INTOLERANCE Film muet de D.W. Griffith (1916- 3h)

Version restaurée inédite (2007) Re-création musicale (2007) : Antoine Duhamel et Pierre Jansen

Jeudi 4 octobre 2007 à 20.40 Diffusion en INTOLERANCE, renaissance d’un chef-d’œuvre

Monument du patrimoine cinématographique mondial, chef-d’œuvre du muet tourné en 1916 par D.W Griffith, Intolérance est l’expression accomplie d’un art cinématographique par la mise en place de quatre histoires différentes, destinées à illustrer le propos du cinéaste : «L’inhumanité de l’homme envers l’homme durant les deux mille cinq cents dernières années. »

L’histoire de Belshazar, le jeune roi de Babylone, et la destruction de son royaume. La chute de Babylone, fruit du complot des grands prêtres qui, redoutant l’introduc- tion de nouvelles idées religieuses, trahirent la cité au profit de Cyrus, l’empereur des Perses. Cette histoire avec trois autres : la trahison de Jésus se terminant par la crucifixion ; la trahison des Huguenots le soir de la Saint-Barthélemy en 1572, lorsque 50 000 protestants furent massacrés à Paris ; et la lutte entre le capital et le travail dans les États-Unis modernes.

Décors gigantesques, montage parallèle, profondeur de champ, alternance de gros plans et de plans généraux, teintes bleu nuit, rouge sang, sépia… La restauration haute définition 2007 permet de redécouvrir les teintes d’origine telles qu’on ne les avait plus vues depuis la première européenne à Londres il y a quatre-vingt-dix ans.

Cette version «1917-Director’s cut of DW Griffith’s INTOLERANCE,» présentée le 29 août 2007 en pré-ouverture de la 64e Mostra de Venise, est accompagnée par la re-création de La Suite Symphonique pour Intolérance composée par Antoine Duhamel et Pierre Jansen, interprétée par L’Orchestre National d’Ile-de-France sous la direction de Jean Deroyer. David Wark GRIFFITH (1875-1948)

Né le 22 janvier 1875 à LaGrange dans le Kentucky, David Llewelyn Wark Griffith, fils d’un colonel ruiné par la guerre de Sécession, grandit dans la nostalgie de la Confédération sudiste. Il rêve de théâtre et commence une carrière de comédien et d’auteur dramatique, avant d’être recruté, comme acteur, par l’Edison Company - le cinéma vient de naître. En 1908, il entre à l’American Biograph Company, où il réalise plus de 450 films, dont le public raffole. Il découvre les toutes premières stars de l’histoire du cinéma : la petite fiancée de l’Amérique, Mary Pickford, et les sœurs Gish, Dorothy et Lillian. Ambitieux, Griffith ne s’entend guère avec les dirigeants du studio : on rechigne à lui accorder les moyens qu’il réclame ; on le méprise parce qu’il n’a pas eu de succès à la scène. Tout cela tandis que, avec son chef opérateur G. W. Bitzer, Griffith invente la grammaire du 7e art. Lorsqu’il passe enfin au grand spectacle, il réalise Naissance d’une nation, une épopée raciste et réactionnaire que son inventivité stylistique fait passer à la postérité. Le cinéaste poursuit sa recherche sur le montage alterné dans Intolérance. Le dispositif déroute le public, et Griffith doit revenir à des projets de moindre envergure, mais il ne transige jamais sur sa recherche esthétique. En 1919, comprenant que le grand combat du cinéaste est celui de l’indépendance artistique, il fonde le studio United Artists avec Charlie Chaplin et le couple Pickford- Fairbanks. Son Lys brisé, un mélodrame admirable, est un triomphe. Malgré un Abraham Lincoln prometteur, il ne réussit pas le passage au parlant. Griffith reste toutefois une figure respectée : au cours des années 1930, il reçoit un Oscar d’honneur. Il est décédé à Hollywood le 21 juillet 1948.

Tout véritable artiste de l’écran devrait, à quelque moment de sa vie, essayer de réaliser au moins un film pour la postérité, pour la vérité, pour la beauté, tout en sachant parfaitement bien que ce film ne sera pas populaire, pas davantage d’ailleurs que du Shakespeare, de l’Homère n’est « public ». En recherchant le vrai et le beau, il ne devrait pas trop se préoccuper de l’avenir financier de son entreprise, car un succès d’argent n’est pas nécessairement une grande chose ; loin de là. Ainsi, Intolérance, le seul grand film peut être pour lequel je perdis de vue l’avenir financier, ne me rapporta pas un sou. En fait, il me coûta même une fortune. Une année s’écoula après que je l’eus produit sans que j’aie pu trouver un commanditaire pour mon prochain film. Mais Intolérance m’a valu l’amitié de quelques uns des gens de valeur de notre époque. Dix années après sa réalisation , ce film fut projeté de nouveau à New York par le Film Arts Guild avec un succès complet, après y avoir connu une première fois, jadis, l’indifférence ou l’incompréhension.

D.W Griffith à propos d’INTOLERANCE (In CINEA-CINE pour tous, n° 140, 15 septembre 1929) Fiche technique INTOLERANCE, a Sun-Play of the Ages

Scénario et Réalisation : David Wark Griffith Seconds assistants réalisateur : Tod Browning, Allan Dwan, Victor Fleming, W.-S. Van Dyke… Images [Eastman, orthochromatique] : G. W. Billy Bitzer Production : Wark Producing Corporation © 1916 Re-création musicale (2007) : Antoine Duhamel et Pierre Jansen - Orchestre National d’Ile-de-France - Direction Jean Deroyer Re-production (2007) : ZZ Productions ® 2007, en association avec Le Danish Film Institute et la participation d’ARTE France.

Fiche artistique Interprètes : Lillian Gish (The Woman who rocks the Cradle), Mae Marsh (The little Dear One), Robert Harron (The Boy), Elmer Clifton (The Rhapsode), Constance Talmadge / Georgia Pearce (The mountain Girl / Marguerite de Valois), Seena Owen (Attarea, The Princess beloved), Walter Long (The Musketeer of the Slums + Babylonian Warrior), Miriam Cooper (The friendless One), Bessie Love (The Bride of Cana), Alfred Paget (The Prince Belshazar), Howard Gaye (Jesus Christ + Cardinal Lorraine), Lillian Langdon (Mary, the Mother), Josephine Crowell (Catherine de Medicis), Frank Fisher Bennett (Charles IX, King of France), Margery Wilson (Brown Eyes), George Walsh (Bridegroom of Cana)…

Fiche technique et artistique exhaustive consultable sur www.zzproductions.fr

D.W. GRIFFITH’s filmographie (sélection) In Old California (1910) (1914) Home, Sweet Home (1914) (1915) INTOLERANCE: Love’s Struggle Throughout the Ages (1916) (1918) or The Yellow Man and the Girl (1919) (1919) (1920) (1921) One Exciting Night (1922) The White Rose (1923) Isn’t Life Wonderful (1924) Sally of the Sawdust (1925) Sorrow of Satan (1926 ) Abraham Lincoln (1930)

NB : Exhaustive filmography : CfGRIFFITH PROJECT, commissioned by the Pordenone Festival © Giornate del Cinema Muto (GCM) / British Film Institute (BFI), Vol. I - X, 1999-2006

1916 : le tournage d’INTOLERANCE par Billy Bitzer, chef opérateur (extraits)

vant d’entreprendre Naissance, culaires avec un troupeau d’éléphants. nous avions terminé un autre Enfin, M. Griffith, lui répondis je, où A film : La Mère et la loi. Cette his- prendrons nous les éléphants ? toire moderne, dans laquelle Bobby Har- C’était évidemment impossible, étant ron et Mae Marsh étaient tous les deux donné les problèmes d’acheminement éblouissants, contait les vicissitudes de qui se posaient en cette période trou- la classe ouvrière. Pour moi, c’était l’un blée – nous étions en temps de guerre des meilleurs films que nous ayons ja- mais il trouva quand même le moyen mais réalisés, et j’espérais que Griffith le d’en faire figurer dans le film : les -mu ferait sortir. Mais celui ci avait mainte- railles de Babylone sont en effet couron- nant l’intention de surpasser Naissance, nées d’éléphants cabrés, sculptés dans que tous les critiques avaient acclamé la pierre ! comme un chef d’œuvre, et il projetait de Cependant, M. Griffith n’avait nullement mettre en scène un grand film dans des l’intention de se contenter de narrer un décors babyloniens, à l’instar de Judith épisode d’histoire babylonienne ; c’est de Béthulie. Et comme il avait toujours que les critiques qui avaient taxé Nais- présente à l’esprit la réussite triomphale sance de racisme lui avaient infligé là de la chevauchée des membres du Ku des reproches cuisants, et il avait même Klux Klan, il me demanda si je pensais écrit un opuscule sur la question : The pouvoir obtenir des effets aussi specta- Rise and Fall of Free Speech in America (Grandeur et décadence de la liberté les anges. Elles étaient vraiment adora- de parole aux Etats-Unis), dans lequel bles dans leurs longues robes blanches, il justifiait son point de vue. Il voulait avec leurs petites ailes et leurs visages à tout prix riposter à ces attaques par frais et juvéniles, tous plus jolis les uns le film le plus ambitieux jamais réalisé que les autres. Alors on ajusta sous sur le thème de l’intolérance. Griffith leurs robes les ceintures de sangle que disposait maintenant de plus d’argent Mrs Brown, puis les câbles furent fixés qu’il n’avait jamais rêvé d’en avoir, et aux ceintures, et nous essayâmes notre il résolut en fin de compte d’entremê- dispositif. Tout dépendait en effet de ce ler, en les racontant simultanément, câble bien frêle. Seulement, voilà : la quatre histoires distinctes, traitant tou- ceinture remonta sous les bras de cer- tes du même sujet, le fanatisme, et se taines filles, tandis que sur d’autres, elle déroulant à quatre époque différentes glissait... Nous entreprîmes malgré tout de l’histoire de l’humanité. La mère et de tirer doucement sur le fil pour faire la loi, cette narration des faits authen- monter nos jeunes filles, mais à ce mo- tiques d’une grève contemporaine, lui ment là, elles se mirent à tournoyer en fournissait son premier épisode, après l’air comme des folles, tout en piaillant. quoi, se replongeant dans l’antiquité, il Et avant que nous ayons eu le temps de voulait montrer la chute de Babylone, dire « ouf », quelques unes s’évanouis- orchestrée par les Perses. saient, d’autres se mettaient à vomir, et Quant aux deux autres… Eh bien, il il fallut en redescendre la moitié pour aborderait le problème du peuple Juif, les ranimer. Je me pris alors à songer victime du sectarisme depuis l’origine que, si ça continuait, dans cette scène, des temps. Pour tout ce qui concernait on verrait plus d’anges morts que de ca- l’épisode hébreu, on conseilla à Griffith davres de soldats. de consulter un rabbin qui habitait Los Nous nous efforçâmes de convaincre Angeles. D. W. consacra beaucoup de certaines de nos petites malades d’es- temps au Rabbin Myers, et c’est ainsi sayer une nouvelle fois et nous rem- qu’il fit la connaissance de sa famille, et plaçâmes celles qui ne voulurent pas en particulier de sa fille, la belle Carmel ; se laisser faire. Ce qui voulait dire da- celle ci obtint d’ailleurs l’autorisation vantage de fil téléphonique, encore de paternelle de jouer dans le film, ce qui l’argent et toujours plus de travail. Nous devait être le début d’une belle carrière. revîmes alors l’ajustage des ceintures Tous les détails des noces de Cana re- de sorte qu’elles ne tournent pas et res- çurent la caution du Rabbin Myers, de tent en place, et puis, en demandant à même que les costumes et les décors un homme de se mettre sous chaque de toute la séquence censée se dérou- ange avec un câble de contrôle, nous ler en Judée. Comme quatrième sujet, obtînmes que ces demoiselles se sen- Griffith avait choisi d’évoquer les persé- tent un peu plus en confiance et qu’elles cutions religieuses subies par les pro- gesticulent un peu moins. Grâce à mon testants français, et qui avaient abouti chariot de travelling, je pouvais me dé- au massacre de la Saint-Barthélemy. Il placer en dessous d’elles avec ma ca- avait prévu de lier ces divers épisodes méra. Mais on ne peut pas dire qu’elles en faisant intervenir Lillian Gish tout au donnaient vraiment l’impression d’être long du film, y apportant de la sorte une à l’aise en vol. touche finale sur laquelle je reviendrai Nous y passâmes une journée complète par la suite. [...] et nous recommençâmes brièvement au Soixante filles furent engagées pour faire cours du tournage de l’épilogue, du ca- taclysme final qui prophétise le bombar- vinrent le voir pour jouer dans ses films. dement de New York et la fin du monde Jusqu’au jour où une jeune personne de si les hommes ne parviennent pas à quatorze ans porta plainte contre lui – à faire régner la paix universelle. Tout ce tord ou à raison – et qu’il fut expulsé et travail et tous les soucis que nous avi- renvoyé en Angleterre. Lorsque l’accu- ons eu avec les anges se réduisirent à sation eut été dûment motivée, son nom un plan flash qui ne doit pas durer sept disparut du générique d’Intolérance. secondes en tout. Mais quand quelque [...] chose passait par la tète de M. Griffith, Personne n’enviait son rôle à Lilian Gish. on le retrouvait à l’écran. [...] Elle avait eu la vedette dans Naissance, et se reposait un peu sur ses lauriers. Griffith recommandait toujours aux Dans ce film, c’est elle qui balançait le acteurs de rester au sens propre du berceau de la vie éternelle, qui, je cite : terme – dans la peau du personnage se balance pour l’éternité, unissant Ici qu’ils interprétaient dans ses films, et et Maintenant à Ce Qui Doit Être, jus- de garder leur costume en quittant le qu’à l’au-delà. De ce symbole du temps plateau. Cependant, lors du tournage éternel et qui passe sans jamais s’arrê- d’Intolérance, nos standardistes reçu- ter, Griffith voulait faire le fil conducteur rent des quantités de protestations vé- entre ses quatre histoires. Ce leitmotiv hémentes émanant des vieilles familles devait apparaître cinq ou six fois tout au de Hollywood. C’est que Howard Gaye, long du film. Je trouvai, lors du tourna- toujours revêtu de son déguisement, ge, de ces plans, l’occasion de mettre au arborant une belle barbe et les cheveux point une nouvelle lentille spécialement traînant sur les épaules, grimpait dans fabriquée pour moi par Zeiss-Tessar. Je sa Ford et faisait le tour de Hollywood ne demandais à Lilian que de s’asseoir, en reluquant les petites filles. être belle et me laisser faire. Mais ce Non, mais vous voyez le Christ descen- symbole du berceau devait quelque peu dre Hollywood en Ford ! s’indignaient les gâcher le film; c’est que personne n’y vieux indigènes. Howard étant toujours comprit rien. [...] très correct sur le plateau et n’ayant jamais ennuyé la moindre fille, selon Extraits de Billy Bitzer : his story nous, il n’y avait qu’à lui conseiller de (Farrar, Straus and Giroux, New York, se changer avant de quitter le studio. Il 1973) Traduction française / D.W. expliqua à Griffith qu’il avait seulement GRIFFITH (sous la direction de Patrick voulu faire enrager les puritains locaux, Brion) © Centre Georges Pompidou / et nous n’entendîmes plus parler de L’Équerre, Paris, 1982 [p. 67-76] l’affaire. Mais peu de temps après nous avoir quittés, avec l’argent qu’il avait économisé, il fonda sa propre compa- gnie. C’est ainsi que des jeunes filles A propos de la sortie d’INTOLERANCE en France en 1919

INTOLERANCE est interdit depuis trois sans « l’adapter » allégrement ? ans, sous prétexte de pacifisme, comme Les lacunes ainsi produites ont beau- dit froidement la Censure. Nous la ver- coup gêné le public. Il n’a rien compris rons peut-être avant la fin de l’année. pendant une heure et demie. Le public, Espérons que ses mutilations forcées juge faillible et intransigeant, sera tou- ne l’auront pas rendue méconnaissable. jours ahuri devant une oeuvre person- nelle. Ceux qui, aux représentations de «Coeurs du monde», de D.W. Griffith, Parsifal, ont noté les réflexions idiotes PARIS-MIDI, 9 avril 1919. des neuf-dixièmes des spectateurs, re- trouveront dans la pénombre de la salle Marivaux le même genre de compré- «Cet immense film était beaucoup plus hension.» immense dans son intégralité. Mais ceux, ou celui, qui ont pris à coeur Louis Delluc, PARIS-MIDI, avril 1919 d’interdire pendant toute la durée de la in Le Cinéma au quotidien, Cinéma- guerre une oeuvre de cette envergure se thèque française et Editions de l’étoile seraient cru déshonorés s’ils avaient levé / absolument leur veto. INTOLERANCE est Cahiers du Cinéma, Paris, 1990. autorisée, dit-on, soit. Une autorisation avec coupures est un pléonasme au cinéma. Est-ce que l’on a jamais passé sur les écrans de Paris un film américain Histoire de la composition de La Suite symphonique pour INTOLERANCE par Pierre Jansen et Antoine Duhamel

La composition de cette partition est avant C’était en fait un merveilleux voyage dans tout une histoire d’amitié entre deux com- la connaissance du travail de l’autre, à quoi positeurs, au sens littéral du mot, car elle nous allions nous engager. Très vite nous al- est née d’abord de relations professionnel- lions partager nos tâches et nos réflexions: les, et s’est peu à peu enrichie, ensuite, de “Faut-il faire une vraie Valse ? pour le bal tout ce qui fait une vraie amitié. Celle de nos chez les Jenkins, ou quelque chose de dif- goûts, de la relation ancienne de nos épou- férent”. “Quel style de musique ? ses, toutes deux pianistes, de vacances d’époque ? d’avant-garde ? ou plus tonal, et de voyages faits en commun. En 1968, et surtout plus thématique” ? Et, question du côté du quartier latin, nous débattions classique au sujet d’Intolérance,“Qu’allions- entre amis de l’avenirdu monde et de nos nous faire sur le berceau” ? métiers. Nous nous connaissions vague- Plus simplement, comment répartir entre ment avant, mais l’identité de nos parcours nous le travail ? Il y avait une question qui avait une étendue bien particulière. Tous les nous était propre : équilibrer nos rythmes deux issus du courant de l’avant-garde, la de travail. Pierre dit tout le temps: “Je suis vie nous avait amené l’un comme l’autre un lent”. Ma propre soi-disant vitesse l’effa- à nous passionner pour ce cinéma auquel re, me dit-il. Et, cette année-là, nous étions, nous avions déjà consacré beaucoup de lui à Paris, moi à Villeurbanne, au coeur nos forces, non sans un réel succès, avec des activités de cette école de musique que des metteurs en scène bien proches, Cha- j’avais fondée quatre ans plus tôt. brol, Godard, Truffaut. Le projet s’était établi au cours de l’année 1984, à la suite d’une demande faite par Nos goûts musicaux, et ce destin cinéma- Jacques Robert et Christian Belaygues. Il tographique bien particulier, où nous nous s’agissait de mettre en musique le film de reconnaissions, par notre orientation mu- Griffith dans la version de Rohauer, qu’ils sicale à la fois proche et contrastée,allait venaient de diffuser avec un seul piano souder cette relation dans l’identité et la di- pour l’accompagner, alors que cette très versité. Mêmes problèmes, avec le cinéma, belle copie méritait une parure plus digne. avec nos collègues, avec le public et les cri- Face à un tel projet, qui représentait un tiques, avec les difficultés de laproduction énorme travail, il nous fallait des garanties de notre travail. sérieuses, en tout cas un orchestre, un lieu Notre amitié était assez mûre et étendue et une structure de production, une com- pour qu’il soit intéressant de la mettre à mande pour notre travail de composition. l’épreuve d’un travail commun d’envergure, Tout cela aboutit vers la fin de l’année, dans la composition de cette énorme partition les meilleures conditions. Pour le théâtre et que nécessitait le grand film de Griffith, la structure de production, nous aurions le où nous pourrions d’abord nous aider et Théâtre des Amandiers, dirigé alors par Pa- nous épauler, car il paraissait indispensable trice Chéreau et CatherineTasca, qui furent d’établir un dialogue, avec un interlocuteur de formidables “patrons”. Pour les inter- véritable et complice, dans un travail qui se- prètes, ce furent l’Orchestre d’Île-de-France rait difficile pour un seul créateur. et son chef, Jacques Mercier, qui suivirent très fidèlement l’exploitation de l’oeuvre, dans les 15 à 20 représentations qui suivi- lever dans notre façon de traiter tel ou tel rent en Europe. épisode, que dans le matériel même de nos Pour la commande, ce serait la Direction musiques. de la Musique, qui allait patronner le projet, Nous allions avancer très vite, bien que auquel s’associèrent la SACEM et le CNC, chacun suive son propre rythme de travail. – mais ni la Radio ni la Télévision Françai- J’avais bien peur, moi le rapide, de connaître ses. Nous disposâmes enfin d’une copie au les déboires du lièvre dans sa course avec début de l’année 1985, et, pendant les va- la patiente tortue, car j’étais fort sollicité par cances de février, nous allâmes ensemble Villeurbanne. Mais nous nous rencontrions dans la belle maison ardéchoise de Pierre, régulièrement, à Paris la plupart du temps. pour commencer le travail. Merveilleux Je nous vois, Pierre et moi, devant l’écran souvenir que ce premier temps, où la com- de télévision, chantant, avec le métrono- position allait s’engager à quatre mains. En me, ce que l’un ou l’autre venait d’écrire, peu de jours, les bases étaient posées pour pour voir si cela fonctionnait à notre goût. longtemps. Une idée de base : “le berceau”, (Nous fîmes cela une dernière fois, à trois, pour lequel fut choisie la solution suivante : avec Jacques Mercier, dans les derniers un grand Mi réparti dans toute l’étendue de moments avant la première, pour tester la l’orchestre, suivi d’un accord complexe, de “bande rythmo” qui allait servir de guide à huit sons différents, mais très proches. Si- notre chef). Enfin nous passâmes l’été en lence, et de nouveau le grand Mi, s’ouvrant Ardèche, pour accorder parfaitement nos cette fois sur un accord de même nature enchaînements, pendant l’établissement de mais différent. Ce thème fondamental, ima- la partition d’orchestre définitive, terminée ge de l’unité, puis de la diversité du monde, ensemble avec une belle simultanéité, vers sera mené tout au long de l’oeuvre, reve- la fin août. nant certes sur le fameux berceau, mais Un dernier mot sur ce que furent les jours dans chaque articulation de cette œuvre de cette création, si magnifiquement sou- complexe, car la difficulté de cette fameuse tenus par toute l’équipe, à commencer par image est de venir fort souvent, mais de ne notre chef d’orchestre et nos musiciens, venir que pendant des temps très courts, mais en particulier par Patrice Chéreau, par de quelques secondes. Catherine Tasca, par ceux du théâtre, par Très vite, d’autres thèmes allaient surgir, nos interprètes, et par tous nos amis. venant indifféremment de l’un ou de l’autre. Rohauer s’étonna, nous dit-on, que nous Ils allaient s’appliquer à tel ou tel personna- ayons traité «l’épilogue» du film de façon ge, la Petite Chérie, la Fille des Montagnes, grave et tragique. Pour lui, il voyait dans la Délaissée, Yeux bruns, Catherine de Mé- ces dernières images, quelque peu paradi- dicis. Ce ne sont pas des Leitmotivs, des siaques, de ce monde guéri et meilleur dont indications plutôt, qui circulent tout au long rêvait Griffith en 1917, une ouverture vers du film, et qui viennent de l’un ou de l’autre. joie et bonheur. Pour nous, écrivant notre L’amusant, dans cette collaboration si étroi- musique soixante ans plus tard, nous pen- te et si amicale, c’est que nous allions pren- sions surtout que l’Intolérance était plus que dre plaisir, et de plus en plus, à travailler jamais présente. Nous ne pouvions imagi- sur le matériel proposé par l’autre, au point ner une autre fin à cette partition, donc à que cela n’a plus de sens de vouloir dire, notre propre commentaire de cet admirable cela vient de Pierre, ou d’Antoine. Comme film, tel qu’il paraissait en 1985. Preuve s’il nous nous étions vite persuadé qu’il ne fal- en est que la musique, dans un film, peut lait surtout pas se partager les époques ( jouer un rôle de premier plan, et ici dans la “Tu fais Babylone, moi la Saint-Barthélemy signification de cette oeuvre. C’est ce que !”). Il en résulta cette interdépendance de nous voulions dire, et le message en était nos travaux réciproques, plus facile à re- parfaitement clair. Antoine Duhamel

Né le 30 juillet 1925 à Valmondois (Val-d’Oise, France), Antoine Duhamel est le fils de l’écrivain Georges Duhamel et de l’actrice Blanche Albane.

Antoine Duhamel suit les cours de Jacques de la Presle, de Norbert Dufourcq et d’Oli- vier Messiaen au et prend des cours privés auprès de René Leibowitz. Il accompagne Pierre Schaeffer dans les expériences de musique concrète du Club d’essai de la Radio.

Après avoir écrit la musique de nombreux courts-métrages dont deux d’ (Le puits et le pendule, 1963 ; Évariste Galois, 1964), il travaille pour la pre- mière fois sur la bande originale d’un long métrage : Le grain de sable (1964) de Pierre Kast. Duhamel rencontre la même année Jean-Luc Godard et travaille sur la partition musicale de Pierrot le fou. La musique est écrite pour la première fois au contact des images, sans contrainte de minutage, et non après le montage. Artiste éclectique, il devient un compositeur sollicité tant par le cinéma que par la télévision. En 1970 il signe une partition pour piano solo utilisée dans M comme Mathieu (1970) de Jean-François Adam. Il travaille également pour François Truffaut (Baisers volés, 1968 ; La sirène du Mississippi, 1968 ; Domicile conjugal, 1970), pour Bertrand Ta- vernier (La mort en direct, 1979 ; Daddy nostalgie,1989 ; Laissez-passer, 2002), pour Patrice Leconte (Ridicule, 1995) ; pour les frères Trueba, David (La Buena vida, 1996) ; et Fernando (La Niña de tus ojos, 1998, El Embrujo de Shanghai, 2001) ; pour Jean-Daniel Pollet (Ceux d’en face, 2000).

De 1954 à 1958, Antoine Duhamel est le directeur artistique de la maison de disques Les Discophiles français. Il compose la musique de films publicitaires, de dessins animés et de courts-métrages. En 1965, il signe la musique des feuilletons télévisés Belphégor et Le Chevalier de Maison Rouge de Claude Barma. Il monte la même année une comédie-ballet, Gala de cirque pour le Théâtre de Strasbourg. Il est à l’origine de nombreux concertos pour alto, violon, vibraphone et contrebasse. En 1985, il créé au Théatre des Amandiers avec Pierre Jansen la Suite Symphonique pour INTOLERANCE. En 2002, il a obtenu l’Ours de la Meilleure musique à la Berlinale pour le film Laissez- passer.

Pierre Jansen

Né le 28 février 1930 à Roubaix (France).

Pierre Jansen a composé de la musique de film dans les années 60 avec des cinéastes tels que (depuis en 1960 jusqu’au Cheval d’orgueil en 1980), Claude Goretta (La Dentelière, 1977), (L’ état sauvage, Le grand frère, 1978) ou Pierre Schoenderffer (La 317è section , Objectif 500 millions en 1965 et 1966). Il a travaillé également pour la télévision avec Serge Moati, Josée Dayan ou MIchel Mitrani. Il a enseigné l’orchestration à l’Ecole Normale Supérieure de Musique.

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Contacts presse Agnès Buiche Moreno / Cécile Braun 01 55 00 70 47 / 73 43 [email protected]

dossier de presse sur www.artepro.com et en version longue sur www.zzproductions.fr

chaque mois, un dossier sur le cinéma muet sur www.arte.tv/muet