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Requiem pour l’âge de l’innocence Bringing Out the Dead de Réal La Rochelle

Number 100, Winter 2000

URI: https://id.erudit.org/iderudit/23709ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review La Rochelle, R. (2000). Review of [Requiem pour l’âge de l’innocence / Bringing Out the Dead de Martin Scorsese]. 24 images, (100), 55–55.

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REQUIEM \ 1 POUR 1 l L'ÂGE DE I « L'INNOCENCE l 1 L PAR REAL LA ROCHELLE \ l 1* > i i 1 \ Frank Pierce () et Noel (Marc Anthony). Un film traversé par une plainte évanescente et fantomatique.

n rattache beaucoup le dernier New York nocturne devenu tour de Babel thèmes récurrents de son œuvre. Cette im­ O Scorsese à , de façon ou enfer, sale terrain vague où toute une brication est d'autant plus percutante qu'elle justifiée certes, mais peut-être convient-il de humanité tourne en rond, dérisoire et affo­ ressort, formellement et structurellement, du faire avant tout un lien éthique et esthéti­ lée, pitoyable et peu sûre de sa rédemption. grand et hypersensible sens de la musicali­ que avec The Age of Innocence, tant pour Dans cette ville glauque et exacerbée, té du cinéaste, tant sur le plan visuel que ce qui est de son «personnage» en avant- qui pourrait ressembler à une de ces gravu­ sonore, grâce aussi au remarquable«orches- plan, la mégalopole new-yorkaise, que pour res hallucinatoires de Gustave Doré, on tou­ tre» qu'il dirige: au scénario, le murmure mortifère exprimé par Edith che alors à ce doute, à ce vide cruel qui res­ Robert Richardson à la photo, au montage Wharton, auteure du roman dont le film est sort du sentiment chrétien chez Scorsese, la fidèle , puis les inspiré. Par exemple, collée dans la mé­ semblable au filon développé dans The Last comédiens Nicolas Cage, , moire, cette image «la plus plaintive et la Temptation of Christ. L'ambulancier Pierce John Goodman, Ving Rhams et Tom plus poignante d'une cohorte de fantômes» (à qui Nicolas Cage donne une surprenante Sizemore et enfin la musique et la concep­ ou encore la vie qui est «la chose la plus tête d'ange mélancolique) est surnommé le tion sonore d'Elmer Bernstein et de James triste qui soit, attenante à la mort» (texte dit «Père Frank», l'hôpital où il déverse ses Sabat. en voix off par Joanne Woodward). blessés et ses malades est une institution Le visage de l'adolescente morte, qui Une telle plainte, évanescente et fanto­ catholique, la jeune fille avec qui Frank se réapparaît sans relâche à Frank Pierce en matique, traverse Bringing Out the Dead. lie d'amitié se nomme «Marie». L'obsession substitution à des dizaines de passantes, Elle loge dans l'image obsessivement répé­ maladive de ce Père Frank, sorte de thauma­ pose à l'ambulancier déchu la question: titive de cette adolescente que Frank Pierce, turge capable jusque-là de ramener des mori­ «Pourquoi ne m'as-tu pas ramenée d'entre le technicien ambulancier, n'a pu arracher à bonds à la vie, est justement d'avoir raté il les morts?» Comme dans bien des tragédies la mort, et dont Scorsese fait un leitmotiv y a quelques mois le sauvetage d'une ado­ typiquement américaines, qu'elles soient visuel et musical. Ou encore dans la déses­ lescente. Une sorte d'interrogation christi- littéraires, musicales ou cinématographi­ pérance de cet homme qui s'enfonce, nuit que s'est emparée de lui, incapable qu'il est ques, cette interrogation, comme aimait le après nuit, dans un sentiment d'inutilité maintenant de produire des miracles, le plus répéter Leonard Bernstein après Charles Ives, devant la détresse physique et morale de grand de tous et le plus déterminant étant aboutit à ['unanswered question. Une ques­ tous ces «cas d'hôpitaux» qui grouillent celui de la résurrection, dont la réanimation tion sans réponse. Sur New York tombe un comme dans un cloaque, délirent, agoni­ qu'effectuent les ambulanciers (bringing Icare find e siècle aux ailes brûlées. • sent et meurent. out the dead) est la métaphore. Sans résur­ Ce grouillement insupportable, ces rection possible et faisable (même en dépit mouvements larvaires ont pour habitacle de toute logique), l'espoir s'amenuise et BRINGING OUT THE DEAD New York, ici à la fois lieu réel et méta­ s'éteint. Ce New York déboussolé est une États-Unis 1999. Ré.: Martin Scorsese. See.: phore. Manhattan s'enfonce dans la nuit et cité sans dieu et sans futur, dont la résurrec­ Paul Schrader. Ph.: Robert Richardson. Mont.: la douleur, prolongeant la thématique ur­ tion est devenue improbable, voire impra­ Thelma Schoonmaker. Mus.: Elmer Bernstein. ticable, impossible à commander Int.: Nicolas Cage, Patricia Arquette, John baine qui inspire, tel un décor à la fois fas­ Goodman, Ving Rhams, Tom Sizemore. cinant et déprimant, la majeure partie de Bringing Out the Dead est un grand 120 minutes. Couleur. Dist. : Paramount. l'œuvre scorsésienne, Taxi Driver, New Scorsese en ce sens qu'il rassemble en syn­ York, New York, The Age of Innocence. Un thèse, en entrelacs, un certain nombre des

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