',r: .•. ' ' .

1 ro REVUE SYNDICALISTE REVOLUTIONNAIRE

Un an de révolte au Maroc par Le MOHGREBIN

Grèves en Allemagne par L'ITINÉRANT 1,

L'intervention des libertaires suédois . dans les municipalités par RUDIGER ,, ' 1: '

La plaque tournante de 1914 par R. HAGNAUER

1; Indépendance et liberté par LE PROLO

as- année. - No 387. - Nouvelle série no 86. SEPTEMBRE 1954. - Prlx 70 francs LA RÉVOLUTION Sommaire du N° 86-Septembre 1954 PROLÉTARIENNE Un an de révolte au Maroc ...... LE MOHGREBIN La plaque tournante de 1914 ...... R. HAGNAU~ Revue sYndicaliste révolutionnaire Les pleins pouvoirs de Mendès-France U. T. I' (mensuelle) Après le congrès du S.N...... G.FOL~ F.FRANC tl Avant le congrès confédéral F.O. : Lettre de Fontaine. - Réponse de Louis Mer• CONDITIONS. D'ABONNEMENT cier. ·, Situation industrielle de la ville de Mont- . .1! FRANCE, ALGERIE, COLONIES brison ...... Six mois 400 fr. U.L. • F.O. Un an ...... 700 fr. A travers le monde Des oppositions se lèvent contre les dic- EXTERIEUR tateurs · · · I. METT Six mois 480 fr. La llquldatlon des « comptoirs » européens Un an 850 fr. aux Indes . J. PERA L'intervention des libertaires suédois dans Le ;µunéro 70 francs les municipalités ...... RUDIOER Grèves en Allemagne ...... '. . . . L'ITINERANT Une déclaration du ·C.I.O. sur le Guate• ADRESSERLA CORRESPONDANCE mala. concernant la Rédaction Parmi nos lettres 1 et l'Administration à la Chéron, de Paris. - Un camarade tuni• Révolution prolétarienne sien de Tunis. - Mougeot (Haute-Mar• 14, rue de Tracy - PARIS (2°) ne). - Henensal (Côtes-du-Nord). Téléphone : CENtraJ 17-08 Notes d'économie et de politique Deux victoires, deux échecs et un point d'interrogation. - Le nouvel effet de la 1 PERMANENCE bombe H. - L'auto-financement ne lèse i Tous les soirs, de 18 à 19 heures que les banques et l'Eltat ...... R. LOUZON le samedi, de 17 a~· 19 heures Les propos du prolo UTILISER POUR LES ENVOIS Indépendance et liberté. - Reconversion et salaires ...... LE PROLO DE FONDS notre compte chèques postaux Livres Révolution prolétarienne 734.99 Paris R. Louzon « La Chine » ...... R. Il. SVN(Q)D

La Ligue syndicaliste se propose : 1) De travailler à la renaissance du syndicalisme pas, au contraire. L'expérience de ces trente der- révolutionnaire en faisant prédominer dans les syn- nières années devrait avoir appris à tous que l'ez- dicats l'esprit de classe sur l'esprit de tendance, de propriation des expropriateurs ne suffit pas à as- i secte ou de parti, afin de réaliser le maximum d'ac- surer l'émancipation des travailleurs ; qu'il faut tion contre le patronat et contre l'Etat ; d'unir les poursuivre en même temps, selon la formule de Pel- militants de bonne volonté à quelque organisation loutier, " l'œuvre d'éducation morale, adminJstra- qu'ils appartiennent ; de leur rappeler que le syndt- tive et technique nécessaire pour rendre viable une cat est le groupement essenttel de la classe ouvrière société d'hommes libres » ; et son meilleur outil pour la roevendicatio11et pour 5) De lutter contre le chauvinisme qui déferle jus- la révolution ; que dans les diverses Confédérations et les diverses 1 2> De défendre L'indépendance du syndicalisme à Internationales syndicales. La place des travailleurs l'égard du patronat et du gouvernement comme à n'est 7:.i d~rriè?'e l'impérialisme américain ni der- l'égard des partis. La charte d'Amiens vaut en 1952 nère l tmperialisme russe. Elle est derrière une ln- comme en 1906. La théorie âe la direction unique ternationale syndicale ne confondant pas plus son du parti et des syndicats, c'est-a-âire du rôle diri- rôle avec celui du Kominform qu'avec celut du Bu- Deant du parti, conduit ta C.G.T. à. n'être qu'un reau tnt~natio1ifll du Travail ou de l'Organtsatton instrument entre les mains du parti stalinien et des Nations Unies. Une Internationale qui appelle par là de l'Etat policier iotalitaire russe. La politi- avec plus de force qu'll y a cent ans les prolétaires 1 que de la présence sans mandat ni garanties rend de tous les ~l,(S à s'unir, qui n'attende pas le tra- 1 la C.G.T.-F.O. et la C.F.T.C. dépendantes du çou- cas de la troisième guerre mondiale pour renouve- .J)ernement et les fait participer à son impuissance ; ler le geste de Zimmerwald. Chaque effort donné 3) De rappeler que l'U7!ité syndicale brisée auiour: à une i~ti~tion gouvernementale est un effort volé d'hui se refera le 1our ou l.es trauailleur« auront .re- aJ,t syndicalisme et à l'internationalisme proléta- pris en main leurs organisations, mais qu'elle im- rien ; 1,, plique une maison confédérale ~bttab;e pour tous 6) De rappeler sans reliiche que le syndicalisme les syndiqués, la démocratie spn_di~le étant resf?ec- ne peu.t s'éâitier avec puïssance que sur les triples tëe du haùt en bas de la Con.fetJ,eration,les fonction- fondations âe l'indépendance, de la lutte de claa- naires syndicaux ne se conszderant pas comme une ses et de l'internationalisme · qu'il n'a pas le droit bureaucratie omnipotente et ne repardant pas les de trahir:, le jour où il a grandi, les espérances qu'a syndiqués comme de simples contribuables ; avent tait briller aux temps de sa jeunesse · 4) De participer à l'œuvre d'éducation synd_icale 7) Enfin de ne pas permettre que sott éon/cm.du en procédant à l'examen des ,problèmes ,pratiqtfes le monâe socialiste à forger avec le bagne policter et théoriques posés devant le mouvement ouvrier, du soz-d1santpays du socialisme · de maintenir in- en préconisant la formation de Cercles d'é~udes syn. vant le précepte de la Premièré Interna«onale • dicaltstes ; en démontrant, dans la pratique tour- l'émancipation des travailleurs ne sera l'œuvrt QIIÎ nali~re, qu'étudier et bien se battre ne s'excluent ~• travailleurs eux•mlm11, • Ul'I f\l'I DE f\EVOL ·re f\U t)lAf\OC

En 5 1, après la première grande machination ad• administrateurs français sont tout-puissants, et les ministrative visant à perdre le sultan Ben Youssef, administrés indigènes totalement privés de droits. j'écrivais à peu près : nous venons d'assister à un Dans les années 50, 53, on a aussi beaucoup en• grand « fourbi de bureau arabe » ; il a foiré ; et tendu parler, dans les· milieux « colons » du Maroc, c'est le sultan qui a gagné. d'une politique d'imitation de l'Union Sud-Africaine : constitution d'un Etat quasi indépendant, avec une J'ajoutais : après cela on ne verra plus de fourbi caste « colon »- toute-puissante et des indigènes en de grande envergure. En cela je sous-estimais la ca• esclavage de fait. (Les colons n'auraient pas conçu pacité d'obstination dans l'erreur du personnel admi• cette idée délirante, si elle ne leur avait été inspirée nistratif colonial. Le fourbi a été repris en août 53. Selon une formule à peine modifiée. 11 a été, cette de haut lieu.) fois, poussé jusqu'au bout. 11 a réussi. Et c'est la Voici quelques dotes marquantes de la politique Fronce qui a perdu. que nous venons de dire : 1950, expulsion du conseil Et comment ! D'un pays parfaitement calme et de gouvernement, par le général Juin, des conseillers qu'ils administraient sans difficulté politique vérita• nationalistes ; 1952, interdiction du parti nationa• ble, les auteurs du fourbi ont fait un pays en révo• liste, arrestation de ses membres et suppression de lution, où les violences s'enchaînent l'une l'autre et ses journaux ; prise d'assaut et fermeture définitive où se trouve sérieusement posée la question de la de la Maison des Syndicats ; suppression du drapeau domination fronçcise. marocain sur les bâtiments de Contrôle civil (li flot• tait depuis l'institution du protectorat, Lyautey te• nant beaucoup à la coexistènce des pavillons maro• LA SUD-AFRICANISATION cain et français) ; 1953, déposition du sultan. DE L'AFRIQUE DU NORD !

La terrible agitation qui est née au Maroc français ON N'ATTENDAIT PAS ÇA ... le jour de la déposition du sultan marque l'échec de toute une politique. La déposition du sultan, en effet, Or ce dernier coup fut l'occasion d'une immense n'est qu'un élément de la politique qui fut celle de surprise pour l'administration. Tous ses coups pré• l'administration - et du Quai d'Orsay ! - depuis cédents ayant été acceptés non pas volontiers, mais le limogeage du résident Erik Labenne, en 1947. de façon passive, l'administration comptait bien qu'il Cette politique part curieusement du même point en irait de même cette fois-là. Au contraire, la que celle des Marocains « nationalistes ». Elle port réaction fut forte, rapide, massive. de la reconnaissance du fait que le régime de « pro• 11 ne s'agit pas seulement de la réaction politi• tectorat » est nécessairement transitoire. Si la pro• que, sous forme de terrorisme. Non, je veux parler messe, en effet, incluse dans le traité de protecto• de la réaction dans l'âme populaire profonde. Dès le rat n'a pas été tenue après quarante ans (ou qua• coup porté, des légendes naquirent et se propagè• tre-vingts, comme en Tunisie) il y a carence. Et si rent avec rapidité. Par exemple le nouveau sultan, elle l'a été, elle n'a plus à l'être ! Le « protecto• entrant après le coup de force, dans le palais vide, rat » doit donc évoluer soit vers l'indépendance, s'était trouvé en face d'un lion, lequel se mit à par• comme ce fut le cas pour l'Egypte après la première ler ... Un des caïds qui avait joué un rôle actif dans guerre mondiale, soit vers l'annexion, comme ce fut l'action antisultanesque avait vu apparaître, étant le cas à Madagascar en 1896, lorsque les Français, rentré chez lui, trois hommes, qui ne pouvaient être ayant envoyé en exil la reine Ranavalo, élégamment que trois anges, puisqu'en ne les connait pas, et appelée « Sa Majesté Peau de Boudin », réduisirent qui lui dirent : « Tu mourras dans l'année. » (Il les indigènes, qui avaient cessé d'être « malgaches » n'est pas mort, mais il a eu une bombe dans sa voi• sans devenir « français », à la condition de contri• ture.) Enfin, la nuit même de la déposition, le sultan buables et de corvéables. est apparu à son peuple dons la lune, alors en son Devant cette situation, tandis que les nationalistes plein. Les personnes que j'ai interrogées sur ce der• marqcains se prononçaient pour une solution à l'égyp• nier point à Rabat, ou dans le bled, ou à Casa n'a• vaient .pas vu elles-mêmes, mais elles connaissaient tienne, la· haute administration choisissnit ' - sans le dire, bien sûr, mofs de façon nette - la solution toutes des personnes qui avaient vu ! malgache. Plus exactement, si l'on considère que les 11 est bien évident que de semblables croyances grands personnages de cette politique, le général populaires ne peuvent pas naître sans une profonde Juin et le préfet Boniface, sont des Algériens, on émotion. En vérité, le peuple marocain a été étonné peut penser que leur idéal était d'amener le Maroc et choqué. à ce que l'Algérie fut pendant si longtemps, depuis Autre fait presque inimaginable : presque aussitôt l'exil d' Abd el Kader [usqu'en 1919 : un pays où les après· la déposition, les Marocains cessèrent d'aller à

'

1 I ' la mosquée, . la prière devant être dite au nom du sait, il y a quelques mais, « l'attentat quotidien )>. nouveau sultan. De même le pèlerinage à la Mecque 11 y en a maintenant plusieurs par jour, dans la a été, cette année, boycotté. presse, sans parler de ceux dont an ne parle pas. Tout cela fait une salade dans laquelle il est bien Quant à l'action proprement polif ique, l'action ter• difficile de distinguer ce qui est attentat terroriste, roriste, elle a aussi dépassé les prévisions par so attentat cantre-terroriste et faux attentat terroriste. rapidité, sa durée et l'impuissance de la répression ... D'autre part, les délits de droit commun ont aug• Quand je dis « action terroriste », je perle comme menté. C'est assez naturel ! Quand la police n'est les journaux du Maroc, cor ceux-ci appellent « ter• occupée que de politique, les cambrioleurs sont à rorisme » tout ce que peuvent faire les Marocains l'aise. pour marquer leur sentiment, même s'il s'agit d'ac• Tout cela fait que les Européens du Maroc ont tions systématiqùement. non violentes, comme la fer• perdu le sentiment de grande sécurité qui avait été meture des boutiques, ou le boycott du tabac. Les le leur jusque fin 53. Comme taus les ans, ils sont boutiques fermées, la police les ouvre de force, en partis nombreux pour la France, cet été. Mais il ne .cassant le. rideau de fer. (C'est même ainsi qu'a s'cgit plus uniquement de vacances. Nombreux sont commencé la tuerie de Port-Lyautey.) Quant au ta• ceux qui profitent de l'occasion pour chercher un bac, qui est boycotté parce qu'il est une source im• logement en France. portante de revenu pour le budget, voici une petite· histoire, effarante mais vraie : un colon, près de Mazagan, apprend un soir que des gens sont venus LA FRANCE N'A PAS DE POLITIQUE ! conseiller à un buraliste voisin de cesser de vendre du tabac ; ces gens sont pctris dons une 4 C.V. ; le. La situation de la France au Marac est donc mau• colon se parte sur la route, arme au poing, tire sur vaise. une 4 C.V. qu'il croit, disent les journaux, être celle Est~elle réparable ? de ses « terroristes ».,. et tue un de ses amis, colon Certainement pas si l'on entend par là un retour comme lui ( 1 ). - à la situation d'avant la déposition du sultan. Ce qu'il y a de plus étonnant dans· ce « terroris• La situation serait cependant susceptible de de• me » marocain, vrai au passif, c'est qu'il ait réussi venir mains mauvaisè. Mais il faudrait de l'intelli• à se développer dans une terrible atmosphère de ré• gence ... Or c'est une denrée qui ne paraît pas abon• 1 pression. Tous les Marocains présumés nationalistes der. sont au déportés, ou arrêtés. Mieux, taus les Maro• Le gouvernement français a candcmné la politique cains des villes, hommes, femmes et enfants sont au• Juin-Guillaume. 11 l'a condamnée clairement en li• jourd'hui passés par les mains de la police, au cours mogeant Guillaume. Cependant, à la place de la po• de « ratissages » de quartiers entiers, avec fouille litique condamnée, quelle politique a-t-il proposée ~ systématique des moisons; .. -Celc n'empêche pas que Aucune. En sorte que c'est la politique condamnée la police ne trouve à peu près . jamais les ormes qui continue ! qu'elle cherche. Et lorsqu'un attentat a lieu en ville indigène, l'auteur n'est jamais arrêté. Seuls les té• On ne sortira pas de la situation sans réaliser pre• moins présumés sont arrêtés : pour « non-assistan• mièrement que le général Guillaume a fait un ca• ce », la nation çléjà abusive de non-assistance à per• deau magnifique au peuple marocain. 11 lui a don• sonne en danger étant transformée en non-assistan• né un objet de revendication simple et concret. La ce à la police. « démocratie », les « réformes », I' « autonomie », tout cela était vague. Le 'retour de « notre roi légi• Quelles sont les victimes du terrorisme proprement time », les esprits les plus simples comprennent cela. dit ? -11 n'y a pas de règle. Les attentats sont de Seulement Mohomed V ne reviendra pas sans un caractères divers, ce qui indique des inspirations dif• considérable accroissement de prestige. 11 ne pourra férentes. Les attentats contre les trains et la célèbre plus être question de transformer le « protectorat » bombe du marché central à Casablanca ont tué des en annexion de fait. 11 ne pourra plus être question gens ne faisant pas de politique. A Marrakech an que d'une évolution « à l'égyptienne ». Alors se vise plus précisément le haut personnel dirigeant : posera la question qui est au fond de tous les pro• nouveau sultan, Glaoui, général Guillaume, général blèmes colonioux français : la question de la coexis• chef de région, contrôleurs civils. L'assassinat à Ca• tence d'une minorité française et d'une population sablanca de M. Eyraud, journaliste (2) est unique en indigène. Le France n'a jamais résolu cette question. son genre. En fait ce sont des _gens du petit peu• Partout où-elle va, la minorité française domine, puis ple marocain qui forment la majorité des victimes : quand elle ne peut plus dominer, elle s'en va (Saint• Damingue, Syrie, Tonkin, Indes, la liste n'étant pas menus auxiliaires de l'cdministratiÔn française, pe• limitative). tits mouchards bénévoles ou contraints, buralistes n'ayant pas respecté le boycott du tabac. · Il y aurait pourtant mieux à faire ! Ces attentats sont extrêmement fréquents. On di- 11 y a lieu d'accorder la plus grande attention aux négociations q~i va~t s'ouvrir entre gouvernement ( 1) Ce colon est un contre-terroriste, comme on dit maintenant individuel. Il Y a eu d'autres Individuels fronçai; _et, nat1onal1stes tunisiens. Ces négociations parcourant '1a ville en auto, la nuit tombée, et tirant an_t preciseman+ p~ur objet la coexistence, sur un à la mitraillette sur ce qui leur paraissait marocain. meme temt?1re, d un p~tit groupe francais et d'un II y a encore du contre-terrorisme en groupes genre peuple :nd1gene,,_sons ou aucun des deux 'groupes op• Ku-Klux-Klan avec enlèvement à domicile de Maro• p~1m~ 1 autre. ~ il arrivait qu'une solution fût trou• cain, natianaÙstes. (L'un d'eux. enlevé comme il sor• vee a ce probleme, ce serait évidemment aussi im• tait de prison, a été trouvé au bord d'un oued, une portent pou~ . le Maroc dans quelques années que balle dans la nuque.) Il y a aussi l'incendie contre• pour la Tunisie aujourd'hui. terroriste : des quartiers 1ndigènes flambent ; c'est facile, puisque dans leurs parties pauvres ils sont en Cependant, il n'y O pas lieu d'être trop optimiste bois. sur ces négociations et de se laisser aller à l'eupho• (2) La Vigie marocaine, journal que dirigeait M. rie que Mendès-France a voulu créer par son « choc Eyraud, avait fortement excité la population fran• psychologique ». D'une part la France, qui n'a pas çaise de casa contre les Marocains, lors des èvéne• in,térét à aller vite, fera trainer les négociations. ments de novembre 52. Elle titrait par exemple, -en D aut~e part - et ceci est encore plus grave - la caractères d'affiche : C< Deux Euronéennes violées et question ne paraît pas avoir été étudiée sérieuse• égorgées ! " Le moment critique passé, elle reconnais• sait en petits caractères, en page intérieure, que rien ment ni d'un côté ni de l'autre. de semblable ne s'était passé. LE MOHGREB1N.

2-210 A TRAVERS L E MONDE

U. R. S. S. Des oppositions se lèvent contre les dictateurs

Coexistence... Cette trouvaille semble plaire non a été blâmée et son rédacteur en chef, I'écrivain seulement aux Occidentaux mercantiles qui rivali• 'ï'vardovsky, limogé. sent d'efforts pour commercer avec l'Est, mais Une autre œuvre littéraire parue au mois de elle paraît satisfaire aussi les milieux travaillistes février dernier dans la revue Théâtre, intitulée et socialistes (nous ne parlerons évidemment pas « Les Invités », mérite d'être mentionnée. C'est des communistes et des progressistes) ; ils sont une pièce en trois actes qui a été 4mmédiatement prêts à accuser les adversaires de cette nouvelle jouée dans plusieurs théâtres du pays et avec « formule » de souhaiter, de fomenter la guerre un succès tel qu'elle a dû inquiéter sérieusement contre la Russie. · les gouvernants. Aussi vient-elle d'être enlevée de la scène et son auteur, Zorine, violemment atta• Nous sommes loin d'appeler le monde occiden• qué. tal à prendre la tête d'une croisade contre les in• justices et les crimes du régime stalino-malen• Cela se comprend. On y voit les représentants kovien. Tout d'abord parce que nous croyons que de trois générations - un vieux grand-père, an• ce monde est non seulement incapable d'aider cien tchékiste et héros de la guerre civile, son les peuples soviétiques à se libérer de la caste fils, grand bureaucrate moscovite et son petit• qui les opprime, mais aussi parce que cet Occi• fils, jeune instituteur, combattant volontaire de dent, aveuglément attaché à ses petites commo• la dernière guerre et ennemi acharné de son père dités matérielles, ne voit pas du tout qu'il est bureaucrate. Il y a coalition entre le grand-père lui-même en train de leur sacrifier sa richesse et le petit-fils contre le bureaucrate moscovite.· essentielle : la liberté. Le . vieux dit à son fils : « ... Les hommes ne comptent pas pour toi, tu n'en as pas besoin. En tant qu'adversaîres du regime stalino-ma• Tu connais des mots - parti, peuple, communis- lenkovien, nous ne croyons pas que pour les . me. Mais qu'est le parti pour toi ? Qu'est pour peuples russes il existe une autre issue que la toi le peuple ? Le communisme ? Que t'importe lutte et la défense par leurs propres moyens. que derrière ces mots se profile tout le chemin Nous sommes persuadés que le· régime existant que nous avons parcouru depuis la « Vladimirov• trouve des adversaires acharnés et décidés dans ka » (1) jusqu'à nos jours ? Que t'importent les les éléments les plus évolués de ces peuples. En• sept millions tombés dans la dernière guerre ? tre autres témoignages, il faut citer les tentati• Pour toi, ce ne sont que des mots. » Et le petit• ves faites par quelques critiques littéraires et fils dit à son père bureaucrate : « Tu n'as plus quelques écrivains soviétiques qui, profitant d'un de fils. Mais je saurai te trouver. Moi, Serge certain « dégel » qu'ils avaient cru discerner Kirpitchev, je te déclare la guerre à toi, Pierre dans les mœurs de la censure officielle, ont écrit Kirpitchev. Et où que je te rencontre - dans et publié, dans l'espace de quelques mois seule• n'importe quel· bureau, dans n'importe quel fau• ment, trois ou quatre articles importants dans teuil, tu pourras prendre n'importe quel air, n'im• lesquels ils ont trouvé moyen de poser des ques• porte quel nom, je te reconnaitrai tout de suite tions de principe concernant les fondements mê• eb' te ferai ta guerre sans pitié. Tu m'entends. mes du régime, aussi bien dans le domaine Je te combattrai à mort. » littéraire que dans son fonctionnement social. Tel. l'article de Pomerantsev publié dans la revue « S'il le faut, on fera la guerre », réplique Novy Mir intitulé : « De la sincérité dans la le père Kirpitchev. « Nous ne permettrons à littérature ». L'auteur non seulement accuse le personne de jeter la suspicion sur nous. Vous fameux réalisme sociali_stede ne pas refléter la aurez le temps de regretter votre attitude », réalité soviétique, mais il utilise cette occasion conclut le bureaucrate. pour parler du mode d'organisation des kolkho• On voit dans la pièce un autre personnage, la zes. Au total quatre textes de cette importance sœur de Pierre Kirpitchev, une jeune intellec• ont été publiés dans le Novy Mir. tuelle, veuve de guerre. C'est elle qui pose des questions scabreuses. « Ce n'est pas de l'envie, Cela a suffi pour produire dans les milieux oh ! non. Cela peut vous sembler ridicule, mais intellectuels · du pays une telle impression que cela ressemble à un sentiment de classe », avoue• le parti a cru nécessaire de mettre fin à ce t-elle au journaliste Troubine qui lui aussi fait « dégel ». Des foudres sont lancées contre Po• la guerre au bureaucrate. « Et d'où est surgf merantsev I.Jifchitz. Chtcheglov et Abramov, les dans notre pays ce beau monde ? », demande quatre critiques littéraires en question. Des ro• la jeune femme. « Il y a un petit mot - le manciers sont aussi accusés, et parmi eux Ilya pouvoir », dit-elle plus loin. Le journaliste Trou• Ehrenbourg, qui cette fois-ci a fait un mauvais bine lui réplique que « Ie pouvoir ne gâte pas calcul politique : dans sa nouvelle intitulée « Le tout le monde », mais la question reste posée. dégel » il a plaidé en faveur de l'art pur. Atta• Cette même varvara dit aussi : « Mon Dieu, qué par K. Simonov, il vient de se défendre dans que je déteste les bourgeois ». D'après le con- la Litératournaïa Gazeta. En revanche, on n'en• tend plus parler de Pomerantsev dont l'attitude était la plus radicale. Pour avoir publié les qua• \ l) Vladimirovka route par laquelle partaient. tre articles en question, la rédaction du Novy Mir sous le tzarisme, les bagnards pour la Sibérie. 3-211 texte, on voit que c'est .. des bourgeois soviëtiques essayé de contester certaines de leurs thèses que qu'elle parle: j'ai considérées non pas comme socialistes, mais Devant l'abime qui sépare le peuple de la nou• comme anarcho-syndicalistes. Et il n'y a aucun velle bourgeoisie 'du pays apparait en Russie un doute que leurs pensées allaient justement vers sentiment de classe et des 'pensées anarchistes. l'anarchisme. C'était une réaction naturelle con• Visiblement cela ne date pas de la mort de tre la réalité soviétique, contre l11yperti·ophie de Staline, mais des années d'après guerre. En effet, l'Etat qui caractérise la dictature soviétique. Il la journaliste allemande Brigitte Gerland, libérée faut d'ailleurs dire que les syndicalistes soviéti• l'an dernier du camp de Vorkouta, a rencontré ques m'ont influencée dans une certaine mesure, dans ce camp de jeunes étudiantes qui profes• » En tout cas après un certain temps, ce groupe saient la foi anarcho-syndicaliste. changea son nom, I.T.L., lié à celui ·de Lénine, Dans le Courrier socialiste de juillet 1954 elle et se dénomma Union des Syndicalistes. Il faut consacre à ce sujet un grand article d'où nous dire qu'à ce mouvement de résistance prenaient extrayons quelques passages. Dehors tourbillon• part aussi d'autres groupements dont l'idéologie nait une tempête de neige. Les femmes détenues n'était pas anarcho-syndicaliste. Ainsi il y avait devaient, balayer la neige le long du chemin de à Vorkouta un groupe de détenus qui se dénom• fer. Comme il faisait très froid, la garde leur maient « marxistes » ou « kautskiniens ». Ils permit d'entrer dans une baraque pour se ré• adoptaient l'idéologie des anciens sociaux-démo-. chauffer. Durant cette pause, B. Gerland vit « à crates russes bien que personne parmi eux n'ait droite du poêle des jeunes filles, anciennes étu• jamais vu ni connu de mencheviks en chair et diantes de différentes universités, toutes appar• en os. Ils ne les connaissaient qu'à travers les tenant à un groupe qui se nommait I.T.L. (la livres. Mais le nombre des marxistes était infini• vraie œuvre de Lénine). Méme dans le camp, elles ment plus petit que celui des syndicalistes. Je n'ont pas interrompu leur activité et mènent une pense que dans nos camps il y en avait une résistance organisée qui prend des formes diffé• centaine, tandis qu'on comptait un nombre plu• rentes. Elles se trouvent en liaison continuelle .sieurs fois supérieur de syndicalistes. avec le « camp de régime » (camp pour politi• » Je voudrais aussi ajouter que les jeunes adep• ques) dans lequel se trouve un nombre assez tes du syndicalisme et du marxisme classique considérable de membres du même groupe, pour menaient leurs discussions sur un niveau idéolo• la plupart des anciens étudiants, arrêtés dans gique très élevé, en manifestant une bonne con• différentes villes universitaires durant les der• naissance des ouvrages et en citant continuelle• nières années et qui furent condamnés à 25 ans ment les théoriciens connus. J'ai compris qu'à de détention. · l'université elles avaient la possibilité de lire dans » A ce moment aussi Rimma, qui conduit le les bibliothèques les œuvres des classiques du cercle, utilise l'occasion pour faire connaitre un socialisme. En tout cas elles ont lu et étudié tract qu'elle a reçu la veille du camp masculin. Karl Kautsky, Mehring, Edouard Bernstein, les Je vais citer ce document par cœur, les paroles deux Labriola, sans parler de Marx, Engels, Lé• se sont incrustées dans ma mémoire d'une manière nine, Plekhanov et autres. » solide et je pense n'avoir rien · trahi, sauf évi• C'est le deuxième article que B. Gerland con• demment le style. Debout devant le poêle Rimma sacre dans le · Courrier socialiste à ces jeunes lit d'une manière distincte : révolutionnaires. Le premier a soulevé des doutes Chaque mouvement de résistance· commence dans les milieux de l'émigration russe. On disait par la négation, par un « non ». Nous disons que la journaliste, ne connaissant pas bien la « non » à la dictature du parti, qui a transformé langue, avait mal interprété les initiales I.T.L. la vromesse de la liberté spirituelle pour tous les qui, en réalité veulent dire « Camps de correc• peÙples en un mensonge hypôcrite. Nous disons tion et du travail » (Ispravitelno-Troudovyé La· « non » au capitalisme d'Etat, car l'Etat sovié• gueria) et non pas la vraie œuvre de Lénine. tique est devenu un exploiteur plus tyrannique En réponse, Gerland écrit dans une note : « Je ne que le pir.e des capitalismes privés. Nous disons peux pas émettre de jugements quant à la pu• «'non » à l'impérialisme soviétique qui se trouve reté de la langue russe. Pendant mon séjour au en contradiction la plus flagrante avec la théo• camp j'ai appris à parler couramment le russe rie marxiste, car on ne doit pas porter en avant et j'étais capable de tenir une conversation et la révolution sur les baïonnettes russes. de discuter politique. Je peux · dire ceci : Durant Cependant pour nous l'issue ne consiste pas à les années que j'ai passées au camp de Vorkouta opposer aveuglément au bolchevisme soviétique ainsi que dans les camps de transit sur mon che• l'imitation de la démocratie occidentale avec son min de retour, le nom de I.T.L. était toujours système de capitalisme privé. Nous voulons nous employé commè désignation d'un groupement po• libérer de la tyrannie de tout Etat, car l'Etat litique et j_e n'ai jamais remarqué qu'on l'em• n'est en fin de compte qu'une machine bien ima• ployât dans un sens péjoratif. » ginée pour exploiter et opprimer les travai:lleurs. En effet, on ne voit pas pourquoi B. Gerland Quant à nous, nous voulons établir un gouverne• inventerait l'existence de ces jeunes révolution• ment socialiste soviétique sans parti, une vérita• naires. Comme nous l'avons vu, la pièce de Zo• ble représentation. populaire par l'intermédiaire rine, « Les Invités », confirme elle aussi l'exis• des soviets des ouvriers et paysans. L'appareil tence d'une opposition radicale contre l'état actuel d'Etat doit être remplacé var des syndicats ou• des choses. On ne peut que discuter des propor• vriers et paysans qui vont gouverner non pas des tions et de l'écho qu'elle rencontre dans le pays. hommes, mais des moyens de production. Cette opposition montre que les meilleurs en• fants du peuple ne veulent pas « coexister » avec » Voilà le contenu approximatif du tract qui les Malenkov, Khrouchtchev et autres Vychinsky a été lu dans le baraquement près du chemin de et Molotov. En face de la caste privilégiée, les fer. Je ne garantis pas l'exactitude des termes oppositionnels affirment le droit du peuple à la employés, mais le sens était certainement celui• justice sociale et élaborent des revendications in• là. Car nous avons discuté souvent et beaucoup timement apparentées à celles des matelots in• de toutes ces choses durant les années que j'ai surgés de Kronstadt en 19:.!l, ce qui montre que passées à Vorkouta et j'ai bien appris à connai• malgré la dictature et la terreur la lutte pour tre le cheminement des pensées du groupement l'égalité et la liberté continue en Russie. dont je parle. Connaissant mieux que mes cama• rades russes les idées de la social-démocratie, j'ai L. METT.

4-212

/ INDE ,, La liquidation des " comptoirs européens aux Indes

La liquidation des derniers établissements européens des Inôes est à l'ordre du jour. Le Monde trouve « pitoyable » la Jin des comptoirs français. « Pitoyable », en effet, elle l'est bien ... par Ze 1rianque d'imagination et d'intelligence politiques qu'elle révèle dans notre personnel dirigeant. Pitoyable, mais non imprévisi'ble, loin de là ! Dès avril 52, Péra nous avait envoyé l'article ci-dessous, qui, potzr avoir dormi dans nos cartons, n'a presque rien perdu de soit actualité. Bien entendu, les réflexions de Péra s'appliquent aussi bien au PortÛgal qu'à la France. On peut même remarquer que plus un Etat est faible, plus il montre d'étroitesse et de hargne dans son nationalisme.

Chandernagor vient d'être cédé par la France habitants, constituti'on d'une double nationalité : à l'Etat indien. acquisition de droits à Delhi, sans perdre, pour « C'est une ville, a expliqué M. Schumann aux cela, les droits antérieurement acquis à Paris (1). députés, qui... économiquement est dans la dé- L'espoir en une solution de ce genre a com• pendsnce totale des territoires voisins. » . merîcé à disparaitre en 41, de Gaulle renonçant Comme cette situation économique est aujour• alors à la souveraineté économique locale et in• d'hui parfaitement vraie non seulement pour cluant les comptoirs dans le système douanier Chandernagor, mais pour les autres « comptoirs » indien. Dès lors la survie, ou la disparition, de français, il est. sûr qu'une mesure analogue sera la petite industrie textile de Pondichéry - la prise demain pour Mahé, Yanaon, Karikal et seule industrie des comptoirs - dépendait de Pondichéry. New-Delhi et il était sûr que les comptoirs mar• Ainsi est confirmé l'extraordinaire manque chaient à l'annexion pure et simple. Quelques d'imagination de notre personnel politique. années après, en 47, la France cédait les « loges », Officiels comme opposants sont restés enfer• petits territoires français, sans façade maritime, inclus en territoire indien. Avec la cession ac• més dans la question nationale :· « France ? ln• tuelle de Chandernagor, on est entré dans la de ·? », alors que s'il Y, a des points au monde où la' question nationale devait être dépassée, dernière phase du processus. Un referendum a eu lieu à Cliandernagor. Il ne ce sont bien ces comptoirs des Indes. semble pas qu'il' y en ait eu encore dans les Je ne les connais pas tous, ces comptoirs. Mais autres comptoirs. S'ils ont lieu, il sera impossi• je connais le moins inimportant d'entre eux, Pon• ble de les tenir pour vraiment honnêtes et satis• dichéry. faisants, s'ils se contentent de poser la question Les Pondichériens sont des gens très gentils, « Etat français ou Etat indien ? », en négligeant d'une douceur remarquable. (Cela tient-il à une la question de la double nationalité, avec retour influence bouddhique ?) Et l'on ne peut que aux franchises locales. vouloir du bien à ces doux agneaux. La rv, République se pique d'internationalisme Quelle était leur situation quand je les ai dans de grands projets dont tout le monde sait connus (dans les années 1930) ? bien qu'ils ne fonctionneront jamais (« armée Elle n'était pas si mauvaise. européenne », « haute autorité ») ; mais elle Ils étaient citoyens français (depuis 1848). Je néglige systématiquement de dépasser le nationa• dis bien citoyens - et non « sujets », comme, par lisme sur les petits points où elle aurait pu le exemple, à la même époque,, les Algériens et les faire facilement, en admettant une binationalité. Malgaches. Ils avaient les droits des citoyens ; Ce fut le cas, hier, au Val d'Aoste. (Il n'y a mais, par suite de mesures exceptionnelles bien aucune bonne raison pour que les Valdotains ali• compréhensibles dès qu'on y songe, ils écliappaient mentent le budget de Paris, ou celui de Rome.) aux pénibles obligations qu'entraîne la citoyen• C'est le cas aujourd'hui à Pondichéry. Ce pour• neté française : ils échappaient notammènt aux rait l'être dans la Sarre. impôts français et au service militaire français. Ce comportement n'est d'ailleurs pas le fait Ajoutons que les comptoirs étaient maîtres de du hasard. L'Etat centralisé moderne, l'Etat• leurs tarifs douaniers. Ils avaient donc, tout en Leviathan, aime mieux perdre des citoyens et évitant les dépenses. de souveraineté, l'avantage des territoires que de tolérer une atteinte à son essentiel d'une souveraineté de fait. principe de Léviathan centralisé. Une telle situation, bien évidemment, ne pré• 17 avril 1952. sentait pas un caractère de durabilité éternelle. J. PERA. Il était évident que la situation privilégiée se détériorerait le jour où le pays serait rattaché (1) Ces droits comprenaient, en ces temps loin• effectivement à un grand Etat, soit Etat fran• tains, outre le droit électoral et l'accessibilité aux çais (éventualité bien improbable), soit Etat in• emplois publics, le droit de libre circulation en ter• dien. Alors commenceraient les servitudes qu'im• ritoire français. Vous me direz que les 'Fondichériens plique l'appartenance réelle à un grand Etat. n'usaient guère de ce droit et que vous les rencon• triez peu sur les rives de la Seine. Mais ils aimaient Et, dès 1930, le but raisonnable à poursuivre les bords du Mékong.Etablis là en tant que com• pouvait apparaitre. Ce n'était ni du nationalisme merçants, ils constituaient une part importante du français ni du nationalisme indien. C'était la corps électoral. (Car seuls avaient droit de vote, en conservation des franchises locales, avec, pour les la colonie de Cochinchine,les « citoyens » français.)

5-213 SUEDE L'intervention des libertaires suédois dans les municipalités

La « Commune » fut, il y a trois quarts de siècle, le grand cri de ralliement du pro• létariat parisien ; les « Soviets » Jurent, il y a mains d'un demi-siècle, celui du prolé• tariat russe. Dans les de.ux cas il s'agissait de la mème chose : l'institution d'organisations loca• les

L'intervention des libertaires suédois dans les sant et au rôle prépondérant que joue la capi• municipalités est née de la vie quotidienne des tale du pays. .. ouvriers- syndicalistes de certains départements du pays, plus spécialement de ceux des régions La simplicité administrative est le caractère forestières. Dans certaines contrées, où les travail• de'. la Fédération. Pas de fonctionnaires ou de leurs organisés dans la 's.A.C. (Organisation syn• _Politiciens de métier. Se~ groupes et l'aide désin• dicaliste libertaire) exerçaient déjà une large in• téressée de quelques militants des villes la font fluence dans les luttes menées pour l'améliora• vivre. Les groupes sont formés par des ouvriers tion des conditions de vie de l'ouvrier, on sentait et des paysans, qui respectent cependant les in• le besoin d'élargir le champ des activités liber• térêts des autres éléments de la population. Bien taires en le portant au-delà du cadre propre• que de portée encore assez limitée, c'est un mou• ment syndical. Il était impossible de laisser aux vement sain, très enraciné dans les régions où mains des partis politiques la solution des pro• il existe et fonctiorine. Le 25 avril de cette année, blèmes sociaux non inclus dans la sphère syndi• les représentants d'un certain nombre de groupes cale, surtout alors que la majorité des travail• se sont réunis à Gayle pour étudier la création leurs de ces contrées· se trouvaient en dehors des d'un programme définitif et commun à tout le partis politiques, du fait qu'ils étaient liber• mouvement. Il est évident que la mise en pra• taires. tique de ce programme dépend essentiellement de Or, en Suède, l'autonomie des municipalités conditions locales, et varie selon les régions. Ce• est relativement grande, ce qui donne de larges pendant, les militants ne voient pas les choses possibilités pour une intervention non politique d'un point de vue purement local ; bien au con• dans de nombreux organismes municipaux, ce traire, ils ont une vision d'ensemble, et ils ne qui fit qu'en différents endroits du pays beaucoup considèrent pas la « municipalité » comme un de syndicalistes libertaires se mirent à s'intéres• organisme isolé, indépendant de la société. Ils ser aux affaires municipales. Ils agissaient de essaient de sauvegarder les anciennes traditions leur propre chef - car il n'y avait pas de municipales et cantonales qui ont toujours ca• théorie définie pour cette espèce d'activité - ractérisé 1ft vie paysanne de la Suède et d'adap• et sans avoir établi de relations préalables avec ter cette autonomie communale aux besoms de la les militants qui, ailleurs, étaient arrivés aux vie moderne. Agissant de la sorte, les libertaires mêmes conclusions. La discussion systématique s'opposent aux tendances bureaucratiques du parti des problèmes relatifs aux affaires municipales ne socialist.e qui tendent à convertir la communauté commença qu'après la seconde guerre mondiale. sociale en un objet passif aux mains d'une di• Les groupes de bûcherons, ainsi que des petits rection super-centralisée qui, en même temps paysans, qui, des années durant, avaient travaillé qu'elle empêche le développement de la démocra• dans les municipalités, se mirent en contact pour, tie, institue de nouvelles catégories et substitue finalement, se réunir en un congrès et consti• de nouveaux privilèges à ceux qu'elle cherche à tuer la Fédération des Libertaires mumc1paux, supprimer. en marge de la S.A.C. (centrale syndicale du La Fédération nationale des libertaires des mu• pays) où la plupart de ces hommes militent1 et y sont même les syndicalistes les plus actifs et nicipalités - F.K.R. - a été fondée pour mobi• les plus caractérisés. Un congrès de la S.A.C. liser les énergies populaires pour la défense de prit une résolution déclarant la Fédération in• la démocratie. La F.K.B. va contre toutes les dépendante des syndicats, mais déclarant aussi appétences dictatoriales qui se cachent sous des que l'intervention dans les municipalités n'est pas apparences pseudo-révolutionnaires, qu'elles soient incompatible avec Je caractère de militant de de tendances communistes ou fascistes ; elle re• la S.A.C. jette la superstition envers l'Etat, qui caractérise les socialistes, et elle reproche aux partis bour• L'intervention dans les municipalités est un geois leur manque de compréhension devant la mouvement modeste, jusqu'à présent limité à quel• nécessité d'une Sécurité sociale dans laquelle les ques régions. Dans une certaine mesure, il repré• masses populaires voient l'un des fondements de sente l'opposition de la population agricole et la liberté personnelle. forestière au centralisme politique toujours crois- RUDI GER.

6-214 Grèves en .Allemagne (1)

Début août, quinze mille travailleurs des 82,7 en 1949 à 204 en avril 1954; alors que services municipaux cessaient le travail à celui des biens de consommation ne grim• Hambourg ; une dizaine de jours plus tard, un pait que de 85,9 en 1949 à 162 en avril 1954. accord était signé accordant une augmenta• En réalité, les revendications ouvrières ap• tion horaire de 7 pfennig aux ouvriers, et de paraissent d'une exceptionnelle modestie. Frei• 4,5 % aux mensuels. Presque en même temps tag, président de la D.G.B., a précisé que la près de deux cent cinquante mille métallur• centrale syndicale n'exigeait pas une aug• gistes entraient en conflit ouvert avec le mentation générale des salaires, mais que les patronat en Bavière, appuyant leurs revendi• demandes s'adressaient à un certain nombre cations (12 pfennig (2) d'augmentation par de branches industrielles. D'après les calculs heure, 12 % d'augmentation pour les men• de la direction confédérale, le total des re• suels) par la grève. En Bade-Wurtemberg, vendications représenterait 5 % du· volume une menace de grève entrainait une augmen• salarial actuel. tation de 6 à 8 pfennig de l'heure pour les D'autres facteurs interviennent sans nul métallurgistes. ,D'autres mouvements se des• doute pour. inciter les travailleurs à se mon• sinent ou se préparent. Pour environ un mil• trer moins dociles qu'au cours de la période lion et demi de salariés, les contrats de tra• de reconstruction et de redressement. Sur le vail viennent à expiration. Chez les fonction• plan parlementaire, aucun espoir ne leur est naires, des demandes sont présentées pour le laissé. Bien que la D.G.B. groupe indistincte• relèvement des traitements. ment travailleurs chrétiens et travailleurs so• Faut-il conclure de ce tableau que l'Alle• cialistes, il est normal que ces derniers soient magne de l'Ouest se trouve à la veille de tentés de porter la lutte sur le terrain syn• vastes conflits sociaux et que là situation soit dical, après l'échec électoral enregistré par tendue au point de rappeler les années de leur parti. La grève des services municipaux « l'autre » après-guerre ? Il ne semble pas. à Hambourg a sans doute symbolisé cette Ce qui est plus sûrement exact, c'est que tendance ; elle a éclaté peu après que la mai• la période de paix sociale, entre une classe rie eut été enlevée aux social-démocrates par ouvrière acceptant les « disciplines nationa• les démo-chrétiens. Le même phénomène, quoi• les » et un patronat vigoureux réorganisant que de moindre envergure et répondant " à l'industrie et reprenant sa place sur les mar• d'autres mobiles, se répète pour les minorités chés mondiaux · grâce aux salaires bloqués, communistes, actives chez les mineurs et chez aux investissements massifs et aux dégrève• les métallos. Enfin, un certain sentiment de ments fiscaux, se termine. crainte se manifeste chez les travailleurs Depuis plusieurs mois, la presse ouvrière quand ils constatent l'identité des politiques menait campagne en faveur d'un relèvement gouvernementale et patronale en matière de des salaires et de la semaine de quarante salaires. Le parti démocrate de la Liberté heures. Le Dr Agartz, conseiller de la D.G.B. (F.D.P.), dont les attachés avec les milieux expliquait qu'une politique « expansionniste » industriels sont notoires et qui figure dans des salaires était indispensable pour dévelop• la coalition ministérielle, n'a pas manqué de per le marché intérieur. Les journaux patro• proposer· par ·1a voix de son leader, le Dr naux répondaient par des articles d'allure Dehler, l'interdiction légale des grèves dans savante. Les économistes de « I'Industrieku• les services publics... Les chrétiens de gauche rier » parlaient de la menace inflationniste (tendance Arnold en Ruhr-Rhénanie), qui et du coup porté au combat mené par l'Alle• s'alliaient volontiers avec les socialistes il y magne pour soutenir la concurrence étran• a quelques années, sont aujourd'hui associés gère. Sans insister sur le détail de la polé• dans les gouvernements locaux avec le F.D.P. mique dont le ton se haussait à mesure que La structure des syndicats laisse à chaque les arguments s'accumulaient depart et d'au• organisation régionale le soin de mener son tre, il est évident que le climat nouveau s'ex• combat dans le cadre des « laender ». Les plique chez les ouvriers par des considéra• salaires varient d'une province à l'autre. Ce tions plus simples et sans doute plus solides : système peut présenter des avantages pour après une dizaine d'années d'efforts et de la D.G.B. (laquelle rassemble près de six mil• privations, le moment est venu de bénéficier lions de salariés sur un. total de 16,5), si de l'extraordinaire redressement économique. celle-ci mène une offensive « en souplesse >. D'importants groupes d'usines ont été cons• Mais il peut présenter le défaut de la bataille truits ou reconstruits, l'autofinancement a en ordre dispersé, défaut que certains milieux permis la rapide extension d'entreprises ché• espèrent exploiter et multiplier, en favorisant tives au départ ; les dividendes versés aux la création de nouveaux syndicats par la sor• actionnaires sont en hausse sensible depuis tie des éléments chrétiens de la centrale uni• deux ou trois ans. Le gâteau est suffisamment que. L'idée de la scission a fréquemment été grand pour que son partage se fasse de ma• mise en avant et elle reparait chaque fois nière plus équitable. Les chiffres confirment que les rapports travail-capital s'aigrissent. ce sentiment spontané :' l'indice des biens · Le retour à l'arme de la grève par la classe d'investissement (100 en 1936) passait de ouvrière allemande, après une période de trê ve, forcée ou volontaire suivant les ,époques, ( 1) cette note sur la situation sociale allemande longue de vingt ans, signale, en fin de compte, a été rédigée sur la base d'une documentation ras• le retour à la santé de l'économie allemande. semblée en France. Elle ne peut ni ne veut rempla• Après l'écroulement du III· Reich, alors que cer l'étude ou le reportage d'un militant mêlé aux nombre d'entreprises minières et métallurgi• grèves, et nous espérons qu·en notre prochain nu• méro la voix du syndicalisme allemand se fera en• ques se trouvaient sans propriétaires légaux, tendre. le mouvement syndical est parvenu à obtenir (2) Le pfennig vaut environ 1 franc français. que ces deux secteurs industriels soient orga-

7-215 nisés sous le signe de la cogestion. Aujour• deau des subventions qui favorisaient les lo• d'hui, le capitalisme a repris du ·poil de la cataires ouvriers. bête. Un coup d'arrêt a frappé la tendance La grande tendance est donc au · retour de nouvelle par la loi de mai 1951 qui limitait puissance du capitalisme. L'heure serait bien le système de cogestion aux situations acqui• choisie pour dresser un premier bilan de l'ex• ses. Au sein des entreprises « cogérées », de périence de la cogestion, avec défauts et qua• nouveaux problèmes ont surgi, dont le moin• lités. Pour les syndicats allemands, directe• dre n'est pas celui des·frictions entre « direc• ment Intéressés, et pour les syndicats des teurs du travail » théoriquement contrôlés autres pays soucieux de s'épargner des faux par les syndicats, et les syndiqués membres pas. du personnel. Les puissances d'argent s'effor• cent de tourner la loi en imposant leur poli• Car, au-delà de là bataille des salaires qui tique aux entreprises qu'elles financent tout s'amorce en Allemagne de l'Ouest, le problè• en échappant au contrôle que les représen• me de la participation effective de la classe tants ouvriers ne peuvent exercer qu'à l'éche• ouvrière au contrôle, à la gestion, à l'orien• lon 'industriel. Le gouvernement s'oriente vers tation de l'économie, continue à se poser, non les formules de « marché libre » pour la cons• en théorie exaltante, mais en dure pratique. truction et cherche à se débarrasser du far- L'ITINERANT.

GUATEMALA

Une déclaration du C. I. O. sur le Guatemala

La fureur patriotique d'un peuple ne connaît pas de bornes lorsque son gouverne• ment se livre à quelque acte de banditisme ne comportant aucun risque. Aussi est-il sau• vent difficile, en de pareilles circonstances, de ne pas hurler avec les loups. C'est pourquoi il convient de [éliciter la grande organisation syndicale américaine du C.I.O. d'avoir eu le courage de remettre beaucoup de choses au point en ce qui concerne le Guatemala, par la déclaration du 29 juin dernier que "l'on. va lire. Regrettons cependant que le C.I.O. n'ait pas cru devoir aller plus loin en dénonçant son propre gouvernement comme l'instigateur et l'organisateur de l'agression contre la petite république socialiste, au - lieu de s'adresser à lui comme à un pauvre innocent qui ignore tout. Voici cette déclaration :

Les combats actuels au Guatemala prouvent communistes ont fait la grève, pendant des semai• le besoin urgent d'une politique positive et solide nes, pour obtenir de Jeurs employeurs, de !'United des Etats-Unis dans cet hémisphère. Nulle part Fruit Company, des salaires bruts inférieurs de 2 l'absence d'une politique basée sur les besoins du dollars par jaur à ceux payés au Guatemala. peuple ne nous contrarie plus dans notre combat Trop souvent le gouvernement des Etats-Unis est contre l'impérialisme communiste qu'en Amérique confondu avec Vtrniteâ Fruit et autres « corpora• du Sud et en ce moment au Guatemala. tions » qui veulent maintenir les bas salaires et Sans minimiser la force militaire et la nécessité bloquer les réformes économiques et sociales. d'être prêts pour prévenir ou repousser une agres• Les communistes n'ont joué qu'un faible rôle sion communiste, il est clair que les avions, les dans la révolution de 1944 au Guatemala. Cette bombes et les canons ne fournissent aucune répon• identification des Etats-Unis avec les compagnies se solide et durable à la lutte poUtique et sociale, étrangères laisse le cha1np libre aux forces commu• à l'injustice politique en Amérique latine. nistes, faibles, mais disciplinées, dans toute l'Améri• Il a été démontré maintes fois que le commu• que latine. Ils monopolisent les réfotmes économi• nisme peut saisir le pouvoir, en utilisant systéma• ques et sociales, enrôlant dans ce mouvement, dans tiquement des programmes naturels, estimables bien des cas, des masses de paysans salariés, fonc• pour s'installer finalement dans la place par la tionnaires, ainsi que d'importantes fractions de force et la terreur. l'armée. Partis comme compagnons de voyage, Les conditions qui en 1944 ont provoqué un sou• quand des réformes furent réalisées, ils finissent lèvement réellement démocratique au Guatemala par contrôler les organisations et à la fin, le gou• avec comme buts : l'indépendance nationale, des vernement lui-même. réformes économiques et sociales, existent dans A 1t Guatemala, l'opération ne semble pas avoir tout, autre pays latin démocratique. complètement réussi. Les communistes sont numé• Les grands propriétaires terriens (y compris les riquement un petit groupe de moins de 2.000 mem• compagnies étrangères et plus particulièrement la bres inscrits. Autant qu'on puisse le dire, le Prési• United Fruit _Company) ont perdu certains de leurs dent Arbenz n'est pas des leurs. Ils n'ont aucun privilèges, permettant ,l'exploitation de la pauvreté poste dans le gouvernement et seulement 4 des 56 et des besoins des paysans et travailleurs du Gua• sièges du Congrès. temala. Ils doivent subir de nouvelles obligations, Rien ne pourrait mieux renforcer l'influence telles que de meilleurs salaires, de modestes mesu• communiste au Guatemala que de fournir de nou• res de sécuritë sociale et des conditions de travail veaux motifs d'identification du gouvernement des légèrement améliorées. Bien qu'infërieures, ces con• Etats-Unis avec les forces qui, de l'intérieu~ ou de ditions de vie sont plus élevées que dans d'autres l'extérieur du Guatemala combattent les reformes pays de l'Amérique latine. de 1944 et qui, aux yeux des Américains latins, sem• Au Honduras, par exemple, les travailleurs non blent plus attachés aux compagnies étrangères que

8-216 soucieux dit bien-être de leur propre pays et de leur nos mines, nos usines et le génie de l'homme peu• propre peuple. vent produire .. Sur la base des observations et informations de C - Programme d'assistance technique et de l'organisation régionale américaine de la C.I.S.L., coopération sur une échelle réellement efficiente. nous insistons auprès du président Eisenhower, du Un tel programme, réalisé avec une partie seule• secrétaire d'Etat, de l'administration, de la déléga• ment des dépenses pour la défense purement mili• tion à l'organisation des Etats américains, pour taire, peut et doit donner aux peuples de l'Améri• l'adoption des principes d'action suivants comme que latine une chance de développer leur écono• éléments essentiels de la politique des Etats-Unis mie, de produire davantage, de, jouir d'une part en Amérique latine : , légitime de ce qu'ils produisent, et d'acquérir la 10 Convaincre par la parole et. par l'action les peu• capacité nécessaire à la défense des droits démo• ples et gouvernements de l'Amérique latine que l'ai• cratiques. de totale du peuple américain sera accordée aux efforts légitimes pour une réforme politique, éco• nomique et sociale, engagée par des décisions dé• mocratiques. La réalisation demandera des années, à cause d'amères expériences passées. Elle devra donc être entreprise et menée avec toute la vi• gueur possible. !f.awii noe 20 Le Département d'Etat notifierait à toutes les compagnies des Etats-Unis opérant en Amérique IL IE 1r 1r 1(2 ,~ J latine - y compris l'Uniteâ Fruit - qu'on attend ·d'elles qu'elles se soumettent aux lois et rèçiements adaptés démocratiquement dans chaque pays. Qu'en aucun cas, le gouvernement des Etats-Unis n'aidera Du camarade CHERON, de Paris des efforts faits pour combattre, retarder ou violer Je crois que l'attachement de certains camarades une telle législation. Que toute tentative directe ou de la rédaction à défendre un peu trop ouvertement iruiirecie pour fomenter ou financer une résistance les · syndicats américains est aussi néfaste pour le armée, une sédition· ou une agression sera considé• prolétariat que le sont ceux qui se font les adula• rée comme une intervention injustifiée dans les af• teurs des syndicats soviétiques. Les uns et les autres faires intérieures des pays arnis et cornme telle bri• de ces syndicats ne représentent à mes yeux que sant les relations entre les Etats-Unis et nos alliés. les deux blocs antagonistes qui recherchent la do• 30 De concert avec les nations latines américai• mination mondiale. M'étant débarrassé des uns, je nes, les Etats-Unis notifieraient au communisme ne veux à aucun prix tomber chez les autres, les mondial que nous ne tolérerons plus tout effort de considérant aussi dangereux et aussi néfastes les subversion contre les gouvernements libres dans uns que les autres ; seules leurs apparences et leurs cet hémisphère et partout ailleurs. méthodes ne sont pas pareilles, mais le résultat est 40 Les problèmes de réforme agraire et de con• Je même. ditions de travail sont l'élément vital dans les con• D'autre part, je crois qu'il faudrait chercher à sa• flits entre la liberté et la stratégie communiste. voir pourquoi les abonnements à la R.P. manquent Donc, toutes les nations participant à l'effort de· . de stabilité, à part, bien entendu, ceux des camara• défense mutuelle s'entendraient sur une déclaration des attachés de longue date au mouvement syndi• claire des droits des fermiers, travailleurs agricoles cal. Il faudrait, pour attirer davantage le lecteur, et salariés de l'industrie de s'organiser et d'agir traiter d'une façon assez claire et documentée cer• collectivement au sein des syndicats de leur choix. tains problèmes d'actualité qu'ont besoin de con• 50 Le travail serait représenté dans une commis• naître beaucoup de camarades qui occupent des sion d'enquête nommée par l'organisation des Etats postes de responsabilité dans les syndicats et de américains, dont la mission porterait sur : conclure en donnant le point de vue syndicaliste révolutionnaire. A - La preuve, les sources et les effets de l'in• fluence et du contrôle communistes sur le gouverne• Beaucoup de discussions sont actuellement en ment du Guatemala. cours, non seulement sur des questions d'ordre re• vendicatif ou économique, mais aussi sur les allian• B - La nature et l'étendue de l'intervention ces militaires (C.E.D.) ; il serait bon de connaître étrangère - communiste ou non - dans les affai• sur ces points la position de certains camarades, res intérieures du Guatemala. d'autant plus que de tout temps les syndicalistes ré• C - Les conditions de l'invasion du Guatemala volutionnaires ont manifesté des tendances anti• en juin 1954 (origine des fonds, des armes, des mfütaristes. avions, des hommes). D'autres sujets pourraient être aussi traités, telle D - Le caractère des groupes et des personnes la reconstruction des logements, dont aucune orga• à l'intérieur du Guatemala et du Honduras et d'ail• nisation syndicale, y compris les fédérations du bâ• leurs qui ont coapéré avec les insurgés, afin de dé• timent, ne s'occupe. C'est le dédain de toutes ces terminer la valeur démocratique ou non démocrati• petites choses qui a coûté cher à la révolution es• que ou anti-démocratique de cette participation à la pagnole, et le camarade Lauzon avec qui, là-bas, en rébellion. 1937, nous étions en contradiction pourrait, sans · 60 Nous insistons auprès du gouvernement des doute, après réflexion vous le rappeler. Tout cela Etats-Unis pour dresser, de concert avec les gouver• peut-être ne pourrait être traité à fond, mais les nements démocratiques de l'Amérique latine, un · éléments essentiels devraient l:\n être fournis aux programme d'action sur les points suivants : militants. A - Mesures pratiques pour renforcer les pra• Si je vous rappelle tout ceci, c'est que voyageant tiques et les forces démocratiques au Guatemala à travers toute la France, je me re'nds compte que et dans toute l'Amérique latine. les éléments les plus combatifs, ne trouvant rien B - Pacte dans cet hémisphère, comportant dé• dans la presse prolétarienne et révolutionnaire, se fense militaire et construction d'une économie in• gargarisent de ce qu'ils trouvent dans la presse teraméricaine basée sur un sérieux relèvement du bourgeoise ou petite-bourgeoise comme France• niveau de vie, utilisant l'abondance que nos terres, Observateur.

9-217 Notre camarade a parfaitemènt raison lorsqu'il militants qui ne peuvent oublier la responsatilité dit que la R.P. doit être une mine de renseigne• de Jouhaux dans l'abandon par la C.G.T. de sa po• ments et d'idées pour les militants du syndica• litique d'avant 1914, véritablement pacifiste et in• lisme révolutionnaire. ternationale. Ceux-là ont rompu il y a quarante C'est ce que nous nous efforçons"de faire, mais ans avec Jouhaux et n'ont jamais eu de raison de il n'est pas toujours facile d'être complet. Rappe• modifier leur jugement. lons cependant que nous avons suivi les événe• Mais il faut bien admettre que notre camarade ments d'Indochine presque jour par jour, que Delsol, secrétaire d'une importante fédération syn• nous avons, dès le début, montré l'importance dicale, appelé à ce titre à rencontrer Jouhaux en des événements d'Afrique du Nord, que nous avons des circonstances très diverses, ne pouvait porter fourni des analyses .du plan Schuman et, depuis sur l'ancien président de Force Ouvière un juge• que celui-ci est entré en vigueur, de certaines de ment basé uniquement sur le désaccord - certes ses conséquences, que nous avons à maintes re• fondamental - qui nous a opposés à lui depuis le prises dénoncé l'erreur de la hausse des salaires début de la guerre de 1914-18. qui fait monter les prix, et décortiqué cette notion de la « productivité » dont on cherche Du camarade HENENSAL,des Côtes-du-Nord à recouvrir une exploitation accrue du proléta• riat ; nous avons exposé tout au long la grande Pas toujours d'accord avec t.ouzon, dont la russe• affaire de corruption Bectes ; nous avons dès le phobie est une vraie maladie. Ces pauvres Russes premier jour, alors que la grande presse faisait peuvent mettre tout ce qu'ils peuvent de bonne vo• encore un silence pudique sur elle, précisé les lonté et l'Amérique faire l'ogre, c'est quand même effets destructeurs de la bombe à hydrogène, les Russes qui ont tort. Nos camarades en devien• nous avons fait de la question du désarmement nent ridicules. Louzon n'a qu'à relire ses articles le test qui permettait de juger de la « volonté depuis la fin des hostilités pour sé rendre compte de paix » des uns et des autres ; nous avons de ses erreurs, mais ça ne l'empêchera pas de con• analysé, avant même la mort de Staline, Ia crise tinuer, et Haçnauer de même. qui l'accompagna; nous avons relaté en détail Inutile de dire que je ne suis pas du tout« russo• les événements de Berlin, et enfin, sur la C.E.D., phobe ». Mais ce que je suis, ce que je suis à fond, deux camarades au moins, dont un de langue irrémédiablement, c'est totalitarismophobe. Je hais allemande, ont donné leur avis et en ont indiqué le despotisme, en quelque pays qu'il règne, que ce· les raisons. soit en Russie, en Allemagne ou en France. Je ne Mais, évidemment ! il y a encore des trous, suis pas plus russophobe du fait que je combats telle la question des logements, et sans doute bien l'Etat stalinien que je ne l'étais quand je combat• d'autres. Nous chercherons à les combler. tais l'Etat czariste, ou que je n'étais germanophobe parce que j'étais anti-hitlérien, ou que je suis fran• D'une lettre d'un camarade tunisien de Tunis, cophobe (bien que des procureurs de la Républi• datée de deux jours avant le voyage de Mendès• que l'aient prétendu) parce que je combats le des• France : potisme français aux colonies. - R. L. Ça chauffe ici. Perquisitions par quartier, par rue, par impasse. Butin ? zéro. Mais des arrestations de « suspects », et tous les l'EXTERffllftATIOft D'Uft PEUPLE destouriens et tous les travailleurs, surtout les chô• meurs, sont des suspects. Le mossacre des Kikuyu du Kenya se poursuit, Dans le bled et dans les villes, le réseau policier avec lo bénédiction du pope et de l'archevêque de de renseignements est en pleine déroute. Colonna Cantorbery, à grande allure. Avec une magnifique - le « sënateur .» de Tunisie - lui-même s'en impudeur, chaque jour ou chaque semaine, on publie plaint dans un article de journal. Et c'est cela qui le tableau de chosse : enrage le plus ces messieurs du « Rassemblement - Durant la semaine finissant le 25 juillet, 19 français » ; ils se sentent abandonnés par leurs va• Kikuyu furent tués. lets ; cheikhs, inspecteurs et mouchards ne se sen• - Durant la semaine finissant le 1er août,· 101 tent plus à l'aise. Kikuyu furent tués. Que donnera Mendès-France t/ En tout cas, je - En un seul jour, le 6 août, les « forces de pense que le Quai d'Orsay est toujours le même. l'ordre » massacrèrent 21 Kikuyu. - Et le 9 août, 32. - Enfin, dans la semaine fi11issant le 15 août, Du camarade MOUGEOT (Haute-Marne) : 96 Kikuyu avaient été tués. Notre ami Auguste Mougeot, ouvrier plâJtrier de Cette exterminotion de tout un peuple est dans 76 ans, à Melay (Haute-Marne), vieil abonné de la l'ordre ; après l'avoir privé, en l'exproprtcnr de ses R.P. (depuis le premier numéro), n'est pas con• terres puisqu'il avait commis le crime d'hobiter des tent de l'article de Delsol sur Jouhaux. Il nous écrit à ce propos : plateaux où l'Européen . peut vivre, il faut bien le faire disparoître ! J'ai toujours lutté contre la guerre ; en 1926 j'ai Les Anglo-Saxons, qui sont peut-être le~ olus féro• [ait six mois de prison pour cela et je n'ai pas eu ces des Bloncs, car ils sont le type même de la race, le prix Nobel de la Paix. Depuis 1914 j'ai pris ont déjà fait disporaître totalement les indigènes de Jouhaux pour un saiauâ, aussi j'ai été stupéfait Tasmanie, réduit presque à rien ceux d'Australie et en lisant l'article de Delsoi sur la R.P. du mois de à fort peu de chose ceux d'Amérique du Nord, ils sont mai à propos de Jouhaux qui, lui, a été jusqu'au• maintenant en troin de faire disporaître ceux des boutiste pour la guerre 14-18 et qui a réussi à avoir hauts plateaux du Kenya. le prix Nobel, ce qui me fait voir que ce prix est Avoir déjà dépeuplé pendant trois siècles l'Af~ique fait pour récompenser tes traîtres. Oui Jouhaux a par la traite des Noirs ne suffit pas au Blanc ; il lut pu venir en aide d'une façon efficace en faveur de faut lo dépeupler encore par le massocre pur et sim• Lucie Colliard et autres, ce qui me prouve que le ple. la France de lo IV• République s'enorgueillit de gouvernement n'avait rien à refuser à ce renégat. ses 80.000 tués de Madagascar ; de combien de Ki• Nous comprenons parfaitement la réaction de no• kuyu tués s'enorgueillira finalement l'Angleterre tre ami Mougeot. Elle est celle de la plupart des churchillienne ? 10-218 Après quarante ans de guerres, d'après guerre et d'avant guerre LA PLAQUE TOURnAnTE DE .191q

Je publie aujourd'hui les observations et les réflexions que mra inspirées. le 40' aruü• versatre de la déclaration de guerre de 1914. Je n'ai pas la prétention d'avoir accompli une amvre d'historien. Ma documentation est assez légère et je suis obligé d.e travailler surtout sur des souvenirs. Je ne crains pas des rectifications. Au contraire, je les appelle. - Je renvoie d'ailleurs à la [in. de mon article. quelques notes complémentaires, pour éclairer les jeunes, encore mal informés sur cette lourde époque. Il me plaît de dédier ces pages à ceux qui ont orienté l'adolescent pacifiste par sentimentalité que j'étais en 1918. A Gilbert Raquier, qui me fit connaitre le Comité pour la reprise des relations internationales. A Marcel Hasfeld qui me mit en contact avec la vieille Vie Ouvrière. Et aussi à Pierre Monatte et à Alfred Rosmer qui furent nos guides pendant quarante ans, parce qu'ils étaient demeurés jermes sur la plaque .. tournante de 1914 . En septembre 1949, le dixième anniversaire de la re de 1914-1918 comme le terme de la formation déclaration de guerre de 1939 nous incitait à con• des nations et nationalités (2). fronter nos souvenirs aux leçons de l'expérience vé• Monatte reste convaincu que le reniement en cue pendant la guerre, l'occupation, la libération. 1914 du syndicalisme révolutionnaire de 1906 ex• Le quarantième anniversaire de la déclaration de plique dans une large mesure les défaillances,- les guerre d'août 1914 provoque une revue rétrospective défaites, les débâcles subies par la classe ouvrière plus riche et plus complexe, éclairée par des sou• pendant quarante ans. venirs beaucoup plus confus (1). Revenons donc à ce carrefour tragique, et cher• Cependant, pour notre génération 1914 reste la chons les causes et les raisons d'une orientation date 'décisive, le tournant essentiel. Que nous ayons dont .rious sµbissons toujours les effets. participé physiquement à la guerre, que nous ayons simplement livré au « diable » nôtre corps d'adoles• cent, nous méritons tous le terme par lequel nos l'ALIGNEMENT DE LA C.G.T. anciens nous qualifiaient sévèrement : « des nés ET DU PARTI SOCIALISTE DANS L'UNION SACREE ie la guerre ». Toute la révolte des jeunes héros campés par Au 2 août 1914, la nation semblait unanime. Remarque dans A l'Ouest, rien de nouveau tient Chacun prenait place dans l'Union sacrée. En quel• dans cette définition. Tout ce que nous avions ques jours toutes les oppositions, toutes les diver• cueilli dans Je jardin de nos pères et de nos maî• gences s'étaient anéanties. tres se dispersa au premier coup de canon. Nous On a fréquemment rappelé dans nos colonnes n'avions rien planté nous-mêmes. l'effondrement de la direction de la C.G.T. en Parmi les survivants de 1918, on pourrait facile• 1914. Le congrès confédéral extraordinaire de no• ment distinguer deux tendances fondamentales : vembre 1912 avait formulé le devoir individuel de celle des « démobilisés » revenant aux arbres, à la tout travailleur : « ne pas répondre à, l'ordre d'ap• maison, à la charrue, _à l'atelier, au mouvement pel », et l'objectif de l'organisation ouvrière : « pré• d'avant guerre ; celle des « libérés », que la guerre parer la grève générale révolutionnaire ». Formules avait émancipés civilement et socialement, qui totalement méprisées. « n'avaient pas de passé » selon le mot terrible du héros de Remarque. Peut-être trouverait-on dans (2) Ç'est là un problème qui appellerait un autre cette distinction primaire l'explication des succès débat. Pour Lauzon, le. guerre de 1914 apparaitrait du bolchevisme, du fascisme, de l'hitlérisme même? donc comme une nécessité historique. Cette consi• dération. et peut-être là défense de I'ortgtnalrtè du Sans doute les faits ne .pèsent-ils pas du même mouvement français contre l'étatisme germe.nique poids sur une génération « localisée dans le temps » expliquent q,u'll n'eut pas le. même position que et sur les facteurs· permanents de l'évolution hu• Mone.tte et Rosmer. N'oublions pas que Pierre Kro• maine. La tragédie d'une génération n'oriente pas potkine et Je.mes Guillaume - apôtres de l'anar• obligatoirement l'histoire. Celle-ci s'appuie sur chisme et du syndice.llsme - se prononcèrent égale• d'autres données pour porter 1914 sur une plaque ment pour la résistance à l'impérialisme allemand. de carrefour important, pour inaugurer le vingtiè• Un autre collaborateur de la vieille Vie Ouvrière, Al• bert Thierry, se battait ... pour le. culture classique me siècle par cette date décisivè. française. Lauzon dans l'Ere de l'impérialisme juge la guer- Mals Lauzon et Thierry payérent de lew· personne, ce Qui leur conférait le droit de ne pas penser com• (1) J'emprunte la plupart de mes citations que.nt me leurs amis. Ce qui peut paraitre répugnant, même à l'attitude de le. C.G.T. et du parti socialiste au avec le recul du temps, c'est le Jusqu'e.uboutisme livre de A. Rosmer : Le mouvement ouvrier pendant des « sursis d'appel » en. 1914, des « affectations 1~ guerre, dont l'intérêt capital n'a pas diminué. spéciales » en 1939.

11-219 Dans son manifeste du 2 août 1914, la C.G.T. ne les socialistes accompliront leur devoir pour la .Pa• pouvait que « déplorer le fait accompli ». Son or• trie, pour la République, pour la Révolution ». gane : la Bataille syndicaliste citait· le même jour · Sernbat tient le même langage et lance pour la le Bonnet Rouge qui avait annoncé -la veille « que première fois le slogan : « Nous voulons que cette le gouvernement renonçait à user du carnet B et guerre soit la dernière des guerres. » que si on voulait perpétrer AILLEURS le crime Guesde - « doctrinaire inflexible et loyal » - monstrueux contre l'humanité, tous les Français se rend chez le président Poincaré le 14 août et en sauraient· faire leur devoir ». sort - selon son interlocuteur - convaincu qu'on Le 4 août, aux obsèques de Jaurès, Jouhaux (3) ne fait pas· la guerre au peuple allemand et qu'il prononce ces paroles désormais historiques : «: A.u serait dangereux d'accepter un plébiscite en Alsace• nom de ceux qui partent et dont je suis, je déclare Lorraine. Le 28 août, Guesde et Sembat entrent au que ce n'est pas la haine du peuple allemand qui gouvernement. où Albert Thomas les rejoindra, au nous poussera sur les champs de bataille, c'est la bout de quelques mois. haine de l'impérialisme allemand. » Le 8 août. le Les leaders de l'extrême-gauche se rallièrent Comité. de Secours National réunissait aux côtés aussi facilement à l'Union .sacrée. Le parti ouvrier de Maurice Barrès, président de [a Ligue des Pa• de Jean Allemane disparut totalement et son fon• triotes, de Mlle Déroulède (sœur du fondateur de dateur mourut, politiquement, longtemps avant sa la Ligue des Patriotes), de Maurice Pujo (de l'Ac• fin de nonagénaire. tion Française), du représentant de l'archevêque de On sait comment l'antimilitariste forcené Gustave Paris - Jouhaux et Bled (secrétaire de l'Union des Hervé nettoya le « drapeau de Valmy » qu'il avait Syndicats de la Seine). - planté dans le fumier, tomba de la Guerre Sociale Le 30 août Jouhaux, avec l'autorisation de la ma• à la Victoire, joua le rôle d'agent provocateur con• jorité du Comité Cônfédéral (la Fédération des Mé• tre Caillaux et les « défaitistes » en 1917, et finit taux ayant protesté par l'organe de Lenoir) suit - méprisé de tous - sans avoir profité du règne le gouvernement à Bordeaux, où il sera nommé de Pétain qu'il avait annoncé et salué, quelques commissaire à la Nation. à titre personnel. années avant 1940.

Le parti socialiste français restait divisé en deux NAISSANCE DE .L'OPPOSITION A LA GUERRE grandes tendances : celle de Jaurès, pour qui le socialisme prolongeait et accomplissait la démo• Mais derrière cette façade d'unanimité, l'opposi• cratie ; celle de Jules Guesde, qui se réclamait de tion s'isolait dans un douloureux silence. La clair• l'orthodoxie marxiste et s'apparentait à la majorité voyance de ceux qui furent nos guides pendant. de la social-démocratie allemande dont Karl Kauts• l'entre-deux-guerres : Monatte, Rosmer, Marcel ky était le théoricien incontesté. Les deux vétérans Martinet, Amédée Dunois, a résisté dès les premiè• de la Commune, Edouard Vaillant. et Jean Alle• res heures au délire collectif, sans subir ni la loi mane, héritiers du blanquisme révolutionnaire, sui• « du mensonge triomphant qui passe », ni les sé• vaient des destins contraires. Le premier se neu• ductions du ralliement à l'Union sacrée, ni les pru• tralisait dans le parlementarisme. Le second, qui dents avertissements de la lâcheté. avait perdu en 1910 son siège de député, tentait Cette opposition foncièrement ouvrière, syndica• sans grand succès en 1914 de ressusciter le vieux liste et socialiste, se justifiait aussi bien par l'ob• parti ouvrier révolutionnaire qu'il avait mené à la jection de conscience collective : cette guerre n'est bataille dans les dernières années du XIX• siècle. pas la guerre de la classe ouvrière - que par la Cependant un congrès extraordinaire du parti fermeté doctrinale : i! s'agit du heurt prévu des socialiste avait été convoqué le 14 juillet 1914 - impérialismes et non d'une croisade pour la Liberté soit quinze jours .après l'attentat de Serajevo, pro• - et par la discussion sur les responsabilités im• drome de la guerre. médiates du conflit. Jaurès qui sentait le ·péril proposait, « comme Mais l'opposition de guerre ne demeura pas stric• particulièrement efficace pour prévenir et empêcher tement ouvrière. Un observateur obj.ectif, particu• la guerre, la grève générale ouvrièrl! simultanément lièrement sensible, aurait pu en 'déceler dès 1914 et internationalement organisée dans les pays inté• les motifs intellectuels et politiques .. ressés ». Le pacifisme pur ne se manifesta à l'origine que Jules Guesde s'y opposait. Ce serait désarmer le par des gestes isolés, sans retentissement, de quel• pays où l'organisation ouvrière serait la plus forte, ques irréductibles anarchistes réfractaires, tels Le• ce serait donc « un crime de haute trahison contre coin, Béranger, Faucier, Ruff. Il fallut les pre• le socialisme ». mières batailles, )es premières défaites, les lourdes Jaurès l'emportait, grâce au soutien de· Vaillant, pertes de Charleroi et des batailles de l'Est, pour peut-être aux interventions de Sembat et d'Albert que les sentiments humains percent la carapace de Thomas. l'état de siège et la peau de tambour du jusqu'au- Rien ne subsistait le 2 août 1914 de cette volon• boutisme. . té pacifiste et révolutionnaire. L'assassinat de Jau• Des femmes courageuses s'opposèrent aux ama• rès, le 31 Juillet, prend avec le recul du temps une zones de salons et aux « filles publiques auxquelles valeur déterminante. un drapeau tenait lieu de chemise » (4). Aux ins• Vaillant affirme « qu'en presence de l'agression titutrices que nous citions dans le dernier numéro ' de la R.P. (5), on pourrait ajouter quelques noms: (3) Des anciens ont reproché à Delsol l'objectivité de son article sur Jouhaux. D'autres nous ont repro• (4) L'expression est de Georges Chenneviére, poète, ché la virulence des propos de Monatte sur Jouhaux. ancien combattant, qut remplaça pendant quelque Peut-être ceux-ci comprendront-ils les raisons de nos temps Marcel Martinet à la direction littéraire de réserves sur Jouhaux, en lisant ces précisions histo• l'Humanité. riques. Reconnaissons que l'abdication de Jouhaux (5) Julia Bertrand fut « Internée » dans un camp en 1914 fut approuvée par la grande majorité du de concentration en 1914. Lucie oontard, alors ins• Comité confédéral - que son attitude de 1919 à titutrice savovarda à Saint-Gingolph, assura, avec un 1939 a toujours été approuvée par la majorité de la courage modeste, des Iiatsoris interfrontlères dont C.G.T. - que d'autre part, on a trop facilement l'une au moins en 1917 appartient à !'Histoire. concentré contre Jouhaux des colères qui, depuis Hélène Brion fut arrêtée et condamnée par un 1921, auraient dû frapper d'autres cibles. C'est tout conseil de guerre en 1918 avec sursis, peut-être parce ce que nous pouvons concéder aux défensem·s de la que ses amies, en particulier Marthe Bigot et Ma.r• mémoire du ... général. the Pichorel, surent « 'brgarnser » la solidarité des•

12-220 Madeleine Vernet (la fondatrice de l'Avenir Social l'Homme : Mathias Mohrardt, qui discuta les char• d'Epone), Nelly Roussel, Berthe Duchêne, Marcelle ges contre · les empires centraux avec la rigueur Capy, Jeanne Alexandre, Mme de Saint-Prix (fille dont Bernard Lazare et Jaurès avaient usé pour du président Emile Loubet, mère du poète libertaire réfuter les charges contre Dreyfus. On pourrait Jean de Saint-Prix emporté en 1918 par la tuber• citer aussi Ermenonville (Gustave Dupin), Georges culose à qui Marcel .Martinet consacra un admira• Demartial, le vieux _radical pacifiste Lucien Le ble article nécrologique), l'actrice Lara qui prome• Foyer et notre Michel Alexandre dont la vigilance nait dans les couloirs de la Comédie-Française, et la probité intellectuelle - qui nous furent si épinglée sur son corsage, une symbolique colombe, précieuses en 1938 et en 1939 - atteignirent la Séverine la vieille frondeuse, héritière de Jules haute sérénité de la sagesse antique lors des per• Vallès qui Iouettait les vieux bonzes de la Ligue sécutions raciales. des Droits de l'Homme de cette· apostrophe frémis• Cette revendication du Droit trouva naturelle• sante : « Nous parlons et d'autres meurent... ». ment un écho favorable dans le. personnel politi• Ce n'était pas là sentimentalité vague. C'était au que qui avait voulu Je rapprochement « franco• contraire la réaction du réalisme humain contre la allemand ». Joseph Caillaux en était le représen• légende dorée de la guerre. Le Feu de Barbusse tant Je plus remarquable et le plus illustre. En (publié d'abord en feuilleton dans l'Œuvre de Té• face, il y avait le parti de Ja, Reyanche, qui n'au• ry), témoignage vivant, bouleversa des consciences rait certes pas été nocif s'il n'avait compris que les que la haute protestation intellectuelle de Romain fidèles de la Ligue des Patriotes, les survivants du Rolland Au-dessus de la mêlée ne pouvait attein• boulangisme, rassemblés par Je clairon de Dérou• dre. Il faut encore se placer 'plus haut et plus loin lède, chantre puéril, souvent grotesque, toujours pour que le témoignage de Barbusse prenne sa sincère et pur. place - pas la première - à côté de ceux de Dor• Mais il y avait aussi « les politiques », d'autant gelès, de Duhamel, d'Andréas Latzko, d'Erik Maria plus dangereux que leurs manœuvres intérieures se Remarque - pour ne citer que les plus populaires prolongeaient en alliances extérieures. Le jacobin - tandis que l'attitude de Romain Rolland symbo• Clemenceau et Je Lorrain Poincaré, qui devaient lise l'éternelle révolte de l'humanisme contre la personnifier le [usqu'auboutisme de guerre, furent barbarie nationaliste. séparés jusqu'au delà de la mort par une haine que C'est cependant cette « réalité de la guerre » qui des incompatibilités personnelles ne suffisent pas élargit l'opposition pacifiste et l'enfonça .dans les à expliquer. masses du front et de J'arrière. Ces deux « grands patriotes » apparaissent, en , un des trois pèlerins de Kien• réalité, l'un comme l'homme du parti anglo-saxon, thal (6), lança à son retour, avec la collaboration l'autre comme l'homme du parti russe - avec cette de .Marcelle Capy, un hebdomadaire populaire - différence essentielle que chez le premier, c'était nettement pacifiste - la Vague dont le succès dans attachement mûri et solide qu'une longue 'retraite les tranchées inquiéta fort Je haut commandement. n'a pas affaibli, - chez l'autre, nécessité occasion• Aristide Briand a prétendu que son inspection nelle et provisoire. Seul des deux, l'auteur de la - en qualité de président du Conseil - des champs Mêlée sociale - si néfaste que fût son rôle - était de massacre de Verdun avait déterminé ses velléi• capable comme Caillaux de s'élever à une concep• tés pacifistes de 1917, et l'espèce « d'apostolat avor• tian du monde et de l'histoire, par delà les servi• té » qui, pendant J'entre-deux-guerres, Je mena de tudes de l'actualité et les mesquineries nationa• Genève à Locarno, Berlin et au seuil de l'Elysée. listes. Ce n'est pas invraisemblable. Parce qu'il n'était Poincaré appartenait au contraire à cette classe dominé par aucune idée solide, ce politicien de de politiciens d'où émergea, pour la honte de la grande classe était particulièrement sensible aux France, un Delcassé, gnome malfaisant, à qui son réactions humaines. Ce qui explique ses reniements, passage aux Affaires étrangères valut Je surnom de ses défaillances, ses « turlupinades » et aussi ses petit ... Con dorcet (en deux mots), anglophile au quelques impulsions généreuses. temps de Fachoda et des débuts de !'Entente cor• diale, qui faillit provoquer la guerre, lors de la conférence d'Algésiras, et que Poincaré envoya à LES RESPONSABILITES DE GUERRE Saint-Pétersbourg en janvier 1913 pour remplacer DEVANT LE DROIT ET LA POLITIQUE Je trop clairvoyant ambassadeur Georges Louis. C'est dans ce conflit entre deux tendances domi• Mais Je pacifisme dès 1914 se nourrissait d'autres nant la politique française de 1911 à 1914 qu'il im• concepts. porte de chercher la cause de l'Union sacrée, de Il prit très rapidement un aspect juridique, par l'unanimité de façade d'août 1914. Ja discussion sur les responsabilités de guerre. L'alignement de la France entière, l'anéantisse• Dès 1914, des intellectuels anglais et français - ment de toute opposition - au moins publique - groupés plus tard dans la « League of Democratic ne s'expliquent pas par un mouvement spontané contrai » et « la Société d'études dôcumentaires et et accidentel. C'est le résultat d'une machiavélique critiques sur la guerre », étudiaient les causes im• opération, le succès d'une des plus gigantesques médiates du déclenchement avec la passion scien• escroqueries morales dont l'histoire doit garder Je tifique des premiers dreyfusistes. C'est d'ailleurs souvenir. l'un des fondateurs de la Ligue des ' Droits de

institutrices syndicalistes... Marie Mayoux était en• LES MENSONGES TRIOMPHANTS core· en prison avec son mari à la fin de la guerre. C'est grâce à ces institutrices, à la tête desquelles , grâce aussi aux hommes comme Lo• Quelle fut. la thèse officielle en 1914 ? Consultez riot et Bouët que la Fédération des Syndicats d'ins• les journaux de l'époque. tituteurs constitua, avec la Fédération des Métaux, Le 28 juin 1914, un patriote serbe tue à Sarajevo, Je noyau de l'opposition syndicale. capitale de la Bosnie-Herzégovine,l'archiduc Fran• (6) La conférence internationale de Kienthal sui• çois-Ferdinand et sa femme. Manifestation sponta• vit à un an de distance celle de Zimmerwald. Trois députés socialistes : Pierre Brizon, Raffin-Dugens et née de !'irrédentisme serbe, protestation largement y représentaient la France. Ils fu• motivée contre l'annexion en 1908 de la Bosnie• rent les seuls avec Roux-Co,stadeau,socialiste dissi• Herzégovine par l'Autriche-Hongrie en violation dent, à voter contre les crédits de guerre dés 1916. des traités de Berlin de 1878. Le voyage officiel de

13-221 l'héritier de la couronne impériale pouvait être in• mobilisation même partielle - car on savait que terorété comme une véritable provocation. le plan franco-russe arrêté au cours d'entretiens Après une assez longue attente, prenant prétexte d'états-majors projetait de gagner du temps, afin du rassemblement de patriotes bosniaques sur le que soit accomplie la longue mise en place des ar• territolre serbe, le gouvernement de Vienne adres• mées russes. sa. le 23 juillet, un ultimatum au gouvernement serbe, qui l'accepta intégralement, sauf une clause 5° La mobilisation générale russe a non pas sui• Impliquant une enquête de la police autrichienne vi, mais précédé la mobilisation générale allemande. en territoire serbe. Vienne déclara la guerre et at• 6° La violation de la neutralité belge était pré• taqua Belgrade. Le gouvernement russe annonça visible et prévue. Sa probabilité était assez établie qu'il ne laisserait pas écraser la Serbie, nation sla• pour que Londres ait pu avertir préalablement Ber• ve. Le gouvernement allemand annonça qu'il sou• lin qu'il y avait là matière à « casus belli ». tiendrait son al!ié autrichien. Le gouvernement Cette discussion n'innocente pas les bellicistes des français annonça qu'il remplirait fidèlement les cours de Berlin et de Vienne - mais ceux-ci pou• obligations de l'alliance franco-russe. vaient s'illusionner sur les réactions des. puissances Le gouvernement anglais propose une médiation. antagonistes, et ils n'étaient pas seuls à agir sur Paris et Saint-Pétersbourg acceptent. Berlin refuse les gouvernemsnrs, allemand et autrichien. Tout et laisse toute initiative à Vienne qui consent à semble avoir été prémédité, du côté de la Triple une médiation n'impliquant pas la suspension des Entente, pour entretenir les illusions des bellicistes hostilités. Mais l'Allemagne mobilise, la Russie mo• de la Duplice et leur fournir des prétextes, pour bilise à son tour. L'Allemagne déclare la guerre à justifier la passivité des éléments modérateurs. la Russie. La France, qui a reculé ses , troupes à Des tracts pacifistes - qui ne furent pas plus dix kilomètres de la frontière franco-allemande, re• soumis à la censure que l'organe officié! de la Fé• jette un ultimatum allemand lui réclamant une af• dération des Métaux : l'Union des Métaux - por• firmation de neutralité, et décrète à son tour la tèrent pendant quatre ans ces vérités à travers des mobilisation générale. L'Allemagne déclare la guer• groupes de plus en plus denses. lls furent presque re à la France et pour tourner « la. barrière des tous rédigés, imprimés et diffusés par les éléments Vosges et de la Meuse » envahit la Belgique, dont syndicalistes et révolutionnaires. Ce furent en par• la neutralité avait été soienneHement garantie par ticulier les Lettres aux abonnés de la Vie Ouvriè• une convention internationale que le chancelier re (7), les publications du Comité pour la Reprise Bethmann-Hollweg traita de « chiffon de papier ». des Relations internationales fondé au lendemain La « loyale » Angleterre décidée à garantir la de la Conférence Interna.tiona)e de Zimmerwald. neutralité belge déclare la guerre à l'Allemagne. La Ncus avons déjà étudié dans la R.P. les consé• Triple Entente s'engage totalement, tandis que la quences de celle-ci. Ce serait une autre affaire que Triple Alliance: est amputée de l'Italie que la poli• de suivre l'évolution du mouvement pacifiste, de tique balkanique de l'Autriche inquiète quelque peu ses courants et ramifications, des tendances pure• et qui semb.e revenir à son amitié traditionnelle ment ouvrières et internationalistes qui le soutin• pour sa « grande sœur latine ». rent ou s'en dégagèrent. Si l'on fait abstraction de l'antithèse ouvrière et Ce qu'il faut examiner plus à loisir, c'est la ge• révolutionnaire, si l'on reste sur le terrain stricte• nèse de « l'opération de 1914 » dont le machiavé• ment national, une telle présentation des faits lisme implique la préméditation. pouvait légitimement .entrainer l'adhésion de tous, vaincre .les réticences, les hésitations, dissiper les POINCARE-LA-GUERRE ! méfiances. Seulement la vérité était bafouée, mutilée, dé• On aurait pu soupçonner la vérrté en 1914. De• formée. On pouvait ne pas en avoir la certitude en puis 1914, des témoignages difficilement récusables, août 1914, par manque d'informations. Ce qui n'est sortis des secrets des chancelleries ou des papiers pas excusable, c'est d'avoir (< marché », alors que d'hommes politiques, permettent d'établir la con• tout commandait au moins le doute. Ce qui nous viction : semble déconcertant, c'est que l'on hésite encore En pleine guerre, les documents belges publiés aujourd'hui à instruire une cause jugée depuis d'abord par les Allemands et en particulier les let• longtemps par tous les honnêtes gens du monde. tres du baron Guillaume, ambassadeur de Belgique Reprenons simplement tous les faits énumérés ci• à Paris ; dessus et discutons-les. Les Carnets de Georges Louis, ambassadeur de 1° Il est vrai que l'annexion de la Bosnie-Her• France à Saint-Pétersboui'g Iusqu'en janvier 1913 ; zégovine était contraire à l'esprit et à la lettre des Les archives impériales ouvertes par le gouverne• traités de Berlin. Mais E est également vrai qu'elle ment des Soviets dont on a tiré la matière du avait été acceptée par tous les grandes puissances, Livre Noir, publié en 1925 par la Librairie du Tra• par la France occupée à « coloniser » le Maroc, - vail ; par la Russie qui espérait une compensation du Enfin les Mémoires de Caillaux. II ne faut .pas côté des Détroits et de Constantinople. s'étonner du peu de retentissement de cet ouvrage 20 La visite de l'archiduc, loin d'être une provo• capital dont le tome III n'a été publié que cinq cation, se présentait sous le signe de l'apaisement. ans après la mort de son auteur, soit après la L'héritier impérial accordait une audience favora• « victoire » de 1945. ble aùx revendications des Slaves de l'empire. On Sans doute peut-on exprimer des réserves sur la a même soupçonné la police de Vienne et de Buda• sincérité, ou au moins sur l'objectivité de Caillaux. pest - aux mains d'éléments réactionnaires et féo• Mais le témoignage posthume de cet octogénaire daux - d'avoir été avertie de l'attentat et de n'a• garde en ses dernières pages la sérénité d'un tes• voir pris aucune mesure préventive. tament. Il est postérieur à ceux de Poincaré et de 30 L'attentat a été préparé en territoire serbe, par une organisation panslaviste, ouvertement pro• (7) C'est Alfred Rosmer qui en assuratt la pùbll• tégée par le gouvernement du roi Pierre de Serbie catlon. N'oublions pas que les premiers opposants - qui devait son trône à un coup d'Etat et à l'as• fw·ent syndicalistes, que le premier document im-: sassinat du couple royal précédent, perpétré dans portant fut la lettre de démission de Pierre Monatte des conditions ignobles. du Comité confédéral, en décembre 1914 ... qui valut à son auteur d'être versé dans le service acttr et en• 40 Pour que la médiation anglaise fût accepta• voyé au front. Cette lettre a été publiée dans la ble, il aurait faJlu que la Russie renonçât à toute « R.P. » en février 1951. 14-222 -- --~-.---~~--~------

Clemenceau que Caillaux a pu connaitre et réfu• du Conseil en 1912, à la présidence de la Répu• ter. Outre que dans la plupart des cas, ses révé• blique en janvier- 1913. lations confirment ce que l'on savait ou soupçon• nait déjà, il est remarquable que personne, parmi Le baron Guillaume avertit confidentiellement les amis ou les héritiers des politiciens mis en Je gouvernement belge que la chute de Caillaux cause, n'ait tenté une sérieuse contradiction. préparait une dangereuse évolution de la politique On pensera ce que l'on veut du personnage, française. Et le 16 janvier 1914, son message porte . grand bourgeois, d'un orgueil démesuré confinant comme une conclusion prophétique : « MM. Poin• à la mégalomanie, démagogue parfois très astu• caré, Delcassé, Millerand ont inventé et poursuivi cieux, ne dédaignant pas les moyens douteux, con• une politique nationaliste, cocardière et chauvine. servateur autoritaire hostile aux revendications J'y vois le plus grand péril qui menace aujourd'hui syndicales. Ce qui n'est pas discutable, c'est qu'il la paix de l'Europe. » a dominé - comme Clemenceau - un « destin Mais ce n'était pas une politique française, c'était hors série ». C'est qu'il a été incontestablement de une politique franco-russe, c'était la politique rus• 1911 à 1914 et à 1920, l'homme qu'il fallait abattre se poursuivie avec une diabolique persévérance par pour que la guerre passe et se prolonge. Isvolsky, l'ancien ministre des .Affaires étrangères De ses mémoires, le personnage de Poincaré sort du tsar, devenu ambassadeur à Paris. réduit au rôle de metteur en scène - médiocre Que représentait exactement ce principal· anima• intellectuellement et moralement - d'une tragédie teur des marionnettes de Paris et de Saint-Péters• dont il n'a même pas senti la grandeur et dont bourg ? Les historiens n'ont guère montré d'exces• ce politicien pusillanime et avocat retors n'a ja• sive curiosité à cet égard. Poincaré qui « le voyait mais tiré qu'une affaire à entreprendre et un dos• presque quotidiennement à Paris » a évidemment sier à plaider. ' profité de la mort de ce complice compromettant En 1911, Caillaux était au pouvoir. La France pour Je charger rétrospectivement. était engagée dans l'affaire du Maroc - c'est-à• Cette « canaille d'Isvolsky » - selon le mot de dire qu'elle y poursuivait une politique d'annexion Jaurès - se vantera à Bordeaux, en octobre 1914, contraire à l'esprit et à la lettre de la convention d'avoir réussi son entreprise et déclenché « sa » internationale d'AJgésiras qu'elle avait signée. Il guerre. ' n'est pas mauvais de rappeler à ce sujet les propos On a trouvé dans les archives russes la preuve accusateurs de Jaurès : que l'arrivée de Poincaré au pouvoir assurait à la Russie « non seulement le concours armé de la « J'ai été stupéfait à maintes reprises depuis des France, mais son assistance diplomatique la plus années de la facilité twec laquelle nous violions nos énergique et la plus efficace dans toutes les entre• engagements les plus formels ... Si uù autre peuple prises du gouvernement russe en faveur des Etats s'était conduit ainsi envers nous, s'il avait violé balkaniques ». aussi continûment et aussi cyniquement un traité Premier voyage de Poincaré à Saint-Pétersbourg qui le liait en nous liant, nous aurions débordé de en 1912. Résultat diplomatique : les guerres balka• l'indignation la plus véhémente. » niques se déclenchent. Serbie, Bulgarie, Roumanie, Jaurès justifiait ainsi la réaction de l'Allemagne, Grèce contre Turquie ; · Serbie, Roumanie et Grèce qui avait d'importants intérêts au Maroc et qui contre Bulgarie. réclamait la part promise en 1909 dans la coloni• Résultat militaire : le gouvernement français sation économique, c'est-à-dire dans l'exploitation sur l'injonction de l'état-major russe proposera de du Maroc. porter à 3 ans - au lieu de 2 - la durée du ser• Ce fut le coup d'Agadir, jugé à l'époque comme vice militaire. Je signe précurseur de la guerre. On sait comment Des gens de bonne foi ont cru que cette mesure Caillaux arrangea l'affaire, en cédant à l'Allema• répondait à un doublement plus ou moins secret gne - contre la pleine liberté d'agir au Maroc - des effectüs des troupes actives allemandes. Cail• des territoires du Congo, dont on envisageait l'ex• laux pense le contraire (9). ploitation par un consortium franco-allemand à Il suffit' d'ailleurs de lire l'Armée Nouvelle de cheval sur le Congo et Je Cameroun. Marcel Sem• Jaurès pour comprendre qu'il s'agit là d'un alibi bat dans Faites un roi, sinon faites la paix, pour l'état-majof français responsable de la défaite Jaurès dans des articles et des discours, Jules Ro• de Charleroi (comme la cinquième colonne a servi mains dans les Hommes de bonne volonté (8), d'alibi à l'état-major de 1939 coupable comme en Félicien Challaye dans une étude publiée dans la 1914 d'aveuglement et d'imprévoyance). R.P. en 1930 et düfusée en brochure spéciale, ont Jaurès pressentait une attaque massive par la décrit ou dénoncé la scandaleuse affaire de N'Goko Belgique et préconisait un système de « réserves Sangha, compagnie concessionnaire dont les pri• instruites » et l'organisation de la « nation ar• vilèges exorbitants permirent à André Tardieu mée». de prouver sa virtuosité politique et ses appétits de Mais on craignait les « civils » mobilisés et on requin. voulait surtout assurer une couverture suffisante pour tirer les armées allemandes vers l'Ouest, ce• Le traité de 1911 qui s'est révélé particulièrement pendant que se groupaient à l'Est les armées rus• avantageux pour la France -;- ce qui excita la co• ses « selon un plan rnil'itaire d'offensive et non de lère des pangermanistes et de fortes déceptions défensive » (déclarations de Soukhomlinoff, minis• dans tous les partis bourgeois allemands - pro• tre de la Guerre du tsar). voqua ici contre Caillaux une campagne de pres• Deuxième voyage de Poincaré en Russie en juil• se alimentée sans doute par la N'Goko Sangha et let 1914, dont Georges Louis, ancien ambassadeur par les fonds russes, qui se prolongea en une de France à Saint-Pétersbourg, disait en mai 1914 : manœuvre parlementaire de Clemenceau et porta Il en sortira la guerre. finalement Poincaré au pouvoir, à la présidence On est, en effet, dans la période décisive, alors que l'on attend les réactions autrichiennes, au len• (8) La relation des affaires est assez exacte. Mais demain de l'attentat de Serajevo. n semble que la fumisterie de Jules Romains y apparait, en ce Poincaré ait eu pour objectif d'accélérer le pro• qu'il mêle des personnages réels à des personnages cessus, de prévenir toute tentative d'apaisement, inventés, dont l'un occupe au Quai d'Orsay la place du médiocre De Selves. Refaire l'histoire... selon ses Idées, c'est bien dans la manière d'un Knock... qui (9) ILrapportè à ce sujet dans ses « Mémoires » s'est pris au sérieux. une confidence de Piou. le chef du parti catholique.

15-223 de « remonter » les maîtres de la Russie. Selon ·des Caillaux rapporte encore des confidences de témoins, c'est lui qui parlera un langage de sou• Malvy, ministre de l'Intérieur, de Messimy, minis• verain, beaucoup plus ferme que celui du tsar. II tre .de la Guerre, dans Je gouvernement de 1914, ira même ..:_ contrairement à tous les usages - qui établissent que l'intervention de Poincaré fut jusqu'à apostropher le représentant de l'Autriche, décisive pour « approuver la mobilisation. · russe, au cours d'une réception officielle. _ sans consultation de i'Ançteterre » et briser bru• Une telle démarche, à un tel moment, n'a pas un talement avec l'ambassadeur d'Allemagne, en pré• siinple caractère symbolique. Et à Paris, une foule conisant même « la provocation d'incidents de nationaliste, dont le rassemblement ne semble pas frontière ». spontané, salue à son retour le président, de ces Emile Ludwig a écrit « qu'il n'existait aucune né- deux cris qui se complètent et se confondent : cessité tragique en 1914 ». - « Vive Poincaré ! Vive la guerre ! » Il paraît invraisemblable qu'un petit bonhomme Est-ce l'événement qui inspira l'homme ou l'hom• comme Poincaré ait ainsi forcé le destin. Et cepen• me qui ·détermina l'événement ? dant, en cédant la place à son successeur, le pré• - Le limogeage de Georges Louis, préparé dès sident Fallières confiait à Briand : « Je crains bien 1912, s'était accompli quelques jours après l'entrée que la guerre n'entre derrière moi à l'Elysée ». de Poincaré à l'Elysée. Le circuit était fermé, d'Is• volsky à Poincaré et à Delcassé; successeur de Geor• ges Louis. En 1914, Poincaré déclara à Ernest Ju• LA FINANCE FRANÇAISE CONTRE det, directeur de l'Eclair - à qui son amitié pour Georges Louis vaudra des poursuites judiciaires LE PEUPLE RUSSE pendant la guerre - que « tout va bien avec Is• volsky. Les troupes russes sont merveilleusement Il serait évidemment quelque peu puéril de entraînées. La force russe est en plein développe• chercher uniquement les causes - même immé• ment. Dans deux ans, la guerre aura lieu, tout mon diates - de la guerre dans les secrets des chan• effort va tenter à nous préparer ». celleries et les intrigues politiques. En réalité la revendication de Constantinople appartient à l'héritage des - tsars. Depuis Pierre le Et cependant l'échéance fut anticipée. Est-ce par Grand, les Romanov ont été animés par cette né- . la volonté allemande, conforme à une prédiction cessité « impériale » des ouvertures sur la Baltique de Marcel Sembat : « la pensée de se défendre peut et sur la Méditerranée. La protection des peuples conduire à attaquer » ? slaves des Balkans et de l'Europe centrale n'avait Ou bien, a-t-on craint le développement des op• pas d'autre motif. Ce fut la résistance persévérante positions françaises, anglaises et russes ? de l'Angleterre qui pendant tout le XIX• siècle Poincaré a certainement voulu abattre Caillaux, empêcha la réalisation de ce projet, soit par l'in• revenu au pouvoir au début de 1914, dans un gou• tervention militaire (guerre de Crimée en 1855), vernement Doumergue. soit par l'action diplomatique (congrès de Vienne On peut, à juste titre, le soupçonner d'être à de 1814 et 1815, congrès de Berlin de 1878). l'origine de deux affaires montées contre Caillaux : Qu'Isvolsky ait servi cette politique n'est pas ex• le réveil de l'affaire Rochette (qui ressemble assez traordinaire. En promettant Constantinople à la à l'affaire Hanau en ce qu'elle abattit un financier Russie, au nom de Poincaré, Delcassé agissait cer• entreprenant, échappant au contrôle des grandes tainement à l'insu de l'Angleterre. Celle-ci dut banques> ; la publication aans le rtçaro ae lettres consentir cependant, au cours de la guerre, à des intimes de Caillaux, qui aboutit au meurtre de accords secrets par lesquels la Russie et... l'Italie Calmette, directeur du Figaro, par Mme Caillaux. se partagèrent les dépouilles de l'Autriche et de la Mais un politicien comme Poincaré ne pouvait Turquie. La Révolution russe de 1917 annula ces ac• apprécier l'importance du mouvement populaire cords. contre « les trois ans » déclenché par l'ardente Mais la politique de Poincaré relevait de motifs campagne de la C.G.T. et l'action parlementaire de beaucoup plus sordides. Elle représentait simple• Jaurès et des socialistes. ment les intérêts des capitalistes français - colo• Les élections de mai 1914 permettent d'en mesu• nisateurs financiers de la Russie - en même rer les effets. La majorité est foncièrement anti• temps d'ailleurs que les intérêts des « maitres de ~ troisanniste, antipoincaz'iste. Pour la première fois, forges » de l'Est attirés par Je charbon de la Sarre cent députés socialistes entrent à la Chambre, qui et de la Ruhr. renverse le jour de sa présentation le ministère Le terme de colonisation est-il excessif ? En Ribot formé par Poincaré. 1900 on évaluait à un peu plus de 7 milliards de .J Il n'y a donc plus de temps à perdre. Les intri• roubles le total des capitaux étrangers prêtés à gues pour dissocier la majorité ne suffisent pas. l'Etat russe ou placés dans les industries russes - L'attentat de Sarajevo n'a pas produit le choc es• sur lesquels 4.400 millions de France et 1.920 mil• compté. lions d'Allemagne. Un homme a compris Je jeu. C'est Jaurès. Son En 1912 la France possédait 7 milliards de rou• dernier discours en France, prononcé à Lyon• bles de valeurs russes. En 1914, quelques mois avant Vaise (10) le 25 juillet 1914, énumère toutes les la guerre, on émettait en France un emprunt de causes du conflit avec une clairvoyance que I'ave- l'Etat russe de 2 milliards et demi de francs, soit ~ nir justifiera pleinement, et qui condamne l'aveu• approximativement 1 milliard de roubles. 500 mil• glement volontaire de ceux « qui ne furent que ses lions de francs étaient souscrits la même année restes ». soit environ 150 milliards en francs 1954. Son assassinat le 31 juillet 1914 n'a jamais été Il est bon de noter que la dette de Ja Russie à la jugé sérieusement. Au procès de son assassin Raoul , France se répartissait en 4.520 millions d'emprunts Villain, ouvert en 1919, on n'a pas osé poser la extérieurs et intérieurs de l'Etat 160 millions pour question des motifs et des inspirateurs. Selon Cail• les gouve1nements régionaux et- '1.900 millions pour laux, le procureur général Lescouvé aurait fait dis• les industries. paraître du dossier des aveux de Villain prouvant L'alliance franco-russe pouvait donc légitimement un dessein intelligemment prémédité. être symbolisée par deux drapeaux plantés sur un coffre-fort. ( 10) Le texte en a été publié en tract pendant la Seulement si la France était la principale com• gueure. On le trouvera dans le « Jaurès » de Ch. manditaire de l'Etat russe, elle ne jouait pas le Ra.ppoport. principal rôle dans l'économie russe. L'industrialisation de la Russie fut principale• . Il est des cadavres qu'il faut tirer de leur pan• ment l'œuvre des capitaux étrangers. Elle avait été théon. C'était une honte pour la France qu'un menée à la fin du XIX• siècle à 'un rythme dont Poincaré eût pu jouer de 1912 'à 1914 son rôle la rapidité se mesure à la croissance des cornpa- efficace et néfaste - honte accrue, par le retour . gnies étrangères d'exploitation industrielle : 16 en de Poincaré au pouvoir de 1922 à 1924, de 1926 à 1890 et 573 en 1913 contre 774 compagnies à ca• 1930, alors que l'on connaissait ses antécédents. · pital en majorité russe. Mais la moyenne des ca• Qu'il ait accepté ou voulu la guerre, c'est un pitaux-actions s'~tabli~ait à 1.736.000 roubles pour crime pour nous, mais !'Histoire n'a cure de nos les compagnies étrangères, contre 1.222.000 roubles réactions humaines. Qu'il ait associé la France à pour les compagnies russes. un pays où Ïe défaitisme est apparu, non comme Le capital étranger - exclusivement européen - une construction doctrinale, mais comme un ·phé• dominait dans la métallurgie, les charbonnages, les nomène normal (car si des agents ennemis influen• tissages. çaient les plans de l'état-major russe - les plus Dans le bassin du Donetz en 1900, on comptait clairvoyants partisans de !'Entente ont salué avec 17 aciéries dont 2 seulement, étaient russes, les 15 soulagement la défaite de l'Etat tsariste dont ils autres étaient exclusivement étrangères ou à pré• escomptaient lé renforcement de l'alliance avec les dominance étrangère. 45 pour cent du pétrole et démocraties occidentales)... c'est là pour un hom• des sous-prodt:its tirés du bassin de Bakou étaient me d'Etat la pire des trahisons - et pour le peu• extraits, raffinés et exportés par 5 grandes socié• ple qui continue à l'honorer, par delà la tombe, tés étrangères. un signe de décadence et de déchéance. Les capitaux anglais, puis français et belges ex- ploitaient la région du Donetz. , Roger HAGNAUER. (à suivre) Des capitaux anglais et suédois dominaient dans l'industrie du pétrole de Bakou. Les capitaux allemands exploitaient les mines de métallurgie de Pologne. Au XIX• siècle, c'est un Allemand qui avait créé 122 tissages dans les ré• gions de Pétersbourg et de Moscou., seulement cette colonisation économique de la Solidarité Russie par l'Allemagne se révélait particulièrement efficace et rentable. Dans la seconde moitié du XIX0 siècle, les échan• internationale ... ges de la Russie avec l'Allemagne augmentèrent selon le rapport de 11 et demi - tandis que ceux Nous ne sommes pas de ceux qui prouvent la su- de la Russie avec la France triplaient à peine. 1)ériorité du syndicalisme français non par des ac• Si l'on examine la progression des importations tes, mais par des sarcasmes visant la « rentabilité » en Russie, la comparaison est encore plus saisis• du syndicalisme anglo-saxon. sante. Les exportations allemandes en forment 35,a Le labourisme britannique a prouvé sa solidité et pour cent pour la période 1901-1905 ; 39,5 % pour son efficacité, que des expériences gouvernemen• la période 1906-1910 ; 42 % en 1911 ; 50 % en tales discutables n'ont guère amoindries. 1912 ; 52,7 % en 1913 - tandis que la part de la Mais son « internationalisme » est quelque peu France monte de 4,3 % en 1901 à 5,3 % en 1912 fragile. Et son action - sur le plan mondial - pour retomber à 4,6 % en 1913. reste tro:P souvent soumise aux intérêts du Com• Les exportations russes en Allemagne de 1908 3 monwealth. 1913 278,9 à 452,6 montent de millions de roubles En 1925, la délégation travailliste à Moscou con• _ tandis que les exportations russes en France duite par Walter Citrine prépara le traité anglo• de 64,6 millions de roubles en 1908 n'atteignaient russe, favorable à des intérêts impériaux quelque que 100,8 millions en 1913. peu dérangés par la guerre de 1914-1918. Elle revint C'est-à-dire selon la thèse de Georges Alexinsky avec un « rapport » sur les Soviets, où le bourrage (député de gauche à la Douma), qui publia au de crânes fleurissait parmi d'évangéliques naïve• début de la guerre un livre fortement « entento• tés. phile » auquel nous empruntons la plupart de nos données numériques, « que l'Allemagne était en L'histoire recommence. Attlee et Bevan, à l'escale passe de monopoliser le marché russe à son pro• de Moscou, ont été triom/piuüement accueillis par Malenkov et ses lieutenants. fit ». Poincaré représentait la France des grandes ban• Préparer la résurrection de la puissance anglajse ques, liée non au peuple russe, mais à l'Etat tsa• en espérant que la classe ouvrière en profitera ... riste, dont la survivance dépendait d'une bureau• c'est normal, sinon ambitieux. cratie, d'une police et d'une armée minées par la Mais en gentlemen recevoir les compliments des corruption, les intrigues de cour et les révoltes de bureaucrates et des bourreaux de Moscou, et ne pas clans dont la base économique et sociale s'amin• entendre les plaintes des peuples opprimés et les cissait chaque jour, qui avait levé contre lui tou• appels des syndicalistes, socialistes, libertaires, tes les forces saines du pays : aussi bien la classe communistes qui crèvent dans les camps de con• ouvrière (fortement concentrée dès son apparition) centration ... c'est beaucoup plus moche. que Ja bourgeoisie industrielle embryonnaire e~ la Si chatouilleuse lorsqu'un sans-galon s'adresse à « classe des intellectuels ». La guerre allait tirer elle, la C.I.S.L. rappeüera-t-elle à l'ordre les ga• les moujiks de leur passivité. La figure romanes• lonnés britanniques ? Car il y a un précédent. Déat, que du moine tha~m~t1;1rgee~ vicieux Rasp?~tine Zoretti, Albertini, Dumoulin étaient peut-être de s'accroche aujourd hm a la legende du pacifisme bonne foi, lorsqu'ils parlaient de reconnaître la paysan. puissance hitlérienne et sacrifiaient ainsi les anti• L'influence économique allemande semblait au hitlériens allemands et tesrësistamts des pays occu• contraire imposée par des nécessités naturelles. Et pés. Par souci de ménager la puissance et le mar• l'influence politique allemande s'exerçait par la ché soviétiques, Attlee et Bevan sacrifient délibéré• corruption de ministres du tsar, dont ce fameux ment les proscrits de Russie et des démocraties po• Soukhomlinoff, ministre de la Guerre, champion pulaires. Il est vrai que nous ne connaissons pas les de l'offensive. toasts échangés aux festins de Moscou. - R. H.

17-225 Notes d'Ecor,omie et de Politique

par les Chinois de ce qui est aujourd'hui la Chi• POLITIQUE ne du Sud, occupent le Tonkin, alors que ce n'est qu'au XV• siècle de notre ère que, par la destruc• tion de l'Etat autochtone du Tchampa, ils devien• DEUX VICTOIRES,DEUX ECHECS nent les maîtres de la côte d'Annam, et qu'au ET UN POINT D'INTERROGATION XVII' siècle qu'ils s'emparent de la Cochinchine sur les Cambodgiens. Une occupation qui. dans La grande bataille, qui est l'une des caracté• le Nord, est donc plusieurs fois millénaire, alors ristiques de ce milieu du XX• siècle, entre les qu'elle n'a même pas trois siècles dans le Sud, peuples colonisés et les Etats colonisants, vient a tout naturellement fait du delta du fleuve Rou• d'enregistrer en ces derniers mois, presque si• qe un territoire beaucoup plus purement anna• multanément, deux victoires des colonisés et deux mite que ne·l'est celui du Mékong. Et cela d'au• victoires des colonisateurs ; en outre, en 'un cin• tant plus qu'il ne s'agit pas seulement ici de quième point, la bataille connaît une suspension peuples, mais de civilisations, les Annamites d'armes qui fait bien augurer de son issue. ayant été tout pénétrés de la civilisation chinoise, C'est en Indochine et en Egypte que les colo• alors que les anciens occupants de la Cochinchi• nisateurs ont dû s'avouer vaincus ; c'est au Gua• ne, les Cambodgiens, et même les Tchams du temala et en Iran qu'ils ont, au contraire, conso• Tchampa, avaient au contraire reçu leur civili• lidé leur domination, cependant qu'en Tunisie sation de l'Inde. Car l'Indochine mérite tout à nous nous trouvons en présence d'un point d'in• fait son nom ; c'est chez elle que vinrent se terrogation. Ailleurs, au Maroc, au Kenya, la ba• heurter, par expansion graduelle, les deux gran• taille continue à battre son plein. des civilisations de l'Asie, celle de la Chine et celle de l'Inde. Et si la ligne sur laquelle elles *** s'affrontent aujourd'hui est la frontière du Viet• nam et du Cambodge, cette ligne passa durant En Indochine, une guerre dont le résultai, pour des milliers d'années à travers ce qui est au• nous, n'avait jamais fait de doute, vient de se jourd'hui le Viet-nam, se déplaçant par bonds clore par un armistice qui consacre la défaite successifs du Nord au Sud au fur et à mesure de l'armée francaise. La France est ramenée à de la progression de la colonisation annamite. peu près sur ses positions d'il y a 90 ans, alors qu'elle s'était déjà emparé, sous le Second Em• ' Cependant, ces facteurs historiques semblent pire, de la Cochinchine, mais n'avait pas encore être de peu de poids aujourd'hui. Les anciens pris pied au Tonkin, ce qu'elle ne devait faire occupants du Viet-nam du Sud ont été à peu près que sous la Troisième République, une quinzaine complètement éliminés ou assimilés, si ce n'est d'années plus tard. dans l'extrême ouest de la Cochinchine où les Les deux questions qui se posent désormais ethnologues signalent encore la présence de sont les suivantes : Cambodgiens mêlés aux Annamites. D'autre part, 1) la division du Viet-nam en Viet-nam du le bouddhisme, bien que venu dans le Sud, pres• Nord' et Viet-narn du Sud n'est-elle que passa• que directement de l'Inde, par Ceylan et la Bir• gère, ou sera-t-elle amenée à se stabiliser ? manie, alors qu'il n'est parvenu dans le Sud que 2) Le nouveau Viet-nam sera-t-il réellement par le grand détour de la Chine, ce qui l'a altéré indépendant, ou bien le colonisateur n'aura-t-il davantage, a revêtu néanmoins toute l'Indochine fait que changer de nom ? La France aura-t-elle d'un manteau culturel à peu près uniforme. . seulement cédé la place à la Chine et à la Rus• Mais, et c'est là l'essentiel, les Cochinchinois sie ? sont des « méridionaux », tandis que les Tonki• Essayons, non point de répondre définitivement nois sont des " septentrionaux ». Les premiers à ces deux interrogations, mais de rappeler sim• représentent l'homme type du Midi, nonchalants plement quelques faits qui peuvent aider à voir et se laissant vivre, tandis que les seconds sont comment les choses se présentent. typiques de l'homme du Nord, actifs, vigoureux, courageux, toujours portés par leur tempérament à « en mettre un coup ». C'est sans aucun doute Il existe, sans aucun doute, un Viet-nam du à cette différence de caractère qu'il faut attribuer Nord et un Viet-nom du Sud. Le Tonkin et la Co• le fait que le Viet-rninh fut toujours beaùcoup chinchine ne sont pas identiques (je ne parle moins fort dans le Midi que dans le Nord. Les pas de !'Annam proprement dit qui n'est qu'un Cochinchinois désirent sûrement, autant que les pont étroit jeté entre les deux régions qui comp• Tonkinois, se libérer du joug de la France, mais tent). ils étaient moins prêts à accepter les sacrifices Màlgré l'identité de leur cadre géographique que l'opération exigeait. (dans les deux cas un delta, celui du fleuve Cependant, cette différence est-elle telle qu'elle Rouge au Tonkin, celui du Mékong en Cochin• puisse entraîner une séparation politique défini• chine) et malgré l'identité de leur culture et de tive entre les deux régions ? leur mode de culture (riz obtenu par irrigation), Il ne le semble point. La progression des Anna• Tonkin et Cochinchine ne sont pas absolument mites vers le Sud ayant duré quelque deux mille semblables, non seulement du fait que mille ki• ans a, par sa lenteur même, du fait de l'assimi• lomètres les séparent, non seulement du fait que lation profonde qu'elle a eu le temps de réaliser, leur passé est différent, mais surtout parce que créé le sentiment d'une unité nationale, d'une le Tonkin c'est « le Nord » et que la Cochinchine unité ethnique qui ne peut pas être rompue sim• c'est « le Midi ». plement par une différence de tempérament ou Depuis bien avant les débuts de l'ère chré• par les termes d'un armistice ! tienne, les Annamites, qui avaient été refoulés D'autre part, bien que possédant une base éco· 18-226 nomique identique, la culture du riz, les deux de Chinois, telles Cholon en Cochinchine ou Sin• régions n'en sont pas moins quelque peu com• gapour en Malaisie. plémentaires. Le Nord, en effet, possède une in• Que, portée par son élan, la Russie veuille élar• dustrie : il a du charbon dans le delta, et certains gir encore la sphère de sa domination politique, minerais dans le haut pays ; il y existe d'impor• que la Chine veuille consolider par une emprise tantes distilleries, des scieries, des filatures. De politique les situations économiques occupées au sorte que, malgré sa forte production de riz, le dehors par ses nationaux, voilà ce qui les ras• Tonkin doit importer du riz de la Cochinchine, et semble ! C'est à la fois la raison d'être de leur plus il s'industrialisera et plus il lui faudra en régime économico-politique, qui est un régime importer ; c'est là un lien qui .n'est pas négligea• convenant remarquablement à la conquête, et ble. l'explication de leur alliance politico-militaire La France, au bout de quinze ans d'occupation conclue contre les Etats à conquérir. Alliance de de la Cochinchine, a cru nécessaire d'occuper le grands fauves ! Tonkin ; il est à présumer qu'il faudra encore· Il va de soi que la situation du Viet-nam n'est moins de temps pour que l'unité politique des nullement comparable. Le Viet-nam n'a et ne deux deltas soit à nouveau réalisée, mais, cette peut avoir, étant donné ses dimensions en tous fois, sous le signe de l'indépendance- domaines, aucune visée expansionniste. Il ren• tre, au contraire, dans la catégorie des Etats qui ont à craindre l'expansion de leurs puissants voi• En ce qui concerne la seconde question : le sins. Si le Viet-nam a demandé aide à Moscou Viet-nam deviendra-t-il un pays réellement indé• et à Pékin, c'est parce que cette aide lui était in• pendant ou prondrc-t-il place parmi les satellites dispensable pour obtenir son indépendance, mais de l'autre côté du rideau de fer - on ne peut non pour réaliser des conquêtes- A ce point de être encore que moins affirmatif, car la réponse vue, la situation du Viet-nam est assez analogue que l'avenir apportera ne dépend pas seulement à celle de la Yougoslavie qui, pas plus que le des conditions Ioccles. mais aussi, et surtout, des Viet-nam, n'a et ne peut avoir de visées expan• événements internationaux. Entre autres, de la sionnistes (1). La -Yougoslavie s'est servie des politique plus ou moins « intelligente » de l'Amé• Russes 'pour se délivrer des Allemands comme rique. Si l'on continue à jeter les nationalistes le Viet-nam s'est servi des Chinois pour se dé-' vielnamiens dans les bras de Moscou, comme barrasser des Français, mais cela n'implique pas la France l'a fait durant huit ans, en les obligeant le maintien, au delà du temps qu'exige la poli• à'chercher à l'extérieur un appui contre le colo• tesse à l'é:gard de gens qui vous ont rendu ser• nialisme occidental, il va sans dire que l'Etat vice, d'une 'union que la poursuite d'aucun but vietnamien n'aura d'autre choix que celui de se commun ne réclame et qui est, au contraire, in• faire le vassal de Moscou et de Pékin. compatible avec l'opposition des buts. Mais s'il n'en est pas ainsi, les perspectives me Je ne veux certes pas affirmer par là qu'Ho paraissent assez encourageantes. Chi-minh deviendra nécessairement un Tito, je Notons d'abord un élément psychologique qui, veux simplement noter qu'il y a un trait de struc• comme tous les facteurs psychologiques, ne sau• ture comparable dans les conditions où se trou• rait être déterminant, mais qui a cependant son vent les deux pays et que, par conséquent, si importance. d'autres facteurs plus puissants n'interviennent L'Annamite est le voisin du Chinois ; les An• pas, il peut en .résulter des événements sembla• namites, et tout particulièrement ceux du Ton• bles. kin, ont été longtemps et à plusieurs reprises sous *** la domination des Chinois ; dans ce pays agri• cole, les immigrants chinois, très nombreux, ne Au lendemain du massacre des volontaires sont pas des cultivateurs, mais des commerçants égyptiens en leur caserne d'Ismaïlia par les ca• et des intermédiaires de toutes sortes, donc, aux nons des Centurions britanniques, nous écrivions yeux du paysan annamite, des parasites et des que ce massacre rappelait celui d'Amritsar aux exploiteurs. Trois raisons pour que l' Annamite Indes au lendemain de la première guerre mon• « n'aime pas le Chinois » ; il s'en méfie et il en dial'e, e! que, pas plus qu'Amritsar n'avait em• a peur. Or comme la domination de Moscou sur pêché, la libération de l'Inde, Ismaïlia n' empê• Hanoï ne pourrait sans doute s'instituer que par cherait le départ des troupes anglaises de Suez. l'intermédiaire de Pékin, cette domination rencon• La seule différence était qu'entre le massacre et trerait certainement une répulsion instinctive, sen• la victoire des massacrés il s'écoulerait, cette timentale. passionnelle, dont il faudrait de fortes fois, beaucoup moins de temps. « raisons » pour qu'on puisse en triompher. Or, en effet, tandis que plus de vingt années En second lieu, et c'est là, à mon sens, le point eurent à s'écouler entre le massacre d'Amritsar décisif, il ne faut pas oublier que le vèritable et la proclamation de l'indépendance de l'Inde, motif pour lequel la Russie et la Chine ont insti• il ne se sera guère passé que le cinquième de ce tué chez elles leur Etat monolithique, leur ccrpi- temps entre le massacre d'Ismaïlia et le moment 1alisme d'Etat et leur idéologie dite « communis• où le dernier soldat britannique quittera le sol te », se trouve dans la capacité d'expansion de égyptien. leurs peuples. Les Russes et les Chinois crèvent, Cet abandon de Suez par les Anglais est un pour des motifs divers, à l'intérieur de leurs fron• événement capital. Il marque le point final à la tières ; ils éprouvent un besoin incoercible de libération de l'Asie. ·s'étendre au dehors. Ce qui n'était, il y a encore Répondant au discours de réception de Ferdi• peu de temps, que le Grand-Duché de Moscou nand de Lesseps à l'Académie française, Renan est devenu en deux siècles et demi un immense· lui disait : « En perçant l'isthme de Suez, vous ,empire couvrant tout le nord et l'ouest de l'Asie avez marqué l'emplacement des grandes batail• -et atteignant le centre de l'Europe. A l'extension les de l'avenir ». de 1a domination politig:ue de la Russie a corres• pondu une extension demographique comparable des Chinois. Au cours des derniers siècles l'im• (1) Des rectifications de frontières du côté de migration chinoise a recouvert tous les pays du l'Italie, de la Grèce ou de quelque autre voisin ne .Sud-Est asiatique, faisant de villes situées à mille sont pas de l' « expansionnisme » au sens où il kilomètres ou plus des frontières de la Chine des faut entendre ce mot quand on parle de la Russie cqclomérœtions presque exclusivement peuplées ou de la Chine. 19-227 A l'âge de la guerre atomique, les batailles ne ment précédent, à rompre ces rekrtions par la se livrent généralement pas sur l'emplacement ferme et fière déclaration que voici : des lieux qui sont à conquérir; il n'est donc pas particulièrement probable que la prophétie de Une fois de plus nous avons assisté au triom• Renan se réalise, que Suez soit le théâtre de phe de la tactique totalitaire qui consiste à grandes batailles, mais Suez en constituera, né• renverser les gouvernements légitimes au anmoins, l'un des plus gros enjeux. moyen d'une rébellion factieuse déclenchée Car le canal de Suez fait communiquer deux d'un pays voisin avec l'aide et au service de continents, l'Europe et l'Asie ; il est, par là, sus• puissants intérêts étrangers. ceptible d'assurer à celui qui l'occupe la maîtrise Restant fidèle à ces principes de la civilisa• et de l'Europe et de l'Asie. tion occidentale qui sont aussi cyniquement L'occupation de Suez par les Britanniques était invoqués que méconnus dans la pratique par à la fois le symbole et la garantie de la préémi• ceux qui devraient en être les plus fidèles dé• nence de l'Angleterre en Europe, et de la demi• fenseurs, le gouvernement républicain espa• . nation de l'Europe en Asie. La Libération de l'Asie gnol déclare au nom de son peuple héroïque, a pour corollaire nécessaire la libération de Suez. une fois de plus implacablement sacrifié, qu'il Il est significatif que c'est presque au même mo• n'admet ni ne reconnaît la légitimité d'aucuns ment que l'Europe, par l'accord de Genève, aban• autres pouvoirs que ceux qui émanent de la donnait virtuellement le seul territoire important volonté de peuples indépendants et qui res• qui lui restait en Asie, que l'Angleterre s'enga• pectent les droits de la personne humaine. geait à quitter Suez. Cessant d'espérer de pou• Etant donné que la Junte factieuse du Gua• voir dominer i'Asie, l'Europe n'a que faire dé• temala ne satisfait pas à ces conditions, le sormais de monter la garde à la porte de l'Asie. gouvernement de la république espagnole dé• En reprenant le canal, les Arabes (au sens gé• clare rompues les relations diplomatiques qu'il néral du mot) vont reprendre sous une nouvelle entretenait au temps du gouvernement légal. forme leur rôle du moyen âge, celui d'intermé• On ne saurait mieux dire. diaires entre l'Europe et l'Asie, de gardiens neu• tres du lieu de passage entre-les deux continents. *** C'est aux antipodes du Guatemala, en Iran, que, presque simultanément « tout était rétabli », Les deux échecs qu'il nous faut maintenant en• par l'octroi d'une concession pour l'exploitation registrer en face de ces deux victoires n'appel• des riches gisements de pétrole du golfe Persi• lent pas beaucoup' de commentaires car ils se que aux successeurs de l'Anglo-Iranian. traduisent simplement par la consolidation d'un Concession·qui signifie que continuera à régner état de choses antérieur. sur l'Iran l'oligarchie féodale des propriétaires Bien que s'étant produits ·en deux mondes dif• fonciers, généraux et gens de la Cour, employant férents, distants de dizaines de milliers de kilo• les redevances versées par le concessionnaire mètres, ils . sont identiques dans leur nature et pour payer les gages des mercenaires chargés dans leurs conséquences politiques et sociales, d'assurer par la force l'exercice de leurs privilè• ges. En renversant au Guatemala, par la vertu du bombardement aérien de la population civile, Dans tous les pays colonisés ou semi-colonisés, le gouvernement du seul Etat d'Amérique cen• le même pacte non écrit, mais extrêmement soli• trale qui ne fut pas à ses ordres, les Etats-Unis de, est passé entre les cadres indigènes de la ont renforcé leur domination politique sur toute vieille société et les représentants de la technique l'Amérique latine et assuré ainsi la paisible ex• étrangère la plus évoluée : les premiers livrent ploitation de travailleurs maintenus dans un état aux seconds les richesses naturelles de leurs proche; de la famine par les féodaux modernes pays, moyen;nant quoi ces derniers leur four• de !'United Fruit. nissent de quoi maintenir debout la société crou• lante dont ils sont les bénéficiaires. Les premières mesures prises par le Quisling Un seul point à noter dans le nouvel acte de guatémaltèque sont caractéristiques à cet égard. concession : le concessionnaire n'est plus une Armaz venait à peine d'entrer dans la capitale société anglaise, mais un consortium internatio• qu'il abolissait la loi agraire édictée par son pré• nal dans lequel les Anglais ne sont même pas - décesseur. Il dissolvait, en même temps que les majoritaires et où une place de premier plan a partis politiques, tous les syndicats. Il attribuait été faite aux sociétés américaines. Ainsi se ma• à la seule « junte » formée de lui-même et de nifeste une fois de plus le recul. de l'Europe au deux complices tous les pouvoirs, y 'compris mê• profit de l'Amérique- Même sur ses chasses ré• me le pouvoir judiciaire ! Il supprimait le droit servées, comme l'Iran, Londres est obligé de de vote - pour le jour ... inconnu où l'on croirait faire une place à New York. , devoir procéder à des élections - à tous les il• Chassé-croisé à l'intérieur d'un même monde, lettrés, soit 70 % de la population, ce qui com• le monde occidental, et qui n'a donc qu'une im• prend, naturellement, la totalité des travailleurs, portance toute relative. A en juger par la ma• ouvriers et paysans. nière dont les concessionnaires yankees se com• En même temps, des milliers et des milliers de portent dans leurs autres semi-colonies, notcm• 'Guatémaltèques étaient arrêtés, mis en prison ment en Amérique -lctine, la substitution partielle ou porqués en des lieux de concentration et un des Américains aux Anglais n'apportera aucun régime de terreur totalitaire se trouvait ainsi ins• soulagement au sort des Iraniens. titué dans le pays qui jusque-là était le seul Etat d'Amérique centrale à jouir de libertés. * Enfin, pour ajouter l'odieux à l'odieux et pour ** témoigner de sa servilité à l'égard du nouvel Reste le ·point d'interrogation. ami de ses maîtres, le dictateur ordonnait l'ex• Le point d'interrogation, c'est la Tunisie. pulsion immédiate de tous les réfugiés républi• La déclaration de Mendès-France au bey siqni• cains d'Espagne, particulièrement nombreux au fie-t-elle que les Tunisiens ont maintenant défini• Guatemala, ce qui amena le gouvernement répu• tivement vaincu, que la France leur accordera blicain espagnol en exil, qui entretenait des rela• l'autonomie ; ou bien ne sera-ce qu'une de ces tions diplomatiques officielles avec le gouverne- promesses pompeuses dont tous les gouvenae- 20-228 ments français sont toujours prodigues, mais qui dernier facteur est le facteur primordial en l'ab• ne sont jamais suivies d'effet dès le moment où sence duquel rien ne se produit, mais ses effets il s'agit de les traduire en actes ? se font sentir d'autant plus vite que le premier Je ne sais. Iœcteur se manifeste davantage. C'est à la dégé• Une chose, par contre, est certaine. C'est que nerescence française qu'est due la rapidité de le peuple tunisien a fait la preuve de sa force ; l'évolution du rapport des forces en Afrique du il a demontré d'une façon péremptoire qu'on ne Nord. le vaincrait pas ! Par conséquent, un jour ou l'au• tre, mais en tout cas un jour assez proche, le colonialisme devra s'incliner à Tunis, comme il s'est incliné à Hanoï. TECHNIQUE Lorsque, il y a un peu plus de trente ans, nous étions quelques-uns à mener en Tunisie un com• bat sans espoir, le dos au mur, pour la liberté de la presse tunisienne et qu'en un tournemain LE NOUVELEFFET DE LA BOMBEH nous fûmes emprisonnés, puis expulsés, que trois ans plus tard, un groupe un peu plus nombreux . On commence à savoir pourquoi ces J;>êcheurs que celui de 1922 menait un combat non moins - Japonais qui se trouvaient à 120 kilometres du désespéré pour la liberté syndicale et le droit de lieu de la dernière explosion d'une bombe à hy• grève des travailleurs tunisiens, et qu'en un nou• drogène ont été soumis, contrairement à toute pré• veau tournemain, un peu moins rapide cepen• vision, à une pluie de poussières radio-actives. dant, il était à son tour abattu et que ses membres, La raison en est, paraît-il, celle-ci : Finidori en tête, se voyaient octroyer 10 ou 5 ans L'explosion d'une bombe atomique racle la sur• d'exil, et que, encore il y a quinze ans, j'étais face du sol et en fait un nuage de fine poussière poursuivi, en France même, pour un article inti• que l'on voit s'élever dans l'atmosphère aussitôt fulé .. la Tunisie aux Tunisiens », considéré com• après l'explosion. Or dans le cas d'une bombe à me une attaque contre l'intégrité de l' • empire uranium ou à plutonium, cette poussière est tel• français », nous pensions bien, Fmidori et moi, lament fine qu'elle s'élève jusque dans la strato• que le mouvement national tunisien était déjà sphere et s'y maintient longtemps, poussée par trop ancré, trop solidement et trop largement les vents et finissant par ne retomber sur le sol répandu dans toutes les couches de la population que très loin et après un très long temps, alors pour ne point risquer de mourir, qu'au contraire que la radio-activité qu'elle avait contractée au il grandirait... et vaincrait. contact de l'explosion a pratiquement disparu. Cependant, pour ma part, et je pense qu'il en _Par contre, l'explosion d'une bombe à hydro• était de même pour Finidori, je ne croyais pas gene, tout au moins de celles du dernier type, que la victoire qui aujourd'hui se dessine vien• produit un nua9:e de particules sensiblement plus drait aussi vite, en moins d'une génération 1 grosses qui s'elèvent moins haut, retombent Car si le mouvement tunisien avait déjà des· moins loin et ... plus tôt, alors qu'elles sont encore racines profondes, combien plus enraciné parais• radio-actives. C'est de ces particules du sol ra• sait le colonialisme ! La France était alors .encore dio-activé de l'île,' sur laquelle s'est produite l'ex• presque un colosse. La Tunisie contre la France ? plosion, que les pêcheurs japonais ont été arro• Cela semblait être un peu comme David contre ses au printemps dernier. Goliath. Mais le vieux mythe sémite est demeuré , Il en résulte que les effets directs de la bombe vrai : David' a vaincu Goliath. a hydrogène qui s'étendent, comme on le savait déjà, sur plusieurs dizaines de kilomètres, se Cette victoire est due, sans aucun doute, avant doublent d'effets indirects qui se manifestent, tout aux .. qualités de David, au courage et à la eux, sur une centaine de kilomètres ou peut-être ténacité dont les Tunisiens' ont fait preuve sur une échelle toujours plus grande, mais la relati· davantage, dans une direction plus ou moins dé• ve rapidité avec laquelle elle s'est affirmée est terminée, car dépendant des vents. due aussi à la dégénérescence de Goliath.' La On savait qu'avec la bombe à hydrogène on défaite française de 1940 a joué le rôle d'un ac· pouvait détruire une ville, on sait maintenant célérateur dans la lutte pour l'indépendance des qu'on atteindra toute une province, peuples colonisés, notamment . en Afrique du Nord. Lorsqu'ils ont vu leur « protecteur » abattu, lui aussi, en un tournemain, lorsqu'ils ont vu ses soldats refuser de se battre et sa population ci• ÉCONOMIE vile fuir éperdue, lorsqu'ils eurent constaté que les seules troupes qui tenaient ici et là, tels les Sénégalais de Tours, étaient des troupes « indi• L'AUTO-FINANCEMENTNE LESE gènes », ils n'ont plus pu comprendre pourquoi ils devaient rester asservis, la preuve étant faite QUE LES BANQUESET L'ETAT que c'étaient eux désormais qui avaient le cou• rage, et non pas leurs maîtres. On ne peut rester De même que dans tout bon film il faut un soumis qu'envers ceux que l'on respecte. Après " vilain », nous avons besoin à tout moment de 40, il n'é.tait plus possible pour l'Africain de res• trouver dans la société un diable à qui attribuer pecter le Fronçœis. D'où, au lendemain de la tout « ce qui ne va pas ». Tantôt c'est le spécula• guerre, la montée en flèche du sentiment natio• teur, tantôt le marché noir, tantôt la fraude, tan• nal et l'emploi, désormais, des • grands moyens». tôt les intermédiaires, etc... Pour l'instant le bouc Le diable même a, comme l'on sait, son utilité. émissaire principal est quelque chose de nou• L'utilité d'Hitler aura été de renforcer le sentiment veau, ou plutôt de très ancien. mais qu'on vient de confiance en eux-mêmes des peuples soumis de • découvrir » et qu'on a baptisé d'un nom à la domination française. quelque peu mystérieux, c~ qui le fait apparaî• Tout changement dans les· rapports entre les tre d'autant plus redoutoble : l' " auto-finance• hommes, que ce soit entre des classes ou entre ment ». des peuples, est dû, d'une part, à l'affaiblisse· Qu'est-ce donc que l'auto-financement ? ment du groupe jusqu'alors prédominant, et, d'œu• On dit qu'il y a auto-financement lorsqu'une so• tre part, au renforcement de la conscience et de la ciété ne distribue pas à ses actionnaires, sous volonté dans le groupe jusque-là dominé. Ce forme de dividende, tous les bénéfices qu'elle a

21-229 da!isés dans l'année, mais en conserve une par- · Mais les vrais lésés sont les banques et l'Etat. · tie pour payer les trcvcux neufs qu'elle se pro• Car si une société veut procéder à des travaux pose d'exécuter> neufs et qu'elle ne les paye pas avec tout ou C'est là un procédé vieux comme les rues. Bien partie d'e ses bénéfices, il lui faut, pour le faire, avant la création des sociétés anonymes, tout trouver de l'argent, soit en émettant de nouvelles patron qui économisait une partie de ses béné• actions, soit en émettant des obligations, soit par fices pour agrandir son " affaire " faisait de des emprunts d'une autre sorte. l'auto-financement. Les sociétés industrielles du Or dès qu'elles atteignent une certaine am• siècle dernier l'employèrent sur une vaste échel• pleur, toutes ces opérations ne peuvent se faire le. Il y ·a une cinquantaine d'années, les Aciéries que par l'intermédiaire de ces grands rassem• de la Marine - la plus importante entreprise bleurs de capitaux que sont les banquiers. Mais, sidérurgique d'alors - étaient célèbres pour le naturellement, ceux-ci ne fournissent pas gratui• fait que l'ensemble de toutes leurs •~immobilisa• tement leurs services ; ils se: font payer de gros• tions », c'est-à-dire de tous leurs bâtiments et de ses commissions.Et c'est, bien entendu, la société tout leur outillage, était porté à leur bilan pour qui a à les leur payer- la somme symbolique de 1 franc, ce qui signi• En outre, toutes ces opérations donnent lieu à fiait que tous les travaux neufs, tous les agran• la perception par l'Etat d'impôts importants, et dissements, améliorations, modernisations, étaient, c'est la société qui doit les payer. Nouvelles dé• chaque année, payés exclusivement sur les bé• penses supplémentaires. Nouveaux frais géné• néfices. raux. Eh bien ! je me demande en quoi cette prati• que peut bien avoir des conséquences néfastes Grâce à l'auto-financement, les sociétés évitent pour les travailleurs ! donc ces dépenses absolument improductives que Que leur importe que les bénéfices qui sont sont les commissions de banque et les impôts gagnés sur leur sueur soient distribués aux ac• d'Etat. Qui d'autre pourrait s'en plaindre que les tionnaires pour que ceux-ci puissent faire la noce, banquiers et l'Etat ? ou qu'ils soient utilisés dans l'usine pour l'agran• Une observation supplémentaire : si l'auto-fi• dir ? nancement est devenu une pratique plus géné- · Cequi importe-au prolétaire c'est de réduire au rale que jadis, c'est parce que l'Etat lui-même l'a, minimum les bénéfices de son patron, de dimi• en fait, rendu obligatoire. nuer la plus-value qui lui est extorquée, en ob• Autrefois, en effet, les émissions d'actions et tenant par de meilleurs salaires une plus grande d'obligations étaient libres. Ce n'est plus le cas part de la valeur du produit qu'il fabrique, mais aujourd'hui ; elles nécessitent une autorisation de ce qui est fait de cette plus-value, de la ma• gouvernementale. Et c'est une autorisation qui nière dont sont répartis les bénéfices, pourquoi est fort rarement accordée car l'Etat cherche à s'en soucierait-il ? L'auto-financement ne le lèse réserver toute l'épargne disponible pour ses pro• pas. pres émissions et celles des compagnies nctio• Ceux qu'il lèse sont, en premier lieu, mais dans nalisées. Si bien qu'en fait, il n'est, pour l'im• une très faible mesure, les actionnaires gui se mense majorité des industriels, d'autres moyens voient ainsi privés du libre emploi des bénéfices de s'agrandir ou de se transformer que l'auto• que rapporte leur capital. Ils pourraient préférer finanèement. La fin de l'auto-financement signi• utiliser cet ar

MAROC LES RA TISSEURS A L'ŒU:VRE La revue américaine « Time » a publié un article moyen avec son poing droit, au-dessous de la cein• de son correspondant au Maroc. ture. Comme l'Arabe tombait, le commissoire lui Ce correspondant, Frank White, a assisté à l'opé• donna un coup dans les reins. Un policier lui donna ration dite de ratissage de Port-Lyautey, dans le deux coups de pied lorsqu'il était déjà à terre ... quartier indigène, comme représailles après le meur• Plus de 20.000 Arabes furent traités de la ·sorte tre de sept Européens. pendent cette journée. « Ce fut un travail fç'tigant », dirent les policiers. Après « le travail », tous les Les Français, écrit White, entourèrent la medina Arobes passèrent devant un pacha, qui, d'un' geste, d'un cordon de troupes. A l'intérieur du quartier, il les désigna pour un 'des deux groupes : dans un y avait des détochements de légionnaires avec des groupe allèrent tous ceux qui étaient « suspects ». tanks~ des goumiers et des agents de police français Ils partirent en prison, et les oollciers tirèrent au• armés de matraques. dessus de leurs têtes - au-dessus de la foule des Le quartier fut divisé en une douzaine de sec• femmes, venues en hurlant. teurs. Les légionnaires ouvrirent de force toutes les Le contrôleur civil de Port-Lyautey, Jean Hus• portes de toutes les maisons emmenant tous les son, dit à White qu'il n'aimait pas cette opération, hommes, à l'exception des petits garçons. Pour faire mais que tout celo était nécessaire. Il espérait, ajou• rentrer les femmes, qui hurlaient, elles furent ta-t-il, que le correspondant ne sera pas « trop sé• rouées de coups. vère pour nous ». Les Arabes furent emmenés dans le marché lo• « La prochaine fois, dit le pocha aux gens de la cal. « Entrez donc, monsieur, la séance va commen• médina, ce seront des avions qui tireront sur vous. » cer », dit le commissoire de police en réserve. Vingt Arabes sont morts pendant l'opération de 11 sourit et ensuite frappa un Arabe d'âge ratissage.

22-230 • , • Les pleins pouvoirs. econorruques ·DE MENDÈS-FRANCE

Pour la cinquième fois, le Parlement de la IV• rêveurs qui ne pouvaient prévoir les caractéristi• République a renoncé à ses pouvoirs pour laisser ques de la société du moment. Là, ce sont des Mendès-France assurer le relèvement économique raisons purement sentimentales et le choix est que lui-même n'a pu provoquer. surtout déterminé par l'aptitude des candidats à Certes, ainsi que nous l'avons déjà signalé, la flatter les foules, ou par le prestige du courant production française est en lente progression. L'in• spirituel ou idéologique dont se réclame le can• dice officiel, base 1938, est passé de 156 en avril, didat. Ailleurs, c'est la tradition, c'est l'intérêt, à 158 en mai et à 159 en juin, mais cette pro• I'Intérêt personnel ou l'intérêt du groupe dont gression n'atteint que quelques branches d'acti• on fait partie.. Quoi d'étonnant que le suffrage vité et ne se manifeste que dans le Nord-Est du universel amène au pouvoir les hommes de paille pays et la région parisienne ; l'Ouest et le Sud• ou les représentants directs des féodalités qui Ouest glissent vers un déclin que souligne l'aug• peuvent financer des élections ou subventionner mentation du nombre de demandes d'emploi non des partis ? Des incapables ou des démagogues satisfaites. Dans la première région la moderni• à qui des bureaucrates ou les agents des mai• sation aboutit au plein emploi ; dans la seconde tres de l'économie dictent leurs décisions ? Ils les essais partiels de modernisation entraînent le avaient une ambiance des plus favorables, les chômage. Ainsi, l'augmentation de la production grands chefs de la IV< République, pour réaliser s'accompagne de nouveaux déséquilibres qui po• les réformes réclamées par la majorité du peu• sent avec plus d'acuité le problème de la re• ple. Ils n'ont rien fait. conversion des entreprises. Deux hommes ont cependant bénèficié du pré• De grands obstacles se dressent dès qu'il s'agit jugé favorable, jusque dans certaines couches de de réorganiser la production et le commerce. On travailleurs : Pinay avec son histoire de baisse se heurte aux situations acquises, à tous ceux et, aujourd'hui, Mendès-France. qui jouissaient d'une douce sécurité sous la pro• Chef d'entreprise, Pinay semblait avoir quel• tection de l'Etat et des organisations profession• ques qualités pour gérer l'entreprise Etat, mais nelles. Et on a à résoudre le problème du reclas• il Y a loin de la petite entreprise de cuir de sement et du déplacement des ouvriers victimes Saint-Chamond à la vaste entreprise Etat, aux di• des mesures de reconversion. mensions et aux attributions considérables, en• Il faut donc prendre des mesures qui heurte• travée par l'intervention d'une bureaucratie de ront une partie importante de la population et de plus en plus envahissante et par des organisa• puissants groupes d'intérêts qui ont leur rôle à tions professionnelles habituées à protéger d'abord jouer lorsqu'il s'agit d'élire de nouveaux députés. les médiocres. Et il considérait le facteur tra• Voilà qui explique pourquoi nos incapables et peu vail comme un élément passif au service des in• courageux parlementaires se sont démis de leurs térêts patronaux. Il a enrayé la hausse, mais fonctions en accordant les pleins pouvoirs à Men• il n'a pu ranimer l'économie. dès-France pour deux cent trente jours. Mendès-France s'est acquis de nombreuses sym• Le régime démocratique est bien compromis, en pathies par la netteté et la fermeté de ses décla• France. Le suffrage universel, tel. qu'il fonction• rations, et il a conquis l'opinion par son assu• ne, assure l'avènement au pouvoir de trop de rance et sa ténacité dans le règlement des con• démagogues bien plus préoccupés de plaire aux flits indochinois et tunisien. Et puis, il semble foules que d'amener les électeurs à prendre con• connaitre son affaire : il ne se borne plus à science des problèmes qui les intéressent et à répéter des formules en vogue comme la plupart choisir ensuite, en connaissance de cause, les de ses prédécesseurs ; il donne l'impression de hommes capables de gérer la chose commune. pouvoir orienter lui-même le travail de ses con• L'Etat, si l'on ne considère que ses attribu• seïllers et de ne pas se contenter des discours ou tions économiques, est le plus grand des ban• projets préparés par des inspecteurs des finances quiers et le plus grand des patrons. Or on ne diplômés ès économie, après consultation de Gin• s'improvise pas banquier ni chef d'entreprise. On gembre, de Villiers ou du nonce apostolique. n'est pas particulièrement qualifié pour gérer une Oh ! il ne dit rien de nouveau. Tous les sous• affaire de 3.000 milliards parce qu'on a fait des titres de son programme · se retrouvent dans les études de droit ou de philosophie ou qu'on a discours d'investiture de ses prédécesseurs ou passé sa vie active à intriguer pour arriver secré• dans les résolutions d'organisations aux buts les taire local ou départemental d'un parti, puis plus divers, mais il a le mérite de ne pas les conseiller général et, enfin, député. avoir noyés dans une collection de slogans con• Il ne peut y avoir de démocratie réelle que si tradictoires destinés à satisfaire une clientèle élec• les électeurs ont une vue d'ensemble objective torale recrutée dans toutes les catégories sociales. de la situation économique et sociale et si les Il a une idée directrice. Il s'agit de sortir l'éco• équipes qui se disputent le pouvoir ont une con• nomie française de l'immobilisme, de la sclérose naissance suffisante des grands problèmes qui se où l'inflation, le dirigisme étatique et corporatif posent à l'Etat. Or qu'est-ce qui détermine le l'ont plongée. Il faut cesser de protéger les for• choix des parlementaires chez les électeurs ? Et mes d'activités coûteuses et non productives, lais• qu'est-ce qui détermine le choix des gouvernants ser périr les entreprises inadaptables aux techni• chez les parlementaires ? Ici, ce sont des consi• ques modernes et .encourager celles qui acceptent dérations doctrina-les, c'est-à-dire le souci d avoir les risques d'une réorganisation ou d'une nou• une attitude conforme à une "conception de la vie velle orientation leur permettant de se frayer une ou des rapports sociaux mise au point il y a plus place sur le marché mtérieur et sur le marché ou moins longtemps par des penseurs ou des mondial, sans protections particulières. Ainsi on

23-231 peut arriver à la libération des échanges, à son, pour un certain temps, des oppositions irré• l'équillibre de la balance des comptes, à l'ex• ductibles des professionnels de l'intrigue parle• pansion assurant l'augmentation du revenu na• mentaire · les initiatives de chefs d'entreprise tional; le plein emploi, un pouvoir d'achat accru, acquis à ' une meilleure organisation de la · pro• la sécurité de l'emploi. duction ont ouvert la voie à la reconversion. C'est simple, mais 11 faut de l'argent. Des concentrations opérées annoncent déjà des De l'argent pour alimenter le Fonds de recon• réductions de prix de revient de 25 % ; des version prévu pour favoriser la modernisation des ententes entre producteurs pour les approvision• entreprises et indemniser les défaillants. nements les recherches et certaines applications De l'argent pour alimenter le Fonds de reclas• techniqu'es ont donné de bons résultats ; des usi• sement de la main-d'œuvre rendue disponible par nes textiles fermées ont rouvert leurs portes pour la reconversion. fabriquer des récipients en celluloïd moulé ; sept Or le déficit budgétaire était de 652 milliards entreprises de petite mécanique de Châtellerault, en 1953 ; il est .évalué à 700 milliards en 1954, sous-traitants de la Manufacture d'armes, ont à 1.000 milliards en 1955 (sans mesures nouvelles). créé une union pour « étudier, acquérir des bre• Certes, l'équilibre budgétaire n'est pas indispen• vets nouveaux, conclure tous marchés de fabri• sable pour conserver une monnaie saine, et une cation et les répartir de façon à utiliser ration• inflation contenue peut provoquer la mise en nellement l'outillage. Un service d'études et mouvement d'une économie figée par les charges un service technique communs examineront les fixes énormes qu'ont à supporter les grandes en• questions de prix, les conditions de fabrication et treprises et les Etats modernes ; mais la perma• proposeront un plan d'équipement » ; des chape• nence et l'accentuation du déséquilibre budgé• liers de l'Aude se sont mis à travailler les ma• taire peuvent engendrer la méfiance chez les épar• tières plastiques ; onze entreprises de chaussures gnants, aboutir à la dépréciation de la monnaie ont décidé de rénover leurs méthodes de travail ; et à une hausse accélérée des prix, c'est-à-dire dans le Jura des entreprises s'orientent vers les à une inflation comme celles que nous avons con• appareils ménagers et le matériel de télévision ; nues depuis 1936, avec toutes les perturbations depuis trois ans dix mille points de vente ont économiques et sociales qu'elles entrainent. disparu dans le commerce tandis que se multi• Retenons simplement, pour le moment, que la plient les groupements d'achat chez les petits Banque de France a dû accepter, en 1953, le commerçants. Des grossistes disparaissent tandis relèvement du plafond de ses avances au Trésor que se créent des associations de grossistes et de de 175 à 440 milliards, ce qui, avec d'autres détaillants. pratiques, tel l'escompte d'effets cautionnés par Toutes ces mesures contribuent à préparer le le Trésor, amène sur le marché des centaines terrain pour des réadaptations plus vastes et gé• de milliards de fausse monnaie. néralisées. Et, fait important, la classe ouvrière On pourrait diminuer les dépenses, au moins n'a pas manifesté trop d'impatience et les orga• celles qu'on peut qualifier d'improduétives. · nisations syndicales ne sont pas contrariantes. La Diminuer notamment les dépenses militaires, C.G.T. tente de remuer, mais c'est contre la C.E.D. maintenant que la guerre d'Indochine est arrê• Mendès-France, bourgeois intelligent, va pouvoir tée... mais ce ne sera pas sans difficultés en rai• redresser les affaires de la bourgeoisie et rajeunir son de la situation internationale, de l'opposi• - pour combien de temps ? - le système capi• tion des militaires qui auront toutes sortes d'ob• taliste en France. Le rajeunir et lui redonner de jections techniques à formuler et de celle des l'efficacité. fabricants de matériel de guerre. Il n'est pas des nôtres. Il ne fait pas une On pourrait supprimer les subventions écono• politique ouvrière, orientée d'abord vers l'amélio• miques contraires au but que s'est assigné le ration des conditions de travail et de vie des gouvernement. Mais les betteraviers, meuniers, vi• salariés. Il veut augmenter le gâteau destiné à ticulteurs, les bénéficiaires des taxations et pro• l'ensemble du peuple et qu'on appelle revenu na• tections diverses sont forts et ont de forts appuis tional, mais il ne laisse entrevoir que des miettes au Parlement. pour les salariés, s'ils les ont méritées par un On pourrait réaliser rapidement la réforme fis• meilleur rendement. ' cale et imposer les fraudeurs du fisc ? Mais les · Dès le départ, nous élevons une véhémente pro• privilégiés ont de nombreux moyens de résistance. testation, d'abord contre le refus d'un' rajuste• On pourrait même emprunter ? Mais c'est alour• ment préalable des bas salaires justifié par le dir la dette et, d'un autre côté, gêner les inves• relèvement de la production et le niveau des tissements privés en raréfiant les capitaux et en prix ; ensuite contre l'imprécision de la partici• maintenant un taux d'intérêt trop élevé. pation à retardement à l'accroissement de la Que d'obstacles ! Que d'oppositions qui se des• production et de la productivité. sinent. Et nous nous préparons à l'action. Même un Pourtant Mendès-France a donné des garanties Mendès-France de bonne foi ne se résoudra à aux conservateurs sociaux. Il ne demande rien donner une part de l'augmentation de la pro• aux profiteurs de la reconstruction et des prix duction aux· salariés que s'il y est obligé. Il sera élevés basés sur le prix de revient des entreprises d'abord poussé à réduire la part en question du marginales. Il indemnisera les incapables qui n'ont fait qu'il est un défenseur éclairé du système pas pu" ou pas voulu s'adapter aux conditions capitaliste et que dans ce régime le profit est actuelles de Ia production, et il ne donnera rien le· meilleur stimulant de l'économie ; et il le sera aux salariés qui ont pourtant participé à l'aug• parce qu'il subira la pression de tous les con• mentation de la production ; il leur fait seule• servateurs sociaux. ment la vague promesse d'une « adaptation effi. A nous donc d'agir sur le bourgeois éclairé et cace des rémunérations à l'évolution de la pro• de contrebalancer la pression des conservateurs duction » et il leur imposera des reclassements sociaux ; de le faire avec vigueur et en toute et des déplacements alors gu'ils ne portent aucune indépendance, sans souci de ménager qui que ce responsabütté dans le chaos actuel. soit et sans chercher à faire le jeu des incapa• Le départ s'effectue tout de même dans des bles d'hier ou des impérialistes de l'extérieur qui conditions favorables pour lui. Le démarrage de ne manqueront pas de chercher à utiliser la classe l'économie et Ies reconversions se dessinent ; un ouvrière pour la défense de leurs propres intérêts. accueil favorable ,à la base permet €l'avoir rai- u. T. 24-232 Après l.e congres. ' du S. N. I.

Ceux, qui, comme les membres de la délégation tervention strictement « pour » ou « contre » ? de la Loire, assistaient à un congrès pour la Représentant de plusieurs courants qui imman• première ou deuxième fois et n'avaient pas cette quablement existent dans sa section, ne doit-il habitude des assises nationales oui donne à cer• pas justement traduire toutes les opinions et sur• tains et l'aisance et l'astuce, rentrèrent dans leur tout toutes les nuances, parfois difficiles, d'une département avec un brin d'étonnement et d'in• pensée syndicale ? Ces nuances ne sont-elles pas satisfaction. N'en déplaise à Caps et à d'autres, justement beaucoup plus importantes souvent que rompus à la gymnastique des commissions et des le fait de voter brutalement pour ou contre ? congrès, il existe encore des naïfs, des sincères Nous pensions, Folcher et moi, à toutes les nuan• et quelques secrétaires de section ou délégués ces entrevues dans la Loire au moment du vote assoiffés de bon sens, d'idées pures et dégoûtés du rapport moral ou au cours de l'année, à l'occa• des combinaisons partisanes et parfois simplistes. sion des divers événements syndicaux, et nous Notre étonnement fut grand dès la mise en place nous demandions dans quel clan on allait nous de la commission d'organisation. Il s'agissait de mettre dans ce congrès, nous qui allions en ma• recenser les noms des orateurs et de répartir les jorité voter « pour », mais allions aussi parler interventions. Grande gymnastique !... Il y avait « contre ». Il fallut s'incliner. La . commission ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre d'organisation « organisa >>. Du moins la Loire le rapport moral. Mais dans ceux qui étaient pour obtint-elle un temps de parole suffisant et eut• il y avait les majoritaires et ces nouveaux « ultra• elle la possibilité 1de développer ses interventions majoritaires » de l'an de grâce 1954 que sont comme elle l'entendait. devenus les camarades cégétistes. Et alors quelles Autre sujet d'étonnement : la commission des passes d'armes ! L'Ecole émancipée demandait résolutions. Le bureau en donna la composition, qu'il n'y ait que deux courants, les « pour » et toujours en tenant compte des seules tendances. les « contre », et que le temps de parole soit Il fut interdit -aux délégués non désignés d'aller réparti à partir de là. Les ex-cégétistes deman• à cette commission. Caps m'a donné des raisons : daient, logiquement, doucement et avec une tou• une année cette commission était devenue le con• chante conviction à être assimilés aux « pour ». grès lui-même et le congrès avait été au contraire déserté. Mais le plus clair de l'histoire, c'est Caps, tout sourire dehors, s'appliquait à contre• carrer les uns et les autres et à éviter une équi• que l'on arrête ainsi toutes les motions que l'on voque qui, de toutes manières, a pesé sur le veut arrêter. Question de dosage de la commis• congrès. Mais le problème se compliqua, quand la sion ! Les motions de la Loire, dont deux ou délégation de la Loire (Folcher-Franc) et d'autres trois étaient, à mon sens, importantes, ne revin• sections intervinrent pour manifester leur éton• rent pas de cette commission. Que Caps ne s'éton• nement. Il y avait dans ce maquignonnage quel• ne plus si cette commission des résolutions con• que chose d'inacceptable. On apprenait que chaque naît un attrait certain. Tout serait réglé si, là chef de délégation avait fait inscrire tous les encore, au lieu de tenir compte seulement des membres de sa délégation non pas parce qu'ils tendances, on agissait syndicalement. La Loire avaient forcément quelque chose à dire, mais avait envoyé plusieurs projets de motions. La pour sauvegarder un temps de parole, voler quel• Loire devait être présente à cette commission. ques minutes à l'adversaire, satisfaire l'mtérêt La chose nous apparait normale. D'ailleurs, la de telle ou telle tendance. Chacun des trois cou• commission des résolutions ne devrait avoir pour rants se montrait d'une égale habileté et d'une but que de classer, de lier, de faire les synthèses même vélocité à user de la tactique. Chacun se possibles, d'étudier et de présenter. Mais aucune glorifiait hautement d'être aussi « à la page » motion ne devrait être cachée au congrès. On que les deux autres. Il s'agissait seulement d'har• éviterait ainsi les manœuvres trop fréquentes, les moniser au mieux ces petites combines. Mais que envois avant congrès d'une section aux autres faisait-on des non-combinards, des naïfs ? Et sections, ces dialogues par-dessus le bureau désa• que faisait-on des secrétaires de section dan'> gréables et dangereux. Il y a toute une organisa• cette histoire ? Comment savait-on à l'avance tion à mettre au point, un sens de la démocratie que tel délégué, parce qu'il s'appelait X ou Y, réelle à développer, uri esprit à faire renaitre. allait parler « pour » ou « cont-re » ? Je mettais Pire encore que la foi au parlementarisme serait Caps au défi de savoir ce que j'allais dire ! Dans l'intrusion dans l'organisation syndicale des mé• quel clan allait-on me situer ? Est-on arrivé au thodes parlementaires. S.N.I. à n'avoir Plus que des interventions mono• Quel étonnement aussi devant l'attitude des lithiques ? Chacun ne pense-t-il vraiment que ex-cégétistes ! Sans broncher, avec une patience par sa tendance, voyant tout mal ou tout bien et une passivité qui paraissaient incroyables, ils dans ce que fait Je B.N., sans nuances d'aucune ont accepté les sarcasmes, les moqueries, les coups sorte, et pour la seule raison qu'il est lui-même de fouet d'un Forestier en grande forme et de Ecole émancipée ou majoritaire ? L'esprit de quelques délégués qui ne les ménagèrent point. parti a-t-il remplacé définitivement l'intelligence ? Ils firent parfois pitié. Fidèles à une consigne La cristallisation existe, hélas ! et à l'avance on reçue, à une tactique donnée ils approuvèrent, la développait, classant les hommes suivant leurs justifièrent, louangèrent, applaudirent, découvrant noms et non suivant leurs interventions. Mais un Forestier, Durand et· les autres, retrouvant et secrétaire de section peut-il, doit-il faire une in- citant des textes lointains des uns et des autres,

25-233 associant le grand Jaurès et le nouveau grand avant le congrès, à toutes les sections, les con• - Durand, prêts pour combattre la C.E.D. à voter clusions de la Loire. Nous le saurons pour une n'importe quoi et à dévider des louanges si autre fois. Certes, il y a au bureau national énormes qu'elles firent se dresser ceux à qui des hommes de valeur, capables d'un travail énor• elles étaient destinées. Burlesque qui en dit long me, d'un dévouement sans limites, compétents et sur la mentalité et les méthodes d'un parti achar• honnêtes. Tout le congrès a été dominé par la né à détruire l'homme dans lui-même. En vain personnalité de Forestier, personnalité puissante. Forestier essaya-t-il de lever l'équivoque. Sans ambages, en vain essaya-t-il de parler net. En Forestier est un grand bonhomme et nous le di• vain montra-t-il l'attitude des cégétistes résultant sons comme nous le pensons. Ses interventions de décisions et de textes conçus en dehors du portent et marquent. Elles sont courageuses, lar• syndicat. En vain donna-t-il le sens exact de ges et viennent d'un orateur certain. Contraire• notre opposition à la C.E.D., le sens exact de ment à beaucoup, nous ne reprochons pas à Fo• notre conception syndicale et de la dignité hu• restier de ne pas tenir compte des décisions de maine, en· vain préctsa-t-il notre opposition aux congrès. Nous lui reprochons presque le contra-ire. deux blocs !... Fournial en fin de congrès, aux Ce grand bonhomme serait un très grand mili• applaudissements de ses amis, précisa qu'il était tant syndical s'il se souvenait _qu'il ne faut pas d'accord " avec tout ce qu'avait dit Forestier » craindre parfois d'aller à contre-courant. Au lieu et le dit de façon catégorique et avec une netteté de suivre la masse et sa facilité, il fallait lui plus grande encore que celle de Forestier. L'équi• montrer les rudes voies difficiles de la gestion voque est posée. Le S.N.I. la portera longtemps. à propos de la culture populaire, comme il fallait, Mais le bureau porte, à notre avis, une part de à propos du problème colonial, rompre avec le responsabilité dans cette équivoque. Il y a chez sentiment facile, les camaraderies agréables et les préjugés nationaux. « L'Union trançaisev » est trop de nos camarades, il y a, au bureau même, trop de goût et trop d'espoir dans le parlemen• une jolie chose pour discours pathétiques ou pour tarisme. ceux qui, de près ou de loin, inconsciemment parfois, espèrent un profit, même mimme, du Des textes de Forestier, ses affirmations répé• maintien de cette « union ». Elle n'a rien à voir tées que la laïcité était « la ligne de démarcation avec le mouvement syndical. Réclamer l'indé• entre la droite et la gauche », affirmations su• pendance de l'Afrique du Nord n'est pas bafouer jettes à caution et démenties par Forestier lui• le travail remarquable parfois qu'ont pu faire ou même quand il évoqua l'attitude antilaïque du que font certains Français, c'est voir une réalité, P.C. et des communistes de 1946 repoussant la satisfaire à un principe, aller à un avenir. En nationalisation de l'enseignement réclamée par mettant sur un pied d'égalité les fellagha de 72 états généraux départementaux, ces textes Tunisie et les « bandits de grand chemin », Fo• et ces affirmations firent lever l'espoir chez cer• restier a commis une erreur grave qui fit courir tains d'un nouveau front populaire qui permettrait un mouvement de protestation jusque dans la au P.C. de revenir à la surface et au pouvoir. majorité ! Dans leur passivité, avec une sorte de courage Le S. N. I. manque de combativité. On effrayant qui leur faisait accepter sans broncher veut l'assurance. On recherche l'efficacité et on toutes les insultes, les cégétistes conscients, pré• délaisse les principes. A propos de la modification paraient (et l'avouèrent) les élections législatives des statuts on est allé encore au plus facile. prochaines. Puisse le S.N.I. ne pas se laisser Désormais les permanents peuvent l'être à vie. prençlre à des manœuvres puissamment menées et Pourquoi rechercher de [eunes militants ? Pour• camouflées et ne pas abandonner son indépen• quoi chercher à régler des situations matérielles dance dans une participation à des élections ou difficiles, que personne ne sous-estimait et qui à des coalitions qui signifierait sa fin définitive. étaient réglables ? On garde les mêmes sans voir Nostalgie de l'Etat ! Cette nostalgie se retrouve que quelle que soit la valeur de ces militants et partout. On fait appel à lui et l'on préfère une leur bonne volonté on va vers l'engourdissement audience à la présidence du conseil plutôt que et le fonctionnarisme. l'organisation d'une manifestation d'action di• L'Ecole émancipée a défendu des principes syn• recte proposée par l'E.E. contre la guerre d'Indo• dicaux et la Loire a souvent voté avec elle. Nous chine et l'envoi du contingent. Même nostalgie de reprochons cependant à l'E.E. la forme de ses l'Etat à propos de la culture populaire. Barangé interventions. Trop. d'acide souvent dans les mots. fit un rapport fouillé, consciencieux, minutieux, Trop d'attaques personnelles de part et d'autre. mais pour remettre en fin de compte la culture On vise plus les hommes que les idées et ceci populaire aux mains de l'Etat comme .si l'Etat je le répète n'est pas particulier à l'E.E. On pouvait organiser cette culture sans l'orienter, attend certaines interventions avec l'état d'es• c'est-à-dire sans la détruire. Si les conclusions prit de la foule venue au cirque pour voir dé• du congrès devaient voir une application, ce se• vorer le dompteur. On n'écoute pas certaines rait la faillite de notre action en faveur de la autres, même lorsque comme celles de Petiot liberté individuelle, l'abandon de ce à quoi ont et d'un collègue de la Seine elles font état cru des générations de militants laïcs qui ont courageusement de positions non conformistes con• vécu leur enseignement hors de leur classe avec la même vigueur et la même foi que dans les cernant l'angoissant problème de la C.E.D. ! horaires de leur métier. La majorité du congrès Faut-il être connu pour avoir raison ? Il aurait a-t-elle voulu se soulager d'une charge ? A-t-elle, fallu si peu de chose pourtant pour que ce con• comme il est d'usage, hélas ! de plus en plus, grès fût un grand congrès. Il y a les hommes. voulu aller à la sécurité plutôt qu'à la liberté ? Il Y a les connaissances la Iiberté, les amitiés Je crois qu'elle n'a pas vu. Et elle n'a pas vu aussi. Il y a chez nous des réalisations certaines. parce que la préparation même, les questionnai• C'est pourquoi malgré tout nous revenons lourds res envoyés au sujet de la culture populaire pous• d'espoir, désireux de trouver surtout la généra• saient nos camarades dans un sens déterminé. tion qui prendra la relève et saura faire entendre, dans les prochains congrès, clairement et ferme• Beaucoup sont venus nous dire, au congrès, que ment la grande voix du syndicalisme traditionnel nous avions, dans la Loire, raison. Beaucoup ont de l'enseignement. vu, après coup. Ils étaient, hélas ! mandatés et nous avons commis l'erreur de ne pas envoyer, G. FOLCHER-F. FRANC. 26-234 Avant le congres' confédéral F~O. POUR· U·NE ·POLITIQÙE OUVRIÈR·E

A la suite de son article Œ.P. juillet-août), con• ment pour origine l'action interne de l'entreprise. sacré au prochain congrès de la C.G.T. Force Ou• La vie de celle-ci dépend aussi des clients, c'est-à• vrière, Louis Mercier a reçu les observations ci• dire cles consommateurs. Donc, eux aussi auraient après de notre camarade Fontaine, du Rhône : · droit au titre de propriétaire. Où allons-nous si nous entrons dans cette voie de discussion ! S'est Permettez que je vous transmette les réilexums pour 'te coup qu'on se perdra sur le chemin des uto• que m'inspire votre article : « Le Congrès confédé• pies, des idéologies. En réalité, la question de la ral Force Ouvrière âéfinira-t-il une politique ou• prop1iété de l'entreprise est sans grande importan• vrière ? >, J'approuve entièrement votre préambule ce. Il ne faut pets, à mon avis, s'hypnotiser sur les qui résume votre pessimisme et notamment la phra• [ormalités et les avantages juridiques qui ont trait: se suivante qui devrait ètre présente à l'esprit de à la notion de propriété. Du point de vue où nous tout mfütant syndicaliste sincère : « Le bilan d'im• nous plaçons ici, ce qui importe c'est ceci : qui doit puissance que le mouvement ouvrier établirait s'il disposer des moyens de production et qui détermine en avait le courage mesurerait l'inefficacité de son la mesure et la manière de leur utilisation? Aujour• combat. » d'hui, il est facile de constater que, dans l'économie Mais je suis loin d'ètre d'accord avec vous sur le générale, le ·fait d'être propriétaire compte à peu programme que vous proposez au congrès comme près pour zéro dans ·1a direction de l'économie. dè/inition et but d'une politique ouvrière. Par exem• Alors, pourquoi cette idée complètement périmée ple, la création de points âè vente concurretitiels de vouloir que l'ouvrier soit propriétaire de l'entre- est à mettre au rang des mesures sans efficacité 7Jrise OÙ il travaille ? La mine aux mi1zeurs, ça réelle et dont le danger est de détourner l'attention n'existe plus. Au fond, la grande masse des salariés des travai:lleurs des solutions conformes à leurs in• reste parfaitement indifférente aux propositions térêts immédiats et lointains. La conéurrence, com• de ce genre comme à celles qui l'attachent, qui la me la liberté, ne se décrète pas. Elle est ou elle rivent à l'usine. Que veulent les travailleurs ? Que n'est pas. Actuellement, la lutte sur le terrain éco• l'usine, le chantier, le magasin, le bureau, l'atelier nomique n'est plus entre individus, elle est entre leur servent un haut salaire qui leur permette de groupes, entre coalitions d'intérêts particuliers et vivre le mieux possible. Et ils ont raison. seul un Etat Jort peut imposer un ordre, une disci• Pour en revenir au contrôle ouvrier, voici com• pline. Le malheur, c'est qu'un Etat Jort - l'expé• ment, à mon avis, il faut le èomprendre. Une /ois rience de ce demi-siècle le prouve d'une façon écla• les bénéfices et les salaires établis en fonction des tante - n'est qu'un outil aux mains des forts, des forces en présence, forces patronales, forces de privilégiés pour satisfaire· leur volonté de puissance, l'Etat, forces ouvrières (situation variable d'un jour consolider leurs privilèges et asseoir leur tiomina• à l'autre, cela va de soi) toute augmentation de tion sur les masses abruties, ignorantes et impuis• production due à une plus grande productiv.ité doit santes. Le rôle d'une classe ouvrière, style d'autre• se traduire par une baisse des prix de vente au fois, serait de prendre en main les leviers de com• sens absolu du mot, ou bien, si les prix de vente mande et d'organiser un régime d'égalité et de jus• peuvent être maintenus, par des investissements tice. Mais où est la classe ouvrière ? Dans l'ensem• ayant toujours pour but une augmentation de pro• ble, elle a été gagnée par la mentalité capitaliste duction avec baisse future des prix. bourgeoise. Pour les salariés d'en haut, c'est /ait. C'est aux ouvriers groupés dans leurs comités Pour les salariés d'en bas, le pourrissement petit• d'entreprise d'exiger la mise en pratique rigoureuse bourgeois les atteï:nt par le poison du servage, par de ces principes. La mise en poche des profits, par l'esprit de mendicité : primes, salaires au rende• les Patrons ou les ouvriers, doit être considérée ment, étrennes, allocations et faveurs de toute na• comme un vol. Ce vol est en même temps une ab• ture, etc. Partout où l'on discute encore, nos ré• surdité, une hérésie économique, car il a pou.r consé• unions sont de petits parlements ; on s'écoute par• quence l'arrêt total du progrès économique ; il est ler ; on oppose des phrases à des phrases, des affir• cause du chômage technologique et de la formation mations à des affirmations, mais· il n'en sort rien d'une classe de privilégiés de plus en plus riches, de positif, rien qui soit un programme d'action, une• mais de moins en moins nombreux et, par là, de ligne de conduite qui répondent aux besoins des 1)lus en plus inhumains et féroces. ouvriers, à l'idéal proposé par la Ligue syndicaliste J'aurais encore beaucoup d·autres objections à sur la couverture de la R.P. présenter sur d'autres points de votre intéressante Le contrôle ouvrier. - Le fait, pour les ouvriers, étuâe, mais il faut savoir se limiter. Voici, en con• de contrôler le iinancement des entreprises ne peut clusion, les propositions que je soumettrais au con• avoir en soi que des avantages, mais à la condition grès C.G.T.-F.O., st j'étais délégué : que le contrôle ait pour but. de veiller à ce que les 1°) Augmentation des salaires sans répercussion entreprises remplissent bien leur rôle économique hiérarchique de manière à réduire l'éventail des sa• et social, qui n'est pas seulement de distribuer des laires de tous ordres. bénéfices et des salaires, mais de produire mieux, 2°) Baisse des prix de vente consécutive à toute plus et à meilleur marché. Or est-ce bien là but le augmentation de productivité due ait progrès tech• que vous donnez au contrôle ouvrier ? Vous écri• nique, seul moyen d'augmenter le niveau de vie vez : « Les modernisations d'outillage, les achats général. Ralentissement du rythme de la produc• de matériel, la construction de nouveaux bâtiments tion en cas de non-observation de ce principe par sont, en fait, financés par des salaires non payés. La propriété nouvelle peut être considérée comme l'Etat ou le patronat. propriété du personnel... » C'est là une conception 3°) Retour au salaire direct professionnel, avec capitaliste de la vie des entreprises. D'abord, les bé• suppression des primes ou faveurs de toutes sortes. néfices, les profits et les salaires n'ont pas seule- 4°) Prise en charge par l'Etat et les collectivités

27-235 publiques du budget de la Sécurité sociale. Finan• Cela ne signifie pas que les propositions que cement par l'impôt général et progressif sur le re• j'ai énumérées dans le dernier numéro de la R.P. venu, le seul impôt qui, bien réparti, est pris sur la croûte de chacun pourrait-on dire. soient excellentes. Je les crois pourtant capables de susciter un certain intérêt chez tous les sala• 5°) Etablissement du salaire annuel en vue d'évi• riés, parce qu'elles ne heurtent aucune catégorie, ter le chômage dû aux revenus insuffisants ainsi rassemblent le maximum de travailleurs autour des qu'à l.a baisse de la demande de main-d'œuvre. questions les plus immédiates. 6°) Création d'un revenu social en faveur des économiquement faibles, revenu au moins égal au L'idée des points de vente concurrentiels peut salaire de base. Ce revenu créera un pouvoir d'a• provoquer des quantités d'initiatives locales ré• chat qui permettra d'écouler les produits de pre• gionales d'entreprises. Ell~ lie les intérêts de' tous mière nécessité accumulés dans les magasins et les ceux qui, en ce moment, se bagarrent pour que entrepôts, ou qui pourrissent sur place un peu par• les coopératives de fonctionnaires ne disparaissent tout, faute d'acheteurs. pas, de ceux qui tentent d'empêcher la bureau• FONTAINE. cratisation ou l'embourgeoisement, ou la politisa• tion des coopératives existantes ; elle permet à des unions locales de lutter pour que disparais• sent les interdictions frappant .certaines formes La réponse de Mercier de vente directe. Elle présente, sous un jour sim• ple et vrai, le problème des subventions fournies Avant de discuter avec le camarade Fontaine à des industries en grande partie inutiles, et celui du détail des revendications proposées, précisons de l'utilisation de ces fonds à des œuvres d'in• le sens et la portée d'un programme d'actions immédiates. térêt général. Elle met les gouvernements dans l'obligation d'appliquer leurs promesses. Elle don• Je crois que nous sommes d'accord pour cons• ne la possibilité aux militants, à tous les éche• tater: lons, d'intervenir. Elle encourage l'échange des 10 Que le fonctionnement de l'économie fran- · expériences tentées dans d'autres pays. Depuis çaise est défectueux, tant pour la production 1945, quantité d'essais ont eu lieu un peu partout, (entreprises marginales trop nombreuses, subven• dans le sens d'établir des circuits directs. Les cen• tions d'Etat coûteuses) que pour la distribution trales syndicales ont eu le tort de ne pas les (pléthore de commerçants, système d'ententes in• dustrielles). faire connaitre, de ne pas les étudier et les criti• quer, jusqu'à transformer la multitude d'efforts 2° Que les travailleurs en pâtissent, mais qu'ils en un courant national et de le faire déboucher n'interviennent pas de facon volontaire et lucide sur la réalité nationale par des mesures géné• pour imposer des solutions aux problèmes posés rales. On peut et on doit discuter de la techni• par la stagnation et le désordre économiques. que proposée, mais je suis convaincu qu'il y a là 3° Que cet état de choses ne durera pas éter• un domaine où l'intervention ouvrière est possi-· nellement et que d'autres couches sociales ttech• ble, et cela dans un climat de sympathie popu• nocratie par exemple) finiront par imposer des laire. ·· solutions, où les intérêts immédiats ou lointains des travailleurs ne seront pas pris en considé• Pour ce qui est du contrôle ouvrier, Fontaine voit ration. · le danger d'un esprit « propriétaire » chez les salariés d'une même entreprise. Ce danger existe. 4° Que· la question essentielle qui SE} pose pré• sentement aux militants syndicalistes est de sa• Encore faut-il dire qu'il existe même quand le voir où et comment intervenir pour rendre, ou personnel n'a aucun droit de regard, de con• pour donner, un rôle de moteur social à la classe trôle ou de participation. Le premier but c'est ouvrière. d'attirer l'intérêt du salarié sur sa boîte, et de Venons-en maintenant aux choses pratiques et lui faire perdre son habitude d'être « objet ». possibles. « La classe ouvrière style d'autrefois » S'il comprend que les salaires non payés· ont servi n'existe pas, et peut-être faudrait-il se demander à l'acquisition de nouvelles machines, la cons• si elle a jamais existé autrement que par l'espoir, truction de nouveaux bâtiments, mais que sa la volonté, l'esprit de sacrifice, l'audace de quel• condition n'en a pas changé et que cette frus• ques équipes militantes. C'est la classe ouvrière tration doit cesser, il s'ouvrira aux questions de d'aujourd'hui qui affronte la décadence capitaliste prix, de droit du consommateur, etc. Pour l'ins• et la montée totalitaire. Ce sont les syndicats tant, il n'a aucune possibilité de choisir une poli• libres, minoritaires, numériquement faibles, qui tique puisqu'il n'est pas dans la course, et que ont à rassembler leurs forces pour frapper en• nul ne tient à ce qu'il y soit. semble, en choisissant soigneusement leurs objec• L. M. tifs, de façon à ce que la nature de ceux-ci leur donne l'appui de l'ensemble des salariés et la sympathie de certaines couches de la population. Les propositions de Fontaine sont excellentes en soi. Mais je ne vois guère le copain F.O. ou auto• nome, où C.F.T.C. qui est parvenu à créer une PIERRE LE MEILLOUR petite section dans une boite de métallurgie s'ar• mer de ce programme pour créer un nouvel état Pierre Le Meillour, militant anarchiste, vient de d'esprit chez les travailleurs de son entreprise, mourir à l'âge de 70 ans, après une longue maladie s'en servir pÔur les regrouper et les faire agir. qui l'avait contraint à se retirer de l'arène sociale Sauf le point I, qui constitue le pain quotidien depuis plusieurs années. de l'activité militante, ces revendications ne four• Des militants libertaires et syndicalistes, ainsi nissent pas au salarié une raison de secouer sa que des camarades du Livre l'ont conduit au cime• méfiance, ni un attrait suffisant pour qu'il se tière de Sartrouville, où un dernier hommage lui a risque à marcher. C'est pour bien des revendica• été rendu et son ardente activité de lutteur liber• tions un programme gouvernemental et non un taire rappelée. programme d'action ouvrière.

28-236 Situation industrielle de la ville de. Montbrison.

Nos jeunes camarades de l'U.L. des syndicats F.O. de Montbrison (Loire) ont établi un petit. tableau de la situation industrielle de leur ville. C'est une initiative très inté• ressante, excellente pour la formation personnelle des militants qui y ont participé et très utile pour orienter l'action des syndicats. Nous· avons cru devoir là reproduire avec l'espoir que le méme travail sera entrepris dans tous les centres ouvriers. - U. T.

I. - MAIN-D'ŒUVRE lement vers Saint-Etienne, ce qui est une anomalie 10 I.N.S.E.E. donne le; chiffres de salariés sui• importante. vants (entreprises de plus de 10 ·salariés) Métaux Textile Divers II. - ETAT DES FABRICATIONS ET POSSIBILITÉS Moingt .. .. 214 283 Montbrison .. 287 80 141 10 Métallurgie. Savigneux . . 517 15 Main-d'œuvre disponible dans la fonderie (Cha- . -- - vanne) et l'industrie de la mèche à bois : deux 1.018 80 439 fabrications en voie de disparition pour des rai• 20 Evolution de la main-d'œuvre dans les deux sons différentes. D'une part, disparition de la usines importantes de la métallurgie fonte; d'autre part, dans la mèche à bois, mau• 1951 1952 1954 vais outillage qui ne permet pas d'autres fabri• cations. Type même de l'entreprise marginale Chavanne 460 460 430 (1) (mauvais équipement, bas salaires, etc.). ' Meudon . 140 220 (2) 140 (3) 2° Mécanique. Grosses entreprises Chavanne• 3° Industrie de la mèche et de l'outillage. Brun et Meudon. En diminution constante de quelques unités Après une crise en 1953, les Forges de Meudon depuis 1951. semblent en voie de reprise sérieuse. En 1954, se manifeste une certaine stabilisation Dans ces deux entreprises, outillage moderne, qui, toutefois, parait extrêmement précaire du constamment amélioré, pouvant répondre d'une fait du mauvais équipement de ces petites usines. façon intéressante à un accroissement de produc• tion et, éventuellement, un accroissement de main• 40 Textile : Pratiquement disparu. d'œuvre. 5° Industrie du jouet : s'est développée jus- Nous voyons, quant à nous, dans le développe• qu'en 1952. · ment de ces deux usines modernes un premier Stationnaire depuis cette date (Etablissement élément de solution à la crise de la main-d'œuvre Giroux-Gégé). montbrisonnaise. Occupe environ 400 personnes jusqu'en juin, 800 personnes de juillet à décembre (main-d'œuvre 3° Implantations nouvelles. essentiellement féminine). L'implantation d'industries nouvelles nous ap• Industrie qui apparait assez. bien équipée. Sa• paraît comme un deuxième élément de solution. laires très bas, faute d'organisation syndicale so• Nous notons, en ce sens, l'existence de vastes lide, et ce, malgré une grande .prospérité écono• terrains disponibles à Savigneux et à Moingt, mique. dans un rayon inférieur à 3 km. du centre de 6° Industries de moins de 10 ouvriers. la ville. Nous notons encore l'existence de voies de com• Occupent plus de 300 salariés dans les trois munication importantes (chemins de fer, ligne communes de l'agglomération, salariés répartis Saint-Etienne-Clermont. Routes dans toutes les di• dans une multitude d'activités : métallurgie, bâ• rections). timent, scieries, minoteries, commerce de gros ou demi-gros, etc. III. - LOGEMENTS 70 Main-d'œuvre disponible. Début 1954, 200 salariés se trouvaient sans em• Comme partout, la crise du logement sévit à ploi, dont 50 % de main-d'œuvre féminine. Sur Montbrison, non pas à cause d'une augmentation les 100 femmes disponibles, 30 % sont soutiens sensible de la population, mais suite à la vé• de famille. tusté de vieux bâtiments très nombreux qui de• Une série de grands travaux municipaux (H.L.M., viennent inhabitables. Montbrison est une vieille station d'épuration de l'eau, égouts, etc.) ont ré• ville. solu provisoirement le problème, mais dès l'au• Depuis 1948, une centaine d'habitations indivi• tomne la fin des travaux va libérer une impor• duelles ont été construites. tante main-d'œuvœ dont la récupération dans les En 1955, un immeuble H.L.M. de 18 apparte• industries existantes sera difficile. ments, puis un autre de 12 logements seront Depuis le 1er août, un fonds de chômage a été habités. ouvert ; ce qui n'est qu'un palliatif. L'usine Chavanne-Brun se préoccupe de la cons• truction prochaine de 15 à 20 appartements. go Déplacement de la main-d'œuvre. Cela contribue à résoudre la crise immédiate, Une centaine de salariés se déplacent journel- mais est loin de donner à tout habitant de Mont• brison un logement digne de ce nom. Un pro• (1) Ce licenciement provient de la disparition gramme assez vaste de logements nous apparaît d'une fonderie. (2) Embauchage massif, les biens d'équipement être un troisième élément de solution à la crise étant alors très demandés. ' actuelle. (3) La crise générale de 1952-53 se répercutant en L'UNION LOCALE 1954 sur les biens d'équipement. DES SYNDICATS C.G.T.-F.O.

29-237 LES PROPOS DU PROLO

INDÉPENDANCE ET LIBERTÉ

Comment de l'attitude de l'Eglise vis-à-vis des ty• force à ménager : l'Eglise ou, tout au moins, le rans on en arrive à éprouver le besoin de préciser mouvement spirituel entretenu par l'Eglise. en quoi consiste l'indépendance du syndicalisme - Et la C.F.T.C. ? - Elle n'est pas davantage libre. La R.P. a, avec juste raison, signalé la collusion » Quelques éléments de gauche s'octroient une de l'Eglise catholique avec Franco, mais ce n'est grande liberté de pensée et de mouvement, mais, pas un fait isolé. En la personne du nonce apos• en fin de compte, ils ne jouissent que de la tolique, Mgr Generao Verolino, l'Eglise a pris une liberté limitée, orientée, dont je parlais tout à part active à la conquête violente du pouvoir par l'heure. L'énorme majorité veut une centrale chré• le dictateur fasciste : le colonel Castillo Armas, tienne, inspirée directement ou indirectement par au Guatemala. Aussi, Mgr Generao Verolino, le 5 l'Eglise. Ce ne peut donc être une centrale libre, juillet dernier, a-t-il été tout particulièrement ac• indépendante, du fait .qu'à certains moments son clamé par la foule versatile assemblée pour accueil• attitude peut être déterminée par la position lir son nouveau maître. ou les réactions possibles d'une force extérieure, Tout .comme le capitalisme yankee, avec d'au• ou inspjrée par les textes saints et encycliques tres moyens, mais plus ouvertement, l'Eglise s'est qui n'ont de valeur que pour certains croyants. rangée du côté de l'homme·qui venait pour écraser - Le mot indépendance a donc pour eux le le mouvement ouvrier « au nom de Dieu, de la même sens que pour les communistes, les trots-. patrie et de la liberté ». kistes, certains socialistes et même certains anar• Pour ne pas retomber dans ce que certains chistes, c'est-à-dire le sens d'indépendance orga• appellent l'anticléricalisme étroit de la fin du siè- nique, ou liberté de percevoir les cotisations , cle dernier et du début de celui-ci et pour ne comme ils l'entendent, de tenir leurs livres de· pas contrarier les militants chrétiens du mouve• comptes comme ils veulent... ou encore, liberté ment ouvrier, on a tendance à passer sous silence de voter en fin d'A.G., groupant un centième des les méfaits et les compromissions de l'Eglise, cette adhérents, une motion politique. puissante force de conservation sociale et d'as• - Exactement. Il s'agit d'une liberté corpo• servissement de la pensée qui a repris avec plus relle, si l'on peut dire. L'âme est importée de de souplesse sa marche vers la conquête du pou- l'extérieur. D'ailleurs, vois-tu, du fait que tu es voir temporel. - un croyant, un croyant de l'Eglise catholique, ou Je dis avec plus de souplesse parce que, 'dans stalinienne, où autre... c'est-à-dire du fait . que le même moment où elle inspire des Franco tu crois détenir la Vérité, une vérité codifiée ou des colonels Armas, elle utilise des partis ou dans les Testaments ou dans le Capital ou les mouvements qui se présentent comme les parti• œuvres d'un penseur quelconque, tu ne peux être sans les 'plus vigilants de la démocratie et de un partisan sincère de l'indépendance du syn• la libération du peuple, elle pousse à la consti• dicalisme. Tout mouvement qui n'admet pas ta tution d'équipes de militants ouvriers chrétiens Vérité, tout homme qui n'admet pas ta Vérité dévoués et actifs - qui se hissent à la tête des sont dans l'erreur et tu éprouves le besoin de luttes ouvrières - et semblant jouir de la plus les ramener dans la bonne voie. Admettre .qu'il complète indépendance de pensée. y a une Vérité sacrée, c'est être prédisposé à - Mais que peut objecter à cela un syndica• l'intolérance, à la fixation de limites à la liberté liste ? me dira-t-on, et à l'indépendance des organisations et des mi• - Il peut d'abord faire remarquer aux syn• litants. J'allais dire c'est être prédisposé à ad• dicalistes à appellation chrétienne - avouée ou mettre l'oppression, une oppression juste, puis• camouflée - qu'ils ne sont pas des syndicalistes qu'elle doit assurer le règne de la Justice. au sens donné à ce mot au début au siècle. Au Le mouvement syndical est en déconfiture parce temps de Pouget un syndicaliste était un homme qu'il n'a · pas su garder son indépendance et sa libre, complètement libre, dégageant sa concep• liberté, parce qu'il a supporté qu'on lui importe tion du monde et d'une société meilleure de la son âme de l'extérieur, se liant plus ou moins à vie telle qu'elle se manifestait ou s'était mani• des forces temporelles ou spirituelles ou tout au festée, n'éprouvant pas le besoin de se confier moins acceptant de les ménager, même lorsqu'elles ou de demander conseil à un directeur de con• portaient atteinte à la liberté et à la dignité science extérieur au mouvement, n'ayant personne de l'homme, ou qu'elles composaient avec des ni aucun groupement à ménager ... 'tyrans. - Tu veux dire alors que les militants chré• Il n'y a pas de Vérité absolue parce que tout tiens n~ sont pas libres ? est mouvement ; rien n'est fixe, rien n'est immo• - En général, ils ne le sont pas entièrement, bile, toute situation ou toute ligne d'évolution pas plus que le militant communiste qui jouit envisagée pouvant être modifiées par l'interven• d'une certaine liberté de mouvement pour appli• tion d'un fait nouveau imprévisible. Un système quer les décisions qu'on lui impose, à qui on per• conçu à un moment donné ne peut être valable met des tolérances de langage ou de comporte• pour toutes les situations ; même les lois géné• ment pour pénétrer dans les milieux non con• rales qu'on établit par-dessus . les systèmes ne vertis, mais qui n'a pas le droit de faire quoi que peuvent avoir une valeur éternelle puisqu'elles ce soit qui porte atteinte à l'intérêt ou au prestige ont été élaborées par des hommes ne disposant des chefs de la religion nouvelle. Leur conception que de connaissances et de moyens d'investiga- du monde leur vient de l'extérieur ; ils sont plus tion incomplets. · ou moins contrôlés de l'extérieur, selon les po• Au-dessus des vérités sacrées, des conceptions sitions qu'ils sont amenés à prendre ; ils ont une définitives du m~mde, nous pouvons trouver assez

30-238 de points communs nous permettant de sceller ainsi une âme commune dans une ambiance de une unité durable et de donner une âme à notre liberté. mouvement. Ne serait-ce que notre volonté de Si nous acceptions de travailler et de lutter comprendre le monde par l'étude objective de la avec un tel état d'esprit, nous pourrions recons• réalité, étude qui se trouve rejoindre la recherche truire un mouvement syndical uni et indépendant, objective de la vérité, c'est-à-dire, pour un in• mais tant que certains d'entre nous viennent au croyant comme moi, la recherche d'une explica• syndicat avec une conception bien arrêtée du tion aussi juste -que possible des faits économi• monde, avec une Vérité absolue et avec la vo• ques et sociaux et de leur évolution, avec un lonté d'utiliser le mouvement syndical pour les effort permânent de dégager des lois, donc Je faire accepter par le monde ouvrier, ne parlons sens possible de l'évolution de la société. Notre pas d'Unité. volonté d'influencer la vie économique et so• L'unité ne peut être que la conséquence de ciale dans Je sens de la justice et de la liberté ... la prise de conscience d'un prolétariat décidé à dé• avec, au bout de tous ces efforts et des luttes terminer lui-même les buts et l'orientation de qui les accompagnent nécessairement, l'homme son action, d'après les conditions de travail et libre, le producteur Iibre que nous créerions si la de vie du moment, telles qu'il les constate et vie n'était pas un mouvement sans fin produit non d'après les lois immuables importées de l'ex• par le heurt de forces qui s'opposent, mais qui térieur par des croyants ; d'un prolétariat libre existe tout de même puisqu'il symbolise la per• qui n'a aucune force temporelle ou spirituelle à manence · de notre effort... et qu'il nous donne ménager.

RECONVERSION ET SALAIRES

La reconversion est à la mode. Et pourtant neront, habilitées pour proposer des modifications ce n'est point un phénomène nouveau. Ce n'est de salaires. rien autre que l'adaptation des entreprises aux Déjà, sous la pression des organisations syn• techniques nouvelles et aux conditions nouvelles dicales libres, la Haute Autorité de Luxembourg a du marché. Dans le régime de la libre concur• consenti une aide de 300 millions pour le reclas• rence elle s'imposait naturellement ; les entre• sement des métallurgistes privés d'emploi ou ame-' prises qui ne s'adaptaient pas étaient éliminées. nés à changer de travail à la suite des modifi• Dans les économies dirigées, les plans l'assurent cations de structure opérées dans les usines re• par voie d'autorité à courts intervalles. En Fran• groupées de Firminy, Unieux, Saint-Etienne et ce, les réglementations et les protections stupides Saint-Chamond, sous la nouvelle appellation de So• de l'Etat et des organisations professionnelles ciété des Ateliers et Forges de la Loire. l'avaient empêchée et avaient, par répercussion, Un gros effort de modernisation a été fait dans imposé aux consommateurs les prix de revient le groupe : une seule aciérie avec deux fours élevés des entreprises les plus routinières, grevés perfectionnés de cinquante tonnes remplace les d'un coût élevé de distribution. trois aciéries de neuf fours de quarante tonnes ; Le mal est profond, mais les grands maitres de deux ateliers de cinq fours à arc remplaceront les la rv, République : la bureaucratie dirigiste et cinq ateliers de neuf fours à arc ; deux trains les représentants des classes moyennes et des de laminoirs dégrossisseurs suffiront pour satis• patrons arriérés, ne voulaient pas toucher aux faire les besoins du groupe à la place des quatre situations acquises. Nous avons bien assisté à qui fonctionnaient précédemment et sept sur quin• quelques tentatives de réorganisation, dans la mé• ze seulement des trains de laminoirs finisseurs tallurgie notamment, avec les concentrations opé• subsisteront... Mais sur les 12.500 salariés em• rées au cours de ces derniers mois (Usinor, Side• ployés, 1.200 deviennent inutiles dans leur emploi lor, Lorraine-Escaut), dans l'automobile (absorp• actuel et il faut les · reclasser. La société s'est tion de Ford par Simca), dans les chapelleries engagée à ne licencier aucun ouvrier dans un de l'Aude qui se sont orieritées vers la fabrication délai de quatre ans. de produits en matières plastiques ; dans les houil• Les délégués des syndicats ont une tâche dé• lères par la rermeture de puits de mines non licate à poursuivre ; elle exige de leur part une rentables... Nous avons même · connu quelques connaissance précise de la situation des entre• essais de décentralisations (caoutchouc-métallurgie prises... et du pool. Elle exige également une alpine, ateliers Renault en province). connaissance précise de la situation de l'industrie Cependant, l'ensemble du patronat et des clas• métallurgique de la région. Car, si la Société ses moyennes reste rebelle aux grandes transfor• des Ateliers et Forges de la Loire ne licencie pas mations et persiste à chercher son salut dans de personnel, elle n'en embauche plus. Et il y a les mesures protectionnistes et dans une politi• des chômeurs dans la région, dont le nombre que sociale rétrograde. D'où le recours de Mendès• menace de grandir rapidement si les patrons France aux pleins pouvoirs pour imposer son plan de la Loire persistent dans leurs anciennes mé• d'expansion qui implique certaines reconversions thodes de travail sous la protection de l'Etat. non consenties par les intéressés. Ils ont réussi à échapper à la première phase Mais la classe ouvrière est également frappée de la libération des échanges, mais il faudra bien, par ces réorganisations importantes qui entrai• sous peu, se plier à la .situation et envisager de nent des déplacements et un reclassement de mil• nouvelles productions ou une meilleure organisa• liers d'ouvriers et qui risquent de s'accompagner tion du travail dans les fabrications en cours. d'une intensification du travail. On travaille encore, dans certaines boîtes, dans Un fonds de reclassement de la main-d'œuvre des conditions lamentables ; on y produit peu et est prévu pour rééduquer les ouvriers licenciés à gros effort dans une ambiance déprimante. et les déplacer vers )es entreprises nouvelles ou Et les nouvelles fabrications s'mstallent dans le en extension. Des commissions paritaires fonction- Rhône ou dans l'Allier où des chefs d'entreprise

31-239 sont à l'affût de productions nouvelles. La main• d'œuvre de la Loire, qui bénéficie de plusieurs siècles d'expérience, est menacée de chômage. ··lIES Un Comité d'étude et d'action pour l'expan• sion économique et sociale de la région stépha• Robert Lauzon : LA CHINE : ses trois mlllénalres noise vient d'être créé pour remédier à cette d'histoire. Ses cinquante ans de révolution (Edi• situation. Les conditions dans lesquelles il a tions de la « Révolution prolétarienne »). été créé et l'état d'esprit du patronat nous font émettre des doutes sur l'efficacité des mesures La Chine 'est un ouvrage qul vient de loin et porte qui seront préconisées. De ce côté encore les mili• loin. Comme souvent chez Lauzon, les rétrospectives tants syndicalistes doivent ouvrir l'œir. Evidem• et les perspectives s'étendent sur des millénaires. Il ment, cela exige de leur part un gros effort et ne pouvait mieux choisir son sujet. L'évolution du une conscience très nette de la situation de la peuple chinois de la préhistoire à nos jours explique métallurgie et de l'économie de la région, du toute l'histoire du monde. Enfermés dans une chro• pays et même du monde entier. Mais tous les nologie · limitée, divisée en chapitres qui ne don• problèmes posés appellent une solution ouvrière ; nent aucune idée de svnchronisme ou de la succes• toute mesure de conversion ou de décentralisa• sion des civilisations dans le temps et dans l'espace, nous enseignons l'hlstolrn comme on enseignerait tion a des répercussions sur les conditions de la zoologie le long des cages et des parcs du jardin travail et de vie des ouvriers ; leurs représen• zoologique. tants doivent être en mesure de les prévoir et de L'histoire de la Chine s'écrit sous le signe de la prévoir la défense des intérêts ouvriers dans le durée, comme celle des Etats-Unis sous le signe de cadre où ils se trouvent posés. l'espace. Le Français moyen, habitué à enfermer le monde de Jules César à M. Coty, et de Dunkerque C'est tout le problème du syndicalisme dans à Perpignan est saisi de verttge devant les dizaines l'économie moderne qui se trouve posé. Il ne sera de millénaires nécessaires pour fixer les civilisations pas résolu par la répétition de rormules extrai• dans les vallées des grands fleuves, devant les mil• tes d'un bréviaire quelconque, mais par . une in• llers de kilomètres parcourus par les dynasties chi• tervention .opportune et justifiée, appuyée par . ~oLses pour constituer leur empire, devant. la préfi- l'action de l'ensemble des ouvriers, eux-mêmes guration en Chine, avec toujours plusieurs siêcles d'avance, des activités, des constitutions, des formes conscients de la situation nouvelle qui leur est sociales, politiques. cultu'renes, qui ont marqué faite. l'histoire de l'Europe occidentale, de !'Antiquité aux Ici, la conscience de classe a un contenu pré• Ternps modernes. . cis ; elle n'a rien à voir avec celle des intellec• Non seulement les Chinois ont connu l'imprime• tuels du mouvement ouvrier qui ne voient dans rie plus de 500 ans avant nous, mais ils ont connu, bien avant nous, le système féodal, l'unification na• le prolétariat qu'une masse de manœuvre qu'on tionale, le « bonapartisme », l'économ.le dirigée, etc. anime avec des slogans de circonstance, pour Les historiens modernes ont tendance à se mé• appuyer des courants idéologiques dominés par fier des lois historiques par lesquelles on veut tout des hommes qui n'ont jamais pu quitter le do• expliquer. Il est vrai que la « philosophie de l'his• maine de la pensée abstraite. toire » porte à schématiser avec excès, à ne vouloir voir que ce qui confirme des thèses préalablement La renaissance· du, syndicalisme sera l'œuvre de établies. ces militants conscients des tâches que la si• Lauzon ne parait pas « systématique », lorsqu'il tuation économique leur impose, ou elle ne sera explique l'opposition entre. !'Hindou croyant et le pas. Chinois athée par la fatalité de la sécheresse et l'ef• rrcacttë humaine de l'irrigation - la naissance et Avec ·juste raison, Roger Hagnauer parle de le développement du bouddhisme, parallèles à ceux réveiller la spontanéité ouvrière. Mais la spon• du christianisme dans l'Empire romain - l'immo• tanéité ouvrière ne se provoque pas du dehors, bilisme culturel, cause et effet de l'opposition en• a un moment souhaité ou voulu, elle est la tre la langue parlée et la langue écrite - les deux manirestatton d'une conscience latente et, lors• vocations contradictoires du Chinois : agricole et qu'elle se manifeste, lorsqu'elle éclate, les ouvriers commerciale ... Un hiatus dans l'histoire du peuple chinois : le peuvent seulement être amenés à se ranger avec passage à «·l'âge industriel » - Les « Barbares » les militants qui, en permanence, font l'effort de de l'Ouest disposaient d'une technique inconnue des prise de conscience qu'eux n'ont pas la possibilité Chinois. de faire. Dans l'intervalle des manifestations, des Ici les explications de Louzon nous permettent de éclatements de spontanéité ouvrière, le mouve• comprendre des événements contemporains, qui ont ment syndical doit favoriser l'effort de prise de retenu notre attention de militants. L'échec de la conscience chez tous les ouvriers qui en éprou• colonisation de la Chine - par l'Ew·ope, par le Japon - le Kuo-mfrr-ta ng, la naissance d'un mouvement vent le besoin, et nous en arrivons au problème communiste d'â.bord relativement libre, puis soumis de l'éducation ouvrière qui n'a jamais trouvé de aux sinuosités de la politique stalinienne. solution satisfaisante ; Je jeu des idées a trop Partant de loin, l'œuvre de Louzon porte loin. souvent le dessus sur l'analyse des faits et la C'est en Asie que peut se jouer demain la partie compréhension de la réalité. Ça se comprend, essentielle. Et le sort de l'Asie est lié à celui de la c'est plus facile, cela procure des satisfactions Chine, au phénomène d'industrialisation de la Chi• immédiates, les satisfactions de l'homme qui a ne. Celle-ci est le théâtre d'une révolution qui « faite pour la libérer de l'emprise étrangère a abou• résolu un problème délicat ou réussi un jeu, ti par son développement même à une emprise tandis, que l'analyse objective du monde écono• étrangère renforcée ». mique et social, ça n'apporte qu'une lente accu• Industrialisée par et pour la Russie, la Chine se mulation de connaissances, et ce n'est qu'après llbérera-t-elle par l'industrialisation même de la un long et tenace effort qu'on a l'impression de puissance protectrice ? voir clair. Dans cette deuxième voie on s'en• Louzon pose la question. La réponse dépend de gage tout entier, on affronte seul la réalité com• forces qui nous échappent. Mals si la fin est hors de notre portée, la question détermine la tendance de plexe et écrasante ; dans la première on fait tous les hommes libres du monde : séparer la Chine seulement acte d'adhésion après un effort de de la Russie ! - R.H. compréhension, et on a seulement l'immédiate satisfaction de redécouvrir la pensée d'un maitre Le gérant J.-P. FINIDORI qui peut n'être déjà plus dans la course. Irnpr, « Editions Polyglottes» 'LE PROLO. 232, rue de Charenton, Par!S-12• P. Rouquet (Indre) 300 ; Delusme (Seine) 300 ; Bi• gaux (Oise) 300 ; Millot (Paris) 300 ; Delandsheer !il' o.ù oient f 'a'tg,fflt ? .35Q RECETTES : francs. Abonnements ord.lnaires .. 115.390 Abonnements de soutien ...•.. 55.300 170.690 SouscrlptJon ...... 19.350 Vente « R. P. » ...... 2.040 Vente « Chine » . . . . 14.400 LES FAITS DU MOIS Divers (librairie) . . . . · .. --1.050 lllftlllllllUUUIIUUUUUUUIHIIIUDUUUDOUURUUUUUIIUIIIRIDI 207.530 .SAMEDI 3 JUILLET. - Attaque du Vietminh sur En caisse au 1er juin ...... 114.262 Phuly. --- DIMANCHE4. - Le parti socialiste se prononce pour 321.792 la C.E.D. par 1.962 mandats contre 1.193. --- MARDI 6. - En Tunisie, un combat entre fellagas DEPENSES : et troupes françaises, à l'est de Gafsa, fait 10 Impression (mai, Juin, juillet-aoüt) 273.512 'morts. Frais d'expédition 21.505 Démission du cabinet tunisien. Frais généraux ...... 220 Ouverture à Paris du congrès du Syndicat Na• Divers (librairie) 600 tianal des Instituteurs. Téléphone . 4.915 MARDI 20. - Signature des accords d'armistice à --- Genève. 300.752 MARDI 27. - Signature au Caire de l'accord anclo• En caisse au 31 aoüt 1954 : égyptien sur l'évacuation du canal de Suez. E

R. LOUZON LA· 'CHINE Ses trois millénaires d'histoire - Ses cinquante ans de révolution l

Prix de l'ouvrage : 400 fr. franco.

Pour les commandes de plus d'un exemplaire: 300 fr. franco

« A son habitude, Lauzon est clair, < L'auteur s'est surtout proposé de schématise les évolutions, rappelle la mettre en lumière le mécanisme .d'une nature des moteurs sociaux, ramène évolution qui a conduit la Chine à la les détails et le pittoresque à leurs russification actuelle, en attendant, dimensions, en soulignant les forces une nouvelle phase dont il est pré• essentielles. > maturé de prévoir les effets. > LE COUPE-PAPIER. SERGE. (L'All1ance ouvrière.) (Défense de l'homme.)

« Le livre de Lauzon soulève tous les grands problèmes de notre temps. Tous ceux qui ont les yeux ouverts sur le devenir. historique doivent le lire. > Maurice LIME. (Après l'boulot.)

Prière d'adresser les commandes, avec leur montant, à La Révolution Prolétarienne, 14, rue de Tracy, Paris-2· C.C. postal PARIS 734-99