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Hathaway-Preminger Benoît Patar

Number 24, Spring 1985

URI: https://id.erudit.org/iderudit/21903ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this article Patar, B. (1985). Hathaway-Preminger. 24 images, (24), 12–16.

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HATHAWAY. PREMINGER Benoît Patar

Deux grands noms qui disparaissent. Preminger était encore en activité. Hathaway, plus âgé, s'était retiré depuis près de 10 ans. Que retiendra l'histoire de ces deux réalisateurs? Jus­ qu'à présent, les manuels de cinéma n'ont pas été très tendres pour le second et n 'ont guère été plus élogieux pour le premier.

LA CARRIERE D'UN GENIE naît les conditions de production et qui réjouissent le cœur et ravissent d'existence des metteurs en scène, il l'intellect. Tout y inversé, disloqué, En ce qui concerne Hathaway, je ren­ n'y a là rien d'étonnant (voir, à ce sans rien changer apparemment à la verrai le lecteur au long article que j'ai sujet, l'interview de Denys Arcand, beauté des êtres, des objets et des sen­ publié dans ces mêmes colonnes, il y a parue dans le dernier numéro). Mais timents. Qu'il soit dit une seule fois cinq ans (n° 2). Je n'ai pas changé ce qui est surprenant, à cette période que l'Afrique est un lieu de rêve et non d'avis depuis: l'œuvre du vieux maître de la carrière d'Hathaway, c'est que pas de conquête, et aussitôt le film me paraît toujours aussi nécessaire, cela se soit produit si souvent. Faut-il y prend un sens tout autre, la saga est aussi continue, et tout aussi passion­ voir une sorte de lassitude face à l'évo­ recommencée. On n'est pas si loin de nante . Néanmoins, comme j'ai pu voir lution de l'industrie cinématographi­ Crépuscule, ni de ses espérances et de et revoir certains films, je voudrais que ou un manque d'intérêt face aux ses hauts plateaux! Que dire de cette apporter ici quelques précisions sup­ scénarios plus analytiques, plus écriture d'une simplicité désarmante plémentaires. Tout d'abord, il est clair psychologiques, qui commençaient à où les plans s'ajustent au fur et à qu'à partir de 1960, le réalisateur de envahir le marché. Il est difficile d'y mesure qu'ils s'évanouissent. Et de ces s'est senti moins con­ répondre. Une chose est sûre: les séquences où passe tout l'art graphi­ cerné par les sujets qu'on lui propo­ grands studios fermaient leur porte, et que et narratif du maître: la danse sait, et que, plus souvent qu'à son les données techniques tendaient à se démesurée de Gabriella Licudi, la tour, il a accepté de diriger des produc­ modifier. Quoi qu'il en soit, un fait scène du club de chasse où Granger se tions approximatives. Des films demeure: sur les 12 derniers films voit enfin tel que lui-même se juge. comme (1960), North d'Hathaway, un seul est un chef- to Alaska (1960), The Sons of Katie d'œuvre, et deux ou trois autres tout Circus World (1964) est un excellent Elder (1965), (1966), au plus sont intéressants. film malgré la minceur du sujet. Rita Five Cards Stud et Hang Up sont des Hayworth y est fascinante et John œuvres d'une rare médiocrité, qui (1967), reste un filmsu ­ Wayne, d'une simplicité exemplaire. confinent, dans le cas des deux premiè­ blime. L'espèce de démystification amère Ce long métrage n'a sans doute pas res, à la dégénérescence. Bien sûr, tous du film d'aventure colonial et du chas­ l'envergure des grandes super­ les réalisateurs finissent tôt ou tard par seur au grand chapeau qui parcourt les productions, mais le milieu du cirque y faire des compromis: quand on con­ hautes herbes, est une de ces choses est défini avec une nostalgie, une

12 Diane Varsi, Chill Wills et Don Murray dans From Hell to Taxas d' finesse d'observation et une force nar­ LES ÉVIDENCES DISCUTABLES l'érotisme de Marilyn, il tient en quel­ rative qui entraîne l'adhésion. ques secondes: la séquence d'ouver­ Au niveau des certitudes «indubita­ ture où elle écarte les jambes sous les bles» et des films légendaires, quel­ draps. Le reste n'est que de la poudre True Grit, qui fut vanté par les criti­ ques rectifications s'imposent. Nia­ de perlimpimpin. ques américains, n'est certes pas gara (1953) est bien un film raté dans dépourvu de qualités. La mise en scène lequel Marilyn ne joue qu'un rôle épi- est solide, le scénario astucieux et ori­ sodique. L'univers clos du film, cette Peter Ibbetson (1935), sur ce plan, ne ginal, les acteurs (, Kim façon de contracter le temps jusqu'à vaut guère mieux. Il est étrange et Darby) remarquablement dirigés. l'absurde, le tempérament négatif des significatif que les historiens du Cependant, on est bien loin des wes­ individus qui composent le micros- cinéma n'aient surtout retenu de la terns précédents (de From Hell to corne dans lequel ils sont circonscrits, période 35-45 que deux «grands» Texas, par exemple). L'univers ici est sont les indices d'un milieu étouffant films: Peter Ibbetson (1936) et Citizen rabougri. La nostalgie désenchantée et et d'une démarche narrative res­ Kane (1941), c'est-à-dire deux des l'humour inconséquent qui inspirent treinte. De toute évidence, l'auteur ne films les plus grandguignolesques et la personnage principal sont très diffé­ s'est pas senti à l'aise devant cette schi­ les plus factices de l'histoire de 7e art. rents, et témoignent, à l'envers, d'une zophrénie ambiante. Quelques trou­ Revoir Ibbetson est une corvée qui nouvelle époque et d'une nouvelle vailles comme l'assassinat sous les clo­ devrait décourager tous les potaches manière de vivre. Le temps des grands ches (filmé en plongée verticale), la qui se précipitent à la moindre occa­ défis est révolu. Seul reste ce regard rencontre de Jean Peters et de Joseph sion dans les ciné-clubs ou les cinéma­ sarcastique sur les choses et sur la Cotten, sont des moments trop courts thèques. Mis à part le premier quart mort. pour changer l'allure du film. Quant à d'heure bien fait, plein de rêves, de

13 Kim Charney, James Stewart, Caroll Baker, Brian Russel, Debbie Reynolds dans How the West Was Won d'Henry Hathaway, John Ford et George Marshall

cachettes mystérieuses et de grands LES CHEFS-D'ŒUVRES l'amertume, au sarcasme voire au arbres où réplier son cœur, tout le film sadisme. Il fut une époque — elle n'est baigne dans une atmosphère de mysti­ C'est du côté du qu'il faut pas si lointaine — où ce qui intéressait cisme qui ne peut plaire qu'aux ama­ aller chercher des confirmations. Kiss le spectateur moyen, c'était le conflit teurs de Fassbinder ou du cinéma of Death (1947), House of 92 Street ou la confrontation des cœurs, la lutte kitch. J'ai toujours eu l'impression (1945), Dark Corner (1946), Call pour la survie, et les incompatibilités que ce film n'était pas entièrement de Northside 777 (1948), Diplomatic du temps. Quoi qu'il en soit The Lives la main d'Hathaway, car rien dans Courier (1952) sont des films qui n'ont of a Bengal Lancer (1935), Sundown toute son œuvre ne trahit ce goût pro­ pas vieilli d'une ride et qui gardent une (Crépuscule) et surtout China Girl noncé pour les effets grandiloquents efficacité visuelle ahurissante. L'as­ sont sans doute les plus beaux films de ou pour la confidence surréaliste. pect découpé, tranchant, résolument leur auteur. Il y règne une atmosphère neutre du style donne au récit une d'espérance, d'optimisme, d'humi­ Bien sûr, il faudrait vérifier d'un peu force, une détermination qui dilate lité, qui permet au génie d'être lui- plus près: un auteur peut très bien l'espace. Les personnages, eux-mêmes même et de se manifester. Les héros, s'égarer une seule fois, et ne plus marqués par l'empreinte du destin qui dans ces films, ne craignent pas de recommencer! J'aurais aimé poser les requiert, les rive à la continuité de mourir, de s'effacer, de risquer leur moi-même la question au vieux maî­ leur recherche, sont d'une densité fortune et leur peau, leur sécurité et tre. N'ayant pu, en raison de circons­ humaine très forte. Ce fut un grand même leurs rêves, pour atteindre le but tances indépendantes de ma volonté, moment dans l'œuvre d'Hathaway. vers lequel ils tendent. Un but qui est répondre à la cordiale invitation qu'il Mais c'est surtout dans le film d'aven­ d'abord la conquête de soi et le service m'avait adressée, je suis contraint ture que le réalisateur de The Black des autres. Dès lors, la manière qui est d'en rester au seul niveau des hypothè­ Rose s'est illustré. Aujourd'hui, ce la forme devient l'expression même et ses et de réserver l'examen de cette genre de film n'est plus guère à la l'indice sûr de l'intention qui est le question à plus tard. mode: le public est trop conditionné à fond.

14 LA RENOMMÉE DU TALENT nariste. Même si le nom de Preminger Exodus est avant tout un grand remue- figure au générique à titre de produc­ ménage où la mise en scène sert plutôt La situation est fort différente en ce teur, il est évident que le véritable maî­ de support que de moyen de démons­ qui concerne Preminger. Sa réputa­ tre d'œuvre est la TWENTIETH CEN­ tration. En 1960, au moment où les tion était grande, mais le contenu de TURY Fox et son opérateur Joseph La problèmes de l'existence d'Israël se son œuvre est bien mince. De tous les Shelle. La présence de , posaient encore avec acuité, il était films qu'il a produits et réalisés, 8 ou 9 Cliffton Webb et presque impossible de ne pas tomber tout au plus méritent l'attention. (éblouissante) fut également une des dans l'anecdote et le film de propa­ Il faut tout d'abord parler de Laura raisons de cette réussite. Laura n'est gande. On connaît le sujet: des Juifs (1944), qui est à Preminger ce que pas un chef-d'œuvre, mais un souve­ affrètent un bateau, qu'ils baptisent Lady from Shangaï est à Orson Wel­ nir nostalgique. Exodus, pour se rendre en Palestine et les: un film magique qui dépasse son s'y installer. Cela aurait pu être une auteur et lui assure, presque malgré River of no Return, qui fit se pâmer épopée, une réflexion sur la solidarité lui, une notoriété enviable (un peu tous les érotomanes et les marilynolâ- des hommes, et sur les antagonismes comme ce fut le cas de Gilda, de Char­ tres des années 50, est un mauvais wes­ qu'elle suscite, ce n'est qu'une longue les Vidor). Pour une fois, les critiques tern (et une piètre histoire d'amour) suite de péripéties pas toujours réus­ et les analystes de tout poil n'ont pas qui ne laisse place aujourd'hui à sies où le rêve n'a pas lieu et dont le trop mal tapé: Laura est un sujet aucune illusion. La mise en scène y est souffle lyrique est totalement absent. envoûtant. Pourtant, ce n'est pas vrai­ maladroite, et le tempo, languissant; Revoir Exodus 25 ans plus tard est une ment un film d'auteur (comme ai­ quant à la belle blonde aux yeux per­ dure épreuve et une sacrée leçon d'hu­ maient le penser jadis les Cahiers du venche, elle est d'une fadeur à faire milité. cinéma), mais le produit d'un studio. frémir. Qui a bien pu délirer à ce Il en va tout autrement pour Le Cardi­ En réalité, toute la mise en scène est le point? À signaler: les insupportables nal. Ce film a quelque peu vieilli, c'est résultat d'une intrigue bien construite, transparences de l'embardée sur la sûr. Tout d'abord, il est fort long, et et d'un personnage inventé par un scé­ Rivière! ensuite le schéma narratif manque de Vera Miles et dans Twenty Three Paces to Baker Street (À 23 pas du mystère) d'Henry Hathaway.

15 Gene Tierney et Dane Andrews and Where the Sidewalk Ends (Marc Dixon, détective), d'Otto Preminger

cohérence, mais, dans l'ensemble, la conçu par Saul Bass, est avant tout autrement manifestes que dans cer­ mise en scène reste superbe. Les per­ une construction premingerienne qui tains films plus célèbres (y compris sonnages, bien typés, les cadrages, très correspond parfaitement à la démar­ Laura). Tous les moyens utilisés ici: soignés (grâce à l'extraordinaire talent che habituelle du réalisateur; la scène cadrages serrés, décor en perspective de Léon Shamroy), le rythme des du Jubilate, lors de l'affrontement profonde, éclairages très contrastés, séquences, bien mené, font de ce film entre les jeunesses catholiques et les jeu sévère des comédiens, contribuent un spectacle digne de la grande tradi­ jeunesses nazies porte la marque de à faire de cette œuvre un drame très tion du cinéma holywoodien. Car ici fabrique du réalisateur de Forever intérieur, unfilm noir dans toute l'ac­ encore, n'en déplaise à certains, on est Amber; la séquence de l'archevêché ception du terme. Angel Face, Whir- bien dans un film américain avec tou­ où Tom Tryon retrouve Romy Schnei­ poolet Where The Sidewalk Ends sont tes ses hantises, ses habitudes, ses pro­ der venue se réfugier est dans le plus du même type. Ne leur manque en fait cédés. Le stype «viennois» de l'auteur pur style de Royal Scandai ou même qu'un peu de lyrisme et ce souffle qui s'est quelque peu évaporé face aux exi­ d'AngelFace (dans le choix des angu­ est le propre du génie. gences du spectacle et du milieu. Il est laires, notamment). On est ici en face significatif à cet égard que toutes les d'une symbiose comme il s'en est pro­ scènes qui se déroulent à Vienne soient duit plus d'une fois dans la grande tra­ du pur cinéma Columbia: grands dition U.S: Lang, Wilder, Lubitsch, mouvements d'appareil (mouvements pour n'en citer que quelques-uns. de grue en particulier), recadrages latéraux, champ de vision très détail­ Trop souvent, on passe sous silence lés, éclairages contrastés, etc. Ce qui quelques filmsqu i sont parmi les meil­ n'empêche pas cette superproduction leurs du vieil Otto. Ainsi, Fallen d'être du Preminger tout craché. Le Angel, dont les qualité graphiques remarquable prologue, par exemple, (peut-être dues à J. La Shelle) sont

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