Photo de couverture : Le lac d'Aiguebelette (Cliché L. Chabert). La présente édition réalisée par l'Imprimerie Arc-Isère à Montmélian comprend 2 000 exemplaires dont 100 exemplaires numérotés de 1 à 100 et 6 exemplaires hors commerce numérotés de AàF constituant l'édition originale. A Louis Chabert dont l'aide me fut précieuse. A Pierre Chappel et à Paul Mulet-Marquis, mes aînés d'une génération, auprès de qui j'ai beaucoup appris sur l'histoire du pays des Guiers. Trésors de la Collection animée par l'Abbé Lucien Chavoutier Volumes parus : Y. Brêche et L. Chavoutier, Une vieille vallée raconte ses souvenirs, Petite Histoire de la Tarentaise, 3e édition, 14e mille. L. Chabert et L. Chavoutier, Une vieille vallée épouse son siècle, Petite Géographie de la Tarentaise, 3e édition, 1Oe mille. Richesses de la Savoie, Itinéraires à travers l'art et la culture du pays savoyard. J. Lovie, La vraie vie de tous les jours en Savoie romantique (1815-1860), 2e édition, 6e mille. P. Gensac et D. Fraissard, Couleurs de Vanoise. J.R. Clocher, Histoire Populaire de la Savoie, 2e édition, 5e mille. A. Palluel-Guillard, Estampes de Tarentaise. L. Chavoutier, Saint-Bon-, de la cellule rurale à la station- phare. L. Chabert, Aimer la Maurienne. J. Ratel, chante. A. Palluel-Guillard, Images de Maurienne. L. Chabert et L. Chavoutier, D'Aigueblanche à Valmorel, 2 000 ans d'aventure alpine. B. Janin, Le col du Petit-Saint-Bernard. En collaboration, Fascinant Mont-Cenis (Commentaires en français et en italien). M. Gougain, Scènes chambériennes. J.R. Clocher et M. Gougain, Dis-moi la Savoie. A. Marnézy et Y. Bravard, La Vanoise en marchant. Claude Castor et J.F. Tanghe, Samoëns. Y. Bravard, Catastrophes naturelles en Savoie. R. Bozonnet, Y. Bravard, M. Chardon, Le Mont Blanc. En collaboration, Contes et légendes de Savoie. A. Pachoud, Notre-Dame de . A. Charvet, Les pays du Guiers. Hors collection : L. Chabert, Les Grandes Alpes Industrielles de Savoie - évolution économique et humaine (thèse de doctorat d'Etat, 560 p.), épuisé. André Charvet Entre Chartreuse et Rhône

-Les ®ays du GuierS

Les Echelles Pont-de-Beauvoisin Saint-Genix-sur-Guiers Le Val d'Aiguebelette La Chartreuse de l'Antiquité à nos jours

@ André Charvet

1. A la jonction des Alpes et du Jura

ORSQUE VENANT DE L'OUEST, alors que le Bas- Dauphiné incline en pente douce vers les rives du Guiers et que de Saint-André-le-Gaz ou des Abrets on commence à apercevoirL le cadre montagneux qui figure les limites occidentales de la Savoie, il suffit d'ouvrir les yeux pour assister de toute évidence à la rencontre de deux mondes. Le bassin du Guiers possède en effet le pri- vilège peu commun de présider à l'étonnant mariage des Alpes et du Jura. Plein Est, on est d'abord surpris de découvrir l'horizon fermé par une longue barre d'une remarquable horizontalité. C'est la montagne du Chat et de l'Epine, principale excroissance du Jura en terre savoyar- de et qui a valu à notre région des quatre cantons de Yenne, Saint- Genix, Pont-de-Beauvoisin et Les Echelles l'appellation de «Perir- Bugey». Rectiligne, la chaîne de l'Epine l'est avec constance en se maintenant au-dessus de 1 400 mètres du Mollard Noir (1 452 m) au Château Richard (1 441 m) et il serait malaisé d'y distinguer le point culminant s'il n'était signalé par le relai de télévision. Son prolonge- ment méridional est tout aussi régulier de la pointe de Gratte-Cul (1 232 m) au mont Beauvoir (1 319 m) avec, à peine plus marquée, la supériorité du Mont Grelle dominant le lac d'Aiguebelette de ses 1 425 mètres. Entre ces deux merlons, un créneau moins élevé mais tout aussi régulièrement calibré s'étale sur sept autres kilomètres à une altitude de quelque mille mètres. A peine y devine-t-on les discrètes entailles des cols Saint-Michel (903 m), du Crucifix (915 m) et de l'Epi- ne (981 m) qui ne mériteraient guère d'être mentionnées si l'on n'avait affaire ici à d'importants points de passage ouverts aux voyageurs de toute antiquité. LE PETIT BOOET SAVOYARD ET SMS QPAgRE CAJTOW3 Y*iia«,Saint-0*nlz-sur-0ul«rsfPont-d*-B«*UToi«infL«a Boh«ll«»

Alors que l'on s'approche de Pont-de-Beauvoisin, on distingue mieux, se détachant du fond vert sombre, un autre chaînon formant une barre parallèle à la montagne de l'Epine mais de moindre amplitu- de. Ce chaînon que l'on hésitera à qualifier de montagne a reçu le nom de son point culminant : le Mont Tournier qui ne s'élève qu'à 876 mè- tres. Traversé par le Guiers aux Gorges de Chailles, il poursuit sa pro- gression bien plus au Sud jusqu'à la montagne du Grand-Ratz au- dessus de Voreppe. Ces deux alignements jurassiens du Mont Tournier et de l'Epine sont séparés par une dépression continue qui atteint une belle ampleur dans le secteur de -Aiguebelette. Elle s'élargit à nouveau dans la plaine des Echelles après s'être quelque peu rétrécie au niveau des collines de et Saint-Franc. De notre belvédère dauphinois nous apercevons vers le Sud-Est le massif de la Chartreuse dominant, comme il se doit, d'une bonne tête sa compagne de l'Epine. Là commencent les Alpes. L'orientation ju- rassienne Nord-Sud disparaît et il n'est plus question de chaînons régu- liers mais au contraire de sommets nettement découpés que domine l'arête du Grand-Som (2 026 m), la seule à dépasser les 2 000 mètres au Nord du Guiers Mort. Il n'est guère facile de s'y reconnaître parmi les rochers du Frou, du Quartier de Pertuis, d'Arpison, du Solitaire qui dominent la plaine de Saint-Laurent-du-Pont. Tous ont du reste un air de famille avec leur zébrage de noires forêts sur lesquelles tranche la blancheur des vastes falaises calcaires. Avec suffisamment de recul, on parvient à distinguer celle du Mont Granier tendant vers le Nord par- dessus l'épaule de l'Epine. Tout au Sud apparaît une succession étagée de barres rocheuses : rochers du Pin, de Choroland, la Grande et la Pe- tite Vache et enfin la Grande Sure qui domine de ses 1 919 mètres le col de la Placette. D'emblée la Chartreuse nous semble une barrière difficilement pénétrable où l'érosion n'a pu forer que deux ouvertures le long des cluses des Guiers. En atteignant le Mont Tournier, on assiste à l'avant-plan du mas- sif au lent déclinement de la chaîne de l'Epine qui se divise en deux branches. La première par Bande et Saint-Pierre-de-Genebroz vient s'éteindre aux Echelles avec le rocher du Menuet. L'autre, traversée par la route RN 6 au tunnel Napoléon, perforée par le célèbre passage des Grottes dont nous reparlerons bientôt, court en direction de la Char- treuse jusqu'au hameau d'Aiguenoire. Le contact entre les Alpes et le Jura s'effectue au lieu-dit la Colombaise sur le plateau de Berland qui prolonge la vallée de Couz. De la vallée du Guiers, il semble impossible de saisir toute l'am- pleur de cette forteresse qu'est la Chartreuse. Seule la route dite des trois cols qui joint l'une à l'autre les capitales du Dauphiné et de la Sa- voie permet en empruntant la dépression centrale de pénétrer au cœur Le Grand-Som vu de Saint-Pierre-de-Chartreuse. La dalle calcaire urgonienne for- mée au Crétacé s'est brisée lors du soulèvement de la Chartreuse et a formé cette structure en écailles caractéristique dont le triple escalier de falaises que l'on peut voir dans la direction du Grand-Som à Saint-Pierre-de-Chartreuse nous fournit un excellent exemple. A la rencontre des Alpes et du Jura. De la branche occidentale de l'Epine, à Saint- Pierre-de-Genebroz, on assiste au Nord au déclinement du Mont Beauvoir (le Jura) en direction des Grottes des Echelles tandis qu 'au Sud commence à apparaître la structure en écailles typique du massif de la Chartreuse (les Préalpes). (Les photos non signées sont de l'auteur). du massif et de le parcourir sur toute sa longueur. Dominant le col de Porte au Sud de Saint-Pierre-de-Chartreuse, le pic de Chamechaude, dont les 2 087 mètres, point culminant de la Chartreuse, peuvent ap- paraître mesquins face à l'altitude des grandes cimes alpestres, impres- sionne cependant par son isolement, sa forme aiguë et escarpée d'appa- rence inaccessible. Au Nord de Saint-Pierre-de-Chartreuse, le Grand Som domine de son triple escalier de falaises. C'est la montagne sacrée du massif C'est en effet dans un de ses replis, au pied d'un abîme de plus de 1 000 mètres, qu'est situé le monastère de la Grande Chartreu- se. En l'apercevant du sommet du Charmant-Son facilement accessi- ble, on se rendra compte que peu d'ermites ont eu le privilège d'une muraille aussi épaisse et aussi haute pour préverser leur solitude. Le col du Cucheron nous mène à Saint-Pierre-d'Entremont tandis que vers l'Est se poursuivent les crêtes de l'Alpette et des Lances de Malissard et qu'au Nord apparaît la haute muraille calcaire du Granier au pied du- quel le troisième col permet à la voie cartusienne de joindre Chambéry. Ce long couloir central qui joint le col de Porte à celui du Granier va nous permettre d'introduire un peu de clarté dans le fouillis des monts de Chartreuse. Au Nord-Ouest de la dépression, la montagne prend la forme d'écaillés calcaires pressées les unes contre les autres et redressées vers l'Ouest. L'explication en est simple. Lors du soulève- ment, la dalle calcaire urgonienne formée au Crétacé s'est brisée et les morceaux soumis à la compression au cours du plissement ont formé cette structure en écaille dont le Grand Som vu de Saint-Pierre-de- Chartreuse nous offre un magnifique exemple. L'inégale résistance à l'érosion des diverses strates calcaires a donné naissance aux sangles ca- ractéristiques de la Chartreuse. Ces corniches herbeuses qui ceinturent les hautes falaises des sommets constituent dans tout le massif des voies d'ascension à flanc de crête particulièrement pittoresques. A l'Est de la route qui joint les deux Saint-Pierre, la Chartreuse change d'aspect et nous apparaît comme une gigantesque tuile demi-ronde renversée s'étalant du Granier à la Dent de Crolles. Les géologues restent pru- dents quant à l'origine de cette curieuse morphologie. S'agit-il d'un synclinal perché au-dessus de la dépression centrale du massif et dont l'érosion aurait détruit les bombements latéraux ? Certains ne croient guère à la préexistence de ces anticlinaux et attribuent plutôt cette tex- ture à l'existence d'une barre corallienne sous-jacente. Les attaques de l'érosion ont donné à la Chartreuse ce type de re- lief karstique caractéristique des massifs calcaires. Les lapiaz, ces for- mes burinées par l'érosion karstique à la surface des roches, sont par- tout présentes avec des profondeurs variant de quelques centimètres (ce sont les «griffures du Diable») à plusieurs mètres comme dans le massif du Granier. Mais l'effet principal de ce phénomène reste invisible par- ce que souterrain. L'Inventaire spéléologique du massif de la Chartreu- se ne répertorie pas moins de 484 cavités connues. Le réseau de la Dent de Crolles est de loin le plus important avec notamment le célèbre Trou du Glas. Certains gouffres dépassent une profondeur de 300 mè- tres. C'est dans ces cavernes que se réfugièrent quelque 50 000 à 80 000 ans avant notre ère les premiers occupants de notre région révélés par la découverte de matériel moustérien à la grotte des Eugles au-dessus de Saint-Laurent-du-Pont. Comparée à la complexité de la Chartreuse, la formation de la partie jurassienne de notre région nous apparaît, si du moins l'on se cantonne aux grandes lignes, comme relativement simple. La poussée orogénique des Alpes a engendré ces ondulations régulières que nous connaissons bien. Les gonflements anticlinaux ont donné naissance aux chaînes de l'Epine et du Mont Toumier tandis qu'un creusement synclinal a été à l'origine de la vallée d'Aiguebelette. De larges pans de molasse s'y sont agglomérés au cours du Tertiaire. Celle-ci sera partiel- lement rabotée par les glaciers du Quaternaire qui vont modeler le pay- sage préexistant, creusant ici de vastes dépressions telle celle du lac d'Aiguebelette, accumulant là en «moraines» les matériaux transpor- tés. Preuve évidente de leur passage, quelques blocs mégalithiques, dont le plus célèbre est sans doute l'énorme «Pierre à Mata» de Miri- bel-les-Echelles, se dressent parfois au milieu des champs. Les falaises de la Chartreuse et de l'Epine forment la première grande barrière rencontrée par les dépressions atlantiques et il n'est donc guère étonnant que le bassin des Guiers soit assuré d'une humidi- té considérable. Qu'on en juge par les chiffres : Saint-Laurent-du-Pont reçoit en moyenne 1,7 mètre d'eau par an et la pluviosité dépasse les 2 mètres à l'intérieur du massif de la Chartreuse. Le taux moyen annuel de précipitation est de 1,8 mètre au sommet de l'Epine, de 1,3 mètre dans le secteur d'Aiguebelette et encore de 1,1 mètre à Pont-de- Beauvoisin. Cette humidité remarquable du climat est à l'origine d'une végétation luxuriante. La vallée du Guiers a la réputation d'un pays verdoyant où les teintes claires des prés se mêlent au vert plus foncé des forêts. De fait, après des siècles de civilisation traditionnelle où l'agri- culture de subsistance fut de rigueur, la région a retrouvé depuis quel- ques décennies sa véritable vocation sylvo-pastorale. L'humidité du climat s'accompagne comme il se doit d'une hy- drographie abondante. Le Guiers qui charrie plus de 10 mètres cube par seconde à la sortie des Echelles va pratiquement doubler son débit avant de se jeter dans le Rhône au niveau de l'ancien port fluvial de Cordon. Entre-temps il aura reçu divers affluents d'importance varia- ble. Sur la rive gauche, il s'agit principalement de l'Ainan en prove- nance de la vallée de Saint-Geoire-en-Valdaine. Alimentée par les ver- sants jurassiens, la rive savoyarde est plus fournie avec le Morge à Chailles, le Tier à Belmont, le Palluel à et le Truison à Saint-Genix. Déversoir du lac d'Aiguebelette qui collecte, notamment par la Leysse, les eaux de la dépression centrale, le Tier et ses affluents le Grenan et le Rondelet transportent un débit moyen annuel de trois mètres cube par seconde. La vallée secondaire constituée par le Tier et son affluent, le ruisseau des Sarrasins en provenance de Saint-Béron, semble avoir été empruntée par le Guiers aux temps géologiques. Véri- tables torrents de montagne, le Guiers Mort et le Guiers Vif connais- sent leurs plus hautes eaux avec plus de deux fois le débit moyen au printemps avec la fonte des neiges. Mais contrastant avec beaucoup de leurs semblables, ils ne sont jamais complètement à sec durant la pério- de estivale car la fréquence des averses sur les sommets cartusiens joue un rôle régulateur. C'est ainsi que les deux Guiers se classent parmi les torrents possédant le plus grand débit par kilomètre carré de bassin ver- sant. Les crues ne sont pas rares cependant. Car si le Guiers Vif reste à Saint-Christophe enfoncé dans ses alluvions, le Guiers Mort, au contraire, traverse la plaine de Saint-Laurent-du-Pont au niveau des terres environnantes. Autrefois, les débordements du Guiers Mort étaient fréquents. La rivière changeait de lit, divaguait dans l'Entre- deux-Guiers, submergeant de vastes étendues et menaçant les ha- meaux riverains. Les tentatives d'endiguement réalisées au XIXe siècle s'avérèrent vite insuffisantes et il faudra attendre les années 1950 pour que le Guiers Mort soit enfin canalisé sur toute la longueur de la plai- ne. Rivières cartusiennes par excellence, les deux Guiers viennent prendre leur source au cœur du massif Evacuant les eaux du bassin de Saint-Pierre-de-Chartreuse, le Guiers Mort voit le jour près de Perque- lin d'où il émerge d'une grotte peu profonde à 1 350 mètres d'altitude. C'est avec difficulté qu'il a dû se frayer un passage dans les gorges célè- bres entre toutes du Désert. Ces gorges sont si étroites, si escarpées et entrecoupées d'obstacles qu'à la fin du XVe siècle elles passaient encore pour inaccessibles. C'est dire si la solitude des moines du Couvent était bien préservée. La route actuelle qui de Saint-Laurent-du-Pont (autre- fois Saint-Laurent-du-Désert) joint Saint-Pierre-de-Chartreuse en pas- sant par le fameaux Pont Saint-Bruno sur le Guiers Mort ne date que de 1856. Le Guiers Vif naît quant à lui à un autre angle du massif, jail- lissant également d'un abîme souterrain d'où il se jette le long des pa- rois de l'admirable cirque de Saint-Même dans le bassin d'un autre Saint-Pierre : Saint-Pierre-d'Entremont. Lui aussi a dû entailler pro- fondément la falaise pour se forer un chemin vers l'Ouest. De la vertigi- neuse mute du Frou qui mène de Saint-Pierre-d'Entremont aux Echel- les, on ne se lasse pas de contempler J'abîme impressionnant au fond duquel le Guiers Vifa buriné un véritable canon. Le confluent des deux Guiers. Le Guiers Mort (à droite) qui vient de serpenter dans la plaine de Saint-Laurent-du-Pont possède un cours sensiblement moins rapide que le Guiers Vif assorti d'une pente plus raide à la sortie des gorges de l'Echaillon. D'où, sans doute, la raison de ces qualificatifs «mort» et «vif». Les falaises occidentales du chaînon du mont Tournier au niveau de Rochefort. Le Guiers Mort reçoit l'Herbétant et le Cozon. Le Guiers Vif a deux affluents : l'Hérétang et le Couzon. On est frappé par tant de pa- rallélisme et de similitude. Mêmes noms de rivières, mêmes sources, même direction de vallée, même vocable (Saint-Pierre) du village tra- versé et enfm même issue dans la plaine où les deux torrents confluent en aval des Echelles pratiquement à égalité avec un débit supérieur d'à peine dix pour cent pour le Guiers Mort. 'Curieuse toponymie que celle de ces épithètes Mort et Vifdont on s'est servi pour opposer les deux Guiers et dont l'origine se perd dans la nuit du Moyen-Age. C'est que jadis, dit la légende, le Guiers Mort in- terrompit son cours et cessa de couler pendant un an. Rappelé en sur- face par les invocations de saint Bruno, il garda cependant toujours le nom de Guiers Mort. En fait, la réalité est peut-être tout autre. Car si les deux torrents sont pareillement vifs en descendant la Chartreuse, il n'en est plus de même au niveau du confluent où le Guiers Mort vient de serpenter dans la plaine de Saint-Laurent-du-Pont tandis que le Guiers Vif, assorti d'une pente relativement raide à la sortie de l'Echail- Ion, y donne l'aspect d'un cours sensiblement plus rapide. Tel est sans doute le secret de ces qualificatifs Mort et Vif D'ailleurs, qui d'autres que les habitants du confluent, ceux de cette très ancienne cité des Echelles, étaient mieux placés pour effectuer la comparaison des deux Guiers ? Mais la logique de la double appellation a vite été oubliée et la légende cartusienne a fait le reste. En opérant leur jonction au confluent, les deux torrents devenus désormais un seul Guiers quittent définitivement les Préalpes pour le Jura. Déjà le Guiers Vif avait fait connaissance avec l'une des branches de la montagne de l'Epine aux gorges de l'Echaillon en amont de Saint- Christophe-sur-Guiers. La rencontre avec le chaînon du Mont Tour- nier va être plus sérieuse. Le résultat en est cette magnifique cluse des Gorges de Chailles qui impressionna plus d'un voyageur et dont Jean- Jacques Rousseau nous parle dans les «Confessions». Comment un tel abîme a-t-il pu être creusé? D'anciens auteurs avaient imaginé en amont de la colline de Miribel et de Saint-Franc l'existence primitive d'un gigantesque lac qui se serait finalement jeté dans une brèche brus- quement ouverte par l'érosion ou par un quelconque cataclysme. La réalité est vraisemblablement tout autre. Le Guiers qui préexistait sans doute au plissement jurassien a creusé longuement et patiemment la molasse puis le calcaire à mesure que la montagne se soulevait pour donner le gouffre vertigineux que nous apercevons aujourd'hui du haut du Belvédère des trois évêchés. Plus au Sud, dans le même chaînon ju- rassien, se trouve une autre cluse célèbre : celle de Saint-Etienne-de- Crossey. Celle-ci, au fond de laquelle ne coule plus aucune rivière, a gardé tout son mystère. Peut-être a-t-elle été creusée aux temps géologi- ES PAYS DU GUIERS n'ont jamais eu de présentation générale et globale. La Géographie explique peut-être ce silence de l'Histoire... Car la Savoie est pleine de coupures, parmi les- quelles une de taille : celle de la montagne du Chat et de l'Epine. De sorte que les pays du Guiers ont été mé- connus par les Dauphinois, parce qu'ils sont terres savoyardes, et par les Savoyards, parce que situés «de l'autre côté de la montagne». En outre, nous avons là un pays discret, sans évé- nements mémorables ni monuments célèbres. N'en a-t-on pas trop vite déduit que c'était une région sans intérêt ? Pour réparer cette erreur ou cet oubli, voici une nouvelle publication de la Collection Trésors de la Savoie. André Charvet, son auteur, est originaire de Saint-Franc. De formation scientifique, il n'en est pas moins profondément familier des meilleures méthodes historiques et passionné pour le terroir natal. Son livre sort au printemps 1984, à l'aube d'une année cartusienne. Il y a neuf siècles, en 1084, saint Bruno fonda la Grande Chartreuse. Notre livre appor- te sa contribution à la célébration de ce centenaire qui sera marqué par de nombreuses manifestations. Lucien C'havoutier

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