LES TRAINS DU

Deuxième volume : Le Chemin de fer - Châtelard Annexe : le Tramway de Martigny

Jean METZ - Matthias HUBER José BAN AU DO

Les Editions du Cabri En couverture : Une rame «Mont-Blanc Express» assurant la liaison internationale Martigny - St. Gervais-Le Fayet monte au dessus de Salvan par un bel après-midi de mai 1998. Photo José BAN AU DO

En dos de couverture : Composition historique du Chemin de fer Martigny - Châtelard avec l'automotrice ABDeh 4/4 31 poussant les voitures ADt 75 et Bt 51 entre Le Trétien et à l'automne 1992. Photo Nicolas MICHEL Vision d'artiste d'une rencontre entre une rame «Mont-Blanc Express» et une automotrice ancienne au Châtelard-Frontière. Aquarelle Olivier GEERINCK PREFACE

C'est avec un réel plaisir que je préface ce livre, car il sort de presse quelques mois après la mise en service d'un matériel d'interpénétration commun à la SNCF et au MC, qui permet d'assurer enfin une desserte sans transbordement du «métro des Alpes» St. Gervais - Martigny, souhaitée par tous les promoteurs d'une liaison ferroviaire entre le et .

L'histoire du Martigny - Châtelard est fertile en difficultés qui ont pu être maîtrisées grâce à la persévérance des constructeurs et financiers des premiers jours, puis à celle des exploitants de la ligne, administrateurs, cadres et employés qui n'ont pas ménagé leur peine pour maintenir et développer un passage permettant d'offrir les plus beaux paysages dans une nature particulièrement sauvage. C'est enfin à la Confédération et au canton du Valais que l'on doit l'amélioration, à plusieurs reprises, des conditions de transport, en particulier par des contributions à l'acquisition de nouveaux matériels roulants.

Ce livre permet de faire connaître, par l'image et le texte, le Martigny - Châtelard, son histoire et son développement. C'est, en plus des liens qu'il a tissés entre les villages de la vallée du et la plaine du Rhône, dans sa fonction de liaison avec Chamonix, prestigieuse station des Alpes, et au-delà vers Annecy et Genève, qu'il convient de placer le nouveau ((Mont-Blanc Express, qui cherche à lutter contre un trafic automobile polluant qui dégrade le cadre de vie de l'Espace Mont-Blanc.

Soyons reconnaissants à tous ceux qui ont mis leur coeur et leur ténacité au service de la liaison Martigny - Châtelard - Chamonix - St. Gervais.

Bernard PHILIPPIN Directeur de la Planification des Chemins de Fer Martigny - Châtelard et Martigny - Orsières

AVANT-PROPOS

Le massif du Mont-Blanc est d'un accès commode, en Savoie, par la vallée de l'Arve, en amont de laquelle se trouve Chamonix. De cette ville, on rejoint aisément la Suisse pour déboucher à Martigny dans le Valais, canton formant la vallée supérieure du Rhône. Dès l'époque préhistorique, les hommes ont franchi les cols des Alpes et habité les vallées relativement basses et larges : ce fut le cas, près du massif du Mont-Blanc, pour les vallées du Rhône, de l'Arve et celles du Grand-St.Bernard. Si le massif du Mont-Blanc, avec son sommet à 4.807 m, est lui même difficilement franchissable, des cols proches permettent de traverser la chaîne : - à l'est, col du Grand-St.Bernard (2.469 m) reliant Martigny en Suisse à Aoste en Italie, - au sud, col du Petit-St.Bernard (2.188 m) entre Bourg- St.Maurice en et Pré-St.Didier en Italie. Les villes sises de chaque côté des cols sont distantes de 50 à 80 km. Le massif du Mont-Blanc vu depuis la vallée du Rhône, sur une carte postale suisse du début du XXème siècle. Ci-dessous, un aspect traditionnel de la vallée Depuis la période historique, le passage par la vallée de du Trient avec les cultures en terrasses de Salvan dans les années 1940. l'Arve, Chamonix (le «Campus Munitus» des Romains) et le Collections Jean-Pierre GIDE & Jean METZ fut utilisé et la vallée habitée. On a retrouvé des vestiges de cette présence humaine très ancienne à La Rosière, près d'Argentière, non loin de la frontière franco- suisse, et à St.Michel-du-Lac, près de Servoz. Sallanches est de fondation très antique, quant à Martigny, déjà ville d'étape et marché sous le nom d'«Octodurus» à l'époque romaine, son importance est bien connue. En Italie, dans la vallée de la Doire Baltée, la ville d'Aoste est l'ancienne «Augusta Praetoria» fondée par l'empereur Auguste sur un site déjà occupé. De l'époque romaine jusqu'au XVIIIème siècle, le passage par la vallée de l'Arve n'eut toutefois pas le caractère international, si l'on peut dire, de celui du Grand-St.Bernard, et connut surtout un transit régional de Savoie en Valais et vice-versa, portant principalement sur des produits agricoles. Dès le XVIIIème siècle, avec la première ascension du Mont- Blanc, ce site attira des voyageurs, qu'on ne nommait pas encore des «touristes». Au cours du XIXème siècle, les Anglais, arrivant par Genève, furent de plus en plus nombreux à escalader le plus haut sommet d'Europe, ou à jouir simplement ferroviaires de la chaîne des Alpes étant assez éloignés de de la beauté des paysages et de l'air sain des montagnes. celui-ci : au sud, le tunnel du Mont-Cenis, ouvert en 1871 ; à Au cours de la seconde moitié de ce même siècle, les l'est, le tunnel du St.Gothard, ouvert en 1882. chemins de fer se développèrent, en France comme en Suisse, Les projets se multiplièrent alors, soit pour passer sous pour atteindre les abords du massif du Mont Blanc avant 1900. le col du Grand-St.Bernard en reliant Martigny à Aoste, soit En fonction des propositions formulées par Stephenson dès sous le Mont-Blanc en reliant Chamonix à Aoste. Ce dernier les années 1830 pour le réseau suisse, les voies ferrées projet était une partie d'un ensemble plus vaste devant réunir relièrent d'abord les lacs, sur lesquels la navigation était active. Paris à Genève en traversant le Jura sous le col de la Faucille, C'est ainsi que Martigny fut reliée dès 1859 au port du puis Genève à Turin et Milan par Chamonix et Aoste. Bouveret situé sur la rive sud-orientale du lac Léman. Le rail Le désir de Chamonix d'être rattachée au réseau français réunit ensuite Lausanne à Martigny via St.Maurice (future artère et celui de Martigny de conserver son rôle de carrefour, du Simplon) en 1861. Une liaison par la rive sud du lac Léman, entraînèrent dans les années 1890 des projets et des études d'Annemasse à Evian et au Bouveret, fut enfin ouverte en 1886. sérieuses, tant en France qu'en Suisse, pour relier Le Fayet, Dans la vallée de l'Arve, dix ans après l'ouverture de la où le chemin de fer venait d'arriver, à Chamonix et à Martigny. section de Genève-Eaux-Vives à Annemasse en 1888, la voie Ce sont ces projets qui finalement donnèrent naissance ferrée progressa d'Annemasse vers Cluses, Sallanches et enfin aux chemins de fer du Mont-Blanc : la ligne du Fayet à Le Fayet, qui fut atteint le 15 juin 1898. Chamonix, et à la frontière franco-suisse (objet d'un Vers la fin du XIXème siècle, les voies ferrées butaient autre volume), et la ligne de Martigny au Châtelard (objet du sur le massif du Mont-Blanc, les points de franchissement présent ouvrage), se raccordant à la précédente à la frontière. LE CHEMIN DE FER DE MARTIGNY AU CHATELARD ET A LA FRONTIERE SUISSE

Peu après l'ouverture du Chemin de fer Martigny - Châtelard, une automotrice BCFeh 4/4 série 11 à 15 est vue en pleine rampe sur le tronçon à crémaillère, au point où l'ancien chemin de à Salvan passe au dessous de la voie ferrée, en aval du tunnel hélicoïdal des Charbons. On aperçoit sur la droite la vallée du Rhône, en direction de St. Maurice. Collection Jean-Paul PIGNEDE Trois générations de matériel sur la ligne Martigny - Châtelard...

L'automotrice BDeh 4/4 31 passe ci-contre devant deux «raccards» en aval de Finhaut : ces granges de bois, caractéristiques du Valais, sont surélevées sur des plots garnis d'une pierre plate, pour empêcher que les rongeurs ne pénètrent à l'intérieur et s'attaquent aux récoltes. Photo Nicolas MICHEL

La rame réversible Bt 601 et BDeh 4/4 501 franchit le viaduc du Triège en 1986. Photo Nicolas MICHEL

En décembre 1997, l'automotrice Z-805 /806 croise en gare du Trétien une rame BDeh 4/4 + BDt 68 descendant vers Martigny. Photo José BANAUDO HISTORIQUE

PREAMBULE prendre ses quartiers d'hiver chez les Allobroges en Savoie. Les Romains revinrent ensuite en force et soumirent la région Martigny, dans la vallée supérieure du Rhône qui forme qui fut christianisée aux premiers siècles de notre ère. le canton du Valais, doit son importance à sa situation. Le Octodurus devint le siège épiscopal du Valais en 349, Rhône, cours d'eau montagnard que la traversée du lac Léman St.Théodule étant le premier évêque connu. Devant le continuel n'a pas encore assagi, décrit, à l'emplacement de Martigny, passage de troupes étrangères, plus ou moins pillardes, un coude brusque abandonnant la direction nord-est / sud- l'évêque Héliodore, en 580, quitta Octodurus pour établir le ouest pour prendre celle du sud-est / nord-ouest. La vallée, siège de son évêché à Sion, où il se trouve encore aujourd'hui. formée à la fin de l'ère tertiaire par le soulèvement des Alpes Octodurus, plusieurs fois ravagé et détruit par les crues puis façonnée au quaternaire par le glacier du Rhône qui de la , disparut après avoir porté le nom de Forum s'étendait au-delà du bassin lémanique, atteint à Martigny une Claudii sous l'empereur romain Claude. Actuellement, les largeur moyenne de un à deux kilomètres et son profil fouilles ont montré que cinq couches d'alluvions recouvrent transversal plat est celui d'une auge glaciaire. Sur chaque rive, les ruines gallo-romaines. A titre de repère, l'inondation du 25 le Rhône reçoit des affluents, tous torrents montagnards, qui mai 1559 fit 70 morts et détruisit toutes les maisons de franchissent les bords de cette auge soit par des cascades, Martigny-Bourg, exceptées trois. C'est à une date mal connue soit par des gorges très étroites. que le nom de Martigny prévalut sur celui d'Octodurus. Son La Drance *, formée un peu en amont de Martigny par étymologie peut aussi bien venir de martinet, marteau de forge, la réunion des Drances de Bagne et d'Entremont, cette dernière puisqu'il y a eu des mines de fer aux environs de Martigny, grossie de la Drance de Ferret, se jette dans le Rhône que de St.Martin, saint très vénéré dans l'occident chrétien. précisément à ce coude. Les Drances prennent naissance dans Au cours des siècles, des armées nombreuses le massif du Grand Combin, culminant à 4.314 m, dont les passèrent à Martigny et la dernière en date fut l'armée glaciers les alimentent. Au confluent Rhône-Drance, la vallée française : 30.000 hommes avec chevaux et canons, conduits s'élargit en une petite plaine à l'altitude de 500 m environ. par Napoléon à Marengo entre le 15 et le 25 mai 1800. Sur la L'homme a très tôt utilisé, pour ses déplacements, la «Grande Maison» au centre de la ville, une plaque mentionne vallée du Rhône et, en remontant la Drance d'Entremont, les noms des officiers, futurs maréchaux de l'empire, qui y franchi le col du Grand-St.Bernard (2.469 m d'altitude) pour furent hébergés. redescendre en Italie dans la vallée de la Doire Baltée, vers Dans la seconde moitié du siècle dernier, le chemin de Aoste. Les cols assez bas de La Forclaz (1.527 m) et des fer pénétra en Valais. Comme nous l'avons dit, Stephenson, Montets (1.461 m) lui ont permis d'atteindre, en France, la consulté par les autorités suisses, avait préconisé, dès avant vallée de l'Arve vers Chamonix. 1840, de construire des chemins de fer reliant les lacs sur Le site de Martigny, carrefour de routes, fut occupé bien lesquels la navigation était développée. Le rail partit donc de avant l'époque romaine, comme gîte d'étape et lieu de la rive du Léman, pour remonter le cours du Rhône. Du transactions. De l'époque romaine restent de nombreux Bouveret, au sud-est du lac, la Compagnie de la Ligne d'Italie vestiges : amphithéâtre, assises de bâtiments, stèles... La atteignit Martigny le 14 juillet 1859 ** puis Sion, la capitale du fondation Gianadda, établie sur le site de ruines révélées par Valais, le 10 mai 1860. A St.Maurice, cette ligne fut rejointe des fouilles, montre de nombreux objets permettant de mesurer par une voie venant de Lausanne via Vevey, Aigle et Bex ; elle l'importance d'Octodurus, principale place des Véragres. Cette fut ensuite prolongée par étapes de Sion vers Sierre, Loèche peuplade occupait la vallée du Rhône, en amont depuis la et Brigue. Parvenue dans cette dernière localité le 1 er juillet Morge qui se jette dans le Rhône près de l'actuelle Conthey, 1878, elle y resta en cul-de-sac durant les longues discussions jusqu'à St.Maurice en aval. qui précédèrent les percées des Alpes. Marchands et soldats passaient nombreux par le Mont Joux, devenu le col du Grand-St.Bernard. Le passage étant difficile, en raison des conditions météorologiques (neige, (*) En Suisse, la Drance s'écrit couramment avec un «c» alors orages), les Romains avaient dédié un temple, au voisinage qu'en France les rivières de ce nom s'écrivent avec un «s» : du col, à Jupiter, d'où la dénomination «Mons Jovis» devenue par exemple, la Dranse d'Abondance, en Haute-Savoie. ensuite Mont Joux. Les Véragres percevant des péages trop (**) : La ligne remontant la vallée du Rhône et desservant élevés au goût des marchands, ces derniers se plaignirent Martigny a été exploitée successivement par les entreprises auprès de César. Celui-ci envoya, peu avant l'ère chrétienne, suivantes : un de ses principaux lieutenants, Sergius Galba, pour maîtriser - Compagnie de la Ligne d'Italie, à son ouverture le 14 juillet les Helvètes de Suisse occidentale et tenir les cols alpins du 1859 du Bouveret à Martigny ; Simplon au Mont Joux. La Drance coupant le « vicus » - Compagnie de la Ligne du Simplon, à partir du 1er juin (territoire) d'Octodurus en deux, Galba occupa la partie sise 1874 ; rive droite et contraignit les Véragres à habiter la partie rive - Compagnie des Chemins de fer de la Suisse Occidentale gauche, puis il retrancha son camp. Avant la fin du travail, les et du Simplon (S.O.S.), à partir du 28 juin 1886 ; Véragres appelèrent à la rescousse leurs voisins, les , - Compagnie des Chemins de fer Jura - Simplon (J.S.), à établis entre St.Maurice et le lac Léman, et les Sédunois, partir du 1 er janvier 1890 ; installés dans le haut Valais vers Sion. Tous réunis, ils se - Chemins de Fer Fédéraux suisses (C.F.F.), depuis soulevèrent et attaquèrent les Romains, qui réussirent à les l'intégration le 1er mai 1903 du J.S. au réseau fédéral créé disperser. Dès le lendemain, Galba incendia Octodurus et partit l'année précédente. Après le percement du tunnel du St.Gothard en 1882, techniques des deux lignes devraient être compatibles, de on hésita, dans la région qui nous intéresse, entre une percée manière à faire circuler le même matériel du Fayet à Martigny sous le Grand-St.Bernard ou une percée sous le Simplon. sans rupture de charge à la frontière. Finalement, l'itinéraire du Simplon prévalut : l'ouverture du tunnel, en 1906, fut suivie en 1913 de celle du Lôtschberg, sa deuxième voie d'accès. La double voie atteignit Martigny en 1910 et l'électrification en décembre 1923. LES PROJETS

Pendant la période de discussions des années 1880, Martigny essayait d'obtenir une percée alpine sous le col du Grand-St.Bernard, tout en se préoccupant aussi d'une liaison avec la France, via Chamonix et la vallée de l'Arve. Laissant de côté les études du Grand-St.Bernard, nous allons examiner les projets qui concernèrent directement le futur chemin de fer de Martigny au Châtelard et à Chamonix. Sur une dizaine d'années, de 1890 à 1901, pas moins de sept demandes de concession pour une liaison ferroviaire à voie étroite du Rhône à l'Arve furent déposées devant le Département fédéral des chemins de fer, à Berne. LES PROPOSITIONS INITIALES

PROJET LUDWIG & SCHÔPFER Le 22 août 1890, MM. Ludwig et Schôpfer, de Berne, présentèrent un projet de ligne au départ de la gare de Martigny vers Salvan, avec un pont métallique hardi sur le Trient à Gueuroz, près de Vernayaz, là où se trouve aujourd'hui un pont routier. De là, le tracé proposé suivait la rive gauche du Trient par Finhaut et Le Châtelard. Au plan technique, la voie, à l'écartement d'un mètre, présentait des rampes maximales de 80 mm/m sans crémaillère, et se développait sur une Le projet de MM. Ludwig et Schôpfer prévoyait le franchissement des gorges du longueur de 18 km. Trient à Gueuroz, au moyen d'un pont métallique aux dispositions audacieuses. Le dessin d'avant-projet, déposé en mai 1892, présentait un tablier reposant sur Le 11 mars 1891, les promoteurs bernois présentèrent un arche unique de forme ogivale articulée en son milieu. Document Archives Fédérales - collection Jean METZ une variante partant non plus de Martigny mais de Vernayaz, avec emploi de la crémaillère sur une rampe maximale de Tous les projets de chemin de fer de Martigny à Chamonix, qu'ils passent par le 172 mm/m. Comme on le verra plus loin, ce projet faillit être ou par la vallée du Trient, atteignaient la frontière au hameau réalisé, puisqu'il fit l'objet d'une concession, finalement non du Châtelard. Peu après 1900, on voit ici le site de la future gare internationale, suivie d'effet. qui sera édifiée à l'emplacement des deux petits bâtiments de gauche. Document M. C. PROJET MASSON & GENTON

Le 16 septembre 1890, MM. Masson, banquier à Lausanne, et Genton, proposèrent un tracé partant de Martigny puis, sans desservir Vernayaz, remontant la rive droite du Trient sur laquelle ne se trouve aucun village, pour arriver au Châtelard et se raccorder aux rails français. Les détails de ce projet furent précisés le 12 janvier 1892. Les intérêts de la commune de Salvan étaient sauvegardés par la création d'un funiculaire indépendant descendant à Vernayaz, sans liaison avec le chemin de fer à établir sur la rive droite. A l'époque, la compagnie française du Paris - Lyon - Méditerranée (P.L.M.) n'avait l'intention de construire une ligne partant du Fayet que jusqu'à Chamonix, et d'organiser un trafic de voyageurs de Genève à Chamonix. Ceci ne faisait pas l'affaire des Suisses, qui espéraient bien attirer vers Martigny et la vallée du Rhône une partie des voyageurs arrivés à Chamonix. M. Masson entra alors en rapport avec Gustave Noblemaire, directeur du P.L.M., et obtint que cette compagnie envisage de prolonger sa ligne jusqu'à la frontière, lorsque elle serait assurée de se raccorder à une ligne suisse établie depuis la vallée du Rhône jusqu'au Châtelard. Les caractéristiques

9 droite au fond du vallon où se trouvent les hameaux de La Fontaine, Le Cergneux, Le Fays et les lacets de la route du col de La Forclaz, jusqu'au souterrain passant sous ce col. Au- delà de celui-ci, le tracé redescendait sur Trient et Le Châtelard. La ligne aurait été établie à voie métrique, en traction vapeur, et aurait eu une longueur de 14 km jusqu'à la frontière française. Les courbes auraient un rayon minimal de 100 m, les déclivités maximales seraient de 50 mm/m en adhérence et 240 mm/m sur la section à crémaillère. LA PREMIERE CONCESSION Après examen des quatre premiers projets, une première concession fut accordée le 21 juillet 1892 par le conseil fédéral à MM. Ludwig et Schôpfer, pour un chemin de fer de Martigny- Gare au Châtelard complété par un tramway urbain de Martigny-Gare à Martigny-Bourg. Malgré cette décision officielle, le gouvernement du Valais continua à se déclarer en faveur des projets par le col Deux des quatre projets élaborés entre 1890 et 1892 prévoyaient le passage de de La Forclaz. Les concessionnaires, ne pouvant réunir les la voie ferrée par la rive gauche de la vallée du Trient, où elle aurait desservi capitaux nécessaires, obtinrent à quatre reprises la prolongation Finhaut : on voit ici ce village en 1902, avant l'arrivée du chemin de fer, puis ci- du délai de début des travaux. Finalement, rien ne s'étant dessous vers 1906 avec le viaduc des Torrents au premier plan. Collections Michel BRAUN & Paul CARENCO concrétisé neuf ans plus tard, la concession fut déclarée caduque en 1901. Entre-temps, la situation avait sérieusement progressé du côté français, où la compagnie P.L.M. avait reçu concession de la ligne du Fayet à Chamonix et à la frontière en 1893. Côté suisse, de nouveaux projets furent donc élaborés à partir de 1898-99. Ceux-ci différaient pour des raisons techniques d'une part, et politiques d'autre part. Techniquement, comme il s'agissait d'une ligne interna- tionale, les auteurs des différents projets avaient dû prendre contact avec la compagnie P.L.M. en France. Comme la position de cette dernière avait évolué au cours des études préparatoires, passant de la voie normale à la voie étroite, de la crémaillère à la simple adhérence et de la vapeur à l'électricité, les projets concernant le parcours suisse suivirent, plus ou moins fidèlement, cette évolution pour conserver une unité technique à la future ligne internationale et permettre la libre circulation du matériel d'une section à l'autre. Au plan politique, en Suisse, les intérêts locaux divergeaient : les uns préconisaient une desserte internationale partant ou aboutissant à Martigny, desservant au passage les PROJET COUCHEPIN & FAMA différentes communes qui formaient alors l'agglomération de Martigny et passant par le col de La Forclaz. Les autres Le 17 octobre 1890 puis le 20 mai 1891, MM. Couchepin habitants de Salvan, de Finhaut, de la vallée du Trient, voulaient et Fama présentèrent un projet partant de Martigny-Gare, tout à la fois conserver le trafic international empruntant la desservant Martigny-La Bâtiaz, Martigny-Ville, Martigny-Bourg, route Vernayaz - Salvan - Chamonix, et bénéficier d'une relation Martigny-Combe, puis s'élevant en lacets pour franchir par un plus aisée avec Vernayaz (alors hameau de la commune de souterrain de 1.300 m de long le col de La Forclaz, Salvan) et Martigny. redescendant ensuite sur Trient et Le Châtelard. Au plan technique, ce projet prévoyait la voie métrique avec crémaillère Strub, comme le P.L.M. l'envisagera bientôt pour la section LES DERNIERS PROJETS française. Exploitée en traction vapeur et longue de 16,6 km, la ligne aurait comporté des courbes d'un rayon minimal de PROJET DEFAYES & STRUB 80 m, des déclivités de 25 mm/m en simple adhérence et de 145 mm/m en crémaillère sur 6,3 km. Le 20 mai 1899, une nouvelle demande de concession fut déposée par quatre particuliers : MM. Defayes, avocat à PROJET WAGNER Martigny, Strub, ingénieur à Clarens et concepteur d'un système de crémaillère portant son nom, Amrein et Gilliéron Le 17 octobre 1890 également, M. Wagner proposait à Vevey. Ce projet prévoyait un tracé de Martigny-Gare vers un tracé voisin de celui de MM. Couchepin et Fama, partant Vernayaz, la rive gauche du Trient, Salvan et Finhaut de la gare de Martigny et passant par La Bâtiaz, Martigny- jusqu'au Châtelard, où il se raccordait aux rails français Ville et Martigny-Bourg. A partir de là, la voie s'élevait en ligne venant de Chamonix. La ligne serait à voie métrique, longue de 18,8 km, avec des rampes de 70 mm/m et des courbes de équipés en ligne aérienne), déclivités maximales de 70 mm/m 60 m sur les sections en simple adhérence ; elle comporterait en adhérence et 200 mm/m en crémaillère, courbes d'un rayon aussi une section à crémaillère de 2,5 km avec une rampe de minimal de 60 m en adhérence et 80 m en crémaillère, gabarit 200 mm/m et des courbes de 80 m. identique à celui du chemin de fer du Fayet à Chamonix. Le bail portait sur une durée de 80 ans à dater de l'arrêté PROJET PALAZ de concession, soit jusqu'au 19 décembre 1981. Les conces- sionnaires devraient constituer une société anonyme, dont la Le 8 février 1900, M. Palaz, ingénieur à Lausanne, qui majorité des membres de la direction et du conseil avait créé le réseau de tramways cette ville, présentait un tracé d'administration devraient être de nationalité suisse. Le chemin reprenant en partie celui de MM. Couchepin et Fama, mais de fer devrait assurer le transport des voyageurs et des sans crémaillère, avec des rampes ne dépassant pas 80 mm/ marchandises mais, chose curieuse, la compagnie ne serait m en simple adhérence, comme sur la partie française. Ce pas tenue de transporter le bétail... tracé partait de la gare de Martigny, desservait La Bâtiaz, Martigny-Ville, Martigny-Bourg, puis décrivait un lacet dans la vallée de la Drance d'Entremont jusqu'à , d'où il LA CONSTITUTION DE LA SOCIETE M.C. revenait vers le col de La Forclaz, franchissant un tunnel avant La Compagnie du Chemin de fer de Martigny au de redescendre sur Trient et Le Châtelard. Le choix de la simple Châtelard - ligne du Valais à Chamonix (M.C.) fut constituée adhérence entraînait un allongement du parcours, qui atteignait le 10 juin 1902 pour se substituer aux quatre concessionnaires, ainsi 26 km. Une variante, entre Martigny-Bourg et La Forclaz, MM. Defayes, Strub, Amrein et Gilliéron, sous les auspices de se développait sur Martigny-Combe et Ravoire, réduisant la la Société Franco-Suisse pour l'Industrie Electrique, qui longueur totale de la ligne à 22 km. La voie métrique était deviendra par la suite la Société Anonyme des Ateliers de prévue, pour permettre la circulation des trains sans rupture Sécheron (S.A.A.S.). Celle-ci siégeant à Genève, c'est dans de charge à la frontière. cette ville, au 6 rue de Hollande, que fut, dans un premier temps, installée la direction générale de la compagnie ; elle ne PROJET FLESCH sera transférée à Martigny qu'en 1930. Le 7 juillet 1900, M. Flesch, pour satisfaire les intérêts A côté de cet actionnaire principal, le capital fut souscrit de Salvan que les projets par La Forclaz laissaient de côté, par des banques, des collectivités locales et des particuliers, proposa un chemin de fer de la gare de Vernayaz à Salvan et recrutés principalement à Genève, Lausanne et Berne. Le Finhaut, comportant une section funiculaire de 440 m de long capital de départ, constitué de 3 millions de francs suisses en pour escalader la falaise depuis la vallée du Rhône. La voie actions, fut rapidement porté à 4 millions mais se révéla métrique, électrifiée et à simple adhérence, allait de la gare insuffisant pour faire face à l'exécution des travaux ; c'est jusqu'au pied de la falaise ; là, l'automotrice s'engageait sur la plate-forme du funiculaire qui, par des rampes de 635 et 700 mm/m, l'élevait à peu près au niveau de Salvan. A la station Les différents projets de tracé proposés pour la ligne Martigny - Châtelard : supérieure, l'automotrice quittait la plate-forme et gagnait - 1) Projets Ludwig-Schôpfer et Defayes-Strub par la rive gauche du Trient, Salvan puis Finhaut par un parcours en adhérence avec des Salvan et Finhaut (tracé définitif adopté) ; - 2) Projet Masson & Genton par la rive droite du Trient ; rampes maximales de 70 mm/m et des courbes de 80 m. La - 3 - 4 - 5) Projets Couchepin-Fama, Wagner et Palaz par le col de La Forclaz ; longueur totale de la ligne, considérablement abrégée par la - 6) Projet Flesch avec funiculaire Vernayaz - Salvan puis rive gauche du Trient. section funiculaire, n'atteignait que 9 km. LA REALISATION LA CONCESSION DEFINITIVE La concession accordée en 1892 à MM. Ludwig et Schôpfer étant en passe de devenir caduque, il fallut choisir entre les différents autres projets pour trouver un nouveau concessionnaire. Après de nombreuses discussions, le Conseil fédéral se prononça, dans son message du 16 avril 1900 aux Chambres fédérales, en faveur d'un tracé par le col de La Forclaz. En dépit de ce préavis et après des débats longs et animés, les Chambres fédérales retinrent finalement le projet de MM. Defayes et consorts passant par Vernayaz, Salvan et Finhaut. Le 20 décembre 1901, la concession fut accordée à MM. Defayes, Strub, Amrein et Gilliéron, pour le compte d'une société par actions à constituer. L'arrêté fédéral de concession portait sur un chemin de fer Martigny-Gare - Le Châtelard et un tramway Martigny-Gare - Martigny-Bourg, les deux lignes se séparant à Martigny-Ville. Les caractéristiques suivantes étaient prévues par le cahier des charges : voie à l'écartement métrique, traction électrique par troisième rail (sauf pour les parcours urbains En page ci-contre, la motrice Ce 2/2 42 (future n02) du tramway de Martigny, en état d'origine en avril 1908 à Vernayaz, où elle a dû se rendre pour un passage à l'atelier du M. C. Elle est vue sur la voie principale, entre la sortie du dépôt et la gare de Vernayaz, dans un site où ont été photographiés de nombreux véhicules de la compagnie. Collection Centre d'iconographie genevoise (fonds Sécheron)

Ci-dessus, la motrice n01 garée devant l'hôtel du Grand- St. Bernard au terminus de Martigny-Gare, après le transfert de la gestion du tramway à une société indépendante. Photo G. A. SCHETTY - collection Bureau Vaudois d'Adresses

Les deux motrices au terminus de Martigny-Gare, après leur recarrossage auxA.C.M. V. en 1951 : ci-dessus la n02 en juillet 1953, ci-dessous la n01 en juin 1956. Photos Peter WILLEN & Jacques BAZIN BIBLIOGRAPHIE

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REMERCIEMENTS

Les auteurs et l'éditeur remercient pour leur collaboration : - M. André LUGON-MOULIN, directeur des compagnies Martigny - Châtelard et Martigny - Orsières ; - M. Bernard PHILIPPIN, directeur de la Planification ; - M. Bertrand DELEZ, ancien assistant technique de Direction de ces compagnies ; - M. François JACQUIER, président de l'association des Amis du Train Historique de la Vallée du Trient ; - M. Christian AMMANN, pour la traduction française du texte allemand de Matthias HUBER ; - MM. Livio FORNARA, du Centre d'iconographie genevoise (détenteur du fonds Sécheron), Jean-Louis ROCHAIX et le Bureau Vaudois d'Adresses ; - MM. Paul CARENCO, vice-président de la Fédération des Amis des Chemins de fer Secondaires, et Bernard ROZE, pour la fourniture de nombreux renseignements et documents inédits ; - le Service de Documentation des C.F.F., pour la fourniture de copies d'horaires anciens ; - et enfin tous les photographes et collectionneurs qui ont participé à l'illustration de cet ouvrage : leur nom apparaît sous les documents dont ils nous ont aimablement fait profiter...