1880, son action la plus efficace, avec la part active qu'elle prend à la diffusion d'un syndicalisme agricole (celui de la rue d'Athènes) qui se définit contre la ville et ses ouvriers. Mais ceci est une

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autre histoire --qui n'est pas sans rapport, cependant, avec celle que nous a si bien conté Pierre Pierrard.

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Un ouvrier en 1820, manuscrit inédit de Jacques Étienne Bédé édité par Rémi Gossez, avant-propos de Louis Girard, Presses universitaires de France, 1984, 405 p.

Jean-Yves Mollier

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Commencé en 1820, à Sainte-Pélagie, ce texte vient d'abord combler un vide, celui des mémoires ouvriers avant 1830. "Récit historique des ouvriers tourneurs en chaises", le manuscrit d'Étienne Bédé est le premier document rédigé par un ouvrier, au nom des siens, où s'expriment une vision et une pratique collectives de la liberté du travail décrétée en 1791. Précieusement annoté et savamment introduit par Rémi Gossez, spécialiste de l'organisation et de l'association ouvrières en 1848, ce livre témoigne de l'existence d'un mouvement ouvrier en gestation dans les années post- révolutionnaires. La Fabrique parisienne se transforme, la manufacture s'étend, les artisans cèdent la place aux négociants et les ouvriers s'acharnent à défendre leur travail à la tâche, en refusant les corvées et les besognes improductives qui diminuent leur salaire. Les sociétés de secours mutuels organisent les travailleurs et leur donnent conscience de leur force nouvelle. Observateur lucide, mais prudent, le narrateur évoque son enfance dans la région d'Orléans, la Révolution, Paris en 1793, ses sept années de campagnes militaires dans l'armée du général Moreau, les désertions, le retour au pays et l'installation dans la capitale en 1811. Son amour du métier, son sens de la solidarité se heurtent au développement économique et aux nouveaux rapports de production. Les "nouveaux maîtres", patrons capitalistes acharnés à défendre leur profit au détriment des intérêts des ouvriers sont la cible du dirigeant pré-syndical que devient Bédé. La grève est leur fait, l'organisation des tourneurs en chaises la conséquence de leur attitude. En marge des luttes politiques de la Restauration, ce conflit du travail, minutieusement décrit, permet de mieux saisir la lente transformation des ouvriers, du compagnonnage au syndicalisme, et la recherche permanente d'une dignité humaine dans l'indépendance et le respect des engagements.

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Yves LEMOINE et Pierre LENOEL, Les avenues de la République. Souvenirs de F.-V. Raspail Paris, Éditions Hachette, 1984, in-8°, 379 p.

Henri Dubief

Rien n'est plus trompeur que le sous-titre de cet ouvrage l'authenticité de ces Souvenirs vaut celle des Mémoires de d'Artagnan. Il s'agit d'une fausse autobiographie faite, au moins pour la jeunesse, avec des textes et des notes de Raspail, qu'il eût été intéressant d'éditer de façon critique. C'est pourquoi le pastiche est réussi dans la première partie, moins par la suite. Un tel livre peut peut-être séduire un large public ; il ne peut que rebuter les historiens auxquels il n'apporte rien. Et pourtant les auteurs connaissaient leur sujet. Ils apportaient un regard neuf de juristes sur les procès de Raspail. Ils ont travaillé sur les meilleures sources et une bonne bibliographie. Ils auraient pu écrire enfin la bonne bibliographie qui nous manque d'un des socialistes français les plus influents, moins par la richesse de sa pensée que par son rayonnement de grand savant, de médecin des pauvres, bienfaiteur de l'humanité aux yeux de tout un monde paysan. Il eût été bon de signaler (p. 63) que Tissot, professeur de poésie latine au Collège de France et académicien, était dévoué à la mémoire de son beau-frère, le Martyr de prairial Goujon, ce qui explique son militantisme républicain. Le prénom usuel de Carnot (p. 235) est Hippolyte et non Lazare.

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L'esprit de 48 au pilori. Philippe MURAY, Le XIXe siècle à travers les âges Paris, Éditions Denoël, 1984, 686 p.

Maurice Agulhon

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Un important éditeur parisien lance à grand renfort de publicité un livre qui pourrait nous concerner très directement s'il était sérieux, Le XIXe siècle à travers les âges, de Philippe Muray, Denoël, 1984, 686 pages. Le "XIXe siècle" --il s'agit du XIXe siècle libéral, républicain, laïc, humanitaire-- y est insulté et ridiculisé pour avoir enrobé de bizarreries mystiques sa croyance optimiste au Progrès. Il a marié --pour employer le vocabulaire bien contestable de l'auteur-- le "Socialisme" et l'"Occultisme". L'ouvrage reprend en somme le vieux thème du "Stupide XIXe siècle", déjà posé par Léon Daudet, mais sans véritable prétention historique. C'est un pamphlet haineux, s'avouant tel ; riche de beaucoup d'informations désordonnées ; inspiré par un style copieux, ardent et drôle, à la Céline, parfois. Il met pourtant en évidence --même pour le traiter fort mal-- un problème réel : notre cher XIXe siècle a vu reculer plus que toute autre époque le magistère catholique sur la vie intellectuelle et politique, .nais le terrain abandonné par l'Église est fort loin d'avoir été entièrement occupé par le rationalisme. Le no man's land ainsi constitué est donc devenu un terrain extraordinairement fertile en mysticismes laïcs, anti-religieux mais aussi, et davantage, para ou pseudo-religieux. Le mariage des convictions démocratiques et d'un panthéisme inspiré n'a pas été une singularité bizarre de Victor Hugo. Et il est bien vrai que ce phénomène majeur de notre histoire culturelle est quelque peu sous-estime dans les tableaux historiques usuels. M. Paul Benichou, dans son Temps des Prophètes, avait pourtant conduit ses lecteurs sur cette piste. Mais son admirable et savant ouvrage ne figure pas dans la bibliographie de Philippe Muray ! Le livre de Muray nous paraît donc à la fois contestable et propre à faire réfléchir. Mais l'ouvrage sur ce thème reste à faire.

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Jean-Yves MOLLIER, Dans les bagnes de Napoléon III, Mémoires de Charles Ferdinand Gambon Éditions du Centre de Correspondances du XIXe siècle de l'Université Paris IV, Paris, Presses universitaires de France, 1983, 296 p.

Maurice Agulhon

Il est devenu rare, de nos jours, que l'on publie des textes encore inédits des acteurs importants de la politique du siècle dernier. Avec le temps, l'essentiel paraissait connu, et les occasions de nouvelles trouvailles, de moins en moins probables. Mais Jean-Yves Mollier était bien préparé à bénéficier de cette chance par les études qu'il mène depuis une dizaine d'années sur les écrits des républicains du XIXe siècle, aux confins de l'histoire littéraire et de l'histoire "tout court". Les manuscrits de Gambon lui ont été communiqués par la famille Chincholle (issue d'un rédacteur au Figaro des années 1870), sans qu'on sache d'ailleurs comment ils étaient venus de Gambon à Chincholle, après la mort du premier nommé en 1887. Pour ce texte précieux, l'équipe de l'Université de Paris IV qu'animent notamment Mmes Madeleine Ambrière et Arlette Michel et M. Louis Girard a dérogé à sa vocation première d'édition de correspondances pour publier un texte qui relève de la catégorie plus classique des mémoires, souvenirs, ou témoignages. Le manuscrit de Gambon est ainsi servi et honoré par une édition conforme à la tradition de précision la plus scientifique : description du texte et de ses caractéristiques, histoire de la rédaction, explicitation des corrections mineures apportées à la langue, justification des coupures. etc. Mollier s'est plié à ces exigences, et il a apporté à l'entreprise une riche moisson de recherches dans les bibliothèques et archives, qui lui ont permis d'accompagner le texte d'un cortège de notes nombreuses, précises et critiques. C'est du très beau travail. On a parlé de coupures : il y en a quelques-unes, qui éliminent des longueurs, des redites, ou des développements peu originaux qui suivent de très près telles lectures aisément repérables. Les rédacteurs du siècle dernier étaient aisément prolixes, et Charles Pouthas lui-même avait dû, il y a quelque trente ans, se résoudre à amincir un texte aussi important que celui des Mémoires de Charles de Rémusat.

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Gambon méritait d'être publié. Né en 1820, mort en 1887, il est passé de la bourgeoisie libérale de province à la République de 1848, puis. dans le parti républicain, il a choisi l'extrême gauche socialiste ; dans le prolongement de celle-ci l'engagement dans la Commune de 1871, et enfin l'extrême-gauche radicale des Chambres de la Troisième République. Cette constance radicalisation de son idéal et de ses luttes, unie à son intransigeance et à sa générosité foncières, lui ont valu de descendre constamment l'échelle sociale ; de magistrat il est devenu "paysan" ; né dans une large aisance de propriétaires rentiers, i ! est mort pauvre. L'introduction et les notes de Mollier nous guident tout au long de cette vie avec une sympathie admirative discrètement contenue. Bien entendu, Gambon a connu la répression politique, entre l'affaire du 13 juin 49 et l'amnistie de 59, et c'est de cela qu'il nous parle. Nous n'avons pas --on peut le regretter-- de Mémoires de sa vie entière, semblables à celles d'un Martin Nadaud. Gambon a pris le parti, assez fréquent chez les révolutionnaires du siècle dernier, de limiter son témoignage public à la partie centrale, la plus dramatique, la plus secrète et la plus éclairante à la fois de son existence, celle de la prison. On peut le rapprocher, à cet égard, des Mémoires de Jean Allemane (procurées par Michel Winock) qui se concentrent sur la Commune et la Nouvelle-Calédonie, mais qui nous laissent sur notre faim pour l'avant et l'après. En fait, Gambon a pris des notes "dans les bagnes de Napoléon III" et il les a transcrites et mises au net pour l'essentiel en 1862. Voilà donc un grand document sur la prison politique sous la République conservatrice et sous l'Empire autoritaire, et qui en éclaire les aspects principaux : la politique du pouvoir, avec ses variations selon les époques et la conjoncture politique ; son application plus ou moins fidèle, plus ou moins aggravée, par un personnel subalterne et médiocre ; le concret et le vécu de la vie de prisons, cachots et forteresses ; les relations des prisonniers entre eux, groupe Barbès, groupe Blanqui, et le complexe et douloureux entrelacement des dissensions idéologiques et des conflits de caractères et de personnalités. Cela ne se résume pas, cela se lit. Chacun y trouvera, au-delà des thèmes majeurs que l'on vient d'énoncer, et en fonction de ses propres curiosités ou recherches, d'utiles notations, parfois inattendues. Cela peut aller de l'importance des animaux apprivoisés (oiseaux, araignées, …) dans la vie des prisonniers jusqu'à la révélation des sentiments républicains des villageois de la région de Corte. En bref, nous tenons là une très bonne et très utile contribution à la connaissance de notre XIXe siècle.

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Karl MARX, Les luttes de classes en France 1848-1850 et Le Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte, présentation et annotations de Raymond Huard, traductions revues par Gérard Cornillet Éditions sociales, 1984, collection "Essentiel", 251 p. et 230 p.

Jean-Yves Mollier

Professeur à l'Université Paul Valéry de Montpellier, spécialiste de l'histoire politique au XIXe siècle, Raymond Huard s'est livré, pour notre plus grand plaisir, à une lecture historique de deux classiques du marxisme. Utilisant les travaux les plus récents de Maurice Agulhon, Pierre Gaspard, Rémi Gossez, Louis Girard ou Philippe Vigier, sans négliger les plus anciens ni les recherches allemandes ou américaines, il place ses études dans une perspective de longue durée. Reconnaissant au journaliste qui écrit l'histoire à chaud plus d'un mérite, l'auteur souligne que "les réflexions de Marx conduisent à une critique de l'illusion institutionnelle ou juridique, critique d'autant plus utile à l'époque que ces illusions sévissent aussi bien dans la droite que dans la gauche, comme le montreront les débats antérieurs au coup d'État". Pourtant, historien de 1848 et membre actif de notre Société, R. Huard reconnaît que "Marx est un peu trop sévère pour la Montagne de 1849", qu'il analyse lui-même comme "une des premières grandes forces politiques défendant un programme démocratique et social et ayant su conquérir une assise de masse à l'échelle de la nation". Ceci ne l'empêche nullement de défendre résolument la méthode du matérialisme historique et d'en montrer la pertinence à partir d'une étude qui n'a pas vieilli. Abordant le concept de dictature du prolétariat dans sa perspective historique et rappelant que son étude se prolongera au moment de la Commune de Paris, R. Huard en

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décrit les conditions spécifiques de production à un moment où il importe pour le mouvement ouvrier de se constituer en classe sociale et de conquérir le pouvoir. Un des aspects les plus neufs de cette relecture réside notamment dans l'importance attachée à la notion de "représentation" du pouvoir bonapartiste. À la fois défenseur d'un ordre bourgeois, nous dit-il, il est aussi le représentant d'autres forces sociales qui se reconnaissent en lui, ce qui expliquerait sa stabilité pendant plusieurs années. Marx aurait ouvert la voie, trop peu remarquée, d'une analyse de la tradition historique "reliée à une réalité plus vaste, la psychologie sociale des classes". À lui seul, ce point nous paraît justifier une relecture de ces textes pourtant si souvent commentés. Soulignons enfin la belle érudition de Raymond Huard qui nous apprend, avec modestie, que le "Bien creusé, vieille taupe" qui fit fortune après 1968, a été emprunté à une pièce bien connue : Hamlet de Shakespeare ! L'immense culture du révolutionnaire et du savant, ses "clins d'œil" au lecteur cultivé de l'époque, transparaissent ainsi pour le plaisir renouvelé du lecteur de 1985.

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Aux sources du socialisme. Flora Tristan (1803-1844), présentée par Stéphane Michaud Paris, Les Éditions ouvrières, 1984, 140 p.

Jean-Claude Caron

Tenace, passionnée, lucide, Flora Tristan fut longtemps méconnue. Les rééditions récentes de ses œuvres, la plupart chez Maspéro, ont permis de redécouvrir cette socialiste voyageuse, témoin des différentes formes d'exploitation des hommes et des femmes de son époque. Stéphane Michaud était l'un des plus qualifiés pour établir un choix de textes de Flora Tristan. Editeur de ses lettres au Seuil, organisateur d'un colloque Flora Tristan à la Faculté de Dijon, les 3 et 4 mai 1984 (voir le compte rendu de ce colloque dans notre bulletin), Stéphane Michaud a choisi de grouper les textes de F. Tristan par grands thèmes. Ce point de vue s'imposait dans la mesure où les nombreux voyages de F. Tristan l'amenèrent à rencontrer les mêmes questions sociales dans des contrées différentes. Car Flora Tristan voyage, et elle voit. Elle voit avec indignation, mais surtout avec précision. Elle trouve les mots justes. Personnalité complexe, elle a le mérite de ne pas voir les hommes et femmes exploités tels qu'elle voudrait qu'ils fussent mais tels qu'ils sont. Stéphane Michaud rappelle à juste titre l'aspect dérangeant de ses écrits, qui en firent une éternelle surveillée. Son idée --organiser la classe ouvrière-- parut plus dangereuse que l'appel à l'insurrection --qu'elle ne fit pas. Femme, elle a souvent des relations difficiles avec le monde masculin --que ce soit avec son mari ou avec les penseurs socialistes. Il est clair que F. Tristan ne peut pas ne pas dire la vérité-- ce qui provoque parfois des malentendus. Les textes choisis par S. Michaud montrent à quel point F. Tristan aborde l'ensemble des problèmes sociaux et politiques de son temps : esclaves, femmes, ouvriers et ouvrières. Polonais, Irlandais, tous les exploités défilent dans son œuvre. La lecture de son Tour de France --dont S. Michaud présente des extraits-- s'impose : c'est l'un des textes majeurs sur la société française du XIXe siècle.

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Au total, ce livre, petit par la taille, permet une approche globale de F. Tristan, grâce à un choix judicieux de thèmes et de textes.

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Gordon WRIGHT, Between the Guillotine and Liberty. Two Centuries of the Crime Problem in France New York/Oxford, Oxford University Press, 1983, IX + 290 p.

Jean-Claude Caron

Le livre de Gordon Wright constitue une bonne synthèse d'une question très à la mode. S'il aborde effectivement l'histoire du système français de justice criminelle durant deux siècles --rappelant notamment les idées philanthropiques du Siècle des Lumières, mais aussi les réformes les plus récentes de l'actuel Ministre de la Justice--, G. Wright consacre l'essentiel de son ouvrage au XIX siècle. Notre société a joué un rôle important sur l'étude de la prison 1, l'un des thèmes centraux de Between the guillotine and liberty. G. Wright montre la mise en place et la hiérarchisation du système carcéral sous le Premier Empire, le débat passionné entre "cellulaires" et "anti-cellulaires" entre 1814 et 1848, mais aussi sur le bagne, la chaîne, la délinquance juvénile. Rappelons quelques noms : La Rochefoucauld-Liancourt, Beaumont, Tocqueville et deux dates : 1825-1836, la Petite Roquette ; 1840, Mettray. Sur la période 1848-1870, le livre de G. Wright peut surprendre, montrant la Seconde République comme une période de discours généreux, mais peu suivis de réformes concrètes, alors que le Second Empire coïncide avec la suppression du Mont Saint- Michel --pour des raisons politiques--, l'abandon de la contrainte par corps --déjà réclamé par Balzac-- et la construction de la prison de la Santé en 1867 --"prison modèle de l'époque. La période 1871-1914 est dominée par trois grands problèmes : le débat entre "incarcérateurs" et "transporteurs", notamment après la Commune ; la victoire définitive de la cellule en 1875 ; la finalité de la prison --c'est l'âge d'or de l'enfermement qui vise tous les errants-- et l'exploitation des prisonniers par le système de la concession à des entrepreneurs. Bien évidemment, la question de la peine de mort reste le point de discussion --pour ne pas dire d'affrontement-- le plus brutal entre abolitionnistes --Lamartine, Hugo, Reinach, Jaurès-- et anti-abolitionnistes, dont Barrès se fait le chantre.

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II faudra attendre l'Entre-deux-guerres (assez curieusement, G. Wright laisse de côté les deux guerres mondiales) pour que des réformes importantes soient réalisées : fermeture des prisons les plus vétustes, suppression du système des entrepreneurs en 1937 ; fermeture également des bagnes coloniaux (1938-1942) et de Mettray, devenu bagne d'enfants (1939). Le rôle de Charles Péan et d'Albert Londres, et plus récemment de J.-P. Domenach et de Michel Foucauld fut important pour la sensibilisation de l'opinion publique. G. Wright a réussi un travail remarquable, non pas de remise en question du problème étudié, mais de présentation de l'état actuel de ce problème. À ce titre, son ouvrage est susceptible d'intéresser tous ceux qui sont passionnés par l'histoire de la justice criminelle et du système carcéral en France.

NOTES

1 Michelle PERROT [dir.], L'Impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1980.

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Susan GROAG BELL and Karen M. OFFEN, Women, The Family and Freedom. The Debate in Documents Stanford University Press, 1983, volume one, 1750-1880, 561 p., volume two, 1880-1950, 474 p.

Jean-Claude Caron

Ces deux volumes sont dus à deux historiennes américaines membres du Centre de Recherches sur les Femmes de l'Université de Stanford, Californie. Susan Groag Bell et Karen M. Offen ont collationné 264 documents concernant l'histoire des femmes et de leurs relations avec les idées de famille et de liberté. Le cadre géographique --le monde occidental-- et le cadre chronologique --des Lumières aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale-- font de cet ouvrage un document passionnant, montrant le difficile dialogue, parfois violent, entre hommes et femmes. Lire, à travers le temps, un tel dialogue, c'est aussi avoir une réflexion sur le processus de mise en place d'un système réellement démocratique. En faisant du "franco-centrisme", on pourrait dire que cet ouvrage va de Rousseau et des Droits de l'homme, à Simone de Beauvoir et les Droits de la femme. Si cet ouvrage n'était que cela, il ne ferait que reprendre des documents souvent bien connus, surtout des dix-neuviémistes lecteurs attentifs de Balzac, Michelet, Proudhon, mais aussi de George Sand, Flora Tristan, Pauline Roland, etc. L'intérêt de cet ouvrage est double. Tout d'abord, il situe chaque texte dans une époque donnée (les femmes et les Droits de l'homme, 1750-1820 ; les femmes à l'époque romantique, 1820-1848 ; les femmes, la révolution et la réaction, 1848-1860 ; évolution, éducation et économie politique, 1860-1880 ; nationalisme, matérialisme et maternité, 1880-1914 ; les femmes et la politique familiale, 1914-1950), mais aussi dans un thème donné, parfois centré sur un pays (exemple, pour la période 1860-1880 : l'enseignement public secondaire pour les françaises, avec des textes de Monseigneur Dupanloup, Jules Ferry, Émile Keller et Camille Sée). Chaque période bénéficie d'une présentation très documentée.

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Le deuxième intérêt de cet ouvrage réside dans l'approche géographique du problème traité. Le lecteur français ne sera guère surpris du choix des auteurs qui lui sont proposés --depuis les travaux d'Edith Thomas, jusqu'aux recherches de Daniel Armogathe, Laure Adler, Yvonne Kniebiehler ou Françoise Mayeur, en passant par Evelyne Sullerot, l'histoire du mouvement féministe français est bien connu--: environ un tiers des auteurs cités sont français, la plupart d'ailleurs entre 1830 et 1914 ; aux lendemains de la Première Guerre mondiale, c'est surtout le féminisme anglo-saxon qui s'affirme. Nous touchons là au deuxième intérêt de Women, the Family and Freedom : en dehors de l'Hexagone, le débat fut aussi intensif, mais reste moins connu des Français. Le monde anglo-saxon, mais aussi l'Allemagne, la Suède, la Norvège, la Russie puis l'URSS, la Suisse, l'Italie et le Vatican, l'Afrique du Sud, l'Autriche, --la Belgique, la Finlande sont présents grâce au travail de recherche de Susan Groag Bell et Karen M. Offen. Carl Almquist à côté de Balzac, son contemporain, John Stuart Mill face à Édouard de Pompéry, Louise Otto à côté de Paule Mink : trois exemples de rapprochements intéressants, permettant de connaître des auteurs peu connus ou exprimant un point de vue peu connu sur la question féminine. Ce tour d'horizon européen constitue la meilleure synthèse documentaire disponible et mériterait amplement une traduction française.

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Daniel LICOU [dir.], Histoire de Montauban Toulouse, Éditions Privat, 1984, 350 p., collection "Pays et Villes de France".

Jean-Claude Caron

Privat publie un nouveau volume de sa très belle collection d'histoire régionale. Montauban méritait cet honneur, car la "Genève française" n'avait guère été étudiée dans son ensemble depuis le siècle dernier. Cet ouvrage, auquel ont participé seize collaborateurs, dresse un panorama complet du chef-lieu du Tarn-et-Garonne. La cité d'Ingres et de Bourdelle a une très ancienne histoire, que relatent les deux premiers chapitres. Mais c'est à partir du Moyen Âge que Montauban connaît à la fois un premier essor économique --illustré au XIXe siècle par les frères Bonis-- et ses premiers déchirements religieux, avec la crise albigeoise. La Guerre de Cent ans n'épargne pas non plus la cité, ainsi que les épidémies telle la célèbre peste noire de 1348 et ses nombreuses résurgences. Mais Montauban entre surtout dans l'histoire avec l'avènement du protestantisme. La ville suit un schéma somme toute classique aux XVIe et XVIIe siècles : elle bascule rapidement et fortement vers le calvinisme (1559), joue un rôle important dans les guerres de religion, vit ensuite une relative paix religieuse, et subit enfin tous les effets de la contre-réforme catholique que couronne l'Edit de Fontainebleau. Malgré ces conflits, Montauban des Lumières est une ville importante, tant sur le plan administratif et économique que sur le plan intellectuel et artistique, y compris sous la Révolution qui, dans l'ensemble et comparativement à d'autres villes, laissa assez peu de traces. Le XIXe siècle est, pour Montauban, le commencement du déclin économique et administratif. À l'instar d'un certain nombre de villes méridionales, industrielles ou commerçantes, qui ont connu un brillant XVIIIe siècle, la ville connaît également un déclin démographique au siècle suivant. François Grèzer-Rueff insiste, à juste titre, sur le vieillissement parallèle de la population et des structures économiques. À l'écart de la révolution industrielle, Montauban subit tout au contraire une lente mais irréversible désindustrialisation : le textile est en crise, le chômage provoque des

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émeutes (1847-48, -53, -57), la disette menace. L'arrivée du chemin de fer en 1857 ne changera rien : la deuxième moitié du XIXe siècle ne fait que confirmer, voire amplifier la désindustrialisation de Montauban. Déclin agricole et déclin industriel vont, d'ailleurs, de pair : l'absence de banques, la stagnation des mentalités sont également des facteurs à ne pas négliger. La vie politique de 1800 à 1939, étudiée par Jean Estèbe. porte l'empreinte, elle aussi, des antagonismes religieux. L'opposition traditionnelle entre catholiques partisans de la restauration monarchique et protestants patriotes y reste globalement valable, au moins jusqu'en 1848. favorisée par le régime impérial --qui créa le département du Tarn-et-Caronne et en fit son chef-lieu--, Montauban connaît une Terreur blanche relativement modérée, passe sans trop de difficultés à une Restauration paisible, une Révolution de Juillet bien accueillie et une monarchie de Juillet qui assure plus la continuité qu'elle ne bouleverse l'ordre établi. Le rôle de la bourgeoisie protestante -- Guizot oblige-- s'affirme même si les légitimistes remportent les élections municipales de 1846. 1848 provoque une rupture dans l'ordre politique : le Commissaire de la République Xavier Sauriac s'appuie sur des protestants pour républicaniser l'administration ; il heurte le clan Rous, dont le chef Hippolyte, propriétaire du Courrier du Tarn-et-Caronne, provoque une émeute amenant la prise de l'hôtel de ville et la démission de Sauriac. Le coup d'État, bien accepté à Montauban, voit se développer une opposition républicaine qui réussit à obtenir 42 % des voix aux élections de 1863. Mais les députés officiels --Janvier de la Motte jusqu'en 1869, puis Prax-Paris, maire depuis 1860, et député jusqu'en 1902-- ne rencontrent guère de problèmes. La République va s'ancrer fortement à Montauban, avec des modérés --Gustave Garrisson-- et des radicaux --Irénée Bonnafous--, mais doit lutter jusqu'aux années 1880 contre bonapartistes et conservateurs. La lutte pour la laïcité dépasse le clivage traditionnel catholiques-protestants. Quant aux socialistes, ils restent très minoritaires avant la Première Guerre mondiale, ne prenant une réelle importance qu'aux élections de 1936. Le parti communiste réussit un faible score. On notera également l'importance de la vie culturelle, associative et sportive à Montauban. Rappelons que le rugby s'implanta à Montauban en 1904, grâce à des étudiants néo-zélandais de la Faculté de Théologie, protes-tante. Le Félibrige un grand représentant à Montauban, en la personne de l'occitaniste Antonin Perbosc. Quant à J.- D. Ingres et A. Bourdelle, ils font figure de gloires locales --à juste titre. Le volume consacré à Montauban s'achève sur une évocation de la vie politique récente (1940-1983) : la Résistance y fut vigoureuse. Puis, jusqu'à nos jours, radicaux et socialistes s'affrontèrent à chaque consultation électorale, le courant radical incarné par la famille Baylet, le courant socialiste incarné par L. Delmas, le PCF s'intercalant entre les deux. Bien entendu, cette Histoire de Montauban ne prétend pas être exhaus-tive, mais par sa qualité, son homogénéité et son actualisation, ce livre dresse le portrait d'une cité dont l'histoire se continue.

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