DES MEMES AUTEURS Robert DURAND, Les campagnes portugaises entre Douro et Tage aux 12e et 13e siècles, Paris, 1982 (667 pages). Robert DURAND, (en collaboration avec Monique BOURIN), Vivre au village au Moyen Age. Les solidarités paysannes, Paris, Messidor, 1984 (258 pages). Didier GUYVARC'H, Vivre et mourir à Rezé auxJ7e et 18e siècles (dans Bulletin de la Société d'Etudes et de Recherches Historiques du Pays de Retz). 1 François MACÉ, La Loire-Atlantique des origines à nos jours, Saint-Jean- d'Angely, 1984 (en collaboration). François MACÉ, Les Grands voiliers nantais (1876-1926), éditions du C.R.D.P., 1985 (en collaboration).

DANS LA MEME COLLECTION Daniel PINSON, L'Indépendance confisquée d'une ville ouvrière, Chante- nay, Préface de Michel Verret. ' Emilienne LEROUX, Histoire d'une ville et de ses habitants, , Tome I préface de Jean Philippot, Tome II préface d'Alain Croix. ^ p Ouvrage collectif du Groupe de recherches historiques de la Maison de Quar- tier de Doulon, Du village à la ville, Doulon. DU VILLAGE A LA CITÉ-JARDIN SAINT-SÉBASTIEN-SUR-LOIRE Tous droits de traduction et d'adaptation réservés pour tous les pays

@ ÉDITIONS ARTS-CULTURES-LOISIRS 1986 ROBERT DURAND - DIDIER GUYVARC'H - FRANCOIS MACÉ ET LES «AMtS DE SAINT-SÉBASTIEN»

DU VILLAGE A LA CITE-JARDIN,

SAINT-SÉBASTIEN -SUR- WIRE depuis les origines

Préface : Yves Laurent Post-face : Marcellin Verbe

ACL ÉDITION SOCIÉTÉ CROCUS 8 ter, rue du Lieutenant-Marty. 44230 St-Sébastien Principales abréviations utilisées ADLA Archives départementales de Loire-Atlantique AMN Archives municipales de Nantes AMSS Archives municipales/teiSainNSébastien APSS Archives paroissialQ^KSam^S^bastien PREFACE

Bien connaître le passé de Saint-Sébastien pour mieux préparer l'avenir, tel était mon souhait auprès de mon ami et collègue Robert Durand pour l'élaboration de ce livre. Cet ouvrage est avant tout historique au sens noble du terme, à savoir qu'il a nécessité une méthodologie et un nécessaire recul par rapport aux événements et aux hommes, qui ont fait la richesse de notre commune. Ce livre puisé aux meilleures sources, à savoir aux archives, va au-delà des connaissances subjectives de chacun d'entre nous. Chercher la vérité objective, telle fut la démarche de nos talentueux auteurs, Durand, Guyvarc'h, Macé. Donner aux Sébastiennais une mémoire collective, c'est nous permettre de mieux connaître l'histoire de cette commune en se référant sans cesse à l'histoire de , mais aussi en autonomisant notre originalité de ville de banlieue. De plus en plus, comme le disait Fernand Braudel, historien récemment disparu, «il n'est guère niable que fréquemment histoire et sociologie se rejoignent, s'identifient, se confondent et il n 'est guère possible d'esquiver l'histoire». Aussi mon désir le plus cher est-il que ce livre qui nous vaut de l'inédit soit, au même titre que les manuels d'éducation civique, en bonne place et notamment dans toutes les bibliothèques scolaires. Pourquoi ne pas l'avouer ? Nantais d'origine, Sébastiennais d'adoption, j'ai appris à aimer passionnément cette commune que j'avais découverte grâce à ses îles au travers de promenades d'adolescent. Cette commune est un grand village, elle devra le rester. J'affectionne ses quartiers, chacun avec sa spécificité, qui font le charme de cette Cité qui dépasse aujourd'hui 20 000 habitants. J'apprécie la Profondine pour la solidarité et la fraternité qui y règnent, le Portereau pour la convivialité qu'on y retrouve dans ses fêtes, grâce à de dynamiques bénévoles, le Douet pour sa jovialité et son animation dues au travail inlassable de son Comité des Fêtes, le Bourg pour son aspect villageois et les bords de Loire, symbole frondeur, face à l'urbanisation anarchique de l'Ile Beaulieu. Avec ce livre, chacun pourra, notamment les nouveaux habitants de la Fontaine, retrouver les marques d'un riche passé. Il nous importe de bien connaître notre identité historique de ville tranquille. Peu de temps après mon élection, pour des raisons profession- nelles, je devais me rendre à l'I.N.S.E.E. Profitant d'une heure de temps libre, je me mis à consulter les documents statistiques concernant notre commune. Constatant que 79% des concitoyens avaient un jardin à Saint- Sébastien, une idée me vint à l'esprit, notre commune appelée trop souvent avec une connotation péjorative «cité-dortoir» mériterait mieux le titre de «cité-jardin». Loin de moi ce jour-là l'idée que ce slogan, agreste et exigeant, accom- pagné d'une pratique quodidienne volontariste resterait dans l'histoire de notre commune et ferait partie du titre d'un livre. Puisse ce nom montrer simplement l'intérêt que nous attachons au cadre de vie et à l'écologie urbaine. Notre commune a eu la chance d'avoir des hommes, qui, au-delà des idées, ont refusé la facilité, animés d'une ténacité et d'une volonté farouche. Ils s'appellent Cambronne, Fleurus Petitpierre et dans un passé plus récent, Maurice Daniel, Edouard Hervé, Robert Douineau, René Bernier, Marcellin Verbe, aujourd'hui Maire Honoraire. Puissions-nous voir dans ces grands hommes un exemple d'idéal et un modèle de détermination. Qu'il me soit permis de remercier les nombreux Sébastiennais regroupés aujourd'hui en association qui, depuis trois ans inlassablement et réguliè- rement, ont apporté leur savoir et leurs connaissances de la commune pour donner à cet ouvrage un véritable sens au travail collectif. Un de mes anciens professeurs d'université me disait souvent «on ne fait rien sans passion». Passion et vérité, je ne connais pas d'autres mots pour qualifier cet ouvrage. Je souhaite à ce livre, trait d'union entre le passé et l'avenir, toute l'attention qu'il mérité et un plein succès, car c'est une lecture enrichissante et exaltante, source de découvertes et d'enseignements pour... l'avenir.

Yves LAURENT Maire de Saint-Sébastien-sur-Loire, Le 26 février 1986. AVANT-PROPOS

Le seul ouvrage consacré, à ce jour, à l'histoire de Saint-Sébastien, date de 1897, d'un temps où la commune ne possédait pas encore sa dénomination complète de Saint-Sébastien-sur-Loire. C'est pourquoi il était intitulé : «Saint-Sébastien d'Aignes près Nantes». Il était l'œuvre d'un ecclésiastique, l'abbé A. Radigois, qui le signe en tant qu' «ex-curé de Saint-Sébastien-lez- Nantes». Le livre était dédié par l'auteur à ses «chers paroissiens», invités à prendre connaissance de leur passé pour y revivre «la foi et l'honnêteté de leurs ancêtres», ce qui indiquait d'emblée son propos et ses limites. A vrai dire, ce n'était pas une histoire de la commune, mais celle de la paroisse dans ses limites d'avant 1790, c'est-à-dire englobant les quartiers de Saint-Jacques, de Pirmil et de Vertais. De plus, les considérations de l'abbé Radigois intéressaient presque exclusivement l'histoire religieuse et celle des «grandes familles» ayant fait des dons à l'église paroissiale. On conçoit que ce type d'ouvrage, où tout n'est pas à négliger, ne corresponde plus aux goûts et aux aspirations des Sébastiennais de cette fin du 20e siècle. C'est pour cela qu'un certain nombre d'entre eux manifestaient depuis quelques années leur intention de reconquérir leur passé. Pour ce faire, ils avaient organisé un groupe de recherche qui recueillait des témoignages et des documents photographiques auprès des personnes les mieux ancrées dans la commune. C'est la prise de conscience de cette attente, perçue aussi par le maire, Yves Laurent, et par l'équipe municipale, qui m'a incité, à partir de janvier 1984, à entreprendre ce travail. Pour le mener à bien, il a d'abord été nécessaire de doter le groupe de recherche de structures nouvelles: il est devenu l'association des «Amis de Saint-Sébastien». En même temps, j'ai fait appel à deux historiens qui s'intéressaient déjà à l'histoire de Saint- Sébastien, Didier Guyvarc'h et François Macé, qui ont répondu sans la moindre réticence. L'ouvrage que nous présentons est donc le fruit du travail et de la réflexion de toute une équipe. Mais sa rédaction est l'œuvre de trois historiens, qui assument l'entière responsabilité de tout le contenu. Cette histoire de Saint-Sébastien se veut d'abord rigoureuse et scienti- fique. Les auteurs ont entrepris de rechercher le passé de Saint-Sébastien dans tous les fonds d'archives et dans toutes les séries où il se trouvait enfermé. Ils ont également pris le parti de vérifier tous les renseignements obtenus, en confrontant les diverses sources entre elles et avec les témoi- gnages apportés par la tradition orale et la mémoire collective. D'où les nombreuses références qu'on trouvera dans le texte, au risque de l'alourdir. Cette histoire se veut aussi globale. D'une part, elle s'intéresse à tous les lieux de Saint-Sébastien et à tous leurs habitants ; d'autre part, et surtout, elle cherche à expliquer les comportements et les évolutions en faisant appel aux multiples facteurs (économiques, idéologiques, culturels) qui intervien- nent dans la vie des gens, qu'ils en soient ou non conscients. Mais ces exigences ne devaient pas nuire au caractère concret de nos considérations. Il s'agissait de reconstituer, aux différentes époques, un ensemble de joies et de peines, de faim et de fête, de contraintes et de choix, de croyances et de sentiments vécus par des hommes et des femmes, des êtres de chair et de sang. Bref, de rendre compte de tout ce qui a fait le tissu de la vie de nos ancêtres. C'est pourquoi la parole a été laissée, chaque fois que possible, aux acteurs de l'histoire, qui sont donc abondamment cités. C'est pourquoi également l'anecdote est souvent présente, mais jamais de façon gratuite, puisque toujours intégrée dans son contexte. J'ai parlé de «nos» ancêtres. Je n'ignore pas que pour la plupart des Sébastiennais d'aujourd'hui, leurs ancêtres charnels n'ont pas vécu à Saint- Sébastien. Mais l'ambition de ce livre est que ses lecteurs se sentent, comme ses auteurs, «héritiers» d'un passé, qu'il importe d'assumer pour mieux vivre le présent. A défaut d'ancêtres charnels, ils y trouveront alors des ancêtres adoptifs ! Qu'on ne s'y méprenne pas cependant : il ne s'agit pas de susciter — ou de ressusciter — un quelconque «patriotisme de clocher», qui s'alimen- terait en s'opposant à ceux de l'extérieur, mais bien de retrouver une identité forgée par les générations qui nous ont précédés. Il s'agit de communiquer aux «nouveaux» Sébastiennais ce qu'ont vécu ceux dont l'enracinement est plus ancien. Cela ne signifie pas qu'on tirera de ce livre des «leçons» pour l'avenir : les prétendues «leçons de l'Histoire» sont toujours d'interprétation difficile. Plus modestement, nous nous assignons comme but de renseigner et de distraire, d'enseigner et d'unir. Aux lecteurs de dire si l'un ou l'autre de ces objectifs, ou l'ensemble, a été atteint.

Saint-Sébastien-sur-Loire, le 28 février 1986 Robert DURAND, professeur d'Histoire Médiévale à l'Université de Nantes, conseiller municipal de Saint-Sébastien.

INTRODUCTION

DES ORIGINES : DU APORT LA RECHERCHEROMAIN AU BOURG MEDIEVAL.

Malgré son site et malgré ses îles, la commune de Saint-Sébastien-sur- Loire n'a longtemps entretenu que des rapports distants avec le grand fleuve auquel elle doit une partie de son nom. Jamais ses habitants, en effet, n'ont vécu, pour une part importante, de la pêche ou du trafic fluvial, tournés qu'ils étaient vers la terre et ses ressources. Quand ils s'intéressaient à la Loire, c'était surtout pour en tirer les éléments susceptibles d'enrichir le sol de leurs jardins, de leurs vignes ou de leurs champs. D'ailleurs, l'appel- lation de Saint-Sébastien-sur-Loire — aux dépens de celle de Saint-Sébastien- les-Nantes — ne date que du vingtième siècle (1919) et elle a pratiquement été imposée au conseil municipal d'alors, qui, dans un premier temps, avait opté pour «Saint-Sébastien-près-Nantes».

Aigne ou Aigues ? A partir du 15e siècle et jusqu'en 1789, on disait plutôt «Saint-Sébastien d'Aigne». Certains érudits ont prétendu que Aigne était une déformation de A igue, qui, en ancien français, signifie eau. On retrouverait donc à travers cette ancienne appellation, le souvenir de la Loire et la conscience de son influence sur la vie des habitants de Saint-Sébastien. Mais cette assimilation de Aigne à Aigue, (puis à Aigues, au pluriel) ne résiste pas à un examen un peu sérieux, comme le remarquait déjà l'abbé Radigois à la fin du siècle dernier, dans son ouvrage intitulé Saint-Sébastien d'Aignes près Nantes [p. 2]. Il n'y a, en effet, aucune parenté entre les deux termes et l'évolution de l'un à l'autre est tout à fait improbable. Seule une mauvaise lecture des documents des 17e et 18e siècles, avec la confusion du n et du u, a permis de substituer un terme à l'autre. Et dans les textes latins du 17e siècle, on a vu apparaître, tout naturellement, l'expression Sanctus Sebastianus de Aquis (des Eaux) en remplacement de celle de Sanctus Sebastianus de Agnia, pour désigner la paroisse. Il suffisait ensuite de retraduire en français (Saint- Sébastien-des-Eaux) pour accréditer la substitution initiale. Mais, répétons- le, rien, absolument rien, du point de vue scientifique, ne justifie cette appellation. (Au contraire, il est très vraisemblable que Agnia provient du celtique Aginn qui signifie «hauteur».) Pourtant il serait insensé de prétendre que la commune tourne totale- ment le dos au fleuve. Nous avons déjà parlé des îles (Forget, Pinette, Héron) dont les contours ont été, au cours des siècles, modelés par les eaux du fleuve, et dont les sols ont constamment bénéficié des limons apportés par les crues. Ajoutons que la Grève, actuellement occupée par les terrains de sport, était dès le 18e siècle le lieu privilégié des fêtes et des réjouissances. Surtout, c'est bien la Loire qui a incité très tôt, au moins dès le 17e siècle, les Nantais fortunés à construire ou à acquérir des résidences d'été sur la côte Saint- Sébastien. Or nous verrons le rôle joué au cours des siècles par cette bourgeoisie nantaise, non seulement dans l'architecture mais aussi dans l'histoire politique et sociale de Saint-Sébastien. Il reste néanmoins que jusqu'au premier quart du 20e siècle, l'histoire de Saint-Sébastien est celle d'une population rurale, répartie entre un nombre important de noyaux habités qu'il conviendrait d'appeler «hameaux» mais que l'on a toujours appelés «villages». Certains d'entre eux sont sans doute plus anciens que le bourg.

Nos ancêtres les Romains ? Le territoire de l'actuelle commune de Saint-Sébastien semble avoir vécu pendant des siècles, voire des millénaires, en marge de l'histoire des hommes. On ne possède, en effet, aucune trace d'occupation humaine avant les premiers siècles de notre ère. Non seulement on ne relève pas de réalisations préhistoriques, mais même la période d'occupation romaine est peu féconde. On sait cependant qu'une voie romaine importante longeait le territoire de Saint-Sébastien. C'est celle qui conduisait de Ratiatum (Rezé) à Limonum (Poitiers). Elle suivait en partie le tracé de l'actuelle route de qu'elle abordait à la hauteur du Lion d'Or, après avoir franchi le passage de la Morinière, traversé le village de Sèvres et suivi la rue des Fromentaux. Du Lion d'Or, elle s'incurvait vers le Moulin aux Fèves puis vers les Bernardières pour rejoindre le Frêne-Rond. On en retrouve le tracé à l'Ouest, dans le chemin des Groleries, au-delà duquel elle atteignait le territoire de Goulaine aux Chalonges et se poursuivait par le chemin des Landes. Sur cette grande voie, vers Bonne-Garde, s'embranchaient plusieurs routes d'intérêt local. A droite, on trouvait le «chemin bas de Vertou», qui aboutissait à la chaussée de Vertou par Beautour et les rives de la Sèvre ; à gauche, la route dominant la Loire (actuelles rues de la Libération, Maurice Daniel et du général de Gaulle). Cette voie desservait les cités du bord de la Loire. Enfin une autre voie, non pavée, traversait la commune d'Ouest en Est. Léon Maître, au début du siècle, signale qu'on l'appelait autrefois le «chemin des marchands» ou le «chemin Bretagne» [«Bulletin de la société archéologique de Nantes», 1908, p. 70-98]. Son tracé est également visible sur un plan de la commune : il correspond à cette grande ligne droite constituée par les rues des Coucous, du Pâtis Brûlé, de la Croix Bine, des Bignons et de la Lourneau, et qui se prolonge, au-delà de la Pyramide, par la rue des Onchères. Au 17e siècle, on appelait cette voie la «Strée», déformation de strata (nom donné aux anciennes voies consulaires). Pourtant il est bien difficile d'affirmer, en l'absence de toute prospec- tion archéologique, une implantation romaine permanente sur le territoire de Saint-Sébastien. Les vestiges relevés ici ou là à l'occasion de travaux, (et hélas ! dispersés) sont trop peu explicites pour que l'on puisse leur attribuer une date certaine. La seule probabilité concerne l'existence d'un port romain sur la Loire. Sa première mention, cependant, est très posté- rieure à l'époque romaine. On la rencontre, en effet, dans trois actes carolingiens dont le plus ancien remonte à 936 et dont la substance figure dans un privilège du roi de France Louis VI le Gros, daté de 1123. Ce privilège reconnaissait à l'évêque de Nantes un certain nombre de possessions. On y relève, pour ce qui nous intéresse, l'octroi à l'évêque de : «le port des chaises et le port de Rezé avec trois milles en amont et autant en aval» («portum carthedrarum et portum Racciaci cum tribus milliaris sursum et totidem deorsum»). Ce portus carthedrarum ou «port des chaises» corres- pond évidemment au lieu-dit Portechaise, qui s'est dédoublé par la suite en des Hautes-Portechaises (l'actuel village) et des Basses-Portechaises (l'ancien port, au lieu-dit Petit Rocher). Mais aux 17e et 18e siècles l'ortho- graphe conservait plus fidèlement le souvenir du site portuaire, dans les expressions «Port de Chères», «port de Chèzes» ou «Port de Chèse» qu'emploient tour à tour les curés et vicaires de Saint-Sébastien chargés de la tenue des registres paroissiaux. La carte de Cassini, dans la seconde moitié du 18e siècle, mentionne «Port de Chaise». Le fait que, dans les documents du 10e siècle, ce port soit associé à celui de Rezé (portus Racciaci) n'est pas suffisant en soi pour que l'on puisse revendiquer une égale ancienneté. En revanche, l'examen des voies romaines en direction ou à partir de ce lieu est beaucoup plus convaincant. Mais il faut bien reconnaître que, en dehors de ces indices, nous ne disposons pas d'éléments archéologiques ou textuels pour dater l'origine de ce port. Quant au nom même du port tel qu'il nous apparaît à la période médiévale, il reste tout aussi mystérieux. Il est tout à fait improbable qu'il soit lié à un trafic de chaises ou de sièges (en latin : cathedra). Mais on sait que la présence du «siège» (cathedra) d'un évêque dans une église faisait de celle-ci une «cathédrale». L'expression «Port des chaises» ou «Port des Chères» pourrait alors être synonyme de «Port de la Cathédrale» ou de «Port des évêques». Des îles-refuges ? Quoi qu'il en soit, Portechaise semble bien le lieu-dit de Saint-Sébastien le plus anciennement mentionné dans les documents. On a cependant prétendu que c'est sur le territoire de Saint-Sébastien ou à proximité immédiate qu'aurait eu lieu la célèbre bataille livrée aux Normands, en 937, par le chef breton Alain Barbetorte. Ce qui milite en faveur de cette opinion, c'est le fait, dûment attesté, que, dans la région nantaise, les Normands s'établissaient de préférence dans les îles. Après avoir attaqué Nantes une première fois en 843, ils avaient établi un camp permanent dans l'île de Bièce au plus tard en 853. En 874, le comte de Nantes, pensant préserver son pouvoir face au comte de Rennes, avait fait alliance avec eux : mal lui en prit, car Nantes dut alors subir leurs pillages à plusieurs reprises. Cependant, à partir des années 925-930, les Normands connurent des difficultés politiques et durent de nouveau se replier sur les îles. C'est alors qu'intervient Alain Barbetorte. La Chronique de Nantes nous relate les événements en ces termes : «La cité de Nantes resta abandonnée, couverte d'épines et de ronces jusqu'à ce qu'Alain Barbetorte, petit-fils d'Alain le Grand, se dressât et chassât complètement les Normands de toute la Bretagne et de la Loire...... Le duc Alain, réunissant de nombreux chevaliers, chevauche jusqu'à cette ville [Nantes]. Trouvant les Normands établis dans le pré Saint-Aignan, il entama le combat avec eux. Mais les Normands, méprisant son courage, le repoussèrent jusqu'au sommet de la colline. Là, Alain, accablé, fatigué, souffrant de la soif, se mit à pleurer et à invoquer par d'humbles prières la Bienheureuse Mère de Dieu pour qu 'elle daigne le secourir et faire couler une source d'eau vive pour les désaltérer, lui et ses chevaliers, et leur rendre ainsi leurs forces. Répondant à ses prières, la Vierge Marie ouvrit à celui qui avait soif une source d'eau vive, celle qu'on nomme depuis la source Sainte-Marie. L'illustre duc Alain et ceux qui étaient là, buvant à satiété de l'eau de cette source, recouvrèrent des forces et, ainsi réconfortés, ils voulurent reprendre le combat. Attaquant bravement les Normands et tous ceux qui leur résistaient, ils les décapitèrent tous, à l'exception de ceux qui prirent la fuite. Les Normands, terrifiés, s'enfuirent en descendant le cours de la Loire» [Chronique de Nantes, éd. Merlet, p. 91-93]. On s'est interrogé sur la localisation de ce «pré Saint-Aignan» Un prato Sancti Aniani) dont parle le chroniqueur. On a notamment fait le rappro- chement -avec l'île de Hanne (en latin, Hannia ou Annia), à partir de laquelle Alain Barbetorte et ses troupes se seraient retirés sur une colline qui pourrait être le site du futur bourg de Saint-Sébastien. L'hypothèse n'est pas sans fondement. Cependant des textes postérieurs, comme l'acte d'établissement des Templiers à Nantes en 1141, distinguent expressément le «pré d'Aignan» de 1 ' «île Hannia» et ils incitent à localiser le premier à Nantes dans le quartier Sainte-Catherine. La naissance du bourg

Pour trouver des données plus sûres, il nous faut descendre le cours des siècles. En ce qui concerne l'église, et donc le bourg, de Saint-Sébastien — ou plus exactement d'Aigne — on peut penser qu'ils ont été fondés après 1179. On possède, en effet, pour cette date, une bulle du pape Alexandre III confirmant à l'abbaye poitevine de Saint-Jouin-de-Marnes ses possessions dans le comté nantais. [Cartulaire de l'abbaye de Saint-Jouin-de-Marnes, éd. C. de Grandmaison, 1854]. Les droits de cette abbaye dans la région dataient du 9e siècle, très exactement de 843, quand les moines de Saint- Martin de Vertou, fuyant l'invasion normande, étaient allés y demander refuge et protection. Or dans la bulle de 1179, parmi les paroisses signalées, on trouve celle de Saint-Jacques de Pirmil (Sanctus Jacobus de Piremil), mais aucune mention de celle d'Aigne. Tous les habitants déjà établis sur le territoire de l'actuelle commune, dans les différents villages, relevaient soit de Saint-Jacques soit de Basse-Goulaine. Mais à l'inverse, un peu plus de cent ans plus tard, une autre liste de paroisses, dressée par l'évêque de Nantes Durand, [Cartulaire de Redon, p. 510] mentionne une paroisse du nom de Engniam, dont le curé, comme autrefois celui de Saint-Jacques, est désigné par l'abbé de Saint-Jouin-de-Marnes. Or, sur cette même liste, Saint-Jacques a disparu en tant qu'église paroissiale. Comme, par ailleurs, la nouvelle paroisse d'Engniam est déclarée posséder un revenu important (25 livres, contre, par exemple, 15 livres à Basse-Goulaine, 4 livres à Vertou ou 3 livres à Saint-Julien de Concelles), on peut conclure que, dès la fin du 13e siècle, non seulement elle est autonome, mais qu'elle a déjà supplanté Saint-Jacques, laquelle n'est plus qu'une dépendance. Il est probable, dans ces conditions, que le bourg de Saint-Sébastien a été fondé, autour de son église, à la fin du 12e siècle ou au début du 13e, par les moines bénédictins de Saint-Jouin-de-Marnes qui prétendaient à la seigneurie sur la région. C'est précisément l'époque où les grandes abbayes tentent d'imposer durablement leur pouvoir par ce type de fondations. C'est ainsi que l'abbaye tourangelle de Marmoutier fonde alors , ou Machecoul, et celle de Saint-Sauveur de Redon, . C'est pour répondre à cette concurrence que Saint-Jouin-de-Marnes, qui avait déjà établi Clisson et Pirmil, fonde Engniam, que nous pouvons désormais appeler Aigne. Sans entrer dans trop de détails, on peut rappeler que sur les populations ainsi contrôlées, les seigneurs, qu'ils fussent laïcs ou écclésiastiques, exer- çaient la totalité des pouvoirs (économiques, administratifs, judiciaires ou militaires) et que, en contrepartie de ce «service» de protection et d'organi- sation, ils prélevaient des taxes importantes. Comme beaucoup de bourgs de l'Ouest, Aigne est donc né, dans le cadre de la seigneurie médiévale, de cette volonté de puissance des grands établissements ecclésiastiques coïncidant avec l'incurie totale de l'Etat monarchique capétien. A qui était dédiée cette première église d'Aigne ? A saint Jouin, le patron de l'abbaye fondatrice ? A saint Martin, l'évangélisateur de la région ? On ne sait. En tout cas, en 1287, aucun saint ne la revendique encore, alors que saint Julien s'est déjà imposé à Concelles et saint Brice à Basse-Goulaine. Ce n'est peut-être que dans la seconde moitié du 14e siècle, au moment des grandes épidémies de peste contemporaines de la guerre de Cent Ans — notamment de la Peste Noire de 1348 — qu'on a pris l'habitude d'invoquer saint Sébastien et que la paroisse lui fut consacrée. Cette dévotion ne devait pas se démentir au cours des siècles suivants. L'histoire d'Aigne, devenue Saint-Sébastien d'Aigne, devait s'en trouver affectée durant toute cette période. PREMIERE PARTIE

UN VILLAGE PROTEGE DE LA PESTE ? (15e-18e siècle)

A Saint-Sébastien d'Aigne, entre le 15e siècle et la fin du 18e, la grande affaire, c'est le pèlerinage. Le 20 janvier de chaque année, l'église est trop petite pour contenir la foule venue s'associer aux représentants du Conseil de la Ville de Nantes. Il arrive des pèlerins de Thouaré, mais aussi de Barbâtre, dans l'île de Noirmoutier. Des pèlerins au long cours font le détour par Saint-Sébastien, à l'aller ou au retour du Mont-Saint-Michel ou de Saint-Jacques-de-Compostelle. La renommée de l'étape parvient à Rabelais lors de son séjour au couvent des Cordeliers à Fontenay-le-Comte. Qu'espèrent ces foules ? La guérison, bien sûr, ou la protection contre ces «pestilences» qui frappent épisodiquement les populations. Pour certains, cependant, l'attente est plus modeste et plus immédiate : ils se satisfont des distributions de pain réalisées à l'issue de la grand' messe les jours de pèlerinage. v Car les temps sont difficiles. Ils nous imposent de commencer par parler de cette compagne de tous les jours qu'est la mort.

Chapitre 1

VIVRE ET MOURIR A SAINT-SEBASTIEN AVANT 1789

La vie et la mort enregistrées Avant 1792, c'est dans le cadre de la paroisse que sont effectuées, à Saint-Sébastien comme ailleurs, toutes les opérations concernant l'état-civil, c'est-à-dire les baptêmes, les mariages et les décès. Ces opérations sont consignées, le plus souvent soigneusement, par le curé ou par les vicaires, dans les registres paroissiaux. Le plus ancien de ces registres qui nous soit parvenu est un registre des baptêmes. Il commence en 1503. Il est encore rédigé en partie en latin. En partie seulement, car seul le curé utilise cette langue, le vicaire préférant le français. On sait d'ailleurs qu'une ordonnance du roi de France, François Ier, en 1539, rendit obligatoire, à partir de cette date, l'usage du français. Les vicaires de Saint-Sébastien, comme bien d'autres, avaient donc précédé la réforme. Pourtant le goût de l'expression en latin ne devait pas disparaître totalement : un siècle après l'ordonnance de François Ier, pendant deux ans, en 1638 et 1639, le registre des baptêmes — et lui seul — est entièrement rédigé en latin. A vrai dire, l'intérêt du premier registre est limité par le fait que les registres immédiatement suivants sont perdus : il est dès lors impossible de présenter l'évolution de la population de Saint-Sébastien au 16e siècle et dans la première moitié du 17e. C'est seulement à partir de 1634 que les registres de baptême nous sont conservés sans aucune discontinuité. Quant aux décès, leur liste est complète depuis 1608 (mise à part une courte interruption de 1668 à 1673). Pour les mariages, en revanche, ils ne sont enregistrés régulièrement qu'à partir de 1673. Ajoutons que les curés et vicaires responsables de la tenue de ces registres ont eu le bon goût, de temps à autre, d'agrémenter la consignation des actes de considérations sur les phénomènes météorologiques ou épidé- miologiques ou sur les circonstances accidentelles de tel ou tel décès. Cela nous permet parfois de joindre aux données statistiques, nécessairement sèches et abstraites, des aperçus sur les conditions de vie concrètes.

Combien d'habitants ? Mais tout d'abord, quelle était la population de Saint-Sébastien au début du 16e siècle et comment a-t-elle évolué globalement ? Pour répondre à cette question, on se heurte à deux difficultés. D'abord, l'absence de «dénombrement de feux», l'ancêtre de nos recensements : le premier n'intervient qu'à la faveur de la Révolution, en 1793. Ensuite, le fait que les limites de la paroisse d'alors ne coïncidaient pas avec celles de l'actuelle commune. En effet, la paroisse de Saint-Sébastien d'Aigne débordait alors, comme déjà au 13e siècle, sur les quartiers nantais de Saint-Jacques, Pirmil et Vertais. Cependant, l'église Saint-Jacques, bien que succursale — on disait plutôt «trêve» — de Saint-Sébastien, possédait ses propres registres dans lesquels étaient consignés les actes d'état-civil concernant les quartiers situés à proximité de Saint-Jacques et au-delà, vers Nantes. On peut de ce fait considérer que les renseignements démographiques fournis par les registres de Saint-Sébastien correspondent assez bien, tout compte fait, au territoire de l'actuelle commune, avec simplement un léger débordement du côté de la Gilarderie, dont les habitants fréquentent l'église principale de la paroisse. C'est à partir du nombre des baptêmes, correspondant à celui des naissances, (seuls de rares protestants peuvent échapper à l'enregistrement) que l'on peut calculer approximativement le nombre d'habitants d'une paroisse donnée. Or à Saint-Sébastien, au début du 16e siècle, entre 1520 et 1530, on enregistrait une moyenne de 17 baptêmes par an. Si on considère, comme le font les démographes, que le taux de natalité était de l'ordre de 30 à 40%o, cela situerait la population de Saint- Sébastien entre 425 et 565 habitants, soit l'équivalent d'un très petit village. Pourtant, on trouve déjà, parmi les baptisés ou parmi les «compères» et «commères» (c'est-à-dire les parrains et marraines) un certain nombre de familles dont peuvent se réclamer des Sébastiennais d'aujourd'hui, tels les Corgnet ou les Pergeline. Un peu plus de cent ans plus tard, quand on retrouve de nouveau une liste des baptêmes continue sur au moins dix années, entre 1640 et 1650, avec une moyenne annuelle de 62 naissances on peut estimer la population de Saint-Sébastien entre 1550 et 2000 habitants. Ce chiffre devait alors demeurer stable pendant plus d'un siècle, avec cependant une légère tendance à la baisse (entre 1400 et 1900 vers 1750). Compte tenu de l'extension de la paroisse au-delà des limites de la commune actuelle, on retiendra le chiffre de 1800 comme un maximum pour les années précédant la Révolution de 1789. Ces quelques données chiffrées appellent un certain nombre de remar- ques. L'énorme accroissement de la population entre le début du 16e siècle et le milieu du 17e ne peut pas s'expliquer par le simple jeu de l'excédent des naissances sur les décès : ce n'est donc pas un accroissement naturel. La différence de population à un siècle d'intervalle serait plutôt due à une vague d'immigration, liée à la mise en valeur de nouvelles terres aux dépens des multiples landes qui couvraient le territoire de la paroisse. Mais, à vrai dire, l'hypothèse est un peu gratuite, dans la mesure où on ne possède pas de documents qui nous fassent connaître un tel mouvement. On repère bien, dans les registres, ici ou là, des Bretagne, Bretineau, Bretonnière ou Lebreton qui témoigneraient de l'origine des habitants, mais en quantité négligeable, insuffisante, en tout cas, pour qu'on puisse y voir le résultat d'un courant migratoire en provenance de la Bretagne. De plus, rien ne prouve qu'il s'agisse, au 17e ou au 18e siècles, de nouveaux habitants : au contraire, on trouve, par exemple, des Bretonnière dès le début du 16e siècle. Restent deux explications d'ordre technique : la possibilité d'un sous-enregistrement des naissances dans le plus ancien des registres, ce qui fausserait la base de nos calculs et obligerait à réviser en hausse l'importance de la population au début du 16e siècle ; ou encore un changement dans les limites de la paroisse entre le 16e et la seconde moitié du 17e siècle. Il est plus facile, en revanche, de rendre compte de la relative stabilité de la population à partir de 1650. Quand on compare la courbe des décès et celle des naissances (voir graphique n° 1, page suivante), on s'aperçoit qu'elles sont très proches l'une de l'autre, ce qui situe tout à fait Saint- Sébastien dans le schéma nantais — et français — de l'évolution démogra- phique. C'est donc l'important taux moyen de mortalité, assorti de brutales crises de sur-mortalité qui handicape la progression.

Quand et comment meurt-on ? La nature du mal responsable de la mort n'est que très rarement indi- quée par les curés et vicaires de Saint-Sébastien, sauf quand la maladie est spectaculaire ou lorsqu'il s'agit d'un accident. Ainsi, en 1631, est trouvé à Saint-Sébastien, un cadavre et une femme pestiférée gisant à ses côtés, «comme habandonnez n n'ayant personne qui en veille approcher». [cité par A. Croix, La Bretagne, p. 554]. Il s'agit sans doute d'un malheureux couple venu chercher son salut dans la protection du saint guérisseur de la peste. Le 20 mars 1679 est inhumé dans l'église : «Michel Huchet aagé de 15 ans, détenu de maladie corporelle depuis neuf ans, couché sur le grabat sans pouvoir détourner la teste ni costé ni dautre». Les accidents les plus fréquents sont, bien évidemment, les noyades. Il se passe peu d'années sans que la Loire ne rejette au moins un corps sur ses rives de Saint-Sébastien : «lequel corps fut trouvé noyé au bord de l'eau vis-à-vis le Genesté en ceste paroisse» (1 janvier 1690) «un homme qui s'est trouvé au bord de l'eau au bas de la Becque vis a vis la maison de Monsieur de Lisle Forget, dont personne ne sçait l'aage ny Graphique 1. Baptêmes et décès à Saint-Sébastien (1634-1790) le nom, parce quil estoit si corrompu quil navoit pas figure d'homme» (19 juin 1710). En fait, ces indications macabres ne doivent pas faire illusion. Elles ne concernent qu'un nombre tout à fait minime de cas, les plus spectaculaires, mais pas les plus fréquents. La triste réalité c'est, comme partout alors, une effroyable mortalité infantile, régulière d'une année à l'autre, et, irréguliè- rement, l'irruption brutale d'épidémies et de famines responsables de phases de surmortalité. Le rythme annuel de la mort est assez irrégulier. Le nombre moyen de décès enregistrés à Saint-Sébastien est de 62 au milieu du 17e siècle et de 58 pour la première moitié du 18e, soit un taux global de 31%o, (c'est- à-dire trois fois supérieur à celui de la France en 1985). Mais cette moyenne ne rend pas compte des réalités, très variables d'une année à l'autre. Certaines années le chiffre des décès descend à 20 au 17e siècle (en 1643) et à 29 au 18e (en 1775). Mais à l'inverse la courbe des décès présente des «clochers» éloquents en 1639, 1662, 1719, 1749, 1765, 1781 et 1783, avec respectivement 163, 100, 122, 203, 130, 119 et 105 morts. En 1639, c'est 8 à 10% de la population qui disparaît au cours de l'année ; en 1749, la perte est de l'ordre de 12 à 14%. Ces crises de surmortalité sont bien connues par ailleurs, car elles ne se circonscrivent pas, bien évidemment, aux limites de la paroisse, frappant, au contraire, l'ensemble du pays nantais. Ainsi celle de 1639 sévit encore plus durement dans les paroisses voisines, emportant, par exemple, en trois mois, un habitant sur cinq à La Chapelle-Basse-Mer. Les raisons de la plupart de ces crises sont également connues. Beaucoup se situent à la fin de l'été et sont dues à des épidémies à propagation très rapide. Plus que la peste, — qui disparaît au milieu du 17e siècle — ce sont la variole, le typhus, les «fièvres» et surtout la dysenterie, qui sont responsables de ces hécatombes. C'est le cas en 1639 où l'épidémie, partie en juillet de Rennes, atteint Saint-Sébastien en septembre. Alors qu'on n'avait eu à déplorer qu'un mort en juillet et trois en août, on en compta 24 en septembre, 51 en octobre et 37 en novembre ! Les responsables de la tenue des registres paroissiaux procèdent alors à des enregistrements collectifs, tout comme le sont sans doute les enterrements. C'est ainsi que : «le 27e jour d'octobre de l'an mil six cent trente neuf ont esté inhumé dans le cimmetière de Saint-Sébastien les corps de Marie Pergeline, veufve du deffunct Guillaume Guillou, et de Michèle, fille de Sébastien Lamy, aagée de 7 ans, et de Laurent, fils a Mathurin Bastard, aagé de 9 ans, et de Sébastien, fils de André le Froust, aagé de 5 ans, de Jacques, fils de Pierre Bresson, aagé de 13 ans. Le même jour a esté inhumé dans l'église le corps de Pierre Talendeau, aagé de six ans ou environ» On retrouverait les mêmes caractéristiques dans d'autres crises, avec la même brutalité dans les manifestations. En 1719, après 3 décès en juillet, on en compte 22 en août, 29 en septembre et 19 en octobre. En 1749, l'irruption de la mortalité est encore plus soudaine : de 5 au mois d'août, le nombre des enterrements passe à 97 en septembre. En 24 jours, du 8 septembre au 1er octobre, on compte exactement 100 morts à Saint-Sébastien, dont 10 pour la seule journée du 21 septembre. Derrière les chiffres de cette comptabilité macabre, il faut alors imaginer les familles, dont aucune n'est épargnée, et les individus, dont aucun n'est assuré de survivre. Dans un même village, on voit la mort frapper à la porte de chaque maison : 20 fois au cours de l'année à la Métairie, 18 fois au Douet au cours du seul mois de septembre. Il faut dire que, en la circonstance, l'épidémie de dysenterie survenait sur une population déjà affaiblie par les mauvaises récoltes liées aux intempéries, que décrit ainsi le curé de La Plaine : «les pluies ont été abondantes, point d'hiver, peu de blé à la Plaine et beaucoup de mauvais vin...». De la même manière, en 1662, la mortalité avait coïncidé avec les difficultés d'approvisionnement créées par l'orage de grêle du 8 mai 1661 qui avait détruit toute la récolte de fèves à Saint-Sébastien [AMN, GG 486, f° 20], et surtout avec la montée du prix du blé. Le graphique n° 2 montre à l'évidence que le maximum de la mortalité en avril-mai correspond au moment de la «soudure» entre deux récoltes.

Graphique 2. Prix du blé et mortalité à Saint-Sébastien en 1662

Imprévisibles et brutales, ces épidémies affectent tous les milieux sociaux, et pas seulement les plus pauvres : en 1719, deux enfants de la famille Forget (ou de l'Isle Forget) en sont victimes, au même titre que les pauvres gens. C'est seulement, semble-t-il, dans la seconde moitié du 18e siècle que la malnutrition des plus pauvres créera une inégalité sociale plus visible devant la mort. Mais l'inégalité la plus flagrante est constituée par l'âge. Déjà exposés en temps de morbidité moyenne ou faible, les enfants sont les principales victimes des épidémies. La mortalité infantile (au cours de la première année d'existence) est effroyable en tous temps à Saint-Sébastien. Dans la décennie qui va de 1770 à 1779, période sans crise spectaculaire, le taux de la mortalité infantile (c'est-à-dire le nombre de morts de moins d'un an pour 1000 naissances) est de l'ordre de 235%o (en 1982, en France, il était de 9,3%o). Cela situe Saint-Sébastien à un niveau de mortalité infantile élevé pour l'époque, mais égal à celui de Rezé [Vivre et mourir à Rezé, p. 25]. On retrouve cette même situation quand on examine la mortalité entre un et quatre ans : elle est encore de 215%o. Plus concrètement, sur 100 enfants nés à Saint-Sébastien au cours d'une année, si 76 passent, en année «normale», le cap des douze premiers mois, 16 meurent dans les trois années qui suivent, et 8 autres avant 20 ans. En d'autres termes, sur une classe d'âge de 100 enfants, 52 seulement ont des chances de parvenir jusqu'à l'âge de 20 ans. En période de grande mortalité, la population infantile et juvénile est encore relativement plus exposée. Parmi les 97 victimes du sombre mois de septembre 1749, on n'en dénombre pas moins de 65 qui n'avaient pas atteint leur vingtième année.

Beaucoup d'enfants en nourrice En fait, la situation de Saint-Sébastien est, à cet égard, un peu particu- lière. En effet, parmi les enfants que l'on enterre à Saint-Sébastien, un nombre important ne sont pas nés dans la paroisse, mais y résident dans des familles nourricières. Pour la plupart, ces enfants viennent de Nantes et appartiennent aux milieux de la petite noblesse, de la moyenne bourgeoisie ou de l'artisanat. Or, en dehors des périodes de grande mortalité où tous sont également exposés, il semble que la mort frappe plus facilement les enfants en nourrice. Non que les nourrices de Saint-Sébastien aient parti- culièrement négligé les enfants dont elles avaient la charge ! Mais des études récentes ont clairement montré que les enfants en nourrice possédaient moins de résistance, précisément parce qu'il leur manquait ce contact vital avec leurs parents naturels. Comme le remarque justement E. Badinter, «ce n'est pas parce que les enfants mouraient comme des mouches que les mères s'intéressaient peu à eux. Mais c'est en grande partie parce qu'elles ne s'intéressaient pas à eux qu'ils mouraient en si grand nombre» [L'amour en plus, p. 75]. Toujours est-il que le nombre de petits Nantais décédés, à des âges divers, chez leurs parents nourriciers de Saint-Sébastien est impressionnant : environ une dizaine par an (17 en 1776). On constate aussi que, quel que soit l'âge de l'enfant décédé, les parents charnels n'assistent pratiquement jamais à sa sépulture, même quand ils habitent à proximité, à Pirmil, par exemple. Parmi de très nombreux cas, on peut retenir le suivant : «le dix sept février mil sept cent soixante treize a été inhumé le corps d'un enfant décédé hier à la Gendronnière chez la veuve de Gabriel Couteau ; ledit enfant nommé Pierre, âgé de vingt huit mois, fils de Pierre Martin, maître-tailleur à Nantes et de Marguerite Hérisset ; la sépulture faite en présence de la ditte veuve de Gabriel Couteau et de Madeleine Guillou, qui ne signent». Les Lyrot, ceux du moins qui habitent Nantes, n'agissent pas autrement : «le vingt sept avril 1780 a été inhumé le corps de Jean-Baptiste, baptisé à Saint- Nicolas, âgé de six jours, fils de messire Estienne Guillaume Lyrot, chevalier, ancien officier des vaisseaux du roi, chevalier de l'ordre roial et militaire de Saint-Louis, et de dame Anne Gabrielle Mérot, décédé hier à la Douetée, chez Louise Corgnet, femme de René Thébaudeau, tous deux présents à la sépulture, qui ne signent». On a nettement l'impression que du jour de la naissance jusqu'à l'âge de sept ou huit ans, les parents qui mettaient leurs enfants en nourrice se désintéressaient totalement de leur progéniture, se contentant d'assumer les frais de leur entretien par les familles nourricières. Mais ce désintérêt et cette désaffection hypothéquaient considérablement les chances, déjà minces, de survie.

La vie continue... Bon an, mal an, on célèbre annuellement à Saint-Sébastien 13 ou 14 mariages entre 1673 et 1789. Mais cette moyenne ne traduit pas, encore une fois, toute la réalité. Les écarts absolus se situent entre 2 (en 1771) et 44 (en 1726). Il est difficile de rendre compte de cette irrégularité. On remarque simplement que certaines des années où l'on enregistre une forte poussée des mariages coïncident avec les années de forte mortalité ou les suivent immédiatement : c'est le cas en 1766, où l'on enregistre 22 mariages, après les 130 décès de l'année précédente. On serait donc en présence d'un comportement collectif tendant à la reconstitution naturelle de la population après les périodes de surmortalité. Mais les cas sont trop peu nombreux pour qu'on puisse en déduire une loi, d'autant moins qu'on constate aussi, à plusieurs reprises, la coïncidence inverse : en 1726, le nombre des mariages est même supérieur à celui des décès. Il faudrait donc chercher ailleurs une explication à cette irrégularité de la courbe des mariages, du côté, sans doute, des difficultés économiques liées à la conjoncture. Mal répartis d'une année sur l'autre, les mariages le sont encore plus irrégulièrement d'un mois à l'autre. Ils se regroupent principalement sur trois périodes de l'année : janvier-février, juin-juillet et novembre. Cette répartition obéissait à une double contrainte : celle de l'année liturgique (avec interdiction des mariages pendant le Carême et l'Avent) et celle de l'année agricole, les grands travaux de la moisson et de la vendange, d'août à octobre, laissant peu de temps pour l'organisation des noces. 1. L'une des pages du plus ancien registre paroissial de Saint-Sébastien d'Aigne Des cinq actes de baptêmes qui figurent sur ce folio, le premier taché et déchiré nous empê- che de le reconstituer en entier. Pour les autres on peut lire : Le tiers jour de juillet oudit an [1510] fut baptizé ung filz a noble escuyer Richart de Quercy, # seigneur de la Patoullière et de la Guybraye et noble damoyzelle Perrine Geffroy sa com- paygne, nommé Jehan. Et furent compères maistre Jehan Heligon, seigneur de Naye, et maistre Gilles Guillemete, et commère Jehanne Basille veuve de feu maistre Raoul de Grasmorer. Par moy, G. Guyton Le XVe jour dudit moys fut baptizé une fille a Guillaume Predriau et Symone Pelleau sa femme, nomée Marguerite ; et fut compère dom André Pergeline, prêtre, et commères Cathe- rine Le Sourt et Agaisse femme de Symon Bretonnier(e). Par moy, q Guyton Le XVIe jour dudit moys fut baptizé ung filz a Guillaume Guydo et Moricette sa femme, nommé Pierres. Furent compères Guillaume Belute et Yvon Guerin, clercs, et commère Macée Guydo, veuve de feu Michel Gauguillon. Par moy, G Guyton Le XXe jour dudit moys fut baptizé une fille a Mathurin Robin et Perrine Michel sa femme, nommée Jamete, et fut compère André Michel et commères Jamete Girart, femme Fran- çois Davy, et Mathurine Buort. Par moy, Q Guyton L'origine des époux n'est pas toujours signalée par les curés de Saint- Sébastien. Cependant cette indication apparaît systématiquement au 18e siècle. On peut alors se faire une idée assez exacte de la provenance des conjoints. D'après un sondage effectué sur 300 couples, il ressort que plus de 75% des conjoints sont originaires de la paroisse de Saint-Sébastien (en y incluant cependant les quartiers de Pirmil et de Vertais). Les autres proviennent en majorité des paroisses voisines : Basse-Goulaine et Vertou surtout, qui fournissent respectivement 24 et 20 conjoints. Ensemble, les paroisses du sud de la Loire fournissent 75 conjoints. Si l'on ajoute ceux-ci aux Sébastiennais, on obtient 92% des mariés et mariées de Saint-Sébastien au 18e siècle ! De Nantes, en revanche, même en y incluant arbitrairement Chantenay et Doulon, proviennent seulement 15 conjoints (guère plus que ceux qui viennent d'autres diocèsés). On peut penser, à la vue de ces chiffres, que si les Sébastiennais(es) épousent peu les Nantais(es), c'est parce qu'on se marie dans les mêmes milieux professionnels, c'est-à-dire, à Saint-Sébastien, entre paysans. Sans doute. Mais l'explication est insuffisante : il y a aussi et surtout un problème de communications et la Loire constitue, malgré le pont de Pirmil, un obstacle qu'on franchit difficilement. Les ménages ainsi créés à Saint-Sébastien entre 1673 et 1790 ont une fécondité comparable à celle que l'on rencontre alors dans l'ensemble de la France : en divisant le nombre des baptêmes par le nombre des mariages sur l'ensemble de la période, on obtient une moyenne de 4,5 enfants par foyer. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y avait alors que des familles très nombreuses : l'effarante mortalité infantile réduisait en fait beaucoup de familles à deux enfants parvenus à l'âge adulte, si bien que cette fécondité, de prime abord considérable, suffisait à peine à assurer le renouvellement de la population !

Marie, Jean, Jeanne, Sébastien et les autres... Le baptême est l'occasion d'attribuer au nouveau-né un prénom, qui, dans les faits, est son nom individuel, son nom propre, beaucoup plus souvent utilisé que son nom de famille. Disons tout de suite que, dans le choix des prénoms, les Sébastiennais n'ont pas fait preuve de plus d'imagi- nation que leurs voisins de Rezé ou Doulon. A vrai dire, pour notre inventaire, nous n'avons pas utilisé la méthode classique qui consiste à relever, systématiquement ou par sondages sur quelques années, les prénoms figurant aux registres de baptêmes. En effet, le travail de recherches généalogiques d'Odile Halbert nous proposait des «tables de mariages» obtenues par traitement informatique. A partir de là, il nous était facile de relever tous les prénoms des mariés de Saint-Sébastien entre 1673 et 1790. L'enquête porte sur 3093 personnes, soit 1566 hommes et 1527 femmes (la différence s'explique par un nombre plus important de remariages de femmes). Comme, par ailleurs, ces tables sont réparties en deux tranches chronologiques (1673-1716 et 1717-1790), nous pourrons opposer, en gros, la situation au 17e siècle (pratiquement pendant le règne de Louis XIV) à celle du 18e.

Graphique 3. Les prénoms les plus fréquents (d'après les «tables des mariages» dressées par Odile Halbert à partir des registres paroissiaux, de 1673 à 1790).

Si nous commençons par les mariées, la première constatation qui s'impose, c'est le petit nombre des prénoms utilisés par l'immense majorité des familles et leur remarquable stabilité au cours de l'ensemble de la période, puisque 75% des Sébastiennaises portent l'un des six prénoms suivants : Marie, Jeanne, Anne, Françoise, Renée ou Marguerite. Entre le 17e et le 18e siècles, seule change la fréquence relative des quatre derniers de ces prénoms, avec la remontée des Anne (qui passent du 6e au 3e rang) et la baisse des Renée (qui glissent du 3e au 5e rang). Mais les Marie et les Jeanne l'emportent toujours largement. On notera même une progression considé- rable des Marie, qui représentent 16% des mariées sébastiennaises au 17e, mais 28% au 18e siècle : plus d'une sur quatre, comme à Rezé à la même époque [Vivre et mourir à Rezé aux 17e et 18e siècles, p. 18] ou à Doulon au siècle suivant [Du village à la ville, Doulon, p. 182]. Ces prénoms féminins les plus usités ont en commun l'appartenance à un calendrier chrétien ancien. Les saintes les plus récentes, comme l'Espagnole Thérèse d'Avila, n'ont encore qu'un succès modéré : 9 Thérèse seulement pour les deux siècles. Quant aux Sébastienne, féminin du patron de la paroisse, elles sont égale- ment rares : avec 26 représentantes, elles viennent en 14e position parmi les prénoms féminins. A première vue, les prénoms masculins sont plus variés : au 17e siècle, les Sébastiennais en utilisent 54, et au 18e, 58 (contre 42 pour les femmes). Si l'on ne retient, comme nous l'avons fait pour les femmes, que les six prénoms les plus utilisés (Jean, Pierre, François, Julien, René auxquels il faut ajouter Jacques au 17e siècle, et Sébastien au 18e), on s'aperçoit qu'ils affectent 60% des mariés, soit «seulement» trois sur cinq. De même, le prénom masculin le plus fréquent, Jean, n'est porté que par un Sébastiennais sur six. Quant à Sébastien, le saint «antipesteux» sous le patronage duquel est rangée la paroisse, il vient au 7e rang avant 1716 et passe au 6e ensuite : il représente à peine 5% des prénoms. Cette proportion, à première vue modeste, est néanmoins considérable si on la compare à celle qu'obtient le même prénom à Rezé : environ 1,25%. Le désir de se ranger sous la protection du saint patron de la paroisse — plus que sous celle du saint guérisseur de la peste — semble évidente. On peut noter également que les sentiments monarchistes des Sébastiennais — sentiments qu'ils manifesteront massivement à partir de 1793 — n'ont pas influencé de façon décisive le choix des prénoms : les Louis viennent au 9e rang au 17e siècle et au 8e au 18e. De toute manière, à de très rares exceptions près (1 César, 1 Balthazar et 1 Fleurie), tous les prénoms, masculins ou féminins, sont pris dans la liste proposée par l'Eglise : le conformisme est de rigueur.

Pour résumer, on dira de la population de Saint-Sébastien d'Aigne aux 17e et 18e siècles, que c'est une population stable, parvenant tout juste à maintenir son effectif d'une décennie à l'autre, malgré une fécondité élevée. C'est aussi une population soumise aux directives ecclésiastiques et soucieuse de transmettre, par l'emploi des mêmes prénoms dans les mêmes familles, des valeurs familiales. C'est de cette population que nous étudierons maintenant le cadre de vie et les niveaux de vie. Chapitre 2

ACTIVITES ET CADRE DE VIE

Le cadre de la vie En l'absence de plans, voire de description détaillée de Saint-Sébastien avant 1789, il faut se contenter des indications fournies par les notaires, à partir des années 1600, lors des transactions foncières effectuées à Saint- Sébastien. C'est à cette date, au début du 17e siècle, que nous situerons notre présentation du cadre de la vie quotidienne. Saint-Sébastien est alors constitué d'un bourg, d'une cinquantaine de «villages» et de quelques autres habitats isolés. Ces différents noyaux sont séparés les uns des autres par des landes et des bois, mais surtout par des champs et des clos de vignes. Ils sont également reliés les uns aux autres par des réseaux complexes de chemins et de venelles. Un «aveu» daté de 1609, dans lequel plusieurs membres de la famille Giraudin, de la Métairie, reconnaissent («avouent») leurs devoirs et leur dépendance vis-à-vis du seigneur de la Patouillère et de la Gibraye, nous en fournit de nombreux exemples : «ung petit chemin qui conduist du village de la Gibraye par le hault au bourg de Sainct Sebastien». «le chemin qui conduist du bourg de Sainct Sebastien au Douet». «le chemin qui conduist des landes du Douet à la Mestaerie». [ADLA, 1 J 206] Certains de ces chemins sont encore repérables sur un plan de Saint- Sébastien où ils correspondent à des rues au tracé sinueux : c'est le cas de la rue de la Baugerie, sur l'emplacement du chemin reliant la Métairie à Portechaise. Les maisons qui constituent les différents villages sont parfois jointives, mais plus souvent séparées et toujours avec «leurs jardins au derrière». Les toitures sont très diversifiées. C'est néanmoins la tuile qui domine dès 1609 : «six chambres de maison faictes à murailles et couvertes de thuille... au village de la petite Mestairie». Mais on trouve aussi des couvertures en ardoise : «ung logix à muraille et couvert de pierre d'ardoise, sytué au village de Genestay». Et bien sûr, quelques toits de chaume : «deulx maisons, l'une couverte de boure et l'aultre à thuille, le tout sytué au village de la Noe». [ADLA, 1 J 206]. On le voit, l'uniformité n'est pas alors de mise dans les toitures de Saint- Sébastien. Le choix du matériau de couverture est-il destiné à manifester une différenciation sociale ? Il est bien difficile de l'affirmer puisque toutes ces maisons appartiennent aux membres de la même famille, celle des Giraudin, tous paysans. Pourtant on remarque que l'ardoise est associée à la notion de logis et que, dans un cas au moins, le bâtiment couvert d'ardoise comporte un étage et des greniers : «au village de la Mestairie, deulx chambres hauttes de logix, icelles chambres faictes à muraille et couvertes d'ardoize et sur lesquelles y a des grenyers». Quoi qu'il en soit, la vie de la plupart des villages s'organise de la même façon, autour du puits et du four, communs à l'ensemble des habitants. Ainsi, à la Noue : «une maison avec ses rues et yssues, comunautté de four et puy». Ou encore, au Chêne : «droit de faire cuire pain au four et puiser l'eau au puits commun dudit village». [ADLA E 26, 18]. Dans quelques cas, lorsque la communauté est plus étoffée, au Douet, au Portereau ou à la Métairie, les habitants possèdent, en plus, des terrains de parcours communs qu'ils appellent les landes : nous reparlerons de ces communaux. Paradoxalement, les documents nous renseignent moins sur la physio- nomie du bourg que sur celle de certains villages. Pourtant, bien que moins peuplé que le Douet ou le Portereau, le bourg sert toujours de principal pôle de référence pour situer un bien. C'est vers lui notamment que convergent la plupart des chemins et c'est donc en fonction de lui que s'organise le cheminement ordinaire ou occasionnel, en particulier pour les besoins du culte : la messe dominicale ou les nombreux baptêmes et sépultures. La singularité du bourg apparaît aussi dans le fait qu'il possède, dès 1739, une rue nommément désignée : c'est la rue de Venise, la plus ancienne rue de Saint-Sébastien. On suppose qu'elle doit cet honneur au fait qu'on y circulait en barque en période de crue. Mais remarquons, au passage, l'ouverture d'esprit et l'humour des Sébastiennais du 18e siècle !

Les laitues de Gargantua La quasi totalité des habitants de Saint-Sébastien vit alors de l'agricul- ture, sans la moindre trace de spécialisation. Il faut, à ce sujet, tordre le cou à une idée assez répandue selon laquelle Saint-Sébastien serait spécialisé dans la culture maraîchère dès le temps de Rabelais. Cette idée repose sur une mauvaise lecture du récit, dans Gargantua, des mésaventures survenues à six pèlerins. En voici le texte : «Le propos requiert que nous racontions ce qu'advint à six pèlerins qui venaient de Saint-Sébastien, près de Nantes, et pour soi héberger cette nuit de peur des ennemis s'étaient cachés au jardin dessus les tiges de pois, entre les choux et laitues. Gargantua se trouva quelque peu altéré et demanda si l'on pourrait trouver des laitues pour faire salade, et, entendant qu'il y en avait des plus belles et grandes du pays, car elles étaient grandes come- pruniers ou noyers, y voulut y aller lui-même et en emporta en sa main ce que bon lui sembla. Ensemble emporta les six pèlerins, lesquels avaient si grand peur qu'ils n'osaient ni parler ni tousser». [Gargantua, ch. 38]. On s'extasie, bien entendu, sur la taille et la qualité des laitues qui sont recommandées au géant. Mais on oublie que la scène ne se situe pas à Saint- Sébastien, mais en Touraine. Car les six pèlerins engloutis par Gargantua en même temps que les feuilles de salade avaient déjà traversé Ancenis depuis quelque temps, puisque l'un d'eux fut alors délivré d'un mal contracté dans cette ville : «ce fut pour lui un grand heur, car il (Gargantua) lui perça une bosse chancreuse qui le martyrisait depuis le temps qu'ils eurent passé Ancenis». [Ch. 38] On retiendra, en revanche, que des pèlerins venant du Mont-Saint- Michel faisaient, au début du 16e siècle, le détour par Saint-Sébastien pour se rendre en Touraine, et que la notoriété de cette étape était telle que sa renommée était parvenue jusqu'à Rabelais, peut-être lorsqu'il était moine à Fontenay-le-Comte, entre 1520 et 1524. Mais Rabelais n'a sans doute jamais fait lui-même le pèlerinage de Saint-Sébastien et, à plus forte raison, ne s'est jamais intéressé à ses laitues !

Une activité agricole diversifiée Quand on interroge les textes, on s'aperçoit, au contraire, que chaque ménage, avant 1789, mais aussi longtemps après, cultive de petites parcelles dispersées et complémentaires. Ces parcelles sont réparties entre différents terroirs que l'on appelle ouches, pâtis, courtils, noues, clos. A cela s'ajoutent, pour tous, les droits d'usages dans les bois et sur les landes. On en trouve de très nombreux exemples dans les fonds notariaux. Reprenons l'acte de 1609 concernant la famille Giraudin : «Premier. Lesditz Jullien et Mathurin Giraudin, père et filz, ... au village de la petitte Mestairie, aultrement les Landes, quinze bouxellées en fons à la mesure nantoise... Ledict Jullien Giraudin, l'esné, séparement en l'osche des Petites Osches, près la Croix Jandron, deux bouxellées de terre... Lesdictz Mathurin Giraudin, filz Jullien et femme, douze bouxellées de terre ou envyron es osches, appelées lune l'osche Renaud, l'aultre le Failly Taillis, l'aultre le Grand Boys et l'aultre la Venau, le tout en la tenue et village du Boys Poictou... Lesdictz Jullien Giraudin, filz Mathurin et femme, quatre 2. Les principaux lieux-dits de Saint-Sébastien à la fin du 18e siècle (Carte dite de CASSINI). CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

Mme Aimone : 37. Pierre Allard : 69. Amicale Laïque de Saint-Sébastien : 92. Archives Départementales de la Loire-Atlantique : 3, 4, 11, 12, 14, 17, 18, 20, 21, 73. Archives Municipales de Nantes : 13, 15, 16. Archives Municipales de Saint-Sébastien : 1, 22, 50. Artaud et Nozais, éditeurs de cartes postales : 27, 31, 33, 34, 36, 48, 60. Jacqueline Bernier : 19. Marc Caillaud (Ouest-France) : 8. Coll. Decré Frères : 43. Mme Desfossés : 28. M. Fruchard : 51, 62. Dominique Gicquel : 55, 56. G.I.D. : 32. G.S.S.S. : 93. Pierre Hud'homme : 79, 80. I.G.N. : 2. Institut Professionnel de la Joliverie : 59, 60. M. Lemasson : 53. Yvone Le Pape : couverture, 38, 58. François Macé : 5, 6, 9, 10. Mairie de Saint-Sébastien : 44, 45, 68, 71, 72, 82, 83. Mme Menand : 52, 54. Ouest-France : 85, 87, 89. Presse-Océan : 85. Mme Pellerin et Mlle Potinière : 39, 40, 66, 91. Jacques Podemski : 7, 90. M. Potinière : 29, 41, 46, 49, 63. Mme Roscoët : 30, 57, 64, 65, 67. Renée Roulleau : 81. M. Thomas : 84, 85. Coll. A. Thuret : 42. Vasselier, éditeur de cartes postales : 9, 24, 35. Mme Verbe : 74, 75, 76, 77, 78, 88. André Zaroudneff : 23, 25, 47, 70. Achevé d'imprimer le 30 juin 1988 sur les presses de NORMANDIE IMPRESSION à Alençon (61). pour le compte d'ACL Édition Société CROCUS à Saint-Sébastien (44) Dépôt légal 2e trimestre 1986 - 2e édition N° d'éditeur 015 - ISBN 2-86723-012-8 —

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