REVUE MUSICALE

Iphigenie en Tauride, de Gluck, à l'Opéra. — Concerts Sympho* niques.

Il y a près d'un demi-siècle, tous les ouvrages de Gluck étaient inscrits au répertoire de nos théâtres lyriques : à l'Opéra, Armide, à l'Opéra-Comique, Orphée, et les deux Iphigenies. On garde encore le souvenir des grandes interprètes de cette époque : Rose Caron, Felia Litvine, Lucienne Bréval, Rose Féart et Jeanne Hatto ! A mon avis, et quelle que soit la puissance dramatique du chef- d'œuvre de Gluck, le Théâtre de l'Opéra est de trop vastes dimen• sions pour Iphigenie en Tauride. C'est alors qu'au troisième acte, au moment où Iphigenie lève sur Oreste son poignard, celui-ci lui dit: « Ainsi'tu péris en Aulide, Iphigenie ma sœur », sa phrase se per• dit dans le brouhaha de la scène. Si l'Opéra est le musée de l'art lyrique, encore ne faut-il pas le mettre en vitrine, car on pourrait être tenté alors de casser des carreaux ! Ajoutons que M. George Sebastian, qui dirige la représenta• tion, nous a donné du Mozart et non du Gluck, en prenant des mour vements trop lents, avec un souci de nuances délicates, subtiles qui en ont fait un opéra de concert. Ulphigénie d'aujourd'hui, la jeune cantatrice Régine Crespin, se joue des difficultés vocales de ce rôle de grande envergure : elle chante librement, de sa voix si richement timbrée l'air magnifique : « 0 malheureuse Iphigenie », qu'elle met en relief d'une manière remarquable ; son succès a été des plus vifs. Auprès d'elle, MM. Chauvet, Massard et Haas ont échappé à l'étreinte du chef d'orches• tre, en donnant du mouvement et de la vie à leurs rôles respectifs. REVUE MUSICALE 441

M. Jean Perisson, nommé chef d'orchestre à l'Opéra, faisait ses débuts en dirigeant, chose exceptionnelle à l'Opéra, un concert symphonique. Lauréat du concours des jeunes chefs d'orchestre créé il y a quelques années par Emile Vuillermoz, M. Perisson est un musicien particulièrement doué pour la direction d'orchestre. Il avait inscrit à son programme l'ouverture de Benvenuto Cellini, où malgré son génie d'orchestrateur, le compositeur de La Damnation de tend quelques pièges à ses traducteurs. En effet, il faut mettre en relief une foule de passages délicats à traiter, en souligner la partie mélodique et dégager les cordes et les bois de la puissance du groupe des cuivres qui ont la partie belle ! M. Samson François interprétait les concertos pour piano de Chopin et de Bela Bartok. Remarquable virtuose au tempérament fougueux, Samson François nous révéla le Concerto de Bela Bartok, œuvre d'une richesse rare, une sorte de vastes impressions de poé• sie et de mouvement. Dans le poème symphonique de Hindemith, j'ai admiré la manière ardente du jeune chef, sa précision, sa clarté dans le développement prestigieux de cette œuvre de haute valeur. Il faut donc se réjouir de l'arrivée au pupitre de notre première scène lyrique de Jean Perisson, dont j'ai suivi la carrière avec le plus vif intérêt, car je présidais à Besançon le jury qui l'a décou• vert. HENRI BUSSER.