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Ciné-Bulles

Une fille ben ordinaire Commentaire critique Gabrielle de Louise Archambault, Québec, 2013, 102 min Loïc Darses

Cinéma et femmes Volume 31, Number 3, Summer 2013

URI: https://id.erudit.org/iderudit/69634ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Darses, L. (2013). Review of [Une fille ben ordinaire : commentaire critique / Gabrielle de Louise Archambault, Québec, 2013, 102 min]. Ciné-Bulles, 31(3), 8–9.

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LOÏC DARSES

« Les cinq sens des handicapés sont tou- trave pas la pratique des arts. Avec la façon éblouissante en interprétant on ne chés, mais c’est un sixième qui les déli- chorale de l’endroit, ils s’exercent au peut plus justement un rôle-titre où réa- vre / Bien au-delà de la volonté, plus fort chant en vue d’accompagner Robert lité et fiction s’entremêlent inextricable- que tout, sans restriction / Ce sixième Charlebois lors d’un éventuel spectacle. ment. Elle-même atteinte du syndrome sens qui apparaît, c’est simplement l’en- Une promesse qui tiendra en haleine de Williams, une maladie génétique qui vie de vivre. » Cinéma oblige, ajoutons à l’ensemble des choristes en plus d’incar- associe déficit intellectuel, malformation ces vers du texte poétique Sixième sens, ner la toile de fond sur laquelle s’écrira cardiaque et caractéristiques physiques signé Grand Corps Malade, un septième l’histoire d’amour singulière qui se des- distinctives, la comédienne incarne ainsi, sens : l’envie d’aimer. Puisque c’est de cet sine entre nos deux tourtereaux. Cepen- pour les besoins de la cause, une Gabrielle ardent désir qu’est empreint Gabrielle, dant, l’idylle prend une tournure shakes- « fictive ». Puisque si Marion-Rivard joue le deuxième long métrage de Louise pearienne lorsque la mère de Martin en quelque sorte son propre rôle, c’est Archambault. Si avec le remarqué tente d’étouffer leur amour en interdisant malgré tout Louise Archambault qui Familia (2005), la réalisatrice abordait à son fils de participer au projet, l’obli- signe le scénario de ce film émouvant et une pléthore de thèmes allant de l’héré- geant du coup à couper les ponts avec bouleversant de vérité. Une justesse qui dité familiale au jeu pathologique en pas- Gabrielle. Jalousant sa sœur Sophie (Mé- émane surtout du choix, fort judicieux, sant par l’éveil sexuel, une seule question lissa Désormeaux-Poulin), qui s’apprête d’acteurs issus en grande partie de La l’intéresse ici : l’amour entre deux per- à aller rejoindre son amoureux en Inde, Gang à Rambrou et du centre Les Muses, sonnes vivant avec un handicap intellec- Gabrielle cherchera à aimer, elle aussi, en- deux organismes offrant une formation tuel est-il possible? D’emblée, le sujet vers et contre tous; mais, très vite, elle sera en théâtre, en danse et en chant à des ar- peut paraître casse-gueule. Et s’il est vrai confrontée aux limites de sa condition. tistes vivant avec un handicap. Alexandre que la cinéaste aurait aisément pu tom- Par chance, point de vaines lamentations Landry, qui tient le rôle de Martin, ber dans un sentimentalisme fleur bleue ici alors qu’avec doigté et finesse, Louise l’amoureux de Gabrielle, est probable- ou, pis encore, dans un misérabilisme Archambault montre que la déficience, en ment le seul acteur qui feint ici complè- complaisant, il faut bien admettre qu’elle soi, n’est pas tragique, mais que c’est plu- tement la déficience dans une perfor- réussit avec Gabrielle un coup de maître tôt à travers le regard des autres qu’elle de- mance mystifiante. Une prouesse parmi tout en nuances. vient véritablement handicapante. tant d’autres alors que l’authenticité du jeu des comédiens est ici systématique. Il Gabrielle et Martin se rencontrent dans Gabrielle Marion-Rivard fait ses pre- va sans dire, un tel souci de clarté té- un centre de loisirs où la déficience n’en- mières armes cinématographiques de moigne d’une volonté qui anime mani-

8 Volume 31 numéro 3 festement la réalisatrice; celle de rendre ceau dance subsiste quelque temps pour à même la voix de Charlebois et de sa compte du réel avec honnêteté, dans toute s’évanouir dans un silence de plénitude, pièce maîtresse, Ordinaire, quelque chose sa complexité, puisque personne n’est tandis que les jeunes amants se ca- de fort, un vœu pourtant modeste : « Si je réellement simple d’esprit. Un constat hu- ressent. Un moment sublime qui réitère chante c’est pour qu’on m’enten de / Quand maniste exprimé à même la démarche que le cinéma est tout autant sonore que je crie c’est pour me défendre / J’aimerais créatrice de cette œuvre inspirante. visuel. bien me faire comprendre. » Souhait qu’exauce dignement Louise Archambault L’image, tantôt claire et lumineuse, tan- Si de facto, la musique est omniprésente, qui tend ici un flambeau rassembleur et tôt plus froide et floue, montre d’abord jamais elle ne lasse pour autant. De sorte inclusif. Une œuvre qui ne s’éteint pas l’émerveillement d’une Gabrielle candide que mélodies et paroles s’enchaînent et dans la différence. (Sortie prévue : 20 sep- et bienheureuse, puis l’inexorable désa- bercent le récit à chacun de ses détours, tembre 2013) busement d’une condition humaine qui tel un leitmotiv ficelant délicatement une se révèle en deçà de ses espérances. intrigue poignante et sincère. Que ce soit Cependant, l’errance et la perte de re- du Leloup en karaoké ou du Charlebois pères ne sont que momentanées dans ce en chair et en chœur, la chanson est sur- film où les cadres certes sont serrés, mais tout québécoise. Et c’est tel un véritable jamais oppressants. À l’épaule, attentive phare identitaire qu’elle nous guide à tra- et spontanée, la caméra capte sur le vif vers un film aux airs d’hymne à la diver- l’intimité des sujets qu’elle filme de très sité sous toutes ses formes. Vibrant plai- près, sans tarabiscotage ni complaisance, doyer pour le cinéma comme école de et toujours au service d’une esthétique à tolérance et d’ouverture, Gabrielle est la véracité quasi documentaire. Mention aussi un cri du cœur désarmant. Celui Québec / 2013 / 102 min spéciale aussi à l’usage inventif du son, d’une jeune femme qui, caressant l’espoir particulièrement lors d’une scène où l’en- de vivre d’amour avec celui dont elle est RÉAL. ET SCÉN. Louise Archambault IMAGE Mathieu Laverdière SON Pierre Bertrand MUS. François vironnement sonore d’une discothèque éperdument éprise, s’acharne à prouver Lafontaine MONT. Richard Comeau PROD. Luc de fortune s’estompe à mesure que sont son autonomie. Une indépendance qui, Déry et Kim McCraw INT. Gabrielle Marion-Rivard, Mélissa Désormeaux-Poulin, , éprouvés les émois charnels de Gabrielle aux yeux de la norme du moins, ne lui Vincent-Guillaume Otis, Sébastien Ricard, Isabelle et Martin. Après quoi, la pulsation eni- est pas accessible. Par la clé de sol, elle Vincent, Marie Gignac, Véronique Beaudet, DIST. Les Films Christal vrante du rythme frénétique d’un mor- prendra donc la clé des champs, soufflant

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