Les Serer Et La Question Des Terres Neuves Au Sénégal
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LES SERER ET LA QUESTION DES TERRES NEUVES AU SÉNÉGAL J.-P. DUBOIS Géographe à I’ORSTOM Centre ORSTOM, B.P. 1386 Dakar (Sénégal) RÉSUMÉ ABSTRACT Le Pays Serer porte les densités rurales les phs The Serer district has the highest rural densities in fortes du Sénégal, et cette surpopulation entraîne une Senegal and this overpopulation brings wbout a dégradation du système agraire traditionnel. Très peu deterioration of the traditional form of agriculture. mobiles spontanément, les Serer n’ont guère participé Being rarely subject to spontaneous migration, the au m.ouvement de colonisation des « terres neuves B Serer have hardly participated in the colonization of de l’est du pays. the New Settlements in the Eastern part of the Dans les années précédant la seconde guerre mon- country. diale, une tentative d’émigration forcée était conduite During the years before the 2nd World War, par l’administration coloniale. Elle aboutit à un an attempt to force emigration was carried on by échec, mais fut l’amorce d’un mouvement contem- tlze colonial administration; it failed but il initiated porain de migration spontanée. a more recen: movement of spontaneous migration. D’une ampleur très limitée, ce mouvement S>ac- This movement, whose scale is very limited, is compagne du passage à des méthodes culturales très accompanied by a change to very extensive agricul- extensives, et se révèle assez décevant sur le plan tural methodr and maltes little contributions towards de la réussite économique des paysans émigrés. Il the migrant farmers economic achievement. Besides ne constitue pas une solution suffisante au problème it does not provide an adequate solution to the du délestage des pays serer. problem of overpopulation in the Serer country. C’est pourquoi les Pouvoirs Publics se préoccupent Consequently the government authorities are now actuellement de promouvoir des migrations dirigées engaged in promoting guided and organized migrur- et organisées. Une expérience est en cours (300 tions. An experiment is in progress: 300 settlers’ familles de colons installées en 1972-1974 au Sénégal families were established between 1972 and 1974 in criemal). Cette phase <<pilote > doit préparer la mise Eastern Senegal. This pilot stage is to prepare the en ceuvre d’un plan de décongestion des régions les implementing of a decrowding plan in the most plus peuplées du bassin arachidier, tout en mettant densely populated parts of the ground-nut region, l’accent sur l’intensification et la diversification des while stressing the process of intensifying and diver- cultures dans les zones de colonisation. sifying the crops in the settlement areas. Cah. ORSTOM, sér. Sci. Hutn., sol. XII, nDI - 1975 : 81-120 .- Limite de région e...... Limite du pays Serer ---- Département de Kaffrine et ses arrondissements Zone classée ((Terres Neuves» ESSI (décret du 2511.72) r---m 1 Zone du projet pilote i -M-I ; r---9 Zone de Missirah (projet no 2) : 2 : r---d prospectée en 1974 0 50 100 Km. > I & PA ,' CASAI~ n N DI^ r E du Niokolo- Kobo FIG. 1. Carte de situation LESSERER ET LA QUESTION DES TERRES NEUVES AU SÉNÉGAL 83 L’ethnie serer, forte de quelque 600 000 personnes, Serer. Actuellement, la question du délestage des est essentiellement concentrée dans les vieux terroirs pays serer s’inscrit dans le cadre plus général d’une du Sine et du sud du Baol, où un système agricole politique de décongestion du bassin arachidier, de remarquablement élaboré a permis la fixation de très mise en valeur des terres encore inexploitées du fortes densités rurales (1). Dans une région où des Sénégal Oriental et de contrôle des mouvements mi- sols sableux médiocres et une pluviométrie irrégu- gratoires spontanés. A l’initiative de la Direction de lière ne sont guère favorabl$s là une agriculture inten- I-Aménagement du Territoire, des études ont été sive, les paysans serer ont aménagé une campagne entreprises pour promouvoir une meilleure réparti- souvent .citée en exemple ; le maintien de la fertilité tion des hommes dans l’espace national, et une plus est assuré par l’association de l’élevage à l’agriculture grande adéquation aux potentialités agronomiques. (fumure systématique des champs par le troupeau), Les récentes années de sécheresse,qui pnt durement l’entretien d’un parc arboré d’Amciu albida, le res- &Prouvé les zones nord et ouest du bassin arachidier, pect de rotations culturales éprouvées, l’adaptation donnent un regain d’actualité à ces préoccupations. des cultures aux nuances pédologiques des terroirs. J’ai étudié au cours de deux campagnes agricoles Ce système est en train de se détériorer sous - 1967-1.968 et 1968-1969 - l’immigration spon- l’effet conjugué de la croissance démographique et tanée des Serer dans les terres neuves du Saloum de l’extension de la culture arachidière. « Le Sine criental (3). Ce courant, très discret, n’intéresse porte une charge humaine voisine de la saturation B de façon appréciable qu’une faible partie du vaste (,P. Pélissier). Alors que vers le début du siècle les domaine de la colonisation arachidière ; il est sans densités ne dépassaient sans doute pas 50 habitants aucune commune mesure avec le dynamisme spatial au km2, on observe actuellement dans l’arrondisse- des Wolof. Cependant, une nette accentuation des ment de Niakhar une densité moyenne de 85 au km2, départs depuis quelques années laisse penser que les qui atteint 100 pour certains groupes de villages ; Serer prennent de plus en plus conscience de leur le taux d’accroissement naturel a été évalué aà1,5 % situation de surpeuplement, et qu’une émigration par an (2). L’arachide - seule source de reve- encadrée doit être possible, puisqu’un mouvement nus monétaires - réclame des surfaces de plus en spontané se dessine. C’est surtout ‘a ce titre que les plus importantes, ce qui entraîne la régression des modalités d’installation des Serer en zone de terres jachères, la dégradation des successions culturales, neuves méritaient d’être étudiées. la réduction de la fumure (le bétail devant en grande Dans cet essai, je tenterai de retracer l’origine de partie être évacué hors des terroirs pendant I’hiver- la migration serer et de faire le point de la situation nage). « Tout concourt à faire baisser le niveau de actuelle. Seront examinés ensuite les conditions spé- la fertilité sur le terroir » écrit A. Lericollais. cifiques de l’agriculture dans les terres neuves et les Dans ces conditions, le recours .à l’émigration sem- résultats agro-économiques obtenus par les émi- ble s’imposer. Or les Serer sont restés jusqu’& présent grants. On évoquera enfin les projets de migrations très attachés à leur terre ancestrale et, à la différence dirigées, dont une première phase de réalisation est des Wolof, se sont montrés très peu mobiles. Ils maintenant en cours. n’ont participé que tardivement, et de façon très modeste, au grand mouvement de la colonisation ar.achidière vers l’est du pays ; il n’en est résulté Les terres neuves du Saloum oriental aucun allègement notable de la population. De longue date, ce problème préoccupe les Pouvoirs Publics. Qu’appelle-t-on « Terres Neuves > au Sénégal ? Dès 1934, l’administration coloniale organisait une La réponse se lit sur la carte de densité du pays : première tentative de déplacement volontaire des sur le flanc oriental des vieux pays wolof et serer, s’étendent de vastes territoires qui, presque inoccupés au début du siècle, se densifient progressivement par le fait de la conquête arachidière. C’est un domaine (1) Cf. l’ouvrage de P. Pélissier : « Les paysans du flou, sans limites marquées, ni du point de vue SénéeralB. Imurimerie Fabrèrme. Saint-Yrieix. 1966. et la monographie de A. Lericolla& : ’ « Sob, étude’ géographique d’un terroir serer n. Atlas des structures agraires au sud du Sahara, 7, ORSTOM-Mouton, 1972. (3) J.-P. Dubois : « L’émigration des Serez vers la zone (2) P. Cantrelle : « Etude ’ démographique dans la région arachidière orientale. Contri&tion à l’étude de la colonisa- du Sine-Saloum. a Travaux et documents de l’ORSTOM, tion agricole des Terres Neuves au Sénégal 8. ORSTOM, n” 1, 1969. Dakar, mai 1971, 204 p. multigr. Cah. 0 RSTOM, sér. Sci. ,Hztm., vol. XIZ, no 1 - 1975 : 81-120 84 J.-P. DUBOIS physique : il s’étend des terres quasi désertiques du cies vieilles terres du bassin arachidier (Sine, Baol, Ferlo aux forêts soudaniennes du sud ; ni du point Cayor). ,Les précipitations augmentent à la fois vers de vue humain : des noyaux de population anciens, le sud et vers l’est, en direction de la Gambie et d’ethnies diverses, ont été submergés par des immi- du Sénégal oriental. Plus que les moyennes de hau- grants de toutes origines, e.ssentiellement de l’ouest teurs d’eau, ce sont surtout les variations inter- du Sénégal mais aussi du Mali, de Guinée, de Haute- annuelles qui sont lourdes de conséquences ; avec Volta même. L’unité réside dans la disponibilité des l’amenuisement de ces variations du nord au sud, terres, et dans le caractère pionnier et spéculatif de l.activité agricole connaît une plus grande sécurité. l,activité agricole. Trois facteurs ont joué un rôle de A cet égard, un indice significatif est donné par le première importance dans le mouvement de coloni- calcul du coefficient de variation moyen de la hau- sation : les voies d’accès ,(chemin de fer, puis routes) ; teur d’eau : il est de 19 % B Kaffrine, contre 27 % les encouragements de l’administration coloniale (en à Thiès et 37 % àLouga (3). particulier l’encadrement du mouvement des travail- ,Le paysage d’ensemble est celui d’un bas-plateau leurs saisonniers, les « navétanes B) ; enfin le mouri- monotone, qui s’élève légèrement du sud au nord.