Dominique Besnehard Le Film De Sa Vie
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Portrait DOMINIQUE BESNEHARD LE FILM DE SA VIE POUR SON SOIXANTIÈME ANNIVERSAIRE, L’ex-AGENT LE PLUS CÉLÈBRE DU CINÉMA FRANÇAIS PUBLIE UN LIVRE DE SOUVENIRS, CASINO D’Hiver. L’OCCASION d’évOQUER AVEC CE GRAND La rencontre a lieu dans un café pari- AMOUREUX DES ACTRICES ET sien, quelques heures avant qu’il ne DES ACTEURS UN PARCOURS descende à Cannes, où le Festival vient MARQUÉ PAR LA PASSION de s’ouvrir. « Je prends le train ce soir, ET L’enthousiaSME. Sylvie. Il aime à raconter qu’il est peut- j’adore les trains de nuit. Je suis resté Par Anne Fréjean • Photos être le seul ce soir-là à n’être pas resté Philippe Quaisse / Pasco and Co un provincial, je n’aime pas les paillettes, pour Femme Majuscule pour voir les Beatles ! les endroits trop luxueux, j’aime la Pour le petit garçon ne comptent que la France profonde. La première fois que je télé, la chanson, le divertissement, le suis allé à Cannes, pour La Drôlesse (1), cinéma. Il grandit en écoutant Salut les c’était une conquête, comme dans un copains ! et en lisant Mon Film, Ciné roman de Balzac : on ne m’attend pas, Né à Bois-Colombes en 1954, Domi- Monde et Ciné Revue. Au lycée, quand j’arrive ! » S’il partage avec Rastignac le nique Besnehard grandit en Norman- une nouvelle prof de français ouvre un fait d’être un provincial qui a réussi à die, à Houlgate, avec son frère jumeau club de théâtre, le jeune Dominique Paris, il n’en a jamais eu le manque de Daniel et leur sœur aînée Sophie. Ses s’inscrit immédiatement. Elle lui fait scrupules. « Je ne me suis jamais dit : parents sont commerçants, gérants découvrir Anouilh, Camus, Sartre, em- “Je vais être une vedette et gagner de d’une supérette. Lorsqu’il découvre la mène les jeunes comédiens amateurs l’argent.” Je me demandais si on allait télévision, il se prend de passion pour découvrir les pièces montées par Roger m’accepter dans ce métier que j’aime. Je les feuilletons, les variétés et… Sylvie Planchon, Giorgio Streher, Ariane suis ambitieux, pas arriviste. » Vartan. Grâce à sa marraine, qui pour Mnouchkine et autres metteurs en ses 10 ans lui offre un billet pour l’Olym- scène de l’avant-garde de l’époque. pia, il peut voir son idole en concert : L’adolescent va au théâtre dès qu’il peut, elle fait la première partie des Beatles. à Caen, à Paris, aux casinos d’Houlgate Comme elle est un peu chahutée par le et de Deauville. Tout l’argent de poche public qui n’attend que les quatre gar- qu’il gagne en aidant ses parents à l’épi- çons dans le vent, le petit Dominique cerie y passe. Quand, en terminale, se préfère partir après la prestation de pose la question des études après 68 FemmeMajuscule ✽ JUILLET-AOÛT 2014 ✦ No21 No21 ✦ JUILLET-AOÛT 2014 ✽ FemmeMajuscule 69 Portrait le bac, il décide de présenter le à peine. Il devient rapidement un ami, concours de la Rue Blanche(2) pour inté- «Je crois un confident, la pousse à défendre ses grer les classes techniques. « Même si intérêts, la propose pour des rôles… j’aimais la représentation, en grandis- fondamentalement Sans le savoir, il s’initie avec elle à son sant je me suis demandé pourquoi on me futur métier d’agent. En 1985 en effet, il choisirait, moi, comme acteur. J’ai un que lorsque rejoint Artmédia, une des plus impor- cheveu sur la langue, je n’ai pas un phy- tantes agences artistiques de France et sique de jeune premier. Et puis j’ai été je rêve de quelque même d’Europe, qui représente quasi- formé par une famille assez pragma- ment toutes les stars françaises. Il s’y tique, alors je me suis dit que pour faire chose très fort, occupera de Marlène Jobert et de Na- ce métier, il me fallait passer par les che- laisser partir… en deux-roues ! Il sil- thalie Baye, bien sûr, mais aussi de mins de traverse : la régie, la mise en lonne les routes de Provence sur son ça finit par arriver » Jean-Claude Brialy, Jean-Louis Trinti- scène. Ce qui ne m’a pas empêché de faire Piaggio. « C’était la fin de l’hiver, il fai- gnant, Anouck Aimée, Sophie Mar- une carrière d’acteur, j’ai tourné dans au sait froid. Je m’arrêtais dans une ville ceau… Puis, après les avoir représentés moins 90 films ! ». À la question de sa- différente chaque jour. Il fallait du culot, pendant 20 ans, s’être impliqué dans de voir si finalement, ça ne lui correspon- les gens auraient pu penser que j’étais nombreux projets de films, c’est tout dait pas mieux, il répond : « Attendre que un mythomane. J’avais une sorte de naturellement qu’il devient producteur. le téléphone sonne et m’entendre dire “on candeur, que j’ai encore d’ailleurs : je me Il compare les années casting à l’adoles- hésite entre vous et Untel”, je ne l’aurais demande toujours à quel moment on a cence et le métier d’agent avec l’entrée pas bien vécu. Là, c’est moi qui donne les conscience d’avoir l’âge qu’on a. J’ai dans l’âge adulte. La production, c’est cartes… alors de temps en temps, je me 60 ans, mais dans ma tête j’en ai 40. » l’étape de tous les possibles. les distribue à moi-même. » Ce qui ne l’empêche pas de passer régu- De quoi est-il est le plus fier au- INTUITION ET COUPS DE Cœur lièrement devant la caméra pour des fi- jourd’hui ? « De n’avoir jamais vendu SON ÉLÉMENT NATUREL C’est sur Un sac de billes que Dominique gurations ou de vrais rôles. Au premier mon âme. J’ai fatalement été injuste En juin 1973, il passe avec succès son fait la connaissance de Claude Berri, rang desquels celui du frère de parfois, mais mon parcours s’est bac et le concours de la Rue Blanche. qui produit le film. Le réalisateur-pro- Suzanne / Sandrine Bonnaire dans construit sur le mérite et le partage. » Et En septembre, il s’installe dans une ducteur le charge de rechercher les fi- À nos amours, de Maurice Pialat, « une puis sur les rencontres et un peu la chambre de bonne à Paris. « J’avais des gurants de son prochain film, se prend aventure essentielle, inoubliable ». Il chance aussi… « Je crois fondamentale- ailes, je pouvais enfin faire ce dont d’affection pour lui et lui met le pied à sera aussi deux fois Louis XVI, gourou, ment que lorsque je rêve de quelque j’avais toujours rêvé. » Dans la journée, l’étrier. À partir de là, les films s’en- éditeur, patron de café, goûteur dans chose très fort, ça finit par arriver. Tous il suit les cours, le soir, il va au théâtre chaînent et, peu à peu, le jeune assistant l’Astérix de Claude Zidi… les gens que j’ai rêvé de rencontrer, je les et, pour se faire un peu d’argent, fait de devient le spécialiste du casting « sau- Son amitié avec Marlène Jobert, ai rencontrés. » Comme le dit Paul la figuration à la Comédie-Française. Il vage » : paysans, amateurs, débutants, l’autre idole de son enfance avec Sylvie Eluard en épigraphe de Casino d’hiver : fait également du baby-sitting pour enfants… « C’est après La Drôlesse que Vartan, est connue. Il est tellement fan « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des l’acteur et réalisateur Alain Quercy, j’ai décidé de ne plus être assistant mise qu’il en parle sans arrêt, tout le monde rendez-vous. » ✦ père de deux de ses copains du lycée de en scène et de ne faire que du casting. connaît sa passion pour elle. Un jour, Deauville, qui habite Paris et qui vient Sans doute parce que, depuis toujours, on finit par la lui présenter. Il a 24 ans 1. De Jacques Doillon, 1979. d’avoir un autre enfant. Ce dernier se cela me plaît de penser à des rôles pour 2. École nationale supérieure des arts et rend vite compte que le jeune homme des comédiens que j’aime, de dévoiler techniques du théâtre, à l’époque située rue ne vit que pour le théâtre et le cinéma. peut-être ainsi des facettes de leur talent Blanche à Paris, aujourd’hui à Lyon. Quand on lui propose de réaliser un et, en même temps, de découvrir de nou- 3. Citation extraite de Casino d’hiver. feuilleton pour la télévision à l’été sui- veaux visages, de nouvelles personnali- vant, il l’embauche comme assistant, tés, dont on espère qu’ils vont compter chargé notamment de la figuration. Le demain. Sans doute, enfin, parce que tournage, tout l’été dans la région de c’est un métier qui correspond bien à ce Narbonne, est un bonheur pour le À son retour à Paris, il décide d’aban- Comme si, parmi eux, j’étais dans mon que je suis, moi qui fonctionne beaucoup jeune homme. donner la Rue Blanche. Il veut travail- élément naturel. […] J’existais. » (3) Un à l’intuition et aux coups de cœur… »(3) Il ler, il a trouvé sa voie : assistant met- ami lui présente Jacques Doillon qui travaille pour Sautet, Granier-Deferre, UNE ODE AUX ACTRICES Écrit avec Jean-Pierre Lavoi- teur en scène, pour s’occuper des prépare Un sac de billes et l’engage pour Veber… Citons deux films décisifs,Diva , gnat, fondateur et ex-directeur de Studio Magazine, comédiens.