Malherbe Et La Poésie Française À La Fin Du 16E Siècle (1585-1600)
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MALHERBE LA POÉSIE FRANÇAISE IMP.ÎIMERIB (ÎENBK U.E I)K GH ATILLUX-S (IR-SKINE. — PICIUT ET PEPI*. via ' MALHERBE ET LA POÉSIE FRANÇAISE A LA FIN DU XVI e SIÈCLE (1585-1600) PAR Gustave ALLAIS ANCIEN ÉLÈVE DK L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE, DOCTEUR ES-LETTRES. MAÎTRE DE CONFÉRENCES A LA FACULTE DES LETTRES DE CLERMONT-FERR A M) ïî <**" PARIS ERNEST THORIN, ÉDITEUR DU COLLÈGE DE FRANCE. DE L* ECO LE NORMALE SUPÉRIEURE, DES ÉCOLES FRANÇAISE? D° ATHÈNES ET DE ROME i)E LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES HISTORIQUES 7, KUK DE MÉDICIS, 7 1892 5 INTRODUCTION Toute chose a sa raison d'être ; tout homme vient à son heure. Dans l'histoire, politique ou littéraire, les faits sont étroitement liés les uns aux autres par une chaîne ininterrompue, indissoluble; leur succession chronologi- que est régie par une secrète logique, par je ne sais quel déterminisme mystérieux et inflexible, d'où pro- cède .la série indéfinie des causes et des effets. Tel fait, qui, par son importance, fixe l'attention de l'historien, s'est produit parmi un ensemble d°autres faits, anté- cédents, contemporains, conséquents. Ce fait que l'on veut étudier ne peut donc être considéré isolément; on doit le prendre comme centre d'un cercle d'études bien délimité, où l'on se propose d'examiner les causes qui expliquent ce fait, les circonstances qui l'entourent, les résultats qui en sont issus ; et tous les points du cercle que l'on s'est tracé deviennent autant de foyers lumi- neux qui projettent et font converger leur lumière sur ce fait central. Gomme les faits, les hommes ne viennent pas isolément. Tel homme qui aujourd'hui nous occupe s'est produit l 2 INTRODUCTION parmi un ensemble d'autres hommes, prédécesseurs, con- temporains, successeurs; les premiers ont préparé sa venue, les derniers ont continué ou modifié sou œuvre; les contemporains ont entouré sa personne, admiré ou décrié son talent, de toute façon subi son influence : il faut le replacer parmi ceux-ci, en montrant quel lien lo- gique le rattache à ses précurseurs et à ses successeurs. Déplus, tout homme qui paraît tiredes faits eux-mêmes, de ce qu'on appelle « la force des choses » la raison d'être de son talent et de sa réputation; s'il émerge, c'est qu'il est marqué pour jouer un certain rôle, c'est qu'il est ap- pelé à rendre des services, c'est enfin qu'il a, plus que les auLres, parmi ses contemporains, la faculté de répondre aux besoins, aux tendances de l'époque. La personnalité d'un homme supérieur a donc ce double caractère de ré- 1° 2" sumer en soi : l'esprit général de l'époque ; l'effort intellectuel des contemporains. Voilà pourquoi cette per- sonnalité se dresse, s'élève au-dessus des autres, acquiert une forte autorité et domine son temps. — Le fait qui caractérise l'époque s'incarne, pour ainsi dire, dans cette personnalité ; l'homme représente le fait ; le fait et l'homme sont dès lors inséparables l'un de l'autre. Un mouvement littéraire est un fait d'une grande im- portance et qui se déploie sur une large étendue. Une école s'évanouit, une autre s'élève, l'esprit de l'époque se transforme. A quoi cela tient-il? Le xvi e siècle touche à sa fin, l'école de Ronsard est en pleine décadence. La poésie demandait un rénovateur, la langue un réformateur : Malherbe paraît et remplit cette double tache. Malherbe était donc nécessaire ; on avait 1 besoin d'un Malherbe. INTRODUCTION 3 Mais qu'est-ce que la personnalité de Malherbe? quelle était sa nature d'esprit? quel était son talent? que vaut son œuvre ? — D'autre part, qu'a-t-il fait pour la ré- forme ? Comment l'a-t-il entendue? — Enfin quelle por- tée a cette réforme, qu'en devons-nous penser, main- tenant que nous en sommes suffisamment éloignés pour la voir dans sa juste perspective, pour l'examiner avec équité, pour l'apprécier de haut et dans une large vue d'ensemble sur tout le mouvement littéraire du xvi e siècle? Telle est la série de questions qui s'offrent à l'esprit quand on entreprend d'étudier l'œuvre de Malherbe. .Nous partons naturellement de l'année 1585, où Mal- herbe est à ses débuts ; nous étudions cette période si curieuse des dernières années du xvi e siècle; nous cher- chons à nous rendre compte du mouvement de la poésie française à cette époque ; nous suivons le développement du talent de Malherbe à travers les transformations suc- cessives que révèlent ses poésies, depuis les premiers essais jusqu'à YOde à Marie de Médicis en 1600, et nous nous arrêtons à cette date : car Malherbe nous paraît alors en pleine possession de toutes ses forces ; nous voyons nettement en lui le réformateur ainsi que le grand poète. Tous ceux qui étudient les poètes français du xvi e siècle connaissent la conclusion à laquelle aboutit Sainte- Beuve après avoir examiné en détail l'œuvre de Ronsard: « On dirait vraiment qu'il y eut deux poètes en Ronsard: l'un, asservi à une méthode, préoccupé de combinaisons et d'efforts, qui se guinda jusqu'à l'ode pindarique, etc.; 4 INTRODUCTION l'autre, encore naïf et déjà brillant, qui continua, per- 1 » fectionna Mar. il , etc. Cette distinction esl aujourd'hui classique. Mais Sainte- Beuve ne l'applique qu'à l'œuvre d'un seul et même poète, du chef de la Pléiade; et il faut l'étendre à tous les poètes qui appartiennent à ce grand mouvement littéraire, con- temporains, disciples, successeurs de Ronsard. Ronsard avait une belle idée, généreuse et féconde : relever la poésie française, jusqu'alors trop personnelle, traiter des sujets plus généraux, qui demandent un grand souffle, uneconception puissante et un style noble, abor- der enfin la haute poésie et introduire ainsi en France les genres qui ont fait l'immortelle gloire de l'antiquité, l'ode, l'épopée, en un mot les grands genres. Mais Ron- « il sard échoua dans l'épopée ; quant à la poésie lyrique, réussit dans l'ode horatienne, mais non dans l'ode pin- 2 darique . » Ses contemporains firent comme le maître ; et, « malgré des aspirations généreuses et le sentiment du sublime, la haute poésie leur resta fermée'. » L'inspi- ration leur manquait. Les poètes de la Pléiade « avaient demandé à Rome et 4 à la Grèce des modèles qui passaient leur portée . » Leurs successeurs, les poètes qui formèrent le groupe qu'on pourrait appeler la seconde pléiade, la pléiade de Despor- tes, « suivirent les traces des poètes italiens ; ils s'es- sayèrent dans le genre de Pétrarque; chacun chanta sa 1. Tableau historique et critique de la poésie française au seizième siè- cle; ê lition '1.' 1869 2. A. Darmesteter el A. Hatzfeld. /.<• seizième siècle m France l« par- i s 124-125. 3. 11. i.l. 4. lbid. INTRODUCTION 5 Laure en sonnels raffinés' » sous des noms fictifs. « L'i- mitation italienne, dit Sainte-Beuve, gagna de plus en plus : et dès que la fièvre pindarique fut tombée, elle prit 2 décidément le dessus sur l'imitation grecque et latine . » La première pléiade avait pindarisé; la seconde pé- e trarquisa. De là, pendant le dernier tiers du xvi siècle, toute une littérature « pleine de subtilité et d'affectation. Ainsi l'on voit cette école, qui avait eu de si hautes pré- tentions, descendre insensiblement aux petits sujets et aboutir à des œuvres frivoles et mesquines, comme l'é- 3 cole de Marot qu'elle avait détrônée . » Ces faits sont aujourd'hui parfaitement connus ; et nous nous contentons d'en présenter un résumé rapide d'après des travaux antérieurs dont l'autorité est établie. Mais allons plus avant. « Il n'y eut pas de milieu, dit encore Sainte-Beuve, entre la vigueur souvent rude de Bonsard, de Belleau et de Baïï et l'afféterie presque constante de Desportes et de Bertaut. Le passage fut assez brusque ; et, à la diffé- rence de ton, on ne se douterait pas d'abord que ces der- niers aient pu être les disciples chéris et dociles des ré- formateurs de 1550. Despréaux lui-même s'y est trompé et son erreur a fait loi. Bien de mieux établi pourtant que cette filiation littéraire, rien en même temps de plus 4 facile à expliquer . » Ici nous passons des faits aux considérations théori- ques; et ici il nous est impossible, malgré le respect dû au grand critique, de le suivre en tout point. 1. A. Darmesteter et A. Hatzfeld, p. 12.Ï. 2. Tableau historique, etc., p. 102. ::. A. Darmesteter et A. Hatzfeld, p. 125. 4. Tableau historique, etc., p. 102. 6 INTRODUCTION Sainte-Beuve relève en passant une erreur de Boilcau; mais Boileau ne connaissait guère les poètes du xvr siècle,, qu'il prétendait juger sans appel, au lieu que Sainte-Beuve les avait beaucoup étudiés. L'idée d'un « passage brusque » est tout à fait inadmissible. Ecar- tez les apparences, jamais rien ne se produit brusque- menl, dans l'histoire des lettres non plus que dans la nature ou dans la vie : Nattera non facit salins, dit un vieil adage. Il y a toujours des intermédiaires, des tenants et aboutissants, des transitions, en un mot, souvent dif- ficiles à saisir, et qu'il faut retrouver par une lente obser- vation. Sainte-Beuve devine, pressent qu'il y a une « filiation littéraire » qui relie Desportes à Ronsard. Mais celte filiation qu'il affirme comme « établie », qu'il trouve si « facile à expliquer », l'explique-t-il réelle- ment? Il s'attache à dégager des œuvres de la première pléiade un élément, l'imitation italienne : cette imitation « entrait déjà, dit-il, pour » puis elle « ga- y beaucoup ; gne de plus en plus » et finit par « prendre décidément le dessus »; et l'école de Ronsard, ainsi détournée de sa voie première et de son caractère primitif, lui semble « comparable à ces fruits avortés qui ne mûrissent qu'en se corrompant, et ne perdent leur âpre crudité que pour une saveur fade et douceâtre '.