Université de Pau et des Pays de l’Adour École Doctorale Sciences Sociales et Humanités - ED 481 Laboratoire Société, Environnement, Territoire - UMR 5603

Thèse pour obtenir le grade de Docteur

Discipline : Aménagement Présentée et soutenue publiquement par

Ludovic Falaix

Le 6 juin 2012

Des vagues et des hommes : La glisse au cœur des résistances et contestations face à l’institutionnalisation des territoires du surf en Aquitaine

Sous la direction de Vincent Vlès

Composition du jury :

Philippe Bachimon , Professeur de géographie à l’Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse, président

Philippe Bourdeau , Professeur de géographie à l’Université Joseph Fourier de Grenoble, rapporteur

Jean-Paul Callède , Chargé de recherche au CNRS, HDR en sociologie, GEMASS, MSH, Université de Paris IV, rapporteur

Sylvie Clarimont , Maître de Conférences de géographie à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, examinateur

Vincent Vlès , Professeur d’aménagement et d’urbanisme à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, directeur

1 2 REMERCIEMENTS

À l’heure de remettre les conclusions de ses investigations scientifiques et de se soumettre à l’évaluation par ses pairs, la règle veut que l’auteur adresse des remerciements. Néanmoins, plutôt que de dresser une longue liste de noms où seuls ceux qui sont cités se reconnaissent, je préfère mettre en avant les raisons qui justifient le fait que les personnes ci-dessous mentionnées soient chaleureusement et sincèrement remerciées. Souscrivant volontiers au respect protocolaire qui consiste à remercier en premier lieu les enseignants- chercheurs, j’adresse donc mes remerciements :

- À Vincent Vlès : pour le souci permanent qu’il a manifesté à l’idée que cette recherche aboutisse, dans une posture bienveillante, profondément respectueuse de mon intégrité intellectuelle et de mes références conceptuelles dont certaines sont peut-être éloignées de ses propres champs d’intérêts ; pour son exigence intellectuelle et professionnelle qui appelle à un investissement de chaque instant dont on ne mesure la satisfaction qu’il procure qu’ a posteriori ; pour sa loyauté, son intégrité et son soutien indéfectible même lorsque j’étais enclin à dénoncer les injustices du monde universitaire avec force et conviction quitte à susciter diatribes et quolibets et dont il pouvait subir préjudice ; pour sa fermeté auprès des instances universitaires paloises à l’idée que le plagiat de mon DEA soit non seulement dénoncé mais appelle à davantage de vigilance de la part des enseignants-chercheurs ; pour sa chaleur et sa convivialité lorsque durant les temps informels nous échangions sur les choses du quotidien ; pour sa propension à dépasser l’impression laissée à l’issue d’une première rencontre ; pour sa perpétuelle et indéfectible disponibilité ; pour les judicieux et précieux conseils qu’il m’a prodigué durant de longues années tant sur le terrain de la recherche universitaire, de mon activité professionnelle, ou de mes questionnements personnels et qui ont participé, en partie, à construire la relative confiance en moi qu’est la mienne aujourd’hui... Pour toutes ces raisons, Monsieur Vlès, soyez remercié ;

- À Sylvie Clarimont : pour sa générosité, son enthousiasme à l’idée d’accompagner un jeune étudiant dont personne ne voulait suivre les travaux au regard de la thématique choisie, alors jugée comme peu digne d’intérêts ; pour sa capacité à faire de l’expertise de mes travaux le seul étalon de la confiance qu’elle souhaitait m’accorder

3 rompant ainsi avec les pratiques locales pour présager du potentiel d’un étudiant ; pour son attention permanente à l’idée de me pousser dans mes retranchements pour obtenir le meilleur de moi-même m’imposant rigueur et discipline dans un gant de velours et dans le profond respect de ma sensibilité et des mes obligations professionnelles ; mais surtout pour l’amitié qu’elle me témoigne depuis qu’elle n’est plus contrainte par une posture tutélaire et dont je suis très honoré. Incontestablement, Madame Clarimont, je vous dois beaucoup dans la mesure où vous avez contribué à conforter ma volonté de poursuivre dans le monde de la recherche en me recommandant de ne jamais baisser les bras, intimement convaincue que vous étiez de ma réussite potentielle ! J’y ai vu le témoignage d’une conviction profonde. Puisse ce travail être à la hauteur de vos espérances…

- Aux membres du jury : pour leurs lectures bienveillantes et l’intérêt qu’ils ont manifesté pour ce travail ; À Philippe Bachimon et Philippe Bourdeau d’avoir accepté immédiatement l’idée de compter parmi les membres de ce jury respectivement en qualité de président et de rapporteur ; À Jean-Paul Callède pour sa sollicitude, son écoute, sa confiance et ses conseils prodigués dans une posture bienveillante, au service de mes intérêts.

- À Saïda Bourbian : pour sa patience, sa compréhension, sa sollicitude ; pour les sincères encouragements prodigués tout au long de ces années de recherche ; pour ses observations distanciées ; mais surtout pour les rêves qu’elle partage avec moi ; pour les utopies auxquelles elle me donne la force de croire malgré leur caractère chimérique ; pour l’amour et l’affection dont elle me gratifie. Ces nourritures affectives m’ont permis de me sentir vivant dans les moments de doutes, de ne pas me perdre en chemin, de ne pas renoncer à l’heure où les obstacles paraissent trop difficiles à franchir. Ces chemins qui, faute d’amour, de (com-)passion, ne mènent nulle part à en croire un philosophe allemand dont les concepts jalonnent cette recherche. Puisse ces remerciements être la marque de la reconnaissance éternelle qu’est la mienne. Puissions nous continuer à arpenter, par monts et par vaux, le chemin qui nous conduit à rêver nos vies et vivre nos rêves sans jamais renoncer à ce leitmotiv !

4 - À Virginie et Guillaume Boulay : pour avoir recueilli puis accompagné « le mérou » hors de son bocal afin qu’il navigue sur l’atlantique avec la certitude d’être légitime ici et maintenant ! Il lui arrive encore parfois de tourner en rond mais il sait désormais que les parois du bocal n’ont rien d’étanche et, qu’une fois franchies, d’autres horizons, d’où jaillit la lumière, se dévoilent à la conscience humaine. Cette certitude acquise est une force, un espace refuge où je me ressource.

- À mes amis d’enfance : Pierre-Olivier Dubois, Romain Durruti, Arnaud Mounard et Anthony Sellah : pour être là après plus de vingt ans ; pour l’amitié dont ils m’honorent ; pour m’avoir accompagné dans mes joies et mes peines car c’est ainsi que l’on reconnaît ses amis ; pour leur indéfectible sens de l’humour qui appelle à l’autodérision et évite de sombrer dans une forme d’autosuffisance, apanage des vaniteux et des prétentieux qui se pensent parvenus ; pour leurs passions que sont le cyclisme, la voile, le triathlon et les voyages et qu’ils ont su me transmettre, sans condescendance, pour que j’y accède à mon tour ; pour le fait qu’à leurs côtés, j’ai la conviction intime que les amis se comptent sur les doigts d’une main et que chacun est complémentaire de l’autre dans le fonctionnement harmonieux de cet organe.

- Aux surfeurs interrogés dont je ne dévoilerai pas les noms pour préserver leurs anonymats : pour leur passion du surf qu’ils ont bien voulu partager avec moi ; pour leurs disponibilités ; pour leurs encouragements affirmant par là même le caractère fondé de cette recherche ; pour l’enthousiasme qu’ils ont toujours manifesté à l’idée de me compter parmi eux m’exhortant à les rejoindre au line-up ; pour bien plus encore car ils se reconnaîtront dans les pages qui suivent à travers la lecture des comptes-rendus d’entretiens ; pour m’avoir permis, le temps d’une soutenance, d’être sous les feux de la rampe alors même que, principaux protagonistes, ce sont eux qui méritent la reconnaissance !

- À Jérôme Lafargue pour son enthousiasme à l’idée de lire ces travaux ; pour son acuité intellectuelle mobilisée afin que cette recherche traduise avant toute chose l’investissement du chercheur, défende un point de vue et puisse me procurer la satisfaction de n’avoir jamais renié mes engagements ; pour son humour et sa capacité à recontextualiser ce travail dans une hiérarchisation des priorités de la vie en vue de me préserver des évaluations, qu’elles soient positives ou négatives, dont il pourrait faire

5 l’objet au sein des instances universitaires ; pour m’avoir conforté dans l’idée que j’étais sur la bonne voie…

- Aux membres de ma famille : pour leur soutien, toujours sincère, malgré les doutes qu’ils ont manifesté, ne connaissant pas les enjeux extraprofessionnels induits par cette recherche, à l’idée que cette thèse me soit, un jour, d’une quelconque utilité ; pour ne pas me tenir rigueur, même si je sais qu’il leur en coûte, à l’égard du fait que, comme Jim Morrison, « I prefer a feast of friends to a giant family » !

- Aux plus chers collègues et désormais amis dont j’ai croisé la route dans l’exercice quotidien de mon activité professionnelle c’est-à-dire ceux de la DRDJS et de la ville de Saintes : pour m’avoir accompagné dans l’acquisition d’une culture professionnelle d’agent de la fonction publique qui passe irrémédiablement par la défense des valeurs républicaines et l’abandon de ses intérêts propres au bénéfice de l’intérêt général ; pour leur chaleur humaine et la vie de bureau qu’ils ont su instaurer et qui, aujourd’hui, me font cruellement défaut dans mes nouvelles attributions !

6 SOMMAIRE

Remerciements 3 Sommaire 7 Avant-propos 8

Introduction Générale 11

Première Partie : Géographie de l’intime et spatialisation : Comment les surfeurs habitent-ils la vague 43

Introduction à la première partie : La question de la spatialisation 44

Chapitre 1 : Le surfeur et la vague 52

Chapitre 2 : La relation de l’homme au lieu comme fondement d’une géographie de l’intime 103

Chapitre 3 : L’habiter des surfeur et géographie de l’intime 146

Conclusion de la première partie : Mondialisation et différenciation territoriale 222

Deuxième Partie : Résistances et contestations des surfeurs face à l’institutionnalisation des territoires du surf 226

Introduction à la deuxième partie : La place du surf dans la structuration des territoires touristiques balnéaires en Aquitaine 227

Chapitre 4 : Le surf en Aquitaine : approche historique, sociologique et médiatique 259

Chapitre 5 : L’institutionnalisation des territoires du surf 303

Chapitre 6 : Résistances et contestations de certains surfeurs face à l’institutionnalisation des territoires du surf 406

Conclusion Générale : Perspectives pour la recherche en géographie et en aménagement 468

Bibliographie 490 Table des matières 510 Table des figures 514 Table des photographies 516 Table des annexes 516 Glossaire du surf 517 Annexes 518

7 AVANT-PROPOS

Cette question, issue d’une réflexion introspective, ne m’a jamais quittée. Elle consistait à me demander : « pourquoi je surfe ? » alors même que cette activité ne génère aucun gain de productivité, finalité pourtant assignée par nos sociétés actuelles dans le cadre de toute activité humaine. Mais alors, comment répondre à cette question lancinante autrement qu’en mobilisant des réponses toutes faites et qui consistent à convoquer le seul registre émotionnel comme mode de justification ?

« Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l’autre. L’autre est indispensable à mon existence, aussi bien d’ailleurs qu’à la connaissance que j’ai de moi ». Voilà, ce que précise Jean-Paul Sartre dans son ouvrage intitulé « L’existentialisme est un humanisme ». Fort d’un tel éclairage, ne me restait donc plus qu’à « passer par l’autre » pour « obtenir mes propres vérités », pour forger la connaissance que je peux avoir de moi-même et qui ne peut se dévoiler qu’à l’aune des réponses formulées par les autres surfeurs à cette question. C’est ainsi que se construit parfois un objet de recherche pour lequel on consacre une partie de son existence.

Le choix d’un objet de recherches n’est donc pas le fruit du hasard. Car si tel était le cas, il me semble que rares sont ceux qui engageraient tant d’efforts, qui seraient prêts à consentir à autant de sacrifices à l’idée d’aboutir d’autant plus que les perspectives de valorisation à des fins d’insertion dans le monde professionnel universitaire se réduisent comme peau de chagrin. Le choix d’un objet de recherches, support à l’écriture d’une thèse de doctorat, ne peut être, par conséquent, que l’expression de la part d’intime de tout un chacun. Il résulte d’un parcours individuel où se mêlent des expériences, des émotions, des passions, des rêves, des envies, des rencontres, des opportunités… Quant à l’analyse de cet objet de recherche qui passe, en sciences sociales, par l’expertise et l’examen des pratiques sociales et spatiales des individus - ces autres comme dirait Sartre -, qui mobilise une partie de notre vie au détriment parfois de ce que l’on pourrait vivre avec ceux qui nous entourent, ne répond-elle pas d’une volonté d’accéder également à la recherche de son propre soi-même, de son propre être intérieur, de son propre ordre enfoui, de sa propre irrationalité, de sa propre subjectivité, de sa propre vérité puisque « pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l’autre ».

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« Immigré » sur la côte basque, je découvre, vers le milieu des années quatre-vingt- dix, les joies du surf. Submergé par les sensations nouvelles que me procure cette pratique sportive, celle-ci devient ensuite une passion dévorante, sinon envahissante à tel point que j’y consacre tout mon temps libre sacrifiant même à une quête déraisonnée, à travers l’exploration littorale de différents pays, de vagues vierges et inconnues pour satisfaire mon insatiabilité. Face à un tel abandon pour le surf, je ne peux me résoudre à l’idée de m’en remettre au hasard, à l’irrationnel ou aux seules justifications d’ordre émotionnel pour justifier de cet engouement, de cet engagement sans limites dans une activité devenue passion véritable. Plus encore, cette passion pour le surf, cette rencontre avec les surfeurs forge des intuitions, alimente une « connaissance tacite », pour reprendre la formulation de Thomas Kuhn, qu’il s’agissait d’interroger.

Engager cette réflexion sur les productions d’espaces que suppose l’acte de glisse sur la vague, essence de la pratique du surf, m’a alors permis, en analysant le comportement des autres , ces autres qui composent une communauté à laquelle j’ai le sentiment d’appartenir, de mieux me connaître, de découvrir mes vérités d’individu surfeur qui relayent le hasard au rang de réponse inacceptable lorsqu’il s’agit d’interpréter les raisons qui président au fait de s’engager pleinement dans cette soif d’expériences sociales et spatiales qui, au final, sont l’expression de la construction de son être intime.

Néanmoins, la quête personnelle induite par cette recherche ne peut se suffire à elle-même. Pire encore, le mythe de Tantale n’est jamais loin. Il rode et l’autosatisfaction immédiate du devoir accompli s’estompe bien vite au regard des questions qui restent en suspend et qui méritent que l’on y réponde. Une fois le point final apposé, on prend conscience, trop vite, des insuffisances, des développements inachevés, des concepts complémentaires qu’il aurait fallu mobiliser pour enrichir le débat et la réflexion, des entretiens qu’il aurait fallu approfondir encore en convoquant la maïeutique comme principe d’accouchement des idées.

Plus fondamentalement, pour que cette recherche ait une quelconque utilité qui dépasse le projet nombriliste de trouver quelques réponses a ses propres interrogations ou de conforter scientifiquement quelques intuitions, encore faut-il que les autres , ces autres qui contribuent précisément « à la connaissance que j’ai de moi », puissent eux aussi être

9 en mesure de se découvrir. Aussi, telle était l’ambition, certes prétentieuse, sous-jacente à la rédaction de ces quelques pages. Pourtant, je ne prétends pas avoir répondu de manière satisfaisante à la question qui consiste à savoir pourquoi les surfeurs surfent-ils. Au mieux, peut être ai-je contribué à renforcer quelques pistes de réflexion, non sans le précieux concours et soutien d’heureuses rencontres, quant au fait d’affirmer que les translations des matrices émotionnelles, que cette soif de vivre s’exaltent et trouvent un mode d’expression à travers la création d’espaces éphémères que le surf a la capacité d’engendrer en magnifiant la vague par l’acte de glisse. Ces productions spatiales, de nature extra- terrestre, ont un caractère ontologique et autorisent l’expérimentation d’un ici et maintenant particulièrement sécurisant.

Quoiqu’il en soit, cette recherche ne pouvait être qu’un témoignage d’une vérité subjective et instantanée ; vérité partielle et presque obsolète à l’issue de la rédaction de ce travail au regard du caractère mouvant, aléatoire, changeant, homéostatique de l’existence humaine.

Le surf n’aura été qu’un prétexte pour concilier deux passions afin que l’une et l’autre s’interfèrent avec la volonté insolente d’une part de parfaire la connaissance de cette pratique sportive et d’autre part de prendre part au débat épistémologique en géographie et en aménagement. La seconde a très vite pris le pas sur la première et plus encore. Tel est le prix à payer d’une recherche doctorale réalisée en marge d’une activité professionnelle exercée à temps complet. Ce travail achevé, l’heure est sans doute venue de me consacrer davantage à mes proches en sachant concilier ces passions. Cette conciliation suppose de ne plus accomplir ces investigations scientifiques sur mes seuls temps libres car c’est devoir renoncer aux propositions de ceux qui m’aiment. Dans ce contexte, pérenniser cette ardente volonté d’interroger « la connaissance tacite » des expériences primitives et perceptives des phénomènes géographiques, au-delà de l’usage des temps de loisirs consacrés à cet exercice, relève de décisions futures qui, désormais, ne m’appartiennent plus...

10 INTRODUCTION GÉNÉRALE

« Ne pourrait-on pas estimer que la vie est un questionnement constant, formulé après coup, sur les connaissances que l’on a sur l’espace d’où tout découle ? »

Peter Sloterdijk. Bulles, sphères I . 1998

Au cours de l’été 2011, la société Billabong en appelle aux surfeurs 1 pour bâtir sa stratégie de communication. Le principe est simple. Il consiste à répondre sur un site Internet ( http://www.isurfbecause.com/index.html ) à la question suivante : « Why do you surf ? ». Le surfeur, dans tous les sens du terme, c’est-à-dire utilisateur d’Internet et adepte de surf entendu comme pratique sportive, est invité à saisir sa réponse en choisissant la photographie sur laquelle il souhaite la faire figurer. Ne lui reste plus qu’à rédiger, retranché derrière son clavier et son écran d’ordinateur, les raisons pour lesquelles il s’adonne au surf. Ces mêmes internautes élisent, chaque semaine, la meilleure des justifications et le gagnant se voit gratifié d’un magnifique t-shirt à l’effigie de la marque australienne ! Lors de notre dernière consultation, en date du 26 octobre 2011, plus de trente deux mille surfeurs s’étaient fendus d’une réponse. Utilisées à des fins commerciales, les justifications apportées par les surfeurs sont ensuite reprises à bon compte dans le cadre d’une campagne d’affichage publicitaire.

Cela dit, bien au-delà du décryptage des stratégies de communication que sous-tend cette question posée par le fabricant de matériel technique et vestimentaire spécialisé dans le surf, dont le siège social se situe en Australie, force est de constater que la question nous apparaît plus que pertinente. Plus encore, les réponses des surfeurs glanées sur le site Internet ont le mérite de susciter notre curiosité, sinon notre étonnement, à tel point de vouloir poursuivre l’examen de cette pertinente question dans le cadre d’une approche scientifique.

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Photographie 1 : Campagne publicitaire « I surf because… »

Source : http://blog.isurfbecause.com/prize-winners/winner-of-the-week-jonny-nutland/attachment/jonny- nutland-2/ . [Page consulté le 26 octobre 2011].

Car, à la question formulée par Billabong , voici un panel des éléments de réponses fournis par les surfeurs connectés sur le site Internet. Ils ne peuvent laisser insensible le chercheur qui étudie le rapport spatial du surfeur au lieu-vague et les registres argumentaires qui transpirent dans ces premières réponses ouvrent des perspectives d’investigations passionnantes :

« Why do you surf ? I surf because...

- Life requires this more fun, - There’s no limit, - It’s setting my spirit free,

1 Le terme surfeur désigne l’individu qui s’adonne à la glisse sur la vague, sans distinction quant à l’engin utilisé, du degré d’expertise, de l’intensité de la pratique ou du niveau d’appartenance aux référents culturels de l’univers du surf. Le terme surfeur est donc employé dans une acception sportive et spatiale – celui qui glisse sur la vague – et non dans une acception sociologique qui mériterait que des distinctions entre les différents types sociologiques de surfeurs soient opérées. Cette étude privilégie donc la dimension géographique du surfeur, c’est-à-dire l’étude de son accomplissement sportif et ludique sur un lieu bien spécifique : la vague.

12 - It’s my powerhouse, - Cheese is milk’s leap toward immortality, - I want to live, - Inside it’s better than outside, - It’s how I meditate, - Surf is life, - It’s love for life, - It keeps my heart beating, - It makes me feel alive, - One turn can change your life, - It’s an addiction, - it’s next best thing to sex, - It sets me free, - It puts everything back in perspective, - I look for new experiences everyday, - One second in the tube is better than one hundred years anywhere else - I love being out of my life, - Nothing else make me feel this way, - I know the ocean speaks, I’ve heard call to me, - I like to be afraid; I’m crazy, - I find myself in, - Before I die I’m gonna make sure I’ve lived, - ... »

Les réponses ne manquent pas. Mais le plus surprenant c’est que les surfeurs ne mobilisent pas des arguments auxquels on pourrait légitimement s’attendre lorsqu’ils évoquent les raisons qui président à leur volonté de surfer. Jamais il n’est question de surfer pour garantir une intégrité physique ou une hygiène de vie par l’activité sportive. Jamais, il n’est question de surfer pour faire l’apprentissage du goût de l’effort, de l’abnégation, de la recherche de ses limites corporelles, pour pratiquer un sport à des fins de création de lien social, pour nourrir un sentiment d’appartenance à une équipe ou un groupe… c’est-à-dire l’ensemble des réponses naturellement admises et formulées par les sportifs lorsqu’ils doivent justifier leur passion sportive. Or ici, rien de tout cela ! Surfer est un moyen d’existence. Surfer, à en croire les réponses produites par les surfeurs eux-

13 mêmes, c’est aller à la recherche de son être en explorant des sensations, des émotions, voire des peurs… Surfer c’est se trouver soi-même, c’est avoir la garantie de sentir battre son cœur, c’est l’amour de la vie, c’est le moyen de se sentir vivant, c’est préférer vivre une seconde dans le tube plutôt qu’une centaine d’années partout ailleurs sur terre, c’est préférer être dans que dehors , c’est la chose la plus réjouissante après le sexe, c’est moyen d’envisager les choses de la vie avec recul, c’est l’essence même de la vie, c’est le moyen d’accéder à la méditation, c’est la recherche d’expériences renouvelées chaque jour, c’est être sur d’avoir été vivant avant de mourir, c’est le lieu, la maison où l’on se ressource…

Ces premières impressions à l’idée que le surf soit un mode d’exister sur terre, ici et maintenant, se renforcent à la lecture des éditoriaux de la presse spécialisée. À titre d’exemple, on peut lire dans l’éditorial du magazine Surf Session , numéro 292 de novembre 2011, que « La compréhension du monde, de notre propre comportement, le bonheur que nous procure le surf au quotidien, nous renvoient inlassablement à la question philosophique, enjeu de notre génération, de trouver la place de l’homme dans une nature de plus en plus fragile et de faire le choix sociétal qui lui correspond pour l’avenir. Et pour changer une société, on commence par aller voter… et on continue en surfant 2 ». Le phénomène semble même devoir se poursuivre en 2012 puisqu’à en croire les journalistes de ce magazine : « Quoiqu’il en arrive en 2012, croyez-nous, c’est champagne ! Car s’il y en a un, et nous avec, qui ne connaîtra pas de crise ondulatoire, c’est bel et bien notre océan, comme toujours. Et tandis qu’ils nous bassinent avec l’euro, continuons à baigner joyeusement dans nos bulles 3 ». Le surf serait donc un moyen d’exister, de répondre à la question philosophique qui consiste à se demander comment trouver la place de l’homme dans la nature et de baigner joyeusement dans une bulle. Le surf qu’on se propose de définir comme un acte de glisse, comme une pratique du lieu- vague, permettrait donc de sentir vivant. Il y a là nécessité de creuser la question de la spatialisation pour aller plus loin dans la compréhension des motivations qui poussent les surfeurs à surfer ; qui poussent les surfeurs à pratiquer le lieu-vague à travers l’usage qu’ils en font par l’intermédiaire de la glisse.

Car, au-delà des premiers éléments de réponses fournis par les surfeurs ou glanés à la lecture des éditoriaux de la presse spécialisée, la question mérite d’être approfondie.

2 Surf Session , n°292, novembre 2011, p 11. 3 Surf Session , n°294, janvier 2012, p 104.

14 Cette recherche, au-delà des problématiques universitaires développées en géographie t en aménagement, se situe à un carrefour disciplinaire. Elle embrasse les thématiques développées dans le champ des sciences et techniques des activités physiques et sportives, du tourisme, des sciences de l’aménagement, des sciences politiques, de la sociologie… Elle interroge également des secteurs de spécialisation professionnelle comme les métiers du tourisme, de l’animation des territoires, de l’encadrement de l’offre sportive… Cela dit, c’est bien l’usage spatial que font les surfeurs de la vague, souvent représentée comme l’espace de tous les dangers dans l’inconscient collectif, qui constitue le cœur de la problématique. En d’autres termes, que signifie cette fascination pour un lieu longtemps non exploité, non occupé, laissé à la marge de l’écoumène par les hommes au regard de sa dangerosité, de sa non fonctionnalité, de la non-reconnaissance de sa valeur marchande et aujourd’hui objet de convoitises pour une part de la population et pour une partie des pouvoirs publics ? Que signifie l’émergence de ces néoterritorialités sportives où l’usage du lieu-vague est au centre du processus de territorialisation ; comment se structurent-elles, s’agencent-elles et s’organisent-elles, font-elles l’objet d’une forme d’appropriation sociogéographique de la part des pouvoirs publics à des fins de développement touristique et local ? Pour tenter d’y répondre, cette recherche appréhende le surf sur le littoral aquitain, berceau européen de cette pratique sportive. Le choix de cette portion littorale n’est pas anodin dans la mesure où c’est sur la côte aquitaine que l’on recense le plus grand nombre de pratiquants, que se déroule l’une des deux étapes européennes du circuit mondial organisée par l’Association des Surfeurs Professionnels (ASP) regroupant les meilleurs surfeurs mondiaux 4, que sont implantées les principales entreprises de l’univers de la glisse, que sont organisées les plus importantes manifestations socioculturelles ayant le surf comme objet, que se situent les principales infrastructures publiques consacrées à cette discipline…

Le surf occupe donc une place prépondérante au cœur de l’espace littoral aquitain. À titre d’exemple, le maire de la ville de Biarritz inaugure au cours de l’été 2011, une Cité de l’Océan et du Surf, créée ex-nihilo à grands renforts d’acquisitions foncières par la municipalité, appelée à devenir un centre de ressources et d’échanges culturels entièrement dédié à cette pratique sportive. Biarritz revendique même le titre prestigieux de « capitale

4 Parmi les dix étapes que compte le championnat du monde de surf, seules deux épreuves se déroulent en Europe. La première est organisée dans les Landes à Hossegor, tandis que la seconde se déroule à Peniche au

15 européenne du surf 5 ». À Soustons, Henri Emmanuelli, président du Conseil général des Landes, inaugure, en 2010, l’ACAdémie du Surf et des Activités du Littoral (ACASAL). La vocation de cette infrastructure est de promouvoir la formation professionnelle dans le champ des sports de glisse et de structurer le développement de cette filière dans un cadre partenarial élargi regroupant les collectivités territoriales, les services déconcentrés de l’État et les acteurs associatifs. Ainsi, on peut lire sur le document de présentation des formations dispensées au Centre de Ressources, d’Expertise et de Performance Sportives (CREPS) d’Aquitaine que « cette structure est née de la volonté du Conseil général des Landes de développer la pratique sportive des jeunes et de doter le littoral d’un outil destiné à proposer une offre de formation et d’activité dans ces domaines et de faciliter l’interaction entre les différents acteurs : mouvement fédéral surf, sauvetage côtier, industrie du surf, universités… ». Quant au siège de la Fédération Française de Surf, il est désormais installé à Hossegor au cœur d’un nouvel édifice majestueux, réalisé sous maîtrise d’ouvrage du Conseil général des Landes, répondant aux normes de Haute Qualité Environnementale (HQE). Inauguré en 2010, l’infrastructure fait l’objet de cofinancements importants entre l’Etat et les collectivités territoriales locales qui affirment par l’intermédiaire de leur concours financiers l’intérêt qu’ils accordent au surf. Avec l’implantation du siège de la Fédération Française de Surf et dans la mesure où « un point mythique rassemble les plus grands surfeurs de la côte landaise : la vague de la plage de la Nord d’Hossegor », la cité de « l’élégance océane 6 » supplanterait Biarritz et serait alors « la capitale française du surf ». Cette revendication statutaire sur l’échiquier des villes du surf s’inscrirait alors en résonance avec le fait que « le sud des Landes constitue l’un des plus beaux spots du monde pour les surfeurs 7 ».

Mais, au-delà des édifices publics consacrés à cette discipline sportive et des investissements consentis par les collectivités territoriales 8, c’est tout un mode de vie qui s’articule autour du surf. Se réinventent alors les mœurs et les coutumes balnéaires initialement fondées sur « le désir de rivage » (Corbin, 1988) précipitant l’émergence d’une « sociabilité plagique » (Urbain, 1994). En effet, les surfeurs occupent les plages et

Portugal. 5 Biarritz magazine . Bulletin d’informations municipales. Octobre 2000. 6 Tel est le slogan qui figure en complément du logo de la ville de Soorts-Hossegor. 7 Conseil général des Landes. Le surf dans les Landes. Panorama sportif et économique, enjeux et projets. Dossier de presse, 26 juin 2006, 12 p.

16 sillonnent les vagues du littoral aquitain été comme hiver. Ils investissent les spots et les espaces balnéaires qui jouxtent leurs lieux de pratique. Il suffit pour s’en convaincre de passer une journée à contempler leurs va-et-vient là où les vagues déferlent pour s’apercevoir de la place qu’ils occupent au cœur de l’espace public. Sur les fronts de mer, ils côtoient les touristes, les résidents, les automobilistes, les baigneurs, les badauds… et suscitent sinon l’admiration des spectateurs, du moins leur curiosité.

Photographie 2 : Des surfeurs au cœur de l’espace public : Une session d’octobre 2011 sur le spot de la Grande Plage de Biarritz

Source : Auteur, Octobre 2011.

8 Le Conseil général des Landes a investi plus d’un million d’euros dans la construction du nouveau siège de la Fédération Française de Surf. Conseil général des Landes – Décision Modificative n°2-2010, délibération n°H3 – sports du 8 novembre 2012, 4 p.

17 Les spots de La gravière à Hossegor, de Parlementia à Guéthary, de Lafiténia à Saint-Jean-de-Luz, les beach-break 9 de Lacanau ou d’Anglet comptent parmi les meilleurs spots européens et jouissent d’une notoriété mondiale véhiculée à travers la presse spécialisée. Les différentes épreuves organisées sur le littoral aquitain sont, à ce titre, autant de manifestations sportives qui sont relayées par les médias sur l’ensemble de la planète. Enfin, il suffit de jeter un bref coup d’œil sur les programmations festives estivales proposées par les collectivités locales du littoral aquitain. Les manifestations sportives et culturelles consacrées au surf, parrainées par les industries de la glisse, ont la part belle et sont autant d’événements majeurs qui, au-delà de susciter l’engouement des foules, ponctuent les grands moments de la saison estivale. Pour n’en citer qu’un exemple, le Biarritz Surf Festival à Biarritz ouvre, début juillet la saison en fanfare. Fondé sur la valorisation de la culture surf, cet évènement propose des épreuves sportives et des manifestations culturelles. Il réunit à la fois les grandes figures du surf professionnel que celles de la culture surf. Didier Borotra, Maire-Sénateur de la ville de Biarritz, présentait même, à l’issue de l’édition de 2004, ce festival comme un évènement « parfaitement adapté à l’exigence de qualité que nous avons pour le site de la côte des basques, [permettant de] promouvoir l’image de la ville autour du surf et de sa culture, autour de l’écosystème de l’océan, autour des jeunes et aussi de développer une mise en réseau avec les principaux sites surfiques du monde 10 ».

Le surf introduit donc d’importantes mutations sociales, spatiales, économiques et culturelles. Cette recherche, qui entend concilier surf et géographie, envisage d’une part de mettre en lumière l’ensemble des travaux sur le surf qui permettent d’identifier, malgré la fécondité des recherches conduites sur le sujet, un segment d’étude laissé partiellement ouvert et d’autre part, de préciser quelles approches théoriques structurent notre pensée géographique. Dans ce contexte, les réflexions sur le concept de spatialisation tiennent une place prépondérante. Cette recherche qui interroge, en premier lieu, les raisons qui poussent les surfeurs à surfer, c’est-à-dire à faire usage par l’acte de glisse du lieu-vague, premier pas vers la spatialisation, apparaît comme une absolue nécessité au regard du fait que jamais cette question, pourtant centrale, n’ait été abordée dans les recherches géographiques sur le surf. Pour être plus précis, c’est même la compréhension de la manière dont les individus composent leur rapport à l’espace qui est examinée. En d’autres

9 Les termes se rapportant au surf sont définis dans un glossaire en fin de thèse. 10 Sud-Ouest . Un BSF du meilleur cru, 21 juillet 2004.

18 termes, cette recherche explore la métamorphose du lieu-vague en espace-vague formulant l’hypothèse que seule cette métamorphose, au regard de son caractère ontologique, autorise la spatialisation des surfeurs.

À l’issue d’une lecture exhaustive des travaux conduits sur le surf, on s’étonne du fait que ne soit évoqué qu’à la marge le processus de territorialisation des surfeurs, c’est-à- dire les manières dont les surfeurs habitent l’espace-vague. Car, pour saisir quels peuvent être les modes de contestations et de résistances que manifestent les surfeurs face à certaines politiques publiques en faveur du surf, second enjeu de cette recherche, encore faut-il comprendre quels rapports ceux-ci entretiennent avec la vague. Car, on conjecture que dans l’examen de ce rapport spatial du surfeur à la vague se nichent les registres argumentaires qu’ils mobilisent pour légitimer leurs résistances et contestations. Par conséquent les questions sur lesquelles cette recherche entend apporter quelques éclairages sont les suivantes :

- 1) Pourquoi les surfeurs surfent-ils ?

- 2) Pourquoi la vague, lieu de tous les dangers pour le commun des mortels, suscite-t-elle une telle fascination chez les surfeurs ?

- 3) Comment appréhender dans sa dimension géographique cette fascination pour un lieu singulier – la vague – ?

- 4) Cette fascination et cette spatialisation au cœur d’un espace géographique singulier - appelé « lieu-vague » - présentent-ils un caractère ontologique ?

- 5) L’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics dénature-t-elle le caractère ontologique que sous-tend le lieu-vague pratiqué ?

- 6) Le cas échéant, les surfeurs résistent-ils et contestent-ils face à ce qu’ils vivraient comme une réduction de la dimension ontologique induite par la pratique de l’espace-vague, c’est-à-dire la glisse ?

- 7) Quelles sont les manifestations de ces résistances et de ces contestations face à l’institutionnalisation des territoires du surf ?

C’est donc le surf, appréhendé comme une pratique sportive et comme usage spatial du lieu-vague effectif à travers l’acte de glisse, qui constitue l’objet central de cette thèse. En 1954, le sport acquiert le statut d’objet d’étude dans le cadre de recherches en sciences sociales sous l’impulsion des travaux conduits par Norbert Elias et d’Eric Duning (Elias,

19 Duning [1954], 1998). Longtemps considéré comme un thème d’étude secondaire, le sport est aujourd’hui un élément prépondérant pour la connaissance de nos sociétés puisqu’il « recouvre un ensemble diversifié de pratiques et de spectacles, d’images et de représentations qui procèdent de la culture contemporaine, qui jouent des fonctions sociales très diverses et participent à nos mythes actuels » (Pociello, 2000 :1). Le sport génère alors de nombreuses réflexions et analyses en sciences sociales puisqu’ « il marque symboliquement des lieux dans l’espace social, qu’il suscite des actions, des gestes, des manières d’être dont la signification se construit progressivement dans la vie sociale » (Defrance, 2000 :3). Le sport devient même l’un des « laboratoires privilégiés pour réfléchir sur les rapports sociaux et leurs évolutions » (Elias, Duning, [1954], 1998 :26).

Dans ce rapport qui lie le sport et la société, nombreux sont les chercheurs qui s’intéressent alors à ce qu’il révèle sur la société qui le façonne (Brohm, 1976, 1992 ; Gleyse, 1995 ; Pociello, 1995, 1996 ; Duret, 2001). Outre les liens que tissent le sport et la société, les chercheurs s’interrogent en premier lieu sur les conditions sociales qui permettent le passage à la modernité sportive. Tous s’accordent pour reconnaître que ce passage des jeux en sport se caractérise par la codification des normes et des règles, la réglementation des lieux, la mise en place d’un dispositif chronologique des rencontres qui permet une comparaison chiffrée entre les épreuves. Le sport moderne met alors en série les exploits, oriente l’attention vers l’amélioration des résultats avec cet investissement tout particulier dans une des valeurs dominante invoquée par la modernité : le progrès. Cependant, les points de vue divergent lorsqu’il s’agit d’évoquer les facteurs sociaux qui autorisent ce passage à la modernité sportive effective dès le début du XX e siècle. Ces divergences quant à la détermination de ces facteurs ne sont pas sans révéler les conflits idéologiques qui agitent les sciences sociales. Ainsi, selon l’importance que les auteurs accordent aux dimensions économiques, industrielles, scientifiques, culturelles ou politiques propres à l’Angleterre du début du XX e siècle, pays où se fondent les sports modernes, plusieurs formes d’interprétations sont proposées. Andrej Wohl s’attache à définir les contextes économiques dans lesquels se forment les sports modernes (Defrance, 2000). Il montre que l’organisation méthodologique des épreuves répond à l’instauration du principe de l’égalité des chances des concurrents dont l’objectif est de rendre possible les paris en argent effectués sur les résultats et les courses. Pour cet auteur marxiste, le sport moderne incarne une forme d’exploitation capitaliste des ressources du corps. Il

20 dénonce la compétition sportive comme une forme concrète des dimensions concurrentielles et agressives induites par les rapports sociaux capitalistes.

En revanche, pour Allen Guttman, la genèse des sports modernes traduit une forme de rationalisation de la vie sociale dans le monde industriel qui s’opère sous l’impulsion du protestantisme (Defrance, 2000 :13). Il formule cependant deux réserves quant à l’élaboration de son hypothèse sociogénétique. La première est que la genèse des sports modernes n’est pas corrélative de l’affirmation du protestantisme ascétique. En ce qui concerne la seconde, le disciple weberien constate que les catholiques rejoignent les protestants dans leur amour passionnel du sport. Quant à Norbert Elias, il invoque le processus de « civilisation des mœurs » afin de rendre compte de ce passage à la modernité sportive. Il replace donc la transformation des jeux en sport dans un processus général de « pacification de la vie politique et sociale » ainsi que dans « l’intériorisation de ces nouvelles règles et éthiques par les individus » (Elias, Duning [1954], 1998). Norbert Elias montre donc comment les conditions spécifiques que connaît l’Angleterre, pays dont la vie politique est la première à prendre la forme parlementaire et à autoriser une alternance de pouvoir entre deux partis opposés sans recours à la violence, permettent de comprendre pourquoi les sports se transforment d’abord au sein de cette nation. Ainsi, pour le sociologue allemand, le fair-pla y, qui caractérise les mutations qui s’orchestrent dans le monde des sports, est une translation sportive du modèle d’organisation sociopolitique. La théorie développée par Norbert Elias comprend donc une dimension psychologique. L’auteur montre que plus le processus de civilisation des mœurs avance, plus se développent des mécanismes complexes pour réduire la violence à l’intérieur de l’État- nation.

Malgré les divergences que révèlent ces modèles d’analyse, ces auteurs définissent unanimement le sport moderne par comparaison systématique avec les jeux de compétition de l’antiquité grecque. Tous admettent que le sport moderne se caractérise par une codification des normes et des règles, mais aussi par une réglementation des lieux, et des espaces consacrés aux pratiques sportives. Or, ce dernier aspect, c’est-à-dire la dimension spatiale du fait sportif, n’est pas sans susciter l’intérêt de certains géographes. Cet intérêt porté au sport par les géographes est d’autant plus exacerbé qu’au cours du XXe siècle, s’opère une multiplication des lieux et des équipements sportifs. Par ailleurs, durant le XX e siècle, le sport devient un enjeu de contrôle idéologique qui s’énonce aux travers des

21 compétitions sportives internationales où s’expriment les représentations symboliques de la force des nations en temps de paix. Dès lors, les états assurent leurs rôles de « guides pour l’utilisation des loisirs et pour le développement sur le plan individuel et sur le plan social, de la santé et de la culture » (Léo Lagrange, cité in Callède, 2000 :54). Ainsi, le sport s’institutionnalise et les états engagent un processus de prise en charge du niveau sportif de la nation qui se manifeste par de grands projets d’équipements, par un soutien financier aux structures qui ont en charge le développement du mouvement sportif et par la mise en œuvre en milieu scolaire de programmes d’éducation physique. Jean-Paul Callède précise que « la France a développé des politiques sportives singulières, à partir d’un modèle d’action étatique original, engagées en relation étroite avec le mouvement sportif et supposant une répartition des compétences. Ce rapport n’est pas que fonctionnel ; il opère une construction du social, dans le registre du symbolique (le prestige de la France au niveau international), du culturel (l’émancipation par l’éducation sportive), et du matériel (l’accès aux pratiques) » (Callède, 2002 :455). Par conséquent, « le sport et les activités qui lui sont liées prennent une place grandissante dans le monde occidental et deviennent une des composantes majeures de la culture contemporaine » (Augustin, 1997a :406).

- La géographie à l’heure des néoterritorialités sportives

Les tenants de la géographie sportive, dont Jean-Pierre Augustin est le fer de lance, s’interrogent alors sur « la quadruple régulation des lieux, des temps, des liens et des liants que le sport institutionnel impose » (Augustin, 1997a :407). Jean-Pierre Augustin révèle que les lieux sportifs assurent un quadrillage du territoire en réaménageant des espaces quotidiens de la ville ou de la nature dans la mesure où ils proposent des sites programmables et sans surprise. Cependant, alors que les artisans de cette géographie sportive révèlent les relations étroites du sport à l’espace, et s’emploient à définir les modalités de diffusion du sport dans le monde (Augustin, 1997b), les structures et la genèse des implantations sportives, la dynamique d’aménagement des espaces sportifs (Augustin, 1995) ou encore la diversification territoriale des activités sportives (Augustin, 2002), la structuration des « territoires de l’excellence sportive » (Honta, 2002), les rapports qui se tissent sur les territoires entre sport et pouvoirs publics (Keerle, 2002), les principales étapes géo-historiques du maillage des équipements sportifs et de la mise en équipement sportif du territoire hexagonal (Callède, 2000), les politiques publiques

22 conduites en faveur d’un développement du fait sportif par les collectivités territoriales (Bayeux, 1996, Haschar-Noé, 2006), les modalités de financements de cette action publique en faveur du sport (Charrier, 2002), les spécificités en terme de structuration et d’organisation de l’offre sportive de certains territoires (Naria, 2008), la place du sport en entreprise (Barbusse, 2002)… un nouveau modèle sportif se précise. Initié à partir des années soixante, ce nouveau modèle sportif est fondé sur des pratiques plus individuelles et aléatoires qui correspondent à une relative désinstitutionalisation des activités. Leurs adeptes élaborent des néo-territorialités sportives qui reconfigurent et réinventent les espaces du sport et des loisirs à partir de l’émergence de nouveaux référents historiques et géographiques portant sur la qualification socioculturelle des espaces de nature (Corneloup, 1993 ; Mao, 2003). Ainsi, les adeptes des sports de nature modifient et transforment les représentations à l’égard des usages des espaces de nature. Leurs pratiques sportives et de loisirs, qui sont l’expression de ces évolutions quant au potentiel récréatif et ludique de certains espaces de nature, diversifient les territorialités sportives et bouleversent les organisations spatiales des territoires du sport jusqu’ici fondées sur des aménagements fonctionnels d’espaces, (Augustin, 1986, 1993, 1997) de sites dédiés aux pratiques sportives et sur la création d’infrastructures polarisantes. Pour Jean-Pierre Augustin (2001), ces loisirs sportifs participent même de la fabrication territoriale de certaines métropoles.

Ce modèle, centré sur les sports de loisir, assure sa vitalité à l’écart des structures traditionnelles d’encadrement et appelle à de nouvelles logiques du développement touristique et des loisirs sportifs (Chazaud, 2004 ; Bessy, 2008). Alors que les institutions sportives doivent garantir les gestes à travers l’établissement de règlements sportifs, la gestion et la pérennité des lieux c’est-à-dire des équipements et des espaces sportifs, et organiser les rôles entre les missions qui incombent aux amateurs, aux champions et aux dirigeants, le modèle du loisir ludique fait souvent l’économie des lieux et des rôles. Il s’immerge dans la société toute entière et tend à se démocratiser. Plus encore, les sports loisirs créent des modèles d’appropriation sportive territoriale qui sont plus dépendants de processus sociaux que de strictes références sportives. Jean Corneloup remarque que « la référence au système culturel localisé induit l’idée d’une territorialisation culturelle des pratiques récréatives. Une dynamique locale existe au sein de laquelle des acteurs et des publics construisent une forme culturelle qui a pour fonction de renforcer l’identité territoriale » (Corneloup, 2010 :356). Parmi ces processus sociaux figure celui

23 d’individuation (Augustin, 1994). En effet, à l’heure de la postmodernité, l’individu cherche des groupes et des pratiques diverses qui traduisent une fragmentation des rôles (Lahire, 1998) pour donner un sens à son existence (Kaufmann, 2004). Le monde des sports n’échappe pas à l’émergence de ces nouvelles logiques sociales où l’individu doit s’inventer lui-même et se construire en tant qu’acteur en intégrant des horizons sociaux pluriels dont certains s’établissent sur de nouveaux modes de socialisation reposant sur le « néo-tribalisme » (Maffesoli, 1988), sur une morale hédoniste forgée sur une « d’éthique du troisième type » (Lipovestki, 1992). Au contraire, le sport constitue un formidable laboratoire pour l’expérimentation de ces nouveaux liens sociaux. De plus, à compter des années soixante, de nombreux événements surviennent dans le monde des sports. Ces événements, tels que le dopage, les pratiques mafieuses, participent d’un dérèglement des normes et des lois sportives, précipitant donc le sport dans une posture anomique. À cet égard, Robert Redeker évoque « l’emprise neghumaine » du sport moderne, c’est-à-dire que le sport « emprisonne la vie humaine dans un totalitarisme spécifique et nouveau consistant à altérer les dimensions les plus immédiates de cette vie humaine, le temps et l’espace et en même temps que leur perception » (Redeker, 2002 :38). Robert Redeker, invité à s’exprimer dans les colonnes du quotidien Sud-Ouest 11 , précise même que « s’il y a dans le sport un “effacement de l’avenir”, on rencontre également en lui, du fait de l’imposition de ce calendrier sportif tout à la fois cyclique et vide, un effacement du passé. L’effet de l’overdose de sport télévisé apparaît : ce n’est plus la religion qui impose son temps aux hommes, ni la politique, ni la culture mais, par le biais du matraquage télévisé, le sport devient du coup le nouveau maître du temps ». Ainsi, dans la mesure où l’orthodoxie sportive est à l’agonie, où le sport « emprisonne la vie humaine », de nouveaux dispositifs sportifs émergent. Il sont fondés sur la recherche d’une prise de risque (Lebreton, 1991) présentée comme l’expression d’une quête ordalique qui « prodigue à l’individu une réponse ferme à la question redoutable de la valeur de sa propre existence » (Lebreton, 2002 :82) et sur des pratiques individuelles utilisant la nature comme support. Ces nouveaux dispositifs sportifs s’affranchissent des calendriers sportifs et télévisuels. D’autre part, la multiplication d’activités sportives alimente ce besoin d’expression et de singularisation des individus. Cette dynamique s’opère via un renforcement de l’offre marchande, associative et institutionnelle qui cherche à s’adapter au renouvellement des pratiques. Cees évolutions des pratiques des loisirs sportifs sont fondées sur une logique de

11 Robert Redeker. « Omniprésent à la télévision, le sport maître du temps », Sud-Ouest , 4 janvier 2012. p 4.

24 « technologisation » des activités ainsi que sur une « écologisation » des pratiquants. Les loisirs sportifs s’articulent alors autour de trois modèles présentés comme « compétitif, aventureux et participatif » (Pociello, 1989). Ces évolutions dans le monde des sports sont alors reprises par les médias dans un discours énonciateur de nouveaux sens.

Par conséquent, au regard de ces mutations qui s’élaborent dans le monde des sports, un nouveau défi se dessine pour les artisans d’une géographie sportive. En effet, l’avènement des valeurs individualistes transforme le rapport à soi, aux autres et joue sur le rapport à l’espace en favorisant la création de nouvelles territorialités (Augustin, 1996, 1997, 2000). Jean-Pierre Augustin précise alors quelle peut être la contribution des géographes dans le cadre de la compréhension de ces nouvelles territorialités. Il précise donc que « la géographie ne doit pas se limiter à la présentation spatiale des faits sociaux mais tendre à analyser la dimension sociale des faits spatiaux » (Augustin, 1996 :9). Ce défi consiste donc à saisir les modalités de spatialisations produites par les adeptes des sports loisirs. Car, ceux-ci élaborent de nouvelles spatialités, hors des lieux normalisés, et sont donc vecteurs de délocalisation du fait sportif. La répartition géographique des pratiques récréatives de pleine nature est différenciée et marque la diversité des logiques de localisation induites par l’essor des sports de nature (Mao, Bourdeau, 2008). Ces pratiques spatiales impulsées par les amateurs des sports de nature rendent alors souvent inopérantes les approches géographiques qui privilégient l’analyse spatiale par le prisme du maillage politico-administratif. Pour appréhender ces nouvelles spatialités sportives, Philippe Bourdeau (2003) plaide en faveur d’un renouvellement de la pensée géographique pour tendre vers une géographie « des territoires du hors-quotidien » seule apte à rendre compte de ces néoterritorialités sportives. Ainsi, il évoque volontiers la nécessité de passer de « la notion de médiation socio-territoriale à la figure de l’entre-deux » pour rendre opérationnelle la compréhension de ces néoterritorialités sportives accomplies par les adeptes des sports de nature. Philippe Bourdeau envisage le fait que la médiation socio- territoriale serait assurée par « des usages ou des pratiques sociales et culturelles [… et qu’elle serait] cohérente avec une conception de la territorialité comme processus relationnel à la fois matériel, culturel, identitaire entre un individu, un groupe social et un territoire » précisant que, dans ce contexte, le loisir apparaîtrait comme « un champ d’investigation privilégié, non seulement comme facteurs de mobilité, de pratique et d’organisation spatiale, mais aussi comme vecteur de territorialisation et de territorialité » (Bourdeau, 2003 :24-29).

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Dans le sillon des réflexions conduites par Philippe Bourdeau sur l’émergence des territorialisations, de nouvelles contributions mettent en évidence les manière dont celles-ci s’orchestrent dans le cadre du processus de développement des loisirs sportifs de nature. A partir de l’étude du territoire auvergnat, les auteurs insistent sur le fait « qu’au-delà des liens de réciprocité, des externalités positives, des entraides locales et de savoirs partagés entre acteurs territoriaux, un des enjeux porte sur la production d’une intelligence collective pour permettre à chacun de participer à la constitution d’un capital cognitif localisé » (Corneloup, Perrin-Malterre, 2009). Ces processus de constructions de néoterritorialisations sportives induits par les sports de nature sont aussi présentés à travers l’étude des Gorges du Verdon (Mao, Corneloup, Bourdeau, 2003). Sont, par ailleurs, mises en évidence les modalités de recomposition des systèmes touristiques locaux induits par ces formes d’innovations spatiales que recouvrent les pratiques sportives de pleine nature et la mobilisation des acteurs territoriaux autour de ces enjeux (Bourdeau, Mao, 2004). Philippe Bourdeau souligne également que « la figure de l’entre-deux apparaît comme un opérateur particulièrement fécond pour explorer et traduire de multiples schèmes relationnels d’ordre socio-spatiaux et socio-territoriaux qui sont marqués par des dualités, des ambiguïtés ou des hybridations dans lesquelles des différences se rejouent, des frontières se brouillent ». Il propose alors de rejoindre « l’idée structuraliste d’une construction de l’approche du “réel” observable à partir des relations plutôt qu’à partir des substances ». On ne peut que souscrire à l’idée d’explorer les processus de spatialisation des individus à l’aune de nouveaux positionnements théoriques qui renouvellent la discipline géographique. C’est précisément l’ambition que sous-tend cette recherche en démontrant la nécessité de s’en remettre à une géographie de l’intime, dont il s’agira de préciser ce qu’elle recouvre, pour comprendre les spatialisations des surfeurs comme mode d’existence et comme clef de lecture des résistances et contestations qu’ils mobilisent lorsqu’ils estiment que l’instrumentalisation des conditions sociales, culturelles, territoriales propres au surf par les pouvoirs publics empiètent sur leurs capacités de spatialisation sur la vague et donc de territorialisations. Par conséquent, ce sont bien les interactions entre cultures sportives et les espaces géographiques qu’examine cette recherche. Philippe Bourdeau décline comment s’orchestrent ces interactions et précise combien l’étude de la spatialité revêt une importance capitale pour comprendre les dynamiques sous-jacentes aux néoterritorialisations des loisirs sportifs de nature. « L’approche par la spatialité… constitue une entrée possible pour appréhender

26 l’interaction entre cultures sportives et espaces de pratiques. Elle consiste à se demander comment se construisent les relations des pratiquants avec les sites naturels comme espace d’action fonctionnels, aussi bien en terme d’investissement géo-sportif, de déplacement, de représentations et de développement de motricité et d’esthésie spécifique » (Bourdeau, 2003 :50).

Dans ce contexte, plusieurs entrées peuvent être privilégiées pour rendre compte de l’émergence des spatialités sportives en milieu naturel. L’entrée structurelle met en évidence le rôle des facteurs exogènes que sont l’allongement des temps de loisirs, la proximité des grands centres urbains présentée comme foyers émetteurs de pratiquants, la structuration des moyens de transports, l’offre d’hébergement, l’accessibilité des espaces, sites et itinéraires, dans la mutation des spatialités des pratiquants. Cependant, Philippe Bourdeau rappelle que « la prise en compte des contextes socio-géographiques s’impose pour comprendre la manière dont se vivent et se forment ces territoires dans la mesure où les pratiquants ne consomment pas seulement l’espace, mais le marquent aussi par une projection d’appropriation et de sens » ( Ibid :51). Or, c’est précisément l’ambition de cette recherche, c’est-à-dire qu’elle entend mettre en évidence quelles sont les projections d’appropriations et de sens que réalisent les surfeurs sur la vague. Elle explore le caractère ontologique qui transpire dans le rapport du surfeur à la vague et démontre que ce qui peut être perçu par certains surfeurs comme un amenuisement de ce caractère ontologique, induit par l’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics, précipite chez eux des résistances et des contestations qui ne sont rien d’autre que la préservation de ce caractère ontologique. Cette recherche appréhende donc la construction des territoires du surf dans une interaction d’ordre existentiel car « l’étude des territorialités permet de comprendre comment les individus vivent un rapport d’appropriation et d’identification à un territoire » (Bourdeau, 2003 :54).

Or, l’étude de la dimension géo-existentialiste des individus ne nécessite-t-elle pas aussi que soit examiné le rapport des hommes aux lieux, pensé comme le premier par vers la spatialisation ? En d’autres termes, cette recherche entend discuter les notions de spatialisation et de spatialité. On formule l’hypothèse qu’en étudiant le rapport du surfeur à la vague, cette recherche permet de saisir le fait que le rapport des hommes aux lieux est le premier pas vers la spatialisation c’est-à-dire vers l’acquisition d’un forme de conscience des individus à l’idée de se penser comme vivant, sur terre, ici et maintenant. Fort de cette

27 l’hypothèse qui consiste à penser que ce n’est que spatialisé que l’homme est au monde, autrement dit que lorsque l’individu a transformé le lieu en espace de son existence, cette recherche entend mettre en lumière le fait que le caractère ontologique du rapport de l’homme au lieu est le fondement de toute forme de spatialisation. La territorialisation est alors appréhendée comme les modes d’habitabilité qu’explorent les hommes, non plus dans leur rapport au lieu, mais dans leur rapport à l’espace entendu comme lieu cosmogonisé. Pour être le plus explicite possible, cette recherche entend démontrer que le lieu-vague n’acquiert son caractère ontologique qu’à travers l’accomplissement de l’acte de glisse que réalisent les surfeurs. La glisse confère au du lieu-vague son caractère ontologique. Elle est alors un moyen d’existence, un processus de sacralisation et de cosmogonisation du lieu- vague. « La glisse, c’est cela, ce jeu sacré entre l’homme et les éléments. À la pointe du triangle d’or : le corps humain. À la base : l’eau et l’air se mêlent. Le vaisseau premier du glisseur, c’est son corps. Son impulsion le dirige. Jeu renouvelé entre le corps et l’eau, telle est la glisse, qui échappe aux définitions trop précises. Et cela lui va bien. Ceux qui ont regardé la mer dans les yeux savent combien cette divinité-là est réelle. L’océan est un être supérieur, qui rêve et respire, la matrice où sont inscrits les secrets de nos origines » (Verlomme, Hurel, 1990 :16). Mais si tel est le cas, comment ne pas revenir, dès l’introduction, sur ce qui fonde le rapport des hommes aux lieux ?

- Le rapport de l’homme au lieu

Philippe Bourdeau appréhende la réalité des néoterritorialisations produites par les adeptes des sports de nature qu’il qualifie de territoires de « l’hors-quotidien » en les opposant précisément aux modes de spatialisations que produisent les individus au quotidien. Ainsi, l’examen de ces néoterritorialisations induites par les pratiquants des sports de nature, auxquels appartiennent les surfeurs, seraient les fruits d’insatisfactions quotidiennes qu’elles soient vécues en fonction de « référents spatiaux, sociaux et temporels ». En effet, Philippe Bourdeau oppose la crise urbaine aux paysages naturels des espaces ruraux, le temps contraint, compressé, fragmenté du quotidien à l’usage du temps libre que suppose la pratique sportive, l’anonymat, l’agressivité du tissu urbain à la convivialité des espaces de nature, le corps entendu comme outil de travail au corps libéré par la pratique sportive… Philippe Bourdeau appréhende donc le réel du rapport de l’homme à l’espace géographique dont les modalités d’usage déterminent le processus de

28 territorialisation à travers le prisme de ses insatisfactions quotidiennes. Il s’inscrit dans une appréhension des néoterritorialités produites par les adeptes des sports de nature à partir de l’examen d’une dialectique quotidien/ailleurs.

S’il ne fait aucun doute que l’étude de cette dialectique rend opératoire la compréhension de certains choix de territorialisations des pratiquants des sports de nature, elle ne saurait pour autant être exclusive ou systématiquement employée dans la mesure où celle-ci semble faire l’impasse sur la manière dont les individus se confrontent à la réalité des lieux. En effet, au-delà du fait que ces néoterritorialités soient le fruit d’insatisfactions issues de l’univers sociospatial propres aux territoires de l’urbain, l’examen de l’existentialisme que sous-tendent les spatialisations mérite d’être entrepris. Pour être plus exact, cette recherche pose l’hypothèse que le choix des surfeurs de se spatialiser sur la vague ne relève pas exclusivement d’une forme de fuite de l’univers territorial urbain mais qu’il traduit une manifestation d’un existentialisme. Les surfeurs surferaient alors pour se sentir être au monde, ici et maintenant en faisant usage, par l’acte de glisse, d’un lieu singulier qu’est la vague. Leurs motivations à l’idée de se spatialiser sur la vague dépasseraient donc la simple fuite d’un environnement sociospatial urbain particulièrement insatisfaisant. N’est-ce pas précisément ce que laissent présager les réponses formulées par les surfeurs à la question « Why do you surf ? ».

La lecture de Xavier Zubiri ([1962], 2010), dont les travaux portent sur l’interrogation du concept de réalité, soulignent que la réalité se dévoile à l’individu à partir de ses propres schèmes émotionnels et intellectuels. Ces apports conceptuels sont d’un grand secours dans le cadre de cette recherche. La vague (pré-)existe ; elle est réelle ; elle va « de-soi » (« de suyo » – terme emprunté par le philosophe dans sa langue maternelle). Elle est composée de particules d’eau en mouvement et présente des caractéristiques physiques modélisées et modélisables par les scientifiques. Néanmoins, cette réalité n’est pas appréhendée de la même manière selon l’histoire émotionnelle et sociale, le vécu, « l’intelligence sentante » des individus. Par conséquent, une même vague, présentant pourtant les mêmes caractéristiques physiques en toutes circonstances à un instant t de son déferlement, peut être, dès lors que le caractère réel, allant « de-soi » de la vague est révélé par l’homme, l’espace de tous les dangers pour l’un et l’espoir de toutes les espérances de glisse pour un autre. Tout dépend de la manière dont l’individu en prenant conscience des caractéristiques intrinsèques de cette portion d’espace

29 géographique, ou plus exactement du lieu, réactivant donc son caractère (pré-)existant, est simultanément affecté par cette opération de prise de conscience du caractère (pré-)existant du lieu-vague. C’est précisément les modalités de cette affection induite par la prise de conscience du caractère réel du lieu que cette recherche se propose d’appréhender. Cette recherche explore donc, à travers l’examen du rapport du surfeur à la vague, la dimension affective, intuitive, subjective, la dimension ontologique qui transpire dans les rapports de l’homme au lieu. Cette recherche poursuit l’analyse de ce que Xavier Zubiri appelle « l’intelligence sentante », seul mode de prise de conscience de la réalité de l’existence intrinsèque des lieux.

- Le lieu-vague, « l’intelligence sentante » et premiers jalons de la recherche

En se demandant comment l’homme accède à l’objet - le lieu dans le cadre de cette recherche -, Xavier Zubiri parle « d’un mode d’intellection » c’est-à-dire « le mode humain sur lequel nous sommes confronté à la réalité, au sujet de laquelle nous nous demandons ce qu’elle est en tant que telle » (Zubiri, [1962], 2010 :17 12 ). Xavier Zubiri poursuit sa démonstration en convoquant « l’intuition » comme « caractère des données sensibles [et évoque le fait que cette intuition] a sa place dans l’intellection humaine ». Cela dit Zubiri dénonce le fait de s’en remettre à l’intuition comme une super-puissance intellective ou de lui attribuer une valeur pré-cognitive de la sensibilité. En effet, selon le philosophe espagnol, réhabilité depuis peu à l’initiative de Philibert Secretan qui dirige actuellement la traduction de l’œuvre de Zubiri pour la maison d’édition L’Harmattan, « on ne s’attarde que sur l’intuition oubliant en quoi consiste le côté sensible de cette intuition, oubli fâcheux et décisif, car le sensible l’est par impression ». Puis d’ajouter : « comment peut- on nier que les objets de la sensibilité, quelque soit leur caractère de données de réalité, quelque soit la façon intuitive qu’ils peuvent avoir dans un acte de connaissance, sont présents à l’homme par impression ». Xavier Zubiri s’emploie alors à qualifier ce qu’il appelle l’impression. « Une impression est d’abord une affection dans laquelle l’objet affecte l’homme sous une certaine forme et même si nous n’en parlons pas expressément, celle de son corps… L’affection ne concerne que moi, qui suis affecté. Mais, cette affection est caractérisée par un autre moment, à savoir qu’en elle nous est présent ce qui nous

12 Les autres citations sont extraites des pages numérotées de 17 à 44 de l’édition française.

30 affecte, qu’en elle l’altérité nous est présente. C’est cela qui constitue l’impression. L’impression n’est pas seulement une affection par la réalité psychosomatique de l’homme ; c’est une affection dans laquelle nous est présente l’altérité, quelque chose d’autre, ou le soi-même en tant qu’autre, et en vertu de quoi cette impression est justement une intuition, une donnée ; une donnée qui nous est présente en affection et en impression ».

C’est précisément la manière dont la vague acquiert le statut d’un espace géographique, dont la réalité réelle, allant « de-soi », se dévoile à l’aune de l’impression humaine issue d’un « processus d’intellection » qui convoque la manière dont les individus sont affectés dans leur intégrité physique et psychologique par les donnés physiques du lieu, par la « donnée présente en affection et en impression », que l’on se propose d’examiner dans le cadre de cette recherche. Mais quelle est la nature de cette impression ? « L’homme sent impressivement, par voie d’impression la réalité du réel » nous dit Xavier Zubiri. C’est pourquoi, le philosophe espagnol préfère employer le terme « d’impression de réalité ». Chez l’homme, « l’impression ne s’épuise pas dans l’affection. Il y a un résidu : la réalité en impression ». Zubiri va plus loin et nous informe du fait que ce résidu « a le caractère formel et précis d’être quelque chose de-soi (de suyo)… Or, c’est précisément cela que nous appelons la réalité… Ce de-soi ne signifie pas d’abord quelque chose qui serait caché derrière les impressions sensibles, mais la manière même dont les impressions sensibles des choses sont présentes à l’homme… Et c’est justement dans cette impression en tant qu’impression que consiste ce moment du déjà, que j’ai appelé le prius, dans lequel l’impression elle-même renvoie à ce qui en elle impressionne du fait que la chose est de-soi… Le concept de de-soi ne s’applique pas qu’à l’existence, mais s’applique également à ce que traditionnellement, par opposition à l’existence, on appelle l’essence. Nul doute ! Pour qu’il y ait des choses, au sens de réalités, il ne suffit pas qu’il y ait certaines qualités qui soient indépendantes du sujet humain. Il faut qu’au moins ces qualités constituent quelque chose que la réalité possède au titre de sa nature, parce qu’elle est de-soi et non simplement un moment de mon affection… [Et que] de-soi ne s’épuise pas simplement dans le moment affectant de l’impression ». Ainsi, les choses, les lieux existent de-soi, avant même que l’homme ne soit affecté par impression, par le caractère originel, concret, matériel, physique, préexistant des choses ou des lieux. Néanmoins, comment l’homme s’empare-t-il et fait-il usage des choses et des lieux existants « de-soi », c’est-à-dire avant même que l’homme n’en soit affecté par

31 impression ? Zubiri nous propose une réponse à cette question fondamentale : « l’appréhension de la réalité est un acte élémentaire de l’intelligence ». Autrement dit, la prise de conscience par l’homme de la réalité, de l’existence des choses, donc des lieux, est possible par une action de l’intelligence qui prend en charge la réalité des choses, des lieux. Zubiri précise que cette action de prise en charge par l’intelligence de la réalité des choses, donc des lieux, s’opère « dans une unité formellement subjective, à savoir : que l’intelligence en tant qu’intelligence humaine, et la sensibilité en tant que sensibilité humaine, forment une structure unitaire et unique, qui est ce que nous appelons l’intelligence sentante. L’intelligence sentante n’est pas le constat objectif qu’il y a un seul ordre, un seul monde d’objet ; c’est une unité structurelle qui est une unité subjective ». Pour Zubiri, « l’intelligence sentante » est donc une « opération d’actualisation » de la réalité qui existe « de-soi », qui s’effectue avec la prise en charge par l’homme des formes d’affections dont il est sujet en même temps qu’il prend en charge cette réalité des choses, des lieux. Par conséquent, Zubiri conclue sa démonstration en affirmant que « la fonction de l’intelligence n’est pas un simple se-tenir-dans. La réalité se donne à nous impressivement dans un vers (hacia). Dès sa première impression de réalité, l’homme est tourné non seulement vers les choses pour ce qu’elles ont de contenu spécifique, mais il est installé dans la réalité quelle qu’elle soit. De par son impression de réalité, l’homme se trouve transcendentalement installé dans la réalité en tant que telle ». Autrement dit, cette recherche s’efforce de saisir les modalités d’installation de l’homme dans les lieux qui seules autorisent alors l’examen des spatialisations. En explorant le rapport du surfeur à la vague, on interroge les raisons que mobilisent les surfeurs lorsqu’ils évoquent leur installation dans la réalité. On conjecture que cette installation dans la réalité est un moyen pour l’homme d’éprouver le sens de son existence. On conjecture que le rapport intime aux lieux est le fondement de cette installation de l’homme dans la réalité terrestre, dans l’écoumène.

En résumé et appliqué au concept d’espace géographique, on peut affirmer que le lieu existe de-soi au regard de ses caractéristiques physiques, paysagères, topographiques… Le lieu est réel avant même que l’homme n’en dévoile la réalité. Néanmoins, cette réalité réelle, intrinsèque, originelle, initiale, préexistante, ne se dévoile à l’homme qu’à travers la mobilisation d’une « intelligence sentante ». L’individu prend conscience de la réalité du lieu à travers le dévoilement du caractère de-soi de cette portion d’espace géographique existant. Il mobilise alors son « intelligence sentante », processus

32 unitaire et subjectif, qui est à la fois une forme de prise en charge des affections que suscite ce caractère allant de-soi du lieu existant ainsi qu’une forme de réactualisation de cette réalité réelle du caractère de-soi du lieu devenu réel pour l’homme ayant accompli cette opération. C’est la raison pour laquelle Xavier Zubiri évoque ce processus de prise de conscience de la réalité intrinsèque ( de suyo ; de-soi ) des choses, objets, lieux comme une unité subjective. Dans le cadre de cette recherche, on affirme que la vague existe de-soi . Mais, on affirme également que seul l’homme réactualise sa réalité originelle par le prisme de son « intelligence sentante », opération durant laquelle il prend d’une part conscience des caractéristiques physiques (taille, mouvement, structure, vitesse, couleur, luminosité, aspect, intégration paysagère…) de la vague en associant cette prise en charge du de-so i avec l’ensemble des affections que suscitent chez lui ces caractéristiques physiques préexistantes, réelles. Car, comme le précise Gaston Bachelard, « il ne suffit pas de se référer à des impressions pour les expliquer. Il faut les vivre dans leur immensité poétique » (Bachelard, [1957], 2001 :190). Or, comment les surfeurs qualifient et plus encore vivent dans leur immensité les impressions que leur confère le rapport à la vague ? En adoptant une telle posture, comment ne pas interroger l’intime des individus où se nichent l’expression de leurs affections qu’élabore leur « intelligence sentante » dans le cadre de la prise en charge ou de la réactualisation du caractère préexistant du lieu ?

- Hypothèses et structuration de la recherche : la vague, l’espace habité des surfeurs ?

Pour les géographes, penser l’espace comme préexistant permet d’étudier les territorialisations, c’est-à-dire les pratiques spatiales des individus, sans avoir à s’interroger sur la question de la construction de l’espace généralement abandonnée aux philosophes. Pourtant qu’est-ce qui fonde l’espace ? Est-ce la mutation d’un lieu ? L’habitabilité des lieux autorise-t-elle cette métamorphose et l’avènement de l’espace géographique ? Cette habitabilité des lieux permet-elle à l’homme de se spatialiser et ainsi d’exister, sur terre, ici et maintenant ? Existent-ils « des aspects ontologiques dans la description et l’explication du monde terrestre » (Retaillé, 2000 :273) ? Voilà sans doute quelques questions fondamentales qui pourraient traverser les réflexions menées en géographie et pallier le fait qu’« il manque à l’ontologie une géographie, et à la géographie une ontologie » (Berque, 2000 :9). Cette recherche entend dépasser une lecture de l’espace comme espace déjà acquis par l’homme dont il ferait usage à des fins existentielles. Elle formule l’hypothèse

33 que la spatialisation se caractérise d’abord par l’habitabilité des lieux et que celle-ci s’accomplit à travers l’action d’un individu restitué dans sa profondeur, son intimité, sa sensibilité, son historicité, ses émotions, sa poïèsis, sa dimension ontologique. Elle renforce cette idée que « la géographie est cette discipline de pensée qui lie la subjectivité de l’intérieur et l’objectivité » (Retaillé, 2000 :284). Mais alors, quid du caractère poïétique de l’espace habité, entendu comme processus fondateur de la spatialisation ?

En explorant la relation du surfeur à la vague, ce travail entend répondre à ces questionnements et valider/invalider cette hypothèse à partir de l’analyse des discours produits par les surfeurs eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle on en appelle à une géographie de l’intime définie comme l’étude de « l’espace habité » dont on conjecture qu’il concrétise l’appropriation subjective du lieu par l’homme. L’espace habité explore le rapport de l’homme au lieu et dans quelles mesures ce rapport autorise l’émergence de l’espace rendant ainsi possible l’être de l’humain. L’enjeu consiste donc à clarifier quelles sont les approches conceptuelles qui examinent cette mutation du lieu en espace. Dans ce contexte, l’individu est appréhendé dans sa complexité. Le surfeur est pensé comme apte à investir et se sentir investi par le « génie des lieux » (Pitte, 2010). Cela dit, cette posture n’appelle-t-elle pas à une refonte de la théorie de l’habiter (Stock, 2004, 2005, 2006) au bénéfice d’une étude de la dimension ontologique du rapport de l’homme au lieu afin qu’elle ne soit pas seulement une construction de l’esprit mais bien un outil opérationnel dans les choix d’aménagement de l’espace ? La compréhension du processus de spatialisation dessinerait une nouvelle approche géographique. Cette approche sacrifierait l’étude des usages de l’espace au bénéfice de l’étude de la prise en charge des lieux entendue comme acte ontologique. La spatialisation serait alors, ni plus ni moins, que le fruit d’une prise en charge des lieux qui, une fois appropriés, acquerraient le statut d’espace afin que l’homme y déploie ces modes d’existence terrestre. Le cas échéant resterait à déterminer les arguments que mobilisent les individus dans le cadre de la manière dont ils se sentent affectés par les lieux et dont ils investissent ces lieux. Paul Claval qualifie cette nécessité de renouveler le champ épistémologique en géographie. Il évoque le besoin d’une « géographie des rêves qui place nos rapports au monde comme le fruit d’investissements affectifs » (Claval, 1997 :12). Dévoiler la dimension poïétique de l’expérience spatiale renvoie à placer l’homme au centre des rapports qu’il entretient aux lieux. Introduire les rapports hommes/lieux, surfeur/vague, suppose de saisir comment les normes sociales sont intériorisées par les individus et réinvesties dans l’acte de

34 spatialisation. Ces deux processus (intériorisation des normes sociales/réinvestissement de l’intériorisation des normes sociales dans l’acte de spatialisation) interrogent la construction identitaire des individus et appellent à s’immiscer au plus profond de leur intimité car en leurs seins s’orchestrent et s’arbitrent les qualifications/disqualifications des lieux ; premier pas vers la spatialisation. Réintroduire le caractère ontologique de l’expérience spatiale accomplie par les individus, interroge les processus de spatialisation comme une clef de lecture de leur rapport à l’univers social qui transpire dans leurs spatialisations. Car, même si « à l’entrée de nos sociétés dans un monde que la vocation prophétique de l’occident semble vouloir vouer à l’unidimensionnelle, l’utopie demeure… [et nous renvoie] à la condition antinomique des humains, en nous contraignant d’en explorer plus avant l’inéluctable profondeur » (Choay, 2006 :373).

Cette recherche postule qu’en habitant l’espace, c’est-à-dire en investissant et en se sentant investi ou affecté par les lieux, chacun y insère un peu de son histoire, de son vécu, de sa perception de l’environnement social, de ses rêves, de ses envies, de sa soif de vivre… En effet, l’individu, en prise avec son environnement social, construit ses représentations à l’aune des interprétations qu’il fait des informations issues de cet environnement social. Aussi, saisir le caractère individuel de l’acte de spatialisation n’appelle-t-il pas à entendre le sujet sur les interprétations qu’il a de son environnement social à l’aune de la manière dont il envisage son existence ? Le caractère symbolique de l’acte de spatialisation qui suppose, au préalable, l’acte de cosmogonisation, n’est-il pas éminemment subjectif et emprunt des représentations mentales ? Ne s’agit-il pas alors de décrypter comment s’orchestrent les productions de ces espaces poïétiques ? L’intérêt d’une telle posture intellectuelle réside donc dans l’exploration de la manière dont l’homme est « affecté en affection » par le lieu et comment son environnement social influe sur le fait qu’il soit « affecté en affection ». C’est pourquoi s’impose l’exploration des images poïétiques, des imaginaires, des symboles, des mythes que mobilisent les individus afin de les transférer pour construire leur langage spatial, leur existentialisme géographique et leur géographie existentielle. Or, seule la proximité avec les habitants, et seuls le dialogue, l’échange, la concertation, l’écoute autorisent la lecture des registres symboliques, affectifs, culturels… que convoquent les acteurs pour habiter l’espace et ainsi se spatialiser.

35 Car, affirmer le rôle prépondérant des structures sociales sur les actions individuelles n’informe pas plus sur le projet téléologique des habitants que sous-tend leurs spatialisations définies, non pas par l’usage des espaces, mais par l’habitabilité des lieux. Comment réintroduire le caractère ontologique induit par l’habitabilité des lieux qu’élaborent les habitants d’un espace ? Ne convient-il pas d’interroger l’individu dans son épaisseur psychologique, c’est-à-dire appréhendé à la lumière de son histoire personnelle et sociale, pour comprendre quels sont les repères affectifs qu’il mobilise à l’heure de construire ses spatialisations ? Ces considérations préfigurent à une géographie de l’intime encline à révéler « le génie des lieux » et à dépasser la notion « d’espaces vécus » au bénéfice de l’étude de la sacralisation des lieux d’abord appropriés à des fins ontologiques, pour, ensuite, acquérir un caractère vécu. Par conséquent, la géographie de l’intime entend privilégier l’étude de la spatialisation (usage existentialiste des lieux) à l’étude de la spatialité (usages des espaces à des fins existentielles). Elle s’inscrit en résonance avec la volonté d’Oliver Lazzarroti de démontrer ce que pourrait être « les traits, les problématiques et les perspectives d’une science géographique fondée sur le concept d’habiter » (Lazzarroti, 2006).

L’un des enjeux de cette recherche consiste donc à mettre en lumière la manière dont le monde social influe sur les affects des surfeurs et sur leurs manières d’habiter la vague c’est-à-dire d’investir ces lieux en étant « affectés en affection » par leurs réalités. Cette recherche pose l’hypothèse que la glisse est le moyen mobilisé par le surfeur pour réaliser la métamorphose du lieu-vague en espace-vague, c’est-à-dire pour accomplir le processus de cosmogonisation des lieux, pour transformer le chaos en cosmos. Autrement dit, il convient d’interpréter la géographie comme l’étude de la « relation concrète (qui) se noue entre l’homme et la terre, une géographicité de l’homme comme mode de son existence et de son destin » (Dardel, [1952], 1990 :2). C’est donc bien les transferts affectifs que les hommes effectuent et subissent sur les lieux pour se garantir d’exister qu’il convient de mettre en lumière. N’est-ce pas « toucher du doigt l’épaisseur de ce qui dépasse l’Homme et [la possibilité] d’entrer en géographie par la grande porte : celle des sens, de l’esprit et du cœur mêlés, de la bête et de l’ange réconciliés » (Pitte, 2010 :15- 19) ? Pour révéler ce « génie des lieux », faire œuvre de « géographicité », on doit alors appréhender quels sont les types de lieux avec lesquels l’homme formalise ses relations, c’est-à-dire « habite l’espace » (Heidegger, 1954). Ensuite, il s’agit de savoir quels sont les

36 arguments mobilisés dans le cadre du processus de qualification des lieux entendu comme l’acte fondateur de la spatialisation des individus.

C’est la raison pour laquelle, on s’oppose au fait de « dépouiller [l’habiter] de sa connotation écologique et cosmologique pour ne retenir que la dimension “topique” et symbolique » (Stock, 2006). Car, on pense que l’habiter est un mode de comogonisation du lieu exprimé par les pratiques des individus. On pense que l’habiter est l’acte premier de spatialisation qui consiste chez l’homme à être affecté, à sacraliser le lieu et à choisir un lieu pour y expérimenter son existence en accomplissant la mesure de ce lieu par la poésie, en y établissant « ses sphères » (Sloterdijk, 1998). On prétend au contraire que le processus de cosmogonisation des lieux (Eliade, 1957) tient une place prépondérante dans le processus de spatialisation, sans pour autant exclure le fait que ce processus s’inscrive en résonance avec l’intériorisation des normes sociales par les individus. C’est pourquoi, on propose une refonte d’une théorie de l’habiter pour rechercher « le lien qui, depuis des temps obscurs, conjoint les deux lignées sémantiques de “l’oikos” (qui renvoie au corps médial) et de “l’habere” (qui renvoie au corps animal). Habiter, au fond, c’est – comme la médiance – le moment structurel de l’existence humaine ; et l’espace de l’habiter, c’est le déploiement de cette structure existentielle, dans et par l’écoumène » (Berque, 2007 :67). On formule donc l’idée que la mobilisation du concept d’habiter garantit la lecture du rapport intime, fruit d’une stratification des modes d’intériorisation des normes sociales, affublé d’une quête existentialiste, qui lie l’homme au lieu. On avance l’idée qu’habiter pose d’abord un problème de lieu qui, éclairé et résolu, invite à interroger l’espace. La nuance est fondamentale. Habiter est un processus qui mobilise « le règne de l’imagination absolue… La poésie nous offre des images… [qui] nous rendent des séjours d’être, des maisons de l’être, où se concentre une certitude d’être. Il semble qu’en habitant de telles images, des images aussi stabilisantes, on recommencerait une autre vie, une vie qui serait notre, à nous dans les profondeurs de l’être » (Bachelard, [1954], 2001 :47). Habiter est l’expression des manières dont l’homme mobilise ses images, ses affects, ses émotions, ses rêves mais aussi contient ses angoisses, se prémunit de ses doutes, annihile ses peurs en recherchant dans son rapport au lieu l’émergence d’un espace sécurisant où il éprouve son caractère existentiel. Habiter préside à toute spatialisation humaine. Il est un processus qui rend effective l’existence humaine sur terre ici et maintenant.

37 A-spatial, l’homme n’existe pas. Augustin Berque prophétise même qu’il « est clair que l’être humain doit, sous peine de mort, se recosmiser : retrouver sa juste place dans le cosmos » (Berque, 2008). C’est pourquoi on défend l’idée que la connaissance du rapport de l’homme au lieu, du surfeur à la vague, mérite un renouvellement épistémologique. On préconise donc une refonte de la théorie de l’habiter proposée par Mathis Stock au bénéfice de l’étude de la spatialisation. L’enjeu de l’examen du passage du lieu à l’espace, entendu comme acte fondateur de la spatialisation, permet d’appréhender « l’habiter [qui] comporte une fonction essentielle à ce qui tisse le monde. Cette fonction antérieure et sous-jacente aux formes que prend l’habitat humain dans l’expression historique et géographique de l’habiter. Elle est inhérente à l’existence humaine sur la Terre ; et c’est à ce sens profond et antérieur qu’il faut remonter pour comprendre l’écoumène, comme “demeure de l’être” » (Berque, 2007 :53).

Par conséquent, si, dans le cadre de cette recherche qui entend explorer le rapport du surfeur à la vague, on devait arrêter un positionnement méthodologique et théorique à partir du modèle produit par Philippe Bourdeau, Jean Corneloup, Pascal Mao et Eric Boutroy dans leur analyse des interactions entre cultures sportives et territoires fondée à partir d’un état des lieux de la recherche française depuis 1990, on proposerait d’analyser l’échelle micro (la vague), d’examiner le référent socio-spatial relevant de la territorialité et de l’espace vécu (l’intime des surfeurs), de privilégier le spot, le site comme objet géographique, d’étudier le vécu, l’expérience, la proxémie, la culture, l’identité, d’avoir une approche à dominante interactionnelle, qualitative et phénoménologique et d’explorer le registre existentiel induit par l’interaction culture-espace (Bourdeau, Corneloup, Mao, Boutroy, 2004 :35). Car, l’analyse des ouvrages consacrés à l’étude du surf, dont on décline les principales conclusions, permet de mettre en lumière le fait que le processus de territorialisation, fruit des modalités de la prise en charge par « l’intelligence sentante » des surfeurs du lieu-vague 13 , est trop rarement analysé. Jusqu’ici, seul l’examen des pratiques

13 On évoque, par souci de lecture, le terme de lieu-vague pour caractériser la réalité géographique des particules d’eau en mouvement. Ces caractéristiques physiques de la vague concourent à la réalité intrinsèque, (pré-)existante, allant de-soi , de cette portion d’espace. Néanmoins, le caractère réel du lieu- vague acquiert une réalité différenciée dans la réalité humaine. Il est tantôt espace de peurs et d’angoisses pour les uns et support potentiel de glisse pour les autres en fonction de la manière dont la donnée (les caractéristiques physiques et hydrologiques de la vague – le caractère préexistant ; de-soi , du lieu) est réactivé par l’intelligence sentante entendue comme processus unitaire et subjectif durant lequel s’opère la révélation du caractère (pré-)existant, de-soi , bouleversant simultanément, en intuition et en affection, les individus. Ce processus accompli par l’acte de glisse autorise le passage du lieu-vague à l’espace-vague et à la spatialisation des surfeurs. Cette spatialisation a un caractère ontologique.

38 spatiales des surfeurs est réalisé. D’autre part, à l’heure où se multiplient les recherches sur le surf, on ne souhaitait pas s’inscrire dans une forme de redondance des études réalisées jusqu’ici. Or, l’analyse du processus d’appropriation du lieu-vague par les communautés de surfeurs est vacante. Analyser les registres d’appropriation du lieu-vague par les communautés de surfeurs permet donc de désigner notre objet d’étude puisque l’on se propose de couvrir, modestement, ce champ d’étude et de développer les apports théoriques sur lesquels on prend appui pour examiner l’existentialisme que sous-tend la pratique du lieu-vague. Or qu’est-ce que surfer sinon glisser sur la vague ? Aussi cette recherche pose la question suivante :

La glisse, mode d’appropriation du lieu-vague par les surfeurs, relève-t-elle d’une ontologie ?

Par ailleurs, cette recherche analyse également les mutations sociospatiales qu’introduit la démocratisation du surf sur les territoires touristiques du littoral aquitain. Elle entend mettre en lumière le fait que les pratiques sociospatiales imposées par les surfeurs ainsi que le développement économique qu’engendre l’essor d’une filière glisse et la mobilisation des pouvoirs publics autour des enjeux liés au surf requalifient les espaces urbains et balnéaires des stations touristiques dont la structuration repose sur plus de deux siècles d’histoire sociale et culturelle du tourisme. Face à ces mutations d’ordre social, spatial et économique, cette recherche entend réaffirmer que les pouvoirs publics s’emparent du surf entendu comme fait sociogéographique pour élaborer de nouvelles stratégies d’actions locales. Sans prétendre à une analyse exhaustive des politiques publiques territorialisées ayant le surf comme objet, cette recherche explore néanmoins la mise en scène « (géo-)graphique » du surf au service de la prospective territoriale (Debarbieux, 2002) sur le littoral aquitain. Mais plus encore, c’est la manière dont est perçue par les populations glisse cette forme d’institutionnalisation des territoires du surf qui est interrogée.

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En conjecturant que cette valorisation, sinon cette instrumentalisation, sociogéographique et culturelle du surf par les pouvoirs publics amenuise le caractère ontologique du lieu-vague , c’est-à-dire l’exploration « du sentir vivant » des surfeurs, ceux-ci ne tendent-ils pas, en retour, à mettre en place des formes de contestations et de résistances face à ce qu’il pourraient percevoir comme une atteinte à leur existentialisme dont l’acte de glisse sur la vague, entendu comme mode de spatialisation, est l’une des manifestations ? Le cas échéant, quelles sont les formes territorialisées de ces résistances et contestations ?

Pour tenter de répondre à ces interrogations, cette recherche se structure en deux parties. La première met en lumière le fait que l’appropriation de la vague dépasse la seule dimension ludique au bénéfice d’une soif de vivre et de se sentir vivant des surfeurs. En termes de choix méthodologiques, cette recherche s’appuie sur des entretiens de proximité et sur l’observation participative. Dans la mesure où cette recherche explore l’intime des individus qui transpire dans leurs choix de spatialisations, on a pris le pari de resserrer nos entretiens sur un panel qualitatif d’individus enclins à s’investir émotionnellement et sur le long terme dans cette recherche. Trois chapitres composent cette première partie. Le premier revient sur les travaux de recherche ayant le surf comme objet afin de mettre en lumière le fait que, malgré la fécondité des thématiques abordées, jamais le rapport de l’individu surfeur à la vague n’ait été étudié. Le second chapitre évoque les concepts qui permettent d’étudier le rapport de l’homme au lieu et souligne que ce rapport suppose une exploration de l’intime. Le troisième chapitre évoque le fait que la transformation du lieu en espace, du lieu-vague en espace-vague, relève d’une ontique spatialisation. Dans ce chapitre, une large place est concédée à l’examen du discours des surfeurs lorsqu’il évoque leur rapport à la vague.

La seconde partie explore la mise en scène « (géo-)graphique » à des fins de prospective territoriale du surf par les pouvoirs publics et la manière dont cette mobilisation du surf est ressentie par les surfeurs. Par conséquent, un quatrième chapitre est consacré à l’étude de l’émergence et de la démocratisation du surf sur le littoral aquitain. Un cinquième chapitre examine si cette démocratisation du surf sur le littoral aquitain reconfigure la structuration des espaces urbains et balnéaires des stations

40 touristiques. Plus encore, ce chapitre examine si le surf contribue au renouvellement touristique de ces stations océanes. Il s’appuie une étude de cas ; celle de la politique publique en faveur des sports de nature et plus particulièrement du surf portée par le Conseil général des Landes. Ce chapitre décrypte la manière dont certaines collectivités territoriales s’emparent du surf à des fins de construction territoriale. Quant au dernier chapitre, il met en lumière la manière dont les surfeurs perçoivent ces politiques publiques qui mobilisent le surf et répertorie les différents types de résistances et de contestations territorialisées que certains surfeurs élaborent face à ce qu’ils ressentent comme un amenuisement du potentiel ontologique de leur espace-vague. La structuration de cette recherche est reprise de façon schématique dans la figure ci-dessous pour mieux guider le lecteur.

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Figure 1 : Hypothèses et structuration de la recherche

Hypothèse 1 Hypothèse 2 Les surfeurs nourrissent un Les pouvoirs publics rapport affectif et symbolique au mobilisent le surf dans le lieu-vague qui témoigne d’une cadre des constructions mobilisation « des rêveries territoriales à des fins de

d’habiter » développement local

Axe 1 : Analyse de l’habiter des Axe 2 : le surf moteur d’une surfeurs requalification des territoires touristiques aquitains ?

- Une géographie de l’intime : apport des concepts forgés en philosophie - Structuration de l’espace touristique

pour la géographie aquitain à l’aune de l’histoire du - L’arkhé-pensée et l’analyse développement touristique et des outils de

systémique planification - L’observation participative - Analyse des mutations sociales et spatiales - Analyses des pratiques discursives induites par le surf sur la structuration des - Echantillon qualitatif territoires touristiques aquitains - Refonte d’une théorie de l’habiter - Analyse de l’institutionnalisation des territoires du surf par les pouvoirs publics - Une étude de cas – le Conseil général des Landes

Zone de tensions : Le surf support de L’acte de glisse permet la construction territoriale sur la métamorphose du lieu-vague en Le caractère ontologique de côte aquitaine espace-vague support d’une spatialisation rendant effectif l’êt re l’espace-vague est-il disqualifié ? Le littoral aquitain : au monde des surfeurs Une terre de surf

Première Partie Deuxième Partie

Objectifs de la recherche : Essai de classification des modalités de résistances et de contestations des surfeurs face aux politiques publiques territorialisées aya nt le surf comme support

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PREMIÈRE PARTIE

GÉOGRAPHIE DE L’INTIME ET SPATIALISATION :

COMMENT LES SURFEURS HABITENT-ILS LA VAGUE ?

43 INTRODUCTION À LA PREMIÈRE PARTIE

LA QUESTION DE LA SPATIALISATION

« Une pensée géographique plus consciente, plus auto-analytique et spatiocentrée est attendue, afin, ontologiquement, comme enjeu très conscient de l’activité humaine et de l’engagement de la personne et de son être-au-monde, de mieux comprendre et continuer de fonder notre rapport au monde, lui donner un contenu à la hauteur des enjeux de la civilisation contemporaine, permettre une digne habitation de la Terre : afin de comprendre territorialement le monde, pour mieux l’habiter, le maintenir habitable, le rendre plus habitable »

Jean-Paul Ferrier. Antée 2 , 1998.

La construction de l’espace n’est-elle pas une question trop régulièrement abandonnée aux philosophes ? Le cas échéant, ne convient-il pas alors de réinvestir leurs concepts pour enrichir le débat épistémologique en géographie et dépasser l’examen du comment les hommes se spatialisent-ils au bénéfice du pourquoi ? Autrement dit, quelle est l’intentionnalité des hommes lorsqu’ils fondent l’espace c’est-à-dire lorsqu’ils transforment les lieux en assurant la métamorphose du chaos en cosmos (Eliade, 1957) afin d’élaborer leurs spatialités ? Ce processus, entendu comme l’habitabilité des lieux, comme mode de « production de l’espace » (Lefevbre, 2000), comme une cosmogonisation, une sacralisation des lieux, sanctionne-t-il l’avènement d’une spatialisation, premier pas vers la territorialisation ? Cette habitabilité des lieux permet-elle à l’homme d’expérimenter sa « géographicité » (Dardel, 1952) et de circonscrire son espace écouménique entendu comme sa « demeure de l’être » (Berque, 2007) ? Le cas échéant, ce processus souligne-t- il des enjeux qui relèveraient d’un moyen pour les hommes d’être au monde ? Dans ce contexte, n’appartient-il pas alors aux géographes de mettre en exergue les « aspects ontologiques dans la description et l’explication du monde terrestre » (Retaillé, 2000 :273), de pallier le fait qu’« il manque à l’ontologie une géographie, et à la géographie une ontologie » (Berque, 2000 :9), d’assurer la distinction entre « l’espace spatialisé » et « l’espace spatialisant » (Merleau-Ponty, 1945) ? Cette première partie entend donc discuter cette lecture de l’espace géographique pensé comme préexistant, « sociétal de part en part » (Lévy, Lussault, 2003), dont l’homme ferait usage dans une

44 dynamique « polytopique » (Stock, 2006). Ce travail formule l’hypothèse que la spatialisation se caractérise d’abord par l’habitabilité des lieux et que celle-ci s’accomplit à travers l’action d’un individu restitué dans sa poïèsis et ses intentions existentialistes. Il renforce cette idée qu’il « n’y a de lieu… que par la vie qui s’y imprime » (Retaillé, 1987 :97). Il souscrit à l’idée que « le contrat géographique “recadre”, autour de l’habitant, les éléments de l’interface nature-culture inscrits dans les lieux du territoire, dans l’environnement territorial. L’aménité des lieux est en effet inséparable de la réussite de la vie de chaque habitant, de la qualité des rapports de l’homme avec le monde. La personne humaine – l’habitant des géographes – “référentiel” de toute géographie suffisamment anthropologique, est donc le “lieu” – méta-niveau – où doivent s’arbitrer et se résoudre les contradictions du monde » (Ferrier, 1999 :83).

Par conséquent, cette recherche réinvestit la question formulée par Angélo Turco : « que se passe-t-il s’il n’y a rien à préserver, si l’on habite pas un lieu, mais si, tout simplement l’on est quelque part ? » (Turco, 2000 :290). Car, Angélo Turco parle de « l’expérience du lieu » comme une transition conceptuelle qui se traduit par le passage d’un « espace paratactique à un espace liminal ». L’espace paratactique, correspond à l’explication d’un monde où toutes les choses sont à leur place. Il consiste à raconter la Terre de façon ordonnée en mobilisant deux instruments majeurs que sont la situation et la répartition. Mais, Angélo Turco constate que l’étude de l’espace paratactique délimite l’étude de la « géographicité » dans un récit géographique dont l’objet de la narration est positionné « sur la superficie terrestre et doué de dimension spatiale, c’est-à-dire identifié dans son extension, circonscrit et, si possible, mesuré ». Dans ce contexte, Angélo Turco remarque que « ce modèle descriptif fonctionne au prix d’une extraordinaire réification de la superficie terrestre, d’où les aspects symboliques, ainsi que les comportements territoriaux qui y sont liés, sont progressivement évincés… [Dès lors] , la superficie terrestre s’avère donc réaménagée en cet espace parataxique où la complexité territoriale est réduite à son expression componentielle et configurée à partir d’une prédiction d’éléments juxtaposables. Les causes, les relations, les mécanismes d’action : tout cela vient après. Non pas que l’on dédaigne l’expliquer, bien entendu, et de s’interroger sur la genèse des phénoménologies réifiées, sur leur statut de processus en interaction avec d’autres processus, qu’ils soient spatiaux ou sociaux. Seulement voilà, l’explication est normalement tenue pour évidente. Il suffit de joindre à l’observation une petite dose de bon sens pour rendre compte de telle “position” et de telle “répartition”. Car finalement,

45 face à cette immense tâche première qu’est la production de la donnée de base - la place des choses justement -, les problèmes explicatifs, les hypothèses, les théories sont tout à la fois secondaires et volontiers laissées à d’autres disciplines censées être “plus spécialistes”» (Ibid :288).

L’étude de l’espace paratactique ne permet pas d’explorer la relation et l’interaction des individus aux lieux. Cette recherche entend réinvestir ces questions à travers l’exploration du rapport spatial du surfeur à la vague. Ces travaux rejoignent l’idée avancée par Angélo Turco qui pense que « la territorialité est une nécessité ontologique, car elle fixe les conditions de possibilité de l’existence : ex-sistere, c’est sortir d’un état pré- humain et s’accomplir grâce à la construction sociale de son propre espace » ( Ibid :290). Le géographe précise que « c’est dans ce sillon problématique que s’opère cette révolution silencieuse qu’est le passage du paradigme de l’espace parataxique à celui de l’espace liminal… Or, l’espace liminal est avant tout le propre d’un monde où les choses s’identifient de moins en moins par leur matérialité ». Cette recherche entend explorer l’espace liminal des surfeurs entendu comme espace « de la fragmentation et de la recomposition, qui se déploient aussi bien dans “les faits” que dans les “discours” », comme « mode d’expérience du lieu » ( Ibid :292) . Mais alors, quid du caractère poïétique du lieu habité, entendu comme processus fondateur de la spatialisation ? Est-ce « l’intelligence sentante » (Zubiri, [1962], 2010) qui permet, simultanément, à l’homme d’investir les lieux et de sentir affecté en affection par le caractère préexistant des lieux ? Le cas échant, cela mérite-t-il que l’on en appelle à un renouvellement disciplinaire en géographie, défini comme l’exploration de « l’habiter » (Heidegger, 1954), et du processus de cosmogonisation des lieux, dont on conjecture qu’ils concrétisent l’appropriation subjective du lieu par l’homme. Par conséquent, ne peut-on pas alors interroger « le “où l’on est“ [qui] met en cause le “comment on y est“, [dans le but de] s’entendre sur le fait qu’à l’intersection de l’un et de l’autre, se trouve un des lieux du “qui l’on est“ » (Lazzarroti, 2006 :88). Car, Olivier Lazzarroti pense que l’histoire de la géographie « est celle des lieux, des territoires et du monde. Sans eux, les hommes ne seraient certainement pas ce qu’ils sont. Autant dire que cette histoire est pleinement celle des hommes parce qu’il sont les seuls et uniques faiseurs de monde, de ses territoires et de ses lieux » (Lazzarroti, 2006 :7). À tel point que pour ce géographe, il ne lui est possible « d’envisager la science géographique autrement qu’à travers le double de sa pleine dimension : existentielle, comme construction singulière de chaque homme, et politique, comme celle

46 de tous, collectivement » ( Ibid:7). Au contraire, il martèle l’idée que « la géographie de chacun n’est alors rien d’autre que l’une des formulations qui s’offre à tous pour dire les grands traits, réussites et échecs, de ses engagements existentiels » ( Ibid :21).

Pour tenter de répondre à l’ensemble de ces questionnements, cette recherche explore les arguments que mobilisent les surfeurs pour justifier leur passion pour le surf. Car, jusqu’ici et malgré la fécondité des recherches ayant le surf comme objet, force est de constater que l’ensemble des chercheurs qui se sont consacrés à ces terrains d’investigations ont davantage cherché à expliciter la structuration « des territoires de l’éphémère » (Augustin, 1994). Autrement dit, ils se sont attachés à expliquer les phénomènes sans considérer ce qui fondent ces phénomènes. Ils ont exploré les territoires produits pas les surfeurs sans les interroger sur les raisons qui les poussent à se spatialiser sur cette portion d’espace maritime. Ils ont privilégié l’étude des espaces paratactiques au détriment de l’étude des espaces liminaux au sein desquels se déploie « l’agir territorial, [c’est-à-dire] les types de comportement social qui ne saurait se réduire à sa configuration instrumentale car d’autres “raisons” entrent puissamment en jeu » (Turco, 2000 :296). Précisément, qu’est-ce qui entre puissamment en jeu dans le cadre de l’agir territorial des surfeurs ? Se limiter à l’examen des « territoires de l’éphémère » comme espaces paratactiques amène Augustin Berque à penser que les géographes s’emploient trop souvent à « s’occuper de l’il y a des choses ou des êtres sans en considérer l’être » (Berque, 2000). Or, cette recherche entend explorer l’être des choses et examiner ces autres raisons qui entrent puissamment en jeu dans les processus de territorialisation. Cette recherche poursuit donc l’ambition de démontrer que « la dimension géographique de l’humanité est ainsi désignée comme l’une des conditions existentielles fondamentales » (Lazzarroti, 2006 :21). Cela dit, explorer la dimension géographique des surfeurs comme l’une des conditions de leur existence suppose de définir ce que recouvrent la condition existentielle. La condition « signifie, d’une part ce qui s’impose à ce qui est, ce sans quoi ce qui est ne pourrait être et ainsi ce qui ne peut être autrement, la condition sine qua non d’une humanité, mise dans l’impératif géographique qui veut être, c’est nécessairement être dans le monde. Mais, de l’autre et en même temps, le mot implique les immenses modalités de cet être. Cette condition géographique est donc autant détermination que choix, autant nécessité que liberté. Quant au terme existentiel, le mot « renvoie à tout ce qui est appris, construit – ou déconstruit – par les hommes dans ce monde, y compris le

47 monde lui même. Et cela même participe, alors, à faire ce qu’ils sont donc, pour partie, qui ils sont » ( Ibid :22).

Néanmoins, considérer l’être des choses, c’est-à-dire explorer les raisons que les surfeurs avancent pour justifier leurs spatialisations sur la vague, n’est pas sans risques. André-Frédéric Hoyaux pointe cette dérive potentielle des géographes qui se caractériserait par l’introduction de notre propre système de valeurs, fruit de notre histoire personnelle, dans le cadre de l’interprétation des phénomènes spatiaux produits par les individus. Il souligne « que l’argumentation des géographes travaillant sur l’aménagement du territoire… ne peut se départir de leur propre système de valeurs, de leur propre idéologie, qu’ils transmettent à l’ensemble de la communauté humaine dont il font partie dans une sorte de légitimité scientifique qui semble pourtant poser un problème éthique en rapport avec la réalité des choses telles que les vivent les habitants qui font ce/ces territoires ? » (Hoyaux, 2002a :380). Explorer la condition existentielle qui transpire dans la dimension géographique est donc une entreprise périlleuse et risquée dans la mesure où cette exploration passe invariablement par le prisme des représentations géographiques du chercheur. Mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle dans la mesure ou la mobilisation du concept d’habiter, réinvesti en géographie pour alimenter le débat épistémologique, permettrait « d’ouvrir la science géographique pour la révéler comme mode d’exploration de l’homme » (Lazzarroti, 2006 :24) ?

Deux objectifs sont poursuivis dans cette première partie. Le premier consiste d’une part à clarifier quelles sont les approches conceptuelles qui examinent cette mutation du lieu en espace et d’autre part à révéler comment l’homme investit ou se sent investi par le « génie des lieux » (Pitte, 2010). Le second étudie les spatialisations extraterrestres des surfeurs sur les vagues afin d’éprouver ces hypothèses à l’aune de l’analyse discursive et des arguments qu’ils convoquent pour justifier leur passion pour le surf. En d’autres termes, dans ce rapport aux lieux extra-terrestres, dans cette habitabilité de la vague, c’est- à-dire lorsque les surfeurs glissent sur la vague, recherchent-ils, au-delà d’une pratique sportive, à expérimenter le fait d’être au monde, ici et maintenant ? La glisse est-elle l’expression géographique d’un désir existentiel ? Ainsi, ce n’est pas tant la structuration, l’aménagement, la configuration des « territoires de l’éphémère » qu’explore cette recherche mais bel et bien ce qui fonde ces territorialités extra-terrestres sur la vague afin

48 de renforcer les premières pistes de réflexion conduites sur le sujet (Falaix, 2009). Cette recherche envisage donc l’habiter des surfeurs.

Cette première partie s’articule autour de trois chapitres. Le premier revient sur les travaux de recherches accomplis sur le surf afin de mettre en lumière les perspectives d’investigations laissées vacantes ou pas suffisamment approfondies. À partir d’un examen critique des principaux corpus documentaires ayant le surf comme objet de recherches, ce premier chapitre pose les jalons des pistes de réflexions qu’il reste à arpenter. Il permet de mettre en évidence le fait que le rapport du surfeur à la vague est peu étudié dans ses dimensions géographiques. Le second chapitre examine, dans une perspective épistémologique, la manière dont les géographes peuvent s’emparer du traitement de la question du rapport de l’individu au lieu entendu comme l’acte initial de la spatialisation. Ce chapitre envisage la nécessité de ne pas penser l’espace comme exclusivement « sociétal de part en part » (Lévy, Lussault, 2003) dans la mesure où est mis en exergue le fait que le rapport des hommes aux lieux relève également un dessein existentialisme et comporte une fonction ontologique. Ce chapitre présente donc le processus de cosmogonisation comme l’acte fondateur de la métamorphose du lieu en espace, du chaos en cosmos. Forts de cet apport théorique, ce chapitre décline comment l’homme habite l’espace. Il met en lumière le fait que l’homme « habite l’espace en poète » (Heidegger, 1954) et cherche à établir des « sphères » autrement dit des espaces dans lesquels il « peut être contenus » (Sloterdijk, [1998], 2002). Ce chapitre démontre dans quelles mesures seules l’approche systémique et l’exploration de « l’Arkhé-pensée » (Morin, 1986) permettent d’appréhender la manière dont les individus socialisés interprètent leurs environnements géographiques pour établir « leurs espaces louangés » (Bachelard, 1957). Le troisième et dernier chapitre de cette partie éprouve les hypothèses à l’aune de l’analyse discursive des arguments mobilisés par les surfeurs lorsqu’ils développent leur rapport à la vague. Ce chapitre convoque de nombreux travaux et réaffirme la nécessité d’une approche psychosociologique pour appréhender la construction de l’espace. Il présente en quoi une géographie de l’intime s’impose pour appréhender le rapport du surfeur à la vague. Il met en lumière le fait que cette géographie de l’intime suppose une relecture de la théorie de l’habiter (Stock, 2004, 2005, 2007) au bénéfice d’une réhabilitation de la « médiance » (Berque, 1990) entendue comme mode de production de l’espace habité. Par ailleurs, ce chapitre interroge également la place de cette recherche au sein de la géographie culturelle forgée par Paul Claval. Ce chapitre explore, en dernier ressort, si le surf est une modalité

49 d’habiter l’espace en poète. Les surfeurs sont entendus et écoutés (Mondada, 2000) afin de percer comment ils construisent leur rapport à la vague et le projet sous-jacent à l’expérimentation de ce rapport induit par l’acte de glisse. Il met en évidence l’attachement viscéral des surfeurs et quels sont les registres d’habitabilité du lieu-vague que les surfeurs explorent et expérimentent à travers l’acte de glisse. Ce chapitre démontre que la vague est bien un lieu pratiqué à dans une perspective existentialiste et combien cette passion pour le surf suppose des sacrifices et des choix existentiels parfois difficiles à arbitrer.

La figure ci-dessous présente les principaux concepts qui seront convoqués dans cette première partie pour penser la mutation du lieu-vague en espace-vague et justifier le recours à l’exploration de l’intime pour comprendre la dimension ontologique de ce processus.

50 Figure 2: Approches théoriques pour une distinction des termes de lieu et d’espace

La spatialisation - Lieu Processus de Espace transformation du lieu en espace

Préexistant, de-soi Intelligence sentante Impression de réalité (Zub iri) (Zubiri) (Zubiri)

Sacralisation du Chaos (Eliade) monde (Eliade) Cosmos (Eliade)

Espace spatialisé Phénoménologie de la Espace spatilisant (Merleau -Ponty) perception (Merleau - (Merleau -Ponty) Ponty Sphères (Sloterdijk) Bauen /Ménagement du Absence d’enveloppe Quadriparti Habiter en poète (Sloterdijk) (Heidegger) (Heidegger)

Poétique de l’espace Espace louangé Lieux amorphes (Bachelard) (Bachelard)

A-cosmie (Berque) Médiance (Berque) Ecoumène (Berque)

Espace liminal (Turco) -Pratique des lieux (De Certeau) Espace vécu (Frémont) Espace paratactique -Arkhé-Pensée Condition géographique (Turco) (Morin) (Lazzarroti) -Production de Espaces de la nostalgie l’espace (Lefebvre) (Roux) Espace pharmakon Espace technique -Référentiel habitant (Choay) (Choay) (Ferrier) Génie des lieux révélé -Géographicité (Pitte) Non -lieu (Augé) (Dardel) -Psychologie de Lieu sur lequel l’espace (Moles, s’orchestre une Rohmer) gratification (Laborit)

Le lieu-vague La glisse L’espace-vague Le surfeur n’est Le surfeur se Le surfeur est au pas au monde spatialise monde

Géographie Géographie sociale et physique culturelle Analyse spatiale Géographie de l’intime

© Ludovic Falaix, 2012

51 CHAPITRE 1

LE SURFEUR ET LA VAGUE

« La mer nous lave et nous rassasie dans ses sillons stériles, elle nous libère et nous tient debout. À chaque vague, une promesse, toujours le même. Que dit la vague ? Si je devais mourir, entouré de montagnes froides, ignoré du monde, renié par les miens, à bout de forces enfin, la mer, au dernier moment, emplirait ma cellule, viendrait me soutenir au-dessus de moi-même et m’aider à mourir sans haine »

Albert Camus. L’été , 1954.

Les nombreuses recherches scientifiques accomplies sur le surf n’abordent pas cette question fondamentale évoquée par Albert Camus. En effet, inexistantes sont les recherches qui posent la question suivante : « Que dit la vague ? ». Plus exactement, inexistantes sont les recherches sur le surf qui s’attèlent à savoir si la vague, ou plutôt l’usage spatial du lieu-vague induit par l’acte de glisse, procure chez l’homme ce sentiment qui lui permettrait « d’emplir sa cellule et viendrait le soutenir au-dessus de lui-même et l’aider à mourir sans haine ». Aucune recherche ne s’est attelée à expliquer pourquoi « durant des siècles nous n’avons vu dans les vagues que de grandes gueules blanches mangeuses d’hommes [et pourquoi désormais] aux yeux de certains, ces gueules sont devenues des bouches merveilleuses, des lèvres translucides, des palais turquoises [ni pourquoi] ils n’ont plus qu’une idée en tête : les embrasser » (Verlomme, Hurel, 1990 :15).

Le surf s’impose à partir des années quatre-vingt dix comme un objet de recherche digne d’intérêts. Dans le sillon creusé par des enseignants-chercheurs précurseurs réunis sous la houlette de Jean-Pierre Augustin, on réalise en 2001, sous la direction de Sylvie Clarimont, un Travail d’Étude et de Recherche (TER) en géographie 14 . Cette recherche analyse le rôle de l’association Europe dans le débat public portant

52 sur la gestion environnementale des espaces côtiers du littoral basque. Elle interroge l’émergence des « stations surf » sur le littoral aquitain et précise que ces nouveaux espaces de pratique sportive sont également vecteurs de nouveaux enjeux, notamment ceux liés à la gestion environnementale de la frange côtière. Même si certains élus politiques locaux comprennent la nécessité de garantir un cadre de pratique répondant aux exigences des surfeurs et aux normes sanitaires requises par les autorités publiques, d’autres tardent à insuffler une telle dynamique en matière gestion environnementale des espaces littoraux. Face à certaines insuffisances, examinées à partir de l’exemple de la ville de Bidart, certaines associations de défense de l’environnement voient le jour dans le but d’agir en parallèle des circuits classiques de prises de décisions et cherchent à occuper les espaces de gouvernance territoriale. Parmi ces associations figure Surfrider Foundation Europe . Fondée en 1990 et regroupant des adhérents surfeurs répartis sur l’ensemble du territoire national, cette association joue un rôle prépondérant en interpellant les pouvoirs publics. En analysant les modes de fonctionnement de cette structure associative, les opérations médiatiques qu’elles promeut, son insertion au sein des instances de démocratie participative, on met alors en lumière le fait que l’association se substitue parfois aux pouvoirs publics dans la mise en œuvre d’actions emblématiques visant à préserver les ressources naturelles de l’estran. Plus encore, notre recherche met en lumière la manière dont les élus locaux reçoivent la stigmatisation de ce que l’association présente comme une mauvaise gestion environnementale de l’espace côtier. À partir de l’analyse du champ d’action et d’intervention de l’association, ce travail démontre dans quelles mesures le contre-pouvoir associatif influence les politiques publiques sectorielles de la gestion environnementale des espaces côtiers.

Après l’obtention d’un Diplôme d’Études Supérieures et Spécialisées (DESS) en aménagement et développement local évalué à l’aune d’un stage de six mois au sein d’une

14 Ludovic Falaix. Surf et environnement. L’association Surfrider Foundation sur le littoral basque . TER de Géographie, sous la dir. de Sylvie Clarimont, Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), 2001, 202 p.

53 collectivité locale 15 , on reprend nos investigations dans le cadre d’un Diplôme d’Études Approfondies (DEA 16 ). Cette fois, les recherches focalisent sur la restructuration et la requalification des espaces touristiques induites par la démocratisation du surf sur le littoral aquitain 17 . En effet, l’avènement des valeurs individualistes transforme le rapport à soi, aux autres et joue sur le rapport à l’espace en favorisant la création de nouvelles territorialités 18 . L’objet de la recherche consiste donc à saisir les territorialisations périphériques engendrées par les sports loisirs. Leurs adeptes élaborent de nouvelles spatialités hors des lieux normalisés que peuvent être les stades ou les piscines et sont donc vecteurs de délocalisation du fait sportif. Notre recherche met alors en lumière le fait que l’émergence de ce modèle sportif extra-institutionnel participe à une recomposition territoriale. Plus précisément, l’essor des pratiques ludo-sportives contribue à une re- définition des espaces et des produits touristiques dans la mesure où les loisirs tiennent une place primordiale, sinon centrale, dans l’élaboration des structures territoriales à caractère touristique. Ainsi, ces travaux interrogent l’engouement à l’égard de ces loisirs sportifs afin de savoir s’ils concourent à la recomposition territoriale de ces espaces touristiques. Le cas échéant, quelles sont les dynamiques socio-spatiales et les stratégies de développement touristique qui autorisent ce renouvellement ?

Afin de répondre à ces questions qu’appelle l’émergence des activités ludo- sportives, le surf, appréhendé sur le littoral basque, constitue un objet d’étude particulièrement riche. En effet, importé des Etats-Unis, le surf précipitent de nouvelles pratiques spatiales et modifie plus profondément les représentations sociales des stations balnéaires basques. La côte basque est, sous la plume de prétendus spécialistes de la

15 Intégré au sein de la Direction de l’Environnement et de l’Écologie Urbaine de la ville de Bayonne, la mission consistait à élaborer un schéma de développement et de mise en valeur d’un espace naturel, situé en périphérie immédiate de l’agglomération bayonnaise et possédant des ressources environnementales, socioculturelles et patrimoniales remarquables. Elaboré en 2002, le projet n’a pas fait l’objet d’une mise en œuvre opérationnelle immédiate pour des raisons d’ordre budgétaire. Le schéma d’aménagement et de valorisation a depuis été adopté en retenant les propositions et préconisations formulées à l’issue du stage. Malgré la non-reconnaissance de la propriété intellectuelle, les propositions formulées ont été retenues, en l’état, dans la mesure où elles participent de l’amélioration du cadre de vie des habitants qui peuvent à présent jouir d’un espace récréatif, ludique et pédagogique. Voir : Ludovic Falaix. « Conceptualisation des politiques de développement territorial dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet environnemental : La plaine d’Ansot », DESS, UPPA, 2002, 120 p. 16 Avant la réforme LMD, il était particulièrement difficile pour les étudiants titulaires d’un DESS d’accéder, par dérogation, à des études doctorales. 17 Ludovic Falaix. Territoires du surf et complexité. L’exemple de côte basque . DEA de Géographie sous la dir. d’André Etchélécou et de Sylvie Clarimont, UPPA, 2003, 157 p. 18 Jean-Pierre Augustin souligne que « la géographie ne doit pas se limiter à la présentation spatiale des faits sociaux mais tendre à analyser la dimension sociale des faits spatiaux » (Augustin, 1996 :9).

54 question, identifiée à « une petite Californie du surf 19 ». Ce rapprochement imaginaire avec l’archétype de « la glisse » n’est vraisemblablement pas sans attester de la dynamique des mutations dans les usages spatiaux et les représentations qui se sont opérées sur cette frange littorale. Cependant, afin de comprendre l’incidence de ces mutations encore fallait- il être en mesure de cerner la structuration du système spatial à caractère touristique sur lequel se sont constituées ces mutations. C’est pourquoi, on a analysé le rôle des activités de loisirs et sportives dans le processus de mise en tourisme de la côte basque. On a également développé la manière dont s’est forgée la contre-culture sportive véhiculée par le surf afin de comprendre dans quelles mesures ce nouveau modèle sportif, qu’Alain Loret qualifie de « sport analogique » (Loret, 1995), inaugure de profondes mutations socio- spatiales en matière de développement touristique. Avec l’essor du surf, apparaissent de nouveaux espaces de loisirs sportifs. On a alors voulu rendre compte des nouveaux processus d’organisation socio-spatiale produits par le surf. En modifiant les composantes culturelles, économiques de la côte basque et la gestion institutionnelle tant spatiale qu’environnementale de l’espace côtier, ils prennent une place majeure dans la vie locale basque. De plus, forts de la solidité de l’inscription spatiale du surf, les acteurs locaux présentent aujourd’hui le surf comme l’un des jeux locaux, étroitement associé aux représentations du paysage de rivage, mais aussi comme enjeu de développement. Par conséquent on a analysé la place du surf dans le cadre des stratégies de communication touristique. En abordant les mythes véhiculés par cette stratégie touristique et les rapports qu’ils entretiennent avec le produit et l’espace touristique, l’objectif était d’appréhender leurs impacts sur le produit et sur la structuration et la qualification de l’espace touristique de la côte basque. Quant au processus d’institutionnalisation du surf, on a constaté qu’il appelle à l’émergence de nouveaux comportements déviants au sein de la communauté glisse. À l’issue de cette recherche une question restait malgré tout en suspend : pourquoi les individus qui composent ces communautés glisse adoptent-ils des comportements déviants ? Ces déviances sont-elles mobilisées afin de sauvegarder leurs territoires éphémères ? Ces néoterritorialités sportives sont-elles des espaces ontologiques au sein desquels les surfeurs projettent leur soif existentielle ? Ces néoterritorialités sportives sont- elles les derniers espaces initiatiques où ils construiraient leurs intimités et où ils pourraient agir « pour se gratifier » (Laborit, [1974], 2000 :80) ?

19 Gibus de Soultrait. « Côte basque : la petite Californie du surf ». Géo-magazine , n° 221, juillet 1997, p 109.

55 Face à ces questionnements laissés sans réponses, on poursuit naturellement ces investigations l’année suivante en procédant à une première inscription en doctorat. Néanmoins, faute de financement, on abandonne provisoirement cette entreprise au bénéfice d’une entrée dans la vie active sanctionnée par l’obtention d’un concours de cadre de la fonction publique d’État. Intégré à la Direction Régionale de la Jeunesse et des Sports de Haute-Normandie en qualité de conseiller d’éducation populaire et de jeunesse, on se refuse malgré tout à abandonner notre sujet de recherche. Par ailleurs, la mise en œuvre opérationnelle de politiques publiques dans le champ de la jeunesse et des sports renforce notre expertise technique. Aujourd’hui détaché en qualité de chargé de mission sports de nature au Conseil général des Landes, la recherche alimente notre efficience professionnelle tout comme la connaissance fine des actions publiques territorialisées nourrit notre conception de la recherche théorique et scientifique. C’est donc en interrogeant réciproquement notre pratique professionnelle et nos terrains de recherches scientifiques que s’est construit cette thèse. Cette recherche est aussi l’expression d’un non renoncement à notre attachement pour la discipline géographique et aux questionnements épistémologiques induits par cette recherche au bénéfice d’un confort professionnel acquis par le statut de cadre de la fonction publique.

Ce premier chapitre présente en premier lieu l’ensemble des conclusions établies par les chercheurs ayant utilisé le surf comme objet. Puis, il permet de préciser que le rapport de l’individu surfeur au lieu-vague est rarement examiné. Il met en exergue le fait que le rapport du surfeur à la vague n’est pas véritablement couvert et qu’il nécessite un examen plus exhaustif. À l’aune des principales conclusions établies par nos prédécesseurs, ce champ de la recherche apparaît alors comme étant encore ouvert. Néanmoins, ce chapitre ambitionne également de circonscrire ce que l’on entend par rapport spatial du surfeur à la vague. C’est la raison pour laquelle, la question de l’habiter émerge. En d’autres termes, ce premier chapitre pose les jalons de cette recherche dans la mesure où il évoque le fait que rien n’est dit sur les manières dont les surfeurs habitent la vague.

56 1.1 La construction du surf et des surfeurs comme objets d’études et de recherches en sciences sociales

1.1.1 Des territoires de l’éphémère à la station surf : La survalorisation du surf dans l’attractivité touristique des stations balnéaires en Aquitaine ?

En 1994 Jean-Pierre Augustin 20 inaugure un nouveau champ d’investigations universitaires en dirigeant la rédaction d’un ouvrage collectif consacré au surf et aux incidences spatiales induites par les adeptes de cette pratique sportive (Augustin, 1994). L’approche est envisagée dans une logique pluridisciplinaire et appréhende le surf comme :

- Une métaphore du processus d’individuation puisque Jean-Pierre Augustin précise que l’attrait pour le surf correspond à « la montée de l’individu [et que] si ce mouvement s’accentue, c’est que la société holiste qui donnait une cohésion aux collectivités s’est défaite à partir des années soixante. Cette société assignait à chacun son statut et son rôle, elle dictait des comportements et des croyances. À sa place, une société d’individuation est en train de s’établir. Il s’agit d’une société individualiste mais de masse, démocratique mais hiérarchique. L’individuation devient un principe fondateur, se distinguant de l’individualisme qui est un repli sur soi et manifestant une conscience élargie d’appartenance, une multi appartenance, qui amène l’individu à chercher dans des groupes et des pratiques diverses un sens à son existence » (Augustin, 1994 :17) ;

- Un vecteur de territorialités passagères dans la mesure où « l’apparition de valeurs plus individuelles qui transforment le rapport à soi et le rapport aux autres joue aussi sur le rapport à l’espace et favorise la création et l’émergence de territorialités » ( Ibid :17) ;

20 Jean-Pierre Augustin (dir.). Surf Atlantique : les territoires de l’éphémère . Pessac : Maison des Sciences et de l’Homme d’Aquitaine (MSHA), 1994, 272p.

57 - Un support de discours énonciateurs pour élaborer une construction « (géo- )graphique » des territoires puisqu’un « dispositif scénique où les vagues sont la scène, la mer le décor, la plage à la fois les coulisses et les tribunes, rappelant le théâtre avec la frontalité de la scène et les regards tournés vers l’océan. Ce décor en grandeur naturelle offre des signifiants rejoignant les thèmes classiques de la symbolique humaine, notamment ceux de la vie et du passage, et intégrant de surcroît les attributs du sacré, le mystère, la pureté, voire la peur. [Il s’agit donc] de donner à voir comment se construit concrètement un espace à la fois social, géographique et symbolique qui pose à terme des questions d’organisation et d’aménagement » ( Ibid :19) ;

- Un champ d’étude largement ouvert qui entend mettre en lumière « un processus symbolique d’individuation territoriale fondé sur la diversité des modalités de pratiques et les agrégations sociales éphémères » ( Ibid :19).

Fort de ces premières constatations, Jean-Pierre Augustin décline les pistes de réflexions et les études sur le surf que les diverses contributions couvrent . « La première vise à mieux connaître les pratiques et les institutions s’appuyant sur des recherches historiques, des enquêtes de terrain et la connaissance des fédérations sportives concernées… La deuxième mène à réfléchir sur les questions de l’aménagement et de l’économie… La dernière entrée propose une analyse des médias vis-à-vis du surf et esquisse quelques interprétations sur les processus en cours » ( Ibid :20).

Par conséquent, les différents auteurs qui contribuent à l’ouvrage s’emploient à mettre en lumière la filiation du surf aux pratiques sportives de glisse aquatiques et aux dynamiques sociales inscrites dans ce que certains sociologues formalisent par le terme de contre-culture, soit : le refus de la société de consommation, l’hédonisme contemplatif, la recherche d’une esthétique corporelle et sportive... Fort de cette approche historique, les auteurs analysent ensuite les manières dont les communautés surf s’approprient ces héritages sportifs et culturels à l’aune des dynamiques sociales et culturelles des années quatre-vingt-dix. Ils avancent l’idée qu’à compter de ces années, le surf se démocratise, s’institutionnalise, tend à se radicaliser d’un point de vue du geste sportif et de l’état d’esprit qui anime les pratiquants, à devenir un moteur du développement économique sur certaines portions littorales en Aquitaine (Lacroix, Bessy, 1994). On l’aura compris, le surf

58 est appréhendé ici comme une pratique sportive entendue comme le reflet des dynamiques sociales. C’est à ce titre qu’il devient un véritable objet d’étude en sciences sociales.

Par ailleurs, au-delà des analyses sur les stratégies et politiques fédérales (Distinguin, 1994), sur l’intégration du surf dans le système des sports en Aquitaine (Callède, 1994), les auteurs s’interrogent sur les dynamiques spatiales qu’engendre cette pratique sportive (Augustin, 1994). Sous la plume de Jean-Pierre Augustin, on peut lire que le surf modifie les modes d’usage du littoral et qu’il parait dès lors plus opportun de parler de station surf que de station balnéaire pour évoquer ces mutations. Pour rendre compte de ce processus, Jean-Pierre Augustin s’appuie sur le concept de surfurbia , forgé par l’architecte Raynar Banham, à propos des logiques d’intégration des beach towns à la ville de Los-Angeles. Selon Jean-Pierre Augustin, ce processus d’intégration des stations littorales aux grandes agglomérations ou conurbations aquitaines serait en cours et justifierait l’usage du terme de station surf pour caractériser le fait que le surf s’intègre aux institutions et influence les aménagements et l’urbanisme littoral. Un article d’Elisabeth Gay, inscrit dans le prolongement des arguments avancés par Jean-Pierre Augustin, évoque l’aménagement d’un espace surf sur la côte basque en termes d’équipements, de structuration du réseau routier, d’amélioration des conditions d’accessibilités aux plages…

Le terme de surfurbia employé par l’architecte Raynar Banham évoque l’intégration des beach town, c’est-à-dire des centres de villégiatures, sur le littoral californien à l’agglomération de Los-Angeles. Effectivement, l’appropriation de cette portion de la frange maritime a été favorisée par un réseau de transport étoffé, ainsi que par l’extension urbaine de l’agglomération le long de ces axes de communication. Ce mouvement de création de sites balnéaires est amplifié par l’apparition du surf sur les plages de Santa Monica, Hermana beach, Redonda beach ou Venice by the Pacific dans les années soixante. Ainsi, ces espaces touristiques, initialement produits par les élites inscrites dans le play movement , sont érigés, à partir des années soixante, par le surf et ses stars. Ce processus d’identification et de différenciation d’entités urbaines spécifiques n’est pas sans rappeler la modélisation des stations touristiques récentes évoquée par Marc Boyer (1999 :106). Selon l’auteur, ce sont les stars, c’est-à-dire les étoiles du cinéma, de l’art ou du sport), dont la réputation est internationale, qui sont à l’origine des nouveaux pôles touristiques. À l’instar, des aristocrates, artistes ou écrivains du XIX e siècle, qui lancèrent,

59 en écho au « désir de rivage » (Corbin, 1988) les stations littorales telles que Deauville ou Biarritz, ces nouvelles figures du paysage mondain que sont les surfeurs participent à la revalorisation des espaces touristiques en insufflant un second dynamisme territorial axé sur la promotion du sport ou des activités culturelles. Leur extension se réalise par imitation des autres strates sociales reproduisant, par capillarité, les pratiques spatiales de ces nouveaux « gate keepers » (Boyer, 2003). Ainsi, dans la mesure où le surf s’intègre aux institutions, à la culture et influence les aménagements et l’urbanisme littoral, on voit apparaître une nouvelle organisation territoriale des stations balnéaires. La mutation est engagée, et c’est en ce sens que celles-ci tendent à devenir, pour Jean-Pierre Augustin, des « stations surf ».

En revanche, l’urbanisation balnéaire sur le littoral aquitain résulte d’une longue histoire touristique qui couvre presque deux siècles (Cassou-Mounat, 1975 ; Laborde, 2001 ; Noailles, 2008). Aussi, devant ce constat historique, il semblerait que le processus de surfurbia ne puisse être transposé à cette portion littorale. C’est pourquoi, on préfère employer le terme de « stations du surf » (Falaix, Favory, 2002). En effet, malgré la prégnance du surf dans la dynamique spatiale de ces entités touristiques, cette activité sportive ne rend pas compte, à elle seule, de la structuration territoriale qui prévaut sur le littoral aquitain. À titre d’exemple, la thalassothérapie ou le capital patrimonial tiennent une place prépondérante au cœur de l’organisation balnéaire des stations océanes du littoral basque et constitue un ressort de l’attractivité touristique (Degrémont, 1998). Ainsi, Patricia Laconme souligne « qu’avec le tourisme d’affaires et le loisir sportif, le succès de la thalassothérapie constitue un des facteurs essentiels de renouvellement des stations » (Laconme, 1998 :68). Quant à Philippe Duhamel (2010), il met en lumière le rôle de l’évolution de l’urbanité des stations balnéaires des littoraux français comme moteur des transformations. Ainsi, on comprend, à travers ces quelques exemples, qu’il est quelque peu réducteur, pour rendre compte de la mutation territoriale des stations balnéaires de la côte basque, de définir la dynamique spatiale et touristique autour du seul phénomène surf en utilisant le concept de « station surf ». En effet, malgré l’arrivée du surf sur le littoral aquitain, force est de constater que la villégiature balnéaire et les bains de mers ont été et sont encore les plus importants moteurs de l’édification urbaine des stations sur le littoral aquitain et des choix stratégiques en aménagement touristique (Vlès 1996, 2006). Il suffit pour s’en convaincre de s’en remettre aux nombreux travaux publiés sur la question (Cazes, 1992 ; Boyer, 1999 ; Duhamel, 2004 ; Violier, 2009).

60

Cependant, il ne faut pas pour autant nier le rôle prépondérant que tient le surf au cœur de la dynamique spatiale des stations océanes sur la côte aquitaine. Bien entendu, l’ouvrage consacre également la part belle aux enjeux économiques du surf en aquitaine (Bessy, 1994) et met en avant les logiques d’innovations dont les artisans et les industriels font preuve pour s’adapter aux besoins et aux exigences des pratiquants (Hillairet, 1994). Cependant, rien ne nous est dit sur le rôle et la stratégie adoptée par le Conseil régional d’Aquitaine qui pourtant détient la compétence économique depuis les actes de la décentralisation. Enfin, une partie de l’ouvrage met en exergue les discours d’énonciation territoriale (Malaurie, 1994) ainsi que l’émergence d’une figure et d’un personnage de surfeur dans l’espace aquitain qui transpirent sous l’impulsion des médias et des stratégies de communication établies par les collectivités territoriales (Chaussier, 1994). Cela dit, là encore, le travail mérite de sérieux approfondissements pour gagner en légitimité scientifique. L’analyse des processus d’énonciation territoriale et des stratégies de construction de ressources territoriales immatérielles ne peut se satisfaire de la lecture de quelques coupures de presse à l’instar de ce que propose Christian Malaurie. Encore faut-il appréhender les stratégies souvent différentielles entre les différents opérateurs du développement touristique : conseils généraux, conseil régional, communes… ainsi que les manières dont ces collectivités territoriales co-construisent parfois les politiques publiques sur le surf. D’autres contributions viennent enrichir le débat. La diffusion du surf dans le monde est explorée sous la plume de Jean-Pierre Augustin tandis que Miguel Nogeuira et Yves Chateaureynaud examinent respectivement les espaces de pratique, la structuration du tissu sportif et la répartition spatiale des surfeurs au Portugal et à la Réunion.

Néanmoins, malgré la fécondité des recherches conduites sous la direction de Jean- Pierre Augustin, force est de constater que l’examen du rapport du surfeur à la vague est laissé vacant. L’ensemble des contributions ne permet pas de saisir les raisons pour lesquelles les surfeurs font le choix d’une spatialisation sur le lieu-vague et comment ils s’approprient ce lieu-vague. Plus encore, les recherches ne permettent pas d’établir ce que sous-tend cette appropriation spatiale du lieu-vague en termes d’intentionnalité des acteurs- surfeurs. Seule la contribution de Michel Favory esquisse les contours du rapport à la vague ou plutôt la territorialité des surfeurs. Michel Favory précise que « toute pratique humaine et sociale qui revendique une appropriation de l’espace met en jeu la territorialité… Trois types de satisfactions sont alors en jeu, dans ce processus de

61 valorisation de l’espace et des lieux : l’identité, la sécurité et la motivation ou le désir d’animation » (Favory, 1994 :213). Michel Favory poursuit en affirmant que « le surf produit des tribus sociales éphémères en même temps que des territorialités provisoires fortement éprouvées par l’individu… La territorialité du surfeur est celle d’un “nouveau nomade”. Son identité, celle de l’individu et du petit groupe, relève d’un refus de la contrainte sociale dominante. Elle est celle d’un acteur de l’illusion, d’un acteur de la mise en scène de la glisse, comme extériorisation d’une idéologie douce. C’est dans cette mise en scène et dans le “vécu du spot” que le surfeur trouve ses motivations d’attachement aux lieux. Quant au sentiment de sécurité, il est produit par la rupture géographique et imaginaire entre le spot et son rivage immédiat, et l’espace de vie extérieur et ordinaire » ( Ibid :215). Manifestement, l’attachement du surfeur à la vague relèverait seulement d’une mise en scène et serait ainsi destitué de tout autre intentionnalité. Par ailleurs, le texte de Michel Favory pose de sérieux problèmes d’ordre méthodologique dans la mesure où aucun compte-rendu d’entretien ne permet de corroborer l’analyse. On en reste au stade de l’intuition. Par conséquent, même si l’on salue, une fois encore, la qualité des réflexions conduites sur la question, la lecture de l’ouvrage dirigé par Jean-Pierre Augustin laisse le géographe, soucieux de l’examen des intentionnalités qu’appellent le rapport du surfeur à la vague, sur sa faim.

Malgré nos critiques, force est de constater que les auteurs ayant contribué à la rédaction de l’ouvrage font figures de pionniers. Plus encore, ils ouvrent un nouveau terrain d’investigations universitaires et entraînent dans leur sillage de jeunes étudiants enthousiastes à l’idée de s’emparer de la thématique. Deux Travaux d’Etudes et de Recherche (TER) en géographie sont soutenus sous la direction de Jean-Pierre Augustin : le premier en 1996 à l’Université de Montpellier envisage « le surf comme élément de culture mondiale au Maroc » (Belantin, 1996). Le second, soutenu à l’Université de Bordeaux, a pour titre « Lacanau : émergence d’une station surf » (Arnaud, 1999). On soutient en 2001 un Travail d’Études et de Recherches intitulé « Surf et environnement : l’association Surfrider Foundation sur le littoral basque » rédigé sous la direction de Sylvie Clarimont, Maître de Conférence, à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (Falaix, 2001). On poursuit ces investigations à propos de l’objet surf, en soutenant deux ans plus tard, toujours sous la direction de Sylvie Clarimont, un Diplôme d’Études Approfondies mettant en lumière le processus de territorialisation des surfeurs (Falaix, 2003).

62 1.1.2 Le fun , expression d’une contre-culture sportive des adeptes des sports de nature ?

Mais, au-delà de cette littérature grise essentiellement consultée par quelques experts ou curieux minoritaires, c’est l’ouvrage d’Alain Loret 21 qui marque, en 1995, un pas supplémentaire vers la connaissance du surf entendu comme objet d’étude en sciences sociales. En effet, l’auteur, Professeur des Universités en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), évoque l’émergence d’une « génération glisse ». Il décrypte les composantes culturelles, les codes et registres de socialisation des surfeurs, les stratégies de communication et présente la transition culturelle à l’œuvre dans le monde des sports. Il mobilise le concept de fun , forgé quelques années auparavant par Gisèle Lacroix pour caractériser ces sports alternatifs. Les travaux de Gisèle Lacroix, faute dont d’une médiatisation scientifique sont restés confidentiels.

Pourtant, en 1984, Gisèle Lacroix soutient une thèse de doctorat en sociologie générale à l’Université de Paris VII dans laquelle elle présente le concept de fun pour caractériser l’esthétique et l’éthique sportive des adeptes de la glisse. Le fun est l’appropriation des symboles socioculturels déviants au sein du sport. Gisèle Lacroix précise, bien avant les travaux d’Alain Loret consacrés à la question, que le fun est une « construction de l'apparence corporelle qui s'organisent à partir de valeurs sous-jacentes qui déterminent les normes de l'action sur le corps. Elles sont étroitement liées aux représentations des acteurs, à l'imaginaire. À travers l'adoption d'une apparence, s'actualise dans l'univers réel, une vision du monde et de l'avenir, un mode de rapport aux autres et à son propre corps » (Lacroix, 1984). Ainsi, le look fun se caractérise par les caractères physiques et les attitudes, les attributs, les vêtements et les engins utilisés dans le cadre de la pratique sportive. Quant au fait « d’être fun », Gisèle Lacroix précise que « c'est être éminemment soucieux de son corps et de sa forme, avec un sens de l'esthétisme poussé à l'extrême, profiter dans "l'ici et maintenant" des plaisirs de la vie, s'éclater en jouant avec ses limites dans les éléments naturels. C'est avoir un rapport affinitaire avec un petit groupe de pairs partageant le même style de vie, une relation d'empathie qui n'a d'égale que celle avec la nature. C'est vivre de liberté, d'amour et d'aventure, vivre hors- effort, hors-limites, hors-normes… ». L’auteur conclut en ces termes : « le look fun a

63 évolué d'un laisser-aller, d’un refus des contraintes à une sacralisation de l'apparence, multipliant et diversifiant les signes pour jouer, se déguiser, afficher le plaisir contre la monotonie. Car le look ne se réduit pas à un "truc ajouté", il est indispensable. Il concrétise le faire et comment on aime faire en se regardant faire ; il est un trait d'union entre le réel et l'imaginaire, une cohérence qui tait les efforts et la normalisation des corps pour évoquer un idéal de plaisir et de liberté. Les activités de glisse, par leurs caractéristiques, ont favorisé l'émergence d'un style nouveau en opposition à la culture traditionnelle. Elles ont aidé à la définition d'une "excellence corporelle", sous-tendue par un attachement à des valeurs esthétiques, narcissiques et hédonistes. Le look, le style, la "culture fun" dépassent largement les pratiques sportives s'inscrivant dans le courant néo- narcissique qui traverse les pratiques sociales, et où paraître jeune, en forme, est peut-être encore plus important que signifier sa condition sociale. Le look fun et sa ritualisation prouvent l'importance que les acteurs sociaux accordent à l'apparence comme "capital" à faire fructifier. Il est un enjeu de séduction et de réussite qui suppose la maîtrise de savoirs et de compétences. Le look fun, comme la culture fun, est plus qu'une mode éphémère, il contient les germes d'une transformation sociale. Entre paraître et être, entre frime et authenticité, l'apparence semble garder son opacité malgré son évidence. Ainsi, le look permet de jouer, de composer avec les codes sociaux, l'être et le paraître fun reflètent une des facettes de l'individu post-moderne : sa sensibilité ironique et ludique » (Lacroix, 1990 :61-72).

Alain Loret réinvestit et s’approprie ce concept de fun pour étayer ses démonstrations quant au fait que ces néo-sportifs privilégient le sport ludique. L’essor du sport ludique s’accomplit au détriment du sport entendu comme relevant d’une mission d’utilité publique au regard de ses fonctions intégratives et précipitent les organisations sportives traditionnelles vers une nécessaire adaptation de leurs offres sportives. À cet égard, Alain Loret distingue deux types de culture sportive en s’appuyant sur la nomenclature des sports proposée par Roger Caillois. Il met en exergue l’affection de ces néo-sportifs pour les jeux de vertige. Ces jeux de l’ Ilinx qui, comme le précise Roger Caillois, « reposent sur la poursuite du vertige et qui consistent en une tentative de détruire pour un instant la stabilité de la perception et d’appliquer à la conscience lucide une sorte de panique voluptueuse. Dans tous les cas, il s’agit d’accéder à une sorte de

21 Alain Loret. « Génération glisse : dans l’eau, l’air, la neige… La révolution du sport des “années fun” ». Autrement , Série mutation, n°155-156, 1995, 324 p.

64 spasme, de transe ou d’étourdissement qui anéantit la réalité avec une souveraine brusquerie » (Caillois, [1958], 2003 :47-91). Par conséquent, Loret distingue deux cultures sportives :

- L’une digitale, inscrite dans ce que Roger Caillois qualifie d’ agôn et/ou d’ alea , qui formule la règle comme fondement du jeu, privilégie la compétition, la hiérarchisation, mobilise la raison, nécessite la présence d’un arbitre, sanctionne la prédominance de la technique sportive…

- L’autre analogique, inscrite dans ce que Roger Caillois qualifie de mimicry et/ou d’ ilinx , qui énonce que la règle n’est pas le jeu, préfère la participation à la compétition, propose la personnalisation comme rempart à la hiérarchisation, privilégie l’émotion, s’affranchit de la présence d’un arbitre au bénéfice du libre arbitre, nécessite davantage de technologie à défaut de s’appuyer uniquement sur la technique sportive…

L’ouvrage d’Alain Loret met donc en lumière les valeurs de la culture sportive de ceux qui s’adonnent aux activités ludo-sportives. Ses analyses font écho à celles de Christian Pociello qui, la même année, s’interroge sur « l’insolite irruption des jeux de vertige » (Pociello, 1995). Cette culture des sportifs des années fun se caractérise par l’appropriation des valeurs forgées par la beatnik génération qui sont en opposition avec les vertus traditionnelles du sport, elles-mêmes en proie à de sérieuses remises en causes.

Le sport permet de classer les individus les uns par rapport aux autres sur une base juste, strictement égalitaire et méritocratique. Le vainqueur doit sa place à ses propres efforts, et non à sa naissance ou à sa fortune. Le sport construit un idéal éthique où les champions, par delà la race et la classe d’origine, s’affrontent à armes égales, où le meilleur est celui qui l’emporte par ses capacités. Cependant, un certain nombre d’événements majeurs, tels que les affaires de dopages, les malversations financières ou les revendications ethno-politiques, bouleversent cette morale sportive. Cette forme de déclin du sport censé véhiculer des valeurs morales s’opère à partir des années soixante. Des scandales, relayés par les médias, éclatent au grand jour et remettent en question l’éthique sportive formulée en termes de lois reposant sur l’égalité des chances, le respect de

65 l’adversaire, du jeu, des règles… Dans ce contexte, certaines figures charismatiques du monde sportif inaugurent l’avènement de nouveaux fondements de la morale sportive.

Lors de l’édition 1967 du Tour de France, le britannique, Tom Simpson, succombe d’une défaillance cardiaque provoquée par l’absorption d’amphétamines lors de l’ascension du Mont Ventoux. En 1968, les athlètes américains Tommie Smith, vainqueur, et John Carlos, troisième, sur le podium du 200 mètres aux Jeux Olympiques de Mexico, lèvent un poing ganté de noir, symbole du Black Power , pour protester contre la ségrégation raciale. Quatre ans plus tard, les Jeux Olympiques de Munich sont le théâtre d’un attentat palestinien meurtrier orchestré au cœur du village olympique à l’encontre de l’équipe israélienne (Hache, 2000 :101). Ces trois événements, parmi tant d’autres, illustrent la crise que traverse le monde du sport. Cette crise produit une altération de l’éthique sportive. Se forge, sous l’influence de certains champions, un caractère de plus en plus individuel de la morale et des normes morales au sein du sport. Ainsi, on observe, à la lecture de ces trois événements, que d’une part « un déséquilibre se creuse entre les moyens et les fins de l’action et que, d’autre part, la définition des fins elle-même est confuse » (Orru, 1998 :180). En effet, faut-il faire abstraction des codes d’équité sportive pour gagner, et la victoire est-elle vraiment une fin en soi ou l’opportunité de revendiquer des opinions ? C’est donc en ce sens, c’est-à-dire un dérèglement des normes et des lois ( a- nomia ), que le sport est en proie à l’anomie sportive 22 à la fin des années soixante-dix.

L’anomie sportive se caractérise par l’effritement de l’éthique sportive. Le sport, n’est plus une école de moralité cultivant le goût de la lutte, le sens de l’effort, la solidarité, le désintéressement. Il est à présent un sanctuaire d’affrontements politiques, un laboratoire expérimental pour la triche, un centre d’intérêts économiques… Durant les années soixante-dix l’orthodoxie sportive est à l’agonie. C’est donc sur ce terreau d’anomie sportive que s’enracine le processus d’individuation, laissant libre court à la subjectivation des individus qui, à l’heure de la postmodernité, s’engouffrent dans une quête effrénée du plaisir immédiat. Par conséquent, un nouveau modèle sportif, fondé sur des pratiques individuelles utilisant la nature comme support d’une gestuelle sportive, se précise. Celui- ci s’inscrit dans un registre diamétralement opposé au système sportif traditionnel en proie

22 Le concept d’anomie forgé par Emile Durkheim caractérise la situation où se trouvent les individus lorsque les règles sociales qui guident leurs conduites et leurs aspirations perdent leur pouvoir, sont incompatibles entre elles ou lorsque, minées par les changements sociaux, elles doivent céder la place à d’autres.

66 à une crise. Dès lors, au cœur de ces nouveaux dispositifs sportifs dits alternatifs, « la compétition se réduit à la participation, l’arbitre laisse place au libre arbitre, la raison cède à l’émotion, à la perception est préférée l’émotion, à la reconnaissance de soi est plutôt valorisée la connaissance de soi » (Loret, 1995 :42). Alain Loret se propose de retenir trois événements symboliques, fondateurs d’une véritable contre-culture sportive, qui remettent en cause cent ans d’histoire du sport. Il analyse trois événements qui, durant les années soixante, apparaissent comme des signes prémonitoires d’une révolution culturelle bouleversant l’orthodoxie sportive.

Le premier de ces événements serait le succès rencontré par le film anglais tiré d’une nouvelle d’Alan Sillitoe et réalisé par Tony Richardson en 1962, « La solitude du coureur de fond ». Le film met en scène un héros, Colin Smith, qui rejette de façon provocante le symbole de la réussite sportive incarnée dans la victoire. Pensionnaire d’un centre de redressement pour délinquants, Colin est sélectionné pour représenter l’établissement qui est opposé à un préstigieux collège des environs dans le cadre d’une rencontre sportive. En tête de la course, il laisse pourtant son adversaire gagner refusant ainsi le rôle que le directeur cherche à lui faire jouer. Son attitude incarne un rejet des normes sociales matérialisées par celles de la course. Ce comportement de subversion sociale bouleverse les idées et les valeurs reçues et renverse l’ordre établi.

Le deuxième événement fondateur de la contre culture sportive contemporaine serait la transposition réelle, sept ans plus tard, de la fiction de Sillitoe. En effet, en février 1969, au large de l’île Tristan de Cunha dans l’atlantique, Bernard Moitessier, est donné comme vainqueur potentiel de la première course autour du monde à la voile en solitaire organisée par le Sunday Times . Cependant, plutôt que de remonter vers l’Europe pour rallier la ligne d’arrivée et remporter la course, Bernard Moitessier décide de se laisser porter vers le Pacifique, rejetant par là même les normes sociales véhiculées par les règles de la course (Moitessier, 1971).

Enfin, le troisième événement initiateur d’un nouvel état d’esprit sportif serait une plaisanterie, un canular pour le quotidien L’Équipe , qui frappe de plein fouet le symbole le plus représentatif de l’idéologie sportive : la victoire. Lors de l’arrivée du marathon des Jeux Olympiques de Munich, en 1972, l’athlète, filmé par les télévisions du monde entier, qui pénètre sur la piste et accomplit un tour d’honneur sous les applaudissements du public

67 n’est pas le vainqueur de l’épreuve. C’est un garçon de seize ans qui, trompant la surveillance du service d’ordre, entre dans le stade sans avoir participé à la course quelques instants avant le véritable vainqueur. Cette attitude touche toute l’institution olympique dans ce qu’elle représente de plus symbolique en matière d’ascétisme, d’abnégation, et de gratuité de l’effort athlétique : le marathon. L’éthique sportive défendue par le mouvement olympique est donc, au travers de cette farce, remise en cause.

Par conséquent, ces trois événements transformeraient les représentations des valeurs sociales et sportives que sont l’effort, l’égalité, la solidarité, le dévouement, le mérite, la gratuité de l’engagement personnel. Sous la plume d’Alain Loret, une nouvelle culture sportive prendrait corps. Elle s’inspirerait des symboles révolutionnaires nés des mouvements de contestation des années soixante. Une sensibilité alternative émergerait dans le monde du sport. Le sport deviendrait un champ expérimental pour laisser libre court à la subjectivation des individus. À travers le sport, les individus aspireraient à vivre des sensations, des émotions, valeurs par ailleurs prônées dans une logique d’individuation. Ces néo-sportifs organiseraient une nouvelle éthique sportive. L’heure ne serait plus celle de la victoire mais plutôt celle de la découverte de soi. Ils invoqueraient un sport authentique qui participerait d’un registre d’attitudes et de comportements nettement plus sauvages, composant un rapport à l’autre, à la nature, à son propre corps, distinct du rapport sportif traditionnel. Le surf constituerait même l’une des pratiques sportives les plus représentatives de cette contre-culture émergente.

La culture sportive se définit comme un système de valeurs sportives, c’est-à-dire un modèle de références aux actions et relations sportives, une forme d’extériorité symbolique qui fonde la relation sportive en la rendant compréhensible aux yeux de tous les sportifs (Pociello, 1999). Or, à l’heure actuelle, le sport est considéré comme une activité possédant en propre certaines propriétés supposées favoriser l’intégration sociale de ceux qui s’y adonnent 23 . Le sport puisqu’il rassemble les grandes valeurs républicaines : égalité, solidarité, fraternité, persévérance, considération des règles et des autres, effort

68 gratuit, respect du drapeau… est aujourd’hui entendu comme utile à la construction d’une société harmonieuse. Il est le « support pédagogique pour une meilleure intégration des individus au sein de l’organisation sociale 24 » précise, en 1995, Michèle Alliot-Marie alors ministre des Sports. Le livre blanc sur le sport, rédigé par la Commission Européenne, met en lumière les thématiques propres aux enjeux liés à l’éducation, l’insertion et/ou l’inclusion sociale par le sport. Les rapporteurs de cette commission assignent même un objectif intitulé « mettre le potentiel du sport au service de l’inclusion sociale, de l’intégration et de l’égalité des chances 25 ».

Cependant, durant les années soixante-dix, de nouvelles pratiques sportives représentatives de qualités et d’une mentalité propres à contester la société se développent et s’opposent à cette définition du sport appréhendé à des fins de renforcement du lien social. Elles traduisent des comportements déviants, un refus du conformisme et des règles sociales en rejetant les règles sportives. Elles sont une opportunité de rompre avec la société, un symbole d’anticonformisme. Ces pratiques sportives alternatives entraînent un processus de transformation de la culture sportive, en remettant en question le système de valeurs historiques du sport. En effet, les adeptes de ces sports souhaitent avant tout vivre et éprouver des sensations souvent vertigineuses. Ils sont de fervents adeptes de l’ Ilinx 26 (Caillois, 1958). Ces néo-sportifs valorisent l’utopie plutôt que la raison, l’impertinence au détriment du respect des traditions. Ils s’inscrivent dans un registre contre culturel en exploitant les symboles de la contestation des années soixante qui inspirent ce nouveau référentiel sportif.

23 Le quotidien L’Équipe proposait l’analogie Black-Blanc-Beur , reprise en cœur par l’ensemble des médias nationaux, pour illustrer la victoire d’une équipe de France de football pluri-ethnique lors de la coupe du monde de 1998 et pour évoquer le sport comme vecteur d’intégration sociale des générations issues de l’immigration. Cependant, à l’heure actuelle la présence de nombreux joueurs d’origine afro-antillaise au sein de l’équipe de France de football n’est pas sans générer une polémique. Ainsi, après l’apologie du sport comme support d’intégration au lendemain de la victoire de 1998, Christian Jaurena souligne que la défaite en 2002 appelle brusquement à la remise en cause de la composition ethnique de l’équipe de France ! In Christian Jaurena. « Noir, c’est bleu ». L’Équipe , mercredi 20 novembre 2002, p 2. 24 En janvier 1995, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Jeunesse et des Sports crée un Comité National de l’Esprit Sportif afin de préserver l’esprit sportif comme facteur d’intégration sociale. Cette démarche réaffirme le caractère d’utilité sociale du sport. Michèle Alliot-Marie caractérise le sport comme un « élément important de l’éducation de la jeunesse. […] Dans notre société où certains repères sont gommés, le sport permet à la jeunesse d’accepter certains principes : le respect de soi, le respect de l’autre, le respect de l’arbitre, qui, transposés, sont la base même de l’éducation d’un bon citoyen ». In Podium , La revue du Ministère de la Jeunesse et des Sport, Juin 1993, p 4. 25 Livre blanc sur le sport. Commission Européenne, 2007, 21 p. 26 Roger Caillois distingue l’agôn (jeux de confrontation), l’ aléa (jeux de hasard), la mimicry (jeux de rôles) et l’ ilinx (jeux de vertige) (Caillois, 1958).

69 « Être surfeur, c’est camper aux rivages du monde, à sa marge, y vivre d’absolu et d’infini. Pour survivre, les surfeurs se contentent de petits travaux simples, dérisoires, qui révèlent suffisamment le peu de considération qu’ils portent aux biens matériels : une forme simple de dépouillement suffit en marge du monde matérialiste. Leur richesse est intérieure » (Bessas, 1982 :22). Telle est la définition du surfeur que propose Yves Bessas. Les surfeurs s’inspirent des symboles révolutionnaires des années soixante pour construire leur matrice culturelle. En effet, les valeurs véhiculés par la contre culture américaine trouvent un écho retentissant dans le domaine du sport aux États-Unis et en Europe.

Avec cette « révolution du sport des années fun » une transition culturelle s’opère. L’athlète se transforme en rocker puis en surfeur. Cette révolution traduit une crise des valeurs sportives traditionnelles (Loret, 1995 :30-72). Ce processus de transformation de la culture sportive est, au demeurant, opératoire grâce aux changements technologiques qui favorisent l’émergence de nouvelles pratiques sportives instrumentalisées (Hillairet, 1994 :143-167). D’autre part, l’image dominante de la communication d’après-guerre transforme le modèle idéal du corps. Celui-ci n’est plus seulement l’expression d’une force ou d’une esthétique, mais traduit l’assimilation d’une information exhaustive et immédiatement disponible. Au cœur de ce dispositif, l’information sensorielle tient une place prépondérante, et le travail des sens supplante celui des muscles. À ce titre, Georges Vigarello qualifie ces nouvelles pratiques sportives « d’informatives » (Vigarello, [1995], 2001 :193-221). Ainsi, le surfeur tient tout entier dans la surveillance d’informations venues du milieu plutôt que dans l’exercice d’une force directement appliquée sur ce milieu. Ces néo-sportifs arborent avec ostentation les symboles de la contestation d’une société bourgeoise pourtant à l’origine du fait sportif. Il s’agit alors de comprendre cette signification sportive et d’analyser les référentiels culturels majeurs sur lesquels ils élaborent leur propre culture.

Ces référentiels sont ceux de la musique rock, de la peinture contemporaine, de la culture alternative, des romans underground , des bandes dessinées hard. Dès lors, l’usage des drogues, à des fins psychédéliques et métaphysiques, dont Aldous Huxley 27 révèle les fonctions mystiques, est monnaie courante. Par ailleurs, le voyage, le trip , célébré par Jack Kerouac 28 constitue également l’un des traits culturel majeur de la culture surf. Kerouac

27 Aldous Huxley. Les portes de la perception . Paris : Editions 10/18, [1945], 1998, 319 p. 28 Jack Kerouac. Sur la route . Paris : Gallimard, [1957], 2002, 436 p.

70 inaugure avec son récit sur le voyage un comportement en rupture avec les éléments fondateurs de l’ american way of life . L’auteur glorifie le monde primitif, naturel, vierge de toute civilisation, de toute pollution ; un monde accessible par le voyage, formule métaphorique qui représente les seules possibilités de fuite du système social organisé et réglementé. Ainsi, Jack Kerouac propose une nouvelle socialité fondée sur la notion de bande, de tribu dont la cohérence interne ne repose que sur le refus de la règle, de la loi commune, pour mieux rejeter les limites imposées par l’organisation sociale (Fize, 1993). Le voyage est l’expression du refus d’aliénation 29 . Ainsi, des cohortes de surfeurs, ralliés aux préceptes de Huxley, et de Kerouac colonisent les rivages du monde entier en quête de vagues et l’essence même d’un Tout :

« La glisse est la clef de l’énergie. Elle est la danse avec les quatre éléments. En captant les forces marines, éoliennes, telluriques et solaires, nous nous métamorphosons dans un état de transe qui est celui de la communion avec le grand Tout. Toute glisse est un passage du fini à l’infini, du physique au métaphysique. Sur nos planches de surf, nos skis, nos planches à voile, nos ailes volantes, nous ne sommes pas si loin de cette tentation d’absolu qui habitait Icare se rapprochant du soleil » (Bessas, 1982 :8).

Alain Loret, dans la continuité des analyses antérieures produites par Gisèle Lacroix, décline cette « culture fun » comme une culture orale, jouée, musicale, perçue et ressentie. Le langage parlé est celui qui véhicule le plus aisément les rites, les mythes et les tabous. En terme de performance, au cœur de cette contre culture sportive qu’est la glisse, le champion n’a pas sa place. Le champion relève plutôt du héros. En effet, la compétition, soit le classement sportif, ne peut avoir lieu puisque la confrontation directe entre les différents surfeurs n’existe pas. D’ailleurs, comment justifier d’un classement une pratique sportive individuelle où la confrontation ne s’opère qu’envers le milieu naturel ? Ainsi, le fun ne se conçoit qu’aux marges de l’organisation sociale légitime, c’est-à-dire structurée, réglementée et rationnelle. Il n’existe règlement qu’au pays de nulle part, là où l’imaginaire se débride. Dès lors, la glisse exprime une volonté de s’exclure métaphoriquement d’une société codifiée et hiérarchisée. C’est précisément en ce sens qu’Alain Loret identifie les surfeurs à des Peter Pan (Loret, 1995 :80-85). Ne leur suffit-il

29 Le film Easy rider illustre également ce refus d’une société de consommation affiché par certaines franges de la jeunesse américaine.

71 pas de « penser à des choses merveilleuses pour planer 30 » à l’instar du héros enfantin célébré par James Matthew Barrie ? Les surfeurs intègre donc cet idéal hippy qui s’inscrit, au moins partiellement, dans le profond refus de renoncer au goût de l’enfant pour la magie du jeu. Les surfeurs s’emparent du message de Jerry Rubin, gourou hippie des années soixante, qui affirme : « Notre message est : ne grandissez pas. Grandir c’est abandonner ses rêves. Nous sommes d’éternels adolescents ». Ainsi, durant les années soixante, soixante-dix, les surfeurs font figures de rebelles. La glisse constitue pour eux « un passage du réel à l’irréel, une sorte d’envol de la plate réalité vers le rêve, une recherche plus ou moins mystique du plaisir, de l’extase et du voyage ; autrement dit du vertige et de l’émotion hallucinatoire » (Loret, 1995, 83). Ils se construisent par leurs expériences. Sur le mode de la tribu ils inventent de nouveaux codes de socialisation, exaltant la quête du plaisir immédiat. Nomades des rivages, ils traquent la vague, support de déconnexion du réel, source de transcendance. En atteste cette phrase d’Yves Bessas : « Je glisse loin du monde et lorsque je reviens sur terre, au sens littéral de l’expression, je sais que je viens de quitter un monde impossible à expliquer, comme est impossible à communiquer le sentiment de transcendance qui m’a porté » (Bessas, 1982 :38). Ils glorifient l’enfant éternel en adoptant via la glisse un registre de comportements de nature juvénile qui peut parfaitement correspondre à ceux que mettent en œuvre nombre d’adultes atteints de ce mal de vivre que le psychologue Dan Kiley appelle le « syndrome de Peter Pan » (Kiley, 1983).

Pour filer la métaphore, les surfeurs pourraient également s’apparenter à des Petits Princes de la postmodernité, enfants curieux, avides d’expériences sociales, de rencontres par le voyage, utopistes, naïfs, mélancoliques aussi. Ils signifieraient aux « grandes personnes », « régnant sur tout avec des ordres raisonnables », qui voudraient en faire des « ministres de la Justice » ou des « ambassadeurs », sortes de sujets de leurs royaumes, qu’ils sont bien « bizarres » (Saint-Exupéry, 1943). Par conséquent, les surfeurs sont l’archétype des mutations sociales qui traduisent un des pans de ce que l’on appelle aujourd’hui aisément la postmodernité au risque de galvauder le terme. En effet, ils vitalisent cette figure de l’enfant éternel qui dans une frénésie « d’érotique sociale » orchestrée par un processus de « narcissisme de groupe » assure l’affirmation d’une « pensée du ventre » (Maffesoli, 1988). Ils construisent, au demeurant, une éthique du

30 James Matthew Barrie. Peter Pan . Paris : Gallimard, [1911], 1989, p 53.

72 plaisir immédiat articulée par cette volonté de sans cesse laisser libre court à la subjectivité individuelle afin de réfuter l’aliénation sociale. Les surfeurs produisent donc ce qu’Alain Loret appelle une « culture sportive analogique » par opposition à la culture sportive traditionnelle dite « digitale ». Ils sont les artisans d’une politique hédoniste qui « exige avant tout une éthique soucieuse de l’éradication de l’enfer sur terre, une morale de combat contre les fumées échappées du Tartare, un volontarisme esthétique déclarant la guerre, de manière radicale et impitoyable, à cette politique de la terre brûlée où gémissent à peine ceux qui passent leur vie à perdre. Les surfeurs sont donc les ambassadeurs de « l’impératif de l’hédonisme qui envisage le jouir et le faire jouir, morale éthique alternative à celle de l’idéal ascétique » (Onfray, 1997 :65).

Avec son ouvrage, Alain Loret propose donc une approche de la culture sportive des adeptes de la glisse. Malgré les critiques sévères formulées à l’endroit de cet ouvrage (Guibert, 2006), force est de constater qu’il marque une avancée significative dans la connaissance du surf et des surfeurs entendus comme objets de recherches en sciences sociales.

1.2 Le surf et les surfeurs : objets d’étude appréhendés dans leur pluralité

Les deux ouvrages cités ci-dessous sont le fruit de réflexions conduites dans le cadre de thèses de doctorat et ont pour ambition de diffuser, par la voie éditoriale, le fruit des conclusions dressées à l’issue de plusieurs années de recherches. Ces ouvrages sont bien moins généralistes que ceux écrits jusqu’alors sur le surf et s’appuient sur des enquêtes, entretiens, analyses documentaires… Le surf jusqu’alors appréhendé de manière distanciée fait l’objet de recherches au sein desquelles le chercheur s’insère dans les communautés et fonde ses analyses sur l’examen des discours. Ainsi, les auteurs cherchent à dépasser le discours quelque peu uniformisant qui prévalait dans les études précédentes. Ils remarquent qu’il n’y a pas les surfeurs, mais des surfeurs. Ils affirment qu’il n’y a pas une politique publique en faveur du surf mais bien des politiques publiques aux objectifs différents, parfois contradictoires, portées par des opérateurs multiples et variés. Autrement

73 dit, l’analyse locale prend le pas sur les approches globales et généralistes proposées dans l’ouvrage coordonnée par Jean-Pierre Augustin et celui d’Alain Loret.

1.2.1 L’analyse des actions publiques territorialisées en faveur du surf

L’ouvrage de Christophe Guibert 31 est le fruit d’un travail de recherches, particulièrement bien documenté, accomplis dans le cadre d’une thèse de doctorat en sociologie. L’auteur démontre que les dynamiques d’identification territoriale qui prévalent en Aquitaine ne sont pas systématiquement corrélées d’une vision positive éprouvée par les élus locaux à l’encontre des communautés de surfeurs. En effet, Christophe Guibert analyse que les représentations et les modalités d’appropriation de l’univers du surf sont multiples de la part des élus locaux. Tout dépend du champ particulier que privilégient les élus pour appréhender l’univers du surf. Christophe Guibert distingue le champ économique, universitaire, médiatique, historique, fédéral, associatif… Il met en lumière le fait que l’idée générale que se fait un élu du monde du surf dépend avant tout du champ d’analyse qu’il privilégie pour qualifier cette pratique sportive. Fort de ce constat, l’auteur identifie l’espace des possibles des représentations d’un maire à l’égard du surf et des surfeurs. Il évoque également le fait que le contexte local participe grandement des représentations des élus à l’encontre du surf et des surfeurs. Ainsi au cœur du contexte local, Christophe Guibert identifie :

- les propriétés communales (nombre d’habitants, caractéristiques sociales, histoire touristique, ressources économiques…), - le champ politique (position de la commune, position du maire dans l’espace communal et intercommunal…), - la pratique du surf au sein de la commune (nombre de clubs, qualité, notoriété et attractivité des spots, compétitions…), - l’espace des sports (maillage, passé sportif, position du surf dans l’espace des sports), - l’histoire locale,

31 Christophe Guibert. L’univers du surf et stratégies politiques en Aquitaine . Paris : L’Harmattan, 2006, 321 p.

74 - le positionnement au sein de l’échiquier politique (stratégie électorale, ambition politique, orientations politique, type d’électorat…), - le goût personnel et de l’équipe communale.

Christophe Guibert rappelle à quel point ces représentations influencent les politiques publiques municipales. En effet, au regard des représentations qu’un élu se forge à l’encontre du surf et des surfeurs et des éléments qui caractérisent le contexte local, l’élu privilégie un type d’intervention politique. Un élu local peut privilégier la pratique du surf au sein de sa commune, le développement d’infrastructures, l’aménagement des lieux de pratique, encourager l’implantation des entreprises liées à l’industrie du surf, promouvoir des évènementiels sportifs, socioculturels ou bien accorder une place prépondérante à la sécurisation des espaces de pratique… Au final, les politiques municipales et les logiques d’identifications territoriales articulées autour du surf sont très hétérogènes et se définissent en fonction des ressources locales, de l’existant et des desseins politiques locaux. Cependant, Christophe Guibert constate que seuls quelques secteurs de l’univers du surf sont pris en compte et mobilisés par les municipalités. Ils permettent avant tout aux communes d’être positionnées les unes par rapport aux autres. Insuffisante en termes de profits dans le champ politique, ce n’est pas la pratique du surf qui intéresse les élus locaux. Néanmoins, dès lors que les résistances et les contestations des surfeurs s’affirment, celles-ci ne peuvent-elles pas être réinvesties par d’autres électeurs potentiels au profit d’une stigmatisation des orientations politiques choisies par un élu local en faveur du surf ? Finalement, Christophe Guibert conclut en affirmant que rares sont les politiques publiques locales destinées à un usage d’entre-soi c’est-à-dire en faveur des surfeurs locaux et non en direction de la production d’externalité. Finalement, les recherches de Christophe Guibert qui examinent essentiellement les politiques publiques protées par l’échelon municipal, au détriment de l’engagement des autres acteurs publics, démontrent que les compétitions professionnelles, les festivals et la structuration d’une filière économique de la glisse sont entendus et mobilisés comme des modalités de pratique distinctives pour l’identification des territoires. Il précise que la médiatisation de ces événements est un processus préalable à l’engagement des municipalités. Les usages politiques du « surf spectacle » sont autant d’opportunités de « faire durer l’éphémère, de situer l’avenir d’une commune, d’affirmer l’identité d’un territoire communal ». Christophe Guibert affirme donc que « l’enjeu pour les maires et leurs équipes municipales, plus que le soutien à la pratique du surf elle-même, réside dans le

75 développement de la commune à des fins de développement médiatique, économique, touristique, social et parfois sportif qui correspond le plus souvent à une logique de “marketing territorial” tel un produit d’appel » (Guibert, 2006 :14).

Autrement dit, « l’univers du surf se réduit pour les municipalités à un enjeu politique qui, malgré des aspects médiatiques très probants, n’encourage pas spontanément la croissance et la rationalisation de la pratique » ( Ibid : 18). En revanche, les travaux de Christophe Guibert n’examinent pas comment les politiques municipales qui mobilisent le surf à des fins d’identification territoriale ont un impact sur la structuration des espaces touristiques. Ces recherchent n’explorent pas plus les manières dont les surfeurs ressentent cette main mise des pouvoirs publics sur la culture surf et sur leurs espaces de pratique. Là encore, force est de constater que, malgré la pertinence des recherches, une fenêtre de réflexions reste ouverte. Celle-ci consiste à explorer si les politiques publiques ayant le surf comme support engendrent, au sein des communautés de surfeurs, des résistances et des contestations. Par ailleurs, Christophe Guibert, même s’il évoque le terme de politiques publiques ne s’appuie, qu’à la marge, sur les travaux fondateurs qui ont permis de forger quelques concepts, entendus comme autant d’outils d’analyse. Sans faire ici preuve d’exhaustivité puisque ces concepts seront présentés par ailleurs, le fait que la notion de « référentiel » forgé par Pierre Muller ne soit mobilisée qu’à la hâte interroge (Muller, 1990). L’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics est un phénomène récent. Il met en scène le jeu des acteurs publics et suppose de s’intéresser à la manière dont s’articulent ces jeux d’acteurs. Les politiques municipales ne peuvent être complètement deconnectées des politiques publiques portées à un échelon scalaire plus grand. En effet, le surf n’intéresse pas que les élus municipaux. Il est intégré dans des politiques publiques menées à plus grande échelle embrassant les questions relatives au développement touristique, économique, social, culturel. Son appropriation marque-t-elle pour autant un changement de paradigme ? Cette appropriation traduit-elle une forme de crise de la politique présentée comme effective « lorsque les matrices cognitives et normatives légitimes et/ou la configuration institutionnelle et/ou l’équilibre des rapports de forces éprouvés jusque là se trouvent remis en cause par l’accumulation d’anomalies dans le sous-système de politique publique considéré ? » (Muller, Surel, 1998 :138). Ces questions méritent d’être examinées puisque l’on ne saurait se contenter des affirmations de Christophe Guibert sur la question qui précise que « le surf est une pratique dévaluée dans le système des goûts de la municipalité et ne correspond

76 pas au “référentiel” - [l’auteur introduit ici et seulement ici la référence aux travaux de Pierre Muller] – de la politique menée » ( Ibid :119). C’est la raison pour laquelle, cette recherche accordera une place prépondérante à l’émergence du référentiel des politiques publiques, porté par l’État, en matière de sports de nature auxquels le surf appartient et présentera quels sont les outils de planification territoriale produit dans le cadre de l’exercice d’une compétence légale conférée aux départements dans le cadre de la décentralisation. L’intérêt consiste alors à examiner la nature du changement introduite par l’institutionnalisation des territoires du surf. Ce changement est-il de nature incrémentale ou paradigmatique ? L’étude de cas de la politique conduite par le Conseil général des Landes, proposée dans le chapitre cinq, permettra de caractériser la nature du changement des politiques publiques marqué par l’appropriation du surf, entendu comme phénomène sociogéographique, par les pouvoirs publics.

1.2.2 Qu’est-ce qu’être surfeur ? Une définition dichotomique

La question fondamentale qui sous-tend l’ouvrage d’Anne-Sophie Sayeux 32 est la suivante : « Que font réellement les surfeurs quand ils disent qu’ils font du surf ? ». Ce qui intéresse l’auteur c’est de comprendre comment les surfeurs se caractérisent et se définissent dans une logique d’interactions avec le monde extérieur. Son approche revendique une analyse anthropologique et sociologique. Ainsi, Anne-Sophie Sayeux démontre qu’il existe un certain décalage entre la vision locale de la « culture surfique » portées par les surfeurs enquêtés et la vision plus globale véhiculée et diffusée par les médias, les industries du surf, les pouvoirs municipaux et fédéraux. Elle procède donc à une distinction entre ceux qui ont « appris à être surfer » et ceux qui ont « appris à surfer ». Les premiers, par l’imprégnation et l’expérimentation seraient les garants d’une culture surf authentique, les seconds, passés sous les fourches caudines des instances fédérales, ne seraient que des ersatz de surfeurs. Si l’idée de procéder à une distinction entre les autodidactes et ceux qui suivent des enseignements semble tenir la route, celle-ci mérite, malgré tout, quelques approfondissements. En effet, force est de constater que cette approche est sans doute trop manichéenne entre d’une part des surfeurs indépendants, garants d’une culture illégitime mais sublimée sous la plume de l’auteur, car porteurs d’un

77 esprit libertaire et inscrits dans une logique de transmission des savoir-faire et savoir-être, et d’autre part des surfeurs ayant appris à surfer en intériorisant des modèles d’enseignements fédéraux. À cet égard, rares sont les surfeurs fréquentant les écoles de surf dont on retrouve les traces d’entretiens. L’auteur consacre en revanche de longues pages à décrypter les propos de Gibus de Soultrait ou de Christophe Reinhart dont la notoriété au cœur du paysage médiatique et particulièrement étriqué du monde du surf n’est plus à démontrer. Ainsi, on peut se demander si, au regard de cette notoriété, l’auteur n’aurait pas survalorisé les propos de ces figures emblématiques de la pratique, qui se présentent comme les garants d’une culture surf authentique. Le fait que l’auteur envisage les acteurs fédéraux comme des « entrepreneurs de morale » qui souhaiteraient normer une pratique qu’ils considéreraient comme « sauvage » n’est-il pas à mettre au profit de cette survalorisation de la parole de surfeurs pionniers et emblématiques ? En d’autres termes cette disqualification de la Fédération Française de Surf ne permet-elle pas de dédramatiser, voire de légitimer, les violences exercées par les garants des règles coutumières ?

Quoiqu’il en soit, l’ouvrage a le mérite de mettre en lumière les différentes stratégies employées pas certains surfeurs pour défendre leur pratique. À ce sujet, Anne- Sophie Sayeux décline différents types d’affrontements : symbolique, c’est-à-dire une forme médiatisée de bataille visant à déstabiliser les nouveaux arrivants, stratégique qui permet de prouver la maîtrise d’un lieu et de la technique ainsi que les interactions, et physique lorsque les deux premiers registres sont épuisés. Néanmoins, même si elle évoque la défense d’un « territoire symbolique », Anne-Sophie Sayeux n’examine pas en profondeur les raisons de ces affrontements. En d’autres termes, pourquoi les surfeurs défendent-ils, bec et ongles, ce « territoire symbolique » ? Enfin, l’auteur consacre également une part de son étude au processus de féminisation de la pratique du surf. Elle démontre que les femmes permettent une forme de pacification des rapports à l’eau. Cela dit, l’auteur constate également que si les hommes surfeurs sont plutôt bienveillants à l’égard des surfeuses, cela ne va pas sans une forme d’infantilisation. Par ailleurs, au regard de la domination masculine qui prévaut dans la pratique du surf, l’auteur affirme que les femmes ont plusieurs solutions pour trouver leur place : « la virilisation, la distanciation ou bien encore la dérision ». Cependant, là encore, c’est la nature des conflits

32 Anne-Sophie Sayeux. Surfeurs, l’être au monde : une analyse socio-anthropologique . Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2008, 217 p.

78 qui est examinée. Peu de choses sont dévoilées quant à l’origine de ces conflits, c’est-à- dire ce qui pousse certains surfeurs à défendre le lieu-vague approprié. Manifestement, là encore une fenêtre s’ouvre sur les contours de ce que les recherches sur le surf n’ont pas encore exploré : le rapport du surfeur à la vague.

1.3 Le rapport du surfeur à la vague

Les critiques des travaux sur le surf peuvent apparaître comme très acerbes. Cependant, les diatribes formulées se veulent constructives et entendent, non pas pointer les insuffisances des travaux conduits jusqu’ici, mais bien délimiter les perspectives de recherches à conduire. Ces critiques qui peuvent apparaître comme bien péremptoires permettent malgré tout de mettre au jour le fait que, rarement, le rapport spatial du surfeur à la vague n’a été étudié.

1.3.1 La territorialisation des surfeurs, un processus inexploré

Au-delà de ces ouvrages fondateurs, rédigés dans les années quatre vingt dix, qui participent de la construction du surf et des surfeurs comme objets d’étude légitimes en sciences sociales, il faut souligner que quelques articles scientifiques viennent renforcer ou alimenter les réflexions. Jean-Pierre Augustin (Augustin, 1997b) présente les recompositions du tourisme sportif sur le littoral aquitain à l’aune du développement du surf. Il évoque les transformations des modes d’utilisation de l’espace littoral et les nouvelles questions d’organisations et d’aménagements des espaces côtiers que supposent ces transformations. La même année, l’universitaire bordelais, aidé dans sa réflexion par Christian Malaurie (Augustin, Malaurie, 1997), présente les modalités de diffusion du surf dans le monde et l’impact de cette médiatisation à l’échelle des territoires. Il précise que la médiatisation des vagues à travers le monde, opérée par la presse spécialisée, permet de qualifier dans l’imaginaire collectif certains espaces côtiers. Dès lors, ces espaces littoraux réputés pour la qualité de leurs vagues deviennent des destinations touristiques majeures pour la niche de clients potentiels que constituent les surfeurs. Il suffit pour s’en convaincre de constater l’engouement mondial que suscite l’île de Bali dans le microcosme

79 du surf mondial. L’évocation des vagues de Padang-Padand, d’Uluwatu ou encore de Dreamland suffit à remplir des charters entiers de surfeurs, issus du monde occidental, en provenance d’Europe, des États-Unis ou d’Australie, à la recherche de sensations de glisse et d’exotisme culturel.

En 2002, Jean-Pierre Augustin coordonne un numéro thématique de la revue Sud- Ouest Européen, Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest , consacré aux territoires et aux pratiques sportives dans le sud-ouest. Outre les articles retenus par le coordonnateur traitant du rugby, de la pelote basque, du football ou encore de l’équitation, Jean-Pierre Augustin retient notre contribution sur le surf. Aussi, avec Michel Favory, on revient sur les processus d’intégration territoriale du surf au cœur des stations balnéaires de la côte basque (Falaix, Favory, 2002). L’intégration du surf n’est pas seulement sportive ; elle est également sociale, culturelle, économique et engendre donc de profondes modifications de l’organisation spatiale dont les pouvoirs publics souhaitent s’emparer dans les projets d’aménagement inaugurant alors de nouvelles modalités de gestion territoriale. Cet article cherche à « revisiter le concept géographique proposé par Jean- Pierre Augustin de “station surf” » ( Ibid :52) au bénéfice de la construction d’une notion de « station du surf » qui permet de tempérer les affirmations de Jean-Pierre Augustin, c’est-à-dire de reconnaître, certes, l’intégration sociale, culturelle, économique, spatiale du surf dans les stations balnéaires du littoral aquitain mais sans pour autant octroyer à ce processus un caractère d’exclusivité à l’heure de témoigner de la structuration territoriale de ces stations littorales. Cet article entend alors démontrer que « l’organisation spatiale des pratiques dans les stations de la côte basque est profondément modifiée par la culture du surf [et que] s’opère une recomposition sociale, économique et territoriale des espaces littoraux… au cœur d’une organisation territoriale établie dans ses routines touristiques » (Ibid :59). L’article met en avant le fait que ces recompositions ne permettent pas, à elles seules, de mobiliser le concept de « stations surf [qui] se caractérisent surtout par des aménagements urbanistiques lourds : fronts de mer, postes de surveillance, accès à l’océan et résidences littorales » (Augustin, 1994 :110).

En 2004, Jean-Pierre Augustin et Alain Escadafal (Augustin, Escadafal, 2004) mettent en lumière les ambiguïtés des formes d’actions municipales en faveur du surf sur la côte aquitaine à partir des exemples de Biarritz, Seignosse et Lacanau. Ils démontrent la réticence de ces municipalités à développer une offre touristique liée au surf. Ils mettent

80 également en exergue le rejet des surfeurs par certains élus tout en évoquant la dimension paradoxale puisque ces mêmes élus exploitent le surf comme un axe fort de la communication à des fins de développement territorial décliné sous l’angle économique, touristique, social et culturel.

Christophe Guibert, quant à lui, démontre que les vagues de la côte aquitaine constituent une ressource territoriale privilégiée pour les collectivités locales (Guibert, 2004). Il décrypte la manière dont certaines municipalités du littoral aquitain s’emparent du phénomène surf pour bâtir des discours d’énonciation territoriale à des fins de développement touristique. Cependant, Christophe Guibert met également en lumière le fait que tous les élus municipaux n’adoptent pas la même posture (Guibert, 2006). À partir de l’exemple de la ville d’Hossegor, dans le département des Landes, il démontre que les élus dévaluent la clientèle représentée par les surfeurs pour concentrer leurs stratégies de communication territoriale autour de l’élégance océane dont le golf, le casino, le lac intérieur sont les espaces emblématiques pour attirer une clientèle au pouvoir d’achat bien plus important que celui des populations glisse. Christophe Guibert développe alors l’idée que, malgré la proximité spatiale de ces deux types de clientèle touristique, les processus de distanciation sociale, chers à Bourdieu (Bourdieu, 1979), ne se réduisent pas pour autant. Christophe Guibert souligne qu’il existe à Hossegor une double modalité d’appréhension de l’espace physique qui fait cohabiter deux usages distincts de la cité balnéaire : d’une part, les surfeurs qui recherchent le spot et la vague et d’autre part, les clientèles touristiques plus aisées qui fréquentent les lieux de distractions propres à leurs mœurs sociales tels que le golf ou le casino. Ces deux types de rapports sociaux à l’espace concourent ainsi à l’exacerbation de la distance sociale.

En 2008, Anne-Sophie Sayeux publie pour sa part un article mettant en avant deux catégories de surfeurs (Sayeux, 2008). Elle distingue d’une part ceux qui ont appris à être surfer et d’autre part, ceux qui ont appris à surfer . Les premiers ont acquis à partir d’une imprégnation, d’une observation, d’une expérimentation dans le milieu local les règles coutumières liées à la pratique du surf. Les seconds ont appris le surf au cœur de structures où des professionnels, formés par la Fédération Française de Surf, assurent l’encadrement technique et pédagogique. Au-delà de cette distinction, Anne-Sophie Sayeux démontre dans quelle mesure cette catégorisation permet de décoder les affrontements au sein des communautés de surfeurs. Les affrontements qu’ils soient symboliques (démonstration de

81 force), stratégiques (capacités techniques et physiques) relèvent de la même logique. Selon l’anthropologue, le fait que la Fédération Française de Surf se pose comme l’unique garant des règles et des normes engendrerait des formes de résistances de la part de ceux qui ont forgé les règles coutumières.

En 2009, on apporte également une modeste contribution aux réflexions que conduisent les universitaires sur cette thématique (Falaix, 2009). L’article a pour ambition de démontrer comment les logiques de standardisation, de normalisation et d’institutionnalisation des pratiques et des espaces de pratique fomentent des comportements déviants chez certaines franges de la « population glisse 33 » qui survalorisent ce qu’ils revendiquent comme leur espace de pratique. C’est donc bien le rapport à la vague qu’entretiennent ces surfeurs pour élaborer leur territorialisation qu’il convient d’interroger pour rendre intelligible leurs déviances. Car poursuivre la logique de normalisation, de standardisation… prônée par de nombreuses collectivités territoriales ou institutions publiques peut être perçue par certains surfeurs comme une forme de destitution du caractère symbolique de l’espace de pratique remettant en cause, au cœur de ces populations, la survie, l’essence de leur passion. Aborder la thématique du surf en privilégiant le rapport à l’espace-vague qu’entretiennent les surfeurs peut alors constituer un outil dans le cadre de la conduite des politiques d’aménagement et de développement territorial. Cet article restitue, non sans quelques lacunes et insuffisances conceptuelles au regard de sa publication précoce dans l’histoire temporelle de cette recherche, la problématique et les hypothèses de cette recherche.

1.3.2 La vague : l’espace habité du surfeur ?

Gilles Deleuze affirmait que « partout le surf a déjà remplacé les vieux sports » (Deleuze, 1990) et il suffit pour s’en convaincre d’arpenter les plages du littoral aquitain, d’analyser les brochures publicitaires élaborées par les collectivités territoriales, de répertorier les événements sportifs et culturels ayant le surf pour objet ou encore de dénombrer les infrastructures dédiées à cette activité. Le surf investit donc le champ

82 sportif, économique, culturel, social et environnemental. Mais l’avènement de cette pratique sportive interroge également la géographie dans la mesure où le surf impose de nouveaux rapports au littoral qui transforment l’organisation spatiale des stations océanes de la côte aquitaine. Ainsi s’opère une recomposition sociale, économique et territoriale des espaces. Participent-elle pour autant d’une requalification des produits et des espaces touristiques ? Les pouvoirs publics, conscients des enjeux qui se tissent par le biais de ces pratiques ludo-sportives, cherchent à intégrer ces données d’une part dans les projets d’aménagement, et d’autre part dans les stratégies de développement touristique. Une nouvelle gestion de l’action publique territoriale voit le jour. L’intégration sociospatiale du surf oriente la mise en place d’équipements adaptés, d’aménagements spécifiques quant aux accès aux plages et structure une nouvelle forme de la « sociabilité plagique » (Urbain, 2004). L’un des enjeux, pour les élus locaux, consiste-t-il à concilier la promotion d’une activité sportive, génératrice de nouveaux espaces, au cœur d’une organisation territoriale établie dans ses routines touristiques ? Cette gestion territoriale et touristique s’inscrit dans une logique visant à encadrer ce néo-paradigme qui valorise « l’impératif de s’amuser, d’exploiter à fond toutes les possibilités de se faire vibrer, jouir, ou gratifier » (Baudrillard, 1970). Les gestionnaires du développement touristique cherchent à étoffer l’offre touristique locale sur le littoral aquitain. Le surf est alors un produit d’appel touristique.

Néanmoins, bien que le surf se démocratise et s’institutionnalise, force est de constater que la plupart des surfeurs restent en marge des structures d’encadrement. De récents chiffres communiqués par le cluster Eurosima font état de 300 000 pratiquants en France 34 . Cependant, moins de dix mille d’entre eux sont licenciés. D’autre part, les surfeurs, dans leur grande majorité, nourriraient un rapport singulier avec leur univers social et spatial dont la vague serait la métaphore de cette singularité. Les logiques de développement et de communication auxquelles s’adonnent les pouvoirs publics sont-elles compatibles avec ce rapport à caractère hautement symbolique qu’entretiennent les surfeurs avec leur environnement spatial et social ? En d’autres termes, il s’agit de comprendre si cette politique de gestion territoriale et de promotion touristique, inscrite sur

33 On emploie le terme de population glisse dans la mesure où l’on ne souscrit pas à la distinction opérée par Anne-Sophie Sayeux. On trouvera également l’emploi du terme surfeurs qui se veut volontairement englobant dans la mesure où cette recherche n’envisage pas de procéder à une catégorisation des populations glisse dont on reconnaît le caractère hétérogène.

83 un marquage territorial et sportif centré autour de l’activité surf, de sa commercialisation, de sa mise en scène « (géo-)graphique » à des fins de prospective territoriale (Debarbieux, 2002), peut générer des conflits spatiaux et fomenter l’émergence de revendications territoriales. En effet, dans la mesure où les pouvoirs publics s’emploient à standardiser, à quadriller, à normer les espaces de pratique, à uniformiser la culture surf dans une représentation caricaturale, sinon stigmatisante, les surfeurs ne sont-ils pas destitués de leurs espaces initiatiques et n’adoptent-ils pas en réaction des comportements déviants, métaphores de leurs revendications sociales et territoriales ?

Dans ce contexte, le géographe ne peut-il pas offrir des clés d’interprétation quant aux manières dont les surfeurs appréhendent et vivent leur rapport à la vague afin que les aménageurs et les gestionnaires de l’offre touristique locale puissent intégrer ces dimensions dans leurs logiques de développement ? L’enjeu apparaît d’autant plus primordial puisque, à la lumière d’une observation participative de longue haleine, et depuis que les pouvoirs publics investissent le monde du surf, on a constaté l’émergence puis la pérennisation de comportements violents adoptés par certains surfeurs exprimant alors leur mécontentement à l’idée que le surf se démocratise et s’institutionnalise. L’objet de cette recherche consiste donc à dévoiler ces formes de résistances et de contestations dont on formule l’hypothèse qu’elles sont le fruit des perceptions des surfeurs à l’égard des constructions territoriales produites par les acteurs institutionnels. En revanche, tendre vers de telles démonstrations appelle sans aucun doute à adopter une position singulière au sein de la discipline géographique. Un positionnement qui défend la nécessité d’appréhender le concept d’habiter pour dégager la dimension cosmogonique de l’acte spatial du surfeur. Car, est-ce en « pratiquant » la vague (De Certeau, 1990) que les surfeurs « habitent » (Heidegger, 1954) et « consacrent » ce lieu afin de sanctionner leur territorialisation (Eliade, 1957) ?

Autrement dit, en glissant sur la vague, les surfeurs révèlent-ils le caractère symbolique et sacré du lieu ? Habitent-ils la vague en poète ? Forts d’un tel vécu, enrichis d’une telle confrontation avec les fonctions transcendantales de l’espace, les surfeurs se l’approprient-ils sur un registre affectif et intuitif qui préside à la construction d’un territoire ? Néanmoins, si ce territoire constitue pour eux l’un des derniers remparts à la

34 Eurosima. Rapport d’activités EuroSIMA 2010-2011 , 11 p.

84 standardisation et à la normalisation croissante des espaces ne tendent-ils pas à le survaloriser ? C’est pourquoi, il conviendra d’interroger ces surfeurs d’une part pour saisir le caractère intime de leur rapport à l’espace-vague afin de mettre en évidence la dimension affective qu’ils mobilisent dans le cadre de cette territorialisation, d’autre part d’analyser les modalités de constructions territoriales produites par les pouvoirs publics et plus encore la manière dont sont perçues par les surfeurs cette gestion sociale et spatiale de l’objet surf dans l’optique de comprendre les contestations et résistances qu’ils convoquent face à celles-ci. Mais alors quels concepts mobilisés en géographie convient-il t’interroger pour appréhender la dimension symbolique, affective et émotionnelle qui transpire dans l’acte de spatialisation et le processus de territorialisation ? Faut-il dépasser les apports théoriques développés jusqu’ici en géographie ? C’est, du moins, la conviction de Philippe Bourdeau. Car, précise-t-il : « alors que la recherche géographique tend à privilégier les objets socialement normés, les maillages politico-administratifs et les groupes sociaux localisés qui fondent “consistance territoriale” des formations socio-spatiales conceptualisées par Guy Di Méo, de telles références semblent en grande partie inopérantes pour appréhender du point de vue de l’objet géographique les espaces de pratique sportive de nature » (Bourdeau, 2003 :24).

Ce géographe propose donc d’interroger la dialectique entre « l’ici et l’ailleurs » comme moteur de l’investissement émotionnel des individus vis-à-vis de leurs espaces de pratique sportive de pleine nature. La production des néoterritorialités sportives marqueraient alors un refus du cadre spatial quotidien aliénant et serait alors une forme de résistance, voire de fuite. Néanmoins, Philippe Bourdeau souligne également combien il est difficile pour le chercheur d’embrasser « les schèmes idéologiques et les représentations géo-culturelles que [cette dialectique “ici-ailleurs”] met en œuvre [et] de démêler les stéréotypes des interprétations construites et distanciés » (Bourdeau, 2003 :38). On partage cette idée que c’est bien « la connotation […] qui fonde le statut attractif » de l’espace (Bourdeau, 2003 :38). En revanche, Philippe Bourdeau interroge cette connotation à travers la seule dialectique ici-ailleurs. Il appréhende la production des néoterritorialités sportives comme expression d’une opposition au vécu émotionnel ressenti par les habitants dans leur univers sociospatial quotidien. Il rejoint ainsi les analyses d’Henri Laborit qui, dans l’étude du rapport de l’homme à la ville, identifie trois types d’individus qui coexistent et dont les tempéraments conditionnent leurs rapports à l’environnement spatial. En effet, Henri Laborit distingue en premier lieu l’homme

85 d’action. « Son activité s’inscrit chez lui dans le cadre des automatisme sociaux et, dans ce cadre, le bien-être, la satisfaction des besoins se contente de l’action efficace sur l’environnement ». Le second type, « c’est l’homme soumis, conforme à la représentation du modèle imposé par la société à laquelle il appartient acceptant ses préjugés, ses jugements de valeurs et ses hiérarchies ». Quant au troisième type d’individus, « il ne peut se satisfaire des automatismes acquis. Comme il n’est plus satisfait non plus par son action sur l’environnement… il se trouve en quelque sorte conduit, canalisé vers l’imaginaire ». Ceux qui produisent ces néoterritorialités sportives sont-ils des hommes, conscients de leurs insatisfactions quotidiennes, et par conséquent canalisés vers l’imaginaire à partir duquel ils trouvent les ressorts psychologiques pour produire de nouveaux territoires ? Créent-ils ainsi le monde qui leur convient ? Au risque d’une digression, Henri Laborit, dont les propos n’engage que lui, pointe les risques pour l’individu induits par la mobilisation de cet imaginaire dans le cadre de l’action sur l’environnement : « s’il abandonne toute relation avec le réel, il évolue assez rapidement vers la psychose. S’il joue le jeu social sans y croire, son ascension hiérarchique est évidemment fortement compromise. Mais s’il se réserve suffisamment de temps pour se construire logiquement un monde imaginaire où il puisse vivre, il fait un artiste ou un créateur scientifique… Ce type d’individus est sans doute le plus fragile, fréquemment au bord de la psychose ou de la toxicomanie. En effet, s’il souffre de son insuffisance imaginative, il peut chercher à favoriser sa fuite de la société. Le cas est plus fréquent chez les créateurs littéraires que chez les scientifiques… Le véritable novateur est celui qui tente d’échapper à la société qui lui est imposée parce qu’il est incapable de s’y soumettre, et qu’il ne se trouve pas satisfait par l’action dès lors que cette action n’est pas capable de transformer le cadre relationnel dans lequel il est plongé » (Laborit, [1971], 2001 :138).

Sans renier l’apport fondamental des travaux de Philippe Bourdeau, ni la qualité des approches théoriques et des études de terrain, cette recherche ambitionne, au risque de verser dans la prétention et l’immodestie, de dépasser l’usage de cette notion de l’ailleurs, entendu comme métaphore exclusive d’un refus sociospatial du quotidien, et « comme apte à désigner un ensemble d’espaces associés à des pratiques récréatives, représentés positivement et rendus attractifs par des propriétés variables d’éloignement et d’altérité physique et culturelle » (Bourdeau, 2003 :38). Car, s’en remettre à l’examen de l’ailleurs , entendu comme un cadre socio-spatial oppositionnel à un ici stigmatisé et profondément insatisfaisant pour les individus, comme seule clef de lecture pour penser le rapport de

86 l’individu à l’espace c’est occulter l’intentionnalité initiale que sous-tend le projet de territorialisation des acteurs, le projet existentialiste de l’homme puisque, comme le souligne Jean-Paul Sartre, « l’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie » (Sartre, 1946).

Cette recherche prétend donc dépasser « l’objet problématisé “rapport à l’ailleurs” [dont l’objectif] est bien de renforcer l’intégration au champ de la géographie de nouvelles questions et nouveaux objets d’étude, pleinement inscrits dans la dynamique sociale, spatiale et territoriale du début du vingt et unième siècle » (Bourdeau, 2003 :42) pour explorer, plus encore, le rapport intime de l’individu au lieu non pas seulement pensé comme mode de transposition de son univers social mais plus comme un existentialisme. Cette recherche entend comprendre le témoignage de Philippe Leport. Il précise dans une interview concédée aux journalistes du magazine Surf Session que même s’il a connu « pas mal d’endroits paradisiaques dans le monde, son paradis reste Guidel. [Car,] être à quelques centaines de mètres de la maison familial sur ce caillou que j’aime tant et qui est un paradis pour ceux qui aiment la mer. J’ai pas mal voyagé et cela reste pour moi un des plus beaux endroit au monde 35 ». L’enjeu apparaît fondamental dans la mesure où ce n’est plus la quête d’un ailleurs qui s’inscrirait comme une fuite géographique face au quotidien, à l’ ici , qui transpire dans les justifications avancées par ce surfeur. Cette recherche, répétons-le, explore une géographie de l’intime qui ambitionne d’interroger le rapport de l’individu aux lieux dans sa dimension ontologique, support fondateur de ses territorialités et de ses territorialisations. Affirmer que l’acte géographique des individus, c’est-à-dire la spatialisation qui préside à l’émergence de territorialisations et produit des territorialités, sous-tend un projet existentialiste permet alors de ne plus envisager l’espace comme seulement « sociétal de part en part » (Lévy, Lussault, 2003). Cette recherche réfute donc la géographie entendue comme le moyen d’analyser le rapport de l’individu à l’espace comme seule et unique transposition de l’expression de ses modes d’intégrations des normes et dynamiques sociales et spatiales pour envisager ce rapport comme l’essence d’un projet existentialiste ; comme une soif de vivre. Par conséquent, le projet de cette recherche, ayant le surf comme terrain d’étude, consiste à comprendre ce qui pousse les hommes à se spatialiser sur la vague ; ce qui pousse Jérôme, surfeur, à nous livrer ses

35 Surf Session , n°292, novembre 2011, p 94.

87 sentiments à l’occasion d’un courriel envoyé pour relater sa dernière session de surf qui, au final, n’en fut pas une compte tenu des conditions hydromarines :

« Je suis à Bisca [comprendre Biscarosse] depuis samedi soir. Toutes petites conditions ces jours-ci, rien à se mettre sous la dent après les grosses vagues de la fin de la semaine passée. Mais c'est un plaisir d'y être. J’ai fais une longue balade tout à l'heure avec deux potes et leurs fils, et moi avec le mien. De la plage sud jusqu'à celle du Vivier au bord de l'eau, pour finir sous la pluie. Une belle lumière. De quoi revivre ! 36 ».

Cette recherche poursuit l’ambition de comprendre ce qui pousse les surfeurs à affirmer, lorsqu’ils sont interrogés sur les raisons pour lesquelles ils surfent, que « surfer est un moyen d’existence, surfer, c’est aller à la recherche de son être en explorant des sensations, des émotions, voire des peurs… Surfer c’est se trouver soi-même, c’est avoir la garantie de sentir battre son cœur, c’est l’amour de la vie, c’est le moyen de se sentir vivant, c’est préférer vivre une seconde dans le tube plutôt qu’une centaine d’années partout ailleurs sur terre, c’est préférer être dans que dehors, c’est la chose la plus réjouissante après le sexe, c’est le moyen d’envisager les choses de la vie avec recul, c’est l’essence même de la vie, c’est le moyen d’accéder à la méditation, c’est la recherche d’expériences renouvelées chaque jour, c’est être sur d’avoir été vivant avant de mourir, c’est le lieu, la maison où l’on se ressource 37 … ».

L’intention est bel et bien de comprendre quelles sont les émotions que Jérôme et ces autres surfeurs anonymes ressentent et projettent durant leurs expériences spatiales et qui les autorisent à penser qu’à travers ces émotions ils se sentent « (re-)vivre ». Cette recherche explore donc les territorialisations des individus comme fruits de leur « conscience rêveuse », « des images de l’espace heureux », « des espaces louangés », de « la topophilie » (Bachelard, 1957), de l’irrationnel apparent, propre de l’homme, du difficilement perceptible, du subjectif et du mystique. Elle traque les rêves d’enfant, les utopies de l’adulte, les aspirations profondes, les affects, les stratifications émotionnelles de l’histoire individuelle où se niche l’ensemble des désirs existentialistes. Elle ausculte l’intimité des individus non plus pensés comme de simples êtres socialisés qui

36 Courriel adressé le 12 juillet 2011 dans le cadre d’une correspondance souhaitée par le chercheur. Le choix méthodologique est, bien entendu, présenté dans les pages suivantes. 37 Réponses glanées sur le site Internet Billabong – Voir Introduction.

88 projetteraient sur l’espace la seule intériorisation de leurs modalités de socialisation. Au contraire, elle appréhende les hommes dans leurs volontés d’existence dont les choix de spatialisation sont l’une des manifestations. Par conséquent, cette recherche aspire à traquer cet étrange paradoxe de la modernité et consiste donc à comprendre que « de ses différentes productions fonctionnelles, toutes issues d’une même conception technicienne du monde, émergent parfois des pratiques et des usages où perdurent l’envoûtement nébuleux du sacré, sacrifices, dévotions, craintes, mythes » (Bégout 38 , 2003 :26). Il s’agit alors, ni plus, ni moins, d’embrasser la vie humaine qui « au sein de la quotidienneté colonisée par la consommation de masse offre ainsi une résistance à l’épuration fonctionnaliste, en laissant transparaître des comportements qui témoignent d’une religiosité bâtarde, sauvage, non-officielle, comme si, à l’époque moderne du désenchantement du monde, les rites fondamentaux de la religion (baptême, funérailles, justice finale, alliance, communication avec l’au-delà, etc.) avaient discrètement migré, sous une forme composite, vers la vie quotidienne et continuaient d’exister là, méconnaissables et clandestins, dans un environnement dépourvu de toute mysticité » (Ibid :26).

C’est la raison pour laquelle, même si l’on accorde le plus grand crédit à l’analyse de la dialectique « ici-ailleurs », à la force des représentations géo-culturelles, à l’exploration des mobilités quotidiennes, comme modes de territorialisations, on souhaite, enrichis par cette histoire disciplinaire de la géographie, aller plus loin pour examiner « les rêveries d’habiter » et rendre ainsi compte du fait que « l’espace saisi par l’imagination ne peut rester l’espace indifférent livré à la mesure et à la réflexion du géomètre 39 . Il est vécu. Et il est vécu, non pas dans sa positivité, mais avec toutes les partialités de l’imagination. En particulier, presque toujours il attire. Il concentre de l’être à l’intérieur des limites qui protègent » (Bachelard, [1954], 2001 :17). C’est pourquoi, on se propose d’élaborer une géographie de l’intime pour examiner cette concentration de l’être observable au cœur de l’espace habité. On prétend que l’analyse du rapport du surfeur à la vague permet de poursuivre ce projet.

38 Bruce Bégout est Maître de Conférences à l’Université de Bordeaux III. Il a publié plusieurs ouvrages philosophiques, dont quatre essais publiés aux éditions Allia : Zéropolis. L'expérience de Las Vegas , 2002 ; Lieu commun. Le motel américain , 2003 ; La Découverte du quotidien. Éléments pour une phénoménologie du monde de la vie , 2005 ; De la décence ordinaire , 2008, mais aussi des fictions romanesques comme L'Éblouissement des bords de route en 2004 et Sphex en 2009. Ses travaux se consacrent à l'exploration du monde urbain, de la signification des lieux communs mais aussi au quotidien. 39 On se risquerait même bien volontiers à écrire « du géographe » en lieu et place « du géomètre » !

89 1.3.3 Vers une géographie de l’intime ?

Edgar Morin nous révèle que « ce n’est pas seulement l’intrusion d’une composante affective ou magique qui peut nous tromper dans nos perceptions, c’est aussi le fonctionnement d’une composante apparemment logique et rationnelle. Autrement dit, il nous faut nous méfier, dans notre perception, non seulement de ce qui nous semble absurde, mais aussi de ce qui nous semble évident, parce que logique et rationnel » (Morin, 1981 :19).

Or, la géographie, conventionnelle ou classique, apprend à aborder les territoires selon ses composantes économiques, sociales et environnementales. A ce compte là, seule préside la recherche des logiques évidentes et rationnelles. Les tenants de cette géographie, dont Roger Brunet est la figure de proue, établissent des chorèmes (Brunet, 1990), représentations schématiques de l’espace. Au regard du rôle fondamental que jouent en ce domaine les conditions objectives d’existence, ils élaborent des modèles d’organisation du territoire. Ils les qualifient volontiers de métastructures spatiales, afin d’exprimer le conditionnement relatif, la détermination structurale, de comportements soumis à la pression, au contrôle inlassables de structures sociales et spatiales. À leur contact, on n’est donc pas plus renseignés sur l’acte premier qu’est habiter . En d’autres termes, affirmer le rôle prépondérant des structures sociales et spatiales sur les actions individuelles ne renseigne pas plus sur le projet téléologique des habitants. Quelle est alors la place des individus, entendus comme acteur-habitant du processus de territorialisation, au cœur de cette approche géographique ? Quel degré de méfiance doit-on observer à l’égard de cette rationalité géographique qui définit les territoires selon des modèles, qui propose des diagnostics, des projets de développement et d’aménagement, des scénarios prospectifs… Comment réintroduire la dimension mythique, la représentation spatiale que se construisent les habitants ? Comment penser la manière dont la réalité de l’espace physique prend corps chez l’être humain à travers le « processus d’intellection » mettant en jeu les manières dont les individus sont affectés par les caractéristiques physiques du lieu ? Quid de ces questionnements investis à travers l’examen de la pratique du surf ?

Les études sur le surf sont donc multiples, fécondes et abordent des problématiques différentes. Néanmoins, malgré les avancées scientifiques sur le sujet, que sait-on

90 précisément de la manière dont les surfeurs vivent leur rapport à la vague ? À vrai dire pas grand-chose. En effet, si les études conduites jusqu’ici témoignent des recompositions spatiales induites par le surf, des composantes sociologiques de ces communautés, des stratégies politiques adoptées à l’encontre de cet univers sportif… rien, ou presque, n’est dit sur les modalités de territorialisation des surfeurs. Une question, non traitée jusqu’ici, reste donc en suspens et constitue la problématique centrale de cette recherche :

Comment les surfeurs habitent-ils la vague ?

Par ailleurs, les surfeurs ont leur propre géographie. Ils migrent au gré des conditions climatiques, investissent des espaces spécifiques au cœur du tissu urbain… Or leur spatialisation n’est pas sans interpeller les pouvoirs publics qui élaborent des procédures d’aménagement et tentent de les contrôler. Bien entendu, chaque opérateur public défend sa stratégie. Néanmoins, ces différentes stratégies de développement territorial, entendues comme de véritables politiques publiques en faveur de l’activité, se superposent-elles et concourent-elles à faire du surf une véritable « ressource territoriale » pour le littoral aquitain (Gumuchian, Pecqueur, 2007) ?

Comment les surfeurs vivent-ils l’action publique sur leurs pratiques et leurs espaces de pratique ? Manifestent-ils des résistances face à ces politiques publiques. Le cas échéant, quelles sont les manifestations géographiques de ces résistances ?

C’est précisément ces champs d’interrogations que l’on souhaite investir à travers cette recherche. Néanmoins, avant de se lancer dans ces études encore convient-il de préciser le terreau conceptuel sur lequel celles-ci prennent racine. Dans la mesure où l’on souhaite décrypter les registres d’appropriation du lieu-vague qui président au/aux processus de spatialisation des surfeurs encore convient-il de revenir sur les travaux des chercheurs, et pas seulement des géographes, qui se sont emparés de ces questions de spatialisation et d’habitabilité des espaces. C’est la raison pour laquelle, on explore des

91 concepts élaborés en philosophie puisque l’on partage le sentiment de Thierry Paquot lorsqu’il exprime l’idée que « les géographes et les anthropologues s’évertuent à décrire et à interpréter les “les modes d’habiter” de telle ou telle population, il s’agit plus là d’un regard sur l’“habitation” ou l’“habitat” que sur “habiter” qui est constitutif de l’existence humaine et exige un autre traitement, plus philosophique » (Paquot, 2007 :11).

Cette recherche s’inscrit donc en rupture avec un courant géographique qui aborde les territoires selon ses composantes économiques, sociales et environnementales. Car, si certains reconnaissent l’espace de vie, les pratiques spatiales quotidiennes comme bases concrète de la territorialité (Di Méo, 2001), d’autres s’emploient davantage à considérer « les actes fondamentaux de la production de l’espace selon des structures élémentaires, qui les produisent et qui produisent leur arrangement » (Brunet, Dollfus, 1990). Une géographie néo-positiviste qui énonce que « la différence principale entre la science et le mythe tient à ce que l’une fait appel à la raison et l’autre à la foi ; que si l’une travaille sur le réel, procède par des hypothèses et vérifications, l’autre est d’abord représentation de soi dans le monde, et de normes de comportement social ; celle-ci est fondée sur la révélation et sur l’interdiction de la preuve » (Brunet, 1997). Les artisans de cette géographie, au regard du rôle fondamental qu’ils accordent aux conditions objectives tant économiques que sociales, élaborent alors des modèles d’organisation de l’espace afin de formaliser une métastructure. Ils répondent au paradigme structuraliste et « ils s’occupent de l’il-y-a des choses ou des êtres sans en considérer l’être » (Berque, 1999) . Manifestement, cette approche géographique qui vise à élaborer des lois spatiales et à tendre vers l’opérationnalité néglige quelque peu la dimension ontologique du phénomène territorial c’est-à-dire qu’elle s’affranchit des différentes modalités intuitives, expérimentales et réflectives que convoquent les individus pour élaborer leur sentiment d’appropriation spatiale. Aussi, conviendrait-il d’entériner le « tournant géographique » qui se dessine et de satisfaire à l’étude de « l’esprit des lieux » afin que la géographie puisse réinvestir le champ humaniste (Lévy, 1999). Cette brève approche épistémologique apparaît pour le moins caricaturale mais traduit néanmoins l’existence de deux courants de la géographie qui nécessitent, à n’en pas douter, une lecture plus approfondie afin de ne pas verser dans une vision quelque peu manichéenne. Toujours est-il que l’on est que trop peu renseignés sur l’acte premier qu’est habiter. Affirmer le rôle prépondérant des structures sociales et spatiales sur les actions individuelles n’informe pas suffisamment sur

92 le projet téléologique des habitants. Effectivement, que sait-on de la manière dont les surfeurs habitent l’espace vague ?

Comment réintroduire la dimension mythique, la représentation spatiale que se construisent les habitants ? Tel est sans doute le défi que propose une géographie de l’intime. Ainsi, adopter cette posture, soit l’analyse dialogique qui consiste à ne pas opposer l’acteur et le système mais à réfléchir aux dialectiques qui s’orchestrent, permet vraisemblablement de rendre intelligible l’amour des surfeurs pour la vague. Ce type de démarche autorise alors à saisir cet étrange paradoxe quant à l’affection que les surfeurs accordent à une portion d’espace maritime, située aux marges de l’écoumène, souvent perçue et représentée comme hostile, à tel point que l’homme mobilise son ingénierie pour s’en défendre.

Or, l’analyse spatiale classique occulte le sens de l’acte d’habiter pour le réduire à une quête raisonnée de réponses à des besoins ou à une recherche d’avantages. Le rapport de l’individu à l’espace est appréhendé dans l’analyse des usages fonctionnels. Dans ce contexte, la poésie, le sensible, l’irrationnel et le sacré n’ont pas leur place. Ainsi, se forge un courant géographique au sein duquel de nombreux géographes réfutent cette acception de la géographie classique qui propose de réduire l’acte d’habiter à l’acquisition de lieux fonctionnels. Ils insistent sur le fait que les individus convoquent leur pensée mythique pour vivre l’espace sur un registre où s’orchestrent leurs émotions, leurs désirs de s’éprouver, de se sentir exister... Ils lisent en l’émergence des territoires l’expression d’une volonté de « vivre l’espace en poète » pour reprendre une formulation heideggérienne. Michel Roux qualifie ces espaces où l’individu exerce sa propre souveraineté comme ceux de la nostalgie. Ces « espaces de la nostalgie » procèdent d’un « projet réel ou métaphorique d’échapper à l’espace et à la pensée trop unidimensionnelle de la civilisation contemporaine, pour revenir à des conditions qui ne dissocient pas la pensée mythique et la pensée rationnelle » (Roux, 1999). Ces géographes rejoignent ainsi les recherches sur l’individu postmoderne menées dans le cadre des investigations sociologiques. La postmodernité « représente le moment historique précis où tous les freins institutionnels qui contrecarraient l’émancipation individuelle s’effritent et disparaissent, donnant lieu à la manifestation des désirs singuliers, de l’accomplissement individuel, de l’estime de soi» (Lipovetski, Charles, 2004).

93

La question est donc la suivante : l’ancrage spatial des surfeurs ne traduit-il pas également leur volonté de vivre l’espace avant tout sur un registre émotionnel, sacré, mythique ? Car, à en croire Peter Sloterdijk, « le projet de la modernité repose sur une utopie cinétique : la totalité du mouvement du monde doit devenir l’exécution du projet que nous avons pour lui ». Cette forme de « mobilisation infinie » produit alors une « intensification de soi-même » qui se caractérise par l’absolue nécessité d’être dans le mouvement perpétuel et interdit, au risque d’une forme de stigmatisation sociale, l’expérience contemplative par définition empreinte d’immobilisme. Ainsi, à l’ère des temps postmodernes, l’individu n’est-il pas en proie au processus de déterritorialisation ? Déterritorialisés, « les renégats de la modernité [ne] cherchent-ils [pas] à déserter la confusion terrestre en se réfugiant dans des ordres cosmologiques ?» (Sloterdijk, [1987], 2003). C’est ce qu’Augustin Berque laisse entendre lorsqu’il mobilise le concept de « désurbanité » présenté comme « la dilapidation du capital physique et moral » de la ville qui n’est pas seulement « constituée de biens matériels collectifs mais des rapports sociaux qui fondent l’urbanité, permettant ainsi aux humains de vivre dans un espace commun » (Berque, 2002 :245).

Ainsi, plus la société se modernise, c’est-à-dire mobilise la raison et le progrès, plus elle précipite les individus dans l’appropriation des espaces spécifiques dont les représentations, les utilisations et les interprétations s’appuient sur leur imaginaire et leurs expériences. Cet imaginaire s’élabore au sein d’un système nourri par le milieu, par les mythes, par les structures de pensée, par les mutations spatiales, économiques, sociales, politiques, culturelles et par les logiques propres à la société de consommation. Par conséquent, à l’heure où la société tend à imposer la nécessité d’un rapport pragmatique à l’espace, on constate, parallèlement, l’émergence de territoires périphériques, inscrits en marge des procédures d’aménagement, qui matérialise le refus de la rationalisation de l’espace. La réappropriation des espaces urbains par les pratiques festives (Di Méo, 2001), l’investissement des espaces de nature pour y pratiquer des activités sportives, sont autant d’exemples qui concrétisent le désir des individus de ne pas sacrifier aux logiques de banalisation de l’espace. La « production de nostalgie » s’organise donc selon un processus de rétroaction négative c’est-à-dire que plus l’espace fait l’objet d’une normalisation et d’une rationalisation, plus les individus élaborent des neo-territorialités

94 qui traduisent leur refus de vivre un espace aménagé au nom des impératifs fonctionnels. Dès lors, cette expérience spatiale, qui participe d’un transfert des matrices sensitives des individus, serait induite par la hiérarchisation, la codification, la standardisation de l’espace, véritables ressorts dogmatiques de la modernité. Or cette dynamique de normalisation spatiale n’introduit-elle pas la production de « non-lieux » (Augé, 1992) ? Cette abondance d’espaces n’offrant que peu de potentialités quant au fait de pouvoir expérimenter en leur sein un rapport jouissif exacerbe-t-elle les attitudes déviantes. En effet, la multiplication des non-lieux, terme utilisé pour « désigner les espaces de la circulation, de la consommation et de la communication qui s’étendent et se multiplient aujourd’hui sur toute la surface du globe » (Augé, 2009 :106) n’engendrent-elle pas des réactions géographiques spécifiques ? Marc Augé souligne les enjeux induits pas la question de la production de non-lieux : « les non-lieux, c’étaient, à mes yeux, des espaces du provisoire et du passage, des espaces sur lesquels on ne pouvait déchiffrer ni relations sociales, ni histoire partagée, ni signes d’appartenance collective. Autrement dit, ils étaient tout le contraire des villages traditionnels africains que j’avais étudiés un peu plus tôt et dans lesquels les règles de résidence, la division en moitié ou en quartiers, les autels religieux quadrillaient l’espace et expliquaient l’essentiel des relations entre les uns et les autres. Cette définition des non-lieux se heurtait à deux limites. D’une part, il est bien évident que le lien social peut se constituer dans des environnements différents ; par exemple les jeunes gens qui se retrouvent dans un hypermarché peuvent en faire un lieu de rencontre, s’inventer un lieu : il y a ni lieu ni non-lieu au sens absolu du terme ; le lieu des uns peut-être le non-lieu des autres et inversement. D’autre part, le paradoxe des espaces virtuels de la communication, c’est qu’ils permettent aux individus d’échanger des messages, de se mettre en contact les uns avec les autres , et que, à ce titre, ils ne peuvent pas aisément de définir comme des “non-lieux”. C’est sur la nature de la relation établie par ces technologies de communication qu’il conviendrait alors d’interroger en se demandant comment il se fait que dans ce monde pourtant défini comme “relationnel” les individus puissent se sentir si seuls » ( Ibid :107). Par conséquent, la question de l’usage du concept de non-lieu invite, par opposition, à réfléchir sur ce qui fait lieu. Le lieu des uns peut être le non-lieu des autres et inversement. Mais alors, pourquoi la vague est-elle le lieu des surfeurs ?

95 Les individus conjuguent au quotidien un rapport à l’espace. Ils construisent une logique visant à « pratiquer des lieux », à produire des territoires que chaque individu s’approprie à travers le prisme de sa propre sensibilité. Ils œuvrent en faveur d’une réactualisation de l’acte cosmogonique. Ces individus sont à la recherche d’un « sitio », c’est-à-dire du lieu pratiqué où l’homme peut régénérer son énergie, par la méditation, la contemplation, et où il se sent naturellement heureux et fort (Castanéda, [1972], 2002). Or, le geste sportif du surfeur ne procède-t-il pas d’une pratique spatiale particulièrement liturgique, sacrée, qui consiste à éprouver le vertige du bonheur extatique ? Le surfeur ne s’apparente-t-il pas à un héros ? Un héros des mers « qui traduit une intention formelle, une intention dynamique et une intention matérielle pour comprendre l’objet [- en l’occurrence le lieu-vague -] dans sa force, sa résistance, dans sa matière, c’est-à-dire totalement » (Bachelard, 1942). Gaston Bachelard précise « que l’on comprend le monde parce qu’on le surprend avec nos forces incisives, avec nos forces dirigées, dans la juste hiérarchie de nos offenses, comme des réalisations de notre joyeuse colère, de notre colère toujours victorieuse, toujours conquérante » (Bachelard, 1942). Par ailleurs, le philosophe constate que « toutes les rêveries constructives s’animent dans l’espérance d’une adversité surmontée, dans la vision d’un adversaire vaincu » (Bachelard, 1942). Le surfeur, en apesanteur sur la vague, s’offre une victoire provisoire et éphémère sur l’océan. Il fait ainsi de la vague son territoire dans la mesure où il dégage la valeur cosmogonique du lieu. Pratiquer l’espace sous-tend donc la recherche de son identité, de son intimité à travers l’expérience contemplative. Cette recherche poursuit donc l’ambition d’interroger ces hypothèses à travers l’exploration des motivations qu’évoquent les surfeurs lorsqu’ils évoquent les raisons de leurs choix de spatialisation sur la vague.

Eu égard à la rareté croissante des possibilités de revivre l’espace sur un plan mythique, les individus ne se tournent-ils pas de plus en plus vers ce type de productions spatiales qui leur permettent de se sentir exister et vivant ? L’espace apparaît alors plus que légitime pour examiner ces hypothèses. L’intérêt ne réside-t-il donc pas dans l’exploration des modes de lectures primitifs des lieux, c’est-à-dire, l’exploration des images poïètiques, des imaginaires, des symboles, des mythes que mobilisent les individus afin de construire leur appropriation spatiale, premiers pas vers l’élaboration d’une territorialité ? Appréhender le processus territorial comme une modalité de réponse aux stimuli de son environnement, sorte « d’organisa(c)tion » (Lemoigne, 1999) de l’habitant pensé dans son

96 intégrité personnelle et pas seulement sociale, nous permet d’aborder les territoires autrement que comme des réalités en soi dont il serait impossible de définir objectivement les propriétés et d’établir les lois de transformations. Dès lors, n’est-on pas en mesure d’appréhender certaines formes de conflits territoriaux comme une réponse à la normalisation des espaces ; comme un moyen de pérenniser le potentiel existentiel que suppose l’appropriation spatiale ?

En privilégiant l’approche dialogique des processus spatiaux, c’est donc un renversement des regards qui s’offre aux aménageurs. Car, cela permet de saisir qu’en dissolvant le caractère symbolique de l’espace de pratique, les pouvoirs publics remettent en cause la survie, l’essence de l’activité surf. Le fait que le désir de fuite et de renouer avec la pensée mythique que laissent transpirer les productions spatiales induites par le surf soit compromis au sein de cette logique rationalisante qui tend à assigner, par le biais notamment d’arrêtés municipaux, les individus dans des espaces normés, quadrillés, standardisés offre une clef de lecture pour interpréter les conflits. Peter Sloterdijk constate que « c’est cette révolution de la cosmologie qui a fait perdre aux êtres humains du monde occidental leur milieu cosmologique et, à la suite de cette perte, a initié une ère de décentrages progressifs ». Autrement dit, les hommes, privés de « ces lieux qu’ils produisent pour avoir ce en quoi ils peuvent apparaître comme ceux qu’ils sont » (Sloterdijk, 2002) ne tendent-ils pas à devenir violents pour se protéger d’une telle dynamique ? La question consiste donc à savoir si avec la surfréquentation de la vague, sa marchandisation, résultats de l’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics, les opportunités de pratiquer l’acte de glisse pour explorer son caractère transcendantal ne se réduisent-elles pas considérablement ? Dès lors, la vague ne perd-elle pas son caractère cosmologique ? Un nouvel enjeu se dessine donc pour les acteurs du développement territorial. Il consiste à prendre en considération les aspirations des populations de vivre intimement leur rapport à l’espace au cœur de la logique de développement territorial. Cette approche appelle donc à ne pas interpréter les déviances et les conflits territoriaux comme étant uniquement des actes purement contestataires puisqu’ils s’inscrivent dans un contexte plus global.

Cette recherche propose une lecture de l’interprétation que l’individu - ici le surfeur - se fait de son dehors dont il intériorise les réalités à partir de sa propre sensibilité, de sa

97 propre légende personnelle. L’enjeu apparaît d’autant plus primordial dans la mesure où depuis quelques décennies le « dessin utopique d’un espace traditionnel jouant le rôle de pharmakon s’éclipse au profit d’un espace technique qui tend à jouer désormais un rôle hégémonique dans l’organisation de notre planète » (Choay, 2006). Dans ce contexte, que reste-t-il aux individus sinon la fuite vers l’atopie qui « proclame la défaillance de l’homme-habitant qui, privé en quelque sorte de sa substance culturelle, se pose désarmé face aux processus de dégradation de la territorialité » (Turco, 2000) ? En revanche, le projet de cette recherche est pour le moins difficile. Il vise à investir le champ psychosocial et à conduire les surfeurs vers la compréhension maïeutique de leur rapport au lieu-vague. Car, comprendre les contestations et les résistances qui s’expriment à l’encontre des politiques publiques en faveur du surf doit conduire les institutions, les collectivités territoriales à s’interroger sur les incidences de leurs actions de promotion, de développement, d’aménagement du territoire afin de ne pas priver, au nom d’une logique rationnelle, ces mêmes surfeurs du caractère ontologique de l’espace-vague.

98 CONCLUSION CHAPITRE 1

DU LIEU À L’ESPACE : LE PROCESSUS DE SPATIALISATION

La question de la spatialisation des surfeurs sur la vague, non examinée dans les recherches accomplies sur le surf, ouvre une perspective de recherche qui suppose de mettre en exergue les représentations marines, l’imaginaire sportif, les aspirations individuelles et collectives des surfeurs. L’intérêt réside également dans la mise en relief de la matrice culturelle à laquelle les surfeurs de la côte aquitaine se référaient. Par conséquent, c’est bien les registres affectifs, les matrices sensibles, l’histoire individuelle, l’intégrité émotionnelle, l’intimité qui transpirent dans les discours des surfeurs lorsqu’ils expliquent leur passion pour une discipline sportive qui nécessite un support spatial approprié et pratiqué, la vague en l’occurrence, qu’il convient de mettre à nu. L’examen du rapport du surfeur au lieu-vague suppose également l’analyse des formes d’intériorisation des stimuli de son environnement territorial qui passent invariablement par le prisme de son intégrité émotionnelle. Autrement dit, comment l’individu, pensé dans son épaisseur sensible, perçoit-il les données de son environnement social et spatial pour arbitrer ses propres choix de spatialisation géographique et élaborer ses territorialités ? Poser ces questions n’est pas sans bouleverser les pratiques scientifiques en géographie ; n’est pas sans prendre quelques risques et s’exposer à la critique ! Sûrement, mais le jeu en vaut la chandelle tant il suscite une forme d’exaltation intellectuelle. Car, les résultats de cette recherche ne peuvent se prévaloir de la révélation d’une vérité absolue et immuable. Au mieux, les conclusions de cette recherche mettent en lumière les vérités, observées à un instant donné, d’individus interrogés à un moment donné de leur existence. Ces vérités sont donc inexorablement appelées à évoluer au regard du caractère profondément homéostatique de l’histoire individuelle. Les arbitrages individuels forgés à l’aune de la manière dont l’homme ressent intimement les données spatiales et sociales de son environnement pour construire ses territorialités est un équilibre bien précaire, sans cesse remis en cause par l’évolution de ces données sociales et spatiales. Tout cela, qui n’est pas

99 sans provoquer quelques frustrations pour le chercheur, impose donc la plus grande prudence. D’autant plus qu’Edgar Morin nous révèle que « ce n’est pas seulement l’intrusion d’une composante affective ou magique qui peut nous tromper dans nos perceptions, c’est aussi le fonctionnement d’une composante apparemment logique et rationnelle. Autrement dit, il nous faut nous méfier, dans notre perception, non seulement de ce qui nous semble absurde, mais aussi de ce qui nous semble évident, parce que logique et rationnel » (Morin, 1981 :19).

On l’a dit, la géographie conventionnelle apprend à aborder les territoires selon ses composantes économiques, sociales et environnementales. Ainsi, au regard du rôle fondamental que jouent en ce domaine les conditions objectives, certains géographes élaborent des modèles d’organisation spatiale afin d’exprimer la détermination structurale, de comportements soumis à la pression, au contrôle inlassables de structures sociales et spatiales. On est donc pas plus renseignés sur l’acte premier qu’est « habiter ». Comment dès lors réintroduire la complexité du processus de territorialisation pour saisir les incidences de « la géographicité » des individus (Dardel, 1952), pour révéler la manière dont les individus s’emparent des lieux, investissent et se sentent investis par le « le génie des lieux » (Pitte, 2010), pour analyser les « espaces de la nostalgie » (Roux, 1999) dont les représentations s’appuient sur l’imaginaire des individus, s’élaborent au sein d’un système nourri par le milieu, par les mythes, par les structures de pensée, par les ruptures spatiales, économiques, sociales, politiques, culturelles ?

L’intérêt de s’approprier de telles investigations scientifiques réside donc dans l’exploration des modes de lectures des lieux, c’est-à-dire, l’exploration des images poïétiques, des imaginaires, des symboles, des mythes que mobilisent les individus afin de les transférer pour construire leur langage spatial, leur géographie existentielle. En d’autres termes, en reliant l’être à son environnement, on perçoit que la pensée mythique donne du sens, un ordonnancement du monde parfaitement cohérent et traduit le processus de territorialisation résolument exacerbé en ces temps de standardisation et de marchandisation de l’espace (Rifkin, 2000 :151-162). Compte tenu de cette dynamique, seule l’approche systémique permet d’aborder la territorialisation. En effet, en érigeant l’être-habitant, en système auto-organisé, donc doté de facultés d’interprétation, « d’une intelligence sentante », nous pouvons lire les territorialités qu’il engendre par ses actions comme une représentation des stimuli produits par l’environnement. Néanmoins, dans cette

100 conception de la géographie, le « dictat » de l’expertise géographique pensée à l’aune des seules contraintes sociales intériorisées par l’individu perd de sa superbe au bénéfice d’une réhabilitation de la spatialisation de l’homme appréhendé dans son épaisseur émotionnelle. Cela mérite un détour par l’apport des concepts forgés en philosophie, présentés dans le chapitre suivant. Ce travail nécessite alors de ne plus penser l’espace comme seulement « sociétal de part en part » (Lévy, Lussault, 2003). Car, même s’il s’agit de reconnaître l’apport capital du travail accompli par ces géographes, l’intérêt consiste à penser l’espace comme le fruit d’une exploration par l’individu de son rapport aux lieux afin qu’il soit, existe, ici et maintenant.

Cette thèse poursuit donc l’ambition d’interroger les surfeurs dans leur rapport intime à l’océan. L’objectif consiste à savoir si les surfeurs confèrent à l’océan les mêmes propriétés que David Lebreton octroie, non sans une éloquence certaine, à la mer. Car, précise-t-il, « la mer ne saurait mentir. Au dessus de la mêlée, intègre, comme un lieu éminent de fabrication du sacré à usage intime. Autorité sans défaut, puisque non souillée par l’imperfection de l’homme, elle s’érige en figure symbolique du maître de vérité. Elle incarne un monde hostile et impitoyable mais un monde juste et qui sait reconnaître les siens. Elle ne pardonne pas certes, mais ses réponses sont à a hauteur des compétences du marin, [du surfeur] , manière élégante de poser la royauté de ceux qui s’y sentent à l’aise et ont la grâce de recevoir l’onction. La longue ordalie sur le fil du rasoir prodigue enfin à l’individu une réponse ferme à la question redoutable de la valeur de sa propre existence » (Lebreton, 2002 :81). Cette thèse ambitionne de poursuivre l’étude du rapport spatial du surfeur à la vague dans la mesure où, à en croire Kem Nunn, la glisse est un moyen de révéler une vérité, de faire tout réapparaître, de métamorphoser la souffrance inhérente au froid de l’eau, d’imposer la clarté, de créer une union, d’offrir une communion avec les lieux, de révéler les paysages… : « Comme il l’avait prévu, le take-off était clément et c’était une bonne chose, car Fletcher se sentit monter par paliers, avec une incroyable lenteur, mais une fois debout, tout réapparut : la planche qui flotte à la surface de la vague, qui prend de la vitesse à mesure que la face se redresse et soudain, il se retrouva en position demi accroupie, en train de pousser la planche dans la partie la plus rapide de la vague comme un oiseau en vol, sans bruit, à l’exception de la lèvre qui frappait l’eau derrière lui. Fletcther continua à suivre sa vague… Le froid était une souffrance tout d’abord, mais peu à peu, une sorte de clarté s’imposa. Fletcher voyait d’un œil neuf les traits de la falaise, l’angle tranchant des rochers, les dernières lueurs qui se reflétaient sur

101 une bande de sable mauve. Mais il ne voyait pas seulement les choses, c’était une union, et c’était là que se trouvait le plaisir. Peu importe qu’il ne soit plus très jeune ni très en forme et qu’il se contente d’effectuer quelques figures de base sur une vague banale. Il était venu dans un endroit d’une grande beauté, mais il avait fallu les vagues et le fait de les chevaucher pour lui offrir cette communion. C’était une vérité simple, il en avait toujours été ainsi, et il en avait été privé trop longtemps » (Numm, [1997], 2004 :241). L’enjeu du chapitre suivant consiste donc à interroger quels sont les outils théoriques qui permettent de comprendre comment la glisse, pratique du lieu-vague, autorise une forme de communion avec l’endroit et constitue un moyen d’éprouver sa condition géographique.

102 CHAPITRE 2

LA RELATION DE L’HOMME AU LIEU COMME FONDEMENT D’UNE GÉOGRAPHIE DE L’INTIME

« N’habite avec intensité que celui qui a su se blottir »

Gaston Bachelard. La poétique de l’espace , 1957.

En 2005, Armand Frémont publie un ouvrage où il interpelle ses lecteurs à travers cette question, qui constitue par ailleurs le titre de son livre : « Aimez-vous la géographie ? » (Frémont, 2005). Même si consacrer plusieurs années d’étude au cœur de cette discipline devrait être un éloquent témoignage d’amour envers celle-ci, le seul temps investi à l’étude de la géographie, parfois hors des sentiers battus et codifiés par les garants des valeurs académiques ou loin des couloirs feutrés des laboratoires scientifiques compte tenu de notre activité professionnelle, ne serait constituer une réponse suffisante. Encore faut-il être en mesure de définir quelle forme de géographie on porte dans notre cœur à l’instar du dessein que sous-tend l’ouvrage d’Armand Frémont auquel on renvoie. C’est précisément l’objet de ce chapitre, même si l’on se défend d’avoir une approche épistémologique exhaustive. Néanmoins, ce chapitre est construit afin de préciser quels sont les fondements théoriques sur lesquels s’appuie cette recherche. Plus encore, il permet un positionnement sur l’échiquier scientifique en clarifiant dans quel courant se situe la pensée.

La géographie est une discipline où s’affrontent de nombreux courants. Une vision quelque peu caricaturale inviterait même à opposer certains d’entre eux : physique contre humain, pragmatique contre phénoménologique, opérationnel contre idéaliste ou utopiste… Le propos n’est pas ici de souscrire à cette approche caricaturale et simpliste. L’enjeu est ailleurs. Il consiste à présenter le terreau scientifique sur lequel se forgent nos réflexions et à définir à quelle géographie se réfèrent nos analyses parmi la géographie des

103 ensembles, la géographie des structures ou la géographie des systèmes, pour reprendre la classification proposée par Charles Péguy (Péguy, 2001 :8). Néanmoins, avant même de revendiquer une quelconque appartenance à l’un de ces courants, on souhaite préciser ce que l’on entend à travers l’usage du terme d’espace.

C’est pourquoi, on revient sur le passage de la géographie entendue comme une « science de l’espace dans les années soixante-dix » à ce qu’elle serait aujourd’hui devenue à savoir : « une science de la dimension spatiale de la société ». (Lévy, Lussault, 2003 :324). Par conséquent, c’est bien la manière dont on interroge l’espace qu’il convient de clarifier à l’aune des grandes réflexions engagées sur ce sujet. Car en précisant ce que recouvre le terme d’espace, on peut alors caractériser, dans un second temps, ce que sous- tend le processus de spatialisation. Ce second chapitre s’articule en deux sous-ensembles. D’abord, on examine comment s’orchestre l’avènement de l’espace afin de mettre en lumière le processus de cosmogonisation des lieux comme ressort essentiel de la création des espaces de l’homme. Dans ce contexte, on voit que seul le lieu cosmisé concourt à la possibilité pour l’homme d’habiter l’espace et d’éprouver l’intensité de son existence sur terre. Ensuite, ce chapitre aborde la méthodologie retenue dans cette recherche pour appréhender les manières dont le surfeur habite la vague. Ce second sous-ensemble précise pourquoi l’analyse systémique, l’ « Arkhé-Pensée », l’observation participative et la proximité avec les surfeurs interrogés s’imposent comme une absolue nécessité pour révéler pourquoi les surfeurs habitent la vague en poète. Finalement, ce chapitre met en lumière les apports conceptuels développés en philosophie. Ceux-ci viennent renforcer l’expertise géographique et précisent dans quelles mesures ces concepts permettent d’affiner les hypothèses. Car, si les surfeurs habitent la vague en poète, les politiques publiques ayant le surf comme support ne réduisent-elles pas le potentiel ontologique de la vague qui transpire dans l’habitabilité des surfeurs de cette portion d’espace ? Un schéma de synthèse intitulé « Approche modélisée de l’ habiter comme clef de lecture des contestations et résistances géographiques de certains surfeurs face aux constructions institutionnelles des territoires du surf » clôture ce chapitre en rappelant les grandes hypothèses et théories qui traversent cette recherche (Figure 5, p 143).

104 2.1 De l’espace géographique à l’espace habité

2.1.1 L’espace géographique ne serait-il que sociétal ?

Jacques Lévy et Michel Lussault affirment que « l’espace est un concept ardu, difficile à cerner en tout cas ». Plus encore, ils déplorent que la géographie se soit déployée, au nom de la recherche d’une forme de recherche d’autonomie de la discipline, « en se cristallisant autour d’un point nodal, l’espace, dont la stabilité sémantique et épistémologique dissimulait un impensé » (Lévy, Lussault, 2003 :325). Aussi, pour pallier ce déficit de réflexion sur l’espace, se proposent-ils de classifier les courants qui traitent de la problématique de l’espace afin de cerner la conception du terme que recouvre chacun de ces courants. Ils distinguent :

- le paradigme de la production de l’espace (disparition de la notion d’espace sous le procès de la production), - l’analyse spatiale (l’espace est alors un ensemble de positions géométriques inter-reliées), - le systémisme (la notion d’espace est occultée au bénéfice de la survalorisation de la logique de système), - l’espace vécu et les représentations (l’espace n’est appréhendé qu’à travers le prisme des perceptions, de l’appropriation et de la représentation mentale), - l’analyse des territoires et des territorialités (l’espace est une étendue- support qui permet d’accentuer l’analyse sur les idéologies, les mémoires, les symboles… qui constituent les plus-values du territoire par rapport à l’espace).

Pour Lévy et Lussault, l’heure est venue de « fonder le concept d’espace autour d’une série d’axiomes fondateurs d’une mégathéorie : celle de l’espace en tant que composante multidimensionnelle de la société ». Aussi s’attachent-ils à proposer une catégorisation de l’espace.

105 Figure 3 : La catégorie d’espace : quatre approches

Positionnel Relationnel « Géographie culturelle » : les Absolu : l’espace relations qu’entretiennent les existe en tant qu’objet « Géographie opérate urs spatiaux les uns avec les matériel qui détermine classique » autres s’opèrent en fonction d’une les répartitions logique précise Relatif : l’espace existe « Géographie, science sociale de à l’aune des ressources l’espace » : suppose le caractère et limites de l’appareil indéterminé des relations au sein de « Analyse spatiale » sensoriel de l’être l’espace puisque le facteur humain, humain qui peuvent le fait d’incertitudes, entre en constituer considération Source : Lévy, Lussault, 2003 :327.

Les réflexions qu’engagent ces auteurs sur la notion d’espace leur permettent d’affirmer qu’est possible une « approche dimensionnelle, propre à faire de l’espace un véhicule pour parcourir l’ensemble des faits sociaux » (Lévy, Lussault, 2003 :328). Dans la continuité de leurs propos, ils énoncent deux propositions. Tout d’abord, « l’espace est un objet consistant et pertinent d’analyse à condition d’en révéler la dimension complexe de sa consistance » ; de son existence réelle. Puis, l’espace « ne peut se réduire à un objet en soi absolu, dont les principes d’organisation et les lois d’évolutions ne devraient être cherchés et trouvés qu’en lui-même, à l’exclusion de tout le reste ». Forts de ces propositions, les deux géographes mettent en exergue une théorie globale de l’espace des sociétés qui consiste à postuler que la configuration de la société est « dimensionnelle » c’est-à-dire qu’elle s’organise dans « l’articulation de dimensions, notamment l’économique, la sociologique, la politique, la spatiale, la temporelle, l’individuelle ». Ainsi, pour ces auteurs : « l’espace est sociétal de part en part, tout comme la société est spatiale de bout en bout » (Lévy, Lussault, 2003 :330).

Enfin, Lévy et Lussault proposent leur définition du terme d’espace : « Tout espace, aussi élémentaire soit-il, se caractérise par trois attributs fondamentaux : l’échelle, la

106 métrique, la substance. L’échelle définit la taille de l’espace, la métrique la manière de mesurer la distance au sein de l’espace concerné, la substance, la dimension non-spatiale des objets spatiaux, c’est-à-dire… la présence de toutes les autres dimensions de l’espace » (Lévy, Lussault, 2003 :332). Incontestablement, ils accordent une place fondamentale au caractère sociétal de l’espace. Autrement dit, ils avancent l’idée que l’espace est un construit sociétal c’est-à-dire que ses agencements, ses configurations, ses propriétés sont établies par l’homme, lui-même en prise avec un environnement social dont il capte et traduit les informations. Ces deux géographes proposent donc une distinction majeure entre d’une part l’espace géographique qui se définit selon des propriétés matérielles et rigoureusement quantifiables (nature des sols, superficie, densité…) et d’autre part l’espace sociétal qui traduit les empreintes de l’homme et les projections de ses intentions construites à l’aune de son environnement social. Bien entendu, leurs réflexions engagent à poursuivre les investigations et à appréhender ce qu’en disent d’autres scientifiques qui ont accordé une part majeure dans leurs travaux sur ce que recouvrait la notion d’espace. Car c’est bien « la production de l’espace » par l’homme, au sens conféré à cette expression par Henri Lefebvre, qui préoccupe en premier lieu (Lefebvre, 2000). C’est pourquoi cette recherche entend démontrer que « dans la réalité, l’espace social “incorpore” des actes sociaux, ceux de sujets à la fois collectifs et individuels, qui naissent et qui meurent, pâtissent et agissent. Pour eux, leur espace se comporte à la fois vitalement et mortellement : il s’y déploient, ils se disent et rencontrent les interdits ; puis ils tombent et leur espace contient leur tombe » ( Ibid :43).

Ce sont les formes de cosmogonisation de l’espace, c’est le processus de sacralisation de l’espace géographique qu’il convient d’examiner, c’est-à-dire les stratégies que mobilise l’être humain pour faire du lieu, initialement vide de sens en tant qu’entité purement matérielle, l’espace de son existence au sein duquel il peut se déployer. Plus précisément, en posant l’hypothèse que l’espace n’existe qu’à travers les manières dont l’homme fait usage des lieux en les investissant et en se sentant investi par leurs caractéristiques, c’est bien la dimension ontologique du rapport de l’homme à l’espace que l’on analyse. En examinant le rapport du surfeur au lieu-vague, cette recherche questionne l’intentionnalité que sous-tend l’usage de la vague accompli à travers l’acte de glisse. Par conséquent, en explorant le dessein qui transpire dans l’acte de glisse, on entend saisir comment l’homme « génère (produit) un espace social approprié, dans lequel la société génératrice prend forme en se présentant et représentant, bien qu’elle ne coïncide pas avec

107 lui et que même son espace soit aussi bien sa tombe que son berceau, cela ne s’accomplit pas en un jour. C’est “un processus” » (Ibid :43). Au risque de paraître profondément immodeste, cette recherche poursuit donc l’ambition de dévoiler dans quelle mesure la pratique du surf est un processus qui autorise la production de l’espace, la production d’un espace spécifique, la vague, qui n’existe dans l’univers social contemporain qu’à partir des actes de glisse que les surfeurs accomplissent dessus. Or, Henri Lefebvre précise quelles sont les conditions requises pour que la production d’espace soit efficiente. « Il faut que la capacité pratique de cette société et ses puissances souveraines disposent de lieux privilégiés : les lieux religieux et politiques… Il faut des lieux où s’accomplissent des unions sexuelles et des meurtres symboliques, où le principe de fécondité (la Mère) se renouvelle, où l’on tue les pères, les chefs, les rois, les prêtres et parfois les dieux. De sorte que l’espace se trouve à la fois sacralisé et délivré des puissances bénéfiques et maléfiques : retenant d’elles ce par quoi elles favorisent la continuité du social, extirpant ce par quoi elles sont dangereuses. Il faut que l’espace à la fois naturel et social, pratique et symbolique, apparaisse peuplé (signifiant et signifié) d’une “réalité” supérieure » (Ibid :44). Parmi les pré-requis à la production de l’espace entendu comme un processus, Henri Lefebvre évoque donc le fait qu’il faut des lieux au sein desquels l’homme accomplit une sacralisation. Dans le cadre de cette sacralisation, Henri Lefebvre précise qu’il « faut que la mort soit figurée et rejetée : “localisée”, elle aussi, mais au-dessous ou au-dessus de l’espace approprié, renvoyée à l’infini pour délivrer (purifier) la finitude où se déploie la pratique sociale, où règne la Loi qui établi cet espace » ( Ibid :44). Mais si tel est le cas, ne doit-on pas davantage s’intéresser à la manière dont les hommes s’approprient les lieux, premier pas vers l’avènement de l’espace. Ne se dessine-t-il pas là les contours d’un renouvellement des approches en géographie ? Quels sont alors les apports théoriques développés dans les autres champs disciplinaires qui pourraient être réinvestis afin que les géographes renforcent leurs expertises scientifiques sur ce qui fonde l’espace ?

2.1.2 Le processus de sacralisation des lieux

Mircéa Eliade décrit le « processus de sacralisation du Monde » et propose alors une distinction fondamentale entre le chaos et le cosmos (Eliade, [1957], 2002). Pour caractériser cette distinction entre ces deux types d’espaces, il révèle que « le sacré se

108 manifeste toujours comme une réalité d’un tout autre ordre que les réalités dites naturelles » et que c’est précisément ce qui l’oppose au profane ( Ibid :16). Or, « en manifestant le sacré, un objet quelconque devient autre chose, sans cesser d’être lui- même », nous dit Eliade ( Ibid :18). En ce qui concerne notre objet d’étude, nous pouvons en conclure qu’en sacralisant le lieu, l’homme en fait autre chose , qu’un objet matériel qui se caractérise par ses composantes physiques. En glissant, le surfeur produit la vague. À cet égard, Eliade remarque qu’il « y a un espace sacré, et par conséquent “fort”, significatif, et il y a d’autres espaces, non-consacrés et partant sans structure ni consistance, pour tout dire : amorphes. Plus encore… cette non-homogeneité spatiale se traduit par l’expérience d’une opposition entre l’espace sacré, le seul qui soit réel, qui existe réellement, et tout le reste, l’étendue informe qui l’entoure » (Ibid :25). Un processus de transformation des lieux s’opère donc à travers le processus de sacralisation, la hiérophanie, assuré par l’homme. Mais de quelle nature est cette transformation ?

Eliade nous éclaire sur la nature de cette transformation du lieu. En effet, selon lui, la hiérophanie permet une rupture dans l’homogénéité supposée de l’espace. Elle révèle une réalité absolue qui s’oppose à la non-réalité de l’immense étendue environnante. En d’autres termes, la hiérophanie autorise la spatialisation de l’homme puisqu’elle lui permet de désigner un point fixe absolu. Cette procédure qui consiste à se spatialiser à partir d’un point central, qui sert de référentiel pour désigner les autres espaces environnants, possède une dimension ontologique. Elle permet aux hommes de se déployer pour reprendre le verbe utilisé par Henri Lefebvre. Pour Eliade, ce n’est qu’à partir de cette acte de spatialisation que l’homme est en mesure de « fonder le Monde » ; voir d’habiter le Monde en ce sens où l’espace au sein duquel l’homme construit un point central devient son territoire. Par conséquent, il distingue deux catégories d’espace, d’une part le cosmos et d’autre part le chaos. Il oppose donc le territoire habité et l’espace inconnu et indéterminé qui l’entoure. « Le premier, dit-il , c’est le “Monde” (plus précisément : “notre monde”), le Cosmos ; le reste, ce n’est plus un Cosmos, mais une sorte d’“autre monde”, un espace étranger, chaotique, peuplé de larves, de démons, d’“étrangers”… Cette rupture dans l’espace semble due à l’opposition entre un territoire habité et organisé, donc “cosmisé”, et l’espace inconnu qui s’étend au-delà des frontières : on a, d’une part un “Cosmos” et, d’autre part, un “Chaos”… Si tout territoire habité est un “Cosmos”, c’est justement parce qu’il a été préalablement consacré, parce que, d’une manière ou d’une autre, il est l’œuvre des dieux ou communique avec leur monde. Le “Monde” [poursuit-il], est un

109 univers à l’intérieur duquel le sacré s’est déjà manifesté, où, par conséquent, la rupture des niveaux est rendue possible et répétable » ( Ibid :32-33).

C’est donc bien le processus de cosmogonisation de l’espace qui préside à la possibilité d’habiter l’espace en question et donc de s’y spatialiser. Mircéa Eliade rappelle que c’est en occupant le Chaos, au départ généralisé, et surtout en s’installant en son sein que l’homme le transforme symboliquement en Cosmos. Par conséquent, un Cosmos est préalablement créé. On retrouve ici la notion de production de l’espace entendu comme un processus. Or, Eliade évoque ce processus de création du Cosmos en quatre phases :

1. « Un lieu sacré constitue une rupture dans l’homogénéité de l’espace 2. Cette rupture est symbolisée par “une ouverture”, au moyen de laquelle est rendu possible le passage d’une région cosmique à une autre 3. La communication avec le ciel est exprimée indifféremment par un certain nombre d’images se référant toute à l’Axis mundi : pilier, échelle, montagne, arbre, liane, etc. 4. Autour de cet axe cosmique s’étend le “Monde”, par conséquent l’axe se trouve “au milieu”, il est le Centre du Monde » ( Ibid :38).

Par conséquent, « “Notre Monde” se situe toujours au centre », précise Eliade, car « le centre est justement la place où s’effectue une rupture de niveau, où l’espace devient sacré, réel par excellence » ( Ibid :43-45). Néanmoins, Eliade évoque également l’idée que « la Création du Monde devient l’archétype de tout geste créateur humain, quel qu’en soit le plan de référence… et que dans des contextes culturels extrêmement variés, nous retrouvons toujours le même schéma cosmologique et le même scénario rituel : l’installation dans un territoire équivaut à la fondation d’un monde » (Ibid :47). Il formule l’idée que ce scénario rituel s’opère de deux manières. La première consiste à affirmer le caractère central de l’espace habité par la projection des horizons ou l’installation de l’ Axis Mundi, la seconde consiste à répéter, par un rituel de construction, l’acte exemplaire des dieux grâce auquel le Monde a pris naissance.

En guise de conclusion sur ses démonstrations, Eliade se propose de résumer de la façon suivante : « S’il nous fallait résumer, nous dirions que l’expérience de l’espace sacré rend possible la “fondation du Monde” : là où le sacré se manifeste dans l’espace, le réel

110 se dévoile, le Monde vient à l’existence. Mais, l’irruption du sacré ne projette pas seulement un point fixe au milieu de la fluidité amorphe de l’espace profane, un “Centre” dans la “Chaos” ; elle effectue également une rupture de niveau, ouvre la communication entre les niveaux cosmique et rend possible le passage d’ordre ontologique, d’un mode d’être à un autre. C’est une telle rupture dans l’hétérogénéité de l’espace profane qui crée le “Centre” par où l’on peut communiquer avec le “transcendant” ; qui, par conséquent, fonde le “Monde”, le Centre rendant possible l’orientatio » ( Ibid :60). En interrogeant les surfeurs sur le rapport qu’ils entretiennent avec le lieu-vague, on s’efforcera de dévoiler si les arguments qu’ils convoquent répondent de cette recherche de la dimension sacrée, hautement symbolique, qu’ils accordent à cette portion d’espace. Cette recherche explore donc le processus de cosmogonisation de la vague chez les surfeurs qui, en accomplissant cette conquête sur le chaos océanique environnant, se spatialisent. Spatialisés les surfeurs peuvent alors se déployer autrement dit exister.

Michel De Certeau corrobore, sans pour autant y faire référence, les théories avancées par Mircéa Elida. En effet, il définit le lieu comme « l’ordre (quel qu’il soit) selon lequel des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence. S’y trouve donc exclue la possibilité, pour deux choses, d’être à la même place. La loi du “propre” y règne : les éléments considérés sont les uns à côté des autres, chacun situé en un endroit “propre” et distinct qu’il définit. Un lieu est donc une configuration instantanée de position. Il implique une indication de stabilité » (De Certeau, 1990 :173). Pour l’heure, le lieu tel que défini par De Certeau s’apparente donc à un Chaos selon l’acception proposée par Mircéa Eliade. Alors quand y a-t-il avènement de l’espace ? Eliade nous dit que l’espace prend corps dès lors que l’homme sacralise le lieu en réitérant l’œuvre des dieux qui consiste à désigner un point fixe absolu. Là encore, les propos de Michel De Certeau rejoignent les démonstrations d’Eliade dans la mesure où ses arguments mettent en lumière que seules les dimensions temporelles et spatiales des pratiques autorisent le passage du lieu à l’espace. Car, nous dit-il : « il y a espace dès qu’on prend en considération des vecteurs de direction, des quantités de vitesse et la variable du temps. L’espace est un croisement de mobiles. Il est en quelque sorte animé par l’ensemble des mouvements qui s’y déploient. Est espace l’effet produit par les opérations qui l’orientent, le circonstancient, le temporalisent et l’amènent à fonctionner en unité polyvalentes de programmes conflictuels ou de proximités contractuelles ». Invoquant la métaphore du langage, De Certeau poursuit en affirmant que « l’espace serait au lieu ce que devient le

111 mot quand il est parlé, c’est-à-dire quand il est saisi dans l’ambiguïté d’une effectuation, mué en un terme relevant de multiples conventions, posé comme l’acte d’un présent (ou d’un temps), et modifié par les transformations dues à des voisinages successifs. À la différence du lieu, il n’a donc ni l’univocité ni la stabilité d’une “propre”. En somme, l’espace est un lieu pratiqué » ( Ibid :173).

Le lieu ou chaos pratiqué autorise le passage à l’espace, au cosmos. Là encore, le décryptage du discours que produisent les surfeurs lorsqu’ils expriment leur usage de la vague permettra de savoir si l’acte de glisse participe d’un mode de pratique d’un lieu, initialement amorphe, non révélé dans sa réalité intrinsèque, allant « de-soi » dirait Xavier Zubiri, autorisant alors le passage du lieu, c’est-à-dire le passage d’une vague parmi tant d’autres correspondant à « une configuration instantanée de position », à un espace, celui de l’espace-vague, où « il n’a ni l’univocité ni la stabilité d’une “propre” » mais bien une logique d’appropriation qui autorise la mutation du lieu en espace, seul processus autorisant la conscience d’une spatialisation. Ainsi, c’est bien le processus de spatialisation des surfeurs qui sera exploré à l’aune des discours qu’ils véhiculent lorsqu’ils évoquent leurs expériences du lieu pratiqué induit par l’acte de glisse. C’est donc bien le processus de sacralisation, entendu comme le passage du chaos au cosmos qui sera exploré. Autrement dit, en interrogeant les surfeurs sur les raisons qui les poussent à surfer, on analysera si leur acte de glisse leur permet de « dépasser le caractère amorphe de l’espace profane » afin de « fonder le monde » pour se garantir d’exister ici et maintenant. Le cas échéant, le surf serait ni plus, ni moins, qu’un acte hautement symbolique emprunt d’un dessein existentialiste. Le surf, c’est-à-dire la glisse, rendrait ainsi les surfeurs vivants !

Néanmoins, on l’aura compris, puisque seul le lieu cosmisé, pratiqué, permet à l’homme d’éprouver sa dimension ontologique, il convient à présent d’examiner les stratégies que mobilise l’homme pour être c’est-à-dire exister à travers l’expérience qu’il construit dans le cadre de son rapport à l’espace.

112 2.1.3 Bâtir des lieux pour habiter des espaces : approche heideggérienne

La distinction entre espace sacré et espace profane est le seul moyen pour l’homme de se sentir exister à travers son expérience spatiale. La distinction entre la vague et l’immense étendue marine relèverait d’une forme d’existentialisme pour les surfeurs. En effet, selon Mircéa Eliade, « la terreur devant le “Chaos” qui entoure son monde habité correspond à sa terreur devant le néant. L’espace inconnu qui s’étend au-delà de son “monde”, espace non-cosmisé parce que non-consacré, simple étendue amorphe où aucune orientation n’a encore été projetée, aucune structure ne s’est encore dégagée, cet espace profane représente pour l’homme le non-être absolu. Si par mésaventure, il s’y égare, se sent vidé de sa substance “ontique”, comme s’il se dissolvait dans le Chaos, et il finit par s’éteindre » ( Ibid :61). Mais alors, sur quelles ressources s’appuie l’homme pour sacraliser l’espace géographique, le lieu dirait de Certeau, initialement amorphe, et rendre ainsi possible son existence sur terre ?

Martin Heidegger nous apporte quelques pistes de réflexions. En effet, le philosophe allemand évoque la nécessité pour l’homme d’invoquer la dimension poétique des espaces géographiques pour y expérimenter les joies de l’existence. Pour développer sa pensée, Heidegger s’interroge sur le sens de l’habitation 40 et sur la manière dont le bâtir, bauen, participe de l’habitation (Heidegger, [1954], 2001 :170-193). En effet, le philosophe distingue les deux acceptions sémantiques que révèle le terme bauen. Aussi, il distingue d’une part l’action de bâtir qui consiste à fabriquer, à édifier des bâtiments, et d’autre part « l’habiter, c’est-à-dire être sur terre » déplorant, au passage, que cette seconde acception du terme « tombe en oubli » ( Ibid :174). Heidegger se garde des critiques qui consisteraient à lui rétorquer qu’il accorde trop d’importance à l’histoire sémantique du terme bauen. Pour s’en défendre, il met en lumière le fait que si nous n’appréhendons plus « l’habitation comme étant l’être (Sein) de l’homme ; encore moins l’habitation est-elle jamais pensée comme le trait fondamental de la condition humaine », c’est en partie parce que « les paroles essentielles de la langue tombent facilement en oubli au profit des significations de premier plan… [parce que] le langage dérobe à l’homme son simple et haut parler » ( Ibid :174). C’est pourquoi Heidegger s’efforce de clarifier ce qu’il entend en utilisant le terme bauen :

113 1. « Bauen est proprement habiter 2. Habiter est la manière dont les mortels sont sur terre 3. Bauen, au sens d’habiter, se déploie dans un bauen qui donne ses soins, à savoir à la croissance – et dans un bauen qui édifie des bâtiments » ( Ibid :175).

Par conséquent, Heidegger est de mesure de préciser que « nous n’habitons pas parce que nous avons “bâti”, mais nous bâtissons et avons bâti pour autant que nous habitons, c’est-à-dire que nous sommes les habitants et sommes comme tels » ( Ibid :175). Mais alors, en quoi consiste l’être de l’habitation ? Pour répondre à cette question, là encore, Heidegger propose un retour sur la signification des mots que l’on emploie. Il précise que le terme vieux-saxon wuon, et le gothique wunian , signifient demeurer, séjourner, à l’instar de la signification ancienne du terme bauen. Plus encore, wunian , signifie être content, mis en paix, demeurer en paix au sens conféré au terme de paix, soit « préservé des dommages et des menaces, préservé de…, c’est-à-dire épargné, ménagé ». Or, pour Heidegger, le ménagement « est quelque chose de positif, il a lieu quand nous laissons dès le début quelque chose dans son être, quand nous ramenons quelque chose à son être et l’y mettons en sûreté, quand nous l’entourons d’une protection ». Pour Heidegger, la boucle est ainsi bouclée et sa démonstration s’achève ainsi : « Habiter, être mis en sûreté, veut dire : rester enclos, dans ce qui nous est parent, c’est-à-dire dans ce qui est libre et qui ménage toute chose dans son être. Le trait fondamental de l’habitation est ce ménagement » ( Ibid :175-176).

Néanmoins, encore faut-il comprendre comment l’homme « (a-)ménage » l’espace, au sens consacré par Heidegger, pour l’habiter. Là encore, Heidegger se veut didactique. Aussi distingue-t-il ce qu’il nomme les Quatre à savoir : « la terre et le ciel, les divins et les mortels qui forment selon lui un tout à partir d’une Unité originelle – Quadriparti ». Or, « dans la conduite des mortels, l’habitation se révèle comme le ménagement quadruple du Quadriparti » ( Ibid :178). En effet, pour Heidegger, les hommes s’efforcent de ménager le quadriparti, donc de révéler le fondement de l’habitation, dans la mesure où ils ne peuvent se résoudre à l’idée, par peur du néant, que leur existence ne serait qu’ « un séjour sur terre, sous le ciel, devant les divins, avec les mortels » ( Ibid :179). C’est la raison pour laquelle, Heidegger affirme qu’ « habiter, c’est toujours séjourner déjà parmi les choses ».

40 Habitation au singulier, qui presque toujours rend : das Wohnen . L’habiter désigne le fait et la façon d’habiter, non par le logement, le local habité.

114

Autrement dit, les hommes font usage du bauen de l’habitation pour préserver le Quadriparti, soit le rapport qu’ils entretiennent avec le divin. L’être de l’habitation est donc une modalité que convoquent les hommes pour rassembler la terre et le ciel, les divins et les mortels. Or, ce rassemblement n’est possible, nous dit Heidegger, qu’en un lieu, qui une fois ménagé, acquiert le statut d’espace. Pour Martin Heidegger, « les espaces reçoivent leur être des lieux et non de “L’” espace ». Cette approche est à mettre en lien avec les concepts de Xavier Zubiri sur la réalité des choses. En effet, Zubiri évoque l’existence des choses, des lieux, comme allant « de-soi ». Il précise que l’homme via son « l’intelligence sentante » assure la prise en charge de la réalité des choses, des lieux, allant « de-soi », des caractéristiques intrinsèques du lieu, et réactive donc le caractère (pré- )existant des lieux en étant affecté par cette opération de prise de conscience du caractère (pré-)existant du lieu. C’est pourquoi Heidegger distingue les lieux de l’espace. Cela suppose que les modalités de l’affection induite par la prise de conscience du caractère réel, « de-soi » du lieu, par « l’intelligence sentante » détermine la réalité dans l’esprit humain, non plus du lieu qui préexiste, mais de l’espace compris comme une construction humaine permettant à l’individu d’accéder à la réalité réelle, préexistante, intrinsèque des lieux.

Une fois les lieux appropriés, une fois leur réalité réelle prise en charge par l’individu qui mobilise son « intelligence sentante » pour opérer cette prise en charge, ce sont bien des espaces dans lesquels sont admis la terre et le ciel, les divins et les mortels, qui émergent selon Heidegger. Ainsi, si le lieu existe, l’espace ne peut être pour sa part que construit par l’homme. Il est une production. L’espace n’existe donc qu’à travers l’action de l’homme qui ménage les lieux. Par ses actions d’aménageur, de bâtisseur, l’homme transforme les lieux et produit ainsi des espaces avec pour préoccupation majeure la recherche permanente d’une spatialisation qui puisse lui garantir d’exister sur terre dans l’attente de jours meilleurs aux cieux ; en accomplissant ses actes sous l’œil bienveillant des divins mais également en collaborant ou en s’affranchissant de ces semblables mortels. Qu’en est-il de la vague ? Au départ, la vague n’est qu’un lieu parmi tant d’autres. Il se distingue par son caractère éphémère et par des caractéristiques objectives que les physiciens pourraient mettre en lumière. Mais là n’est pas le propos. Le lieu-vague existe donc dès l’origine mais il ne peut pour autant être un espace pour l’homme sans que celui- ci ne prenne en charge la réalité du lieu-vague, par « l’intelligence sentante », par la

115 pratique que sous-tend l’acte de glisse qui induit un acte fondateur consistant à passer du chaos – le lieu-vague – à l’espace, que l’on qualifie d’espace-vague. Bien entendu, cette hypothèse sera confrontée à vérification à travers l’exploration de l’intime des surfeurs invités à s’exprimer sur ces questions. Cela dit quelle opération autorise l’investissement des lieux par l’homme afin qu’il se spatialise ?

Heidegger se pose cette question fondamentale : « quel est le rapport du lieu et de l’espace ? Ensuite, quelle est la relation de l’homme et de l’espace ? ». Ce qui revient à se demander : Comment l’homme investit-il un lieu pour qu’il devienne espace c’est-à-dire une zone où l’homme puisse assumer sa dimension d’individu mortel mais aussi potentiellement éternel compte tenu de l’espérance qu’il projette à l’égard des divins, seules entités capables de trancher sur le caractère incertain de son éternité ? Plus prosaïquement, comment l’homme habite-t-il les lieux pour que ces lieux constituent l’être de ce qu’Heidegger nomme l’espace ? En guise de réponse préliminaire, Heidegger nous dit ceci : « Le rapport de l’homme à des lieux et, par des lieux, à des espaces réside dans l’habitation. La relation de l’homme et de l’espace n’est rien d’autre que l’habitation pensée dans son être » ( Ibid :188). Il poursuit son propos en affirmant que « bâtir est édifier des lieux qui “ménagent” une place au quadriparti… ménager le quadriparti : sauver la terre, accueillir le ciel, attendre les divins, conduire les mortels, ce quadruple ménagement est l’être simple de l’habitation ». Par conséquent, « le bâtir amène le quadriparti dans une chose - qui matérialise l’intention de l’homme - et il place la chose devant (nous) comme lieu, il la place au sein de ce qui est déjà présent et qui maintenant, justement par ce lieu, est aménagé en espace ». Alors, « bâtir est, dans son être - l’intention de l’homme - faire habiter. Réaliser l’être du bâtir, c’est édifier des lieux par l’assemblement de leurs espaces. C’est seulement quand nous pouvons habiter que nous pouvons bâtir » ( Ibid :190-191).

À ce stade de la réflexion, on doit rassembler nos idées dans un esprit de synthèse. Bâtir, bauen, a une signification double pour Heidegger. C’est un acte d’édification d’infrastructures mais également une intention d’habiter les lieux qui, initialement, n’ont aucune signification (malgré le fait qu’ils préexistent et qu’ils aillent « de-soi » précise Zubiri) et ne permettent pas à l’homme d’exister. L’homme pour sa part habite les lieux en agissant en qualité de bâtisseur, autrement dit en donnant du sens aux lieux. Ses actions de bâtisseur lui permettent d’habiter les lieux pour que ceux-ci acquièrent le statut d’espaces.

116 Les lieux habités par l’homme sont alors ses espaces. Or, pour agir sur ces lieux, c’est-à- dire pour révéler l’être de l’habitation et déterminer le caractère spatial des lieux, l’homme cherche des modalités d’actions visant à concilier une interaction entre sa condition d’individu mortel et sa qualité hypothétique d’individu éternel au regard de la possibilité que lui laissent ses croyances en des entités divines, seules capables de lui octroyer ce statut d’éternité. Par conséquent, l’homme bâtit pour ménager son conflit intérieur entre sa mort certaine et son espérance d’éternité. Une fois cet acte accompli, il est alors capable d’habiter, puis de bâtir l’être de son habitation. Autrement dit, il habite non pas pour bâtir, mais bâtit, au sens de transposition de son désir d’existence en ménageant les lieux, pour habiter. Il habite pour exister, pour être au monde. Cependant, à l’aune de cette synthèse des démonstrations d’Heidegger, une autre question s’impose : Comment l’homme habite- t-il les lieux pour réussir à éprouver le caractère de son existence à travers ses usages des lieux habités donc des espaces ?

Dans le cadre de cette recherche, la question revient à demander aux surfeurs si le fait d’habiter le lieu-vague, rendu possible par l’acte de glisse, leur permet d’éprouver l’intensité de leur existence ? À en croire les réponses des surfeurs à la question « Why do you surf ? » glanées sur le site Internet de Billabong , auxquelles on faisait référence en introduction, on serait tenté de croire qu’en pratiquant le lieu-vague, les surfeurs révèlent l’espace-vague et éprouvent par l’intermédiaire de ce processus actionnel et émotionnel l’intensité de leur existence. Autrement dit comment les surfeurs habitent-ils, non pas l’espace-vague mais le lieu-vague ? Plus encore quelles sont les modalités d’habiter des surfeurs qui autorisent le passage du lieu-vague à l’espace-vague ? La glisse est-elle le bauen des surfeurs ? La glisse est-elle l’action qui consiste à métamorphoser le chaos en cosmos et à produire ainsi l’espace des surfeurs ?

2.1.4 Du lieu à l’espace : « L’homme habite en poète »

« L’homme habite en poète ». Heidegger emprunte cette expression à Hölderlin 41 qui, lorsqu’il parle d’habiter, « a en vue le trait fondamental de la condition humaine » (Ibid :226). Car, « la parole du poète parle de l’habitation de l’homme [dans la mesure où]

117 elle ne décrit pas les conditions présentes de l’habitation. Surtout, elle n’affirme pas qu’habiter veuille dire avoir un logement ». C’est donc l’existentialisme de l’homme qui transpire à travers son acte de spatialisation qu’Heidegger cherche à mettre à nu à travers l’examen des paroles des poètes. Pour preuve, quelques lignes plus loin, Heidegger nous déclare qu’il pense « à partir de l’habitation, ce qu’on appelle d’ordinaire l’existence (Existenz) de l’homme » ( Ibid :226). Plus encore, Heidegger décline son propos en affirmant : « Cela ne veut certainement pas dire que la poésie ne soit qu’une décoration ou un surcroît de l’habitation. Le caractère poétique de l’habitation ne veut pas dire non plus qu’en toute habitation, d’une façon ou d’une autre, ce caractère se rencontre. La parole : “… L’homme habite en poète…” dit au contraire : c’est la poésie qui, en tout premier lieu, fait de l’habitation une habitation. La poésie est le véritable “faire habiter” ». Seulement par quel moyen prévenons-nous à une habitation ? Par le « bâtir » (bauen). En tant que faire habiter, la poésie est un “bâtir” » ( Ibid :226-227).

Martin Heidegger en termine avec la première étape de sa démonstration en relevant la double exigence que suppose cette posture intellectuelle, car il nous faut : « D’abord, penser ce qu’on appelle l’existence de l’homme en partant de l’habitation ; ensuite penser l’être de la poésie “comme un faire habiter”, comme un “bâtir” (bauen), peut-être comme le “bâtir” par excellence. Si nous cherchons dans cette direction l’être de la poésie, nous parviendrons à l’être de l’habitation » (Ibid :227) ; donc à la compréhension des intentions humaines en terme de désir d’existence que signifient leurs modalités de spatialisations en opérant le passage du lieu à l’espace. Cela dit, encore faut- il, pour être complet, clarifier ce que recouvre le caractère poétique de l’habitation de l’homme. Heidegger précise donc que « tout ce qui est spatial, pour autant qu’il a été aménagé en espace, a besoin de la Dimension, c’est-à-dire de ce en quoi il est admis ». Or, « L’homme mesure la Dimension d’un bout à l’autre, alors qu’il se mesure à ceux du ciel. Cette mesure diamétrale n’est pas une chose que l’homme entreprenne à l’occasion, mais c’est en elle seulement que l’homme, d’une façon générale, est homme ». Par conséquent, le rapport au divin est « la Mesure avec laquelle l’homme établit les mesures de son habitation, de son séjour sur la terre, sous le ciel. C’est seulement pour autant que l’homme de cette manière mesure-et-aménage son habitation qu’il peut être à la mesure de son être. L’habitation de l’homme repose dans cette mesure aménageante qui regarde vers

41 Poème « En bleu adorable » de Friedrich Hölderlin. Traduction d’André du Bouchet. Friedrich Hölderlin.

118 le haut, dans cette mesure de la Dimension où le ciel, aussi bien que la terre, a sa place… Cette mesure aménageante est la poésie de l’habitation » (Ibid :234-235). Heidegger nous dit donc ce qu’est la poésie. Elle est un acte de mesure pour l’homme qui lui permet d’assurer le passage du lieu à l’espace et ainsi de prendre la mesure de son existence par rapport au divin et d’éprouver son caractère mortel mais également existentiel. En revanche, Heidegger souligne également que la poésie est mystérieuse en ce sens où chacun établit sa propre poésie à l’aune de ses interprétations, intentions, aspirations… à l’encontre du Monde. Il justifie ses propos en évoquant l’acte de mesure, c’est-à-dire la poésie de l’habiter, qui ne se quantifie pas, qui ouvre donc la voie à la subjectivité. En effet, si l’acte poétique accompli et/ou recherché à travers le processus de spatialisation (passage du lieu à l’espace) permet de mesurer la mesure de l’être de l’homme, force est de constater que puisque l’homme est incapable de répondre à la question de « Qu’est-ce que Dieu », chacun cherchera, à travers des registres différents, à expérimenter son rapport au divin, seule entité capable de révéler le caractère existentiel de l’homme. Ainsi, les actes poétiques de l’habitation seront uniques et propres à chaque homme, accomplis à la lumière des représentations ou des personnifications de Dieu. « Habiter l’espace en poète » consiste donc à révéler le caractère existentialiste de la condition humaine sur terre et sous le ciel à travers la recherche de la mesure de toutes les choses, y compris celles au sein desquelles l’homme voudra y voir la manifestation du divin pour s’y mesurer et par là même exister. Ainsi donc : « La poésie, en tant qu’elle mesure, et ainsi atteint véritablement la Dimension de l’habitation, est l’“habiter” (Bauen) initial. C’est la poésie qui, en tout premier lieu, amène l’habitation de l’homme à son être. La poésie est le “faire habiter” originel » ( Ibid :242). La poésie est donc le processus qui autorise la spatialisation entendue comme la transformation du lieu en espace. En affirmant qu’une « habitation ne peut-être non-poétique que si l’habitation dans son être est poétique », Heidegger parachève sa démonstration ( Ibid :243). Car il dit ceci : prenez un bâtiment, le plus laid possible, dans lequel vous ne déceler aucune poésie, qui ne suscite aucun émoi, il n’empêche qu’il peut être une véritable habitation à condition, qu’au travers des murs, la poésie, entendue comme possibilité pour l’homme de se mesurer avec la Divinité afin de prendre conscience de son existence, y soit omniprésente.

Oeuvres , Paris : Gallimard « La Pléiade », 1967, p 939-941. (Annexe 1).

119 C’est donc bien la poésie des surfeurs que l’on cherchera à examiner. Cela dit, dans la mesure où cette poésie comprise comme l’acte de spatialisation, qui consiste à transformer le lieu-vague en espace-vague relève de la subjectivité, de l’intime, des registres affectifs et émotionnels, comment faire l’économie d’entretiens qualitatifs réalisés sur la durée et le temps afin que le surfeur ait suffisamment confiance pour se livrer, sinon pour aller à la rencontre de lui-même. D’autre part, les individus surfeurs sont des êtres sociaux. Ils emmagasinent, à l’aune de leur épaisseur historique, les stimuli issus de leur environnement social et spatial qu’ils perçoivent, encodent et retranscrivent. Par conséquent, leurs affects, leurs émotions, leurs intimités, en un mot leurs poésies, sont le fruit d’une histoire personnelle nourrie à partir des registres de socialisation dont les stratifications composent l’identité individuelle. Il y a un perpétuel va-et-vient entre le social et le désir intime, existentiel qui s’éprouve, en autre, dans la manière dont l’individu transforme les lieux pour garantir sa spatialisation. C’est la raison pour laquelle, on a du mal à souscrire à l’idée que l’espace serait sociétal de part en part. La nuance s’impose.

Si l’on considère la production de l’espace comme la transformation du lieu, la métamorphose du chaos en cosmos, rendue possible par la poésie de l’individu comme acte de mesure du lieu, ne conviendrait-il pas mieux d’écrire que l’espace serait, de part en part, l’expression de la poésie d’individus socialisés ?

La production de l’espace s’orchestre donc selon un processus au sein duquel l’homme transforme le lieu en espace. Ce processus s’organise en fonction de la manière dont l’homme est affecté en affection par les caractéristiques intrinsèques du lieu. Celles-ci entrent en résonance avec sa propre sensibilité fruit d’un héritage personnel, familial, forgée dans l’histoire d’individus socialisés. Par ailleurs, puisque la spatialisation relève d’une dimension ontologique, chacun cherchera, afin de se garantir une forme d’existence sur terre, ici et maintenant, ses propres rites, ses propres codes, convoquera ses propres logiques pour réitérer l’œuvre des dieux et fonder le monde. On comprend ici combien l’analyse systémique qui interroge la manière dont les hommes captent, traduisent et réinvestissent les stimuli de leur environnement social et spatial à l’aune de leur propre sensibilité joue un rôle fondamental afin d’appréhender ces processus de transformation des lieux en espaces.

120 2.1.5 Les sphères : Espaces de l’habiter

Habiter, c’est donc prendre la mesure du lieu par la poésie et ainsi assurer la métamorphose des lieux en espaces. Habiter est l’acte de spatialisation. Habiter est « la condition géographique » des hommes. L’espace, expression du lieu approprié dans lequel l’homme habite, met donc en jeu le transfert des affects des individus dans leurs modalités d’appropriation des lieux. Peter Sloterdijk affirme, pour sa part, que « les frontières de ma capacité de transfert sont les frontières de mon univers » (Sloterdijk, [1998], 2002 :15). Est-ce donc l’univers de l’intime qu’il s’agit d’interroger pour mesurer les capacités de transfert des individus dans le cadre du processus de spatialisation ? Par ailleurs, conspuant l’époque actuelle, le philosophe allemand évoque l’idée que « vivre dans les temps modernes, c’est payer le prix de l’absence d’enveloppe… [et que] l’humanité entreprend [rait] une manœuvre pour compenser par un monde artificiel et civilisé son absence d’enveloppe dans l’espace, due à la cassure des vases célestes » ( Ibid :27). Sloterdijk accorde donc beaucoup d’importance à la relation de l’homme à l’espace. Ses démonstrations, qui nécessitent, plus que d’autres, une attention de tous les instants de la part du lecteur 42 , invitent à penser que seules « les sphères » autorisent l’existence de l’homme. Plus encore, selon Peter Sloterdijk, « les sphères », « ces structures qui englobent et contiennent le Cosmos » seraient les formes capables de garantir une forme de sécurité existentielle aux hommes. Ainsi, à la question « où sommes-nous lorsque nous sommes dans le monde ? On peut apporter une réponse contemporaine et compétente. Nous sommes dans un extérieur [l’espace] qui porte des mondes intérieurs [la poésie]. C’est la raison pour laquelle la recherche de notre “où” est plus sensé que jamais : car elle s’interroge sur le lieu 43 que produisent les hommes pour avoir ce en quoi ils peuvent apparaître comme ceux qu’ils sont. Ce lieu porte ici le nom de “sphère”. La sphère est la rondeur dotée d’un intérieur, exploitée et partagée, que les hommes habitent dans la mesure où ils parviennent à devenir des hommes. Parce qu’habiter signifie toujours constituer des sphères, en petit comme en grand, les hommes sont les créatures qui établissent des mondes circulaires et regardent vers l’extérieur, vers l’horizon. Vivre dans des sphères, cela signifie produire la dimension dans laquelle les hommes peuvent être contenus. Les sphères sont des créations d’espaces dotés d’un effet immuno-systémique pour des créatures extatiques travaillées par l’extérieur » ( Ibid :31). Les développements

42 Michel Lussault (2007 :47) en convient : « Pour difficile qu’elle soit, la théorie de Sloterdijk… ».

121 de Peter Sloterdijk qui consistent à affirmer qu’habiter signifie toujours constituer des sphères rejoignent ceux de Martin Heidegger dans la mesure où les sphères, lieux métamorphosés en espaces par la production humaine, lieux habités, sont les espaces où s’expriment la poésie. À cet égard, Peter Sloterdijk évoque le fait qu’au sein des sphères, « “l’être dans le monde” signifie d’abord et la plupart du temps, pour l’existence humaine : l’être dans les sphères. Si les hommes sont “là”, ils le sont d’abord dans des espaces qui se sont ouverts à eux, parce qu’ils leur ont donné une forme, un contenu, une extension et une durée relative en les habitant » ( Ibid :52).

Habiter serait donc au cœur du processus de spatialisation. Par ailleurs, ses analyses viennent corroborer celles d’Augustin Berque qui pense que « la modernité se caractérise par une “décosmisation” (une perte de l’ordre unitaire et axiologique où s’articulaient l’humain et l’universel, laquelle prive d’authenticité notre rapport aux lieux, désormais réduits au rôle d’écran où se projette l’activité humaine ». C’est pourquoi, Augustin Berque en appelle à « imaginer ce que pourrait être une “recosmisation” de l’existence humaine ». Il remarque que dans ce contexte, « la modernité tend à engendrer une “acosmie” générale : un manque radical de cosmicité qui, nous aliénant des choses, fait de celles-ci des systèmes d’objets indépendant de notre existence ? de sa place dans ce monde mué en objet, le sujet moderne tend en retour à absolutiser sa propre subjectivité, creusant ainsi toujours davantage le fossé qui le sépare des choses et de ses semblables » (Berque, 2008). L’individu surfeur, en proie à « l’acosmie » évoquée par Augustin Berque, et à « l’absence d’enveloppes » pour reprendre l’expression de Peter Sloterdijk, érige-t-il la vague comme le lieu où il retrouve son authenticité, ses pulsions de vie, son existentialisme ? Le cas échéant, la production de l’espace-vague ne serait se réduire à une fuite du quotidien ? À moins que ce quotidien soit celui au sein duquel l’homme éprouve le sentiment d’une « acosmie générale » ?

Mais alors, comment le géographe peut-il examiner le processus de spatialisation des individus, qui convoquent leur poésie pour l’accomplir, sans une approche phénoménologique ? Edgar Morin nous éclaire à ce sujet. Il appelle à interroger « l’Arkhé- pensée » pour mettre au jour les processus que l’individu mobilise pour faire acte poétique. Le géographe qui entend chercher les référentiels humains où se niche le rapport de

43 Compte tenu des démonstrations antérieures, on préférera le terme espace en lieu et place du terme lieu.

122 l’homme au lieu, qui lui garantit un mode d’existence, ne peut faire l’économie d’une étude psychosociologique de l’espace. Plus encore, il doit faire sienne l’approche systémique pour rendre compte de ces processus de spatialisation puisque l’individu, en percevant les stimuli de son environnement sociospatial, ajuste et arbitre, en fonction de la manière dont il retranscrit, à la lumière de son histoire personnelle, de son épaisseur émotionnelle, de son intimité, ces stimuli pour enclencher son propre processus de spatialisation qui n’est, ni plus, ni moins, que la transformation du lieu en espace opérée en mobilisant sa propre poésie. Une figure intitulée « du lieu à l’espace : l’habiter ou le processus de spatialisation » reprend et synthétise les concepts et théories qui jalonnent cette recherche.

123 Figure 4 : Du lieu à l’espace : L’habiter ou le processus de spatialisation

Lieu amorphe – mais dont le réel va « de-soi » Lieu - Chaos L’être n’est pas au monde, il est a-spatial

Bauen : Bâtir et Habiter « Intelligence sentante » Cosmogonisation

Ménagement des lieux Prise en charge du « de-soi » des Habiter Bâtir Investir les lieux Transformer des lieux lieux L’homme affecté en affection par le « génie des lieux » Transformation des lieux par Transformation l’habitabilité à travers la des lieux amorphes mobilisation de la poésie par l’acte de bâtir entendue comme mesure des lieux

Espace de porosité et interactionnel « La condition géographique » Processus de Spatialisation

Lieux consacrés par le bauen Espace Cosmos - Sphères L’être au monde

- Spatialisation Matérielle - Spatialisation Immatérielle - Espace aménagé - Espace représenté - Emprise géographique des modes - Emprise géographique des d’aménagements de l’espace imaginaires spatiaux

Spatialité Vécue Spatialité Symbolique

© Falaix, 2012 124 2.2 Appréhender l’habiter : Analyse systémique et approche phénoménologique

Manifestement, Martin Heidegger sous-entend le caractère complexe que soulève l’approche de l’acte poétique des individus qui permet de comprendre l’être de leur habitation. Or, pour révéler la dimension complexe de l’acte poïétique des individus, il convient d’une part d’aborder « les principes qui révèlent du paradigme de simplification, c’est-à-dire des principes d’intelligibilité par simplification pour pouvoir dégager de façon correspondante des principes d’intelligibilité complexe », et d’autre part, de développer les théories que mobilise cette posture scientifique pour appréhender la complexité des processus (Lemoigne, Morin, 1999 :47). Selon Edgar Morin, « une connaissance ne peut être pertinente que si elle situe son objet dans son contexte et si possible que dans le système global dont il fait partie, que si elle crée une navette incessante qui sépare et relie, analyse et synthétise, abstrait et réinsère dans le concret » ( Ibid :107). Il s’agit donc d’adopter une posture ou méthode scientifique qui permette de situer l’acte poïétique que sous-tend l’habitation ( objet de cette étude) accompli individuellement par chaque homme (dans un contexte ) dont les pensées, systèmes de valeurs, représentations… sont construites en fonction de son environnement social ( système global ) et de la manière dont il en traduit les informations (notion de navette ).

Comment s’emparer de cette approche systémique au cœur de la discipline géographique afin de révéler l’être de l’habitation ?

Comment s’emparer de cette approche systémique au cœur de cette recherche afin de révéler la transformation du lieu-vague en espace-vague rendue possible par le surf pensé comme acte de glisse ?

D’autre part, quels sont les géographes qui nous éclairent sur le sujet ? Une chose est sûre, cette approche systémique, fondée sur une conception psychosociale de l’espace, inaugure de nouveaux modes de lecture quant à l’appréhension des modes de spatialisation des individus. Elle dépasse cette acception géographique qui consiste à considérer « les

125 actes fondamentaux de la production de l’espace selon des structures élémentaires, (qui) les produisent et (qui) produisent leur arrangement » (Brunet, Dollfus, 1990 :90). Une nouvelle approche géographique se dessine. Elle conduit à s’affranchir de « la différence principale entre la science et le mythe (qui) tient à ce que l’une fait appel à la raison et l’autre à la foi ; que si l’une travaille sur le réel, procède par des hypothèses et vérifications, l’autre est d’abord représentation de soi dans le monde, et de normes de comportement social ; elle est fondée sur la révélation et sur l’interdiction de la preuve » (Brunet, 1997 :201).

Paul Claval qualifie cette géographie comme une « géographie des rêves qui place nos rapports au monde comme le fruit d’investissements affectifs dont dépendent les engagements collectifs et la manière dont s’articulent et s’opère les choix politiques » (Claval, 1997 :12). En effet, dévoiler la dimension intime, poïétique de l’expérience spatiale des individus renvoie à placer l’espace comme un support de l’analyse de nos sociétés. Charles-Pierre Péguy remarque à ce sujet « qu’on ne peut réduire la géographie à une sorte de projection des sociétés sur un espace considéré comme passif. Ce serait peut- être faire de la cartographie sociale ou quelque sociologie spatiale, mais non faire de la géographie. Expliquer l’homme dans l’espace serait bien insuffisant si l’on ne parvenait pas à l’expliquer, du moins en partie, par l’espace. Or le risque existe de voir privilégier exagérément le groupe humain par rapport à l’espace qu’il occupe. Le fait que cet espace lui-même soit une création mentale, élaborée par chacun au sein d’une société, ne fait que rendre la géographie plus complexe. Et passionnante » (Péguy, 2001 :128). C’est la raison pour laquelle il en appelle à une « métagéographie » qui fait la part belle à l’analyse systémique. En d’autres termes, introduire les rapports hommes/lieux au cœur des dynamiques sociales suppose d’en étudier leurs natures et leurs portées. Ce travail entend donc s’inscrire en résonance avec le souhait de Charles Péguy d’élaborer une « métagéographie ».

Edgar Morin souligne que l’homme dispose d’une machine hyper-complexe, le cerveau, qui lui permet de construire une représentation. Autrement dit, la représentation est une synthèse cognitive. Cependant, Edgar Morin ne manque pas de rappeler que la pensée mythique et la pensée rationnelle coexistent afin d’organiser cette synthèse cognitive. Cette dimension cognitive qualifiée d’ « Arkhé-Esprit » combine donc le mythe et la rationalité (Morin, 1986 :168). Ainsi, en érigeant l’ « Arkhé-Pensée » comme moteur

126 essentiel, sinon central, de cette absolue nécessité des individus d’habiter l’espace en poète, nous verrons que ces processus de spatialisation procèdent d’une logique d’auto- eco-ré-organisation, computationnelle, informationnelle, communicationnelle propre à chaque individu dont il convient dans les lignes suivantes de définir ce qu’elle recouvre.

Par conséquent, réintroduire le caractère ontologique de l’expérience spatiale accomplie par les individus permet d’interroger les processus de spatialisation comme une clef de lecture de leur rapport social. Cette approche propose donc à tous ceux qui travaillent à l’aménagement et au développement des espaces de poser un nouveau regard sur la mission qui leur incombe : comprendre l’espace géographique comme une volonté des hommes, inscrits dans un environnement social dont ils se représentent les incidences, d’éprouver le caractère de leur existence humaine. C’est la raison pour laquelle il convient pour y parvenir d’adopter l’approche systémique. Ainsi, on conjecture être en mesure de saisir l’affection de certains pour des lieux généralement sujets à de fortes disqualifications et qui suscitent parfois la stigmatisation. Pourtant les espaces industriels désaffectés sont parfois réappropriés pour en faire des espaces de vie culturelle et artistique, les espaces désertiques sont faiblement peuplés mais peuvent susciter un engouement démesuré, voire constituer l’objet de l’accomplissement d’une vie comme celle de Théodore Monod... Ici, c’est donc l’affection pour le lieu-vague qui est questionnée. Pourquoi les surfeurs sont-ils si fascinés par ce lieu, jadis relayé aux marges de l’écoumène ?

2.2.1 Principes et théorie pour saisir l’habiter

Pour se formaliser avec l’approche systémique, encore faut-il faire preuve d’une capacité à simplifier, car en dégageant les principes propres au paradigme de simplification, Edgar Morin révèle des principes d’intelligibilité complexe ou systémique. L’objectif de cette démarche scientifique est de rompre avec le principe de la science classique qui identifie des lois. Car, pour établir ces lois, elle doit disjoindre c’est-à-dire bien isoler les objets soumis aux lois. La connaissance scientifique fut longtemps et demeure encore souvent conçue comme ayant pour mission de dissiper l'apparente complexité des phénomènes afin de révéler l'ordre simple auquel ils obéissent. Par conséquent, Edgar Morin se demande comment envisager la complexité des processus

127 autrement que d’une façon non-simplifiante ? En effet, dans la mesure où la connaissance classique tend à simplifier, elle ne peut pas révéler la complexité des objets qu’elle étudie. C’est pourquoi Edgar Morin propose quelques principes qui relèvent du paradigme de simplification qui permettent de mettre en évidence la complexité des phénomènes et d’acquérir quelques référentiels théoriques afin d’acquérir les méthodes de l’approche systémique.

1. Le premier principe de la science classique est de légiférer. Or, Edgar Morin rappelle que « dans l’univers même, dans l’universel est entrevue la localité, c’est-à-dire que notre univers est un phénomène singulier, comportant des contraintes singulières » (Lemoigne, Morin, Ibid :48). Par conséquent, les grandes lois qui le régissent ne peuvent mettre en exergue ces particularités locales. Ainsi, cela révèle que le problème réside dans la combinaison de la reconnaissance du singulier et du local avec l’explication de l’univers.

En ce qui nous regarde, c’est-à-dire la compréhension de l’être de l’habitation, cela suppose que l’on aborde l’individu (le singulier/le local) comme un être social (l’universel) et de considérer que ce caractère social détermine, en partie, les actes individuels, notamment ceux qui consistent à appréhender la mesure des choses à travers l’œuvre poétique. Autrement dit, l’affection pour le lieu-vague des surfeurs ne peut s’analyser qu’à partir de l’examen du registre émotionnel invoqué par les individus. Chaque surfeur est unique et par conséquent chacun lie un lien avec le lieu-vague qui lui est propre est singulier. Cette recherche ne prétend donc pas asséner de quelconques vérités. Elle met en lumière la vérité de certains surfeurs ; ceux retenus, observés, écoutés, questionnés dans le cadre de cette recherche.

2. Le second principe est la non prise en considération du temps comme processus irréversible. Or, Edgar Morin souligne qu’à présent « il convient de lier le structurel et l’organisationnel avec l’historique et l’évolutif ». En effet, cette intégration de la dimension temporelle dans le processus d’intelligibilité des phénomènes permet de mettre en évidence le fait « qu’il se développe de l’organisation en même temps que se produit de la désorganisation ». Il s’agit donc de « lier l’idée de réversibilité et

128 d’irréversibilité, l’idée d’organisation à complexification croissante et l’idée de désorganisation croissante » (Lemoigne, Morin, Ibid :49-51).

Concrètement, cela suppose que l’histoire des individus, entendue comme une stratification d’émotions, (organisation à complexification croissante/désorganisation croissante) qui concoure à la construction identitaire , soit prise en compte dans le cadre des registres émotionnels qu’ils convoquent pour se spatialiser. C’est la raison pour laquelle, une présentation des surfeurs retenus dans le cadre de cette recherche est nécessaire car elle recontextualise chacun de ces surfeurs dans le cadre de leur histoire personnelle.

3. Le troisième principe de simplification est celui de la réduction, de l’élémentarité. Il érige la connaissance des systèmes à celle des parties simples ou unités élémentaires qui les constituent. Or, l’approche systémique vise à s’affranchir de cette vision simplifiante selon laquelle le tout est la somme des parties. Au contraire, l’approche systémique édifie l’organisation et l’unité globale comme une structure au sein de laquelle s’articulent des qualités et propriétés capables de générer un nouvel ordre. En d’autres termes, la méthode systémique construit la notion d’émergence, c’est-à-dire que des « qualités ou propriétés d’un système présentent un caractère de nouveauté par rapport aux qualités ou propriétés des composants considérés isolément ou agencés différemment dans un autre type de système ». Autrement dit, « la notion d’émergence peut se confondre avec celle de totalité, le tout émergeant, et l’émergence étant un trait propre au tout » (Morin, 1981 :106).

En d’autres termes, si on aborde le processus de spatialisation de manière globale (propriétés d’un système) fondé sur un processus où entrent en compte l’affect des individus construit à l’aune de leur histoire personnelle (composant isolé du système processus de spatialisation) et de la manière dont ils vivent leur rapport au social (composant isolé du système processus de spatialisation) , on comprendra aisément que l’analyse du seul changement d’humeur ou de relation sociale ne permet pas, à lui seul, de mesurer les incidences sur le processus global de spatialisation (le tout) dans la mesure où

129 l’affect et le caractère social des individus (somme des parties) s’interpénètrent dans le cadre de l’émergence du processus.

4. Le quatrième principe simplificateur est celui de « l’Ordre-Roi ». Ce principe permet de qualifier de désordre tout se qui s’apparente à une insuffisance de notre connaissance. La méthode systémique propose au contraire d’identifier le désordre comme la genèse d’une organisation induite par les interactions entre les unités du système. Edgar Morin propose donc le tétragramme ordre-désordre-interactions-organisation pour rendre compte de cette mutation du système que caractérise le désordre. Par conséquent, le désordre ne symboliserait plus un manque de connaissance mais prendrait le caractère d’un principe organisateur. Il convient dès lors de s’interroger sur les facteurs qui génèrent cette mutation du système, cette apparition du désordre. Par conséquent, « la relation ordre- désordre-organisation n’est pas seulement antagoniste, elle est aussi complémentaire et c’est dans cette dialectique du complémentaire et de l’antagoniste que se trouve la complexité » (Lemoigne, Morin, Ibid :55). Ainsi, la vision simplifiante qui proposait une lecture primaire de la causalité entendue comme extérieure aux objets se trouve donc relayée au rang de considération scientifique inacceptable. En effet, la systémique élabore une causalité nouvelle. Elle introduit l’idée de feed-back, de rétroaction. Cependant, cette causalité nouvelle, appelle à réfléchir sur la nature des causes endogènes et exogènes qui engendrent une mutation de l’organisation systémique. L’intérêt réside alors dans le décryptage des interactions qui lient les éléments et/ou phénomènes de telle manière que celles-ci procèdent d’une ré-organisation. Se dégage ainsi un autre principe à savoir que l’émergence, c’est-à-dire que des qualités et propriétés qui naissent de l’organisation d’un ensemble, rétroagissent sur cet ensemble. Ce principe révoque donc la logique déductive des sciences classiques pour introduire l’idée de récursion organisationnelle. La pensée simplifiante élabore la disjonction entre l’objet et l’environnement. La méthode systémique pose, au contraire, le principe de relation entre l’observateur-concepteur et l’objet observé, conçu. Ce rapprochement fondamental invite alors le chercheur à s’interroger sur la place qu’il occupe dans ce système auquel il appartient. L’affirmation de cette relation n’est pas sans poser de sérieux problèmes aux sciences sociales. En effet, l’idée de récursion organisationnelle « produit l’être, il crée du “soi” ». Dès lors, comment « penser notre système par rapport à nous et nous par rapport à notre système ? » (Lemoigne, Morin, Ibid :62-63).

130 Ainsi, les principes évoqués précédemment mettent en exergue les limites de la démonstration logique au sein des systèmes formalisés complexes. Quant à l’objet de cette recherche, c’est-à-dire la manière dont les individus habitent l’espace en poète, la manière dont les surfeurs habitent la vague, il convient de l’appréhender comme un processus systémique.

2.2.2 Convoquer l’ « Arkhé-pensée »

On a pu constater combien le processus de spatialisation répondait d’une logique individuelle. Chacun habite l’espace selon son histoire, son vécu, sa perception de l’environnement social, ses rêves, ses envies… On a également mesuré combien l’approche systémique pouvait constituer un puissant levier pour appréhender ce processus. En effet, l’individu, en prise avec son environnement social, construit ses représentations à l’aune des interprétations qu’il fait des informations issues de cet environnement social. Aussi, saisir le caractère individuel de l’acte de spatialisation appelle à entendre le sujet sur sa vison de son environnement social, sinon à comprendre les interprétations qu’il en a. Néanmoins, on a également mis en lumière le caractère symbolique de l’acte de spatialisation qui suppose, au préalable, l’acte de cosmogonisation, acte fondateur pour habiter. Or, cet habiter, qui consiste à révéler le caractère poétique de l’espace, est éminemment subjectif et emprunt de représentations. Mais, il nous incombe pourtant de saisir la manière dont les individus se saisissent de cette poésie qui consiste à prendre la mesure de toutes les choses, y compris celles relevant de l’inconnu donc du sacré. Edgar Morin nous invite alors à interroger l’ « Arkhé-pensée ».

L’Arkhe-pensée telle que définie par Edgar Morin « correspond aux forces et formes originelles, principielles et fondamentales de l’activité cérébro-spirituelle. C’est une façon de concevoir la pensée symbolique-mythologique. L’Arkhe-Pensée se polarise sur la réalité subjective ; mobilise une néo-pensée symbolique-mythologique-magique… en ce sens où c’est la pensée rationnelle qui revitalise la pensée symbolique-mythologique- magique originelle. En effet, l’histoire contemporaine, tout en dissolvant les anciennes mythologies (pensée rationnelle), en secrète de nouvelles, et régénère de façon proprement moderne la pensée symbolique-mythologique-magique… Ainsi, l’objectivité et la

131 subjectivité de la connaissance, relève non de deux compartiments distincts ou de deux sources différents, mais d’un circuit unique d’où elles vont se distinguer, puis éventuellement s’opposer, chacune nourrissant principalement l’une des deux pensées. Ce circuit unique est une boucle génératrice, l’Arkhe-Esprit, où se forme la représentation et le langage » (Morin [1986], 2001 :153-175).

Par conséquent, il s’agit de décrypter à quel paradigme 44 répondent les productions de ces espaces poïétiques. Car, on peut alors aborder l’espace physique c’est-à-dire le lieu comme une zone où se projettent les structures sociales. L’intérêt d’une telle posture intellectuelle réside donc dans l’exploration des modes de lectures de l’espace physique et de l’environnement social, c’est-à-dire, l’exploration des images poïétiques, des imaginaires, des symboles, des mythes que mobilisent les individus afin de les transférer pour construire leur langage spatial, leur géographie existentielle, leur lien social. Or, d’une part, seule la proximité avec le terrain, les acteurs locaux, les habitants, et d’autre part, seuls le dialogue, l’échange, la concertation, l’écoute, voire l’observation participative autorisent la lecture des registres symboliques, affectifs, culturels que mobilisent les acteurs pour habiter l’espace et en faire leur territoire. Sinon, comment comprendre l’affection des surfeurs pour le lieu-vague ?

2.2.3 Approche modélisée des contestations et résistances face à l’institutionnalisation des territoires du surf

Lorsque Loïc Wacquant entreprend l’étude des comportements des boxeurs afro- américains au cœur d’un club de la ville de Chicago, il décide de consigner dans un carnet, qu’il qualifie d’ethnographique, l’ensemble de ses observations. Ainsi, « Busy Louie », comme le surnomme ses compagnons de la salle de boxe au sein de laquelle il évolue, s’emploie à décrypter les logiques sociales qui prévalent dans l’univers pugilistique. Évoquant volontiers le terme d’habitus pugilistique en écho aux propos de Pierre Bourdieu dont il est l’un des disciples, Loïc Wacquant rappelle combien le « gym est une institution complexe et polysémique, surchargée de fonctions et de représentations qui ne se livrent

44 On entend par paradigme l’acception proposée par Edgar Morin, c’est-à-dire « un ensemble de concepts fondamentaux et de catégories maîtresses de l’intelligibilité articulés entre eux qui proposent des clefs d’interprétations du réel tout en restant implicites » (Morin, 1991 :218).

132 pas d’emblée à l’observateur, fût-il averti de la nature du lieu » (Wacquant, 2000 :17). Cette mise en garde à l’égard du fait que le simple quidam universitaire, fraîchement débarqué d’un laboratoire, ne peut mesurer les dynamiques qui s’orchestrent au sein d’un univers codifié, interpelle. En effet, que dit Loïc Wacquant sinon qu’il convient de faire acte de compréhension phénoménologique pour gagner en efficience et s’affranchir de conclusions trop hâtives. C’est pourquoi Loïc Wacquant précise que « pour apercevoir ces diverses facettes du gym et détecter les protections et les profits qu’il assure à ceux qui se placent sous son égide, il faut et il suffit de suivre les fantassins du Noble Art dans l’accomplissement de leurs taches journalières et se plier à leur côtés au rigoureux régime, indissociablement corporel et moral, qui définit leur état et scelle leur identité… Lié d’amitié avec les entraîneurs et les boxeurs, j’ai pu observer in vivo la genèse sociale et le déroulement des carrière pugilistiques » (Wacquant, 2000 :18-19). Souscrire à cette posture intellectuelle consiste donc à privilégier l’observation participative. Car, comment parler de surf sans être surfeur sinon à se risquer aux approches stéréotypées et caricaturales ? Comment témoigner et relater les joies que procure le rapport à l’acte de glisse sur la vague sans les expérimenter en s’en remettant à ce que Michel Maffesoli appelle « la pensée du ventre », c’est-à-dire « une pensée qui sache prendre en charge les sens, les passions et les émotions » ? (Maffesoli, [1988], 2000 :18) Comment relater la peur suscitée lorsque la vague vous emporte dans les profondeurs océanes durant de longues secondes lorsque jamais cette peur n’a été appréhendée ? Comment décrypter les logiques sociales au sein de ces communautés sans en être membre ? C’est la raison pour laquelle, on ne peut que souscrire à ce que décrit Loïc Wacquant dans l’analyse de son apprentissage à l’encontre du fait de devenir boxeur et la manière dont il vit l’appartenance à cette discipline sportive. Ne pouvant mieux décrire les phases d’apprentissage du surf et la façon dont on se sent aujourd’hui surfeur, on s’en remet donc à ses propos. Il précise que, pour lui, « devenir boxeur c’est s’approprier par imprégnation progressive un ensemble de mécanismes corporels et de schèmes mentaux si étroitement imbriqués qu’ils effacent la distinction entre le physique et le spirituel, entre ce qui relève des capacités athlétiques et ce qui tient des facultés morales et de la volonté. Le boxeur est un engrenage vivant du corps et de l’esprit qui fait fi de la frontière entre raison et passion, qui fait éclater l’opposition entre l’action et la représentation, et ce faisant offre un dépassement en acte de l’antinomie entre l’individuel et le collectif » (Wacquant, 2000 :20).

133 Néanmoins, Loïc Wacquant n’examine pas les questions d’appartenance territoriale. Puisque là n’est pas son propos, ni le cœur de sa discipline, il n’analyse pas le rapport à l’espace géographique qu’entretiennent les boxeurs. C’est pourquoi, au-delà de l’observation participative, il s’agit d’alimenter le substrat du terreau scientifique pour explorer les registres affectifs, intuitifs, émotionnels que convoquent les surfeurs pour habiter l’espace-vague. La tâche est bivalente : ardue et enthousiasmante. En revanche, elle dessine les contours d’une nouvelle approche géographique fondée sur l’analyse du caractère ontologique que sous-tend la spatialisation.

Loïc Wacquant souligne la nécessité d’être au plus près des boxeurs afro- américains issus des quartiers populaires pour saisir leurs intentions, leurs projets, leurs rêves, leurs espoirs mais aussi leur désillusions, leurs échecs, leurs peines, leurs souffrances que sous-tend pour eux la pratique pugilistique sous peine de verser dans une analyse sociologique caricaturale établie à l’aune de certains préjugés ou présupposés idéologiques. Arrivé dans son costume de chercheur, prêt à de nombreux sacrifices, Loïc Wacquant troque donc son col blanc d’universitaire au profit d’un short de sport et d’une paire de gants. Son aventure dépasse largement le cadre circonscrit d’une recherche de terrain. Englué dans la moiteur du gym , en proie à la promiscuité tant physique que psychologique, au plus près de l’affrontement corporel, le sociologue y découvre un art de vivre. Plus encore, il fait l’expérience d’une aventure humaine dont il témoigne des émotions qu’elle suscite chez lui et ses compagnons de fortune. Il raconte comment la métamorphose s’opère et quelles sont les raisons qui président à la consécration d’un apprenti boxeur, définitivement débarrassé de son costume d’universitaire, affectueusement nommé « Busy Louie » en hommage à son abnégation dans la compréhension et l’assimilation d’une gestuelle pugilistique. On a choisi également de consigner nos observations dans un carnet ethno-géographique d’un apprenti surfeur.

La lecture des « carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur » s’inscrivait en résonance avec le travail de terrain. Car, le surf appelle également à faire l’expérience de l’acte de glisse sur la vague dans la mesure où, comme dans l’univers de la boxe, son apprentissage nécessite un investissement de chaque instant. En effet, apprendre à surfer ne se décrète pas ; cela s’expérimente avec comme corollaire l’apprentissage de sensations inédites, gratifiantes, envahissantes et de sensations de frustrations, de renoncement,

134 d’insatisfactions. « Apprendre à boxer, c’est insensiblement modifier son schéma corporel, son rapport au corps et l’usage que l’on en a habituellement de façon à intérioriser une série de dispositions inséparablement mentales et physiques, qui, à la longue, font de l’organisme une machine à donner et à recevoir des coups de poing, mais une machine intelligente, créatrice et capable de s’autoréguler tout en innovant à l’intérieur d’un registre fixe et relativement limité de mouvements en fonction de l’adversaire et du moment » (Wacquant, 2000 :95). Cette lecture de la boxe pourrait tout à fait convenir au surf. Car, à l’instar du noble art, surfer nécessite l’adaptation à un mode de vie fait de rites, de codes, d’aptitudes corporelles et de comportements sociaux propres à ces communautés.

On ne décide pas d’aller surfer ; on espère aller surfer dans la mesure où seules les conditions climatiques déterminent l’opportunité d’accomplir l’acte de glisse. C’est donc d’une grande disponibilité dont il faut faire preuve. Une session de surf ne saurait se planifier avec autant de certitude qu’une partie de football. Les aléas météorologiques dictent l’heure, le lieu et accessoirement la durée d’une session. S’affranchir de contraintes familiales, professionnelles s’impose comme une absolue nécessité afin de pouvoir disposer de plages horaires variables. Des choix de vie s’imposent puisque avoir suffisamment de disponibilités temporelles s’inscrit souvent en rupture avec les exigences du monde professionnel. Ces choix de vie sont parfois à contre-courant, sinon en rupture avec la norme sociale qui commande la sédentarisation, l’insertion professionnelle, la construction d’une famille… Avec le surf, le rythme des marées, les courbes isobariques, la lecture et la connaissance des bancs de sable, les bulletins météorologiques deviennent des indicateurs qui permettent l’organisation d’une journée. Sauf à se risquer aux conflits, il est alors souvent difficile lorsque l’on a un travail, une famille de s’en remettre aux conditions hydroclimatiques pour planifier ses journées. Ainsi, contrairement aux sportifs qui utilisent des espaces aménagés tels que les stades, les pistes de randonnées, ou les gymnases, qui permettent une planification des activités plusieurs jours à l’avance, les surfeurs sont tributaires de leur environnement d’expression sportive et ludique. L’océan dicte les échéances et suppose de grandes capacités d’adaptation comme le souligne Francis Distinguin, Directeur Technique National à la Fédération Française de Surf de 1990 à 2007 : « Surfer de nouvelles vagues suppose de saisir la dynamique de l’environnement. Dans la mesure où chaque vague est unique et différente, il est essentiel de repérer les dangers, les similitudes, les correspondances, les régularités. Surfer

135 consiste à se laisser envahir par l’environnement et s’imprégner de ses humeurs. Apprendre à lire exige de décrypter l’océan, de comprendre son vocabulaire et son langage, de percevoir les signes annonciateurs d’un temps nouveau. À chaque fois un processus similaire s’engage. Identifier les caractéristiques de l’environnement, repérer les constantes dans le chaos, évaluer les variations, saisir la dynamique afin d’écrire une partition. L’enjeu est alors moins de maîtriser le vocabulaire technique que de comprendre la dynamique des processus en jeu 45 ». Cela dit, les jours où les conditions météorologiques le permettent, rien n’est encore acquis quant au fait de pouvoir prendre une vague. Encore faut-il connaître le spot c’est-à-dire la zone où les vagues déferlent. Car, chaque spot est unique. Les courants, la nature des fonds marins, l’exposition du lieu aux vents influent sur la configuration de la vague. Encore faut-il savoir ramer vers le large, déployer sa force musculaire pour franchir la barre et affronter les courants, lire les mouvements de la houle pour se placer au bon endroit, faire preuve d’agilité et de souplesse pour se mettre debout sur la planche avant, en dernier ressort, d’expérimenter les sensations de glisse que tant d’efforts consentis autorisent enfin ! Ainsi, malgré l’apparente décontraction des surfeurs en action, malgré l’apparente facilité qu’ils dégagent vus depuis la grève, on l’aura compris : surfer ne se décrète pas ; cela s’expérimente. Surfer suppose une bonne condition physique et nécessite des heures de pratique pour connaître l’environnement dans lequel on évolue et faire l’acquisition de l’acte de glisse. Plus encore, cet apprentissage est une forme de sacrifice. En effet, un bon surfeur le devient, si et seulement si, il assume cette part de sacrifice que suppose l’acquisition de l’acte de glisse. Car, apprendre à surfer suppose de se mettre au diapason du rythme de l’océan. Il faut savoir se lever tôt pour bénéficier de conditions climatiques optimales. Il faut savoir se constituer un capital physique pour affronter les conditions hydromarines. Il faut faire l’apprentissage des frustrations, lorsque malgré les planifications et conjectures, les conditions météorologiques ne sont pas au rendez-vous.

La lecture d’un article publié dans le quotidien national sportif L’Équipe 46 consacré à l’obtention du onzième titre de champion du monde de surf par le floridien renforce ce sentiment que le surf est une pratique sportive exigeante dont l’apprentissage

45 Propos recueillis en juin 2011 sur le Blog de Francis Distinguin. http://blogs.mediapart.fr/blog/francis- distinguin/080610/surfer-ou-disparaitre . [Page consultée le 2 décembre 2011]. 46 L’Équipe . « De Kelly à “king Kelly” », 2011, n°20 933, p 16.

136 ne se fait pas en un jour. Le portrait dressé du surfeur est le suivant : « Kelly Slater témoigne d’une approche mentale de la compétition très particulière… Le floridien, stakhanoviste, s’est adapté en cherchant toujours à repousser les limites du surf ». On apprend même que « s’il surfe comme s’il avait vingt ans 47 , il doit son extrême agilité à une souplesse incroyable et à une hygiène de vie très saine ». Cette présentation élogieuse de « king Kelly » appelle à nuancer quelque peu les représentations caricaturales, fondées sur la mobilisation des registres de la contre-culture, qui envahissent le monde de la glisse. Christophe Guibert s’emploie à décrypter les paradoxes qui transpirent à l’issue des lectures journalistes de la presse spécialisée dans la mesure où les représentations des surfeurs oscillent, au gré des humeurs et des éditoriaux, entre la figure d’un surfeur contre- culturel et celle d’un surfeur ascète, prêt à tous les sacrifices dans l’espoir d’une réussite et performance sportive (Guibert, 2011). Car, à y regarder de plus près, force est de constater que le surfeur est tantôt l’archétype du personnage contre-culturel, tantôt un champion hors du commun, doué de capacités physiques et mentales extraordinaire. Ainsi, on peut lire que « Belharra, le spot basque a permis à quelques big waves riders à la rame de tenter le drop. C’est la témérité et la démarche du geste qui font leur honneur. Et la force de leurs bras, tant pour rejoindre le spot que pour s’y risquer, est effectivement salutaire 48 ». Néanmoins, comment approcher les surfeurs pour saisir leur rapport à la vague ?

Loïc Wacquant nous dit que « celui qui désire ardemment pénétrer dans le cosmos pugilistique et s’y élever doit s’appliquer à s’expatrier de l’univers mondain, à se désengager de ses jeux et à se rendre indifférent à ses séductions. Il doit être prêt à immoler tous ses intérêts profanes sur l’autel du ring. Car, c’est seulement dans et par l’ascèse rigoureuse et la séquestration professionnelle réclamée par l’éthique du sacrifice qu’il forgera ces qualités de dureté, d’abnégation, d’endurance et de rage disciplinée nécessaires pour maîtriser la science de la cogne et perdurer dans le dur métier de guerrier des rings » (Wacquant, 2000 :162). Il en est de même dans le monde du surf. Apprendre à surfer est un exercice complexe. Chaque session est un univers inconnu avec ses propres règles. Chaque vague est unique et appelle donc à des capacités d’adaptation. Cette capacité d’adaptation s’acquiert avec le temps et seule l’accumulation des sessions

47 Lorsqu’il obtient son onzième titre mondial, Kelly Slater est âgé de trente neuf ans. Il est à la fois le plus jeune champion du monde de la discipline, sacré en 1992 à vingt ans, et le plus vieux champion du monde avec l’acquisition de cette onzième couronne.

137 permet de se formaliser avec une connaissance approfondie des logiques propres aux mouvements de houle et aux incidences des variations du vent. Par conséquent, la pratique du surf est chronophage et exigeante. Par ailleurs, au-delà de l’apprentissage individuel et du sens du sacrifice, le monde du surf est un univers codifié et ritualisé.

Aussi, on a toujours pensé que pour décrypter les sensations évoquées par les surfeurs, il nous fallait en connaître la signification. Car, comment, depuis la plage, en qualité de néophyte, restituer le bonheur verbalisé par un surfeur heureux de son ride ? Comment rendre compte des peurs suscitées par une grosse vague ou par la proximité des rochers affleurants au take off ? Comment comprendre les récits enthousiastes des surfeurs à leurs sorties de l’eau ? Comment saisir le ressenti de contorsions corporelles induites par le froid de l’eau, la force des courants, le mouvement de la houle ? Comment être attentif aux petits détails qui peuvent parfois être lourds de significations comme le bonheur d’être ébloui par les rayons du soleil filtrés par la vague lorsqu’il s’agit de faire un canard et de garder les yeux ouverts pour admirer ce spectacle. Or, être en mesure d’entendre ces discours à l’aune de notre propre vécu océanique autorise à dépasser le discours émotionnel pour saisir l’intention, l’acte de spatialisation. Pour toutes ces raisons, on a fait le choix de l’observation participative. On a fait le choix d’entrer dans l’univers du surf pour y consigner anecdotes, y faire des rencontres humaines, y partager un quotidien. Seule cette imprégnation dans l’univers du surf autorise le fait de tisser des liens afin que les individus se livrent dans le discours. Comment se revendiquer d’une géographie explorant l’intime en exerçant une recherche de cette intimité à distance, protégé de l’investissement émotionnel, retranché derrière un écran d’ordinateur, calfeutré dans un bureau de laboratoire, à l’abri d’un questionnaire pré-établi où seules des questions fermées seraient posées ? C’est cet investissement dans le monde du surf, au plus près des pratiquants qui permet la rédaction de ces carnets que l’on qualifie, en hommage à Loïc Wacquant, d’ethno-géographiques. Par conséquent, quelques anecdotes vécues viendront enrichir la démonstration, étayer les démonstrations, conforter les hypothèses.

Par ailleurs, l’hypothèse de cette recherche est la suivante : dans son rapport au lieu-vague, le surfeur est au monde dans la mesure où l’acte de glisse, la poésie du surfeur, sanctionne l’avènement de l’espace-vague. Il est au monde parce qu’il habite le lieu-vague.

48 Surf Session . Editorial, Belharra respect, n°260, mars 2009, p 11.

138 En revanche, si l’espace-vague perd sa dimension symbolique, n’autorise plus l’acte d’habiter pour de multiple raison (pollution, surfréquentation des spots, délimitation des espaces de pratique, traitement médiatique de la culture surf…) alors, le surfeur ne trouve plus dans sa pratique quotidienne du lieu-vague l’opportunité d’être au monde. Cela dit, même si on évoque le caractère causal du processus, en mobilisant la rhétorique du « si… alors », le phénomène est bien plus complexe qu’il n’y parait. Quelques pistes de réflexions théoriques permettent d’appréhender la complexité des processus à l’œuvre et de rompre avec une analyse trop simpliste. En effet, les travaux de Jean-Louis Lemoigne et d’Edgar Morin sur la pensée complexe constituent de précieux apports afin de rendre intelligible les raisons qui président à l’émergence de contestations et de résistances exprimées par les surfeurs en réaction aux politiques publiques conduites dans ce secteur de l’univers du surf.

L’enjeu consiste à dépasser une pensée qui « en isolant et/ou morcelant ses objets efface non seulement leur contexte, mais aussi leur singularité, leur localité, leur temporalité, leur être et leur existence, tend à décharner le monde, en réduisant la connaissance des ensembles à l’addition de leurs éléments, affaiblit notre capacité à remembrer les connaissances ; plus généralement, atrophie notre aptitude à relier (les informations, les données, les savoirs, les idées) au seul profit de notre aptitude à séparer » (Ibid :47). C’est pourquoi, on souscrit à l’idée défendue par Edgar Morin : « une connaissance ne peut être pertinente que si elle situe son objet dans son contexte et si possible que dans le système global dont il fait partie, que si elle crée une navette incessante qui sépare et relie, analyse et synthétise, abstrait et réinsère dans le concret » (Ibid :107). Cette posture scientifique et intellectuelle inaugure de nouveaux modes de lecture quant à l’appréhension des processus de territorialisation. La pensée complexe introduit plutôt le désordre comme « processus actif qui permet (fluctuations), nourrit (rencontres) la constitution et le développement des phénomènes organisés » (Morin, 1981 :75).

C’est donc une nouvelle géographie qui se dessine. Une géographie de l’intime qui place nos rapports au monde comme le fruit d’investissements affectifs dont dépendent les engagements collectifs et la manière dont s’articulent et s’opère les choix politiques sur le traitement de l’aménagement de l’espace et de l’urbanisme. En effet, introduire la dimension intime de l’expérience spatiale des individus renvoie à placer l’acte d’habiter

139 comme compréhension de la manière dont les individus sont au monde. En d’autres termes, introduire les rapports intimes hommes/lieux au cœur des réalités géographiques suppose d’en étudier leur nature et leur portée. C’est donc bien le champ des représentations symboliques et vécues du rapport au lieu que l’on examine. Or, ce processus relèverait d’une logique d’auto-eco-ré-organisation, computationnelle, informationnelle, communicationnelle dont les travaux de Lemoigne et Morin nous permettent de comprendre la structuration. Autrement dit, cette approche du processus de territorialisation peut être entendu comme la projection qui « répond [rait] d’une logique organisationnelle où l’ordre se nourrit du désordre » (Lemoigne, 1999 :46). En d’autres termes, l’analyse systémique permet d’envisager les productions spatiales comme acte poïétique, comme la représentation d’un phénomène perçu actif qui enrichit le système du fait de sa force récursive. Par conséquent les contestations et résistances des surfeurs face à l’institutionnalisation des territoires du surf ne sont plus seulement des actes relevant de la sphère des déviances. Ils deviennent des phénomènes, non plus faciles à stigmatisés, mais intéressant d’interroger dans la mesure où il témoignent d’une appréhension des stimuli de l’environnement. Par conséquent, en ré-introduisant l’individu dans sa dimension intime de l’expérience spatiale, c’est-à-dire en décryptant le caractère existentiel de l’habiter, il s’agit d’aborder la territorialisation dans sa grande complexité. Dans la mesure où l’individu conçoit sa connaissance de la connaissance via un organe hyper-complexe qu’est le cerveau, il s’agit de savoir comment sont traduits les stimuli de l’environnement en terme de représentation. Dès lors, « nos visions du monde seraient des traductions de nos mondes ! » (Ibid :68). Edgar Morin souhaiterait voir émerger une science de la connaissance de la connaissance qu’il appelle noologie. La noologie - science de l’organisation des idées - permettrait ainsi de dévoiler non seulement que les systèmes d’idées relèvent de la logique, mais surtout d’une « paradigmatologie », c’est-à-dire que le paradigme, « ensemble de concepts fondamentaux et de catégories maîtresses de l’intelligibilité articulés entre eux, propose des clefs d’interprétations du réel tout en restant implicites » (Morin, 1991 :218).

Quant à Jean-Louis Lemoigne, il propose une modélisation de ces systèmes complexes. Par modélisation des systèmes complexes, il entend « l’action d’élaboration et de construction intentionnelle, par composition de symboles, de modèles susceptibles de rendre intelligible un phénomène perçu complexe, et d’amplifier le raisonnement de l’acteur projetant une intervention délibérée au sein du phénomène ; raisonnement visant

140 notamment à anticiper les conséquences de ces projets d’actions possibles » (Lemoigne, 1999 :5). Il réfute les sciences classiques pour élaborer une épistémologie constructiviste et s’en réfère aux propos de Gaston Bachelard : « Quoiqu’on en dise dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique… S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit » (Bachelard, [1937], 1993 :14). En d’autres termes, la connaissance est construite par le modélisateur qui en a le projet, dans ses interactions permanentes avec les phénomènes qu’il perçoit et qu’il conçoit. L’objectif de Jean-Louis Lemoigne est donc de rendre compte de « ce processus de construction de connaissance active qui est au cœur du processus de modélisation des phénomènes ou des systèmes perçus complexes », c’est-à-dire de mettre en lumière le fait « qu’un système complexe est, par définition, un système construit par l’observateur qui s’y intéresse » ( Ibid :23-24). La pensée complexe exprime le paradigme d’organisation qui décrit cette conjonction d’actions complexes. Ainsi, le système répond d’une Eco (fonctionnement dans l’environnement) – Auto (exprime l’autonomie) – Ré (transformation diachronique) – Organisation. Par conséquent, l’organisation, forme organisée de l’action, s’organise elle-même en organisant son action dans son environnement. Cette action de l’organisation organisante s’opère selon différents modes qui sont enchevêtrés. L’organisation est une conjonction d’information (production et mémorisation des symboles), et de computation (traitement téléologique de symboles : décision et délibération). Cette représentation autorise donc l’expression du caractère récursif de l’action de l’organisation. Ainsi, « l’information in-forme l’organisation organisée, laquelle, organisante, organise la formation de l’organisation ainsi informée ; laquelle… » ( Ibid :101), c’est-à-dire que s’opère un processus complexe d’auto-in- formation de l’organisation effective par computation et mémorisation. Or, l’information et le symbole coexistent. Le caractère signifié influe sur le caractère signifiant de l’information. Cela revient à dire que « le traitement de l’information ne peut être réduit au traitement technique du signal » (Lemoigne, 1999 :107). Cette compréhension d’un système complexe, ainsi que du processus de mémorisation du système conduit à pouvoir modéliser l’organisa(c)tion. Cette opération intellectuelle contribue à l’émergence de nouvelles représentations de la réalité, et offre des voies de recherche et de réflexion pour une nouvelle géographie.

141 La pensée systémique n’est donc pas sans introduire une relecture des fonctions du géographe. Le géographe ne serait-il pas celui qui devrait procéder à une sorte de maïeutique auprès des individus puisque la pensée systémique convoque le concept de système auto-organisé et le processus de décision-résolution à des fins d’organisationnelles ? Le cas échéant, l’enjeu consiste donc à saisir la manière dont s’organisent le processus de spatialisation chez les individus, c’est-à-dire, comprendre les productions poïètiques comme une volonté téléologique de vivre l’espace géographique en poète, volonté nourrie à l’aune des interprétations individuelles de la manière dont le rapport à l’espace est perçu, traité par les pouvoirs publics, aménagé, vécu, ressenti, intellectualisé, subi, contraint, idéalisé, magnifié…

142

Figure 5 : Approche modélisée de l’ habiter comme clef de lecture des résistances et contestations des surfeurs face à l’institutionnalisation des territoires du surf

Construction institutionnelle des L’espace-vague B G1 habité à t0 territoires du surf

C

A F2 Demande sociale et H D1 touristique d’un usage G2 de l’espace-vague Bauen du surfeur perçu à t0 Géographie de l’intime D2 E1 L’espace-vague – à t1 : F3 - Intégration du surf dans la structure F1 spatiale des stations balnéaires - Intégration du surf dans les modes de « sociabilité plagique » - Surf - produit touristique Néo-territorialités sportives à caractère ontologique F1 E2 G

L’espace-vague à t2 : S’exercent les contestations et résistances induites par le passage de l’espace vague t0 à t1 : - Localisme - Mobilisation environnementale

A : Spatialisation des surfeurs (ordre initial) – Transformation du lieu-vague en espace-vague par la poésie/acte de glisse B : Réhabilitation sociale de l’image du surfeur/Mise en scène de l’espace-vague par les pouvoirs publics C : Expressions de besoins sportifs et touristiques induits par l’action B D1 : Requalification institutionnelle de l’espace-vague : Espace aménagé et mise en scène (désordre de l’ordre initial) D2 : Requalification sociale de l’espace-vague : Espace fréquenté, marchandisé et ludique plus qu’existentiel (désordre de l’ordre initial) E : Analyse des incidences (bruits) des requalifications sociogéographiques de l’espace-vague habité sur le bauen des surfeurs – « La géographie de l’intime » (E1) et des incidences sur l’espace-vague (E2) F : Manifestations des contestations et résistances : Emergence d’un nouvel ordre – L’espace-vague à t2 F1 : Localisme et mobilisation environnementale F2 : A la recherche du bauen initial : le secret spot et le trip surf F3 : Abandon de l’espace vague pour un bauen engendrant des néo-territorialités sportives G : Feedback : Modalités d’appropriation par les pouvoirs publics (G1) et la société (G2) des contestations et résistances géographiques qui rétroagissent sur la fonction B (Potentiel de rebouclage) H : Potentiel pour un rebouclage de ce système complexe avec réactivation des opérations de B à F

© Ludovic Falaix 143 CONCLUSION CHAPITRE 2

LA VAGUE : L’ESPACE HABITÉ DES SURFEURS ?

L’approche phénoménologique semble donc indispensable pour saisir le caractère ontologique de la spatialisation des individus. L’individu puisqu’il perçoit les informations de son environnement construit sa spatialisation, c’est-à-dire la métamorphose du chaos en cosmos, à partir de la manière dont il réinvestit le traitement de ces informations dans son rapport au lieu. Or, c’est ici que l’intime, l’histoire individuelle, les émotions, les sensations, les désirs, les rêves, les utopies, les envies… sont convoqués par les individus pour se spatialiser. André-Frédéric Hoyaux 49 nous éclaire sur la marche à suivre. L’approche phénoménologique « entend clarifier les liens, les fonctions et les raisons de la construction des liens qui seraient mis en place entre le cadre de vie des habitants et la façon qu’ils ont de les vivre, de s’y fondre mais aussi de lui donner du sens. En effet, si de nombreuses études en sciences cognitives ont réfléchi à la mise en connaissance du rapport entre l’individu et son environnement, elles ont omis d’analyser le sens de ce rapport pour la constitution même de l’être au monde. Pour la phénoménologie, habiter n’est plus se fondre dans un creuset spatial et y développer des façons de faire et d’être déterminé par celui-ci. Pour elle, il est nécessaire de penser l’individu comme l’acteur d’une partie au moins de sa réalité géographique, - celle de son monde qui l’entoure - par la construction territoriale qu’il opère dans le monde qui l’entoure, mais aussi comme l’acteur de sa réalisation en tant qu’être qui fait sens » (Hoyaux, 2002b). Par conséquent, cette approche marque une rupture majeure. Car, pour André-Frédéric Hoyaux, il convient alors « d’analyser comment ce monde construit induit de façon corrélative la constitution même d’un système de valeurs qui détermine l’interprétation des phénomènes qui se déroulent en ce monde et la compréhension ontologique qui est faite de ce monde par et pour l’être-là est au monde » ( Ibid, 2002). C’est précisément la raison pour laquelle, dans le cadre de cette recherche, on ne peut faire l’économie de l’analyse du système de valeurs

49 André-Frédéric Hoyaux est Maître de Conférences en géographie à l’Université de Bordeaux III. Rattaché au laboratoire ADES, UMR 5185, ses travaux appartiennent à la géographie phénoménologique et portent sur la construction territoriale de l’espace.

144 propre à chaque surfeur. Par conséquent, cela revient à interroger chaque surfeur sur la manière dont il appréhende les politiques d’aménagement des espaces de glisse en vue de saisir si elles affectent la dimension ontologique de son espace de pratique. Car, « le processus de représentation est constitutif de la relation, à la fois sensible et pratique, que les hommes établissent avec le monde qui les environne. On comprend dès lors que les géographes, dans la mesure où ils s’intéressent aux relations que tissent les hommes avec l’espace terrestre et avec leur environnement pouvaient se soucier de ce processus dès lors qu’ils acceptent l’idée que les individus et les groupes subordonnent leur pratique de l’espace à la production de représentations permettant de l’appréhender, de lui conférer une signification collective et, le cas échéant, de le transformer » (Debarbieux, 2004). Dans ce cadre là, il convient alors de conduire une étude des processus affectant les espaces à l’échelle macro tels que les incidences de la mondialisation, de la marchandisation des loisirs… ainsi que ceux qui relèvent de l’échelle micro comme l’aménagement d’un cordon littoral, la mise en place d’une réglementation locale quant à l’usage de l’espace maritime… afin d’analyser si ces phénomènes influent sur les productions d’espaces des surfeurs.

145 CHAPITRE 3

L’HABITER DES SURFEURS ET GÉOGRAPHIE DE L’INTIME

« La théorie de l’intime est consacrée à la tentative de montrer que toutes les sciences de l’homme ont toujours collecté des contributions à un surréalisme topologique, parce qu’à aucune époque il n’a été possible de parler des hommes sans avoir affaire avec les poétiques lanceuses de feux follets de l’espace intérieur habité. Les espaces par lesquels les hommes se laissent contenir ont leur propre histoire – mais c’est une histoire qui n’a encore jamais été racontée et dont les héros, eo ipso, ne sont pas les hommes eux-mêmes, mais les topoi et les sphères, celles dont les hommes s’épanouissent en tant qu’ils sont une de leur fonction et dont ils tombent lorsqu’ils ratent leur déploiement ».

Peter Sloterdijk. Bulles – Sphères I , 1998.

Georges Hubert de Radkowski avait, dès les années soixante, remarqué « qu’en resserrant l’extension du concept d’habitat, nous risquons d’y introduire des coupures et des limites purement arbitraires ; par contre, en le diluant, de l’étendre à l’environnement tout entier ». Il invitait même à élaborer « l’habitat comme le terme constitutif du rapport sujet/lieu, rapport où la nature du lieu est fonction de celle du sujet » (De Radkowski, 2002 :24). Pourtant, l’analyse spatiale classique occulte le sens de l’acte d’habiter pour établir des lois et modéliser des systèmes d’organisation. Or, on a mis en lumière le fait que les individus convoquent leur pensée mythique pour vivre l’espace sur un mode où s’orchestrent leurs émotions, leurs désirs de s’éprouver, de se sentir exister... Ce processus caractérise la dimension ontologique de la spatialisation qui s’opère à travers la mobilisation de la pensée mythique, ou plutôt de l’ « Arkhe-pensée ». Néanmoins, l’individu, appréhendé comme un acteur social, entretient également des rapports spatiaux qui épousent un espace social vécu. Dès lors, les géographes qui s’interrogent sur « l’espace géographique qui accueille la vie sociale au sein duquel s’accomplissent les destinées humaines » participent d’une réconciliation entre d’une part « une géographie humaniste ou culturelle, qui privilégie les rapports de sens entre l’homme, ses groupes

146 sociaux et les lieux, et d’autre part, la géographie sociale, qui considère surtout les relations spatiales d’une société à partir des transactions objectives qu’elle produit » (Di Méo, 2000 :39)

L’objet de ce chapitre consiste à mettre en lumière les travaux menés sur la manière dont le monde social influe sur les manières d’habiter des individus. L’entreprise est ardue. Elle invite en premier lieu à étudier relations que l’individu entretient avec l’espace géographique avant de s’interroger sur les incidences qu’engendre la socialisation sur ces relations. Autrement dit, il convient d’interpréter la géographie comme l’étude de la « relation concrète [qui] se noue entre l’homme et la terre, une géographicité de l’homme comme mode de son existence et de son destin » (Dardel, [1952], 1990 :2). C’est donc bien le « génie des lieux » que nous nous efforcerons de mettre en lumière c’est-à-dire les transferts affectifs que les hommes effectuent sur l’espace géographique, entendus comme la prise en charge des lieux, pour se garantir d’exister. Jean-Robert Pitte précise d’ailleurs que cela consiste à « toucher du doigt l’épaisseur de ce qui dépasse l’Homme et d’entrer en géographie par la grande porte : celle des sens, de l’esprit et du cœur mêlés, de la bête et de l’ange réconciliés ». Car, pense-t-il : « le message des hauts lieux sacrés peut se décliner à tous les aspects de la vie des Hommes sur terre, y compris les plus matériels (habitation, lieu de travail, moyen de transports, vêtements, alimentation, etc.). Il n’est pas nécessaire d’être croyant pour avoir le sens du sacré et ressentir le génie des lieux ». Puis d’ajouter : « lorsqu’on a saisi l’intérêt et l’actualité permanente du concept de génie des lieux, on est en possession d’une clé essentielle de la démarche géographique, tant du point de vue du questionnement scientifique que de celui de l’application à l’action et à la vie quotidienne » (Pitte, 2010 :15-19). La lecture de l’essai de Jean-Robert Pitte ne peut pas laissé insensible. Bien au contraire, cette lecture s’est avérée précieuse car elle permet de conforter l’approche intellectuelle qui guide ces investigations universitaires. À savoir, qu’à l’instar de ce que formule Jean-Robert Pitte, on pense que « nous autres géographes n’avons qu’une fonction et qu’une seule utilité : révéler le génie des lieux afin d’aider les Hommes à trouver l’harmonie avec eux-mêmes et avec leurs contemporains en quelques lieux qu’ils se trouvent » (Pitte, 2010 :33).

Pour révéler le génie des lieux , faire œuvre de géographicité , on verra, tout d’abord, quels sont les types d’espaces avec lesquels l’homme formalise ses relations. Ensuite, on analysera dans quelle mesure le processus de spatialisation est l’acte fondateur de la

147 « condition géographique » des individus. Ce chapitre étudie donc la manière dont les surfeurs établissent leur spatialisation, fabrique l’espace-vague. Puisque l’espace et le territoire constituent les terrains de jeux privilégiés des géographes, du moins d’une partie d’entre eux, on consacrera une large part à l’analyse des théories avancées au sein de cette discipline sur ces concepts. Enfin, on tachera d’analyser les grandes dynamiques sociales et territoriales 50 (mondialisation, multiplication des espaces fonctionnels, dégradations environnementales, montée de l’individualisme…) afin de saisir si celles-ci influent sur le rapport à l’espace que l’individu socialisé entretient. À ce sujet, il conviendra de savoir si, malgré ce qui peut être vécu comme de profonds bouleversements au cœur des sociétés occidentales, il en reste assez pour l’individu comme nous le laisse à penser ces quelques vers de Boris Vian ; et le cas échéant, quelles sont les ressources qu’il mobilise pour entretenir ce petit filet de vie :

« Ils cassent le monde En petits morceaux Ils cassent le monde À coups de marteau Mais ça m’est égal Ça m’est bien égal Il en reste assez pour moi Il en reste assez Il suffit que j’aime Une plume bleue Un chemin de sable Un oiseau peureux Il suffit que j’aime Un brin d’herbe mince Une goutte de rosée Un grillon de bois Ils peuvent casser le monde En petits morceaux

50 Marc Augé évoque la multiplication de ce qu’il qualifie volontiers de « non-lieux ». Ces « non-lieux », purs produits de la surmodernité, se définissent par le caractère non-identitaire, non-relationnel, non-historique (Augé, 1992 :100).

148 Il en reste assez pour moi J’aurai toujours un peu d’air Un petit filet de vie Dans l’œil un peu de lumière Et le vent dans les orties 51 »

Rechercher la manière dont les individus, dans le cadre de leurs rapports aux lieux, entretiennent ce « petit filet de vie » et considèrent qu’il leur « en reste assez » n’est pas une entreprise aisée dans la mesure où celle-ci marque une rupture dans le débat épistémologique en géographie, s’inscrit à la marge de la discipline et peut même, en fonction de sa réception dans les instances académiques, refermer des portes à l’heure de vouloir intégrer l’institution. On en prend malgré tout le risque, bien qu’alerté par Augustin Berque qui souligne que même si certains géographes, évoquant précisément Joël Bonnemaison, ont « su transmettre à des jeunes la flamme de l’authenticité, certains n’ont toujours pas été accueillis dans l’institution, cela peut-être en raison même de la flamme qu’ils avaient reçue. Cette flamme de l’authenticité, elle les a menés sans dévier jusqu’au bout du monde – quelque part dans le cosmos » (Berque, 2008).

51 Boris Vian. Je voudrais pas crever . Paris : Pauvert, [1962], 1980, p 24-25.

149 3.1 Non pas l’espace mais les espaces

Les représentations à l’égard de l’espace jouent un rôle prépondérant dans les logiques d’appropriation spatiale. À ce sujet, comment ne pas rappeler les travaux produits par Abraham Moles concernant la psychologie de l’espace qui s’appuient sur l’approche phénoménologique. En effet, il met en lumière les logiques qui fondent le rapport de l’homme à l’espace et évoquent les lois d’identité d’un lieu et les lois d’appropriation d’un lieu. Abraham Moles considère que l’espace n’est pas neutre pour celui qui s’y trouve mais qu’il est, au contraire, chargé de sens. Ses travaux portent donc sur le sens que les individus attribuent aux lieux. C’est donc dans cette perspective que ses recherches portent sur la dimension psychosociale de l’espace. Pour chaque individu, il y a une valorisation de l’espace qui s’inscrit en résonance avec ses propres représentations. Dans son approche Abraham Moles détermine quelques axiomes de cette relation entre l’homme et son environnement spatial.

3.1.1 La pluralité des espaces ou « les coquilles de l’homme »

L’espace nous apparaît d’abord comme quantité : la surface, le volume. Mais l’espace apparaît aussi comme un système de repérage : la latitude, la longitude, l’altitude qui permet à l’homme de se situer dans l’univers. D’autre part, Abraham Moles évoque le fait que « l’homme est la mesure de toute chose ». Cela suppose donc que l’homme appréhende ainsi autour de lui les différentes catégories de l’espace plein ou vide. L’homme saisit alors autour de lui différentes catégories d’espaces selon leur échelle de grandeur. Moles distingue cinq catégories d’espaces :

- micro : geste du doigt - mini : geste du corps - espaces : logement - maxi : déplacement, transport - macro : géographie des territoires

150 D’autre part, pour déterminer ce qui fonde la hiérarchisation du monde, Abraham Moles s’appuie sur la loi proxémique. Il qualifie de proxémique le registre de connaissance qui permet à l’homme de codifier son rapport à l’espace. La proxémique, nous dit-il, c’est l’étude de l’ensemble des faits vitaux dans lesquels ce qui est proche est pour moi (ici et maintenant) plus important que ce qui est lointain (ailleurs, autrefois, plus tard)52 .

Fort de ce référencement théorique, Abraham Moles évoque le fait que l’espace n’existe que par ce qui le remplit. L’environnement est perçu comme un ensemble de valeurs. L’individu saisit le monde autour de lui comme un champ partiellement imaginaire et partiellement réel. Moles identifie différentes coquilles qui permettent à un individu de diviser l’espace qui l’entoure en couches successives, selon des critères liés aux perceptions ou actions qu’il peut exercer dans chacune de ces couches. L’important est de bien comprendre que ces coquilles se remplissent de sens au fur et à mesure que l’individu acquiert la pratique de ces espaces, et saisit ces strates d’actions plus ou moins distantes d’un point d’enracinement auquel il se réfère intuitivement. Huit coquilles de l’homme sont identifiées :

I La peau, le vêtement comme seconde peau II La sphère du geste, d’un libre mouvement III La pièce en tant que clôture visuelle vis-à-vis du monde extérieur IV L’appartement, fermeture légale reconnue par la société V Le bloc résidentiel, la rue ou le quartier VI Le centre de la ville, lieu de repérage du lointain et source de services rares VII La région, ensemble de lieux où je peux aller et revenir en moins d’une journée VII bis La nation entité récente où s’exercent les lois et les langues officielles VII Le vaste monde

Par ailleurs, Abraham Moles distingue trois types de relations fondamentales entre l’homme et les espaces dans lesquels il se trouve. Tout d’abord l’absence totale de relations : l’espace existe comme un donné vide dans lequel l’individu peut évoluer ou circuler à sa guise. Le concept d’identité d’un lieu permet de rendre compte du second type

52 Ses travaux sur la notion de proxémie font écho à ceux d’Edward T.Hall qui définit la proxémie comme « l’ensemble des observations et théories concernant l’usage de l’espace par l’homme » (Hall, [1966], 2001 :129).

151 de relation de l’homme à l’espace. Cette identité émerge chez tout individu dès lors qu’il prend conscience d’un Ici qui est différent d’un Ailleurs. Or, l’identité d’un lieu possède un certain nombre de lois psychologiques. Elle est plus ou moins marquée en fonction de l’intensité des lois psychologiques qui président à son avènement. Six lois régissent l’identité d’un lieu et fonde un point « Ici » :

1. Le lieu possède d’autant plus d’identité qu’il est clos pour le regard, c’est-à-dire qu’il présente une frontière visuelle circulaire couverte par une paroi (entendue comme la matérialisation d’une discontinuité, localisée en un lieu, des « valeurs sensorielles » en fonction de la distance. La paroi crée alors l’idée de frontière chez l’individu et amorce le concept d’intérieur opposé à celui d’extérieur). 2. Le point « Ici » est d’autant mieux déterminé que la qualité des parois respectives qui servent à le délimiter est plus élevée. 3. Le point « Ici » est d’autant mieux déterminé qu’il est mécaniquement et topologiquement plus fermé à l’intrusion d’un individu. 4. Le lieu a d’autant plus d’identité que les actes que le sujet y fait sont plus denses dans le temps et plus nombreux en valeur absolue. 5. Le point « Ici » a d’autant plus de prégnance perceptible qu’un plus grand nombre d’objets se trouvent accumulés à l’intérieur de celui-ci. 6. Le point « Ici » a d’autant plus d’identité qu’il possède une dénomination plus claire et que celle-ci est utilisée dans le flux des discours de Moi et des Autres.

La troisième catégorie d’identification de l’espace c’est l’idée d’appropriation. Là encore, Abraham Moles caractérise six lois d’appropriation d’un lieu qui ont un caractère plus existentiel :

1. Pour être appropriable, un lieu doit posséder une identité. Plus cette identité est forte, plus facile est l’appropriation. 2. Un lieu est d’autant plus approprié qu’il est susceptible de repérages par l’extérieur. 3. Un lieu est d’autant plus approprié que la société ambiante le reconnaît par la loi de l’État (domiciliation légale) 4. On s’approprie d’autant plus un lieu que l’on y réside plus longtemps. Réciproquement, l’absence crée lentement une perte d’appropriation.

152 5. On s’approprie d’autant mieux un lieu qu’on le modifie matériellement dans sa structure, dans ses contours ou dans ses contenus. 6. Un lieu est d’autant plus approprié que le nom qu’il porte est à la fois mieux connu de tous, plus utilisé, plus référencé dans la logosphère (mass média).

Abraham Moles identifie deux types de comportement d’appropriation de l’espace : l’enracinement (l’installation en un lieu) et l’errance caractérisée par les mobilités d’un être à l’intérieur d’un territoire. L’errance se fait au gré des évènements, des réactions aux stimuli qui peuplent l’espace et qui sont pourvus de valeurs pour l’individu (selon son histoire, sa culture…). Dans ce contexte, le tourisme constitue une forme d’errance. D’autre part, Abraham Moles décrypte la manière dont l’espace est organisé. En effet, l’homme organise l’espace en fonction de deux pôles d’attitudes vis-à-vis de l’autre. Privatisation et communauté sont les deux pôles du désir d’interaction de l’individu vis-à- vis d’un monde plein d’autres êtres qu’il souhaite soit fuir, soit rencontrer.

Les travaux de Moles font échos aux réflexions de Gaston Bachelard sur l’espace. En effet, le travail de Gaston Bachelard consiste à mettre en exergue les « images de l’espace heureux ». Cette entreprise vise « à déterminer la valeur humaine des espaces de possession, des espaces défendus contre les forces adverses, des espaces aimés ». Le philosophe qualifie alors ces espaces de « louangés » et, selon lui, ses travaux mériteraient « le nom de topophilie ». L’entreprise accomplie par Gaston Bachelard consiste donc à révéler la dimension subjective du rapport de l’homme à l’espace. En effet, « l’espace saisi par l’imagination ne peut rester l’espace indifférent livré à la mesure du géomètre. Il est vécu. Et il est vécu, non pas dans sa possessivité, mais avec toutes les particularités de l’imagination ». C’est en ce sens que Bachelard détermine la « poétique de l’espace » pour revendiquer le fait que celle-ci relève « d’une ontologie directe » (Bachelard, [1957], 2001 :17). C’est aussi en ce sens que Bachelard invite à appréhender la manière dont les individus pratiquent les lieux pour les ériger en espaces en mobilisant la poésie comme acte de mesure de cette pratique des lieux. L’objet de cette recherche consiste à rendre compte de ce qui s’orchestre dans le cadre du rapport du surfeur à la vague afin de saisir si, approprié via l’acte de glisse, le lieu-vague acquiert ce statut d’espace louangé. Le cas échéant, comment les surfeurs interprètent-ils l’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics ? Pensent-ils que ces politiques publiques affectent le caractère ontologique de la vague entendue comme espace louangé ?

153 3.1.2 Vers la notion « d’espace vécu »

Dans la préface à la deuxième édition, publiée en 1999, Armand Frémont précise l’intention qui présidait à l’écriture de son ouvrage intitulé « La région, espace vécu » paru en 1976. « J’essayais, [nous dit-il], d’y concilier le recours à des notions classiques de la géographie française, la région mais aussi la combinaison géographique, à l’apport considérable des sciences humaines et sociales, particulièrement de la psychologie, de l’anthropologie, de la sociologie ainsi que l’analyse économique explicitement reconnue. J’y introduisais une nouvelle notion : l’espace vécu » (Frémont, 1999 :9). Plus loin, l’auteur nous en propose même une définition : « L’espace vécu a permis de défricher le territoire, si l’on peut dire. C’est une notion certainement plus floue, plus individualisée, plus phénoménologique et littéraire que géographique, mais plus réflexive, plus complète, du sujet à l’objet, plus imagée aussi… ». Autrement dit, Armand Frémont précise que l’objet de son livre consiste à être en mesure de comprendre « comment les hommes s’approprient, vivent-ils leurs territoires » ( Ibid :40). Or, l’intention qu’est la notre, consiste à savoir pourquoi les surfeurs s’approprient-ils et vivent-ils la vague ?

Le travail d’Armand Frémont décrypte la place de l’homme dans le processus de construction territoriale. Il vient rompre avec les chantres de l’analyse spatiale qui focalisent leurs études sur les seules composantes quantitatives permettant de définir les caractéristiques d’un territoire. Il réhabilite l’homme dans ses prérogatives quant à la construction des territoires. « L’homme n’est pas un objet. Il perçoit inégalement l’espace qui l’entoure, il porte des jugements sur les lieux, il est retenu ou attiré, consciemment ou inconsciemment, il se trompe et on le trompe… De l’homme à la région et de la région à l’homme, les transparences de la rationalité sont troublées par les inerties des habitudes, les pulsions de l’affectivité, les conditionnements de la culture, les fantasmes de l’inconscient. L’espace vécu, dans toute son épaisseur et sa complexité, apparaît ainsi comme le révélateur des réalités régionales ; celles-ci ont bien des composantes administratives, historiques, écologiques, certes, mais aussi, et plus profondément, psychologiques » (Frémont, [1976], 1999 :58). Comment ne pas souscrire à cette posture scientifique ? En effet, dans le cadre de notre étude, quelle serait la plus-value de procéder à une description exhaustive de la fréquence des vagues, de leurs formes, de leurs régularités… sans s’attarder plus encore sur la manière dont les surfeurs perçoivent, vivent,

154 ressentent le rythme de ces vagues ; ce que l’acte de glisse leur procure en terme de sentiments, d’affects. C’est donc bien le rapport à l’espace des surfeurs dans ses composantes psychologiques que l’on interroge. C’est la raison pour laquelle, c’est avant tout leurs discours qu’il convient de relayer et la manière dont ils perçoivent leur environnement. L’enjeu consiste alors à décrypter les petites scènes de vie qui se jouent sur, ou aux abords des spots, afin de révéler la dimension affective du rapport à l’espace qu’entretiennent les surfeurs. Cela dit, « l’espace vécu prend des dimensions sociales à mesure qu’il se forme » (Frémont, [1976], 1999 :75). Aussi, s’affranchir d’une figure stéréotypée du surfeur, c’est interroger l’individu surfeur, dans son épaisseur, à l’aune de son histoire personnelle et sociale, pour comprendre quels sont les repères affectifs qui président à la manière dont son espace est vécu. Or, ce dernier aspect, à savoir la dimension sociale des rapports spatiaux interpelle également quelques géographes.

3.2 Une géographie de l’intime

Cette recherche formule l’hypothèse que les surfeurs habitent le lieu-vague en poète. Par leurs pratiques du lieu-vague, ils opèrent la métamorphose du lieu en espace- vague. Cette métamorphose autorise alors la spatialisation des surfeurs et leur territorialisation. Ce processus de prise en charge de la réalité du lieu-vague par l’acte de glisse entérine « leur condition géographique » (Lazzarroti, 2006) qui marque l’être au monde des surfeurs. Plus encore, cette recherche évoque le fait que cette forme d’habitabilité de l’espace-vague répond d’un désir existentiel que seule une lecture de l’intime peut dévoiler. Cette lecture de l’intime explore donc la profondeur des individus surfeurs pensés, non pas comme de simples producteurs de spatialisations, mais bien comme des individus doués d’une sensibilité, d’une faculté d’intériorisation des normes sociales dont la stratification s’orchestre à la lumière de leur propre histoire personnelle. Mais alors, comment bâtir une approche géographique qui rendrait opératoire l’examen de ce rapport affectif, intime, émotionnel qui lie les hommes aux lieux et qui autorise leur spatialisation donc leur possibilité d’être au monde ? Comment construire une géographie qui s’attache à décrypter la dimension ontologique qui transpire dans la manière dont les hommes habitent l’espace, c’est-à-dire organisent la prise en charge des lieux ? Quels sont les apports antérieurs, appréhendés à l’aune d’une approche épistémologique, sur lesquels prendre appui pour aller vers cette volonté ambitieuse, voire prétentieuse, d’élaborer les

155 contours conceptuels d’une géographie de l’intime ? En d’autres termes, considérer le concept d’habiter concourt-il au fait d’appréhender l’espace habité comme « l’espace informé par et pour l’homme, soit par et pour les relations humaines. Investi de celles-là, de leurs actes comme de leurs pensées, de leurs valeurs comme de leurs représentations, il devient donc la substance géographique…, comme une matière géographique informée » (Lazzarroti, 2006 :29) ? Le cas échéant, l’espace habité c’est-à-dire le lieu informé, investi, approprié est-il « l’une des composantes centrales du drame humain » (Ibid :30) ?

3.2.1 Lecture critique de la théorie de l’habiter

Mathis Stock s’impose comme le fer de lance de cette nouvelle génération de géographes qui investissent les théories de l’habiter au bénéfice d’une meilleure compréhension du rapport de l’homme à l’espace (Stock, 2004, 2005, 2006 53 ). Pour autant, ces théories nous renseignent-elles sur le rapport de l’homme au lieu ? Examinent-elles, non pas l’espace pratiqué entendu comme spatialité, mais le passage du chaos au cosmos, le lieu pratiqué c’est-à-dire le processus de spatialisation ? Ces théories informent-elles sur la mobilisation de la poésie humaine présentée comme mesure du lieu ? Les travaux de Mathis Stock semblent comporter une confusion qui tient à l’absence de distinction sémantique entre les termes de lieu et d’espace. Or, on avance l’idée que le concept d’habiter témoigne de la prise en charge du lieu, de la mesure du lieu. Cette mesure, cette prise en charge, accomplies par la mobilisation de la poésie des hommes, fondent l’espace et la condition géographique des individus. Le concept d’habiter éclaire donc l’être au monde des individus. Par conséquent, le concept d’habiter, tel que mobilisé dans cette thèse, explore le rapport de l’homme au lieu. Le lieu, révélé, précipite l’émergence de l’espace et l’être au monde des hommes : voilà comment on caractérise le concept d’habiter.

53 Les citations inclues dans ce paragraphe sont toutes issues des communications de Mathis Stock publiées dans la revue EspaceTemps.net . Mathis Stock. « L’habiter comme pratique des lieux géographiques ». EspacesTemps.net , textuel, 18.12.2004 ; Mathis Stock. « Les sociétés à individus mobiles : vers un nouveau mode d’habiter ? L’exemple des pratiques touristiques ». EspacesTemps.net , textuel, 25.05.2005 et Mathis Stock. « L’hypothèse de l’habiter poly-topique : pratiquer les lieux géographiques dans les sociétés à individus mobiles ». EspacesTemps.net , textuel, 26.02.2006.

156 Mathis Stock précise qu’à l’heure où « les sociétés construisent de l’espace d’une nouvelle façon - en raison de, et par la mobilité spatiale -, à la fois par les pratiques et par le symbolique, [il convient d’interroger cette mobilité spatiale pour savoir si elle] définit une rupture – une révolution – ou si elle s’insère dans une perspective processuelle – par rapport aux régimes d’habiter antérieurs, ou encore s’il s’agit d’une amplification ». Mathis Stock ajoute qu’il n’entend pas appréhender la mobilité spatiale à la lumière des questions des flux ou des circulations mais bien à partir de celle qu’elle révèlerait sur les modes d’habiter. Autrement dit, Mathis Stock se demande « comment rendre compte de la manière dont les hommes habitent les lieux géographiques dans les sociétés à individus mobiles ? ». Jusqu’ici tout va bien puisque c’est aussi le cœur de cette recherche, c’est-à- dire qu’on se demande comment les surfeurs habitent le lieu-vague. Plus précisément, Mathis Stock pose « la question de la mobilité sur le rapport à l’espace ». Il formule alors l’hypothèse qu’interpréter la mobilité spatiale permet de développer « une théorie de l’habiter des sociétés à individus mobiles [dans la mesure où] le passage d’une société à individus sédentaires à une sociétés à individus mobiles ne peut qu’affecter la manière dont les différents lieux sont investis de sens par les individus et les collectifs ». Mathis Stock développe alors l’idée que s’opère « une réorganisation de la signification des lieux proches et lointains pour les individus. Plusieurs lieux [ajoute-t-il,] peuvent être des lieux familiers, identificatoires, et non pas seulement le lieu de domicile ». Par conséquent, l’enjeu de ses développements consiste à se demander « en quoi la qualité d’espace des sociétés humaines change par la mobilité spatiale accrue, et ce en quoi les procédures de recherche sont appelées à s’y adapter ». L’auteur invite, et c’est plutôt heureux, à dépasser la congruence entre population et lieu, les modèles classiques qui considèrent que les structures spatiales sont stables et statiques à une certaine échelle temporelle, et la vision qui valorise la proximité, l’enracinement, l’immobilité, la fixité pour dégager le caractère familier des lieux. Repenser la question de la mobilité autorise alors à se demander :

- « Quelles sont les conséquences de la mobilité spatiale accrue sur les lieux et les hommes ? - Comment les individus habitent de l’espace dans des situations de poly-topicité des pratiques, c’est-à-dire lorsque les pratiques sont associées à des multiples lieux ? - Quels sont les lieux choisis, investis comme référents pour l’identité ? - Quelles valeurs, quelles significations donner aux différents lieux ? »

157 À travers l’étude de la mobilité spatiale « devenue une norme sociale positive », Mathis Stock émet donc l’hypothèse d’un « mode d’habiter poly-topique ». Il évoque un processus « d’individualisation géographique » des hommes par rapport à des sociétés d’individus sédentaires qui introduirait des pratiques de lieux, reposant sur « des choix plus ou moins autonomes », rendus possible par une accessibilité accrue des lieux en termes de distance-temps ou distance-coût. D’autre part, la mobilité engendrerait « un processus de distanciation du lieu de domicile ». De cette mobilité résulterait le fait « que les hommes sont plus autonomes par rapport au lieu de domicile et par rapport aux autres membres de la société ainsi que les institutions et les normes sociales ». Pour Mathis Stock, « la mobilité participe d’un processus d’individualisation, c’est-à-dire d’autonomie par rapport aux autres membres de la société ». Par conséquent, l’individu serait « géographiquement “pluriel”, c’est-à-dire qu’il s’implique dans de multiples lieux ». L’analyse est fondée et l’on ne peut que souscrire à cette idée que cette mobilité accrue redistribue le caractère familier des espaces géographiques, mais certainement pas des lieux tels qu’on les appréhende. Mathis Stock développe une théorie de l’habiter en pensant l’homme comme déjà spatialisé. C’est la raison pour laquelle, il n’accorde que peu de crédit à cette distinction entre les termes d’espace, c’est-à-dire le lieu sacralisé permettant la spatialisation, et de lieux qui nécessitent une forme d’appropriation pour que l’homme explore sa condition géographique, son existentialisme. Par conséquent, en s’affranchissant de cette distinction sémantique entre les termes de lieu et d’espace, Mathis Stock développe non pas une théorie de l’habiter permettant de comprendre les raisons qui poussent les individus à se spatialiser ici ou là, à interroger la poïétique des acteurs, mais une théorie de l’habiter qui pense l’homme comme déjà spatialisé. Pourtant, il revendique malgré tout explorer « l’intentionnalité avec laquelle les individus pratiquent les lieux géographiques ».

Pour Mathis Stock, les pratiques de lieux sont déconnectées de leurs dimensions ontologiques au bénéfice d’une intentionnalité fonctionnaliste à mettre en lien avec le travail, le tourisme, la récréation, le résidentiel… Ces pratiques de lieux, dit-il, seraient « en jeu non seulement pour les choix individuels, mais aussi pour l’insertion dans des “communautés d’intérêts” qui dépassent le cadre local ». Pour étayer son propos, Mathis Stock mobilise la notion « d’adéquation géographique ». Elle « signifie que l’association des pratiques à un lieu correspond à un choix effectué entre un grand nombre de lieux en fonction des intentionnalités. Et ce choix est déterminé, à condition d’en avoir les

158 ressources économiques, temporelles, sociales et individuelles, par la recherche d’une adéquation entre la pratique et la qualité d’un lieu. Ce que l’on peut nommer “l’habiter poly-topique” se caractérise par la recherche d’adéquation entre lieux et pratiques ». Mathis Stock insiste également sur « la qualité différentielle des lieux » dont la reconnaissance permet de « penser l’accès effectif aux lieux. Les différentes pratiques des lieux permettent ensuite de penser les différents modes d’usage des lieux, en fonction des intentionnalités, et de faire ressortir la manière dont les individus habitent les lieux géographiques ». Mais là encore, on peut déplorer que Mathis Stock envisage seulement la pratique des lieux, expression que l’on requalifie en usages des espaces, sans évoquer la dimension ontologique que sous-tendent les pratiques des lieux comme en témoignent les premières réponses des surfeurs glanées sur le site Internet Billabong à la réponse « why do you surf ? ». En effet, Mathis Stock n’examine pas ce qui fonde la qualité différentielle des lieux et qui préside pourtant aux choix des individus qui s’opèrent en fonction de leurs convictions intimes à l’heure d’élire domicile dans un lieu et de s’y spatialiser en convoquant la poésie comme mesure du lieu. Comme il le souligne, la théorie de l’habiter a pour but « de contribuer à l’intelligence de la mobilité dans les sociétés à individus mobiles… Une théorie de l’habiter doit certes décrire et expliquer la portée spatiale des activités, l’extension des espaces de vie, les différentes formes de mobilité, mais elle doit aussi permettre d’interpréter les implications de cette multiplicité des lieux de vie. À travers l’approche par la plus ou moins grande familiarité ou “étrangeté” des lieux que les hommes fréquentent, à travers les manières de pratiquer les lieux, on peut modéliser l’une des modalités de sens avec lesquels les êtres humains construisent des lieux ».

Mathis Stock, en invoquant une théorie de l’habiter, aussi efficiente soit-elle pour examiner non pas les modes d’habiter des individus mais bien leurs choix de localisation et de territorialisation à l’aune d’opportunités nouvelles induites par la mondialisation recomposant « les rapports identité/altérité, familiarité/étrangeté exprimé par les lieux », ne permet pas d’appréhender le caractère existentialiste que sous-tend la pratique d’un lieu. Car, dans cette acception d’une théorie de l’habiter, la poïèsis des hommes est pensée à l’aune d’intentionnalités pragmatiques à mettre en lien avec des pratiques spatiales géographiquement et socialement indispensables comme la localisation résidentielle, le choix d’une destination touristique, la recherche d’un lieu de travail… On peut donc penser que cette théorie de l’habiter, même si elle s’en réclame, n’exploite pas « le lien qui, depuis des temps obscurs, conjoint les deux lignées sémantiques de “l’oikos” (qui renvoie au

159 corps médial) et de “l’habere” (qui renvoie au corps animal). Habiter, au fond, c’est – comme la médiance – le moment structurel de l’existence humaine ; et l’espace de l’habiter, c’est le déploiement de cette structure existentielle, dans et par l’écoumène » (Berque, 2007 :67). Cette théorie de l’habiter n’examine pas « la dimension formative et informative des lieux qui signifie leur qualité, c’est-à-dire, en même temps et entre autres, un contenu et son organisation » (Lazzarroti, 2006 :36).

Mathis Stock s’accommode d’un usage du concept d’habiter en s’affranchissant de la définition proposée par Martin Heidegger même s’il prétend que « l’étude de la géographicité doit, pour être efficace, s’insérer dans une étude centrée sur les pratiques dans lesquelles les significations des lieux sont mobilisées par les individus en actes, en situation, dans un “projet” ». Il affirme que « le rapport aux lieux n’existe pas en lui- même, indépendamment d’un projet de vie, des pratiques d’un grand nombre ou d’un petit nombre de lieux ». N’y a-t-il pas alors un paradoxe lorsque Mathis Stock recommande de « dépouiller [l’habiter] de sa connotation écologique et cosmologique pour ne retenir que la dimension “topique” et symbolique » ? D’autant plus, qu’il reconnaît malgré tout que l’habiter correspond aux pratiques de lieux géographiques entendus comme « “contextes“ de pratiques, “topicité” des pratiques et “référents” des symbolisations humaines ». « L’habiter [précise-t-il] est donc le rapport à l’espace exprimé par les pratiques des individus ». Pour Mathis Stock, l’habiter est donc un concept convoqué au bénéfice de l’étude de pratiques spatiales d’individus qu’ils supposent comme déjà spatialisés. Il étudie non pas la spatialisation mais les usages spatiaux d’individus pensés comme déjà spatialisés. Or, c’est dans le rapport aux lieux que l’individu se spatialise pour ensuite engager ses usages de l’espace. L’homme n’est au monde, ne déploie sa condition géographique, que lorsqu’il opère la prise en charge des lieux par l’intermédiaire de son « intelligence sentante » ; que lorsqu’il transforme le chaos en cosmos. On pense donc que l’habiter ne concerne pas le rapport à l’espace. Habiter est le rapport au lieu exprimé par les pratiques des individus. On pense que l’habiter est l’acte premier de spatialisation qui consiste chez l’homme à choisir un lieu pour y expérimenter son existence en accomplissant la mesure de ce lieu par la poésie. Cela dit, le positionnement théorique de Mathis Stock n’est pas complètement tranché dans la mesure où il considère que « par la pratique, l’individu contribue à définir et à changer la qualité des lieux, mais d’autres acteurs y contribuent également et les pratiques individuelles elles-mêmes sont informées par les valeurs portant sur la mobilité ou les lieux géographiques . D’où cette triple

160 analyse de l’habiter à travers les pratiques des lieux, les modes d’habiter et les régimes d’habiter ». Ainsi, Mathis Stock rappelle la nécessité « de travailler la psychogenèse, la sociogenèse et la spatiogénèse des individus ». Mais alors, ne conforte-t-il pas là le paradoxe dans la mesure où il propose d’abandonner la dimension cosmologique de l’habiter ?

On prétend au contraire que le processus de cosmogonisation des lieux tient une place prépondérante dans le processus de spatialisation, sans pour autant exclure que ce processus s’inscrive en résonance avec l’intériorisation des normes sociales par les individus. C’est la raison pour laquelle cette recherche, à travers l’analyse du rapport du surfeur au lieu-vague, propose de réexaminer l’espace de l’habiter, c'est-à-dire l’espace- vague, comme le déploiement de la structure existentielle des hommes. Cette recherche explore donc l’acte de glisse, entendu comme pratique du lieu-vague, comme une quête existentialiste du surfeur. Bien entendu, le surfeur est appréhendé dans son intégrité psychologique. Autrement dit, on postule l’idée qu’il mobilise son histoire personnelle, intime dans sa pratique du lieu-vague, à partir de la manière dont il intériorise les normes et contraintes sociales. Plus encore, on examine le fait que l’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics peut modifier le lieu-vague dans son potentiel à l’idée de l’habiter dans une perspective ontologique. On appréhende alors les mobilités des surfeurs, présentées comme des formes de contestations et de résistances face à une réduction de leur potentiel d’habiter (exil, trip surf , recherche de secret spots …), non plus comme une pratique des lieux pensée à l’aune d’une hypothèse de l’habiter poly- topique mais comme un moyen de sauvegarder ce caractère ontologique que suppose la vague habitée. Il y a donc bien un décalage avec la théorie de l’habiter telle que développée par Mathis Stock puisqu’on formule l’hypothèse que la mobilisation du concept d’habiter garantit la lecture du rapport intime, fruit d’une stratification des modes d’intériorisation des normes sociales, affublé d’une quête existentielle, qui lie l’homme au lieu et non aux espaces. Cette lecture critique de la théorie de l’habiter permet donc d’affirmer que l’étude de l’habiter interroge la dimension ontologique du rapport des hommes aux lieux c’est-à-dire comment ils mobilisent leur poésie pour assurer la prise en charge des lieux, en révéler le génie et ainsi assumer leur condition géographique qui n’est rien d’autre que leur être au monde.

161 La lecture de l’article de Mathis Stock intitulé « théorie de l’habiter, questionnements », publié en 2007 sous la direction de Thierry Paquot, Michel Lussault et Chris Younès, renforce ce sentiment que l’étude de l’habiter mérite d’être débattue. Dans cette publication Mathis Stock propose « un déplacement de cette problématique [définition de l’habiter] , avec pour ambition un autre fondement de la conceptualisation de l’habiter, fondée sur le problème de la pratique : “faire avec l’espace” au lieu “d’être dans l’espace”… L’habiter étant un problème d’espace, le questionnement soulève fondamentalement le problème de la conception adéquate de l’espace : non pas comme étendue, contenant ou surface terrestre, comme “médium”, voire comme “concept” aidant à l’orientation ». Or, on prétend que c’est ici précisément que Mathis Stock bricolerait la notion d’espace pour s’affranchir du caractère ontologique que sous-tend la spatialisation. Habiter ne pose pas tant un problème d’espace comme le prétend Mathis Stock. Il pose d’abord un problème de lieu qui éclairé invite à interroger l’espace. Cette confusion terminologique nuit donc à la démonstration de Mathis Stock qui voudrait introduire une rupture entre le « faire avec l’espace » et « l’être dans l’espace ». Car, en introduisant cette rupture, la distinction entre les termes de lieu et d’espace n’a donc plus lieu d’exister. Or, en opérant cette distinction sémantique, indispensable pour enrichir le débat épistémologique en géographie, on pense qu’elle permet d’affirmer que seul l’homme spatialisé, c’est-à-dire étant dans le lieu, peut faire avec l’espace.

Benoît Goetz remarque que « l’on évoque pas trop rapidement les nouvelles mobilités comme un argument suffisant pour récuser toute recherche concernant l’habiter contemporain ». Ce Professeur d’Université de Philosophie, signale même que l’on est aujourd’hui « contenu de manière contraignante » et se pose la question de savoir si « l’ennemi de toute vraie habitation ne serait-elle pas la contention ? » (Goetz, 2011 :13). On ne considère donc pas l’habiter comme un problème d’espace mais bien comme un problème de lieu. La nuance est fondamentale. On considère l’habiter comme le processus qui autorise le passage du lieu à l’espace et rend effective l’existence humaine dans la mesure où le chaos disparaît au profit du cosmos, seule demeure aux attraits paradisiaques, donc réconfortante et permettant d’oublier la mort certaine des humains. Habiter est un processus qui mobilise « le règne de l’imagination absolue. Il faut perdre le paradis terrestre pour y vraiment vivre, pour le vivre dans la réalité de ses images, dans la sublimation absolue qui transcende toute passion. La poésie nous offre des images… [qui] nous rendent des séjours d’être, des maisons de l’être, où se concentre une certitude

162 d’être. Il semble qu’en habitant de telles images, des images aussi stabilisantes, on recommencerait une autre vie, une vie qui serait notre, à nous dans les profondeurs de l’être » (Bachelard, [1957], 2001 :47). Habiter est l’expression des manières dont l’homme mobilise ses images, ses affects, ses émotions, ses rêves mais aussi contient ses angoisses, se prémunit de ses doutes, annihile ses peurs en les incorporant dans son rapport au lieu afin de se spatialiser et ainsi d’éprouver son caractère existentiel, vivant, qui dure l’espace d’une vie. Habiter préside à toute spatialisation humaine. Il est un processus qui rend efficiente l’existence humaine. A-spatial, ou plutôt a-topique, l’homme n’existe pas. Sans « être dans l’espace », c’est-à-dire dans le lieu sacralisé, l’homme ne peut « faire avec l’espace ». Sans doute est-ce la raison pour laquelle Michel Lussault parle volontiers « d’homme spatial » (Lussault, 2007). Pourtant, lorsque Mathis Stock parle d’une théorie de l’habiter, il définit l’habiter comme « l’action de faire avec l’espace. Le rapport aux lieux n’existe donc pas en soi, de façon indépendante, mais est toujours relié à la question des pratiques ».

Pour Mathis Stock, ces pratiques n’étudient pas le rapport de l’homme au lieu à partir duquel s’opère la spatialisation. Ces pratiques spatiales sont entendues à partir d’une spatialisation déjà effective. En évoquant « les régimes d’habiter » Mathis Stock prévient toute critique puisqu’il définit ce « régime d’habiter » comme « les pratiques des individus, l’ensemble des pratiques des individus, et des éléments ordonnés qui dépassent l’individu mais qui font partie de son habiter… Le régime d’habiter peut se décrire, schématiquement, par le recours aux concepts suivants qui prennent, par hypothèse, un sens radicalement nouveau dans les sociétés contemporaines : I) spatialité – qui comprend les représentations, conceptions, images, discours de l’espace (urbanisme, architecture, utopies), mais aussi la géographicité des règles sociales comme les “disciplines” de l’espace et les cultures d’espaces -, II) qualité d’espace – accessibilités, mais aussi les degrés d’urbanité changeant des lieux -, III) différenciation des modes d’habiter – les situations d’habiter et les types de pratiques des lieux -, IV) technique et technologie spatiales, V) rapport au monde biophysique ». Mathis Stock utilise donc le concept d’habiter pour interroger le rapport de l’homme à l’espace et non le rapport de l’homme au lieu. C’est la raison pour laquelle, il balaie d’un revers de main les considérations ontologiques qui président à la spatialisation que seule la mesure du lieu, opératoire en mobilisant la poésie, rend effective. Ce n’est donc pas la connaissance du rapport de l’homme au lieu qu’examine Mathis Stock mais bien le rapport de l’homme, déjà

163 spatialisé, à l’espace. La critique est sévère d’autant plus qu’elle s’adresse à un chercheur reconnu dont les travaux ne souffrent d’aucune contestation au sein de ses pairs. Cela dit, elle n’a rien de gratuit et cherche avant tout à faire progresser le débat d’idées même si l’entreprise est périlleuse et risquée. Mais, même si elle peut paraître bien péremptoire, cette critique envers les travaux de Mathis Stock entend mettre en lumière qu’ils éludent la question de la spatialisation. Car, quid des registres que mobilise l’homme pour opérer sa spatialisation ? Quid de la signification de l’usage du lieu-vague chez le surfeur ? Une chose est sure, ce n’est pas en mobilisant la théorie de l’habiter telle que développée par Mathis Stock que l’on parvient à apporter des éléments de réponse convaincants. C’est la raison pour laquelle, cette recherche défend plutôt l’hypothèse avancée par Olivier Lazzarroti qui prétend qu’habiter c’est « être soi-même dans le monde ; faire de soi-même un habitant ; chercher, trouver, prendre, une place, et s’y tenir ou en partir. Etre ici ou là, d’ici et de là, entre ici et là. Quand le “où” ? rejoint le “comment” ?, ils participent au “qui” ?: exister » (Lazzarroti, 2006 :268). Par ailleurs, d’autres travaux, dont ceux d’Augustin Berque, emportent notre adhésion et permettent de mobiliser l’habiter comme, non pas l’étude des usages de l’espace, mais bien l’examen de la spatialisation soit le rapport des hommes aux lieux.

3.2.2 L’écoumène et « la médiance » comme étude des milieux humains habités

Les travaux d’Augustin Berque sont précieux dans la mesure où ses réflexions portent sur « la nature de l’écoumène, [qu’il] entend comme la relation de l’humanité à l’étendue terrestre » (Berque, 2007 :53). Augustin Berque examine donc la relation des hommes aux lieux. Il précise que « l’habiter comporte une fonction essentielle à ce qui tisse le monde. Cette fonction antérieure et sous-jacente aux formes que prend l’habitat humain dans l’expression historique et géographique de l’habiter. Elle est inhérente à l’existence humaine sur la Terre ; et c’est à ce sens profond et antérieur qu’il faut remonter pour comprendre l’écoumène, comme “demeure de l’être” » ( Ibid :54). Augustin Berque n’étudie pas le rapport des hommes aux espaces mais bien le rapport des hommes aux lieux qui fondent leur existence sur terre.

164 Les recherchent scientifiques portant sur l’habiter se multiplient depuis une dizaine d’années. En septembre 2006, un colloque sur « l’habiter dans sa poétique première » est organisé au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle. La publication des actes du colloque rend compte des discussions engagées dans ce cadre. Ainsi, l’objectif des travaux est d’inviter les chercheurs à « s’interroger sur le poétique, dans ce sens fort de poïétique… en définissant les voies qui nous permettent d’habiter la Terre créativement, plutôt qu’en destructeurs. [Car,] la poétique première de l’habiter humain, c’est ce poème du monde : cela en quoi l’œuvre humaine, déployant la Terre en monde devient écoumène, la demeure de notre être : oikou-menê gê, la Terre habitée » (Berque, De Biase, Bonnin, 2008 :8). Ces postures scientifiques s’inscrivent en résonance avec les intentions de Denis Retaillé qui s’interroge sur les « aspects ontologiques dans la description et l’explication du monde terrestre » puisqu’il pense, sans doute à juste titre, que « la géographie est cette discipline de pensée qui lie la subjectivité de l’intérieur et l’objectivité, voire la matérialité de l’extérieur. Ce lien s’appelle le monde et c’est un “espace public” au sens où il est espace du côtoiement et non pas, ou non plus, l’espace de l’espacement qui avait contenu la pensée géographique jusqu’alors » (Retaillé, 2000 :273 et 284). Les publications contenues dans les actes du colloque de 2006 s’emploient à mettre en évidence ce que sous-tendent, en termes d’intentions poïétiques, des manières d’habiter telles que l’errance urbaine (Berenstein-Jacques, 2008) ou la construction des cabanes (Tiberghiem, 2008).

Quant à cette recherche doctorale, elle s’inscrit dans cette veine théorique dans la puisqu’elle défend l’idée, faut-il le rappeler, qu’« il manque à l’ontologie une géographie, et à la géographie une ontologie » (Berque, 2000 :9). Néanmoins, si tel est le cas, on pense que la mobilisation du concept d’habiter permet de dépasser une lecture de l’espace comme portion terrestre déjà acquise par l’homme. Cette posture permet d’affirmer que la spatialisation se caractérise d’abord par l’habitabilité des lieux et que celle-ci s’accomplit à travers l’action d’un individu restitué dans sa profondeur, son intimité, sa sensibilité, son historicité, ses émotions, sa poïèsis, sa quête ontologique. C’est la raison pour laquelle on en appelle à une géographie de l’intime définie comme l’étude de « l’espace habité » dont on conjecture qu’il concrétise l’appropriation subjective du lieu par l’homme. L’espace habité explore le rapport de l’homme au lieu et dans quelles mesures ce rapport autorise l’émergence de l’espace rendant ainsi possible l’être de l’humain. Réhabiliter le concept d’habiter en géographie autorise à étudier la spatialisation dans une perspective existentialiste rompant ainsi avec les études de la spatialité appréhendée comme un simple

165 usage de l’espace. Car, « l’être humain a toujours “à faire avec” l’espace au sens où il doit en permanence accepter “l’épreuve spatiale” » (Lussault, 2007 :35). Les philosophes s’accordent à considérer le verbe habiter comme un moyen pour chaque homme d’être, c’est-à-dire d’exister sur terre ici et maintenant. Michel Lussault les rejoint lorsqu’il évoque le fait que « ce qui importe le plus c’est de souligner que le registre touristique de l’habiter n’est pas pensable si l’on ne le considère pas en ce qu’il permet à l’acteur de se construire, via l’expérience spatiale, en sujet de désirs et de pratiques » (Lussault, 2007 :50). Car, il appréhende la dimension existentialiste de l’expérience spatiale dont il fait référence en recentrant sa focale sur l’examen de désirs et de pratiques donc d’intentions existentielles et ontologiques. Augustin Berque porte une réflexion sur « la nature de l’écoumène » qu’il entend « comme la relation de l’humanité à l’étendue terrestre. Une telle relation ne peut se réduire à la conception, traditionnelle en géographie, de l’écoumène comme “partie habitée de la terre” ; laquelle reste cependant riche d’enseignements » (Berque, 2007 :53). Autrement dit, il récuse les approches géographiques qui étudient les spatialités c’est-à-dire les différents usages, pratiques pragmatiques de l’espace au bénéfice d’un examen de ce qui fonde le rapport de l’homme aux milieux. L’étude de ce rapport des hommes aux milieux marque une rupture qui est à la fois subtile et profonde. Elle marque une disjonction fondamentale entre d’un côté les géographes rompus à l’étude des spatialités, « la partie habitée de la terre », et d’un autre côté les géographes qui s’attachent à étudier les spatialisations autrement dit ce qui fonde les relations de l’homme à l’espace entendues comme une manifestation existentialiste. Cette seconde acception de l’étude de l’espace habité revient à étudier la cosmicité. Dans ce contexte, Augustin Berque évoque la notion de contingence c’est-à-dire les circonstances nécessaires à l’avènement ou pas du cosmos, du lieu habité par l’homme afin qu’il ait le sentiment d’exister sur terre. Augustin Berque précise que « s’agissant de l’habiter, cette gradation qui va de la nécessité vers la contingence correspond à une échelle ontologique allant du niveau d’être de la planète (l’ordre mécanique, celui des systèmes physicochimiques), à celui de la biosphère (l’ordre écologique, celui des écosystème) puis à celui de l’écoumène (l’ordre mésologique, celui des milieux humains). […] Au niveau ontologique de la planète, les lois de la physique s’applique nécessairement et universellement ; mais moins rigoureusement au niveau de la biosphère, et moins encore au niveau de l’écoumène, tandis qu’augmente au contraire le degré de contingence. Autrement dit le degré de liberté. Cette échelle ontologique est également cosmique. Elle correspond à l’évolution qui est allée d’une simple planète à une biosphère habitée par la

166 vie, puis à un écoumène habité humainement ; évolution qui mène aussi, on le voit, du non- habiter vers l’habiter » (Berque, 2007 :60). Pour explorer la nature de l’écoumène soit la « relation d’un groupe humain à l’étendue terrestre » qui se caractérise par une « imprégnation réciproque du lieu et de ce qui s’y trouve », Augustin Berque mobilise le concept de « médiance – moment structurel de l’existence humaine ». Il précise que « l’existence humaine couple dynamiquement (formant donc un “moment”) deux “moitiés” qui sont, respectivement, un corps animal individuel et un corps médial collectif, lequel n’est autre que notre milieu. Chaque espèce vivante déployant son propre milieu à partir de l’environnement, la médiance existe déjà dans la biosphère ; mais elle accomplit un pas décisif à partir du moment où, dans les milieux humains, le symbole affranchit l’information des vecteurs physiques toujours nécessaires dans la biosphère. C’est à partir de là que sont devenues possibles, hors de la présence physique de ces vecteurs, les représentations propres au monde humain, et que par suite la mondanité a connu un déploiement proprement métaphorique car les représentations ne sont pas les objets qu’elles représentent. C’est en ce sens que l’on peut affirmer, sur la base des sciences positives, que l’humain est véritablement “formateur du monde” » (Berque, 2007 :65).

Autrement dit, Augustin Berque accorde une place prépondérante à la manière dont les individus produisent le monde dans le cadre de leurs rapports aux lieux. Ces rapports aux lieux sont les fruits des représentations qu’ils construisent et véhiculent dans et à partir des lieux. Les lieux, présents initialement dans ce qu’Augustin Berque qualifie d’ordre écologique, acquièrent un statut nouveau, permettant l’existence humaine et l’avènement d’un ordre mésologique, dès lors qu’ils sont investis symboliquement par l’homme. La démonstration d’Augustin Berque s’approche donc sensiblement de celle de Xavier Zubiri qui précise que par « l’intelligence sentante », l’homme est affecté en affection par la réalité des choses. Car, ce que dit Augustin Berque pourrait être résumé de la manière suivante : les lieux existent initialement, intrinsèquement mais leur existence première, intrinsèque relevant d’un ordre mécanique et écologique, ne suffit à fonder le monde. Ce n’est qu’à partir de la manière dont les hommes sont saisis dans leurs sensibilités, dans leurs histoires personnelles, dans leur poésie, dans leur intimité et dans la manière dont cette affectation en affection est réinvestie dans l’usage et la pratique des lieux que l’on assiste à la fondation du monde, à l’avènement de l’ordre mésologique qui autorise l’existence humaine. Augustin Berque conclut alors sa démonstration en affirmant que « l’habiter humain n’est autre que la médiance de l’écoumène. Ce que nous habitons en

167 tant qu’humains, c’est ce moment structurel qu’est le couplage des deux “moitiés” de notre être : notre corps animal et notre corps médial. Moment d’autant plus puissant que, par la technique et le symbole, notre corps médial étend davantage notre espace existentiel… Habiter, au fond, c’est – comme la médiance – le moment structurel de l’existence humaine ; et l’espace de l’habiter, c’est le déploiement de cette structure existentielle, dans et par l’écoumène » (Berque, 2007 :66). Augustin Berque propose donc la mésologie pour rendre compte de l’ontologique relation des hommes aux (mi-)lieux. Il distingue deux types de rapports. Le premier est d’ordre écologique et se manifeste dans le rapport à l’environnement (le corps animal) ; le second est mésologique c’est-à-dire qu’il introduit la notion de milieu (le corps médial). Or, la notion de milieu suppose d’examiner, même si cela est insuffisant, la subjectivité, l’intime des hommes, la poésie dans la mesure où « ce qui établit spécifiquement la structure ontologique de la médiance, c’est l’extériorisation de notre corporéité par les systèmes techniques et symboliques propres à l’humanité ». Par médiance, Augustin Berque entend donc ce moment où « cette structure ontologique fait sens par elle-même, en établissant une identité dynamique à partir de ses deux moitiés, l’une interne et l’autre externe, l’une physiologiquement individualisée (le topos qu’est notre corps animal), l’autre diffusé dans le milieu (la chôra qu’est notre corps médial) » (Berque, 2000 :128). Une géographie de l’habiter ne peut donc pas faire l’économie de l’étude de la dimension subjective, symbolique, existentialiste que sous-tend le rapport des hommes aux lieux. Ce rapport est déterminé par les manières d’habiter l’espace, par la médiance c’est-à-dire l’investissement symbolique que l’homme extériorise et réinvestit dans le cadre de son rapport aux milieux. Augustin Berque évoque le fait qu’habiter n’est pas une simple projection sur le milieu mais qu’il relève d’une « trajection ». « Le corps médial en est la trajection » précise-t-il. « La trajection, c’est ce double processus de projection technique et d’introjection symbolique. C’est le va-et-vient, la pulsation existentielle qui, animant la médiance, fait que le monde nous importe. Il nous importe charnellement, parce qu’il est issu de notre chair sous forme de techniques et qu’il revient sous formes de symboles. C’est en cela que nous sommes humains, en cela qu’existe l’écoumène, et c’est pour cela que le monde fait sens » (Berque, 2000 :129).

Ces développements marquent une rupture fondamentale avec les études géographiques qui analysent les spatialités comme un simple usage de l’espace dépourvu de leur caractère existentiel. Les apports théoriques d’Augustin Berque invitent à repenser les relations de l’homme aux lieux dans la mesure où « le sens est déjà et nécessairement

168 toujours là, dans nous-même et dans les choses ; et c’est à partir de là, indéfiniment, que le moment structurel de notre existence trajecte la nature des choses en un monde, ce monde en nature des choses, et ainsi de suite, toujours plus outre » (Berque, 2000 :146). Ainsi, ce ne serait plus la qualification des espaces qui déterminerait des spatialités mais bien le sens que les individus confèrent à la qualification de ces espaces qui déterminerait les spatialités. En d’autres termes, interroger les spatialisations des hommes, soit les registres d’habitabilités des lieux, revient à questionner comment les lieux font sens chez les individus et comment les lieux sont-ils les zones d’expression de la réactualisation des sens qu’ils provoquent chez les individus. Par conséquent, dans la mesure où « la trajectivité des choses n’est pas une pure phénoménalité, moins encore une simple projection de la subjectivité humaine sur ces choses ; elle nous donne bel et bien “prise” sur leur dimension physique, dont la topicité relève de la terre et de l’univers, plutôt que du monde. Par cette même trajectivité, la terre et l’univers sont “en prise” avec nos motivations ; ce qui est autre chose qu’un simple effet physique sur notre corps animal. L’étude des milieux humains s’attache donc à reconnaître comment s’organisent les “prises trajectives” qui permettent aux diverses sociétés de comprendre et d’utiliser la réalité des choses » (Berque, 2000 :148). Ainsi, ce sont bien les affectations, les motivations, les représentations… qu’il convient d’interroger si l’on veut comprendre les choix de spatialisation des individus. Ces choix résultent de la manière dont les lieux résonnent chez les individus. Ces résonances sont différenciées en fonction de l’histoire personnelle, de la stratification émotionnelle des individus, de leurs propres intimités. Comprendre la médiance des surfeurs, c’est-à-dire ce moment structurel durant lequel l’homme habite le milieu vague, suppose de saisir comment s’imprègnent réciproquement la vague et le surfeur.

C’est pourquoi, cette recherche accorde une place prépondérante à la manière dont les surfeurs appréhendent le lieu-vague. Car en glissant sur la vague, ils l’habitent en mobilisant leurs ressentis induits par la pratique du lieu-vague. Cet objectif suppose donc, non seulement, d’adopter une approche systémique afin de rendre compte des interrelations lieu-homme-espace, mais également d’explorer l’intime des individus surfeurs dont on attend qu’ils livrent les émotions que leur procurent le lieu-vague initial et l’espace-vague pratiqué dans le but de percer les logiques qui sous-tendent la spatialisation. L’examen de ces « prises trajectives » qui permettent aux surfeurs d’utiliser et de produire un environnement – la vague – constitue donc l’objet de cette recherche. Leurs réponses

169 concédées dans le cadre d’entretiens réalisés dans une perspective maïeutique permettront de valider/invalider ces hypothèses. Pour autant, ce travail s’inscrit-il exclusivement dans la veine d’une géographie culturelle qui tendrait à « regrouper et à ranger sous son label toutes les recherches privilégiant une démarche qui décrypte le sens social des dispositifs spatiaux comme des relations que les êtres humains entretiennent avec eux » c’est-à-dire une géographie qui accorderait une place centrale « au paradigme culturel » présenté comme le moteur de la réalisation du sujet (Di Méo, 2008 :49) ? Guy Di Méo pense que « les cultures ne fossilisent pas les sociétés [mais qu’elles] ne naissent et ne se développent, ne s’installent dans des territoires et ne se transforment que dans le mouvement de l’action / interaction sociale spatialisée qui les façonne et leur fournit un champ d’expression, à la fois concret et symbolique ». Aussi, il postule « que nous devons affirmer la consubstantialité absolue du social et du culturel en géographie. Nous devons tenir le principe de leurs rapports irréductibles en termes de signifiant et de signifié, de forme et de fond, de contenant et de contenu… Défendant une démarche structuraliste, j’estime aussi qu’il nous revient d’affirmer la prégnance dialectique, échappant à toute causalité linéaire, de la forme sur le fond, des structures sur le sens. À ce titre, il nous faut poser le principe d’une production culturelle sensible aux forces, aux impulsions créatrices d’une action sociale dynamique et spatialisée, à ses jeux et à ses enjeux, aux conflits et aux luttes qui la secouent, aux formes de régulation qui la rendent possible. Il est indispensable, symétriquement, de faire l’hypothèse de faits culturels façonnant à leur tour et simultanément les univers sociaux et spatiaux ; en fait totalement solidaires de ceux-ci » (Di Méo, 2008 :50-51). Or, c’est précisément cette dynamique intellectuelle qu’entend défendre cette thèse. Cette recherche prétend aller à la rencontre de l’intime des individus surfeurs au sein duquel transpire leurs intériorisations des normes culturelles et sociales qui sont ensuite réinvesties dans le cadre de leur spatialisation dont on postule qu’elle participe alors, en retour, à la construction identitaire, c’est-à-dire sociale et culturelle des individus surfeurs. La géographie de l’intime souscrit donc à cette absolue nécessité d’introduire la dialectique inhérente aux rapports hommes-lieux.

Cela dit, cette recherche part également à la conquête de l’irrationnel, des utopies des individus surfeurs. Elle entend mettre en lumière la satisfaction ontologique que confère la pratique du lieu-vague induit par l’acte de glisse. Dans ce contexte, cette recherche explore la dimension sociale et culturelle de l’homme spatialisé passée au crible de son existentialisme. Car l’homme spatialisé est aussi poète, bâtisseur, maître de sa

170 « condition géographique ». Il est un producteur d’espace pour paraphraser Henri Lefebvre. Pour accomplir cette spatialisation c’est-à-dire la transformation des lieux en espaces, il convoque son « Arkhé-pensée » qui mobilise aussi le symbolique, le mythologique, le magique afin d’orchestrer une pensée unique qui ne dissocie pas l’objectivité et la subjectivité. À travers cette qualification des lieux, le fait d’être « affecté en affection » dans le processus de prise en charge des lieux, l’homme se spatialise donc, non seulement à l’aune de déterminants culturels ou sociaux intériorisés, mais à l’aune d’une intériorisation de ces déterminants culturels et sociaux dans une perspective ontologique. En d’autres termes, cette recherche entend démontrer que l’ontique spatialisation est le fruit d’une alchimie qu’opèrent les individus dans le cadre du processus de spatialisation où l’intériorisation des facteurs culturels et sociaux est accomplie pour satisfaire un besoin ontologique que suppose la prise en charge des lieux. Cette recherche entend donc démontrer qu’en surfant, c’est-à-dire en accomplissant l’acte de glisse sur le lieu-vague, les surfeurs ne se forgent pas seulement une identité sociale et culturelle au sein d’une métastructure sociale et culturelle dont ils auraient intériorisé les valeurs, les normes, les codes… et dont leurs spatialisations ne seraient que le reflet ou l’expression géographique mais qu’ils recherchent plus encore, par l’intermédiaire de cette révélation du « génie des lieux », le fait d’éprouver leur être au monde ici et maintenant. C’est la raison pour laquelle, on affirme que l’habiter mérite d’être investi en géographie dans la mesure où l’habiter est l’expression géographique de l’ « Arkhé-pensée » en ce sens où l’habiter, processus d’appropriation des lieux, convoque le rationnel et l’irrationnel, le logique et le poétique, le pragmatique et l’utopique, le réel et le sacré ; en ce sens où l’habiter est l’ontique expression géographique de l’appropriation des normes sociales et culturelles des individus passées à travers le prisme de leurs sensibilités, de leurs émotivités, de leurs historicités… Ce que certains rangent sous le vocable « d’hybridation ». Ils considèrent que « ces mutations qui bouleversent nos habitudes nous invitent à imaginer d’autres formes d’intelligence collective pour observer et comprendre les mutations, analyser les hybrides sociétaux et territoriaux qui émergent et construire de nouveaux modes de collaborations pour la recherche et pour la fabrique des territoires 54 ». Dans ce contexte, les territorialités des adeptes des sports de nature, auquel le surf appartient, seraient de formidables laboratoires pour explorer cette « hybridation »

54 Texte de l’appel à contribution dans le cadre du colloque « Hybride, hybridation, hybridité : Les territoires et les organisations à l’épreuve de l’hybridation ». http://calenda.revues.org/nouvelle22011.html . [Page consultée le 21 février 2012].

171 entendue comme « un mouvement post/transmoderne de recomposition et de réduction des discontinuités où l’altérité est au cœur des dynamiques culturelles et territoriales observables dans le champ de la “récréation” au sens large 55 ». Car, Jean Corneloup remarque que « le post-modernisme qui suit le modernisme, procède d’un marquage social des pratiques, non fondé sur l’appartenance sociale mais sur les styles de vie. C’est le moment de l’esthétisme, des désirs partagés dans des groupes de pairs, des communautés de pratique au sein desquelles des genres de vie se ressemblent… Il s’agit d’une fragmentation de la dynamique sociale. C’est la culture de l’instant… Pourtant, il n’y a pas de rupture totale, car l’ancien demeure et côtoie le nouveau. La modernité et la culture n’ont pas disparu. Cette cohabitation permet l’apparition de nouvelles identités sportives, hybrides, complexes… Ces nouveaux pratiquants, hybrides, peuvent se jouer de plusieurs formes identitaires dans la combinaison des pratiques » (Corneloup, 2008 :5). Mais, si le postmodernisme n’était pas seulement le moment de l’esthétisme et d’une quête identitaire ? Et si le postmodernisme était aussi le moment d’une reconquête géographique pensée comme un moyen de renouer avec le caractère ontologique que sous-tend la pratique des lieux ?

Ces approches privilégient donc la dimension géoculturelle comme vecteur d’explication et de compréhension des dynamiques spatiales et territoriales. Ne convient-il pas également d’introduire la dimension ontologique de « la condition géographique » dans cette recherche explicative de « l’hybridation territoriale » ? Ne convient-il pas également de réintroduire la dimension ontologique du rapport de l’homme aux lieux comme facteur d’explication des neoterritorialités à l’heure où Jean Corneloup souhaite « évoquer l’existence de formes culturelles dans l’approche des pratiques sportives de nature en portant [son] notre propos sur l’analyse d’une forme montante, la transmodernité qui semblerait largement active dans la reconfiguration de nos pratiques récréatives de nature, porteuse d’une dynamique remarquable dans la volonté de produire de la créativité, du changement et de l’innovation pour repenser nos manières de vivre des émotions corporelles et des temps récréatifs en relation avec l’émergence de modes de vie alternatifs à la société moderne et post-moderne » (Corneloup, 2010 :73) ? Car, Jean Corneloup souligne que les territorialités sportives de la transmodernité convoquent aussi le désir de « ré-création » des adeptes des sports de nature et la recherche d’une

55 Définition glanée sur : http://www.pacte.cnrs.fr/spip.php?article105 . [Page consultée le 21 février 2012].

172 « atmosphère ». Associés au souhait de faire des rencontres, ces deux formes d’expression des territorialités transmodernes constitueraient l’imaginaire des styles de pratiques des nouveaux adeptes des sports de nature. Or, on rapprocherait bien d’une part cette « ré- création » d’une soif existentielle, d’un désir d’être au monde rendu possible par la cosmogonisation des lieux, et d’autre part la recherche d’une « atmosphère » d’une poursuite du « génie des lieux ».

3.2.3 Vague et géographie culturelle

Les travaux d’Augustin Berque bouleversent les géographies contemporaines. Ils sont repris dans les recherches conduites par Paul Claval qui introduit l’approche culturelle dans la discipline géographique. Dans le cadre d’une conférence donnée en février 2003 à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon pour la section géographie, Paul Claval 56 se réjouit du fait, qu’à partir des années soixante-dix, « les géographes s’intéressent aux hommes tels qu’ils sont, dans leur diversité, dans leurs tenues, dans leurs habitudes, avec leurs ambitions, leurs limites et leurs défauts. Il faut qu’elle montre la diversité des lieux : on est las de l’uniformité de la plaine de transport des modèles théoriques, alors que les paysages révèlent mille traits qui changent d’un point à un autre ». Car, ces travaux, précise-t-il cherchent à « comprendre ce que signifie pour les hommes le fait d’être ici et maintenant. Le but de la géographie est de faire rentrer dans l’intimité de ceux sur lesquels on travaille, de rentrer dans leur logique, de montrer comment ils donnent un sens à leur vie à travers ce que leur disent les paysages où ils vivent ». Fondateur de la géographie culturelle en France, Paul Claval s’emploie à présenter la géographie comme l’étude des rapports homme-lieu dont on ne décrypte les relations qu’à travers l’étude et l’exploration de la profondeur des individus. « Dire qu’il existe dans le monde social des domaines autonomes où s’imposent les critères ici de l’économie, là du social et ailleurs du politique fait partie des présupposés qui appauvrissent la vision de l’homme et empêchent de le saisir dans son historicité, dans sa géographicité et dans sa matérialité », voilà une phrase qui résume sans doute la posture intellectuelle de Paul Claval. Autrement dit en accordant une place centrale au rôle de la culture dans le cadre des productions

173 spatiales des individus, Paul Claval renouvelle le champ épistémologique des géographies contemporaines. Son intentionnalité consiste à ne plus faire entrer la culture dans les catégories objectives des approches naturalistes ou néo-positivistes. Il précise que « la culture demeure bien entendu faite d’acquis, mais ceux-ci prennent un sens parce qu’ils sont saisis comme éléments dans une séquence : la culture est d’aborde héritage ; elle est faite de l’ensemble des acquis transmis par les générations qui précèdent. La culture est ensuite expérience : les enfants, les femmes, les hommes n’acceptent pas passivement ce qui leur est proposé. Ils ont à faire face à des circonstances particulières, savent ce dont ils ont besoin et ce qui leur est inutile, font le départ entre les règles qui devraient s’imposer partout et toujours parce qu’elles sont absolues, et les accommodements qu’impose l’existence. La culture est enfin projection dans le futur : elle est ce qui donne un sens à la vie en montrant vers quoi nous allons, et en l’opposant parfois à ce vers quoi nous devons aller. C’est parce qu’elle fait ainsi le pont entre le passé, le présent et le futur que la culture est plus qu’un ensemble de recettes mis à la disposition des individus ou des groupes : elle est ce qui oriente l’action, lui donne un sens, crée l’espoir, mobilise les énergies, ou condamne au désespoir ». Plus loin dans son allocution, Paul Claval déplore que la géographie ait abandonné l’idée de parler des utopies dont certaines président à l’élaboration de productions spatiales dénuées de rationalité. Or, pour Paul Claval la géographie culturelle réhabilite l’apparent irrationnel, l’absence de logique dans les productions spatiales. La géographie culturelle déclinée et établie par Paul Claval conduit « à faire de la géographie une discipline de l’expérience que les hommes ont de la terre, de la manière dont ils la perçoivent, la comprennent, l’utilisent, l’habitent et donnent ainsi un sens à leur existence ». Cette recherche étudie le rapport du surfeur au lieu-vague. Elle consiste à explorer la perception, la compréhension, l’utilisation, l’habitabilité des surfeurs vis-à-vis de la vague dans l’optique avouée de dénicher ce que ce rapport suppose en terme d’existentialisme et de pratiques existentielles.

Par ailleurs, Paul Claval précise que l’approche culturelle nécessite d’interroger la manière dont les individus captent et traduisent les informations dans le cadre de leurs constructions identitaires. « Si la géographie culturelle implique, comme préalable, une réflexion sur information et communication, c’est qu’il n’est pas possible de comprendre

56 http://geoconfluences.ens-lyon.fr/general/geoquest/claval.htm . [Page consultée le 6 décembre 2011]. Le texte de Paul Claval est restitué sur ces pages Internet. En guise d’introduction l’auteur rappelle que l’objet

174 sans elle la transmission des acquis : celle-ci constitue une aventure individuelle, mais renouvelée par chacun des membres de la société ; ce qui est reçu varie de personne à personne, parce que chacun suit une trajectoire qui lui est propre, fréquente des milieux différents, ne visite pas les mêmes lieux. La manière dont la culture est transmise et acquise interdit qu’on la considère comme une entité d’essence supérieure et qui s’imposerait de manière identique à tous les membres des groupes ». Dans ce contexte, « la culture est une affaire individuelle, mais elle est en même temps profondément sociale. L’approche culturelle introduit donc très tôt la dimension sociale dans l’étude des faits géographiques ». Cette conception de la construction culturelle et identitaire des individus suppose qu’entrent en résonance les informations avec l’univers intime des individus. Dans ce contexte, seule l’analyse systémique c’est-à-dire l’intériorisation des informations par l’individu permet de rendre compte de la manière dont cette intériorisation des informations influe sur les productions spatiales ou la compréhension des dimensions culturelles de l’expérience vécue des lieux et de l’espace. Paul Claval résume les apports qu’engendre l’approche culturelle en géographie. Elle permet :

- « la construction de cadres de repérage et d’orientation dans l’espace ; - la création de systèmes qui structurent l’espace et permettent de formuler des discours à son sujet ; - la création de découpages qui structurent le social et rendent possible la formulation de jugements à son égard : distinction du moi, du nous et des autres, découpage de la réalité sociale, exclusion ; - la mise au point de techniques qui assurent la maîtrise de l’environnement, son exploitation et son aménagement : techniques de culture, techniques de construction ; - la définition de régimes alimentaires, qui régulent les rapports biologiques des hommes et de l’environnement, en valorisent certains aspects et en dévalorisent d’autres, et donnent une dimension sociale au boire et au manger ; - la mise au point de règles juridiques qui facilitent l’aménagement du territoire et des paysages et conduisent à l’imposition, à côté de l’ordre fonctionnel de la production ou de l’habitat, d’un ordre symbolique dans l’environnement créé par les hommes ». de sa communication porte sur le thème de la « géographie culturelle, culture des géographes ». Les citations sont issues de cette communication.

175

Dans le cadre de cette recherche, qui consiste à appréhender le rapport du surfeur à la vague et de saisir si l’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics, telle que ressentie par les surfeurs, influe sur ce rapport, l’approche culturelle nous permet de ne pas disqualifier l’acte de glisse comme un acte spatial purement gratuit pouvant faire l’objet d’une analyse spatiale distanciée. Cette posture scientifique a démontré ses limites puisque l’ouvrage dirigé par Jean-Pierre Augustin, malgré son caractère novateur, était ainsi construit c’est-à-dire qu’aucun discours de surfeur n’était relayé ou mobilisé pour l’analyse des productions spatiales induites par le surf. L’ensemble des contributions contenues dans cet ouvrage mettent en avant les incidences géographiques induites par la démocratisation du surf c’est-à-dire comment se traduisent les territorialisations des surfeurs, comment s’expriment les conflits à l’eau, comment les aménagements consacrés au surf reconfigurent les territoires urbains des stations balnéaires… Ainsi, « les territoires de l’éphémères » étaient présentés comme le fruit du processus d’individuation des pratiques sportives, la volonté de s’inscrire dans une logique de rupture sociale, l’aboutissement d’avancées technologiques significatives permettant de conquérir de nouveaux espaces de pratiques… mais jamais comme un existentialisme. On souhaite donc expliquer, non plus comment, mais pourquoi les surfeurs se spatialisent sur la vague, pourquoi ils adoptent des comportements relevant de la déviance, pourquoi les acteurs publics mobilisent cette pratique sportive dans le cadre des procédures de développement local… La manière dont on appréhende l’approche culturelle qui donnerait « une légitimité heuristique à la parole des individus ordinaires, [et contribuerait] au déclin du positivisme et du structuralisme » permet d’ouvrir « de nouveaux domaines de recherches mais assume [également] la modestie de n’être que la composante d’une démarche plus générale » (Lévy, 2008). Par ailleurs, qualifier l’affiliation de cette recherche à une branche de la géographie, dite culturelle, permet de clarifier « les problèmes épistémologiques et théoriques du domaine désigné sous le terme “géographie culturelle” » (Lévy, 2008). Cependant, revendiquer cette appartenance ne consiste pas à circonscrire, au nom d’un « découpage multidimensionnel de la géographie », la pensée ou la démarche scientifique afin de l’utiliser « comme une “soupape de sécurité” ou un “trop-plein” pour une géographie empiriste ». Car, on partage l’idée que « les spécificités du travail scientifique consiste à expliciter des énoncés de manière univoque » (Lévy, 2008). Par conséquent, lorsque l’on revendique l’appartenance à la branche culturelle de la géographie, on prétend, ni plus ni moins, aller à la rencontre des intentions que sous-tendent non pas les spatialités

176 des individus mais bien les choix opérés dans le cadre de leurs spatialisations. On prétend que seule la rencontre, l’analyse des discours, la recherche de l’intime autorise la mise en exergue des registres d’habitabilité des espaces chez l’homme soit la manière dont le lieu entre en résonance avec son identité culturelle et sociale et la manière dont ces résonances sont ensuite réinvesties pour habiter l’espace. C’est cette posture que l’on qualifie de géographie de l’intime au risque de segmenter encore la discipline et de susciter le courroux de Jacques Lévy. Dans ce cas et pour le rassurer, peut-être vaut-il mieux parler d’une affiliation à « une anthropologie structurale élargie qu’on applique à l’espace » (Lévy, 2008).

Ainsi, on défend l’hypothèse que l’étude du rapport de l’homme au lieu, du surfeur à la vague, qui fonde sa spatialisation et son existence sur terre ici et maintenant est riche de sens et traduit les utopies, les rêves, les envies, l’existentialisme des hommes, des surfeurs, qui trouveraient un mode d’expression dans le cadre de la recherche d’une expérience spatiale singulière. N’est-ce pas la raison pour laquelle Denis Retaillé précise que « la valeur des lieux appartient tout entière à l’appréciation culturelle et semble échapper à l’universalité » (Retaillé, 1997 :81) que « le lieu pourrait être la circonstance spatiale par laquelle la cohabitation et la corrélation réciproque s’installent » ( Ibid :93) et qu’il « n’y a de lieu et de nom de lieu que par la vie qui s’y imprime » ( Ibid :97) ?

D’autre part, l’approche socio-culturelle réinvestie dans une géographie de l’intime, permet de comprendre la manière dont les surfeurs ressentent l’appropriation par les pouvoirs publics du surf, et les incidences qu’elle suppose sur leurs espaces de pratique. C’est la raison pour laquelle, cette recherche explore l’intime des individus avec pour ambition de « montrer comment ils donnent un sens à leur vie à travers ce que leur disent les paysages [fussent-ils éphémères,] où ils vivent » (Retaillé, 1997) . Cette recherche entend donc explorer les manières dont les surfeurs établissent leurs sphères, transforment en fonction des manières dont ils perçoivent et projettent leurs intentions le lieu-vague, sorte de chaos initial, en espace cosmisé, construisent leurs coquilles, parlent de leurs expériences spatiales vécues, mobilisent leurs affects pour révéler le génie des lieux, établissent « leurs trajectivités »… En un mot, cette recherche explore l’habitabilité de l’espace-vague des surfeurs sans pour autant renier le fait que ces surfeurs sont également des être sociaux, riches d’une histoire culturelle, qui captent et traduisent les informations issues de leur environnement territorial prévenant peut-être « le risque que, avec sérieux,

177 [cette] géographie culturelle, explore le contenu de tiroirs, certes pleins de richesses mais installés il y a un certain temps, alors qu’il faudrait peut-être reconfigurer le meuble dans son ensemble » (Lévy, 2008). Pour filer la métaphore, on postule qu’appréhender la manière dont s’orchestre cette habitabilité permet de comprendre comment, et plus encore pourquoi, le meuble est construit !

3.3 Surfer, une modalité d’habiter l’espace en poète ?

À ce stade de l’écriture, le lecteur pourrait éprouver une certaine impatience à l’idée qu’il soit enfin question de surf et du traitement du rapport du surfeur à la vague. Cela dit, quoi de plus difficile que d’interroger la complexité du rapport de l’individu au lieu qui se tisse en fonction de leurs propres sensibilités, de leurs histoires personnelles, de leurs aspirations individuelles et collectives sans poser les jalons de ce que suppose ce rapport. Par ailleurs, on l’a déjà évoqué : le surf est mobilisé pour alimenter le débat épistémologique en géographie.

Comment révéler la manière dont les lieux affectent les individus qui, en fonction de la manière dont ils sont affectés, réinvestissent cette affection dans le cadre de leurs usages et de leurs pratiques des lieux qui président à leur spatialisation ? Ces questions en soulèvent d’autres. En effet, comment interpréter la manière dont les individus s’approprient le traitement de l’espace géographique qui prend corps à travers des choix d’aménagements et/ou de marketing territorial ? Comment mesurer le degré d’intériorisation des normes sociales qui participent de la construction identitaire, culturelle des représentations de l’individu, forgent son intimité, et sont réinvesties dans le cadre de la spatialisation ? Approcher l’intime suppose donc, en premier lieu, d’interroger les individus. Néanmoins, comment nouer des liens avec les individus interrogés afin que s’établisse un rapport de confiance avec le chercheur dans l’optique qu’ils puissent se livrer dans leur sensibilité, dans leur profondeur en exprimant leurs croyances, leurs rêves, leurs attentes, leurs frustrations, leurs espérances, leurs envies… Établir ce rapport de confiance, indispensable au fait que les individus puissent s’abandonner, ne serait se construire en un jour. C’est pourquoi, l’envoi d’un questionnaire ne serait constituer une posture méthodologique appropriée pour s’engager, corps et âme, dans une géographie de

178 l’intime. Cette recherche repose donc sur un choix méthodologique qui laisse la part belle aux discussions, à la proximité affective que requiert le fait de percer le caractère profondément intime qui transpire dans le rapport au lieu, premier jalon vers le processus de spatialisation.

3.3.1 Au cœur de l’intime et habitabilité de la vague

Michel Favory (1994) est sans doute l’un des premiers géographes à évoquer les territorialités des surfeurs. Son travail consiste à mettre en évidence l’émergence de néoterritorialités induites par les pratiques spatiales des surfeurs. Autrement dit, il définit comment se matérialisent ces néoterritorialités. Il évoque le nomadisme dont font preuve les surfeurs pour pratiquer leur discipline sportive. Il caractérise comme éphémère la construction de ces néoterritorialités au regard des propriétés des vagues. Michel Favory explore la manière dont ces néoterritorialités se configurent. Il n’évoque pas ce qui pousse les surfeurs à choisir le lieu-vague comme support spatial à leur spatialisation même s’il distingue le fait que « trois types de satisfactions sont en jeu, dans ces processus de valorisation de l’espace et des lieux : l’identité, la sécurité et la motivation ou le désir d’animation » (Favory, 1994 :213). Confondant espace et lieu qui semblent revêtir la même signification, Michel Favory convoquent les grandes dynamiques sociales pour justifier la spatialisation des surfeurs sur la vague. « Evasion et liberté à la fois jeu et activité incertaine dictée par l’élément naturel (la vague), individuel et théâtral, le surf produit des tribus sociales éphémères en même temps que des territorialités provisoires fortement éprouvées par l’individu ». Il ajoute que « la territorialité du surfeur est celle d’un “nouveau nomade”. Son identité, celle de l’individu et du petit groupe, relève d’un refus de la contrainte sociale dominante. Elle est celle d’un acteur de l’illusion, d’un acteur de la mise en scène de la glisse, comme extériorisation d’une idéologie douce. C’est dans cette mise en scène et dans le “vécu du spot” que le surfeur trouve ses motivations d’attachement aux lieux » ( Ibid :215). Par conséquent, Michel Favory traduit l’émergence des néoterritorialités des surfeurs comme l’expression d’un refus de la contrainte sociale dominante et l’extériorisation d’une idéologie douce. Il n’examine pas si ces néoterritorialités relèvent d’une intentionnalité plus profonde même s’il effleure l’enjeu en précisant que « le “spot” apparaît alors comme le lieu central de ces néoterritorialités

179 floues. C’est le super-territoire, en quelque sorte le lieu sacré et totémique par rapport à l’espace vulgaire et profane situé hors du champ du surf. Il ravive des motivations et des stratégies de la logique territoriale de l’individu et du petit groupe » ( Ibid :215). N’y a-t-il pas là une forme de contradiction pour expliciter l’émergence des néoterritorialités produites par les surfeurs ? En effet, Michel Favory avance d’une part l’idée que les néoterritorialités des surfeurs seraient l’expression d’un refus de la contrainte sociale dominante mais il n’exclut pas que l’émergence de ces néoterritorialités soit également l’expression d’un désir plus profond fondé sur la recherche d’un « super-territoire » entendu comme « lieu sacré et totémique » ? Quelle est donc la nature des motivations et des stratégies de la logique territoriale des surfeurs ? Michel Favory ne répond pas à cette question pourtant fondamentale et c’est précisément l’enjeu de cette recherche. Car, elle entend mettre en évidence le fait que la spatialisation est un acte symbolique fort qui revêt une dimension ontologique. Les surfeurs choisissent-ils la vague seulement pour fuir leur quotidien à l’instar de ce qu’évoque Philippe Bourdeau pour rendre compte de l’émergence de « territoires de l’hors-quotidien » (2003) ? Ce choix d’un ancrage spatial au sein de la vague témoigne-t-il d’une intentionnalité qui dépasse cette seule fuite des territoires du quotidien ? Quelles sont ces intentionnalités induites par la production d’un « super- territoire » défini comme « le lieu sacré et totémique… qui ravive des motivations et des stratégies de la logique territoriale » ? Relèvent-elles d’une soif existentielle ? La pratique du lieu-vague autorise-t-elle l’avènement d’un « espace louangé » pour les surfeurs au sein duquel se déploient leurs poésies, leurs rêveries, s’enracine leur sentiment d’être au monde ici et maintenant ? Est-ce ce désir d’être au monde qui sous-tend la logique territoriale ? La vague est-elle ce lieu où s’orchestre le sentir vivant des surfeurs ?

Quelques éléments de réponse formulés par des surfeurs apportent des éclaircissements que les entretiens cherchent à mettre en évidence. Ainsi, Joël de Rosnay précise qu’il croit « que tous les sports de glisse sont des sports qui vous mettent en harmonie avec la nature et en harmonie avec vous-même. C'est à dire que plutôt que de se battre contre quelqu'un, ou une équipe contre l'autre, on essaye, non pas de se battre avec les éléments, mais d'être complice avec les éléments. Toutes ces relations intimes avec la nature, avec la force de l'océan, vous conduisent à une certaine complicité, je dirais à une sorte de partenariat avec la nature. On se sent beaucoup plus près, on se sent plus unifié, beaucoup plus "un", et tous ces mouvements sont considérés comme des rythmes naturels qui sont très inspirants ». Puis d’ajouter : « En fait le surf, c'est un peu comme la vie. On

180 est porté par une vague qui est le temps, et qui vient mourir sur un rivage, c'est la fin de sa vie. Et en même temps, c'est un mouvement chaotique formé de myriades de molécules d'eau tourbillonnantes, et ce tourbillon on essaye de lui échapper pour aller vers l'eau verte, l'eau propre, la vague qui n'a pas encore cassé. Et dans beaucoup de situations de la vie, on se retrouve dans les mêmes conditions. Il y a des situations chaotiques pour lesquelles les méthodes traditionnelles du déterminisme, de la prévision ne permettent pas de résoudre la complexité de ce que l'on a devant soi. Il faut donc apprendre à surfer des situations chaotiques, discontinues, floues. Une vague, c'est exactement ça ; c'est un chaos déterministe qui donne une forme à la vague, mais qui est fait de myriades de molécules d'eau et sur lesquelles pourtant on se déplace. Donc je crois qu'il faut parvenir à trouver les moyens de surfer la vie en équilibre, dans un équilibre permanent, dynamique, qui se reconstitue sans cesse, plutôt que toujours essayer de prévoir le lieu où l'on va être, parce que les conditions changent et l'environnement aussi 57 ». Ainsi, le surf permettrait de se « mettre en harmonie avec soi-même », de se « sentir beaucoup plus “un” », de « ne pas prévoir le lieu où l’on va être » au bénéfice d’être, c’est-à-dire d’exister, à travers l’expérience spatiale.… Le surf serait « un peu comme la vie ». Christophe Paviot 58 écrit pour sa part : « j’ai mis le cul dans l’eau, elle semblait plus froide soudain. J’ai amorcé quelques longueurs et j’ai pris quelques vagues en bodysurf, je tendais mes bras loin devant, je laissais rouler ma carlingue dans le curl, surfant sur plusieurs mètres ces plaies bien grasses remontées des hauts-fonds. J’ai attendu d’être complètement ivre, épuisé, pour me laisser jeter sur la grève, allongé sur le dos, dans le sable mou. Je me suis mis à hurler, à hurler ma déraison, je retrouvais l’instinct et quelques sensations… Aux autres, je laisse tout. Ainsi qu’ils prennent ce qu’ils veulent, j’abandonne, je me situe ailleurs » (Paviot, 2006 :107). Le surf permettrait donc de retrouver l’instinct, de pouvoir se situer ailleurs… Le surf, c’est-à-dire la pratique du lieu-vague qu’autorise l’acte de glisse, ne possède-t-il pas alors un caractère ontologique ?

Pour en savoir davantage et éprouver notre première hypothèse, on a entendu des surfeurs mobilisés au sein de notre réseau de connaissance établi à l’aune d’une pratique du

57 http://www.syti.net/TaoSurf.html . [Page consultée le 14 janvier 2012].

181 surf assidue depuis presque vingt ans. Ce travail d’entretien consistait à les interroger sur la manière dont ils vivent leur rapport spatial à la vague. On s’est rapproché des surfeurs les plus enclins à se livrer davantage et enthousiastes à l’idée d’être accompagnés dans le décryptage approfondi des émotions qu’ils ressentent et dont ils sont investis lorsqu’ils surfent. Ainsi, on a privilégié le qualitatif au quantitatif. On a alors côtoyé, au quotidien, une poignée de surfeurs avec lesquels se sont tissées des relations de proximité et d’amitiés pensées comme indispensables et préalables à l’exploration de l’intime au sein duquel on postule que se nichent les raisons que les individus convoquent pour justifier leur spatialisation. Certains surfeurs interrogés appartiennent à notre réseau de connaissances. On a donc partagé avec eux de nombreuses sessions. Présent à l’eau, à leurs côtés, on a donc pu analyser de manière empirique leurs émotions, évoquer leurs sensations, écouter leurs ressentis. On a également pu, au regard de cette proximité, leur présenter les hypothèses de cette recherche ainsi que les apports théoriques sur lesquels reposent ces hypothèses au fur et à mesure de la formulation de leurs réponses. Certains surfeurs ont même été destinataires de documents présentant les théories développées sur le concept d’habiter. L’idée était qu’ils puissent s’approprier ces concepts et mûrir leurs propres réflexions quant aux manières dont ils vivent leurs rapports géographiques à la vague.

Notre travail a ainsi consisté à les accompagner dans leurs cheminements intellectuels et à les pousser dans leurs retranchements pour qu’ils se livrent davantage et puissent évoquer les registres affectifs qu’ils mobilisent pour habiter l’espace-vague en surfeur poète. En procédant ainsi, on souhaitait avant tout s’affranchir d’une quête effréné d’entretiens semi directifs réalisés, sur les plages du littoral, de façon aléatoire, et construits de manière impersonnelle, qui ne favorisent pas l’émergence des raisons profondes, latentes et parfois irrationnelles pourtant explicatives des comportements spatiaux des pratiquants de surf. En l’absence de cette proximité, à l’issue d’un entretien réalisé sans chaleur et sans connivence, on n’est pas convaincus que Lilian, surfeur composant la poigné de surfeur entendus dans cette recherche, soit parvenu à nous dire que lorsqu’il surfe, il nourrit « un sentiment d’universalité » ; qu’il pense « appartenir et faire

58 « Christophe Paviot est né en 1967. À quarante trois ans, il a déjà connu plusieurs vies : il a failli devenir pompier comme son père, a travaillé comme docker dans le port de Valparaiso, au Chili, puis dans une ferme de crocodiles en Australie. Après pas mal d’autres péripéties, il devient dans les années quatre-vingt dix créatrif dans une grande agence de publicité parisienne. Il vit ajourd’hui entre Paris et la Bretagne, et voyage sans relâche, en quête de vagues, fidèle à sa passion pour la glisse ». Telle est la biographie de ce romancier surfeur affichée sur les pages Internet de son éditeur. http://www.editions- dialogues.fr/personne/christophe-paviot/ . [Page consultée le 17 janvier 2012].

182 partie du monde » et que ce sentiment lui permet « d’accepter de mourir » en pouvant partir avec l’idée d’être « apaisé car en paix avec le monde qui nous a fait. Je fais partie de ce tout là. C’est ça la vie. À mon niveau, je surfe pour donner un sens à ma vie ».

Cette posture méthodologique quant au choix des surfeurs retenus pour la conduite des entretiens mérite malgré tout d’être argumentée. C’est un « choix dirigeant » établi à l’aune de l’observation participante. C’est en partageant l’acte de glisse avec certains d’entre eux qu’une partie de la sélection s’est opérée. Cette recherche n’entend que des surfeurs expérimentés, ayant consentis à des sacrifices d’ordre existentiel pour assouvir leur passion, inscrits en marge des institutions sportives et des compétitions, localisés sur le littoral aquitain depuis de nombreuses années. Ils représentent donc une génération de surfeurs et l’analyse de leurs discours ne peut donc pas être appliquée à l’ensemble des surfeurs. Ils appartiennent presque tous à la même classe d’âge, sont insérés socialement et disposent d’un capital socio-culturel important. On conjecture que ces surfeurs authentiques ont une expertise technique suffisante pour leur permettre de glisser sur la vague et ainsi révéler le potentiel ontologique induit par cette spatialisation. On avance que ces surfeurs habitent à proximité du littoral pour assouvir leur passion pour le surf ; que ce choix résidentiel suppose des sacrifices et que ces sacrifices traduisent une soif existentialiste dont l’intentionnalité transpire à travers leur rapport spatial à la vague. Cette recherche exclut donc les compétiteurs et les néophytes ou surfeurs occasionnels au bénéfice d’un recentrage des entretiens auprès des surfeurs que l’on qualifie d’authentiques. Cela dit, on reconnaît le caractère pluriel des communautés de surfeurs. On distingue les néophytes ou les pratiquants occasionnels c’est-à-dire ceux qui n’ont pas tant appris à surfer dans un cadre institutionnel, mais qui nourrissent une passion modérée pour cette discipline. Ces surfeurs occasionnels pratiquent le surf en dilettante sans s’abandonner et s’investir corps et âme dans cette pratique sportive. Ils sont l’équivalent de ces boxeurs occasionnels du gym auxquels Loïc Wacquant n’a guère prêté attention. Cela n’exclut pas néanmoins que certains d’entre-eux puissent rejoindre la catégorie des surfeurs authentiques, c’est-à-dire ceux qui pratiquent régulièrement et évoquent le surf « comme un besoin ; une drogue ; une pratique addictive ». On postule l’idée que ces surfeurs occasionnels ou néophytes n’ont pas suffisamment de recul, par manque de pratique et de maîtrise technique, sur ce que suppose l’intensité émotionnelle et sensationnelle que produit l’acte de glisse. On prétend également que le caractère très occasionnel de leur pratique ne leur confère pas suffisamment de recul sur les dynamiques

183 sociospatiales qui s’orchestrent à l’eau. On distingue également les compétiteurs que l’on exclut du panel dans la mesure où les compétitions de surf supposent un affrontement entre surfeurs rapprochant donc cette pratique sportive des jeux de l’ agôn. En effet, les compétitions de surf sont codifiées, les performances gestuelles accomplies durant l’acte de glisse n’ont rien de gratuit. Elles sont commentées, notées et la performance sportive et gestuelle prend toute sa signification une fois confrontée et étalonnée à celle des autres surfeurs. La finalité des surfeurs compétiteurs est donc pragmatique. Elle suppose une intentionnalité qui s’inscrit dans la recherche d’un accomplissement et d’une reconnaissance au sein d’une hiérarchisation institutionnalisée des performances. Les choix de vie de ces surfeurs compétiteurs s’inscrivent dans une perspective professionnelle : ils surfent pour gagner leur vie. Dans ce contexte, le rapport du surfeur-compétiteur au lieu- vague est accompli dans une dynamique rationnelle. Il s’agit de pratiquer le lieu-vague pour gagner ; pour être le meilleur. Néanmoins, parmi ces surfeurs compétiteurs, certains rejoignent également la catégorie des surfeurs authentiques qui pratiquent le lieu-vague sans finalité productiviste, pour leur simple plaisir et plus encore… Par ailleurs, au-delà de ces justifications d’ordre méthodologique, voire de ces stigmatisations de certains surfeurs, force est de constater qu’entendre les compétiteurs n’est pas chose facile puisqu’ils sillonnent les quatre coins du globe à la poursuite des plus belles vagues du monde. D’autre part, on a souligné combien seules les raisons intimes et profondément individuelles mobilisées pour justifier l’intentionnalité que suppose le rapport spatial du surfeur à la vague intéressent cette recherche. Explorer ces raisons intimes et profondément individuelles suppose qu’une relation suivie et de confiance puisse s’établir avec le chercheur. Autrement dit, ce n’est pas lors d’un seul et unique entretien que ces surfeurs authentiques ont livré leurs sentiments. Ce travail de longue haleine a nécessité plusieurs rencontres, plusieurs temps d’échanges qu’il apparaissait difficile d’instaurer auprès de surfeurs néophytes découvrant l’activité sur leur temps de vacances ou de compétiteurs présents sur les plages de la côte aquitaine le temps d’une compétition. La figure ci- dessous entend rendre compte de la catégorisation des surfeurs établie dans le cadre de cette recherche et des raisons pour lesquelles seuls les surfeurs qualifiés « d’authentiques » ont retenu notre attention.

184 Figure 6 : L’intensité et l’intentionnalité de la pratique du lieu-vague comme mode de catégorisation des surfeurs

Ceux qui (re-)deviendront « authentiques » Surfeurs Authentiques – Sujets d’études Surfeurs Compétiteurs 1 : Suffissante 1 : Optimale 2 : Efficiente 2 : « Performative » 3 : Beaucoup de concessions 3 : Professionnel 4 : Proche du littoral aquitain 4 : Nomade 5 : Existentialiste 5 : Compétitive

Pratique du lieu-vague

1 - Expertise technique 5 - Intentionnalité 2 - Condition physique Facteurs influant sur le degré d’intensité de la 3 - Place du surf dans les choix de vie pratique du lieu-vague 4 - Localisation géographique

Surfeurs Néophythes ou Occasionnels Ceux qui 1 : Insuffissante deviendront 2 : Relative surfeurs 3 : Peu de concessions 4 : Loin du littoral aquitain 5 : Ludique et récréative

© Ludovic Falaix

185

Le choix de cet échantillon de surfeurs retenus pour cette recherche a donc été arrêté en fonction de certains critères sélectifs. Il on été établis à partir de certains présupposés fondés, une fois encore, sur l’introspection que l’on pouvait avoir sur notre propre pratique et sur les premières conclusions établies à l’aune d’une observation participante. Deux critères sont donc retenus dans le cadre de cette discrimination de certains surfeurs établie en fonction de leur pratique du lieu-vague. Le premier critère porte sur l’intensité de la pratique du lieu-vague. Il permet d’exclure les surfeurs occasionnels ou néophytes dans la mesure où ils ne disposent pas des compétences techniques et des aptitudes physiques leur permettant de réaliser l’acte de glisse entendu comme mode de spatialisation sur la vague. Le second critère est l’intentionnalité que sous-tend cette pratique du lieu-vague. Cette fois-ci, ce sont les surfeurs compétiteurs qui sont exclus du panel de surfeurs interrogés puisque leur pratique du lieu-vague est appréhendée dans une perspective de recherche de performance sportive dans le cadre circonscrit des compétitions. Or, on souhaitait que les surfeurs retenus pour cette recherche pratiquent le surf dans une approche dénuée de tout intérêt financier ou professionnel. On souhaitait que les surfeurs retenus dans le panel :

- aient plusieurs années de pratique afin d’être capables d’engager une réflexion approfondie sur leur passion du surf et de s’affranchir de l’exaltation extatique que génèrent les premières sensations de glisse, - soient implantés sur le littoral aquitain depuis plusieurs années afin qu’ils aient une vision globale des politiques publiques territorialisées ayant le surf comme support et explicitent la manière dont ils les perçoivent, - soient représentatifs d’une génération de surfeurs ayant débuté le surf avant qu’il ne connaisse une démocratisation singulière dans l’optique d’interpréter si l’augmentation du nombre de surfeurs à l’eau induit une forme de mécontentement, - aient suffisamment d’anecdotes et de vécu sur l’ensemble des vagues du littoral aquitain pour témoigner des réalités sociales et spatiales qui régissent la vie des spots sur cette portion de la côte atlantique, - soient suffisamment enclins à s’engager dans une relation de confiance et de proximité avec le chercheur afin de pouvoir se livrer sans craindre tout jugement de valeur,

186 - soient prêts à partager leurs expériences, leurs vécus, leurs intimités avec les autres surfeurs du panel lors d’ateliers de réflexions collectives portant sur, d’une part le décryptage de leur relation spatiale à la vague, et d’autre part sur leurs interprétations vis-à-vis des constructions territoriales axées sur le surf afin, en dernier ressort, d’examiner les modalités de résistances et de contestations qu’ils mobilisent en réaction à ces interprétations, - aient été contraints à faire des choix de vie significatifs (professionnels, localisation géographique, familiaux…), entendus comme autant de concessions personnelles, de recherches de compromis afin de vivre leur passion pour le surf traduisant, par là même, une forme d’intensité de l’engagement affectif à l’idée de faire du surf.

Bien entendu, cette posture méthodologique n’évite pas certains écueils. En effet, ce panel ne serait être représentatif de l’ensemble des individus composant les communautés du surf. Par conséquent, on se doit d’être prudent quant aux interprétations et conclusions affichées dans cette recherche. Elles ne peuvent être qu’une photographie d’un sous-groupe social, fraction communautaire de surfeurs, et ne sauraient témoigner d’une vérité universelle. Néanmoins, une géographie de l’intime permet de réintroduire de la singularité dans l’analyse et de mettre en lumière la complexité des processus de territorialisation. Avec cet échantillon de surfeurs, on a donc pu approfondir les réponses formulées à l’issue de la rédaction du questionnaire. Interrogés individuellement, on a également souhaité réunir certains d’entre eux à l’occasion d’ateliers thématiques afin qu’ils puissent confronter leurs idées, les approfondir, les enrichir. Le chercheur, dans une posture bienveillante et dénuée de tout jugement de valeur n’avait alors vocation qu’à recadrer les débats autour de la question centrale, c’est-à-dire : « pourquoi surfez-vous ? » en cherchant avec acharnement dans leurs réponses la nature du rapport spatial du surfeur à la vague ; « Comment vivez-vous les politiques publiques territorialisées ayant le surf comme objet ? » afin de saisir les incidences que celles-ci pouvaient avoir sur leur rapport spatial à la vague ; « Quelles sont les stratégies mobilisées pour pallier ces incidences des politiques publiques territorialisées sur votre rapport spatial, emprunt d’affects, à la vague ? » Le travail fut chronophage mais également particulièrement fécond et enthousiasmant. La recherche est aussi faite de désillusions, de lassitudes, de renoncements. Il n’est jamais facile d’entreprendre une recherche doctorale sans le moindre financement pour mener à bien son projet et l’accomplir en marge d’une activité

187 professionnelle exercée à temps complet. La recherche, même si elle occupe nos pensées, ne peut prendre forme, par l’écriture, par la recherche documentaire, par l’assimilation des concepts, qu’une fois affranchie des contingences matérielles du quotidien professionnel et familial… Dans ce contexte, la recherche ne peut s’accomplir que sur les temps libres, au détriment de l’attention que l’on accorde généralement à ses proches, au détriment aussi de ses propres activités de loisirs. Mais plus important sans doute, il n’est pas facile de mobiliser les acteurs, ici les surfeurs, sur de longues périodes. Les surfeurs se sont donc parfois essoufflés. Qu’ils soient ici remerciés pour leur abnégation, la confiance qu’ils ont témoignée, les encouragements qu’ils ont formulés afin que cette recherche aboutisse. Une présentation de ces surfeurs s’impose afin de dévoiler leurs parcours de vie, leurs histoires personnelles, mais aussi leurs choix de vie, leurs passions pour le surf. Cette présentation permet, au demeurant, de mettre en évidence dans quelles mesures chacun des surfeurs présentés répond aux critères de sélections développés plus haut et d’éclairer le rapport qu’ils entretiennent avec leur discipline sportive et la vague. Ces entretiens permettent donc de creuser les raisons qu’invoquent les surfeurs pour justifier leurs spatialisations sur la vague.

Lilian a trente sept ans. Né en région parisienne, il découvre le surf vers le milieu des années quatre-vingt dix. Ingénieur spécialisé dans l’environnement, Lilian travaille d’abord en qualité de chargé de mission pour l’association Surfrider Foundation Europe dont le siège social se situe à Biarritz. Ce premier emploi est un choix de vie puisqu’il lui permet de donner corps à son engagement militant et de quitter la région parisienne pour une installation à Guéthary sur la côte basque. Il a conscience, nous dit-il, que ce travail est peu rémunéré et que son choix est audacieux. « Tous mes potes de promo ont des supers jobs et gagnent plein de blé. Mais bon, moi, j’voulais surfer et sur la côte atlantique, y’a pas énorme de boulot. Surfrider c’était quand même bien pour démarrer ». Après plusieurs années passées au service de l’association, Lilian se dit fatigué et quelque peu lassé par cet emploi. Il décide de rechercher un autre emploi, mais pas à n’importe quel prix précise-t-il. « Quand j’ai décidé de quitter Surfrider, c’est simple, je n’ai postulé que sur l’atlantique de Brest à Hendaye. Tout ce qui pouvait y avoir ailleurs, je ne regardais même pas. Pas question de lâcher le surf pour un taf ». Lilian trouve un nouvel emploi en 2001 à Brest. Il est employé par un grand groupe industriel chargé de promouvoir l’énergie durable en installant des éoliennes sur les territoires. Chargé des études d’impact, de l’accompagnement technique et scientifique des porteurs de projets, Lilian surfe

188 régulièrement. « Brest c’était le paradis. Bon ok, y fait froid, mais les spots, putain les spots!!! Du reef, des beach-break, du repli, des sites sauvages, le pied pour un surfeur. Sans le taf, j’aurais pu surfer tous les jours. La côte est tellement découpée. Tu peux surfer par toutes les orientations de vent dès qu’il y a de la houle ». Lilian habite désormais Bordeaux qu’il considère comme une ville de compromis. « La Bretagne c’est sympa mais c’est un peu loin de tout. Ok je surfais là-bas mais bon j’ai pensé que Bordeaux serait un compromis entre le taf et le surf. Je suis à moins d’une heure de la côte et je peux me coller une session le soir après le boulot ou tôt le matin si je veux. Et puis, le week-end, la côte sud est à moins de deux heures de caisse. Le climat du sud-ouest est quand même moins rude que celui de Brest ». Lilian concède également que durant ces périodes il « vivait en pointillé à cause du surf ».

Anto est professeur des écoles et travaille auprès d’enfants atteints de troubles psychomoteurs. Il est affecté dans une école bordelaise. Surfeur depuis plus de quinze ans, Anto a trente sept ans et habite l’Aquitaine depuis huit ans. Il découvre le surf accompagné par Lilian présenté ci-dessus et d’Edgar dont la présentation suit. Avant cela, Anto était informaticien en Île-de-France. « En fait, j’en ai eu marre de ne jamais pouvoir surfer. Ou que les week-end. C’est trop frustrant. Tu attends le surf toute la semaine et quand tu rentres de trip t’as trop les boules. J’en avais un peu marre d’être schizo. J’ai décidé de passer le concours de prof des écoles pour avoir du temps pour aller à l’eau. J’ai passé le concours dans l’académie de Bordeaux pour ne pas rester scotché quinze ans en banlieue à attendre une mutation. Bon, j’en ai chié puisque j’ai passé trois fois le concours avant de l’avoir alors qu’avec mes résultats obtenus à Bordeaux, j’aurais obtenu, dès la première année, un poste en Île-de-France. Là-bas, ils manquent d’instits ». Anto avoue ne pas regretter ses choix de vie. Il se dit volontiers plus en paix avec lui-même depuis qu’il peut surfer régulièrement. « Tu vois, les vagues en France c’est pas le pied. On a souvent du on- shore pourri et ici, dès qu’il y a plus de deux mètres de houle c’est chaud d’aller à l’eau. Mais bon, je me débrouille toujours pour chopper une bonne session. Rien que de barboter c’est déjà bien. Et puis, aller à l’eau régulièrement ça entretient pour le jour où passent les bombes. Au moins t’es dans le tempo ». Il surfe régulièrement du côté de la station balnéaire du Porge parce que « là-bas y a personne à l’eau. On est tranquille. Rien avoir avec la côte basque, les cavaliers, les embrouilles à la con. Bon, ok sur la côte basque, les vagues sont meilleures, il y a les vagues de roche quand les conditions sont solides. Les mecs surfent là-bas quand chez nous c’est trop gros ». À l’instar des autres surfeurs

189 retenus dans cet échantillon qualitatif, Anto est un vrai passionné. « Putain, quand tu vois le temps que j’y passe, les allers-retours depuis Bordeaux avec ma twingo, la thune dans le matos, les trips que je choisis où y a forcément des vagues, le temps sur Internet à checker les prévisions et les films qu’on se fait en se disant “allez les gars, demain on y va ça va être mortel” et qu’au final, tu prends une claque à cause de la houle, du vent, du monde et que la session magique est une session pourrie. J’te le dis mon gars, faut être malade !!! ».

Edgar est médecin. En 1991, il reconnaît caresser le « fantasme et l’envie de découvrir le surf. J’étais nourri par les images sur le surf qui véhiculaient un sentiment d’être dans la marginalité. C’était super valorisant à Paris. L’image du surfeur rebelle. Mais je suspectais aussi la découverte d’un nouveau monde. Je suspectais la découverte d’une activité à sensation, le plaisir, l’intensité du plaisir ». À l’âge de quinze ans, Edgar voyage aux États-Unis. « À Huntingtown beach, je pensais alors pourvoir essayer le surf mais ça n’a pas marcher puisque ma mère n’y connaissait rien ». En 1991, son désir de surf devient réalité lorsqu’il « réalise un stage de surf avec l’UCPA. Un été de rêves avec quatre semaines de surf ». Edgar obtient son diplôme de médecine générale en Île-de- France. Il est ami, depuis l’enfance, avec Lilian et Anto présentés plus haut. Brillant, Edgar souhaite poursuivre ses études et obtenir une spécialisation. Il reconnaît que le choix de sa spécialisation ne s’est pas fait par hasard, et seulement au gré des opportunités professionnelles. « J’ai choisi de me spécialiser en médecine vasculaire parce que ça me plait mais aussi parce que la patientelle, essentiellement composée de vieux, me permettait de m’installer là où ils sont présents; donc sur la côte. Il y a quelques années j’avais envisagé d’ouvrir un cabinet sur la côte basque avant de réviser ma position et de m’installer à Bordeaux. Un juste compromis ». Il effectue son année d’interne en médecine à Tahiti. « Tu pars pendant un an mais y’en a plein qui te disent que t’as eu le courage. Je voulais rattraper le temps perdu. Ce n’était pas de la chance mais un choix assumé. J’ai choisi Tahiti pour le surf ».

Arnaud est moniteur de voile. Il travaille au centre nautique municipal de Royan. Il est presque quarantenaire et précise que le surf a occupé « une majeure partie de sa vie ». Il découvre le surf au milieu des années quatre-vingt dix, « tardivement » nous dit-il puisqu’il était alors âgé de vingt ans. « Si j’avais commencé plus tôt, je serais bien meilleur que ça. Il ne me manquerait pas autant d’ADSL pour rider plus vite sur les vagues des Landes et pour ne pas voir la section s’écrouler juste devant moi ». Malgré cette légère

190 déception et cette capacité d’autodérision, Arnaud concède qu’il a fait beaucoup de sacrifices pour assouvir sa passion pour le surf. « Après ma licence de géographie à Villetaneuse, j’ai été objecteur de conscience à Douarnenez au sein d’un centre nautique où j’ai obtenu mon BE de voile. J’ai même été embauché comme moniteur. J’étais chargé de l’enseignement de la pratique aux scolaires et de l’entraînement des véliplanchistes. Au départ, j’ai fait un BTS en productique. Mon taf aurait consisté à usiner des pièces de précision. Je me suis rendu compte que je n’étais pas fait pour ça. Si j’ai fait une licence de géo, c’était pour mieux connaître l’océan. Je suis vachement bon en climato et mes potes m’appellent Arnaud Gilloempêtré. En décidant de m’installer à Douarnenez c’est là que ma vie a vraiment commencée ». Arnaud est resté plusieurs années dans le Finistère en habitant « sur la presqu’île du bout du monde », à Crozon. A l’instar de Lilian, il vante le potentiel surfistique du département berton. « Je surfais presque tout le temps. J’avais pas mal de temps libres. Y’a pleins de bons spots là-haut même si ça caille l’hiver : La baie des trépassé, La palue, Audierne, Saint-tugen, les spots de replis comme les roches blanches… ». Arnaud connaît également très bien le littoral aquitain où il se rend régulièrement pour surfer. Il a également voyagé pour être « right time, right place » comme il dit, c’est-à-dire là où il faut au bon moment pour avoir la garantie d’une bonne session. « Je partais tous les hivers au Maroc. Le centre fermait pendant les mois d’hiver alors j’en profitais pour aller au chaud ».

Jérôma est ingénieur. Il est âgé de quarante ans et travaille dans l’industrie pétrolière. Son activité professionnelle le conduit sur des plateformes au large de l’Afrique occidentale. Il a grandit au Pays-Basque et découvre le surf dans les années quatre-vingt. Il évoque l’océan comme « un espace de liberté, donc il n’y a pas de propriété ». Il a longtemps était licencié à l’Anglet Surf Club et se remémore cet apprentissage du surf à l’heure où il n’était pas encore démocratisé : « Le surfeur d’hier il y allait par lui-même au surf, pour qu’il ait sa première planche il devait galèrer comme tout le monde, donc il s’agissait de faire des efforts pour arriver à surfer. Personne ne disait comment se mettre à l’eau donc c’était ton apprentissage à toi, alors que de nos jours, on te donne les moyens d’y accéder facilement avec les cours. Ils sont déjà dans un encadrement, on les y amène. Autrefois, on suivait quelque chose, aujourd’hui on adhère à un mouvement, une mode. On te donne une image sociale en surfant alors qu’à l’époque on ne cherchait pas une image sociale ou peut-être que si, mais plutôt comme un rocker. On cherchait en fait un nouveau monde à explorer ». Le décor est planté et lorsqu’on lui demande de qualifier son spot

191 idéal, Jérôma répond que ce lieu serait « un pic droite gauche qui déferle sur des centaines et des centaines de mètres avec personne à l’eau, même si finalement j’aimerai bien partagé ce spot avec quelqu’un. Je vois une baie verdoyante fermée, je serai un Robinson avec mon pic droite gauche. Ce serait un retour à l’état naturel pur sur une île pour être coupé du monde ».

Aulne a trente sept ans. Il est père de deux filles, habite dans les Landes et travaille dans le monde du cinéma. Intermittent du spectacle, il avoue que ce statut est une aubaine pour lui permettre d’aller surfer. Il revendique une forte culture marine. « Surfer, aller dans l’eau, me permet de pallier le fait que je ne fais pas assez de bateau ». Il confie que « voir la mer » est un besoin. Il commence le surf avec l’espoir « d’acquérir des réflexes [qu’il envisage de réinvestir dans le cadre des ses navigations] si il y a des déferlantes au Cap Horn ». Plaisancier aguerri, Aulne n’exclut pas, un jour se rendre sur cette portion du globe. Récemment divorcé, il envisage même au regard de la liberté que lui confère son nouveau célibat d’acquérir un voilier et d’en faire son habitation principale. Il a connu le surf très jeune puisqu’il « avait un oncle à Lacanau où j’allais en vacances et j’ai vu les premières éditions du Lacanau Pro. Ca me faisait rêver. Mais les leçons étaient chères et je n’étais pas assez souvent à la mer ». Pourtant, Aulne a eu dans son adolescence « un cadeau à l’occasion d’un noël. J’ai eu de l’argent pour prendre des cours de surf ». Malgré tout, il n’expérimente son « premier surf qu’en 2008. J’ai eu le déclic lors d’une première compet sur laquelle je bossais afin de réaliser des videos pour ». Il précise qu’en « régie, coincé dans un container, chargé de diffuser en streaming les ralentis, je me suis dit : faut que j’y mette ». Mais il avoue que cette « envie [de surf le taraude depuis que] je faisais signer les autographes à Curren à Lacanau. Je me disais qu’il y avait un truc à faire vu ce que faisaient ces mecs ». Aulne laisse malgré tout transpirer une certaine frustration d’avoir commencer le surf si tard dans sa vie. Depuis, il s’est acheté un bateau…

Lionel a trente huit ans. Il a un statut d’autoentrepreneur dans le champ du conseil et de la formation, ou « chômeur [précise-t-il] , c’est comme tu veux, tu choisiras ce qu’il convient le mieux pour glorifier les membres de ton panel ». Lionel a grandi sur la côte basque. « La plage, la glisse, la mer, ça a commencé : pouuuuf… ». Il ne s’en souvient plus exactement mais Lionel compte bientôt trente de glisse à son actif. « Quand, t’es petit, tu regardes les instruments de glisse. Au début, t’es à fond dans le morey et un jour tu

192 bascules dans le surf. Comme tous les gens ici. Tu fais d’abord tes pâtés de sable et hop… Dès que t’as ta meule, là c’est non-stop. Tu vas à la digue des cavaliers et tu passes tes journées à surfer ». Il concède que l’engagement dans le surf « n’est pas réfléchi, ça vient naturellement. Mon père faisait du planking et vers onze, douze ans, je faisais déjà du bodyboard. Mais t’as toujours un pote au pic pour te rappeler que t’es en biscotte. On te dénigre. Alors tu passes au surf car c’est un challenge de se mettre debout. C’est le surf qui a été inventé. Et puis, y’a cette image de la planche de surf, c’est plus valorisant qu’un bug. Tu prends de la valeur avec l’objet planche. Moi j’adore la planche de surf, les courbes, les lignes, les dérives. C’est un mythe. Une planche, c’est hyper beau. Pour moi, l’objet planche de surf me fascine ». Lionel est un surfeur passionné qui se réclame comme habitant de la côte basque où il concède « être heureux de vivre ». Il précise que « le surf fait partie de sa vie et qu’il vit avec, c’est comme ça! ».

Vincent a trente trois ans. Il est moniteur de surf, et préside le Vieux-Boucau surf club . Titulaire du Brevet d’État d’Éducateur Spécialisé dans le domaine du Surf depuis 1999, Vincent est né à Mont-de-Marsan, « à la capitale » pour reprendre sa formule, et a grandi à Vieux-Boucau. Il commence le surf à l’âge de sept ans. Mais alors, « pourquoi surfe-t-il ? ». Vincent répond qu’il surfe « parce que je préfère être dans l’océan que sur la terre ». À première vue, il surferait donc pour fuir ses territoires terrestres du quotidien et le surf représenterait une quête d’un ailleurs plus salutaire. Il développe en affirmant que « l’océan, c’est comme si on est en vacances, on a moins de soucis dans les vagues que sur la terre. C’est la liberté. À mon age, j’ai des choses à organiser, un travail. Je suis commerçant à Vieux-Boucau ». Manifestement, le surf serait une forme de fuite. On lui pose la question quant au fait de savoir si le surf constitue pour lui une forme de fuite de son environnement géographique terrestre : « oui et non [répond-il] , c’est la liberté. Être dans la nature, dans l’eau, c’est du plaisir. Ça m’apporte un bien être, le fait d’être dans l’eau c’est comme aller chez le psy ». Le surf comporterait donc une fonction thérapeutique. Il reconnaît également qu’il surfe pour « se dépenser [mais que c’est aussi] un moyen d’évasion par rapport à tout ce qui ce passe même si on est bien lotis dans le sud-ouest . Le surf, c’est arriver à connaître son terrain de jeu, c’est maîtriser un endroit naturel que t’arrives à comprendre ».

D’après Karine, sa femme, Fred « pétait les plombs en banlieue lyonnaise. J’ai même cru qu’il allait devenir fou. J’ai longtemps crains le pire. Depuis qu’il surfe, il est

193 sauvé… T’aurais vu son bureau, [précise-t-elle], des posters de surf partout sur les murs. Dès que les vacances approchaient, Fred préparait ses affaires et on prenait la route pour la côte basque. Ça a duré cinq ans comme ça, juste qu’à que Fred obtienne sa mutation ». Fred est enseignant. Il obtient sa mutation au début au milieu des années quatre-vingt. Il demande la côte aquitaine pour pouvoir s’abandonner au surf et y consacrer l’intégralité de son temps libre. Marié et père de trois enfants, toute la famille le suit dans cette mobilité géographique. Fred reconnaît que « la transition ne fut pas facile, surtout pour Karine qui avait un super boulot à Lyon. Elle a galéré une fois arrivée à Anglet pour retrouver du boulot. On est passé par des étapes difficiles. Aujourd’hui ça va mieux même si Karine est nostalgique de Lyon et de ses conditions de travail. Tu sais ici, l’intégration est difficile. Si t’es pas du coin, c’est dur pour te faire accepter. D’ailleurs, tous nos potes ne sont pas d’ici ». Cela dit, malgré les difficultés, Fred ne regrette pas ses choix. « Tu vois, maintenant, je suis peinard. Je surfe quand je veux. La plage est à moins de cinq minutes en bagnole de ma baraque. Le surf, j’y consacre ma vie ». À moins que cela ne soit le contraire…

Henri a bientôt la quarantaine. Il débute la glisse par le bodyboard à l’age de dix- huit ans. Cela fait maintenant « plus de vingt et un ans que je surfe » ajoute-t-il. « J’ai débuté à Capbreton, lorsque j’y étais en vacances et j’ai appris tout seul, enfin avec deux, trois potes ». On lui demande pourquoi il a commencé le surf. Henri répond qu’il « avait envie. J’aimais la mer, et y avait ces images de partout qui me poussaient vers l’envie d’essayer. C’était les débuts du surf business. Les grandes marques étaient OP, Gotcha, Town and Country. Elles diffusaient la mode même quand t’habitais en ville. Elles vendaient du rêve ». À ses débuts, Henri habite la région parisienne. Ce n’est qu’en 2006 qu’il s’installe sur la côte aquitaine. Il habite désormais à Soorts-Hossegor. « Je me suis installé ici pour le surf avec l’idée de pouvoir faire du surf tous les jours et de prendre la planche quand j’avais envie ».

Par ailleurs, au delà des longs entretiens individuels et collectifs que l’on a pu conduire auprès de cet échantillon de surfeurs, on a également réalisé d’autres entretiens semi directifs auprès de surfeurs rencontrés dans le cadre de notre activité professionnelle. Chargé de mission « développement des sports de nature » au Conseil général des Landes, notre travail consiste à promouvoir le développement de la filière sports de nature dans le département des Landes. Par conséquent, on a pu s’entretenir avec certains surfeurs

194 rencontrés lors de réunions thématiques. Des échanges informels avec des techniciens, cadres de la fonction publique d’État dans le champ de la jeunesse et des sports, cadres techniques au sein de la Fédération Française de Surf ou de ses organes déconcentrés, élus en charge de ces questions liées à la valorisation du surf… ont permis d’enrichir l’expertise. La participation à des conférences, rencontres, manifestations ayant le surf comme objet ont été autant d’osassions de consigner dans notre carnet ethno-géographique des anecdotes, des petites phrases, des commentaires glanés au passage…

Carole compte parmi ces personnes ressources avec lesquelles on a pu approfondir le traitement de la question induite par la pratique du surf dans le cadre d’un entretien. Carole vit sur le littoral sud des Landes. Elle est âgée de trente et un ans. Elle précise que cette portion d’espace : « c’est de l’or car ici on a des vagues magnifique. Les vagues sont de qualité world class ». Ses premiers contact avec l’océan remontent à son adolescence lorsqu’en Loire-Atlantique elle pratiquait la plongée sous-marine. Issue de la plongée, elle commence le surf lors de son arrivée sur le littoral aquitain, c’est-à-dire il y a plus de trois ans. Au départ, précise-t-elle « j’allais à l’eau mais comme ici la mer est dangereuse, je préférais me baigner avec une planche. J’avais le sentiment d’être davantage en sécurité ». Lorsqu’elle exprime ses émotions induites par la glisse, Carole précise que « être debout c’est extraordinaire. T’as l’impression de marcher sur l’eau et tu ressens une poussée d’adrénaline ». Mais au-delà des sensations éprouvées, Carole reconnaît que c’est « une grande chance de surfer. Habiter ici c’est une grande chance. Et puis, quand tu surfes, tu mets ton cerveau de côte ; tu ne réfléchis pas ; quand t’y vas, t’y vas. Ça te fait planer, tu mets tout ton stress de côté. Tu rames, tu rames et là c’est magique. Quand tu te retrouves dans la vague ». Carole évoque pourtant le fait que le surf est « un sport à la con, mais tu n’as qu’une seule envie c’est que ça recommence. Le surf, c’est frustrant parce que c’est un long d’apprentissage. Mais ce côté magique ; c’est trop bon !!! ».

Notre recherche s’appuie également sur des matériaux puisés sur Internet. De nombreux espaces de communication virtuelle traitant du surf ont vu le jour. Les blogs sur le surf se multiplient et sont autant d’espaces d’expression pour les surfeurs. Les échanges qui se déroulent sur la toile sont riches d’enseignements dans la mesure où les sujets traités abordent les questions d’appropriation spatiale, de gestion environnementale de l’espace côtier, de l’organisation des manifestations sportives ayant le surf comme support… Des

195 extraits de prise de position, glanés sur ces pages, viennent étayer les hypothèses. Par ailleurs, dans la mesure où les communications sur Internet présentent un effet désinhibant (Suler, 2004), où s’expriment librement la créativité compte tenu de l’anonymat, de l’invisibilité, de l’asynchronisme que confère la discussion sur les blogs , on a conjecturé que ces témoignages pouvaient être riches d’enseignements. Enfin, d’autres comptes- rendus d’entretiens sont exploités. Ils ont été réalisés avec des individus surfeurs rencontrés en marge de ceux avec lesquels on a pu entretenir une relation de proximité et revenir, avec eux, sur leurs propos. Ces comptes-rendus sont, malgré tout, de précieux matériaux pour la recherche et permettent de valider/invalider certaines hypothèses. Martin et Mikaël ont également été interviewés. Agés, tous les deux de quatorze ans, ils surfent depuis près de deux ans et s’enorgueillissent de préciser « y compris l’hiver ». On leur a alors demandé de rédiger quelques lignes et de répondre à la question suivante : « Quel rapport entretiens-tu avec la vague ? ». Leurs réponses, consignées sur des feuilles d’écoliers, étaient les suivantes :

- Mikaël : « Je trouve que la vague doit être respectée. Même si tu t’énerves dessus quelque fois quand tu ne prends pas de vague. Depuis tout petit les vagues ont tenu une grande place dans ma vie. Cette passion, je la dois à mon oncle qui m’a fait découvrir la vague sublime d’Anglet. C’est un lieu magique. La vague me transforme intérieurement quand je suis à l’eau. Mais je les contemple aussi et à ce moment là, personne doit me gêner. Quand je surfe, je ne suis jamais autant d’accord avec quelque chose ».

- Martin : « D’abord la vague est une chose que tout surfeur doit respecter parce qu’on la surfe donc on est guidé par la vague. On la shoote pas n’importe comment. On surfe pas comme des barbares. L’océan est une chose magnifique tout comme les vagues car une vague doit être bien traitée quand quelqu’un la surfe. Le rapport qu’un surfeur doit entretenir doit être amical, enfin c’est mon avis. On peut dire que l’on fait corps avec elle. La vague c’est une chose tellement belle que l’on ne peut pas gâcher ce plaisir. La mer, en général, est un endroit superbe, c’est un endroit énorme et il n’y a rien d’autre à dire à part : vive le surf ».

Les réponses formulées par ces deux jeunes surfeurs laissent à penser que le rapport au lieu mérite d’être exploré. En effet, Martin et Mikaël évoquent volontiers des termes qui ne laissent pas insensible le géographe : lieu, endroit. Plus encore, le fait qu’ils qualifient

196 ces lieux de « magiques » ou ces endroits « d’énormes », en précisant que la vague les transforme, invitent à se demander si le rapport du surfeur à la vague ne relève pas d’un existentialisme. Autrement dit, quelles sont les raisons qui poussent Mikaël à penser que lorsqu’il surfe, jamais il ne sent autant en accord avec quelque chose. Est-ce dans le rapport spatial à la vague que des réponses peuvent être envisagées ?

3.3.2 L’acte de glisse sur la vague : une ontologie

L’usage de la vague induit par l’acte de glisse du surf consacre-t-il une quête ontologique ? Autrement dit, surfer, entendu comme pratique du lieu-vague, rend-il le surfeur vivant ? Jacques Lévy précise « qu’en sciences sociales, l’expérience intellectuelle peut également se construire sur des supports littéraires » (Lévy, 2000 :17). Or, le romancier australien Tim Winton (2008) retranscrit les émotions suscitées à l’issue d’une session et offre ainsi quelques premiers éléments de réponses quant aux intentions que sous-tend le rapport du surfeur à la vague :

« C’était trop bon. J’aurais bien aimé avoir une photo. Nan, a dit Sando. T’as besoin d’aucune photo. Mais juste pour montrer, le prouver quoi. T’as pas à le prouver, dit Sando. T’y étais. Il s’agit de toi. Toi et la mer. Toi et la planète. Loonie a grogné. Conneries de hippie, mon pote. Sando est resté silencieux un instant. Tu apprendras a-t-il dit à la fin. Loonie s’est frappé la poitrine dans l’espace exigu de la cabine. Apprendre… Putain, mon pote, je sais. J’ai ri mais Sando est resté impassible. Fils, a-t-il dit. Au bout du compte y a que toi et la vague. T’es trop occupé à essayer de rester en vie pour en avoir rien à foutre de qui te regarde. Mon pote, a fait Loonie, forçant le style bravache. Je ne sais pas quelle langue tu causes, là.

197 Tu seras à la baille et tu penseras : est-ce que je vais mourir? Est-ce que j’ai assez de coffre pour ça? Est-ce que je sais ce que je fais? Je suis solide ou je suis rien que… ordinaire? Le souffle court, je regardais fixement à travers la lumière hachurée des arbres. C’est ça que t’affrontes au final, a dit Sando. Quand c’est vraiment méchant. Ça fait quoi? J’ai murmuré. Qu’est-ce qui fait quoi? Quand c’est sérieux à ce point. Ben, t’es content qu’y ait aucune photo à la con. Quand tu réussis, quand t’es encore vivant et debout à la fin, t’as cette décharge électrique, tu fourmilles de partout. Tu te sens vivant, complètement éveillé et dans ton corps. C’est comme si t’avais senti la main de Dieu, mon gars. Le reste, mon pote, c’est que du sport et du loisir. Moi, je choisis la main de Dieu sans hésiter ».

Les surfeurs interviewés partagent-ils cette idée que surfer, c’est-à-dire pratiquer le lieu-vague par l’acte de glisse, est un moyen de sentir vivant, éveillé dans son corps et touché par la main de Dieu ? Est-ce dévoiler le potentiel sacré des lieux et par là même enclencher le processus de sacralisation des lieux ? La glisse est-elle un processus de cosmogonisation de l’onde océane transformant le lieu-vague en espace-vague ? Jérôme Lafargue, romancier et surfeur, écrit pour sa part que « courbé sur mon surf, presque accroupi, la lèvre de la vague me dominait, jusqu’à ce que je me redresse un peu et que d’un mouvement du bassin, j’impulse une rotation de la planche. Je fis un ou deux hang five. Sans m’en rendre compte, je me mis à hurler comme un enfant lorsque, sur une vague magnifique d’à peine un mètre vingt, longue et puissante, je réussis un hang ten parfait, le corps penché légèrement en arrière. L’émotion me submergea, et aux gouttes d’eau sur mon visage se mêlèrent des larmes que je ne sentis pas venir, pas plus que mon cri quelques secondes auparavant » (Lafargue, 2009 :116). Par conséquent, la glisse, la pratique du lieu-vague, confèrerait donc une intensité émotionnelle hors du commun et engendrerait des larmes de bonheur. La glisse rendrait intensément vivant. Jérôme Lafargue développe même le rapport qu’il entretient au surf : « j’ai découvert à quel point c’était puissamment addictif et merveilleux, mais je resterai à jamais un surfeur médiocre techniquement, parce que j’ai commencé bien trop tard pour être efficace et esthétique. Je me sens en revanche très soul surfeur, dans le sens où tout cheminement qui conduit au moment où on se met debout sur la planche est important. Attendre le moment où les

198 conditions sont bonnes, sentir cette électricité qui s’approche, préparer ses affaires, se rendre sur le spot, l’observer, entrer à l’eau, ramer, attendre de nouveau, sortir de l’eau et marcher sur la plage pour rejoindre un spot qui fonctionne mieux… Il est très difficile de traduire, par les mots, ces sensations… Le surf, c’est un plaisir éphémère qui demande beaucoup d’abnégation mais qui persiste dans l’esprit toute une vie. On y pense tout le temps, et on ne se sent pas bien lorsqu’on en est privé 59 ». Qu’en pensent les surfeurs de notre panel ? À l’instar du romancier surfeur, ne se sentent-ils pas bien lorsqu’ils sont privés de cette possibilité d’accomplir leur spatialisation ?

Lorsque l’on demande à Carole d’expliciter ce que recouvre ce qu’elle caractérise comme le côté magique du surf, voilà ce qu’elle répond : « Le coté magique : c’est des sensations que tu ne retrouves nulle part ailleurs, c’est l’élément en mouvement, c’est l’espace qui bouge et qui peut te recouvrir. Et puis, y’a les bruits au coeur d’une vague. Être dans l’élément te provoque une grosse montée d’adrénaline. Réussir à dompter la vague, c’est ça le côté magique. Tout est inconnu au départ et dompter l’élément c’est une victoire personnelle où il est difficile de comprendre ce qui se passe. La vitesse. C’est comme un instant et hop, c’est fini. Le mystère c’est de savoir si je vais l’avoir. Faut être un peu maso ; ch’sais pas. Ne pas réfléchir ». On lui demande s’il existe d’autres endroits sur terre où elle éprouve ce côté magique. Elle répond qu’elle retrouve ce côté magique « en haut d’une montagne, [elle ressent] cette sensation de plénitude, de vertige. Finalement, [ajoute-t-elle] , en surf c’est l’oubli total. Après je suis super bien sauf si il m’arrive une saloperie du genre te prendre une planche ». Carole précise : « Je suis prête à me lever tôt, à aller dans des endroits perdus. Je vais à l’eau même si c’est petit et pourri. La qualité des vagues importe peu. Je suis bien dans l’eau. Rien que promener sa planche, faire semblant de ramer, c’est déjà du bonheur ». Elle pense que « le nirvana du surfeur c’est de devenir vague, [que les surfeurs sont dans les vagues] comme dans le ventre de leurs mamans et qu’ils ont souvent des problèmes avec leurs mères. Le surf c’est leur vie, une addiction. J’en connais qui ne vont même pas à l’accouchement de leur femme pour ne pas rater une session ». Carole caractérise la vague comme un lieu identique à ceux « où on est amenés à dessiner, à faire des photos. Ceux qui recherchent la performance, c’est parce qu’ils ont du mal à mettre leur cerveau de côté et cherchent à contrôler leurs images ». Enfin, Carole reconnaît le caractère perturbateur de la présence

59 La revue littéraire , n°52, fevrier-mars 2012, p 104.

199 des autres sur le spot . Elle s’en explique : « La bataille gâche le côté magique. Quand tu pars et mets ton cerveau ailleurs, l’autre te ramène à la réalité et te force à réfléchir. Il t’extrait du cocon. C’est comme quand tu dors bien et qu’on te réveille. La magie est finie quand y a plein de monde car tu es toujours en éveil. Et pour moi, c’est pire parce parce que je manque de technique ».

Jérôma surfe depuis plus d’une vingtaine d’années sur le littoral aquitain. Longtemps licencié de l’ Anglet Surf Club , dont il rappelle les rites de socialisation vécus au sein de cette structure, Jérôma précise également quel est son rapport à la vague. Aussi, il qualifie la vague comme « un espace de liberté, un lieu de partage qui n’est la propriété de personne ». En terme de pratique spatiale, Jérôma avoue qu’il ressent actuellement « un vide que je n’arrive pas à combler parce que je ne vis pas pleinement ma vie de surfeur actuellement. Concrètement j’aspire à vivre une vie beaucoup plus paisible. Je voudrais pouvoir aller surfer tous les jours. Du moins, avoir l’opportunité de me dire que je peux aller surfer tous les jours. Aujourd’hui, je suis frustré parce que je n’ai pas trouvé de compromis. Le problème c’est que je suis assez idéaliste et qu’une semaine de vacances pour aller surfer ne me contente pas. Je voudrais pouvoir vivre le surf en entier. J’aimerai bien pouvoir trouvé un rythme de vie. Du coup je fais du roller. C’est une sorte de palliatif. C’est toute une harmonie que je recherche. J’aime le mouvement de mon corps dans l’espace. C’est l’occasion de pouvoir s’oublier ». Par ailleurs, il souligne qu’à l’heure actuelle « on est dans une société dans laquelle tu n’as pas d’espace pour toi. Tu n’as pas d’espaces de liberté. Or, tu as besoin de pouvoir te retrouver, de prendre tes décisions. La rue c’est l’image de la société. C’est des canaux dans lesquels on circule et tu as des règles à respecter. Du coup, tu n’as pas d’espaces de liberté. Tu peux malgré tout te le réapproprier dans certaines limites. Quand tu vas surfer tu vas dans un espace qui n’est pas violé. C’est un élément naturel et par conséquent, il n’y a pas cette idée de transgression pour se réapproprier l’espace ». On lui demande de développer cette notion de réappropriation spatiale qu’il convoque. Sa réponse est la suivante : « C’est la nature que tu réappropries. La distinction est qu’en milieu urbain c’est défini par des lois, par la société, que tu transgresses, tu bouscules, alors que l’autre c’est beaucoup plus paisible. Ca se fait naturellement ! ».

Quant à Lilian, il va plus loin dans la manière dont il appréhende son rapport spatial à la vague : « le tube reste pour moi le seul sanctuaire vierge où l’on peut vivre en poète le

200 lieu. C’est un lieu à l’intérieur d’un autre. Le spot, ou plutôt la vague est embryonnaire et immaculée car fermée, protégée sur l’extérieur. Dans cette bulle hors du temps, unique puisqu’il n’y a qu’une personne par tube, éphémère se manifeste l’assiduité du surfeur qui lui permet d’être présent le jour J. Son engagement moral à travers les choix qu’il a fait dans sa vie pour se retrouver dans cette situation est alors récompensé, tout comme sa technique, fruit de son engagement physique accumulé pour être capable de tuber. La vague, c’est l’exaltation de l’âme du surfeur ; son plaisir immense de communion avec la nature, son engagement spirituel : sa recherche de soi à travers la nature. Je vois ce lieu en marche comme “l’espluméor” des surfeurs. Rare et destiné seulement à quelques heureux élus – poètes ou bâtisseur ! ». Lilian se réfère à la légende bretonne pour qualifier la vague qui serait leur espluméor . Dans les légendes bretonnes, Merlin l’enchanteur se laisse ensorceler par la fée Viviane qui le tient prisonnier par sa magie d'amour, de sorte qu'il n'est plus en mesure de réintégrer le monde des hommes. Pour y échapper, Merlin bâtit une demeure cachée dans la forêt non loin de la maison de Perceval : « Là je vivrai et je prophétiserai ce que le Seigneur m'inspirera et tout ceux qui verront mon habitation la nommeront "l'espluméor de Merlin"» . Le sens du mot espluméor , se rapporte donc à la demeure du magicien, l' espluméor désignerait alors le lieu où Merlin est en mue, c'est à dire où il subit une transformation. Interrogé sur ce que recouvre pour lui l’emploi du terme espluméor , Lilian précise qu’il s’agit bien de cette interprétation. Il précise que « le tube est ce lieu magique où c’est la plénitude totale ». Il va plus loin dans son argumentaire en ajoutant que « dans la mythologie bretonne, l’espluméor est le lieu où réside le mage. Et bien, la vague, c’est le lieu où réside la magie. Tu vois, le mage bâtit ce lieu avec ses protections, ses règles sa magie et bien nous pareil… [Il siffle pour marquer cette action/transition]. La vague se libère de tout ça. [C’est-à-dire tout ça ?] Tout ça : tous les trucs auxquels tu penses pas quand tu surfes : plaisir, nature, tu penses à rien. La vague fait le tri inconsciemment. Sur la vague, t’as pas à réfléchir, tu vis ! ».

Les réponses formulées par Aulne sont sans ambiguïté lorsqu’on lui demande ce que lui apporte le surf. « Ma première belle vague c’était génial, le mur d’eau verte. C’était génial ça ». On lui demande de caractériser ce qu’il nomme ça. « Ça : c’est y être, le temps s’arrête. J’ai ressenti un frisson. C’est figer le temps. Ça va trop vite dans la vie et le paradoxe, c’est que c’est une sensation super brève ; un trip à la Matrix. J’ai un problème avec le temps. Je voudrais avoir le temps d’en faire plus. Je me stresse moi- même. Le surf ça me détresse. Tu penses à rien d’autre qu’à attraper une vague. Le surf,

201 c’est oublier les plans de merde ». Il reconnaît également que lorsque « t’es dans l’eau, t’es bien ; à la sortie t’as une fatigue saine, t’es heureux du truc, tu te sens invincible ; surtout l’hiver ». On lui demande de développer cette notion d’être heureux du truc que lui confère le surf. Il répond que « le truc c’est le lieu où t’as été. Le truc, c’est cette quête de plaisir. C’est prendre une vague au moment où t’es crevé. Quand tu prends une vague, c’est du plaisir : sentir l’accélération, t’es en phase avec la vague. Plus elle est grosse et plus elle est longue, plus t’en veux ». Mais alors y a-t-il d’autres endroits sur terre où Aulne éprouve ce plaisir ? Il nous répond que « non, enfin pas aussi intensément. C’est aussi parce que c’est court dans le temps ». Il rapproche cette expérience avec celle qu’il a dans le cadre de ses activités de spéléologue. « En spéléo, le plaisir est en sortant. C’est un parcours de combattant mais à la sortie, y’a plein de trucs qui arrivent : l’air, le bruit, la terre, la fraîcheur, le kif était là. En surf c’est pendant l’activité ; à l’instant T ». En approfondissant l’entretien, on demande à Aulne de qualifier un peu plus ce que lui confère le surf dans sa vie. « Avec le surf, je me sens invincible. Tu vois, j’ai construis ma maison mais la maison construite ne me rend pas invincible. Mais, là je sèche un peu. Je n’arrive pas à l’expliquer ». Toujours est-il que malgré le caractère irrationnel qui concourt au fait qu’Aulne se sente invisible grâce au surf, il précise que « demain je serais incapable de me passer de surf. Maintenant que j’ai commencé, je compte pas m’arrêter là. Je veux partir sur la côte. Je veux pas rester ici juste pour rendre heureuses mes filles. Je vais m’acheter un bateau pour être libre de surfer. De toute façon, y a pas d’autres endroits où j’ai envie d’aller ». Néanmoins, lorsqu’on lui demande de revenir sur ce sentiment d’invincibilité qui l’habite lorsqu’il surfe, Aulne avoue son désarroi face au manque d’arguments qu’il est en mesure de convoquer.

Lionel précise d’abord que « le surf est un apaisement, un vecteur de lien social. Quand tu surfes, tu papottes. Quand t’attends au pic et que t’as tes habitudes, le spot c’est un peu le bistrot du coin. C’est pour ça que les types sont réfractaires à l’étranger ». Mais Lionel affirme également que le « surf c’est de l’adrénaline. C’est un truc de dingue… Tu fais du bien à ton corps surtout quand t’es stressé comme un veau. Finalement, même si t’es crevé, tu ressorts avec plus d’énergie. T’es pas loin d’être heureux sachant que pour moi le bonheur c’est tout petit, ça dure une vague ». On lui demande d’expliciter cette idée selon laquelle le surf confererait davantage d’énergie. Sa première réponse relève d’une explication rationnelle : « T’as plus d’énergie parce que c’est un phénomène physique. En allant à l’eau, t’es chargé d’électricité statique. Le contact avec l’eau te décharge de ton

202 électricité statique. Du coup, en sortant de l’eau t’es neutre. T’es débarrassé des énergies négatives ». On lui fait remarquer que son explication relève d’une dimension rationnelle. On l’invite à dépasser ce stade. Lionel se livre : « c’est intrinsèque chez moi le surf. C’est un vrai bonus parce qu’avec je suis bien dans ma peau. Y’a rien qui te bloque. Tu vois la nature envoyer ce qu’elle a. Tu peux te faire désossé à l’eau. Tu prends conscience que t’es rien du tout. Clairement, prendre conscience que t’es rien du tout rend vivant. Tu te rends compte que t’es qu’un brave mortel car tu peux être rapidement dans une merde noire. Ça te donne la valeur de ce que tu es, de ce que t’es capable de faire, de ce que tu peux dépasser ». Lionel poursuit son argumentation avec un réel enthousiasme. Il explique ce que la glisse, la pratique du lieu-vague, lui permet de réaliser : « le surf, c’est un combat de l’homme sur la nature. Tu te mesures à la nature. Quoi de plus glorifiant que de dire “c’est moi” le chef. Dominer la vague, c’est quand même ce qui donne le la. En surf, tu prends conscience que tu peux crever. Tu sais que t’es une bestiole, que t’es rien du tout. La mer c’est là où les hommes se réalisent. La mer est intrinsèque à l’homme. Elle le nourrit, elle l’éclate, elle le réalise ». Les témoignages de Lionel sont éloquents. Le surf, c’est-à-dire l’acte de glisse sur le lieu-vague, lui permet de réitérer symboliquement l’œuvre des dieux en dominant la nature. « C’est idyllique. T’es dans ta bulle. C’est encore plus intense quand t’es avec un pote parce que le regard de l’autre flatte ton ego mais surtout confère le caractère réel de la session ». En surfant, Lionel sacralise le lieu-vague. Il le métamorphose en espace-vague. Il caractérise la glisse comme « une confrontation » et affirme « utiliser la vague » pour y parvenir et accomplir cette confrontation avec « la nature ». Lionel insiste : « faut le vivre quoi ». Ce processus lui donne la valeur de ce qu’il est. En utilisant la vague, il la pratique et fonde sa spatialisation, établit sa condition géographique. En surfant, Lionel se sent vivant, intensément vivant. Il goûte au bonheur dans la mesure où il prend conscience qu’il n’est rien du tout, qu’une pauvre bestiole. Le surf le transcende, lui permet de se réaliser sur terre, ici, maintenant, le temps d’un ride sur une vague.

Lors des entretiens, on pousse Vincent dans ses retranchements en lui demandant ce que représente pour lui la vague. Il essaie de contourner la question en précisant que « la vague, c’est une onde créée au large de l’atlantique. La bonne vague, on met du temps à la chercher, on parcourt toute la côte de Soustons à Moliets à la recherche du bon banc de sable. Des fois, t’as besoin que d’une seule vague pour être satisfait de ta session. La vague c’est ce qu’on recherche tout le temps. Tous les matins on va voir l’océan ». Vincent

203 reconnaît également que « y’a que dans ce sport que je suis épanoui. Je suis heureux tous les jours, ça me rend heureux. Y’a bien la famille, la copine mais le surf c’est quand même ; il vient en premier presque. C’est important. Je me sens vivant quand je surfe. Le but de la vie c’est d’être vivant, avec le surf c’est là où je suis le plus heureux ». On lui demande si il y d’autres endroit où il est heureux. Il répond : « J’aime les Landes, on est dans la nature, la forêt, les dunes, l’océan, le cadre de vie et un cadre de jeu exceptionnel. En ville, c’est horrible, même un feu rouge j’y arrive pas. Quand je vais à Paris, j’y vais un ou deux jours maximum ». Mais alors, serait-il prêt à abandonner le surf ? « Non, j’arrêterai jamais. C’est ma passion, toute ma vie est faite autour du surf ; ça veut dire que je travaille près de la côte pour pouvoir surfer, que je suis prof de surf, bénévole d’une association surf club. Je voyage pour surfer. J’ai pas de belles voitures, de belles fringues mais j’achète de belles planches ». À l’issue de plus d’une heure trente d’entretien, on lui livre nos hypothèses de travail afin de recueillir son sentiment. On lui précise que l’on pense que la pratique du surf, entendue comme l’acte de glisse sur la vague, est moyen d’être au monde, c’est-à-dire d’exister en s’appropriant le lieu et en le métamorphosant en espace. Sa réponse est la suivante : « C’est pas mal, c’est à peu près ça. T’es dans l’eau. T’as un retour. Comme tu dis, t’as un retour, être dans l’eau ça t’ouvre l’esprit pour en savoir plus. Et puis, c’est super beau, devant nous y’a que la nature, y’a pas d’usine. C’est un cadre de pratique qui n’est pas enfermé. Tu fais du sport mais pas dans une salle avec des barrières autour. T’es bien dans la nature. Et puis, y’a un truc : on revient toujours au même spot. On est comme des tortues [les tortues viennent pondre sur le lieu de leur naissance] . Ta meilleure session elle est toujours sur ton spot. Parce que t’es chez toi, tu connais la vague. C’est bizarre hein ». Mais, est-ce si bizarre que ça ? Il évoque le fait que lorsqu’il est dans l’eau : « je me sens bien ; c’est cool, comment dire, être avec l’océan c’est comme être dans un tableau vivant. C’est un élément naturel devant toi. L’océan change, les plages, les vagues sont toutes différentes. À la fin, on est habitué à notre endroit ». Surfer permettrait donc « d’être dans un tableau vivant » !

Edgar témoigne également du fait que surfer, donc se spatialiser sur la vague, pratiquer le lieu-vague en le métamorphosant en espace-vague habité, relève d’un existentialisme. « Surfer c’est vivre la vérité du moment présent. Ce n’est pas emprunt de quelque angoisse que ce soit. Je surfe parce que je n’ai plus peur de la mort. [T’es sincère Edgar ou est-ce que tu dis ça pour me faire plaisir ?] Non, je t’assure, la vérité te permet d’accepter ta condition humaine. En surf, tu triches pas. C’est toi et la vague, c’est un

204 rapport intense avec l’élément. C’est là que t’existe pour de vrai, toi-même, face à tes vérités ». Il affirme que surfer lui permet d’être « en rupture avec les repères ». Répondant à la question consistant à savoir ce que peut bien lui conférer cette rupture avec ses repères, Edgar expose sa pensée : « Cela me rend plus vivant parce que je suis dans la découverte d’un nouveau monde. C’est une renaissance quasiment. Tu te construis, t’apprends à te connaître. C’est un monde parallèle. Du coup t’as toujours soif ». Il développe encore dans la mesure où selon lui « réussir sa vie professionnelle s’accomplit au détriment de la vie privée et des loisirs. Pour moi, le surf est un épanouissement et donc j’ai moins besoin de trouver des raisons de vivre sur d’autre registres ». Edgar précise également que la progression technique en surf lui permet de se construire. « Au départ, tu as la phase de découverte et ensuite la capitalisation des émotions. La recherche de progrès [entendre progrès techniques] c’est la recherche d’émotions. Avec le surf, tu te construis, t’avance en te construisant ». Edgar pense également « que le surfeur habite l’espace vague en utilisant l’énergie ». Seul l’acte de glisse autorise la transformation du lieu qui nécessite une « connaissance de ce phénomène énergétique afin de mieux identifier la vague, pour bâtir mieux et plus longtemps avec parallèlement à cette attitude d’adaptation la naissance du sentiment d’appropriation. Bâtir ou habiter comme tu le dis c’est glisser et la glisse nourrit ainsi la symbolique ».

Anto décline également sa vision du rapport spatial du surfeur à la vague. En guise de préambule il précise que surfer « lui permet de combler un manque ; un manque affectif ». Invité à décliner sa vision du lien qu’il tisse avec la vague, Anto répond ceci : « le surfeur établit d’abord un contact physique avec la vague, au niveau de la pratique sportive à proprement dite, à travers l’effort athlétique. Cependant, le surf étant un sport à sensations, le pratiquant en retire des sensations de glisse. À travers ces dernières se dégage un mode d’expression artistique, le surfeur crée sur sa vague, il crée les manoeuvres, mais aussi des aptitudes intellectuelles personnelles sur la perception des choses, en général... Il établit alors une approche personnelle et spirituelle ou se dégage un mode de vie que l’on retrouve chez tout artiste. Ce qui lui permet d’habiter l’espace vague. En élargissant cette perception intellectuelle, le surfeur s’approprie l’espace vague, soit par le partage de son lieu de pratique, donc en adoptant une attitude d’ouverture et de rencontre. Soit par le repli, en préservant cet espace en développant la dimension égocentrique avant tout, ce qui débouche sur des dérives telles que le localisme. C’est pour ça que je préfère dire que le surfeur habite ainsi l’espace vague en artiste, aussi bien sur le

205 plan physique, à travers la création dans l’effort, que sur le plan spirituel, au niveau du mode de pensée, des choix de vie et du rapport aux autres ». Il renforce son propos en évoquant qu’il « est en couple avec la vague. Y a de la connivence, de la complicité, de la proximité, de la connaissance. Tu fais qu’un avec elle. Progresser en surf c’est être plus beau dans cette complicité ».

Henri développe également le rapport qu’il entretient avec la vague. Les explications sont d’une grande lucidité et traduisent une prise de distance avec le surf. Pour lui, le surf, « c’est le plaisir de la glisse d’une part et ensuite le fait de glisser dans l’élément eau, sous sa forme liquide. C’est être en contact et dans une relation de proximité avec l’élément. C’est être immergé dedans. C’est fantastique quoi ». Mais Henri tient à préciser que « tu ne fais jamais d’appliquer des règles de la mécanique des fluides. Pour dix secondes de glisse, elles donnent une forme et une dynamique à l’eau improbable. T’es poussé par du liquide alors qu’au départ tu n’as pas de mouvement, pas de vitesse. Le surf, c’est cette interaction avec l’environnement que t’as en utilisant la force du milieu pour te déplacer. C’est une expérience mystique un peu comme celle vendue dans les magazines ». On précise notre intention en affirmant que si l’on comprend bien son propos c’est dans le rapport au lieu, dans la pratique au lieu, dans la mobilisation des « forces du milieu » qu’Henri situe l’essence du surf. « En surf, t’as un rapport à l’espace, au mouvement et à l’océan. Le fait de jouer avec les masses d’eau, de passer dessous, de glisser dessus, y’a une synergie qui se met en place. Y’a un rapport d’osmose avec un milieu qui n’est pas le tien. On n’est pas des mammifères marins. On est des terriens et pourtant on s’y sent bien parce que c’est juste incroyable que ça fonctionne. Ça te remplit de sensations agréables. Tu te sens vivant dans un milieu vivant ». Il ajoute que « t’es vivant au milieu de la vie donc c’est positif comme expérience. C’est une sensation grisante toute cette prise de vitesse, de perte de contrôle. Le surf, c’est s’affranchir de la gravité ». On lui demande de développer ce qu’il entend par l’expression « être vivant au milieu de la vie ». Ses réponses accréditent l’idée que le rapport du surfeur à la vague relève d’une dimension ontologique. « T’es immergé au sens propre dans l’élément. Le fait de réussir à réduire l’immersion pour avoir des sensations, passer de l’immobile au mobile dans ces conditions là. C’est fantastique. Tu ressens la plénitude du monde, la perfection d’un instant. Cette image reste fixée dans ta tête et avec ta première sensation de chute, tu te rends compte mais putain je glisse. T’es suspendu là dedans. C’est un petit moment d’éternité. Il te remplit car c’est un moment unique et t’as l’impression de vivre l’unique et

206 tu finis par te dite “je suis unique”. C’est hyper valorisant personnellement. C’est une petite machine à confiance en soi ». On en conclue que le surf ne constitue donc pas seulement pour Henri une fuite du quotidien. Il répond que « Regarder l’océan suffit à te remplir. Ce n’est pas qu’une fuite. Tout ça n’est qu’un plus par rapport au quotidien. Le surf, c’est le moment où l’on s’occupe que de soi. C’est renouer avec soi-même sans pour autant que le quotidien soit insatisfaisant ».

Arnaud, même s’il déplore que le surf l’ait rendu « asocial, parce que le surf est un plaisir nombriliste et qu’il rend con dans sa vie personnelle » remarque que cette pratique sportive lui confère malgré tout « un plaisir monstrueux intense et très court ». Il développe son analyse : « tu passes tout ton temps à être sur le spot parce que tu t’y sens libre mais tu deviens marginal au niveau social et au final, le surf n’est pas un bon moyen pour découvrir des personnes ». On lui rétorque qu’il a malgré tout passé plus de quinze ans de sa vie à ne faire que cela. Il répond qu’il était « à la recherche d’un maximum de sessions. Ma vie tourne autour de ça, c’est hédonique, une culture du plaisir et l’envie d’être déconnecté du globe ». On lui demande de préciser ce qu’il recherchait lorsqu’en plein hiver, il surfait, souvent seul dans des conditions solides à La baie des trépassés dans le Finistère. « C’était un défouloir, une recherche d’adrénaline, un moyen de me dépenser. Et puis ça impliquait l’idée de vouloir progresser ». On lui demande d’expliquer ce que signifie cette volonté de progresser en surf. Il répond que « progresser, c’est surfer mieux, c’est rester plus longtemps en suspension sur l’élément. C’est augmenter l’intensité du plaisir. C’est prendre plus de vagues. C’est se sentir bien dans l’élément naturel ». Arnaud ne rechercherait-il pas alors, à travers sa quête de progrès, l’opportunité d’explorer plus intensément encore son rapport à la vague en développant ses compétences techniques et physiques ? Arnaud concède nourrir une véritable « passion pour la mer ». Il précise que cela constitue un « moyen de s’échapper de la vie sur terre, d’échapper à la vie citadine, à la routine. En surfant, je ne pense à rien, j’oublis les tracas de la vie quotidienne ». Le surf ne serait-il qu’une fuite ? « Non pas seulement parce que le surf te donne un sentiment d’évasion, de liberté. Tu n’as pas besoin d’en référer à des règles. L’espace est libre et il te permet d’évoluer dessus. Tu peux t’exprimer sans trop besoin de communication. Le surf, c’est une autre façon de s’exprimer. La glisse c’est un mode d’expression sans avoir besoin de le justifier. Tu surfes comme t’as envie, t’es libre d’exprimer ton individualité sur la vague ». Ainsi, selon Arnaud, la pratique du lieu-vague, rendue possible par l’acte de glisse, lui permet de s’exprimer sans avoir à justifier ses choix. On lui demande si

207 d’autres endroits sur la planète lui permettent de s’exprimer. Ne cherchant pas à répondre à cette question, Arnaud préfère poursuivre son propos : « Surfer c’est un peu comme de l’art. Au moment du couché de soleil, quand t’as de belles lumières, c’est pas de l’art, mais c’est un moyen pour ceux qui n’arrivent pas à s’exprimer dans l’art, de réaliser quelque chose de particulier, de singulier ». La pratique du lieu-vague est donc un moyen de réaliser quelque chose, qu’Arnaud qualifie de particulier, de singulier. « Quand t’es sur le spot, tu marques le territoire en surfant la vague, c’est pas mal de s’exprimer sur un espace [poursuit-il]. C’est libre donc chacun peut s’exprimer librement. Se sentir vivant sans avoir à le justifier par des mots ; juste en étant debout sur une planche en prenant du plaisir, c’est ça le surf. Les surfeurs sont des grands timides et peu expressifs en communication. Quand tu surfes, ça te rend libre parce que c’est un espace qui n’est pas maîtrisé par l’homme donc t’es libre dans un espace qui n’est pas défini par des lois ». On réitère notre question : Y a-t-il d’autres espaces avec ce statut ? « Oui, ceux où les artistes s’expriment sur des murs. Ils rejoignent le surfeur et n’ont pas besoin de se justifier ». Par conséquent, la glisse permettrait à l’individu surfeur de pouvoir s’exprimer, de se sentir vivant à l’instar du sentiment que confèrerait la production artistique. Par analogie, on en conclut que la glisse est une production d’espace.

3.3.3 Surf et concessions personnelles : un choix existentiel ?

L’ensemble des surfeurs interrogés et retenus dans le panel s’accorde à penser qu’à cause de leur passion pour le surf, ils ont consentis à de nombreux sacrifices. Lilian évoque les concessions en lien avec son activité professionnelle : « Au taf, j’ai connu une faible évolution professionnelle. Parce qu’à cause du surf, j’ai toujours choisi des taf à proximité des spots : Vannes, Brest, Cherbourg, Bordeaux. J’ai fait des concessions sur mon salaire. Heureusement que l’argent n’était pas pour moi une valeur ou un moyen d’exister aux yeux des autres ». Edgar souligne que les concessions induites par le surf s’imposent à l’entourage et qu’elles sont sources d’arbitrages difficiles à rendre. « Je fais un trip solo une fois par an. [En 2010, Edgar s’est rendu à Tahiti. En 2011, il est allé aux Maldives ainsi qu’en Indonésie pour assouvir sa passion] . Mais tu vois, quand je me casse pour surfer après je culpabilise vis-à-vis des choix imposés à Claire-Lise ». Claire-Lise est sa compagne avec laquelle il vit depuis plusieurs années. Claire-Lise l’a rejoint à Bordeaux

208 dans la mesure où, par amour pour le surf, Edgar se refusait à s’installer en Suisse, lieu de résidence initial de Claire-Lise. « En venant à Bordeaux Claire-Lise a perdu plus de mille euros sur son salaire. Si tu réfléchis bien : tout ça à cause du surf ! ». Lilian surenchérit : « Moi, j’ai suivi Morgane à Vannes, Cherbourg mais Orléans, je ne l’aurais jamais suivi ». À l’évocation de leurs compagnes respectives, on en profite pour leur poser la question de la paternité. A l’orée de leurs quarantaines, Lilian et Edgar n’ont pas d’enfants malgré le fait qu’ils entretiennent, tous les deux, une relation amoureuse établie depuis plusieurs années. Leurs réponses sont les suivantes ; celles-ci débutent par de gros éclats de rires. Lilian précise tout d’abord que pour l’heure il n’en « a pas trop spécialement envie ; même à presque quarante piges ». Mais il avoue que cette situation est « un échec. Le surf nous aura privé de ça, parce qu’avoir des mômes c’est avoir moins temps de liberté et que le temps c’est primordial en surf. Si j’ai pas d’enfant, c’est dans une logique narcissique. Je continue de découvrir. Et puis, l’enfant c’est une résignation, c’est accepter la mort. Le surf est l’éternel jouvence. Donc j’ai pas besoin d’enfant pour avoir le sentiment d’exister ». Edgar évoque le fait qu’avec le surf « c’est un accomplissement et donc j’ai pas besoin d’enfant. Oui, je me considère comme accompli. J’ai pas de vide dans ma vie. Mais l’enfant est le fruit d’un amour. Il matérialise l’amour, augmente le foyer. J’en ferais donc pour ces raisons, pour marquer mon amour ».

Vincent, pour sa part, précise qu’il a interrompu ses études pour vivre sa passion pour le surf. Il est titulaire d’un baccalauréat professionnel dans le secteur du commerce. Mais au-delà de cet arrêt vis-à-vis des études, Vincent souligne que pour surfer il lui est arrivé de « faire sauter des repas de famille du dimanche où j’oubliais d’aller. Je suis pas aller au mariage de mon cousin pour pouvoir participer à une compet. Quand t’y réfléchis, tu te dis c’est pas cool. T’as plus de copine parce que tu vas trop surfer. Ça craint, tu délaisses un peu tout le monde. Des fois, j’ouvrais même pas mon magasin . [Il tient un bazar de plage dans lequel sont vendus] des gadgets, des cadeaux, des t-shirt pour les vacanciers et les enfants. “La passion mène au délire” disent les vieux ; ça veut dire que juste pour aller surfer des vagues, t’es capable de mettre ton enfant chez tes parents, d’organiser ton emploi du temps pour absolument aller surfer quitte à délaisser ta famille, ton business, juste pour le plaisir d’être dans l’eau et prendre des vagues. Ça devient une drogue ».

209 Lionel évoque les concessions auxquelles il a consenti pour assouvir sa passion du surf. Il est même très sévère : « ça m’a brisé les pattes. Si je suis ici, c’est uniquement à cause du surf. Toute ma vie tourne autour de ça, j’veux dire, mon salaire, ma carrière, j’ai tout foiré à cause du surf ». Il concède également que son entourage subit sa passion pour le surf et que cela affaiblit sa capacité à fonder une famille. « Les gens comprennent vite. Les potes, y’a pas de problèmes puisqu’ils font pareil. Mais avec ta compagne… Soit elle comprend qu’il y a une seconde femme dans ta vie, soit ça fait peter les couples. Tous les surfeurs ont ce problème là. Vivre au rythme de la marée, des vents, de la houle, ça crée des tensions. J’ai pas d’enfants mais je pense qu’avec des enfants, c’est une concession de plus. C’est peut-être pour ça que j’ai pas de gamin. Juste parce que je prolonge mon espace de liberté pour pouvoir aller à l’eau ». Il reconnaît également qu’il consacre ses vacances aux voyages ayant le surf comme motif ; que cela se fait « au détriment d’autre chose ; c’est quatre semaines sans ta femme ». Cela dit, Lionel prétend qu’il a gagné en maturité et que sa passion n’est plus aussi envahissante que les années précédentes. Il dit « qu’au fond du fond, tu cherches de plus en plus des plaisirs simples. Parce que t’as plus rien à prouver. Au bout d’un moment c’est la maturité. Tu choisis tes sessions et arrêtes de vouloir surfer des sessions de merde ». Il se dit un peu plus disponible pour les autres et avoue « qu’avec l’âge, t’as du recul ». Professionnellement, Lionel ne renie pas ses choix : « je surfe et j’assume dans le regard de ceux qui sont directeurs de machin chouette ».

Fred évoque également les choix de vie induits par sa passion pour le surf. Il reconnaît qu’il a « tout quitté pour rejoindre la côte basque et pour pouvoir surfer tous les jours ». Sa femme, Karine avait une situation professionnelle épanouissante dans l’agglomération lyonnaise. Il se demande parfois s’il a fait les bons choix dans la mesure où Karine n’a jamais pu retrouver de situation professionnelle aussi satisfaisante que celle qu’elle avait à Lyon. Fred est donc conscient des concessions qu’il impose aux membres de sa famille pour assouvir sa passion pour le surf, pour se garantir d’être au monde à travers l’expérimentation de la dimension ontologique que sous-tend le rapport géographique à la vague. Fred avoue fort volontiers qu’il « a une femme en or ».

Henri a également fait d’importantes concessions pour venir s’installer sur la côte aquitaine afin de pouvoir vivre, au quotidien, sa passion pour le surf. Il caractérise ses concessions. Elles sont d’ordre « salariales, professionnelles et familiales ». Henri précise qu’il a fait le « choix de la décroissance depuis de longues années. Aujourd’hui, je suis un

210 smicard amélioré alors que les gens avec lesquels j’ai fait ma scolarité gagnent trois à quatre mille euros par mois ». Mais cet aspect ne l’affecte pas trop. En revanche, il insiste sur le fait qu’en « quittant la région parisienne, j’ai quitté aussi mon rôle d’éducateur sportif à l’endroit où le niveau était le plus élevé. J’ai renoncé à une carrière d’encadrement sportif dans la savate française. Ici, le niveau est trop faible pour espérer faire quelque chose de motivant. La savate française, ça se passe à Paris ». Et puis conclue-t-il, « ma fille vit en région parisienne. Je l’ai eu durant mon premier mariage. J’ai pas fait tout ça que pour le surf mais en grande partie ». On lui demande s’il voit d’autres sacrifices auxquels il aurait pu consentir pour le surf. Il répond que « cela lui semble déjà pas mal ». On ne peut lui donner tord !

La plupart des surfeurs interviewés ont donc fait des choix de vie pour assouvir leur passion pour le surf. Ces sacrifices, ou ces concessions, sont d’ordre familial, affectif, professionnel… Ils traduisent l’intensité de l’engagement des surfeurs interrogés pour aller au bout de leur passion. Ces sacrifices sont-ils pour autant mis en exergue pour justifier d’une posture hégémonique face aux autres surfeurs, notamment ceux qui ne pratiquent le surf qu’en période estivale ? Ces surfeurs mobilisent-ils des formes de résistances et de contestations face à l’institutionnalisation du surf en vue de préserver la dimension ontologique de leur rapport à la vague et nourrir alors le sentiment que tous ces sacrifices ne sont pas vains ?

211 CONCLUSION CHAPITRE 3

LA GLISSE ET LA VAGUE HABITÉE

À en croire les surfeurs interrogés, surfer, c’est se garantir d’exister. Surfer, c’est être vivant. Le reste, comme le précise Tim Winton, « c’est que du sport et du loisir », c’est-à-dire pas grand-chose selon ce romancier australien ! « Le désir qui porte [le surfeur] à aller s’aventurer sur l’océan, là où les dieux jouent avec sa vie, peut, à raison, aux yeux du profane paraître fou. Seulement, [remarque Frédéric Schiffter], ce dernier ignore qu’une heure passée à surfer est une heure de vie concentrée en un ici et maintenant hors de tout souci du passé et du futur – euphorie d’un temps aboli que les philosophes appellent béatitude et, à en croire maints témoignages, que le fugitif passage dans un tube donne à éprouver sur le mode fulgurant de la jouissance » (Schiffter, 2005 :87). Surfer, c’est-à-dire accomplir l’acte de glisse sur le lieu-vague, autorise l’être au monde. Le lieu-vague se métamorphose à travers l’accomplissement du geste sportif en espace habité. Cet espace habité, l’espace-vague comporte alors une dimension ontologique activée par l’acte de glisse, soit le geste sportif. Or, « le geste sportif ne se réduit pas à la biomécanique. Faire jouer ses muscles et oxygéner ses poumons, n’importe quel animal le fait et on ne dira pas pour autant que l’animal fait du sport. Ce qui caractérise le sport, c’est qu’il constitue un véritable champ de force émotionnel, un appel constant à l’imaginaire… Le geste sportif ne se réduit pas davantage à la technique… La technique n’est rien, sauf de l’académisme, si elle n’est pas habitée par une âme. Derrière la technique la plus raffinée, il y a toujours, en situation réelle, un être humain qui décide, qui choisit, éprouvant de la crainte, le doute, la joie. Le sport réside dans l’émotion de la prise de risque, le défi » (Jeu, 1987 :181). Ainsi, en glissant sur la vague, le surfeur expérimente ses doutes, ses joies, ses peines, se confronte aux forces symboliques, nourrit le sentiment d’une victoire ou d’une défaite… Incontestablement, l’homme n’est au monde qu’à travers cette expérience corporelle et intellectuelle de sa confrontation aux réalités géographiques du monde terrestre. Seulement dans cette dynamique, le corps n’est pas qu’un outil. Le corps est bien plus que cela. François Chirpaz remarque : « je n’use jamais seulement de mon corps comme d’un outil, puisque là même où je me sers de lui je suis

212 encore porté par lui, aussi bien pour agir et manipuler que pour recevoir et rencontrer les choses… Je dépends d’une manière si intime de mon corps pour agir, écouter, percevoir le monde et m’exprimer qu’il fait mon destin » (Chirpaz, [1963], 1977 :96-97). C’est d’ailleurs ce qui pousse cet auteur à penser que « la condition humaine est corporelle. Comme elle est historique. L’homme a commencé à prendre la véritable mesure de lui- même le jour où il a pris conscience de ces deux évidences » ( Ibid :95).

On ajouterait, fort volontiers, que la condition humaine est aussi géographique et que cette condition géographique, indispensable à l’être au monde de l’homme, suppose un ressenti émotionnel et sensoriel transmis pas ses organes, donc par son corps. Or, à en croire le discours des surfeurs, la gestuelle induite par la glisse, c’est-à-dire l’usage du lieu- vague, autorise cette prise de conscience. La pratique du lieu-vague permet à l’homme de prendre sa propre mesure, d’exister, de se sentir vivant, de se spatialiser. Leurs propos font alors écho aux analyses de Bernard Andrieu qui souligne combien « les usages culturels du corps relèvent d’un désir de métamorphose et de mutation afin d’incarner une peau, une esthésiologie et une axiologie capables de rendre compte de l’intensité vécue du sujet ». Aussi, il se demande : « Faut-il retenir dans cette recherche de l’extrémité du corps qu’une anthropologie du suicidaire, ou ne faut-il pas plutôt décrire ces pratiques comme des modalités ontologiques du rapport de l’homme au monde biotechnologique ? » (Andrieu, 2004 :26). Quant à Guillaume Routier et Bastien Soulé (2010), ils constatent également que l’engament dans des pratiques sportives à risques relève d’une pluralité explicative. L’engagement et l’acceptation du risque des adeptes des sports de nature relèvent de facteurs « intra individuels, c’est-à-dire propres aux motifs intrinsèques de l’individu ; interindividuels, impliquant des motifs sociaux et un dialogue interpersonnel entre pratiquants ; enfin, exo-individuels, c’est-à-dire imputable à des forces sociales, normatives, institutionnelles et/ou idéologiques qui dépassent l’individu aussi bien que le strict cadre du groupe ». Ces travaux, complétés par la thèse de Guillaume Routier (2011), mettent en exergue le fait que les adeptes des sports à risque, auquel le surf appartient, recherchent « des émotions fortes, une forme de fusion avec le milieu naturel et la quête d’un état contemplatif ». Les auteurs soulignent que les pratiquants acceptent le danger pour « mieux se connaître » mais aussi « pour partager une expérience commune et renforcer des liens communautaires ». L’engagement face au danger des pratiquants de sports de nature est également un moyen de « déroutiniser son existence » et de « se différencier socialement par son engagement » (Routier, Soulé, 2010). Les auteurs

213 concluent en affirmant que « ce n’est pas la confrontation au risque qui permet de se révéler ou de se valoriser ; de manière moins mécanique, c’est plus précisément la mobilisation de ressources particulières, indispensables pour affronter et réduire les dangers provoqués, qui devient éventuellement porteuse d’effets identitaires ». Or, c’est précisément ici que l’approche géographique constitue une plus-value dans l’analyse dans la mesure où en mobilisant le concept d’habiter, on démontre qu’en glissant sur la vague, le surfeur est vivant, et que cette exploration émotionnelle de l’espace-vague habité contient un caractère ontologique. Sans doute est-ce la raison pour laquelle Gérard Bruant souligne que « l’effort sportif est le moyen de trouver sa propre nature » (Bruand, 1992 :253). En accomplissant l’acte de glisse, entendu comme geste et effort sportif, le surfeur découvre par l’intermédiaire des sensations, des émotions qu’il expérimente dans ce rapport au lieu-vague, son caractère existentiel. Il transforme le chaos en cosmos. Il établit ses sphères, Il circonscrit son écoumène, sa demeure de l’être.

Par ailleurs, le caractère éphémère de la vague permet de réitérer systématiquement l’acte de spatialisation induit par la glisse. Non aménagé, le lieu-vague reste inviolé. Il est dénué de toute trace du passage de l’homme. En glissant sur la vague, le surfeur expérimente à chaque vague une nouvelle procédure de spatialisation. Il se spatialise à chaque vague qu’il prend en sacralisant le lieu-vague par sa gestuelle. Sans doute est-ce la raison pour laquelle, tous les surfeurs témoignent du caractère addictif de cette discipline. On avance ici l’idée que la pratique des espaces de nature non aménagés, relève de la même intentionnalité et qu’il faut aussi mobiliser la spatialisation comme moyen de comprendre l’addiction des adeptes des sports de nature. Car, derrière la recherche de sensations, ceux qui surfent, ceux qui sautent dans le vide, ceux qui plongent… expérimentent également la sacralisation de lieu non aménagés et se spatialisent en accomplissant leurs exploits sportifs. C’est pourquoi Carole évoque « la poussée d’adrénaline ». C’est pourquoi Mickaël caractérise comme « magique » la vague dans la mesure où celle-ci lui permet de poursuivre sa quête ordalique. C’est pourquoi, Lilian évoque la vague comme l’ Espluméor des surfeurs, c’est-à-dire l’espace louangé. C’est pourquoi, en surfant, Aulne se sent « invincible », c’est-à-dire intensément vivant ici et maintenant. C’est pourquoi Edgar lit en la pratique du surf « une renaissance ». C’est pourquoi Henri affirme que le surf est « une petite machine à confiance en soi qui te rend unique ». Cependant, les surfeurs interrogés, conscients du bonheur que leur procure la pratique de la vague, soulignent également les efforts auxquels ils consentent pour pouvoir

214 expérimenter ce bonheur au quotidien. Les choix existentiels sont d’ordre résidentiel, familial, professionnel, affectif, financier… Autrement dit, le surf est un existentialisme qui suppose des concessions existentielles. Certains évoquent même l’idée qu’avec le surf : « la première chose qui me vient en tête c’est le fait que par rapport a n’importe quel autre endroit de la planète, je m’y sens chez moi, c’est un sentiment d’ancrage profond 60 ». Car telle est la réponse formulée par Thomas Joncour, surfeur professionnel en marge du circuit mondial, à une question d’un journaliste l’invitant à présenter la Bretagne, zone géographique où il a appris à surfer.

Incontestablement, à l’issue de cette première partie, une certitude se fait jour : l’espace n’est donc pas préexistant. Seul le lieu préexiste. L’avènement de l’espace, caractérisé par la transformation du lieu, témoigne de la nécessité pour l’homme d’explorer sa dimension ontologique à travers cette confrontation corporelle, donc émotionnelle et sensorielle, aux réalités intrinsèques des lieux. Car, « le corps en mouvement fédère les sens et les unifie en lui » précise Michel Serres ([1999], 2002 :7). Cette constatation ouvre des perspectives pour les géographes qui n’auraient plus besoin, par nécessité ou par confort, d’éluder cette question et de s’en remettre à la posture hégémonique des philosophes. Les arguments mobilisés par les surfeurs mettent en exergue le fait que l’acte de glisse permet de transformer le lieu-vague en espace-vague. La glisse les rend vivants puisqu’en glissant il mobilisent leur corps et fondent ainsi le monde par la métamorphose du lieu-vague, chaos initial, en espace-vague, cosmos révélé. Ainsi, « le corps fait du corps et le corps fait du monde. Il sait faire du sujet, il peut faire de l’objet » (Serres, [1999], 2002 :111). Ramené à notre problématique, on pourrait affirmer que la glisse fait le corps du surfeur et que cette gestuelle sportive révèle l’espace habité du surfeur et fait donc son monde, son univers géographique. La glisse est donc un moyen de rompre avec l’isolement du corps dont David Lebreton souligne qu’il « témoigne d’une trame sociale où l’homme est coupé du cosmos, coupé des autres et coupé de lui-même. Facteur d’individuation au plan social, au plan des représentations, le corps est dissocié du sujet et perçu comme l’un de ses attributs » (Lebreton, [1990], 2003 :23). Tous concèdent que le surf est un moyen d’exister et que le rapport qu’ils entretiennent avec le lieu-vague est un rapport au sein duquel transpire leurs émotions, leurs ressentis, leur poésie. Cette confrontation corporelle

60 http://www.trimline-mag.com/content/les-d%C3%A9rives-de-tom-joncour . [Page consultée le 9 janvier 2012].

215 avec l’océan relève d’une recherche cosmogonique. La glisse est une opportunité de rompre avec « le vocabulaire anatomique [qui] strictement indépendant de toute autre référence marque bien également la rupture de solidarité avec le cosmos… [D’autant que] l’homme, indiscernable de son enracinement physique [géographique,] est perçu dans son inclusion au sein des forces qui régissent l’univers » » (Lebreton, Ibid :23, 33). En glissant sur la vague, il prennent la mesure du lieu, explore les forces de l’univers, et précipitent ainsi la métamorphose du lieu-vague en espace-vague. Ces analyses permettent alors de rompre avec certaines définitions de la sensation de glisse auxquelles on avoue ne pas comprendre grand-chose : « la sensation est devenue la pierre angulaire de nos corps et modes de vie glissants avec une modernité dont le mouvement a tout lieu de n’être que successions de vagues à surfer, au réel comme au figuré » (De Soultrait, 2009 :20). La vague habitée est un moyen d’exister et rares sont ceux qui reconnaissent nourrir, avec autant d’intensité, ce sentiment sur d’autres endroits de la planète. La spatialisation des surfeurs dépend donc du processus de sacralisation du lieu-vague rendu possible par l’expérience corporelle, c’est-à-dire émotionnelle et sensorielle, qu’autorise l’acte de glisse sur la vague.

Par conséquent, en glissant le surfeur passe de « l’espace spatialisé » – le lieu- vague – à « l’espace spatialisant » – l’espace-vague (Merleau-Ponty, [1945], 2003 :282). Maurice Merleau-Ponty remarque alors que « dans le premier cas, [l’espace spatialisé que l’on appelle le lieu, le chaos initial], mon corps et les choses, leurs relations concrètes selon le haut et le bas, la droite et la gauche, le proche et le lointain peuvent m’apparaître comme une multiplicité irréductible, [le caractère de-soi des choses selon Xavier Zubiri], dans le second cas, [l’espace spatialisant que l’on appelle l’espace, le cosmos], je découvre une capacité unique et indivisible de décrire l’espace. Dans le premier cas, j’ai affaire à l’espace physique, avec ses régions différemment qualifiées ; dans le second, j’ai affaire à l’espace géométrique dont les dimensions sont substituables, j’ai la spatialité homogène et isotrope, je peux au moins penser un pur changement de lieu qui ne modifierait en rien le mobile, et par conséquent une pure position distincte de la situation de l’objet dans son contexte concret ». ( Ibid :282). En revanche, Maurice Merleau-Ponty constate également que l’on « ne peut prendre le monde et l’espace orienté pour données avec les contenus de l’expérience sensible ou avec le corps en soi, puisque l’expérience montre justement que les mêmes contenus peuvent tour à tour être orientés dans un sens ou dans l’autre » (Ibid :287). Cela signifie qu’il nous faut également nous en remettre à la subjectivité des

216 individus qui, à travers leur expérience sensible de leur rapport aux lieux, fonde l’espace donc leur monde. Autrement dit, « l’espace spatialisant » est le fruit non seulement d’une prise en charge par l’expérience sensible des lieux, de « l’espace spatialisé », mais cette prise en charge varie en fonction de la subjectivité des individus. C’est pourquoi, Maurice Merleau-Ponty précise que « nous ne pouvons donc comprendre l’expérience de l’espace ni par la considération des contenus ni par celle d’une activité pure de liaison et nous sommes en présence de cette troisième spatialité, …, qui n’est ni celle des choses dans l’espace, ni celle de l’espace spatialisant… Nous avons besoin d’un absolu dans le relatif, d’un espace qui ne glisse pas sur les apparences, qui s’ancre en elles et se fasse solidaire d’elles, mais qui, cependant, ne soit pas donnée avec elles à la manière réaliste, et puisse survivre à leur bouleversement. Nous avons à rechercher l’expérience originaire de l’espace en deçà de la distinction de la forme et du contenu » ( Ibid :287). Le philosophe évoque alors le corps comme un effecteur ontologique. Car, « la possession d’un corps emporte avec elle le pouvoir de changer de niveau et de comprendre l’espace… Tout nous renvoie aux relations organiques du sujet et de l’espace, à cette prise du sujet sur son monde qui est à l’origine de l’espace » ( Ibid :291). Dans ce contexte, Maurice Merleau- Ponty précise que « la constitution d’un niveau, [l’avènement de l’espace], suppose toujours un autre niveau donné, [le caractère préexistant des lieux], que l’espace se précède toujours de lui-même. Mais cette remarque n’est pas la simple constatation d’un échec. Elle nous enseigne l’essence de l’espace est la seule méthode qui permette de le comprendre. Il est essentiel à l’espace d’être toujours déjà constitué et nous ne le comprendrons jamais en nous retirant dans une perception sans monde. Il ne faut pas se demander pourquoi l’être est orienté, pourquoi l’existence est spatiale, pourquoi sa coexistence avec le monde polarise l’expérience et fait surgir une direction. L’expérience perceptive nous montre au contraire qu’ils sont présupposés dans notre rencontre primordiale avec l’être et que l’être est synonyme d’être situé… Notre première perception à son tour n’a pu être que spatiale qu’en se référant à une orientation qui l’ait précédé. Il faut donc qu’elle nous trouve déjà à l’œuvre dans un monde » (Ibid :291-293).

Les développements de Maurice Merleau-Ponty font échos aux réflexions théoriques présentées dans le chapitre II de cette thèse. En effet, Maurice Merleau-Ponty reconnaît que pour être spatialisé l’homme doit prendre la mesure des lieux qu’il appelle « l’espace déjà constitué ». C’est la raison pour laquelle, on accorde la plus grande importance à la distinction entre ces deux termes que sont lieu et espace. Le premier existe

217 de soi, il est un chaos et ne permet pas encore à l’individu d’expérimenter sa condition géographique. Le second, l’espace, est un cosmos. Il est un lieu dont le caractère chaotique est pris en charge dans une dynamique phénoménologique et à des fins ontologiques. Il est habité, c’est-à-dire qu’il est révélé à travers l’acte poétique entendu comme mesure sensible et émotionnelle de ses caractéristiques intrinsèques, et autorise alors l’être au monde des hommes. Ainsi, cette transformation du lieu en espace, cette révélation de la dimension ontologique induite par la prise en charge de « l’espace déjà constitué », ce processus de cosmogonisation des lieux fondent l’être au monde des hommes dans la mesure où ce processus correspond au fait « d’être à l’œuvre dans un monde ». Sans doute est-ce la raison pour laquelle Maurice Merleau-Ponty ajoute que « le premier niveau spatial, [le lieu préexistant, le chaos initial], ne peut trouver nulle part ses points d’ancrage, puisque ceux-ci auraient besoin d’un niveau avant le premier niveau pour être déterminés dans l’espace. Et puisque cependant il ne peut être orienté en soi, il faut que ma première perception et ma première prise sur le monde m’apparaisse comme l’exécution d’un pacte plus ancien, [la recherche du quadriparti chez Heidegger, c’est-à- dire le fait d’habiter l’espace en poète en enclenchant le processus de cosmogonisation, la sacralisation des lieux], conclu entre X et le monde en général, que mon histoire soit la suite d’une préhistoire dont elle utilise les résultats acquis, mon existence personnelle la reprise d’une tradition prépersonnelle. Il y a donc un autre sujet au-dessous de moi, pour qui un monde existe avant que je ne sois là et qui y marquait ma place. Cet esprit captif ou naturel, c’est mon corps… C’est lui qui donne son sens à toute perception ultérieure de l’espace. Il est recommencé à chaque moment. L’espace et en général la perception marquent au cœur du sujet le fait de sa naissance, l’apport perpétuel de sa corporéité, une communication avec le monde plus vieille que la pensée. Voilà pourquoi ils engorgent la conscience et sont opaques à la réflexion. La labilité des niveaux donne non seulement l’expérience intellectuelle du désordre, mais l’expérience vitale du vertige et de la nausée qui est la conscience de l’horreur de notre contingence » ( Ibid :294). Or, la glisse, c’est-à- dire la pratique du lieu-vague, permet de prévenir ce que David Lebreton qualifie comme la perte d’un enracinement, et que l’on préfère nommer spatialisation, induit par le fait de se couper du cosmos, incluant l’acceptation de son incarnation, [- là encore, on préfère employer le terme de spatialisation -], sous un angle contingent (Lebreton, [1990], 2003 :46). Ainsi, la glisse, dans la mesure où elle est une immersion dans l’océan, une confrontation spatiale, émotionnelle, sensorielle, cosmologique avec les forces de l’univers, autorise l’homme à s’affranchir du fait que « forme ontologiquement vide, sinon

218 dépréciée, accidentelle, un obstacle à la connaissance du monde environnant, le corps n’est qu’un reste [qui] n’est plus le signe de la présence humaine, indiscernable de l’homme… [La glisse est un moyen de réfuter] la définition moderne du corps [qui] implique que l’homme soit coupé du cosmos, coupé des autres, coupé de lui-même » (Ibid :46).

On touche ici la nécessité de s’en remettre à une géographie de l’intime puisque cette mutation des lieux en espace est une expérience individuelle qui mobilise l’histoire émotionnelle et sensorielle des individus. En résumé et en guise de conclusion partielle des apports théoriques qui jalonnent cette recherche, on prétend que s’en remettre à une géographie de l’intime permet de comprendre comment et pourquoi chacun opère cette transformation du « chaos en cosmos », révèle le « caractère préexistant des lieux », configure « son espace spatialisant via la prise en charge de l’espace spatialisé», « ménage une place au quadriparti et habite en poète », établit « ses sphères », garantit le couplage « du corps animal et du corps médial »… Mobiliser une géographie de l’intime c’est refonder une théorie de l’habiter dans les géographies contemporaines qui étudie les manières dont les hommes souhaitent vivre ou faire vivre l’espace, soit le lieu cosmisé. Garantir aux hommes la possibilité d’agir sur les lieux pour s’y gratifier (Laborit, 1974) est donc bien le projet humaniste qui transpire à travers la revendication d’une géographie de l’intime. Forts de cette expertise théorique, la nécessité d’une géographie de l’intime s’impose également dans le cadre d’une déclinaison opérationnelle qui consiste à aménager l’espace habité en ménageant le caractère ontologique que sous-tend le rapport des hommes aux lieux. Plus encore, cette géographie de l’intime permet de poser un nouveau regard sur les résistances et contestations territoriales dans la mesure où celles-ci seraient comprises comme des moyens de préserver la dimension ontique des espaces habités.

Les surfeurs interrogés dans le cadre de cette étude mettent en évidence le caractère ontologique que sous-tend la pratique de l’espace. La vague est donc pour eux un espace au sein duquel ils se sentent vivants, gratifiés, invincibles, uniques pour certains. La vague, présenté comme « le lieu magique », est un espace louangé. Surfer constitue donc un mode de spatialisation. Le surf est donc plus qu’un sport ou une pratique de loisir. Il est une manière d’habiter, « une manière d’occuper l’espace, et pour cela un corps suffit si toutefois il parvient à se libérer de la contention » (Goetz, 2011 :13). Autrement dit, « c’est le corps qui architecture (au sens verbal du terme), c’est avec le corps que nous

219 modifions l’espace. Il s’agit alors de concevoir l’habiter comme une chorégraphie généralisée » ( Ibid :14). C’est dans cet esprit que l’on aborde la glisse, c’est-à-dire comme une chorégraphie généralisée qui permet de modifier les lieux afin de s’y spatialiser. Le surf serait alors un moyen de découvrir l’éden comme en attestent ces quelques phrases extraites d’un roman de Jérôme Lafargue : « le spot offrait des vagues de deux mètres à deux mètres cinquante qui déroulaient sans fin ni fatigue. Les collines verdoyantes qui entouraient la plage, les cocotiers géants qui la bordaient au plus près et les couchers de soleil époustouflants achevaient de convaincre les deux amis qu’ils avaient découvert l’éden ultime malgré les conditions de vie spartiates ». Mais alors, qu’est-ce qui pourrait pousser de tels individus à abandonner cet éden ultime sinon la baisse significative du potentiel ontologique induit par la glisse ? « Un mois après leur arrivée, ils se décidèrent à quitter ce lieu enchanteur : la saison changeait et la houle devenait inconsistante » (Lafargue, 2009 :56).

Par ailleurs, nombreux sont les surfeurs interrogés qui signalent avoir consentis à beaucoup d’efforts et de concessions pour pouvoir surfer. Ces concessions et ces efforts sont d’ordre familial, professionnel, voire affectif. Surfer est un choix de vie, un art de vivre. Surfer est un mode de vie qui requiert de la disponibilité temporelle, psychologique et une condition physique sans faille. Surfer est un acte existentiel. Surfer est une modalité d’être au monde qui passe par l’appropriation du lieu-vague. Néanmoins, les pouvoirs publics sont bien conscients des enjeux en terme de développement local que recouvre le surf. Par conséquent, de nombreuses actions publiques territorialisées ayant le surf comme ressort voient le jour. Cela dit, permettent-elles de jouer sur le processus de différenciation territoriale ? Quels sont les objectifs de ces politiques publiques ayant le surf comme objet ? Comment les surfeurs appréhendent-ils la mise en œuvre de ces politiques publiques. Se sentent-ils déposséder de leur espace initiatique ? À supposer qu’ils nourrissent le sentiment d’une dépossession du caractère ontologique que sous-tend la pratique du lieu-vague, fomentent-ils des formes de résistances et de contestations face à ce que l’on présente comme une forme d’institutionnalisation des territoires du surf ? Comment se manifestent ces résistances et contestations ? C’est tout l’enjeu de la seconde partie de cette recherche. En guise de conclusion de cette première partie, on voit donc combien l’usage spatial de la vague comporte une dimension ontologique. Cela dit, les pouvoirs publics cherchent également à valoriser la vague présentée comme un atout patrimonial (Guibert, 2011). Mais avant même d’explorer les stratégies des pouvoirs

220 publics qui inscriraient les territoires sur un segment différentiel, voire concurrentiel, ne convient-il pas d’examiner les mutations territoriales introduites par la mondialisation ? C’est l’intention qui transpire dans la conclusion générale de cette première partie pensée comme une ouverture à la seconde.

221 CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

MONDIALISATION ET DIFFÉRENCIATION TERRITORIALE

La mondialisation bouleverse l’organisation territoriale (Dollfus, 1997 ; Carroué, 2002). Elle remet en cause les grands paradigmes sur lesquels se fondaient l’action publique territorialisée et les choix d’aménagement de l’espace. Pierre Veltz (2004) souligne que deux types de réactions sont lisibles face aux bouleversements qu’introduit le processus de mondialisation. « Les craintes liées à la mondialisation ont engendré des crispations sur la nation unitaire pour les uns et ont revitalisé les particularismes locaux pour les autres. Dans ce contexte a émergé le modèle du développement local qui privilégie les dynamiques spécifiques, glorifie le rôle des Petites et Moyennes Eentreprises (PME), positionne les sociétés locales en acteur prépondérant ». Néanmoins, Pierre Veltz constate également que se délite « le rôle assuré par l’état à travers ses politiques d’aménagement du territoire visant à réduire les différences interterritoriales [et qu’il] n’est plus de rigueur avec la mondialisation qui exacerbe les dynamiques concurrentielles des territoires à travers le libre jeu du marché. Ainsi la mondialisation soulève les enjeux de l’équité territoriale ». La mondialisation marque donc de nouveaux enjeux en terme de développement local. À présent, précise Pierre Veltz, « il s’agit de penser les politiques territoriales comme des politiques visant à favoriser la création de ressources et de richesses nouvelles et non plus comme des politiques d’affectation ou de réaffectation des ressources et des richesses données. On doit donc privilégier les potentiels locaux à travers le paradigme du développement local ».

Dans ce contexte, les choix de développement territorial reposent sur l’intentionnalité des acteurs qui élaborent des politiques publiques en lien avec les représentations qu’ils se construisent des potentialités et des ressources de leurs territoires. Dans la mesure où la mondialisation exacerbe les concurrence, les acteurs locaux n’ont d’autres choix que de positionner leurs territoires sur un segment différentiel fondé sur la

222 mobilisation de ressources locales et sur une organisation socio-économique permettant de favoriser le développement territorial. La mondialisation redessine donc l’organisation et la structuration des territoires. « La géographie des coûts et des stocks de facteurs laisse la place à la géographie des organisations et de la qualité des institutions. Cette géographie révèle l’interdépendance croissante à petite et à grande échelle entre les acteurs économiques, les états, les territoires ». On assiste alors à deux types de configurations territoriales qui témoignent de la manière dont les acteurs se représentent les effets de la mondialisation. D’une part « le développement local est un îlot de résistance où l’économie locale s’oppose à l’économie nomade, l’économie du terroir combattrait l’économie cosmopolite [et d’autre part les choix de développement traduiraient] l’impuissance du local face au global c’est-à-dire que les acteurs locaux seraient tributaires des investisseurs exogènes en pratiquant la surenchère ». Pierre Veltz souligne que la mondialisation inaugure aussi de nouvelles perspectives de développement local à condition que les acteurs en saisissent les enjeux, les logiques et les opportunités. Car, dit- il, avec la mondialisation coexiste « la renaissance des économies-territoires dont la compétitivité repose sur des formes de coopération et des capacités hautement spécifiques. Les réseaux économiques les plus étendus et les plus détachés des territoires ne subsistent qu’à travers de multiples formes de mobilités mais aussi d’adhérences spatiales particulières ».

Cette forme de renaissance des dynamiques territoriales qu’introduirait la mondialisation permet de tordre le cou à plusieurs idées reçues à l’encontre de la mondialisation. La première des idées reçues consiste à penser que la mondialisation abolit les frontières et les distances. Mais, en fait, la proximité continue d’imposer sa logique organisationnelle. La seconde idée reçue établit que la mondialisation est un processus de standardisation des modes de consommation. Néanmoins, force est de constater que le cadre local ou national continue d’influer sur les comportements, les besoins, les désirs, les envies. Les firmes internationales prennent donc en compte cette diversité dans le cadre de leur stratégie globale. C’est pourquoi, elles cherchent à diversifier leur organisation afin de coller aux réalités du terrain. Enfin, la mondialisation explique le chômage et disqualifie les pays à hauts salaires et à forte protection sociale. Mais la dramatisation du discours sur les délocalisations est trompeuse. En effet, dans un monde où circulent rapidement informations technologiques et matières premières, la proximité des marchés finaux s’inscrit comme une priorité et devient un facteur de localisation. Différents modèles de

223 développement s’offrent donc aux territoires. Le premier est celui de la compétition par les prix avec une organisation taylorienne. Le second est celui du développement par le haut qui privilégie l’innovation de produit, la qualité, le niveau de service. Ce développement nécessite une qualité de formation, un rôle des entreprises qui peuvent saisir les marchés de niche centrés sur la qualité, le service, la réactivité, et la coopération décentralisée. Pierre Veltz constate que l’efficacité de la dynamique territoriale est relationnelle. « Ainsi, l’écosystème relationnel est à la fois interne et externe ; il est le facteur clef de la performance. Or, seul le territoire dans ses dimensions spatiales et sociales est fournisseur de ces ressources relationnelles ». Il précise que l’organisation efficace « n’est pas seulement qualifiée mais qualifiante [et que] les ancrages territoriaux qui permettent la constitution lente d’un capital social et qui sont liés en général à des mécanismes publics de constitution des ressources s’inscrivent dans de longues durées comme la formation de compétences ou d’infrastructures ».

Assiste-t-on à cette dynamique territoriale sur le littoral aquitain. Autrement dit, les actions publiques territorialisées mobilisant le surf comme support concourent-elles au renforcement d’une attractivité économique, touristique, sociale, sportive… du littoral aquitain ? L’implantation des grandes firmes du surfwear , le dynamisme du secteur artisanal lié aux activités de shape , le marketing territorial centré sur la médiatisation du surf, l’organisation de manifestations sportives d’envergure internationale, le renforcement de l’offre de formation dans le secteur du surf placé sous l’égide de la Fédération Française de Surf et de l’université, la mobilisation environnementale des pouvoirs publics pour sauvegarder la qualité environnementale du littoral, le renforcement de l’offre culturelle ayant le surf comme support, l’édification d’infrastructures majeures ayant le surf comme fondement… sont autant de facteurs qui participent à l’identification par les touristes potentiels, les investisseurs étrangers et les résidents… d’un territoire du surf. Le territoire littoral aquitain est le résultat d’une co-évolution complexe où stratégies des firmes et dynamiques des territoires se construisent conjointement. Cette trajectoire de développement local se définit à l’intersection des logiques des firmes et des dynamiques du territoire appréhendées comme une entité sociohistorique plutôt que comme un stock de ressources. La compétitivité du tissu local résulte de la qualité d’organisation et de la capacité à favoriser l’apprentissage collectif. Pierre Veltz pense que « l’énergie motrice du développement local repose sur des affirmations identitaires et se définissent souvent

224 contre l’hégémonie parisienne mais que l’idée d’un développement purement endogène est absurde. Le pire ennemi du développement local est le localisme ».

Quoiqu’il en soit, le littoral aquitain s’apparente désormais à une « petite Californie ». L’essor des filières de la glisse laisse à penser que certains territoires aquitains seraient de véritables « glissicon valley ». Jean-Pierre Augustin parle pour sa part de « station surf » pour rendre compte des dynamiques sociospatiales au cœur des stations balnéaires du littoral. La deuxième partie de cette recherche explore donc la manière dont le surf structure l’identité et l’organisation territoriale du littoral aquitain et la manière dont les surfeurs vivent cette mobilisation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics. Elle met en exergue l’intentionnalité des acteurs, « ces oubliés du territoire » (Gumuchian et al. 2003), dans le cadre de la mise en œuvre de politiques publiques dans le champ du tourisme.

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DEUXIÈME PARTIE

RÉSISTANCES ET CONTESTATIONS DES SURFEURS FACE À L’INSTITUTIONNALISATION DES TERRITOIRES DU SURF EN AQUITAINE

226 INTRODUCTION À LA DEUXIÈME PARTIE

LA PLACE DU SURF DANS LA STRUCTURATION DES TERRITOIRES TOURISTIQUES BALNÉAIRES AQUITAINS

À partir du XIX e siècle, la pression temporelle s’accentue sur le quotidien. La nouvelle organisation du travail modèle alors celles du temps libre et détermine la nature des revendications qui facilite son émergence. On assiste alors à « l’avènement des loisirs » (Corbin, 1995). Cela dit, Quelles sont les dynamiques spatiales induites par ces différents usages qui sont faits des temps libres ? Comment s’opère la mise en tourisme des lieux ? L’apparition, puis la démocratisation du surf bouleversent-elles la structuration des espaces touristiques du littoral aquitain ? Le cas échéant, comment les pouvoirs publics s’emparent-ils de ce phénomène sociogéographique qu’est le surf dans le cadre de la déclinaison de leurs politiques publiques en faveur du tourisme ? Enfin, comment les surfeurs ressentent-ils cette mobilisation du surf dans le cadre des constructions territoriales ? Fomentent-ils des formes de résistances et contestations ? De quelle nature sont-elles ?

- Tourisme : lecture critique d’un concept

Analyser la mise en tourisme du littoral aquitain suppose au préalable que l’on s’accorde sur la définition du terme tourisme. Aussi, un recours aux dictionnaires thématiques permet de clarifier cette notion. Ainsi, selon Roger Brunet, Robert Ferras et Hervé Théry, le tourisme est « l’art de faire un tour, selon l’anglais. Il est l’ensemble des déplacements de loisir, même s’ils ne sont pas toujours de plaisir. Le tourisme s’étudie en géographie à ses équipements, ses hébergements, ses flux, ses fréquentations, ses motivations, ses distances de parcours, ses stations et ses villes, plus ou moins spécialisées, ses espaces privilégiés, ses contenus sociaux et économiques, ses moyens de

227 déplacement, ses représentations, ses effets et ses populations » (Brunet, Ferras, Théry, 1992). La liste proposée est pour le moins exhaustive. Les auteurs insistent sur les incidences du tourisme en termes d’équipements (infrastructures d’hébergement, de transports…) et d’aménagements. Les retombés économiques, spatiales et sociales du tourisme ne sont pas oubliées. Cela dit, cette définition aborde le tourisme essentiellement à travers l’angle des déplacements et parait par conséquent quelque peu réductrice. En revanche, les auteurs évoquent également la mise en valeur qui est « le processus par lequel une étendue inoccupée ou faiblement occupée devient productrice de richesses. … La mise en valeur permet de porter un espace non marchand au rang d’une valeur, négociable, qui entre enfin dans l’économie marchande, et peut devenir marchandise . La mise en valeur est le processus classique de formation d’espace pionniers. Il peut pourtant se produire aussi sur de vieux espaces depuis longtemps appropriés, mais dont on change la forme de mise en valeur en augmentant considérablement leur valeur ». Les auteurs affirment alors que : « c’est ainsi que l’on met en valeur un site touristique… En général, l’expression comporte l’idée d’une intervention extérieure, à nouveaux frais et nouveaux capitaux, et à nouveaux usages de l’espace, pour une autre valorisation de celui-ci ».

Quant à Jacques Lévy et Michel Lussault, ils proposent la définition suivante : « Le tourisme n’est ni une activité ou une pratique, un acteur ou un espace ou une institution : c’est l’ensemble mis en système. Et ce système comprend : touristes, lieux, territoires et réseaux touristiques, marché, pratiques, lois, valeurs et jeu des autres institutions sociales. Les pratiques touristiques sont constituées par : un déplacement, une inscription dans le hors-quotidien qui suppose l’éloignement de l’individu de son espace de vie habituel… Le tourisme peut être conçu comme un système qui articule les pratiques touristiques aux espaces touristiques, parfois médiatisés par le secteur des services marchands. Le tourisme possède une dimension économique qui contribue à la création de richesse à différentes échelles (mondiale, nationale, locale) ». Par ailleurs, les auteurs soulignent que les pratiques touristiques sont variées et reprennent la typologie des lieux touristiques proposée par l’équipe MIT.

L’étude diachronique quant à l’évolution des référentiels idéologiques sur lesquels se forgent les diverses pratiques de loisirs permet, au demeurant, d’interpréter la mise en tourisme, c’est-à-dire le processus de création d’un lieu touristique. En effet, l’équipe Mobilités, Itinéraires, Territoires (MIT), notamment composée de Rémy Knafou,

228 Jean-Christophe Gay, Mathis Stock … propose la définition suivante de la mise en tourisme : « La mise en tourisme est un processus de création d’un lieu touristique ou de subversion d’un lieu ancien par le tourisme qui aboutit à un état : le lieu touristique. L’expression mise en tourisme est préférée à touristification (touristification n’étant qu’une variante de forme) parce que dans la confusion qui entoure le processus et la convocation fréquente d’interventions naturelles, mise en tourisme présente l’avantage de souligner le caractère dynamique et humain de l’action » (MIT, 2002 :300) .

Cependant, les géographes de l’équipe MIT s’interrogent également sur la manière dont sont créés ces lieux touristiques. Aussi, ils répertorient huit types de lieux touristiques qui peuvent être distingués selon que le lieu existait avant le tourisme ou bien crée par le tourisme et selon le degré de transformation induit par l’investissement touristique. Ils s’interrogent donc sur les dynamiques spatiales (en termes d’aménagements, de structurations, de fonctionnalités) induites par l’activité touristique. Forts de leur typologie, ils distinguent :

- le site : lieu dans lequel les touristes passent, mais ne séjournent pas (Exemple : La pointe du Raz),

- le comptoir : se caractérise par l’isolement, la fermeture relative et la simplicité du jeu des acteurs. L’application d’un règlement intérieur, l’existence d’une clôture physique et l’exercice d’un règlement de police intérieur sont les signes distinctifs les plus clairs du comptoir (Exemple : Parcs à thème),

- la station et/ou la station-ville : est un espace ouvert, inventée par le tourisme où de multiples acteurs participent de la complexité des jeux d’acteurs. Certaines stations ont pu devenir polyfonctionnelles par l’adjonction à la fonction touristique fondatrice de fonctions nouvelles en filiation ou non avec le tourisme. (Exemple : La Baule).

Les autres types de lieux touristiques tels que définis par l’équipe MIT sont des lieux dynamisés mais non créés par le tourisme. La distinction s’opère en fonction de l’intensité des mutations spatiales introduite par l’activité touristique. Ainsi, selon la classification des auteurs, on est en présence de :

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- la ville-station : juxtaposition d’un quartier touristique de type station, crée par et pour le tourisme, à un noyau ancien avec agglomération. Il y a persistance d’une polyfonctionnalité au sein d’une même entité. La fonction d’hébergement est essentielle et concentrée dans la partie station de la ville,

- la ville touristifiée : se caractérise par le fait que la fonction touristique occupe une place hégémonique. La structure spatiale originelle est subvertie par le tourisme (Exemple : Saint-Tropez),

- la ville à fonction touristique : insertion d’une fonction touristique dans l’espace sans modification majeure de la structure urbaine d’ensemble (Exemple : Paris),

- la ville étape : la fonction touristique est limitée à l’hébergement.

Cela dit, ces auteurs, outre la nomenclature des lieux touristiques qu’ils proposent, consacrent le tourisme comme « un système d’acteurs, de pratiques et de lieux qui a pour finalité de permettre aux individus de se déplacer pour leur récréation hors de lieux de vie habituels afin d’aller habiter temporairement d’autre lieux » (MIT, 2002 :8). Ils accordent donc une place majeure à la manière dont les touristes habitent les espaces touristiques. La finalité induite par la mobilité des touristes serait donc de ne permettre qu’un déplacement d’individus en quête d’une altérité sociale et spatiale inscrite en rupture avec leur affreuse et affligeante quotidienneté. Ce déplacement imposé par une quête d’altérité permettant de rompre avec le quotidien social et spatial témoignerait d’une « compétence stratégique » du touriste qu’il mettrait en œuvre « pour réussir son projet : se recréer » ( Ibid :155). Ces chercheurs accordent donc un grand crédit à l’intentionnalité que suppose le motif de déplacement produit par l’individu touriste. Mais ce déplacement n’est pas une migration, « il s’agit d’une circulation, [disent-il] , qui implique un déplacement pour un projet précis, la récréation. Tout mouvement dans l’espace ne relève donc pas d’une pratique touristique » ( Ibid :156). C’est pourquoi, ils soulignent le fait que « la question de l’habiter est en permanence sous-jacente dans la caractérisation des pratiques touristiques ». Dans cette perspective, ces auteurs réfutent l’idée de l’attractivité des lieux, fondée sur les seuls critères physiques et naturels, pour s’interroger sur le processus de mise en tourisme des lieux. Leurs travaux mettent donc en lumière la conjonction de plusieurs facteurs qui

230 permettent d’aboutir à la construction de territoires touristiques. S’ils identifient le rôle de la société locale et l’implication des pouvoirs publics, leurs travaux insistent sur le fait que la mise en tourisme repose essentiellement sur la manière dont les individus touristes pratiquent l’espace sur lequel ils s’arrêtent temporairement. Ainsi, on peut lire que « si on renonce à partir nécessairement des facteurs naturels ou, plus généralement, du “déjà-là” pour comprendre les raisons de la mise en tourisme de lieux, on peut privilégier ce dont le touriste est lui-même porteur, autrement dit ce que le touriste va aller chercher dans les lieux touristiques, de lui-même et pour lui-même. Cette démarche individuelle s’inscrit évidemment dans un mouvement qui ne peut être que social. De plus, si nos analyses n’entendent pas épuiser la réflexion sur le sujet, elles tentent néanmoins de poser les fondements d’une autre manière de voir les modalités d’apparition de lieux nouveaux. Face au commun réflexe de raisonner en termes “d’attraction touristique”, voire de “vocation touristique”, on peut repenser l’émergence des lieux touristiques à la lumière de ce que les géographes proposent pour les autres types de lieux : l’évolution d’une société, le regard qu’elle porte sur son espace et les besoins qu’elles expriment à travers des pratiques sans cesse renouvelées et sans cesse réinventées. Ensuite, on sait que la rupture touristique se produit en un lieu à la suite d’une rencontre opportune entre les circonstances locales et les stratégies d’acteurs, les uns mobiles, les autres plus ou moins immobiles, rencontre qui se produit dans un théâtre de conditions sociales nécessaires, le déploiement du temps libre, l’existence d’un surplus de richesse non affecté à la survie » (Ibid :174). Par conséquent, « la logique, les intérêts, les pouvoirs de ces acteurs [entendre “ces touristes” dans les propos des auteurs] apparaissent comme nécessaire à la compréhension de la mise en tourisme des lieux, car seuls les critères physiques et naturels ne peuvent rendre compte de la localisation de ces lieux » ( Ibid :189). Dans cette acception de la mise en tourisme, seule l’intentionnalité du touriste prévaut. La construction par les habitants d’un lieu potentiellement touristique est donc occultée. Le rôle des acteurs locaux, sans être complètement abandonné, est pourtant minimisé. Ainsi, les acteurs locaux seraient, au mieux, seulement enclins à s’approprier les pratiques spatiales induites par la recherche de l’altérité spatiale et sociale que suppose le déplacement touristique. Dans cette perspective, la dynamique du tourisme « tient aux jeux des acteurs, à ceux qui l’inventent en un lieu, comme à ceux qui, constatant son pouvoir, abandonnent une activité traditionnelle de faible rapport pour se l’approprier et en tirer profit » ( Ibid :193).

231 Si cette posture scientifique est justifiée dans le cadre de la naissance du tourisme, quid de l’intentionnalité des acteurs locaux qui cherchent, par les choix opérés dans le cadre de l’action publique, à produire des territoires touristiques ? Autrement dit, si l’on souscrit volontiers à l’idée qu’aux premières heures de l’activité touristique, ce sont les touristes qui imposent la mise en tourisme des lieux par leurs intentionnalités et appétences sociospatiales, on s’interroge néanmoins sur cette primauté concédée au touriste dans la mise en tourisme des lieux de nos jours. Dorénavant existe un service public de développement touristique construit comme outil d’aménagement du territoire. Les choix opérés par les acteurs de l’action publique, portés et assumés dans le cadre des grands paradigmes de l’action territoriale, orientent la structuration et la qualification des lieux touristiques (Vlès, 2001). Plus encore, comment ces choix d’aménagements touristiques, ces constructions territoriales influent sur les intentionnalités des touristes. On le voit, la dialectique univoque du touriste imposant la mise en tourisme et la structuration des lieux touristiques apparaît quelque peu dépassée à l’heure où les acteurs de la société locale disposent d’outils de planification opérationnelle en matière de développement touristique. D’autre part, affirmer que seule la recherche d’une récréativité sous-tend le déplacement des touristes et conditionne leurs modes d’habiter les lieux touristiques, c’est faire l’impasse sur le caractère ontologique que suppose le rapport de l’individu au lieu.

Ainsi, analyser comment s’est forgé le développement des espaces touristiques sur le littoral aquitain et quels sont les bouleversements qu’introduisent les nouvelles pratiques sportives au cœur de cette organisation territoriale, qui ne sauraient, comme on l’a vu, être circonscrites dans un seul désir de récréativité, appellent à réintroduire les acteurs locaux dans leurs intentionnalités. La question fondamentale consiste donc à savoir si le surf est, au regard de la mobilisation dont il fait l’objet de la part des acteurs locaux, une nouvelle « ressource territoriale ». Autrement dit, le surf est-il « une construction sociale localisée, [qui] n’est pas seulement inscrite dans un cadre spatial particulier, [qui] est consubstantielle au territoire inscrit lui-même dans une temporalité donnée » (Gumuchian, Pecqueur, 2007 :45) ? Plus encore, le surf, entendu comme « ressource territoriale », c’est- à-dire « envisagé comme construit d’acteurs pourvus d’intentionnalité marqué » participe- t-il d’une « refondation territoriale » ( Ibid :230) ? Le cas échéant, les modes de mobilisation du surf par les pouvoirs publics, cette « construction sociale localisée », participent-ils de la requalification des espaces urbains balnéaires du littoral aquitain et du projet touristique ? Ces requalifications traduisent-elles une refonte territoriale ? Pour y

232 répondre, il convient « de rendre compte à la fois de la nature et de la forme de l’objet considéré (la ressource territoriale – ici le surf) [et de] désigner le sens affecté à cet objet, en le reformulant, pour tenir compte du contexte présent » ( Ibid :232). C’est la raison pour laquelle, on souhaite revenir sur la construction des « mythes fondateurs » de l’activité touristique sur le littoral aquitain ainsi que sur la structuration initiale des territoires touristiques aquitains. Car, « le processus de refondation territoriale rend compte de l’émergence progressive d’un nouveau modèle territorial d’adaptation des lieux au monde et du monde aux lieux » ( Ibid :234). Or, comment analyser l’intégration sociospatiale du surf sans présenter la structuration initiale des territoires au sein desquels il s’intègre ? Plus encore, ce sont les choix opérés en matière de développement touristique que l’on examine. Car, les choix qui sont faits en matière d’aménagement et de développement touristique témoignent de la manière dont les arbitrages sont rendus et les compétences exercées dans la mise en œuvre des politiques publiques en faveur du tourisme. Au cœur de la ressource territoriale, n’y a-t-il pas « des hommes et des femmes qui lui donnent cette double dimension d’efficience et d’aléatoire » ? ( Ibid :235). Leurs enjeux induits par la démocratisation du surf relèvent d’une acuité nouvelle pour les territoires touristiques du littoral aquitain. À cet égard, les politiques publiques locales en faveur du tourisme montrent, à trois échelons scalaires, combien ces enjeux sont importants et dans quelles mesures les jeux d’acteurs doivent être analysés :

- « la mise en place de stratégies de développement du tourisme par les collectivités locales urbaines (qui n’existaient, avant les années 1990, que dans les très grandes destinations internationales) et la recherche de l’efficacité du système touristique municipal,

- Le développement du tourisme comme une stratégie pour définir un modèle de ville du présent et du futur, dans une dialectique renouvelée des processus de production et de consommation des services et dans une recherche différente du sens donné aux espaces urbains : espaces de productions, espaces de consommation, scènes symboliques et de représentation, espaces de pratiques ludiques pour les habitants permanents,

- Le tourisme comme moyen pour renforcer la fonction internationale et les avantages concurrentiels de la cité sur la scène mondiale » (Vlès, 2006 :23).

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L’ensemble des travaux de recherche poursuivis par les théoriciens de l’aménagement touristique sont traversés par cette question lancinante : quels sont les jeux d’acteurs et leurs intentionnalités qui autorisent la détermination de projets touristiques ? En effet, « la diversité des acteurs et des instruments a accru le variété des modes opératoires locaux, l’hétérogénéité des formes d’intervention et, globalement, leur validité. Les missions de service public touristique local produisent un aménagement différencié du territoire » (Vlès, 2001 :45). Les chercheurs s’attachent donc à identifier quelles sont les compétences exercées par ces acteurs (Vlès, 2001), à détricoter leurs positionnements au sein des instances de gouvernance, à recontextualiser leurs intentions à l’aune des doctrines de l’aménagement touristique ou de l’évolution des paradigmes propres aux politiques publiques de développement touristique, à appréhender les contextes sociaux, économiques et politiques à l’échelon local qui conditionnent leurs intentionnalités (Merlin, 2001 ; Dewailly, 2000). Aussi, le choix des termes n’est pas innocent lorsque Vincent Vlès évoque les notions de « stratégie de développement », ou bien encore « d’avantage concurrentiel » (Vlès, 2006). C’est précisément cette posture que l’on souhaite adopter au cours de cette seconde partie. Aussi, dans le cas de cette étude, c’est bien le rôle des différents acteurs locaux vis-à-vis du surf et du traitement de l’espace du surf et des surfeurs que l’on interroge. Cela évite certainement l’écueil d’appréhender le système touristique de manière trop manichéenne : « le système productif touristique présente deux situations différentes. Dans l’une, le système est dominé par de grandes entreprises privées avec un poids des acteurs locaux plus faible. Dans l’autre, le mode de production demeure familial et artisanal, pour l’essentiel, et le poids des acteurs endogènes est essentiel » (Violier, 1999 :9). Le surf n’est qu’un prétexte pour appréhender les mutations à l’échelle locale dans un contexte de mondialisation : mondialisation du jeu sportif (Parlebas, 2004), mais aussi exacerbation des concurrences territoriales. Par conséquent, c’est bien la forme du « localisme, défini comme l’affirmation de l’identité des lieux et par la densité des liens avec le territoire qui structurent les stratégies » (Violier, 1999 :9) qu’il convient de révéler. Le rôle des acteurs locaux, qu’ils soient issus de la société civile, du monde politique ou économique, techniciens territoriaux, agents des services déconcentrés de l’État, est donc examiné dans la mesure où leurs positionnements respectifs influent sur les choix en termes d’aménagement de l’espace.

234 Mais ces choix répondent également à des impératifs extra-territoriaux. Le projet touristique n’est autre que la manifestation du dessein des acteurs locaux construit en fonction de leurs représentations. L’action publique territorialisée mérite donc d’être prise en compte dans les recherches scientifiques ayant le tourisme pour objet. Car, ces choix irradient « la question du traitement de l’ensemble des espaces visibles et doit répondre à la superposition d’usages parfois contradictoires et à la variétés des publics qui les fréquentent : satisfaction des usages économiques, relations sociales spontanées et libres, satisfaction des besoins sensoriels et psychologiques, imaginaire qui combat l’ennui, permettre d’accéder au plaisir, à la rêverie, à la découverte, à la promenade, à la tranquillité, au mouvement, à l’histoire, aux symboles…, déplacements utilitaires » (Vlès, 2006 :268). Par conséquent, le système touristique aquitain ne peut pas être présenté, dans une lecture manichéenne, comme la volonté hégémonique d’opérateurs privés qui imposeraient une structuration des territoires ou comme le fruit d’une action publique au sein de laquelle les investisseurs privés et les représentations collectives des dynamiques mondiales n’auraient plus leur place. Fort d’un tel positionnement qui consiste à analyser le projet touristique dans sa complexité, on peut alors interroger les habitants sur la manière dont ces politiques publiques influent sur leurs manières d’habiter l’espace. On peut alors comprendre si l’avènement du surf comme « ressource territoriale », instrumentalisé à des fins de développement touristique et territorial, influe sur les manières dont les surfeurs vivent leurs rapports à l’espace-vague. Le cas échéant, quels types de résistances et de contestations ces surfeurs mobilisent-ils ?

Qu’il soit examiné à l’échelle de la station touristique (Vlès, 1996) ou à l’échelle hexagonale (Cazes, 1995), voire internationale, c’est avant tout l’analyse des interactions qui se tissent entre le service public touristique et les procédures d’aménagement du territoire qui doit retenir l’attention. En revanche, cette posture scientifique suppose, au préalable, que « le chercheur en aménagement postule que la gestion du territoire est aussi porteuse de son propre sens. L’analyse très attentive du projet touristique, par exemple, comme signe de la société, sa sémantique permettent de dépasser l’analyse de son efficacité, de son utilité. Le projet touristique n’est pas que le résultat, il est le fondement de l’action publique, une empreinte réelle des pratiques sociales dans l’espace. Il est le signe intentionnel, le moyen volontaire de communiquer, le produit d’une idée abstraite mais conceptualisée, bref une réalité strictement déterminée en tant qu’intention » (Vlès, 2001 :19). Par conséquent, c’est la manière dont sont appréhendés les enjeux du

235 développement touristique qui président à l’analyse ainsi que la réception chez les touristes et habitants de l’intentionnalité que sous-tend l’action publique. Autrement dit, plus que le système touristique, c’est davantage le projet touristique qui importe. Car, si l’on postule, comme d’autres avant nous, que la recomposition de l’économie des loisirs ne remet pas en cause l’existence du service public touristique local mais au contraire qu’elle le légitime dans sa dimension de coordination (Vlès, 2001 :39), voire le renforce, alors il nous appartient de décrypter quelles sont les intentions des acteurs de la force publique à travers la construction de territoires ? Ces intentions décryptées, lisibles dans l’espace entendu comme support matériel à l’expression des représentations dans le cadre d’un projet touristique, on peut alors se pencher sur la manière dont celles-ci sont perçues par les habitants.

À n’en pas douter, ce projet est largement plus enthousiasmant que de rendre intelligible les intentions des acteurs de l’économie du tourisme qui s’articulent trop souvent autour des notions de rentabilité financière des projets et participeraient d’une forme de « disneylandisation » de l’espace touristique à l’échelle planétaire (Brunel, 2006). C’est la raison pour laquelle, à ce stade de la recherche, il apparaît indispensable de revenir sur l’acception du terme politique publique. D’autre part, cette partie ne prétend pas évoquer le large panel de politiques publiques conduites en faveur du surf mais plutôt de révéler le traitement des espaces, de la culture et des populations surf qu’elles sous- tendent. Ainsi, c’est bien l’analyse des valeurs et des images véhiculées par la mise en œuvre opérationnelle de politiques publiques en faveur du surf dont il est question dans cette partie. C’est la mise en scène « (géo-)graphique » des « territoires de l’éphémère » qui est décortiquée à partir d’une étude de cas, celle du Conseil général des Landes, afin de qualifier l’intensité du changement de l’action publique ayant le surf comme support. Le choix d’étudier l’appropriation du surf par le Conseil général des Landes pourrait paraître purement arbitraire. Il n’en est rien. Le choix de cette collectivité territoriale s’appuie sur le fait que seuls les départements exercent une compétence légale en matière de sports de nature, conférée par le législateur à l’issue de la promulgation de la loi n°84-610 du juillet 1984 modifiée le 6 juillet 2000 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. Elle confie la responsabilité aux départements de mettre en place une commission et un plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature auxquels le surf appartient. La loi précise que « le département favorise le développement maîtrisé des sports de nature. À cette fin, il élabore un plan départemental

236 des espaces, sites et itinéraires relatif aux sports de nature… Il est institué une commission départementale des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature, placée auprès du président du conseil général. Cette commission propose le plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature et concourt à son élaboration ; propose les conventions relatives au plan ; est consultée sur toute modification du plan ainsi que sur tout projet d'aménagement ou mesure de protection des espaces naturels susceptibles d'avoir une incidence sur l'exercice des sports de nature dans les espaces, sites et itinéraires inscrits à ce plan. La composition et les modalités de fonctionnement de la commission sont fixées par délibération de l'assemblée départementale ». L'État souhaite impulser une politique nationale de développement maîtrisé des sports de nature mais l'exercice opérationnel de cette compétence incombe exclusivement aux conseils généraux, seuls aptes à entériner la mise en œuvre du PDESI. L’étude de la mise en œuvre de cette politique publique en faveur des sports de nature apparaît comme emblématique et traduit la place qu’occupe le surf dans le cadre du traitement des politiques sportives des collectivités territoriales. Elle autorise la lecture du jeu d’acteurs dans le cadre d’un projet de développement territorial au sein duquel le tourisme tient une place prépondérante.

- Les politiques publiques : essai de définition

Pierre Muller définit le référentiel des politiques publiques comme « un ensemble de prescriptions qui donnent du sens à un programme politique en définissant des critères de choix et des modes de désignation des objectifs » (Muller, 1995). Ses travaux permettent donc d’interroger la construction des politiques publiques (Muller, [1990], 2003). « L’élaboration d’une politique publique consiste d’abord à construire une représentation, une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir. C’est en référence à cette image cognitive que les acteurs organisent leur perception du problème, confrontent leurs solutions et définissent leurs propositions d’action : on appellera cette vision du monde le référentiel d’une politique ».

En effet, l’auteur présente le référentiel d’une politique comme « un ensemble de prescriptions qui donnent du sens à un programme politique en définissant des critères de choix et des modes de désignation des objectifs. Le référentiel se structure selon quatre niveaux :

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- Les valeurs : sont les représentations fondamentales sur ce qui est bien ou mal. Elles définissent le cadre global de l’action publique,

- Les normes : définissent des écarts entre le réel perçu et le réel souhaité. Elles définissent des principes plus que des valeurs. À titre d’exemple : il faut promouvoir la cohésion sociale (le réel perçu est une société où se creusent les inégalités, le réel souhaité est que ces inégalités soient comblées),

- Les algorithmes : sont des relations causales qui expriment une théorie de l’action. Ils peuvent être exprimés sous la forme “si… alors”. Par exemple : “Si nous accompagnons les publics les plus vulnérables alors nous réduirons les inégalités sociales et territoriales” »,

- Les images : sont des vecteurs implicites de valeurs, de normes ou même d’algorithmes. Elles font sens immédiatement sans long détour discursif. Elles constituent donc un élément central du référentiel ».

D’autre part, l’auteur distingue le référentiel global et le référentiel sectoriel :

- « Le référentiel global : est une représentation générale autour de laquelle vont s’ordonner et se hiérarchiser les différentes représentations sectorielles. Il est constitué d’un ensemble de valeurs fondamentales qui constituent les croyances de base d’une société, ainsi que de normes qui permettent de choisir entre des conduites. Les valeurs et les normes qui caractérisent le référentiel global évoluent en fonction de l’histoire sociale.

- Le référentiel sectoriel : est une représentation du secteur, de la discipline ou de la profession. La configuration d’un secteur dépend étroitement de la représentation que l’on se fait de la place du secteur dans la société. À titre d’exemple, la jeunesse -référentiel sectoriel - peut être appréhendée comme une ressource ou comme un problème » (Muller [1990], 2003 :57-68)

238 Selon Pierre Muller : « l’opération d’encastrement du référentiel sectoriel dans le référentiel global est l’acte fondateur d’une politique publique. Les acteurs qui réalisent cette opération de transaction sont les médiateurs d’une politique publique. Les médiateurs produisent donc du sens (prise de parole) et élaborent des stratégies (prise de pouvoir) afin de se positionner au sein d’un champ de pouvoir ». À travers cet outil conceptuel, on étudie les mutations dans la mise en œuvre des politiques publiques. S’accompagnent-elles d’un changement d’un rapport au monde rendu perceptible à travers l’analyse d’un référentiel dans le secteur des sports de nature ? Par conséquent, c’est bien la dimension cognitive et la prise en compte de la complexité des constructions intellectuelles, qui président à l’émergence puis à l’affirmation et à la mise en œuvre d’une politique, que l’on interroge. En mobilisant le concept de référentiel « forgé pour rendre compte des politiques publiques comme production intellectuelle d’images sur la société » (Faure, Pollet, Warin, 1995 :10), on entend alors proposer une analyse cognitive des politiques publiques territorialisées en faveur des sports de nature afin d’appréhender « la médiation », c’est-à-dire « l’ensemble de ce processus de construction d’un rapport au monde » (Muller, 1995), comme élément de compréhension des changements de l’action publique. Car, il précise que « le processus de médiation, entendu comme processus d’articulation entre des logiques de sens et d’action globales et sectorielles, ne correspond pas seulement à un processus intellectuel, à un “simple” travail sur les mots et sur le sens. Cette fonction de recodage cognitif et normatif renvoie aussi à une dimension identitaire, ce qui signifie que, au-delà du travail sur le sens, c’est l’existence des groupes concernés, leur statut de dominant ou de dominé qui sont en jeu. Les processus de médiation sont donc souvent […] d’une violence extrême, justement parce qu’ils mettent en jeu l’existence même des acteurs concernés, ou en tout cas, leur statut économique et social » (Muller, 2005 :186). Aussi, on est en droit d’analyser quelle est la nature du référentiel dans le cadre des politiques publiques en faveur des sports de nature afin de savoir si « le processus de production du référentiel [est] une tentative, sans cesse renouvelée, de production de cette altérité de la société par rapport à elle-même qui […] tout à la fois, est produit par des acteurs et s’impose à eux comme un cadre d’interprétation du monde sinon extérieur à la société, du moins allant au-delà des stratégies locales ou sectorielles des acteurs individuels ou collectifs » (Muller, 2005 :161). L’analyse du référentiel constitue donc un outil au service de la compréhension de la mise en oeuvre des politiques publiques à l’échelle micro mais plus encore, permet de mettre à jour les grandes doctrines ou idéologies qui les sous-tendent à d’autres échelles territoriales. D’autre part, on s’efforce

239 de caractérisé la nature du changement des politiques publiques introduit avec l’intégration des enjeux liés au surf dans le cadre des politiques publiques sectorielles du tourisme, de l’action économique, des sports… Autrement dit, on se demande si ce changement de politique publique est de nature paradigmatique ou incrémentale (Muller, Surel, 1998).

On comprend, dès à présent, qu’en fonction de la hiérarchisation des enjeux retenue par les acteurs publics que l’on est pas en prise avec les mêmes projets touristiques, et donc pas en prise avec les mêmes procédures d’aménagement de l’espace. Le projet touristique constitue donc une fenêtre pour penser l’action publique. Dans ce contexte, c’est alors sur le « système politique », caractérisé « comme l’ensemble des institutions et des mécanismes à travers lesquels s’élaborent des choix publics, se prennent des décisions et s’opérationnalisent les actions qui en découlent » (Duran, [1999], 2010 :17), que se focalise notre recherche. En effet, l’analyse des politiques publiques en faveur du surf constitue une formidable porte d’entrée pour décrypter la manière dont les acteurs locaux, à partir des représentations d’une pratique sportive, déterminent leur projet territorial, voire bâtissent leur identité locale (Michon, Terret, 2004). Ainsi, on le comprend aisément, et en complément des hypothèses formulées par les membres de l’équipe MIT, le touriste n’est pas le seul producteur de lieux. « La transmutation touristique, c’est-à-dire le processus par lequel le tourisme tente de réaliser la ville idéale » (MIT, 2002 :243) n’est pas l’apanage des seuls touristes ! Loin s’en faut. Cette recherche poursuit donc le dessein de réhabiliter les acteurs locaux dans leurs compétences et prérogatives vis-à-vis du phénomène touristique, c’est-à-dire dans leurs capacités à produire des territoires touristiques et à impulser, et non plus seulement répondre, à une demande sociale. En revanche, avant même d’engager cette analyse, encore faut-il évoquer la structuration et la qualification des espaces touristiques sur lesquels se superposent les politiques publiques territorialisées accordant une place majeure au surf dans le cadre du projet touristique. En d’autres termes, sur quels types d’espaces s’orchestrent les grands bouleversements sociaux et spatiaux induits par l’accompagnement du surf par les pouvoirs publics ?

Les quelques pages qui complètent cette introduction présente la manière dont se structurent les territoires balnéaires des stations touristiques du littoral aquitain à l’aune de l’histoire sociale du tourisme. L’intérêt ne consiste pas tant à faire la démonstration des connaissances en la matière. L’intention est autre. Elle entend caractériser l’organisation des espaces urbains des stations touristiques du littoral aquitain, restituée sous forme de

240 modélisation cartographique (Figure 7), afin de mettre en évidence comment l’essor du surf transforme cette structuration et qualification spatiale. Par ailleurs, l’enjeu consiste également à appréhender la manière dont les acteurs de la force publique s’emparent du traitement de cette reconfiguration des espaces touristiques. Autrement dit, accompagnent- ils le surf, entendu comme élément de renforcement de l’offre touristique, de l’attractivité et de la structuration des territoires balnéaires aquitains ? Le cas échéant, comment les surfeurs vivent-ils cette appropriation socio-géographique du surf par les pouvoirs publics ? Manifestent-ils en retour des formes de contestations et de résistances face à cette institutionnalisation des territoires du surf ?

- Structuration et qualification des espaces urbains balnéaires : la mise en tourisme du littoral aquitain

« Les loisirs ont un cadre spatial » (Merlin, 2001 :17). Par ailleurs, les transformations sociales laissent à penser qu’à présent « nous sommes entrés dans l’âge adulte du rapport aux vacances et aux temps libres » (Viard, [2002], 2004 :104). Avec le passage aux trente cinq heures du temps de travail, ce sentiment s’exacerbe. Les loisirs occupent désormais une place prépondérante chez les individus même si la crise économique et la marchandisation de l’usage du temps libre menacent cette forme particulière de civilisation (Teboul, 2004). Les loisirs, entendus comme un mode d’occupation du temps laissé libre en marge de l’activité professionnelle et des obligations quotidiennes, constituent l’une des clefs de compréhension des sociétés occidentales contemporaines. Néanmoins, cette place des loisirs au cœur des pratiques sociales ne date pas d’aujourd’hui. Elle trouve ses racines au cours du XIX e siècle sous l’impulsion des élites anglaises, volontiers caractérisées comme une « classe des gens de loisirs » pour reprendre l’expression forgée par Stendhal. En effet, les élites cherchent, avant tout, à faire usage de leur temps libre de manière à se prémunir des ravages du spleen sur « l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis » (Baudelaire, 1857). Ces élites sont à l’origine de la révolution touristique et de la mise en tourisme des espaces balnéaires. Philippe Duhamel et Philippe Violier constatent même que c’est sur le littoral que le tourisme fut, en partie, créé (Duhamel, Violier, 2009 :39). Les élites forgent les « mythes fondateurs » de l’activité touristique sur le littoral aquitain et participent de la structuration spatiale des stations touristiques. En revanche, à compter des années quatre-vingt, l’investissement de nouveaux

241 espaces de pratique par les néo-sportifs bouleversent-il cette organisation spatiale touristique ? Comment répondre à cette question sans présenter, au préalable, la structuration des espaces urbains touristiques sur lesquels s’enracine la démocratisation du surf ?

À compter du XIX e siècle, les structures économiques, politiques, sociales et culturelles des sociétés occidentales sont profondément bouleversées. Dans ce contexte, le loisir tend à occuper une place de plus en plus prépondérante. Aujourd’hui défini comme « un ensemble d’occupations auxquelles l’individu peut s’adonner de plein gré, soit pour se reposer, soit pour se divertir, soit pour développer son information ou sa formation désintéressée, sa participation sociale volontaire ou sa libre capacité créatrice après s’être dégagé de ses obligations professionnelles, familiales et sociales » (Dumazedier, [1962], 1972 :28), le loisir est même présenté comme une caractéristique civilisationnelle des sociétés occidentales. Fondé par les élites, le loisir, est, à ses premières heures, jugé par beaucoup comme indispensable à l’épanouissement de l’individu, à la construction harmonieuse du sujet. La valorisation du temps disponible trouve écho dans l’idéologie d’un loisir cultivé. Erigé par la pensée des Lumières, le loisir cultivé « répond d’une volonté d’action, sous-jacente à la modernité, et de l’exaltation du travail productif par opposition au mépris de l’oisiveté » (Corbin, [1995], 2001 :56). Il sanctionne le désir de disponibilité afin d’autoriser l’attention à soi, l’expérience de soi, voire la révélation de soi. Plus encore, la disponibilité est un marqueur social et fonde le prestige. Ainsi, ces élites instaurent un modèle inédit d’usage du temps libre. Il se caractérise par des pratiques socio-spatiales spécifiques. À cet égard, le voyage, ou plus exactement le Grand Tour, constitue l’une des manifestations du loisir cultivé. Il est un usage symbolique de la disponibilité pour la culture du corps et de l’esprit pratiqué dans l’espoir d’acquérir la liberté, et la grandeur d’âme. Il invente une manière de regarder et, par conséquent, de vivre. Se sentir devenir être ailleurs donne un sentiment d’authenticité. Le voyage, ou plus exactement le Grand Tour, est aussi un « dispositif d’apprentissage international » et n’en demeure pas moins un mode de « préparation à l’occupation de positions de pouvoir » (Wagner, 2007, 60). Ainsi, les montagnes et l’océan focalisent les envies de départ. Des nouveaux systèmes d’appréciation des espaces naturels pèsent sur le voyage. La montagne, la mer, mais aussi la campagne, le désert, sont soumis à l’attente et aux rêves du voyageur. Instauré par les jeunes aristocrates anglais, il est ensuite imité, à la fin du XVIII e siècle et durant tout le XIX e siècle, par d’autres pays de l’Europe de l’Ouest notamment en France

242 et aux Pays-Bas. Par ailleurs, durant le XIX e de nouvelles représentations mentales à l’égard de la nature émergent donnant naissance à la fonction de villégiature. Dès lors, au cours du XIX e siècle, les séjours dans les villes d’eau se généralisent au sein des élites anglaises. Très vite, ces villes d’eaux anglaises ne tardent pas à devenir des lieux de loisirs et de luxe pour leurs fidèles. En effet, celles-ci offrent tous les raffinements des divertissements réservés aux classes supérieures dont la ville de Bath est la plus aboutie des illustrations.

Une translation des spatialités mondaines s’opère. La plage et le bord de mer, jusqu’alors véritables « territoires du vide », focalisent l’attrait des voyageurs et des vacanciers en proie au « désir de rivage » (Corbin, 1988). Ce renversement de valeur coïncide avec l’attrait nouveau pour une nature alors revisitée sur laquelle se porte un nouveau regard emprunt de romantisme. Cet enthousiasme pour l’océan est d’autant plus exacerbé que « le pouvoir des dogmes thérapeutiques est total, omniprésent, indiscutable, pour ne pas dire dictatorial » (Urbain, 2002 :145), au sein d’une élite qui craint ses désirs artificiels, ses langueurs, ses névroses. Se dessine alors le paradoxe sur lequel se fonde la mode de la plage. « La mer se fait recours, elle nourrit l’espoir parce qu’elle fait peur. En jouir, éprouver la terreur qu’elle inspire tout en désarment ses périls : telle est la stratégie de la villégiature maritime » (Corbin, [1988], 2000 :76). Ainsi, sous l’influence des Anglais, les stations balnéaires se constituent sur le modèle des villes d’eaux. La plage devient un espace où s’élaborent des mœurs et des coutumes spécifiques fondés sur les bains de mers (Urbain, 2002). Au cours du XVIII e siècle, la révolution touristique prend donc corps. Elle est contemporaine de la révolution industrielle britannique. « Prendre l’air » marque même l’avènement d’une « écologie corporelle » (Andrieu, 2009).

L’ensemble des découvertes inaugurées par les Anglais que sont le Grand Tour, les saisons thermales et les séjours balnéaires caractérisent cette révolution touristique. Ces inventions sont le fait d’une élite que Marc Boyer qualifie de « gate keepers » (Boyer, 1999). Le XIX e siècle est une période de diffusion des inventions élitistes du siècle précédent. Le temps des vacances s’enracine dans ce désir de l’ailleurs suscité, à l’aube des temps modernes, par la mélancolie et par le spleen. La ruée des vacanciers reproduit et amplifie tardivement cette fièvre de mobilité, qui, au XIX e siècle, accompagne au sein des élites l’exaltation de la circulation. La massification des pratiques se traduit par de nouvelles spatialités qui nécessitent l’aménagement des lieux touristiques. Durant le XIX e

243 siècle, les stations balnéaires du littoral aquitain deviennent des espaces de distinction sociale où s’inscrivent les pratiques socio-spatiales des élites européennes qui façonnent un paysage balnéaire et une entité touristique. Ce processus de mise en tourisme trouve donc ses racines dans l’idéologie du loisir cultivé, dans les revendications mondaines d’un temps pour soi, et dans les nouvelles représentations mentales à l’égard de la nature qui constituent les « mythes fondateurs » de l’activité touristique tels que les définis par Michel Chadefaud (1987 :20). Dans cette acception, le mythe est « une parole, un système de communication » (Barthes, 2001 :81). Ainsi, le « désir de rivage », qui se traduit par un processus de « balnéarisation » du littoral (Urbain, 2002 :123), participe de la construction des mythes fondateurs du tourisme. En effet, pour cerner l’identité des « balnéocrates » et leur importance historique, il faut d’abord saisir la signification symbolique de leur geste. Or, pour Jean-Didier Urbain, « ce geste inaugural, simple a priori, fissure en réalité une frontière psychologique et ne préfigure rien moins que la rupture culturelle propice au passage de la villégiature du bord de mer - qui reste sur le bord - à la villégiature balnéaire proprement dite - qui va au delà du bord - non sur l’eau mais dans l’eau » (Urbain, 2002 :124). Par ailleurs, « la mer et ses rivages, jusqu’au début du XVIII e siècle dédaignés au travers d’une chape d’images sur lesquelles se fonde la cohérence du faisceau de représentations répulsives, deviennent fascinants » (Corbin, [1988], 2000 :141). Ces espaces de nature se transforment en cadres privilégiés de la contemplation. Les romantiques renouvellent alors le sens et élargissent la portée de la balnéothérapie. Ils fournissent des modèles de contemplation ou plutôt de confrontation qui peu à peu disqualifient les figures antérieures de la jouissance du vent, du sable, de la mer (Corbin, [1988], 2000 :188).

Les mythes fondateurs du tourisme trouvent leurs expressions dans la création d’un produit touristique, c’est-à-dire « un système composé de trois éléments que sont l’hébergement, les transports et les loisir » (Chadefaud, 1988 :18). Le tourisme se développe alors durant le XIX e siècle. Il correspond à l’implantation et à la localisation dans l’espace des premiers éléments du couple mythe-produit. L’espace touristique se structure donc à partir de la corrélation entre les représentations mentales d’une clientèle potentielle et les offres matérielles. Sur le littoral aquitain, la première phase du développement touristique qui correspond à celle de création du produit, se caractérisent par l’arrivée des élites anglo-saxonnes pour lesquelles la douceur du climat tempéré, la proximité de la mer, le voisinage des montagnes sont les facteurs endogènes de leur

244 sédentarisation initialement hivernale. Cette sédentarisation se traduit par un ensemble de spatialités mondaines et de loisirs qui donnent au littoral aquitain son identité touristique. Ainsi, les nouveaux usages du temps libre trouvent leurs expressions dans l’idéologie d’un loisir cultivé et dans les évolutions des représentations mentales vis-à-vis de la nature. Les loisirs s’inscrivent alors dans un cadre spatial où s’exercent de nouvelles pratiques sociales, celles des élites qui revendiquent avec ostentation leur privilège à jouir de leurs temps libres. Une spatialité touristique émerge. Sont sacralisés des lieux par les membres de l’aristocratie. Ainsi, une théâtralité socio-spatiale s’organise. Elle repose sur le processus de distinction sociale, cher à Pierre Bourdieu, qui agit comme un véritable catalyseur du développement touristique. Ce processus de distinction sociale nourrit le désir des classes inférieures d’accéder, par « imitation capillaire » (Boyer, 2002 :105), aux usages du temps libre qu’exercent les élites. Pour conforter leur hégémonie culturelle, les élites pratiquent la dépense ostentatoire et produisent une spatialité des loisirs qui constitue l’essence même de la station balnéaire. Or, parmi ces espaces littoraux privilégiés, quelques stations balnéaires du littoral aquitain profitent d’une grande notoriété : Arcachon, Hossegor, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz. Durant la seconde moitié du XIX e siècle, le littoral aquitain connaît une véritable mutation de son organisation spatiale. Les petits ports de pêche se transforment en stations balnéaires. Ainsi, le tourisme et la villégiature, qui caractérisent les pratiques socio-spatiales des élites, sont les moteurs de ce changement et du succès des stations de la côte aquitaine. Ces changements profonds quant à la structuration spatiale des stations voient le jour grâce à l’intérêt porté aux bains de mer qui caractérisent cette volonté moderniste d’éprouver des sensations et qui trouvent leur légitimité dans le discours balnéothérapeutique forgé par les médecins.

Le rythme des saisons est désormais établi. Les rites d’utilisation des plages et de la promenade le long de la mer sont fixés. Quand débute la seconde moitié du XIX e siècle, certaines stations du littoral aquitain, dont Biarritz, comptent parmi les stations balnéaires renommées même si elle n’a pas encore le prestige des villégiatures normandes de la côte fleurie . La plage ne suffit plus à répondre aux attentes de la clientèle aristocratique 61 . Aussi, les localités s’équipent et donnent naissance à une urbanisation de loisir qui aboutie

61 En témoigne cette phrase attribuée à l’impératrice Eugénie quant à la manière dont celle-ci s’insurge contre le projet d’établir à Biarritz une maison pour le traitement des enfants scrofuleux : « Ce sera un repoussoir pour mon pauvre Biarritz. Il ne s’agit pas pour elle que Biarritz soit un endroit salutaire et très utile où les malades viennent chercher la santé, c’est un endroit où une certaine société doit venir s’installer pour tenir compagnie aux gens du château, pour partager ses plaisirs et y contribuer » (Laborde, 2001 :47).

245 à l’émergence d’un véritable espace touristique c’est-à-dire à l’intégration de « l’ensemble des structures matérielles fonctionnelles et des imaginaires spatiaux à la totalité de la dimension spatiale » (Chadefaud, 1987 :270). La spatialité balnéaire se satellise autour de trois édifices que sont les établissements de bains de mer, les casinos et les hôtels 62 . Outre la construction de ces infrastructures, l’augmentation de la fréquentation touristique impose de profonds bouleversements dans l’organisation spatiale des communes du littoral aquitain 63 . Une dynamique d’urbanisation s’opère. Elle se confond avec l’inscription spatiale des principaux investissements publics et privés à la fonction de villégiature. Des plans urbains voient le jour et ces projets urbains à caractère haussmanniens traduisent le souci d’embellissement, d’équipement, d’aération… affiché par les acteurs locaux. Ceux-ci optent pour l’aménagement de promenades en front de mer. Cette voirie, créée pour desservir les grands équipements collectifs, correspond aussi, au delà de sa fonctionnalité, à un ensemble de promenades et de surfaces propices à la déambulation et à la sociabilité, en position de belvédère face au spectacle de la mer. Les municipalités sont très présentes dans le développement urbain. Cependant, celles-ci n’assurent pas la maîtrise du foncier et l’extension spatiale des villes s’opère au coup par coup, de façon incohérente tant sur le plan des implantations que sur celui de l’esthétique. En effet, toutes les imposantes villas dégagent une symbolique de domination de classe et sont créées à l’initiative de grands personnages et d’une bourgeoisie locale qui, par mimétisme, adopte un habitat qui la différencie du commun. « Cette phase d’urbanisation du littoral aquitain se caractérise par l’arrivée de sociétés anonymes exogènes qui génèrent une rupture avec le système d’investissement touristique original et fortement endogène » (Chadefaud. 1987 :721). Cette période qui court du Second Empire au premier conflit mondial façonne l’identité de l’espace touristique de la côte aquitaine. Une identité spatiale qui trouve son expression dans la création de paysages urbains balnéaires ainsi que dans l’émergence d’un loisir sportif, vecteur de spatialités annexes.

62 En 1846, en séjour à Biarritz, Victor Hugo, anticipe le processus d’urbanisation de loisir dont la ville de Biarritz fera l’objet en affirmant : « Je ne sache pas d’endroit plus charmant et plus magnifique que Biarritz. Biarritz est un village tout blanc à toits roux et à contrevents verts posé sur des croupes de gazon et de bruyères dont il suit les ondulations. Somme toute, avec sa population cordiale, ses jolies maisons blanches, ses larges dunes, son sable fin, ses grottes énormes, sa mer superbe, Biarritz est un lieu admirable. Je n’ai qu’une peur, c’est qu’il devienne à la mode. Déjà l’on vient de Madrid, bientôt on viendra de Paris. Alors, Biarritz ce village si agreste, si rustique et si honnête encore, sera pris du mauvais appétit de l’argent. Bientôt, Biarritz mettra des peupliers sur ses mornes, des rampes à ses dunes, des escaliers à ses précipices, des kiosques à ses rochers, des bancs à ses grottes. Alors Biarritz ne sera plus Biarritz ; ce sera quelque chose de décoloré et de bâtard comme Dieppe et Ostende ». (Laborde, 2001 :209). 63 À ce sujet, consulter le numéro thématique de Sud-Ouest Européen intitulé « Tourisme et littoral aquitain », n°1, 1998.

246

Le sport occupe, sous l’impulsion des anglais, une place prépondérante. Les britanniques introduisent de nouvelles pratiques sportives comme le golf, le tennis, le hippisme. Pour les élites, le sport a pour fonction d’exorciser la menace de la passivité et de l’oisiveté. Il revêt un sens social, la perspective avouée est de créer un loisir efficace (Vigarello, [1995], 2001 :192). Des clubs, des associations sportives se constituent et deviennent des espaces de sociabilité mondaine. D’un point de vue spatial, ces pratiques sportives se traduisent par la création de nombreuses infrastructures telles que les golfs, les hippodromes, les bowlings, les piscines, les ports de plaisance, les frontons… Jusqu’au premier conflit mondial, le littoral aquitain jouit d’une grande réputation. Les élites, par leurs usages des temps libres, façonnent l’espace touristique. Les modèles biarrot ou arcachonnais font école et se diffusent aux autres communes qui adoptent le même type d’organisation afin de bénéficier des retombées économiques engendrées par le tourisme. Une entité touristique prend corps : la côte aquitaine, composée d’une succession de stations balnéaires comprises entre la pointe de grave au nord et l’embouchure de la Bidassoa au sud. Au cours du XIX e siècle, les villes touristiques du littoral aquitain connaissent un développement touristique sans précédent dont Biarritz, Hossegor et Arcachon, symbolisent la dynamique. Elles s’organisent en fonction d’équipements collectifs, créateurs d’une centralité et de structures d’accueil que sont les hôtels. La fonction de villégiature, associée à une nécessité de parcs publics et privés, de promenades, d’équipements de loisirs sportifs, entraîne une boulimie d’espaces. Quant au traitement urbain de la Nature, il obéit à une même intentionnalité : ménager une transition entre une Nature recomposée et des espaces littoraux à caractère sauvage. Le tourisme structure alors un paysage balnéaire, fruit de l’urbanisation de loisir et de la fonction de villégiature, miroir du désir de distinction architecturale affiché par les élites dont la côte basque offre une formidable étude de cas.

La classe des gens de loisirs influence donc, non seulement l’urbanisation de loisir, mais également la production architecturale qui la constitue. Les élites, fortes de leur hégémonie culturelle et de leurs capacités à jouir de leurs temps libres, forgent une spatialité balnéaire relativement homogène sur la côte basque articulée autour de structures fonctionnelles composées des établissements de bains, des casinos, des palaces, des villas, et des infrastructures sportives. Ces paysages urbains balnéaires sont désormais protégés par de nombreuses collectivités locales dans le cadre de la gestion du développement

247 urbain. Celles-ci y voient, à travers la mise en place de règlements d’urbanisme et préconisations architecturales, la possibilité de renforcer leur identité touristique en jouant également sur la régulation de la pression foncière très forte sur certaines portions du littoral aquitain. Ces politiques publiques locales marquent le souci de certains élus de protéger l’histoire de l’urbanisation balnéaire et de valoriser le patrimoine architectural.

La valorisation urbaine des espaces touristiques à caractère historique

Instaurée par la loi de décentralisation du 7 janvier 1983, la création d’une Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP) répond d’une volonté municipale de valorisation patrimoniale. La lecture du compte-rendu du conseil municipal de Saint-Jean-de-Luz du 1 er juin 2007 offre un éclairage sur les intentions politiques du projet. L’adjoint au Maire, délégué à l’urbanisme, affirme que « la commune de Saint-Jean-de-Luz dispose d’un patrimoine historique riche et varié qui constitue le fondement de son identité. Afin de préserver ce patrimoine, la totalité de la vieille ville a été couverte par des périmètres de protection des abords des monuments historiques. Cependant, la richesse architecturale et paysagère de la ville n’est pas entièrement contenue dans ce secteur et certains quartiers périurbains abritent des villas des années 1920-1930 dont l’architecture ou les jardins sont remarquables. Si l’on n’y prend garde dès aujourd’hui, cette très belle qualité architecturale, urbaine et paysagère, risque d’être dégradée par la pression foncière toujours plus présente sur la côte basque64 ».

La mise en place d’une ZPPAUP témoigne de la volonté de préservation d’une identité urbaine et paysagère en limitant la pression foncière. Dans le cas présent, le patrimoine bâti est un héritage de l’histoire du développement touristique. Le magazine d’informations municipales de la ville de Saint-Jean-de-Luz précise « qu’au delà de la remarquable ville ancienne, Saint-Jean-de-Luz est constituée de quartiers créés à la fin du XIX e siècle et au début du XX e siècle lors du développement de la ville balnéaire 65 ». Cependant, la mise en place d’une ZPPAUP est une procédure de gestion urbanistique complexe. Elle requiert une révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU) et le lancement d’une enquête publique. Associant les services déconcentrés de l’État et plus particulièrement les agents du Ministère de la Culture représentés par les Architectes des Bâtiments de France, l’élaboration d’une ZPPAUP se traduit par la rédaction d’un cadre réglementaire en matière d’urbanisme. La loi grenelle 2 du 10 juillet 2010, institue les Aires de Mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine (AMVAP) qui remplacent les ZPPAUP. Sur le littoral aquitain, nombreuses sont les municipalités qui se sont emparées de la procédure ZPPAUP pour définir leur politique d’aménagement urbain et paysager. En effet, sans être exhaustif, les communes de Soulac-sur-Mer, de Soorts-Hossegor, de Biarritz, de Ciboure et de Guéthary se sont dotées de ZPPAUP 66 .

64 Compte-rendu du conseil municipal de Saint-Jean-de-Luz du 1 er juin 2007. p 28-29. 65 Berriak . Magazine d’informations municipales de la ville de Saint-Jean-de-Luz, n°56, décembre 2009, p 8. 66 Source. Ministère de la Culture. « ZPPAUP créées au 30 septembre 2008 », 18 p.

248 Ce détour par l’intégration des procédures de ZPPAUP dans le cadre du traitement de l’espace urbain balnéaire n’est pas anodin. L’objectif est d’illustrer le fait que le surf ne constitue pas le moteur essentiel et hégémonique des réflexions municipales en matière de gestion, de traitement et de qualification des espaces urbains balnéaires. L’aménagement des espaces des stations touristiques du littoral aquitain n’est donc pas exclusivement pensé à partir de l’intégration du surf dans le processus d’urbanisation comme le laisse à penser certaines publications (Augustin, 1994, 2010). Par conséquent, on voit, dès l’introduction de cette seconde partie, que la mobilisation du surf dans le cadre des politiques publiques pose la question de la nature du changement qu’instaure cette prise en charge du surf dans l’action publique. Est-on en prise avec un changement d’ordre paradigmatique ou de nature incrémentale ?

En revanche, durant l’entre-deux-guerres une mutation s’amorce. Les profonds changements qui la caractérisent bouleversent l’organisation socio-spatiale de la côte aquitaine. Une nouvelle ère de développement touristique se dessine. Elle se traduit par l’accès aux loisirs des classes populaires et par l’essor des pratiques sportives. Ces nouveaux touristes qui adoptent la côte aquitaine comme espace de vacances imposent de nouveaux modes de pratiques touristiques. De nouvelles structures d’accueil comme les campings, les colonies de vacances, au sein desquelles se développent les activités sportives et de loisirs de plein air, s’édifient (Rauch, 1996). Ces pratiques touristiques se fondent sur de nouveaux paradigmes à l’encontre des temps libres et s’inscrivent dans l’enthousiasme collectif porté, en autres, par les mouvements d’éducation populaire (Morvan, 2011). Le temps libre est désormais considéré comme un temps gagné et épargné sur le travail. En France, à l’heure où les classes bourgeoises et prolétariennes accèdent aux loisirs, un homme politique voit à travers le sport un outil à la mise en œuvre de son plan de réforme de l’éducation. Il traduit la volonté d’une réforme sociale inscrite dans une dynamique de stabilité politique et de paix sociale. Des fédérations se constituent pour promouvoir la pratique. Les équipements sportifs s’intègrent aux procédures d’urbanisation. En 1929 Le Corbusier affirme même que : « le sport n’a pas précisément pour but de fournir des équipes dans les matchs internationaux, mais a pour mission d’être la contrepartie inséparable de l’industrialisation moderne » (Cité in Augustin, 1995 :159). Ainsi, les municipalités de la côte aquitaine relayent les initiatives privées en matière de développement sportif. Ces politiques municipales sont liées à l’évolution des conceptions

249 de l’urbanisme qui posent des principes d’organisation intégrant les installations sportives dans les plans d’ensemble.

Le Front Populaire, sous l’impulsion de Léon Blum, engage alors une politique visant à permettre l’accès au sport à tout un chacun. Le 4 juin 1936, Léon Blum appelle Léo Lagrange au sous-secrétariat des Loisirs et des Sports rattaché au Ministère de la Santé Publique dirigé par Henri Sellier. Fort de ses responsabilités ministérielles, Léo Lagrange pose les grands principes de sa politique : « L’État doit être un guide pour l’utilisation des loisirs et pour le développement, sur le plan individuel et sur le plan social, de la santé et de la culture » (Cité in Callède, 2000 :54). Il crée un Conseil Supérieur des Sports au sein duquel sont représentées toutes les associations. Une importante politique de développement d’infrastructures sportives est lancée. Les activités de plein air encadrées par les auberges de jeunesses, créées en 1929 par Marc Sangnier, et les colonies de vacances se démocratisent. Cette politique s’ancre au cœur d’avancées sociales. Les ouvriers accèdent aux congés payés. Par les vacances, la classe ouvrière entre donc dans l’ère des loisirs. Cependant, l’idée primitive selon laquelle les vacances sont une récompense pour le travail effectué pendant l’année précédente disparaît. Les vacances garanties sont à présent ressenties comme nécessaires au travailleur pour maintenir sa force de travail. Les congés deviennent nécessaires, non seulement dans l’intérêt de leurs bénéficiaires, mais également dans l’intérêt de la communauté populaire. Ils sont considérés comme un temps privilégié d’éducation du peuple. Le temps libre ne doit pas simplement être occupé, mais il doit par ailleurs être encadré. C’est précisément ce rôle qui est attribué aux infrastructures telles que les auberges de jeunesses ou les colonies de vacances. Ces conditions concourent à l’apparition du ministère de la jeunesse et des sports (Heluwaert, 2002).

Ainsi, à compter des années 1936, la généralisation des congés payés et l’émergence de la « sportivation de la société » introduisent sur le littoral aquitain une véritable mutation identitaire de la villégiature balnéaire (Augustin, 2002 :136). En effet, avec la généralisation des vacances pour tous, un nouveau type d’organisation touristique prend forme au sein duquel le sport tient une place prépondérante. « Cette mutation touche notamment à la personnalité du baigneur. Elle suppose un renversement psychologique total du concept de séjour littoral, qui n’est plus conçu désormais, avec les impératifs thérapeutiques et mondains qui le justifiaient initialement, comme un simple prolongement

250 de l’univers social jusqu’à l’écume et au delà, mais comme un autre monde ou, plus précisément, un véritable contre-monde, opposé aux normes de sociabilités intérieures. En fait, un monde en rupture, valorisant explicitement l’inversion et, du moins en apparence, la dénégation des interdits, inégalités et autres comportements obligés et contraints induits par la société urbaine » (Urbain, 2002 :191). Ces nouveaux usages de l’océan préfigurent déjà la « balnéarité » de loisir de masse de l’après-guerre. Aussi, à l’orée du deuxième conflit mondial de nouvelles spatialités littorales s’organisent sur la côte aquitaine. Les hôtels de luxe cèdent la place aux campings et aux auberges de jeunesses, les équipements sportifs participent de plus en plus de la structuration territoriale, la villégiature mondaine s’effondre et « une certaine forme de banalisation des sites s’opère comme si tout l’espace devenait potentiellement touristique » (Chadefaud, 1987 :722). À la sortie du second conflit mondial, l’ensemble des gouvernements successifs s’efforcent de promouvoir ces politiques publiques en faveur des temps de loisirs (Vlès, 2011b). L’État encourage la multiplication des équipements sportifs (Callède, 2000), accompagne le tissu associatif et les réseaux d’éducation populaire (Mignon, 2007 ; Tétard, [2007], 2010), la promotion du tourisme social (Greffier, 2008), démocratise l’accès aux pratiques sportives et culturelles, impulse les grandes procédures d’aménagement touristique… La promotion des temps de loisirs et l’accès pour tous aux loisirs entendus comme un outil de transformation sociale, constituent donc le référentiel des politiques publiques en faveur des loisirs. Les ministres successifs de la jeunesse et des sports sont chargés de promouvoir ces orientations politiques dans le domaine des activités de jeunesse, d’éducation populaire, d’animation culturelle et de loisirs, de mise en équipement des territoires.

L’intervention de l’État se précise sous la quatrième République qui, dès ses débuts, s’engage dans une perspective de reconstruction nationale devant permettre de rétablir le potentiel économique et d’accompagner la progression démographique. Ainsi, ces temps immédiats d’après-guerre s’accompagnent d’une grande mobilisation collective autour des questions de la jeunesse, du sport, de l’éducation populaire et du plein air, mais ce n’est que sous la cinquième République que les opérations en matière d’équipements sportifs du territoire national se concrétisent. Sous l’impulsion de Maurice Herzog, nommé haut commissaire à la Jeunesse et aux Sports en septembre 1958, l’État devient maître d’œuvre et intervient massivement dans la conception, la production, et l’édification des équipements sportifs. Cette mise en équipements sportifs du territoire nationale répond également de la doctrine en matière d’aménagement du territoire portée par la DATAR.

251 L’offre de l’État oriente celle des collectivités locales et ce système, poussé à son paroxysme, répond du souci de faire face à la montée des jeunes et à l’urbanisation. Maurice Herzog se propose d’intervenir dans trois domaines considérés comme étant interdépendants les uns des autres : le sport de masse, le sport d’élite et le sport scolaire. La forme d’intervention privilégiée par Maurice Herzog pour asseoir l’unité et la légitimité du sport s’appuie sur une politique où le référentiel normatif se décompose en trois : « le référentiel global (normes qui structurent l’action gouvernementale), le référentiel sectoriel (relatif au sport) et les éléments de la transaction (qui permet d’articuler et d’intégrer les deux niveaux définis) » (Callède, 2002 :450). Les municipalités construisent les équipements sportifs alors que les clubs proposent le code culturel. Ainsi, l’action sportive locale est un dispositif relativement équilibré. Elle s’inscrit dans une logique contractuelle, permettant de développer un service public arbitré par la puissance politico- administrative de l’État.

Dans ce contexte, « une nouvelle conception et commercialisation des services sportifs voient le jour engendrant des relations avec d’autres domaines, tels que les loisirs et le tourisme » (Pigeassou, 1997 :15). L’avènement d’une civilisation des loisirs sportifs est lié à la progression des migrations touristiques et à l’attrait généralisé à l’encontre des littoraux et de la montagne ainsi qu’à la volonté de vacances sportives prônées par la société. La mer n’est alors plus seulement un décor, elle devient un partenaire pour les activités physiques et sportives. Dès lors, l’État et les régions adoptent plusieurs orientations pour « équiper le littoral et la montagne afin d’asseoir le potentiel touristico- sportif du pays » (Augustin, 1995 :182). On assiste à l’émergence d’un tourisme sportif qui se caractérise par « des contours flous et aux limites en cours d’identification, [ainsi que par] la variété des métiers et des produits qui le constituent » mais dont les retombés génèrent de la valeur socio-économique (Bouchet, Bouhaouala, 2009 :3)

Le 20 octobre 1967, une Mission Interministérielle de l’Aménagement de la Côte Aquitaine (MIACA) est créée par décret ministériel afin de coordonner le développement touristique du littoral aquitain. L’objectif de la MIACA est de favoriser l’aménagement côtier en évitant une extension inconsidérée et anarchique du tourisme à caractère sportif. Les principes d’aménagements et les choix des mécanismes opérationnels retenus répondent à certaines exigences. Il s’agit alors de concentrer les équipements touristiques dans des secteurs très limités (Unité Principales d’Aménagement – UPA) et de réaliser un

252 programme de génie sanitaire par la création de réserves naturelles classées (Secteurs d’Équilibre Naturel - SEN). Un schéma directeur intégrant ces principes d’aménagements est approuvé par le gouvernement en 1972 (Vlès, 2003). À l’heure actuelle, les aménagements préconisés dans le cadre de la MIACA sont toujours plébiscités, non sans une certaine autosatisfaction, par les services de l’État. Au regard des enjeux du territoire aquitain qui relèvent d’une acuité particulière sur le littoral et le massif forestier des landes de Gascogne, la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement préconise l’élaboration d’une Directive Territoriale d’Aménagement et de Développement Durable (DTADD) afin de garantir les fonctions environnementales, économiques et sociales de ces territoires dans une perspective de développement durable. Une note d’intention rédigée le 17 août 2011 par la préfecture de la Région Aquitaine 67 précise l’intérêt de ce nouvel outil de gestion territoriale, rappelle les enjeux de la démarche animée par la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), délimite le périmètre de l’étude, décline les plus-values de la DTADD vis-à-vis des autres dispositifs existants et présente la gouvernance comme pierre angulaire du succès de cette démarche. Ce document présente les enjeux que sont l’importance du massif forestier, la gestion du trait de côte, les incidences du corridor européen des transports terrestres, l’intégration des installations stratégiques de l’État, l’articulation entre l’objectif national de développement millionnaire de la métropole régional et de son hinterland. Par ailleurs, au-delà des enjeux relevant d’un intérêt national, la note d’intention précise également quels sont les enjeux à une échelle territoriale plus restreinte. Il est mis en lumière que s’exerce une pression démographique sur l’espace littoral le moins artificialisé de France métropolitaine, que le patrimoine naturel, paysager et culturel arrière dunaire est méconnu et sous-exploité sur le plan touristique, et que l’espace littoral est pris en tenaille entre deux risques naturels majeurs que sont l’incendie de forêt et la submersion marine. Dans ce contexte, la note précise que « la faible artificialisation du littoral aquitain représente “une singularité” nationale évidemment liée à l’héritage de la MIACA » et qu’il convient alors de « qualifier les espaces patrimoniaux naturels, culturel et paysagers du littoral et de l’espace arrière dunaire, de mettre en cohérence leurs modes de protection, d’organiser leur mise en valeur touristique récréative et pédagogique, et les prendre en compte dans la stratégie à adopter face au recul du trait de côte ».

67 Préfet de la région Aquitaine. Note d’intentions pour une Directive territoriale d’aménagement et de développement durable du littoral aquitain et du massif des landes de Gascogne. 17 août 2011, 16 p.

253

Par ailleurs, La MIACA donne la priorité au loisir social à travers le choix de programmes et des opérateurs (organismes HLM, VVF, UCPA, CAF…) invités à créer des villages de vacances et des hébergements de plein air (Merlin, 2001 :130). À l’échelle du littoral basque, un schéma d’aménagement est élaboré pour la basse vallée de l’Adour et la côte basque où ces grands principes d’aménagements et d’action sociale en matière de développement touristique sont repris. Par conséquent, au début des années quatre-vingt, la côte aquitaine constitue donc « un système touristique où la nature et le fonctionnement des interrelations et des rétroactions entre les éléments et les partenaires du tourisme, c’est-à-dire les sites naturels, les conditions climatiques, les attractions et les équipements, les hébergements, les transports, la mise en marché, les professionnels, la situation sociopolitique, les espaces visités, l’état de l’environnement, l’orientation des politiques et des stratégies nationales ou locales… participent de sa structuration » (Dewailly, Flament, 2000 :9). En outre, la côte aquitaine se compose d’un chapelet de stations touristiques qui s’égrènent du nord au sud et dont Biarritz, Hossegor ou Arcachon et illustrent la diachronie de leur structuration urbaine. Ces stations touristiques structurées initialement par des usages mondains du temps libre ont connu de profonds bouleversements avec l’effondrement du tourisme élitiste, l’émergence d’un loisir sportif de masse et la promotion étatique d’un tourisme social (Greffier, 2010) aujourd’hui loin d’être encore d’actualité (Falaix, 2012b). Autant de facteurs qui ont engendré une structuration de l’espace touristique où différents modèles d’organisation se superposent. La modélisation de l’organisation spatiale et des dynamiques territoriales des stations balnéaires de la côte aquitaine avant la démocratisation du surf est présentée ci-après. Elle illustre la stratification des logiques socio-spatiales de la mise en tourisme de cette portion littorale. Ce détour pour examiner l’histoire de la mise en tourisme du littoral aquitain s’imposait pour comprendre sur quels types d’espace s’enracine le surf et dans quelles mesures cette intégration sociospatiale du surf bouleverse l’organisation territoriales de ces stations balnéaires en Aquitaine.

254 Figure 7 : Modélisation de l’organisation spatiale et des dynamiques territoriales des stations littorales de la côte aquitaine avant la démocratisation du surf

Nord Secteur d’Équilibre Naturel - SEN

Océan Atlantique

Vers l’hinterland et les centres- bourgs

Unité Principale d’Aménagement - UPA

Secteur d’Équilibre Naturel - SEN

©Ludovic Falaix, 2012

255

Légende Modélisation de l’organisation spatiale et des dynamiques territoriales des stations littorales de la cote aquitaine avant la démocratisation du surf

Organisation spatiale des stations littorales Équipements et Infrastructures

Cœur historique et Réseau routier principal ludomarchand : restaurants, (Autoroute – Route Nationale) commerces, hôtellerie… Réseau routier secondaire Espace résidentiel : mixité de l’habitat permanant et Camping et Hôtellerie de plein secondaire air

Zone artisanale et/ou Infrastructures du tourisme Industrielle social : centre de vacances, auberge de jeunesse, ens embles collectifs, VVF, UCPA… Espace rural mité Equipements sportifs traditionnels : golf, parcours Espace naturel protégé : sportifs, tennis, hippodrome, maîtrise foncière publique arènes, fronton… (ONF, Conservatoire du Littoral, communes…) Centre de thalassothérapie ou de remise en forme Espace rural (forestier et/ou agricole) Casino

Front de mer aménagé : piste Patrimoine architectural et cyclable, espace p iétonnier… paysager - Marqueur de l’histoire du tourisme Frontière SEN / UPA instaurée par la MIACA Parking

Espaces balnéaires Dynamiques Territoriales

Zone de baignade surveillée et réglementée Mitage de l’espace rural

Plage aménagée – Sociabilité « plagique » institutionnalisée : bains de mer, jeux de Mobilités : recherche d’une plage traditionnels (volley, cerf -volant, plus faible densité clubs pour enfants…) d’occupation des plages

Pla ge non-aménagée – Sociabilité « plagique » marginalisée : naturisme, ZPPAUP : établissements de baignade non -surveillée… bains de mer, vil las aristocratiques, parcs urbains, Poste de secours et de surveillance édifices religieux...

©Ludovic Falaix, 2012

256

À l’orée des années quatre-vingt, la côte aquitaine dispose d’un produit touristique diversifié, hérité d’un long développement touristique où « matière touristique naturelle et artificielle 68 » structurent l’espace touristique (Dewailly, Flament, 2000 :23). En revanche, à partir des années quatre-vingt, un nouveau mode de sport loisir prend corps. L’essor de ces pratiques sportives et récréatives avant tout individuelles, qui utilisent les milieux naturels comme support, bouleverse-t-il l’organisation et la structuration du système touristique du littoral aquitain fondé sur l’activité balnéaire ? Certains auteurs évoquent alors volontiers le terme de « tourisme sportif » pour caractériser « l’extension du sport aux activités de loisirs sportifs et la nécessité du tourisme de développer des produits complémentaires aux services de base du tourisme » (Pigeassou, 2004). Quels sont les impacts du développement des sports de nature sur l’organisation spatiale des stations touristiques du littoral aquitain ? Ces activités sont-elles encouragées par les pouvoirs publics à tel point que le sport devient tant une affaire publique, qu’une affaire de territoire (Debarbieux, 2000) ? Le cas échéant, quelles sont les modalités de cet accompagnement ? Assiste-t-on à une forme d’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics ? Comment est ressentie cette forme d’appropriation par les surfeurs ? Manifestent- ils des formes de résistances et de contestations ? Quelles sont les expressions géographiques de ces résistances et contestations ?

Dans cette seconde partie, on revient donc dans un quatrième chapitre sur la naissance puis la démocratisation et la médiatisation du surf sur le littoral aquitain. Ce chapitre explore, dans une perspective historique, l’essor du surf mais également la dimension sociologique des surfeurs et le processus de réhabilitation de leur image dans les médias. Un cinquième chapitre présente comment les pouvoirs publics, à l’aune de cette réhabilitation de l’image des surfeurs, s’emparent du surf dans le cadre de leurs projets de développement local. Ce chapitre présente l’institutionnalisation des territoires du surf. Il s’appuie sur une étude de cas, celle du Conseil général des Landes, et présente la place du surf dans la déclinaison d’une politique publique en faveur des sports de nature. Le sixième et dernier chapitre examine comment les surfeurs ressentent cette institutionnalisation des territoires du surf. Il met en lumière le fait que certains surfeurs se sentent dépossédés de

257 leurs espaces de pratiques, dont on a mis en exergue leur caractère ontologique, et qu’ils adoptent, en réaction face à ce ressenti, des résistances et des contestations qu’il s’agit de présenter.

68 « La matière touristique naturelle concerne des réalités, telles que les éléments naturels, qui pèsent d’un grand poids dans le tourisme, soit comme support ou condition des pratiques touristiques, soit comme composante du produit touristique. Quant à la matière touristique artificielle, il s’agit des aménagements et des équipements qui, édifiés ou non à l’intention des touristes, n’en constituent pas moins une offre majeure pour l’attraction de ces derniers » (Dewailly, Flament, 2000 :23).

258 CHAPITRE 4

LE SURF EN AQUITAINE : APPROCHE HISTORIQUE, SOCIOLOGIQUE ET MÉDIATIQUE

« Partout le surf a déjà remplacé les vieux sports »

Gilles Deleuze, Pourparlers 1972-1990, 1990.

Les sports de pleine nature se développent à partir des années soixante dix. Apanage de quelques initiées à la recherche de sensations extrêmes, les sports de nature sont désormais pratiqués par de plus en plus d’adeptes. Les chiffres communiqués en 2006 par le Ministère des Sports 69 parlent de plus de deux millions et demi de licenciés au sein des fédérations dites « sports de nature ». Au-delà des licenciés, le même bulletin, édité par le Ministère des Sports, rapporte « qu’un tiers des français de plus de quinze ans pratique les sports de nature [… et qu’ils sont] aujourd’hui un fait majeur de nos sociétés ». Le rapport établi en 2002 par le Conseil National des Activités Physiques et Sportive (CNAPS) précise même que « les sports de nature, véritables phénomènes des sociétés d’aujourd’hui, représentent une composante essentielle des politiques publiques d’aménagement et de développement des territoires 70 ». Dans les Landes, les sports de nature constitueraient « un axe majeur de la politique sportive du Département 71 ». Le surf n’est pas en reste. Il fait l’objet d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics aquitain. Néanmoins, avant même d’évoquer la manière dont le surf bouleverse l’organisation spatiale et sociale des stations touristiques du littoral aquitain, ce chapitre propose d’examiner l’histoire de cette discipline sur cette portion littorale et d’appréhender

69 Ministère des Sports. Stat-Info. Bulletin de statistiques et d’Etudes , n°08-01, avril 2008. 8 p. 70 CNAPS, rapport au ministre des sports portant sur le bilan et les perspectives de développement des sports de nature, « Les sports de nature pour un développement durable ». 122 p. 71 Xlandes magazine , n° 16, avril 2011. p 12.

259 la dimension sociologique des pratiquants ainsi que le traitement médiatique dont ils sont l’objet.

Cela dit, avant même d’être importé sur nos côtes, les origines du surf méritent d’être évoquées même si tous les auteurs ayant consacré des recherches liées à l’histoire du surf s’accordent pour reconnaître le manque d’informations ethnographiques et sociologiques quant à la naissance du surf. Ce rappel des origines du surf et des rites, coutumes et mœurs associés permet de saisir la résurgence actuelle des valeurs sociohistoriques à présent mobilisées à des fins de construction identitaire.

Il est probable que le culte de la mer soit profondément enraciné dans la civilisation des îles polynésiennes et plus particulièrement des îles Hawaï. En effet, le surf se pratique à travers le Pacifique sud bien avant l’arrivée des européens, mais nulle part le phénomène ne prend autant d’importance que dans les îles Hawaï. Celles-ci offrent une diversité de vagues sans équivalent. Très vite cette civilisation hawaïenne s’adapte à son environnement en inventant des façons originales de vivre avec l’océan. Chefs, hommes, femmes et enfants pratiquent ce sport à l’aide de planches fabriquées avec du bois. Les fabrications des olos (planches réservées aux chefs conçues à partir du bois wiliwili ) et des alaia (planches des gens du peuple élaborées avec le bois de koa moins noble) sont accompagnées de rites et de prières afin de consacrer l’engin de glisse avant son expérimentation. Le surf contribue donc à socialiser les individus entre eux, et participe à la distinction sociale au sein des communautés. Plus qu’un sport, le surf est un véritable mode de vie dans l’archipel des îles Sandwich 72 .

En 1778, le capitaine James Cook s’engage sur le navire Résolution dans l’océan Pacifique avec l’espoir de découvrir un passage vers l’Atlantique. Il découvre alors avec ses hommes d’équipage l’archipel polynésien qu’il décide de baptiser îles Sandwich en hommage au lord amiral de sa flotte. Le capitaine raconte qu’il ne pouvait s’empêcher de penser que ces hommes devaient ressentir un plaisir infini à glisser si vite et si régulièrement sur l’eau en admirant les premiers indigènes rencontrés sur les rivages hawaïens (Brown, Kampion, 1998 :32). Cependant, l’arrivée de l’homme blanc s’accompagne d’un certain nombre de nouveautés : le métal, les armes à feu, les maladies

72 Avant de prendre le nom d’Hawaï, l’archipel polynésien portait ce nom.

260 vénériennes, l’alcool et le christianisme. La boite de Pandore s’ouvre. En 1890, la population hawaïenne est réduite à trente ou quarante mille habitants dont la plupart sont en état de choc. La disparition du surf va de pair avec la débâcle de l’ordre ancien. Au tournant du dix-neuvième siècle les îles deviennent territoire des États-Unis. Seules sur l’île d’Oahu subsistent quelques tribus de surfeurs indigènes rassemblés sur les spots de la plage de Waikiki. Devenu territoire américain en 1900, les touristes fortunés arrivent du continent. Ils sont très vite attirés par les pratiques nautiques des hawaïens. Jack London, célèbre romancier, débarque sur l’île d’Oahu, à Honolulu en 1907 où il fait une description enthousiaste des surfeurs locaux. Sur l’île, le romancier tisse des liens avec deux personnalités : l’homme d’affaire Hume Ford et un athlète local George Freeth. Dès lors, Ford décide de créer la première institution officiellement chargée de promouvoir ce sport : le Outrigger canoe and club composé de membres haoles (hommes blancs en hawaïen). Dans le même temps un autre groupe de surfeurs, nageurs, et rameurs fondent le Huihalu (surfer ensemble), un club de surf, dont les membres sont pour l’essentiel hawaïens.

Parallèlement en 1907 en Californie, un puissant industriel, Archer Milton Huntington, invite George Freeth, qualifié par ses pairs de meilleur surfeur de Waikiki, à l’inauguration d’une liaison ferroviaire entre Los Angeles et Redondo beach afin que celui- ci participe à une démonstration des sports pratiqués à Hawaï devant des milliers de curieux. Relayé par la publicité, les médias et les articles de Jack London, l’événement marque la naissance du surf moderne. Devant l’afflux des touristes étrangers présents sur l’archipel, les camarades de George Freeth ne tardent pas à être recrutés pour inculquer aux nouveaux venus les rudiments des connaissances des vagues et du surf. Parmi ces beach- boys, l’un d’eux, Duke Kahanamoku devient l’ambassadeur du sport préféré des rois d’Hawaï. Champion olympique de natation aux jeux de Stockholm en 1912 sur la distance reine, à savoir le cent mètres nage libre, il jouit d’un prestige sans précédent. Reçu comme un souverain, il se produit aux États-Unis et en Australie où il suscite de nouvelles vocations de surfeurs éberlués devant de telles prestations sur les vagues.

Dans les années vingt le surf connaît un large succès, et la population des jeunes beach boys ne cesse de croître pour répondre à la demande accrue des touristes et célébrités venues goûter aux joies du surf. Les innovations techniques sont également au goût du jour. Tom Blake, un jeune américain, a l’idée d’une planche plus creuse, plus

261 légère et plus maniable : la hallow board (la planche sacrée). En Californie aussi, les plages de San Onofre et de Malibu sont les théâtres de l’esprit « aloha » (littéralement alo signifie expérience et ha souffle de vie), où les stars d’Hollywood s’adonnent au surf. D’autres innovations quant à la fabrication des planches sont réalisées jusqu’au début du second conflit mondial. L’avènement d’une nouvelle planche, très profilée, inventée par Kelly, Haath et Froiseth, tous trois surfeurs hawaïens, ainsi que Bob Simmon, nommée hot curl parce qu’elle permet d’entrer plus facilement au cœur ( curl ) du déferlement, fait école. Ces planches élaborées à partir des recherches effectuées sur les nouveaux matériaux, notamment la résine et surtout la fibre de verre, révolutionne le mode de glisse.

Après la seconde guerre mondiale, le cinéma et la photographie diffusent l’image du surf. Ainsi Bud Browne est l’un des premiers cinéastes à enregistrer le ballet impressionnant des surfeurs, contribuant à médiatiser ce sport sur la côte californienne. Dans le même temps, à Hawaï, certains surfeurs audacieux, dont Greg Noll, se lancent à l’assaut de vagues gigantesques de l’ordre de cinq à six mètres, jamais surfées jusqu’ici dans la baie de Waiméa. Ce site devient alors un lieu mystique du surf. Greg Noll, reconnu pour ses aptitudes, et accompagné d’une délégation de surfeurs californiens, est envoyé par le gouvernement américain aux jeux olympiques de Melbourne en 1956 afin d’y effectuer une démonstration 73 . Le surf jusqu’alors marginalisé en Australie connaît alors un

73 À l’heure actuelle, le surf n’est toujours pas reconnu comme discipline olympique. Pourtant, le débat fait rage comme en témoigne cet extrait d’entretien réalisé par Francis Distinguin, Directeur Technique National (DTN) de la Fédération Française de Surf de 1997 à 2007, auprès de Jean-Laurent Bourquin, membre du Comité International Olympique. La reconnaissance du surf comme discipline olympique impliquerait que le surf soit pratiqué en milieu artificiel pour répondre aux contingences liées à l’organisation des jeux olympiques.

« [Question] - « Les acteurs majeurs du surf issus du monde économique comme du milieu associatif, affirment partager les mêmes valeurs que le mouvement olympique et seraient favorables à un rapprochement avec le CIO. La perspective du surf aux Jeux olympiques est-elle envisageable ? »

« [Réponse] - Ce constat n’est pas surprenant étant donné que les valeurs du CIO sont universelles et que la très grande majorité des sports les partagent également. Ceci démontre bien à quel point le mouvement olympique est fédérateur. Concernant les possibilités pour le surf de figurer un jour au programme des jeux olympiques, il faut tenir compte du fait que la gestion d’un tel événement nous a obligé à limiter le nombre de sports (maximum 28 pour les JO d’été) et d’athlètes. Bien que des procédures permettent de revoir périodiquement le programme olympique, il n’est pas aisé de rajouter des sports. Ceci dit, le surf pourrait bien sûr être retenu au même titre que d’autres sports qui ne sont pas non plus au programme. Une des difficultés inhérentes au surf, réside dans le fait d’être tributaire des éléments naturels pour assurer le bon déroulement des compétitions. Ainsi, il n’est pas rare – lors d’épreuves du plus haut niveau dans votre sport – qu’il faille attendre plusieurs jours afin que les vagues correspondent aux meilleures conditions pour la pratique du surf. Or les contingences imposent un programme olympique très serré car plus de 300 épreuves sont organisées sur 2 semaines de compétition. Sans vouloir préjuger ou anticiper de quoi que ce soit, une réflexion essentielle à conduire pour que votre sport figure éventuellement au programme des JO passe par une étude technique (validée par les meilleurs surfeurs au monde et l’ISA) sur la faisabilité et la création de

262 engouement sans précédent. La contagion entre Hawaï et les Etats Unis devient triangulaire avec l’Australie (Augustin, 1997).

Après une première phase de diffusion, les années soixante concrétisent une mutation capitale dans l’histoire du surf. Elles marquent l’avènement à l’échelle planétaire d’un sport jusqu’ici réservé à quelques initiés passionnés. Bien sûr cette diffusion s’exerce à partir des foyers émetteurs, que sont Hawaï et la Californie, sur des espaces naturels côtiers restreints là où les vagues sont suffisamment puissantes pour fournir l’énergie à la planche. Pour autant, les surfeurs en quête de territoires inconnus parcourent les rivages à l’échelle planétaire pour y puiser de nouveaux cadres exotiques afin d’y pratiquer leur passion.

Cette période charnière est également marquée par des innovations technologiques et par un intérêt cinématographique qui contribuent à l’explosion de la pratique à Hawaï et en Californie. Parmi les innovations technologiques, la fabrication de planches en mousse est exemplaire. En 1958, un jeune surfeur californien Hobbie Alter révolutionne les techniques de shape grâce à l’utilisation d’un nouveau support pour fixer la résine : la mousse clark foam (Brown, Kampion, 1998 :69). En effet, les planches sont jusqu’alors fabriquées avec du balsa (bois servant de support pour y fixer la fibre de verre et la résine permettant l’étanchéité). Or, la courbe de la réaction catalytique provoquée par les pionniers du surf en est à sa phase ascendante, et le balsa devient l’objet de toutes les convoitises. Dans un tel contexte, l’utilisation de la mousse permet de fabriquer un plus grand nombre de planches et d’améliorer les compétences hydrodynamiques de celles-ci favorisant l’expérimentation par les surfeurs d’un autre type de glisse, résolument plus radical. Très vite, l’utilisation de ces nouveaux matériaux devient le support idéal pour la fabrication de planches dans les ateliers artisanaux de shape en Californie et en Australie.

piscines à vagues surfables. La question sera alors de savoir si la base de vos pratiquants, représentant donc le futur de votre sport, s’identifierait à un tel changement, tant sur les plans techniques que culturel ou philosophique. En ayant un peu de recul par rapport à l’évolution du canoë-kayak on a constaté que le succès et l’intérêt pour ce sport ont fortement augmenté depuis la création de bassins artificiels car cela a facilité son exposition au public lors des J.O. Cette médiatisation a induit une explosion de la pratique en site naturel, et non pas en site artificiel comme certains le craignaient. ». http://blogs.mediapart.fr/blog/francis-distinguin/110610/le-surf-aux-jeux-olympiques , [Page consultée le 5 juillet 2011].

263 Dans le même temps, les grandes productions hollywoodiennes sont fascinées par les jeunes surfeurs de San Onofre, Malibu, Santa Monica ou Padre island au Texas. Les années soixante voient alors l’explosion de films sur le surf. Le film Gidget inspiré du roman de Frédérick Kohner dont la fille fréquente les surfeurs de Malibu prépare le terrain de la contre-culture. Le film porte le surf sur le devant de la scène au moment où il est prêt à assimiler ce nouvel intérêt grâce à l’utilisation de la mousse, aux combinaisons et aux facilités de déplacements. Dès lors, grâce au succès rencontré par cette réalisation, la vente de planches et de combinaisons ne cesse d’augmenter.

Mais, si l’invention de la mousse et quelques films lancent la mode du surf dans les années soixante, il n’en reste pas moins vrai que le véritable moteur médiatique de cet engouement est la surfmusic , mode d’expression musical célébrant les beautés et les joies procurées par l’océan. En effet, nombreux sont les jeunes surfeurs qui jouent d’un instrument. Parmi eux, Dick Dale, roi de la « guitare surf », s’inscrit sans doute comme le père fondateur de la surfmusic . Dès lors, la surfmusic remplit les salles de concert, tandis que sur les plages et ailleurs, les jeunes adoptent une nouvelle forme de danse folklorique : le surf homp . La surfmusic est la façon d’exprimer sous forme musicale les émotions ressenties par un surfeur sur sa planche. Grâce à celle-ci, la culture qu’elle représente fait son chemin à travers tous les États-Unis notamment par l’intermédiaire des beach boys dont les chansons sont désormais des incontournables du patrimoine musical mondial, et permettent ainsi à tous de vivre, par procuration, un peu du rêve californien.

Parallèlement à cette explosion du mouvement surf en Californie et en Australie, relayée par les magazines Surfer crée en 1960 (cinq milles exemplaires en 1960, cent milles en 1970), et Internationnal crée en 1963, Hawaï continue d’être le lieu mythique attirant des milliers de touristes et de surfeurs. C’est sur l’île d’Oahu que les adeptes y sont les plus nombreux favorisant l’émergence de centres touristiques. Mais le surf se diffuse. Cette diffusion se réalise sous trois formes, soit par contagion lorsque augmente le nombre de personnes qui adoptent l’innovation, soit par extension lorsque les centres sont touchés permettant une nouvelle contagion rejoignant la première, soit par relocalisation lorsque les personnes ayant déjà adopté l’innovation migrent vers d’autres lieux ou d’autres aires culturelles (Augustin, 1994 :242). Bruce Browne, Le réalisateur du film Endless summer , tourné en 1966 sur les plages du Sénégal, du Ghana, du Nigeria, d’Afrique du sud, d’Australie, de Nouvelle Zélande, de Tahiti et d’Hawaï en passant par la

264 Californie participe à cette phase de diffusion par expansion. Le surf s’organise alors dans ces pays à partir des villes côtières où s’implantent de multiples colonies de surfeurs contribuant au phénomène dit de relocalisation de l’activité. Le littoral devient alors le seul espace de prédilection pour certains individus, au détriment de l’hinterland. Seule la vague et l’attrait de nouveaux spots à conquérir suscitent l’engouement des voyages chez ces communautés de surfeurs.

En Europe, c’est par la France que la transmission s’amorce grâce au film de Peter Viertel tourné à Biarritz en 1956, intitulé Le soleil se lève aussi , adapté d’un roman de Ernest Hemingway. De plus, le surf est fondé sur des pratiques plus individuelles et aléatoires qui correspondent à une relative désinstitutionalisation des activités (Augustin, 1997 :407). Les médias véhiculent cette image du surf porteur de sens où le geste est un discours qui allie performances et esthétisme. Dans une société où les valeurs se recomposent, la figure symbolique du surfeur, oscillant sans cesse entre l’équilibre et la chute, apparaît alors comme une thématique d’une force étonnante. Se constitue un dispositif scénique où les vagues sont les espaces d’expressions corporelles. Dans cette théâtralisation du surf, la mer se métamorphose en décor et la plage en coulisses. Le surfeur est présenté comme un héros affrontant les éléments déchaînés. Les nouvelles conquêtes sportives réalisées sur le spot de Pipeline glorifient son image et son courage à l’image des exploits de Phil Edwards.

D’autres révolutions, telles que celles du short board et du leash bouleversent la culture et la pratique du surf. Elles s’accompagnent d’une atmosphère d’expérimentation dans un climat d’ambiances psychédéliques. Quant à l’invention du boogie board , elle autorise une forme de démocratisation de l’accès aux sensations de glisse aquatiques. Tom Morey est l’inventeur de cette planche en mousse dont le succès est immédiat. Car, cette planche présente l’avantage de permettre à l’individu de pouvoir glisser sur la vague tout en restant allongé facilitant l’accessibilité aux joies des déferlantes sans passer par l’apprentissage parfois long et périlleux du take off figure requise pour la pratique du surf. Cette planche, bon marché, facile à transporter et poly-fonctionnelle engendre une recrudescence de nouveaux pratiquants des sports de glisse sur les plages du monde entier.

Par conséquent, la diffusion du surf à travers le monde connaît différentes étapes. À l’heure actuelle, ce sport qui se caractérise par une recherche exacerbée de sensations, qui

265 s’exerce au cœur d’un environnement très spécifique et dont les usages sont multiples, connaît un engouement certain. Aujourd’hui, il participe à la multiplication de micro réseaux dotés de leurs propres règles de socialisation. Il contribue également au besoin d’expression et de singularisation des individus et crée de nouveaux espaces sociaux, géographiques et symboliques. Mais qu’en est-il vraiment de l’histoire du surf, de la dimension sociologique des surfeurs sur le littoral aquitain et de leurs représentations médiatiques ? C’est précisément l’objet de ce chapitre.

266 4.1 Émergence et essor du surf sur la côte aquitaine

4.1.1 Des origines aux années quatre-vingts : la nostalgie d’une époque révolue ?

La véritable naissance du surf n’est pas encore élucidée. Tout au plus, elle est fantasmée et donne lieu à des récits qui convoquent, pêle-mêle, anecdotes, témoignages oraux, ou bien encore récits mythiques. Sur le littoral aquitain, la pratique du surf prend naissance sur la côte basque au cours de l’année 1956. Cette année là, un réalisateur américain se rend à Biarritz afin de réaliser un film intitulé Le soleil se lève aussi adapté du roman d’Ernest Miller Hemingway. Très vite, le réalisateur hollywoodien, Peter Viertel, est fasciné par les vagues de la côte basque. Bien qu’inexpérimenté aux sports de glisse aquatiques, il décide tout de même de se faire expédier une planche de Californie, où la pratique de cette activité se démocratise, afin d’expérimenter les joies que, paraîtrait-il, ce sport procure. Sa première tentative à la plage de la côte des basques se solde sur un échec. Cependant, cet apprentissage marque la naissance du surf sur la côte basque. Car, parmi les autochtones éberlués par la scène qui vient de se dérouler sous leurs yeux, se trouve Georges Hennebutte, un ingénieur, alors âgé de quarante ans, travaillant sur le polyester et la résine, qui propose au réalisateur de réparer sa planche endommagée après son initiation infructueuse. Peter Viertel accepte la proposition de l’ingénieur biarrot auquel il cède sa planche. Après réparation de l’engin de glisse, Peter Viertel réédite sa tentative, mais toujours sans le moindre succès. Dès lors, un jeune étudiant persuade le réalisateur californien de lui laisser solutionner l’apprentissage de la pratique. Il s’agit en fait de Joël de Rosnay qui durant tout l’été 1957 s’accommode de l’engin de glisse et parvient à émoustiller d’autres habitués de la plage de la côte des basques à ce sport. Le surf devient alors, à l’orée des années soixante, l’histoire fraternelle et chaleureuse d’un groupe d’amis parmi lesquels figurent : Michel Barland, Jo Moraiz, Jacky Rott, Georges Hennebutte, Christophe Reinhardt (De Soultrait, Cazennave, 1995 :33). Néanmoins, malgré le caractère fun de cette pratique sportive mis en avant dans les témoignages empreints de nostalgie des premiers surfeurs français, Christophe Guibert souligne, à juste titre, combien le surf en France est, au départ, « une activité socialement sélective ». En effet, le sociologue

267 souligne comment les premiers surfeurs mobilisent leurs ressources sociales et culturelles pour jouir du privilège de surfer. (Guibert, 2007 :92).

Dès 1958, chacun des adeptes qui dispose de matériel et de certaines aptitudes manuelles se lance dans la fabrication de planche en s’inspirant de celle de Peter Viertel qui sert de modèle. Michel Barland fabrique une planche surnommée « le bidet flottant », en raison de sa forme rappelant celle du sanitaire, dont la texture est essentiellement composée de résine. Georges Hennebutte, disposant de matières caoutchouc crée quant à lui un prototype gonflable. Dans le même temps, Peter Viertel, revient fréquemment sur la côte basque qu’il affectionne. Il ramène des planches de Californie, où les shapers (fabricants de planches de surf) sont expérimentés, pour ces nouveaux adeptes de la glisse aquatique avec qui il a lié une profonde amitié. Les surfeurs locaux créent alors le premier club de surf : Le Waikiki surf club à Biarritz qui participe, au-delà du projet sportif, à « l’entretien du capital social » de ses membres (Guibert, 2007 :95)

Cependant, après cette première génération de surfeurs, pour qui le surf ne peut être qu’un loisir pratiqué entre les obligations familiales et celles induites par leurs activités professionnelles, arrive celle de jeunes individus dont l’adolescence est résolument consacrée à cette pratique sportive. Ainsi, la pratique s’étend aux plus jeunes et franchit les limites du cadre amical et socialement sélectif. Tout d’abord, la Fédération Française de Surfriding voit le jour en 1964 à Biarritz. Puis, pour répondre à ce désir d’apprentissage invoqué par les adolescents, Jo Moraiz crée en 1965 à Biarritz la première école de surf, qui fait par ailleurs office de surf shop et de point de ralliement pour toute la population locale adepte de cette pratique sportive. En 1967, Jean-Pierre Renaud ouvre un bar unique en son genre : le steack house où la surfmusic , importée des Etats-Unis, résonne à tue tête.

Peu à peu, à partir du milieu des années soixante, la côte basque devient l’étape à la mode. Issus de la beat génération portée par son leader charismatique le romancier Jack Kerouac 74 , ces anglo-saxons partent à la conquête des rivages du monde entier. De plus, à ces jeunes anglo-saxons fuyant les préceptes de l’ american way of life par le voyage, s’ajoutent ceux qui se rendent en Grande-Bretagne, dans le cadre d’échanges entre les différentes corporations des maîtres nageurs sauveteurs des pays du Commonwealth, où ils

74 Cet auteur a donné ses lettres de noblesse au mouvement beatnik en littérature avec les romans : « On the road (Sur la route) » en 1957 et surtout « The dharma bums (Les clochards célestes) » en 1958.

268 pratiquent le surf sur la côte de Cornouailles. Dès lors, ceux-ci, avant de rejoindre leur pays natal, s’offrent avec l’argent gagné durant leur saison touristique, un séjour sur la côte basque où les conditions nécessaires à la pratique du surf sont bien meilleures qu’en Angleterre, surtout à l’automne. Très vite, la réputation des vagues de la côte basque grandit grâce aux récits des surfeurs étrangers y ayant séjourné.

En 1968, Paul Witzig réalise le tournage d’un film de surf, intitulé Evolution qui est un carnet de voyage de surf dans la lignée de Endless summer 75 , auquel participe Wayne Lynch, Ted Spencer, et Nat Young. Dans ce film, les vagues de la plage de la Barre à Anglet et celles de la côte des basques à Biarritz sont à l’honneur et sublimées par les prestations des trois surfeurs professionnels. L’effervescence médiatique autour de Nat Young, sacré champion du monde de surf deux ans auparavant, contribue à la promotion du film qui connaît un succès considérable. Dès lors, les vagues de la côte basque atteignent une notoriété planétaire grâce aux supports médiatiques. Durant cette période, la seconde génération de surfeurs locaux composée des frères Lartiguau, de Marc Delanne, d’Yves Bessas, de Jacques Albert… acquiert de l’expérience au contact des surfeurs étrangers. Yves Bessas raconte : « en 1968, je vis la grande révolution du surf ; fascinés, nous regardons les surfeurs dans les vagues ! Dès leur retour sur la grève, nous les accablons de questions » (Bessas, 1982 :20). De plus, Michel Barland, reçoit dans son atelier des shapers californiens venus fabriquer et vendre des planches afin de répondre à la forte demande des surfeurs locaux et à celle des étranges venus en trip sur la côte basque. Ainsi, pour les shapers français, c’est l’occasion d’acquérir une technique et un savoir faire pour la confection des planches jusqu’ici réalisées sans les compétences requises et de manière empirique.

Les années soixante-dix marquent une nouvelle étape dans l’évolution de la pratique des sports de glisse aquatiques sur la côte basque. En effet, cette décennie est ancrée dans une mouvance particulière. Les surfeurs se marginalisent et s’essaient aux expériences psychédéliques. Le surf élabore des règles de conduite sportive entièrement neuves, distinguant « la connivence de la domination, la personnalisation de la hiérarchisation, la similarité de l’altérité, l’émotion de la raison, le libre arbitre de

75 Le film Endless summer , réalisé en 1966, met en scène deux jeunes surfeurs insouciants, partis en quête de l’été sans fin et des vagues vierges. Le réalisateur Bruce Brown suscite avec ce film le désir de voyage chez bon nombre de surfeurs.

269 l’arbitre, la participation de la confrontation… » (Loret, 1995 :16). Le surf n’est donc pas une activité physique institutionnalisée, de nature compétitive, éducative, matinée d’utilité publique et que l’État enserre dans les lois. Il participe plutôt « d’un registre d’attitudes et de comportements nettement plus marginaux, composant un rapport à l’autre, à la Nature et à son propre corps distinct du rapport sportif traditionnel » (Loret, 1995 :27). Les adeptes de ces pratiques sportives aspirent à vivre et éprouver des sensations souvent vertigineuses issues des mouvements qu’ils provoquent eux-mêmes, loin de toute coercition réglementaire. Par conséquent, les surfeurs incarnent un nouveau modèle représentatif de qualités et de mentalités propres à contester la société. En France, de nombreux jeunes, dans la continuité des événements de mai 1968, s’adonnent à cette pratique sportive qui constitue un refus du conformisme et des règles sociales puisqu’il ne répond pas aux règles sportives traditionnelles. Pour la première fois depuis plus d’un siècle, certaines pratiques sportives sont considérées comme une possibilité de rompre avec la société, donc comme un symbole d’anticonformisme. En effet, jusqu’à présent, le sport, présenté comme un support pédagogique propre à permettre une meilleure intégration des individus au sein de l’organisation sociale, notamment à l’école, devient dès lors un moyen d’affirmer une forme de marginalité. Tout au long des années soixante dix, de nombreux jeunes rejoignent cette communauté, et s’adonnent à cette pratique sportive qui est une forme d’expression de leur non ralliement des valeurs sociales proposées à l’école. Yves Bessas raconte : « Je me suis vraiment rendu compte à quel point les surfeurs forment une communauté » (Bessas, 1982 :22). Cependant, cette analyse, vraie à certains égards, constitue également un raccourci. En effet, Christophe Guibert s’est employé à mettre en lumière que cette approche du surfeur, pensé exclusivement comme un individu contestant les normes sociales établies, était quelque peu caricaturale, sinon erronée. Car, comme le rappelle le sociologue, « activité gratuite et désintéressée, le surf est pour ces (premiers) surfeurs un moyen d’entretenir et de diversifier un capital social et symbolique déjà important » (Guibert, 2007 :97)

Le surf connaît néanmoins durant cette décennie un véritable engouement en France et plus particulièrement sur la côte aquitaine. L’enseignant philosophe, essayiste, Frédéric Schiffter, ayant vécu son adolescence à Biarritz dans les années soixante-dix, se souvient : « Pour mes amis, seuls la musique, le sport et la dope tenaient lieu de culture. Ça ne parlait que de groupes, de concert, de pop stars, de joint, d’acide, de trip, d’overdose, de surf. Toute une mythologie psychédélique mélangée à un folklore sous

270 californien qui leur procurait le frisson d’une poésie sublime et moderne » (Schiffter, 2002 :34). De plus en plus de jeunes rejoignent ces communautés de surfeurs. Les valeurs portées par cette pratique sportive se précisent. Le surf concrétiserait le refus de la société de consommation, et se caractériserait par un retour à la nature. En effet, le contact avec la nature est prépondérant dans le mode de vie des surfeurs, tout comme les voyages et l’ouverture à d’autres civilisations. À propos des voyages, Michel Maffesoli remarque que « la liberté de l’errant n’est pas celle de l’individu économe de lui et économe du monde, mais bien celle de la personne qui recherche d’une manière mystique l’expérience de l’être ; une liberté de l’errant qui possède en propre l’expression d’une forte personnalité ne prenant sens qu’au sein d’un groupe fortement soudé » (Maffesoli, 2003 :32-33). Ainsi, la plupart d’entre eux partent vers l’été sans fin - the endless summer . Cette migration permanente autour du monde concrétise, au delà de la recherche de nouvelles vagues vierges, la recherche de leur être intime qui s’exprime dans « cet enracinement dynamique 76 ». Dans l’hexagone, cette mouvance est suivie par de nouveaux adeptes, et nombreux sont ceux qui partent découvrir de nouveaux horizons. Cependant, à la fin des années soixante dix, bon nombre de surfeurs se retrouvent perdus. L’utilisation de drogues était monnaie courante au sein de cette communauté sportive. Pour certains, et comme semble le déplorer Yves Bessas, le surf « n’est devenu qu’un cul se sac » (Bessas, 1982 :110). Autrement dit, les surfeurs changent : « Ce n’est plus peace and love, mais fuck you et go home » ( Ibid :130). D’autre part, durant cette période, les surfeurs ont mauvaise presse. Les jumeaux Berque, pionniers du surf à Contis, petite commune littorale du département des Landes, en témoignent. Ils sont invités à quitter leur lieu de résidence situé sur la dune et à proximité immédiate des vagues : « la mairie nous interdit d’y habiter, sous prétexte que ce n’est pas viabilisé. Ils profitent de cette histoire pour virer ces surfeurs fumeurs de drogues, ces vagabonds des plages comme on nous appelle dans les rares articles qui parlent de surf » (Berque, 2001 :42).

Au cours des années soixante-dix, les surfeurs inaugurent de « nouvelles sociabilités plagiques ». Ils transforment le rapport au corps, à la nature, à la pratique sportive. Là encore, le témoignage des jumeaux Berque est précieux. Ils racontent

76 L’auteur évoque cette notion d’enracinement dynamique afin de « caractériser la bipolarité, spécifiant au mieux le paradoxal antagonisme de toute existence. L’on est d’un lieu, on crée, à partir de ce lieu, des liens, mais pour que celui-là et ceux-ci prennent toute leur signification, il faut qu’ils soient, réellement ou fantasmiquement niés, dépassés, transgressés. Il s’agit là d’une marque du sentiment tragique de

271 comment s’organise la vie sociale des surfeurs sur les plages de la côte aquitaine : « l’été bat son plein. Notre biorythme se décale largement vers la nuit. Nous organisons des feux sur la plage, des parties de lait au rhum géantes et des bains de minuit qui se terminent le plus souvent par de formidables fêtes au son d’une guitare stoned qui chante du Neil Young dans les arômes poivrés de haschisch afghan ou d’herbe africaine… Sur la plage, notre groupe s’est renforcé de toutes les jeunes vacancières de Contis. Nous choisissons le même endroit stratégique, juste au pied de la dune, pour dominer un peu la plage et voir de plus loin la vague là-bas au nord. Nous rôtissons au soleil, pratiquement tous à poil au beau milieu de la plage, ne mettant nos shorts de couleur que par coquetterie, pour surfer et jouer au volley où nous sommes passés maîtres. Nos planches multicolores plantées dans le sable bouillant, tels des menhirs, marquent bien notre clan, notre territoire et notre différence ». (Berque, 2001 :43).

4.1.2 Le « bottom-turn » des années quatre-vingt-dix ou la démocratisation du surf en Aquitaine

Frédéric Schiffter remarque que « la technique au service de la seule performance peut dénaturer l’esthétique d’un sport, le pousser jusqu’à la caricature de lui-même. On assiste alors à la revanche du mécanique sur le vivant. Mais c’est aussi par la recherche de la performance qu’un sport améliore la technologie de son matériel et se renouvelle comme pratique et comme spectacle. Telle est la mutation qui touche le surf dès les années quatre vingt où, devenant un sport de compétiteurs professionnels financés par de grandes firmes industrielles, la question de l’efficacité et de la rapidité de la glisse passe devant le souci de sa belle allure » (Schiffter, 2005 :72). L’établissement de compétitions professionnelles matérialise une nouvelle étape dans l’évolution du surf, en particulier sur la côte aquitaine. En effet, la France s’impose très vite comme une étape essentielle parmi celles qui composent le nouveau circuit des épreuves professionnelles. En 1979, la station balnéaire de Lacanau est le théâtre de la première étape professionnelle de surf en France. En 1983, la restructuration du circuit professionnel, désormais placé sous l’égide de l’Association des Surfeurs Professionnels (ASP), marque l’abandon de l’esprit réfractaire et voyageur véhiculé par le surf dans les années soixante-dix. Là où les meilleurs quelques l’existence : rien ne se résout dans un dépassement synthétique, mais tout se vit dans la tension, dans

272 années auparavant se laissaient vivre, de nouveaux champions, Tom Carroll et Tom Curren en tête, s’entraînent, travaillent leur corps et leurs techniques. Le niveau en compétition ne cesse de s’élever de saison en saison. Le rythme intense des épreuves professionnelles oblige « le développement d’une force morale jusqu’alors négligée par les surfeurs » (De Soultrait, Cazenave, 1995 :57). Dès lors, le surf s’affirme comme un sport à part entière. Il prend une tout autre dimension. C’est dans les années quatre-vingt que le surf atteint sa maturité sur la côte aquitaine, épaulé en cela par la venue fréquente des surfeurs professionnels et par la présence quasi sédentaire de certains d’entre eux comme Tom Curren, triple champion du monde de surf et Gary Elkerton, vice-champion du monde de surf en 1993, qui choisissent « les vagues du littoral sud aquitain comme havre de paix » (Young, 1988 :89). Ainsi, le surf se démocratise durant ces années sous l’impulsion de ces figures professionnelles du moment, qui, par le biais des compétitions, instaurent l’établissement de règles de conduite au sein de cette communauté sportive. Le surf se prévaut alors d’un état d’esprit compétitif tout à fait en phase avec la rédemption de la réussite individuelle propre à la décennie des années quatre-vingt. Durant cette période, s’implantent sur la côte aquitaine de nouvelles infrastructures liées à la pratique du surf telles que les écoles de surf, les surf shops , les clubs de surf, les ateliers de shape , les bureaux de la presse spécialisée, et les entreprises du surfwear . De plus, de nouvelles compétitions comptant pour l’attribution du titre mondial voient le jour dont celle organisée en 1987 à Biarritz pour la première édition.

Mais au-delà de cette « histoire officielle », racontée et mise en scène par les principaux protagonistes eux mêmes, une foultitude de surfeurs anonymes a également fait partie de l’histoire du surf en Aquitaine. Certains d’entre eux font même figure de héros mythiques dont les exploits alimentent les légendes locales. Ils sont les oubliés de cette histoire du surf et des couvertures de magazine. Néanmoins, leurs légendes, les récits de leurs exploits sportifs, leur singularité, leur originalité, leurs choix de vie atypiques et anticonformistes nourrissent aussi les représentations des populations locales à l’égard des surfeurs. L’extravagance des frères Berque, surfeurs ayant traversé l’Atlantique sur une embarcation de quatre mètres baptisée Micromégas, est connue des habitants de Contis, petite commune littorale des Landes. Les exploits de ces surfeurs anonymes, absents des magazines de la presse spécialisée, sont encore prégnants dans les mémoires des surfeurs l’incomplétude permanente ». (Maffesoli, 2003:39).

273 de la côte aquitaine… Ces surfeurs, situés en marge de l’histoire officielle du surf en Aquitaine, sont également connus pour leurs prises de position radicale vis-à-vis du surf business. Ils se refusent à participer aux compétitions, à être parrainés par les grandes firmes de la filière glisse. Ces surfeurs ouvrent la voie à une pratique du surf plus confidentielle, plus contestataire, moins consensuelle, qui se trame dans l’envers du décor médiatique mis en scène et raconté par ceux qui ont trouvé leur voie au sein du surf institutionnalisé. Ces surfeurs sont prêts à tous les sacrifices pour vivre leur passion. Maximilien Berque précise : « je suis devenu scaphandrier pour travailler dans le milieu marin, par curiosité, pour m’amuser. Pour avoir du temps libre et aller surfer, pour vivre une aventure. Mais devenir chef d’équipe, c’est une autre affaire. Je n’ai pas du tout envie d’envoyer d’autres plongeurs au casse-pipe ! Je veux être libre. Je suis un surfeur et je le resterai ! » (Berque, 2001 :57). Or, ces surfeurs sont en marge de l’histoire officielle sans doute parce qu’ils n’ont pas contribué à son écriture. Mais leurs comportements façonnent, malgré tout, les représentations des populations locales à leur encontre. Par conséquent, même si le surf tend à devenir une activité rythmée par les compétitions et encline à acquérir un nouveau statut au regard de sa professionnalisation, il n’en demeure pas moins vrai, qu’en parallèle, une autre histoire du surf se vit loin du paysage médiatique. L’histoire officielle se fait sans eux : « Mi-août, nous devons faire un reportage sur les premiers championnats du monde de surf à Hossegor. Nous nous pointons donc sur cette plage, armés de notre gros matériel de prise de vue. Effectivement, il y a beaucoup de public. Tous les meilleurs champions amateurs du monde sont là et offrent un spectacle inédit et gratuit. On s’étonne de la virtuosité stupéfiante de ces athlètes venus de toutes les parties du globe. Les copains de Contis sont là. Nous formons dans la foule un groupe bien distinct car nous sommes totalement d’avant-garde. Nous sommes quasi nus lorsque nous enlevons nos tenues pour nous baigner… Les champions anglo-saxons extrêmement puritains nous regardent scandalisés. Certains pensent que nous sommes des rock-stars ! Après la compétition étalée sur une semaine, tous les surfeurs sont invités au casino d’Hossegor. Dans cet endroit très select, nous déboulons vêtus comme il se doit de nos kalimbés d’apparat pour participer à la fête. Le scandale gronde et les autorité nous refoulent finalement comme des malpropres alors que nous sommes les seuls journalistes à parler du surf en France… Nous rentrons à Contis, soulagés de quitter Hossegor. Pour nous, le surf n’est pas un sport mais un véritable art de vivre. Contis est une plage beaucoup plus underground » (Berque, 2001 :96).

274 Les années quatre-vingt marquent néanmoins une véritable démocratisation des sports de glisse aquatiques. Les médias de la presse spécialisée jouent un rôle prépondérant dans l’essor de cette activité sportive en insufflant une nouvelle image du surfeur, c’est-à- dire, celle d’un sportif complet, sain de corps et d’esprit. Un changement radical d’image s’opère, le surfeur n’est plus l’incarnation d’un personnage aux comportements déviants. Il devient un modèle sportif. Des structures associatives, telle que Uhaina (mot désignant la vague en basque) crée en 1982 par Yves Bessas et Jacques Albert, contribuent également à promouvoir ce type de représentations des surfeurs. En effet, le but de l’association Uhaina est de développer le goût des sports de glisse, mais aussi d’initier leurs pratiquants aux problèmes de la condition physique. « Nous nous appuyons sur notre réseau de films- conférences qui arrosera les stations balnéaires et les grandes villes. C’est pour nous un moyen de communiquer par l’image, de présenter au plus grand nombre les dernières tendances de ces sports en pleine effervescence » (Bessas, 1982 :155). De plus, durant les années quatre-vingt, les appareillages de glisse connaissent un enrichissement technique progressif et permanent, associé à une complexité croissante dans les systèmes de production (Hillaret, 1994 :144). Les sports de glisse aquatiques ne se limitent plus seulement au surf. De nombreux engins affinitaires du surf voient le jour et rendent la pratique des activités de glisse sur les vagues ouvertes à un plus grand nombre d’individus. Ces transformations vont dans le sens d’une spécialisation des formes et des techniques qui répondent à des impératifs de performances, mais aussi, à des critères de diffusion. L’élaboration et la conceptualisation de nouveaux supports de glisse tel que le bodyboard dynamisent la démocratisation de cette activité sportive (Hillairet, 1994) .

À l’heure actuelle, de récents exploits sportifs, survenus dans le monde du surf, renforcent la place de la côte aquitaine comme aire majeure de la pratique du surf. En effet, le 23 novembre 2002, au large de la baie de Saint-Jean-de-Luz, une équipe de six surfeurs, particulièrement expérimentés, surfe Belharra 77 , soit la plus grosse vague jamais prise en Europe. Le journal Sud-Ouest relate régulièrement les exploits de ces surfeurs de l’extrême afin d’affirmer un peu plus la portée de cette aventure sportive. Ainsi, dans l’édition du 30 novembre 2009, le quotidien consacre une pleine page, en couleur, où l’on apprend que les surfeurs « ne vivent que pour elle » (Figure 8). Les surfeurs sont invités à témoigner des émotions que leur procure le fait de chevaucher cette montagne d’eau. Le journaliste

77 Le terme basque belharra signifie l’algue.

275 s’autorise même l’analogie avec la classification des pistes de ski pour caractériser la vague : « depuis janvier 2009, la vague mythique au large d’Urrugne a déjà ouvert quatre fois sa piste bleue aux surfeurs. Bleue, c’est vite dit. En ski, elle serait classée noire, sans problème ». D’autre part, les surfeurs de Belharra sont glorifiés et présentés comme d’authentiques sportifs. Le quotidien rappelle combien s’engager dans cette prise de risque suppose des heures et des heures de préparation. « D’autres surfeurs de gros, comme Benjamin Sanchis, se préparent en suivant des entraînements de boxe. Et il y a les adeptes du ju-jitsu brésilien. En tout cas, pour se forger une condition physique exemplaire, les recettes ne manquent pas ».

Situé à trois kilomètres du rivage, Belharra constitue un plateau rocheux qui remonte à une quinzaine de mètres de la surface de l’eau. Cependant, pour que la houle déferle, celle-ci doit dépasser les six mètres. La vague de Belharra est surfée pour la première fois en novembre 2002. Or, ce 23 novembre 2002, qualifié de « jour historique pour le surf européen 78 », les conditions hydromarines requises sont optimales. Ainsi, les six surfeurs, à l’initiative de Michel Larronde, réalisent l’impensable : surfer des vagues hautes de dix à douze mètres. Ces six surfeurs de l’extrême, « n’ont pas inventé un sport, ils ont juste validé des idées 79 ». Ils inaugurent le surf tracté 80 en Europe, ouvrant une nouvelle discipline du surf sur la côte basque qui, selon Michel Larronde, n’a plus rien à envier, en termes de grosses vagues, à Hawaï. Avec cet exploit sportif, relayé dans le monde entier par la presse spécialisée et par Internet, la côte aquitaine, qui jouit déjà d’une grande réputation dans le monde du surf, ne fait qu’affirmer son rang. En effet, La légende d’une photographie de Sébastien Saint-Jean surfant la vague de Belharra , extraite du magazine Surf-Session , précise ceci : « Imaginez la tête des internautes ricains se connectant sur le site Billabong XXL Awards et découvrant que cette image a été shootée en France 81 ! ».

78 Gibus de Soultrait. « Première session à Belharra ». Surfeur’s journal , 2003, n°36, p 10-11. 79 Rémy Fière. « Le souffle de la vague ». L’Équipe magazine , 12 octobre 2002, n°65, p 86-90. 80 Le surf tracté également appelé tow’in est une discipline du surf. Elle consiste à surfer des grosses vagues qui trop longues à se former en raison de leur taille nécessitent le fait que le surfeur soit tracté par un jetski pour s’élancer. Fondée en 1993 par Laird Hamilton, cette discipline reste tout de même l’apanage d’une élite au cœur de la communauté des surfeurs. 81 Editorial. Surf Session , n°189, 2003, p 13.

276

Figure 8 : Mise en scène des surfeurs à Belharra dans le quotidien régional Sud-Ouest

Source : Sud-Ouest du 30 novembre 2009, cahier Pays-Basque, p 30.

Bien entendu, les exploits sportifs ne s’arrêtent pas là. On pourrait tout aussi bien revenir sur les longs rides accomplis par l’élite du surf français sur la vague de la Nord à Hossegor. « La Nord on fire » peut-on lire régulièrement sur les sites Internet qui recensent les sessions dignes d’intérêt. À titre d’exemple, les internautes peuvent lire le commentaire suivant à propos d’une session réalisée le 10 décembre 2010 : « Encore une belle journée

277 de surf sur le littoral français aujourd'hui ! Du Nord au Sud, le swell tant attendu est venu arroser tous les spots, et a tenu ses promesses, puisque taille, puissance et perfection étaient au rendez-vous. La preuve à Hossegor, où la Nord était "on fire". Pendant ce temps-là, d'autres pestaient contre la grève sur la ligne du RER A 82 ». L’exercice ne mérite pas que l’on s’y attarde davantage. Cette recherche ne poursuit pas l’ambition d’un recensement exhaustif des sessions remarquables sur la côte aquitaine. L’enjeu est ailleurs et la démonstration poursuivie n’a d’autres ambitions que de mettre en lumière la notoriété du littoral aquitain au sein des communautés surf à l’échelle mondiale.

Ainsi, à la fin du XX e siècle et en ce début de XXI e siècle, la côte aquitaine est une réelle aire de pratique des sports de glisse aquatique, au même titre que la Californie. Elle attise la quête de sensations océanes d’une frange de la jeunesse autochtone et de plus d’un surfeur dans le monde. Cependant, on est en droit de s’interroger sur la nature des facteurs locaux qui permettent cette passion surf sur le littoral basque.

4.2 Portrait sociologique des surfeurs aquitains

4.2.1 L’enthousiasme local pour le surf

Lors de plusieurs entretiens réalisés auprès de Gibus de Soultrait afin d’acquérir des informations relatives à l’histoire du surf sur la côte aquitaine, celui-ci mentionnait l’idée d’un « germe local » afin d’expliciter l’engouement initial pour le surf sur cette portion du littoral aquitain. Ainsi, pour ce surfeur qui se porte en garant de l’histoire du surf sur la côte aquitaine, issu de la seconde génération de surfeurs locaux et par ailleurs directeur de la rédaction du mensuel Surf Session , le surf est très vite adopté par les autochtones en raison de ce « germe local ». Pour Gibus de Soultrait, cette expression renvoie à une « sensibilité marine » qui habitait intrinsèquement les premiers surfeurs locaux. Gibus de Soultrait, pour valider son expression, invoque « l’amour de l’océan » qui caractérise les premiers surfeurs locaux par ailleurs qualifiés de « tontons surfeurs » (Gardinier, 2004). Il

82 http://www.surfsession.com/2009/12/10/hossegor-cet-aprem-la-nord-on-fire/ . [Page consultée le 3 février 2011].

278 réitère ces propos et conforte son analyse lors d’une conférence donnée à Biarritz en octobre 2011. Invité à s’exprimer sur « la valeur des vagues » dans le cadre d’un regroupement de spécialistes et passionnés de surf réunis sous l’égide de Surfrider Foundation Europe , Gibus de Soultrait évoque un parallélisme entre la culture marine des polynésiens, inventeurs du surf, et celles des aquitains, plus particulièrement des basques. Lors de cette « Global Wave Conference », il souligne le fait que « l’existence du surf est une chance » ; que « la vague a une valeur sociétale et culturelle » et s’interroge sur les raisons qui président au fait que « la vague crée un élan culturel ». Gibus de Soultrait évoque la vague de Belharra , située à quelques centaines de mètres au large de Socoa. Non sans quelques habiles démonstrations, il vient signifier à l’assemblée, suspendue à ses lèvres, que la mise en valeur de la vague de Belharra s’inscrit en résonance avec le « patrimoine local et culturel basque ». Il en veut pour preuve qu’elle compte désormais comme l’un des éléments culturels local au regard du fait que sa mise en valeur esthétique, à travers le prisme photographique, sublime les éléments culturels basques que sont « le soleil, les couleurs magnifiques, l’aspect glassy et la Rhune et les Trois-Couronnes qui figurent en arrière plan ».

Avec Michel Favory, on a élaboré les contours de cette relation qui lie les Basques avec l’océan. Non sans quelques raccourcis que l’on mettra sur le compte de la jeunesse et le déficit de maturité, on évoquait le fait qu’avec le surf, la tradition maritime basque se prolongeait. À présent, il convient de tempérer la démonstration et d’utiliser le conditionnel. Ainsi, la culture surf s’ajouterait aux traîneras (régates d’embarcation à rame de treize rameurs et un barreur), tradition d’appropriation de l’espace maritime par les jeux et les compétitions. Le surf viendrait alors mobiliser dans l’imaginaire ludique basque l’archétype du jeu de l’agilité et de la force. Le surf serait-il alors, pour cette première génération de surfeurs, « un transfert anthropologique, sorte d’analogie liquide du fronton, sur lequel les vertus culturelles basques de souplesse, d’agilité et de vitesse s’expriment traditionnellement ? » (Falaix, Favory, 2002 :51-61). Rien n’est mois sur aujourd’hui et avec quelques années de recul et d’expériences, on pourrait établir que l’on a emprunté des raccourcis bien aisés et discutés, à juste titre, par Christophe Guibert (2006 :93). En effet, établir, à la hâte, le fait que le surf serait une émanation de la tradition et culture maritime locale apparaît foncièrement insuffisant. L’engouement pour le surf mérite une expertise sociologique plus approfondie. Car, même s’il est vrai que Peter Viertel découvre à ses usagers un environnement favorable à la pratique du surf, on n’est pas pour autant

279 renseignés sur les raisons profondes qui autorisent l’engouement local pour cette activité sportive. L’argument qui évoque l’idée que le surf s’inscrirait en résonance avec une culture et tradition maritime basque ne saurait aujourd’hui convaincre.

4.2.2 L’impossible profil sociologique des surfeurs

Les individus produisent désormais leur propre identité tant à l’intérieur des grandes structures socialisantes que sont l’école, la famille, l’entreprise (Dubet, 1994) mais de plus en plus au contact de réseaux sociaux informels. La pluralité de leurs expériences sociales participe à cette construction identitaire (Lahire, 1998). L’homme serait même « pluriel » c’est-à-dire qu’il n’aurait pas « toujours vécu à l'intérieur d'un seul et unique univers socialisateur, et qu’il aurait donc traversé et fréquenté plus ou moins durablement des espaces (des matrices) de socialisation différents 83 ». Dans ce contexte, les loisirs sportifs constituent un mode de construction identitaire qui privilégie la réalisation de soi en autorisant un dépassement de soi. Ils sont à la fois la manifestation d’une expérience postmoderne et une alternative à la crise morale (Bauman, [1995], 2010). À ce sujet David Le Breton parle d’une véritable « quête ordalique » (Le Breton, 1991) . Les individus, en se confrontant de manière symbolique à la mort et au divin, à travers une prise de risque rendue possible via la pratique sportive extrême (Baddeley, 2002), seraient à la recherche d’une forme de reconnaissance sociale. Il précise que dans ce cadre, l’aventure sportive ne serait qu’un outil au service d’une construction identitaire et d’intégration sociale. Mais, la pratique sportive exercée en milieu naturel représente également un mode de vie idéalisé dans l’ensemble de la société qui s’inscrit en résonance avec cette quête d’un retour à la nature, d’un « paradis vert » (Urbain, 2000). De nombreux sociologues s’accordent donc à penser que les récentes mutations économiques et socioculturelles contribuent à l’éclatement des registres de la construction des identités individuelles et conduisent à l’émergence d’un individu postmoderne, désormais contraint à « l’invention de soi » (Kaufmann, 2004) . Ils évoquent la montée de l’autonomisation du sujet dans une société où se délitent les grandes structures traditionnelles de socialisation et où s’effritent les grandes croyances idéologiques précipitant certains individus dans des postures dépressives (Ehrenberg, 1998) car incapables de faire face à ces nouveaux modes de

280 socialisation qui survalorisent la performance (Ehrenberg, 1991). Certains évoquent alors l’idée d’un « individu hypermoderne » (Aubert, 2004) évoluant au cœur d’une société dérégulée et atomisée où le « bien être individualiste de masse a fait reculer la valorisation des principes abstraits de citoyenneté au bénéfice des pôles d’identification de caractère immédiat et particulariste » (Lipovetski, Charles :140). Ainsi, les loisirs, entendus comme des espaces de renforcement de lien social, peuvent être appréhendés comme des pratiques qui participent pleinement d’une part de la construction identitaire des individus et d’autre part de leur intégration sociale rendue possible grâce à de nouvelles formes de communautarisme fondées sur des logiques néotribales (Maffesoli, 1988). A ce sujet, les travaux précurseurs de Joffre Dumazedier définissent les loisirs comme « un ensemble d’occupations auxquelles l’individu peut s’adonner de plein gré, soit pour se reposer, soit pour se divertir, soit pour développer son information ou sa formation désintéressée, sa participation sociale volontaire ou sa libre capacité créatrice après s’être dégagé de ses obligations professionnelles, familiales et sociales » (Dumazedier, 1962 :28). Le loisir, même s’il est un délassement en ce sens où il délivre de la fatigue, un divertissement permettant de combattre l’ennui, joue aussi une fonction de développement de la personnalité autorisant une participation sociale plus large. Ainsi, les loisirs constituent des référents existentiels. Sans doute est-ce la raison pour laquelle « La dynamique du temps libre devient la toile de fond structurante de l’existence » (Viard, 2002 :111). Par conséquent, les loisirs sportifs jouent un rôle privilégié dans la construction identitaire dans la mesure où ils favorisent l’expérimentation de soi comme modalité de socialisation. Ils permettent également une appropriation empirique de l’environnement naturel dans une dialectique interactionnelle. Plus encore, leurs adeptes produisent de nouvelles forme de spatialisation qui assurent « le marquage des lieux touristiques et sportifs » à travers la mobilisation d’un système culturel localisé entendu comme élément déclencheur de néo- territorialités (Corneloup, Bourdeau, Mao, 2006) et de production de territoires de « l’hors- quotidien » (Bourdeau, 2003). Dans ce contexte, la valorisation des pratiques sportives de pleine nature appèlent à de nouvelles logiques de management et de développement touristique local (Chazaud, 2004).

Michel Maffesoli propose la métaphore de la tribu pour prendre acte de la métamorphose du lien social qui s’opère au sein des sociétés occidentales postmodernes.

83 Interview de Bernard Lahire à propos de son ouvrage « l’homme pluriel, les ressorts de l’action », 1998. http://www.homme-moderne.org/societe/socio/blahire/entrevHP.html , [Page consultée le 10 mars 2011].

281 Pour ce sociologue, la postmodernité se caractérise par le retour exacerbé de l’archaïsme et une forme de déclin de l’individualisme (Maffesoli, 1988). Ainsi, les tribus contemporaines n’ont que faire du but à atteindre, du projet économique, politique, social à réaliser. Elles préfèrent « entrer dans » le plaisir d’être ensemble, « entrer dans » l’intensité du moment, « entrer dans la jouissance de ce monde tel qu’il est ». Les hystéries communes, expressions tribales de ce nouveau lien social qui émerge, renvoient au processus de réminiscence platonicienne allant de pair avec reviviscence. Alors, le natif, le barbare, le tribal redisent l’origine et par là redonnent vie à ce qui avait tendance à se scléroser, s’embourgeoiser, s’institutionnaliser. Le retour à l’archaïsme illustre donc, la plupart du temps, une forte charge de vitalité. Le paradoxe de la postmodernité repose par conséquent sur la mise en scène de l’origine, de la source, du primitif et du barbare. Dans cette dynamique, la figure de « l’enfant éternel » est valorisée. A la structure patriarcale, verticale, succède celle de la fraternité davantage horizontale. Les tribus post-modernes vitalisent donc cette figure de « l’enfant éternel », un peu ludique, un peu anomique.

Le néo-tribalisme postmoderne met donc à mal l’archétype culturel de l’adulte fort et rationnel prôné par la modernité. Face à l’anémie existentielle suscitée par un social trop rationalisé, les tribus soulignent l’urgence d’une socialité emphatique faite de partage des émotions, de partage des affects qui illustre le passage de la « Polis » à la « Thiase », celui d’un ordre politique à un ordre fusionnel. En d’autres termes, le tribalisme rappelle, empiriquement, l’importance du sentiment d’appartenance, à un lien, à un groupe, comme fondement de toute vie sociale. Il s’inscrit dans une dimension communautaire de la sociabilité, illustrant le déclin de l’individualisme. Le tissu social s’organise en réseaux où l’affect, le sentiment, l’émotion, sous leurs diverses modulations, jouent un rôle essentiel. De nouveaux paradigmes sont au goût du jour réfutant les préceptes de l’individualisme, afin de sacraliser les valeurs dionysiaques. Le tribalisme est une déclaration de guerre au schéma substantialiste qui a marqué l’occident : l’Être, Dieu, l’État, les Institutions, l’Individu… Ainsi, pour Michel Maffesoli, le tribalisme célèbre la dimension trans- individuelle, collective, voire cosmique caractérisant la saturation du sujet, la subjectivité de masse. Ce processus, qualifié de « narcissisme de groupe », est le support de ces nouvelles formes de sociabilité. Les individus invoquent la « pensée du ventre », c’est-à- dire une philosophie où les sens, les passions et les émotions, entendus dans une dynamique « d’érotique sociale » communautaire, sont valorisés.

282 Outre l’affirmation du néo-tribalisme révélé par Michel Maffesoli, la crise de la postmodernité se traduit également par ce que Gilles Lipovetsky définit comme une nouvelle culture « qui n’entretient plus le culte de l’efficacité et des régulations sages, de la réussite et de la production morale » (Lipovetski, [1992], 2000 :12). Selon l’auteur, cette culture de l’éthique ne trouve plus son modèle ni dans les morales religieuses traditionnelles, ni dans celles, modernes, du devoir laïque, rigoriste et catégorique. Bien au contraire, l’effervescence éthique peut être interprétée comme réaction à la décrépitude des comportements, à la culture individualiste de la modernité, glorifiant l’ego mais, réussissant paradoxalement à mettre en vedette les vertus de rectitude, de solidarité, de responsabilité. Gilles Lipovetsky constate que la nouveauté de notre culture éthique du « troisième type » réside dans l’âge de l’après-devoir. En effet, la société, loin d’exalter les commandements supérieurs, les décrédibilise au profit de la glorification des désirs immédiats, de la passion de l’ego, du bonheur intimiste et matérialiste. Ainsi, la culture quotidienne n’est plus irriguée que par les impératifs hyperboliques du devoir mais par le bien-être et la dynamique des droits subjectifs. Les démocraties basculent donc dans l’au- delà du devoir. Elles s’agencent non « sans foi ni loi », mais selon une éthique faible et minimale, « sans obligation ni sanction » œuvrant pour la formation « de sociétés postmoralistes ». Ces sociétés postmoralistes répudient la rhétorique du devoir austère, intégral, manichéen tout en couronnant les droits individuels à l’autonomie, au désir, au bonheur.

Par conséquent, la cohérence et la stabilité de la vie sociale résultent de la socialisation des acteurs. La socialisation moderne, entendue comme un processus d’intériorisation des règles qui assure la constitution du Moi et la subjectivité des individus qui deviennent une dimension de la personnalité, engendre une autonomie individuelle issue de l’universalisme culturel et de la complexité croissante des systèmes des rôles sociaux. Or, la crise de la modernité se traduit par un déchirement des valeurs. En effet, les institutions qui assurent la transformation des valeurs en normes et en rôles se démantèlent. Cette crise s’opère au travers d’une séparation du monde vécu et du système, de la subjectivité et de l’objectivité. Avec la postmodernité, les individus ne sont plus réduits à leur programmation. L’action cesse d’être perçue comme l’accomplissement autonome d’un rôle déterminé. Une translation s’organise : on passe du rôle à l’expérience et l’identité des individus sont le produit d’activités multiples, hétérogènes, construites sur plusieurs registres, selon plusieurs rationalités (Dubet, 1994). L’expérience sociale, c’est-à-

283 dire l’activité par laquelle chacun de nous construit le sens et la cohérence d’une action, ne se fonde plus sur un système homogène et par des valeurs uniques. Dans un tel contexte, la correspondance entre la subjectivité de l’action, entre la subjectivité et le rôle, n’est plus acquise parce que la culture et la structure sociale se séparent. L’identité n’est plus la seconde nature engendrée par la socialisation, elle est la tension croissante entre l’identité pour autrui et l’identité pour soi. L’individu postmoderne est un sujet incertain, multiple, fragmenté, disséminé.

Les individus sont davantage définis par leurs expériences, leurs actions que par leurs rôles. L’expérience sociale est un moyen d’éprouver le monde social, de le recevoir, de le définir à travers un ensemble de situations, d’images et de contraintes déjà là. Elle est la version subjective de la vie sociale. D’autre part, parce que ce monde n’a ni unité, ni cohérence, l’expérience sociale est une manière de construire le monde social et de se construire soi-même. Il s’agit de panser les « blessures portées aux valeurs qui sont en fait des blessures portées à l’identité de chacun » (Dubet, 1994 :116). Ainsi, les logiques stratégiques et d’intégration qui portent l’expérience sociale sont supplantées par la subjectivation qui prévaut au cœur de l’ère postmoderne. En d’autres termes, les acteurs ne s’identifient plus seulement à leurs appartenances (logique d’intégration), et à leurs intérêts (logique stratégique), mais se définissent aussi comme des sujets, non par un décret de leur liberté, mais parce que la vie sociale propose des représentations du sujet. Cela signifie que les acteurs se définissent aussi par leur créativité, leur autonomie, leur liberté… Cette représentation est donc un processus qui se construit dans le rapport et la distance que les acteurs observent à l’égard de cette représentation. Aussi, la subjectivation permet le fait que le Je n’est pas identifiable au Moi social , que l’acteur n’est jamais réductible au système. Par conséquent, à l’heure de la postmodernité, l’individu entend ne pas s’éprouver comme un acteur fondu dans les représentations culturelles. L’individu vit plutôt comme un sujet en mesurant la distance et les obstacles qui se dressent entre cette représentation du sujet et son expérience. La subjectivation est déterminée par la société qui produit une conception culturelle du sujet et qui érige le système des rapports sociaux établissant la distance et la proximité avec cette représentation. Dès lors, certains acteurs contestent cette identification et lui opposent des contre-modèles, d’autres utopies ou bien leurs expériences elles-mêmes. Ils opposent leur volonté d’être des sujets à la domination sociale qui les réduit à leurs intérêts et à leurs fonctions dans un système conçu comme un ordre ou comme un marché. Ainsi, les mécanismes de subjectivation s’organisent et

284 inaugurent la mutation sociale de la modernité en postmodernité. Ces mécanismes s’opèrent à partir des registres du néo-tribalisme et s’appuient sur une culture résolument hédoniste, voire une passion du risque.

Le monde des sports n’échappe pas à l’émergence de ces nouvelles logiques sociales où l’individu se construit en tant qu’acteur sur de nouveaux modes de socialisation. Au contraire, le sport constitue un formidable laboratoire expérimental pour l’affirmation de ces nouvelles expressions sociales. Ainsi, un nouveau modèle sportif voit le jour au sein duquel de nouvelles dynamiques sociales prennent naissance et au sein duquel la figure du surfeur aquitain s’enracine précipitant au passage une forme d’homogénéisation des pratiquants.

4.3 Les représentations sociales du surfeur dans les médias

Au-delà du projet de territoire qui transpire à travers la mise en équipement et l’aménagement de l’espace, Bernard Debarbieux postule que « la représentation iconographique d’un territoire dans l’exercice d’élaboration d’un projet ou d’une prospective de territoire mobilise quantité de représentations individuelles et partagées, mentales ou matérielles, qu’elle contribue à faire évoluer. Ce type d’exercice implique généralement les responsables élus et les institutions politiques des territoires correspondants. La conception que ces représentants démocratiques ont de leur responsabilité et de leur légitimité constitue donc un paramètre fort de cet exercice. Dans ces conditions, le processus de production d’une iconographie de projet et de prospective de territoire peut-être pensé en fonction de l’ensemble des représentations sociales mobilisées » (Debarbieux, 2003). Par conséquent c’est bien les représentations sociales mobilisées qu’il convient d’examiner dans la mesure où celles-ci contribuent aux choix opérés par les élus locaux dans le cadre de la mise en scène « (géo-)graphique » des territoires. C’est la raison pour laquelle, l’analyse des discours médiatiques véhiculés par les acteurs de la société civile à l’endroit des surfeurs apparaît primordiale. Car, la mise en scène iconographique accomplie par locaux élus se nourrit des images et des valeurs

285 partagées collectivement. Ce n’est que réhabilitée socialement que l’image du surfeur peut être réinvestie par les pouvoirs publics.

4.3.1 Un surfeur type dans la presse locale

Le quotidien régional Sud-Ouest traite régulièrement dans ses colonnes de la question du surf. Il présente le surf et les surfeurs sous leurs meilleurs hospices. « Le surf a prouvé en cinquante ans son incroyable capacité à distiller du rêve, à élever des totems qui ont fixé sur nos côtes des générations d’hommes et de femmes. Ce sport s’est nourri des vagues généreuses qui embrassent nos plages de sable des Landes ou de roche du Pays Basque. Il a créé ici un art de vivre, une économie florissante 84 ». Après une lecture attentive des articles de presse publiés par le quotidien régional durant une dizaine d’années, force est de constater que la figure du surfeur aquitain s’articule autour de quatre grands thèmes principaux. Le surfeur aquitain est avant tout un héros sportif. Mais il également un défenseur de l’environnement, un businessman aguerri et un philanthrope acteur de lien social. Cependant, à l’instar du travail accompli par Christian Malaurie (1994), il ne s’agira pas ici de comprendre le contenu de la représentation. Ce sont les différents modes de figuration qui seront interrogés afin de saisir comment les surfeurs aquitains sont qualifiés. L’enjeu consiste à savoir si les présentations dithyrambiques des surfeurs réalisées par le quotidien régional participent du fait que « chaque année, ils sont un peu plus. Une planche de surf ou un bodyboard à la main, ils sont de plus en plus nombreux à se jeter à l’eau pour profiter d’une caractéristiques de notre littoral : la houle et ses vagues, eldorado des surfeurs. Ils viennent parfois de loin pour quelques instants de glisse au creux de l’une d’entre elles 85 ». Par ailleurs, cette lecture attentive des articles de presse publiés dans Sud-Ouest met en évidence le processus de réhabilitation de l’image du surfeur. On est loin de l’image d’un individu rebelle, marginalisé, fumeur de joints et profondément individualiste. Autrement dit, l’image médiatique du surfeur aquitain vient nourrir de nouvelles représentations collectives à l’encontre du surfeur.

84 Sud-Ouest . Une mythographie du surf. 6 août 2008.

286 - Le surfeur aquitain : un héros sportif

Avec l’instauration, à l’orée des années quatre-vingt, des compétitions sportives, les surfeurs sont présentés comme de véritables champions. Le quotidien consacre de larges pages aux résultats sportifs et met en lumière les performances des surfeurs aquitains. Ainsi, on apprend que « l’on ne devient pas champion par hasard 86 ». Bien au contraire, « si les jeunes sont de plus en plus forts » c’est avant tout parce qu’existent « des programmes très complets pour eux ». Ainsi, « le talent n’est pas inné » mais nécessite « beaucoup d’entraînement », ainsi que « des structures d’encadrement très importantes ». Par ailleurs, outre les résultats sportifs, les tactiques sportives adoptées par les compétiteurs, la présentation des conditions hydromarines, le quotidien présente les surfeurs comme de véritables sportifs, accomplis, libres, passionnés, qui composent « un joli monde 87 » en distillant leurs « sourires angéliques 88 ». On apprend même que « les cortèges de canette de bières lors des teufs [fête en verlan] sont justifiés par les efforts accomplis 89 ». Avec ce type de commentaires journalistes, force est de constater qu’on est loin des tribus du surf stigmatisées, d’individus relayés au rang de toxicomanes dans les années soixante. La débauche d’énergie consacrée à l’effort sportif en compétition légitimerait alors à elle seule la consommation excessive d’alcool. Ainsi, ce n’est qu’en « bravant des conditions extrèmes 90 » que , double champion du monde australien, remporte l’épreuve reine d’Hossegor. Le quotidien régional glorifie également les figures locales. Ainsi, Lee-Ann Curren, surfeuse appartenant à l’élite mondiale, est présentée comme « une jolie surfeuse » qui s’entraîne énormément, se fixe des objectifs sportifs et ne rechigne pas à surfer même en hiver dans la mesure où « un bon chocolat chaud fait l’affaire pour se réchauffer 91 ». Les résultats sportifs de 92 sont également relayés tout comme ceux d’Hugues Oyarzabal, surfeur local, qui « a dompté le monstre 93 ». On pourrait multiplier les exemples de ces articles de presse qui consacrent les performances sportives des surfeurs locaux ou des meilleurs professionnels réunis sur le littoral aquitain pour les étapes des championnats du monde. Là n’est sans doute pas

85 Sud-Ouest . Sur nos côtes, l’économie surfe la vague de la glisse. 21 août 2009. 86 Sud-Ouest . On ne devient pas champion par hasard ! 27 août 2007. 87 Sud-Ouest . Le surf pour Luke Fitcher. 21 mars 2001. 88 Sud-Ouest . Richard Lovett béni des dieux. 27 août 2002. 89 Sud-Ouest . Ibid. 21 mars 2001. 90 Sud-Ouest . Fanning en son royaume. 3 Octobre 2010. 91 Sud-Ouest . Et Lee-Ann Curren s’est envolée ! 9 janvier 2010 92 Sud-Ouest . Pauline Ado sacrée. 7 janvier 2009. 93 Sud-Ouest . Hugues Oyarzabal a dompté le monstre. 6 janvier 2009.

287 l’intérêt. Car, qu’il s agisse de Tyler Larronde 94 , de Joël Tudor 95 , de Kelly Slater ou de Tom Curren 96 , tous ces surfeurs sont présentés comme de véritables héros sportifs des temps modernes. Ils cumulent tous les attributs du héros sportifs dans la mesure où ils sont présentés comme capables de dompter les éléments et cette « capacité de résistance suscite toujours de l’admiration et conserve au champion son prestige » (Duret, 1993 :15). La manière dont les surfeurs sont présentés dans les colonnes du quotidien régional colporte une idée de la grandeur, de l’honneur, de l’excellence et de la dignité qui sont les caractéristiques du héros sportif (Duret, 1993 :34). En effet, ils sont courageux ne serait-ce qu’à l’idée de braver le froid de l’eau pour suivre leurs entraînements. Ils sont prêts à de nombreux sacrifices pour la victoire et ils savent gagner. Ils disposent même d’ouvrages spécifiques consacrés aux techniques d’entraînement et rédigé par « celui qui fut entraîneur des équipes de France. Le livre, préfacé par Jérémy Flores a fait l’objet d’une véritable razzia 97 ». Or, Pascal Duret souligne que « peu importe que le courage ne mène pas à la victoire, qu’il ne serve que de loin l’efficacité : il impose le respect » ( Ibid, 16). Il conclut en précisant que « les champions se distinguent certes par leurs résultats, mais aussi par leur talents et leur vertu. Ils ne sont vraiment des héros que s’ils parviennent dans la défaite comme dans la victoire à attirer notre estime » ( Ibid, 31). Ainsi, plus rien n’arrête ces héros qui « chassent la grosse vague à la vitesse d’un jet 98 ».

- Le surfeur, un philanthrope, acteur de lien social :

Désormais, les surfeurs, « ces enfants de la glisse », sont présentés comme des êtres dynamiques, pleins de ressources, d’énergie, à l’origine de nombreuses initiatives tant dans le domaine sportif, social, qu’économique ou environnemental. Ainsi, le quotidien nous informe dans un article intitulé « Glacé mais génial », que les surfeurs initient de jeunes handicapés à leur discipline et que leur démarche est d’autant plus exemplaire que « le surf est une activité vraiment épanouissante, physiquement, mentalement, un sport complet avec des règles qui obligent à être tout le temps en éveil 99 ». Au travers de cette initiative, le quotidien souligne l’exemplarité du monde du surf dont certains moniteurs, « véritables

94 Sud-Ouest . Tyler Larronde, 15 ans, a défié Jaws. 13 janvier 2010. 95 Sud-Ouest . Biarritz sacre Tudo. 19 juillet 2004. 96 Sud-Ouest . Slater invite Curren. 24 septembre 2004. 97 Sud-Ouest . Le surf en pratique. 7 juin 2011. 98 Sud-Ouest . Ils chassent la grosse vague à la vitesse d’un jet. 15 octobre 2011.

288 passionnés sans cesse à la recherche de nouvelles planches pour les élèves handicapés 100 », s’efforcent d’en faire un « sport pour tous 101 ». Le surf est présenté comme un outil en faveur du renforcement du lien social. Grâce au volontarisme des surfeurs, « des enfants handicapés apprivoisent planches de surf et vagues ; et malgré la force des vagues, Iban, [jeune handicapé,] a été le plus fort et se souviendra de cette expérience à fortes sensations 102 ». Le rôle de l’association « Surf Insertion » est également mis en avant : « Depuis treize ans, l’association Surf Insertion, implantée à Bordeaux, met en œuvre des actions favorisant la pratique des sports de vague et d’actions d’écocitoyenneté sur tout le littoral aquitain en faveur des jeunes des cités et des quartiers sensibles, habituellement exclus de cette pratique 103 ». Incontestablement, la figure du surfeur, telle que mise en exergue dans les articles de la presse locale, vient rompre avec les valeurs de l’individualisme dont le surfeur était l’un des représentants.

- Le surfeur aquitain, un businessman aguerri

Cette presse régionale insiste également sur les nombreuses initiatives des surfeurs en matière de développement économique. En effet, le quotidien se réjouit du retour « du salon Glissexpo dans son berceau d’origine à Anglet ; avec ce retour aux sources très attendu, le salon renoue ainsi avec ses valeurs en présentant aux détaillants les marques les plus en vogue du marché de la glisse et en accueillant de nouveau le grand public avec un programme d’événements entièrement dédiés aux sports alternatifs104 ». En matière d’initiatives originales, le journal constate que les surfeurs s’attachent à organiser des compétitions professionnelles sur la côte basque qui ne sont pas sans « ravir tout le monde 105 », puisque les bannières des entreprises de glisse européennes « ne pouvaient se résigner à ce que l’Aquitaine, où se trouvent leurs sièges, soit écartée de ce type de manifestations sportives 106 ». Cependant, le quotidien s’attarde non seulement sur le dynamisme socio-économique insufflé par les grandes firmes du surf-wear , mais aussi sur les projets de jeunes étudiants surfeurs dont « la tête pleine d’idées reste bien posée sur

99 Sud-Ouest . Glacé mais génial. 21 avril 2001. 100 Sud-Ouest . Le premier club français. 6 février 2001. 101 Sud-Ouest . Op. Cit . 21 avril 2001. 102 Sud-Ouest . L’approche des vagues. 13 septembre 2011. 103 Sud-Ouest. Surf Insertion transmets des valeurs écocitoyennes. 24 août 2010. 104 Sud-Ouest . Le salon de la reconquête. 12 septembre 2002. 105 Sud-Ouest . Surf, le est né. 31 janvier 2001.

289 leurs épaules de jeunes dynamiques et consciencieux 107 ». Ainsi, dans cet article intitulé « C’est encore secret », on apprend que deux jeunes surfeurs ont mis au point un projet, « un soir de délire, comme on en connaît tous, quand on refait le monde et sa galaxie, quand on aime les sensations que procure la poussée d’adrénaline et que l’imagination fait le reste 108 ». Enfin, les surfeurs inventeraient leurs métiers. Véritables passionnés de l’océan, ils auraient cette capacité fulgurante, compte tenu « de cette fusion liquide » à « fabriquer un métier, à mi-chemin entre l’écologie et la communication 109 ».

- Le surfeur aquitain, un écologiste militant

Par ailleurs, le journal Sud-Ouest met en exergue le dynamisme et la recherche d’innovations qui caractérise ce milieu sportif. Aussi, le quotidien rend compte des innovations technologiques dont les surfeurs sont à l’origine. A titre d’exemple, il nous est donné d’apprendre que « chargé toute l’année d’entretenir la forêt et de protéger la dune, c’est la pratique du surf qui a aidé Bertrand Dupont à mettre au point les fameux filets serpillières 110 », c’est-à-dire les filets disposées sur la plage qui permettent de retenir à chaque marée les boulettes de pétrole engendrées par le naufrage du Prestige . Cependant, ces initiatives en matière de gestion environnementale du littoral ne sont pas les seules à être sous les feux de l’actualité médiatique régionale. En effet, le quotidien rapporte régulièrement les actions orchestrées par l’association Surfrider Foundation Europe , composée dans sa grande majorité d’adhérents issus du monde de la glisse. Le journal mentionne le rôle éducatif de ces surfeurs qui, « avec bonne humeur et constance 111 », « mettent en garde la population 112 » des dangers qui menacent l’océan grâce à leurs témoignages, par ailleurs présentés comme authentiques. D’autre part, face à la pollution engendrée par le naufrage du Prestige , le quotidien ne manque pas de signaler que les « surfeurs sont amers 113 », réaffirmant au passage un peu plus l’attachement des surfeurs à l’égard du littoral. D’autres initiatives en matière de gestion environnementale du littoral, initiées par les surfeurs, sont présentées. « L’odyssée du flocon à la vague » fait la une du

106 Sud-Ouest . WCT en France ? 24 janvier 2001. 107 Sud-Ouest . C’est encore secret. 30 décembre 2002. 108 Sud-Ouest . Ibid . 30 décembre 2002. 109 Sud-Ouest . La mer est son pays. 23 octobre 2004. 110 Sud-Ouest . Les surfeurs et les boulettes. 6 janvier 2003. 111 Sud-Ouest . Surfrider cherche des volontaires pour nettoyer les plages. 17 mars 2001. 112 Sud-Ouest . Bixente Lizarazu en renfort. 24 mars 2003.

290 quotidien le 28 avril 2009 114 . Ainsi, on apprend que l’organisateur de cette manifestation, censée sensibiliser les surfeurs sur le cycle de l’eau à travers l’organisation d’une épreuve sportive reliant la station montagnarde de La Mongie aux vagues des plages d’Anglet, « avait du mal à cacher son émotion sur le podium ». Quant à Laird Hamilton, « le champion de big surf, il cultive sa fibre écolo jusqu’à s’habiller en vert 115 ».

Enfin, certains articles sont consacrés à l’histoire et à la culture du surf sur la côte basque. Ces articles rappellent par exemple que Peter Viertel est le premier à inaugurer le surf sur le littoral basque et qu’il s’agit par conséquent de « lui rendre hommage 116 ». Le quotidien remarque également que certains événements culturels majeurs, articulés autour du surf, « participent à la renommée des stations et à la promotion de leur image surf 117 ». Le Biarritz Surf Festival auquel le quotidien rappelle son attachement : « le BSF, on aime, on adore même… surtout on souhaite qu’il se poursuive et qu’il fête cet été avec faste son dixième anniversaire sur la côte des basques 118 » illustre, cette dynamique. Dans les colonnes du quotidien régional, le surf ponctue donc les grands moments de la vie culturelle sur le littoral aquitain. « Surf, art et musique » constituerait « le triptyque du Roxy Jam 119 ». Le quotidien relate également l’initiative de l’Alliance Française qui « vient d’ouvrir une antenne à la maison des association de Biarritz » et où « en plus du français, elle propose des cours de surf 120 ». Mais « le surf fait [également] son cinéma » et force est de constater que « malgré la crise, la cuvée 2009 du festival international du film de surf s’annonce millésimée 121 ». En 2010, « l’événement prend [même] pied sur un site mythique du surf sur la côte basque 122 ».

Par conséquent, après un dépouillement assidu des articles de la presse locale pendant presque dix ans, on peut penser que le quotidien Sud-Ouest construit un discours qui valorise l’image du surfeur contemporain. On verse même souvent dans la caricature, voire le ridicule tant les choix sémantiques semblent inappropriés. Mais, quoiqu’il en soit

113 Sud-Ouest . Les surfeurs sont amers. 22 mars 2003. 114 Sud-Ouest . Des flocons de la Mongie aux vagues de la Barre. 28 avril 2009. 115 Sud-Ouest . Laird Hamilton à Bidart. 7 juin 2010. 116 Sud-Ouest . Peter donna sa planche. 23 septembre 2002. 117 Sud-Ouest . Les Beach Boys au BSF. 10 mars 2001. 118 Sud-Ouest . La ville adore le festival. 25 mars 2002. 119 Sud-Ouest . Surf, art et musique, le triptyque du Roxy Jam. 9 juillet 2009. 120 Sud-Ouest . Cours de surf et français pour les jeunes étrangers. 9 juin 2010. 121 Sud-Ouest . Le surf fait son cinéma. 18 mai 2009. 122 Sud-Ouest . Le festival du film de surf reprend la vague. 29 juin 2010.

291 le surfeur est décrit comme un sportif complet, passionné, un citoyen intégré à la société, capable de générosité, d’innovations, responsable, engagé dans le processus de conscientisation environnementale. Le surfeur est un héros sportif, rompu aux compétitions, aux techniques de l’entraînement. Mais il est aussi philanthrope dans la mesure où il fait partager sa passion aux publics en difficulté. Il est à l’initiative de manifestations culturelles. Cette présentation du caractère philanthropique du surfeur et de son appétence pour les questions environnementales est également reprise dans les articles de quotidiens nationaux. Ainsi, dans un article du Monde, on peut lire que « un peu plus loin, une vingtaine d’enfants s’égaillent comme des poussins sur la plage autour du moniteur de surf, un animateur hors pair pour attirer l’attention des plus jeunes et faire passer des messages essentiels. Pendant une heure trente, les enfants vont apprendre la vie et les secrets de l’océan, des dunes et de la forêt 123 ».

Rares sont les articles du quotidien Sud-Ouest qui pointent les difficultés de l’univers de la glisse. Les commentaires sont plutôt dithyrambiques. Le surfeur n’est plus le rebelle des années soixante-dix, antisocial, drogué, déconnecté de la réalité, marginalisé de son plein gré… On est désormais loin du temps où « les planches bariolées s’entassent sur les toits et les joints prohibés circulent 124 ». Les articles publiés dans le journal Sud- Ouest nous permettent de mieux rendre compte de ce discours valorisant à l’égard du monde de la glisse aquatique. Cela dit, il convient de constater que ce discours valorisant l’image du surfeur reste le fait d’une presse avant tout régionale. En effet, lorsque l’hebdomadaire L’Équipe Magazine propose un récapitulatif des quatre cent trente neuf articles parus au cours de l’année 2002, on remarque que seul un article traitant du surf, consacré à Micky Picon, alors nouvelle étoile française de la discipline, a été publié 125 . En revanche, quatre vingt un articles dédiés au football ont été rédigés, soit près d’un article sur cinq publié par ce quotidien sportif national traitant de cette discipline sportive collective. Cependant, même s’il s’avère que les revues sportives généralistes ne portent qu’un intérêt limité au surf, la presse spécialisée qui distribue ses magazines sur l’ensemble du territoire national participe, quant à elle, à la construction d’une image positive du surfeur.

123 Cahiers du Monde , n°20744. Surf attitude sur la plage du Grand-Crohot. 1er octobre 2011. 124 Sud-Ouest . Op. Cit . 6 août 2008. 125 L’Équipe Magazine . n°1075, 2002, p 125-128.

292 4.3.2 Le surfeur de la presse spécialisée

Là encore, à la lecture des éditoriaux des magazines de la presse spécialisée, on constate que le surfeur des années deux-mille n’est plus celui des années soixante-dix. En effet, il n’est plus le vagabond insouciant, parcourant le monde à la recherche de vagues exotiques et de son être intérieur. Non, le voilà rattrapé par la société, « rongé par le doute, dont l’existence ne se résume pas moins à une éternelle question de placement 126 ». Ainsi, « de retour du large, le sourire glacé, il est difficile, malgré le zen du plan d’eau hivernal et la perfection des premiers swells de l’année, de ne pas être rattrapé par l’autre réalité. L’offshore cédant brutalement la place au vent de révolte dès lors que l’on pose à nouveau le pied sur le sable. Ceux qui imaginaient au moment de faire nos choix, un autre destin que la voie du surf, tellement auto persuadés. Aujourd’hui, c’est l’heure des comptes. De quoi avoir envie de hurler à la face du monde, vous nous avez pris pour des surfeurs irresponsables et utopistes pendant des années, voilà le merdier auquel vous avez cru. Et plutôt que de cramer tout notre forfait à jubiler, plus efficace encore d’accomplir notre devoir citoyen, de conspirer sur les parkings et de philosopher hors milieu dès que possible pour partager un peu de notre éveil 127 ». Ainsi, les surfeurs ne sont donc plus les utopistes des années passées. Ils sont conscients de ce qu’ils vivent, voire davantage en éveil que le reste de la population, de vrais citoyens prêts à accomplir leur devoir !

Par ailleurs, on est aux antipodes du temps où les règles n’avaient pas lieu d’exister, où la glisse se suffisait à elle-même. À présent, les surfeurs se doivent de composer avec les autres, de « respecter non plus le paradis d’un spot bondé, mais le plaisir de chacun à prendre une vague et à partager une session 128 ». C’est la prise en considération des règles et des autres qui initient ainsi le surfeur postmoderne aux logiques sociétales. Cette intégration sociale du surf s’opère également par le biais d’un accomplissement sportif. Michel Plateau, alors directeur du Comité Départemental de Surf de la côte basque, désormais Directeur Technique National à la Fédération Française de Surf, ajoute qu’il s’agit « d’arrêter de surfer con, qu’il convient plutôt que les surfeurs se donnent des objectifs de session, de cycles, qu’ils se concentrent dans l’eau, qu’ils travaillent une

126 Surf Session . n°77, 1993, p 7. 127 Surf Session . n°295, 2012, p 10. 128 Surf Session . n°121, 1997, p 13.

293 figure, puis une autre, qu’ils fassent leur autocritique 129 ». Les maîtres mots de la réussite sociale sont lâchés : objectifs, concentration, travail, autocritique. La pratique du surf n’est alors plus celle « d’un mode d’expression corporelle basée sur l’esthétisme » comme le préconisait, non sans un certain lyrisme, Yves Bessas, vingt ans plus tôt (Bessas, 1982 :51). Le contact avec la mer n’est plus le moyen de « reconstituer un cordon ombilical avec les vraies valeurs d’une vie plus humaine » (Bessas, 1982 :102). Il est devenu le support à la réalisation d’objectifs purement sportifs. Franck Lacaze constate que désormais « l’espoir de scorer de bonnes vagues est au moins aussi grand que l’insouciance qui habite les surfeurs 130 ». C’est d’ailleurs sans doute pourquoi Yves Bessas regrette que « les jeunes surfeurs poussent de plus en plus à la lutte et qu’il n’y ait plus de plaisir » (Bessas, 1982 :130). Guillaume Dufau, quant à lui, s’insurge du fait que certains surfeurs professionnels « dont on ne peut pas dire qu’ils soient franchement à plaindre aient envie de rentrer chez eux plutôt que de surfer des vaguelettes 131 ». En effet, cet éditorialiste fait référence aux compétitions sportives internationales, par ailleurs qualifiées « d’outils de promotion du sport et du progrès technique », qui sont parfois annulées, faute de vagues, à l’initiative des surfeurs professionnels qui refusent d’attendre l’arrivée de houle. Pour Guillaume Dufau, les surfeurs devraient donc se plier aux exigences induites par la professionnalisation du surf et leur manque d’enthousiasme à l’idée de surfer des vaguelettes ne « devrait pas rentrer en ligne de compte 132 ». Par conséquent, le surfeur, « de rebelle et extatique, est devenu sportif et économique 133 ». Gibus de Soultrait souligne même « qu’aujourd’hui va bientôt arriver à maturité une jeune génération qui n’aura fait ses premiers pas, pris ses premières vagues, fumé ses premiers pétards que sous le phare évanescent de marques de rêves 134 ». Ainsi, le surfeur des années soixante-dix, celui qui réfutait l’ américan way of life , est écarté au profit d’un surfeur inscrit dans les logiques de la société de consommation, cible privilégié du surf business . Un surf business qui permet, en autre, un « check rapide des conditions de surf sur le net ». Incontestablement, les éditorialistes de cette presse spécialisée s’accordent, unanimement, à penser que le rebelle des années soixante-dix a cédé sa place « au mec qui ne se dit plus rien, qui revisse le bouchon de son réservoir, remonte dans sa voiture, met le contact et appuie sur le champignon pour rejoindre le spot au plus vite, en priant pour que le vent offshore n’ait

129 Trip Surf . n°5, 1995, p 3. 130 Trip Surf . n°72, 2003, p 11. 131 Surf Saga . n°27, 1998, p 11. 132 Surf Saga . Ibid , 1998, p 11. 133 Surf Session . n°146, 1999, p 13.

294 pas tourné pendant qu’il faisait le plein 135 ». Ce mec est devenu « esclave de sa caisse », symbole emblématique de la société de consommation, même si « il a un flash [comprendre un moment de lucidité] et se met à réfléchir au fait que ce liquide puant et onéreux, pour arriver jusqu’au réservoir de sa voiture est parfois transporté par des navires délabrés qui s’échouent et souillent des milliers de kilomètres de côte ». Cela dit, cette réflexion importe peu puisqu’un « regard rapide vers les drapeaux de la station service confirme que le vent tient bon et annonce une journée de rêve 136 ». À la lecture de cet éditorial, on comprend que la morale du surfeur qui prévalait dans les années soixante- dix s’étiole, que le surfeur, rattrapé par la société de consommation, fasse l’apologie de la morale hédoniste, individualiste et qu’après tout qu’importe la misère du monde tant que le vent off shore tiendra bon… Autant dire que « le paysage de la société a avalé le surf, que le surf et son mode de vie sont intégrés à la société faute d’issue à son utopie 137 ». Par conséquent, à travers ce survol des éditoriaux des magazines de la presse spécialisée, on constate que le surfeur prend part à la société, qu’il ne la conteste plus comme il le faisait une vingtaine d’années auparavant. On est alors bien loin de l’image du surfeur prêt à tout abandonner au bénéfice de pouvoir vivre sa passion. Le discours médiatique occulte ces surfeurs des années soixante-dix dont certains d’entre eux pointaient déjà les dérives des représentations collectives : « l’été on est les rois de la plage. Les touristes qui déboulent nous voient comme chaque année ultra bronzés avec des planches de surf superbes, des shorts introuvables, des tas de copines plus belles les unes que les autres, une tonne de potes sur la plage. Ils doivent se dire “ces mecs là, ils ne travaillent jamais. Ils sont riches !” Nous faisons peut-être des jaloux ! Jaloux de mecs qui n’ont pas un rond en poche, il faut le faire. S’ils savaient comment on vit pendant l »hiver, ils changeraient d’avis ! Sans chauffage, il fait zéro dans cette caravane pourrie ouverte à tout vent. Des rats nous courent parfois sur la gueule pendant la nuit… » (Berque, 2001 :109).

L’image du surfeur telle qu’appréhendée au travers de l’analyse du discours médiatique répond aux logiques paradigmatiques de la société postmoderne. Cette image du surfeur, récupérée, élaborée par la société traduit l’avènement de nouveaux modes de socialité au cœur de notre organisation actuelle. Le surfeur réhabilité, intégré socialement, consommateur potentiel comme tant d’autres touristes, sportif et respectueux de

134 Surf Session . Ibid , 1999, p 13. 135 Trip Surf . 2003, p 11. 136 Trip Surf . Op.Cit , 2003, p 11.

295 l’environnement peut alors faire l’objet d’une récupération iconographique. En effet, il est désormais intégré dans les logiques de communication des grands opérateurs privés.

4.3.3 La mise en scène iconographique du surf

Outre la construction de discours valorisant à l’égard des surfeurs tels qu’ils sont élaborés dans la presse régionale et spécialisée, on trouve une multitude de documents en rapport au littoral aquitain qui mettent en avant l’image du surf. On a choisi délibérément de focaliser notre analyse sur trois documents que l’on a estimé suffisamment représentatifs de cette dynamique. Tous sont produits à l’initiative d’opérateurs privés.

Le premier document analysé concerne la couverture d’un guide de voyage consacré à la découverte du pays basque (Figure 9). Le surfeur, le joueur de pelote basque ainsi que les éléments du patrimoine architectural ou culturel cohabitent sur la couverture du guide touristique. Par conséquent, le pays basque est présenté comme un territoire au sein duquel le surf occupe une place majeure. Cette pratique sportive acquiert une dimension culturelle.

Figure 9 : Couverture d’un guide de voyage - Pays basque

137 Surf Session . n°164, 2001, p 13.

296

Peut ainsi s’opérer dans l’imaginaire du lecteur « l’association d’une destination et d’une forme de pratique d’activités physiques qui délimitent un contexte touristique où se sont développés des savoir-faire et des stratégies de développement sportif » (Pigeassou, 2000 :92). De plus, présenté en équilibre sur la vague, dans le mouvement de l’effort accompli, du geste sportif réussi, le surfeur s’expose ici scéniquement dans un cadre triomphant, un cadre éminemment positif où l’exploit est évident, immédiatement perceptible par le lecteur. Ces structures privées manipulent des images afin « que la stabilisation représentative s’exécute en conférant à cette région urbaine une identité de région du surf de premier ordre » (Favory, Falaix, 2002 :58).

Le second document analysé est une publicité pour la promotion d’une banque (Figure 10). Le document est extrait du journal Le Monde du mercredi 9 novembre 2005. La publicité figure en page onze aux côtés d’un article rédigé par Piotr Smolar consacré aux émeutes des banlieues. Deux surfeurs sont mis en scène sur la grande plage de Biarritz. Le texte qui accompagne l’image est le suivant : « Surfeurs contemplatifs ou managers d’un site web ? Avoir l’esprit ouvert sur le monde, c’est reconnaître vos compétences au- delà de votre apparence ». Ainsi, que vient signifier cette publicité sinon que les surfeurs sont des individus, certes contemplatifs, mais plus encore compétents. Ce type de discours médiatique participe de la réhabilitation sociale des surfeurs. Certains d’entre eux auraient même dorénavant l’étoffe de véritables managers.

297

Figure 10 : Surf et Publicité

Source : Le Monde , mercredi 9 novembre 2005, p 11.

Le surfeur tend donc à être réhabilité socialement dans le discours médiatique. Il n’est plus seulement cet individu rebelle, drogué, anticonformiste. Le surfeur des années deux mille est un sportif accompli, un manager potentiel, un individu sain de corps et d’esprit, un écologiste militant respectueux des ressources planétaire. Le surfeur présenté dans le discours médiatique est également jeune, athlétique, blanc et souriant.… Dans ce contexte, les surfeurs marginaux n’ont plus leur place. Ils sont exclus de la scène

298 médiatique. Ces surfeurs n’existent plus, ils disparaissent des représentations collectives dans la mesure où ils n’autorisent pas le processus d’identification.

Le troisième document est issu d’une présentation d’un programme neuf immobilier situé sur la commune de Labenne dans le sud des Landes (Figure 11). Le surf est présenté comme un élément contribuant à la qualité du cadre de vie. Le promoteur immobilier précise qu’avec « quelques beaux spots de surf, Labenne a tout pour vous séduire ». Ainsi, à l’initiative d’opérateurs privés, le surf, au même titre que « les parcs de loisirs, le maillage de sentiers balisés, la réserve naturelle ornithologique » concourt à la constitution d’un « cadre de vie exceptionnel ».

Figure 11 : Le surf, un élément de la qualité du cadre de vie

Source : Bouygues Immobilier – Programme neuf immobilier « Terres Océanes » à Labenne, 2012.

299

Les acteurs locaux peuvent alors réinvestir l’image du surf dans le discours politique et dans les stratégies de communication territoriale. Les acteurs publics adoptent une stratégie de communication qui sacralise l’image positive du surf afin de déterminer un positionnement sportif de l’espace touristique au sein duquel le client potentiel pourra s’identifier et envisager l’usage d’une partie de son précieux temps libre. Ces politiques de développement touristique et les modalités de leur mise en œuvre s’appuient donc sur les valeurs et les représentations sociales des surfeurs afin d’énoncer le territoire. Elles traduisent « un projet de station touristique, entrepris par les collectivités territoriales, montrant l’effort actuel d’organisation du tourisme local qui correspond à un changement important dans la manière dont le secteur touristique est perçu par les responsables publics et par le monde politique » (Vlès, 2002 :13). C’est sans doute cette prise de conscience par les élus locaux du rôle fédérateur et structurant du surf au cœur des stations balnéaires qui fait dire à Didier Borotra, Sénateur-Maire de la ville de Biarritz, « qu’avec le Reef Biarritz Surf Trophée, notre ville se dote d’un événement sportif de haut niveau, d’une épreuve de dimension internationale, originale et innovante… Cet événement est l’expression supplémentaire de la politique ambitieuse de Biarritz en faveur du surf, devenu sport emblématique de notre ville 138 ». Nul doute que le surf constitue un élément de valorisation touristique et territoriale. Il prend une place centrale au cœur du mouvement sportif sur la côte aquitaine à tel point qu’il détrône, selon Didier Borotra, le rugby ou la pelote basque, sports endogènes, pour devenir « emblématique » d’une ville et plus largement d’une région littorale.

138 Plaquette de présentation de l’épreuve Reef Biarritz Surf Trophée . Éditorial de Didier Borotra, Sénateur- Maire de la ville de Biarritz, 2011, p 3.

300 CONCLUSION CHAPITRE 4

VERS L’APPROPRIATION DU SURF COMME FAIT SOCIOGÉOGRAPHIQUE

L’engouement pour le surf sur la côte aquitaine ne date pas d’aujourd’hui. Le surf en Aquitaine est déjà une pratique sportive et culturelle qui s’inscrit dans l’histoire locale. Les conditions hydro-marines, la douceur du climat océanique tempéré, la diversité des fonds marins qui confèrent différents types de déferlement présentés en annexe, associés à un intérêt des populations locales pour la vie maritime sont autant de facteurs matériels et immatériels qui concourent à l’émergence puis la démocratisation du surf sur cette portion du littoral. Le surf est désormais un élément de la culture et de l’histoire locale. Quelques chiffres attestent de l’engouement pour le surf. Le groupe Surf-Session revendique 143 600 lecteurs et précise que 94% d’entre eux se déclarent comme surfeurs 139 . Quant au site Internet de prévisions météorologiques entièrement dédié aux surfeurs, à en croire le responsable du site, interrogé par le quotidien Sud-Ouest140 , sa fréquentation quotidienne se situe entre 20 000 et 25 000 visites.

À l’heure actuelle, la côte aquitaine est identifiée à une « petite Californie du surf 141 ». La « côte basque surfe sur la vague [puisque] le secteur de la glisse prend son essor : depuis une quinzaine d’années, les plus grands spécialistes mondiaux du surf, du snowboard et du skate élisent domicile sur la côte basco-landaise entraînant dans leur sillage une myriade de sous-traitants 142 ». De nouvelles zones d’activités au sein desquelles se concentrent les entreprises de la filière glisse voient le jour et Fred Basse, Directeur général de Rip-Curl Europe et Président d’ Eurosima n’entend pas s’arrêter là. Invité à s’exprimer dans le cadre des rencontres Sciences-Po Bordeaux, dont l’une était consacrée le jeudi 16 février 2012 au thème « l’économie du surf », Fred Basse affirme que

139 Surf Session . Média-Kit, 2012, p 3. 140 Sud-Ouest . Sur nos côtes, l’économie surfe la vague de la glisse. 21 août 2009. 141 Gibus de Soultrait. « Côte basque : La petite Californie du surf ». Géo-magazine , n°221, 1997, p 107-108. 142 Pascal Mateo. La côte basque surfe sur la vague. Le point , n°1628, 28 novembre 2003.

301 « La stratégie commerciale consiste à renouveler les surfeurs pour en faire de futurs consommateurs. Les vagues artificielles sont un nouveau souffle et elles permettront le développement du surf à l’intérieur des terres, là où il n’y a pas de vagues. On a deux axes sur lesquels on assoit notre stratégie : les compétitions et les surfeurs professionnels représentants de la marque. Chez Rip-Curl, on a Taylor Knox qui a trente-huit ans mais aussi Gabriel Médina qui n’en a que dix-sept. L’idée c’est que les gamins s’identifient à Gaby afin qu’on ait un renouvellement générationnel. Chez Oxbow, c’est pour ça qu’ils se sont plantés. Ils n’ont pas su renouveler l’image et les valeurs de la marque à travers le sponsoring de nouvelles stars du surf ».

La zone de Pédebert à Soorts-Hossegor « jouit de la grosse attractivité liée à l’image du surf et l’immobilier suit cette dynamique 143 ». Mais, ce rapprochement imaginaire avec l’archétype américain de la glisse atteste probablement de la dynamique des mutations dans les usages spatiaux, dans les dynamiques économiques et les représentations sociales qui s’opèrent sur le littoral aquitain. Il s’agit alors d’analyser dans quelles mesures le surf, au regard de son emprise spatiale, sociale et économique bouleverse le processus d’organisation territoriale établi durant près de deux siècles dans ses routines touristiques. En d’autres termes, il s’agit de comprendre comment les pratiques spatiales des surfeurs mais aussi la mobilisation par les pouvoirs publics de cette nouvelle « ressource territoriale » (Gumuchian, Pecqueur, 2007), le renforcement de l’offre touristique sur le segment de la découverte de l’activité surf, ainsi que l’accompagnement de la structuration économique de la filière glisse participent de la recomposition des espaces urbains balnéaires de la côte aquitaine. La question consiste à savoir si l’on assiste à une forme de requalification de l’espace touristique aquitain. L’enjeu consiste également à caractériser la nature du changement des politiques publiques induit par la prise en compte du surf dans l’action publique.

143 Sud-Ouest . Zone d’activités convoitées. 29 mars 2007.

302 CHAPITRE 5

L’INSTITUTIONNALISATION DES TERRITOIRES

DU SURF

Le surf occupe une place prépondérante sur la côte aquitaine. Plus encore, la présence des surfeurs sur le littoral, la médiatisation dont ils sont l’objet, et leur mise en scène iconographique dans les outils d’énonciation territoriale bouleversent les représentations des territoires touristiques de l’espace côtier aquitain. Ces mutations génèrent-elles l’avènement d’une structuration des stations balnéaires du littoral aquitain qui relèverait d’une troisième génération ? Car, Jean-Pierre Augustin propose cette analogie avec la structuration générationnelle des stations montagnardes. Il précise que la station de Lacanau-océan, « station touristique située à cinquante kilomètres de Bordeaux est exemplaire pour illustrer le passage d’un tourisme de destination à un tourisme résidentiel et souligner la création d’une station de troisième génération fondée sur la pratique d’activités ludosportive » (Augustin, 2010 :43). Pour Jean-Pierre Augustin, ce renforcement de l’offre ludosportive justifierait à lui seul le fait que « la station balnéaire des débuts [se soit] métamorphosée en station surf en adoptant de surcroît les traits spécifiques de la modernité des temps libres » ( Ibid :52). Cependant, cette place concédée aux activités ludosportives, et plus particulièrement au surf, justifie-t-elle de s’en remettre au terme de station surf ? Car même si le surf occupe une place importante dans le renforcement de l’offre touristique des territoires balnéaires aquitains, la question consiste malgré tout à se demander s’il occupe une place hégémonique légitimant ainsi l’avènement d’une troisième génération de station sur cette portion littorale ? On ne partage pas cette analyse. On a déjà eu l’opportunité de s’en expliquer (Falaix, Favory, 2002). C’est la raison pour laquelle, on préfère, à défaut de s’en remettre au concept de station surf, se demander si l’emprise socio-spatiale du surf et des surfeurs, associée avec la mise en scène iconographique des territoires côtiers aquitains, participe d’une requalification de l’espace touristique du littoral aquitain. Plus précisément, on cherche à caractériser les mutations

303 sociospatiales des territoires balnéaires de la côte aquitaine. Autrement dit, les stations touristiques du littoral aquitain seraient-elles en proie à des formes de requalification des espaces touristiques, au sein desquels la valorisation des espaces ludosportifs tiendraient une place majeure, sans pour autant relever d’une position hégémonique, dans la structuration des territoires touristiques.

Pour répondre, on interroge la place du surf dans la « mise en scène (géo- )graphique » du projet de prospective territoriale, les mutations introduites par le renforcement de l’offre touristique induites par la démocratisation du surf et les modalités d’accompagnement du surf par les pouvoirs publics. Dans ce contexte, les travaux de Michel Chadefaud constituent de précieux apports théoriques. En effet, il constate que « le tourisme engendre comme corollaire deux groupes de productions spatiales : des espaces matériels, bâtis, aménagés (hébergements, infrastructures de loisirs et de transports…), des espaces immatériels représentés par ces images issues de connotations mercantiles que la promotion touristique plaque sur l’espace matériel et son environnement immédiat ». Pour l’auteur, « les paysages deviennent images, représentations mentales ». Michel Chadefaud ajoute que ces espaces immatériels s’orchestrent à partir d’une demande sociale composée de « besoins où subjectif et objectif se mêlent et naissent à partir de perceptions faites d’images, de discours… » (Chadefaud, 1987 :16). Or, ces images, ces discours « suggèrent que la production de représentations graphiques des territoires constitue un moment essentiel de l’élaboration de la réflexion de projet et de son énonciation » (Debarbieux, 2003). Pour autant, ces nouvelles représentations quant aux propriétés territoriales de l’espace côtier aquitain acquièrent-elles la puissance d’un mythe, dans la mesure où le mythe serait constitué d’un « ensemble de représentations mentales nées de textes, d’iconographies, de photographies, de paroles envolées…, d’un agrégat de messages composant un système de communication », qui tisserait des liens étroits et dans une dynamique inter-relationnelle avec l’espace ?

Michel Chadefaud constate que les mythes, dont il propose une définition, nourrissent une demande sociale. En revanche, dans la mesure où les mythes élaborent des besoins subjectifs dans l’inconscient des individus, l’auteur remarque que d’autres liens s’établissent alors entre les deux termes du binôme « mythe-produit ». Ainsi, Michel

304 Chadefaud, même s’il ne nie pas le rôle essentiel joué par la structure économique et par les modes de production des biens fabriqués qui constituent les produits touristiques, souligne que ce sont plutôt les mythes qui érigent les produits non comme de simples biens matériels, mais davantage comme des désirs, des aspirations profondes, une demande sociale. En d’autres termes, Michel Chadefaud remarque que l’impact spatial d’un produit touristique représente « la projection dans l’espace et dans le temps des idéaux, des mythes de la société » (Chadefaud, 1987 :18). L’auteur élabore le concept « d’espace stéréotypé » afin de rendre compte de cette dynamique spatiale qui s’opère sur l’espace touristique pris dans son acception matérielle ou immatérielle. Cependant, l’auteur souligne également le fait qu’un mythe connaît plusieurs phases dans son développement : genèse, jeunesse, maturité, mort ou mutation. Or, dans la mesure où les mythes participent de la structuration du produit et de l’espace touristique, ceux-ci sont alors soumis aux différentes « phases existentielles » des mythes. Mais les travaux de Michel Chadefaud ne sont pas les seuls à explorer le rôle des représentations dans l’attractivité des territoires touristiques. Ce chapitre interroge donc la nature du changement des politiques publiques avec la prise en compte du surf dans les projets de développement local. Autrement dit, quelle est la nature de ce changement ? Marque-t-il un changement de paradigme dans les politiques publiques ou bien ce changement sanctionne-t-il davantage une forme d’intégration du surf dans les politiques publiques sectorielles du tourisme, des sports, de l’action sociale, du développement économique ? La mobilisation du surf par les pouvoirs publics ne concrétise-t-elle pas davantage la mobilisation d’une « ressource territoriale » ? Les collectivités territoriales, en construisant une image touristique articulée autour de la valorisation de certaines images, de l’affirmation d’un discours célébrant un type d’activité, de l’organisation d’événements spécifiques, participent de la médiatisation d’une destination touristique. D’autre part, en accompagnant l’ancrage sociospatial du surf dans les territoires balnéaires, les pouvoirs publics bouleversent la qualification des espaces urbains balnéaires dont on sait qu’elle entre ensuite en résonance avec les représentations des touristes (Hatt, 2010). En densifiant l’offre de loisir touristique, les acteurs locaux engendrent également le renouveau du produit touristique (Chazaud, 2000, 2001) et recherchent ainsi à attirer de nouvelles niches de touristes potentiels. Par conséquent, de nouvelles représentations mentales émergent à l’égard des lieux touristiques. La question consiste alors à savoir comment ce processus d’institutionnalisation des territoires du surf reconfigure-t-il la structuration des espaces urbains balnéaires ? Car, l’avènement de nouvelles représentations territoriales structurent

305 autant un espace matériel, qu’un espace immatériel qui, fort des attributs mentaux que la société lui confère, organise, non sans une certaine force, l’espace touristique à part entière. La question soulevée dans ce chapitre consiste donc à savoir quelles sont les incidences de la médiatisation des figures (géo-)graphiques du littoral aquitain et de l’emprise sociale et spatiale du surf sur la structuration touristique des espaces côtiers aquitains. Cette « mise en scène (géo-)graphique » à des fins de prospective territoriale et l’accompagnement par les pouvoirs publics de cette emprise sociospatiale du surf inaugurent-ils une nouvelle ère de développement touristique et traduisent-il un changement des politiques publiques dans les champs sectoriels du tourisme, du développement économique, des sports… ?

Ce chapitre présente donc l’appropriation par les acteurs locaux de cette figure policée du surfeur dans leurs outils de communication. Par ailleurs, ce chapitre examine l’intentionnalité que sous-tend cette mise en scène « (géo-)graphique » des surfeurs en terme de projet et de prospective de territoire. Ce chapitre présente également les modes d’accompagnement par les pouvoirs publics de « l’univers du surf » et interroge leurs incidences sur la structuration et la qualification des espaces urbains balnéaires des stations littorales de la côte aquitaine. Il s’appuie sur une étude de cas, celle du Conseil général des Landes.

306 Figure 12 : Schéma des relations Mythe/Produit/Espace

Source : Chadefaud, 1987 :17.

Flèche 1 : Les classes dominantes imprègnent les comportements et les activités humaines. Flèches 2 et 3 : Les représentations mentales impulsent une demande sociale. Flèche 4 : Les représentations mentales solidement ancrées dans la société acquirent le statut d’un mythe tel que définit par Roland Barthes, c’est-à-dire un langage, une parole, un système de communication, un message. Flèches 5 et 6 : Les mythes influent sur la structuration des produits touristiques. Flèche 7 : Cette relation traduit l’impact spatial des produits touristique. Flèches 8 et 9 : Rétroactions des espaces immatériels vers les produits, les mythes et les groupes sociaux. Flèche 10 et 11 : Rétroactions des espaces matériels vers les produits, les mythes et les groupes sociaux.

307 5.1. « La mise en scène (géo-)graphique » du surf par les collectivités locales

Pour Philippe Moisset, alors directeur de l’Agence Française de l’Ingénierie Touristique (AFIT), « le positionnement pertinent de la station touristique est celui qui ne ment pas par rapport à ses réalités et à ses qualités distinctives » (Moisset, 1996 :5). Cependant, il est intéressant de constater que la politique de communication touristique des collectivités territoriales axée autour du surf est relativement récente. Cela tient sans doute au fait que jusqu’au milieu des années quatre-vingt le monde du surf avait mauvaise réputation. Paul Destennave, Cadre Technique National à la Fédération Française de Surf, témoigne en ces termes de la mauvaise réputation des surfeurs : « Quand j’ai commencé le surf, il y a maintenant plus de trente-cinq ans, les surfeurs passaient pour les éberlués du village. Aujourd’hui, les élus locaux se félicitent de la présence des surfeurs sur leurs plages 144 ».

À l’heure actuelle l’image du surfeur est tout autre. La presse régionale contribue largement à donner une image positive du surfeur, celle d’un citoyen parfaitement intégré à la société, défenseur de solidarité sociale, acteur d’essor économique, de protection environnementale. Un artisan du développement durable en quelque sorte ! Auréolé d’une nouvelle étiquette, plutôt positive, le surf est alors récupéré par les collectivités territoriales qui l’érigent en outil essentiel d’une stratégie de promotion touristique. Cette mise en scène iconographique fait même penser à Fred Basse, Directeur général de Rip-Curl interrogé sur la question au Casino d’Hossegor durant les rencontres Sciences-Po Bordeaux consacrées à l’économie du surf, que cette stratégie témoigne d’un projet portée à l’échelle régionale : « Les collectivités mobilisent davantage le surf que les rugbymen ou le foie-gras… A Hossegor, c’est là où il y a les plus belles vagues du monde et le rôle des autorités publiques est d’aider le développement du surf en plus de l’élégance océane ». Pour Bernard Debarbieux, plusieurs enjeux se déclinent à travers « l’iconographie de projet et de prospective de territoire » (Debarbieux, 2003, 2004).

144 Témoignage recueilli au siège de la Fédération Française de Surf le 7 juillet 2011 lors d’une réunion publique consacrée à la place du surf dans le développement touristique de la côte landaise.

308 5.1.1 Les enjeux de l’iconographie du projet et de la prospective territoriale

Les acteurs publics du développement touristique ont recours à des stratégies. Le premier consiste à maîtriser le flot d’images dans la mesure où la mise en scène iconographique ne ferait pas suffisamment l’objet d’une analyse concertée et réfléchie quant à la hiérarchisation des objectifs en terme de renforcement de l’attractivité locale. C’est pourquoi, Bernard Debarbieux affirme que « le plus remarquable dans cette montée en puissance n’est pas tant son ampleur que le relatif empirisme qui accompagne son utilisation. En effet, autant la définition d’un projet de territoire peut mobiliser les énergies et susciter des polémiques, autant l’iconographie qui est mobilisée ne suscite généralement pas la vigilance des concepteurs… [C’est pourquoi,] devant le flot d’images auquel nous sommes soumis, il est sans doute important de clairement identifier les objectifs visés et l’imagerie qui satisfait le mieux à ses objectifs » ( Ibid, 2003).

Le second enjeu est de différencier les besoins de l’iconographie. En effet, le travail de la mise en image d’un territoire répond d’un besoin qui, d’une part, permet « d’englober par la vison l’ensemble d’un espace qui déborde largement du champ de vision naturel et quotidien des usagers de cette représentation » et d’autre part « de construire une représentation simplifiée du territoire… afin de produire une intelligibilité du territoire représenté ».

Le troisième enjeu, précise Bernard Debarbieux, permet de souligner le caractère politique de l’iconographie de projet et de prospective. On comprend donc aisément que la manière dont les élus se représentent leur territoire est fondamentale dans le choix et la hiérarchisation des images qui sont mobilisées pour énoncer leurs représentations territoriales et leurs intentions politiques à l’idée de construire le territoire.

Le quatrième enjeu témoigne de la nécessité de « gérer dans ses implications sociales la distance entre la réalité territoriale et sa représentation graphique [dans la mesure où] les représentations graphiques sont le produit d’un écart négocié avec la réalité à laquelle elle réfèrent. Le recours à l’iconographie dans le processus de projet et de prospective de territoire doit permettre d’identifier la capacité des partenaires que l’on

309 veut associer à maîtriser par la lecture, voire par la production, les formes graphiques associées » (Debarbieux, 2003). Car on comprend la frustration potentielle de touristes ayant forgé leurs représentations mentales à l’encontre d’un territoire qui ne rencontreraient pas les services, ambiances, atmosphères, aménagements, cultures… associés à leurs représentations. Aussi, « l’iconographie territoriale parfois teintée d’un esthétisme [même si elle] représente un atout pour la communication institutionnelle, risque [néanmoins] d’être mise au service d’une tactique de recherche d’adhésion au détriment d’une réflexion critique sur les objets et les phénomènes spatiaux sur lesquels l’attention devrait être portée » ( Ibid, 2003).

Le cinquième enjeu consiste à interroger quelle est la place concédée aux spécialistes et aux experts dans la mesure où « la distribution sociale des compétences graphiques tient à trois facteurs : la proximité entre une représentation et une expérience visuelle quotidienne, la familiarité avec un mode conventionnel de représentation, et la maîtrise d’une technique de production ». Or, Bernard Debarbieux souligne que « experts et spécialistes sont porteurs de compétences que seul le type de processus adopté peut véritablement spécifier » ( Ibid, 2003).

Le sixième enjeu recouvre l’agencement de l’image sur le fond et sur la forme c’est-à-dire qu’il doit permettre de qualifier « les objets dont nous avons besoin pour représenter le territoire dont nous dessinons le projet ». Car, toute représentation graphique a un cadre qui circonscrit ce sur quoi elle porte, privilégie une métrique, soit un mode de mesure et de traitement de la distance. Elle est constituée d’une collection d’objets dont l’identification, la sélection, la symbolisation sont des moments essentiels de la représentation et de la construction du message de la représentation.

Le septième enjeu convoque l’esthétique qui « risque d’être mise au service d’une tactique de recherche d’adhésion au détriment d’une réflexion critique sur les objets et les phénomènes spatiaux sur lesquels l’attention devrait être portée ».

Enfin, Bernard Debarbieux évoque la question du futur dans les représentations iconographiques. Il précise qu’elles « ont une très inégales capacité à rendre compte du caractère incertain de l’avenir qu’elles sont censées mettre en image. Le risque en la

310 matière est de confier à des modes de représentations dotés d’un effet de vérité, la représentation de localisations ou de phénomènes hypothétiques ».

Par conséquent, compte tenu du fait que « l’iconographie territoriale se décline selon des formes variées qui ne sont équivalentes ni du point de vue de leur structure, ni du point de vue des compétences cognitives et culturelles qu’elles sollicitent, ni du point de vue des significations complexes qu’elles véhiculent » ( Ibid, 2003), il convient alors de rendre compte de la valorisation de l’image du surf dans le cadre des stratégies de communications touristiques. Cette analyse repose sur la place centrale de l’icône surf dans les documents promotionnels ainsi que le rôle prépondérant de la communication événementielle centrée sur le surf au service d’une logique d’énonciation et de développement territorial. Bien entendu, cet exercice est loin d’être exhaustif et c’est la raison pour laquelle afin de pallier ces insuffisances, on propose une étude de cas, celle du Conseil général des Landes pour examiner quelles sont les mises en scène iconographiques du territoire départemental ainsi que la nature du changement introduit par la prise en compte du surf dans les politiques publiques territorialisées.

5.1.2 Le surf au cœur de la stratégie des stations balnéaires de la côte aquitaine ?

Les stations touristiques qui composent le littoral aquitain ont aujourd’hui et pour la plupart adopté une communication où le surf et le surfeur tiennent une place prépondérante, sinon centrale. La preuve est donnée par un survol des couvertures des bulletins d’informations municipales des villes d’Anglet 145 , de Biarritz 146 et de Tarnos 147 (Figure 13). Ce type de représentation laisse entendre que sur le littoral aquitain la vie sociale de la plage ne s’articule plus seulement autour des activités traditionnelles telles que la baignade, mais qu’elle fait plutôt la part belle au surf. Enfin, cette utilisation de l’image du surfeur à des fins stratégiques en matière de communication touristique est également effective lors de la publication des bulletins d’informations municipales. Le choix de publier ces couvertures lors de la haute saison touristique ou lors d’événements

145 Anglet magazine , juillet-août 2007, n°87. 146 Biarritz magazine , octobre 2000.

311 majeurs, tel que l’organisation du conseil européen réunissant les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Union Européenne pour le bulletin biarrot, répond vraisemblablement d’une stratégie de communication qui s’inscrit dans une logique de promotion de l’image surf afin d’énoncer le caractère sportif du territoire. D’autre part, cette stratégie de communication semble également s’inscrire dans une démarche visant à promouvoir le caractère dynamique du territoire littoral véhiculé à travers la jeunesse de la population surf. Cette logique tend vraisemblablement à diversifier la fréquentation touristique habituellement composée d’une part importante de retraités davantage enclins à bénéficier des services du secteur de la thalassothérapie. Ces stratégies de communication révèlent donc d’un positionnement de « dissociation géographique » articulé sur la construction d’une nouvelle identité culturelle. (Frochot, Legohérel, 2007 :256). L’image utilisée par la ville de Tarnos laisse à penser que le surf est une discipline sportive qui n’est pas exclusivement réservée aux jeunes et qu’elle peut s’accomplir dans un cadre familial. La mise en scène d’une jeune surfeuse, particulièrement sensuelle, sur la couverture du bulletin d’informations municipales de la commune d’Anglet suggère que le surf est aussi une pratique féminine. La glisse est une activité sportive qui rejoint le théâtre, l’art, le beach rugby au rang des pratiques sportives et socio-éducatives proposées par la municipalité. Quoiqu’il en soit, les vagues utilisées sur ces images ne sont jamais de grande taille. En faisant ce choix, les municipalités annihilent le caractère dangereux de la pratique au bénéfice de la présentation du surf comme une pratique accessible à tous, de loisir, ludique et conviviale. Par ailleurs, le choix de ces trois couvertures des bulletins municipaux d’informations n’est pas le fruit du hasard. Celui de Biarritz date de 2000, celui d’Anglet de 2007 et celui de Tarnos de 2011. On souhaitait ainsi faire la démonstration que ce type de stratégie de communication ne date pas d’aujourd’hui et qu’elle tend même à se pérenniser dans le temps.

147 Tarnos magazine , septembre 2011.

312 Figure 13 : Le surf au cœur de la communication institutionnelle des stations balnéaires du littoral aquitain

313

En revanche, les municipalités de la côte aquitaine ne sont pas les seules à mobiliser l’image de la glisse afin d’élaborer cette logique de marketing territorial. En effet, le Comité Départemental du Tourisme des Pyrénées-Atlantiques rappelle que le territoire départemental constitue à double titre un espace privilégié de la glisse (Figure 14). Les deux images auquel renvoie le document publicitaire signalent que le département est une terre d’élection pour le surf et pour le ski. Le slogan n’en est pas moins évocateur de la quiétude qui règne au cœur de ces deux espaces de glisse que sont les Pyrénées et l’océan atlantique : « Silence…on glisse ». Par ailleurs, il convient d’insister sur la provenance de ce document. Extrait du magazine Surfeur’s journal , nul doute que ce type de communication touristique a pour objectif de sensibiliser avant tout la population glisse, entendue comme une niche touristique, aux potentialités en terme de loisirs sportifs alternatifs dont dispose le territoire départemental. D’autre part, le Comité Départemental des Pyrénées-Atlantiques convoque le surf comme un moyen de se mesurer aux forces de la nature. Le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques se targue également de disposer « d’un environnement naturel dont peu de territoires disposent en Europe ». Le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques communique sur la vitalité économique du territoire et sur le fait que de nombreuses entreprises issues de la filière glisse soient implantées dans le département. « Le contexte économique est particulièrement favorable aux entreprises textiles audacieuses » précise le texte en complément de la mise en scène du surfeur contemplant l’océan. Le surf participe également de la « haute qualité de vie » dont disposent les habitants des Pyrénées-Atlantiques. Le surf est ainsi convoqué pour communiquer sur l’image d’un territoire et renforcer son attractivité économique, touristique, résidentielle… Par ailleurs, la glisse est présentée comme un élément de cohésion territoriale. Elle permet de renouer les liens distendus entre la montagne et le littoral, entre le Béarn et la côte basque. Elle est d’une certaine manière facteur d’unité dans un département menacé de division. Bien d’autres documents, relevant du même registre, traduisant les mêmes volontés, pourraient faire l’objet d’analyses similaires.

314 Figure 14 : Le surf au cœur de la stratégie de communication dans le département des Pyrénées- Atlantiques

315

Les travaux accomplis par Emeline Hatt, Sylvie Clarimont et Vincent Vlès sur les représentations micro-territoriales des touristes à partir de photographies (Hatt, 2010 ; Hatt, Clarimont, Vlès, 2011) montrent l’impact des images auprès des touristes qui investissent le littoral comme lieu de vacances. Le même type d’études pourrait être conduit auprès des touristes séjournant sur les plages du littoral aquitain afin de déterminer la place qu’occupe le surf dans leur imaginaire et de savoir si le surf a constitué une motivation quant au choix de la destination. Néanmoins, afin de pallier ces insuffisances quant à l’examen exhaustif des représentations « géo-)graphiques » des territoires ayant le surf comme support, on propose une étude de cas relative à la mobilisation des sports de nature, auxquels le surf appartient, par le Conseil général des Landes dans le cadre de la construction du territoire départemental. D’autre part, la stratégie de marketing territorial des communes du littoral aquitain ne repose pas uniquement sur la mobilisation des images. L’offre est davantage étoffée et s’articule sur l’organisation d’événementiels qui marquent la saison estivale, renforcent l’offre sportive et culturelle et sont autant de moments pour investir l’espace public et revisiter le lien social.

- La communication événementielle centrée sur le surf

On a constaté que les collectivités territoriales de la côte aquitaine, mais également celles dont les compétences s’exercent à d’autres niveaux scalaires, s’emploient à mettre en œuvre de nombreux événements tant sportifs, culturels, qu’environnementaux qui s’articulent autour de l’activité surf. Or, selon Arnaud Rebaudengo, « l’organisation d’un événement répond au fond à un objectif clair : mettre en œuvre ou accompagner une logique de développement touristique et culturel et par conséquent économique » (Rebaudengo, 1999 :21). Les élus locaux ne cachent d’ailleurs pas l’objectif de cette logique de développement touristique à laquelle se réfère l’organisation de compétitions de surf. Ainsi, les élus de Bidart affirmaient à l’occasion de l’organisation d’une compétition féminine de surf internationale sur la plage d’Errétéguia : « Gageons que le site d’Errétéguia sera largement valorisé à travers de nombreux pays à l’affût d’images de

316 surf diffusées par les journalistes internationaux présents pour l’événement 148 ». Ces événements permettent donc de communiquer autour de l’opération en question et d’attirer du public. Par ailleurs, ils affirment un peu plus l’identité du territoire. Cependant, « l’événement crée un rôle symbolique et fondateur au service d’objectifs territoriaux souvent multiples et complémentaires » (Redaudengo, 1999 :23). Par conséquent, l’organisation d’événements permet généralement de dépasser la volonté de faire connaître les potentialités de son territoire. L’événement vient alors enrichir une image, une dynamique territoriale. À ce titre, Didier Borotra rappelle que « Le Reef Biarritz Surf Trophée s’ajoute à l’implantation prochaine d’une cité du surf, au réaménagement annoncé du site de la côte des basques, lieu historique du surf en Europe, au soutien accru aux manifestations surfiques et à la formation des jeunes surfeurs 149 ». Sur la côte aquitaine, ces événements organisés autour de l’activité surf sont aujourd’hui pérennisés. Ils offrent par ailleurs l’opportunité aux municipalités de diversifier leur image notamment en terme de dynamisme économique, comme lors du salon européen Glissexpo qui regroupe tous les industriels du secteur glisse, ou en terme de valorisation environnementale du littoral, comme lors du salon Initiative Océan où se réunissent, sous l’impulsion de l’association Surfrider Foundation Europe , les communes, les institutions et les entreprises qui agissent pour la protection de l'environnement.

L’organisation de l’unique épreuve française des championnats du monde de surf sur les plages d’Hossegor atteste des retombées pour le territoire. Chapeautée par Quiksilver depuis onze éditions, l’épreuve 2011 organisée du 4 au 13 octobre permet de renforcer la fréquentation touristique sur les ailes de saison (Photographie 3). En 2011, la direction du tourisme du Conseil général des Landes évoque une augmentation de +19% de la fréquentation sur le mois d’octobre par rapport à l’année précédente. Car, au-delà de l’organisation des épreuves sportives, des concerts, des expositions, des animations sont proposés aux habitants et aux derniers touristes de la saison estivale. Les chiffres communiqués par Quiksilver 150 témoignent des retombées médiatiques d’un tel évènement. Plus de deux cent cinquante journalistes accrédités couvrent l’évènement. Les audiences enregistrées sur la chaîne Eurosport sont identiques à celles des émissions consacrées au

148 Bidart Infos . Magazine d’informations municipales, n° 21, mai 2001, p 12. 149 Plaquette de présentation de l’épreuve Reef Biarritz Surf Trophée . Éditorial de Didier Borotra, Sénateur- Maire de la ville de Biarritz, 2001, p 3. 150 Rencontre du 8 mars 2012 avec Pierre Herreros, responsable relation média de l’entreprise.

317 rugby ou au football. La diffusion de l’évènement sur le site Internet de l’entreprise rassemble plus d’un million de personne. L’évènement permet donc de faire la promotion du territoire. Les vagues d’Hossegor jouissent d’une médiatisation à l’échelle planétaire. Les collectivités locales, conscientes des enjeux inhérents à l’organisation de l’évènement, accompagnent financièrement Quiksilver . Le Conseil général des Landes octroie 10 000 euros pour l’organisation de l’édition 2011. La Communauté de Communes Marennes- Adour-Côte Sud (MACS) octroie la même enveloppe et ces contributions financières viennent grossir un budget global qui s’éleve à plus de 1,5 millions d’euros. Le jour de la finale, les organisateurs évaluent entre cinq et dix mille spectateurs présents sur la plage de la gravière dont certains, de nationalité allemande ou espagnole, se seraient déplacés uniquement pour assister à la consécration de Gabriel Médina.

Photographie 3 : Jour de finale au « Quiksilver Pro France » 2011 à Hossegor

Source : Auteur, octobre 2011.

Quant aux absents en ce jour de finale, ils pouvaient, où qu’ils se trouvent dans le monde, assister à la retransmission en direct puisque « grâce à une structure mobile et high

318 tech, Quiksilver peut déplacer le site de compétition en quelques heures seulement. Où que soient les meilleures vagues sur le littoral, l’organisation assure des images en haute définition, garantissant une retransmission live optimale dans le monde entier 151 ». Une enquête réalisée par le Comité Départemental du Tourisme des Landes relative à la fréquentation touristique dans le cadre de l’étape du championnat du monde de surf à Hossegor en 2007 souligne que « cette manifestation phare est choisie pour communiquer sur l’arrière saison 152 ». Quatre cent vingt personnes sont interrogées. Parmi les personnes qui assistent à l’évènement, 57% sont des français et 43% sont des clientèles étrangères. La plupart des spectateurs français proviennent d’Aquitaine. Quant aux espagnols, ils représentent plus de 26% des clients étrangers. D’autre part, parmi ces spectateurs, seuls 31% avouent pratiquer le surf. Les autres, même s’ils reconnaissent être sensibles à la culture surf, sont essentiellement des locaux (24%) ou des touristes en vacances (27%). Ces chiffres illustrent donc l’attractivité de ce type de manifestation sportive et culturelle. Par conséquent, ces manifestations sportives ou culturelles réaffirment encore un peu plus l’identité surf du littoral aquitain en dehors des frontières régionales, eu égard à la couverture médiatique dont elles font l’objet. Nul doute que les collectivités territoriales, au regard des investissements financiers qu’elles engagent pour l’organisation de ces événements, y trouvent un intérêt certain en matière de valorisation touristique de leur territoire.

- Le surf comme moteur de renforcement de l’offre culturelle

Le surf tend aujourd’hui à s’intégrer à la culture locale. S’opèrent même des formes de syncrétisme culturel particulièrement visibles sur la côte basque (Favory, Falaix, 2002). En effet, parallèlement aux compétitions sportives, qui attestent de cette dynamique, sont organisées des manifestations culturelles dont le surf est le principal support. Le « Biarritz Surf Festival », compétition de longboard à laquelle les meilleurs spécialistes mondiaux de cette discipline sont chaque année conviés, est l’illustration la plus probante. Lors de l’édition 2001, les Beach-Boys , ce groupe phare de la surfmusic , mouvement musical

151 Dossier de presse réalisé par Quiksilver pour le Quiksilver Pro France 2011 , p 7. 152 Comité Départemental du Tourisme des Landes. Rapport d’analyse d’enquête clientèle Quiksilver Pro septembre 2007, février 2008, p2/28.

319 célébrant les joies procurées par les vagues, sont invités à donner une représentation unique en France. Cependant, les surfeurs ne sont pas seulement spectateurs des événements culturels durant lesquels la vague est sacralisée. En effet, certains s’intègrent dans le tissu associatif et organisent des manifestions ponctuelles en collaboration avec les institutions. L’association Surfrider Foundation Europe , créée en 1990 à Biarritz, dont l’objet social, déclaré dans les statuts, est de « lutter pour la préservation des plages, des vagues et de la qualité des eaux de baignade », organise en 1999 et en 2000 à Biarritz un salon de la protection du littoral et de l’environnement intitulé « Salon Initiative Océan ». Y participent des collectivités territoriales, des entreprises liées au surf, des associations, des universitaires et des chercheurs. Pour l’édition 2000, le salon tenu les 2, 3 et 4 juin au casino Bellevue draine près de 10 000 visiteurs 153 . D’autre part, le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques a sollicité l’association Surfrider Foundation Europe afin que celle- ci prenne en charge l’animation d’une exposition itinérante de sensibilisation aux dangers environnementaux qui menacent l’océan. Cette opération sillonne depuis l’année 2000 les plages de la côte basque. Ainsi, à l’heure actuelle, de plus en plus de manifestations culturelles dédiées au surf sont organisées au cœur des stations balnéaires de la côte aquitaine et contribuent à une recomposition de l’espace social au sein de ces entités littorales. Ces manifestations à caractère festif caractérisent un phénomène social, global présent dans le temps et dans l’espace. La fête s’imprègne alors des valeurs culturelles les plus profondes des sociétés qui la sécrètent. Ces manifestations culturelles témoignent donc « de croyances collectives, des représentations du sacré propres à une communauté ou à la majorité de ses membres » (Di Méo, 2001 :3). Le surf devient à part entière un élément de la culture locale. Ces manifestations culturelles sont désormais inscrites dans l’agenda des événements locaux. Elles contribuent à un enrichissement de la vie publique du littoral en inscrivant l’identité surf dans les pratiques locales.

- Les compétitions sportives

L’organisation de compétitions de surf, dont certaines sont très prestigieuses, ne fait que renforcer cette dynamique d’intégration progressive de la culture surf au cœur de la

153 Source communiquée par l’association Surfrider Foundation Europe .

320 matrice identitaire de la côte aquitaine. Ces manifestations sportives, qui drainent un public nombreux, sont non seulement l’occasion pour les communes au sein desquelles sont organisées ces épreuves de faire la promotion de leur frange littorale et des vagues qui y déferlent, mais également une opportunité de positionnement culturel en rapport direct avec le surf. En effet, les médias relatent les faits marquants de chaque événement et offrent donc des retombés potentielles en termes d’essor et de publicité touristique. Les municipalités du littoral aquitain semblent avoir intégré les opportunités de développement touristique induites par l’organisation de compétitions de surf.

Sur la commune de Bidart se déroulent des compétitions atypiques. Les épreuves qui ont lieu à Bidart sont celles destinées aux femmes et aux enfants (Quiksilver Roxy Jam et Bidartéko Kids Challenge ). Dès lors, la commune ne souhaiterait-elle pas s’inscrire dans une politique de promotion de la pratique du surf dans un cadre familial, où femmes et enfants, comme l’illustrent ces deux épreuves, sont invités à s’adonner aux joies des glisses aquatiques ? Une chose est sûre, la commune de Bidart s’est résolument engagée dans l’organisation de compétitions originales. Celle des championnats de surf du Pays Basque, réunissant les meilleurs compétiteurs basques vivant des deux côtés de la frontière, s’inscrit dans cette démarche. Il en est de même pour l’organisation des championnats du monde de longboard en 1996 sur le site de Parlementia. La mise en place de ces deux événements sportifs est l’occasion pour la commune de promouvoir une identité culturelle au travers de celles véhiculées par ces deux événements. En effet, la pratique du longboard renvoie à l’essence même du surf, à ses origines, tandis que le rassemblement des compétiteurs basques français et espagnols suggère que la commune est attachée à ses valeurs identitaires basques. Bidart se démarque des autres communes du littoral où se tiennent des manifestations sportives par l’organisation d’épreuves de surf insolites. Cette initiative est à mettre à l’actif des élus politiques locaux qui souhaitent « inscrire la commune dans un marquage sportif original où les valeurs culturelles, identitaires et familiales étaient mises à l’honneur 154 ».

154 Entretien réalisé en mai 2001 avec Marc Bérard, adjoint au maire de la commune de Bidart chargé de la communication et des plages de 1995 à 2001.

321 - La promotion culturelle par les surfeurs aquitains eux-mêmes

Enfin, les licenciés des clubs de surf de la côte aquitaine s’illustrent régulièrement lors des compétitions régionales, nationales et même internationales. Ainsi, depuis les années deux-mille, les licenciés de l’ Anglet Surf Club ont véritablement conquis les places d’honneur sur les podiums et ce dans diverses catégories et disciplines. Caroline Sarran a été sacrée championne de France et d’Europe espoir de surf, Christophe Clemente a acquis le titre de champion de France de bodyboard et a représenté son club et sa région aux championnats du monde qui se sont déroulés à Hawaï. Franck Lacaze est monté sur la plus haute marche du podium lors du championnat de France de surf dans la catégorie senior. Jonathan Larché a obtenu les titres de champion d’Europe et de France en longboard , et s’est du même coup qualifié pour participer aux championnats du monde de cette discipline 155 . L’autre club phare de la côte basque est le Bidartéko Surf Club (commune de Bidart) qui a fêté ses vingt ans d’existence en mai 2011. En effet, le club s’est classé troisième aux championnats de France par équipe qui regroupent toutes les disciplines dans toutes les catégories, et a représenté la France, en compagnie de l’Anglet surf club, vainqueur de l’épreuve, aux championnats d’Europe des clubs qui se sont tenus en Irlande en octobre 2001. Pour optimiser les chances de victoire, le Bidartéko Surf Club s’est octroyé les services de Rachel Lecoute, sacrée championne de surf de La Réunion de 1996 à 2000, afin qu’elle encadre les licenciés en leur dispensant un enseignement théorique complémentaire grâce aux supports audiovisuels. Cela traduit le dynamisme de ces structures d’encadrement qui n’hésitent pas à solliciter d’anciens champions expérimentés et à se doter de nouveaux moyens techniques dans l’optique de rendre leurs licenciés plus performants encore. Cette génération de surfeurs compétiteurs participe donc également de la diffusion, au travers de leurs performances sportives, d’une culture et d’un esprit surf.

Cependant, après l’analyse de cette communication territoriale orchestrée autour du thème de la glisse, une question demeure : Quels sont les mythes, l’imaginaire… auxquels l’apologie d’une culture surf véhiculée par l’image et l’organisation d’évènements sportifs renvoie ?

155 Sud Ouest . Anglet surf club : le premier club français. 6 février 2001.

322 5.1.3 Le registre symbolique et imaginaire véhiculé par l’image du surf

Gilles Lipovetsky constate que « la culture mass-médiatique est devenue une formidable machine commandée par la loi du renouvellement accéléré, du succès éphémère, de la séduction, de la différence marginale ». Pour l’auteur, « ce succès remporté par les diverses manifestations de la culture médiatique est à mettre sur le compte de sa capacité à offrir un univers de dépaysement, de loisir, d’oubli, de rêve. Aussi, en proposant, sous ses formes multiples, des modèles d’autoréalisation existentielle et des mythes centrés sur la vie privée, la culture mass-médiatique a été un vecteur essentiel de l’individualisme. La culture de masse ne travaille qu’à reproduire une pseudo- individualité, elle rend fictive une partie de la vie des consommateurs. Elle fantomalise le spectateur, projette son esprit dans la pluralité des “univers-images” ou imaginaires, fait essaimer son âme dans les innombrables doubles qui vivent pour lui. Elle magnifie le bonheur tout en déréalisant les existences concrètes, elle fait vivre par procuration imaginaire » (Lipovetsky, [1987], 1999 :242). Or, c’est précisément ce que semble proposer la mise en scène d’une culture surf sur la côte aquitaine. Car, l’image du surfeur vient symboliser l’opportunité pour tout un chacun de rompre avec les contraintes du quotidien. L’image du surfeur, telle qu’elle est véhiculée, vient signifier dans l’imaginaire collectif celle d’un individu libre qui s’est affranchi des logiques de la société rationalisée. En d’autres termes, cette image du surfeur traduit sur un registre émotionnel sa capacité à éprouver des sensations. Sans cesse représenté en équilibre sur la vague, le surfeur se libère des contraintes spatiales. Funambule explorant l’intimité du monde marin, il exprime une sorte de domination relative, provisoire, sur les forces de la nature. Il s’approprie un nouvel espace de vie, l’océan, où les lois de la gravité terrestre sont annihilées. Cette capacité à s’émanciper des lois physiques de la gravité lui confère une sorte de suprématie. C’est cette faculté à s’affranchir du monde de la pesanteur qui le propulse dans un univers antalgique. En effet, Gaston Bachelard souligne que « l’acte liturgique qui purifie l’eau incline la substance humaine correspondante vers la purification. On voit donc apparaître sur le thème de la purification consubstantielle le besoin d’extirper le mal de la nature entière, aussi bien le bien dans le cœur de l’homme que le mal dans le cœur des choses » (Bachelard, [1941], 2001 :170). Or, le geste sportif du surfeur, tel qu’il est mis en scène par l’image, ne procède-t-il pas d’un acte particulièrement liturgique, sacré ? Le surfeur ne s’apparente-t-il à un héros ? Un héros des mers « qui revient toujours de loin, qui revient

323 d’un au-delà, qui ne parle jamais du rivage ; Un héros qui traduit une intention formelle, une intention dynamique et une intention matérielle pour comprendre l’objet dans sa force, sa résistance, dans sa matière, c’est-à-dire totalement » ( Ibid :181). Gaston Bachelard précise « que l’on comprend le monde parce qu’on le surprend avec nos forces incisives, avec nos forces dirigées, dans la juste hiérarchie de nos offenses, comme des réalisations de notre joyeuse colère, de notre colère toujours victorieuse, toujours conquérante ». Or, le philosophe constate que « toutes les rêveries constructives s’animent dans l’espérance d’une adversité surmontée, dans la vision d’un adversaire vaincu » ( Ibid :182). Le surfeur, toujours représenté en apesanteur sur la vague symbolise donc une victoire, certes provisoire, éphémère, sur l’océan.

Les ressorts de la communication touristique du littoral aquitain se dévoilent. En effet, on comprend qu’en mobilisant une telle image du surfeur, celle d’un guerrier des ondes toujours victorieux, les collectivités territoriales de la côte aquitaine aspirent sans doute à signifier aux clients potentiels, ainsi qu’aux populations endogènes, que cet espace littoral constitue une aire d’expérimentation individuelle, un espace initiatique qui permet d’éprouver le monde. Par conséquent, la communication touristique de la côte aquitaine construit l’image d’un espace littoral ludo-sportif. Cependant, cet espace ludo-sportif n’est plus le théâtre énonciateur d’une pédagogie morale, d’un apprentissage des vertus. Désormais, les activités ludo-sportives se sont « débarrassées du lyrisme des vertus, elles se sont mises à l’heure de la logique postmoraliste narcissique et spectaculaire. Ces activités sont dominées par la recherche du plaisir, du dynamisme énergétique, de l’expérience de soi » (Lipovetsky, 1987 :141).

Les collectivités territoriales mobilisent donc le surf en invoquant des images de surfeurs qui s’inscrivent dans un registre où l’individu peut transférer ses aspirations à se confronter aux forces de la nature afin de mieux se connaître. De plus, en rendant cette activité sportive spectaculaire, les collectivités territoriales souhaitent vraisemblablement initier de nouveaux rapports sociaux puisque comme le souligne Guy Debord « le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisées par des images » (Debord, 2001 :16). Ainsi, en valorisant l’image du surf, les principales stations balnéaires de la côte aquitaine présentent leur territoire comme un

324 territoire au sein duquel tout un chacun peut entretenir un rapport privilégié à la nature. Un rapport à la nature qu’il s’agit d’éprouver par soi-même, en le provoquant, en y exerçant une volonté, une colère, en y explorant les intimités, les forces afin de se construire individuellement par le biais d’une épreuve initiatique, ordalique. En d’autres termes, cette communication touristique permet d’énoncer un territoire ludique, fun, où seul prévaut la construction de l’individu. Une construction qui s’opère sur le registre d’une activité ludique qui, en s’affranchissant de toute contrainte sociale, sanctionne le plaisir immédiat. Une activité ludo-sportive qui, en explorant un rapport intime avec la matière liquide permet de se connaître, de se construire, de se purifier, de reconquérir une force tranquille une fois la colère apaisée. Les collectivités territoriales vantent donc les potentialités émotionnelles que peuvent véhiculer ces nouveaux rapports à l’espace qu’institue le surf. En élaborant une telle communication touristique axée sur la valorisation du rapport symbolique qu’entretient le surfeur avec l’espace, les collectivités territoriales présentent aux clients potentiels l’occasion qui leur est offerte de rompre avec cette dynamique moderniste du temps qui se contracte, de l’espace qui se rétrécit, d’échapper aux standards de la vie courante et de se réinstaller dans des modes ouverts à la rêverie, mais aussi à de nouvelles formes de socialisation. Or, n’est-ce pas là le but avoué des vacances : rompre avec le quotidien, avec la tyrannie d’un temps mesuré, calculé, compté, gagné, rompre avec « les territoires du quotidien », aménagés, administrés, standardisés, vécus sur une matrice émotionnelle inédite. C’est précisément ce que Philippe Bourdeau démontre en invoquant l’émergence de « territoires de l’hors-quotidien » (Bourdeau, 2003). Néanmoins, ces logiques de constructions territoriales bâties sur la mobilisation d’une iconographie du surf et sur la promotion événementielle de cette discipline sportive concourent-elles pour autant à l’avènement d’une nouvelle ère de développement touristique ?

5.1.4 Vers une nouvelle ère de développement touristique ?

Lorsque Michel Chadefaud évoque la diachronie d’un produit touristique, celui-ci ne manque pas de préciser que « le mythe vit en symbiose avec le produit et l’espace, lesquels peuvent être soumis à maintes péripéties au cours du déroulement de leur

325 existence » (Chadefaud 1987 :19). Par ailleurs, l’auteur identifie quatre phases quant au mouvement diachronique issu de l’idée qu’un produit touristique est un bien non durable dont la vie peut être décomposée en grands moments. Ainsi, durant la phase initiale, dite de « création du produit », s’implantent et se localisent dans l’espace les premiers éléments du couple « mythe-produit ». En d’autres termes, l’offre immatérielle, c’est-à-dire l’ensemble des représentations mentales, impulse la création d’une offre matérielle. En ce qui concerne le littoral aquitain, on a appréhendé dans quelle mesure « le désir de rivage » (offre immatérielle) engendre l’édification d’infrastructures touristiques comme les établissements de bains de mer, l’aménagement des fronts de mer (offre matérielle) afin de satisfaire cette aspiration sociale des classes dominantes de jouir des bienfaits de l’eau de mer 156 . Le décollage de cette structure potentielle engendre une deuxième phase. Celle-ci qualifiée de phase de « maturité du produit », est placée sous le signe de l’expansion et de la complexification du produit. Cette période mature s’explique, selon Michel Chadefaud, par une accumulation d’investissements qui développent l’offre en hébergement, en facilités de transport, en activités de loisirs. Cependant, à cette hypothèse, il conviendrait d’ajouter que le processus de distinction joué par les « gate-keepers » et le désir d’imitation de leurs comportements par les autres classes sociales explique également l’essor du produit touristique. Sur le littoral aquitain, cette phase se caractérise dans un premier temps par une densification de l’urbanisation balnéaire, de l’offre de loisir et des infrastructures de transport essentiellement opérée sous l’impulsion d’investisseurs privés avant que les municipalités ne s’emparent, dans un second temps, de la question du développement touristique (Noailles, 2008 :96). Quant à la troisième phase, appelée phase « d’obsolescence du produit », elle se traduit par divers troubles. En effet, l’apparition de nouveaux mythes, les mutations des besoins, la concurrence, sont autant de facteurs qui engendrent une inadéquation de l’offre à la demande précipitant donc l’obsolescence du produit et de son espace matériel. Cependant, Michel Chadefaud évoque également l’hypothèse d’une quatrième phase, celle de « mutation-reconversion » du produit. Cette quatrième phase s’organise à partir de l’avènement d’un nouveau mythe qui, en restructurant l’espace immatériel, organise une nouvelle spatialité touristique.

156 L’activité touristique fait le plein à partir du vide. En effet, la plupart des grandes concentrations touristiques n’existent que parce qu’elles bordent des vides (mer, montagnes…). C’est à priori cette localisation « en cul-de-sac » des espaces touristiques qui attise la convoitise car elle renverrait à l’idée plus valorisante d’espace refuge, paradisiaque (MIT, 2002 :230-232).

326 Or, avec la démocratisation, la sportivisation, ne sommes-nous pas en présence d’un nouvel espace touristique matériel alimenté par l’émergence d’un nouveau mythe ? Autrement dit, véhiculer les représentations ludo-sportives du littoral aquitain engendre-t-il une réorganisation spatiale des espaces touristiques ? Le cas échéant, quelles sont les dynamiques spatiales induites et leurs conséquences en termes d’équipements et d’aménagements ? Car, en proposant de nouvelles formes d’hébergements, de nouvelles offres de loisirs… c’est le produit touristique, c’est-à-dire l’articulation entre l’hébergement, le transport et le loisir, qui est recomposé. Cela dit, ces bouleversements traduisent-ils, pour autant, une forme de mutation/reconversion du produit touristique ? Car il faut être prudent avec cette courbe dans la mesure où il est parfois bien difficile d’en suivre le rythme et la forme, surtout en tourisme. En effet, on ne peut en dresser le portrait qu’à la fin de la vie du produit, et seulement s’il est en fin de vie. Autrement dit, il est bien difficile d’en proclamer l’effondrement, sans compter que certains produits n’ont pas de fin à l’échelle des temps humains. C’est pourquoi, des auteurs tels que Jean Corneloup préfèrent évoquer le terme d’innovations territoriales pour rendre compte de ces processus. Il précise que « nombreuses sont alors les innovations en émergence dans cet univers que ce soit dans la définition de concepts de pratiques, dans l’ingénierie récréative, dans les formes de gestion ou encore dans les manières d’intervenir dans le développement territorial. Quatre formes de compétences seraient au coeur de ces pratiques : une compétence écologique (connaissance des milieux et des écosystèmes permettant des échanges surprenants, intimes et profonds avec la nature) ; une compétence transculturelle patrimoniale et récréative dans la perspective de produire des innovations récréatives dans la manière de produire des médiations symboliques multiformes avec la nature, le lieu, les pratiques et les publics ; des compétences humaines et relationnelles faisant de l’échange, de la communication, de la réflexivité et de l’empathie le cœur d’un temps récréatif vécu ; et enfin des compétences transversales pour monter des projets collectifs, produire de la médiation et participer au développement du territoire » (Corneloup, 2010 :91).

Pour autant, rien n’est moins sur que l’on en soit à ce degré de maturité sur la côte Aquitaine. Mais, quoiqu’il en soit, la question mérite donc d’être reformulée. Elle ne consiste donc pas tant à savoir si l’on assiste aujourd’hui à cette phase de « mutation- reconversion » de l’espace touristique sur la côte aquitaine. L’analyse porte davantage sur l’étude des stratégies spécifiques que mobilisent les acteurs institutionnels. La place

327 conférée au surf dans les supports de communication bouleverse-t-elle les représentations territoriales à l’encontre du littoral aquitain précipitant ainsi de nouvelles demandes de loisirs de la part des touristes potentiels et accessoirement des populations locales ? Ces stratégies relèvent-elles davantage d’une logique de marketing territorial et touristique que d’une forme d’anticipation des pouvoirs publics à l’idée de pallier l’effondrement potentiel d’un produit touristique fondé sur la balnéarité et les bains de mer ? En d’autres termes, ces stratégies s’articulent-elles autour du triptyque Segmentation / Ciblage / Positionnement (Kotler, Dubois, Manceau, 2006) qui permettent de cibler de nouvelles niches de touristes potentiels ? Ces stratégies fondées sur l’événementiel, dont Isabelle Frochot et Patrick Legohérel soulignent que « s’il est bien positionné, [il] permet aussi d’améliorer l’image de marque des territoires en créant un lien affectif avec la destination et en transmettant une image forte » (Frochot, Legohérel, 2007 :225), sur la mise en scène iconographique du territoire ne relèvent-elles pas davantage d’un marketing territorial ? La mobilisation de l’image du surf par les collectivités locales marque également le paysage. Certaines collectivités n’hésitent pas à utiliser l’image du surf pour matérialiser l’entrée sur le territoire communal ou intercommunal. En adoptant ces stratégies, ces collectivités caractérisent leur potentiel territorial. Elles énoncent le caractère sportif, jeune, dynamique, ludique de leurs territoires. Le surfeur est systématiquement sublimé dans l’accomplissement d‘un geste sportif maîtrisé et esthétique comme en témoigne la figure ci-dessous. Ainsi, les communes de Seignosse, de Vielle-Saint-Girons, de Bidart et l’intercommunalité Marennes-Adour-Côte Sud matérialisent l’entrée sur leurs territoires respectifs par un affichage au sein duquel le surfeur occupe une place majeure (Photographies 4, 5, 6 et 7).

328 Photographie 4, 5, 6 et 7 : Le surf, un marqueur territorial

Source : Auteur, 2012.

329

Le surf bouleverse les représentations des touristes. Mais recompose-t-il pour autant le produit touristique ? N’est-ce pas là aller vite en besogne que de se lancer dans de telles affirmations ? Même si, lors d’un sondage IFOP, réalisé pour le quotidien aquitain Sud-ouest du 15 au 17 mars 2011, à la question : « quels sont les évènements culturels qui symbolisent le mieux la région ? », 21% des 804 personnes interrogées répondent « les compétitions de surf 157 ». Ce chiffre témoigne sans doute de la place qu’occupe désormais le surf dans les représentations lorsqu’il s’agit d’évoquer la région Aquitaine. Pourtant, cette place n’est pas hégémonique. Mais, ces résultats ne traduisent-ils pas aussi les fruits d’une stratégie de positionnement et de dissociation géographique (Frochot, Legohérel, 2007 :256) ? Cela dit, assiste-t-on, pour autant, à l’essor d’un tourisme sportif ? Par conséquent, il est bien difficile de trancher la question de l’avènement d’une nouvelle ère de développement touristique induit par la prise en compte du surf dans les stratégies de développement touristique des territoires touristiques aquitains. En effet, cette prise en compte du surf dans les politiques publiques territorialisées pourrait également traduire la capacité de « résilience des systèmes spatiaux » (Aschan-Leygonie, 2000). C’est pourquoi, plutôt que de statuer sur cette question, on préfère mobiliser la notion de « ressource territoriale », au sens conféré à ce terme par Hervé Gumuchian et Bernard Pecqueur (Gumuchian, Pecqueur, 2007). Car, cette notion interroge plutôt l’intentionnalité des acteurs dans les choix qu’ils arrêtent en matière de politiques publiques territorialisées.

5.1.5 Le surf, une ressource territoriale pour les stations littorales en Aquitaine ?

L’essence du tourisme sportif intègre les dimensions du fait sportif, c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes, des manifestations et des productions associées à des pratiques d’activités reconnues ou adoptées. Charles Pigeassou remarque « que l’expérience de la destination est une composante clé de l’expérience d’un tourisme fondé sur la pratique ludo-sportive » (Pigeassou. 2000 :93). Cette forme de tourisme attesterait alors d’une marque de sportivisation de la société privilégiant l’effacement des valeurs

157 Sud-Ouest . Pourquoi notre région a le vent en poupe. 1er avril 2011.

330 post-matérialistes dans le sport, fondées sur l’éthique du travail, au bénéfice de valeurs plus hédonistes, plus ludiques (Augustin, 1994 ; Defrance, 1995 ; Corneloup 2002, 2009).

Ainsi, l’intégration de l’objet sportif aux activités touristiques se réalise selon deux stratégies : soit une offre de services sportifs qui se fond dans l’ensemble des services proposés et constitue des services complémentaires ou associés à l'offre touristique, soit une offre de services élaborée à partir de l’activité ludosportive qui spécifie l’offre en contribuant à lui donner un profil particulier. Dans le département des Landes, le comité départemental du tourisme des Landes a crée un club de promotion du surf dans les Landes en 2011. Ce club a pour but de développer et promouvoir l’image du surf dans les Landes. Il compte, selon le principe du volontariat, treize adhérents dont douze écoles de surf et une agence réceptive spécialisée dans les séjours surf. Ces adhérents, « suivent une démarche Qualité au niveau national et vous garantissent ainsi Qualité et Sécurité. Ces écoles sont à votre disposition de début avril jusqu’à fin octobre. Vous les trouverez près des meilleurs spots sur toute la côte landaise : Biscarosse, Contis, Vielle Saint Girons, Méssanges, Seignosse, Hossegor, Capbreton et Labenne 158 ». Les adhérents du club surf mettent alors en avant leur affiliation en mobilisant le logo élaboré par le Comité Départemental du Tourisme des Landes qui fait écho à la communication touristique élaborée par le Conseil général des Landes invoquant la taille XL du département.

Figure 15 : Logo spécifiant l’adhésion des prestataires au club promotion du surf dans les Landes lancé par le CDT des Landes

Source : Comité Départemental du Tourisme des Landes, 2011.

158 http://www.tourismelandes.com/fr/1242/pages/d/le-surf/ecole-surf-landes/page/0 , [Page consultée le 7 juillet 2011].

331 Sur la page Internet du site consacré à la communication du club promotion du surf dans les Landes, on peut lire que « les vagues n’ont plus de secret [dans la mesure où] les webcams mises à disposition par le Conseil général des Landes se trouvent tout le long de la côte d’argent ». On y apprend également que « les Landes sont la Mecque du surf en France et que des stages d’initiation peuvent se faire en famille ». Par ailleurs, le site met en lumière le fait qu’ « historiquement toujours mobilisée pour la protection de la nature, la Fédération Française de Surf ouvre cet été un bâtiment symbolique destiné à l’éducation à l’environnement. Expositions, vidéos, témoignages de la relation entre surf et environnement… La Fédération Française de Surf se dote cet été d’un nouveau bâtiment sur la plage de Hossegor. Projet ambitieux et innovant d’écoconstruction qui a pour vocation d’éduquer les pratiquants à l’environnement et au développement durable : deux sujets chers aux surfeurs et à la population landaise ». Les informations délivrées sur pages Internet consacrées à la promotion du club pour la promotion du surf dans les Landes permettent donc aux visiteurs de se forger un certain nombre de certitudes quant au fait que les Landes constitue la destination touristique idéale pour y pratiquer le surf. D’autre part, le discours véhiculé sur le site vient rompre avec certaines idées reçues afin de rassurer les futurs pratiquants : « Qui a dit que les surfeurs étaient indisciplinés ? Dans les Landes, on n’y croit pas une seconde ! Qualité, sécurité, évasion et liberté : un quatuor gagnant pour votre plaisir ! Dans notre imaginaire, le surf est associé aux notions de liberté et de communion avec la nature…. Et surtout pas à la discipline ! Si dans l’esprit, la pratique du surf donne effectivement un sentiment d’indépendance, dans les faits, croyez bien que dompter les vagues n’est pas si simple. Ce sport est soumis à des règles plus complexes. Vous pensez maillot de bain, compétition, crème solaire, longue plage de sable fin, planche de surf… et Kelly Slater ! Les écoles répondent qualité, professionnalisme, sécurité et discipline ». C’est donc bien la qualité de l’accueil, la convivialité, le fait d’exercer dans un cadre sécurisé et respectueux de l’environnement qui sont mis en avant. L’offre sportive touristique se précise. Surfer dans les Landes est une offre touristique déclinée par des prestataires labellisés, garants d’un professionnalisme sans failles. En accord avec ses engagements quant à l’idée de participer à la structuration de la filière surf, le Conseil général des Landes octroie des aides aux prestataires de services issus de ce secteur. Ainsi, dans le bulletin officiel du département, consacré aux règlements départementaux, l’article onze du règlement intitulé appui à la filière surf et relatif aux aides au tourisme et au thermalisme, stipule qu’ « une aide pourra être accordée pour des investissements spécifiques liés à des aménagements ou des équipements directement en

332 rapport avec la pratique du surf. Ces aides, sous maîtrise d’ouvrage publique, pourront être attribuées aux projets inscrits dans une démarche d’adhésion au club de promotion du surf dans les Landes organisé par le Comité Départemental du Tourisme des Landes 159 ». Par conséquent, c’est bien une forme de contrôle institutionnel sur l’offre de loisirs et de tourisme dans le secteur du surf qu’instaure le Conseil général des Landes.

Cette intégration à l’offre touristique de l’objet sportif s’opère et autorise le passage du tourisme sportif au sport touristique. On voit alors dans quelles mesures la communication touristique mise en œuvre par les collectivités territoriales peut contribuer à l’avènement d’un sport touristique. Car, en ce qui concerne le volet relatif à l’offre des services sportifs, les collectivités territoriales disposent d’un instrument de planification territoriale (Azema, 2002). En effet, le Schéma des Services Collectifs du Sport (SSCS), adopté par le Comité National de l’Aménagement et du Développement du Territoire (CNADT) en juillet 2001, envisage parmi ses objectifs majeurs de « tenir compte du sport pour son rôle dans le développement durable du territoire 160 ». Le SSCS propose à cet effet de « développer les politiques sportives intégrant les dimensions économiques, sociales, touristiques et environnementales ». Par conséquent, le SSCS préconise « la modernisation et l’adaptation du patrimoine des équipements sportifs aux besoins nouveaux de la société, ainsi que la conception de politiques sportives dans une logique de structuration et de développement territorial » (Ibid :21). Par ailleurs, le rapport ne manque pas de signaler que le sport contemporain n’est pas sans engendrer certaines dérives. Parmi les dérives évoquées, notamment le dopage et la violence, le SSCS révèle que « la vulgarisation de certaines pratiques hors cadre institutionnel peuvent être dangereuses pour le sportif et portent atteinte à l’environnement » (Ibid :18). Aussi, afin de « réguler les dérives potentielles », l’État souhaite initier, au travers de cet outil de développement territorial qu’est le SSCS, le renforcement du maillage associatif qui « offre les plus grandes garanties pour améliorer de façon pérenne la pratique des activités sportives » ( Ibid :22). Le SSCS souligne également que la professionnalisation de l’encadrement technique sportif permet de « répondre aux exigences de sécurité et de qualité de l’offre sportive comme aux nouvelles formes de pratiques sportives » ( Ibid :28).

159 Conseil général des Landes. Bulletin officiel du département. Spécial règlement départementaux , n°141, juin 2011, p 89. 160 Ministère de la Jeunesse et des Sports. Schéma de Services Collectifs du Sport . DATAR, juillet 2001, p 1.

333 L’État, espérant le relais des collectivités territoriales, souhaite, d’une part que la structuration de l’organisation sportive s’opère par la formation et l’emploi, et d’autre part encadrer et contrôler les activités sportives pratiquées hors cadre institutionnel. Se dessine alors, à priori, une offre de services sportifs de plus en plus étoffée, tant sur le plan institutionnel que privé. On peut dès lors penser que l’offre des services sportifs se renforce. Sur le littoral aquitain se multiplient les structures d’encadrement compatibles avec ce positionnement touristique en faveur des activités sportives. Les écoles de surf labellisées par la Fédération Française de Surf souffrent même d’une nouvelle concurrence internationale puisque des structures étrangères s’implantent sur le littoral aquitain en proposant des séjours sportifs et touristiques ayant le surf comme principal support.

Claire Becret témoigne des difficultés que rencontrent les prestataires de services surf. Membre du conseil d’administration du Comité Régional d’Aquitaine de Surf, gérante de Natural Surf Lodge - structure d’accueil de stagiaires de surf -, Claire Becret précise « qu’aujourd’hui, les écoles de surf subissent une concurrence déloyale de la part des prestataires de séjours surf étrangers. Les moniteurs étrangers ne reçoivent pas la même formation que nous [Claire Becret est titulaire d’un Brevet d’État d’Éducateur Sportif (BEES) dans le champ du surf]. En moins d’une semaine, ils sont titulaires d’un diplôme qui les autorise à enseigner et encadrer le surf. En France, il faut plus de six cents heures de formation. On est nombreux à se plaindre de cette concurrence. J’ai alerté les élus, et la fédé. Le problème c’est qu’aucun syndicat ne fédère l’ensemble des BE surf. En plus, ces structures sont nomades et il est difficile de les faire contrôler pour s’assurer qu’elles soient en règle ». À l’issue de cet échange 161 et au regard de la mobilité géographique de ces structures, on lui suggère que la seule solution est qu’elle fasse acte de délation auprès des pouvoirs publics compétents pour examiner la conformité de ces structures vis-à-vis de la législation en vigueur. À cette remarque, Claire Becret rétorque : « j’ai pas envie d’en arriver là, ce qui me fout les boules, c’est que la fédé ne fasse rien. Je vais envoyer des courriers, on verra bien ». Deux mois plus tard, les courriers de Claire Becret ne sont pas restés lettres mortes. Les moniteurs de surf étrangers, repérés sur la côte aquitaine, sont convoqués conjointement par la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations des Landes et la Fédération Française de Surf afin de subir des tests de sélection et vérifier leurs aptitudes à encadrer et enseigner le surf. À l’issue de ces

161 Entretien réalisé le 7 avril 2011 à l’UCPA de Soustons – Port d’Albret.

334 tests de sélections dont les critères d’évaluation reposent sur le référentiel de formation établi dans le cadre du Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport (BPJEPS) mention surf, seuls trois candidats sur vingt présents sont reçus162 . Présent sur place le 14 juin 2011, jour des tests de sélection, un Conseiller d’Animation Sportive à la DDCSPP, souligne que « seuls les moniteurs présents avant la pleine saison participent à ce type de tests de sélection et que leur éviction risque d’engendrer la colère des gérants de l’hôtellerie de plein air landais où séjournent moniteurs et stagiaires ».

À travers le renforcement de l’offre sportive axée sur le surf, une logique typiquement marketing se dessine. Le marketing territorial est une démarche qui vise à élaborer, à partir d’une connaissance de l’environnement (géographique, démographique, culturel, économique, social, politique), l’offre territoriale par les dirigeants élus d’une collectivité locale afin d’assurer son adéquation permanente à diverses cibles (touristes, citoyens, entreprises…) tout en poursuivant les missions d’intérêt général auprès de tous leurs administrés. Le marketing territorial se traduit de manière opérationnelle par une offre intégrant à la fois des produits et des services destinés soit aux résidents permanents (crèche, école, équipements sportifs…) soit aux utilisateurs occasionnels du territoire considéré (équipements touristiques, capacité d’hébergement, monuments historiques mis en valeur…). La communication tient donc une place prépondérante dans le processus de mise en scène des atouts des territoires.

162 Source : Fédération Française de Surf, juillet 2011.

335

Figure 16 : La stratégie d’énonciation territoriale du Conseil régional d’Aquitaine

Le surf serait donc un moyen de ne plus vouloir quitter la région Aquitaine. Ce type de stratégie consiste à renforcer l’attractivité et le dynamisme démographie en Aquitaine. Il s’inscrit également au cœur des projets de station dans le cadre de leur développement territorial. L’efficacité de l’image projetée doit malgré tout être corrélative de l’adéquation entre le discours qu’elle porte et les attentes des consommateurs, notamment en matière d’offre de services sportifs. Ces stratégies s’inscrivent dans un « univers concurrentiel [où] la place du marketing s’est renforcée » (Frochot, Lagohérel, 2007 :263). Pour Alain Escadafal, « l’effet image » ne jouerait pas seulement sur des touristes à la recherche d’un lieu pour une pratique sportive (Escadafal, 2002 :103). S’opérerait plutôt le principe de l’expérience sportive potentielle. Ainsi, aller sur la côte aquitaine signifierait pour le vacancier l’opportunité de pratiquer une activité sportive. Cela dit, pour rendre cette opportunité concrète, encore s’agit-il de proposer une offre touristique qui soit à la hauteur des attentes suscitées chez les consommateurs. C’est également à compter de cette démocratisation des activités sportives que les structures privées s’emploient à redéfinir

336 leur positionnement sur l’échiquier de l’offre d’hébergement. Ainsi, depuis plusieurs années, les auberges de jeunesse, dont notamment celle d’Anglet, choisissent de ne plus accueillir des individuels de passage (vocation initiale de ces infrastructures), mais de développer des produits sportifs et culturels afin de « sédentariser les jeunes pour un minimum de huit jours » (Billy, 1992 :82). D’autres structures à vocation touristique inaugurent le même type de stratégie. À titre d’exemple l’Union nationale des Centres sportifs de Plein Air (UCPA) et certains centres de vacances de la côte aquitaine élaborent des produits touristiques au sein desquels les activités sportives, plus particulièrement le surf, occupent une place centrale. Jean Corneloup constate que ce phénomène constitue une dérive narcissique. Finalement, précise-t-il, « pour les touristes et les suiveurs qui ne disposent pas des compétences des experts et qui ne souhaitent pas s’immerger dans cette culture ses spécialistes du free ride (longue chevauchée glissante) ou du free style (acrobatie ludique), tout un marché de la glisse s’est constitué pour répondre à leurs attentes. Jamais autant durant ces trente dernières années, les stations touristiques, les cités urbaines, les prestataires et autres centres touristiques n’ont aménagé les espaces et développé des produits et des services sur mesure pour répondre aux demandes de ces néo-clientèles à la recherche de leur quart d’heure extatique » (Corneloup, 2009 :16).

Le surf à l’UCPA représente un secteur d’activité florissant. En 2012, cette structure accueille plus de douze mille stagiaires dont 34% sont originaires de l’Île-de- France. Par ailleurs, le rapport d’activité 2011 de la filière surf à l’UCPA, réalisé en interne, précise que « l’activité surf dépasse en 2011 la barre des 109 542 journées et connaît pour la septième année consécutive une progression notable, de l’ordre de 8% de son volume d’activité » (UCPA, 2011 163 ). Michel Pellegrino 164 , référent surf à l’UCPA et directeur sud-ouest, précise que « l’activité surf représente chaque année depuis six ans, une croissance à deux chiffres. Le surf est la seule filière avec cette marge de progression mais on doit réfléchir à la stabilisation de cette croissance parce que l’espace n’est pas extensible ». On lui demande s’il pense que le seuil de fréquentation sur les plages du littoral aquitain est atteint. « Sur les plages, ce n’est pas encore le cas mais, on ne pourra pas continuer à développer par deux la fréquentation induite par le surf. De plus, les opérateurs sont aujourd’hui incapables d’absorber une telle fréquentation. On touche les limites de l’espace disponible de pratique et du nombre d’encadrants diplômés,

163 Michel Pellegrino. Rapport annule d’activité surf de vagues 2011 - UCPA, 5 p – Document interne. 164 Entretien réalisé le 4 avril 2012.

337 disponibles et compétents ». Michel Pellegrino insiste également sur ce qui fonde la spécificité de l’UCPA en matière d’encadrement de l’activité surf. « L’UCPA est un super banc d’essai parce qu’on accueille des individus issus de l’ensemble de la société. C’est super parlant, on voit les tendances, les attentes, les évolutions des ventes et les besoins sociaux en matière de loisirs sportifs. En ce sens, le suivi des stagiaires reçus à l’UCPA est intéressant. L’UCPA est la première école de surf française, mais on ne fait pas de location ou de mise à disposition de matériel. On souhaiterait néanmoins développer, de manière expérimentale, l’exploration individuelle de l’activité surf. L’inconvénient c’est que la législation n’a rien prévu pour ça. L’idée serait de promouvoir des services sportifs. On dirait aux gens “venez sur le terrain, nous on vous offre les clés de lecture de l’environnement naturel, les bases techniques et on assure votre surveillance à distance”. C’est peut-être une hérésie en plein été mais à Pâques, il serait possible d’éduquer, d’inculquer la vigilance et de surveiller de loin ». On souhaite malgré tout, à l’issue de ces précisions concernant la stratégie de l’UCPA pour promouvoir une offre sportive centrée sur le surf, revenir sur les enjeux induits par la surfréquentation estivale des plages. Michel Pellegrino répond que « à l’UCPA, on écrit une directive et on dispose d’instructions pour le fonctionnement des écoles. Ces documents édictent que la solidarité est obligatoire avec le chef de poste. Ils posent la bonne cohabitation avec les opérateurs locaux comme préalable à la découverte de l’activité. Il s’agit en fait d’éduquer des gamins qui veulent tout peter avec leurs mythes du surf dans la tête. Le salut du développement passe par la sous-traitance avec des opérateurs locaux. On délègue de plus en plus l’activité sur la base d’un cahier charge et d’une convention où figurent les normes de mise en œuvre du stage. Le surf, ça marge, ça plait aux jeunes, et on peut le développer encore plus à condition de s’en remettre à la sous-traitance. Sauf que ces gens là doivent avoir pignon sur rue ou sur dune et là il y a déjà un engorgement atteint. Il y a trop de stagiaire à l’eau. Á Soustons, l’été, vingt deux moniteurs sont à l’eau. Ça devient mortel quoi. Les mecs se goinfrent et marcher pour aller chercher des vagues au-delà de la plage centrale c’est une perte de rentabilité pour les prestataires. C’est autant de temps perdu dans le cadre des rotations des stagiaires durant les leçons ». On lui demande quelle est la perception que peuvent avoir les surfeurs authentiques de l’UCPA. « On est le gros, la grosse entité, l’industriel de l’activité. Grâce ou à cause, on ne peut pas tout se permettre. Tu ne peux pas envoyer n’importe où des stagiaires avec une planche UCPA et un lycra UCPA ». Mais alors, dans ce contexte, n’y a-t-il une inadéquation entre l’offre publicitaire de l’UCPA en faveur du surf et la réalité des conditions de mise en œuvre d’un stage surf à

338 l’UCPA ? « Oui, oui c’est clair. Notre directeur général pense qu’il faut “être séduisant pour convaincre”. Avec le surf, on n’a pas de mal à être séduisant. Tout le monde en veut. Mais, une fois chez nous, une fois que le stagiaire est entre nos mains on arrête le mythe et on change de discours. Les stagiaires ont malgré tout une satisfaction maximale mais les mots et les moyens utilisés pour qu’ils soient contents d’un stage surf ne sont pas ceux qu’on leur a laissé croire. On leur donne des clés de lecture de l’environnement marin, on leur apprend la vigilance, la gestion de la fatigue. On les sensibilise sur le temps qu’il faut pour atteindre un niveau technique honorable. On les acculture, et on les éduque vraiment. On lutte aussi contre la sanctuarisation du milieu naturel. Á l’UCPA on revendique l’accompagnement dans la nature pour transformer nos stagiaires en protecteur de cette nature. Le surf n’est qu’un prétexte pour découvrir le milieu. Les stagiaires se découvrent en groupe et se redécouvrent eux-mêmes. Le jeune qui arrive avec des tubes et du rêve plein la tête revoit ses ambitions à la baisse. Il repart malgré tout avec la banane. Après le stage, le môme connaît l’océan, respecte le milieu et sait glisser tout droit sur une vague de moins d’un mètre ». Michel Pellegrino poursuit sa démonstration : « Moi, j’dis attention : n’abusez pas du surf car c’est une denrée périssable ; une ressource limitée. Parce que des bancs de sables y’ en a pas suffisamment pour satisfaire tout le monde indéfiniment. Á trop développer le surf, tu peux tuer le concept ». On en vient à évoquer la question du localisme, c’est-à-dire de certaine revendications territoriales exprimées par certains surfeurs : « les locaux grognent ; c’est certain. Mais les contestations finissent par disparaître. Á Hossegor, les locaux n’existent plus. Ils sont noyés par la fréquentation. Un bon local est un local mort ». Ne penses-tu pas qu’ils sont plutôt noyés dans la masse ou absents des spots surfréquentés ? « Moi, je surfe tôt le matin ou tard le soir, c’est-à-dire en dehors des horaires de stages. J’habite Messanges. Je pense que le mauvais local est en voie de disparition parce que d’un espace dangereux, on est passé à un espace de jeux. On assiste à une internationalisation des plages qui se consomment différemment. C’est donc la mort du localisme. On a Internet, les webcams… un toulousain peut-être là au bon moment, au bon endroit pour une session. Moi, je fais la distinction entre bon et mauvais local. Le bon local, c’est celui qui est perdu entre le cap de l’Homy et Mimizan ». On lui présente notre définition du surfeur authentique et les stratégies qu’il mobilise pour s’affranchir de la surfréqentation : « Ouais, ça me plait bien plus que la notion de local. De toute façon, on est tous coupable de l’image du surf : le mec blond, avec des abdos qui fume des joints. On est tous coupable de l’entretien du mythe. Cette culture du surf en lien avec ce mythe : ça fait rêver ! ».

339 Présentation de l’organisation et du déroulement d’un stage de surf à l’UCPA : Le surf, un produit touristique Source : http://www.ucpa-vacances.com/sport/surf-bodyboard/ , [Page consultée le 7 juillet 2011].

Les groupes sont constitués de huit élèves maximum pratiquant simultanément et, sauf niveaux techniques extrêmement différents, nous regroupons les participants par affinité et le moniteur accorde attention et conseils individuels à chacun.

Chaque séance dure deux heures lorsque les conditions s'y prêtent. Cela peut être plus, lorsque les conditions de surf sont exceptionnelles pour les stagiaires (vent d'est, marée basse, vagues de cinquante centimètres à un mètre). Cela peut être moins lorsque la mer est forte et le temps froid et dur physiquement. L'enseignement du surf devient très rapidement individualisé du fait de l'extrême diversité du comportement des élèves face à une mer sans cesse changeante. Le type d'enseignement proposé peut laisser ainsi une part plus large à la pratique, à la quantité de vagues surfées ou de mètres parcourus en glissant sur sa planche. Si nécessaire, des explications plus précises et détaillées seront dispensées pour ceux qui ont besoin de comprendre avant de faire. Ces deux approches se complètent en fonction de l'état de la mer, de la curiosité des élèves, du jour dans la semaine (avancement dans l'expérience des stagiaires) de la réactivité et de l'émulation qui existe dans le groupe. Quoiqu'il arrive on oriente les pratiquants le plus rapidement possible vers un surf dans des vagues lisses non déferlées.

Ces stages s’adressent à tous les passionnés de surf du débutant à l’expert. Les membres du premier niveau feront l’apprentissage du matériel, des déplacements sur la zone d’évolution, des règles fondamentales de sécurité, des fonctionnements principaux de la plage et de l’océan. Les expérimentés feront l’essai de matériels différents, apprendront des astuces de vigilance et de lucidité sur le choix des vagues, pour se fatiguer moins, pour surfer le plus longtemps possible sans efforts. Les experts feront l’expérience de l’adéquation du matériel à leur style, leur niveau, leurs objectifs et leurs projets de pratique. Ils peaufineront le choix du bon spot, de la meilleure vague, la gestion de la session à l’eau pour en retirer le meilleur.

Les débutants sont orientés au plus vite vers une pratique dans des vagues lisses non déferlées. Pour des élèves plus expérimentés, le moniteur accompagne plus au large en expliquant les points de vigilance pour surfer en sécurité le plus de vagues possibles avec des objectifs de progrès. Généralement un stagiaire peut surfer des vagues de 50 à 150 cm. Sur la côte atlantique, on surfe correctement des vagues jusqu'à trois mètres. Au- delà il faut commencer à choisir le spot, la planche et la journée pour se mettre à l'eau !

Avec les moniteurs, vous évoquerez les meilleurs moments de la journée pour se mettre à l’eau, les meilleurs spots dans le périmètre environnant pour surfer en tranquillité et en sécurité entre amis, les problèmes auxquels vous êtes confrontés dans votre pratique personnelle. Si votre niveau le permet, le moniteur vous accompagne plus au large en expliquant les paramètres sur lesquels porter votre vigilance pour surfer en sécurité le plus de vagues possibles avec des objectifs de progrès. Tous les moniteurs sont détenteurs du Brevet d'État d'Éducateur Sportif Surf ou du Brevet Professionnel de la Jeunesse et d’Education Populaire et Sportive option surf, ou sont en formation en cours d’acquisition de l’un de ces deux brevet ou détenteurs d'une qualification spécifique surf et/ou bodyboard.

340 Votre moniteur vous apprend les vagues et leur fonctionnement autant que le surf. Il vous découvre peu à peu dans votre relation avec l'eau et les vagues et vous ouvre les yeux sur les déplacements dans l'eau pour éviter toute fatigue excessive, vous invite à être vigilant pour vous même et les autres en attirant votre attention sur les bons indices à observer et sentir. Il vous aidera aussi grâce au jeu et au plaisir à trouver les moyens qui vous conviennent pour évoluer aisément dans cette activité et cet élément. Avec les jeunes publics, il sait analyser et gérer le comportement de ses élèves et adapter sa pédagogie.

Le renforcement de l’offre touristique dessine les contours d’une nouvelle perception de l’espace côtier aquitain qui inaugure de nouvelles demandes sociales en matière de consommation touristique. À l’UCPA, il s’agit d’un surf sans efforts, adapté à chaque pratiquant et dispensé dans des conditions de sécurité optimales. Il n’est pas question de surfer lorsqu’il fait froid ou que cela devient dur physiquement. Le surf qui suppose pourtant des aptitudes physiques et un engagement moral est présenté comme une activité extrêmement accessible. Ce sentiment d’une accessibilité sans contraintes renforce la demande de pratiques sportives récréatives. Cependant, au-delà de l’impact des représentations que véhicule la mise en scène et la valorisation de l’offre sportive du surf sur l’espace immatériel, on comprend qu’une autre dynamique spatiale plus opérationnelle s’opère. En effet, les collectivités territoriales de la côte aquitaine ne peuvent se résoudre à construire une image ludo-sportive du territoire sans pour autant être en mesure de proposer une offre de services sportifs et des aménagements qui puissent d’une part satisfaire ces nouvelles demandes et d’autre part s’inscrire en cohérence avec l’exploitation de cette image. Pierre Chazaud (2000, 2004) décrypte les domaines d’activités stratégiques du tourisme qui se structurent sur la base d’un projet de territoire. Néanmoins, assiste-t-on à une nouvelle structuration du territoire ? En marchandisant les activités sportives, en communiquant une image ludo-sportive, les collectivités territoriales de la côte aquitaine contribuent-elles à la redéfinition de leur espace et de leur produit touristique ?

Avec l’essor et la marchandisation du surf, apparaissent de nouveaux espaces de loisirs sportifs valorisant très largement l’espace côtier. Le surf, vecteur d’un nouveau dynamisme spatial, où la vague est au cœur de l’espace pratiqué, transforme les stations océanes. Les spots , c’est-à-dire ces espaces de pratique, focalisent les flux des surfeurs, cristallisent leurs aspirations sportives et engendre de nouvelles demandes sociales en matière d’offre sportive récréative. Les surfeurs entraînent dans leur sillage des mutations spatiales. Ainsi, à l’heure actuelle, ces nouveaux processus d’organisation socio-spatiale

341 produit par le surf sont lisibles au cœur des stations littorales de la côte aquitaine et témoignent de l’investissement des acteurs locaux. Car, au-delà de la pratique sportive, le surf est source d’un dynamisme économique. « Depuis plus de vingt ans, l’industrie de la glisse se développe en France et en Europe à partir de la côte sud des Landes et du Pays Basque. Aujourd’hui, l’Aquitaine représente 34% du marché européen des sports de glisse, ce dernier compte trois cent quatre-vingt cinq entreprises et trois mille deux cents emplois. Les activités liées aux sports de glisse ont généré la création de nombreuses entreprises et c’est une véritable filière économique qui s’est développée sur le territoire aquitain représentant un milliard et demi d’euros de chiffre d’affaires. Cette économie constitue un atout indéniable pour l’Aquitaine qui bénéficie des retombées des principaux spots et pôles économiques pour accentuer leur notoriété internationale. L’organisation de compétitions mondiales de surf, qui se déroulent chaque année sur notre côte, engendre des retombées économiques indirectes sur l’offre touristique, et constitue un formidable vecteur d’image véhiculant modernité, sport et nature 165 ». C’est en ces termes que Philippe Jacquemain, Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie des Landes, qualifie les enjeux liés à l’accompagnement du surf et des filières économiques qu’il entraîne dans son sillage. Ainsi, au-delà des discours d’énonciation territoriale, le surf s’ancre également dans l’espace et concourt ainsi à l’émergence d’une organisation spatiale en rupture avec la qualification urbaine et balnéaire classique des espaces des stations. Cependant, Vincent Vlès montre aussi dans quelles mesures les excès du tourisme de masse provoquent une banalisation de ces espaces emblématiques. Il met en lumière le fait que les choix arbitrés dans le cadre des opérations urbanistiques et d’appropriation de l’espace public par les touristes et les habitants engendrent aussi une harmonisation tant des paysages, qui sont alors dépourvus de leurs signes distinctifs, que des atmosphères urbaines où se déroulent les échanges et les rencontres (Vlès, 2011a). Ainsi, on est en droit de se demander si cette transformation de l’espace public imposée par le surf et la mise en scène iconographique et évènementielle de cette pratique sportive par les acteurs locaux des stations littorales n’entraînent pas aussi comme corollaire une unification des ambiances touristiques sur la côte aquitaine. Car, que l’on soit à Lacanau, Hossegor ou Biarritz, force est de constater que la mobilisation du surf à des fins de renforcement de l’attractivité touristique est partout la même. Le surf occupe une place privilégiée dans l’animation sociale des stations et marque les paysages urbains de manière homogène c’est-à-dire qu’au sein de ces trois

165 La lettre du réseau national des sports de nature , n° 68, juin 2011, p 1.

342 stations se déroulent des compétitions de surf similaires, les écoles de surf proposent les mêmes prestations et sont localisées sur le front de mer, les mêmes surf-shop reconfigurent les espaces commerciaux, les mêmes infrastructures consacrées à la promotion du surf structurent les espaces urbains…

5.2 Les pouvoirs publics et l’ancrage spatial du surf en Aquitaine

5.2.1 La gestion des conflits d’usage

L’émergence des territoires érigés par la communauté des surfeurs a très vite suscité des conflits en matière de gestion spatiale de ces espaces naturels restreints et convoités. Ainsi, la plage et les spots , qui constituent les espaces de la pratique, ont fait l’objet d’attentions particulières en terme de gestion de la part des pouvoirs publics locaux. En effet, les municipalités de la côte aquitaine prennent des arrêtés municipaux afin de délimiter clairement les espaces de pratique octroyés à chacun des usagers de l’espace maritime. Ces mesures réglementaires, dont l’objectif est de minimiser les risques d’accidents et de réguler les conflits d’usage de l’espace maritime, permettent aux surfeurs de se voir attribuer un espace, certes cloisonné, mais entièrement réservé à la pratique de leur sport. Le surf s’intègre donc aux institutions et les municipalités qui sont engagées dans une telle politique de délimitation des espaces maritimes affirment par conséquent leur volonté de promouvoir cette activité. Le courrier du préfet des landes adressé à Mesdames et Messieurs les maires des communes du littoral, en date du 15 février 2011, ayant pour objet « la réglementation de la pratique des activités nautiques » est explicite. En effet, le préfet rappelle que le développement du surf « constitue un atout touristique et économique indéniable pour le territoire, mais qu’il convient toutefois de rester vigilant afin que l’afflux des pratiquants et l’accroissement régulier du nombre d’écoles, notamment en période estivale, ne génère pas de conflits en terme d’espaces susceptibles à terme de nuire à la sécurité de tous ». Ainsi, le préfet exige que toutes les structures d’enseignement et d’encadrement d’activités nautiques s’astreignent à déposer une demande d’exploitation au plus tard avant le 30 mars de l’année civile en cours auprès de la commune où elles envisagent de développer leurs activités. La lecture de l’arrêté

343 municipal n°11-448 de la commune de Biscarosse, située dans le département des Landes, illustre la manière dont procèdent les maires des communes littorales. En effet, l’arrêté mentionne les établissements autorisés à promouvoir l’enseignement et l’encadrement du surf. Il détermine le nombre de moniteur exerçant simultanément par école autorisée et rappelle les obligations de ces structures commerciales. A Biscarosse, ce sont sept écoles de surf, faisant appel à vingt et un moniteurs de surf, qui sont autorisées à exercer en 2011. Le surf trouve donc dans sa place dans l’espace public. Sa pratique est réglementée et cela marque, non seulement sa reconnaissance légale, mais aussi sa légitimité spatiale dans la mesure où des zones, bien spécifiques, sont exclusivement dédiées à cette pratique sportive. Dans l’arrêté municipal n°11-447 de la commune de Biscarosse, il est ainsi précisé dans l’article premier que « sur les plages de la commune de Biscarosse, il est crée quatre zones appelées zones réglementées : la zone centrale, la zone sud, la zone du Vivier et la zone nord… La pratique des engins de plage utilisés pour les sports de glisse (surf, bodyboard, planche à voile, kite-surf) est interdites dans les zones réservées à la baignade surveillée… Dans les zones réglementées et en dehors des zones réservées à la baignade surveillée, le bain est interdit en raison notamment des dangers particuliers dus au courants de sortie de baïnes, au changement imprévisible de profondeur des eaux et à la présence d’utilisateurs d’engins de plage tels que le surf, le bodyboard, la planche à voile, le kite-surf. Ces zones sont matérialisées par une signalisation mobile prévue par l’arrêté du 27 mars 1991 disposée selon la configuration du littoral ». Par conséquent, les pouvoirs publics institutionnalisent les territoires du surf. Ils délimitent les espaces de pratique, circonscrivent les activités dans un espace géographique restreint et opposent les usagers (baigneurs/surfeurs) afin de prévenir les accidents. Incombe alors au Directeur Général des Services de la mairie, aux sauveteurs nautiques, aux agents de la police municipale, de la gendarmerie nationale, aux agents de l’État de faire appliquer ces dispositions réglementaires. Néanmoins, la plupart des arrêtés municipaux sont circonscrits dans le temps et en période hivernale la pratique du surf est accomplie aux risques et périls des pratiquants comme le rappelle cet affichage municipal photographié en mars 2012 sur la plage de la Milady à Biarritz (Photographie 8).

344 Photographie 8 : Affichage municipal relatif à la réglementation des plages en période hivernale Plage de La Milady – Biarritz

Source : Auteur, mars 2012.

Mais, à la maîtrise publique des usages, se combine une légitimation par intégration territoriale. En effet, les collectivités territoriales encouragent également le développement de ce sport. Le Conseil régional d’Aquitaine participe aux financements des compétitions. D’autre part, à l’occasion de la candidature de la France à l’organisation des championnats du monde de surf en 2004, le Conseil régional d’Aquitaine réunit le milieu sportif et associatif, les entreprises, les médias et les partenaires institutionnels afin de fédérer les énergies et les volontés de ces acteurs autour de ce projet ambitieux. Ces actions participent de la structuration de la filière sportive fortement encouragée par les pouvoirs publics.

345 5.2.2 L’aide à la structuration de la filière sportive

Les municipalités de la côte aquitaine affirment également la volonté politique de proposer dans le cadre institutionnel la promotion du surf. Les espaces urbains servent de support à la fixation des clubs. On ne dénombre pas moins de seize clubs de surf sur l’ensemble des communes littorales situées entre l’Adour et la Bidassoa. Ils sont accrédités du label de la Fédération Française de Surf basée à Hossegor. Ce label constitue pour les licenciés inscrits au sein de ces structures un gage de qualité dont les principaux critères pour l’évaluer sont la permanence de l’accueil, les périodes d’ouvertures, l’occurrence des manifestations sportives ou culturelles, la convivialité, et la qualité de la diffusion de l’information. Cette forme initiale d’institutionnalisation est aujourd’hui suivie de l’ouverture d’écoles de surf qui recrutent pour leur encadrement des professionnels diplômés. La côte aquitaine compte de nombreuses écoles chargées d’enseigner cette activité sportive aux néophytes. La Fédération Française de Surf a souhaité s’engager dans la promotion de l’activité en instituant un label « écoles françaises ». Les objectifs énoncés par la fédération en attribuant ce label aux écoles de surf sont de promouvoir la qualité de l’enseignement et la sécurité des pratiquants 166 . Ce label est attribué aux écoles associatives ou privées qui répondent à certains critères en rapport avec les objectifs fédéraux tels que la compétence de l’encadrement, l’organisation de la progression pédagogique, la présence de locaux, la permanence de l’accueil ou encore la valorisation du site. Cette professionnalisation de la pratique s’est ensuite prolongée par des ouvertures de classes où le surf est le principal support pédagogique de l’enseignement. Ainsi, le lycée André Malraux et le collège Edmond Rostand à Biarritz dispensent une formation « sport étude option surf ». C’est au sein de ces établissements que sont formées les futures élites du surf, et que sont véhiculées les notions de respect des règles par les programmes éducatifs où le surf est le support de leur enseignement. Les municipalités qui encouragent ce type de projet pédagogique espèrent que ces futurs champions fassent la promotion de leur démarche. Michel Veuvac, alors chargé du tourisme à la ville de Biarritz, rappelle que « la ville aide les sportifs de haut niveau afin qu’ils portent haut les couleurs du surf biarrot 167 ». Une Ecole Supérieure des Technologies Industrielles Avancées (ESTIA) implantée au sein du technopôle Izarbel à Bidart propose également aux étudiants de

166 Fédération Française de Surf. Cadre réglementaire de la pratique du surf et des activités vagues . Édition de janvier 2000, p 9. 167 Sud-Ouest . La ville adore le surf festival. 25 mars 2002.

346 troisième cycle un Master intitulé « Ingénierie des projets et produits sports de glisse ». Mise en place par l’Université de Bordeaux II, cette formation ouverte en 1999, accueille entre vingt et vingt-cinq étudiants à chaque rentrée universitaire. Un processus d’institutionnalisation du surf s’opère donc sur la côte aquitaine. Ce sport, jadis pratiqué par des adeptes en proie à la marginalité, est désormais approprié par les institutions qui l’érigent en sport pour tous. L’Académie de Bordeaux enfonce le clou en 2007. Le Monde rapporte qu’elle « a offert un joli cadeau au surf pour ses cinquante ans. Les lycéens des cinq départements que compte la région Aquitaine ont pu passer, pour la première fois en France, une épreuve de surf en éducation physique et sportive au baccalauréat 168 ». Incontestablement, les pouvoirs publics participent à l’institutionnalisation de cette discipline sportive.

5.2.3 Les infrastructures liées au surf au centre des projets d’aménagements des stations littorales ?

D’autre part, la volonté aménagiste des collectivités territoriales dépasse aujourd’hui le discours. Des équipements sont en projet, d’autres réalisés, afin d’affirmer un peu plus l’ancrage spatial du surf au sein des stations balnéaires de la côte aquitaine. La mairie d’Anglet réhabilite le site de la Barre, situé en front de mer, en un pôle multi-glisse dont les équipements permettent la pratique des sports de glisse même lorsque les conditions marines ne sont pas favorables. D’autres infrastructures consacrées aux sports de glisse voient le jour. Nombre de surfeurs s’adonnent également au skate board . La construction de skate park répond à une forte demande exprimée par la population glisse régulièrement sujette aux verbalisations des forces de l’ordre dans la mesure où la pratique de ce sport est interdite dans l’espace urbain, car considérée comme dérangeante pour nombre de nos concitoyens (Fize, 1995 :631-646). Ainsi, la mise en place de ces infrastructures s’est donc imposée dans l’optique d’assurer, en regroupant les skateurs, une meilleure cohabitation entre d’une part la clientèle souvent aisée présente sur ce littoral et d’autre part les adeptes des sports de glisse.

168 http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3238,36-896118,0.html . « Pour ses cinquante ans, le surf s’invite au bac ». [Page consultée le 16 avril 2007].

347 Néanmoins, au delà de la construction de skate park , des équipements publics de grande envergure marquent également le paysage urbain des stations balnéaires. Plus encore, ces infrastructures témoignent de la volonté des municipalités d’affirmer leur intérêt pour le surf. La ville de Biarritz inaugure en juin 2011 la Cité de l’océan et du surf . 60 000 visiteurs découvrent les animations proposées au sein cette édifice en 2011 (Photographie 9). Néanmoins, les chiffres de fréquentation ne sont pas à la hauteur des espérances et, à en croire le quotidien régional Sud-Ouest 169 , « Didier Borotra n’a pas peur de trancher dans le vif, annonçant notamment la fin pur et simple de l’animation consacrée au surf, qui supposera à terme selon lui, de ne plus retenir que l’appellation “Cité de l’océan” et non “Cité de l’océan et du surf”… Le maire parle également d’un renforcement du contenu. Après avoir hésité entre plusieurs propositions, dont une animation sur les vagues et une autre sur les sons océaniques ; l’ex espace surf sera dédié aux glaciers ! ». Pourtant, le projet est initialement ambitieux et envisage de promouvoir le surf. Cependant, malgré l’enthousiasme des élus locaux, l’investissement financier important consacré à la création ex-nihilo de cette infrastructure, les détracteurs sont nombreux. Leurs critiques ne stigmatisent pas tant la dimension architecturale du projet ou la réhabilitation paysagère et urbaine d’ Ilbarritz , quartier situé au sud de la commune de Biarritz. En effet, les détracteurs ne déplorent pas tant les investissements consacrés à l’aménagement des voiries et des accès à cette nouvelle infrastructure.

169 Sud-Ouest . La feuille de route inattendue de Didier Borotra. 22 février 2012.

348 Photographie 9 : La Cité de l’Océan et du Surf à Biarritz

Source : Auteur, 2012.

Néanmoins, leurs critiques sont sévères comme en témoigne cette lecture glanée sur le site Internet surf-prévention.com où s’affichent les commentaires suivants : « Samedi 25 Juin 2011 avait donc lieu l’inauguration de la Cité de l’Océan à Biarritz. J’ai réussi à me glisser in extremis parmi la foule des invités triés sur le volet. Comme prévu, il y avait plus de politiques et de représentants de la haute société que de jeunes surfeurs. On avait quand même fait venir cent cinquante enfants de la ville pour rajeunir l’assistance. Après de longues minutes d’attente, nous avons finalement pu découvrir en avant-première l’intérieur de la Cité de l’Océan. Vous remarquerez que je n’écris plus Cité de l’Océan “et du surf”, car l’emploi du mot surf est usurpé ici. Surfeur, passe ton chemin, tu ne trouveras rien dans ce bâtiment qui puisse satisfaire ta curiosité. L’attraction consacrée au surf qui devait faire vivre une expérience unique est d’une indigence rare. Le surf est bien le parent pauvre de cette Cité qui devait lui être consacrée, avant que l’option ne soit rejetée car jugée insuffisamment “bankable”. On dit que les absents ont toujours tort, mais là, je crois que tous ceux qui ont eu l’intelligence de ne pas participer à cette mascarade ont eu raison. On a assisté à un exercice d’auto-congratulation politique de haut vol entre le maire Didier Borotra et ses invités comme le Président de Région Alain Rousset. Comment

349 peut-on mettre autant d’argent – quarante et un millions d’euros – dans un projet aussi peu ambitieux, si l’on excepte le côté architectural ? À aucun moment on n’a l’impression d’être immergé dans l’océan. Point positif : le bâtiment conçu par l’architecte Steven Holl a quand même un certain cachet. Le problème est qu’il s’agit pour l’instant d’une coquille vide ou très mal remplie avec des espèces de bunkers et des attractions parsemés. Il ne semble pas y avoir d’unité dans la disposition des éléments. Pour le moment, l’intérieur de cette Cité n’a pas d’âme. Après avoir vu ça, on se demande comment on a pu avoir l’idée de concevoir une telle Cité pharaonique à l’intérieur de laquelle on ne trouve rien d’exceptionnel, avant de financer des choses essentielles comme se préoccuper de la pollution chimique des eaux de baignade, rendre toutes les plages de la ville accessibles aux handicapés, ou permettre aux jeunes de se loger à Biarritz, par exemple. Il y aurait le potentiel pour faire quelque chose de beaucoup mieux dans cette Cité. Á condition de demander à des personnes qui connaissent la mer, qui connaissent le surf, avant de consulter des grands scénographes et professeurs de Paris… J’ai beaucoup de mal à croire qu’ils parviendront à attirer les 400 000 visiteurs payants annuels espérés. Peut- être feront-ils illusion pendant cette première saison estivale de lancement mais derrière, ça sent la chronique d’un fiasco. Le salut viendra peut-être des scolaires si on arrive à les persuader de l’intérêt de cette Cité. Le cadre de la Cité de l’Océan n’en reste pas moins magnifique. Il faut dire que samedi était l’une des plus belles journées de l’année sur la Côte Basque. Il y aurait quelque chose de bien à faire à cet endroit, à condition de rendre la parole aux jeunes et à ceux qui veulent faire bouger les choses à Biarritz. Il faudra de toute évidence faire évoluer cette Cité, l’animer, la faire vivre. Ce qu’il faut retenir de tout cela : si vous voulez découvrir l’Océan, le vrai, prenez une planche de surf, ou un simple maillot de bain, et mettez-vous à l’eau sur une plage de Biarritz. Vous constaterez que l’expérience visuelle, sonore et olfactive est autrement plus intense que celle que pourront vous faire vivre tous les écrans tactiles de la Cité de l’Océan 170 … ».

Cependant, Michel Poueyts, adjoint au Maire de la ville de Biarritz, délégué aux sports et à la jeunesse, rencontré dans le cadre de notre activité professionnelle, défend la politique municipale en faveur de l’accompagnement du surf. S’il reconnaît volontiers que le traitement du surf au sein de la Cité de l’océan et du surf est « un véritable flop »,

170 http://blog.surf-prevention.com/2011/06/26/cite-de-locean-de-biarritz-tout-ca-pour-ca/#comment-6764 . [Page consultée le 19 janvier 2012].

350 l’adjoint au Maire, tient à nous remettre un document, réalisé en interne, où sont rappelés les engagements de la ville en ce domaine. On peut ainsi lire que « depuis 1998, la Ville de Biarritz s’est engagée dans un politique globale et cohérente en faveur du surf. Plusieurs domaines d’interventions sont pris en compte et développés : le mouvement sportif, les équipements de plages, les manifestations sportives, le développement socio-éducatif à travers la promotion du surf à l’école et en milieu périscolaire. Le surf à Biarritz en 2012 représente plus de 800 licenciés, concerne cinq spots, près de 250 000 sessions par ans. [D’autre part, le document met en avant le fait que] la ville dispose d’un club formateur et fédérateur, fortement soutenu. Ce club est le premier club français, compte des compétiteurs emblématiques, tels que Lee Ann Curren, Antoine et Edouard Delpero ou Patrick Beven. La ville dispose également d’équipements sportifs majeurs tels que le centre de glisse à la Milady, et met à disposition des clubs des locaux tels que le local du Marbella surf club, le local de surf club la grande-plage. [Le document précise également que] la réglementation est adaptée en vue de maintenir la sécurité des pratiquants, de permettre également la pratique libre et qu’une autorisation a été octroyée aux clubs limitrophes pour qu’ils délivrent des entraînements. [Enfin, la ville de Biarritz rappelle son rôle dans le cadre de l’organisation d’évènements majeurs]. Trente manifestations sportives sont organisées en 2012 dont les championnats du monde féminin, la Maïder Arosteguy, compétition professionnelle européenne, les championnats de France de surf. La ville accompagne et accueille également l’association Surfrider Foundation Europe ».

5.2.4 Le soutien au développement de l’économie de la glisse

Mais, le surf est également vecteur d’un dynamisme économique sur cette portion le littoral aquitain. De nombreuses entreprises dont l’activité économique dépend directement de la pratique de ce sport se sont implantées sur la côte aquitaine. En effet, le littoral basque recense bon nombre des firmes du surf wear dont l’entreprise Quiksilver implantée à Saint-Jean-de-Luz. L’évolution des chiffres de cette multinationale atteste des potentialités du marché directement liées à la pratique du surf. De plus, ces entreprises s’appuient sur un réseau de distribution de leurs produits constitué de boutiques, appelées surf shop , spécialisées dans la vente des produits induits par la pratique du surf. Ces lieux de commercialisation des produits dérivés du surf tendent même à devenir des espaces de

351 vie et de rencontre pour les surfeurs. Ces entreprises du surf wear et les surf shops contribuent donc à la dynamique économique des communes de la côte aquitaine. Aujourd’hui, ces professionnels de la glisse sont regroupés sous forme associative : EUROSIMA (Européen Surf Industry Manufacturing Association). Cette association qui compte une trentaine d’industriels du secteur glisse a pour objectif de défendre l’environnement, de mutualiser les compétences et de gérer une image commune lors des diverses expositions. L’industrie du surf se révèle alors être un secteur plus que providentiel. Longtemps il a été question de créer un pôle de compétitivité glisse. Instauré par l’État en 2005, les pôles de compétitivité regroupent sur un territoire circonscrit des entreprises, des laboratoires de recherche et des établissements de formation dans le but de développer des synergies et des coopérations. S’opère ainsi « la conversion progressive du surf en une filière économique, celle de la glisse, par une double logique : territoriale et stratégique » (Herrera-Cazenave, 2007 :73). D’autres partenaires dont les pouvoirs publics, nationaux et locaux, ainsi que des services aux membres du pôle sont associés. L’enjeu est de s’appuyer sur les synergies, les projets collaboratifs et innovants pour permettre aux entreprises impliquées de prendre une position de premier plan dans leurs domaines en France et à l’international. S’agissant du pôle de compétitivité « Glisse en Aquitaine », l’objectif des acteurs est de positionner l’Aquitaine comme le leader mondial des marchés de la glisse. Pierre Agnès, Président de Quiksilver et porteur du projet « Pôle de compétitivité Glisse », souligne dans le cadre de l’introduction au dossier de présentation que « le concept de pôle de compétitivité est une fantastique opportunité pour notre secteur. Il va d’abord permettre de faire connaître la bonne santé de nos entreprises, la jeunesse et le dynamisme des employés et leurs capacités à entreprendre et innover 171 ». D’autre part, Pierre Agnès présente l’émergence du pôle comme une opportunité pour renforcer « des projets structurants et déterminant sur l’aménagement du territoire » dans la mesure où s’impose « l’extension des sites industriels des majors européens, la création d’un bassin à vagues artificielles nécessaires au développement de nos athlètes, de nos produits et à l’attractivité de notre région ». Alain Rousset, Président du Conseil régional d’Aquitaine se félicite également de l’opportunité d’inscrire un pôle glisse en Aquitaine : « le travail effectué depuis quelques mois pour formaliser des projets associant industrie, formation, recherche ainsi que les compétences recensées à travers ce dossier m’ont convaincu que l’Aquitaine est, et restera longtemps, un acteur majeur dans le domaine des

171 Dossier de candidature du pôle de compétitivité glisse en Aquitaine, 2006, 95 p.

352 sports de glisse. Un pôle de compétitivité s’impose donc. Forte de ses belles déferlantes et de ses capacités d’accueil touristiques et économiques performantes, l’Aquitaine peut aussi compter sur les personnels très compétents des sièges européens, voire mondiaux des leaders de la glisse pour contribuer à mettre en œuvre ce nouveau pôle de compétitivité, assurément très prometteur ». Le projet de création d’un pôle glisse en Aquitaine fédère de nombreux acteurs issus du secteur marchand et du secteur public.

Par ailleurs, les retombées en matière d’emploi ainsi qu’économiques ne se limitent pas simplement à l’industrie du surf wear . En effet, tout surfeur possède sa planche et le littoral aquitain regorge d’artisans shapers . Même si leur travail est avant tout d’ordre artisanal, ce marché constitue un secteur de production et d’emplois à la hausse. En règle générale, les surfeurs locaux sont très attachés à leurs shapers , car l’élaboration d’une planche nécessite de longues conversations afin d’établir le bon shape d’une planche afin que les côtes (hauteur, largeur, épaisseur) soient adaptées au gabarit et au style de glisse de chacun. Une association, créée en 1999, regroupe dix sept shapers aquitains. L’objectif de l’Association des Shapers Aquitain (ASA) est de travailler conjointement afin de définir les critères quant à la mise en place d’un label Atelier propre . Cependant, outre cette conscientisation environnementale, les shapers aquitains affirment par ce biais associatif leur volonté de promouvoir un produit artisanal. Ainsi, dans la plaquette de présentation, éditée par cette association, on peut lire que : « Bien loin des paillettes du surf business, c’est dans la poussière des pains de mousse et les vapeurs de résine que ces artisans perpétuent pour vous une tradition de travail soigné basée sur une expérience partagée et un enthousiasme de tous les instants 172 ».

En terme d’intégration économique des entreprises liées au surf sur la côte aquitaine, celles de la presse spécialisée participent également de cette dynamique spatiale. En effet, les locaux où sont conceptualisées les pages des magazines Surf Session , Surfeur’s Journal , Trip Surf , Radical Surf et Body Rider sont implantés à Biarritz. Ces entreprises, outre les emplois qu’elles génèrent, assurent par le biais de l’édition de leurs magazines la diffusion d’une culture surf. Désormais, ces magazines proposent une rubrique locale où les pages consacrées à la côte aquitaine tiennent une place prépondérante. En outre, l’intégration économique du surf s’opère également par les

172 Shape : Tout ce que vous voulez savoir sur le shape sans jamais oser le demander . Association des Shapers Aquitains, Éditions Bombay Tokay, p 2.

353 métiers du surf et notamment ceux de l’encadrement et de l’enseignement du surf. Les cours sont dispensés par des structures fédérales, des clubs et, fait novateur, par des structures à vocation commerciales telles que les écoles de surf. Ce marché de l’enseignement du surf s’est considérablement développé ces dernières années. Les organismes de vacances (UCPA, VVF, Auberges de Jeunesses, Colonies) proposent parmi leur éventail d’activités ludiques celles consacrées à la glisse sur les vagues. Le marché du surf constitue un secteur d’activités en progression constante, il est devenu un agent économique, créateur d’emplois directs et pourvoyeur d’emplois potentiels sur le littoral aquitain. La création dès 1991 du Salon Européen du Surf et de la Glisse appelé « Glissexpo », initialement organisé à Biarritz et reconduit depuis à Anglet, témoigne du dynamisme de ce marché. Implantées sur les communes littorales, toutes ces entreprises initialement créées à partir de l’activité surf contribuent au marquage visuel des stations balnéaires de la côte aquitaine et s’intègrent dans leur espace. La Chambre de Commerce et d’Industrie du Pays Basque propose l’image de « Glissicon valley ». La côte aquitaine s’affirme donc comme une région de glisse, à fort potentiel économique sur ce segment. L’Aquitaine s’impose comme une terre d’élection du leadership technologique du surf. Elle occupe le premier rang européen de la production économique liée au secteur de la glisse. Ce secteur d’activités économiques représentait en 2003 plus de trois mille emplois, et un chiffre d’affaire estimé à plus de six cents millions d’euros par an sur l’ensemble de la région Aquitaine 173 .

5.2.5 L’intégration sociospatiale du surf dans les stations balnéaires

L’espace des stations littorales en Aquitaine se distingue d’abord des espaces de pratique sportive centraux et institutionnalisés par les équipements, clubs, écoles, parkings de stationnements. Ils sont articulés sur les espaces économiques marchands des stations. Sont ensuite organisés, de façon périphérique, des espaces marginaux spécialisés dans la pratique des spots , accessibles par des aménagements spécifiques et davantage respectueux de l’équilibre naturel des rivages (protection du cordon dunaire, des falaises rocheuses). En périphérie urbaine et en liaison avec les lieux urbains de vente et d’équipement ou de rencontre du cœur ludo-marchand de la station, un espace logistique correspond aux

173 [Page consultée le 21 mars 2003]. http///www.bayonne.cci.fr/glisse.asp.

354 activités des shapers et des entreprises du surf wear qui s’articulent ainsi aux technopôles ou zones d’activités (Figure 17) . C’est donc une progressive association tant institutionnelle que professionnelle qui s’opère entre le monde du surf et l’espace littoral urbain et touristique aquitain, au point que les deux mondes sont étroitement imbriqués et tirent de cette symbiose un dynamisme réciproque. Il se produit avec le surf, mais de façon moins marquée du fait de la faible emprise spatiale de cette activité une ambiance locale à rapprocher de celle induite par le nautisme à La Rochelle, aux Sables-d’Olonne ou à La Baule. Le surf s’intègre donc dans l’organisation spatiale et les dynamiques territoriales des stations balnéaires. Néanmoins, cette intégration ne serait justifier l’avènement de « station surf ». Car le surf est une offre touristique parmi tant d’autres et elle n’occupe pas une place hégémonique dans la constitution du produit touristique des stations littorales en Aquitaine. C’est la raison pour laquelle, il convient de lire l’émergence de ces loisirs sportifs de nature comme vecteur d’un renouvellement des contours du tourisme (Bessy, 2010) dont les incidences sur la structuration des territoires touristiques sont multiples, variées, voire « hybrides ».

Au regard de la place qu’il occupe, le surf s’intègre dans l’organisation territoriale des stations balnéaires des stations aquitaines. Il fait désormais l’objet d’un traitement dans le cadre des outils de gestion et de planification territoriale. Le plan de développement durable du littoral aquitain 2007-2020 formalisé par le Groupement d’Intérêt Public Littoral Aquitain (GIP Littoral) inclut le surf comme l’un des éléments à prendre en considération dans le cadre de la déclinaison du défi touristique qu’entend relever cet outil de planification territoriale. Le développement de l’offre culturelle et sportive, qui passe par la promotion du surf, prétend répondre « aux nouveaux besoins des populations résidentielles et touristiques » (GIP Littoral, 2007 :26).

Une étude prospective relative au tourisme en Aquitaine 174 souhaitée par le Conseil régional d’Aquitaine et le GIP Littoral précise que « le tourisme est une industrie que l’on peut décliner dans l’économie classique sur le modèle du surf qui a permis de créer toute une économie autour de la glisse » (Howarth HTL, 2012 :5). D’autre part, l’étude affirme que « le surf a permis de réinventer les bains de mer et constitue un point de référence sur

355 les nouveaux usages et imaginaires à inventer » ( Ibid :5). L’étude entend également émettre des propositions afin « d’engager une nouvelle étape de l’aménagement touristique en Aquitaine ». Il s’agit, ni plus, ni moins, de « ré-enchanter le littoral aquitain, de le compléter et de raconter une nouvelle histoire ». Dans ce contexte, le surf est identifié comme un moyen de déconstruire « des modèles constructifs datés, largement marqués par une vision dite sociale, peu originaux et peu différenciants » ( Ibid :6). Parmi les objectifs qui permettraient de réenchanter le tourisme en Aquitaine, on apprend qu’il apparaît comme fondamental de favoriser « une intégration du tourisme et des loisirs comme marqueur de l’Aquitaine… Cette ambition forte de développement touristique passe par une intervention publique concertée ainsi que par un positionnement volontariste sur certaines filières d’avenir ». Or, le surf est identifié au rang des filières d’avenir. Ainsi, l’étude préconise de « renforcer des filières différenciantes et à fort pourvoir d’image : oenotourisme, le bien-être, le golf, le vélo et la glisse ». Car, ces filières ont une « capacité à désaisonnaliser la fréquentation touristique du territoire [et le fait que] la pratique de ces différentes activités se répartit de façon équilibrée sur l’ensemble du territoire » semble également constituer une plus-value. Ainsi, parmi les actions préconisées dans le cadre de cette étude, l’une d’entre elle concerne le renforcement de la glisse comme filière touristique. Il s’agit de la structurer sur le plan touristique afin d’en optimiser les retombées économique, de permettre une bonne gestion et organisation des activités afin de préserver la qualité de la sécurité des pratiquants et de mobiliser cette filière pour construire une image jeune et dynamique de l’Aquitaine. Plus pragmatiquement et au-delà des déclarations d’intention, des actions sont envisagées. Il s’agit de réguler et d’organiser l’activité en définissant des usages d’espaces et en contrôlant la qualité des prestataires. Par ailleurs, il convient de poursuivre la création de produits tels que les stages, les séjours thématiques et l’organisation d’évènementiels à vocation touristique. L’étude préconise également le développement de projets locaux fondés sur la densification de l’offre de produits touristiques surf à destination des jeunes. Le renforcement des actions de communications sur ces activités est également plébiscité dans la mesure où elles valorisent « la liberté, les grands espaces, les sensations liés aux éléments naturels qui peuvent être mis en parallèle avec l’offre de la destination elle- même ». Le Conseil régional d’Aquitaine est identifié comme le pilote dans le cadre de la mise en œuvre territorialisée des objectifs et actions préconisés pour renforcer la glisse

174 Horwath HTL – Kanopée Consultants. « Etude prospective relative au tourisme en Aquitaine. Document phase 3 – Orientations stratégique et actions prioritaires », 2012, 47 p.

356 comme filière touristique. Lui incomberait alors de se rapprocher, non pas tant de la Fédération Française de Surf, absente de la liste des partenaires identifiés, mais bien du Cluster Eurosima , des professionnels du tourisme, des départements, des communes littorales et des offices de tourisme.

Le surf a donc de belles heures devant lui. Il s’impose comme un produit de marketing touristique. L’espace-vague, c’est-à-dire le lieu-vague pratiqué par les surfeurs, tend à être récupéré par les pouvoirs publics qui orchestrent un processus d’institutionnalisation de l’activité. Il s’agit de promouvoir l’offre touristique sur ce segment, de garantir la sécurité des pratiquants, de renforcer l’image de l’Aquitaine comme terre de surf. Dans ce contexte, l’espace-vague est désormais réglementé, aménagé par les pouvoirs publics qui, au demeurant, encouragent la marchandisation de l’activité. Les transformations sociospatiales, engendrées par l’institutionnalisation du surf au cœur des stations océanes du littoral aquitain, bouleversent donc le système territorial des stations balnéaires de la côte aquitaine. Le surf s’intègre dans l’organisation sociospatiale des stations balnéaires du littoral aquitain (Figure 17). Le spot est délimité, normé, médiatisé… Perd-t-il pour autant sa dimension ontologique ? Est-il désacralisé aux yeux des surfeurs ?

357 Figure 17: L’intégration sociospatiale du surf dans les stations du littoral aquitain

Source : Falaix, Favory, 2002 :57.

358 D’autre part, on assiste à des formes de requalification des espaces urbains des stations balnéaires induites par le surf. De nouvelles infrastructures et équipements voient le jour et sont intégrées dans les logiques d’aménagement de l’espace urbain balnéaire. Les surf-shops occupent les espaces commerciaux des fronts de mer avec les écoles de surf. Les équipements en faveur du surf comme la Cité de l’océan et du surf à Biarritz, le siège de la Fédération Française de Surf à Hossegor, l’ACASAL à Soustons-Port-d’Albret, la maison de la glisse à Lacanau marquent l’espace urbain au regard de leur emprise foncière, architecturale et paysagère. Les zones industrielles accueillent les grandes firmes de la filière glisse, les shapers occupent les zones artisanales… Les manifestations culturelles et sportives ayant le surf comme support se multiplient et drainent toujours plus de flux. Une étude réalisée par le Comité Départemental du Tourisme des Landes évalue, en 2007, à plus de 25 000 visiteurs présents lors de l’épreuve du championnat du monde de surf organisée sur les plages d’Hossegor 175 . Ces manifestations culturelles et sportives structurent de nouvelles « sociabilités plagiques ». Elles sont autant de temps de rencontres, d’échanges et de création de lien social qui organisent les temps de loisirs des touristes et des résidents. Le secteur marchand renforce, quant à lui, son panel d’offre touristique en proposant des séjours de découverte de l’activité surf. Les écoles de surf se multiplient sur le littoral aquitain. Elles proposent des séjours d’apprentissage du surf agrémentés de cours de langue ou de stages de découverte de l’activité en ayant le souci d’une intégration sociale des publics qualifiés de vulnérables. Les acteurs institutionnels soutiennent les innovations territoriales en ce domaine. Le surf est intégré dans le cadre des politiques publiques sectorielles sur le développement économique, sur le tourisme, sur le sport, sur la culture… Le surf devient un élément de développement territorial. Il s’intègre dans les politiques publiques territorialisées. Néanmoins, quelle est l’intensité de cette intégration du surf dans les politiques publiques ? Cette intégration du surf au sein des politiques publiques sectorielles est-elle aussi prégnante que ça ou bien assiste-t-on davantage à ce que Christophe Guibert (2007) qualifie de stratégies politiques ? Car, force est de constater qu’aucune politique publique ayant le surf comme seul et unique objectif ne voit le jour. Le surf est plutôt intégré dans les politiques sectorielles du sport, du tourisme, de l’action économique, de la culture… Quelle est alors la nature du changement des politiques publiques introduite avec la prise en compte du surf par les acteurs institutionnels ?

175 Comité Départemental des Landes. La fréquentation des manifestations dans les Landes en 2007, 2007, 2 p.

359

Pierre Muller et Yves Surel remarquent que « comprendre et construire les logiques de changement entendu au sens de rupture, au sein d’un sous-système d’action publique donné, dans la distribution des ressources, les rapports de force éprouvés, les institutions traditionnelles ou les schèmes cognitifs légitimes, constituent bien l’une des orientations majeures des recherches sur l’action publique » (Muller, Surel, 1998 :124). Néanmoins, ces auteurs distinguent plusieurs formes de changement de l’action publique. Dans le cadre d’un changement marginal, ces auteurs préfèrent alors employer le terme « d’incrémentalisme » à celui de changement de paradigme pour rendre compte de l’évolution des politiques publiques. Or, l’intégration du surf dans les politiques sectorielles traduit-elle par un changement de nature incrémentale ? Le prochain chapitre qui s’appuie sur une étude de cas tente de répondre à cette question et entend alors renforcer l’examen des politiques publiques ayant le surf comme support. Pierre Muller et Yves Surel remarquent que l’incrémentalisme « s’applique avec plus de pertinence au niveau de la mise en œuvre des politiques publiques dans un espace restreint ». Pour ces auteurs, l’incrémentalisme marque un changement marginal de l’action publique induit, non pas par un manque de volonté des acteurs de s’inscrire dans une véritable rupture avec l’action publique antérieure, mais plutôt par un ensemble de facteurs qui n’autorisent pas un changement radical. Parmi ces facteurs qui limitent les choix pour les acteurs en charge de la décision dans l’optique dessinée par l’incrémentalisme figurent le fait que « les alternatives de choix sont limitées en pratique aux solutions qui paraissent les plus familières ; il se produit une intrication entre les objectifs et/ou les valeurs et/ou les dispositifs instrumentaux qui sont disponibles. La décision ne se fait donc pas par l’élaboration d’une stratégie indexée sur les objectifs souhaitables ; une plus grande attention est accordée aux défauts à résoudre plutôt qu’aux but positifs ; la décision se caractérise essentiellement par un enchaînement de séquences essai/erreur avant d’aboutir à la décision finale ; l’analyse s’attache seulement à considérer un nombre limité d’alternatives possibles ; la décision est fractionnée entre une multiplicité d’acteurs, qui se partagent les taches ». Les auteurs ajoutent « qu’en raison de ces différents facteurs, les acteurs se débrouillent, procèdent séquentiellement, et aboutissent en définitive à une décision minimaliste, qui ne modifie que marginalement les politiques concernées » (Ibid :125). Comment se débrouillent les acteurs institutionnels vis-à-vis de la prise en compte du surf dans l’action publique ? La question est de savoir comment s’articulent les politiques publiques ayant le surf comme support, comment s’orchestrent les gouvernances

360 locales et le jeu des acteurs afin de caractériser la nature du changement de l’action publique. En d’autres termes, le surf bouleverse-t-il aussi intensément que certaines recherches le laissent à penser le champ du développement touristique entendu comme « un exercice collectif de maîtrise progressive de l’action des opérateurs, avec la volonté de soumettre le flux de touristes à un dessein de gestion de la cité » (Vlès, 2001 :22) ? Ou bien le surf est-il davantage mobilisé à des fins de construction territoriale ? En d’autres termes, la prise en compte du surf dans la mise en œuvre des politiques publiques dans le champ du développement touristique bouleverse-t-elle les fondements majeurs de cette forme de service public touristique local bâtie sur d’une part l’égalité de chances des collectivités locales en appliquant le principe d’équité territoriale et d’autre part sur la différenciation de l’action publique en fonction des particularismes locaux (Vlès, 2001 :25- 26) ?

5.3 La politique du Conseil général des Landes en faveur des sports de nature et du surf

De nombreux auteurs soulignent que la décentralisation n’a pas permis de clarifier le champ des compétences exercées par les collectivités territoriales sur le thème des sports auquel le surf appartient. En effet, ils rappellent que « les lois de décentralisation n’ont pas précisé les responsabilités de chacune des collectivités territoriales en matières d’activités physiques et sportives, et actuellement, faute de clarté dans ce domaine, chaque collectivité locale développe sous sa propre initiative les actions qu’elle juge correspondre à ses objectifs » (Monneret, 1998 :7). Jean Monneret dresse même le constat suivant : « ceci aboutit de fait à un chevauchement d’objectifs et d’actions, faisant que le mouvement sportif a pris l’habitude de solliciter les trois collectivités pour le financement d’un même projet » ( Ibid :7). Par conséquent, la collectivité territoriale est de fait entièrement maîtresse du développement de sa politique sportive et Christophe Guibert a démontré combien les stratégies politiques à l’échelon municipal divergent dans la déclinaison des objectifs de l’action publique. En effet, les enjeux induits dans le cadre de l’accompagnement des pouvoirs publics des acteurs du sport relève du champ éducatif, sanitaire, social, économique mais participent également de la construction d’une image de

361 la collectivité. Patrick Bayeux souligne, à ce propos, que « c’est un lieu commun de rappeler que le sport en France repose sur les collectivités territoriales. Les lois de décentralisation ont accentué ce phénomène et désormais chaque commune, département, région et/ou établissement public intercommunal mobilise des crédits pour développer des politiques sportives. Ces politiques sont certes inégales mais sont toutes au service du développement de la pratique ou de politiques transversales telles que l’éducation, la citoyenneté, l’insertion, le loisir, l’économie, la communication… » (Bayeux, 1996 :3). Néanmoins, il y a un segment sur lequel le transfert des compétences en matière de politiques sportives ne souffre d’aucune ambiguïté : celui des sports de nature. En effet, seuls les départements sont compétents pour « agir en faveur du développement maîtrisé des sports de nature » comme le stipule la loi modifiée sur le sport. Pour autant, quelles sont les intentionnalités des départements dans le cadre de la mise en œuvre de cette politique publique sectorielle ? L’enjeu est-il de promouvoir la pratique sportive des adeptes des sports de nature en garantissant l’aménagement, l’accessibilité des espaces, sites et itinéraires ? À partir d’une étude de cas, celle du Conseil général des Landes. l’objectif est de démontrer quelles sont les intentionnalités du département, de mesurer si cette politique en faveur du développement des sports de nature, auquel le surf appartient, témoigne d’une ambition politique sur le champ des sports ou si celle-ci embrasse également des intérêt économiques, touristiques et communicationnels ? Autrement dit, la politique du département des Landes en faveur des sports de nature, et plus particulièrement du surf, est-elle aussi un mode de construction territoriale pensé à des fins de renforcement de l’attractivité touristique du département ? Par conséquent, on entend examiner s’il existe une politique publique en faveur des sports de nature dont le Plan Départemental des Espaces, Sites et Itinéraires serait l’outil de planification central ou si le traitement des enjeux inhérents aux sports de nature s’intègre dans des politiques publiques sectorielles et extérieures au segment sportif (Falaix, 2012a). Il s’agit de présenter quels sont les outils de gestion et de planification territoriale mobilisés dans le cadre de la promotion des sports de nature ainsi que le jeu des acteurs dans les instances de gouvernance. On envisage ainsi comment l’État qui détermine « le développement maîtrisé des sports de nature » comme référentiel de l’action publique assignée aux département entend faire respecter cet objectif à l’heure de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP).

362 Car, les sports de nature, longtemps apanages de quelques élites sociales pionnières de l’extrême et du monde de la glisse, adeptes de pratiques dites « fun » (Lacroix, 1984), tendent à se démocratiser. Dans le département des Landes, les sports de nature connaissent même depuis plusieurs années un véritable engouement populaire. Il faut bien avouer que le caractère essentiellement rural du département, la diversité du patrimoine naturel, la reconnaissance auprès des surfeurs de la magnificence des vagues qui déferlent sur le littoral, mais aussi, la mobilisation du tissu associatif et du secteur marchand, voire l’image de performance sportive véhiculée par certains sportifs locaux… sont autant d’atouts qui participent de cette forme de démocratisation des sports de nature. Quelques chiffres illustrent cette dynamique même s’il convient de les appréhender avec précaution au regard de la non affiliation d’un grand nombre d’adeptes des sports de nature auprès des structures institutionnelles 176 . En 2011, le département des Landes ne compte pas moins de 140 clubs sportifs proposant des activités physiques et sportives de pleine nature et près de 10 000 licenciés évoluent au sein de ces structures 177 . Cependant, le département des Landes, auquel incombe l’exercice légal d’une compétence sports de nature 178 , poursuit-il en ce domaine une politique de développement pour ses seuls administrés ? Car, cette identification du département des Landes comme espace de pratique potentiel pour les sports de nature ne date pas d’aujourd’hui et constitue alors une opportunité de développement touristique. En effet, qu’il s’agisse de l’immensité des plages ou de l’emprise foncière de la forêt landaise, force est de constater que ces caractéristiques spatiales imprègnent fortement les représentations mentales. S’enracinent donc, autour d’un imaginaire touristique qui joue une fonction essentielle dans l’appréhension que fait le touriste de son espace de vacances (Amirou, 1994, 1995), des représentations collectives à l’égard des sociétés et de l’espace départemental landais. Celles-ci participent de son attractivité et irradient les choix politiques dont les aménagements de l’espace traduisent l’expression (Debarbieux, 2001). Parfois en opposition avec certaines réalités territoriales tels que la crise économique de certaines filières ou le vieillissement de la population, ces mythes fondateurs de l'attractivité touristique (Chadefaud, 1987), associés au désir de rivage (Corbin, 1995), au sacre du temps libre (Viard, 2002), au renforcement d’une

176 La lettre de l’économie du sport . « La pratique hors-club : danger ou opportunité ? », n°912, décembre 2008, 8 p. 177 Source : Comité Départemental Olympique et Sportif (CDOS) des Landes. 178 Dans le domaine des sports, les départements ne sont légitimes que pour intervenir sur le segment des sports de nature. Cette précision mérite d’être apportée à l’heure où la réforme des collectivités territoriales envisage le recentrage des politiques publiques portées par les collectivités territoriales sur les seuls axes où celles-ci exercent une compétence légale.

363 « sociabilité plagique » (Urbain, 2002), au retour exacerbé d’un archaïsme néotribal (Maffesoli, 1988), au processus de mise en tourisme (MIT, 2002) porté par les acteurs de la force publique, confèrent à l’espace départemental landais le statut de destination touristique à part entière où la pratique des sports de nature apparaît légitime.

Cependant, à l’heure où, pour conserver une forme de compétitivité dans le cadre de la mondialisation, l’inscription des territoires dans une économie et une géographie de l’organisation (Veltz, 1996) s’impose comme une absolue nécessité, on est en droit de s’interroger, à l’aune de la mobilisation des sports de nature par le Conseil général des Landes, sur l’intention politique de cette collectivité territoriale. Les sports de nature constituent-ils une opportunité pour promouvoir une forme de planification territoriale, de marketing touristique ou de renforcement du lien social ? Car, il semblerait que les départements inscrivent désormais les sports de nature au cœur « d’une véritable politique globale qui a des incidences directes dans les domaines de la préservation et de la sensibilisation à l’environnement, de l’aménagement du territoire, du développement économique, de la cohésion sociale, d’attractivité touristique voire d’identité territoriale 179 ». Par conséquent, l’enjeu n’est manifestement pas seulement de renforcer l’offre sportive pour les populations locales. Plus encore, il semblerait que la prise en compte des sports de nature dans les politiques publiques dépasse le seul registre du sport pour embrasser d’autres thématiques. En atteste cette phrase glanée sur le site Internet du Conseil général des Landes qui témoigne du projet politique induit par un développement de la filière sports de nature : « Dans les Landes, les sports de pleine nature constituent à la fois un atout pour les habitants du département et le tourisme 180 ». Autrement dit, à travers la mise en œuvre d’une politique publique en faveur du développement des sports de nature, le département des Landes participe-t-il à l’émergence d’une construction territoriale en affirmant une forme d’identité locale (Michon ; Terret, 2004) ?

L’exercice de la compétence sports de nature est octroyé aux conseils généraux depuis le vote par le parlement de la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 modifiée le 6 juillet 2000 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. Celle-ci

179 Sports et Territoires . Fiches pratiques sportives. « Commission départementales et plans départementaux des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature : premiers enseignements et principaux enjeux », n°90, juin-juillet 2007. 180 Site Internet du Conseil général des Landes : http://www.cg40.fr/1-28836-Les-sports-de-nature.php. [Page consultée le 8 mars 2011].

364 confie la responsabilité aux départements de mettre en place une commission et un plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature. En 2005 181 , l'assemblée délibérante du Conseil général des Landes se prononce favorablement pour la création d'une Commission Départementale des Espaces, Sites et Itinéraires (CDESI). Composée d’une pluralité d’acteurs, celle-ci est « destinée à recenser les sites afin de développer la pratique des sports de pleine nature 182 ». En revanche, la mise en œuvre d’une politique publique volontariste en faveur du développement maîtrisé des sports de pleine nature n’appelle pas seulement à la mobilisation de l’ensemble des acteurs du monde du sport. En effet, au regard des liens que tissent les sports de nature avec les thématiques propres au développement économique et touristique, avec les enjeux liés à l’aménagement du territoire 183 , à l’éducation, l’insertion et/ou l’inclusion sociale par le sport 184 , et avec les questions induites par la gestion environnementale, une politique de promotion des sports de nature ne peut faire l’économie de la participation des acteurs issus de ces secteurs. On examine donc les choix politiques arbitrés dans les Landes. On met en lumière le fait que les orientations stratégiques retenues ne sont alors pas moins que des « opérations d’imposition de territorialité » (Violier, 1999 :17). Car, les choix arrêtés par le Conseil général des Landes constituent un mode de mobilisation d’une « ressource territoriale » (Gumuchian, Pecqueur, 2007), et témoignent d’un réel projet territorial qui « n’est pas que le résultat, [qui] est le fondement de l’action publique, une empreinte réelle des pratiques sociales dans l’espace » (Vlès, 2001 :19). Pour autant, quelle est la nature du changement introduit par la promotion des sports de nature et du surf dans les politiques publiques territorialisées à l’échelle départementale ? Quels sont les outils de promotion et de planification inhérents au projet politique ? Comment s’orchestre le jeu des acteurs dans les instances de gouvernance locale ? Quel est leur degré de participation ? Quelle est l’intensité de leur adhésion au projet politique porté par le Conseil général des Landes ?

Aussi, après une définition des sports de nature, on revient sur l’émergence d’une politique publique en faveur des sports de nature initialement introduite par l’État. Plus particulièrement, on étudie le positionnement de l’État en matière de développement des

181 Délibération n° H6 du 31 janvier 2005. Objet : les sports, 10 p. 182 Extrait de la délibération n°H6 du 31 janvier 2005. Objet : les sports, 10 p. 183 CNOSF et AMNYOS. « Le sports, acteur incontournable de l’aménagement du territoire : enjeux, expérimentation, outils, perspectives », 2003, 89 p. 184 L’objectif intitulé « mettre le potentiel du sport au service de l’inclusion sociale, de l’intégration et de l’égalité des chances » est assigné dans le Livre blanc sur le sport présenté par la commission européenne. Voir Livre blanc sur le sport. Commission Européenne, 2007, 21 p.

365 sports de nature ainsi que le rôle des services déconcentrés à l’heure de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP). Fort de cet examen, on peut alors appréhender l’implication du Conseil général des Landes à l’égard de la valorisation des sports de nature entendus comme des outils de développement du territoire. On cherche alors à démontrer que la valorisation des sports de nature, et plus particulièrement du surf, répond davantage d’une stratégie de marketing territorial qui s’exprime à travers des outils de planification territoriale, la promotion de manifestations sportives, et la mobilisation d’un registre d’images, fortes de sens, exploitées à des fins de communication territoriale. Enfin, ce paragraphe pose en filigrane la question de la nature du changement des politiques publiques introduite par la prise en compte des sports de nature et plus particulièrement du surf dans les champs sectoriels du tourisme, du développement économique, de l’action sociale…

5.3.1 Le Ministère des Sports et le développement maîtrisé des sports de nature : l’émergence d’un référentiel de politique publique

En 2006, le Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative recense 2,5 millions de licenciés au sein des fédérations sportives relevant des activités physiques et sportives de pleine nature. Néanmoins, le législateur éprouve de grandes difficultés à proposer une définition exhaustive des sports de nature. Plus encore, l’État s’accorde à penser que les sports de nature ne « connaissent pas de définition arrêtée. Leur évolution permanente, l'apparition de nouvelles activités, comme la disparition d'autres, rendraient cette définition peu opérationnelle 185 ». Par conséquent, face au caractère aléatoire et évolutif des pratiques sportives de pleine nature, le législateur, plutôt que de s'en remettre à une nomenclature des activités ou disciplines pratiquées, privilégie l'entrée par l'espace géographique pour définir les sports de pleine nature. Ainsi, selon l'article L.311-1 du code du sport, « les sports de nature s'exercent dans des espaces ou sur des sites et itinéraires qui peuvent comprendre des voies, des terrains et des souterrains du domaine public ou privé des collectivités publiques ou appartenant à des propriétaires privés, ainsi que des cours d'eau domaniaux ou non domaniaux ». Cet article renforce donc l’acception générale

185 Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative. Bulletin Stat-Info , Les sports de nature en France en 2006, n°08-01, avril 2008, p 1.

366 qui s’appuie sur la notion « d’environnement spécifique », comme mentionné à l’article 43 de la loi sur le sport, pour procéder à une classification des activités physiques et sportives qui relèvent des sports de nature. D’autre part, le Ministère en charge des sports définit, dans l'instruction n°04-131 JS du 12 août 2004, les sports de nature comme « les activités physiques et sportives dont la pratique s'exerce en milieu naturel, agricole et forestier – terrestre, aquatique ou aérien – aménagé ou non ». C'est parce que confronté à une culture sportive mouvante, aléatoire et innovante que le législateur privilégie l'entrée par l'espace géographique et ses aménagements pour déterminer ce que recouvrent les sports de pleine nature. Car, force est de constater que les pratiquants des sports de nature présentent certaines caractéristiques sociologiques qui viennent rompre avec celles véhiculées par les sportifs issus des disciplines plus traditionnelles. Ils sont de fervents adeptes de l’ ilinx autrement dit des jeux de vertige et viennent ainsi bouleverser les codes de l’orthodoxie sportive véhiculés par les partisans des jeux relevant de l’ agôn (Caillois, 1958).

- Des États généraux du sport à la définition d’une politique publique en faveur des sports de nature

En 2002, les sports de nature, jusqu'alors pratiqués par quelques initiés ou passionnés de manière marginale ou confidentielle, acquièrent une certaine notoriété avec l'explosion du nombre de pratiquants. Le rapport établi en 2002 par le Conseil National des Activités Physiques et Sportive (CNAPS) dont les avant-propos sont rédigés par la Ministre de l’Écologie et du Développement Durable et le Ministre des Sports, précise que « les sports de nature, véritables phénomènes des sociétés d’aujourd’hui, représentent à la fois une composante essentielle des politiques publiques d’aménagement et de développement des territoires et une occasion de rapprocher des logiques citadines et rurales 186 ». Plus encore, « l'engouement pour les loisirs sportifs de pleine nature serait devenu aujourd'hui un fait majeur de nos sociétés. Vecteurs de développement touristique et de valorisation du milieu naturel, les sports de nature représentent en outre un enjeu local important en raison des retombées économiques et de la dimension éducative qu'ils

186 CNAPS, rapport au ministre des sports portant sur le bilan et les perspectives de développement des sports de nature, « Les sports de nature pour un développement durable », 2002, 122 p.

367 sont susceptibles d'encourager et de générer 187 ». Par conséquent, au regard des enjeux qu'ils recouvrent, les pouvoirs publics s'en emparent et décident de la mise en œuvre d'une réelle politique publique. En effet, à la demande du chef de l'État, Jean-François Lamour, alors Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative, lance les États Généraux du Sport. Réunissant l'ensemble des acteurs du sport français, qu'ils soient issus du monde institutionnel, associatif, ou marchand, ces états généraux, lancés le 16 septembre 2002, permettent de définir de grandes orientations stratégiques quant à la promotion et la valorisation du sport en France et de réaffirmer le rôle joué par le Ministère. Parmi les objectifs déclinés à l'issue d'une large concertation des acteurs du sport dans le cadre de ces états généraux 188 , « permettre une meilleure appréhension de la dimension sports de nature » constitue une priorité. En effet, les orientations retenues au sein de la thématique « sport et territoires » consistent à mieux encadrer l'offre et la demande des sports de nature. Elles se déclinent en trois axes de réflexions dans la mesure où les enjeux s'articulent autour des préoccupations suivantes. Il s’agit « d’identifier et accompagner les problématiques liées à l'évolution des sports de nature afin de permettre de définir des cadres cohérents de pratiques ; de v aloriser un développement durable au sein des territoires par la mise en place de concertations départementales regroupant tous les acteurs concernés par les sports de nature ; et de renforcer la concertation entre le mouvement sportif, les collectivités territoriales, les pratiquant et les pouvoirs publics ». Ces orientations, préconisées à l'issue des états généraux, sont par ailleurs établies à l'aune des grands principes avancés dans le Schéma des Services Collectifs du Sports (SSCS) dont la mise en œuvre opérationnelle devient effective avec la promulgation du décret n°2002-560 du 18 avril 2002.

- Le développement maîtrisé des sports de nature comme référentiel d’une politique publique d’État

L'État se dote de quatre pôles ressources nationaux afin de renforcer son expertise. À l'instar des questions liées au « sport, à l'éducation et à l'insertion », au « sport et au

187 Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative. Bulletin Stat-Info , Les sports de nature en France en 2006, n°08-01, avril 2008, p 1. 188 Les conclusions de ces états généraux du sport figurent dans un rapport publié conjointement par le Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative et par le Comité National Olympique Français.

368 handicap », au « sport, aux familles et aux pratiques féminines », la question des « sports de nature » fait également l'objet de la création en 2003 d'un Pôle Ressource National implanté au Centre Régional d’Éducation Populaire et de Sport (CREPS) de Vallon Pont d'Arc, haut lieu patrimonial naturel. Ces pôles ont vocation à jouer le rôle de « tête de réseau » assurant ainsi un lien fonctionnel et opérationnel entre les services déconcentrés de la cohésion sociale, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, les fédérations sportives, les associations et les collectivité territoriales. Cela dit, la convention 2007-2009 passée entre le Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative et le CREPS Rhône-Alpes qui définit le plan d'action du PRNSDN permet d'identifier que l'État s'en remet quasi exclusivement à la notion d'expertise et d'accompagnement auprès des porteurs de projets. En effet, six actions sont identifiées. La première concerne la structuration, l'animation du réseau d'experts et de référents « sports de nature » exerçant dans les services déconcentrés. L'expertise et le conseil fondés sur la réalisation d'un observatoire partagé en ligne, l'animation d'un centre de ressources, la publication de documents, l'élaboration et la coordination de la mise en œuvre d'une formation-action- professionnalisation continue pluriannuelle et l'accompagnement des porteurs de projets constituent les autres actions phares identifiées dans la convention. En 2007, l'État investit 533 000 euros au fonctionnement du PRNSDN et huit Équivalent Temps Plein (ETP) se consacrent à ces missions 189 .

Par ailleurs, une instruction, datée du 12 août 2004, n°04-131, ayant pour objet « l'intervention des services déconcentrés de la jeunesse et des sports dans le domaine des sports de nature » réaffirme l'engagement de l'État en matière de promotion du développement maîtrisé des sports de nature. S'appuyant sur une Directive Nationale d'Orientation (DNO) dont les objectifs sont déclinés à travers l'instruction n°04-2002 du 12 janvier 2004, l'instruction relative au domaine des sports de nature précise que l'État doit d'une part, « favoriser l'accès des citoyens à la nature [...] et plus particulièrement favoriser l'accès des individus aux pratiques sportive de nature en sécurité et en améliorant leur compétence aux plans technique et environnemental et en s'appuyant sur des modes de pratiques diversifiés: associative, du secteur éducatif, du secteur marchand [... et d'autre part], contribuer à l'amélioration de la qualité des activités physiques et

« La mise en œuvre des mesures pour le développement du sports à l'issue des états généraux des sports », 2003, 40 p. 189PRNSDN. Rapport d'activité, année 2007, 6 p.

369 sportives qui s'exercent en milieu naturel. Cet objectif nécessite le développement de l'emploi qualifié, rémunéré et déclaré dans ce domaine sur la base d'une meilleure adéquation des qualifications actuelles aux métiers futurs, prenant encore mieux en compte l'évolution de la demande des pratique et l'émergence de nouvelles situations professionnelles ». Dans ce contexte, la mise en œuvre, par l'État d'une politique publique sectorielle articulée autour de la question des sports de nature, répond d'une double préoccupation. Le Ministère des Sports envisage la notion de développement maîtrisé des sports de nature, c’est-à-dire le référentiel de la politique publique dans ce champ sectoriel, comme un moyen d’éducation à l’environnement, de développement de l’emploi sportif, de préservation des milieux naturels et de renforcement de la légitimité des fédérations sportives relevant de la filière sports de nature en incitant les pratiquants libres à rejoindre ces structures institutionnelles (Figure 18). La première revêt donc une dimension sociale et sécuritaire. Elle consiste à répondre à une demande citoyenne de pratique sportive s'exerçant en milieu naturel qui s'inscrit en résonance avec les mutations sociétales évoquées plus en amont du propos. Le but est de renforcer la sécurisation des pratiques sportives de pleine nature en garantissant un encadrement professionnalisé. L’enjeu consiste en outre à d'appréhender les pratiques sportives de pleine nature comme des leviers de socialisation, d'apprentissage des règles de vie collective, d'éducation citoyenne et à l'environnement. Même si, Jean-Pierre Mounet (2007) remarque que « c’est l’existence de politiques environnementales locales de la nature qui est à interroger en ce qui concerne l’avenir car la prise en compte de l’environnement dans la gestion des sports de nature est encore en construction : elle peut bénéficier de la reconnaissance légale de niveau départemental, des espaces, sites et itinéraires, mais celle-ci ne précise pas comment l’environnement doit être pris en compte dans le développement de ces activités. Or, un vaste mouvement d’équipement et de sécurisation des espaces sportifs est en cours du fait de la massification de ces activités ». La seconde préoccupation est davantage en lien avec la notion de développement territorial durable établie, sinon galvaudée, depuis la conférence de Rio en 1992. En effet, au regard de l’essor spectaculaire des sports de pleine nature, des enjeux de développement territorial se dessinent à travers la promotion de ces activités. Les axes de développement territorial se déclinent tant sur le plan sportif que touristique, qu'environnemental, qu'économique ou social. Les sports de nature peuvent alors constituer de formidables outils de différenciation et de valorisation du patrimoine naturel local à l'heure où la mondialisation renforce les logiques de concurrence territoriale et précipitent le retour des économies territoires appelant à une compétitivité par

370 organisation et/ou par la spécialisation (Carroué, 2002). En revanche, l'État, auquel incombe, au delà de ses prérogatives régaliennes, des fonctions d'incitation, d'impulsion 190 est essentiellement attentif à « faire-faire ». Car même si l’action de l’État dispose d’une présomption de légitimité, la délégation de compétence et de mise en œuvre d’une politique publique en faveur du développement maîtrisé des sports de nature est d'autant plus exacerbé avec la rationalisation des effectifs et des budgets induite par la révision générale des politiques publiques.

190 Jacques Donzelot parle volontiers d'un « état animateur » évoquant, par là même, les difficultés des services déconcentrés à mettre en œuvre de manière pragmatique les politiques publiques que les administrations centrales impulsent (Donzelot, 1994).

371 Figure 18 : Le développement maîtrisé en faveur des sports de nature - Cadrage législatif et réglementaire d’un référentiel de politique publique

Référentiel Définition des sports Perception des sports de Développement de nature nature maîtrisé Loi n°84-610 du 16 juillet 1984 modifiée le 6 juillet 2000 relative à l’organisation et la promotion des activités Article L311-1 du code du physiques et sportives : sport : « Le département favorise « Les sports de nature le développement maîtrisé Conseil National des Activités s’exercent dans des espaces des sports de nature. À Physiques et Sportives - 2002 : sites et itinéraires qui cette fin, il élabore un plan

peuvent comprendre des départemental des espaces, « Les sports de nature, voies, des terrains et des sites et itinéraires relatif véritables phénomènes des souterrains du domaine aux sports de nature ». sociétés d’aujourd’hui public ou privé des représentent une composante collectivités publiques ou Instruction n°04-131 du 12 essentielle des politiques appartenant à des août 2004 : publiques d’aménagement et de propriétaires privés, ainsi que développement des des c ours d’eau domaniaux « L’État doit favoriser territoires ». ou non domaniaux ». l’accès des individus aux

pratiques sportives de Ministère des Sports - Les Instruction n°04-131 du 12 nature en sécurité et en sports de nature : Tous dehors août 2004 : améliorant leur – 2011, 6 p : compétence aux plans

« Les sports de nature sont technique et « Animateurs, éducateurs, des activités physiques et environnemental et en enseignants, moniteurs, vous sportives dont la pratique s’appuyant sur des modes pouvez favoriser l’accès des s’exerce en milieu naturel, de pratiques diversifiés : jeunes à ces activités et ces agricole et forestier – associative, du secteur milieux, en encourageant les terrestre, aquatique ou aérien éducatif, du secteur pratiques sportives dans la – aménagé ou non ». marchand et contribuer à nature, au contact des éléments, l’amélioration de la qualité tout en les respectant. Au-delà Ministère de la Jeunesse, des des activités physiques et des seules techniques dont Sports et de la Vie sportives qui s’exercent en l’apprentissage enrichit les Associative – Bulletin Stat- milieu naturel. jeunes pratiquants, les sports de info , n°08-01 de 2008 : nature favorisent la découverte, Cet objectif nécessite le l’éducation à l’environnement « Les sports de nature ne développement de l'emploi mais aussi l’apprentissage de la connaissent pas de définition qualifié, rémunéré et vie collective, le partage arrêtée. Leur évolution déclaré dans ce domaine d’émotions, socle de tout permanente, l’apparition de sur la base d'une meilleure épanouissement personnel » nouvelles activités, comme la adéquation des disparition d’autres, qualifications actuelles aux rendraient cette définition métiers futurs, prenant peu opérationnelle ». encore mieux en compte l'évolution de la demande des pratiques et l'émergence de nouvelles situations professionnelles ».

372

5.3.2 Les services déconcentrés interministériels en charge des sports à l'heure de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP)

- L’ingénierie sociale : néo-paradigme de l’action publique

La réforme de l'État territorial impulsée lors du conseil de modernisation des politiques publiques du 11 juin 2008 engendre de profonds bouleversements dans l’organisation fonctionnelle des services publics d'État. Sont désormais regroupés au sein de Directions Interministérielles Régionales de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRJSCS), les services des Affaires Sanitaires et Sociales, de la Jeunesse et des Sports et de l’Agence pour la Cohésion Sociale et l'Égalité des chances. À l’échelle départementale, de nouvelles directions interministérielles de la Cohésion Sociale (DDCS) et/ou de la Protection des Populations (DDCS et/ou PP) voient le jour. Le périmètre des missions qui incombent désormais aux agents des nouvelles directions interministérielles régionales ou départementales est sans ambiguïté 191 . Il convient d’agir en faveur de la cohésion sociale afin de réduire les fractures qui seraient flagrantes à l’échelle hexagonale. Il devient alors intéressant d’appréhender comment les bouleversements structurels qu’impose la révision générale des politiques publiques (RGPP) ont un impact sur la mise en œuvre des politiques publiques par les services déconcentrés, notamment dans le champ de la promotion et de la valorisation des sports de nature. Il s’agit donc de présenter comment l’ingénierie sociale, dont il convient de décliner ce qu’elle recouvre, devient le ressort paradigmatique dans l’élaboration des politiques publiques (Falaix, 2010). Plus généralement, il s'agit d'analyser la nouvelle organisation des directions interministérielles de la cohésion sociale qui doit « permettre de développer des modes d’intervention nouveaux, mieux adaptés à la diversité des situations à traiter, s’appuyant sur une expertise renforcée 192 » ? Cet aspect mérite d’être examiné dans la mesure où « l’élaboration d’une politique publique consiste d’abord à construire une représentation, une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir. C’est en référence à cette image

191 Pour obtenir la liste exhaustive des missions : consulter le décret n°2009-1540 du 10 décembre 2009 relatif à l’organisation et aux missions des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, ainsi que le décret n°2009-1484 du 3 décembre 2009 relatif aux directions départementales interministérielles. 192 Circulaire du Premier Ministre du 19 septembre 2008 intitulée : « Lancement de la phase de préfiguration des nouvelles Directions Régionales de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRJSCS) ».

373 cognitive que les acteurs organisent leur perception du problème, confrontent leurs solutions et définissent leurs propositions d’action : on appellera cette vision du monde le référentiel d’une politique » (Muller [1990], 2003 : 65).

L’enjeu relève d’une acuité nouvelle à l’heure où la réorganisation des services de l’État doit permettre d’une part l’inclusion sociale des personnes les plus démunies, la promotion du lien social, de l’autonomie des personnes et leur développement personnel et, d’autre part, un rééquilibrage des disparités territoriales. L’atteinte de ces objectifs nécessite donc un recentrage des interventions de l'État sur l’ingénierie sociale afin de construire de nouveaux référentiels. Les Directions Régionales de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRJSCS), ainsi que les Directions Départementales Interministérielles de la Cohésion Sociale (DDCS) sont désormais chargées de promouvoir un large éventail de politiques publiques afin d’enrayer les profondes disparités sociales et territoriales. C’est donc un processus d’acculturation qui se dessine pour les agents appelés à exercer au sein des nouveaux services déconcentrés. Ils doivent donc construire d’autres représentations, débarrassées des stéréotypes et des caricatures afin d’élaborer de nouveaux référentiels dans le cadre des politiques publiques. C’est en ce sens que le concept d’ingénierie sociale est mobilisé par les intellectuels chargés d’impulser la révision générale des politiques publiques. La R.G.P.P. entérine donc un bouleversement majeur quant aux postures professionnelles des agents d'État au bénéfice de la fonction d’ingénierie sociale. Elle devient désormais le ressort paradigmatique sur lequel s’appuie la conduite des politiques publiques en matière de cohésion sociale 193 . Quelle que soit leur administration d’origine, les agents doivent donc s’en emparer pour garantir l’efficience des politiques publiques. En effet, la synthèse d’un groupe de travail sur l’ingénierie sociale, présidé par Annick Morel, Inspectrice Générale des Affaires Sanitaires et Sociales (IGASS), présente l’ingénierie sociale comme « une fonction d’ensemblier ou d’assemblier qui se situe dans la pratique, l’action, l’intervention, et apporte, ou aide à trouver, des solutions pour favoriser la résolution de problèmes dans un champ sociétal. L’ingénierie sociale comporte une fonction politique (elle doit tenir une vision des rapports sociaux et des rôles des institutions dans la structuration de ces rapports), technique et s’appuie sur des militants de l’action publique qui interviennent dans la perspective de l’intérêt

193 La circulaire du Premier Ministre du 19 septembre 2008 relative à la création des DRJSCS emploie le terme d’ingénierie sociale pour désigner l’une des missions de ces nouvelles directions régionales dont la fonction d’appui et d’expertise est clairement identifiée.

374 général ». Plus encore, le rapport décline les enjeux liés à l’application de ce concept. Celui-ci est ainsi « fortement reliée à l’émergence de la notion de gouvernance, définie comme un nouveau mode d’intervention de l’État, qui fait appel à la coopération des acteurs, à leur interaction pour la co-construction d’actions publiques. Autrement dit, l'État ne doit plus faire mais « faire-faire ». Néanmoins, à l’heure où le gouvernement demande à ses agents de « faire-faire », quel est le positionnement de ceux en charge du développement maîtrisé des sports de nature au sein des services déconcentrés ?

- Le rôle des services déconcentrés

Compte tenu des injonctions gouvernementales, « les référents sports de nature » des services déconcentrés ne peuvent plus faire l'économie d'un travail partenarial avec les collectivités territoriales d’autant plus que celles-ci disposent de compétences fortes en matière de développement des sports de nature. En effet, la loi n°84-610 du juillet 1984 modifiée le 6 juillet 2000 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives confie la responsabilité aux départements de mettre en place une commission et un plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature. Compte tenu de ces compétences octroyées aux conseils généraux, inscrites dans le processus de décentralisation, le Conseil Général des Landes s'empare dès 2005 de la question des sports de nature à l'échelle départementale et engage un travail partenarial avec les services déconcentrés attentifs à la mise en œuvre à l'échelle locale des préconisations nationales en matière de développement des sports de nature. Néanmoins, se dessinent là les contours d'une injonction paradoxale à laquelle se confrontent les cadres sportifs de la fonction publique d'État exerçant au cœur des services déconcentrés. En effet, d'une part, l'État souhaite impulser une politique nationale de développement maîtrisé des sports de nature et précise ses objectifs dans le cadre de l'instruction citée précédemment en référence mais d'autre part, l'exercice de cette compétence incombe exclusivement aux conseils généraux, seuls aptes à entériner la mise en œuvre du PDESI. À cet égard, plusieurs entretiens réalisés auprès du correspondant départemental des sports de nature à la DDCSPP des Landes, permettent de corroborer cette analyse. Celui-ci reconnaît volontiers que « l'État ne peut être qu'un incitateur dans le cadre de la mise en œuvre du PDESI » et que « la seule plus-value des correspondants départementaux des sports de nature se situe sur le champ de l'accompagnement technique et pédagogique des porteurs

375 de projet 194 ». D'autre part, ce professeur de sport admet que « l'État ne dispose d'aucun levier financier pour impulser une quelconque politique en faveur du développement maîtrisé des sports de nature ». Déplorant l'absence de moyens financiers, il met tout de même en évidence la capacité dissuasive dont disposent les agents d'État lorsqu'ils siègent dans des instances composées d’acteurs issus d'horizons élargis. Il plébiscite également le nouveau cadre interministériel préconisé dans la mise en œuvre des politiques publiques d'État qui lui permet d'appréhender « les sports de nature comme levier de développement sportif, économique, touristique, d’insertion professionnelle » et comme « outil de gestion environnemental et d'éducation des jeunes ». Enfin, ce cadre d’État souligne le rôle du ministère dans « la mutualisation des expériences, des échanges de bonnes pratiques, dans l'ingénierie... ».

Quoiqu'il en soit, si l'État impulse et clarifie les grandes orientations stratégiques en matière de développement maîtrisé des sports de nature, force est de constater qu’au regard du transfert de compétence, il appartient aux départements de proposer une politique publique en faveur du développement maîtrisé des sports de nature. Quid de cette mise en œuvre dans le département des Landes ?

5.3.3 Les politiques du Conseil général des Landes en faveur des sports de nature et du surf

- Les sports de nature ou l’exercice d’une compétence légale

En 2005, l'assemblée délibérante du Conseil Général des Landes statut, par une délibération n°H6 du 31 janvier 2005, en faveur de la création d'une Commission Départementale des Espaces, Sites et Itinéraires (CDESI) « destinée à recenser les sites afin de développer la pratique des sports de pleine nature 195 ». La création de la CDESI doit permettre « d’engager une réflexion globale sur la valorisation des sports de nature car, bénéficiant à la fois d’une image sportive et d’un environnement et des sites naturels privilégiés, le département doit concilier le développement et l’accès à des pratiques

194 Entretiens réalisés en mars/avril 2010 à la DDCSPP des Landes. 195 Extrait de la délibération n° H6 du 31 janvier 2005. Objet : les sports, 10 p.

376 sportives pour tous avec la préservation des milieux sensibles196 ». Cette commission est composée de trois collèges (Sports / Professionnels, associations, usagers / Institutionnels) dont les membres nommés par le Président du Conseil général sont répartis de la manière suivante:

La CDESI se réunie pour la première fois le 21 juin 2006 197 à l'hôtel du département. Elle précise son règlement intérieur et ses objectifs. Ainsi, le compte-rendu de cette instance précise que la CDESI confie, par une procédure d’appel d’offres, à un prestataire la charge d’établir une étude-diagnostic sur les sports de nature dans les Landes afin d’affiner les résultats d’une enquête conduite en 2006 par le Comité Départemental du Tourisme (CDT) des Landes sur la question des activités sportives et de loisirs. Les objectifs de cette enquête visent à connaître en premier lieu le volume de fréquentation touristique de ces activités (nombre d'individus reçus, type de clientèle, dates d'ouverture) et en second lieu le poids économique de ces activités. Deux cent cinquante trois structures issues du secteur public, associatif ou marchand sont interrogées et les résultats quantitatifs sont sans appel. Près de 1,3 millions de personnes sont reçues auprès de ces prestataires d'offre en termes d'activités sportives et de loisirs. Le chiffre d'affaire de ces structures représente plus de 15 millions d'euros. Plus de mille emplois concernent ce secteur d'activité. Le surf occupe une place privilégiée et l'étude du CDT des Landes consacre une partie de son enquête à l’analyse de cette pratique sportive. En 2006, près de cinquante mille stagiaires sont accueillis au sein des quarante huit écoles de surf interrogées dans le cadre de l'enquête. Près de 3,5 millions d'euros sont générés par la seule activité surf. Par ailleurs, les résultats de l’enquête mettent en exergue la nécessité de renforcer la communication institutionnelle sur le patrimoine naturel landais comme support de pratique sportive de pleine nature, d'améliorer les aménagements pour permettre la densification des pratiques sportives et récréatives, d'élargir les temps d'interventions de

196 Conseil général des Landes. Dossier « la valorisation des sports de nature » remis aux participants de la première CDESI, 2006, 9 p. 197 À l'heure où le Conseil général des Landes institue sa propre CDESI, un bilan de l'état d'avancement des travaux sur les sports de nature dans les autres départements réalisé par le Pôle Ressource National Sports de Nature fait apparaître que sur les 100 départements que compte le territoire national: 54 ont une CDESI initiée, 14 ont une CDESI instituée, 39 ont réalisé un état des lieux quant aux pratiques sportives de pleine nature, trois disposent d'un PDESI opérationnel et trente cinq ne se sont pas encore emparé de la question. (Source: PRN Sports de Nature, Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative).

377 ces prestataires au delà de la période estivale 198 et d'accompagner le développement de certaine filière sportive, notamment la filière surf 199 .

- Les travaux de la CDESI

Fort des résultats de l'enquête quant au potentiel en terme de développement territorial que recouvrent les sports de nature, le Conseil général des Landes, sur proposition de la CDESI, lance donc, en application de l'article 28 du code des marchés publics, un appel d'offre, paru sur le site du journal officiel du 13 novembre 2006, sur la réalisation d'une étude prospective dont les résultats doivent permettre d'établir un diagnostic et des préconisations à l'endroit des sports de nature. Cette étude a pour objet, à partir d'un état des lieux exhaustif en matière d'offre, de demande et de potentiel relatifs aux sports de nature, de mettre en lumière les perspectives de développement par filière dans le respect des principes sous-jacents au concept de développement durable et de proposer des actions opérationnelles permettant de témoigner de l'engagement du département des landes pour les sports de nature. À l'issue de l'examen des dix dossiers de candidature déposés en retour, c'est l'association CRP Consulting, composée d'une équipe pluridisciplinaire de six membres, dont le siège social se situe à Balma dans le département de la Haute-Garonne, qui est retenue dans la mesure où leurs prestations s'inscrivent en adéquation avec les éléments requis dans le cadre de l'appel d'offre; à savoir, un recensement des pratiques et des lieux dédies aux sports de nature dans le département des landes, une analyse de la spécificité du département des Landes par rapport aux départements voisins et sa place en Aquitaine, une analyse des potentiels de développement des sports de nature dans les Landes dans les aspects sportifs et touristiques, une évaluation de l'implication des partenaires et un premier schéma d'aménagement et de développement (CRP Consulting, 2007).

Par ailleurs, l'étude, dont le coût s'élève à plus de 17 000 euros, doit permettre une connaissance de l'offre et de la demande des clientèles et des pratiquants et par une analyse

198 Sud-Ouest . « Les activités sportives et de loisirs passées à la loupe ». 16 décembre 2006. À la lecture de l'article, on y apprend que « le régime saisonnier avec l'hypertrophie estivale a pour conséquence une répartition bancale du travail: 44% des professionnels voudraient voir développer l'avant-saison ».

378 des pratiques existantes, de mesurer et d'analyser les retombées économiques directes et indirectes générées par les activités à travers les impacts engendrés par une activité, une filière ou un évènement sur le territoire ainsi que l'impact des sports de nature sur l'attractivité du territoire (CGL, 2009). Par conséquent, le projet politique est sans ambiguïté. Il consiste à mobiliser les sports de nature comme support d’une attractivité territoriale. En outre, cette étude doit servir de fondement empirique et théorique aux travaux de la CDESI, instance à laquelle revient la responsabilité de soumettre à l'assemblée délibérante du Conseil Général des Landes une proposition de mise en œuvre du Plan Départemental des Espaces, Sites et Itinéraires (PDESI). Les résultats sont restitués le 7 juillet 2007 lors d'une réunion de la CDESI. Les constats dressés à l'issue de la phase de diagnostic permettent de mettre en évidence le fait qu’il y a un manque de structuration, de valorisation et de hiérarchisation des actions menées dans le champ des sports de nature ; qu’il existe un déséquilibre territorial en terme de moyens, d'actions et d'images entre le littoral et l'arrière-pays ; que les pratiques sportives de pleine nature sont en permanente évolution et se diversifient ; qu’au regard des études prospectives lancées par le Conseil général des Landes 200 et le Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne, les réflexions menées dans le cadre de la CDESI doivent s'inscrire en résonance avec ces études prospectives, qu’avec la qualité du patrimoine naturel départemental, le PDESI peut permettre l'accompagnement et le développement des sports de nature auprès des landais et d'appréhender leur valorisation comme un levier de développement touristique et économique ; que les espaces naturels sont fragiles et quel que soit le type d'action privilégié, la protection et la préservation de la ressource naturelle, support de la pratique sportive, doivent constituer une priorité essentielle ; que le développement des sports de nature est un outil au bénéfice de l'action pédagogique et éducative et vecteur d'intégration et de création de lien social et, qu’au regard des compétences exercées par les conseils généraux et de la priorité donnée à l'action sociale, le développement des sports de nature doit promouvoir l'accès des publics en proie à l'exclusion et/ou la précarisation à ces pratiques sportives (CRP Consulting, 2007).

199 Stéphanie Vandecrux, Comité Départemental des Landes, 2006. Résultats de l'enquête 2006, activités sportives et de loisirs, 8 p. 200 Le Conseil général des Landes a lancé, à l'issue d'une enquête réalisée en 2007 auprès de ses administrés, une large consultation des acteurs territoriaux afin d'envisager les modalités du développement du territoire départemental à l'horizon 2040.

379 Par ailleurs, l'association CRP Consulting préconise un certain nombre d'orientations. Dans les secteurs du tourisme, de l'économie et de l'emploi, il s’agit notamment de s'appuyer sur le pôle de compétitivité du surf dans la mesure où il présente un effet moteur pour le développement des pratiques sportives qui participent du renforcement de l’identification territoriale du département. Les enjeux consistent également à développer des pratiques de glisse dont l’essor reposent sur le renforcement de l’offre commerciale et associative, à favoriser le développement des structures d'hébergement, à optimiser la place des sports de nature dans l'offre touristique du département en activant le processus de labellisation « Qualité Tourisme », en structurant la filière sports de nature et en déployant une offre de découverte des territoires via les pratiques de pleine nature, à promouvoir une offre touristique structurée et cohérente avec les offres existantes et à accompagner le mouvement sportif à pérenniser ses emplois.

L'étude propose également un certain nombre d'orientations quant à l'aménagement et l'équipement du territoire. Les auteurs de l’étude préconisent d’améliorer les réseaux de circulations douces existants, de promouvoir le développement d'un axe est-ouest afin de garantir un développement territorial homogène à l'échelle du département, de limiter les conflits d'usages des espaces induits par les pratiques sportives de pleine nature. En termes d'action sociale, les auteurs de l'étude avancent l’idée de promouvoir l’intégration des personnes en situation de handicap dans le domaine des sports de nature, de développer la pratique des sports de nature au collège, d’utiliser les sports de nature comme un support éducatif. La mise en œuvre de ces orientations requiert, selon les rédacteurs de l'étude, un positionnement spécifique de la part du maître d'ouvrage d'un plan départemental en faveur du développement maîtrisé des sports de nature. Il lui incomberait d’assurer une large concertation des acteurs afin de co-construire les objectifs et les actions, de s'appuyer sur les disciplines phares du département ainsi que sur les évènements majeurs et structurants et de renforcer l'offre sportive, en maillant les différents sites, en qualifiant l'accès aux espaces de pratique, en utilisant les sports de nature comme levier d'identification et de différenciation.

Incontestablement les sports de nature sont présentés comme un outil au service du développement local, sinon comme « un atout pour les territoires 201 ». Le paradigme de

201 La gazette des communes. « Sports de nature, un atout pour les territoires », décembre 2008, n°46/1960, p 34-36.

380 l’équité territoriale transpire également dans les préconisations des auteurs de l’étude dans la mesure où les sports de nature permettraient un rééquilibrage des disparités sociospatiales entre le littoral et l’hinterland. Ainsi, s’appuyant sur l’étude-diagnostic et à l’issue des travaux de concertation, les membres de la CDESI proposent l’adoption d’un PDESI, véritable outil de planification territoriale, à l’assemblée délibérante du Conseil général des Landes. L’analyse de cet outil de planification autorise alors un décryptage de l’intentionnalité des acteurs dans le cadre de la mobilisation des sports de nature. Il s’agit de savoir si « au-delà des liens de réciprocité, des externalités positives, des entraides locales et de savoirs partagés entre acteurs territoriaux, l’un des enjeux porte sur la production d’une intelligence collective pour permettre à chacun de participer à la constitution d’un capital cognitif localisé » (Corneloup, Perrin-Malterre, 2009). En d’autres termes, Le PDESI, présenté comme le dispositif phare, est-il véritablement l’outil de planification territoriale approprié pour mobiliser les sports de nature à des fins de renforcement de l’attractivité territoriale et faire en sorte que les modalités de recomposition des systèmes touristiques locaux induits par ces formes d’innovations spatiales que recouvrent les pratiques sportives de pleine nature engendre la mobilisation des acteurs territoriaux autour de ces enjeux (Bourdeau, Mao, 2004) ?

5.3.4 Les outils de planification et d’aménagement relatifs à la valorisation des sports de nature

- Une inscription d’Espaces, Sites et Itinéraires structurants

Outil de planification, le PDESI des Landes s'articule autour de plusieurs objectifs au sein desquels figure en premier lieu « le renforcement de l'offre en termes de pratique sportive 202 ». Néanmoins, le PDESI doit également permettre « d'inscrire de nouveaux Espaces, Sites et Itinéraires afin de pérenniser les pratiques existantes, de développer de nouvelles pratiques en garantissant une gestion concertée des espaces ainsi qu'une

202 Plan Départemental des Espaces, Sites et Itinéraires. « Développement maîtrisé des sports de nature pour favoriser la pratique sportive des landais et contribuer à l’attractivité touristique du territoire tout en préservant et valorisant les qualités environnementales du département ». Conseil général des Landes, Avril 2011, 32 p.

381 valorisation environnementale et une accessibilité des lieux et des pratiques pour tous ». Ainsi, l’intérêt du PDESI est décliné en cinq axes. À travers ce plan, le Conseil Général des Landes entend « poursuivre et amplifier sa politique en faveur des sports de pleine nature initiée depuis 1985 avec le Plan départemental des Itinéraires de Promenades et de Randonnée ; constituer pour le département un patrimoine et une vitrine de sites de pratiques et garantir à l’usager leur accessibilité, leur entretien, leur sécurité ; valoriser et préserver son patrimoine naturel et de sensibiliser à l’environnement en y associant ses schémas départementaux des Espaces Naturels Sensibles et de Gestion et de Valorisation des cours d’eau ; définir ses propres interventions, pour ce qui concerne l’acquisition, l’aménagement, l’entretien, la gestion et de façon plus générale la promotion des ESI landais ; promouvoir et développer la pratique des sports de nature en favorisant tout autant l’accès aux différents espaces et sites existants et la conciliation des usages, afin de privilégier une attractivité équitable sur le territoire qui permettra de renforcer l’offre touristique landaise » (CG Landes, 2011).

Au-delà des intérêts évoqués, le PDESI est un outil au service du développement local et de l'attractivité territoriale. Les espaces, sites et itinéraires (ESI) à inscrire au PDESI relèvent d'une hiérarchisation en fonction du niveau de l'échelle territoriale de l'emprise foncière. L'ensemble des acteurs locaux peut solliciter l'inscription d'un ESI au PDESI des Landes (commune, groupement intercommunal, association, syndicat mixte, établissement public, société publique locale...). Le PDESI des Landes distingue « les espaces, sites et itinéraires d'intérêt départemental dans la mesure où les activités pratiquées sur ces lieux sont supports à une politique de promotion et de mise en marché des activités sportives et présentent des incidences sportives et touristiques fortes auprès d'un large panel d'usagers ; les espaces, sites et itinéraires d'intérêt départemental de rang inférieur puisque seul le volet sportif est prépondérant et les espaces, sites et itinéraires d'intérêt local où s'observe une pratique sportive affirmée et régulière mais dont l'attractivité ne dépasse par l'échelon local 203 ». Seule l'inscription d'un espaces, sites et itinéraires d’intérêt départemental fait l'objet d'un accompagnement financier du Conseil général des Landes afin de garantir un entretien, une gestion, un aménagement et une promotion de ces lieux. Cependant, force est de constater que l’initiative des inscriptions

203 Rapport du Président Henri Emmanuelli, Député, Président du Conseil général des Landes. Budget primitif 2011. Examen public des dossiers les 14-15 avril 2011. Volume 2. Délibération H6 – Direction de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports, Sports de nature, adoption PDESI, p 895-939.

382 des espaces, sites et itinéraires appartient aux acteurs locaux qu’ils soient structure associative, collectivité territoriale ou établissement public. Par conséquent, la mise en œuvre du plan départemental des Landes, qualifié de « sélectif », dépend étroitement du degré d’implication des acteurs locaux dans l’appropriation du projet politique. D’autre part, le PDESI est mobilisé comme un outil de planification territoriale qui privilégie les aménagements sur les seuls espaces, sites et itinéraires relavant d’une attractivité départementale. Incombent, au demeurant, aux collectivités locales d’adapter leurs propres outils de planification territoriale (SCOT, PLU) afin de reconnaître localement la classification de ces espaces consacrés aux sports de nature. Cependant, force est de constater que l’initiative des inscriptions des ESI appartient aux acteurs locaux qu’ils soient structure associative, collectivité territoriale ou établissement public. Autrement dit, le Conseil général des Landes n’entend pas être maître d’ouvrage dans le cadre de cette politique publique. La mise en œuvre du PDESI des Landes dépend donc étroitement du degré d’implication des acteurs locaux dans l’appropriation du projet politique. À l’heure actuelle, aucun ESI n’est encore inscrit au PDESI des Landes même si quelques projets sont envisagés. Lors de la CDESI de juillet 2011 204 , deux projets ont fait l’objet d’une présentation. Le premier concerne la revitalisation de l’aérodrome de Rion-des-Landes, commune rurale située au cœur du département, à travers l’implantation d’une activité de vol à voile. Néanmoins, l’initiative appartient au seul mouvement sportif et la commune de Rion-des-Landes se refuse, au-delà de la mise à disposition des terrains, à co-financer le projet. Faut-il pour autant y voir une difficulté dans l’appropriation du projet politique porté à l’échelle départementale ? Quant au second projet, il s’agit de la création d’un itinéraire de randonnées équestres au sein du territoire du Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne. En revanche, les porteurs de projet se heurtent à la résistance des propriétaires privés, qui rechignent à l’idée d’autoriser le passage des chevaux sur leurs parcelles forestières. Par conséquent, force est de constater que malgré l’affichage politique, le PDESI des Landes constitue, pour l’heure, une coquille vide. D’autre part, les enveloppes budgétaires, inférieures à 150 000 euros, consacrées à sa mise en œuvre apparaissent comme difficilement compatibles avec les objectifs politiques déclarés. Le PDESI est donc peu approprié par les acteurs locaux et, à défaut d’être l’instrument majeur et transversal d’une politique publique en faveur du développement des sports de nature, il

204 Le compte-rendu de la CDESI du 5 juillet est en ligne sur le site Internet du Conseil général des Landes : http://www.landes.org/files/cg40/Education-Sports-et-Jeunesse/CR-CDESI-5.07.11.pdf

383 n’est donc qu’un outil parmi d’autres au service du renforcement du processus d’une identité territoriale. Sans doute est-ce la raison pour laquelle, outre la mise en œuvre du PDESI, le Conseil général des Landes s’appuie sur d’autres dispositifs afin de mobiliser les sports de nature à des fins de renforcement de l’attractivité territoriale ? Néanmoins, comment l’État, seulement représenté au sein de la CDESI, peut-il garantir que le développement maîtrisé des sports de nature soit l’unique leitmotiv des départements dans le cadre de l’action publique territorialisée sur ce segment ? Dans ce contexte, le Ministère de l’Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement ne pallie-t-il pas l’absence de légitimité régalienne du Ministère des Sports sur le segment de la gestion environnementale des milieux naturels ?

Dans le cadre du dispositif Natura 2000, le décret n°2010-365 du 9 avril 2010 soumet à évaluation d’incidences les plans, projets, manifestations, interventions, relevant d’une procédure d’autorisation, de déclaration ou d’approbation par l’autorité publique. Les activités concernées sont précisées sur deux listes. L’une, nationale, est fixée dans l’article L.414-19 du code de l’environnement, et s’applique sur l’ensemble du territoire. La seconde, locale, est arrêtée par le préfet de département au regard des enjeux locaux et de la nature des sites. Les manifestations sportives, dont le budget est supérieur à cent mille euros, qui supposent la délivrance d’un titre national ou international, qui sont organisées à but lucratif et regroupent sur un même site plus de mille cinq cents personnes, qui comportent la participation de véhicules à moteur sur des voies non ouvertes à la circulation, ou la participation de véhicules à moteur sur des voies ouvertes à la circulation et se déroulant en tout ou partie dans un périmètre Natura 2000, figurent dans la liste nationale et doivent faire l’objet de demandes d’autorisation ou de déclaration. En outre, une liste locale vient compléter la liste nationale. Or, la liste locale adoptée dans les Landes, par arrêté n°2011/537 du Préfet des Landes du 23 mai 2011, stipule que les inscriptions des espaces, sites et itinéraires aux plan départemental des espaces, sites et itinéraires en faveur des sports de nature sont soumises à évaluation d’incidences. Ainsi, localement, les services déconcentrés du Ministère de l’Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement, incarnés par la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM), s’assurent que la promotion des sports de nature portée par le Conseil général des Landes n’affectent en rien le patrimoine écologique des milieux naturels. Autrement dit, en cas de dégradation potentielle des qualités environnementales induite par l’inscription d’un ESI, pensée par le département comme mode de

384 renforcement de l’attractivité touristique et territoriale, les services de l'État se réservent le droit via l’instruction de l’évaluation d’incidences Natura 2000 de refuser cette inscription. Ces nouvelles mesures réglementaires, introduites par le Ministère de l’Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement, viennent donc renforcer le contrôle régalien de l'État et l’idée que la notion de développement maîtrisé des sports de nature concerne essentiellement le respect des milieux naturels. Dans ce contexte, les services déconcentrés du ministère des sports, représentés à l’échelle départementale par la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations (DDCSPP), ne jouent-ils pas un rôle secondaire, sinon marginal, quant à l’examen du respect par le département des Landes de l’application du référentiel de politique publique en faveur des sports de nature forgé sur la notion de « développement maîtrisé » ? À moins qu’il ne s’agisse d’une collaboration interministérielle ? Quoiqu’il en soit, le PDESI, dispositif consacré à la valorisation des sports de nature, passe par les fourches caudines du contrôle régalien de l’État. Or, dans la mesure où le département des Landes entend mobiliser les sports de nature au service d’un renforcement de l’attractivité touristique du territoire, ne mobilise-t-il pas d’autres outils de planification s’affranchir de la tutelle de l’État et promouvoir l’adaptation de l’offre récréative de pleine nature aux demandes sociales en la matière.

- Le Plan Départemental des Itinéraires de Promenade et de Randonnés (PDIPR) et le renforcement de l’offre touristique locale

La loi du 22 juillet 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État confie aux départements la mise en œuvre d'un Plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée non motorisée (PDIPR). Les services de la direction de l'environnement du Conseil Général des Landes, en lien étroit avec le Comité Départemental du Tourisme, engagent, dans le cadre du PDIPR, une politique de développement des itinéraires pour la randonnée et le cyclable. En effet, la direction de l'environnement propose une aide à la création et la restauration d'itinéraires de promenades thématiques afin de diversifier l'offre existante en complétant les itinéraires inscrits dans le plan qui représentent aujourd’hui près de 3 000 km de

385 circuits balisés à l’attention des randonneurs pédestres, équestres et cyclistes. Cette aide à la création de boucle de promenades a essentiellement pour but de développer une offre locale avec l'identification d'un départ des itinéraires situé au cœur des centre-bourgs et dont les temps de parcours ne doivent pas excéder deux heures de marche. D'autre part, l'aide est susceptible d'être octroyée pour les opérations visant à la création et la restauration d'itinéraires de promenade thématique ciblés pour un public familial. Ces parcours thématiques, support d'une découverte du territoire local, doivent être en lien avec le patrimoine naturel et/ou culturel et des espaces didactiques et pédagogiques doivent jalonner le parcours. Ils doivent privilégier le foncier communal et/ou domanial, ou à défaut emprunter des parcelles privées pour lesquelles une convention d'autorisation de passage devra être co-signée entre la commune ou l'Office National des Forêts (ONF) et le propriétaire. Par conséquent, seules les communes ou communautés de communes ainsi que l'ONF peuvent émarger à l'octroi de la subvention. Force est de constater que la création de ces nouveaux espaces de randonnées relève donc davantage d'une politique de valorisation touristique que d'une volonté de promouvoir la pratique sportive de pleine nature. Ces espaces, même s'ils peuvent être supports à la pratique sportive, sont donc davantage des outils de découverte patrimoniale exercée en dilettante, dans un cadre familial. Ainsi, de nouveaux espaces de randonnées pédestres, équestres et cyclables sont appelés à voir le jour et viendront renforcer l’offre existante. L’État, à travers le Centre National pour le Développement du Sport, conscient des enjeux sportifs et touristiques que revêtent les sentiers de randonnée dans les Landes a octroyé en 2009 au département une enveloppe de 325 000 euros afin de procéder à la remise en état des itinéraires endommagés à l’issue du passage de la tempête Klaus 205 .

- Le Schéma départemental du tourisme et du thermalisme

Henri Emmanuelli, Président du Conseil général des Landes, souligne que le « tourisme landais trouvera un nouveau souffle [s’il concourt à appréhender] le foncier comme une chance ; pour son attrait, bien sur, mais aussi pour la capacité qu’il procure d’accueillir de nouveaux projets et de mobiliser des partenaires exogènes 206 ». Ainsi,

205 Décision CNDS-DSE-DS, n°2166 (SES n°6958) du 28 juillet 2009. 3 p. 206 Conseil général des Landes. « Schéma départemental du tourisme et du thermalisme. Vers un nouveau souffle », juin 2010, p 2.

386 parmi les conditions qui autoriseraient l’émergence de ce nouveau souffle, la valorisation des grands espaces de nature constitue un moyen d’y parvenir. Trois axes déterminent les orientations stratégiques et se déclinent en autant « d’objectifs de taille XL pour devenir une vraie destination touristique ». Si l’axe un consiste à enclencher un nouveau cycle d’investissements à travers notamment la réalisation d’aménagements d’une station de nouvelle génération à Port d’Albret, la création d’un complexe résidentiel et touristique sportif à dominante golfique d’envergure internationale fonctionnant à l’année, c’est davantage l’axe deux du schéma qui retient notre attention. En effet, ce deuxième axe, intitulé « valoriser la pluralité des filières », propose de renforcer l’offre de tourisme de nature en valorisant le potentiel du tourisme vert et en renforçant la filière surf entendue comme un vecteur de « positionnement concurrentiel différenciateur ». Quant au troisième et dernier axe, il consiste à « s’adapter à l’e-tourisme et fédérer les acteurs ». A ce sujet, la constitution de clubs de promotion participe de la déclinaison opérationnelle du troisième axe. En effet, « les clubs sont constitués par filière entre offices de tourisme, prestataires d’activités et hébergeurs. Ils sont animés par le CDT et élaborent en pleine concertation les plans d’action, de promotion et de communication annuels. Ils sont financés à part égale par le CDT et les partenaires ». En 2011, à l’initiative du CDT des Landes, le « club surf » voit le jour. Ce « club surf » regroupe des prestataires de services. Il comprend onze écoles de surf et une agence de voyages qui sont censés garantir « le plaisir de la glisse sur les meilleurs spots de la côte landaise 207 ». Les membres de ce club s’engagent dans une démarche de qualité dont les objectifs visent à répondre à des critères bien précis afin d’assurer un accueil personnalisé des touristes, des équipements modernes, des installations conformes et sécurisées. La mise en œuvre du schéma départemental du tourisme et du thermalisme s’inscrit également en résonance avec les procédures de labellisation encouragées par la direction du tourisme du Conseil général des Landes qui accompagne financièrement les porteurs de projets.

207 Terme emprunté sur la page Internet du CDT des Landes. http://www.tourismelandes.com/fr/1242/pages/d/le-surf/ecole-surf-landes/page/0

387

Figure 19 : Affiche promotionnelle sur le site Internet du Conseil général des Landes

Source : Conseil général des Landes, 2012. http://www.landes.org/

La mise en œuvre du schéma départemental du tourisme et du thermalisme vient compléter les procédures de labellisation encouragées par la direction du tourisme du Conseil général des Landes qui accompagne financièrement les porteurs de projets. Ainsi, la Fédération Française de Surf est accréditée du label Qualité Tourisme. Initié lors du comité interministériel sur le tourisme du 9 septembre 2003, le label Qualité Tourisme entend améliorer l'image de la France, développer les emplois et créer de la richesse. La qualité s’affiche alors comme la priorité de l'ensemble des acteurs du tourisme fédérés par l'État. En effet, les conclusions du comité permettent au gouvernement de d’arrêter un certain nombre de décisions politiques et budgétaires visant d'une part à conforter la qualité des produits et de l'accueil dans le domaine du tourisme, d'autre part à engager un effort important en faveur d'un tourisme durable, solidaire et éthique. Les mesures avancées par le comité s'organisent autour de trois actions clés qui consistent à accompagner et démultiplier les initiatives des acteurs économiques, à organiser, en liaisons avec les acteurs économiques, une régulation de l'activité touristique adaptée aux enjeux d'avenir, et à adapter le dispositif public. Le comité interministériel annonce donc la création d'une marque « France » et la mise en oeuvre d'un plan Qualité Tourisme visant à améliorer la qualité du service et de l'accueil et à promouvoir les richesses territoriales locales. D’autre part, à travers ce processus de labellisation, l’État entend positionner la France sur

388 l’échiquier de l’offre touristique mondiale en mettant en exergue les représentations mentales véhiculées à l’endroit du territoire national et des habitants de l’hexagone : sens de l’accueil et du service, richesse patrimoniale, variété des terroirs…. En juin 2005, l’État crée donc la marque Qualité Tourisme qui sélectionne les démarches qualités engagées pour la satisfaction des clientèles. Dans l’hébergement et la restauration, les agences de locations saisonnières et les offices de tourisme. En effet, les prestataires s’engagent à garantir un accueil chaleureux et personnalisé, la diffusion d’informations claires et précises, la compétence et l’écoute des personnels, le confort et la propreté des espaces ainsi que une connaissance de la région afin d’orienter les touristes. Selon, Luc Chatel, alors Secrétaire d’Etat chargé de la Consommation et du Tourisme, Qualité Tourisme, « c’est l’image d’un tourisme à la française qui se distingue par son professionnalisme, la qualité de son accueil, son désir de faire partager les richesses de nos territoires et les savoir-faire des professionnels 208 ».

5.3.5 La Taxe d’Aménagement, une opportunité de réaffirmer la compétence départementale ?

La loi n°2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, parue au JO du 30 décembre 2010, instaure une réforme de la fiscalité sur l’urbanisme et l’aménagement. Depuis le 1er mars 2012, la Taxe d’Aménagement remplace les taxes existantes dont la Taxe Départementale des Espaces Naturels Sensibles (TDENS) jusqu’ici mobilisée pour le financement des politiques publiques départementalisées en faveur de sports de nature. Ces modifications législatives étaient une opportunité pour les départements de réaffirmer leur compétence légale sur les sports de nature 209 .

208 Maison de France. Document de présentation Qualité Tourisme, septembre 2007, 4 p. 209 Ludovic Falaix. « Taxe d'aménagement, départements et sports de nature », Acteurs du Sports , 2011, n°134, 2 p.

389 - La TDENS, outil fiscal au service des sports de nature ?

Conformément à la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 modifiée le 6 juillet 2000 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, les départements sont compétents pour intervenir en faveur des sports de nature. Ils exercent une compétence légale, transférée par le législateur, et la mise en œuvre opérationnelle des politiques publiques départementales en faveur du développement des sports de nature repose sur l’adoption d’un outil de planification territoriale et la mobilisation de crédits issus de la TDENS. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales définit les modalités de mobilisation des crédits affectés à la mise en œuvre opérationnelle d’une politique de développement des sports de nature. En effet, la loi introduit la possibilité d’utiliser la TDENS pour l’acquisition, l’aménagement et la gestion des espaces, sites et itinéraires figurant au Plan Départemental des Espaces, Sites et Itinéraires établi dans les conditions prévues à l’article 50-2 de la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 modifiée. D’autre part, la loi n°2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux renforce le champ d’utilisation de la TDENS dans le cadre de la mise en œuvre du PDESI. Ainsi, la TDENS peut être mobilisée « pour des opérations d’acquisition, d’aménagements et de gestion des espaces, sites et itinéraires figurant au PDESI relatif aux sports de nature, sous réserve que l’aménagement ou la gestion envisagés maintiennent ou améliorent la qualité des sites, des paysages et des milieux naturels ». Par conséquent, la TDENS était, jusqu’ici, une recette fiscale mobilisée pour le financement des actions liées au développement des sports de nature. En effet, la loi 76.1285 du 31 décembre 1976 introduit la notion d’espace naturel sensible (ENS). La mise en œuvre par les départements d’une politique de protection, de gestion et d’ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non, doit permettre de préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d’expansion des crues. Cette politique de protection entend également garantir la sauvegarde des habitats naturels. Plus encore, cette politique de protection des espaces naturels sensibles doit permettre la création d’itinéraires de promenade et de randonnée ainsi que d’espaces, sites, itinéraires relatifs aux sports de nature. Or, l’initiative de la poursuite d’une politique de protection et de valorisation des Espaces Naturels Sensibles revient au conseil général. À ce titre, il appartenait à l’assemblée délibérante départementale de voter l’institution d’une taxe spécifique pour conduire cette politique : la taxe départementale des espaces naturels

390 sensibles. Cette taxe est perçue sur la totalité du territoire départemental et porte sur la construction, la reconstruction et l’agrandissement des bâtiments et sur certains aménagements soumis au permis d’aménager ou à la déclaration préalable. La taxe est assisse sur la valeur de l’ensemble immobilier. Le Conseil général en fixe le taux en fonction des catégories de constructions, mais celui-ci ne peut pas, en tout état de cause, excéder 2%. Dans le département des Landes, cette taxe est instituée depuis le 1 er avril 1991210 et s’applique à hauteur d’un taux établi à 2%. La taxe est perçue au profit du département en tant que recette grevée d’affectation spéciale et a le caractère d’une recette de fonctionnement. L’article L.142.10 du code de l’urbanisme précise quelles sont les opérations foncières et les procédures d’aménagement qui peuvent être financées par la TDENS : « Les terrains acquis doivent être aménagés pour être ouverts au public, sauf exception justifiée par la fragilité du milieu naturel. Cet aménagement doit être compatible avec la sauvegarde des sites, des paysages et des milieux naturels. Seuls des équipements légers d’accueil du public ou nécessaires à la gestion courante des terrains ou à leur mise en valeur à des fins culturelles ou scientifiques peuvent être admis sur les terrains acquis en application du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection de ces terrains en tant qu’espaces naturels ». Par conséquent, la TDENS peut être mobilisée pour l’acquisition de terrains, l’aménagement et l’entretien des espaces naturels ouverts au public, appartenant aux collectivités locales ou à des établissements publics, l’aménagement et l’entretien des bois, parcs et espaces naturels appartenant à des propriétaires privés qui ont fait l’objet d’une convention d’ouverture au public avec une collectivité territoriale, l’acquisition, l’aménagement et la gestion des sentiers figurant sur le Plan Départemental des Itinéraires de Promenade et de Randonnée (PDIPR). Par ailleurs, la loi du 13 août 2004 introduit la possibilité d’utiliser la TDENS pour l’acquisition, l’aménagement et la gestion des espaces, sites et itinéraires figurant au Plan Départemental des Espaces, Sites et Itinéraires. Quant à la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, celle-ci précise le champ d’utilisation de la TDENS dans le cadre de la mise en œuvre du PDESI. Ainsi, la TDENS peut être mobilisée « pour des opérations d’acquisition, d’aménagements et de gestion des espaces, sites et itinéraires figurant au PDESI relatif aux sports de nature, sous réserve que l’aménagement ou la gestion envisagés maintiennent ou améliorent la qualité des sites, des paysages et des milieux naturels ». Cette injonction du législateur quant à la valorisation

210 Conseil général des Landes. Délibération n°F4 du 31 janvier 1991.

391 des sites corrobore ses intentions initiales liées à l’instauration de la TDENS. En effet, si le législateur s’accorde à penser que ces espaces peuvent faire l’objet d’une ouverture au public, il précise malgré tout que cette fréquentation doit être compatible avec la préservation du site. Quoiqu’il en soit, au regard des recettes que génèrerait cette taxe dans le département des Landes, force est de constater que la politique de valorisation des sports de nature pouvait s’appuyer sur cette manne financière.

- La Taxe d’Aménagement en lieu et place de la TDENS pour le financement des sports de nature

La réforme de la fiscalité de l’aménagement et de l’urbanisme adoptée en décembre 2010 a pour objectif d’améliorer la compréhension et la lisibilité du régime fiscal, de le simplifier en réduisant le nombre d’outils de financement, de promouvoir un usage économe des sols, de contribuer à la lutte contre l’étalement urbain et d’inciter à la création de logements. L’ensemble des mesures qui figurent dans la loi n°2010-1658 du 29 décembre 2010 entend donner une très grande marge de manœuvres aux collectivités territoriales. La Taxe d’Aménagement pourra ainsi être utilisée de manière différenciée sur l’ensemble du territoire en s’adaptant aux caractéristiques et aux politiques d’aménagements propres à chaque collectivité. Cette flexibilité est de rigueur dans les départements dans la mesure où il leur incombe de fixer les taux de la fiscalité induite par l’octroi des documents d’urbanisme. La Taxe d’Aménagement - TA - se substitue à la Taxe Locale d’Equipement - TLE, à la TDENS et à la Taxe Départementale pour le financement des Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement - TDCAUE. La TA est instituée, pour la part départementale, par délibération du conseil général. Elle finance les politiques de protection des espaces naturels sensibles et le fonctionnement des CAUE, en remplacement de la TDENS. Elle est établie sur la construction, la reconstruction, l’agrandissement des bâtiments et aménagements de toute nature nécessitant une autorisation d’urbanisme. Mais elle a également vocation à financer la mise en œuvre opérationnelle du Plan Départemental des Espaces, Sites et Itinéraires en faveur des sports de nature. En effet, la nouvelle loi instaurant la Taxe d’Aménagement précise

392 que cette taxe tient lieu de participation forfaitaire aux dépenses du département. La loi ne modifie en rien les modalités d’intervention financière dont disposent les départements pour impulser une politique publique en faveur des sports de nature. La loi précise que le produit de la taxe peut être utilisé « pour l'acquisition, l'aménagement et la gestion des espaces, sites et itinéraires figurant au PDESI relatifs aux sports de nature établi dans les conditions prévues au livre III du code du sport, sous réserve que l'aménagement ou la gestion envisagés maintiennent ou améliorent la qualité des sites, des paysages et des milieux naturels ».

Il appartenait aux assemblées délibérantes des départements d’adopter, avant fin novembre 2011, une délibération afin que les dispositions relatives à la Taxe d’Aménagement soient applicables aux demandes d’autorisation déposées à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi des finances rectificative de 2010, soit le 1 er mars 2012. L’adoption de cette délibération était pour les départements une opportunité de réaffirmer leur compétence légale et leur engagement vis-à-vis du développement des sports de nature.

- Une délibération pour renforcer la légitimité départementale

La délibération du conseil général devait préciser l’institution sur l’ensemble du territoire départemental de la Taxe d’Aménagement et en fixer le taux dans la limite de 2.5%. La délibération pouvait néanmoins être complétée par des éléments facultatifs concernant notamment la répartition des recettes fiscales induites par le taux de la Taxe d’Aménagement. Si le Ministère de l’Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement évoquait, dans un modèle de délibération, deux thématiques d’affectation que sont les espaces naturels sensibles et le conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, rien n’était dit sur le financement des sports de nature. Dans le cadre de cette délibération, et malgré le silence du Ministère des Sports sur la question, les conseils généraux pouvaient préciser la répartition des recettes induites par la Taxe d’Aménagement affectées à la mise en œuvre du PDESI et ainsi renforcer leur légitimité.

393

Or, la lecture de la délibération du Conseil général des Landes permet d’affirmer que l’institution ne s’est pas saisie de cette opportunité pour réaffirmer leur volontarisme en terme de pilotage des politiques publiques en faveur des sports de nature. Cela traduit sans doute le fait que le PDESI ne constitue pas l’unique outil de planification pour garantir la valorisation des sports de nature à l’échelle du département. Ainsi, en ne réaffirmant pas l’affectation en faveur des sports de nature des recettes induites par la taxe d’aménagement, le Conseil général des Landes signifie le rôle relatif du PDESI dans le cadre de la promotion des sports de nature. Or, les conseils régionaux tendent à prendre en charge la question des sports de nature dans la mesure où les enjeux induits par ces pratiques sportives dépassent le volet sportif pour embrasser les questions liées au développement économique, touristique, à la formation professionnelle : compétences des entités régionales. Le département des Landes en n’ayant pas précisé dans leur délibération l’affectation en faveur des sports de nature des recettes fiscales induites par la Taxe d’Aménagement a alors laissé passer une opportunité de réaffirmer la pertinence de l’échelon départemental aujourd’hui menacé dans la plupart des travaux portant sur la gouvernance territoriale du sport dont les conclusions privilégient l’échelon régional (Haschar-Noé, Honta, 2011 :9). Les modalités d’une gouvernance territoriale et de répartition des compétences entre l’État et les différentes entités territoriales sur ce segment des sports de nature méritent donc d’être débattues d’autant plus qu’aujourd’hui le niveau régional est plébiscité 211 . Les recommandations issues des échanges entrepris dans le cadre de l’atelier thématique « offre de loisirs sportifs de nature, facteur de développement territorial » animé durant les rencontres européennes des sports de nature à Annecy en octobre 2011 212 permettront peut-être de poser les premiers jalons d’une réflexion collective sur ces enjeux.

5.3.6. Les sports de nature au service du marketing touristique

Comme d’autres collectivités locales qui organisent des raids sportifs dont les retombées permettent de renforcer l’attractivité et de jouer sur le processus de

211 Ministère des Sports et CNOSF. « Assemblée du sport, pour une France 100% sport. Constats, enjeux et préconisations des ateliers », 2011, 173 p. 212 Pôle Ressources National des Sports de Nature. « Synthèse. Nature et Sports Euro’Meet », 2011, 8 p.

394 différenciation territoriale (Vlès, 2001), le département des Landes lance en 2010 la première édition d’un raid sportif et d’aventure. Les enjeux de cette épreuve sportive sont multiples. En effet, non seulement cette manifestation sportive doit permettre une découverte du patrimoine littoral landais mais elle doit aussi renforcer l’adhésion du mouvement sportif au projet politique visant à renforcer l’attractivité territoriale et touristique à travers la promotion des sports de pleine nature.

- Le « Raid XL Landes », un outil de promotion territoriale

En avril 2010, la première édition du « Raid XL Landes » voit le jour. Raid sportif organisé sur trois jours, cette manifestation sportive dédiée aux sports de nature est également un support pour la découverte des Landes. En effet, même si cette épreuve sportive poursuit l’objectif de promouvoir la pratique sportive de pleine nature, le Raid XL a également vocation à promouvoir la « valorisation de l’offre touristique des Landes, à travers notamment la découverte de sites présentant un intérêt environnemental 213 ». Organisé en partenariat avec le mouvement sportif, les communes du littoral et la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations (DDCSPP), le Conseil Général des Landes entend d’une part développer une synergie dans le domaine sportif et répondre aux besoins des nombreux pratiquants landais et d’autre part valoriser le potentiel de développement touristique sur le littoral. Vingt équipes s’affrontent autour d’épreuves sportives composées de surf, de Vélo Tout Terrain (VTT), de course d’orientation et de pirogue hawaïenne. Les plages de Mimizan, de Vieux-Boucau, d’Hossegor et de Capbreton sont mises à l’honneur. Par ailleurs, le « Raid XL Landes » n’est pas exclusivement consacré au déroulement des épreuves sportives. En effet, de nombreuses initiations au surf sont proposées sous le parrainage d’Antoine Delpero, sacré champion du monde de longboard en 2009, et de Nicolas Capdeville, champion du monde de bodyboard censés, tous deux, véhiculer une image de réussite sportive. Une convention spécifique est signée en partenariat avec Le Comité Régional Aquitain de Surf (CRAS) et détermine les conditions de la mise en œuvre pragmatique de l’évènement. Ainsi, revient au CRAS une mission d’assistance technique. Lui incombe donc de proposer une programmation sportive « fondée sur des critère de qualité, de diversité, de cohérence et

395 d’attractivité. La programmation prend en compte les contraintes techniques et géographiques inhérentes aux sites ainsi que les moyens financiers et humains dévolus par le département. Cette programmation s’inscrit dans la démarche de communication et de promotion souhaitée par le département 214 ». Par conséquent, le CRAS a pour mission d’identifier et de définir les modalités de la compétition et d’apporter son assistance technique pour l’organisation de l’évènement. En contre partie le CRAS bénéficie d’une subvention de 20000 euros. Quant au Conseil Général des Landes, il assure les opérations de communication liées à l’évènement. Enfin, cette manifestation doit également permettre une valorisation des acteurs locaux issus du monde des sports. En effet, au travers de ce raid, le Conseil Général et ses partenaires du mouvement fédéral surf entendent « mettre en avant le travail effectué par les clubs landais » dans la mesure où « ces derniers fonctionnent toute l’année et assument pleinement leur rôle éducatif en direction des plus jeunes de leur territoire : découverte et apprentissage du surf évidemment, mais également sensibilisation aux comportements éco-responsables dans le cadre des projets EcoSurf215 véhiculés par la Fédération Française de Surf et le Comité Départemental de Surf des Landes 216 ». Par ailleurs, le « Raid XL Landes » est également mobilisé afin de renforcer le lien social. Cet objectif est assigné dans le PDESI des Landes dans la mesure où le plan départemental entend « renforcer la cohésion sociale [dans la mesure où] toute activité s’inscrivant dans un cadre de rencontre de relations humaines développe des facteurs de lien social. Les pratiquants peuvent se confronter à d’autres dans un esprit non-compétitif ou avec les éléments naturels qui favorisent l’affirmation de la personnalité, l’épanouissement, la santé, le respect et la convivialité. En cela, les activités physiques de pleine nature ont fédératrices et génératrices de ce lien social 217 ». Sans doute est-ce la

213 Conseil général des Landes. Dossier de presse. « Sports de nature et surf à l’honneur dans les Landes ». 2010, p 6. 214 Convention 2010 CG40/CRAS pour la mise en œuvre du« Raid XL Landes ». 215 « L'environnement des surfeurs, l'océan, est un milieu très fragile. Les océans abritent des centaines de milliers d'espèces animales et végétales. La plus grande biodiversité se trouve jusqu'à 200 mètres de profondeur, soit près des côtes. Cela explique la richesse du littoral marin. D'autre part, les océans sont indispensables pour la survie de l'homme. Ils régulent les climats, modèrent le réchauffement de la planète. Ils nous donnent le privilège de respirer en fournissant l'essentiel de l'oxygène. Ils nous nourrissent et nous soignent même. Malheureusement, beaucoup de nos activités les fragilisent : agriculture, industrie, transport pétrolier, pêche, tourisme, rejet de nos eaux usées… tant d'activités qui amènent produits toxiques et déchets solides dans nos océans. Surfeurs, vous avez tout intérêt à montrer l'exemple si vous espérez pouvoir rider vos jolies vagues dans quelques années ! Vous apprendre à mieux connaître votre terrain de sport, pour mieux le protéger, telle est la mission d'Eco Surf ». Texte de présentation de la démarche Ecosurf extrait du site Internet de la Fédération Française de Surf : http://www.surfingfrance.com/commissions/eco-surf . [Page consultée le 12 avril 2011]. 216 Conseil général des Landes. Dossier de presse. « Sports de nature et surf à l’honneur dans les Landes ». 2010, p 8. 217 Conseil général des Landes. PDESI, 2011, p 20.

396 raison pour laquelle on peut également lire que « les amateurs de sports de glisse ou nautiques trouvent sur la côte, les lacs et les rivières, des vagues, du vent, mais aussi une offre citoyenne 218 ». Par conséquent, force est de constater que les sports de nature sont mobilisés par le Conseil général des Landes à des fins de renforcement du lien social, du vivre ensemble, de l’acquisition d’une conscience citoyenne.

- « Le printemps des Landes » et la promotion du surf

Ce raid s’inscrit également au cœur d’une manifestation d’envergure départementale, intitulée « Le printemps des landes », dont l’initiative revient au Comité Départemental du Tourisme des Landes. Le surf et les activités physiques de pleine nature y ont la part belle et sont identifiées comme une opportunité pour ceux qui s’y adonnent d’acquérir « l’étoffe d’un héros 219 ». Le printemps des Landes est une manifestation portée par la Comité Départemental du Tourisme des Landes. Il permet la mise en réseau des animations proposée à l’échelle locale. L’ensemble des Offices de Tourisme participent à la manifestation et constitue les relais locaux pour le développement des projets. A cet égard, Hervé Bouyrie, Maire de Messanges et Conseiller Général, rappelle que « l’objectif principal est d’étendre la saisonnalité, centrée généralement sur les mois de juillet et août. Les Landes peuvent également être un département attractif en période printanière. Ces manifestations sont l’occasion de prouver que les touristes peuvent y venir en période "hors saison". Elles attirent des Landais, des personnes des départements voisins mais aussi en provenance de région plus lointaine, comme l’île de France 220 ». En 2010, la thématique retenue s’articule autour des animations sur l’eau . À titre d’exemple, des événements de nature différente sont mis en place autour du surf, des lacs, de la plongée. Cette thématique, répète l’élu local , « nous permet de faire découvrir le patrimoine environnemental landais à travers ses filières d’excellence ». Manifestement, le surf compte donc parmi les filières d’excellence qu’il convient de valoriser. En 2011, l’opération est reconduite du 9 au 25 avril. Fondée sur la promotion du territoire à travers l’e-tourisme, cette manifestation recense l’intégralité des animations proposées à l’échelle

218 XLandes magazine , n°16, avril-mai 2011. Dossier Sports de Nature, p 15 219 http://www.tourismelandes.com/fr/1244/pages/d/actualites-developpement/les-landes-font-le-plein-de- promos-au-printemps/page/0 . [Page consultée le 22 mars 2011].

397 locale. Ainsi, sur le site Internet du CDT des Landes, est évoqué le fait que « pour une escapade improvisée dans les Landes, les vacances de Pâques sont la période rêvée. Les hôtels, les campings, les chambres d’hôtes, les gîtes ruraux , les résidences de tourisme participent à la fête en vous offrant des réductions allant jusqu’à 60% ». À en croire les gestionnaire de l’offre touristique, il y en aurait pour tous les goûts ; que l’on soit en famille, en couple ou friand d’activités physiques et sportives. Plus encore, le rédacteur du site Internet nous propose de nous interroger en ces termes : « Pourquoi ne pas profiter de ces offres pour vous initier au surf ? Un week-end pour commencer et vous reviendrez cet été, en véritable champion peaufiner votre technique ! ». En guise de conclusion, une certitude se fait jour : « C’est certain, le Printemps des Landes vous offre l’étoffe d’un héros… printanier. À la sortie de l’hiver vous rêviez de vous ressourcer, de bons plans sympas... le Printemps des Landes l’a imaginé pour vous ! 221 ». Par conséquent, cette stratégie ambitionne de renforcer l’offre touristique hors des périodes estivales. Elle entend participer à l’animation des territoires sur les ailes de saisons (Pouthier, 2011).

Ainsi, les sports de nature sont convoqués au service d’une construction territoriale dont l’approche systémique, présentée ci-dessous de manière schématique (Figure 20), permet de rendre compte des incidences d’une telle ambition politique. Les membres de la CDESI en proposant le vote du PDESI dont les objectif dépassent le cadre sportif pour embrasser les thématiques touristiques, économiques, environnementales et sociales se réapproprient le référentiel forgé par l’État. Le département des Landes en adoptant ce plan affirme sa volonté de mobiliser les sports de nature au service d’un projet de territoire fondé tant sur la « mise en scène (géo-)graphique du territoire » (Debarbieux, 2003) que sur le renforcement des filières ou des équipements et aménagements sportifs. Néanmoins, les enjeux des acteurs sont différenciés. Le mouvement sportif entend capter les pratiquants libres et ainsi renforcer sa légitimité. Les défenseurs de l’environnement ne souhaitent pas que la démocratisation des sports de nature vienne compromettre l’intégrité des milieux naturels. Le secteur marchand voit en l’adoption du PDESI et la mobilisation des aides départementales une opportunité de capter de nouveaux publics. Seul l’examen de la nature des ESI inscrits au PDESI, permettra de déterminer leur degré d’appropriation du projet

220 Propos d’Hervé Bouyrie recueillis sur le site Internet du Conseil général des Landes :http://www.cg40.fr/1-28045-Detail-d-une-actualite.php?id_actualite=265 . [Page consultée le 22 mars 2011]. 221 http://www.tourismelandes.com/fr/1244/pages/d/actualites-developpement/les-landes-font-le-plein-de- promos-au-printemps/page/0 . [Page consultée le 22 mars 2011].

398 politique porté à l’échelon départemental. Quant au département des Landes, se refusant à assurer la maîtrise d’ouvrage et à consacrer d’importants moyens financiers pour l’animation du PDESI, il s’en remet aux acteurs locaux dont il attend qu’ils soient force de proposition d’inscription d’ESI au PDESI. Par ailleurs, cette étude de cas permet de démontrer que la prise en compte des sports de nature et plus particulièrement du surf ne traduit pas nécessairement un changement paradigmatique de l’action publique. Les sports de nature et le surf sont plutôt intégrés dans les politiques publiques sectorielles du tourisme, de l’action sociale et trouvent leur place au sein d’outils de planification dont les objectifs dépassent la seule ambition d’agir en faveur d’un développement maîtrisé de ces pratiques sportives. Dans ce contexte, le surf s’impose aussi comme un outil d’animation, facteur d’attractivité territoriale et motif de choix de destination (Escadafal, Boulin, 2011).

399 Figure 20 : Les sports de nature au service d’une construction territoriale : Approche systémique des incidences d’un projet politique

400

CONCLUSION CHAPITRE 5

QUAND LE SURF, OUTIL DE CONSTRUCTION TERRITORIALE, ENGENDRE LA COLÈRE DE CERTAINS SURFEURS :

SEULEMENT UN PARADOXE ?

Cette recherche ne prétend pas présenter de manière exhaustive les politiques publiques territorialisées ayant le surf comme support dans la mesure où elles relèvent de stratégies différenciées et s’articulent en fonction des représentations des élus locaux à l’encontre des populations de surfeurs. « Les goûts personnels des maires à l’égard du surf et des surfeurs sont réfractés dans l’espace politique municipal » (Guibert, 2006 :37). Christophe Guibert précise même que « l’histoire du surf, aussi subjective et imposée soit- elle dans les magazines et les discours marketing, ont des effets directs sur les représentations des élus des communes… Les stéréotypes issus de ces productions sont tous, plus ou moins, présents dans la définition des politiques municipales des communes du littoral aquitain » (Guibert, 2006 :103). Ainsi, des élus se représenteraient les surfeurs comme « jeunes, indépendants et désorganisés », c’est-à-dire qu’ils tendraient vers une forme de « diabolisation » des surfeurs mais, ces mêmes élus souhaiteraient utiliser « le surf pour communiquer et définir une identification territoriales en faveur d’un développement touristique. Mais ce n’est pas n’importe quel “surf” qui est mobilisé puis valorisé » (Guibert, 2006 :143). Christophe Guibert constate alors que « les politiques municipales les plus dynamiques accompagnent non pas la pratique – “libre” ou associative – mais plutôt ce qui permet de rendre la commune médiatiquement visible en évitant tout lien avec les représentations qui sont associées aux surfeurs ordinaires » (Guibert, 2006 :144).

401 Les politiques publiques territorialisées utilisent l’image d’un surfeur sain de corps et d’esprit, inséré socialement et sensibilisé aux enjeux environnementaux. Ces représentations s’appuient sur les discours véhiculés par les médias dont on a vu combien les présentations des surfeurs pouvaient être dithyrambiques. Mais au-delà de la mise en scène « (géo-)graphique », on assiste à une institutionnalisation des territoires du surf. Celle-ci se traduit par l’accompagnement de l’ancrage spatial et territorial du surf par les pouvoirs publics. Il s’agit de délimiter les espaces de pratique, d’accompagner la structuration économique des filières de la glisse, de renforcer l’offre touristique articulée sur le surf, de promouvoir des évènementiels surf, d’intégrer dans l’espace urbain des infrastructures consacrées à cette discipline sportive. L’étude de cas du Conseil général des Landes est emblématique des dynamiques à l’œuvre sur le littoral aquitain. Par conséquent, le surf est intégré dans les politiques publiques sectorielles en matière de développement touristique, économique ou d’aménagement des espaces urbains balnéaires mais cette intégration ne marque pas pour autant un changement de paradigme de ces politiques publiques. La nature du changement imposée par la prise en compte du surf par les acteurs institutionnels marque donc un changement d’ordre incrémental. Les acteurs publics mobilisent davantage un registre d’images dont Pierre Muller rappelle combien elles s’affranchissent de longs discours pour faire sens immédiatement (Muller, 1990).

Néanmoins, comment les surfeurs appréhendent-ils cette institutionnalisation des territoires du surf ? Pensent-ils que le surf, davantage mobilisé à des fins de construction territoriales que comme support de politiques publiques cohérentes, transversales et co- construites, modifie le caractère ontologique de leur lieu-vague pratiqué ? Le cas échéant, fomentent-ils des formes de résistances et de contestations allant à l’encontre de ce qu’ils pourraient ressentir comme une modification du potentiel ontologique de la vague induite par l’action publique ?

La presse spécialisée regorge d’informations truculentes qui sont autant de matériaux précieux pour la recherche. Ainsi, dans le numéro 288 de juillet 2011, le magazine Surf Session se propose de faire un éclairage sur le spot de la « grande plage » à Biarritz. On peut lire, en page 19, que la grande plage est « un spot de luxe : un casino sur la plage, une architecture chic, des rochers majestueux, une lumière de printemps digne du sud-ouest, pas de doute, vous êtes à la grande plage de Biarritz ». D’autre part, ce spot serait particulièrement réputé : « la liste des surfeurs pro qui ont évolué sur ce spot de

402 légende est énorme, des Tontons surfeurs à Sammy, La Mouche ou Graciet en passant par Manu Portet, Patick Beven, Naum Ildefonse ou désormais Lee-Ann Curren, la grande est un must pour voir des pros fracasser ». Enfin, les rédacteurs du magazine laissent entendre « qu’un mot de passe » serait requis pour pouvoir y surfer et que le localisme y serait exacerbé : « le mot de passe : à la choune [ce terme désigne le sexe de la femme] , si vous entendez ce genre de message, c’est que vous êtes entourés de locaux et donc sans doute sur le bon pic. Gaffe quand même, l’accueil des biarrots de la grande lors des jours parfaits n’est pas une légende. Solution parler rugby et finir par Aupa B.O [comprendre Allez Biarritz Olympique, club de rugby emblématique de la ville évoluant dans l’élite nationale du Top 14] 222 ». Par conséquent, à en croire les rédacteurs du magazine dont on ose espérer qu’ils prennent un malin plaisir à convoquer le second degré, on serait sur un spot de luxe. Il serait fréquenté par des surfeurs expérimentés et reconnus dans l’univers du surf professionnel ainsi que par une horde de surfeurs locaux, particulièrement vulgaires, adeptes de rugby, auxquels ils suffiraient de leur signifier l’admiration pour le club local pour pouvoir rejoindre leur communauté et y partager les vagues. Cela dit, ces propos témoignent-ils d’une réalité ou bien versent-ils dans la caricature ? Plus important sans doute, comment certains surfeurs rencontrés sur la grande plage vivent-ils l’image d’eux- mêmes que véhiculent les rédacteurs de cette presse spécialisée ?

Fred surfe parfois à la grande plage lorsque « ça bastonne et que ça sature sur Anglet » précise-t-il. Interrogé sur la manière dont les surfeurs de la grande plage sont présentés dans Surf Session , Fred s’indigne des quelques propos qu’on lui rapporte. « Tu vois c’est pour ça que je ne lis plus ces magazines de merde ! Ils déblatèrent toujours les mêmes conneries. Les surfeurs sont soit des abrutis finis soit des beaux gosses musclés et sentant bon le sable chaud. Moi, quand je surfe à la grande plage, je n’entends personne brailler : À la choune ; ni même les types parler rugby ou supporter le B.O. Quand le type te dit qu’avec un Aupa B.O tu peux surfer peinard à la grande mais le mec hallucine et nous prend vraiment pour des blaireaux. Je reconnais qu’il y a un peu de localisme mais quand les conditions sont solides, l’océan fait le tri et les mecs à l’eau savent tous surfer. Pas besoin de gueuler Aupa B.O pour prendre une vague, c’est moi qui te le dit ». Manifestement Fred ne partage donc pas l’avis de la rédaction quant aux descriptions qui sont faites des surfeurs qui fréquentent la grande plage de Biarritz. Plus encore, c’est la

222 Surf Session , n°288, juillet 2011, p 29.

403 manière dont Fred peut vivre l’image du surfeur local de Biarritz qui nous interpelle. À la question « qu’est-ce que t’inspire cette image du surfeur local ? », Fred répond : « J’en ai ras le cul de cette image du surfeur sans cervelle. En fait j’en ai ras le cul de tout ce tapage médiatique fait autour du surf. Ça me fout la gerbe, tout ce business, toutes ces teufs autour du surf, toutes ces compets, tous ces types habillés quik de la tête aux pieds, tous ces blaireaux qui se la racontent surfeurs pour faire les beaux. Regarde moi, plus de vingt ans de surf dans les pattes et pourtant je porte des joggings Décathlon tous pourris. Tu veux que je te dise la vérité… J’arrête de dire aux gens que je surfe. Je vis ma vie en marge de tout ça avec comme seul objectif de rider kikile sans qu’on me prenne la tête. Le problème c’est qu’il y a de plus en plus de monde à l’eau à cause de ces magazines de merde. Maintenant, pour surfer tranquille il faut soit se lever tôt, soit bouger pour être une poignée à l’eau, soit ouvrir sa gueule et faire le caïd ». L’analyse de Fred sur les images que les médias de la presse spécialisée diffusent et qui irradient les représentations collectives fait écho à celle présentée par Adolphe Maillot. Le ras-le-bol de Fred vis-à-vis des caricatures que proposent les articles de la presse spécialisée présentant le surfeur comme un type fan de rugby, grossier, misogyne, et enclin à des comportements violents corrobore celui révélé par le panel de surfeurs étudié par Adolphe Maillot.

Dans un article, l’auteur explique que les « textes [de la presse spécialisée] encensent les conduites “marginales”, qui sont censées bousculer les bonnes mœurs et l’ordre établi. Mais leur impact s’avère limité » dans la mesure où les surfeurs-lecteurs éprouveraient des difficultés à s’identifier à ces figures de super héros (Maillot, 2010). À partir d’entretiens semi directifs et d’une observation participante sur l’île de la Réunion, Adolphe Maillot précise que rares sont les surfeurs auprès desquels il a accomplit son enquête qui se reconnaissent dans cette figure médiatique du « “soul surfeur”, blondinet rebelle et fantasque, surfeur bohème [qui] se moque de tout parfois avec un brin de cynisme, et [que] son joli minois rendrait irrésistible auprès des filles ». La plupart ne s’identifient pas dans ces descriptions d’autant plus que « dans la mythologie du surf way of life, style de vie où le corps se retrouve en première ligne, la sexualité est un élément fondamental. Elle participe de la dynamique hédoniste de ce style de vie balnéaire qui voit le jour dans la Californie du vingtième siècle. Le soul surfeur, idéal type de l’homme libre et jouisseur, ne peut avoir qu’une vitalité hors du commun, laquelle se manifeste entre autres dans une activité sexuelle intense, en compagnie de partenaires féminines aussi

404 multiples qu’éphémères. Telle est la norme romanesque de ce héros sportif contemporain, à la fois explorateur et bourreau des cœurs ».

Cette recherche entend explorer la nature des résistances et des contestations des surfeurs face à l’institutionnalisation des territoires du surf. C’est la raison pour laquelle, on interroge les surfeurs sur leurs perceptions de l’action publique territorialisée en faveur du surf. Car, Fred évoque les stratégies qu’ils mobilisent pour pouvoir « surfer tranquille ». On comprend également, à travers l’examen de ses propos, que ces stratégies s’inscrivent en résonance avec la médiatisation du surf et la mise en œuvre de politiques publiques qui concourent à sa notoriété. Fred, à l’instar des autres surfeurs constituant le panel des interviewés, s’emploie donc à fuir les spots fréquentés. À travers son exemple, on mesure ainsi combien certaines constructions territoriales, combien l’institutionnalisation des territoires du surf, au regard des valeurs, images et discours qu’elles véhiculent ainsi que la gestion spatiale de l’espace-vague qu’elle engendre, peuvent précipiter des formes de résistances et de contestations qu’il convient d’examiner dans le chapitre suivant.

405

CHAPITRE 6

RÉSISTANCES ET CONTESTATIONS DE CERTAINS SURFEURS FACE À L’INSTITUTIONNALISATION DES TERRITOIRES DU SURF

« Ils vont surfer par centaines de milliers, ils vont jouer avec la mer, et cela devient ce qu’il y a de plus important dans l’existence »

Edgar Morin. Journal de Californie , 1970.

Avec la mise en scène géographique du surf à des fins de marketing touristique et territorial, les stations de la côte aquitaine sont généralement identifiées comme des terres de surf sur la façade atlantique. Les superlatifs ne manquent pas. La côte aquitaine serait aujourd’hui devenue une « petite Californie », voire « une Glissicon valley ». Les municipalités se disputent l’hégémonie et revendiquent toutes leur titre de capitale européenne du surf. Elles rivalisent également dans la construction d’infrastructures dédiées au surf qui sont autant de marqueurs dans l’espace public de leur soutien à cette filière. D’autre part, la promotion de produits touristiques ayant le surf comme support se multiplie. Les écoles de surf sont désormais bien implantées sur le littoral aquitain. On ne dénombre pas moins de quatre vingt neuf écoles labellisées par la Fédération Française de Surf sur cette portion côtière. Elles entendent répondre à de nouveaux besoins sportifs qui ne correspondent plus seulement à la recherche d’un dépassement de soi, à l’acquisition de compétences techniques circonscrites dans un cadre institutionnel. Ainsi, les prestations sportives des structures qui entendent promouvoir le surf intègrent des demandes de pratiques sportives permettant la découverte d’un environnement naturel, d’un univers

406 social dont les valeurs véhiculées ne privilégient pas nécessairement le culte de la performance. Le mouvement sportif associatif mais aussi les entreprises de services sportifs adaptent donc leurs stratégies en fonction des besoins et des demandes sociales exprimés ou pressentis. Elles ajustent les offres de découverte ou d’encadrement des pratiques sportives en lien avec les demandes formulées par une partie de la population. Christophe Guibert 223 a piloté une étude sur la structuration de l’offre dans le champ des activités nautiques sur le littoral landais. Ses conclusions sont les suivantes : « l’espace des clubs et des entreprises des activités nautiques dans le département des Landes rassemble ainsi des groupements très divers » (Guibert, 2010). Il distingue les structures en fonction du segment sur lequel se situent leurs activités. Il souligne l’hétérogénéité des structures. Certaines offrent des prestations marchandes, d’autres des prestations socioéducatives et d’autres encore des prestations sportives. Ainsi, « une première catégorie regroupe le plus souvent des associations, plutôt orientées vers la performance sportive quel que soit le support de pratique. Une seconde catégorie d’établissements s’attache plus spécifiquement à mener des missions socio-éducatives, autrement dit à développer l’activité nautique qu’ils proposent “pour tous”. Dans un troisième type d’associations, dirigeants et adhérents portent un intérêt majeur à l’ambiance de leur club et au maintien de relations amicales entretenues dans le cadre de leur activité nautique. La pratique de l’activité y est avant tout décrite comme un univers de sociabilité dans lequel l’aspect relationnel, convivial et festif est privilégié et recherché. Enfin, un dernier type d’établissements comprend des entreprises et des associations qui se sont engagées dans une démarche marchande par la vente de prestations de services à des pratiquants, novices ou confirmés, c’est-à-dire à des “clients” ». Mais au-delà de cette typologie, cette étude met en lumière l’étendue de l’offre liée à la pratique du surf. Certaines écoles de surf proposent aux jeunes d’acquérir des compétences linguistiques en faisant du surf. D’autres s’emploient à proposer, en marge de la pratique du surf, la découverte des aspects environnementaux propres au littoral : formation de la houle, fonctionnement du milieu dunaire…

Quoiqu’il en soit, cette multiplication des structures est souvent accompagnée par les pouvoirs publics dans la mesure où celles-ci maillent non seulement le territoire littoral aquitain mais plus encore renforcent l’offre touristique locale. La création d’un « club

223 Christophe Guibert. « Étude sur les activités nautiques et de loisirs touristiques dans le département des Landes : état des lieux, perspectives et préconisations ». Université de Nantes, Laboratoire CENS, 2010, 251 p.

407 surf » placé sous l’égide du Comité Départemental du Tourisme des Landes s’inscrit dans cette valorisation de la filière surf à des fins de marketing territorial et de renforcement de l’attractivité touristique. Le financement des infrastructures dédiées au surf par le Conseil général des Landes répond de la même logique. Le soutient des municipalités aux associations sportives entend également garantir la pérennité des structures dont le rôle est souligné lorsqu’il s’agit d’évoquer la vie sociale sur les plages du littoral aquitain. Ainsi, l’ensemble des acteurs institutionnels accompagne le développement du surf en fonction de leurs champs de compétences et de leur échelon d’intervention territoriale.

Le Centre Régional d’Éducation Populaire et du Sport (CREPS) de Talence, établissement public placé sous la tutelle du Ministère des Sports, propose une formation destinée aux professionnels souhaitant enseigner le surf. Le Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et des Sports (BPJEPS) Activités Nautiques, mention surf, accueille chaque année depuis sa création une vingtaine de stagiaires. Ces diplômes se substituent au Brevet d’État d’Éducateur Sportif conformément à la réforme des formations professionnalisantes impulsée par le Ministère des Sports 224 . Le Conseil régional d’Aquitaine finance la formation de certains de ces stagiaires. Par ailleurs, le Conseil régional d’Aquitaine finance le Comité Régional d’Aquitaine de Surf afin qu’il encourage le développement de la pratique et garantisse les parcours de jeunes dans le cadre de l’animation des sections sportives. Il finance également l’organisation de l’étape du championnat du monde des surfeurs professionnels organisée à Hossegor. Les départements encouragent également la promotion et la valorisation du surf. Les municipalités locales subventionnent les clubs locaux. Les Chambres de Commerce et d’Industrie de Bayonne et des Landes soutiennent le renforcement de la filière glisse et « consolide [ainsi] l’innovation par la coopération territorialisée… [dans la mesure où] la croissance de la filière glisse a favorisé l’émergence d’initiatives nouvelles en matière de

224 Le BPJEPS est un diplôme d’État enregistré dans le répertoire national des certifications professionnelles, classé au niveau IV de la nomenclature de certification établie en application de l’article L. 335-6 du Code de l’éducation. Le diplôme du brevet professionnel est délivré au titre d’une spécialité, disciplinaire, pluridisciplinaire ou liée à un champ particulier. Chaque spécialité est créée par arrêté des ministres chargés de la jeunesse et des sports. Conformément à l’arrêté du 9 juillet 2002, paru au JORF du 17 juillet 2002, les titulaires du BPJEPS mention surf doivent être capables de conduire une démarche d’initiation, de découverte et d’apprentissage pour différents publics, d’éduquer aux règles de priorité et de convivialité de la pratique du surf, d’assurer la sécurité des publics dont ils ont la charge dans le cadre du dispositif de sécurité de la structure en tenant compte des publics, des supports et des espaces de pratique, d’accompagner la découverte du milieu environnemental et culturel de l’activité surf, de participer à l’organisation de manifestations sportives et à l’accueil des publics dans leurs structures, et d’assurer les opérations simples de maintenance et préparation du matériel pédagogique pour en garantir la sûreté.

408 coopération, portées exclusivement ou conjointement par des acteurs économiques, institutionnels et publics, au service d’objectifs sectoriels ou transversaux » (Herrera- Cazenave, 2007 :82). L’université Victor Segalen de Bordeaux joue également son rôle dans l’accompagnement du développement de la filière glisse. « La conception du master professionnel “Management et ingénierie des sports de glisse” s’est inscrite dans cette logique de projet par l’intégration précoce des acteurs économiques et institutionnels locaux à la phase de consultation destinée à valider l’opportunité de la formation et sa cohérence avec les besoins présents et émergents de la filière en matière de compétences » (Herrera-Cazenave, 2007 :87). Cette forme d’institutionnalisation et d’appropriation par les pouvoirs publics du surf présente donc un caractère innovant sinon emblématique. Jean- Paul Callède souligne qu’en « Aquitaine, le sport participe directement des formes et des expressions sociales, en particulier les disciplines : pelote basque, rugby, surf et course au large. Dans des documents à usage d’information et/ou de communication, la collectivité régionale leur accorde un intérêt constant, liant l’image et le commentaire ». Il précise qu’à l’échelle de la région Aquitaine, c’est au cœur des politiques partenariales et des dynamiques de soutien apportées aux initiatives locales que « les logiques d’innovation peuvent être observées et étudiées » (Callède, 2007 :171). Il souligne également qu’avec les trois disciplines phares que sont la pelote basque, le surf et le rugby et qui constituent « l’armature des sports régionaux », le Conseil régional d’Aquitaine tend, en les valorisant, à construire « une identité régionale ». Cette politique sportive, entendue comme « un modèle systémique ouvert s’appuyant sur des incitations, des négociations, des partenariats et des conventions, qui épouse les dynamiques et les opportunités locales tout en les optimisant », peut-être considérée comme « exemplaire » d’autant plus que « les sports de pleine nature réconcilient l’innovation technologique et la prospérité économique » (Callède, 2007 :192-193). L’échelon régional tend aujourd’hui à s’imposer comme le niveau territorial adapté à une gouvernance cohérente et efficiente du sport. Car, « face à l’émergence de nouvelles demandes sociales et à de nouvelles pratiques physiques et sportives, il apparaît nécessaire aujourd’hui que le modèle s’adapte et s’ouvre à tous les acteurs qui interviennent dans le champ du sport. En effet, l’intérêt général se déplace avec l’émergence de nouveaux enjeux sociétaux : le sport des années soixante a contribué et contribue toujours au rayonnement international de la France et au développement des loisirs sportifs ; il lui appartient aujourd’hui d’envisager pleinement les enjeux du vingt-et- unième siècle que sont par exemple, la santé publique et la cohésion sociale, en s’intéressant notamment aux publics atteints de maladies chroniques, ou à ceux et celles

409 encore trop éloignés aujourd’hui de la pratique sportive, enfin en veillant à un développement durable du sport » (Ministère des Sports - MS, 2011 225 ). Ainsi, les préconisations établies à l’issue des travaux de l’atelier consacré à la gouvernance territoriale proposent « d’institutionnaliser le niveau régional comme lieu de gouvernance territoriale [même si] rien ne s’oppose à ce que des interactions et des échanges se développent, au plus près du terrain, pour peu qu’ils soient cohérents avec la gouvernance régionale qui devra associer par ailleurs des acteurs locaux du sport. Il est proposé de retenir le niveau régional comme le lieu de la gouvernance territoriale même si aucune collectivité n’a la tutelle sur une autre, et sous réserve d’une juste représentation des niveaux territoriaux infra dans l’instance à créer. Plusieurs éléments plaident en faveur de cette préconisation, et notamment la loi n°2010-1563 sur la réforme des collectivités territoriales adoptée le 16 décembre 2010. Tout d’abord ce texte se donne pour objectif de simplifier l’organisation institutionnelle des collectivités. Ensuite ce texte maintient la possibilité pour les différentes collectivités d’intervenir dans le sport puisqu’il reconnaît une compétence sport partagée entre les différents niveaux territoriaux, le maintien du cumul de subventions pour le sport, la sauvegarde du cumul de subventions pour le fonctionnement, le fait qu’aucun projet ne pourra bénéficier d’un cumul de subventions d’investissement à défaut d’un “schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services”. Cela suppose donc une coopération renforcée entre les régions et les départements. Ces dispositions de la loi renforcent l’idée que la région est un échelon pertinent pour la gouvernance territoriale. Et ce d’autant plus que l’un des principes de base de la RGPP est l’affirmation du niveau régional comme le niveau de pilotage des politiques publiques » (MS, 2011 :164).

Mais au-delà de l’ensemble des préconisations établies par les acteurs institutionnels issus du monde du sport qui mettent en avant la pertinence de l’échelon régional dans le cadre d’une gouvernance afin de pallier le manque de définition de véritables projets sportifs pensés comme moteurs du développement local (Honta, 2007), force est de constater, qu’aujourd’hui, l’ensemble des pouvoirs publics mobilisent le surf à des fins de construction d’une identité territoriale. Le surf s’institutionnalise. L’espace- vague est réglementé, codifié, aménagé, surveillé et marchandisé.

225 Ministère des Sports. Assemblée du sport 2011. Pour une France 100% sport. Constats, enjeux et préconisations des ateliers . 2011, 173 p.

410 En revanche, comment les surfeurs vivent-ils cet accompagnement par les pouvoirs publics des structures, projets, filières ayant le surf comme support ? Comment perçoivent- ils les justifications politiques avancées dans le cadre de cette mobilisation du surf ? De plus, dans la mesure où les surfeurs accordent une importance majeure à leur espace de pratique puisque aller à l’eau et surfer relève d’un existentialisme, se sentent-ils déposséder du potentiel ontologique que sous-tend leur rapport à l’espace-vague. Le cas échéant, quelles sont les stratégies qu’ils mobilisent pour défendre cette portion d’espace ? Comment se manifestent leurs résistances et leurs contestations ?

La démocratisation de ce sport, rendue possible, en autre par l’accompagnement institutionnel des structures, projet et filières, entraîne un nombre sans cesse croissant d’adeptes. Cette augmentation du nombre de pratiquants est source de conflits au sein des espaces de pratique. Le spot devient l’enjeu de toutes les convoitises. Quels sont les conflits au sein de ces espaces de pratiques ? Le non-respect des règles qui codifient la pratique est-il la seule manifestation de cette tension de plus en plus prégnante au sein des spots ? On formule l’hypothèse que le non-respect des règles de la pratique du surf est une manifestation des résistances mais qu’il ne saurait témoigner à lui seul de l’ensemble des contestations qui semblent plus profondes dans la mesure où elles mettent en jeu le rapport du surfeur à l’espace-vague. Plus encore, on avance l’idée que les résistances et contestations ne sont que l’expression d’un mal-être spatial qui dépassent le non-respect des règles de pratique du surf édictées par la Fédération Française de Surf (FFS) conformément à l’article 17 de la loi sur le sport du 16 juillet 1984 modifiée qui stipule que « dans chaque discipline sportive et pour une durée déterminée, une seule fédération agrée reçoit délégation du Ministère des Sports pour organiser, gérer et développer une pratique sportive et ses disciplines associées ».

La délégation de la FFS concerne l’ensemble des activités de glisse qui se déroulent dans les vagues, et plus particulièrement le surfboard , le bodyboard, le bodysurf , le kneeboard , le skimboard , le paddle board et le surf tracté . La Fédération Française de Surf précise même que « le Surf est donc un terme générique qui définit les activités de glisse pratiquées à l’aide d’un engin dans les vagues et il appartient à la FFS de codifier la pratique. Toute personne qui utilise l'énergie d'une vague à la recherche de sensations de glisse avec l’appui d’un engin inscrit dans la nomenclature des disciplines évoquées ci- dessus, peut donc être considérée comme un surfeur ». Pour des raisons de sécurité, l'accès

411 à la zone de baignade est contrôlée et des zones de pratique spécifiques sont balisées. Quelques règles dictent la pratique du surf (Figure 21). Elles sont établies par la FFS 226 et renforcent la législation en vigueur. Car, conformément à l’article L.2212-1 du Code Général des Collectivités Territoriales, le pouvoir de police des activités nautiques est conféré au maire qui prend des arrêtés municipaux concernant les conditions de pratique des activités nautiques sur sa commune afin « d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique ». Cela dit, la FFS rappelle que l’accès aux plages est libre et gratuit. Ce principe est souligné dans l’article L.321-9 du Code l’Environnement qui stipule que « l’accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de protection de l’environnement nécessitent des dispositions particulières. L’usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines ». L’interprétation, sans doute justifiée, de la direction technique nationale de la FFS est la suivante : « en application des principes généraux du droit, la pratique du surf est donc libre sur tout le domaine public maritime ou fluvial, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante cinq jours par an sauf si une interdiction s’y oppose… La pratique du surf se pratique d’abord aux risques et périls du particulier même si l’article L.2212-1 du Code Général des Collectivités Territoriales fait peser sur les collectivités une obligation générale de sécurité. Ce point est repris par l’article L.2213-23 du même code qui dispose qu“hors des zones et périodes définies, les baignades et activités nautiques sont pratiqués aux risques et périls des intéressés” ».

Si le pouvoir de police incombe au maire, la FFS précise qu’il est interdit de surfer dans la zone de baignade surveillée. Par ailleurs les principes généraux relatifs à la réglementation spécifique au surf rappellent que les surfeurs doivent assistance à toute personne en danger, qu’il est vivement déconseillé de surfer par temps d’orage et dans certaines zones susceptibles de donner lieu à des attaques de requins 227 . Au-delà de ces principes de bon sens, le règlement rapporte que les règles de priorités sont établies par la

226 Fédération Française de Surf. Direction Technique Nationale, cadre réglementaire de la pratique du surf et des activités de vague s, 2007, 82 p. 227 « Un surfeur expérimenté a été attaqué par un requin. La victime âgée de 38 ans, responsable d'une école de surf, se trouvait dans l'eau en compagnie de plusieurs autres surfeurs en dépit d'une interdiction de baignade signifiée par la présence d'un drapeau rouge, selon un communiqué de la préfecture ». http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/09/19/97001-20110919FILWWW00594-reunion-un-requin-attaque- un-surfeur.php . À l’issue de cette attaque, les décisions d’interdiction de toutes activités nautiques arrêtées par le préfet de la Réunion Michel Lalande avaient suscité la colère des surfeurs réunionnais.

412 Fédération Française de Surf, conformément à la délégation de pouvoir pour organiser et réglementer la pratique du Surf accordée par le Ministère des Sports (Figure 21). Les règles de priorité ont vocation a garantir la sécurité des pratiquants et à prévenir tout conflit. La première règle précise qu’il ne doit y avoir qu'un seul surfeur par vague à moins que deux surfeurs n'empruntent sans se gêner des directions radicalement opposées. Dans le cas où une vague déferle dans une seule direction c'est le surfeur situé au plus près de la zone de déferlement de la vague qui est prioritaire pour toute la durée de son surf. Un surfeur qui a pris possession de la vague est prioritaire sur un surfeur qui rame vers le large. En conséquence, le surfeur qui remonte au large doit contourner la zone de surf. Des règles complémentaires et caractérisées « de convivialité » complètent ces dispositions réglementaires. Lorsqu'un surfeur, placé le plus au pic, au point initial de take-off a pris possession de la vague, il est prioritaire de la vague pour toute la durée de son surf, même si derrière lui un autre surfeur fait un take-off dans la mousse. Si au point initial de take- off, la droite et la gauche sont aussi valables l'une que l'autre, la priorité reviendra au premier surfeur en action qui fera une manoeuvre dans la direction choisie. Un deuxième surfeur peut donc partir dans la direction opposée sur la même vague : lorsque deux pics séparés bien précis, éloignés l'un de l'autre, se rejoignent à un endroit quelconque de la vague, bien que chacun des surfeurs soit à la position le plus au pic, à l'approche d'un point de rencontre, ils ne doivent pas se croiser et sortir de la vague afin d'éviter tout risque de collision. Un surfeur placé le plus au pic ne doit pas être gêné par un autre surfeur qui rame pour prendre la même vague. En cas de risque de collision, il est toujours conseillé au surfeur prioritaire de passer derrière le surfeur gêneur et non pas devant lui et de faire le maximum pour l'éviter. Le surfeur gêneur fera tout son possible pour tenir sa planche en passant sous la vague et non pas, en la repoussant vers le surfeur prioritaire. Enfin, le règlement fédéral rappelle que l'article L.1384 du Code Civil précise que toute personne est responsable des choses dont elle a la garde ou qu'elle utilise concluant donc que le surfeur qui heurte un surfeur ou un baigneur est donc présumé responsable de l'utilisation de sa planche.

413 Figure 21 : Les règles de priorités établies par la FFS

Source :

Fédération Française de Surf - Brevet d’animateur fédéral, Édition SurfingFrance , p 32-33.

414 Ainsi, le surfeur le plus à l’intérieur, c’est-à-dire le plus proche du point de déferlement de la vague, a la priorité sur les autres. De même, le premier debout sur la vague aura la priorité. En revanche, même si ces règles tacites codifient la pratique, les tensions subsistent entre les différents usagers. En effet, certains surfeurs se revendiquent comme locaux d’un spot , c’est-à-dire que leur pratique est non seulement annuelle, mais bien souvent exclusivement spatialisée sur une vague où ils s’octroient des privilèges et passent outre les règles de bonne conduite. On dérive alors vers l’appropriation d’un territoire dont l’accès reste ouvert mais dont certains usagers réguliers de l’espace en question s’octroient des prérogatives. D’autres types de conflits existent autour de l’enjeu spatial que matérialise la vague. Certains surfeurs discriminent les étrangers au spot qu’ils nomment les « go-home ». Les autres glisseurs considérés moins valeureux pour affronter les éléments car munis d’accessoires telles que palmes pour les body-boardeurs , pagaies pour les waves-skieurs , voile pour les fun-boardeurs , moteur pour les jet-skieurs , et les surfeurs d’un moins bon niveau, soit les « SNI : Surfeurs Non Identifiés » font également l’objet de discriminations. Ces discriminations envers les étrangers, les autres glisseurs ou les « SNI » sont certes préjudiciables pour le monde de la glisse, mais restent, pour le moment du moins, l’apanage de quelques surfeurs marginalisés au sein de la population glisse. Ces conflits permettent tout de même de démontrer que la vague est un espace de convoitises et d’enjeux spatiaux nouveaux.

On est alors en droit de s’interroger sur les motivations individuelles qui habitent ces surfeurs. Car, « le localisme serait pour certains un mal rendu nécessaire par la fréquentation toujours croissante des spots. Pour d'autres au contraire, aucune circonstance ne justifierait les dérives d'une poignée de locaux autoproclamés. Thèse et antithèse. Les locaux violents se comportent comme des ultralibéralistes, des antisociaux et des individualistes, comme ces patrons d'hôtels avec leurs plages privées qui chassent les malheureux touristes perdus sur les plages a la recherche d'un miniscule espace de liberté, le surf n'a pas besoin de gros cons. L'esprit du surf est en danger. Les aquafachos sont en train de prendre le pouvoir ! La violence se banalise. Le surf n'est plus que le reflet de la société “terrestre”. Alors que dans la vie politique l'extrême droite recule, cette dernière progresse inexorablement au line-up. Le localisme, ou du moins certaines de ses manifestations, c'est de la xénophobie et du protectionnisme primaire. Ces deux notions

415 appartiennent au registre de l'extrême droite et des fascistes 228 ». Néanmoins, pour dépasser la critique, parfois sévère adressée à l’attention des surfeurs locaux et pour comprendre, sans pour autant légitimer, leurs violences, une hypothèse peut être avancée. Cette revendication spatiale du territoire éphémère répondrait d’une volonté de préserver les qualités que les surfeurs confèrent aux lieux dans la mesure où ces espaces de pratique constitueraient les derniers remparts d’une « habitabilité de l’espace en poète ». Bien entendu, afin de valider cette hypothèse, il convient de réaliser des entretiens auprès des surfeurs qui adoptent ces réactions violentes. En effet, voient-ils en ces « SNI », qui ne peuvent se targuer d’une pratique annuelle qui suppose abnégation, courage et assiduité dans la pratique, des adversaires potentiels qui s’inscrivent davantage dans une pratique démocratisée, dépourvue de toute l’essence du surf et qui compromettraient l’avenir du surf en engendrant une surpopulation au sein des espaces de pratique ? Voient-ils en ces « SNI » des adversaires potentiels qui limitent la diversité de leurs actes gratifiants ?

Les concepts développés en éthologie semblent valider cette hypothèse. Konrad Lorenz révèle qu’il « existe un type d’ordre social caractérisé par une forme d’agression : c’est la lutte collective d’une communauté sur une autre ». Ses études ont révélé que la présence d’étrangers sur le territoire provoque au cœur de la communauté envahie une « agressivité intraspécifique ». Celle-ci participe du renforcement communautaire, effectif « lorsque les individus sont capable de réagir sélectivement à l’individualité de leurs voisins » (Lorenz, 2000 :156), mais assure également l’hégémonie de la communauté remportant la confrontation. Mais, il s’agit de ne pas s’arrêter à la surfréquentation des spots pour analyser ces comportements déviants. L’analyse serait trop simpliste. C’est pourquoi, on se propose d’analyser plus profondément l’origine des contestations et des résistances exprimées par les surfeurs en prétendant que leurs contestations et résistances territoriales s’enracinent dans la manière dont ils perçoivent leurs espaces de pratique et l’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics. Par conséquent, ce chapitre examine les différentes formes de contestations et de résistances des surfeurs qui ne seraient se résumer au seul localisme.

228 http://www.terredesurf.com/2008/02/blog-post_02.html . [Page consultée le 15 décembre 2011].

416 6.1 Quand les surfeurs parlent du surf

À l’instar des politiques publiques portées par le Conseil général des Landes en faveur des sports de nature et plus particulièrement du surf, de nombreuses collectivités locales mobilisent le surf dans le cadre de la définition de leur identité territoriale. Les travaux de Christophe Guibert ont permis de mettre en évidence les différentes logiques qui sous-tendent ces constructions territoriales articulées sur le surf (Guibert, 2010). Néanmoins, comment les surfeurs perçoivent-ils ces formes d’appropriations sociogéographiques du surf par les pouvoirs publics ? Les réponses formulées par Jérôma apportent quelques éléments d’interprétations : « Le surf aujourd’hui développe l’économie locale. On a Quik, Rip-Curl, mais ce développement dénature un peu tout. Si il y a autant de monde, c’est parce que l’image du surf est véhiculée que ce soit à travers les médias ou la pub. Les compétitions sont un outil pour faire valoir les marques d’autant plus qu’elles sont un super spectacle télévisuel. En revanche sur la plage, ce n’est pas comme dans un stade. On ne voit pas bien, le champs visuel est vaste, mouvant et les règles en compétitions sont difficiles à comprendre. Les compétitions donnent aux gens présents l’illusion qu’ils appartiennent à un groupe, celui du surf. Ils cassent leurs quotidiens en projetant leurs fantasmes sur le désir d’appartenance au monde du surf. Les vrais surfeurs sont rares lors de ces compétitions. Et puis, les aménagements, ce n’est pas terrible : les douches, les parkings, c’est pourri de mettre les parkings si près. Moi, c’est le côté environnement qui me gène le plus. Ils ont défiguré la nature. Regarde le VVF. Tu vois, le surf est un vecteur de communication énorme. Ils se sont appuyés sur cette image de la région au même titre que la pelote, le golf, la montagne. En ce moment le surf tient même une place plus importante que la mer, la pelote, la montagne ou le golf. Le surf modifie l’image touristique. Les surfeurs qui sont à l’eau attirent d’autres gens. La région a dénigré le surf et les surfeurs pendant des années et elle récupère aujourd’hui l’image du surf parce que c’est un positif pour elle. Ici, ils cherchent ça et ils y parviennent en créant une sorte de légende du surf. Pour le business c’est pareil. Toute l’économie s’y est greffée. Les boites de surf utilisent l’image commerciale de l’avancée technologique pour l’utilisation de nouveaux matériels alors qu’ils sous-traitent. L’essor du surf sur la côte basque s’est accéléré par les facilités d’accès contrairement à la Bretagne. La côte aquitaine a toujours été un lieu touristique et offre les plus belles conditions de surf en France. Tu m’étonnes qu’avec ce potentiel, ils aient tous eu les crocs ».

417

Vincent reconnaît, en qualité de président d’un club de surf landais, que les collectivités encouragent également le développement de la pratique des jeunes. Il avoue volontiers : « On en profite. C’est un compromis. Il faut accepter que pendant quatre mois il y ait du monde pour, après, profiter les huit autres mois. Moi, je comprends ça parce que c’est mon business. Mais, les autres, y pètent un câble. C’est comme sur la route, ils sont violents, y’ a une mauvaise ambiance dans l’eau ». Il admet que l’intention première consiste à « faire venir du monde ». On lui demande ce qu’évoque chez lui l’affiche promotionnelle établie par le Conseil Régional d’Aquitaine qui met en scène un surfeur au cheveux longs et muni d’une planche de surf. Il rigole : « C’est Brice de Nice ce type !!! C’est ça l’idée de la région : faire venir des Brice l’été qui viennent sur la plage cramer des biffetons en pouvant se la raconter surfeur de retour à Paris ». En d’autres termes, ces deux premiers témoignages illustrent le fait que les surfeurs interrogés pensent que l’institutionnalisation des territoires du surf est avant tout réalisée à des fins de développement économique et touristique. Celle-ci induirait une surfréquentation des spots que les surfeurs stigmatisent et qu’ils imputent aux pouvoirs publics et aux grandes firmes de l’industrie de la glisse. Pour la plupart d’entre eux cette institutionnalisation des territoires du surf et cette mobilisation des images du surf ne répondraient que d’un simple business, voire exclusivement d’un business.

6.1.1 Le business, rien que le business

Francis Distinguin, ancien Directeur Technique National de la Fédération Française de Surf entre 1990 et 2007 raconte l’histoire du développement de l’industrie du surf. « Dans les années soixante-dix et quatre-vingt quelques surfeurs ont décidé de monter un petit business pour vivre à proximité de la plage. Le succès de ces “beachboys” ne s’est pas longtemps fait attendre. Leur botte secrète aura été de gérer leur entreprise avec leurs valeurs et leurs convictions de surfeurs et de rester à l’écoute des surfeurs de la base. En deux décennies, l’industrie du surf a créé des milliers d’emplois directs et indirects et généré plusieurs milliards de dollars. Ces entrepreneurs ont pu acquérir une forte crédibilité et préserver la fidélité de leur clientèle en étant à l’écoute d’une jeunesse dopée par des stratégies de marketing basées sur les valeurs “cool” et authentiques du surf. Ces

418 entreprises du surf ont réussi ainsi à embrasser l’ensemble du champ des pratiquants en adoptant des stratégies performantes qu’il est intéressant de décrypter. En effet, cela supposait en interne de développer et de maintenir une certaine porosité au sein de l’entreprise en évitant de monter des murs trop étanches entre les différents départements (finance, design, produits, fabrication, marketing, vente…). Les valeurs du surf, partagées entre les employés et la direction de ces entreprises, ont ainsi largement contribué au succès, à la légitimité et à la notoriété de ces marques. Ces entreprises n’hésitaient pas à décréter une petite pause surf, le temps d’une session bien méritée lors de conditions de vagues exceptionnelles. Rien de tel pour créer une ambiance partagée autour de valeurs communes et motiver ses troupes. Il semble qu’un des éléments clef du succès des compagnies majeures du surf concerne leur capacité à créer un lien fort avec la base des surfeurs dans une relation “peer to peer” (individu à individu) leur permettant d’écouter leurs attentes et d’observer les nouvelles tendances. Ainsi ces entreprises ont su engager la base des pratiquants et ceux qui partagent les mêmes valeurs dans une relation de fidélité à long terme. Elles ont compris que leur marque se définit d’abord par ce qu’en disent les surfeurs ».

En revanche, Francis Distinguin souligne que ces logiques managerielles et entrepeunariales sont appelées à disparaître. Il précise « qu’en période de crise, les entreprises du surf devront intégrer que la valeur de leur marque n’appartient plus à la compagnie mais au marché. La valeur d’une marque appartient désormais au marché et non plus à la compagnie, même si la compagnie reste le support indispensable pour créer cette valeur. La marque dans ce sens vit en dehors de l’entreprise, non plus en son sein. La crise financière pourrait inciter certaines entreprises à remonter des murs au sein de leur entreprise et à tenter de reprendre possession de leur marque. Mais celle-ci ne leur appartient plus depuis longtemps, notamment celles qui sont cotées en bourse. Leur coeur pourrait balancer du coté d’actionnaires inquiets sensibles aux chiffres plutôt que de prendre le pouls de la base des “core” (authentiques) surfeurs. Le véritable danger se situe peut-être là. Une base plus éveillée, moins crédule et susceptible de se mobiliser pourrait leur reprocher de ne plus être en phase avec leurs valeurs annoncées et abandonner leurs premiers amours. On touche là aux aspects stratégiques intangibles des entreprises du surf. Avec la crise, le consommateur remet en question la valeur des marques ». Francis Distinguin évoque donc le rejet que pourraient exprimer certains

419 surfeurs à l’égard du surf business. Dans ce contexte, il précise que « les clients sont en quête de nouveaux repères : plus que jamais ils rejettent le superflu, seules les valeurs sûres tirent leur épingle du jeu. Une société comme Rip Curl positionnée historiquement sur des valeurs liées à la quête de la vague (“the search”) tente d’affirmer sa sensibilité sur les aspects environnementaux. De même, une entreprise comme Billabong affiche en première page de son site son initiative charitable “Design for Humanity” qui à la suite du thème sur l’eau dans les pays pauvres en 2009 développe en 2010 des actions en faveurs de ces “enfants invisibles” en Afrique. La plupart des entreprises du surf affirment des valeurs supposées interpeller et fidéliser leur clientèle. Certaines n’hésitent pas à créer des fondations pour développer des actions en phase avec ces valeurs et se donner une image irréprochable. Pour le client la difficulté est d’identifier les marques opportunistes de celles qui portent une réelle conscience environnementale. Dès lors, il n’est pas étonnant que le retour de leur investissement sur les aspects environnementaux se fassent attendre car la clientèle ne dispose pas encore aujourd’hui de réelle visibilité comparative entre les entreprises. À terme, les entreprises devront résister à la tentation d’abandonner leur propre histoire et valeurs qui ont fait leur succès pour suivre des tendances et des modes par un marketing offensif sans réellement porter en interne et en externe les valeurs sur lesquelles elles communiquent 229 ».

L’analyse de l’ancien DTN de la FFS est sans concession. Francis Distinguin laisse sous-entendre que la politique des entreprises du surfwear en faveur de la préservation de l’environnement ou du développement d’actions humanitaires consiste, ni plus moins, à se racheter une conscience et à éveiller celle des acheteurs potentiels en espérant que ces valeurs les poussent à faire l’acquisition de leurs produits. Mais Francis Distinguin souligne également que les surfeurs ne sont pas dupes et qu’ils font la part des choses. Autrement dit qu’ils saisissent bien l’enjeu immédiat de ces opérations de communication : « business is business !!! ». Les propos de Thomas Joncour, surfeur professionnel situé en marge des compétitions majeures, semblent donner raison à Francis Distinguin. En effet, le surfeur breton, interviewé pour la sortie d’un film dont il est le principal protagoniste répond au journaliste qui lui demande « s’il pense que le surf-biz part à la dérive ? » : « Oui, je pense que le surf tout en entier part à la dérive… Je sais, je vais avoir l’air

229 http://blogs.mediapart.fr/blog/francis-distinguin/160610/surf-business-and-core-values . [Page consultée le 9 janvier 2012].

420 nostalgique mais c’était mieux avant ! Tout le monde s’arrache sa part du gâteau et des marques qui n’ont rien à voir avec le surf essaient de se placer pour presser le fruit ! J’ai commencé le surf avec des planches en résine bien mortes quand j’avais sept ans. Chaque mec à l’eau avait son style et des histoires à raconter... Je trouve qu’avec tout ce business et la mentalité en France, l’avènement du Bic et des board chinoises, le surf perd en saveur et se pratique comme le foot, à heures fixes pour beaucoup. Sans chercher à progresser, à s’ouvrir, à voyager, à se demander ce qu’il y a derrière tout ça, ce qui donne à ce sport cette saveur si particulière 230 ... ».

Lorsqu’il évoque la démocratisation du surf, Lilian affirme qu’il « est devenu un loisir de masse bâti par les locaux. Ce sont les locaux qui ont monté les écoles de surf, les surf shop, les surf camps et les gîtes étapes surf. Maintenant, sur la côte aquitaine, tu dors chez le local qui t’emmène surfer là où il faut. Ils sont donc responsables de la surfréquentation de leurs propres spots. Ils sont les responsables de la notoriété de leur spot et de l’afflux de touristes. C’est donc difficile pour eux de critiquer le monde et de pourrir l’ambiance à l’eau car c’est maintenant leur gagne pain. J’hallucine sur le développement des écoles de surf. C’est de la chaîne alimentaire : les plages sont transformées avec des drapeaux. Dans tous les sens des lycras jaunes, verts, bleu, rouge à l’eau tu te croirais dans la cage à ballons de Mac Do. De plus le localisme s’est fait submergé par la diversité des pratiques et des pratiquants. Pour exemple à Parlementia où je surfe régulièrement quand il y a une quarantaine habituelle de personne à l’eau dont deux pirogues Hawaïennes de sept mètres de long, trois stand up paddle, une quinzaine de longboard, des shorts bords, des bodyboards, deux écoles de surf, le tout avec la moitié d’espagnols et des Allemands. Et bien c’est surprenant mais l’ambiance à l’eau est très bonne car personne n’a plus la légitimité exclusive du spot. En vendant leur spot les locaux ont aussi vendu leur titre de propriété et se doivent de garantir la convivialité à l’eau faute de quoi dans une ambiance pourrie, leur business ne serait pas aussi lucratif ! T’imagines un peu le dawa si quand les écoles de surf débarquent à Parl, on leur faisait comprendre qu’il faudrait qu’elles dégagent… De plus les “locaux canal historique” de notre génération, ont tous des enfants. Ils peuvent se retrouver avec leurs familles autour de ces valeurs de partage sur le spot et même dans des événements comme le Fathers and

230 http://www.trimline-mag.com/content/les-d%C3%A9rives-de-tom-joncour . [Page consultée le 9 janvier 2012].

421 Sons à Guéthary. Maintenant, les trois-quarts de vans/camping car sont occupés par des familles de surfeurs alors qu’avant c’était que des vans de chevelus. Maintenant qu’ il y a toute une famille à équiper donc un intérêt d’autant plus grand à acheter malin ; j’ai d’ailleurs constaté l’importance de l’avancée de la grande distribution : Tout le monde est en tribord ». On présente alors à Lilian une affiche promotionnelle établie par le Conseil régional d’Aquitaine afin de savoir si Lilian se reconnaît dans cette figure du surfeur. Voilà ce qu’il répond : « la dernière fois que j’ai surfé au Porge, y’avait même plus d’eau dans les douches. Franchement, quand tu vois qu’ils mettent du surf à toutes les sauces moi ça me fout les boules. Arrivé l’hiver y’a plus rien pour les roots. Le surf c’est moi, le surf c’est nous. Ils se foutent de notre gueule ».

Mais Lilian n’est manifestement pas le seul à dénigrer le surf-business. En effet, d’autres surfeurs témoignent de leur agacement face à la médiatisation du surf et la main mise des grands groupes issus de la filière glisse. En témoigne ces réactions glanées sur Internet : « Cet été j’ai assisté à un truc vraiment étrange. Comme à mon habitude ma petite famille et moi étions donc en vacances sur la côte Landaise. À grand renfort de publicité je fus attiré par une soirée sur la plage centrale d’Hossegor. Le spectacle annoncé était une compétition de surf nocturne. Bon ok, les enfants du groupe étaient chauds bouillants pour sortir, pourquoi pas ? Arrivé sur les lieux je me rend compte que cela tiens plus du show qu’autre chose. Deux grands drapeaux délimitent la zone de la pseudo compétition. Par équipes : Rip Curl, une team de locaux et une autre aux couleurs du bar co-organisateur de l’événement. Petit hic il n’y a pas de houle ou pas assez pour les airs pourtant tant promis par les speakers ! Qu’à cela ne tienne, deux jets propulseront les surfeurs dans les 50 centimètres du shore break. Premier constat : les speakers jouent de paradoxes en demandant aux compétiteurs de bien faire gaffe à eux et en leur réclamant des airs avec réception dans une eau à hauteur de genoux. Pour info le prize-money était de quatre mille dollars. La zone pour la compétition étant, éclairage oblige assez limitée, j’ai bien pensé plusieurs fois assister à des rencontres chocs. Bon heureusement pour eux, ils s’évitèrent de justesse plusieurs fois. Les commentateurs dévoués à la cause de Rip Curl n’eurent de cesse de mentionner la marque sponsor de l’événement avec des je cite le “meilleur équipementier du monde”, “la plus grande marque de surf”… Bref ils faisaient leur boulot. Là où cela commence à me faire étrange c’est que ce soit une marque de bière Carlsberg qui s’associe à cet événement, remarquez cela semble logique vu que ce soit un bar qui soit à l’initiative du projet. Ok. Tiens les deux jets sont eux aux couleurs de Red

422 Bull. Cela fait beaucoup de marques cela mais bon il faut bien payer l’événement et le prize. J’étais devant une des plus grande mascarade commerciale de surf que j’avais jamais vu avec deux Jets qui tournaient comme des branques depuis déjà plus d’une heure et un représentant de Surfrider venait me rappeler qu’il fallait que je respecte la mer, la plage… Le pire c’est que cela n’avait pas vraiment l’air de le déranger du tout au gars qui semblait vraiment motivé dans ses paroles. Par contre j’ai souri quand autour de moi j’ai entendu que je n’étais vraiment pas le seul à manifester mon étonnement voir mon amusement du paradoxe de la situation. Bien sur cela n’enlève en rien les performances des surfeurs qui elles étaient surprenantes vu l’état du spot et la difficulté, j’imagine, de surfer de nuit. Mais bon sans jouer au puritain du surf ni à l’écolo outré ce truc m’a paru bien étrange… et loin de mon surf à moi 231 ». Ce témoignage d’un surfeur blogeur dont le pseudonyme est Pipeau explicite la vision de certains surfeurs à l’égard de la marchandisation du surf. La plupart ne se reconnaissent pas dans cette mise en scène qui leur apparaît comme éloignée de leurs pratiques et de leurs visions du surf. On pourrait multiplier les exemples de surfeurs qui dénigrent le surf-business. Mais l’intérêt ne consiste pas à dresser une liste à la Prévert. Ces quelques témoignages illustrent malgré tout la perception de certains surfeurs à l’encontre du surf-business. Nombreux sont ceux qui ne se reconnaissent pas dans les valeurs véhiculées par les industries du surf et par la mise en scène du surf par les pouvoirs publics.

6.1.2 « Je ne suis pas ce surfeur sur papier glacé… »

Certains surfeurs ne manquent pas d’autodérision. En atteste cette image, glanée sur un site Internet de surfeurs, qui illustre la manière dont les surfeurs imaginent comment les autres les pensent (Figure 22). Sur le site, on peut lire que : « Voici résumé en quelques images le décalage qu’il peut y avoir entre ce que l’on s’imagine des surfeurs, ou ce qu’ils pensent eux-mêmes de leur personne, et la réalité. Les amis imaginent le surfeur qui raconte ses exploits comme un pro. La maman du surfeur se l’imagine en train de surfer en toute sécurité. La société a encore l’image du surfeur hippie fumeur de cannabis. La petite amie a peur que le surfeur se fasse attaquer par un requin. Le surfeur lui même se croit

231 http://www.surfrepotes.fr/forum/articles-interviews-surf/le-surf-et-ses-paradoxes-t1988.html . [Page consultée le 30 novembre 2011].

423 parfois très fort, quand il ne se prend pas pour Kelly Slater…La réalité est souvent beaucoup moins glorieuse. En surf comme dans d’autres domaines, ce sont souvent ceux qui en parlent le plus qui en font le moins 232 … ». Cette image témoigne du fait que les surfeurs ne sont pas dupes des représentations sociales qui pèsent à leur encontre. Pour autant, partagent-ils cette image caricaturale ? Les surfeurs sont-ils ces surfeurs représentés sur papier glacé ?

Figure 22 : Quand les surfeurs imaginent ce que les autres imaginent d’eux

Source : http://blog.surf-prevention.com/2012/02/15/le-decalage-entre-la-representation-du-surfeur-et-la- realite/ . [Page consultée le 18 février 2012].

Lilian évoque le fait qu’il ne se reconnaît plus aujourd’hui dans la présentation médiatique de la figure du surfeur. Il stigmatise volontiers la surenchère induite par la

232 http://blog.surf-prevention.com/2012/02/15/le-decalage-entre-la-representation-du-surfeur-et-la-realite/ . [Page consultée le 18 février 2012].

424 diffusion de l’information : « j’ai constaté que de très nombreux débutants avaient la petite caméra fixée devant leur malibu. J’avance que c’est du fait du bourrage de crâne médiatique. Regarde, dans la pub, même les voitures surfent !!! Il faut surfer parce que c’est “in” et pour prouver à mes amis que je suis “in”, je me filme en train de patauger dans 40 cm…et je l’envoie du camping le soir même à mes 15 000 amis virtuels de face de bouc grâce à mon téléphone… Je pense que là on s’éloigne vraiment du Poète du lieu de ton ami philosophe puisqu’on ne pense plus à profiter de l’instant présent mais déjà à ramener un souvenir. Le plaisir de l’instant est parasité par les gestes nécessaires à l’allumage de la caméra juste avant le take off et à penser à l’éteindre après. Encore une fois on privilégie le paraître à l’être. À des fins pédagogiques je vois l’intérêt de filmer depuis la plage mais si cela se démocratise trop cette intrusion technologique parasitaire va dénaturer le lieu. Avec pleins de camera dans tous les sens sur la vague, tu as l’impression d’être au cœur d’un jeu de télé réalité que tu peux pas zapper et qui est devenu la réalité… Mais alors où est la nature dans tout ça ? ». Une chose est sûre nous dit-il « si être surfeur, c’est ça alors je ne suis pas surfeur ». Si l’on décrypte les propos de Lilian, celui-ci surfe, non pas pour paraître, mais bel et bien pour être. Il n’a pas besoin de se mettre en scène, de témoigner à grands renforts de supports iconographiques, pour exister à travers sa pratique du surf. Son leitmotiv est de communier avec la nature, de savoir profiter de l’instant présent, de pratiquer le lieu en y instillant sa poésie et en ressentant ce que son immersion dans l’eau provoque comme sensations agréables.

Lilian n’est pas le seul à ne pas se reconnaître dans cette image caricaturale du surfeur véhiculée dans les médias. « Il est de bon ton de dire que le surf n'est pas réductible à une simple pratique sportive mais constitue un mode de vie, une façon de voir le monde. Bref, une philosophie, “the surfing way of life”, “only a surfer knows the feeling”. Une des clés du succès du surf a pu tenir dans l'image “babos” que celui-ci véhiculerait. Dans l'inconscient collectif, le surfeur serait un hippie, un mec à la cool qui fume des pétards et écoute du reggae. Il refuse la marchandisation de la société et ses choix sont guidés par l'assouvissement de sa passion, ce qui est original. Ainsi donc le surf serait une contre-culture, une alternative à la toute puissance de la société de consommation et à ses diktats... Et mon cul serait du poulet. Tandoori ? 233 ». Ce témoignage illustre le fait que certains surfeurs ne se reconnaissent absolument pas dans

233 http://www.terredesurf.com/2008/02/blog-post_02.html . [Page consultée le 12 janvier 2012].

425 l’image médiatique véhiculée sur les surfeurs. En effet, nombreux sont ceux qui stigmatisent cette image du surfeur rebelle, refusant la société de consommation, faisant usage des drogues douces, guidé dans ses choix par la satisfaction immédiate de ses propres désirs, voyageur au long cours en quête de vagues exotiques…

Anto, reconnaît « qu’à trop surfer, tu deviens con. Moi, dans cette monoculture je deviens con ; je réfléchis moins bien parce qu’à parler que de surf, tu mets des œillères. Le surf te “ghettoïse”. En trip par exemple, à reproduire le mythe du surfeur voyageur qui cherche sa vague, tu ne vois rien de la culture locale. Tu vas pas me dire, c’est quoi un boat trip ? En boat trip, t’es un négrier, t’exploite de la misère tiers-mondiste ! ». Manifestement Anto ne se reconnaît donc pas dans cette image du surfeur véhiculée dans la presse spécialisée. Pourtant les caricatures ont la peau dure. À titre d’exemple, le site Internet Yahoo lance une consultation afin de savoir si « les jobs les plus cool le sont-ils vraiment ? ». Le sujet est diffusé en début d’année 2012 à l’attention de ceux qui, parmi les bonnes résolutions de début d’année, auraient fait le choix de tout plaquer pour expérimenter le bonheur de l’existence y compris au sein de l’univers professionnel. Voilà comment le sujet est traité : « Puisque vous n'avez pas encore gagné au loto et que vous n'avez pas la chance de mener la vie de jet-setter que seuls peuvent se permettre quelques riches héritiers, il vous faut donc bien penser à choisir un métier. Si vous êtes allergique au costume cravate gris anthracite et à l'enfermement entre quatre murs durant huit heures par jour, pourquoi ne pas opter pour un job en rapport avec vos goûts et dont l'exercice serait presque assimilable à un loisir ? Passons en revue quelques métiers qui font envie ». Parmi les emplois passés au crible permettant de rompre avec ce que le journaliste présente comme l’ennui quotidien, celui de surfeur professionnel est évoqué. Le journaliste présente alors les conditions requises pour occuper ce nouvel emploi : « Vous aimez la plage, le soleil, les embruns et les sports de glisse. Parfait, le surf est fait pour vous 234 ! ». Incontestablement, le journaliste oublie de dire combien l’eau est froide sur les littoraux français, combien il est difficile d’affronter les éléments marins, combien il est nécessaire d’adapter un tant soit peu son mode de vie pour s’accommoder des rythmes de l’océan… Là encore, le surf est présenté sous son meilleur jour c’est-à-dire une pratique de loisir, au bord de la plage, sous un soleil de plombs dans des lieux paradisiaques.

234 http://fr.finance.yahoo.com/actualites/jobs-cools-vraiment-132209885.htm . [Page consultée le 6 janvier 2012].

426

Lorsqu’on demande à Jérôma de s’exprimer sur sa perception du surf, il déplore le fait que : « C’est l’image du rêve qui est véhiculée. Le beau corps sculpté par la mer qui respire la santé, la plage toute l’année, les jolies filles. C’est l’antithèse de ce que vivent tous les jours les gens. Car pour eux, c’est plutôt la grisaille, les murs de leurs bureaux ou du métro. Avec le surf, on vend de l’évasion pour contrecarrer le manque qu’il y a dans la société. Au début, les gens ont découvert le surf. Ils ont appréhendé cet aspect de nouveauté et l’ont au départ rejeté. Ensuite, le surf s’est civilisé notamment avec la mode vestimentaire du surf. Aujourd’hui être un surfeur, c’est être à la mode donc cela véhicule une image positive. Du coup le surf devient un sport, et s’inscrit dans une démarche d’activité qui sociabilise ». On le questionne afin de savoir si il a le sentiment d’appartenir à la communauté surf. Malgré sa passion pour le surf et les années de pratique, Jérôma affirme qu’il n’a absolument pas le sentiment d’appartenir au monde du surf. « Je ne sens pas comme appartenant à une communauté, car je ne partage plus le côté compétition qui consiste à donner la meilleure image de soi en dehors. Maintenant, c’est beaucoup de m’as-tu vu. Ils instaurent un dialogue qui n’est pas ce à quoi j’adhère. Avant, on partageait quelque chose de commun qui se traduisait par le plaisir d’aller à l’eau ensemble. C’était la sensation agréable de partager quelque chose à l’eau d’établir un relationnel. On était là pour vivre des bons moments. On attendait le bon moment de la marée et ces heures d’attente nous permettaient de communier dans le silence ou dans des délires qui constituaient nos moments de bien-être. On partageait des moments intenses ensemble. Ca faisait du bien. Alors que maintenant, les gamins courent à l’eau et ce n’est plus celui qui prend la vague, mais celui qui en prend le maximum sans se dire “putain, mon pote à côté il surfe moins bien je pourrais lui laisser prendre une vague”. Et le mec il sort, il est content de lui, c’est la star. C’est devenu un lieu de compétition. C’est d’ailleurs pour cela que je recherche les voyages et des destinations où il y a quelques vagues bonnes. L’été ici, j’ai du mal. Je préfère faire l’effort d’aller dans les Landes, là où y a pas un chat ». Jérôma développe donc des stratégies spécifiques pour échapper à cette démocratisation du surf qu’il stigmatise à bons comptes.

Quant à Arnaud, il déplore que les surfeurs soient assimilés à des écologistes. Car, précise-t-il, « en fait, les surfeurs dégradent l’environnement. Regarde un peu les matières utilisées : la résine polluante pour fabriquer les planche et les combis, les déplacements en bagnole et les émissions de CO2. Ça parait roots [comprendre authentique] le surf dans les

427 magazines et dans les pubs mais, en vari, c’est pas si roots que ça ». Arnaud insiste : « le surf est présenté comme un truc cool, mais en fait, c’est un sport où t’as un tas de connards. Les mecs sont de véritables antisociaux. Ils sont agressifs au pic. Tout ce que peuvent dégager les surfeurs sur le spot, c’est du négatif. Ils veulent que ce soit leur spot. Dans l’eau, ils ont un plaisir nombriliste, et plus ça croit plus ils deviennent antisocial. Leur kif, c’est prendre les meilleures vagues. C’est ça tout le côté négatif ».

Les surfeurs interrogés éprouvent donc de grandes difficultés à se reconnaître dans la mise en scène iconographique du surfeur. Nombreux sont ceux qui déplorent les représentations caricaturales qui sont faites du surfeur sur papier glacé, dans les médias et les publicités. Arnaud ajoute même qu’au final, « cette ambiance pourrie à l’eau a diminué mon intensité de pratique ». Il ajoute que désormais, « j’ai moins envie de me rendre dispo pour ça. Je cherche des sessions de qualité sans trop de monde. Je fuis les surfeurs qui s’agglutinent ensemble ». Ainsi, peuvent s’enraciner des résistances et des contestations face à la démocratisation de cette discipline sportive.

6.2 Quand les surfeurs parlent des pouvoirs publics

Jérôma a débuté le surf dans les années quatre-vingt. Il se souvient de ses premières sessions non sans quelque nostalgie. Il précise que désormais et compte tenu de la démocratisation du surf et du nombre de pratiquants dans l’eau, « on a dépassé un seuil et on est obligé de structurer pour pouvoir gérer, sinon cela devient un endroit de non droit mais dans le mauvais sens du terme ». Il reconnaît donc la nécessité que les pouvoirs publics interviennent. Il présente également la mer comme « un lieu de partage pas seulement pour les surfeurs, mais c’est aussi un lieu pour les touristes, les enfants, les baigneurs. Il y en a qui aiment nager, d’autres délirer avec des bouées. Chacun son truc ! ». En évoquant l’appropriation sociogéographique du surf par les pouvoirs publics, Jérôma évoque qu’il est fataliste : « Moi, je suis fataliste ! C’est inexorable, tu n’as pas le choix. Au départ, j’ai ressenti de la haine. La première fois où l’on s’est viré du premier club, on a tous eut de la haine. Il y en a même qui ont cassé le club alors qu’à l’intérieur il y avait des peintures qu’on avait nous-même réalisées. On a tout pété. C’était en 1995. Aujourd’hui, ce local a été cédé par la municipalité. Notre club est maintenant un surf

428 shop qui loue des board. Pourtant, ce surf-club était le plus vieux club de France. En fait, au début, il y avait plein de petits clubs partout comme au VVF, aux cavaliers, même à Bayonne … La mairie a souhaité centraliser tous ces clubs au sein d’un même local. Le problème c’est que les responsables politiques nous ont complètement exclus de cette démarche. Nous n’avons jamais participé à cette initiative. On n’a pas eu le choix. On a perdu toute l’atmosphère qui existait au sein des clubs ». Jérôma évoque la relocalisation de l’ Anglet Surf Club . Aujourd’hui, les locaux associatifs se situent au sein de « l’espace de l’océan ». Cet édifice, totalisant une superficie totale de 450 m !, réhabilité en 2007 par la municipalité, dispose d’une capacité d’accueil de 350 personnes. Plus de trois millions d’euros ont été investis dans le cadre d’une mutualisation des investissements publics (communauté d’agglomération Bayonne-Anglet-Biarritz, Conseil régional d’Aquitaine et Conseil général des Pyrénées-Atlantiques). La ville présente les atouts d’une telle infrastructure : « L’espace de l’océan bénéficie d’une situation exceptionnelle. Le bâtiment art déco, néanmoins résolument contemporain, offre une vaste salle, une terrasse “les pieds dans l’eau” et un toit terrasse qui surplombe l’océan. Il est un lieu privilégié pour l’organisation de réceptions, congrès et autres évènements sur la côte basque 235 ». Le bâtiment est municipal mais l’office de tourisme de la ville dispose d’un contrat de délégation de service public pour une durée de cinq ans afin de valoriser l’utilisation des lieux.

Lionel tient à préciser qu’il « n’est pas encarté dans un club », condition requise selon lui pour apprécier l’effort des collectivités locales en faveur de l’accompagnement de la pratique du surf. Cela dit, il ajoute que « quand tu vois l’augmentation du nombre de surfeurs, ça en fait du touriste. Or, qui dit touristes, dit revenus, dit monde, dit business. C’est la société de consommation ». Il s’autorise une comparaison : « Quand tu sais que le gouvernement indonésien étudie les retombées économiques et l’impact du surf sur l’île de Nias, tu te dis qu’y a pas de raisons qu’ici ce ne soit pas pareil. Ici, le surf fait un gros buzz. On te vend l’image de marque du territoire. Pour le commun des mortels, le surf c’est quoi ? Le surf c’est libertaire, c’est une image de jeune. Le surf, c’est une poule aux œufs d’or. T’as des jeunes, des champions qui prennent des risques dans des vagues de dingo. C’est moteur pour la hausse de la fréquentation. Le but, c’est vendre. Vendre un t- shirt, une planche, un voyage, un séjour sur la côte ».

235 Anglet magazine , n°88, septembre-octobre 2007, p 7.

429 6.2.1 La stigmatisation des néophytes

Vincent précise qu’il est « dans le monde du surf. La culture, l’art, la musique, j’ai choisi la culture surf et pas la pêche, la chasse ou le rugby ». On lui demande de qualifier ce qu’il appelle la culture surf. Au lieu de définir ce qu’il entend dans l’usage de ce terme, il rétorque : « On s’est fait déplacer et dépasser. À cause des marques de surf. Les images commerciales surf montrent que le surf c’est plus accessible. Si le surf est reconnu en France comme discipline c’est par les marques ». Il ajoute : « À cause d’eux ça devient n’importe quoi. C’est un sport à la mode alors qu’avant les gens venaient à l’océan pour se baigner. Maintenant ils viennent pour un stage de surf. Mais c’est pas comme à la montagne où les bons sont sur les pistes noires, ou rouges, les moyens sur les bleus, les débutants sur les vertes et les gosses sur une luge. À l’eau, tout le monde est au même endroit ». Il qualifie l’ambiance estivale à Vieux-Boucau : « y’a trop de monde à l’eau. J’ai des potes qui ne surfent plus à Vieux-Boucau. J’ai des copains qui tapent ou sortent les types de l’eau. On est tous mélangés. Alors ils vont dans la forêt. Pour garder le tissu associatif des surfeurs locaux tu peux t’accrocher ». On lui fait remarquer qu’il parle des autres mais lui, comment réagit-il à ce qu’il présente comme une surfréquentation estivale ? « L’été je surfe même plus. C’est hyper dur mais c’est comme ça et ce sera de pire en pire. Moi, dans mes manœuvres, je me décharge mais si je fais des manœuvres, je suis en conflit avec les débutants parce qu’ils ne sont pas attentifs à mes mouvements et me pourrissent la vague. Du coup tu rates l’occasion de te détendre et de te défouler. Tu te fais braquer donc c’est frustrant. Faut dire que je ne me contente plus d’une vague sans rien faire, y faut absolument que je fasse des manœuvres. Aller à l’eau ne me suffit plus, j’aimerai revenir au début pour me contenter de peu ».

Les surfeurs interviewés stigmatisent donc les débutants dont la présence à l’eau serait à l’origine de leurs frustrations. Ils précisent que les débutants les empêchent de pouvoir pratiquer la vague, donc d’explorer le caractère ontologique induit par cette spatialisation accomplie par l’acte de glisse. Henri souligne un paradoxe : « le surf est vendu par les pouvoirs publics comme une pratique non-institutionnelle. C’est vendu comme l’activité rebelle par excellence. Je n’avais pas conscience de ça avant de m’installer ici ». On lui demande de préciser ce qu’il entend par « conscience de ça ». Ses réponses fussent : « Les marques et les gens qui vendent et vivent de l’image du surf. Les

430 revues, les éditeurs, les villes. Ils te vendent ce rêve parce qu’ils vivent de ça. De l’extérieur, je ne voyais quasiment rien. Mais maintenant je suis conscient de la volonté de structuration et d’intervention sur ce domaine. Leur objectif est de développer l’activité, de structurer et d’encadrer les pratiquants, d’entretenir sur des lieux géographiques cette image du surf pour amener une fréquentation, pour promouvoir la région. Regarde, les mairies sur le littoral réglementent l’accès et veulent gérer les conflits et les accidents. Pour la région, le surf fait partie de son image ». On lui propose d’interpréter ce que lui inspire l’affiche promotionnelle éditée par le Conseil général des Landes, présentée dans cette recherche dans le chapitre précédent. Il répond que l’on voit « du sable et des vagues. Cette stratégie est tournée vers la mer et c’est pour renforcer l’activité en juillet et août, pour parler aux surfeurs à l’année où ceux qui souhaiteraient s’installer et développer des choses par ici. Le résultat, c’est la surfréquentation à l’eau ».

L’interprétation des surfeurs est donc la suivante. Les pouvoirs publics seraient, en partie, responsables de la démocratisation de l’activité. En accompagnant le renforcement de l’offre touristique axée sur le segment de la découverte de l’activité surf, en codifiant et en réglementant les espaces de pratique, en mobilisant des images où le surf apparaît comme une discipline sportive ludique et accessible, les acteurs publics susciteraient le désir de nombreux néophytes à l’idée de faire du surf. Cela dit, les surfeurs interrogés ne stigmatisent pas seulement la présence des apprentis surfeurs. Ils soulignent également dans quelles mesures l’institutionnalisation des territoires du surf engendre la surfréquentation des spots . Non sans faire preuve d’ironie, les surfeurs utilisent alors un jargon bien spécifique pour qualifier cette surfréquentation des spots. Ils disent « la Chine », en écho à la densité de population au sein de ce pays, pour qualifier ce qu’ils présentent comme « le monde à l’eau ».

6.2.2 Quand l’espace vague devient « la Chine »

Carole évoque volontiers sa stratégie lorsque le spot est fréquenté : « On se prend le spot. On s’étale au line-up. C’est notre stratégie pour pouvoir prendre des vagues. T’occupes l’espace quand t’es avec des amis ou en club de manière à ce qu’il y ait toujours l’un d’entre-nous qui soit prioritaire ».

431

On demande à Jérôma de préciser la manière dont il perçoit cette question de la surfréquentation des spots . Il répond que « le problème ce n’est pas tant ce gars là. Le problème c’est quand tu es déjà dix à l’eau, puis quinze et le lendemain vingt. La chine quoi ! Au final ton espace de liberté est restreint, donc tu réagis forcément négativement. C’est la même logique avec les bodyboardeurs, car pour eux le surf est vachement plus accessible. Le néophyte, celui dont personne ne reconnaît la gueule à l’eau, qui ne sait pas surfer, celui-là tout le monde le jette. On arrive facilement à le dénigrer. Il nous fait chier, ça c’est sur. La réaction c’est de se demander ce qu’il vient foutre ici. Dans la mesure où il ne sait pas surfer, il ferait mieux d’apprendre ailleurs. Notre espace de liberté est déjà suffisamment restreint. On le partage déjà avec les mecs qui surfent pas trop mal donc on sait se respecter et respecter l’espace de liberté de chacun. À partir de là il n’y a pas de problèmes, ni même d’ambiguïté. En revanche, le néophyte, c’est comme un grain de sable dans l’engrenage. Ca peut vite dérailler. Du coup, on a une espèce de mission car comme tu fais partie d’un groupe tu dois coller à l’image du groupe. On devient solidaires. Au début, on n’était pas nombreux donc on avait un espace de liberté totale où chacun pouvait s’exprimer tant le peintre que le poète. Chacun s’exprimait dans son domaine. Il n’y avait pas de limites. Petit à petit tous ces groupes se sont étouffés. Toutes ces personnalités, pour vivre ensemble et en harmonie, se sont fondues dans le groupe. Le discours est “qu’est-ce qu’ils nous font chier tous ces touristes”. Dans l’eau c’est le bordel à cause d’eux. Tu deviens agressif, c’est comme un réflexe. Le groupe se donne une image, une structure dans lesquelles les individus se hiérarchisent notamment par rapport à leur niveau de glisse. Il y a des conflits parce que tu veux la même vague que l’autre. Finalement, le néophyte apaise le groupe parce que tout le monde se fédère autour de lui, tout le monde focalise sur lui et on a alors une vérité commune que l’on partage. Par exemple, l’été on fait souvent les méchants. Quand on arrive à virer un gars du spot qui ne sent pas à l’aise et bien, on était tous content. Après cet événement on s’éclatait. la session devenait bonne. On partait tous sur la même vague alors qu’avant cet événement on voulait chacun prendre la meilleure vague. La session devenait beaucoup plus fluide, beaucoup plus cool ».

Lionel stigmatise également la surfréquentation des spots dont les entreprises privés et les collectivités territoriales seraient, en partie, responsables. « Vingt cinq péquins à l’eau, ça te pourrit la session. Là j’peux te dire que t’es plus heureux. Quand la plus belle

432 n’est pas pour toi et que c’est l’autre qui l’a, ton plaisir est diminué. T’es frustré et tu sors des sentiments beaux du surf pour tomber dans le localisme et truc et machin et tu deviens débile ». Par conséquent, Lionel déplore l’augmentation de la fréquentation sur les vagues dans la mesure où la présence d’autres surfeurs réduit sa capacité à prendre du plaisir en glissant sur la vague. « Maintenant, t’as beau connaître la région, le fonctionnement des spots, avoir un avantage pour anticiper la houle, le vent, la marée mais t’as toujours un pingouin pour être sur le spot. Et en attendant, t’as beau anticiper, il est là le type et tu te retrouves toujours avec des petsouilles dans l’eau et comme par hasard celui qui apprend est en plein milieu de là où tu voulais être. Ça devient du slalom ».

Les surfeurs nourrissent un rapport particulier à l’espace vague. Pratiquer l’acte de glisse est donc une manière d’habiter l’espace en poète. Surfer est alors un acte intentionnel qui préside à la spatialisation. Néanmoins, on a mesuré combien l’espace- vague comporte, dans le discours des surfeurs, une dimension symbolique forte. Il est un espace de liberté, immaculé, auréolé d’une fonction mythique. Or, la mise en œuvre de politiques publiques qui survalorisent le surf engendre des formes de résistances et de contestations de la part des individus surfeurs. Rares sont ceux qui se reconnaissent dans l’image médiatique du surfeur. D’autre part, la plupart des surfeurs interrogés reconnaissent que la démocratisation du surf, la fréquentation des spots empiète sur leur capacité à faire usage du lieu-vague par l’intermédiaire de la glisse. Ils déplorent alors le fait de ne plus pouvoir vivre leur rapport à l’espace-vague en poète et fomentent pour y remédier des stratégies de contournements. Cela dit, quelle est la nature géographique de ces résistances et contestations ?

433 6.3 Essai de classification des résistances et contestations

6.3.1 La Mobilisation environnementale, mode de ménagement de l’espace vague

Lilian surfe depuis maintenant plus de vingt ans. Il nous dit que cette activité lui « procure du bien-être et du bonheur », « qu’elle l’apaise » et lui « évite de péter les plombs ». Il ajoute : « Tu vois, pour moi le surf c’est vital. J’en ai besoin. Si je ne surfe pas pendant deux semaines, je suis comme un furet en cage, je tourne en rond, je m’énerve pour un oui ou pour un non ». Lilian est originaire de l’Île de France. Il a grandi à Maison- Alfort et débute le surf au début des années quatre-vingt-dix. « Quand j’habitais sur Paris, on prenait la caisse avec des potes pour aller surfer le week-end en Bretagne. Même si les conditions étaient pourries, on s’en foutait ce qui importait c’était d’aller à l’eau. On squattait dans la bagnole avec nos duvets comme des gitans devant le spot à la côte sau [comprendre la Côte Sauvage à Quiberon] . L’avantage c’est qu’on était les premiers à l’eau avant même les locaux. Mais bon, à force ça coûte des ronds les allers/retours et après mes études, j’ai décidé de trouver un taf près de l’océan. Et puis, quand tu prends goût au surf, ça ne te lâche plus. T’as ça dans le sang ; t’en veux toujours plus. C’est comme une drogue. Plus tu surfes, plus t’as envie de surfer. Je ne postulais que sur la façade atlantique même si sur Paris, y avait de super opportunités. J’ai fini par trouver un job à Brest. Mon installation à Brest m’a alors permis de concilier les deux : surf et boulot ». Lilian est ingénieur de formation. Il travaille dans le champ des énergies renouvelables. Sa mission consiste à évaluer les incidences paysagères de l’installation des éoliennes et de promouvoir leurs installations. Il a conscience environnementale forte. Il est un militant depuis plusieurs années. Son engagement associatif est important et il est adhérent de plusieurs associations de défense de l’environnement. C’est donc tout naturellement qu’il est devenu adhérent auprès de Surfrider foundation Europe pour garantir « la survie des spots et leur propreté ». « Pour moi, la mer c’est vital, c’est même l’avenir de l’humanité. Quand tu vois ce qu’on peut faire avec les algues, les forces des marées, c’est clair que l’océan c’est l’avenir. C’est pour ça que je milite pour la protection des océans ». Néanmoins, en approfondissant les raisons pour lesquelles Lilian fait le choix d’une adhésion auprès de Surfrider Foundation Europe , on se rend compte que le

434 dessein environnementaliste de Lilian dépasse ce cadre pour déborder ce qu’Heidegger appelle « le ménagement de l’espace habité » c’est-à-dire cette opération qui consiste à « habiter, [à] être mis en sûreté, [qui] veut dire : rester enclos, dans ce qui nous est parent, c’est-à-dire dans ce qui est libre et qui ménage toute chose dans son être. Le trait fondamental de l’habitation est ce ménagement » (Heidegger, 1952 :175-176).

Car Lilian le concède volontiers. En effet, à la question « penses-tu être un bon écologiste ? », Lilian rétorque : « Bon c’est vrai que si je voulais être cohérent, je ne devrais pas faire autant de bornes en bagnole tout seul pour aller à l’eau, que je ne devrais pas prendre l’avion pour aller en Indo et contribuer aux rejets de CO2 pour mon seul kif perso. Là-dessus, tu as raison. Mais bon, je fais des efforts et je fais gaffe, je recycle, je trie mes déchets, je mange bio enfin commerce équitable quoi ! ».

- « Penses-tu alors qu’adhérer à Surfrider c’est vraiment agir pour la survie des spots et leur propreté dans leur globalité ou est-ce agir pour la survie de tes spots et de leur propreté ? »

- Lilian : « T’as raison, ce qui m’intéresse d’abord, c’est la propreté des spots ou je surfe. Je peux te dire que quand Surfrider publiait sa liste des pavillons noirs, les élus locaux flippaient grave. Eux qui communiquent à longueur de temps sur le surf et les surfeurs, ils prenaient une baigne et c’est pour ça que j’ai longtemps adhéré à Surfrider, pour que les élus qui utilisent l’image du surf et des surfeurs aient la pression pour que les spots soient clean. Je voulais qu’on nous respecte et pour moi, ça passait par la qualité des eaux de baignade. En adhérant, j’avais le sentiment d’être utile. J’ai même été à un moment un gardien de la côte. Je ramenais des prélèvements d’eau de mer réalisés sur les spots de Parlementia et des Alcyons où je surfe régulièrement pour être sur que les vagues soient clean et que je ne choppe des merdes genre sinusite, otites et autres conneries du genre. Surfrider qui avait son propre labo d’analyses s’occupait de repérer les anomalies. Mon objectif était de surfer sur des spots propres ».

Par conséquent, Lilian, en adhérant à Surfrider Foundation Europe ne souhaite pas seulement agir pour la survie des spots et leur propreté dans leur globalité mais plutôt pour la propreté des spots sur lesquels il surfe. Il entend ainsi préserver son espace de pratique et cette aspiration, aussi légitime soit-elle, témoigne d’une vision quelque peu individualiste

435 de l’engagement militant. Lilian le reconnaît volontiers : « C’est bien simple, quand Surfrider a arrêté les pavillons noirs, j’ai lâché l’affaire et n’ai pas repris mon adhésion. Maintenant, ils sont à la botte des élus locaux qui les instrumentalisent et se rachètent en leur filant du pognon une conscience environnementale et une image de ville propre. C’est comme la course à l’obtention du pavillon bleu. Quand tu connais les critère d’attribution, tu comprends que c’est du foutage de gueule ce pavillon bleu ». Cela dit, pour comprendre les propos de Lilian, un retour sur les actions conduites par l’association Surfrider Foundation Europe s’impose.

En 1990 Tom Curren est en passe de remporter un troisième titre de champion du monde de surf après ceux obtenus en 1985 et 1987. Ce surfeur américain se distinguerait des autres compétiteurs par son style de glisse, qualifié de très fluide par les observateurs et spécialistes de la discipline. De par son statut, il jouit d’une reconnaissance et d’une couverture médiatique sans précédent. Marié à une française, Tom Curren s’installe en France ; à Hossegor où il surfe régulièrement. En côtoyant les plages du littoral aquitain, le surfeur américain découvre que la qualité des eaux de baignade n’est pas toujours conforme et que les plages sont souvent en proie a l’arrivée massive de déchets flottants. Dès lors, Tom Curren décide de mobiliser toutes les énergies pour engager la lutte contre les diverses formes de pollution qui affectent les eaux littorales et les plages. En septembre 1990, sous l’impulsion de Tom Curren, est organisée du 24 au 30 septembre 1990 une compétition de surf sur le site de Menakos 236 en Espagne près de Bilbao. Cette compétition intitulée Planet surf initiative doit se dérouler dans des grosses vagues et réunir les meilleurs surfeurs professionnels. Malgré l’hostilité des surfeurs locaux qui refusent que la compétition soit organisée sur ce spot craignant sa démocratisation, celle-ci a tout de même lieu. L’objectif avoué de cet événement sportif, organisé en marge des épreuves traditionnelles, est de récolter des fonds pour financer la création d’une association dont l’objet est la défense de l’environnement. Compte tenu du charisme de Tom Curren, l’événement bénéficie d’une large couverture médiatique à travers les articles et les photographies véhiculés par la presse spécialisée. Très vite, il est apparaît que les enjeux de cette manifestation dépassent le cadre ponctuel de l’événement. À l’instar des militants de Greenpeace dont l’usage des zodiacs contribue à bâtir le mythe des justiciers de l’écologie (Lequenne, 1997 :24), les surfeurs utilisent leurs planches pour protester contre les diverses

236 Menakos est un spot réputé pour fonctionner par grosse houle et offre, lorsque les conditions sont requises, des vagues pouvant dépasser les quatres mètres.

436 pollutions qui menacent leurs espaces de pratique. La création de l’association Planet surf initiative apparaît plus que légitime et la nécessité d’engager une lutte pour la préservation des plages, des vagues et de la qualité des eaux de baignade s’avère être plus qu’indispensable pour tous les interlocuteurs présents à Menakos.

Dans le même temps, l’association Surfrider Foundation gagne en Californie un procès majeur contre deux papeteries jugées coupables d’enfreindre la loi en déversant des rejets extrêmement toxiques dans les affluents proches de leurs usines. Le procès est même l’occasion d’une révision des critères de normes quant aux rejets industriels énoncés dans le Clean water act établi en 1984 par les autorités sanitaires américaines 237 . Le succès de l’association écologiste composée de surfeurs est relayé sur le site de la compétition lancée par Tom Curren. Dès lors, après la compétition l’association Planet surf initiative est dissoute pour devenir en novembre 1990 l’association Surfrider Foundation Europe . Cette décision de ralliement à Surfrider Foundation est une opportunité de diffuser leurs actions là où la population surf n’a toujours pas été sensibilisée aux problèmes environnementaux côtiers.

Au cours de l’année 1991 les responsables de l’association organisent leur programme d’action. Il se décline autour de trois thèmes principaux. La dénonciation des macro-déchets présents sur l’ensemble du littoral aquitain, l’absence d’analyses tant bactériologiques que physico-chimiques pour établir la qualité des eaux de baignade, et la dénonciation des rejets polluants sont les principaux axes de mobilisation. En juillet 1992, réunis à l’initiative de Surfrider Foundation Europe , cent cinquante surfeurs rament sur l’Adour munis de leurs planches et de masques antipollution pour dénoncer les diverses pollutions dont font état les analyses des eaux du fleuve. La rédaction d’un journal associatif appelé « Planet surf initiative » voit le jour. L’association, connaît une certaine crédibilité dans le milieu du surf. La médiatisation d’images susceptibles de sensibiliser l’opinion publique et qui mettent en exergue la volonté des militants contribue à l’essor de la structure associative. En 1993, une enquête épidémiologique est envoyée à soixante quinze médecins de la côte basque afin que ceux-ci puissent s’exprimer sur les corrélations éventuelles entre la recrudescence de certaines pathologies infectieuses survenues durant la période estivale et la mauvaise qualité des eaux de baignade constatée le long des plages

237 Planet surf initiative, n°1, 1991, p 2.

437 situées entre les embouchures respectives de l’Adour et de la Bidassoa. Durant la période 1993-1995, l’association rassemble un nombre croissant d’adhérents, diversifie ses programmes d’actions et des antennes locales voient le jour en Bretagne, en Vendée, en Méditerranée et dans les Landes. Cependant, en 1995 des bouleversements interviennent au sein de l’organisme associatif. En effet, une scission s’opère entre les membres fondateurs et les personnes nouvellement impliquées dans le fonctionnement de l’association. Les premiers sont issus de la génération des années soixante dix et souhaitent faire de l’association un « carrefour d’énergies », un espace de communication et d’échanges acteurs de la gestion environnementale côtière, tandis que les seconds c’est-à- dire la « nouvelle génération » sont davantage orientés vers des préoccupations d’ordre pragmatiques, et s’éloignent des obédiences politiques jusqu’alors avouées par les membres fondateurs. Ainsi, Gilles Asenjo prend les fonctions de président qu’il occupe toujours. Peu à peu, de nouvelles actions sont entreprises dont l’établissement d’une liste de pavillons noirs à laquelle Lilian fait allusion.

À partir de 1997, l’association Surfrider Foundation Europe attribue aux communes littorales, dont la qualité des eaux est jugée médiocre, un pavillon noir . Ce pavillon noir répond à l’attribution par l’Office Français de la Fondation pour l’Éducation à l’Environnement en Europe, organisme associatif crée en 1983 et financé en grande partie par des subventions d’Etat, de pavillons bleus d’Europe , véritables éco-labels qui distinguent et valorisent les communes et les ports du littoral qui répondent à des critères d’excellence pour la gestion globale de leur environnement. En lançant les pavillons noirs , l’objectif de l’association Surfrider Foundation Europe est d’informer le public sur la qualité des eaux du littoral et de faire la lumière sur les critères qui permettent de déterminer l’octroi des pavillons bleus d’Europe. Peu médiatisé au départ, l’opération pavillons bleus suscite désormais l’intérêt des médias et les élus locaux des communes et des ports auxquels sont attribués ce label s’enorgueillissent d’une telle distinction et communiquent bien souvent cette attribution à des fins touristiques. Pour disposer du label, les communes littorales doivent déposer leur candidature auprès de l’Office Français pour l’Education à l’Environnement en Europe qui leur fait parvenir un questionnaire dans lequel figurent les résultats d'analyses quant à la qualité de leurs eaux de baignade. Sur la base de ces critères objectifs, l’Office Français pour l’Éducation à l’Environnement en Europe leur donne une première appréciation afin de permettre aux communes d’évaluer, dès ce stade, la qualité de leur candidature. Les analyses sont effectuées par des organismes

438 d’État et doivent répondre aux critères microbiologiques et physico-chimiques énoncés par la directive de la commission des communautés européennes du 8 décembre 1975 concernant la qualité des eaux de baignade. Les prélèvements sont effectués pendant la saison balnéaire Seules les zones où la baignade est autorisée par les autorités compétentes sont contrôlées 238 . Ces prélèvements sont communiqués à un jury national, composé d’experts du Conseil de l’Europe en matière d’éducation à l’environnement, réuni par l’Office Français pour l’Education à l’Environnement en Europe. Le jury est également attentif aux mesures prises dans les domaines suivants :

- Gestion des déchets : les communes doivent engager des opérations préventives (collectes des déchets encombrants, mise en place de déchetteries…), curatives (résorption des décharges brutes, des dépôts sauvages…), de propreté (nettoyage des plages, et des espaces naturels…),

- Gestion intégrée des espaces naturels : les communes sont fortement invitées à participer à la gestion des espaces acquis par le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, ainsi qu’à encourager des démarches visant à inscrire ou classer des sites remarquables pour assurer leur protection dans le cadre de la législation nationale ou des documents locaux d’urbanisme,

- Urbanisation et aménagement : les communes doivent fournir les éléments en leur possession concernant le Plan Local d’Urbanisme afin que le jury puisse apprécier les dispositions prises par les municipalités en matière de protection et de mise en valeur du littoral, ainsi que le traitement des projets urbains visant à la réhabilitation du milieu naturel et urbain.

D’autres critères sont pris en considération dans le cadre de l’attribution du pavillon bleu d’Europe tels que le degré d’équipement et de gestion des plages (poubelles, toilettes, douches, zonage de la baignade, ramassage des macro-dechets…), la participation des communes à la mise en place d’actions d’éducation, d’information et de sensibilisation à

238 Définition fournie par le Journal officiel du Conseil de la commission des communautés européennes du 05 février 1976

439 l’environnement 239 , ainsi que l’existence de structures municipales de concertation liées à l’environnement. Les communes dont les critères répondent aux exigences du jury national sont retenues par celui-ci et présentées au jury européen de la Fondation pour l’Éducation à l’Environnement en Europe. La liste complète des communes françaises lauréates est dévoilée aux médias à l’occasion d’une conférence de presse tenue au mois de juin de chaque année. Les communes font donc l’objet d’une promotion nationale et européenne dont les retombées touristiques ne sont pas négligeables. À cet égard, 78% des français interrogés affirment « avoir envie de passer des vacances ou un séjour dans une ville bénéficiant du pavillon bleu 240 ». Le pavillon bleu d’Europe constitue donc un éco-label qui distingue et valorise les communes et les ports du littoral qui répondent à des critères spécifiques en matière de gestion environnementale.

Cependant, l’association Surfrider Foundation Europe s’interroge sur la pertinence des critères retenus par la Fondation pour l’Education à l’Environnement en Europe pour l’attribution des pavillons bleus . L’association Surfrider Foundation Europe dénonce les conditions dans lesquelles sont attribuées les pavillons bleus d’Europe . En effet, l’association s’indigne du fait que les prélèvements ne soient effectués qu’en période de pleine saison touristique et qu’au sein des zones de baignade. De plus, les analyses des prélèvements reposent sur des critères uniquement bactériologiques et physico-chimiques dont seuls quelques paramètres sont retenus. L’association formule alors plusieurs propositions à la commission européenne concernant le projet de révision de la directive européenne relative à la qualité des eaux de baignade du 08 décembre 1975 jugée obsolète au regard des évolutions sociales quant aux pratiques sportives et de loisirs en milieu marin. En effet, les revendications de l’association Surfrider Foundation Europe sont claires. L’association souhaite engager une discussion sur la notion de baignade évoquée dans la directive. Les membres insistent sur le fait que doivent être comprises dans ce que recouvre le terme de baignade les activités nautiques impliquant une immersion telles que le surf et ses disciplines associées. L’association précise que certaines activités nautiques s’exercent parfois loin du rivage, dans des espaces peu ou pas fréquentés. Or, dans le cas d’une délimitation trop restrictive certains espaces, bien que fréquentés par de nombreuses

239 La présentation illustrée de cinq actions de sensibilisation est impérative. Un guide réalisé par l’Office Français pour l’Éducation à l’Environnement en Europe présentant les meilleures actions de sensibilisation à l’environnement est à disposition des communes candidates au label pavillon bleu d’Europe . 240 Office Français pour l’Éducation à l’Environnement en Europe . Dossier de presse du pavillon bleu 2011 des communes . 2011, p 5. En 2011, cent vingt communes disposent du label.

440 personnes, seraient susceptibles de ne pas être compris dans la zone de baignade. L’association insiste également sur la nécessité de redéfinir la notion d’usages locaux évoquée dans la directive européenne de 1975. Le fait de prendre en considération la pratique des sports de glisse aquatiques comme usage local aurait pour conséquence immédiate l’étalement des contrôles sanitaires sur les douze mois de l’année. Enfin, l’association Surfrider Foundation Europe souhaite élargir le panel de paramètres sujets aux analyses tels que les métaux lourds, le cyanure, les pesticides et les nitrates.

Dans l’attente des changements du texte législatif, l’association Surfrider Foundation Europe crée son propre label, le pavillon noir , pour informer l’opinion publique des réalités écologiques sur le littoral français. Face à l’attentisme des pouvoirs publics, l’association se substitue aux autorités compétentes et s’arroge le pouvoir d’établir seule des normes.

Ainsi, à partir de 1997, l’association attribue un pavillon noir aux communes littorales dont la qualité des eaux ne répond pas aux exigences sanitaires de l’association. Les critères concernant les résultats d’analyses des prélèvements sont bactériologiques et physico-chimiques. L’association s’appuie sur les rapports rendus par les services déconcentrés de l’État qui classifient leurs résultats en quatre catégories. La catégorie A est attribuée aux eaux de baignade de très bonne qualité. La catégorie B concerne les eaux de baignade de qualité moyenne. La catégorie C porte sur les eaux de baignade parfois polluées. Enfin, la catégorie D caractérise les eaux de baignade de mauvaise qualité. Ainsi, les communes, dont certains sites sont classés par les autorités en catégorie C ou D, se voient attribuer le pavillon noir de l’association. L’attribution des pavillons noirs est également fondée sur des données complémentaires. En effet, un questionnaire est envoyé à chaque adhérent. Ils peuvent par l’intermédiaire de celui-ci mentionner leur avis sur des thèmes tels que les déchets, l’aspect de l’eau, l’aménagement côtier. Bien que très subjectif, ce questionnaire permet d’élaborer un réseau de gardiens de la côte constitué des adhérents de l’association 241 . L’association entend développer chez ses adhérents un sentiment fort de participation aux actions entreprises. Ce questionnaire permet également de responsabiliser les adhérents, et de les rendre attentifs à leur environnement côtier. De plus cette opération est la seule parmi celles menées par l’association à nécessiter le

241 En 2000, l'association disposait de cent trente témoignages (soit environ 10% de retour de courrier).

441 témoignage actif des adhérents. Ainsi l’opération pavillons noirs est l’occasion de mobiliser tous les adhérents et de leur insuffler un sentiment de participation décisionnelle au sein de l’association. Enfin, pour affiner son analyse, l'association fait parvenir aux communes concernées par les pavillons noirs l'année antérieure un questionnaire. Ce questionnaire comporte quatre grands thèmes : l'assainissement, les déchets, les pollutions, la communication sur le sujet des pollutions. Les communes sont également invitées à faire parvenir à l'association tout document susceptible d'éclairer leur jugement. Après analyse de tous ces paramètres, l'association divulgue aux médias sa liste des pavillons noirs. Les journaux Le Monde et Sud-Ouest ont fait paraître des articles traitant des pavillons noirs . Suite à la divulgation de cette liste, l’association Surfrider Foundation Europe engage un dialogue avec les municipalités concernées afin de trouver des solutions pour endiguer la pollution. L'objectif de l'association est avant tout d'inciter les municipalités à se doter des moyens et des compétences pour lutter contre la pollution, de les encourager à assigner en justice les pollueurs, à réclamer des subventions étatiques. Il semblerait que l'attribution d'un pavillon noir à une commune incite celle-ci à agir puisque de cent dix huit communes concernées par le label associatif en 1998, seules quatre vingt quatre communes sont encore concernées en 2000 dont treize communes uniquement épinglées suite à la catastrophe provoquée par le naufrage de l' Erika .

Au milieu des années deux mille, l’association abandonne la divulgation d’une liste de pavillons noirs . Lilian, adhérent de la première heure, ne reconduit pas son adhésion puisque « l’abandon des pavillons noirs marque l’arrêt des opérations coup de poing. Surfrider est devenue la caution morale des élus locaux. Les expos de l’asso sont partout, sur toutes les compets, sur toutes les fêtes en rapport avec le surf » précise-t-il. Puis d’ajouter : « Tu vois, pour te donner un exemple, j’ai du mal à comprendre la pertinence de la présence de Surfrider au salon nautique de Paris-Versailles. On est quand même bien loin des pavillons noirs là ! ». Pourtant, en lui faisant remarquer que les statuts et l’objet de l’association n’ont pas changé, il avoue que ce qu’il lui plaisait à l’idée de représenter et défendre l’association c’était « d’agir concrètement pour améliorer la qualité des eaux des spots de la côte basque ». Depuis qu’il lui semble que les actions de Surfrider Foundation Europe ne répondent plus de ces objectifs, Lilian n’adhère plus à l’association. Par conséquent, le mobil d’agir en faveur de l’environnement n’est donc pas l’élément fondateur qui préside à son engagement bénévole et associatif. Incontestablement, le dessein est ailleurs. L’intention est autre. Elle consiste à préserver un

442 espace privilégié, un lieu pratiqué des menaces de pollutions. Ainsi, la mobilisation en faveur de la défense de l’environnement sous-tend bien une intention géographique : préserver des lieux spécifiques appropriés, pratiqué, vécus et habité en poète.

L’engagement militant s’exprime également à travers la défense d’un spot dont l’argument avancé pour lutter contre sa disparition consiste à mobiliser la question de la protection environnementale. Le courrier d’un collectif de surfeurs, mobilisés pour la défense d’un spot en Vendée, témoigne d’intentions géographiques qui dépassent les seuls enjeux environnementaux. En effet, même si la vague de l’embarcadère est présentée comme « un don de la nature », le discours bascule très rapidement sur le champ de la revendication sportive afin « d’avoir la possibilité de continuer de surfer cette vague ». Finalement, dans ce courrier de surfeurs adressé au Maire de la commune de La Tranche- sur-Mer, ce n’est pas tant la revendication de la protection d’un patrimoine environnemental qui transpire mais plutôt la volonté de pérenniser un espace de pratique sportive. Le collectif présente, en des termes quelque peu manichéens, les enjeux liés aux aménagements portuaires et plaisanciers envisagés par la commune : « c’est un véritable problème d’éthique que pose la question de détruire la vague de l’embarcadère, soit offrir aux adeptes de ce sport la possibilité de continuer de surfer cette vague soit détruire un atout naturel exceptionnel au bénéfice exclusif des plaisanciers ». Ils prétendent que la destruction de la vague aurait des conséquences environnementales majeures. Pourtant, c’est bien la défense d’un spot plus que la protection des qualités environnementales du site qui préoccupent les surfeurs concluant leurs propos en affirmant « notre spot est en danger ». En effet, si l’enjeu était essentiellement environnemental n’auraient-ils pas réaffirmé en guise de conclusion les incidences environnementales du projet d’aménagement ? Par ailleurs, si le site présentait de réelles qualités environnementales, ne peut-on pas s’interroger sur les incidences d’une surfréquentation de l’espace les jours où la vague fonctionne d’autant plus que les membres du collectif soulignent que « c’est la Chine les jours où ça fonctionne ».

443 « Surf, le spot de l’embarcadère en danger

La vague de l’embarcadère, située dans l’anse du Maupas, est un don de la nature pour tous les pratiquants du surf sur le littoral vendéen, c’est un spot de « replis » c’est à dire pour les non initiés un spot qui fonctionne quand les autres saturent par cause de trop grosse houle. Ce spot fonctionne surtout hors saison offrants aux locaux, à tous les surfeurs de la cote Atlantique et surtout aux plus jeunes une vague exceptionnelle de part la sécurité qu’elle offre. La possibilité de “faire le tour à pied” la rend facile d’accès à tous, quand elle fonctionne c’est une véritable “machine à vagues” offrant de très belles sections sur plusieurs centaines de mètres. La plupart des surfeurs locaux ont débutés sur cette vague et continuent d’y surfer hors saison, c’est un des atouts majeurs d’une commune tournée vers l’océan et vers ses jeunes. Le Stormrider guide (guide bible des spots) la définie comme un spot de repli légendaire, pas étonnant donc que ce y soit la Chine quand elle fonctionne, l’embarcadère c’est La Vague Tranchaise par excellence connue de tous les surfeurs de la cote Atlantique. L’anse du Maupas est une zone de mouillage, la zone d’embarquement pour le plaisancier est en dépit de tout sens marin, située sur la zone d’impact et de départ (line up) de cette vague. (Imaginons un passage piéton sur une autoroute). En raisonnant avec ce même sens marin ; Il suffirait pour que les plaisanciers embarquent avec plus de sécurité, de déplacer le chenal de départ des annexes vers le premier parking de la Grière. D’autre part la mise en place d’un système de navette depuis l’extrémité de l’embarcadère offrirait un vrai service auprès des plaisanciers. Ces systèmes permettraient aux deux groupes (surfeurs et plaisanciers) de continuer à ce partager l’espace en toute intelligence. Il est vrai que la plaisance représente un atout économique pour la commune, le surf et la glisse en est un autre générant de plus un vrai bénéfice induit pour la commune, peu de communes peuvent se vanter d’offrir toutes les activités de glisse sur leur littoral, il faut protéger ce capital. À ce niveau c’est plus un véritable problème d’étique que pose la question de détruire la vague de l’embarcadère, soit offrir aux adeptes de ce sport la possibilité de continuer de surfer cette vague soit détruire un atout naturel exceptionnel au bénéfice exclusif des plaisanciers, ce au détriment d’une activité offerte à tous permettant aux plus jeunes et au plus modestes de profiter de l’océan et d’intégrer les réelles valeurs éducatives du surf qui ont forgé et articulent bon nombre de vies parmi nous. Aujourd’hui, la Mairie de La Tranche suite à la demande de l’association Maupas Plaisance, a déposé une demande auprès de la DDE maritime pour la pose d’un brise lame à l’embarcadère, notre spot est en danger. Pour la défense de la vague et la création d’un comité de défense de l’embarcadère merci de signer notre pétition 242 ».

Là encore, à travers cet exemple, on peut mettre en lumière le fait que l’engagement environnemental n’est qu’un prétexte mobilisé à des fins de protection et de valorisation de l’espace vague habité c’est-à-dire le lieu investi, dès les premières heures de glisse, et

242 http://riderz.net/index.php?option=com_content&task=view&id=195&Itemid=1 . [Page consultée le 25 juillet 2011].

444 présenté comme « une véritable “machine à vagues” offrant de très belles sections sur plusieurs centaines de mètres ». En revanche, ce type de mobilisation en faveur de la protection des spots de surf en instrumentalisant le registre argumentaire de la défense environnementale porte parfois ses fruits. Ainsi, en Nouvelle-Zélande, dix-neuf spots majeurs ont été officiellement reconnus et protégés par décret par le gouvernement néo- zélandais. Le décret, adopté le 3 décembre 2010, dont le but est de prévenir un développement et une utilisation inappropriée des côtes afin de garantir la pérennité des spots de surf, traite de la qualité de l'eau, de la question des accès au littoral, et évoque la question des aménagements qui peuvent potentiellement altérer la propagation de la houle. Décliné en sept objectifs, le programme intitulé New-Zealand coastal policy statement 2010243 prévoit vingt neuf actions pour garantir la protection des surf breaks néo-zélandais. Ainsi, les autorités locales ont désormais pour contrainte de préserver le caractère naturel de la côte et son environnement. En effet, l’action seize – Surf breaks of national significance entend “ensuring that activities in the coastal environment do not adversely affect the and avoiding adverse effects of other activities on access to, and use and enjoyment of the surf breaks” . D’autre part, le gouvernement néo-zélandais propose une définition de ce que recouvre l’aire géographique entendue par l’acception surf breaks .

“Surf break is a natural feature that is comprised of swell, currents, water levels, seabed morphology, and wind. The hydrodynamic character of the ocean (swell, currents and water levels) combines with seabed morphology and winds to give rise to a surfable wave. A surf break includes the swell corridor through which the swell travels, and the morphology of the seabed of that swell corridor, through to the point where waves created by the swell dissipate and become non-surfable. Swell corridor means the region offshore of a surf break where ocean swell travels and transforms to a surfable wave. Surfable wave means a wave that can be caught and ridden by a surfer. Surfable waves have a wave breaking point that peels along the unbroken wave crest so that the surfeur is propolled laterally along the wave crest” .

Rédigé en concertation avec les membres de Surf Breaks Protection Society , le décret marque donc l’aboutissement du travail de sensibilisation des surfeurs néo-zélandais envers les acteurs publics afin que ceux-ci prennent en considération la sauvegarde de leurs

243 New-Zealand Government. New-Zealand Coastal Policy Statement 2010 . Wellington, 2010, 28 p.

445 espaces de pratique sportive. Néanmoins, ce processus de patrimonialisation de la vague reste très localisé et n’a pas encore vu le jour en France.

Quoiqu’il en soit, la mobilisation environnementale témoigne d’un dessein qui dépasse la seule sauvegarde de l’intégrité environnementale de l’ensemble de la planète. Leurs revendications environnementales sont pensées à l’échelle micro et consistent essentiellement à préserver l’intégrité environnementale d’un spot . Au final, les surfeurs entendent défendre la dimension ontologique du spot plus que ses spécificités environnementales. Rarement la préservation des espèces animales ou végétales est mise en avant. Les arguments mobilisés mettent davantage en lumière la farouche volonté de pérenniser la pratique sportive et donc de pérenniser la spatialisation qu’autorise la glisse sur le lieu-vague. Par conséquent, la mobilisation environnementale, entendue comme une forme de résistance et de contestations vis-à-vis des projets d’aménagement ou de la mauvaise gestion environnementale du littoral dont la compétence incombe aux acteurs publics, est une forme de « ménagement » au sens conféré à ce terme par Martin Heidegger. Les surfeurs en invoquant la protection environnementale de leur spot entendent surtout préserver leurs modes d’habiter l’espace-vague. Ils entendent demeurer en paix, soit être « préservés des dommages et menaces, préservés de…, c’est-à-dire épargnés, ménagés ». En effet, Martin Heidegger souligne que le « ménagement » est « quelque chose de positif, il a lieu quand nous laissons dès le début quelque chose dans son être, quand nous ramenons quelque chose à son être et l’y mettons en sûreté quand nous l’entourons d’une protection ». C’est la raison pour laquelle Martin Heidegger pense que « habiter, être mis en sûreté, veut dire : rester enclos, dans ce qui nous est parent, c’est-à-dire dans ce qui est libre et ménage toute chose dans son être. Le trait fondamental de cette habitation est ce ménagement » (Heidegger, [1954], 2001 :175-176). Or, que viennent signifier les surfeurs dans le cadre de leur mobilisation environnementale sinon qu’à travers leurs actions ils aspirent essentiellement à mettre en sûreté « l’être de leur habitation », qu’ils aspirent à « entourer d’une protection » le caractère ontologique de l’espace-vague habité ? Gaston Bachelard remarque pour sa part que « par les soins du ménage est rendue à la maison non pas tant son originalité, que son origine » (Bachelard, [1957], 2001 :75).

Ainsi, les revendications environnementalistes des surfeurs, généralement présentées comme une cause noble, peuvent également s’apparenter au phénomène Not In

446 My Back Yard – NIMBY dans la mesure où celles-ci consistent avant tout à préserver leurs intérêts particuliers, c’est-à-dire à garantir le potentiel surfique de la vague. Danny Trom souligne « qu’à l’intérieur des conflits environnementaux, deux sous-classes de conflits se distinguent en fonction de leur assise spatiale que le concept d’environnement noie dans une indistinction dommageable à l’analyse » (Trom, 1999 :32). La première sous-classe comprend des conflits non spatialisés en ce sens qu’ils portent sur un ensemble de nuisances définies comme des atteintes à l’intégrité corporelle. La seconde sous-classe se compose des conflits qui portent sur l’espace lui-même. Or, l’auteur précise que « la seconde sous-classe suppose que les personnes affectées soient situées historiquement et spatialement, qu’elles soient des êtres incarnés, définis par leur historicité, et engage les représentations du beau et du laid, du convenant et de l’inconvenant » ( Ibid :33). Or, Danny Trom souligne que « l’intérêt porté à l’argument NIMBY est alors d’un autre ordre : quand la controverse culmine, il fait peser sur les militants la contrainte la plus forte en mettant en doute le caractère justifiable en toute généralité de la revendication… Alors que l’argument NIMBY ramène la revendication de la nature à un simple prétexte, un paravent derrière lequel se cachent les intérêts inavouables, les militants devront transformer cette singularité qu’est la nature spatialisée, en une singularité d’intérêt général, en bien commun » (Ibid :40). Les surfeurs sont donc prévenus quant aux attitudes qu’il leur reste à adopter pour préserver la pérennité de leur espace-vague. Ils devront, non pas réaffirmer leurs intérêts particuliers à l’idée de défendre le caractère ontologique de la vague habitée, mais démontrer dans quelle mesure la défense de ce caractère ontologique de l’espace-vague relève d’un intérêt général.

6.3.2 Le trip surf ou la fuite pour renouer avec l’habitabilité de l’espace- vague ?

« Comme sa vie ne pouvait se concevoir que par le surf, Jaguen finit par rompre le charme qui l’empêchait de quitter le village pour enchaîner les voyages, tous aussi fameux les uns que les autres, à la rencontre des spots les plus exotiques » (Lafargue, 2009 :55). Voilà qui résume assez bien l’intentionnalité que recouvre le trip surf chez les surfeurs. Il s’agit d’aller à la rencontre des vagues. Lionel avoue « tirer un trait sur l’été ». Chaque année depuis plus de quinze ans, il part à la conquête des vagues indonésiennes. On lui

447 demande si ces trips surf relèvent d’une stratégie. « Clairement oui » répond-t-il. Ce que cherche Lionel durant cette migration estivale, c’est avant tout le fait de pouvoir surfer tranquille, « loin de la horde des touristes et des écoles de surf » présents sur la côte aquitaine durant la saison d’été. S’il concède que ces voyages autorisent une forme d’ouverture culturelle, Lionel reconnaît malgré tout que le but « c’est de se gaver de vagues jusqu’à plus soif ». Anto, Lilian et Edgar ont également voyagé en Indonésie à la recherche de vague. Lilian précise que « surfer à bloc, ça rassasie ». Il reconnaît également que ces voyages, dont le motif principal consiste à surfer le plus possible, témoignent du fait que les surfeurs sont « des branleurs, c’est comme si tu jouais encore à la marelle à quarante ans ». Lilian précise également que ces voyages lui permettent de capitaliser de l’expérience afin de « calquer l’expérience acquise en trip pour optimiser l’usage du spot sur lequel tu surfes régulièrement. Au retour, tu recalques ton référentiel d’expériences pour pouvoir surfer mieux et kiffer plus ». Le trip surf constitue donc un moyen de capitaliser de la technicité afin d’intensifier leur potentiel de découverte du lieu- vague en renforçant leurs aptitudes à glisser. Cela dit, Arnaud reconnaît que le trip surf dans ces conditions « n’est pas un bon moyen pour découvrir des personnes ».

Lorsqu’ils racontent leurs séjours, ils avouent peu côtoyer les populations locales. Anto avoue même que « le surf, ça ghettoïse ». Le trip surf consiste désormais à louer un bateau pour se rendre sur les spots situés au large pour rejoindre le reef là où les vagues déferlent. Dans ce contexte, les surfeurs passent leurs journées, retranchés sur leur bateau, à surfer. Les vagues rythment la journée. L’objectif avoué et d’en prendre un maximum en un minimum de temps. Les surfeurs vivent alors reclus et les contacts qu’ils peuvent avoir avec les populations locales se limitent à la présence des membres d’équipages. Anto précise que « lorsque tu pars en boat-trip, t’es un négrier, tu exploites de la misère tiers- mondiste pour ton propre plaisir et, au final, tu ne vois rien de la culture locale ». Certains d’entre eux sont donc bien conscients du fait que ces voyages ont un caractère exclusif. Le motif du voyage est le surf ; rien que le surf. Néanmoins, nombreux sont ceux qui renouvellent le départ dans la mesure où ils surfent des vagues de grande qualité dans des cadres paradisiaques. Mais ces voyages ne constituent en rien une ouverture culturelle. Ils sont un moyen d’éprouver en un temps restreint l’intensité de la glisse. Les surfeurs interrogés s’en expliquent. Edgar reconnaît que le but ultime est la quête de « vagues de qualité. On recherche la rentabilité. Le but c’est de surfer un maximum en un temps restreint avec un minimum de monde à l’eau. Moi, je fuis Bali parce que là-bas y’ a trop

448 de monde et que je veux surfer plus et découvrir à chaque fois de nouvelles vagues ». Anto tient à rebondir sur les propos d’Edgar : « on ne découvre pas un pays par le surf. L’économie est tronquée et le business se développe autour du surf. Maintenant, les côtes sont aménagées et tu as des surf camp partout en Indo ». Anto concède que le surf ne constitue plus son unique motif lorsqu’il est en voyage. Il choisit encore des destinations où la qualité des vagues lui laisse envisager la possibilité de surfer mais il avoue être à la recherche d’autres découvertes fondées sur la rencontre avec les populations locales et le patrimoine culturel et environnemental des pays qu’il traverse : « Mon dernier trip au Pérou, j’ai fait des trek en montagne au lieu d’attendre comme un con que la houle rentre. J’ai surfé mais je ne n’ai pas fait que ça. Ce fut une révélation. Maintenant, je ne pars plus en voyage qu’avec le surf en tête. Si je surfe tant mieux, si je ne surfe pas, je sais que je peux faire autre chose ».

Quoiqu’il en soit, en glissant sur les vagues du globe, les surfeurs renouent avec le processus de spatialisation. Ils quittent la surfréquentation des spots de la côte aquitaine en période estivale. Ainsi, ils ne souhaitent pas que soit réduit le potentiel ontologique induit par l’acte de glisse par la présence des néophytes ou par la densité de surfeurs à l’eau. Là encore, le trip surf constitue donc une forme de résistance et de contestation face à l’institutionnalisation des territoires du surf. En revanche, au-delà de ces trips surf accomplis en période estivale et qui constituent une modalité de fuite vis-à-vis de la surfréquentation des spots, on remarque que de nombreux surfeurs quittent les rivages hexagonaux en période hivernale au bénéfice d’un départ vers des destinations plus exotiques. Le trip surf poursuit donc deux objectifs. Le premier consiste à fuir la fréquentation estivale des spots sur la côte aquitaine pour se garantir d’éprouver le potentiel ontologique induit par l’acte de glisse sur des vagues exotiques et représentées comme vierges. Le second est le moyen de capitaliser une technique et gestuelle sportive sur des vagues dont la qualité est exceptionnelle afin de réinvestir ces progrès techniques sur les plages de la côte aquitaine. Ainsi, les surfeurs espèrent à travers le trip surf renforcer leurs capacités de glisse et par conséquent intensifier la découverte du lieu- vague. Cela dit, même si le trip surf constitue pour certains surfeurs une forme de fuite face à la surfréquentation des spots aquitains en période estivale, et un moyen de réinvestir les progrès techniques afin d’optimiser l’ontique spatialisation induite par l’acte de glisse, on ne saurait le réduire à cette seule dimension. En effet, le trip surf est aussi pour certains surfeurs un moyen de rencontre humaine, une ouverture culturelle… Là encore, tout

449 dépend la manière dont le voyage est appréhendé. Or, seules ces rencontres humaines, cette ouverture culturelle sont régulièrement mises en avant dans les magazines de la presse spécialisée. Appréhender la dimension ontologique induite par l’acte de glisse permet d’engager une réflexion plus approfondie sur les intentions des surfeurs qui transpirent lorsqu’ils accomplissent un trip surf .

6.3.3 Les revendications sont-elles spatio-identitaires ou d’ordre ontologique ?

« Dans l’eau, il y a ceux qui connaissent le spot, qui savent où et comment la vague va déferler, et il y a les autres. Ceux qui connaissent ont appris à connaître, à découvrir l’univers mouvant de là où ils surfent habituellement. De ce fait, naissent en eux un sentiment d’appartenance, un lien naturel avec la vague de “leur spot”. Et quiconque vient d’ailleurs lécher et altérer cette complicité, est plus ou moins ressentis comme un perturbateur » (De Soultrait, 1994 :220). Mais est-ce seulement la préservation d’une complicité que les surfeurs violents chercheraient à préserver ? L’enjeu n’est-il pas plus profond ? Ces surfeurs qui se targuent de connaître sur le bout des ongles les dynamiques hydromarines d’un espace marin sur lequel déferle une vague sont communément appelés « les locaux » dans le monde du surf. Ainsi, tout étranger qui viendrait s’aventurer sur le spot d’un local s’exposerait à la violence de ce dernier. Mais qu’exprime cette violence entendue comme une forme de résistance et de contestation ? On a démontré combien le rapport des surfeurs au lieu-vague relevait d’une dimension ontologique. Surfer est un moyen d’être au monde par l’acquisition d’une spatialisation rendue possible à travers la mobilisation de la poésie permettant la mesure du lieu (chaos) et sa transformation en espace (cosmos). L’acte de glisse, processus de « cosmisation » du lieu-vague, sous-tend l’appropriation du lieu-vague qui se métamorphose en espace-vague. Spatialisé, l’individu habite le lieu, qui n’est non plus un chaos, mais devient un cosmos, une bulle, dirait Peter Sloterdijk, au sein de laquelle l’individu trouve de quoi se blottir dirait-on pour paraphraser Gaston bachelard.

L’analyse des conflits dans l’univers du surf a déjà fait l’objet de recherches. Olivier Trey a démontré les logiques qui sous-tendent ces conflits (Trey, 1995 :79-86). Il a

450 mis en exergue cette opposition entre locaux et étrangers au spot, entre surfeurs pratiquant à l’année et néophytes, entre les générations de surfeurs, entre les différents pratiquants d’une activité glisse dont les modalités dépendent du support utilisé : planche courte (short-board), longue ( longboard ), voile, debout, allongé ( bodyboard). Cette classification des conflits observés à l’eau ne souffre d’aucune contestation. La modélisation qu’il propose à travers une synthèse schématique intitulée « sphère des conflits sur la vague » est régulièrement citée en référence dans les travaux sur le surf (Figure 23). Son analyse des conflits est donc très pertinente et témoigne d’une connaissance fine des pratiques et disciplines associées au surf. Néanmoins, à l’instar de l’ensemble des contributions réunies par Jean-Pierre Augustin dans le cadre de la publication en 1994 de l’ouvrage intitulé « Surf atlantique, les territoires de l’éphémère », Olivier Trey analyse davantage le comment que le pourquoi. Il explique davantage comment se manifestent les conflits que les raisons profondes qui poussent les surfeurs à adopter ces comportements déviants. Même s’il examine avec beaucoup de lucidité et de distanciation les raisons qui opposent les membres d’une communauté glisse, Oliver Trey n’évoque jamais les raisons profondes de ces conflits. Avancer l’idée que la surfréquentation et le monde à l’eau est source de conflits comme seule clé de lecture n’informe pas suffisamment sur ce qui poussent certains surfeurs à revendiquer une forme de territorialisme et à se montrer violents. Là encore, le fait de comprendre que la présence de l’autre altère l’opportunité de glisser et plus encore d’autoriser le passage du lieu-vague à l’espace-vague, rendu opératoire à travers l’acte de spatialisation, est une interprétation nouvelle. Le territorialisme serait alors non plus seulement un rejet du surfeur néophyte, non expérimenté, étranger au spot, non munis du même engin de glisse, mais bel et bien le moyen de préserver le potentiel ontologique du lieu-vague permettant d’éprouver son existence à travers le fait d’habiter l’espace-vague en poète.

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Figure 23 : Sphère des conflits sur la vague

Source : Trey, 1994 :81.

Autrement dit, cette forme de résistance serait davantage l’expression de la sauvegarde d’intérêt propres que la stigmatisation de l’autre. Un renversement des regards pourrait s’opérer lorsqu’il s’agit de saisir la profondeur du territorialisme pour dépasser la définition proposée par Roger Brunet, Robert Ferras et Hervé Théry qui l’appréhendent davantage comme un « mauvais usage de la territorialité, dérive par laquelle on survalorise un territoire d’appartenance, au point d’en exclure toute personne considérée comme étrangère, et éventuellement de l’étendre au détriment des voisins » (Brunet, Ferras, Théry, 1992 :481). Mais, si tel est le cas, comment, et surtout pourquoi, se manifeste le territorialisme des surfeurs ?

452 - Le « secret spot »

Jusqu’à la fin des années quatre-vingt dix et avant la médiatisation des vagues rendue possible par la mobilisation des communautés de surfeurs sur Internet244 , les revues de la presse spécialisée préservent secret la localisation géographique des vagues dont elles publient les photographies. La mention « secret spot » ne permet donc pas de savoir où déferle la vague dont la photographie met en valeur les atouts et les charmes. Plus encore, la préservation du caractère secret de la localisation géographique suscite la quête de certains surfeurs qui se prennent à rêver de mettre la main sur ces vagues secrètes. Parmi ces vagues dont la localisation est préservée secrète malgré la publication de photographies dans les revues de la presse spécialisée, celles concernant les côtes marocaines figurent en bonne place. L’une d’entre-elles plus particulièrement suscite les convoitises. Il s’agit d’une vague qui se situerait dans les environs de Safi. Les publications de cette vague secrète mettent en scène un surfeur dénommé Laurent Miramon (Photographie 10). Les commentaires accompagnant la diffusion de la photographie nomment la vague de Safi « le jardin » conformément au choix sémantique consacrée par Laurent Miramon présenté alors comme celui ayant découvert de cette vague splendide. La photographie est magnifique et la vague est sublimée par l’aisance de Laurent Miramon dont le positionnement témoigne d’une maîtrise technique sans faille.

244 De nombreux sites Internet renseignent les surfeurs sur la localisation des vagues, leur fonctionnement, leur accès, leur niveau d’expertise requis… Ces sites Internet sont fondés sur le partage des informations entre les surfeurs. Chacun peut répertorier une vague, diffuser une photographie de son déferlement et présenter ses caractéristiques (fond marin, fréquence, dangerosité, fréquentation…). Wannasurf se présente comme « un atlas des spots de surf fait par des surfeurs pour les surfeurs » : http://www.wannasurf.com/ .

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Photographie 10 : Laurent Miramon dans son « jardin » à Safi

Source : http://surfinsafi.skyrock.com/1378600368-TUBE-PARFAIT-Laurent-Miramon.html . [Page consultée le 19 février 2012]

Exilé au Maroc, Laurent Miramon y établi un surf-camp qu’il baptise surfland et qu’il implante sur une petite commune, Oualidia, située à plus d’une centaine de kilomètres au nord de Safi. En voyage au Maroc en octobre 1998, on fait escale à Oualidia afin de faire la rencontre de ce personnage et d’obtenir quelques informations sur cette vague – baptisée « Le jardin » - et dont la notoriété ne fait qu’accroître. Reçus par Laurent Miramon, on souhaite obtenir quelques précieux renseignements sur la localisation précise de cette vague dont le microcosme du surf parle mais dont personne ne connaît exactement le lieu. Laurent Miramon nous réserve un accueil cordial. Ses infrastructures sont adaptées pour recevoir plusieurs groupes de surfeurs. Son surf-camp est bien indiqué sur le chemin qui mène à la lagune de Oualidia. Les panneaux de signalisation, même s’ils sont construits de manière artisanale, ont le mérite de guider le voyageur à bon port. Situé sur un promontoire, le surf-camp offre une vue imprenable sur l’océan, les premières dunes du village et la lagune. Laurent Miramon est bien équipé. Fax, ordinateur, téléphone, relais satellitaire pour la réception de la télévision sont les moyens de communication dont il dispose. Son seuil d’équipement dépasse largement celui des populations locales qui se disputent quelques minutes de conversations à la cabine téléphonique implantée à l’entrée

454 du village. On est reçu dans son bureau. Un agrandissement photographique est disposé sur le mur derrière lui et on reconnaît la vague de Safi sublimée par la glisse esthétique de Laurent Miramon. On lui fait savoir que l’on souhaite s’y rendre et que notre présence est justifiée par le fait d’obtenir, de sa part, quelques renseignements quant à la localisation géographique de cette vague. La houle est solide le jour de notre rencontre et il ne fait aucun doute que les conditions requises pour que « le jardin » fonctionne sont au rendez- vous. Laurent Miramon se refuse malgré tout à livrer toute information. Il précise que cette vague est secrète et qu’il n’entend pas dévoiler sa localisation afin de conserver le privilège d’y surfer seul. On ne trouvera pas la vague de Safi lors de notre premier voyage malgré notre acharnement. Ce n’est que l’hiver suivant que l’on ride Safi en compagnie de quelques surfeurs marocains qui, eux, nomment cette vague « Ras Lêefa » autrement dit « la tête de serpent » en langage vernaculaire et en écho à la forme que prend cette vague durant son déferlement. En 2002, la localisation de la vague n’est plus secrète. Laurent Miramon, longtemps tiraillé entre son désir de surfer seul cette vague, sa soif de reconnaissance dans le monde du surf professionnel et le soucis de développer l’attractivité de son surf camp délivre une interview au magazine mensuel Surf Session . « Le jardin » fait même l’objet de la couverture du numéro 178 de mai 2002 sur laquelle on peut lire « Safi : la plus belle vague du Maroc enfin révélée ». Par ailleurs, le journaliste précise que « près de quinze ans après sa découverte, nous vous livrons aujourd’hui le secret de la plus belle vague du Maroc. On l’appelle Safi, et c’est sans aucun doute une des droites les plus importantes de la planète 245 ». Quant à Laurent Miramon dont on apprend qu’il « dirige une école de surf à Oualidia, il est un peu celui par qui la vague de Safi est arrivée. Il nous raconte son expérience et nous explique pourquoi les locaux et lui dévoilent aujourd’hui le secret de Safi ». Laurent Miramon raconte donc, non sans une certaine autosuffisance, la découverte de cette vague : « Il ne m’a pas fallu longtemps pour me retrouver sur cette falaise, complètement ahuri par le tableau : des vagues parfaites qui n’en finissaient plus, sans que je puisse me rendre compte de leur taille. C’est en descendant que j’ai vraiment réalisé la taille et la puissance. Il y avait trois mètres et les vagues s’enchaînaient, toutes tubulaires comme je n’avais jamais vu ou imaginé ! Commençait alors une totale remise en question de la discipline, dans son approche, dans sa technique… J’ai pris trois vagues, avec une planche qui n’était pas adaptée et je suis sorti par la plage. Revenant sur le petit sentier le long de la falaise, je m’arrêtais à

245 Surf Session , n°178, avril 2002, p 39.

455 plusieurs reprises contemplant ce line-up incroyable, sur fond de coucher de soleil magique. C’était presque irréel ». Laurent Miramon explique la raison pour laquelle il a conservé le caractère secret de « Ras Lêefa » : « cette vague fut un jardin secret, comme d’autres vagues dans le monde l’ont été et le sont encore… La vague de Safi a été préservée par le secret au début, puis par une détermination locale à se faire respecter, sans toutefois qu’il y ait eu d’actes déplacés. C’est seulement ainsi que les surfeurs de Safi ont pu apprendre dans ces vagues rares et difficiles ». Car, avec sa médiatisation, Laurent Miramon déplore la fréquentation à tel point qu’il reconnaît que « depuis quelques années, je n’y surfe plus quand elle est de taille réduite, laissant la place aux débutants. L’évolution est à ce prix. C’est ainsi que le spot se retrouve très souvent surpeuplé de bodyboard, pour la majorité inexpérimentés 246 ».

L’anathème est lancé, c’est-à-dire qu’avec la surfréquentation du spot, Laurent Miramon ne peut se rendre aussi souvent qu’avant dans son « jardin ». Le phénomène n’est pas prêt de s’estomper dans la mesure où les pouvoirs publics marocains entendent désormais profiter de cette nouvelle ressource locale. La presse marocaine s’en fait l’écho : « Safi a dévoilé une partie de son plan d’action portant sur le développement des produits touristiques de niche. De nouvelles destinations ont été inaugurées officiellement par Adil Douiri, ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Economie sociale. Etait concerné essentiellement le parc surf à Safi. La manifestation s’est déroulée en présence d’une quinzaine d’invités européens. Ces derniers représentaient l’industrie du surf, la presse sportive française spécialisée, les teams managers, les surfeurs professionnels européens et un tour-opérateur français spécialisé dans la commercialisation des destinations surf. Les travaux d’aménagement du parc surf ont nécessité un investissement de 13 millions de dirham environ. Il est à rappeler dans ce sens que la vague de Safi a été classée par la presse spécialisée et des surfeurs professionnels comme l’une des meilleures au niveau mondial. Par l’inauguration du parc surf, les autorités publiques en charge du tourisme souhaitent asseoir le processus de structuration du tourisme et réhabiliter la destination Safi. Le ministre a précisé que ces initiatives entrent dans le cadre du plan d’action portant sur le développement des produits de niche. La ville de Safi, tout comme Béni Mellal (développement du parachutisme sportif) et Dakhla (développement des sports de glisse), fait partie de la phase initiale du programme niches 247 ».

246 Surf Session , n°178, mai 2002, p 48. 247 L’économiste, le premier quotidien économique du Maroc , n°1958 du 2 février 2005.

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Conserver le caractère mystérieux de la localisation géographique d’une vague répond donc d’une logique ayant pour objectif de conserver son potentiel en terme de pratique spatiale. L’exemple de la vague de Safi est emblématique de ces stratégies que déploient certains surfeurs pour préserver l’habitabilité de leur espace vague. On retrouve ce phénomène dans les Landes où le déferlement des vagues dépend étroitement de la configuration des bancs de sable. L’agencement des bancs de sable qui confèrent aux vagues le déferlement recherché par les surfeurs est donc éphémère et les surfeurs s’emploient à conserver secrètes leurs localisations géographiques. Il existe des outils permettant aux surfeurs de connaître les prévisions de houle. L’outil le plus complet est sans nul doute le site Internet Magicseaweed dans la mesure où il permet d’accéder aux prévisions sur cinq jours avec l’orientation du vent sur trois moments de la journée et une évaluation pour indiquer la qualité des conditions. La version utilisable à partir des téléphones mobiles permet de combiner les informations compilées par l’algorithme à l’observation humaine pour améliorer l’évaluation des conditions. Les surfeurs ont ainsi l’opportunité de réagir instantanément pour évaluer les conditions de pratique. Or, l’ouverture de cette plateforme inclue une fonction spécifique : la possibilité de conserver le caractère secret du spot. Enfin, les exemples glanés sur les blogs Internet ne manquent pas de traiter du sujet. À titre d’exemple, sur le site Internet de Marseille TV – Portail du grand Marseille , une page est consacré au surf à La Ciotat. Des photographies illustrent le potentiel en terme de pratique dans la région et dévoilent la localisation des spots. En réaction, voilà ce que l’on peut lire : « Merde… Vous pouvez pas garder le nom des secret spot un peu… Le respect commence par ça, sachant que des mecs se sont cassé le cul à chercher des spots depuis plus de dix ans et maintenant les premiers blaireaux peuvent débarquer sur un spot qui se transforme peu à peu en Lacanau un 14 juillet 248 ».

248 http://marseille.tv/surf-a-la-ciotat-170.html . [Page consultée le 6 janvier 2012].

457 - Le territorialisme ou la revendication spatio-identitaire

La fréquentation des spots rendue possible par la démocratisation du surf est un souci récurrent pour les surfeurs. Marc, un internaute, témoigne : « Malheureusement il y aura de plus en plus de tension dans l’eau, c’est l’anarchie, les écoles de surf qui tiennent un discours de merde avec les jeunes, qui se battent le morceau de viande, et comme ça ne suffisait pas, on a droit aux écoles de surf allemandes, hollandaises, espagnoles qui envahissent nos spots. Capbreton est devenu insurfable, les espagnols nous manquent de respect, nous allons tout droit à la guerre des spots et dans tout ça les multinationales du surf nous prennent pour des cons et se remplissent les poches. L’esprit surf n’existe plus, il ne faut pas rêver, tout ça c’est du passé, et le pire c’est la récupération du fric qui a tout pourri. Les multinationales ont vendu leur âme au diable, je crains le pire, j’ai cinquante trois ans et je suis écoeuré de voir mon surf devenir un sport de merde et que des anciens qui se sont embourgeoisés soient devenus tout aussi nuls 249 ». Voilà ce que l’on peut lire sur le site Internet Surf – Prévention à propos d’un article consacré au localisme au Pays Basque. Manifestement, ce serait désormais « la guerre des spots ». La violence se banaliserait donc sur les spots de surf. Force est de constater que les témoignages ne manquent pas. Nombreux sont ceux qui rapportent des rixes survenues sur la vague et dont le dernier acte se joue souvent sur le parking qui jouxte la plage. Les raisons de ces tensions sont multiples : non-respect des règles de priorité, de la bienséance ou de courtoisie. Ces violences physiques mettent en prise ce que les surfeurs appellent les locaux c’est-à-dire ce qui revendiquent l’appartenance territoriale à une vague avec ceux qui ne connaîtraient pas les lieux. Les locaux sont des surfeurs qui sont particulièrement assidus et pratiquent à l’année.

À en croire les commentaires publiés dans un numéro de Surf Session , emprunts d’un registre sémantique canin dont chacun appréciera le goût, ces surfeurs attendent le mois d’octobre avec une certaine impatience compte tenu du fait qu’à cette période de l’année les conditions de surf sont réputées comme optimales : « octobre, on est comme des clébarts. D’ailleurs dans l’eau c’est un “reservoir dog” 250 ». Mais que viennent signifier, d’un point de vue géographique, ces violences physiques ? Sont-elles

249 http://blog.surf-prevention.com/2009/02/14/du-localisme-au-pays-basque/ . [Page consultée le 25 juillet 2011]. 250 Surf Session , n°292, novembre 2011, p 69.

458 l’expression d’une revendication spatio-identitaire ? Est-ce parce que l’espace-vague représente un formidable potentiel d’expression existentielle que certains surfeurs adopteraient, dès lors que ce potentiel se réduit corrélativement à la hausse de la fréquentation, un comportement violent ? Cette violence serait-elle alors, ni plus ni moins, qu’un moyen de revendiquer et de préserver le caractère ontologique que sous-tend la pratique, l’habitabilité du lieu-vague, dont l’efficience dépend de l’acte de glisse ?

À l’issue d’un entretien avec Jérôma, celui-ci concède volontiers que « le néophyte, c’est comme un grain de sable dans l’engrenage. Ca peut vite dérailler… Le discours est “Qu’est-ce qu’ils nous font chier tous ces touristes”. Dans l’eau c’est le bordel à cause d’eux. Tu deviens agressif, c’est comme un réflexe… Il y a des conflits parce que tu veux la même vague que l’autre. Finalement, le néophyte apaise le groupe parce que tout le monde se fédère autour de lui, tout le monde focalise sur lui et on a alors une vérité commune que l’on partage. Par exemple, l’été on fait souvent les méchants. Quand on arrive à virer un gars du spot qui ne sent pas à l’aise et bien, on était tous content. ».

Les analyses empiriques de Jérôma ne sont pas sans faire écho à celles développées par René Girard. En effet, René Girard convoque la notion de « victime émissaire ». Ainsi, précise-t-il « si les hommes réussissent tous à se convaincre qu’un seul d’entre eux est responsable de toute la mimésis violente, s’ils réussissent à voir en lui la souillure qui les contamine tous, s’ils sont vraiment unanimes dans leur croyance, cette croyance sera vérifiée car il n’y aura nulle part, dans la communauté, aucun modèle de violence à suivre ou à rejeter, c’est-à-dire, inévitablement, à imiter et à multiplier » (Girard, [1972], 2002 :125). Par conséquent, la stigmatisation des surfeurs néophytes ou étrangers permet d’apaiser les conflits au sein de la communauté des surfeurs locaux. Ayant tous le même désir, celui de glisser sur la vague, la désignation d’une « victime émissaire » leur permet d’apaiser les conflits intracommunautaires induits par ce désir « mimétique ». Ainsi, la « victime émissaire » les autorise alors à réguler les conflits intracommunautaires inhérents au fait que tous les surfeurs locaux nourrissent le désir de glisser. La violence ne s’exerce plus dans le cadre circonscrit d’un affrontement infracommunautaire. Ce report de violence sur les non-locaux permet donc de lisser les conflits entre surfeurs se revendiquant d’un spot ou doué de mêmes compétences techniques. Cela permet à ces surfeurs d’assumer leur désir qui « a honte, le plus souvent, de se modeler sur autrui, [qui] a peur de révéler son manque d’être » ( Ibid :217).

459

Romain Laulhé est un jeune surfeur professionnel. Il s’exprime, sur son blog 251 , à propos du localisme. « Pour avoir grandi sur un spot ou le localisme était et est encore roi, je pense être capable d’avoir ma propre idée. De plus, tous mes voyages et compétitions a travers le monde m’ont apporte une grande connaissance en la matière… Le surf est un sport mais aussi une manière de vivre qui attire de plus en plus de personne. On se retrouve donc toujours plus nombreux dans l’eau. L’enjeu de tout ça est d’instaurer un respect réciproque avec certaines règles de vie lorsque l’on s’aventure sur de nouveaux spots. J’en suis sur, le localisme reste primordial afin de sauvegarder notre sport et d’éviter le grand n’importe quoi qui s’installe dans l’eau et sur la plage ». Il ajoute que pour éviter le localisme, quelques règles de bienséance s’imposent et permettent de pallier l’agressivité de certains surfeurs. « J’ai été élevé dans de supers conditions, ou lorsqu’un surfeur qui n’était pas du coin venait s’aventurer sur notre spot, il devait respecter quelques règles primordiales : ne pas arriver a plus de deux ou trois personnes, dire bonjour, ne pas crier dans tous les sens, respecter les règles de priorité voir même exagérer en laissant plus de vagues aux habitués, ne pas revenir le lendemain avec six potes, ne pas chanter a tout va que vous avez eu de belles vagues a tel ou tel endroit ; le surf et ses valeurs ne vont pas dans ce sens. De plus il est vrai que la meilleure manière de se faire accepter au pic est de se caler dans l’eau lorsque les conditions sont solides et non pas arriver le jour parfait ou Mr tout le monde peut se mettre a l’eau, n’allez pas faire n’importe quoi si vous n’avez pas le niveau ! ». Romain Laulhé évoque sa légitimité pour s’exprimer ainsi en précisant que « cela fait plus de dix-sept ans que je surfe et maintenant plus de sept ans que je suis passé professionnel ». Plus encore, transpire dans son propos que la préservation de la dimension secrète de la vague relève d’une question de vie ou de mort accréditant l’hypothèse selon laquelle le localisme ne serait qu’une manifestation du désir de conserver le potentiel ontologique de la vague : « j’ai pu surfer à des endroits où le respect du localisme et l’importance de ne pas dévoiler les spots sont quasiment une question de vie ou de mort ».

251 http://www.romainlaulhe.com/2010/11/12/localisme-le-point/ . [Page consultée le 12 décembre 2011].

460 6.3.4 L’abandon du surf au bénéfice de néo-territorialités sportives : à la recherche de nouveaux espaces ontiques ?

Vincent est formel : « l’été, j’arrête de surfer. Je préfère me visualiser sur la vague sans être dans l’eau. Je m’en contente et je me suis habitué. De toute façon, c’est pas la peine d’y aller. C’est l’expérience. Je commence à ne plus aller à l’eau quand c’est pourri ou q’il y a trop de monde. Avant j’y allais tous les jours ». On lui demande s’il est malheureux : « Ouais, forcement. Mais je connais les bonnes fenêtres. Et puis, j’ai huit mois pour me rattraper ! ». Qu’en serait-il si Vincent n’avait pas ces huit autres mois de l’année pour se rattraper ? Une chose est sûre, Vincent est conscient, qu’arrivé l’été, il ne peut satisfaire comme il l’entend ses envies de glisse. Il préfère abandonner provisoirement le surf afin de ne pas subir la frustration induite par la prise de conscience que la réduction de son temps de glisse suppose également la réduction du caractère ontologique qu’autorise cette forme de pratique du lieu-vague. Il s’accommode, tant bien que mal, de la réduction de sa capacité d’être au monde provoquée par la pratique de l’espace-vague.

Le fait d’abandonner provisoirement, ou définitivement, la pratique du surf est donc une modalité que convoquent certains surfeurs pour pallier le fait que la fréquentation des spots réduit le caractère ontologique de la vague révélé à travers la pratique de ce lieu c’est-à-dire par la glisse. Anto est encore plus radical dans ses intentions : « si ça continue, je crois que je serais prêt à arrêter le surf ». On lui demande de développer les raisons qui pourraient le conduire à abandonner définitivement le surf. Anto s’en explique : « En fait, j’ai pas envie de me battre au spot, de ragasser les vagues et de faire peur aux touristes pour avoir mon quota de vagues. Pour moi, le surf ce n’est pas ça. J’ai pas envie de me pervertir ou de ne pas être en accord avec mes convictions ou ma personnalité. J’suis pas un type violent en fait ». En revanche, Anto ne sait pas encore par quel type de nouveaux rapports aux lieux il viendrait combler ce déficit afin de se garantir une spatialisation qui lui permette de se sentir vivant. « Je ferai du VTT en forêt, ou de la voile » précise-t-il sans grande conviction. Depuis plusieurs mois, Anto partage la passion de la voile d’un ami. Il y voit de nombreuses analogies avec le sentiment que lui confère le surf. « La voile, c’est pareil. T’as les sens en éveil, t’es en harmonie avec la nature. Tu glisses en fait. Le bateau absorbe les mouvements de la houle. Tu bouffes des embruns, tu crames au soleil. C’est bon comme le surf ». Pour l’heure, il n’est pas encore question pour Anto d’abandonner

461 définitivement le surf. Il a « peur d’être trop malheureux » confie-t-il. Cependant, l’institutionnalisation des territoires du surf à laquelle il impute la surfréquentation des spots le précipitera peut-être vers l’abandon du surf au bénéfice de néoterritorialisations sportives au sein desquelles Anto pourra renouer avec la dimension ontologique de la spatialisation.

Thierry débute le surf dans les années soixante-dix sur la côte basque. Il a connu les sessions de ces temps révolus, dont il parle avec nostalgie, où il n’y avait personne à l’eau. Thierry n’a pas encore été présenté dans cette thèse. Il habite Bidart, une petite commune du sud de la côte aquitaine. Il travaille dans l’industrie de la glisse et bénéficie d’une certaine notoriété dans le microcosme, parfois étriqué, de l’univers du surf. Thierry aime à se souvenir du temps où le surf ne bénéficiait d’aucune notoriété. « À l’époque, on était une poignée à l’eau. Y’avait pas de shaper, pas de magazine, pas de compets, pas de prévisions météo. Rien. Que toi et la vague ». Thierry déplore l’institutionnalisation des territoires du surf qu’il caractérise comme « une overdose de communication sur le surf ». Il précise que « les compets, les teufs, les soirées, les chichis et les blablas sur le surf, je m’en branle. Quand tu vois le monde à l’eau, moi ça m’écœure du surf. C’est bien simple, j’ai arrêté de surfer ici. Je ne surfe plus qu’en trip avec des potes deux à trois semaines par an. Au moins, je suis sûr de toucher des bombes de vagues et d’enquiller les barrels ». On lui demande s’il arrive à trouver un équilibre en l’absence d’une pratique régulière du surf envers lequel il avoue nourrir une véritable passion. La réponse de Thierry ne se fait pas attendre. « En fait, je jumpe dès que je peux ». En d’autres termes, Thierry pratique la chute libre. Il se rend régulièrement sur l’aérodrome de Mimizan qui ouvre ses portes des mois d’avril à novembre et où une école de parachutisme officie. « J’ai passé tous mes diplômes et j’ai fait plus de quatre cents sauts en moins de deux ans ». Thierry ne cache pas son enthousiasme depuis la découverte de cette nouvelle pratique sportive qui consiste à faire « du ciel le bel endroit sur terre 252 ». « Sauter, mais c’est mortel. Quand t’es dans l’avion, tu flippes grave au début. Avec la chute libre, tu découvres un nouvel élément. Tu vois y’a l’eau, la terre, le feu et bien j’ai compris à plus de cinquante piges que l’air existe. T’appuis, tu vas plus vite, tu relâches, ça relâche. L’air, c’est comme un matelas ». Thierry poursuit sa description de la chute libre : « ça me rend fada. Je pense qu’à ça. Le reste c’est du vent. Même mes gosses en ont ras-le-cul. Quand je peux pas y aller, je mate les

252 « Faire du ciel le plus bel endroit sur terre » est le slogan publicitaire de la compagnie Air-France .

462 vidéos de mes derniers sauts. Le saut, c’est tellement intense que tout le reste te paraît insipide. Même surfer c’est insipide. Mais bon, c’est quand même dangereux. Tu peux mourir à chaque saut. Il suffit d’une connerie, d’un parachute mal plié, d’un malaise pour finir comme une crêpe ». Les propos de Thierry sont sans ambiguïtés. Transpire dans son discours sa quête ordalique rendue efficiente à travers la pratique d’un espace extra- terrestre, le ciel. Thierry produit donc de nouveaux espaces ontiques, non pas pour fuir son quotidien territorial, mais pour renouer avec l’état existentialiste que lui confère son rapport à la vague.

Henri témoigne également du fait qu’il surfe de moins en moins régulièrement. « Les spots sont surfréquentés mais si on est un peu malin, on peut se retrouver tout seul à l’eau ». On lui demande si cette recherche de « secret spot » est la stratégie qu’il adopte : « Non, je surfe presque plus. Je suis rassasié et j’ai découvert la forêt. Ça m’apaise aussi, différemment mais je me sens aussi immergé dans les éléments. Je ressens plus à quel point j’ai de la chance d’être vivant et de pouvoir me tenir et profiter de l’instant ». Henri souligne ainsi la dimension ontologique de ses pratiques géographiques en forêt. Ses néoterritorialités sportives sous-tendent donc la même intentionnalité que le surf. Abandonne-t-il pour autant complètement cette pratique dans la mesure où il aurait trouvé de nouveaux registres de spatialisation lui permettant de « ressentir à quel point il a de la chance d’être vivant et de pouvoir se tenir et profiter de l’instant » ? Henri répond que « même si y’a du monde j’y vais. Ce n’est pas aussi satisfaisant même si j’y vais pour grogner un peu et me plaindre ». A-t-il alors le sentiment de faire le local ? « Non, je grogne sur moi-même. C’est un comportement qu’on peut avoir rapidement. Je grogne contre la fréquentation et non contre tous les autres qui font la fréquentation ». Mais alors contre qui grogne-t-il vraiment ? « Je grogne contre la densité, contre les institutions, les écoles qui font croire qu’en une semaine t’es surfeur alors qu’ils ne font que les piquets dans l’eau. Ce n’est pas contre eux que j’en veux mais contre ceux qui font croire que le surf c’est facile. Le surf, ce n’est pas du ski. C’est une activité technique exigeante qui mériterait d’être abordée de manière plus longue. Je grogne contre cette logique qui veut faire croire qu’il suffit d’une planche pour être surfer. Au final, on encombre inutilement l’endroit ». À travers le discours d’Henri transpire le fait que les stratégies et les résistances exprimées par les surfeurs face à l’institutionnalisation des territoires du surf sont multiples et se complètent. Elles ne relèvent pas d’un registre exclusif.

463 Les néoterritorialités sportives produites par certains surfeurs peuvent être présentées comme une recherche de la dimension ontologique qu’ils expérimentent dans le cadre de leur usage du lieu-vague. Ainsi, face à l’amenuisement du potentiel ontologique de l’espace-vague induit par l’institutionnalisation des territoires du surf, certains surfeurs contestent et résistent en abandonnant provisoirement la glisse au bénéfice de la recherche de nouveaux lieux au sein desquels, en fonction des usages qu’ils en feront et des manières dont ils se sentiront affectés en affection, ils pourront renouer avec leur condition géographique. Néanmoins, si les pouvoirs publics s’emparent de ces néoterritorialités à des fins de construction territoriale, on comprend que de nouvelles formes de résistances et de contestations pourraient voir le jour…

464 CONCLUSION CHAPITRE 6

VERS UNE RELECTURE DES CONFLITS AU SEIN DES TERRITOIRES DU SURF

Face à l’institutionnalisation des territoires du surf, les contestations et résistances de certains surfeurs s’expriment. Car, les surfeurs stigmatisent l’institutionnalisation des territoires du surf qu’ils désignent comme responsable de la surfréquentation des spots . Or, tous sont formels. Cette surfréquentation réduit considérablement leurs capacités à prendre des vagues. Cela dit, cette réduction de leur capacité à prendre des vagues engendre une baisse significative de leurs possibilités d’explorer le caractère ontologique induit par la pratique du lieu-vague. En effet, on a mis en lumière le fait que la glisse est un acte qui autorise la métamorphose du lieu-vague en espace-vague et que cette métamorphose, cette transformation du chaos en cosmos, concourt à la spatialisation des surfeurs. Or, cette spatialisation comporte une dimension ontologique. En surfant, le surfeur est au monde. Il donne un sens à son existence.

Jusqu’ici, les travaux qui tentent de mettre en évidence ces conflits entre surfeurs comportent une dimension explicative non pas sur les raisons de ces conflits mais plutôt sur les modalités d’expression de ces conflits. Ainsi, on peut lire que les surfeurs s’en prennent aux bodyboarders , que les locaux s’en prennent aux « Surfeurs Non Identifiés - SNI », que les surfeurs pratiquant à l’année s’en prennent aux surfeurs venus sur le littoral aquitain découvrir, en période estivale, cette discipline sportive. Ceux qui « ont appris à être surfeurs » focalisent leurs violences sur ceux qui « ont appris à surfer » (Sayeux, 2008). Il s’agit de caractériser des luttes intestines. Les raisons invoquées sont l’absence de convivialité, du respect des règles de bienséance et le non-respect des règles de pratique édictées par la communauté, reprises par la Fédération Française de Surf, généralement intériorisées membres de la communauté. Par conséquent, les travaux mettent en lumière le fait que la surfréquentation engendre une réduction « de la source de plaisir des surfeurs ». « On comprend [précise Olivier Trey] que la lutte pour la vague soit sévère certains jours

465 d’été lorsque les conditions optimales sont réunies pour attirer du monde sur les spots. Et dans cette ruée vers la vague, il y a parfois peu d’élus ; car si le nombre de surfeurs augmente, le nombre de vagues, lui, reste le même et nul ne peut le modifier. S’impose alors à tout surfeur un rationnement de son temps de glisse, c’est-à-dire de sa source de plaisir, en raison de la densité sur le spot de la population pratiquante » (Trey, 1994 :79). Voilà, ce dont il faut se satisfaire en guise d’explication. Les résistances et contestations des surfeurs répondraient d’une quête de préservation de leurs sources de plaisirs. Anne- Sophie Sayeux, qui reconnaît la justesse des interprétations d’Oliver Trey (Sayeux, 2008 :9), précise que ces affrontements sont d’ordre symbolique, stratégique et physique. Elle explique que les violences exprimées par certains surfeurs consistent à « préserver un territoire symbolique ». Or, c’est ici que l’expertise géographique vient enrichir le débat et densifier les explications.

Ainsi, cette recherche expose non pas les modalités de résistances et de contestations des surfeurs à l’institutionnalisation des territoires du surf pointée comme cause première de la surfréquentation des spots . Elle présente plutôt quelles sont les raisons profondes qui poussent les surfeurs à adopter des registres déviants. Cette recherche met donc en lumière le fait que ces déviances, exprimées sur quatre registres que sont la mobilisation environnementale, la préservation des « secret spots » et le localisme ou les revendications spatio-identitaires, le trip surf, et l’abandon du surf au bénéfice de néoterritorialités sportives, traduisent la volonté de préserver le caractère ontologique de l’espace habité. Sans doute est-ce ici que voulait en venir Anne-Sophie Sayeux en affirmant que les violences des surfeurs consistent avant tout à défendre « un territoire symbolique ». Par conséquent, lorsque les surfeurs convoquent la surfréquentation pour justifier leurs comportements déviants, ils cherchent à trouver une légitimisation quant à leur quête de préservation du caractère ontologique que suppose leur spatialisation sur le lieu-vague. Dans ce contexte, cette recherche apporte un éclairage géographique sur la nature des conflits observables à l’eau. Cette recherche ne prétend pas expliquer comment s’orchestrent les conflits entre surfeurs. Après tout, peu importe, ici, de savoir comment ces violences se manifestent. C’est d’ailleurs pourquoi, aucun compte-rendu d’entretien ne cède la place à ce qu’auraient pu en dire les surfeurs interrogés. Elle entend plutôt mettre en avant les raisons qui poussent les surfeurs à fomenter des comportements entendus comme manifestations des résistances et des contestations à l’institutionnalisation des territoires du surf interprétée comme cause de surfréquentation des spots. Plus encore, à

466 travers l’exemple du surf, cette recherche entend démontrer que l’étude de l’habiter ouvre de nouvelles perspectives en géographie et en aménagement dans la mesure où ce concept d’habiter permet de rendre intelligible des comportements trop rapidement circonscrits dans le champ de la déviance.

467 CONCLUSION GÉNÉRALE

PERSPECTIVES POUR LA RECHERCHE EN GÉOGRAPHIE ET EN AMÉNAGEMENT

Il n’est jamais aisé de conclure et de mettre un point final à une recherche. L’exercice permet néanmoins de rassembler les grandes idées qui jalonnent le corps du texte et d’ouvrir les perspectives induites par les questionnements laissés en suspens ou méritant des approfondissements. Plus encore, cet exercice de conclusion est un temps consacré à l’autocritique et doit permettre la distanciation du chercheur vis-à-vis de son travail. La thèse n’est pas une fin en soi a-t-on pu s’entendre dire. Elle sanctionne l’aboutissement des recherches avec ses forces et ses faiblesses.

Avec l’étude de la spatialisation des surfeurs sur la vague, on entendait approfondir une intuition forgée dans le cadre de l’observation participante. Surfeur, on a consigné anecdotes et tranches de vie de ces communautés. On a partagé des émotions, des sensations ressenties à l’issue des temps de glisse sur la vague. On a pu mesuré la nature des relations qui se tissent entre le surfeur et la vague, entre les surfeurs eux-mêmes. On a pris conscience de la nature des conflits et cette recherche consistait à en saisir l’origine, le fondement, plus que leurs caractérisations. Là encore, l’intuition a été, au départ, utile pour formaliser les hypothèses de la recherche. Or, Thomas Kuhn range les intuitions, c’est-à- dire « l’apprentissage avant la loi », dans le champ de la « connaissance tacite qui s’acquiert en faisant de la science plutôt qu’en apprenant les règles pour en faire » (Kuhn, [1962], 2008 :260).

Fort d’un argumentaire formulé dans le cadre de la postface d’une réédition de son ouvrage en réaction aux violentes critiques subies, l’auteur explicite son propos. Il prétend que ces intuitions sont fondamentales pour permettre les avancées scientifiques. Lorsqu’il parle des intuitions, Thomas Kuhn évoque que « ce sont plutôt les possessions éprouvées et communes des membres d’un groupe établi et le novice les acquiert au cours de sa

468 formation pour se préparer à devenir membre du groupe ». Il ajoute même que ces intuitions ne sont pas impossibles à analyser. À ce stade, la formation géographique reçue par les étudiants leur permettrait donc de ressentir des possessions éprouvées, en vue de les acquérir pour nourrir la légitime ambition de rejoindre le cercle restreint de ceux qui institutionnalisent ces intuitions, c’est-à-dire les scientifiques. Mais, pour rejoindre ce cercle, le novice doit formaliser ces possessions éprouvées. Ce travail consiste à se donner « la possibilité de reconnaître qu’une situation donnée ressemble, ou ne ressemble pas, à d’autres situations rencontrées antérieurement [et acquises dans le cadre d’une formation initiale] ». Le travail de terrain consiste donc à éprouver les observations vis-à-vis de situations rencontrées antérieurement. Mais, dans ce contexte, « l’explication, par sa nature même, ne répondra pas à la question : “semblable par rapport à quoi ?” Cette question demande une règle, et dans ce cas particulier elle demande de connaître les critères selon lesquels des situations particulières sont réunies en groupes semblables » (Ibid :261). Par conséquent, dans le cadre de ses recherches, le novice doit connaître les critères et les règles pour les réinvestir dans ses observations de terrain. Cela dit, Thomas Kuhn précise que les observations relèvent du domaine de la perception. Il ajoute que les individus appartenant à un même groupe partagent la même éducation, culture, expérience… et ont de grandes probabilités d’éprouver les mêmes sensations. Thomas Kuhn remarque à ce sujet que « l’une des techniques fondamentales par lesquelles les membres d’un groupe, qu’il s’agisse d’une culture entière ou d’un sous-groupe de spécialistes à l’intérieur de celle-ci, apprennent à voir les mêmes choses quand ils se trouvent devant les mêmes stimuli, réside dans le fait qu’on leur montre des exemples de situations que leurs prédécesseurs dans le groupe ont déjà appris à voir comme se ressemblant entre elles, et différant d’autres situations ».

Thomas Kuhn en appelle donc à la différenciation des groupes considérant que lorsqu’il y a différenciation, « nous n’avons aucune preuve semblable de l’immuabilité des sensations ». Le novice peut alors se contenter de rechercher la ressemblance en appliquant les critères et les règles à la lettre afin que ces observations renforcent leur caractère hégémonique. Cependant, Thomas Kuhn se refuse à penser que « cette reconnaissance de la ressemblance doit être aussi totalement systématique que le battement de nos cœurs ». En effet, l’auteur souligne que « ce parallèle même suggère que la reconnaissance peut aussi être involontaire, que c’est un processus sur lequel nous n’avons pas de contrôle ». Il déplore alors que ce soit « justement parce qu’il est si peu de manières de voir qui

469 conviennent, que celles qui ont subi l’épreuve de l’usage du groupe valent la peine d’être transmises de génération en génération. C’est également parce qu’elles ont été choisies en raison de leur succès au cours des âges que nous devons parler de l’expérience de la connaissance de la nature contenus dans le trajet allant du stimulus à la sensation ». L’auteur constate alors qu’une seconde posture s’offre au chercheur et c’est sans doute ici que l’on place tout l’intérêt d’un travail doctoral.

Cette posture consiste à accorder du crédit à l’intuition entendue comme mode de perception des stimuli. Car, Thomas Kuhn pense que l’on a une possibilité de choix, que l’on peut désobéir à une règle, ou appliquer un critère à tord, ou faire l’expérience d’une autre manière de voir. « Ce sont des choses que nous ne pouvons pas faire avant d’avoir eu une sensation ou perçu quelque chose », ajoute-t-il. Il prétend que « l’intégrité de la perception vaut la peine qu’on y insiste » ( Ibid :264). Il invite même les scientifiques à rompre avec ces habitudes méthodologiques qui consistent à convoquer les critères et les règles pour s’engager dans l’interprétation qu’il qualifie de processus réflexif au sein desquels « nous faisons intervenir des critères et des règles, c’est-à-dire que nous cherchons à interpréter des sensations qui sont déjà là, à analyser ce qui nous est donné ». Thomas Kuhn introduit donc une rupture majeure. Il remarque qu’il manque un autre caractère à la connaissance : « nous n’avons pas d’accès direct à ce que nous connaissons, pas de règles ou de généralisations nous permettant d’exprimer cette connaissance. Les règles qui nous fourniraient cet accès se rapporteraient aux stimuli, non aux sensations, et nous ne pouvons connaître les stimuli qu’à travers une théorie élaborée. En l’absence de cet accès, la connaissance incorporée dans le trajet allant du stimulus à la sensation reste tacite » ( Ibid :266). Or, Thomas Kuhn pense que l’expérience primitive perceptive nécessite un esprit de réflexion, d’analyse et d’interprétation. En revanche , « la position de celui qui a eu l’expérience par des exemples est très différente, de sorte qu’il y a des différences correspondantes dans la manière dont il réagit aux stimuli lui arrivant » de l’expérience. Il conclut sa démonstration en précisant que « dans le sens métaphorique, non moins que dans le sens littéral “vue”, l’interprétation commence là où cesse la perception. Les deux processus ne sont pas les mêmes, et ce que la perception laisse compléter à l’interprétation dépend éminemment de la nature de l’étendue de la formation et de l’expérience préalables » ( Ibid :269). En d’autres termes, Thomas Kuhn pense que les scientifiques devraient accorder davantage de crédit à « la connaissance tacite » c’est- à-dire à la perception des expériences primitives. Pour l’auteur, cette posture autorise un

470 renouvellement scientifique. Elle pallie le fait d’inscrire les recherches dans la reproduction de critères et de règles éprouvés dont l’intérêt consiste à renforcer leur légitimité scientifique.

On souscrit à ces analyses de Thomas Kuhn qui invitent à ce que le chercheur s’engage sur cette voie. En revanche, cette posture que l’on a adoptée tout au long de ce travail n’est pas sans comporter de sérieux risques. Discuter les paradigmes qui structurent la science géographique peut sembler bien cavalier. Mais, on s’en défend. Car, à quoi bon s’engager dans une recherche doctorale si les enjeux inhérents aux recherches consistent seulement à conforter certains paradigmes scientifiques sans prendre la peine de les éprouver à l’aune de « la connaissance tacite » ? Le rapport spatial du surfeur à la vague apparaissait alors comme un objet de recherches permettant de s’en remettre à cette « connaissance tacite » pour engager le débat épistémologique en géographie. On l’a dit, en guise d’avant propos, cette recherche consistait à réunir deux passions : l’une pour le surf, l’autre pour la géographie. En allant à l’eau, en surfant, en côtoyant des surfeurs dans l’exercice de leur passion, on a pu mesurer que l’acte de spatialisation des surfeurs dépassait la simple recherche de sensations sportives et/ou ludiques. C’est en allant à l’eau que l’intuition s’est construite. C’est en allant à l’eau, en pratiquant la vague, que l’on a incorporé dans le trajet allant du stimulus à la sensation cette « connaissance tacite » de ce que pouvait recouvrir la glisse. C’est en surfant que l’on a pu se familiariser avec des perceptions avant de s’en remettre à l’interprétation. Parmi ces perceptions transpirait le fait que le rapport du surfeur à la vague, rendu possible par l’acte de glisse, comportait une dimension ontologique. On a ainsi pris conscience que la quête de glisse dépassait la simple volonté de réaliser une pratique sportive. On a expérimenté le fait que la glisse sous-tendait un existentialisme. Mais la perception ne saurait suffire pour conférer à une thèse son caractère scientifique. Encore fallait-il éprouver cette perception, cette intuition, cette « connaissance tacite » à l’aune des grandes règles, lois, critères établis en géographie et assimilés durant la formation initiale. On ne pouvait pas seulement s’en remettre à l’explicitation de la dimension sensible de ces perceptions.

On ne souhaitait pas circonscrire la glisse à une pratique récréative de pleine nature. Il s’agissait donc de dépasser cette définition pour tendre vers l’interprétation plus approfondie de ce que sous-tendait cette pratique de la vague. Suivant les préceptes de Thomas Khun, on a alors interrogé les concepts forgés en géographie afin d’enclencher le

471 processus interprétatif de cette perception, intuition, quant au fait que le rapport du surfeur à la vague contient une dimension ontologique. La mobilisation des concepts forgés dans le cadre de la science géographique n’était pas satisfaisante. Trop rares étaient les critères, lois, règles qui permettaient de conforter scientifiquement cette perception, intuition. Ce travail aurait alors pu consister à renforcer la légitimité scientifique de ces critères, lois, règles établis en géographie. Dans ce contexte, on aurait alors pu affirmer que le rapport du surfeur à la vague est avant tout régi par une recherche ludique, une quête de plaisir immédiat, une forme de fuite des « territoires du quotidien », une manifestation « transmoderne des pratiques récréatives de nature ». On aurait pu conforter l’idée que la spatialisation des surfeurs permet d’appréhender l’espace comme étant « sociétal de part en part », d’impulser des logiques d’aménagement des stations balnéaires de la côte aquitaine précipitant l’avènement de « stations surf de troisième génération ». On aurait pu souscrire à l’idée que ces manifestations et résistances ne sont que l’expression d’une volonté de préserver « des territoires symboliques ». On aurait pu enfoncer le clou afin de définitivement dépouiller de sa dimension ontologique le concept d’habiter. On aurait pu se contenter d’affirmer que les stratégies politiques ayant le surf comme support relèvent d’une grande diversité sans avoir à interroger la nature du changement des politiques publiques qu’elles supposent. On aurait pu réduire le rôle des acteurs locaux en consignant l’intérêt des touristes pour le surf au rang d’une simple activité touristique c’est-à-dire comme un simple motif de déplacement accompli pour « la récréation hors des lieux de vie habituels ». On aurait pu conforter la dialectique univoque du touriste imposant la mise en tourisme et la structuration des lieux touristiques en oubliant le rôle des acteurs du territoire. On aurait pu circonscire la pratique du surf comme un moyen de se différencier socialement par un engagement vis-à-vis de la prise de risque. On aurait sans doute limité les risques et esquivé les diatribes potentielles que peut susciter ce travail. Cela eut été sans doute plus confortable.

Mais, à l’instar des surfeurs interrogés dont la plupart fomentent des résistances et des contestations face à l’institutionnalisation des territoires du surf, on a adopté la même attitude, non pas par volonté de rébellion ou de contestation, mais bien par soucis d’honnêteté intellectuelle. Il s’agissait de ne pas renoncer à nos intuitions, à nos perceptions fondées sur plus de vingt ans de pratique, quant aux enjeux inhérents au rapport du surfeur à la vague et vis-à-vis de l’action publique en faveur du surf. Il s’agissait de ne pas se renier, de ne pas renoncer à expliciter plus encore ce que Michel Favory

472 présentait, au début des années quatre vingt dix, comme un « super-territoire, en quelque sorte le lieu sacré et totémique par rapport à l’espace vulgaire et profane situé hors du champ du surf ». Plus encore, cette posture consistait à respecter la parole des surfeurs interrogés dont les discours traduisent une vérité, et laissent transpirer les raisons existentialistes que convoquent certains surfeurs lorsqu’ils explicitent leur passion pour le surf.

Cette vérité est partielle puisqu’elle n’est le ressenti que d’une partie des surfeurs triés sur le volet en fonction de critères discriminants. On s’en est expliqué, mais elle constitue une vérité malgré tout, expression d’un panel d’individus surfeurs représentatifs, sinon emblématiques d’une génération, d’une frange de la population glisse. Dans ce contexte, ce n’est pas tant au cœur de la discipline géographique que l’on a pu puiser des concepts scientifiques permettant d’accréditer nos intuitions et nos perceptions. Seuls ceux mobilisés en philosophie ont permis de renforcer l’appareillage et l’expertise scientifiques. C’est pourquoi les développements et la présentation de ces concepts occupent une place importante dans le texte. Certains le déploreront peut-être et soulignerons que les développements consacrés à l’explicitation de ces concepts sont trop longs. Mais ce travail semblait indispensable pour s’engager dans le débat épistémologique en géographie. On l’a dit, cette recherche n’envisageait pas de minimiser les risques au bénéfice d’un renforcement des critères, lois, règles éprouvés, reconnues et donc trop rarement débattus.

Les hypothèses formulées étaient les suivantes : le surfeur habite la vague en poète et cette forme d’appropriation du lieu-vague, préexistant mais atopique et insignifiant, autorise l’avènement de l’espace-vague au sein duquel le surfeur, spatialisé par l’acte de glisse, éprouve son être au monde ici et maintenant. Spatialisé sur la vague, le surfeur se sent vivant, habite la vague en poète à travers la mesure du lieu accomplie par l’acte de glisse entendu comme une manifestation de l’existentialisme des surfeurs. La spatialisation comporte donc une dimension ontologique. D’autre part, cette recherche émettait une seconde hypothèse. Il s’agissait de démontrer dans quelles mesures l’action des pouvoirs publics participe d’une forme d’institutionnalisation des territoires du surf. L’enjeu consistait à examiner la nature du changement des politiques publiques induit par la prise en compte du surf dans les thématiques touristiques, économiques, sportives… Il s’agissait de démontrer que l’intégration du surf dans les stratégies de développement local et touristique engendre une forme de requalification des espaces urbains balnéaires de la côte

473 aquitaine. Mais il s’agissait aussi de démontrer que cette requalification n’acquièrent pas un caractère hégémonique dans le but d’affirmer que la mobilisation du concept de « station surf », forgé par Jean-Pierre Augustin, ne saurait totalement se justifier.

D’autre part, il convenait de mettre en lumière la manière dont les surfeurs perçoivent l’institutionnalisation des territoires du surf. Tous reconnaissent que cette institutionnalisation des territoires du surf, pensée dans une perspective de renforcement de l’attractivité touristique des stations balnéaires de la côte aquitaine, dénature le potentiel ontologique de l’espace-vague habité. En effet, les surfeurs stigmatisent volontiers la démocratisation du surf dans la mesure où celle-ci précipite l’augmentation du nombre de pratiquants réduisant alors considérablement leur possibilité de glisse et donc de spatialisation. Or, dans la mesure où cette forme de spatialisation autorise le sentir des vivant des surfeurs, ceux-ci s’emploient à conserver le potentiel ontologique induit par cette spatialisation qui n’est rien d’autre que le geste et l’effort sportif accompli sur la vague. Par conséquent, cette recherche démontre que les résistances et contestations ne se manifestent pas tant vis-à-vis de l’institutionnalisation des territoires du surf mais bel et bien face à cette institutionnalisation. Aucun surfeur ne manifeste contre les gestions différenciées de l’espace maritime, contre la marchandisation de l’activité surf, contre l’organisation des compétitions sportives, contre la mise en scène (géo-)graphique du surf, ou contre l’accompagnement par les collectivités locales de l’ancrage territorial des filières du surf. Les surfeurs interrogés qui éprouvent de grandes difficultés à se reconnaître dans l’image médiatique du surfeur adoptent des réactions face à ces dynamiques d’institutionnalisation. Ils fomentent des formes de résistances et de contestations qui s’expriment de différentes manières mais qui traduisent, toutes, la volonté farouche de préserver le caractère ontologique de la vague habitée. Parmi ces modes de contestation et de résistances, figurent la mobilisation environnementale entendue comme une forme de « ménagement de l’espace habité », le trip surf présenté comme un moyen d’explorer intensément, en « se gavant de vagues jusqu’à plus soif », le potentiel ontologique de l’espace-vague habité, les revendications territoriales comme un moyen de pérenniser la dimension ontologique de l’espace-vague, et l’abandon du surf au bénéfice de l’établissement de néoterritorialités sportives au sein desquelles les surfeurs réitèrent le processus de cosmogonisation des lieux afin de renouer avec leur être au monde, c’est-à- dire avec leur « condition géographique ».

474 En revanche, rien ne dit que les résistances et les contestations ne s’expriment pas un jour, non plus face à l’institutionnalisation des territoires du surf, mais bel et bien vis-à- vis de ce processus. Car, à trop vouloir « réenchanter le littoral aquitain » en mobilisant « le renforcement de la glisse comme filière touristique 253 », les surfeurs authentiques ne seraient-ils pas les premiers à déchanter ? La prise en compte du surf dans les projets de développement touristique sur le littoral aquitain ne doit donc pas occulter les limites induites par une instrumentalisation à tous crins de cette activité sportive. Le développement de l’offre sportive et récréative, la valorisation de l’espace-vague, la multiplication des aménagements permettant l’accessibilité aux plages, le renforcement des événementiels consacrés au surf, l’édification d’infrastructures dédiées à cette pratique sportive et l’accompagnement de l’essor économique de la filière glisse en Aquitaine méritent de prendre en considération la notion de seuil de résilience tant des espaces que des hommes face à ces processus. Sans doute n’a-t-on pas suffisamment insisté sur le caractère vierge, c’est-à-dire dépourvu de toute procédure d’aménagement, et éphémère de la vague. Ces propriétés du lieu-vague permettent de sans cesser renouveler cette métamorphose du lieu-vague en espace-vague par le biais de l’acte de glisse. Or, rares sont les lieux au sein desquels l’homme jouit d’une telle opportunité. Ces propriétés du lieu- vague confèrent à l’acte de glisse son caractère addictif. L’addiction consiste alors à vouloir ré-expérimenter l’opportunité de se spatialiser. Mais quid de cette capacité de spatialisation au cœur de territoires du surf standardisés, normalisés, codifiés, aseptisés, commercialisés ? Certains le rappellent volontiers, l’espace n’est pas extensible et les capacités d’absorption de nouveaux pratiquants sur les spots pourraient prochainement atteindre un seuil critique rendant ainsi caduque le projet de développement touristique fondé sur le surf. C’est donc l’efficience du projet de développement touristique du littoral aquitain qu’il s’agit de discuter à la lumière du caractère ontologique que sous-tend l’acte de glisse. Puisque rien n’est moins sur que les résistances et contestations jusqu’ici exprimées face à l’institutionnalisation des territoires du surf ne s’expriment pas demain davantage vis-à-vis de ce processus d’institutionnalisation. Bien entendu, il ne s’agit là que de scénarii prospectifs mais qu’adviendrait-il de la pérennité de l’image territoriale aujourd’hui produite autour du surf à des fins de renforcement de l’attractivité touristique du littoral aquitain ? Comment concilier la promotion d’un territoire de convivialité, de découverte des espaces nature, de pratiques sportives récréatives avec l’exacerbation des

253 Horwath HTL. « Étude prospective relative au tourisme en Aquitaine », Op. Cit ., p 6.

475 résistances et des contestations induites par les incidences de cette promotion territoriale ? Comment promouvoir un projet touristique fondé sur le développement d’une offre articulée sur le surf si les surfeurs résidents et authentiques, exclus du processus décisionnel, remettent violemment en cause les objectifs et la mise en œuvre du projet en question ? Ainsi, à travers l’exemple du surf, on comprend que l’examen du caractère ontologique induit par la transformation d’un lieu en espace et accompli dans le cadre d’une activité sportive de pleine nature peut être réinvesti et appliqué à d’autres disciplines appartenant à la nomenclature des sports de nature. Car, à l’heure où les sports de nature sont convoqués pour promouvoir l’attractivité touristique des territoires, la nature de ces projets de développement sont souvent remis en cause par les pionniers et/ou les résidents qui stigmatisent, au nom de la préservation du potentiel ontologique induit par leur accomplissement sur les lieux de pratique, le développement de l’offre récréative.

D’autres modalités de contestations et de résistances auraient également pu être abordées. En effet, Arnaud, surfeur interrogé parmi les membres du panel, précise que « si tu ne veux pas être emmerdé, tu surfes quand y’a plus de trois mètres ». Car, la plupart des surfeurs ne disposent pas des aptitudes techniques et physiques, des ressorts psychologiques, pour affronter la force des éléments lorsque les vagues atteignent une taille critique. Ainsi, seuls les surfeurs les plus accomplis peuvent glisser sur ce type de vague et se spatialiser sans avoir à faire face à la présence de concurrents potentiels, néophytes ou étrangers au spot. La prise de risque pourrait donc également constituer une forme de résistance et de contestation face à la démocratisation du surf dont les pouvoirs publics seraient, en partie, responsables. Mais surfer trois mètres ne s’improvise pas. Encore faut-il en avoir les aptitudes et la force mentale. Là encore, l’étude du caractère ontologique que sous-tend l’acte de spatialisation pourrait constituer une piste de lecture pour interpréter la prise de risque de certains individus ainsi que la relative désocialisation choisie par certains. La quête ontologique induite par la glisse est alors une porte d’entrée pour expliciter cette course en avant vers l’appropriation de vagues toujours plus grosses et de plus en plus inaccessibles. Or, la conquête de ces vagues vierges reste l’apanage d’une élite sportive ou des surfeurs qui se consacrent corps et âme, au risque d’une forme de désocialisation, à cette discipline pour acquérir les aptitudes requises pour surfer des vagues de trois mètres. Ainsi, les surfeurs enclins à rider ces vagues enclenchent alors un processus de ghettoïsation, c’est-à-dire que ces vagues vierges ne peuvent être accessibles qu’à ceux qui disposent des moyens physiques et psychologiques de les pratiquer. Seuls les

476 surfeurs appartenant à l’élite sportive ou les surfeurs en proie à une forme de désocialisation au regard du temps qu’ils consacrent à l’acquisition des compétences requises peuvent surfer trois mètres. Les autres surfeurs, autrement dit la majorité d’entre eux, n’auraient alors plus qu’à se disputer des vagues connues et reconnues. L’analyse du caractère ontologique induit par la glisse constitue donc une clef de lecture pour appréhender la différenciation territoriale qu’accomplissent les surfeurs. Ainsi, à travers l’exemple de la spatialisation des surfeurs, on défend l’idée que la géographie de l’intime est un concept extensible à d’autres formes de spatialisation qui convoquent le même désir ontologique des individus. C’est ici que la géographie de l’intime, définie comme l’étude de « l’espace habité », introduit une plus-value dans le cadre du débat épistémologique. Elle permet de penser les spatialisations, c’est-à-dire les pratiques des espaces, comme l’accomplissement d’une sacralisation des lieux à des fins ontologiques. Pour s’en convaincre, il suffit de demander à chacun quel est l’espace au sein duquel il se sent le plus accompli, le plus vivant, le plus ressourcé, le plus sécurisé ! Les réponses ne manquent pas et le choix des espaces convoqués pour rendre compte de cet accomplissement, de ce se sentir vivant, de cette capacité à se ressourcer, de ce sentiment d’être en sécurité sont ceux où l’homme éprouve sa capacité à sacraliser, consciemment ou inconsciemment, les lieux. Les espaces choisis sont ceux où le cosmos se substitue au chaos, où la poésie est accomplie pour prendre la mesure des lieux et où cohabitent la terre et le ciel, les divins et les mortels. Ces espaces relève de l’intime des individus. Ils sont ceux où l’homme jouit d’une faculté et d’une capacité à pouvoir métamorphoser les lieux dans leur consistance matérielle ou immatérielle.

Mais si cette recherche concède une large part à une approche conceptuelle, elle n’entend pas moins comporter une dimension opérationnelle. Elle est à la fois géographique dans la mesure où elle interroge la notion de spatialisation et porte également sur les questions d’aménagement de l’espace. Chacun des deux thèmes auraient même pu faire l’objet d’une recherche à part entière. En effet, cette thèse aurait très bien pu s’intéresser uniquement au processus de cosmogonisation des lieux que suppose l’acte de glisse. Elle aurait également pu examiner le seul processus d’institutionnalisation des territoires du surf et mettre plus en avant encore ses incidences en terme de structuration et qualification des espaces urbains balnéaires des stations littorales de la côte aquitaine. Néanmoins, on ne souhaitait pas cloisonner ces deux dimensions dans la mesure où celles- ci s’interpénètrent. D’autre part, situé à l’intersection de ces deux champs au regard d’un

477 double positionnement, à savoir celui de doctorant et celui de salarié de la fonction publique à temps plein, on souhaitait mobiliser les connaissances théoriques au bénéfice de l’opérationnalité et vice et versa. Autrement dit, on souhaitait renforcer notre expertise conceptuelle au bénéfice de l’action publique et de l’opérationnalité. Désormais, on prétend que la dimension géographique du surf influe sur les choix des pouvoirs publics en terme de gestion des espaces littoraux, tout comme cette prise en charge institutionnelle du surf influe sur la géographie des surfeurs. Voilà pourquoi on a privilégié l’approche systémique au détriment d’une lecture constructiviste. Ces résistances et ces contestations méritent sans doute d’être entendues par les pouvoirs publics qui mobilisent le surf dans le cadre des politiques sectorielles en faveur du développement touristique, économique, social, sportif… En effet, comment les pouvoirs publics pourraient-ils faire l’économie de cette prise de conscience sans courir le risque que leurs stratégies de développement articulées autour du surf, qui présentent l’activité comme une offre de loisir ludique, convivial et bon enfant, soit en complet décalage avec ce que vivraient les touristes potentiellement en proie à des formes de stigmatisation et de violence exercées par les surfeurs résidents ? Comment les collectivités territoriales peuvent-elles vendre une destination surf si ceux qui souhaitent s’y adonner, ne le pourraient pas compte tenu de la stigmatisation dont ils feraient l’objet par les surfeurs aquitains ou d’une surfréquentation des spots . Un certain nombre de préconisation à l’encontre des acteurs publics peut alors être énoncées. Ces préconisations, même si elles relèvent sans doute du lieu commun, invitent à davantage de démocratie participative dans le cadre du processus décisionnel.

Néanmoins, encore faut-il caractériser les objectifs, les enjeux et l’intentionnalité des décideurs politiques lorsqu’ils statuent sur l’instauration d’un processus de démocratie participative dans la déclinaison des stratégies de développement local et territorial. Un rapport d’information 254 , remis à l’Assemblée Nationale, fait au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation des aides aux quartiers défavorisés, rédigé par les députés François Goulard et François Pupponi, détermine les différents degrés de stratégies observées (Goulard, Pupponi, 2010 :208). Ils observent six cas permettant de caractériser le niveau de participation des habitants dans le cadre du processus décisionnel allant de l’absence de stratégie à une stratégie de territoire pensée dans sa transversalité au sein de laquelle les propositions des habitants sont, non seulement

254 François Goulard et François Pupponi. Rapport d’information sur l’évaluation des aides aux quartiers défavorisés. Assemblée Nationale, 2010, 300 p.

478 entendues, mais pèsent sur les orientations arrêtées. Cela dit, on a mesuré qu’aucune politique publique spécifique n’a pour objet le surf. Le surf s’intègre plutôt, dans une dynamique incrémentale, aux politiques sectorielles sur le tourisme, le développement économique, le sport, l’aménagement urbain… Cela tient sans doute au fait que, d’une part, la répartition des compétences relatives à la gestion du sport ne sont pas suffisamment clarifiée, et d’autre part, le surf embrasse des thématiques transversales (tourisme, développement économique, action sociale…) que la plupart des collectivités territoriales souhaitent valoriser et bonifier. Les surfeurs devraient donc développer leurs dons d’ubiquité pour siéger dans toutes les instances de gouvernances locales relatives aux thématiques évoquées ci-dessus pour faire entendre leur voix. Ainsi, tant que ne sera pas réglée la question d’un partage des compétences entre les différentes collectivités locales vis-à-vis de la gestion du sport, chacune poursuivra sa propre stratégie et les moyens affectés ne pourront relever que du saupoudrage et nécessiter des logiques de cofinancements. Plus encore, préconiser une plus large participation des surfeurs dans les instances de gouvernance locale suppose que l’intensité et les modalités de leur participation soient clarifiées.

En effet, Jacques Donzelot et Renaud Epstein considèrent qu’il « importe de soupeser une proposition qui prétend ainsi restaurer l’action publique en y incluant directement les citoyens » (Donzelot, Epstein, 2006 :5). Ils s’interrogent sur les modalités de la participation proclamée comme nécessaire à l’accomplissement de l’action publique. Leurs travaux s’appuient sur l’échelle, élaborée en 1969 par Sherry Arnstein 255 , relative à l’intensité de la participation des habitants dans la prise de décision publique. Ils soulignent que Sherry Arnstein distingue trois niveaux correspondant à différents registres de pratiques, obtenant au total huit degrés possibles sur son échelle. Le premier niveau correspond aux deux premiers degrés, ceux de la manipulation et de la thérapie. À ce stade, le seul objectif est d’éduquer les participants et de traiter leurs pathologies à l’origine des difficultés identifiées… Ce qui est qualifié de participation vise dès lors exclusivement à obtenir le soutien du public. Ce premier niveau est considéré comme celui de la non- participation. Le second niveau comporte trois degrés : l’information est entendue comme phase nécessaire pour légitimer le terme de participation mais insuffisante tant qu’elle privilégie un flux à sens unique ; la consultation qui n’offre aucune assurance que les

255 Les auteurs renvoient à la lecture de Arnstein Sherry. « A ladder of citizen participation ». Journal of Ameriacan Institute of Planners , 1969.

479 attentes et suggestions des personnes consultées seront prises en compte ; la réassurance qui consiste à autoriser les citoyens à formuler des propositions mais en garantissant à ceux qui détiennent le pouvoir d’arrêter les décisions. Ce second niveau est celui de la coopération symbolique. La participation commence donc avec le troisième niveau qui comporte également trois degrés. Le premier consiste en la formation d’un partenariat, forme de redistribution des pouvoirs. Le second est la délégation de pouvoir. Les citoyens occupent alors une position majoritaire qui leur confère une autorité réelle sur le processus décisionnel. Le troisième est le contrôle citoyen. Les tâches de conception, de planification et de direction du programme relèvent directement des citoyens. Ce troisième niveau correspond au pouvoir effectif des citoyens (Figure 24).

Figure 24 : Les degrés d’intensité de la démocratie participative

Contrôle Citoyen Délégation de pouvoir Partenariat Pouvoir effectif des citoyens

Réassurance Consultation Coopération symboliqu e Information

Thérapie Non participation Manipulation

Degré s de participation Niveau x de participation

Source : Donzelot, Epstein, 2006.

En revanche, malgré le fait que la participation des citoyens soit régulièrement préconisée, voire qu’elle s’impose comme véritable doxa en matière d’action publique, les auteurs soulignent, à travers l’exemple de la rénovation urbaine, que, dans les faits, la démocratie participative dépasse difficilement le cap des discours ou intentions politiques. Ainsi, les auteurs se demandent « comment expliquer que la participation soit en France un exercice plus incantatoire qu’effectif alors que, dans les pays anglo-saxons, elle relève

480 d’un impératif pragmatique ? ». Ils s’en expliquent. Selon Jacques Donzelot et Renaud Epstein, ce déficit de démocratie participative tient au fait que « nous utilisons la formule d’intérêt général en France alors que les anglo-saxons celle de bien commun ». Or, précisent-ils, « l’intérêt général est une manière de dire la supériorité de la République sur la démocratie, de faire de tout représentant de la première une personne capable de dépasser, de transcender, les positions partisanes que suscite la seconde ». Quant à ceux qui souhaitent participer, les auteurs soulignent qu’ils ne « s’inscrivent pas dans le schéma préféré des décideurs et seront vite perçus et dénoncés comme les défenseurs de leurs intérêts privés au souci de l’intérêt général dont se parent les décideurs publics ». Enfin, Jacques Donzelot et Renaud Epstein pensent que « nous cherchons dans la participation beaucoup plus une légitimation de la décision qu’une mobilisation par l’action. Nous désirons une démocratie participative, manière de dire que nous voulons associer les citoyens à la prise de décision, tout cela sur fond d’une tradition qui emprunte à Rousseau, au contrat social qui relie la souveraineté de chaque citoyen à celle de tous les autres… Cette démocratie participative diffère fondamentalement de la participation démocratique, laquelle conserve les modalités de mise en œuvre de l’action une fois celle-ci décidée quant à son principe… En ce sens, la démocratie participative constitue autant une gêne pour la décision que la participation démocratique fournit un avantage pour l’action ».

Mais, cette question du degré de participation des citoyens dans le processus décisionnel dans le champ de l’action publique territorialisée ouvre également d’autres perspectives pour les recherches en géographie et en aménagement. Comprendre la dimension ontologique que sous-tendent les spatialisations des individus constitue une opportunité nouvelle pour renforcer l’expertise géographique et engager de nouvelles logiques de planification de l’aménagement de l’espace. En réhabilitant l’habitant pensé comme citoyen enclin à réaliser la métamorphose des lieux en espaces, les pouvoirs publics pourraient alors s’affranchir de cette vision qui consiste à penser le citoyen comme un unique défenseur de ses intérêts particuliers. Les géographes et les aménageurs auraient alors un rôle à jouer afin, qu’en France, les pouvoirs publics emboîtent le pas sur leurs homologues anglo-saxons qui « au lieu de s’opposer aux intérêts particuliers, cherchent à les relier, à établir entre eux un accord qui les traverse » (Donzelot, Epstein, 2006).

Or, les acteurs du développement territorial s’emploient trop souvent à élaborer des diagnostics en fonction des composantes économiques, environnementales et sociales qui

481 participent de la structuration spatiale. Rares sont les projets de développement et d’aménagement du territoire qui accordent du crédit aux manières dont les individus souhaitent habiter leurs espaces. Dans ce contexte, une géographie de l’intime , située à l’interface entre les pouvoirs publics et les populations locales, permet que les premiers prennent en considération les aspirations individuelles et collectives des secondes. Dans le cadre de la déclinaison des politiques publiques liées à l’aménagement de l’espace, le rôle des aménageurs, inscrits dans cette quête de la dimension affective, ontologique du rapport de l’homme à son (mi-)lieu, serait donc de relayer le projet téléologique des habitants en privilégiant la concertation et le dialogue afin d’aider les habitants à élaborer, à fédérer, à formaliser et à élucider les manières dont ils envisagent les modalités d’un vivre ensemble dans un cadre spatial. Ces perspectives s’inscrivent en résonance avec les principes avancés par certains urbanistes qui recommandent de privilégier les objectifs par rapport aux moyens, d’adapter les projets urbains à la diversité des besoins, de concevoir les lieux en fonction des nouvelles pratiques sociales, de répondre à la variété des demandes, de créer une nouvelle gouvernance urbaine… (Ascher, 2004 :79-99). N’est-ce pas alors réhabiliter le concept d’habiter dans la mesure où « habiter est une exigence de liberté, un devoir d’humanité, un combat incessant avec la barbarie ordinaire. Habiter s’apparente à une respiration onirique qui nous enveloppe et nous transporte » (Paquot, Lussault, Younès, 2007 :16). Le cas échéant, comment ne pas mobiliser une géographie de l’intime , qui, dans un nouvel élan, autoriserait habitants et aménageurs à construire conjointement les territoires de demain dans la compréhension réciproque de leurs intentions respectives quand il s’agit de vivre ou faire vivre l’espace géographique ?

La compréhension du processus de spatialisation dessine donc une nouvelle approche géographique qui suppose de dévoiler la dimension poïétique de l’expérience spatiale. Cela renvoie à placer l’homme au centre de l’expertise en étudiant les rapports qu’il entretient aux lieux. Introduire les rapports hommes/lieux interrogent la construction identitaire des individus et appellent à s’immiscer au plus profond de leur intimité car, en leurs seins, s’orchestrent et s’arbitrent les qualification/disqualification des lieux ; premier pas vers la spatialisation. Ainsi, au risque de le répéter, même si « à l’entrée de nos sociétés dans un monde que la vocation prophétique de l’occident semble vouloir vouer à l’unidimensionnelle, l’utopie demeure… [et nous renvoie] à la condition antinomique des humains, en nous contraignant d’en explorer plus avant l’inéluctable profondeur » (Choay, 2006 :373). Dans ce contexte, l’espace ne peut être considéré que comme

482 « sociétal de part en part ». L’espace est aussi le support d’un existentialisme où transpirent les rêves, les utopies, les désirs irrationnels des individus. On reconnaît volontiers que la société influe sur ces rêves, utopies et désirs parfois irrationnels. Néanmoins, on persiste à penser que la géographie ne serait se circonscrire, à travers l’expertise spatiale, à la seule étude des sociétés. Car, la spatialisation est « la condition géographique » (Lazzarroti, 2006) de l’homme socialisé. Chacun, en habitant l’espace, y insère un peu de son histoire, de son vécu, de sa perception de l’environnement social, de ses rêves, de ses envies, de sa soif de vivre… L’approche systémique, dans la mesure où elle ne dissocie pas l’individuel et le social, peut constituer un puissant levier pour appréhender ce processus. En effet, l’individu, en prise avec son environnement social, construit ses représentations à l’aune des interprétations qu’il fait des informations issues de cet environnement social. Aussi, saisir le caractère individuel de l’acte de spatialisation appelle à entendre le sujet sur les interprétations qu’il a de son environnement social à l’aune de la manière dont il envisage son existence. Le caractère symbolique de l’acte de spatialisation qui suppose, au préalable, l’acte de cosmogonisation, est éminemment subjectif et emprunt des représentations mentales. Par conséquent, il s’agit de décrypter comment s’orchestrent les productions de ces espaces poïétiques. L’intérêt d’une telle posture intellectuelle réside donc dans l’exploration de la manière dont l’homme est « affecté en affection » par le lieu et comment son environnement social influe sur le fait qu’il soit « affecté en affection » (Zubiri, [1962], 2010). C’est pourquoi s’impose l’exploration des images poïétiques, des imaginaires, des symboles, des mythes que mobilisent les individus afin de les transférer pour construire leur langage spatial, leur géographie existentielle. Or, seule la proximité avec les habitants, et seuls le dialogue, l’échange, la concertation, l’écoute autorisent la lecture des registres symboliques, affectifs, culturels… que convoquent les acteurs pour habiter l’espace et ainsi se spatialiser. Car, affirmer le rôle prépondérant des structures sociales sur les actions individuelles n’informe pas plus sur le projet téléologique des habitants que sous-tend leurs spatialisations définies, non pas par l’usage des espaces examiné dans le cadre d’une théorie de l’habiter, mais par l’habitabilité des lieux. Or, l’analyse spatiale classique occulte le sens de l’acte d’habiter pour établir des lois et modéliser des systèmes d’organisation. Elle ignore le fait que les individus vivent l’espace sur un registre où s’orchestrent leurs émotions, leurs désirs de s’éprouver, leur souhait de se sentir exister... Ces analyses ignorent l’individu pensé dans son épaisseur psychologique, c’est-à-dire appréhendé à la lumière de son histoire personnelle et sociale, pour comprendre quels sont

483 les repères affectifs qu’il mobilise à l’heure de construire ses spatialisations. Ne convient-il pas alors de défendre une géographie de l’intime qui entend privilégier l’étude de la spatialisation, c’est-à-dire l’usage des lieux dans une perspective ontologique, à l’étude de la spatialité soit les usages des espaces ?

L’un des enjeux d’une géographie de l’intime consiste donc à mettre en lumière la manière dont le monde social influe sur les affects des individus et sur leurs manières d’habiter c’est-à-dire d’investir les lieux. C’est donc bien le rapport aux lieux qu’il convient de mettre en lumière, soit les transferts affectifs que les hommes effectuent et subissent sur les lieux pour se garantir d’exister. Pour révéler le « génie des lieux », faire œuvre de « géographicité », s’inscrire dans une géographie de l’habiter, on doit alors appréhender quels sont les types de lieux avec lesquels l’homme formalise ses relations. Ensuite, il s’agit de savoir quels sont les arguments mobilisés dans le cadre du processus de qualification des lieux entendu commet l’acte fondateur de la spatialisation des individus. Enfin, l’analyse des grandes dynamiques sociales et territoriales telles que la mondialisation, la multiplication des espaces fonctionnels dont certains s’apparentent à des « non-lieux » (Augé, 1992 :100), les dégradations environnementales, la montée de l’individualisme… doit permettre de saisir si celles-ci influent sur le rapport au lieu que l’individu socialisé entretient à travers la manière dont ils les habitent.

En a-« ménageant » les lieux ( wuniam ), les individus souhaitent habiter leurs espaces, soit leurs lieux cosmisés. Dans le cadre de la déclinaison des politiques publiques liées à l’aménagement de l’espace, la géographie de l’intime, inscrite dans cette quête de la dimension affective du rapport de l’homme au lieu, bouleverse les théories de l’habiter déjà mobilisées en géographie (Stock, 2004, 2005, 2006). Car, ces théories nous renseignent-elles sur le rapport de l’homme au lieu, sur le passage du chaos au cosmos, sur le lieu pratiqué, sur la mobilisation de la poésie humaine comme mesure du lieu, sur la constitution « des sphères », autrement dit sur le processus de spatialisation ? Cette théorie de l’habiter n’est-elle pas davantage développée au service de la compréhension du rapport des hommes aux espaces et non du rapport des hommes aux lieux comme le revendique cette thèse ? Car, pour Mathis Stock, les pratiques de lieux sont déconnectées de leur dimension existentialiste. Il envisage ce qu’il définit comme la pratique des lieux davantage comme une pratique des espaces sans évoquer le caractère ontologique que sous-tendent les rapports des hommes aux lieux. Au cœur de cette théorie ne manque-t-il

484 pas l’examen de ce qui fonde la qualité différentielle des lieux orchestrée à partir des choix subjectifs des individus en fonction de leurs convictions intimes, de leurs quêtes ontologiques ? Mathis Stock en invoquant une théorie de l’habiter, aussi efficiente soit-elle pour examiner, non pas les modes d’habiter des individus induits par la transformation des lieux en espaces, mais bien leurs choix de localisation et de territorialisation à l’aune d’opportunités nouvelles induites par l’accroissement des mobilités géographiques, n’appréhende pas le caractère ontologique que sous-tend la dialectique homme/lieu. En parlant des lieux, Mathis Stock n’évoque-t-il pas plutôt le concept d’espace c’est-à-dire le lieu révélé par l’homme au regard des manières dont le lieu l’affecte en affection ? Sans doute est-ce la raison pour laquelle il recommande de « dépouiller [l’habiter] de sa connotation écologique et cosmologique pour ne retenir que la dimension “topique” et symbolique ». Dans ce contexte, ne réduit-il pas l’habiter aux pratiques des espaces géographiques ?

On formule donc l’idée que la réhabilitation du concept d’habiter garantit la lecture du rapport intime, fruit d’une stratification des modes d’intériorisation des normes sociales, affublé d’une quête existentielle, qui lie l’homme au lieu. Habiter pose donc d’abord un problème de lieu qui, éclairé et résolu, invite à interroger l’espace. Habiter est l’expression des manières dont l’homme mobilise ses images, ses affects, ses émotions, ses rêves mais aussi contient ses angoisses, se prémunit de ses doutes, annihile ses peurs en recherchant dans son rapport au lieu l’émergence d’un espace sécurisant où il éprouve sa condition géographique. Habiter préside à toute spatialisation humaine. Il est un processus qui rend effective l’existence humaine sur terre ici et maintenant. A-spatial, l’homme n’existe pas. C’est pourquoi on défend l’idée que la connaissance du rapport de l’homme au lieu mérite un renouvellement épistémologique. On préconise donc l’étude de la spatialisation qui s’inscrit dans une recherche de la dimension ontologique de la transformation des lieux, de la métamorphose du chaos en cosmos, plutôt qu’une étude de la spatialité qui traduit un usage de l’espace déjà sacralisé. Ainsi, on prétend que l’étude de la spatialisation, c’est-à- dire la transformation du chaos en cosmos, est un outil conceptuel pour appréhender de nombreux phénomènes géographiques.

D’autre part, à l’heure où la notion de développement durable s’impose comme le nouveau paradigme de l’action publique en matière de planification territoriale, la prise en compte du caractère ontologique qui transpire dans l’acte de spatialisation constitue un

485 nouvel enjeu. En effet, nombreux sont les individus qui seraient en proie à la déterritorialisation. Peter Sloterdijk évoque l’idée que désormais l’humanité entreprendrait « une manœuvre pour compenser son absence d’enveloppe dans l’espace, due à la cassure des vases célestes » (Sloterdijk, [1998], 2002 :27). Déterritorialisés, « les renégats de la modernité [chercheraient] à déserter la confusion terrestre en se réfugiant dans des ordres cosmologiques ?» (Sloterdijk, 2000). Or, à l’heure de la postmodernité, nombreux sont les scientifiques qui évoquent également l’idée d’une déterritorialisation. Par conséquent, les individus ne trouveraient donc pas leur juste place dans les aménagements de l’espace tels que proposés dans les outils de planification. Augustin Berque pense que « la modernité se caractérise par une “décosmisation”… laquelle prive d’authenticité notre rapport aux lieux ». Françoise Choay précise que depuis quelques décennies le « dessin utopique d’un espace traditionnel jouant le rôle de pharmakon s’éclipse au profit d’un espace technique qui tend à jouer désormais un rôle hégémonique dans l’organisation de notre planète » (Choay, 2006). Marc Augé évoque la multiplication de non-lieux, terme utilisé pour « désigner les espaces de la circulation, de la consommation et de la communication qui s’étendent et se multiplient aujourd’hui sur toute la surface du globe » (Augé, 2009 :106). Dans, ce contexte, que reste-t-il aux individus sinon la fuite vers l’atopie qui « proclame la défaillance de l’homme-habitant qui, privé en quelque sorte de sa substance culturelle, se pose désarmé face aux processus de dégradation de la territorialité » (Turco, 2000) ? Que reste-t-il aux hommes sinon le désir de produire des néoterritorialités au sein desquelles il puisse expérimenter ses spatialisations et donc sa dimension existentielle ? Ainsi, la production de néoterritorialités ne serait pas seulement l’expression d’une fuite des territoires du quotidien. Elle traduirait plutôt le déficit quant au fait d’expérimenter un existentialisme au sein de ces territoires du quotidien. Là encore, cette thèse n’entendait pas tant comprendre comment se manifestent et se caractérisent ces productions de néoterritorialités mais bien pourquoi elles émergent. En réinvestissant le concept d’habiter, cette thèse entendait démontrer que ces néoterritorialités répondent à un besoin existentiel induit par une forme de déterritorialisation inhérente aux spatialités quotidiennes.

Finalement, la déterritorialisation traduit un déficit de spatialisation, c’est-à-dire que les hommes éprouveraient, au cœur de l’univers postmoderne, la plus grande difficulté à agir sur les lieux pour les transformer en espace. Ils seraient désormais de moins en moins capables d’éprouver leur condition géographique en créant une rupture dans l’hétérogénéité de l’espace profane, en habitant l’espace en poète. Ils auraient de plus en

486 plus de difficulté à renouer avec des « espaces louangés », avec leurs « sphères », avec « l’écoumène ». C’est pourquoi, Augustin Berque en appelle à « imaginer ce que pourrait être une “recosmisation” de l’existence humaine ». Car, il remarque que dans ce contexte, « la modernité tend à engendrer une “acosmie” générale : un manque radical de cosmicité qui, nous aliénant des choses, fait de celles-ci des systèmes d’objets indépendant de notre existence [qui prive] de sa place dans ce monde mué en objet, le sujet moderne tend en retour à absolutiser sa propre subjectivité, creusant ainsi toujours davantage le fossé qui le sépare des choses et de ses semblables » (Berque, 2008). Michel Roux qualifie ces espaces où l’individu explorerait la possibilité de révéler « l’Axis Mundi », de « ménager le quadriparti », comme ceux « de la nostalgie » (Roux, 1999)… Néanmoins, comment mobiliser la science géographique afin qu’elle puisse permettre aux individus de se recosmiser ? Comment concevoir la planification et la gestion de l’aménagement de l’espace comme une opportunité pour que les hommes puissent se recosmiser ? Ne convient-il pas alors de réhabiliter l’habitant dans « sa condition géographique » ? Les hommes, à supposer qu’ils soient en proie à « l’acosmie », « déterritorialisés », et conscients de leur « absence d’enveloppes », érigent-ils des nouveaux espaces afin de renouer avec leur être au monde ? Ces espaces, entendu comme lieux cosmogonisés sont- ils les supports géographiques au sein desquels les hommes éprouveraient l’exaltation d’un sentiment de vivre induit par la spatialisation ? Ces « néoterritorialisations de l’hors- quotidien », présentées comme une fuite vis-à-vis des spatialisations quotidiennes des individus, ne traduiraient-elles pas aussi une quête ontologique. En d’autres termes, les éléments sur lesquels s’enracinent ces néoterritorialisations, c’est-à-dire la réappropriation des milieux naturels face à la crise des espaces urbains, le nouvel usage des temps libres par opposition au temps rationalisé et fragmenté du quotidien, la recherche de convivialité face à l’anonymat et l’agressivité du tissu urbain et, la réhabilitation du corps, libéré par la pratique sportive, face au corps entendu comme outil de travail, ne sont-il pas aussi l’expression d’un besoin de recosmisation ? N’expriment-il pas également la manifestation d’un référentiel ontologique de l’habitant (Hoyaux, 2002, 2003) où se niche l’expression de sa subjectivité, sa quête existentielle ? C’est ce que souhaitait mettre en lumière cette recherche. En analysant le rapport spatial des surfeurs à la vague, cette thèse ambitionnait de démontrer que la glisse possède une dimension ontologique. Ce travail souhaitait souligner que la glisse autorise la mutation du lieu-vague, insignifiant, initialement amorphe, en espace-vague, c’est-à-dire un espace sacralisé au sein duquel le surfeur nourrit le sentiment de pouvoir s’y blottir pour reprendre l’expression de Gaston Bachelard.

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Mais, la glisse n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Ainsi, on affirme que la conquête des espaces naturels, l’intérêt croissant pour les espaces périurbains désaffectés, les pratiques culturelles et festives en milieu urbain… relèvent de la même intentionnalité. Il s’agit de se spatialiser afin d’éprouver l’être au monde ici et maintenant. Mais, dans ce contexte, ne convient-il pas de repenser le concept d’espace ? Car avec l’habiter, « tout nous engage à considérer l’espace, l’espace lui-même comme un drame. Étrange position. Il y a les choses dans l’espace, le corps et les objets, les architectures, les villes, il y a l’espace et ce qui s’y passe… Pour concevoir l’espace comme drame, il faut donc le saisir à l’état naissant dans les gestes et les postures de l’être au monde » (Goetz, 2011 :15). Cette préconisation de Benoît Goetz invite à repenser « le contrat géographique » ainsi que « le référentiel habitant » qui désigne « à la fois l’homme concret et l’ensemble des relations qu’il entretient avec les enveloppes sensibles du territoire où se déroule sa vie quotidienne » (Ferrier, 1998 :84). Or, à l’exception des études relatives aux espaces domestiques qui explorent le caractère ontologique contenus dans la relation des hommes aux lieux (Collignon, Staszak, 2003), trop rares sont les travaux récents permettant de repenser ce que recouvre la géographie. Pourtant, l’habiter n’est-il pas « le propre de l’humain » (Paquot, Lussault, Younès, 2007) ? La mobilisation du « référentiel habitant » ne constitue pas encore le fondement central ou plutôt le paradigme de la science géographique malgré le souhait exprimé en ce domaine par Olivier Lazzarroti. Seules quelques rares publications sur le sujet abordent cette question de l’habiter et explorent le caractère ontologique induit par la spatialisation. Les travaux d’Augustin Berque font figures de plaidoyers. Thierry Paquot précise également que « c’est parce que l’homme “habite” que son “habitat” devient “habitation” » (Paquot, 2007 :13). Mais réhabiliter l’habiter comme concept fondateur, sinon central de la science géographique, appelle également à repenser une « éthique de l’espace ». Autrement dit, en convoquant le concept d’habiter, les géographes et les aménageurs peuvent réfléchir aux dimensions politiques et éthiques de l’espace « sans le rabattre sur ses seuls aspects économiques, sociaux, culturels » (Lussault, 2007 :48). Dans ce contexte, « la géographie peut ainsi, à travers l’étude des habiters et des habitats, s’affirmer comme une science humaine et très politique de l’expérience spatiale en société » ( Ibid :52). Telle était l’ambition et l’intention sous- jacente à cette recherche. En démontrant le sentiment existentiel qu’éprouvent les surfeurs en pratiquant l’acte de glisse sur la vague, on souhait démontrer qu’habiter, c’est-à-dire assurer la sacralisation des lieux, est un existentialisme. On ambitionnait de mettre en

488 évidence qu’au cœur de l’intime se niche la stratification des émotions, des sensations, des expériences sociales qui fondent l’intégrité physique et psychologique des individus. Or, les individus convoquent cette part d’intime pour enclencher leur spatialisation, devenue effective à partir du moment où ils s’engagent dans un rapport spatial avec les lieux. C’est au cœur de l’intime qu’ils ressentent les lieux, se sentent affectés en affection, s’emparent ou se sentent emparés de leur génie. Cette spatialisation est indispensable à l’homme pour éprouver son existence sur terre. L’homme n’est au monde qu’en accomplissant son destin géographique. Il est au monde lorsqu’il transforme les lieux en espaces. Or, les géographes et les aménageurs en focalisant leur expertise sur l’espace, abandonne l’examen de la spatialisation au bénéfice de l’étude des spatialités.

Par conséquent, si l’on veut préserver le potentiel ontologique induit par la spatialisation, si l’on veut comprendre les résistances et contestations face au traitement de l’espace public, géographes et aménageurs n’auraient-ils pas intérêt à repenser l’acte de spatialisation comme ressort d’un bien-être indispensable à tout être humain ? « Être présent au monde, ouvrir des possibles de rencontre et de retrait, veiller à la singularité des situations, mettre en relation par des rythmiques dynamiques, maintenir un sens en partage, ménager les lieux et les milieux, c’est prendre soin de l’habiter et du cohabiter » précise Chris Younès (2007 :373). Ainsi, comprendre que la spatialisation détermine le niveau de sécurisation, de bien-être des individus apparaît alors primordial. Car saisir cela, c’est sans doute œuvrer en faveur d’une géographie et d’un aménagement de l’espace où l’unique leitmotiv de l’expertise consisterait à vouloir, à tous prix, optimiser ce potentiel ontologique dans le cadre du traitement des spatialités. Préserver l’ontologie de la spatialisation dans le cadre du traitement de la spatialité en géographie et en aménagement est une opportunité nouvelle pour tendre vers davantage de bonheur individuel et collectif. Préserver la possibilité pour l’homme d’explorer la transformation du chaos en cosmos dans le cadre de ses actes géographiques l’autorise à se sentir vivant ici et maintenant. N’appartient-il pas alors aux géographes, aux urbanistes, aux architectes, aux gestionnaires de l’espace de garantir aux hommes l’opportunité de vivre ce sentiment qu’est l’être au monde exalté dans le cadre d’expériences géographiques singulières ?

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509 TABLE DES MATIERES

Remerciements 3 Sommaire 7 Avant-propos 8

Introduction Générale 11 - La géographie à l’heure des néoterritorialités sportives 22 - Le rapport de l’homme au lieu 28 - Le lieu-vague, « l’intelligence sentante » et premiers jalons de la recherche 30 - Hypothèses et structuration de la recherche : la vague, l’espace-habité des surfeurs ? 33

Première Partie : Géographie de l’intime et spatialisation : Comment les surfeurs habitent-ils la vague ? 43

Introduction à la première partie : La question de la spatialisation 44

Chapitre premier : Le surfeur et la vague 52

1.1 La construction du surf et des surfeurs comme objets d’études et de recherches en sciences sociales 57 1.1.1 Des territoires de l’éphémère à la station surf : la survalorisation du surf dans l’attractivité des stations balnéaires en Aquitaine ? 57 1.1.2 Le fun, expression d’une contre-culture sportive des adeptes des sports de nature ? 63

1.2 Le surf et les surfeurs : objets d’études appréhendés dans leur pluralité 73 1.2.1 L’analyse des actions publiques territorialisées en faveur du surf 74 1.2.2 Qu’est-ce qu’être surfeur ? Une définition dichotomique 77

1.3 Le rapport du surfeur à la vague 79 1.3.1 La territorialisation des surfeurs, un processus inexploré 79 1.3.2 La vague : l’espace habité du surfeur ? 82 1.3.3 Vers une géographie de l’intime ? 90

Conclusion : Du lieu à l’espace : le processus de spatialisation ? 99

Chapitre deuxième : La relation de l’homme au lieu comme fondement d’une géographie de l’intime 103

2.1 De l’espace géographique à l’espace habité 105 2.1.1 L’espace géographique ne serait-il que sociétal ? 105 2.1.2 Le processus de sacralisation des lieux 108 2.1.3 Bâtir des lieux pour habiter des espaces : approche heideggérienne 113 2.1.4 Du lieu à l’espace : « l’homme habite en poète » 117

510 2.1.5 Les sphères : espaces de l’habiter 121

2.2 Appréhender l’habiter : analyse systémique et approche phénoménologique 125 2.2.1 Principes et théories pour saisir l’habiter 127 2.2.2 Convoquer « l’Arkhé-pensée » 131 2.2.3 Approche modélisée des contestations et résistances face à l’institutionnalisation des territoires du surf 132

Conclusion : La vague, l’espace habité des surfeurs ? 144

Chapitre troisième : L’habiter des surfeurs et géographie de l’intime 146

3.1 Non pas l’espace mais les espaces 150 3.1.1 La pluralité des espaces ou « les coquilles de l’homme » 150 3.1.2 Vers la notion « d’espace vécu » 154

3.2 Une géographie de l’intime 155 3.2.1 Lecture critique de la théorie de l’habiter 156 3.2.2 L’écoumène et « la médiance » comme étude des milieux humains habités 164 3.2.3 Vague et géographie culturelle 173

3.3. Surfer, une modalité pour d’habiter l’espace en poète ? 178 3.3.1 Au cœur de l’intime et habitabilité de la vague 179 3.3.2 L’acte de glisse sur la vague : une ontologie 197 3.3.3 Surf et concessions personnelles : un choix existentiel ? 208

Conclusion : La glisse et la vague habitée 212

Conclusion première partie : Mondialisation et différenciation territoriale 222

Deuxième Partie : Résistances et contestations des surfeurs à l’institutionnalisation des territoires du surf en Aquitaine 226

Introduction à la deuxième partie : la place du surf dans la structuration des territoires touristiques balnéaires en Aquitaine 227 - Tourisme : lecture critique d’un concept 227 - Les politiques publiques : essai de définition 237 - Structuration et qualification des espaces urbains balnéaires : la mise en tourisme du littoral aquitain 241

Chapitre quatrième : Le surf en Aquitaine : approche historique, sociologique et médiatique 259

4.1. Émergence et essor du surf sur la côte aquitaine 267 4.1.1 Des origines aux années quatre-vingt : la nostalgie d’une époque révolue ? 267

511 4.1.2 Le « bottom-turn » des années quatre vingt dix ou la démocratisation du surf en aquitaine 272

4.2. Portrait sociologique des surfeurs aquitains 278 4.2.1 L’enthousiasme local pour le surf 278 4.2.2 L’impossible profil sociologique des surfeurs 280

4.3. Les représentations sociales du surfeur dans les médias 285 4.3.1 Un surfeur type dans la presse locale 286 4.3.2 Le surfeur de la presse spécialisée 293 4.3.3 La mise en scène iconographique du surf 296

Conclusion : Vers l’appropriation du surf comme fait sociogéographique 301

Chapitre cinquième : L’institutionnalisation des territoires du surf 303

5.1 « La mise en scène (géo-)graphique » du surf par les collectivités locales 308 5.1.1 Les enjeux du projet et de la prospective territoriale 309 5.1.2 Le surf au cœur de la stratégie des stations balnéaires de la côte aquitaine ? 311 5.1.3 Le registre symbolique et imaginaire véhiculé par l’image du surf 323 5.1.4 Vers une nouvelle ère de développement touristique ? 325 5.1.5 Le surf, une ressource territoriale pour les stations littorales en Aquitaine ? 330

5.2 Les pouvoirs publics et l’ancrage spatial du surf en Aquitaine 343 5.2.1 La gestion des conflits d’usage 343 5.2.2 L’aide à la structuration de la filière sportive 346 5.2.3 Les infrastructures liées au surf au centre des projets d’aménagements des stations balnéaires ? 347 5.2.4 Le soutien au développement de l’économie de la glisse 351 5.2.5 L’intégration sociospatiale du surf dans les stations balnéaires 354

5.3 La politique du Conseil général des Landes en faveur des sports de nature et du surf 361 5.3.1 Le ministère des Sports et le développement maîtrisé des sports de nature : l’émergence d’un référentiel de politique publique 366 5.3.2 Les services déconcentrés interministériels en charge des sports à l’heure de la RGPP 373 5.3.3 La politique du Conseil général des Landes en faveur des sports de nature et du surf 376 5.3.4 Les outils de planification et d’aménagement relatifs à la valorisation des sports de nature 381 5.3.5 La Taxe d’Aménagement, une opportunité de réaffirmer la compétence départementale 389 5.3.6 Les sports de nature et le surf au service du marketing touristique 394

Conclusion : Quand le surf, outil de construction territoriale engendre la colère de certains surfeurs : seulement un paradoxe ? 401

512 Chapitre sixième : Résistances et contestations de certains surfeurs à l’institutionnalisation des territoires du surf 406

6.1 Quand les surfeurs parlent du surf 417 6.1.1 Le business, rien que le business 418 6.1.2 Je ne suis pas ce surfeur sur papier glacé 423

6.2 Quand les surfeurs parlent des pouvoirs publics 428 6.2.1 La stigmatisation des néophytes 430 6.2.2 Quand l’espace-vague devient « la Chine » 431

6.3 Essai de classification des résistances et contestations 434 6.3.1 La mobilisation environnementale comme mode de ménagement de l’espace-vague 434 6.3.2 Le trip surf ou la fuite pour renouer avec l’habitabilité de la vague ? 447 6.3.3 Les revendications sont-elles seulement spatio-identitaires ou d’ordre ontologique 450 6.3.4 L’abandon du surf au bénéfice de néoterritorialités sportives : à la recherche de nouveaux espaces ontiques ? 461

Conclusion : Vers une relecture des conflits au sein des territoires du surf 465

Conclusion générale : Perspectives pour la recherche en géographie et en aménagement 468

Bibliographie 490 Table des matières 510 Table des figures 514 Table des photographies 516 Table des annexes 516 Glossaire du surf 517 Annexes 518

513 TABLE DES FIGURES

Figure 1 : Hypothèses et structuration de la recherche 42

Figure 2 : Approche théorique pour une distinction des termes de lieu et d’espace 51

Figure 3 : La catégorie d’espace : quatre approches 106

Figure 4 : Du lieu à l’espace : l’habiter ou le processus de spatialisation 124

Figure 5 : Approche modélisée de l’habiter comme clef de lecture des résistances et des contestations des surfeurs à l’institutionnalisation des territoires du surf 143

Figure 6 : L’intensité et l’intentionnalité de la pratique du lieu-vague comme mode de catégorisation des surfeurs 185

Figure 7 : Modélisation de l’organisation spatiale et des dynamiques territoriales des stations littorales de la côte aquitaine avant la démocratisation du surf 255

Figure 8 : Mise en scène des surfeurs à Belharra dans le quotidien régional Sud-Ouest 277

Figure 9 : Couverture d’un guide de voyage – Pays-Basque 296

Figure 10 : Surf et publicité 298

Figure 11 : Le surf, un élément de la qualité du cadre de vie p 299

Figure 12 : Schéma des relations Mythe / Produit / Espace 307

Figure 13 : Le surf au cœur de la communication institutionnelle des stations balnéaires du littoral aquitain 313

Figure 14 : Le surf au cœur de la stratégie de communication dans le département des Pyrénées-Atlantiques 315

Figure 15 : Logo spécifiant l’adhésion des prestataires au « club promotion du surf dans les Landes » lancé par le CDT 331

Figure 16 : La stratégie d’énonciation territoriale du Conseil régional d’Aquitaine 336

Figure 17 : L’intégration sociospatiale du surf dans les stations du littoral aquitain 358

Figure 18 : Le développement maîtrisé en faveur des sports de nature – Cadrage législatif et réglementaire d’un référentiel de politique publique 372

Figure 19 : Affiche promotionnelle du Conseil général des Landes 388

514 Figure 20 : Les sports de nature au service d’une construction territoriale : approche systémique des incidences d’un projet politique 400

Figure 21 : Les règles de priorités établies par la Fédération Française de Surf 414

Figure 22 : Quand les surfeurs imaginent ce que les autres imaginent d’eux 424

Figure 23 : Sphère des conflits sur la vague 452

Figure 24 : Les degrés d’intensité de la démocratie participative 480

515 TABLE DES PHOTOGRAPHIES

Photographie 1 : Campagne publicitaire « I surf because… » 12

Photographie 2 : Des surfeurs au cœur de l’espace public : Une session d’octobre sur le spot de la grande plage de Biarritz 17

Photographie 3 : Jour de finale au « Quiksilver Pro France » 2011 à Hossegor 318

Photographie 4, 5, 6 et 7 : Le surf, un marqueur territorial 329

Photographie 8 : Affichage municipal relatif à la réglementation des plages en période hivernale. Plage de La Milady – Biarritz 345

Photographie 9 : La Cité de l’Océan et du Surf à Biarritz 349

Photographie 10 : Laurent Miramon dans son « jardin » à Safi – Maroc 454

TABLE DES ANNEXES

Annexe 1 : Poème « En bleu adorable » de Friedrich Hölderlin 518

Annexe 2 : Les conditions hydromarines locales favorables à la pratique du surf en Aquitaine 522

516 GLOSSAIRE DU SURF

Back side : Surfeur évoluant dos à la vague. Barrel : Qualifie une vague particulièrement creuse, une vague qui tube. Beach break : Vague qui déferlent sur des fonds sableux. Board : Planche de surf Bottom Turn : Virage exécuté en bas de vague. Canard : Gestuelle sportive qui consiste à couler sa planche afin de passer au dessous de la vague lorsque celle-ci déferle. Ce geste permet de franchir la barre et de rejoindre le line- up . Droite : Pour un Surfeur c'est une vague qui déroule vers sa droite lorsqu’il glisse dessus. Gauche : Pour un surfeur, c'est une vague qui déroule vers la gauche quand il glisse dessus. Glassy : Conditions données par une absence totale de vent. Les vagues sont lisses. Hang-Five : Figure traditionnelle de Longboard constituant à surfer le plus possible sur l'avant de la planche. Leash : Cordon élastique qui relie le pied arrière du surfeur à l'arrière de sa planche. Lèvre : Partie de la vague qui est projetée vers l'avant lors de son déferlement. Line up : Zone où déferlent les vagues et où le surfer attend la vague. Longboard : Grande planche de surf. Off shore : Vent de terre levant les vagues. On shore : Vent soufflant du large qui détériore la qualité des vagues et crée du clapot. Pic : Zone de formation des vagues. Reef Break : Vague qui déferle sur un fond rocheux ou de corail. Roller : Virage effectué en haut de vague. Session : Temps consacré à une séance de Surf. Set : Qualifie une série de vagues plus grosses que la moyenne. Shape : Forme de la planche. Shaper : Artisan qui détermine et sculpte la forme de la planche. Shore-break : Vague qui brise sur le rivage, vague du bord. Shortboard : Petite planche de surf. Spot : Zone géographique où déferlent les vagues. Swell : Terme qui désigne la houle. Take off : Action qui consiste à se mettre debout sur la planche et sanctionne le début de l’acte de glisse dans la vague. Tube : Figure qui consiste à se lover dans le creux de la vague.

517 ANNEXE 1

Poème « En bleu adorable » de Friedrich Hölderlin

Traduction d’André du Bouchet. Source : Friedrich Hölderlin. Oeuvres , Paris : Gallimard « La Pléiade », 1967, p 939-941.

« EN BLEU ADORABLE…

En bleu adorable fleurit Le toit de métal du clocher. Alentour Plane un cri d’hirondelles, autour S’étend le bleu le plus touchant, Le soleil Au-dessus va très haut et colore la tôle, Mais silencieuse, là-haut, dans le vent, Crie la girouette. Quand quelqu’un Descend, au-dessous de la cloche, les marches, alors Le silence est vie ; car Lorsque le corps à tel point se détache, Une figure sitôt ressort, de l’homme. Les fenêtres d’où tintent les cloches sont Comme des portes, par vertu de leur beauté. Oui, Les portes encore étant de la nature, elles Sont à l’image des arbres de la forêt. Mais la pureté Est, elle, beauté aussi. Du départ, au-dedans, naît un Esprit sévère. Si simples sont les images, si saintes, Que parfois on a peur, en vérité, Elles, ici, de les décrire. Mais les Célestes, Qui sont toujours bons, du tout, comme riches, Ont telle retenue, et la joie. L’homme En cela peut les imiter. Un homme, quand la vie n’est que fatigue, un homme

518 Peut-il regarder en haut, et dire : tel Aussi voudrais-je être ? Oui. Tant que dans son coeur Dure la bienveillance, toujours pure, L’homme peut avec le Divin se mesurer Non sans bonheur. Dieu est-il inconnu ? Est-il, comme le ciel, évident ? Je le croirais Plutôt. Telle est la mesure de l’homme. Riche en mérites, mais poétiquement toujours, Sur terre habite l’homme. Mais l’ombre De la nuit avec les étoiles n’est pas plus pure, Si j’ose dire, que L’homme, qu’il faut appeler une image de Dieu. Est-il sur terre une mesure ? Il n’en est Aucune, jamais monde Du créateur n’a suspendu le cours du tonnerre. Elle-même, une fleur est belle, parce qu’elle Fleurit sous le soleil. Souvent, l’œil Trouve en cette vie des créatures Qu’il serait plus beau de nomme, encore, Que les fleurs. Oh ! Comme je le sais ! Car A saigner son corps, et au cœur même, de n’être plus Entier, Dieu a-t-il plaisir ? Mais l’âme doit Demeurer, je le crois, pure, sinon, de la Toute-Puissance avec ses ailes approche L’aigle, avec la louange de son chant Et la voix de tant d’oiseaux. C’est L’essence, c’est le corps de l’être. Joli ruisseau, oui, tu as l’air touchant Cependant que tu roules, clair comme L’œil de la divinité, par la Voie Lactée. Comme je te connais ! Des larmes, pourtant, Sourdent de l’œil. Une vie allègre, je la vois dans les corps mêmes De la création alentour de moi fleurir, car Je la compare sans erreur à ces colombes seules

519 Parmi les tombes. Le rire, On le dirait, m’afflige pourtant, des hommes, Car j’ai un cœur. Voudrais-je être une comète ? Je le crois. Parce qu’elles ont La rapidité de l’oiseau ; elles fleurissent de feu Et sont dans leur pureté pareilles à l’enfant. Souhaiter un bien plus grand, La nature de l’homme ne peut en présumer. L’allégresse de telle retenue mérite elle aussi d’être louée Par l’esprit sévère, qui, entre Les trois colonnes souffle, du jardin. La belle fille doit couronner son front De fleurs de myrte, parce qu’elle est simple Par essence, et, de sentiments. Mais les myrtes sont en Grèce. Que quelqu’un voie dans le miroir, un homme, Voie dans son visage alors, comme le peintre, elle ressemble A cet homme. L’image de l’homme a des yeux, mais La lune, elle, de la lumière. Le roi Œdipe a un Œil trop, peut-être. Ces douleurs, et D’un homme tel, ont l’air indescriptibles, inexprimables, indicibles. Quand le drame Produit même douleur, du coup la voilà. Mais De moi, maintenant, qu’advient-il, que je songe à toi ? Comme des ruisseaux m’emportent la fin de quelque chose, là, Et qui se déploie telle l’Asie. Cette douleur, Naturellement ; oedipe la connaît. Pour cela, oui, naturellement. Hercule a-t-il aussi souffert, lui ? Certes. Les Dioscures dans leur amitié n’ont-ils pas, Eux, supporté aussi cette douleur ? Oui, Lutter, comme Hercule, avec Dieu, c’est là une douleur. Mais Etre de ce qui ne se meurt pas, et que la vie jalouse, Est aussi une douleur. Douleur aussi, cependant, lorsque l’été Un homme est couvert de rousseurs – Etre couvert des pieds à la tête de maintes taches ! Tel Est le travail du beau soleil ; car

520 Il appelle toute chose à sa fin. Jeunes, ils éclairent la route aux vivants, Du charme de ses rayons, comme avec des roses. Telles douleurs, elles paraissent, qu’Œdipe a supportées, D’un homme, le pauvre, qui se plaint de quelque chose. Fils de Laius, pauvre étranger en Grèce ! Vivre une mort, et la mort elle aussi est une vie ».

521 ANNEXE 2

Les conditions hydromarines locales favorables à la pratique du surf en Aquitaine

- La formation de la houle

Nées de la pression des vents qui soufflent sur les immenses étendues des océans, les vagues terminent leur course en volute ou s’écroulent sur elles-mêmes. Ce sont des ondes à la surface de l’eau. Par conséquent, elles obéissent aux mêmes lois et à la même analyse mathématique que les ondes sonores ou lumineuses, c’est-à-dire qu’elles transportent une énergie mais en aucun cas de la matière.

Les vagues naissent de l’action du vent au dessus d’un plan d’eau : l’air en mouvement adhère aux molécules de la surface et les poussent devant lui, ce qui a pour effet l’élévation du niveau de l’eau vers l’avant et la formation d’un creux derrière. Cela se traduit par une dissymétrie de la pression hydrostatique qui se rétablit instantanément par un front montant. Dès lors, le creux devient bosse et réciproquement, il offre donc une surface inclinée sur laquelle le vent a plus de prise : le mouvement oscillant s’amplifie en même temps qu’il se propage, et des ondulations s’étalent à la surface de l’eau. Les vagues dont la genèse se produit dans la zone où le vent souffle sont appelées vagues de vent, celles qui se propagent hors de leur zone de génération sont dites ondes de gravité et forment ce que l’on nomme communément la houle. La houle est donc une ondulation, généralement représentée sous une forme sinusoïdale, dont la propagation s’effectue tant que les vents sont orientés au même secteur que ceux qui l’ont généré. Le mouvement ondulatoire originel, généré par les vents, est transmis à des particules d’eau de plus en plus lointaines. En revanche, il n’y a pas de déplacement de matière. Le mouvement circulaire des particules d’eau provoqué par l’ondulation se fait autour d’une position moyenne qui ne varie pas. La houle peut tout de même être altérée en mer par des vents

522 défavorables à sa propagation. Ainsi, un vent perpendiculaire à la direction de la houle entraînera la formation d’une houle dite croisée. Un vent contraire à la direction de propagation de la houle, s’il est fort, l’atténuera rapidement. L’orientation et la force des vents créent des houles originales. Cependant, on distingue généralement trois types de houle dont les paramètres sont la hauteur entre la crête et le creux, la longueur d’onde soit la distance entre deux crêtes successives et la période c’est-à-dire le temps qui sépare le passage de deux crêtes successives en un même point. C’est avant tout la période qui permet d’individualiser les trois types de houle en l’occurrence longue, moyenne et courte.

Mouvement elliptique des particules d’eau

Source : De Soultrait, Cazenave, 1995 :16.

- Le déferlement des vagues : essai de typologie

En approchant des côtes, les vagues se déforment sous l’action des fonds marins. En effet, avec la diminution de la profondeur, la répartition d’énergie de l’ondulation est différente compte tenu de la diminution du volume d’eau dans lequel elle se propage. Le frottement de l’eau sur le fond ralentie chaque ondulation, puisque la hauteur de l’onde augmente tandis que la longueur d’onde diminue. Dès lors, le mouvement des particules d’eau jusqu’ici circulaire se transforme en un mouvement ellipsoïdal incliné vers l’avant sous l’impulsion de la remontée des fonds marins. Le déséquilibre de la crête ainsi induit provoque alors le déferlement de la masse d’eau la plus proche du rivage. Suivant la

523 configuration des fonds marins et de leurs inclinaisons, le déferlement varie. On distingue trois types de déferlements : en plongeant, en déversant ou en gonflant.

Les trois types de déferlement

Source : Robin, 2001.

Certains facteurs influencent la nature du déferlement. Ainsi la nature des fonds marins joue un rôle prépondérant dans la genèse du déferlement. Dans le langage des tribus du surf, lorsque celles-ci s’approprient techniquement les vagues, deux types de vagues coexistent. Les vagues de reefs sont constituées par des fonds rocheux ou de corail sous les latitudes tropicales,et sont donc, au regard des fonds marins qui les engendrent, stables. Or les reefs de par leur stabilité peuvent parfois supporter de grosses houles, et rester donc « surfables » grâce à l’absence de barre 256 . À l’inverse, les vagues de beach break sont constituées de fonds sableux souvent mobiles. Elles peuvent tout de même être stabilisées par la présence d’épis, de digues ou d’une avancée rocheuse. Elles fonctionnent

256 Les surfeurs parlent de barre lorsque la vague déferle au même moment sur une longueur de plusieurs mètres. Passer la barre à la rame pour se rendre au pic est un exercice qui nécessite beaucoup d’abnégation et une bonne condition physique.

524 généralement par petite houle, car quand la houle est consistante, la formation d’une barre est quasi systématique et rend la pratique du surf difficile. Enfin, le vent, selon sa direction et sa force, amplifie le processus de déferlement de la masse d’eau. Le vent dit on shore dans le langage du surf, est celui qui souffle de la mer vers la terre ayant, par conséquent, tendance à pousser les vagues en les écrasant. Ce vent est très peu apprécié des surfeurs puisqu’il amoindrit la force des vagues. En revanche, le vent dit off shore , soufflant en direction opposée à la propagation de la houle, c’est-à-dire de la terre vers la mer, a tendance à retenir la crête de la vague, retardant son déferlement qui sera d’autant plus puissant qu’il aura lieu tard. Ce vent fait la joie des adeptes des sports de glisse aquatiques puisqu’il participe à la formation de vagues tubulaires (déferlement en gonflant).

Après l’analyse de la formation des vagues et de leur déferlement, il s’agit de comprendre dans quelles mesures la côte aquitaine constitue une zone géographique où les conditions requises pour la pratique des sports de glisse aquatiques sont souvent optimales. Tout d’abord, il convient de remarquer que la diversité des vagues est due au caractère spécifique des fonds marins sur cette portion du littoral aquitain. En effet, le nord du littoral est caractérisé par une côte sableuse, tandis qu’à partir de Biarritz, et plus au sud, la côte est constituée d’affleurements rocheux du flysh pyrénéen. Cela permet une pratique des sports de glisse aquatiques par tout type de taille de houle. Ainsi, lorsque la houle dépasse les deux mètres, les adeptes des joies de la glisse situés au nord de la commune de Birraitz (zone de beach break ), n’hésitent pas à se rendre plus au sud sur les reef break tels que Lafiténia, Parlementia, Les Alcyons, ou Cenitz. Inversement, quand la houle est peu consistante, les surfeurs situés au sud de la commune de Bidart (zone de reefs break ) se déplacent au nord de cette commune pour y pratiquer leur sport. Par ailleurs, le plateau continental s’abaisse très rapidement et ne freine donc en rien la propagation de la houle, issue des centres dépressionnaires de l’Atlantique nord, qui garde, de ce fait, toute son énergie et sa puissance.

D’autre part, à l’automne et au printemps les vents sont souvent off shore , en raison du balancement à l’échelle mondiale de l’équateur météorologique, et contribuent, à en croire les dires des surfeurs, à la beauté et à la qualité des vagues durant ces deux saisons. Aussi, afin de cerner la prégnance de ces vents de secteur Sud-Est au printemps et à l’automne, qui participent de la qualité des vagues sur le littoral aquitain, il faut décrypter

525 les mécanismes climatologiques à l’œuvre. La vitesse de l’air dans l’atmosphère libre est en rapport direct avec la différence de pression entre deux points séparés par une distance donnée. Cette valeur est calculée en hectopascal par degré de méridien. En somme, plus les isobares sont rapprochés, plus le vent est rapide dans le secteur considéré. En ce qui concerne la direction du vent, elle devrait, en principe, s’orienter des hautes pressions vers les basses pressions, donnant donc une direction perpendiculaire aux isobares, si la terre ne déviait l’écoulement de l’air. En effet, le mathématicien français, Coriolis a montré que la force qui entraîne la déviation du vent est directement proportionnelle à la vitesse angulaire de rotation de la terre, ainsi qu’à la vitesse du vent et au sinus de la latitude. Cependant, les travaux de Coriolis permettent également d’affirmer que les vents faibles ne sont pas déviés, et que le ralentissement des vents dans les basses couches fait qu’il est peu oblique par rapport aux isobares. Or, au cours de l’année, le contact séparant les masses d’air des deux hémisphères se déplace de l’un à l’autre. Cette limite qui fluctue de part et d’autre de l’équateur a reçu le nom « d’équateur météorologique ». Du fait de cette circulation atmosphérique générale, il convient de constater qu’au printemps et à l’automne, les basses pressions dynamiques, qui engendrent la formation de la houle, se trouvent généralement au large de l’Irlande.

Cette répartition des champs de pressions génère donc sur la côte aquitaine des flux éoliens orientés au secteur sud-est, soit une orientation des vents répondant au processus de déplacement d’air visant à rétablir l’équilibre de pression en vidant les anticyclones au profit des basses pressions (Viers, Vigneau, 1990 :42-58). Par conséquent, on constate que le vent possède une orientation opposée à celle de la propagation de la houle. Cette situation climatologique constitue donc des conditions marines et éoliennes favorables à la beauté des vagues, telles que recherchées par les surfeurs, sur la côte aquitaine au printemps et à l’automne.

Enfin, les températures des eaux du golfe de Gascogne sur la côte aquitaine, soumises à l’influence du Gulf-Stream (courant chaud du Golfe du Mexique traversant tout

526 l’atlantique nord jusqu’en Europe 257 ) sont comprises entre vingt degrés et vingt trois degrés l’été et ne descendent pas en dessous de douze degrés l’hiver. Les températures de l’eau sont donc également un des éléments favorables à la pratique des sports de glisse aquatiques, tout comme les températures extérieures qui ne connaissent que de faibles amplitudes thermiques en raison d’un climat océanique propre aux zones tempérées. Cependant, on ne peut se résoudre à envisager dans une simple approche déterministe la passion pour le surf qui prévaut sur la côte aquitaine.

257 Dans un dossier vulgarisateur consacré aux changements climatiques, un journaliste du Nouvel Observateur , Fabien Gruhier, constate que le Gulf Stream est la plus belle illustration des mécanismes thermohalins qui constituent le « chauffage central » de la planète. Il est actionné par le sel qu’expulsent les eaux, lorsqu’elles se changent en glace au contact de la Banquise. Cet excès de sel alourdit le reste du courant d’eau qui s’enfonce sous l’océan et redescends en profondeur vers le sud. En retour, s’amorce la pompe pour la remontée, vers le nord, de l’eau réchauffée à la faveur du soleil des Caraïbes et ainsi de suite. En revanche, Fabien Gruhier, souligne qu’avec le réchauffement climatique, la Banquise perd depuis trente ans, 37 000 kilomètres carrées par an, et que ce phénomène enraye le processus thermohalins qui caractérise la genèse du Gulf Stream. Le scientifique Svein Osterhuns (Université de Bergen en Norvège) corrobore cette hypothèse puisque ses travaux mettent en évidence la « dramatique chute de puissance de ce courant marin ». Fabien Gruhier. « Le naufrage du Gulf Stream ». Le Nouvel Observateur , n°1886, 2001, p 23.

527 Des vagues et des hommes : La glisse au cœur des résistances et contestations face à l’institutionnalisation des territoires du surf en Aquitaine

Résumé : Cette recherche examine d’une part le caractère ontologique de la spatialisation des surfeurs et appréhende d’autre part la nature des politiques publiques territorialisées en faveur du surf. Dans le cadre du rapport du surfeur à la vague, on observe qu’à travers l’acte de glisse, les surfeurs métamorphosent le lieu et produisent leurs espaces de pratique. Ils nourrissent ainsi le sentiment d’être-au-monde induit par l’habitabilité de la vague, la cosmogonisation de la vague. En réhabilitant le concept d’habiter forgé par Martin Heidegger, on élabore les contours d’une géographie de l’intime pensée comme l’étude de l’espace habité afin d’envisager « la géographicité » des surfeurs, leurs « prises trajectives », leur « condition géographique ». On distingue donc les termes de lieu et d’espace en démontrant que le premier est atopique, insignifiant tandis que le second est sacralisé. On entend alors dépasser une lecture de l’espace présupposé comme déjà acquis pour l’homme et abordé comme seul support de ses spatialités. Par ailleurs, on examine comment les néoterritorialités sportives induites par la démocratisation du surf sur la côte aquitaine bouleversent la structuration des stations balnéaires fondée sur plus de deux siècles de développement touristique. Les pouvoirs publics, forts de la réhabilitation de l’image du surfeur dans le paysage médiatique, et conscients des enjeux territoriaux inhérents à la promotion de cette pratique sportive, accompagnent l’ancrage du surf et orchestrent une intégration sociospatiale du surf au sein des espaces urbains de ces stations balnéaires. Quant à l’institutionnalisation des territoires du surf, déclinée dans les outils de prospective et de planification territoriale, elle se traduit par « une mise en scène (géo- )graphique » du potentiel récréatif du littoral aquitain, une diversification de l’offre sportive au bénéfice d’un renforcement de l’attractivité touristique. Mais cette institutionnalisation des territoires du surf n’est pas sans provoquer des résistances et contestations de la part de certains surfeurs. Celles-ci, jusqu’ici présentées comme des luttes intestines et stigmatisées dans le seul champ de la déviance, sont alors présentées comme les manifestations d’un désir de préserver la dimension ontologique de l’espace-vague habité. À l’heure où le surf est mobilisé pour réenchanter le littoral aquitain, certains surfeurs, désenchantés vis-à-vis d’un tel projet de développement touristique, résistent et contestent en réponse à ce qu’ils ressentent comme une atteinte à leur existentialité.

Mots-clés : Surf, Processus de spatialisation, Habitabilité des espaces, Géographie de l’intime, Politiques publiques, Organisation sociospatiale, Prospective territoriale, Attractivité touristique, Aquitaine.

Of waves and men: Surfriding as the resistance and protest facing the institutionalization of the surfers’ territories in the Aquitaine region

Abstract :, This study investigates the ontological feature of the surfers’ spatialization on the one hand and, on the other hand, it endeavours to comprehend the public policies as far as surfriding is concerned. We establish that surfriding enables the surfriders to transform the place and create their own practicing spaces. Hence, they nurse their being into the world inferred by the dwellingness and the cosmogonization of the wave. By way of referring to Martin Heidegger’s concept of dwelling, we have worked out a geography of the intimate to analyse the dwellt space. We have set apart the notions of place and space revealing that the first term is meaningless whereas the second notion is made sacred. Moreover, this thesis examines to what extent the sport neoterritoriality induced by the surfriding democratisation on the Aquitaine coastline disrupts the seaside resorts’ organization based on more than two centuries of tourism development. The authorities promote the sociospatial integration of surfriding amidst the urban spaces of the seaside resorts. Through potential study and territorial planning relating to surfriding, the authorities endeavour to strengthen the tourism attractiveness of the coastline. Confronted with this institutionalization of their territories, some surfers have raised a protest which expresses their will to preserve the ontological dimension of the dwellt wave. While surfring is used to glorify the littoral of the Aquitaine region, some surfers, who are disillusioned by this project of tourism development, protest against what they feel like an infringement of their existentiality.

Key-words : Surfing, Spatialization process, Spaces dwellingness, Geography of the intimate, Public policies, Sociospatial organozation, Potential study, Tourism attractiveness, Aquitaine region.

Ludovic Falaix - Université de Pau et des Pays de l’Adour - Laboratoire SET-UMR 5603

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