Rock Fusion. Funk, Hip-Hop, Nü-Metal Et Autres Métissages
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JEAN-CHARLES DESGROUX En 1986, le monde de la musique est secoué par un tube d’un genre ROCK FUSION nouveau. Le producteur Rick Rubin a l’idée de remettre au goût du jour « Walk This Way » des rockeurs d’Aerosmith en y associant FUNK, HIP-HOP, NÜ-METAL & AUTRES MÉTISSAGES les rappeurs de Run-D.M.C. et pose la première pierre à l’édifice d’une fusion sonore inédite. Dans son sillon, Faith No More et les Red Hot Chili Peppers poursuivent l’expérience en passant au shaker le rock, le funk, le rap, le punk, la pop et le metal, imités ensuite par des groupes comme Rage Against the Machine ou Korn qui y ajoutent des ingrédients plus extrêmes encore. L’hybridation devient JEAN-CHARLES DESGROUX la norme, et les années deux mille voient l’avènement du genre, sous l’influence des poids lourds comme Linkin Park, System of a Down, Deftones ou Slipknot. Entre rap rock, funk metal et nü-metal, cette anthologie explore trente-cinq années de métissages musicaux à travers cent de leurs œuvres les plus représentatives. Né en 1975 à Biarritz, Jean-Charles Desgroux est un spécialiste du hard rock et du heavy metal. Ayant œuvré pour Rock Sound, Crossroads ou Rock&Folk, il est aujourd’hui animateur radio sur Heavy1. Aux éditions Le mot et le reste, il a publié les deux anthologies Hair Metal et Stoner ainsi que les biographies d’Alice Cooper et Iggy Pop. ROCK FUSION Prix : 22 euros 9HSMDQB*djhddd+ M ISBN : 978-2-36139-733-3 — LE MOT ET LE RESTE R couv_ROCK_FUSION.indd Toutes les pages 12/02/2021 15:08 JEAN-CHARLES DESGROUX ROCK FUSION funk, hip-hop, nü-metal & autres métissages le mot et le reste 2021 Pour Naomie et Myriam, always. « Anger is a gift » Zach de la Rocha « I know the feeling It is the real thing The essence of the soul » Faith No More INTRODUCTION En musique, comme en cuisine d’ailleurs, la fusion désigne le mariage de styles et de saveurs jusqu’alors supposément hermé- tiques, ou étrangers les uns aux autres. Oser assortir et confronter des cultures établies pour atteindre de nouvelles sphères inspi- rantes et doublement plus créatives : voilà à quoi mène la recherche d’une certaine esthétique dans le mélange. Marier cuisine asiatique ou caribéenne aux carcans de la gastronomie française ? Quelle effronterie ! Oser accoupler rock et hip-hop ? Quelle révolution ! Beaucoup ont grimacé avant d’y avoir goûté – et nombreux sont ceux qui ont fini par y succomber, les alliances ayant fini par devenir une norme. Une norme parmi les autres normes : le brassage des cultures permettant ainsi de dynamiter les barrières et de réunir les peuples, dans un élan d’inventivité. Tout rentre alors dans le domaine du possible, le mot même de « fusion » nous ramenant à des concepts de chimie entre les atomes. Et si au fond cette fusion ne remontait pas déjà aux années cinquante, lorsque le folk, le hillbilly et la country des blancs rencontraient le blues, le gospel et le rythm’n’blues des noirs ? Socialement, culturellement, et même politiquement, cet alliage des genres, ce mariage des « races », était déjà des plus inaccep- tables pour les gardiens de la morale – d’autant que cela déboucha tout simplement sur la naissance du rock’n’roll. Trente ans après 1954, année de naissance de ce rock’n’roll (qui en réalité germait depuis bien plus longtemps), l’acte fondateur de la fusion moderne apparaît sur MTV un après-midi de juillet 1986, et réunit, en 3 minutes 38 d’un single inoubliable, deux mondes isolés chacun dans son coin à regarder ses doses de clips respec- tifs. D’un côté les amateurs de musiques afro-américaine, qu’elles soient rythm’n’blues, soul, funk ou plus contemporaines encore telles que le hip-hop dont on perçoit alors les toutes premières vagues à grande échelle – et de l’autre les rockeurs, majoritaire- ment blancs, dominés par toute une génération de chevelus prêts 9 ROCK FUSION à jouer le jeu de l’image extravertie où la musique passe même de plus en plus souvent en second plan. Oh, bien sûr pouvions- nous déjà voir rockeurs blancs et musiciens noirs jouer ensemble, comme à l’occasion du single caritatif « We Are The World » à peine un an plus tôt, avant de venir fouler les scènes du Live Aid en 1985, mais jamais ne les avions-nous entendus mélanger leurs cultures à ce point. Eddie Van Halen avait bien été commandité pour signer le solo démonstratif du « Beat It » du Roi de la Pop Michael Jackson, mais l’incursion s’arrêtait là à un bref effet de style – entre autres pour rameuter les fans de guitare autour du funk ultra-sophistiqué et fédérateur supervisé par Quincy Jones. Juillet 1986 donc : les guitares crues et dures viennent s’immiscer dans le beat habituellement vierge du hip-hop, et un refrain plus éraillé vient déchirer le flow limpide des couplets échangés entre les deux MCs. Le riff de Joe Perry et la gouaille de Steven Tyler s’autorisent une collaboration sur une reprise de leur propre morceau, un hit mineur de 1975, réactualisé par le trio de hip-hop le plus en vogue de l’époque, Run-D.M.C. – et échafaudé dans l’ombre par un producteur visionnaire, Rick Rubin. « Walk this way » est-il d’ailleurs en train de fredonner dans sa barbe : « c’est ainsi que ça va se passer ». Et de déterminer, en un moment d’intense persuasion et d’orchestration, l’avenir de la musique pour les décennies à suivre. PRÉCISION SUR LE TERME « FUSION » Curieusement, le terme fusion n’est employé qu’en France, là où les Anglo-Saxons ne parviennent à circonscrire l’ensemble de cette vaste scène qu’avec les termes rap metal et funk metal, sensiblement plus précis au regard des nouvelles inspirations, et sous couvert du plus généraliste encore : l’alternatif. Dans l’hexa- gone, souvent la confusion règne autour du mot qui, dans la musique contemporaine, définit une, voire deux autres époques et courants distincts. 10 FUNK, HIP-HOP, NÜ-METAL & AUTRES MÉTISSAGES Le premier désigne le virage rock qu’entreprit Miles Davis à la fin des années soixante avec ses albums In A Silent Way et Bitches Brew, qui a donc donné naissance au jazz fusion avec la présence d’une rythmique plus dure, et celle du guitariste John McLaughlin à l’œuvre sur des opus qui ont provoqué une ouverture inédite au sein d’un genre musical répondant certes à plusieurs écoles depuis le début du xxe siècle, mais fondamentalement conservateur. Cette brèche a donc enfanté dès le début des années soixante-dix des formations comme Mahavishnu Orchestra ou Weather Report, et parallèlement, d’autres artistes comme Santana ainsi que l’icono- claste Frank Zappa et ses Mothers Of Invention. L’autre figure incontournable d’un deuxième mouvement simi- laire dans son désir de repousser les limites des genres, c’est bien sûr Jimi Hendrix. À partir de 1967 et du mouvement psychédé- lique auquel il est associé, le guitariste gaucher décoche des notes et des sons qui le font passer pour un extraterrestre électrique : baignant certes dans un halo de légendes sexuelles et de voyages cosmiques sous substances hallucinogènes, Hendrix exploite de fond en comble les possibilités de son instrument et bénéficie simultanément des incroyables avancées technologiques, tant en termes d’amplification, de distorsions, d’effets de pédales et de techniques en studio – ce qui le pousse à faire construire son propre laboratoire sonique à New York, l’Electric Ladyland. Il poursuit alors la libre exploration entamée par Miles Davis, dans bon nombre de directions musicales, qu’elles soient hard, blues, jazz ou funk. Et c’est notamment à travers son chef-d’œuvre Electric Ladyland en 1968 que le guitariste marie rock psychédélique et funk, notam- ment avec des morceaux a priori simples comme « Crosstown Traffic », qui généreront des conséquences colossales sur la décennie à venir, et au-delà. Quasi instantanément, de nouvelles formations métissées transforment leur rythm’n’blues initial en combo funk rock détonnant : Sly & The Family Stone – et son orchestre mixte – produit un cocktail explosif et sexuel, qui compte autant sur le martèlement irrésistible du funk de James Brown que sur les trouvailles miraculeuses d’Hendrix. 11 ROCK FUSION Mais s’il existe un groupe qui représente davantage encore la folie des années soixante-dix et la liberté qui caractérise l’essence même de cette fusion entre rock et funk, c’est Funkadelic. Collectif protéi- forme, Funkadelic est l’œuvre d’un guitariste du niveau d’Hendrix, Eddie Hazel, et surtout d’un gourou excentrique meneur de revue qui répond au nom de George Clinton – et qui sera l’un des points de mire principaux des Red Hot Chili Peppers à la création de leur petit groupe en 1983. Avec des disques aussi déterminants que Funkadelic, Free Your Mind… And Your Ass Will Follow et Maggot Brain, Funkadelic symbolise cette fusion, autant que son miroir Parliament, tous deux prolongés par l’expérience Parliament-Funkadelic et la nébuleuse des musiciens du P-Funk All Stars qui croisent le fer sur disque et en concert – ici avec d’anciens lieutenants de James Brown dans son backing band The Pacemakers, en tête le bassiste Bootsy Collins, jumeau cosmique de George Clinton, plus énergique encore que la Stone Family de Sly. Le grand maître d’une mythologie afro crée un univers entre science-fiction, glam et psychédélisme hendrixien, aussi appelé Afrofuturism et dont le véhicule est un vaisseau spatial scénique, le Mothership. Y gravitent les musiciens les plus déterminants et influents de l’histoire du funk, parfois issus du jazz (tels que Maceo Parker), et dont les hymnes viendront bientôt habiller les platines des futurs DJs de hip-hop.