Reims Capitale De La Gaule Belgique Et Le Réseau Des Villes De La Province
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SIMULACRA ROMAE II 201 Reims capitale de la Gaule Belgique et le réseau des villes de la province. Un essai Ricardo GONZÁLEZ VILLAESCUSA - Professeur d’Archéologie, Université de Reims-Champagne Ardenne En paraphrasant l’expression de l’historien de remettre à plat, sur de nouvelles bases, une nouvelle l’Antiquité Moses I. Finley, la colonisation n’est que société. Mais l’utopie des bâtisseurs se retrouve face l’exportation d’un problème. La colonisation est aussi à la pesanteur des rapports sociaux. un phénomène spatial par excellence. Les sociétés L’expansion coloniale se fait alors depuis un coloniales ont besoin de l’espace constitué de la «centre» pourvu d’un pouvoir fort, un état ou bien terre, des matières premières, de la main d’œuvre, une société en processus de construction de cet des producteurs, des consommateurs. Tout ce trouve état, en dépit d’une société établie sur des structures dans l’espace acquis par la nouvelle société : manque sociales, économiques, parentales plus «faibles» qui d’espace, contrôle, la possession du nouvel espace. ne supportent le poids de la société coloniale qui les La construction des villes suppose l’installation de intègre enfin. Mais cette intégration n’est pas sans structures administratives, militaires, de résidences «prix» pour la puissance coloniale : l’espace investit pour les colons bien sûr, mais aussi suppose de n’est pas vierge et la société indigène ne manque pas contrôler un espace à un lieu précis, avec un de modèles et de pratiques spatiales. L’adaptation potentiel productif, agricole, minier, lieu de passage, du modèle colonial n’est qu’une acceptation de ces front pionnier, lieu stratégique. Mais des villes avec pratiques qui ont un label d’efficacité, d’adaptation à un espace productif tout autour qu’il faut maîtriser, un milieu mieux connu par les indigènes, subverties en gérer, mesurer, diviser, fiscaliser… Le besoin de l’assise fiscale et des cadastres entraîne la naissance vue d’une finalité différente établie par les nouveaux des parcellaires agraires, des outils techniques dirigeants. de conquête de nouveaux terroirs (drainage et En ce qui concerne la Gaule Belgique dans bonification…), de mise en exploitation de la terre, de l’Antiquité, les nouvelles villes montrent l’exacerbation division et d’assignation, de rétrocession parfois, aux du quadrillage à la romaine, on dirait qu’elles suivent anciens propriétaires indigènes mais qui doivent payer l’utopie romaine avec rigueur. Il s’agit des géotypes ou des impôts. En synthèse «tout pouvoir élabore et des types idéaux de ville (Lussault, 2007, 302), puisque médiatise un modèle territorial» (Lussault, 2007, 227). il n’y avait pas de villes auparavant : quadrillage Les sociétés d’expansion impériale qui créent des orthogonal, module constant, forum en position prolongements territoriaux exportent non seulement centrale... C’est le cas d’Amiens, Reims, Trèves… des modèles spatiaux théoriques ancestraux mais Par ailleurs, les villes romaines de cette province de aussi un état des lieux de cette même société au l’Empire ne se créent ou ne se développent pas sur des moment précis de l’expansion territoriale. Le nouveau anciennes agglomérations indigènes, à l’exception de territoire, le nouvel espace, devient ainsi un lieu de Reims et Metz, exception dans le premier cas qui aura pratiques spatiales qui tiennent compte des modèles des conséquences pour l’avenir de cette ville. La plupart enracinés dans un passé lointain, mais aussi d’une des chefs-lieux de la Belgique sont des créations ex projection utopique, sorte de renouvellement moral nihilo et montrent la participation de l’armée dans leur dont l’espace «vierge» permettrait en somme de création (Raepsaet-Charlier, 2009 a, 315). 202 Ricardo GONZÁLEZ VILLAESCUSA Reims capitale de la Gaule Belgique et le réseau des villes de la province. Un essai En ce qui concerne la taille des villes on se trouve peut conclure qu’avec les événements de 57 av. J.- en face du même phénomène que les villes du tiers C. les Rèmes se détachent de leurs voisins Suessions monde : la romanisation impliquera le gigantisme et qu’«ils se plaçaient, eux et tous leurs biens, sous la des villes de la Gaule Belgique (500 ha pour la ville protection de Rome et de son autorité» (César, Bello de Reims au haut Empire). Peut-on interpréter le Gallico II, 3, 2) contre la coalition belge. Peu après, gigantisme dans le cadre de la théorie du centre- l’aire d’influence des Suessions diminuera de manière périphérie comme on le fait par ailleurs pour expliquer parallèle à la montée en puissance de Durocortorum, le gigantisme des villes du tiers monde (Claval, 1984, déjà un des lieux cités par César (avec Samarobriva, 409) et l’écart entre les plus grandes et les moyennes Lutecia et Bibracte) ayant eu une assemblée des villes? Gaules. Cette montée en puissance aboutira au La pratique spatiale des sociétés coloniales se choix de celle-ci comme capitale de la province de construit sur des villes nouvelles ou bien on adapte la Gaule Belgique, confirmant probablement le rôle des anciennes villes à la nouvelle réalité, trouvant une centralisateur de cette agglomération dès avant la identité résidentielle congruente à leur identité sociale. conquête. L’intervention vers 20-19 av. J.-C. d’Agrippa sous Malgré l’exiguïté des vestiges archéologiques de l’égide de la réforme administrative augustéenne dans cette période, l’archéologie de la ville de Reims confirme le nord de la Gaule aurait crée le réseau viaire de la l’existence d’une agglomération et d’un oppidum région. Les villes de nouvelle création qui se retrouvent antérieur d’environ 90 ha (R. Neiss dans ce même sur le tracé de ce réseau offrent un développement volume). Cet espace restera le centre géométrique plus important. Les fondations d’Amiens, de Trèves, de l’agglomération rémoise pendant toute l’Antiquité de Soissons ou d’Arras, offrent des datations précises, malgré l’élargissement d’époque augustéenne ou souvent dendro-chronologiques, autour de ces dates. le retrait des remparts du IVè siècle ap. J.-C. Bien Ces villes ont un lien spécial avec les deux grandes que les vestiges matériels de cet oppidum préalable routes qui arrivent depuis Lyon, et se dirigent vers le sont peu éloquents pour comprendre et caractériser limes rhénan d’un coté, et le limes britannicus de l’autre, l’agglomération humaine qui s’y trouvait, ils ne laissent avant la conquête des îles britanniques à l’époque de aucun doute sur «la place de premier plan qu’occupait Claude. De cette logique spatiale on peut déduire que cette agglomération dans le territoire gaulois des nous pouvons retrouver les éléments nécessaires Rèmes» (Ibidem). pour parler d’un réseau de villes ou d’un système de Dans cette même région, parmi les ciuitates des villes avec deux fonctions majeures (Pumain, 1994) : Remi et des Suessiones, on trouve à ce même moment • «(…) une réponse au souci stratégique d’éviter ce que P. Pion a appelé «des villes champignons» l’envahissement de l’extérieur ou la désagrégation (Pion, 2004, 13, Fig. 12). A la veille de l’arrivée de César, de l’intérieur» le long de l’Aisne on retrouve une forte concentration • «…la desserte complète par un ensemble d’agglomérations humaines qui se raréfient dès qu’on de services, qui doivent atteindre la totalité avance vers le nord. Dans un rayon de 35 km, dans d’une population dispersée, tout en étant la vallée de l’Aisne, on retrouve trois agglomérations nécessairement regroupées en un nombre de classés par Pion comme «grands oppida à caractère lieux plus restreint». urbain» : celui de Reims, de Variscourt et de Villeneuve- Il semble comme si un espace non urbanisé, Saint-Germain. Ces agglomérations sont caractérisées au sens romain du terme, c’est-à-dire, avec des par leur taille (au-delà de 40 ha) et par l’existence de agglomérations villageoises indigènes comme les toute une série d’éléments liés à la spécialisation oppida gaulois, aurait été le lieu d’une pratique, d’un fonctionnelle avec apparition de quartiers artisanaux, modèle spatial, et par voie de conséquence, d’une des premières trames urbaines à partir d’un plan idéologie territoriale tel qu’il l’a pu mettre en pratique le préétabli, mais aussi avec une hiérarchisation des rues gendre d’Auguste, Agrippa, dressant le mappemonde et création de places (Fichtl, 2005). propriété du peuple de Rome (Arnaud 1989, 21 ; 2007, Dans ce contexte faut-il comprendre la tâche 38). Il est donc nécessaire, de lire l’organisation du organisatrice d’Agrippa avec la création du réseau territoire comme un «texte» élaboré par une société routier tel que le décrit Strabon1 : sur le territoire et son organisation. «Agrippa en a fait [de Lugdunum] le point de départ des Les travaux de S. Fichtl (2004, a et b), sur grandes routes : celle qui traverse les Monts Cemmènes l’évolution des limites des peuples gaulois du nord de et aboutit chez les Santones et en Aquitaine, celle du la Gaule à la veille de la conquête, ont bien démontré Rhin, celle de l’Océan, qui est la troisième et qui mène que de la lecture spatiale des variations postérieures chez les Bellovaques et les Ambiani (...) de là par un col des aires d’influence des Rèmes et des Suessions on qui franchit le Mont Jura, atteindre le pays des Séquanes 1 Strabon, Géographie, VI, 6, 11, Lasserre, F. (trad.) 2003. SIMULACRA ROMAE II 203 Reims capitale de la Gaule Belgique et le réseau des villes de la province. Un essai et des Lingons, où la route se divise en deux branches, forte population et sert de résidence aux gouverneurs l’une pour le Rhin, l’autre pour l’Océan».