URCEL & SON ÉGLISE De la même collection :

HISTOIRE DE BRAINE LA COMMUNE DE COLLIGIS-CRANDELAIN AUBIGNY-EN-LAONNOIS PENDANT DIX SIÈCLES LA VICOMTÉ ET LE VILLAGE D' MONOGRAPHIE DE COULONGES , LA SIÈGE ET ÉPRITEL HISTOIRE DE & VALPRIEZ LE VAL DE ET LES MULQUINIERS COMTE MAXIME DE SARS Lauréat de L'InûiLut

URCEL ET SON ÉGLISE

IMPRIMERIE DE L' 89. RUE DES ÉCOLES. 1935

AVANT-PROPOS

Le passé d'un village bâti sur une des grandes roules de est particulièrement attachant, puis- que c'est toute l'histoire même de la France qui défile ainsi en pacifiques cortèges ou en chevauchées belliqueuses. Les récits prennent un caractère tra- gique quand cette route est une de 'celles que suivent trop facilement les invasions en cherchant à atteindre le cœur du pays. Au cours de son histoire millénaire, les jours de fête ont alterné à Urcel avec les jours d'angoisse. Le souvenir des uns et des autres s'est profondément effacé et les archives de cette commune ne peuvent servir à les évoquer, car elles ont disparu dans un incendie vers 1836 et les précieuses minutes de l'étude notariale de , transférée à Urcel, titres qui remontaient à 1643, n'ont pu échapper à la destruction au moment de l'évacuation de 1917, sans avoir été dépouillées. Les éléments de cette étude ont été puisés dans les fonds d'archives de Laon, de Paris et de Lille, que l'auteur a explorés depuis trente ans dans le but de dégager le vrai visage du passé de son pays. Cuuillier de a trop longtemps empoisonné — le mot n'est pas trop fort — l'histoire du canton d Anizy ; sa Description du département de l'Aisne, parue en 184-6, dépasse, suivant l'expres- sion de Melleville, qui lui-même n'est pas toujours sûr, « en détails fabuleux tout ce qu'on peut ima- giner ». Il a paru utile de consacrer un chapitre à une description détaillée de l'admirable église Notre- Dame, que tant de visiteurs se plaisent à venir admirer chaque année. Ces pages sont dédiées aux habitants d'Urcel. Puissent-ils y trouver de nouvelles raisons d'aimer leur pays et d'y rester fidèles ! CHAPITRE PREMIER

LES ORIGINES

OMINANT le confluent de l' et de l'Ardon, Urcel est posé sur une vaste arête de grès D aplanie par la main de l'homme, à dix kilomètres au sud-ouest de Laon et à vingt ki- lomètres au nord-est de . L'agglomération est traversée par la route nationale no 2, de Paris à Maubeuge et à Bruxelles. Une ligne de collines largement découpée la surplombe d'une hauteur de 95 mètres environ et sépare les deux vallées qui se joignent à ses pieds. Le terroir, qui atteint une superficie de 713 hec- tares, contient peu de champs cultivables, mais beau- coup de bois et de pâtures, autrefois marécageuses. Les terres de labour couvrent 123 hectares (154 en 1810), les prés, 60 hectares (au lieu de 77), les vergers, 2 hectares (au lieu de 5), les bois, 363 hectares (au lieu de 207), les landes, 114 hectares (au lieu dq( 9 et 106 hectares de marais), les jardins, 20 hectares (au lieu de 7) ; 9 hectares de, vigne ont été arrachés. Troglodirt,s Les deux vallées qui s'unissent à Urcel ont sans doute été, de bonne heure, des lieux de passage; fréquentés et leur point de rencontre s'est bientôt peuplé. Pour se meUre à l'abri des dangereux ani- maux qui hantaient les bois impénétrables des fondis., les premiers habitants ont de préférence recherché les anfractuosités creusées par la mer tertiaire dans le banc de calcaire grossier qui affleure à mi-pente des collines. Leurs outils grossiers, faits de silex puis de fer, ont élargi ces alvéoles et ont permis d'aménager de véritables chambres. Plusieurs de ces demeures primitives se distinguent encore au-dessus de l'église, lieudit le Mont-Carroi, aux environs d'une fontaine pétrifiante dont les eaux vont se perdre dans l'Ardon. D'après les données de la science moderne, il faut faire remonter à l'âge du 'bronze l'érection d'un bloc de grès qui a donné son nom à un hameau aujourd'hui disparu, la Pierre-Ronde. Cette pierre, située à l'extrémité septentrionale de la table ro- cheuse dominant le confluent des deux cours d'eau, était un grès de forme conique, ayant deux mètres de hauteur hors de terre et autant de diamètre ; son sommet était percé d'une concavité en forme La Pierre ronde. (Extnllt de Notice sur divers monuments de <'epo'?ue celtique dans le département de l'Aisne, par Peigné-Delacourt).

d'œuf, dont la capacité était d'environ un litre. Comme le faisait remarquer le savant archéologue Peigné-Delacourt, dans une communication à l'Aca- démie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1864, la Pierre-Ronde se dressait « sur un terrain qui parait avoir été, dès la plus haute époque, disposé de main d'homme, en un plateau légèrement incliné à l'ouest ». Epoque »-romaine A l'époque gauloise, le Laonnois faisait partie de la tribu des Rèmes, dont la capitale est devenue la ville de Reims : on sait que ce peuple fut un des premiers et des plus fidèles auxiliaires de Jules César. Au-delà de l'Ailette, commençait le pays des Suessions. Sous la domination romaine, Urcel devint une agglomération importance, qui eut très probablement un temple. En 1865, on a découvert, au lieudit le Champ de la Croix, près de la route de Laon, une statuette en bronze du dieu Mercure, qui mesurait dix centimètres de hauteur ; un des pieds était mutilé, ainsi que les mains. Le baron de Tugny, président honoraire du tribunal de Soissons, se rendit acquéreur de cette petite idole et en fit don au musée de cette ville ; elle a disparu au cours de la dernière guerre. Urcel, frontière Les peuplades gauloises se transformèrent en cités d'états gallo-romaines et celles-ci en diocèses, sans modifier sensiblement leurs limites primitives. Saint Remi, évêque de Reims, né au pays de Laon, amputa en 499 son immense diocèse en faveur de son neveu, saint Génébaud, qui reçut le Laonnois et la Thiéra- che avec le siège de Laon. Clovis venait de s'emparer de la Gaule et fondait la monarchie franque. Ses fils divisèrent son royaume, dont l'unité fut rétablie par Clotaire Ier. A la mort de ce prince (560), ses enfants se partagèrent à nouveau la Gaule : le sort donna l'Austrasie (comprenant l'évêché de Laon) à Sigebert 1er et la Neustrie, avec le diocèse de Sois- sons, à Chilpéric Ier. Pendant près d'un siècle, Urcel se trouva sur la frontière de ces états, ensanglantés par la lutte des deux frères, puis de leurs femmes, Brunehaut et Frédégonde. La frontière passait par le pont Oger (autr. Auger), jeté sur l'Ailette, entre Urcel et . Son nom (pons Adelgesii) évoque le nom d'un chef franc (Adel) latinisé, comme on en rencontre tant d'exemples au cours des récits mérovingiens, preuve vivante de la fusion presque immédiate de l'élément gallo-romain et de l'élément franc dans le vaste creuset où devait se constituer la nation française. CHAPITRE II

LA ROUTE

E vieux chemin gaulois, transformé et élargi, était devenu, si l'on en croit Piette, une L spacieuse voie romaine, qui réunissait Au- gusta Suessionum (Soissons) à Bibrax (Laon), un des principaux oppides ou places-fortes de la cité de Reims. Epoque mero- i vingienne ' Cette route, mal entretenue après la chute de l'empire romain, en dépit des efforts de la reine d'Austrasie Brunehaut, demeura à travers les siècles une des principales voies d'accès au cœur de la France, chemin de passage des cortèges fastueux et des envahisseurs menaçants. C'est en elle que se concentre toute l'histoire d'Urcel, ses joies et ses malheurs. En rassemblant tous ces souvenirs qui dorment sous la poussière des archives, c'est toute l'histoire de France, glorieuse ou tragique, qui défi- lera sous nos yeux. Les premiers missionnaires de la foi chrétienne sui- virent sans doute cette voie, mêlés au menu peuple. Une tradition, recueillie par des historiens du ixe siècle, veut que saint Remi ait obtenu de Clovis, nouvelle- ment converti, tout le territoire qu'il pourrait par- courir pendant le repos du roi après son repas. Le saint fut insulté à Chavignon par un maréchal- ferrant qu'il maudit et, rebroussant chemin, continua sa course par Coucy et par Leuilly. La vie de saint Ansery ou Ancher, qui fut évêque de Soissons de 625 à 653, mentionne qu'il fut inhumé dans l'église Saint-Etienne, hors les murs de sa ville épiscopale, sur le chemin public de (super aggerem pu- blicum Croyaci). Moyen-âge Une charte de 1140 intéressant Chivy appelle cette route le chemin des rois (regium iter), sans doute parce qu'ils étaient accoutumés de la suivre fré- quemment en se rendant de Paris à Laon. Les princes capétiens furent très voyageurs jusqu'au XVIIe siècle. Il est probable que saint Louis passa à Urcel au mois de juin 1235 en allant de Paris à Laon et en revenant de Laon à Crépy-en-Valois. Au cours du moyen-âge, la route est de plus en plus suivie, à mesure que de nouvelles provinces, le Hainaut et le Brabant, subissent l'influence fran- çaise et sont gouvernés par des princes alliés à la maison de France. Le receveur de l'hôtel de Jeanne de Valois, comtesse de Hainaut, note avec précision que, le mercredi après la Toussaint de 1327, cette princesse et ses enfants, partis de leur château du Quesnoy, soupèrent à ; la longue caravane nécessitait le concours de 70 chevaux. Le lendemain, Jeanne soupa à Crécy-sur-Serre et, le vendredi, dîna à Laon (Lounon) et soupa à « Ourcel et de- morèrent là le samedi au disner, et au souper à Soissons » ; la dépense s'élevait, depuis le départ du Quesnoy, à 6 livres 2 sols (1.300 francs de notre monnaie). La princesse continua sa route par , la Ferté-Milon, Vaires, Lagny, Chelles, et arriva à Paris le mercredi de la semaine suivante, au soir. Quelques jours plus tard, elle regagna le Hainaut par la route de Flandre, passant par Senlis, Noyon et Saint-Quentin. La terrible guerre de Cent ans éclata peu après et les fastueux cortèges royaux firent place aux routiers qui semaient la terreur sur leur passage. Les bandes anglaises traversèrent souvent le Laon- nois en laissant derrière elles un sillage de meurtre et d'incendie. Leur présence est signalée en 1359 et en 1380. Elles s'emparent en 1373 de Vailly. Le duc de Lancastre campe à Mons-en-Laonnois en 1392. Par trois fois, l'ennemi cherche à emporter d'assaut la ville de Laon, et, furieux d'un de ces échecs, il détruit le quartier de la Villette. Les Français se divisent en deux camps, Armagnacs et Bourguignons, ajoutant ainsi les horreurs de la guerre civile à celles de la guerre étrangère. Au début de 1406, la municipalité de Laon délègue à ses frais un des gouverneurs de la ville pour obtenir de Charles VI l'ordre « de faire widier les gens d'armes et Bourguignons qui estoient aval le pays de Laonnoys et le gastoient ». L'année suivante, c'est le bailli de Vermandois qui fait porter par un sergent de la prévôté une lettre au duc de Bourgogne pour le prier de « faire et inciter provision sur gens d'armes, Bourguignons et autres, qui passoient et -de voient passer entre la Saint-Remi et la Tous- saint l'an 1111e et vfi: pour aller en Bresbant ou en Liège, si comme on disoit par le pais de Laonnois, et qui gatoient et pilloient le pais ». La guerre et les épidémies enlevèrent la moitié de la population française. et nos villages ne devaient jamais retrouver l'importance qu'ils avaient au XIIIe siècle. Au milieu de tant d'horreurs émerge là pure figure de Jeanne d'Arc. Après le sacre de Reims en 1429, elle s'en vint à à la suite de Charles VII, que la coutume obligeait d'y toucher les malades atteints d'écrouelles. Le cortège royal se dirigea ensuite sur Vailly, soit en prenant l'an- cienne voie romaine, connue aujourd'hui sous le nom de Chemin des Dames, soit en suivant le cours de l'Aisne, « et chevaulçoit, dit la chronique picarde, la dite pucelle devant le roy, toute armée de plains harnas à estendart desploiié ». Si elle a adopté le premier itinéraire, on aime à penser que la Sainte de la Patrie, au moment de tourner au midi pour gagner Vailly au-dessus de Pargny, par une radieuse journée de juillet, a entrevu la fine masse blanche du clocher d'Urcel en embrassant d'un regard ces belles vallées que guettait la dévastation. lissa nce Les guerres que François Ier soutint contre Char- Quint, prêt à encercler son royaume de trois côtés, ramena en Laonnois les troupes qui se groupaient pour couvrir la frontière du nord-est. Des lansque- nets ou fantassins allemands à notre solde étaient logés « ès villages de Chavignon, Ursel, Monampteuil et à l'environ » au mois de juillet 1525, et des italiens avaient pris leurs cantonnements à Monamp- teuil, Presles, Bruyères. Les bourgeois de Laon, effrayés de ce voisinage, leur envoyèrent plus de mille pains à 3 deniers tournois pièce (1 fr. 20) et vingt-cinq queues de vin « pour leur vivre et em- pescher qu'ils ne vinsent logier au dit Laon »- En 1544, Charles-Quint envahit le royaume par l'est, marcha sur Château-Thierry, puis tourna par Soissons et Anizy pour venir signer la paix à Crépy- en-Laonnois. On ne sait si ses fourrageurs s'aven- turèrent jusqu'à Urcel. Le jeune roi Charles IX, en se rendant au-devant de sa fiancée, Elisabeth d'Autriche à Mézières, suivit cette route le 14 novembre 1570, accompagné de Catherine de Médicis, sa mère, du duc d'Anjou, son frère, et de toute la cour. Le brillant cortège re- passa avec la nouvelle mariée le 3 décembre, ga- gnant Villers-Cotterêts. Les villes, surprises d'avoir à arborer les armoiries de l'ennemi héréditaire, se prêtaient l'une à l'autre les mêmes écussons. La seconde partie de ce siècle, qui mérita à tant de titres celui de la Renaissance, fut ensanglantée par de longues guerres religieuses. Nous ne savons si Urcel souffrit des protestants. La signature de la Ligue divisa le parti catholique et les Laonnois, qui en adoptèrent les couleurs, firent une guerre achar- née aux partisans d'Henri IV. En 1589, Laon tenait pour la Ligue, et Crépy pour le roi de Navarre. Le 11 octobre, des soldats ligueurs s'emparèrent de trois ou quatre paysans des villages d'Urcel et de Laval, coupables d'avoir conduit des ca- rottes et des « naveaux » aux royalistes, — le prover- bial navet d'Urcel était déjà fort apprécié, — et les menèrent devant le gouverneur; les prisonniers lui remontrèrent avec beaucoup d'à-propos qu'on ne de- vait pas leur interdire de mener leurs denrées ici ou là, sinon ils ne pourraient payer les impôts qu'on leur réclamait de deux ou trois endroits. Le gouverneur, amusé de la réplique, était prêt à les renvoyer, mais les militaires et quelques bourgeois entendirent les con- traindre à payer rançon « au meilleur marchet qu'ilz peurent ». Certains villages penchaient à prendre parti. Mo- nampteuil se déclara pour la Ligue et construisit un fort autour de son église, à l'exemple d'autres loca- lités. Les royalistes, passant probablement par Urcel, essayèrent de le surprendre au mois de mai 1590, mais les soldats et paysans réussirent à se jeter dans le fort et les assaillants durent se contenter de piller les maisons et d'en brûler deux ou trois. Les « royaulx » furent plus heureux au mois d'octobre : aidés par une partie de la garnison de Coucy, ils surprirent le fort de nuit et s'en emparèrent si ra- pidement qu'il n'y eut que trois tués. Ils repoussè- rent sur le plateau une attaque de la cavalerie laon- noise et la poursuivirent jusqu'à Ardon. Au bout de plusieurs jours, les vainqueurs rentrèrent chez eux en enmenant une grande quantité du bon vin de Monampteuil, dont le gouverneur de Crépy « en fut jouissant, comme aussi il lui fut porté les pièces des grosses cloches de l'église qu'il fit convertir au son de la guerre ». Après cinq ans d'escarmouches et de pillages, rap- porte un témoin, « ès villaiges circonvoisins de la ville la misère estoit grande. Les riches paisans avoient vendu la plus part de leurs héritaiges à fort vil prix pour avoir de l'orge, de l'avoine et du son pour substanter eulx et leurs familles ; les pau- vres quictèrent le pais et estoient errans par les champs; les aultres mouroient de faim, de malladie et de mesaise, de fasson que plusieurs villaiges de- meurerent desertz et sans habitation, les terres en friches, les vignes en savart et les pastures sans bes- tail, ce qui engendra comme ung quatriesme fléau de l'ire de Dieu envers ceulx qui restoient aux villaiges assçavoir la furie exercée par les loups, lesquelz ne trouvant aulcun bestial par les champs eL affriandez de la chair humaine de plusieurs corps mortz tant durant la guerre, famine, que pestillence, sortirent des bois et forestz, se jectoient furieusement sur les personnes de tous sexes et aages et les dé- voroient et mangeoient en plusieurs parties de leurs corps avec grand rage et cruaulté, de sorte que à cause de la craincte d'iceulx on n'ozoit aller par les champs que en trouppes et bonne compaignie avec armes et bastons offensifz ». Le gouvernement réparateur de Henri IV, aidé de ses populaires ministres, ramena en peu de temps la joie et la prospérité dans les chaumières autour de la poule au pot Le grand siècle Le grand siècle s'ouvrit à Urcel par un nouveau cortège royal. Au mois de juillet 1603, la reine Marie de Médicis vint en pèlerinage à Liesse pour remer- cier la Sainte Vierge de la naissance du futur Louis XIII. A son arrivée à Chavignon, six douzaines de bouteilles de vin lui furent présentées de la part de la ville de Laon. A son retour, elle repassa par cette ville et une trentaine de bourgeois à cheval reconduisirent « la dicte dame jusques et au-dessus de la montagne du dict Chavignon » ; il en coûta 39 livres 16 sols tournois à la municipalité pour le dîner et le souper que leur offrit la ville à leur retour. Le gros duc de Mayenne, qui ne souffrit de son vainqueur Henri IV, on se le rappelle, d'aulre peine qu'une longue marche, vieillissait doucement dans la tranquille sinécure du gouvernement de Soissons. Au mois d'août 1605, le prévôt et les gouverneurs de Laon lui offrirent, à l'occasion de son pas- sage à Urcel, de nouveaux échantillons des vins du Laonnois. Le mémoire présenté au receveur muni- cipal donne des détails précis sur cette cérémonie : Soit vingt-quatre bouteilles de voirre (verre) couvertes d'osier. XLVIII sols Pour le vin blanc et claret pré- senté vin liv. iiii sols Pour le louaige d'un mullet pour apporter ledict vin à Urcel ...... xv sols Pour les despences de Mr le pré- vost, des gouverneurs et aultres faictes audict Urcel pour avoir présenté ledict vin lvi sols Pour les deux valetz de ville qui ont vacqué en ceste affaire et conduict le vin audict Urcel ...... xx sols Somme tout quinze livres quatre sols. Quatre ans plus tard, le bon roi Henri fut pris d'une passion si violente pour la jeune princesse de Condé que son mari jugea prudent de partir clandestinement avec elle, par une sombre journée du mois de décembre 1609, de son château de Muret, en Soissonnais, pour se réfugier aux Pays-Bas. Leur carrosse passa par Laon, Crécy-sur-Serre et Lan- drecies, enlèvement innocent que le secrétaire Virey traduisit en vers faciles : Ce que voyant le prince, et ce luy faisant mal, La laisse en son privé et remonte à cheval, Et tousiours le premier se montre dans la voye, Que le guide à dessein de deux lieues fourvoyé ; Mais remis en la bonne, à tant l'on prend du vin, El fait on aux cheveaux donner le picotin ; Puis le prince s'advance autour de la montagne, D'où la ville de Lan regarde la campagne, Passant par des faubourg ; mais lin si gros brouil- La ville enueloppoit qu'on ne le vit pas, [las Le ciel favorisant sa magnanime fuilte. Au milieu du siècle, la guerre die Trente ans, pa- nachée de luttes civiles, ramena la Picardie, pour moins longtemps toutefois, aux pires années de l'in- vasion anglaise. Amis et ennemis vivaient sur le pays, mais les dangers de la route n'effrayaient pas les milliers de pèlerins qui venaient chaque année, de tous les points de la France, prier Notre-Dame de Liesse. Un trésorier-payeur de la gendarmerie du roi, Saint-Pérès, a laissé un tableau en vers de la guerre dans la vallée de l'Ailette en 1644 : Nous disnies tous pourtant, d'une commune voix, Que ce pciïs n'est plus ce qu'il lui autrefois. Comme on void en esté l'impitoyable gresle Fondant sur les espics, les coucher pesle-mesle : Ainsi les escadrons, sous le drapeau de Mars, Ont inhumainement pillé de toutes parts, Les biens des pauvres gens, désolé la campagne, Massacré le mary, violé sa compagne, Et de tous leurs hameaux fait un lieu déserté, Où ce n'est que dégast, qu' horreur, que pauvreté... Or en continuant la route commencée, Nous allons l'achever, l'ayant bien adoancée. Du Val de Chavignon, après nostre repas, Au grand chemin battu nous tournasmes nos pas : Mais un peu plus avant, de mal-heureux gensd'ar- [mes, Semblant nous aborder, nous remplirent d'alarmes: Mais nostre jugement à ce coup fut trompeur Et nous eusmes alors moins de mal que de peur. Témoignage plus précis, le clergé, ruiné dans ses biens, demanda au lieutenant général du bailliage de Laon de procéder en 1648 à une information sur les pertes qu'il avait subies depuis huit ans. Un gentilhomme demeurant à Merlieux, Jacques du Quennet, écuyer, seigneur de Tannières, après ser- ment de dire la vérité, cita les bourgs et villages d'Anizy, Lizy, Brancourt, Wissignicourt, Urcel, Chivy, Etouvelles, Mons-en-Laonnois, parmi ceux qui avaient le plus souffert. Chaque année, les gens de guerre imposaient plusieurs fois leur présence et la conduite de ces soudards était telle que ces localités avaient perdu la moitié de leur population. En 1648, plu- sieurs compagnies de cavalerie y avaient logé et vécu avec une licence effrenée, pillant et rançonnant les habitants et emmenant les chevaux de labour qu'ils faisaient racheter deux et trois fois par leurs pro- priétaires. Notre village n'était pas à la fin de ses souf- frances. Les troupes de mercenaires continuèrent à suivre la route pour se rendre en Thiérache et aux Pays-Bas. On garda le souvenir du régiment commandé par le comte de Villers qui séjourna dix-sept jours à Urcel pendant le mois de décembre 1648, d'un régiment de Polonais au mois d'octobre 1649, de la compagnie de cavalerie du sieur de Saint-Téran au mois de juin pendant dix-neuf jours, des régiments de Piémont et de Grandpré en septembre 1650. Ces troupes vivaient à discrétion, emportant meubles, bestiaux et chevaux, donnant les grains à leurs bêtes, aussi insolantes que pil- lardes. L'armée espagnole de l'archiduc Léopold avait franchi la frontière et mis le siège devant Guise qui se défendait héroïquement. Aux environs du 6 septembre 1650, les troupes du maréchal de Villequier partirent de Soissons pour retrouver aux environs de Laon l'armée du roi, commandée par le maréchal du Plessis-Praslin. Elles campèrent sur le terroir d'Urcel et, en vingt-quatre heures, firent manger les récoltes par leur cavalerie et enlevèrent les meubles, les bestiaux et les chevaux. Elles avaient quitté les lieux depuis six jours, quand des coureurs de l'armée ennemie, campée à Bazoches et à Fismes, s'abattirent au nombre de 700 chevaux sur les mal- heureux habitants d'Urcel, en emmenèrent plu- sieurs prisonniers et pillèrent ceux qui restaient. « Comme lesdits habitans se pensoient rétablir pour la seconde fois » en recueillant quelques fruits et légumes dans leurs jardinages, ils en furent frustrés par le passage de six régiments portant les noms les plus glorieux de l'armée : la Marine, Saulx, Mazarin, Picardie, Navarre et Piémont ; ils ne se contentèrent pas d'enlever les fruits des arbres et le raisin ; ils retournèrent la terre des jardins pour en tirer les légumes, abattirent toutes les maisons pour emporter les bois, « tellement que les habitans dudit lieu et des lieux circonvoisins n'ont recœuilli en ladite année 1650 aucuns grains, fruictz et lé- gumes et en l'année 1649, la vigne ayant esté gellée, n'ont aussy recœuilli aucuns vins, ce qui les a reduict à une telle extrême nécessité que la plus grande partye des habitans estants venu mala- des il en est mort plus de vingt quatre de tout sexe et aage et de ceulx qui en restent vivant il y en eu deux tiers réduict en la mendicité dont il en meure tous les jours ». Tout commerce était impossible depuis le début d'octobre 1649 et les six bons cabarets et hôtelleries que les voyageurs et les rouliers faisaient prospérer à Urcel avaient été rui- nés dès les premiers logements militaires ; dix-huit mois plus tard, aucun d'eux n'avait pu être rétabli « pour la grande pauvreté et misière où le peuple est à présent réduict ». Ce tableau impressionnant n'est pas extrait des pamphlets et de récits composés après coup. C'est le témoignage de cinq habitants entendus sur place dès le 23 mars 1651 au cours d'une nouvelle information faite par Louis de Héris- sart à la requête du fermier général des aides de l'élection. Les cinq témoins entendus furent messire Michel Champion, curé du bourg d'Urcel, âgé de 58 ans, Simon Patriarche, procureur d'office, 46 ans, Pierre Berthoult, charpentier, 62 ans, Tassin Cornet, 50 ans, et Pierre Plongeron, 25 ans, qui prêtèrent serment de dire la vérité. Au cours de l'année 1653, les armées des maré- chaux de Turenne et de la Ferté, concentrées à , marchèrent sur Rocroy, qu'investissaient les Espagnols et, n'y pouvant parvenir, s'emparèrent de Mouzon. Le jeune roi Louis XIV, après un séjour d'un mois à Soissons avec sa mère Anne d'Autriche, son frère, le duc d'Anjou et le cardinal Mazarin, quitta cette ville le 30 septembre pour venir à Laon, où il demeura jusqu'au 10 octobre, pour retourner ensuite à Soissons, passant ainsi deux fois par Urcel. Après la prise de Mouzon, les troupes françaises prirent leurs quartiers entre Reims et , « d'où ils font, écrit un annaliste de Marle, des courses de huict ou dix lieues loing, pillent et enmeinent tout ce qu'ils rencontrent à la campagne, aux forts et villages ». Le 25 octobre, les soldats du maréchal de la Ferté suivent la vallée de l'Ai- lette jusqu'à « Chavignon et environs, où ils demeu- rent jusques au vingt-neuf du dit mois qu'ils revien- nent à Coucy, Eppes et autres villages des environs de Laon, empeschant les labeurs et couvraines des bleds quy jusques alors n'avoient encore peu estre semez à cause des courses journalières et pillages ordinaires des dictes armées ». La guerre se poursuivit les années suivantes en Champagne et en Lorraine. Urcel avait pendant treize ans souffert autant de ses défenseurs que de ses ennemis. Suivant la forte expression d'un soudard de l'époque, on était « mordu du chien de France ou estranglé de la chienne d'Espagne ». Les deux traités qui achevèrent la guerre de Trente ans faisaient espérer que la Picardie ne serait plus jamais un champ de bataille. La fron- tière était reculée bien au nord et rendu infran- chissable par plusieurs lignes de forteresses. Avec la paix, revint la prospérité. Pendant plus de cent ans, le Laonnois jouira d'une ère de tranquillité, que trahissent d'agréables maisons vigneronnes dont plusieurs inventaires nous restituent le mobilier. Les armées sont devenues plus disciplinées sous l'énergique impulsion de Louvois. Au cours des longues guerres du règne de Louis XIV, elles ne font plus que traverser le Laonnois. Les régiments et les convois passent par Urcel et Laon, quand ils ne sont pas dérivés à Chavignon sur l'ancien chemin de par Mons-en-Laonnois et Crépy, qui ne sera abandonné qu'au siècle suivant. L'anna- liste ne trouve plus qu'à noter des faits divers : en 1674, un « soldat ou valet d'un officier appelé Mr de Beaufort, du régiment de Mr de Turenne », se tue en tombant d'une charrette sur le chemin de Laon à Urcel, et la présence d'un chapelet dans sa poche permet au curé de l'inhumer en terre sainte sans scrupule. La chaussée entre Urcel et Chavignon est refaite de 1686 à 1689 et le pont Oger est rétabli en 1690. Deux ans plus tard, le Roi-Soleil, couvert des lauriers cueillis devant Namur, qui a été prise en huit jours, passe à Laon le 11 juillet 1692, avec Sa cour, et couche le lendemain à Soissons. siècle La dernière guerre du règne ramène l'ennemi en France, mais la ligne des forteresses ne cède pas et, si des partis de cavalerie hollandais peuvent s'infiltrer jusqu'à l'Aisne, notre village ne paraît pas avoir souffert de leurs injures. Les officiers avaient l'habitude à cette époque de recruter des soldats dans leur pays. L'un d'eux, originaire d'Urcel, Claude Plongeron, délégué dans ce but en 1709 par son capitaine, M. de Ribeauvillé, du régiment Royal, qui était fils du vicomte de wlonampteuil, fut assassiné sur le grand chemin, lieudit le voyeu de Comporté (on appelait ainsi le chemin conduisant aujourd'hui de la route nationale au passage à niveau) par des soldats ou dragons de la garnison de Laon ; « ayant donné des marques de bon chrétien et dit qu'il souhaitait se confesser, mais n'ayant pu le faire pour avoir été trop tôt prévenu de mort », il fut aussi, à la requête de la mère du capitaine, inhumé dans le cimetière. Cinq ans plus tard, un autre meurtre fut commis sur la personne d'un maître perruquier de Soissons, Charles Huet : on le trouva mort dans les marais, lieudit la Haute-Chaussée, la gorge ouverte d'un coup de baïonnette. L'enquête, menée immédiatement par le prévôt provincial de la maréchaussée, Nicolas Marquette, prouva qu'il ne s'agissait pas d'un crime militaire, en dépit des apparences ; l'assassin était un cordonnier « en vieil », Jean Compagnon, qui avait déjà commis plusieurs vols et détroussé des passants. Appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, il dénonça deux complices, un tireur de canards de Pargny et un fendeur de bois de Cessières qui avait habité Urcel. Six mois après son crime, Compagnon fut condamné par le prévôt, assisté de douze conseil- lers, à « être rompu vif sur un échafaud sur la place publique de Laon et ensuite mis sur une roue, la face tournée vers le ciel et y demeurer tant qu'il plaira à Dieu le laisser vivre, puis exposé entre Laon et Soissons sur le grand chemin au lieu dit le Buisson Jolimay à la Haute-Chaussée ; ses biens, confisqués après prélèvement de deux cents livres d'amende ». Au bas de cette sentence, les juges, pris de pitié, ajoutèrent que, par délibération secrète, le condamné ne recevrait que quatre coups vivant et serait ensuite étranglé. Le bûcheron, après avoir été torturé, fut condamné « à servir le roi à perpétuité en qualité de forçat sur ses galères » ; pour le chasseur de canards demeuré introuvable, on dut se contenter de rompre vive son effigie, de la mettre sur la roue et de l'exposer au bord du che- min; les biens des trois criminels étaient confisqués, après paiement d'une amende solidaire de 500 livres. Si nous nous sommes étendus sur ce fait divers, c'est que ce crime, dont le procès nous peint la justice d'autrefois clans toute sa rigueur, est le seul que nous- ayons retrouvé dans le passé d'Urcel. A ces heures troublées, les femmes risquaient sur les grands chemins d'autres dommages que la mort. Une servante étant accouchée d'un enfant, au mois de mars 1714, avoua devant témoins, « que sur la fin de l'aoust dernier s'en allant à un des prez de son maistre travailler au foin avec un rateau, elle fut rencontrée par un homme à cheval accom- pagné d'un autre homme à pied qui paroissoit être son valet, lequel l'ayant poussé dans le bord d'un bois, celuy qui étoit à cheval en étant descendu vint à elle le pistolet à la main, et l'ayant menacé de la tuer si elle ne se laissoit faire, vint enfin à bout d'elle, et c'est de celte action qu'est provenu ledit enfant ». Le siècle qui débutait si mal devait être dans son ensemble plus calme pour nos provinces que les deux précédents. S'il y eut des guerres, elles eurent pour théâtre l'Italie, les Pays-Bas autrichiens, l'Alle- magne. Le grand chemin était sillonné par les lourdes voitures des messageries qui dételaient à la poste de Vauxrains et brûlaient Urcel pour gagner Laon. Au début du règne de Louis XVI, un carrosse partait de Paris tous les samedis à six heures du matin, passait la nuit du dimanche au lundi à Soissons, repartait de cette ville à cinq heures du matin, s'arrêtait à Chavignon pour déjeuner et arri- vait à Laon sur les deux heures ; il en coûtait 15 li- vres (150 francs de notre monnaie) par personne et 1 sol 6 deniers (75 centimes) la livre par paquet. On repartait de Laon le mercredi matin, pour cou- cher à Soissons, et on gagnait la capitale le vendredi soir. Le jeudi, à 6 heures, un coche quittait Paris pour Laon, en repartait le lundi à 7 heures du matin et rentrait à Paris le samedi à 6 heures du soir ; le prix des places n'était que de 8 livres. D'autres voyageurs suivaient la route à plus pe- tite allure : en 1768, on trouva mort dans le bois du Pont-Oger, un jeune Flamand d'environ 17 ans, qui avait quitté son village d'Hannappes, près de Lille, pour faire le pèlerinage de Saint-Jacques en Espagne. Déjà, au siècle précédent, en 1685, l'hôtel- Dieu d'Urcel avait recueilli un pauvre pèlerin breton de Ploubalay, auprès de Saint-Malo, qui revenait du pèlerinage de Saint- de Liége, et qui y mourut. En 1778, le meunier du moulin Silvo fut ébahi de trouver à sa porte une petite fille qui pou- vait avoir 15 jours. Refaite et entretenue par la nouvelle administra- tion des ponts et chaussées, la route royale avec ses gros pavés de grès se présente dès lors sous l'aspect qu'elle avait encore à la veille de la dernière guerre. Au moment de la Révolution, les grands travaux de réfection atteignaient le terroir d'Urcel. Un grand propriétaire voisin, Caignart du Rotoy, lieutenant général au bailliage de Laon et seigneur de Mailly, projeta en 1787 de naturaliser le châtaigner dans notre pays en plantant une double ligne de cette essence, qui lui procurerait de l'ombre quand il se rendrait de son château au tribunal. L'évêque, sei- gneur des trois villages depuis Cliivy jusqu'au Pont- Oger, donnait au projet son accord tacite. Il semble bien que le Conseil du roi ait autorisé, l'année sui- vante, le magistrat à accomplir son dessein en se conformant aux règlements de l'administration; mais la tempête, qui se préparait à souffler sur les vieil- les institutions, lui laissa-t-elle le temps de planter des arbres ? La route, qui déjà avait été le cadre de tant d'événe- ments depuis les lointains Gaulois, va jouer son rôle au cours des révolutions et des invasions dont l'ère moderne a été comblée. Et ces événements sont si ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 27 JUILLET 1935, PAR L'IMPRIMERIE DE L'AISNE RUE DES ÉCOLES, LAON

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