EXCLUSIF Le mystérieux donateur d’Anticor sort du silence : « Je n’ai jamais influencé les choix de l’association ! »

Cible de plusieurs polémiques, Hervé Vinciguerra, le mystérieux et généreux donateur d’Anticor, l’association de lutte contre la , longtemps resté anonyme, s’explique pour la première fois. Par Violette Lazard Publié le 26 mars 2021 à 07h00 Mis à jour le 26 mars 2021 à 10h04 Temps de lecture 5 min

A l’universite d'été de l'association Anticor, en septembre 2019 (JEREMIE LUSSEAU/HANS LUCAS VIA AFP) ● Favoris ● ● ● Commenter ● ● ● Offrir cet article ● ● Nous suivre ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● Jusque-là, il avait conservé un silence total. Un silence outré, mais pragmatique. Cet homme d’affaire de 64 ans, devenu richissime après avoir vendu sa société de logiciels de sécurité pour quelque 300 millions d’euros en 2007, souhaitait lutter contre la corruption. Mais aussi rester anonyme. Depuis les révélations sur ses dons à l’association Anticor puis au site d’investigations Blast, les articles de presse s’accumulent sur ce donateur aussi généreux que mystérieux. Il les a tous conservés dans un dossier sur son bureau. Au gré des titres et des semaines, il y apparaît tour à tour sulfureux puis manipulateur : s’il a donné de l’argent, c’est pour soutenir certains hommes politiques, en l’occurrence, et en dézinguer d’autres – le pouvoir actuel. Il y est dépeint surtout comme un danger pour l’avenir d’Anticor, qui attend la réponse du premier ministre le 2 avril prochain sur le renouvellement de son agrément. Ce sésame qui permet à l’association de se porter partie civile dans des affaires de corruption, arrivait à terme en 2021. Et la présence dans les comptes de ce mécène (il a donné 64 000 euros en 2020, 89 000 euros au total depuis 2017) a suscité de nombreuses questions sur l’indépendance d’Anticor. Hervé Vinciguerra, joint au téléphone par « l’Obs « , a accepté de répondre à toutes nos questions pour mettre un terme à des « fantasmes délirants », selon lui.

Vos dons à Anticor, dont les premiers remontent à 2017, sont aujourd’hui au centre d’une polémique. Avec ou sans arrière-pensées politiques, beaucoup se demandent : pourquoi un riche homme d’affaires finance-t-il cette association ? Dans quel but ? Et pourquoi rester anonyme ?

C’est délirant, je suis instrumentalisé dans cette affaire, car on cherche toutes les bonnes raisons de ne pas renouveler l’agrément d’Anticor [qui a, sous la présidence d’Emmanuel Macron, attaqué notamment le président de l’Assemblée nationale, le ministre de la Justice et plus récemment le ministre de la Santé, Olivier Veran, pour favoritisme dans la gestion de l’application StopCovid, NDLR].

Appli StopCovid : Anticor porte plainte contre Olivier Véran pour « favoritisme » Je veux juste aider la lutte contre la corruption. En tant qu’homme d’affaires, j’y ai été confronté. Il me faudrait la soirée, ou plutôt une année, pour vous raconter tout ce que j’ai vu, tout ce que je sais. A peine, avais-je commencé à travailler, à 25-26 ans, que j’ai reçu un coup de fil pour me proposer de faire des choses illégales en échange de l’ouverture d’un compte en Suisse sur lequel on me verserait de l’argent. Est-ce que c’est normal ? Non. Je veux un monde dans lequel on ne triche pas. Moi, je joue aux cartes [il est champion de bridge, NDLR], je ne triche pas. Je ne veux pas d’un monde où il faut payer pour avoir un contrat, un permis, ou quoi que ce soit. Voilà. Donc, je veux financer la lutte contre la corruption.

Pourquoi Anticor ?

Honnêtement, je ne sais plus. Vous n’allez pas me croire, mais c’est vrai. En 2017, vous faites un premier don de 5 000 euros. Puis en 2018, un nouveau de 20 000 euros. Il se trouve qu’à ce moment-là, Anticor dépose plainte contre Alexis Kohler, alors secrétaire général de l’Elysée, pour prise illégale d’intérêts et trafic d’influence. Au sein d’Anticor, qui traverse aujourd’hui une grave crise interne, des administrateurs dénoncent un « don fléché » : c’est-à-dire un don pour faire tomber Kohler, pour parler trivialement…

Mais c’est n’importe quoi ! C’est de la diffamation. Je n’ai jamais fait un don pour financer une affaire en particulier, et tout ce que je sais sur l’affaire Kohler je l’ai lu dans les journaux. Mes dons n’ont jamais été fléchés. JA-MAIS ! Ils servaient, dans mon idée, à aider l’association à fonctionner. Il leur fallait des gens forts : de bons enquêteurs, de bons avocats, et ces gens-là, il faut les payer. De toute façon, est-ce que vous pensez vraiment que si j’avais voulu donner des instructions, on m’aurait écouté ? La présidente d’Anticor, Elise Van Beneden, le numéro deux, le magistrat Eric Alt ? Si je résume, je veux combattre la corruption, et je vais commencer à corrompre moi-même les types qui luttent contre la corruption ? Non mais… Je le dis, clairement : je n’ai manipulé personne, rien commandité, je n’ai jamais influencé les choix d’Anticor dans les dossiers qu’ils menaient !

Autre polémique : vous apparaissez également comme l’un des donateurs de Blast, média en ligne créé par le journaliste Denis Robert. Un des journalistes de ce média vous accuse d’avoir voulu financer des enquêtes sur des adversaires d’Arnaud Montebourg, dont vous êtes proche, dit-il.

Non. Je voulais aider Denis Robert car je le trouve sympathique. Il faut une presse plus libre et plus indépendante en . La corruption est le sida de toute la société : quand vous avez le sida, vous attrapez ensuite toutes les autres maladies… Tant qu’il y aura de la corruption, rien ne marchera. Vous n’avez pas demandé d’enquêtes sur des personnalités politiques en particulier ?

Je n’ai jamais dit : « Faites ceci, faites cela ». Je ne suis ni manipulateur ni corrupteur. En ce qui concerne Blast, j’ai rendu mon tablier. J’ai fait deux dons de 10 000 euros, en mon nom, et c’est tout.

Quelle est votre relation avec Arnaud Montebourg ? Avez-vous prévu de financer sa campagne s’il se présente à la présidentielle ?

J’ai été intéressé par son discours sur la lutte contre la corruption, combat qu’il mène depuis longtemps. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup, nous avons eu des débats, les choses ne se sont pas faites comme on le pensait. Le reste nous regarde. Quand je lis dans des articles que je finance son miel, c’est risible, on a l’impression que l’on parle de quantité industrielle… [il rit]. Oui, je détiens 3,7 % environ de Bleu, Blanc, Ruche [production de miel made in France lancé par Arnaud Montebourg, NDLR]. C’est du mécénat, pas pour faire fortune ! J’aime les abeilles, je donne de l’argent pour les abeilles, tout ceci est ridicule.

Votre fortune est détenue via une holding au , qui n’est pas officiellement considéré comme un paradis fiscal mais qui offre des dispositifs financiers bien plus avantageux que la France. Lutter contre la corruption, n’est-ce pas aussi lutter contre toute forme d’évasion fiscale ?

Le Luxembourg n’est pas un paradis fiscal. Le Luxembourg est en Europe, avoir son argent là-bas n’est pas illégal. Le Luxembourg offre simplement, pour faire court, des facilités juridiques que n’offre pas la France. Je suis résident fiscal français, je ne fais pas d’optimisation fiscale. Je paye mes impôts en France. Je travaille aujourd’hui beaucoup dans l’immobilier en France, et bien sûr toutes les opérations que je réalise, je m’acquitte de ce que je dois, je suis taxé, imposé. J’ai eu des contrôles fiscaux, je n’ai jamais été redressé. Qu’on arrête maintenant de dire n’importe quoi !

Continuerez-vous à donner de l’argent pour lutter contre la corruption ?

Une nouvelle règle a été mise en place à Anticor : les dons d’une personne ne doivent pas dépasser 7 % du budget de l’association de l’année d’avant. J’ai donc donné les 7 %. Mes versements sont terminés, je veux fermer la porte à tous les calomniateurs. Peut-être que réfléchir à ma propre structure est une idée qui m’intéresse de plus en plus, j’en parlerai en temps utile.

Violette Lazard