Jadis et naguère au pays df . Traditions populaires du pays de Weppes

Par Pierre Descamps Note de l'Editeur La Médaille d'Or du Rayonnement Culturel de "La Renaissance Française Nationale" a été décernée, le 21 juin^.1990, à M. Pierre Descamps pour l'ensemble de son oeuvre et en particulier pour "Aperçu géographique, historique et social du village d'Aubers-en-Weppes".

Nous remerçions particulièrement Madame André Dissaux, Mr Yvon Papeghin et Mr Christian Dhennin de nous avoir autorisés à reproduire les illustrations qui figurent dans le présent ouvrage.

JADIS ET NAGUERE AU PAYS D'AUBERS Traditions populaires du pays de Weppes.

PAR PIERRE DESCAMPS

I.S.B.N. 2-907365-37-1 Dépôt légal : 4ème trimestre 1991 Edité et imprimé par le FOYER CULTUREL DE L'HOUTLAND 5 Avenue Foch 59114 Tél : 28 43 30 88

Responsable de publication : Michel Loosen

La photographie de la page de couverture, est de Christian Dhennin. PREFACE

Nos "anciens" ne sont plus les seuls à s'intéresser à l'évocation des temps révo- lus. Au-delà de la nostalgie, un livre comme celui-ci répond à une attente, liée à l'heureux engouement dont bénéficient aujourd'hui les traditions populaires. Fouiller son terroir pour chercher ses racines, ce n'est pas succomber à la tenta- tion du passéisme. C'est se rassurer, enrichir le présent donc préparer le futur. Le cher , qui fait tant d'efforts pour être un peu moins méconnu, a besoin de redécouvrir son identité. Cet objectif, Pierre DESCAMPS le poursuit depuis longtemps : aux titres élo- gieux que lui valent des activités multiples, il préfère secrètement celui "d'enfant d'AUBERS". Pendant plus de dix ans, j'ai eu plaisir à me laisser guider par lui pour "collecter" le patois du pays de Weppes. Les heures passées à noter et à enregistrer aux veillées, dans sa famille ou dans d'arrières-salles de cabaret m'ont amené à croire tout bonnement, avec nos informateurs, qu'AUBERS est "1' pus biau villache d'la terre"... Patrice de la Tour du Pin assure, dans sa Somme de poésie, que "tous les pays qui n'ont plus de légende seront condamnés à mourir". Assurément, AUBERS n'a rien à craindre de ce côté-là. Détruit en 14-18, ce gros bourg n'a ni église ancienne, ni beau château. Mais sa mémoire est d'une étonnante richesse. Quand on s'y prend comme Pierre DESCAMPS, il y a toujours de l'inédit à trouver. Outre notre volume sur les Parlers d'AUBERS-eri-WEPPES (1971) qui sera complé- té, j'en ai tiré plusieurs Récits et contes populaires des Flandres (Gallimard, 1980). Grâce à lui, j'ai pu choisir AUBERS pour être le point 13 du grand Atlas linguistiique et ethnographique Picard que j'ai eu mission d'achever pour le Centre National de la Recherche Scientifique, et dont le premier volume (317 cartes) est paru en 1989. Le second (350 cartes) doit paraître fin 1992. De la familiarité de notre ami avec le passé et les mots locaux sont nés deux recueils de légendes, des quantités de chroniques et d'articles de revue. Son goût des mots et des réalités terriennes rejoint et alimente son activité de poète, comme l'attestent Eléments suivis de Terroirs Clefs (1977), Haute Tension (1979 couronné par un Prix des Lettres) et "Village"(1983). Le présent livre apporte des éléments folkloriques et onomastiques incontesta- blement utiles. Le chercheur pour nourrir ses synthèses d'ethnolinguistique ou de psychologie sociale, a besoin de monographies où l'identification des faits de terrain exactes et précises. Les micro-toponymes extraits des mémoires vives et des archives locales (moins poussiéreuses que jadis) prendront place dans des fichiers nationaux informatisés. Les gens de la région, eux, s'amuseront des sobri- quets collectifs, dont la verdeur est parfois bien caustique. Ces pages évoquent une culture paysanne d'apparence grossière où l'observateur attentif décèle pas mal de finesse.. Plaisir du souvenir et intérêt culturel se conjuguent : jeunes et moins jeunes, gens de Weppes et d'ailleurs, remerciez Pierre DESCAMPS, qui a encore sauvé un peu de la mémoire de ce vigoureux terroir.

Fernand CARTON Ancien Président de l'Université de NANCY Directeur de l'Atlas linguistique et etnologique Picard SOMMAIRE 1. Aperçu géographique, historique, économique et social du village d'Aubers-en-weppes page 4 2. Coutumes et traditions page 113 3. Pélerinages et dévotions page 164 4. Croyances et superstitions page 185 5. Proverbes et dictons page 210 a) Proverbes et dictons patois b) Proverbes et dictons francisés C) Locutions 6. Comptines et chansons page 224 7. Sobriquets et blasons page 238 8. Hameaux et lieux-dits page 253

1er CHAPITRE Aperçu géographique, historique, économique et social du village d'Aubers-en-weppes

INTRODUCTION PREMIERE PARTIE Esquisse géographique DEUXIEME PARTIE Aperçu historique TROISIEME PARTIE Profils économique et social INTRODUCTION

AUBERS-en-WEPPES est un village de 1500 habitants situé sur le ruisseau des Layes qui sert de démarcation entre le Département du Nord et celui du Pas-de-Calais. De cet emplacement aux confins de la Flandre gallicane et en lisière du Pays de l'Alleu, à proximité des marches de l'Artois, son histoire porte des traces profondes. Sous 1. Ancien Régime, une extraordinaire disparité d'ordre administratif était encore aggravée par la dispersion des groupes d'habi- tations. La plupart de ces agglomérations jouxtaient les villages cir- convoisins, en chevauchaient les frontières, s'y enclavant parfois et s'y imbriquant. De' là, une si grande variété dans les observations, un tel foisonnement, .dans les informations que revêtent les mutations subtiles relevées dans les franges marginales et que traduisent surtout les formes patoisantes. Peut-être ces morcellements des régimes juridiques justaposés, cette configuration géographique particulière, expliquent-ils certains aspects hétérogènes dans le domaine de la dialectologie. Ajoutons enfin que ce village est implanté au coeur d'une zone rurale que l'industrie n'a pour ainsi dire pas touchée. L'existence plus ou moins épisodique de modestes fabriques au cours du XIXème siècle n'a guère altéré la mentalité paysanne. Ce que l'on pourra constater à l'évidence dans les éléments qui vont suivre, c'est la prédominance d'une inspiration agricole que seul le bouleversement chaotique de la Grande Guerre a réussi à battre en brèche. Mais avant d'aborder l'étude proprement dite des traditions populaires, il ne semble pas inutile d'examiner succinctement sa géographie, son histoire et sa vie économique et sociale. Pierre DESCAMPS PREMIERE PARTIE : Esquisse géographique. 6 Avant la Révolution AUBERS appartenait à la Flandre Wallonne ou Gallicane, Chatellenie de , quartier de Weppes ; ou diocèse d'ARRAS, doyenné de LA BASSEE, décanat d'ARMENTIERES rural. Il payait centième à LILLE et relevait des Justice et Gouvernement de cette vil- le ainsi que de l'Intendance et du Parlement des Flandres (1) En 1698, Dugué de Bagnols, Intendant de la Flandre Wallonne, décrit ainsi la chatellenie de LILLE (2) : "Elle comprend presque tout le terrain qui est entre les rivières de Scarpe et l'Escaut et de la Lis, depuis Douay et depuis jusques à Menin outre une partie qui est par delà l'Escaut. Le climat y est plus froid que chaud et l'hyver y dure ordinaire- ment six mois de l'année, l'automne y est souvent très agréable mais on n'y jouit guère des douceurs du printemps qui est presque toujours froid ou pluvieux. Ce pays a neuf à dix lieUes de longueur et de largeur ce qui fait un terrain d'environ 30 lieues de tour que l'on divise en neuf quar- tiers qui sont : Mélantois, Carrembaut, Weppe, Ferrain, Pévèle, outre l'Escaut, Comté, gouvernance de Douayet le Pays de Laleu. Le quartier de Weppe est séparé de ceux de Mélantois et de Carrem- baut par la rivière de la Haute Deûle et de celuy de Ferrain par la ri- vière de la Basse Deûle et il comprend tout le terrain qui se trouve entre cette rivière et celle de la Lis". "Ce que l'on nomme Comté ou autrement terre d'emprise n'est pas proprement un quartier distingué et séparé des autres, mais il consis- te en quelques villages et hameaux dispersez et enclavez dans ceux qui composent les autres quartiers ci-devant nommez, ce qui a donné lieu à les distinguer ainsi, parce que les villages de cette Comté ne ressor- tissent pas aux juridictions ordinaires de cette châtellenie, mais en différentes juridictions des comtez de Flandre et de Hayneau. Le quartier de Weppe contient villages ou hameaux et le comté 31. La partie de la Châtellenie qui regarde la Flandre et qui comprend les quartiers de Weppe, de Ferrain et de Laleu est un terroir si gras que les terres n'y reposent jamais. L'industrie et le travail des habitants de la campagne y contribue beaucoup et on peut dire qu'il n'y a gueres de pays où les habitants sont plus laborieux que dans la châtellenie de Lille. Les fruits que la terre produit sont des formens, des seigles, des sougrugeons ou grosses orges pour faire la bierre, des orges communes, des avoines, des navets, des colsats, grosses ravettes pour faire de l'huile, des lins, de la garance, du tabac, des treffes ou tranelle, des rapes ou gros navets ronds, des foins, des fêves, des carotes et toutes sortes de légumes. Le pays est très peuplé, et pour le nombre des bestiaux on juge qu'il y a bien dans ce pays 12 000 chevaux, 50 000 vaches et autant de moutons.

Ce qui fait cette abondance de bestiaux, c'est la bonté des patura- ges et le soin que l'on prend de les bien nourir. On ne se contente pas de leur laisser la nouriture ordinaire des prairies on leur prépare en- core à boire et à manger, et pour rendre les vaches plus abondantes, on leur donne du drac qui est le marg du grain dont on a tiré la bierre, on leur fait chauffer l'eau qu'elles boivent et l'on y démêle des tour- teaux qui sont des pâtes faites du marg des colsats dont on a tiré l'huile. L'expérience fait connoitre que cette nouriture leur est très pro- fitable et pour en estre persuadé, il n'y a qu'à scavoir qu'une vache bien nourrie y rend ordinairement deux seaux de lait par jour. La tranelle ou trèfle est une herbe qui profite beaucoup aux bes- tiaux. On la sème en même temps que le froment, la première année elle ne fait que pousser de petits rejets qui se meslant avec les bleds en remplissent les gerbes d'un bon fourage. L'année suivante, elle repous- se si fortement qu'on la coupe deux ou trois fois pendant cette secon- de année et après la dernière coupe, on la laisse encore pousser et on y mène les bestiaux paturer, ils y trouvent une nourriture si bonne et si forte qu'il est de la prudence de ceux qui les conduisent d'empêcher qu'ils n'en prennent trop de peur qu'ils n'en crèvent. On donne la tra- nelle en verd aux chevaux et ils en mangent ordinairement pendant les mois de juin, juillet, aoust et septembre, ensuite, on leur donne sè- che celle qu'on a conservée de la deuxième ou troisième coupe. Les rapes ou gros navets ronds et les petites fèves servent encore pour la nouriture des bestiaux pendant l'hyver. On sème ordinairement les rapes au mois d'aoust, dans les champs sur lesquels on a dépouillé le bled sans autre apprest qu'un léger labeur, on les peut cueillir six semaines ou deux mois après qu'elles ont été semées et si on n'en a pas besoin si tost on les laisse en terre où elles conservent pendant l'hy- ver jusques au mois de Mars où on achève de les cueillir pour se servir aussitôt du terrain que l'on y a emploié. Les fèves que l'on donne aux chevaux sont petites et on en sème des campagnes entières, il y a des endroits où elles croissent de la hau- teur d'un homme : la fève sert à nourir et à engraisser les moutons, on en donne aussi aux chevaux mais il faut les faire ramolir dans de l'eau chaude, la tige sert à brûler de sorte qu'il n'y a rien de perdu. La terre outre toutes ces sortes de grains produit les lins et les col- zats, les lins apportent tant de profit que quand ils viennent bien, ils vallent quasi le prix du fond de la terre sur laquelle on les a dé- pouillez, il y faut beaucoup de soins et de dépense, mais l'avantage que l'on y trouve fait que l'on risque quelque chose pour en tirer huit ou dix fois autant. Le colsat est une plante qui ressemble à la navette, on le sème ordinairement à la fin du mois d'août et on le transplante en octobre, il produit un grain noire dont on tire l'huile qui sert à brûler et à faire des savons, la tige est bonne à faire du feu. Outre les terres cultivées, il y a encore une grande quantité de terres communes que l'on nomme marais parce qu'autrefois elles estoient toutes inondées, le temps et les petits canaux qu'on y a faits les ont déséchées. L'on y élève des poulains et des génisses on permet aussi d'y mettre des oyes dont la plume rapporte un grand profit par la quan- tité qu'on en tire. Plusieurs de ces marais sont transplantez en symétrie, ce qui fai- te de très belles promenades, les arbres que l'on y met plus communé- ment, sont des ormes, des peupliers et des saulx, on en plante aussi sur les chemins et on trouve dans les vergers toutes sortes d'arbres fruitiers également comme en . La quantité qu'il y en a dans la châtelenie voisine de la Flandre flamingeante fait parôitre le pays comme un bois continuel, quoy que ce ne soit que des champs différens, plantez tout autour aussi régulièrement que le sont les avenues des plus belles maisons en France. Le genre des habitants n'est pas vif, leur humeur est particulière et réservée, ils ne s'appliquent pas beaucoup aux sciences, encore moins aux belles-lettres, le premier attachement est au commerce, à quoi ils se donnent entièrement et réussissent fort bien : ils agissent fidèle- ment dans les affaires et ne communiquent pas leurs desseins aux étran- gers ; au contraire, ils s'en défient ; le petit peuple y est grossier, les uns et les autres ne veulent pas être traitez rudement et par la douceur l'on en fait ce que l'on veut, enfin ce sont de bonnes gens en qui on peut se fier, et qui ne demandent pas mieux que de faire plaisir, ils sont bien aise d'y 'trouver leur compte. Malgré leur peu d'attache- ment aux sciences, il s'est trouvés et ils se trouvent d'excellents a- vocats et le peu qui's'appliquent font bien voir que le bon sens est de tout pays. Les François ont beaucoup polis les jeunes gens qui ont eu le bonheur de naitre sous eux. Les femmes y sont belles et ont de l'esprit si elles le cultivoient, la plupart aime si peu à lire que le caractère d'amateur de livres est suffisant auprès d'elles pour ne point vouloir écouter un amant et si nos marchandes paroissent aux spectables, c'est plutôt pour faire voir leur bel habit des dimanches que pour le spirituel de la pièce, elles tâchent d'épargner dans leur maison ce qui leur est nécessaire pour paraître avec éclat dans le public. Les demoi- selles qu'on appelle de qualité aiment la lecture, sont spirituelles et de bon goût, apprennent les arts convenables à leur sexe et apportent de France où leurs parens les envoyent en pension toutes les belles ma- nières d'une nation si polie et qu'elles joignent à la beauté qui leur est habituelle. Cependant la nature ne consulte pas toujours ni la qua- lité ni les richesses pour partager ses faveurs ; on trouve sous de cer- tains voiles qu'on appelle "domino" que portent les femmes et filles du commun des minois qui ne seroient point indignes des Princesses." (2 bis) "Les choses que la province de LILLE produit sont des grains pour la nourriture des hommes et des bestiaux, des colzats, des navets, des foins des bois, des fruits, de la laine, des chevaux, des lins, des cuirs, des étoffes de laine et mêlées de soye et fil, des filets de laine et des toilles ouvrées et unies". "Le commerce avec la France emporte beaucoup d'argent de la pro- vince, par la quantité des vins, eaux-de-vie et autres marchandises qu'elle tire. Il est vrai que les troupes apportent de l'argent, mais il ne fait que passer pour retourner aussitôt d'où il est venu de fa- çon que le commerce est moins avantageux pour la province que pour la France qui en retire encore plus de profit". "La Flandre Françoise est en quelque façon considérée comme un pays étranger puisqu'elle n'est pas comprise dans les bornes du Royaume". "Si la gabelle ou impôt sur le sel n'est point établi dans la Flan- dre Gallicane où l'on a maintenu les peuples dans le droit de frans sa- lé en échange l'on y a beaucoup chargé les boissons et toutes sortes de marchandises de manière que l'on ne peut pas dire qu'il y ait aucune chose exempte des droits du Roi ou de ceux des villes". "La province de LILLE est un pays d'Etat qui s'assemble ordinaire- ment sur la fin de l'année en vertu d'une lettre de cachet du Roi, en présence du Gouverneur et de l'Intendant de la Province qui président". "Elle est composée du Magistrat de LILLE, des 4 Seigneurs Hauts Justiciers ou de leurs Baillifs, des députez du Magistrat de Douay et ". "Les quatre- Seigneurs Hauts Justiciers sont le Roi, à cause de sa Chatellenie de LILLE, Terre, Seignerie de ; le Prince d'Espi- noy à cause de sa terre et Baronnie de ; le Comte d'Egmont à cause de sa Terre et Barronie de et le Duc d'Orléans à cause de sa Terre et Baronnie de Commines". Ceux-ci prennent connoissance des deniers qui se lèvent sur la cam- pagne, non seulement pour les subsides ordinaires et pour les besoins de la Province, comme pour la fourniture des fourages, l'excèdent des pensions des Gouverneurs, les étapes, l'entretien des chaussées, la four- niture des charages, et pioniers, l'entretien des signes pendant la Guerre, les dépenses des députez et autres officiers des Etats. Ce qui donne lieu à lever sur le plat pays sept à huit cens mille livres par an, qui à peine suffisent pour fournir à toutes ces dépenses. On trou- ve cette somme par le moyen des impôts sur les boissons en vertu d'oc- troy et par la levée des tailles et vingtièmes sur les terres en vertu des rolles qui doivent être arrêtez par l'Intendant de la Province, de concert avec les quatre Hauts Justiciers ou de leurs Baillifs. Les Ec- clésiastiques et nobles n'entrent pas dans la demande qu'on fait aux baillifs. "Les levées ordinaires qui se font dans cette Province montent par an à des sommes excessives qui sont employées au profit du Roy ou aux dépenses publiques, il a fallut pendant la guerre faire encore des le- vées extraordinaires pour racheter les charges de contrôleurs et col- lecteurs des tailles, des greffiers sindics, des villages et autres que le Roi a créés et pour les autres besoins de la Province, en sorte qu'il est étonnant qu'un Pays qui n'a pas plus de deux cens villages et tren- te lieuës de circuit ait pu trouver de quoi fournir des sommes aussi considérables que celles qu'il a trouvées". Au début du siècle suivant, le Comte de Boulainvilliers établit un rapport dont on peut extraire les passages suivants (3) "La Flandre Gallicane comprend le terrain qui est entre La Lys, l'Escaut et la Scarpe depuis La Gorgue jusqu'à Menin, outre une partie qui est au-delà de l'Escaut. Le climat y est froid, l'hyver dure 6 grands mois de l'année, on n'y connoit gueres de printemps mais l'au- tomne y est assez belle. Cet espace comprend le Tournaisis et la dépen- dance de Menin avec la Chatellenie de LILLE, les villes d'Orchies et de avec le Pars de l'Alleu. (...) Le Pa% est divisé en 9 quartiers nommés Mélanthois, Carembaut, Weppes, Ferrain, Peuelle ou Puelle, le Pals d'entre l'Escaut, Comté ou terre de l'Empire, Gouvernance de Douai et Pais de l'Alleu (...) Le Comté n'est point un quartier séparé mais consiste en villages disper- sez dans les autres quartiers qui ressortissent à des juridictions dif- férentes en Flandre et en Hainault. (...) Le terrain de cette chatellainie est unie presque partout il y a beaucoup de bois, mais ils sont de petite étenduë ; à l'égard de la fertilité, les quartiers de Carembaut, Mélantois, Puelle et Douai sont secs et ne laissent pas de produire de très bons grains ; ceux de Weppe, Ferrain et l'Alleu sont si gras, si bons et si fertiles que les terres n'y reposent jamais ; à quoi il faut ajouter que l'industrie et le tra- vail des gens de la campagne féconde extrêment la bonté du terrain des uns et des autres. Outre les grains de toute espèce, la terre rapporte du lin, des fèves et des carottes, de la garence, du tabac, des treffles, des raves ou gros navets, des foins et de toute sorte de légumes. Il n'y a que les colsats et les lins que l'on transporte hors du païs car les bleds et autres choses qui y croissent ne suffisent pas au nombre d'habitants et de bestiaux qui y sont (...) A l'égard des bestiaux il y a 12 000 chevaux, 5 000 vaches, autant de moutons. Cette grande abondance de bestiaux ne vient pas seulement de la bonté des pâturages, mais encore du soin que l'on prend de la bien nourrir, car on ne se contente pas de leur laisser la nourriture ordinaire des prairies, on leur prépare encore à boire et à manger : on donne aux vaches le marc' du grain dont on a tiré la bierre, on leur fait chauffer l'eau qu'elles boivent, on y détrempe des tourteaux qui sont faits du marc des colsats, après qu'on en a tiré l'huile et l'expérience fait connoître combien cette sorte de nourriture leur est profitable puisqu'il n'y a point de vaches qui ne rendent à l'heure deux seaux de lait. Le trèfle est une herbe qui leur profite beaucoup, on la sème avec le froment et la première année elle ne rapporte rien que le fourrage, mais l'année suivante, elle repousse si fortement qu'on la coupe deux ou trois fois et qu'après, la dernière coupe, on y pâture des bestiaux qui y trouvent nourriture si forte qu'il est de la prudence d'empêcher d'en trop prendre. Après le mois de septembre on leur donne le treffle sec avec de gros navets qu'on nomme rapes ou petites fèves ; on sème les rapes au mois d'août sur un labeur fort léger dans les champs où on a dépouillé du bled, on en peut receuillir six semaines après mais ordi- nairement, on les laisse en terre tout l'hyver parce qu'elles y grossis- sent ; on les tire à proportion du besoin qu'on en a et il n'en doit plus rester au mois de mars parce qu'alors on prépare la terre à une nouvelle récolte ; le colsat doit être semé à la fin du mois d'août et on les transporte au mois d'octobre, la tige en est bonne à brûler, les Hollandois emportent beaucoup de cette graine pour y gagner la façon de l'huile et profiter du marc pour leurs bestiaux. Outre les terres cul- tivées, il y en a un grand nombre qui étoit autrefois des marais et qui en ont retenus le nom, lesquels ayant été desseichez servent de pâture commune à certains villages. On y élève des poulains des génisses et quantité d'oyes, plusieurs de ces marais sont plantez d'ormes, de peu- pliers, de saules en symétrie et comme on en met aussi sur le grand che- min, tout le paîs a l'air d'une promenade continuelle. Les vergers sont remplis d'arbres fruitiers de toute espèce. A l'égard des recherches souterraines, il n'y en a aucune, si ce n'est de la pierre blanche et molle propre à bâtir. A l'égard du génie des habitants, il est certain qu'ils ne sont pas vifs, on les trouve toûjours particuliers et réser- vez ; s'ils ne s'appliquent jamais aux sciences ni aux belles lettres, toute leur inclinaison est tournée vers le commerce à quoi ils réunis- sent assez bien, ils se défient des étrangers et ne se communiquent point, ils aiment la liberté ou plutôt haîssent la contrainte, sont fi- dèles et néanmoins intéressez ; le petit peuple est grossier, les fem- mes y sont belles et ont de l'esprit, mais elles aiment le luxe et mé- nagent tout en particulier pour paroître en public avec éclat. Des précisions complémentaires sont apportées par un manuscrit sem- ble-t-il inédit de 1774 (4) "Le sol de la Chastelenie de lille fertilisé sans cesse par le tra- vail continuel de ses nombreux et infatigables habitants est devenu pro- pre à la culture de toutes sortes de fruits. On y dépouille du bled, de l ' orge, du seigle, de l'avoine, du lin, du colsat, de la camomille, de la navette, de l'oeillette, de la garence, du tabac, du trèfle, de la luzerne, du sainfoin, de l'yvrenage, des vesces ; on y cultive des fèves des pois, des carottes, des pommes de terre, une espèce de grands choux nommés vulgairement colets pour la nourriture des bestiaux et toutes sor- tes de légumes de jardin. (...) On y élève de nombreux troupeaux de va- ches, de brebis, de porcs, d'oies et de quelques chèvres ; on y élève des chevaux et des ânes. (...) On y trouve des vergers nombreux avétis d'arbres fruitiers de toute espèce et en abondance. (...) Les chemins sont bordés de grands arbres, les villages serrés les uns contre les autres et la variété des productions du sol présentent partout l'aspect d'un grand jardin. (...) La chasse ne donne guère d'autres gibiers que le lièvre, le lapin, la perdrix grise, l'allouette et le pigeon ramier (...) On n'y rencontre pas de bettes fauves, le pays est trop habité et les forêts peu considérables pour qu'elles puissent s'y établir, sinon et rarement quelques loups pendant l'hyver". Un autre manuscrit, vraisemblablement inédit du XVIIIème siècle, donne de très précieuses indications sur le pays de Weppes et le Pays de l'Alleu à la frontière desquels AUBERS se trouve situé. (5) "En général tout le paîs est rempli d'arbres, presque tous les che- mins étant bordés de fossez, de grands et petits arbres, aussi bien que la séparation de presque toutes les terres, et surtout toutes les maisons épares, de même que les villages qui sont entourez de vergers ou jardins remplis d'arbres de futaye ce qui fait paraître ce paîs quand on le voit de loing de dessus quelques hauteurs ou clochers comme un bois ou une forêt continuelle". (6) La représentation du pays d'Armentières, La Gorgue, Estaire, Neuf- Berquin qui jouxtent AUBERS-en-WEPPES, apparaît dans les lignes sui- vantes (7) : "Quand on voit ce pals de loin on le prendrait pour une forest, tous les chemins étant communément bordés de fossés et de grands et pe- tits arbres de même que presque toutes les séparations de terres, mais ce qui est de singulier et peu commun en France est que chaque maisons grandes ou petites dans les villages ou bien épares à la campagne sont enveloppées d'un grand verger et quelques uns fermés de larges et pro- fonds fossés bordés d'arbres et l'intérieur remplie d'arbres fruitiers et autres et le dessous en prairies où les habitants font paître leurs bestiaux presque toute l'année ; car il y a peu de prairies" (...) "Pour remédier à la disette de fourrages ils semment à la campagne une graine qu'ils appellent tranennes qui est une espèce de trèfle qui approche de la luzerne qu'ils coupent deux ou trois fois l'an, ils semment aussy quantité de fèves ou vesces qui leur sert aussy pour le même usage et surtout des navets ou espèces de raves après qu'ils ont moissoné leurs froments ou autres grains, ce qui leur est d'un grand secours ; ils se servent encore de pailles hachées ou copages qu'ils mettent avec des fèves qu'ils appellent hoirs ; ils ne laissent cepen- dant pas de donner beaucoup d'avoine à leurs chevaux, aussy sont-ils communément beaux et bons, ils n'en mettent pour l'ordinaire que 2 à leurs chariots ou autres voitures ainsy qu'à leurs charUes de labour (•••)" "Ils font deux ou trois récoltes en une année, la première des terres qu'ils sèment après l'automne et après qu'ils ont fait la mois- son ils les labourent d'abord et y sèment du colsat, de la navette et navets ou raves, carottes et plusieurs autres grains et légumes qui servent autant à la nourriture des hommes que des bestiaux, car outre toutes les espèces de bleds que l'on ammase en France, ils semment en quelques endroits du sarrazin mais leur principal revenu est du colzat dont ils font de l'huile qu'ils employent à brûler ou la fabrique des étoffes ; ils ne sèment que fort peu de chanvre et de lin. Leurs ver- gers produisent abondamment de fruits et surtout des pommes (...) Ils ont très grand soin de bien fumer leurs terres et même en plusieurs en- droits principalement le long des rivières avec de l'excrément humain qu'ils détrempent dans de l'eau ce qui cause une production admirable. Dans d'autres endroits ils fument avec des cendres de tourbes et de charbons de terre. En un mot ils mettent tout en usage pour faire pro- duire leurs terres et s'ils sont riches, ils le méritent bien car ils sont très laborieux et s'occupent toute l'année exceptée les festes et dimanches ; et quand le temps ne leur permet point de travailler aux terres, ils battent le bled dans leurs granges. D'autres font des étof- fes et surtout de la toïlle. En un mot ils travaillent pendant toute l'année, hommes, femmes, garçons et filles, les enfants même ne sont presque jamais oisifs. Ils se nourissent assez pauvrement excepté quel- ques riches fermiers qui tuent communément un boeuf ou une vache et un cochon qu'ils font saler ; ils mangent peu de viandes fraîches, leur principale nourriture outre le pain qui est toujours de froment, est le beurre dont ils mangent en quantité, du fromage, du laitage et sur- tout du petit lait qu'ils nomment guinche dont ils font de la soupe en y faisant cuire beaucoup de fruits ; ils boivent ordinairement de l'eau, excepté ceux qui sont un peu aisés qui boivent de la petite bierre et les riches de la bierre forte ; les habitants du PaTs de l'Alloeu en boivent presque tous parce qu'ils sont fort riches et qu'elle y est à bien meilleur marché, étant exempte de toute subside. Ces derniers se dédomagent de leur travail de la semaine, les dimanches et les festes en buvant abondamment surtout de l'eau-de-vie le matin. Les hommes aus- sy bien que les femmes et les enfants ne se font point un scrupule d'aller au cabaret et d'y passer les journées entières. Ils solemnisent généralement tous les ans une feste qu'ils appel- lent ducasse ou kermesse qu'ils font durer 7 ou 8 jours ou la plus part mangent ce qu'ils ont amassé pendant toute l'année surtout de certains fermiers ou brasseurs qui donnent des repas des plus abondants et où rien ne manque pour des villageois. Ils sont communément bien habillez principalement les femmes qui ont bien des joyaux à propor- tion des autres peuples du royaume. Ils sont bien meublés chez eux à l'exception de leurs lits qui sont généralement mauvaix, preuve certai- ne qu'ils ne sont point délicats pour le coucher, la plus part ne se servant que de paille ; peut-être aussy ne veulent-ils point s'appares- ser dans le lit où ils demeurent tout au plus 4 ou 5 heures. Ils se chauffent assez bien ayant communément du bois qu'ils ramassent dans la séparation de leurs terres ou au deffaut du bois consomment des tour- bes. Ils portent tous des souliers et très peu de sabots comme les peu- ples en France ; ils sont rarement malade et sont forts et robustes, y ayant nombre de paysans bien faits et dans quelques paroisses le sexe y est fort joly et bien vêtu". Les alentours du pays d', de Loos, contigu à AUBERS font l'objet de l'analyse suivante (8) "Ce pays est un des meilleurs, des plus peuplés, des plus riches et des mieux cultivés qui soit peut-être en France. Le fond des terres étant communément un peu rougeatre et sablonneux et froid, très aisé 'au labourage étant aidé de l'engraisse que les peuples y mettent qui est du fumier de bestiaux, des cendres de tourbes et autres immondices et d'abord que la première récolte est faible ils relabourent les ter- res et les ressément de graine de colzat, de navette, de grosses raves et de carottes et d'abord qu'ils ont semé leurs terres ils l'arrosent avec de. l'excrément humain qu'ils détrempent dans des barriques (...) Partie des terres produisent abondamment d'excellent froment, du colzat, navette et du lin qui est la principale et la meilleure récolte que font les peuples parce qu'ils en font beaucoup d'huille à brûler et ex- cellente pour la rubrique des étoffes que l'on transporte en grande quantité hors du pays ce qui leur rapporte un grand revenu. Ils sèment peu d'avoine parce qu'elle produit abondamment mais beaucoup de sou- crion, espèce d'orge avec quoy ils font de la bierre ; ils amassent très peu d'houblon ; comme ils n'ont que fort peu de prairies (...) qui ne leur produisent pas à beaucoup près le foin nécessaire pour nourrir les chevaux et vaches qui sont en grand nombre, ils sèment en plusieurs endroits dans les champs labourables de la tranelle qui est une espèce de trèfle qu'ils coupent 3 ou 4 fois par an à cause de son abondante production et ils en nourrissent les chevaux et autres bestiaux. Ils n'ont communément point d'autres pacages, pour leur vacher, que l'herbe de leurs vergers, y ayant une infinité de maisons épares à la campagne dont chacun a son prez ou son verger remply d'arbres fruitiers et les bords des fossez tous bordés et plantés d'arbres à brûler et à bâtir et presque toutes les terres labourées et séparées par des fossez et au bord des grands arbres qui leurs produisent du bois pour se chauf- fer et pour vendre (...) La campagne de ce pais est différente de cel- le de France où les terres ne portent que 3 ans de suite et l'on les laisse reposer presqu'autant sans les cultiver, et celles de ce pays-cy sont toujours ensemencées, au moins une fois l'an, ce qui est cause qu'ils nourrissent peu de moutons ny ayant seulement que quelques cen- ses qui ont privilège d'en avoir. Il n'y a point d'autres pacages par- tie de l'année que les bords des grands chemins et fossés où les ber- gers les gardent avec beaucoup de soin. Toutes les maisons des bourgs, villages ou hameaux, censes ou fermes, épars à la campagne sont commu- nément à 3 ou corps de logis et forment une grande cour dans laquelle on entre par une grande porte ; elles sont presque toutes bâties en colombages, c'est-à-dire de bois et de terre, quelques unes de briques et presque toutes couvertes de paille, excepté les grosses fermes ; elles sont bâties de maçonnerie de briques avec des chainettes de pier- res de taille blanches et couvertes de thuilles, surtout les premiers logements ; et leurs vergers ou préz sont entouréz de larges et pro- fonds fosséz pleins d'eau (...) Tous les chemins grands et petits sont presque tous bordés de grands et petits arbres, c'est ce qui rend le pais très agréable, outre la grande quantité de maisons que l'on trou- ve de tous côtés qui réjouissent la vue des voyageurs lesquels ont l'a- grément de trouver des peuples assez affables tous bien habillez et qui ne marquent point la misère ; mais surtout les festes et les dimanches, ils sont magnifiquement habillez pour des paysans ; les femmes ont pres- que toutes des bagues, pendants d'oreilles et croix d'or et les hommes des habits de bon drap, des culottes de pannes et presque tous des cha- peaux bordés de galons d'argent. Ils sont assez bien meublés chez eux mais ils ont de mauvais lits, la plus part se couchant sur la paille ou dans le foin. Ils se nourrissent assez bien, mangeant beaucoup de lai- tage, beurre, carottes, raves ou naveaux et beaucoup de fruits, surtout de pommes bouillies et ne boivent communément que de l'eau ou du petit lait qu'ils appellent guinche et les aisés boivent de la petite bierre, excepté les fêtes et dimanches qu'ils vont au cabaret où ils boivent de la bonne bierre et surtout beaucoup d'eau-de-vie ; chaque village a sa feste particulière qu'ils appellent ducasse où ils se divertissent 7 à 8 jours de suite et y boivent beaucoup. Si les peuples sont riches, ils le méritent bien car ils sont trop laborieux, se lèvent de grand matin, se couchent fort tard, les hommes battent le bled l'hiver, d'au- tres font de la toille ou de petites étoffes de laine et les femmes s'occupent aussi bien que les enfants à filer du lin ou de la laine. Et quand le temps ou la saison leur permet, ils travaillent aux terres qu'ils cultivent assez extraordinairement en les renversant sans dessus dessous, ce qui se fait avec le louchet et contribue beaucoup à la production de tous les grains ; tous le labourage à la charue se fait avec de gros et forts chevaux et les pauvres se servent de leurs bras. Il y a peu de noblesse qui résident à la campagne quoy que cependant il y a beaucoup de grosses fermes, mais c'est qu'elles appartiennent aux abbayes, éclésiastiques, gentilshommes ou bourgeois qui résident à LILLE ou dans d'autres villes". Quant au "Pays de Lalloeu", il a donné lieu aux notations qui suivent (9) : "Ce pays est une grande plaine entrecoupée de larges et profonds fossés pleins d'eau et traversée de plusieurs grands chemins assez larges et bordés d'un très grand nombre de maisons communément à corps de logis, la plus part bien bâties et chacune de ces maisons enceinte de larges fosséz qui renferment un préz bordé de grands arbres de toute espèce, il s'y recueille beaucoup de lin colzat et navette pour faire de l'huille. Les peuples passent pour les plus riches de ce royau- me ; ce pays consiste en 4 paroisses dont celle de LA GORGUE n'en fait que partie et la principale et le chef-lieu est le bour de LA VENTIE, bien privilégié comme une ville close. C'est une prévôté exempte de tous subsides et qui a des prérogatives comme les 3 autres paroisses. Les comtes de Flandre avaient autrefois donné les agrie de ce pays aux Papes mais elle est retournée depuis sous leurs dominations. Leurs grands privilèges et exemption de tous subsides leurs ont été accordées par l'empereur Charles-Quint et confirmés par Louis XIV et depuis quelques années par Louis XV à présent régnant ; après un long procès ils sont rentrés dans leurs anciens privilèges. Le peuple raconte, cependant sans preuve certaine, les titres ayant été perdus, qu'un roy de France ou un Comte de Flandre ayant perdu une bataille de ce pais, les hommes en état de déffenses se sacrifièrent pour le retirer des mains de ses ennemis et qu'il resta après l'action plus de 1700 femmes veuves ; il n'y a pas de doute qu'en ce temps-là le pais étoit encore moins prati- quable qu'il ne l'est aujourd'huy. Car l'expérience a fait voir dans les dernières guerres que cette contrée est comme impratiquable aux par- ties et aux petits corps de troupes, on peut dire même aux camps volants et quand les alliés furent maîtres de LILLE depuis 1707 jusqu'en 1713 ils eurent mille peines de mettre ces peuples sous leur obéissance. On raconte qu'ils furent obligés d'y envoyer un corps de troupes de 15 à 16 mil hommes et qui en tuèrent beaucoup. Ils sont forts et robustes et très bons tireurs ; quand ils ont tiré un coup de fusil après quelqu'un qui ne leur convient pas ils le remettent en bandouillière et sautent d'un fosséz à l'autre. Il n'est pas possible de les attraper, c'est pourquoy les marechaussez ne s'hazardent point d'y aller chercher les criminels. Par un accommodement ils ne payent que dix mil florins par ans qu'ils se sont imposés eux-mêmes et en font leur répartition a pro- portion du bien que chacun possède, moyennant quoy ils vendent en toute liberté toutes sortes de marchandises et ne payent aucun droit sur l'eau- de-vie, bierre et autres liqueurs. Ils ont aussy la liberté de vendre le tabac, etc ... Le Roy ny ses fermiers n'y ont aucuns commis. C'est pourquoy tout y est à meilleur marché qu'ailleurs. Ils ont un gouverneur particulier aussy bien que leur justice et chaque village la sienne et une supérieure, quand il s'agit d'une affaire qui regarde tout le pais. Ils reconnaissent pour seigneur l'abbé de Vaast d'ARRAS, d'où ils re- lèvent aussy bien que de la juridiction du grand conseil d'Artois. Et quand ils ont quelques causes qu'ils ne peuvent juger audit conseil leur dernier ressort est au parlement de Flandre à DOUAY. • Les peuples de cette contrée sont extrêmement laborieux, ils font très grandes quantités de toilles. Les hommes y sont communément comme dans le reste de la Flandre forts et robustes, quoy que dans les trois quarts de l'année leurs maisons soient entourées de fossés pleins d'eau et que les chemins soient pratiquables ils ne sont point incommodés d'insectes venimeux. Le sexe y est communément jolies auprès de bien d'autres contrées. Ils ont le teint frais et sont habillés ma- gnifiquement, les festes et dimanches aussi bien que les hommes. Ces peuples sont riches en bestiaux surtout en bestes à cornes ; ils ont aussy beaucoup de chevaux qui leurs servent en partie pour le labour de leurs terres, car comme elles sont extrêmement grasses, ils les cul- tivent en partie avec leurs bras. Leur principale nourriture est le lai- tage et ils boivent à proportion plus d'eau-de-vie que dans aucune par- tie de la Flandre, ce qui en quelque façon leur est fort convenable pour se préserver des incommodités que produit ordinairement un pais marécageux. Il est à remarquer qu'il n'y a pas un seul gentilhomme dans toute cette contrée". les observations d'HENNEBERT en 1786 rejoignent celles de l'au- teur anonyme que nous venons de citer (10) : "La région est toute champêtre, sans forteresses, coupée d'une infinité de fossés, la plupart remplis d'eau et bordés de haies épais- ses . Pendant l'hiver, la fabrication des toiles remplace le travail des champs. Il n'est pas de maison où l'on ne trouve au moins un "outil" ou métier à tisser. Les femmes filent le lin,les enfants font des bobi- nes ou "épeules" et les censiers avec leurs ouvriers tissent les pièces de toile". Si nous avons fourni tant de détails sur la région c'est qu' AUBERS, implanté à limite de la zone crurale de Weppes, dont Albert CROQUEZ disait : "Voyez cette terre nuancée, infiniment pittoresque du pays de Weppes avec sa luxuriante végétation et ses mares si fréquen- tes" (11), a des frontières communes avec LAVENTIE, FLEURBAIX, LORGIES, NEUVE-CHAPELLE, , ILLIES et HERLIES. Il s'agissait donc d'un terrain pourvu d'abondantes plantations. On en trouve confirmation dans la jurisprudence. Un arrêt expo- se que "dans la Flandre les arbres plantés dans les avenues, dans l'en- clos des fermes, dans les prairies et lieux destinés aux paturages sont une espèce de biens si considérable qu'elle égale quelquefois la valeur du fond" (12). Que l'aspect d'AUBERS correspondît à cet état de chose, il suf- fit pour s'en convaincre de compulser les vieux actes notariés. A titre d'exemple : dans un bail du 26 Juillet 1720, concernant 15 cens de terre à Pommereau, paroisse d'AUBERS, on peut lire : "Les prendeurs auront à leur profit les arbres fruictiers et hallots qui viendront à mourir pen- dant le bail à condition de desroder et en planter d'autres en leur pla- ce et les entretenir en verdure" (13) et dans un second, daté du 30 Sep- tembre 1720 : "Jean-Baptiste de HENNIN, demeurant à AUBERS, accorde à ti- tre de bail, ferme et louage à Pierre-André de HENNIN, son frère, tout un lieu manoir amazé de maison manable, chambre, grange, estable, fournil et autres édifices et contenant parmy jardin aucqué et planté" (...)"Les havures d'espines devront être copées à bouche d'homme et non en des- sous" (13) D'ailleurs, le 3 Brumaire an II (24 Octobre 1793) "Les maire et officiers municipaux de cette commune observent que cette commune est composée du territoire le plus mauvais qu'il y eut, de peu de rapport, que la moitié de ce territoire est embosqué" et reprennent la formule "ce octody de la seconde décade du deuxième mois Brumaire l'an II" (15). Pour la période qui suit l'effondrement de l'Ancien Régime, DIEUDONNE a rassemblé une abondante documentation. Celui-ci, en l'an XII après avoir évalué à 3 640 hectares la surface des bois et forêts de l'arrondissement de LILLE, ajoute que "la plupart des pâtures sont plantées d'arbres fruitiers et leurs clô- tures également; ce qui 1 présente un coup d'oeil pittoresque" (16). Arthur YOUNG avait déjà observé que "ce n'est qu'un immense jardin percé d'aventures qui se dirigent en tout sens planté de plu- sieurs millions d'arbres forestiers et fruitiers dont le vert foncé nuance de la manière la plus pittoresque avec le vert tendre des gras- ses patures que foulent des troupeaux nombreux et la teinte dorée des moissons qui mûrissent a côté" (...) Et le Préfet du Nord reprend : "Depuis LILLE jusqu'à la Colme, chaque pièce de terre, chaque pâture est entourée d'une haie vive formée d'épines blanches ou noires, en- tremêlées, à des distances très rapprochées, d'arbres montants, tels que frênes, chênes, ormes, charmilles, bois blancs, bouleaux, peupliers ou de saules tétards ; les clôtures des terres à labour sont en saules ou aunelles. Les chemins vicinaux et communaux sont ornés de la même bordure. On remarque surtout la riche plantation des routes de LILLE à DUNKERQUE et de LILLE à LA BASSEE, les plus belles de toute la France, toutes en ormes et bois blancs au nombre de plus de 23 000 dont le pro- duit sera, dans vingt ou vingt cinq ans, immense pour la République. Les arbres fruitiers n'enrichissent pas seulement les clôtures ; les prai- ries et les pâtures sont couvertes de superbes allées d'ormes dont le produit paie le fond de la terre une fois chaque cinquante ans. (...) On ne regarde point les clôtures, les plantations autour des propriétés rurales, comme faisant un tort réel à l'agriculture et effectivement on fait à leur ombre les récoltes les plus abondantes" (17) DIEUDONNE poursuit en signalant que l'Arrondissement de LILLE est riche en vergers qui servent à la fois de pâtures. Le produit de la plupart de ces vergers donne, aux petits occupeurs, les moyens de payer une partie de leurs fermages. Aussi, on attache une telle impor- tance à leur conservation que les ravages immenses faits par l'ouragan du 18 Brumaire sont déjà réparés par de jeunes plants. Les arbres et arbustes fruitiers que l'on cultive le plus sont les pommiers, les poiriers, les cerisiers, les pruniers, les abrico- tiers, les pêchers, les groseilliers rouges, noirs et épineux. On cul- tive peu le noyer. Parmi les pommes DIEUDONNE cite, en particulier, les rambours francs, la pomme rosat, la pomme de paradis, la reinette. (18) On cultive un peu de raisin en treilles dans les potagers, maturité.mais il est très tardif et atteint rarement le degré convenable de Parmi les arbres forestiers, le Préfet DIEUDONNE énumère le chêne, le hêtre, le frêne, l'érable, le bouleau, le peuplier, l'orme (commun dans les pourpris ou contours des manoirs ruraux) etc... On peut reprendre certaines de ses considérations : "L'aulne recommandable pour la facilité qu'il a de croître dans toute espèce de terrain. Il en existait dans quelques forêts qui atteignaient 60 à 80 ans, sains et entiers (ils ne vivent ordinairement que 20 à 30 ans). Ils étaient recherchés pour les conduits souterrains des eaux, les tuyaux des fontaines saillantes ; on sait que ce bois est incorruptible autant et plus que le chêne quand il est employé à ces sortes d'usages. En 1785, après une longue sécheresse, une maladie a attaqué tout ce qui était futaie de cette sorte de bois dans les fo- rêts et il n'en existe plus qu'en balivaux modernes. L'aulne est culti- vé dans l'arrondissement de LILLE dans les bordures champs, son feuilla- ge est très aimé des vaches. L'aulne atteint dans ce département la hauteur de 20 à 30 pieds (7 à 10 mètres)". "Le chataignier que l'on péut appeler l'arbre à pain de l'Euro- pe, paraît avoir été commun autrefois dans les forêts du Département. Je ne sais par quelle fatalité cet arbre si précieux a insensiblement disparu ; à peine en trouve-t-on encore quelques brins dans les bo- queteaux" . DIEUDONNE observe que les forêts, les bois et boqueteaux de ce département étaient, avant la révolution, très giboyeux ; on y trouvait des cerfs, des daims, des sangliers, des chevreuils, etc ... Aujourd'hui, les cerfs, les biches et les daims, ou ont été dé- truits, ou sont allés chercher des retraites plus inaccessibles aux chasseurs et des terres plus hospitalières. Les sangliers et les chevreuils sont rares ; le lièvre et le lapin le deviennent ; le nombre en diminue chaque jour devant les chas- seurs trop nombreux ; les lévriers et furets disséminés dans les fermes achèveront bientôt la destruction de ces espèces timides si l'on n'y porte remède. Le loup se montre encore quelquefois, mais on lui fait une chas- se si constante qu'il disparaît bientôt. Le renard, le blaireau, la loutre, la belette, la fouine, le pu- tois, le hérisson, l'écureuil, la chauve-souris, la taupe, la vipère, la couleuvre, les rats de toutes espèces, sont communs. On trouve aussi l'hermine mais plus rarement. De la précieuse documentation de DIEUDONNE qu'il faudrait toute reprendre, nous nous bornerons à extraire quelques indications relati- ves aux cultures. Parmi les plantes cultivées, on trouve le blé (hauteur 5 à 6 pieds) ; les haricots, les lentilles, le lin, le grand chou dit chou- collet ; l'oeillette (introduite dans le département quelques années avant la Révolution) ; les carottes (pour la nourriture des chevaux en hiver) la betterave champêtre (dont la nourriture fut introduite en 1784) ; les navets (pour la nourriture des bêtes à cornes en hiver) ; le colza (de 3 à 4 pieds de hauteur la pomme-de-terre (ce n'est que depuis la Révolution que cette racine s'est propagée dans le Départe- ment, il y avait en 1789 des parties au sud où sa culture était pres- que inconnue ; aujourd'hui encore on ne la cultive presque pas en plein champ mais seulement dans les jardins). La garance était autre- fois cultivée dans le département mais elle a été abandonnée. Le lin est une des plus riches productions du sol du Départe- ment du Nord : non seulement on l'y récolte, mais on l'y prépare en- core ; il est un grand nombre de communes dont la population presqu'en- tière trouve dans ce genre d'industrie un moyen assuré de subsistance pendant la saison morte de l'année. Les deux arrondissements de LILLE et DOUAI sont le centre de ce commerce immense. Quant à la culture du tabac, elle est très bien développée. Lorsque les plantes annoncent une belle croissance, on rappro- che la terre de chacune d'elles avec la main, la soutenant avec l'au- tre dans la crainte d'enterrer les feuilles. On forme ensuite avec une espèce de petit sarcloir de fer, un fossé dans les raies qui se trou- vent entre les plantes autour desquelles on amoncèle la terre : c'est ce qui s'appelle baucher. Lorsque les plantes ont encore un pied de haut, on casse les feuilles qui traînent à terre, pour les faire sécher; on rompt les bourgeons qui se forment le long de la tige entre les feuilles et qui absorberaient inutilement la sève, et on extirpe en même temps les mauvaises herbes. Ce travail se recommence souvent par- ce que les bourgeons se reproduisent (...) Le tabac se récolte vers la fin de Fructidor. Les uns détachent avec le couteau les feuilles de la tige sur pied et en font de petits tas qu'ils placent sur la terre au soleil ; les autres coupent la tige elle-même qu'ils laissent également sécher sur la terre avec ses feuilles. Les procédés de manipulation jusqu'à ce que le tabac puisse entrer dans le commerce n'offrent rien de particulier. Pour faire sécher les paquets de feuilles, on les sus- pend aux murs des maisons ou avec de petits bâtons dans les toits de paille qui couvrent les maisons et qui débordent à cet effet de deux pieds au moins pour ménager l'ombre. En cas d'insuffisance de place on en suspend aux arbres et sur les haies. Nous finirons cette incursion dans l'oeuvre de DIEUDONNE, en rapportant quelques notations qu'on pourra mettre en parallèle avec celles de même nature ayant trait au siècle précédent. Le fond de la nourriture des habitants de la campagne est le même qu'avant la Révolution. A midi et le soir une soupe fort épaisse aux herbes, au lait de beurre ou à la viande salée ; en été, on y a- joute le déjeuner et le goûter qui consistent, le matin, en une soupe au lait de beurre, à dîner, une soupe au beurre ou à la viande, à goû- ter, des tartines (tranches de pain frottées de beurre et collées en- suite l'une contre l'autre) ; le soir, du pain, du beurre, du fromage et souvent de la salade. Dans l'Arrondissement de LILLE, il y a une troisième soupe le soir. Chez les petits cultivateurs, les artisans et les journaliers les plus aisés, on a ordinairement de la petite bière et, dans les temps de gros ouvrages, de la forte bière. Les jours de repos voient substituer de la viande de bouche- rie à la viande salée, chez ceux qui ont le moyen de consommer habi- tuellement de celle-ci les autres jours et de la viande salée de porc ou de boeuf au beurre et aux légumes chez ceux, qui d'ordinaire, ne se nourrissent pas de viande, quelques verres de bière bus au cabaret complètent la récréation, qui a commencé ordinairement par le verre d'eau-de-vie le matin. En général, la frugalité préside aux repas des habitants de la campagne, fermiers et autres ; on reproche même à ceux de l'Arrondissement de LILLE, le plus productif de tous de la pousser jusqu'à la parcimonie. (...) Quant aux gros fermiers, à la campagne, et aux particu- liers aisés, dans les villes, la bière est la boisson ordinaire. Tou- jours le beurre figure dans les repas ; il est la pièce fondamentale du dessert ; on voit reproduire la tartine de beurre, à déjeûner avec le café, à goûter, à dîner et à souper, on la mange même avec le jam- bon et avec les confitures.

On a pu donc voir qu'une bonne fraction des terres étaient encore boisées à AUBERS dans la première partie du XIXème siècle (19)- Mais la situation va évoluer au cours des décennies suivantes. Vers 1867 "hors des bois, les arbres de haute futaie tentent à dispa- raître, l'agriculture leur reproche le tort que leur ombre et leurs racines font aux champs voisins, le fermier cherche à s'en débarrasser autant que possible, forcé qu'il est par les hauts prix de location d'obtenir de la terre la plus forte somme de produits agricoles" (20). "Les peupliers sont connus partout où le sol est favorable. Le chêne si utile au charronnage est d'une qualité supérieure mais devient de plus en plus rare". (20) "Le gibier innocent diminue dans une proportion notable et ce n'est plus que sur les territoires de chasses gardées à grands frais qu'il peut résister à une entière destruction" (20) A la même date (1867) "on compte encore 10 espèces d'oiseaux nuisibles : la buse vulgaire, le faucon pélerin, l'épervier ordinaire, le geai ordinaire, la pie commune, là corneille noire, la corneille freux, la corneille mantelée, le pigeon ramier, le moineau franc" (21). Mais, "on ne saurait trop s'élever contre les préjugés qui font des rapaces nocturnes et des petites espèces de faucons, des êtres préjudiciables. L'usage barbare de tourmenter et de détruire les chou- ettes est encore général, ce sont cependant de précieux auxiliaires du cultivateur" (21). Par contre, "la poule domestique est très répandue. On cherche depuis quelque temps à en perfectionner les races au moyen de croise- ments - malheureusement on n'évite pas assez les mélanges avec les ty- pes lourds, tels que cochin chinois et brahmas. La bonne et ancienne race dite poule du pays disparaît et cependant elle valait tout autant et même plus que les meilleures races lointaines beaucoup trop vantées" (22). En ce qui concerne les cultures, il est remarqué que "le tabac tend à diminuer, l'administration maintenant ses prix à peu près sta- tionnaires, au milieu de l'augmentation générale de toutes les matières premières" (23). Cette question semble avoir constitué un problème délicat de 11 époque . Il existe en effet d'importants "Documents relatifs à la cul- ture du tabac dans le Département du Nord. Enquête et discussion au sein du Comice Agricole de l'Arrondissement de LILLE" (24). Il est reproché à l'Administration une trop grande rigueur dans le service au moment des inventaires, un rejet exagéré des feuilles à la présentation des feuilles au magasin, les conséquences fâcheuses pour les planteurs qui ne peuvent fournir leur contingent de feuilles, le prix peu rémunérateur des tabacs hors de rapport avec les changements survenus dans la culture, le mode vicieux du classement du tabac, le manque de garanties de la commission d'expertise pour les intérêts des plant eurs. On s'aperçoit également à cette lecture que le problème de la dégénérescence des plantes ne date pas d'aujourd'hui. Pour ces années 1860-1870, un rapport de cultivateur consti- tue une petite somme de la condition agricole de l'époque (25). On y apprend que "les pièces de terres sont morcelées et divi- sées, soit par de petits ruisseaux expressément établis pour le servi- ce et l'écoulement des eaux, soit par des arbres montants, des arbres et des halots". Ces plantations sont dénoncées comme nuisibles et cons- tituent un obstacle à la bonne viabilité des routes. Le remembrement est vivement souhaité. Les principales cultures demeurent le blé, l'avoine, le lin, la betterave sucrière, la betterave à vaches, le trèfle, la luzerne, le navet, le choux-collet, le foin, le scourgeon vert, le tabac. L'auteur insiste particulièrement sur la nécessité des dessé- chements et des drainages. Il s'agit là d'une préoccupation première dans nos cantons et notamment dans la frange occidentale du Weppes. Déjà en 1833, une étude avait exposé les ravages occasionnés par les marais dans la portion des circonscriptions d'HAUBOURDIN et de LA BASSEE (26). Toute la partie sise dans le Bas-Aubers était plus ou moins marécageuse ou périodiquement envahie par les eaux. Rappelons seule- ment que le 7 Mars 1831, le maire d'AUBERS, le sieur BRASME, informe le Préfet du Nord que "le fossé dit la rivière Délais" faisant sépara- tion entre AUBERS, LAVENTIE et FLEURBAIX, est encombré en plusieurs endroits et qu'il demande que les riverains soient mis en demeure d'ef- fectuer les travaux de curement (27). Un peu plus tard, le 29 Juin 1839, le Maire d'AUBERS, le sieur ADAM, expose au Préfet que les inondations qui se sont produites dans le hameau de Le Val résultent des travaux effectués par le sieur MAYEUX, demeurant à ARMENTIERES, propriétaire à AUBERS et FROMELLES. Le 10 Juillet 1839, Monsieur PETIT, agent voyer en chef, observe que le sieur MAYEUX a réalisé des travaux extrêmement utiles puisqu'il a "asséché une immense étendue de terrain où la culture était impossi- ble" et qu'il n'y a aucune relation de causalité entre ces travaux et les inondations constatées. Celles-ci n'ont été occasionnées que par le mauvais état de la rivière des Layes dont le curement immédiat est ordonné (28). En Avril 1873, le sieur DUTILLEUL, d', propriétaire d'une pièce de terre à Houdringue, saisit le Préfet d'une plainte relative aux graves dommages qu'il a subis par suite de la suppression d'un a- queduc. L'agent voyer de LA BASSEE, chargé d'une enquête, déclara aue cet état de chose est imputable aux pluies torrentielles de l'hiver et du printemps qui ont également submergé de nombreuses autres proprié- tés (29) • Tout ceci est corroboré par le rapport que Monsieur François CHOMBART rédige, le 12 Juillet 1869, sur les travaux de drainage exé- cutés par Monsieur CAVROIS, agent-voyer en Chef du Pas-de-Calais, dans la ferme de Piètre, sise à AUBERS (30) . "D'après les renseignements pris dans le voisinage et la décla- ration du fermier, les terres étaient extrêmement mauvaises avant le drainage et les récoltes presque nulles dans les années humides. Au- jourd'hui nous avons constaté de beaux résultats. Les blés sont très bons, les avoines, sans être fortes, sont belles pour l'année, le lin est d'une qualité supérieure, la betterave, assez tardive, est vigoureu- se et pourra se développer, le tabac promet bien, les pommes de terre, les pois verts et le trèfle y viennent à merveille. Comme les champs riverains pouvaient être pour nous d'excellents indicateurs, nous nous sommes portés en dehors de la propriété sur des champs non drainés ; le résultat visiblement inférieur accusait en outre des déchets consi- dérables dans les bordures que les eaux ont inondé (...) A Piètre, le sol est généralement composé d'une couche arable de terre forte, rendue très raide par la présence habituelle des eaux, reposant sur un fond de glaise très épais, très compact et fort dur. Cependant la partie dé- tachée vers midi est une terre légère de nature sablonneuse de peu d'épaisseur, gisant sur un fond de sable vert très-serré et aussi, com- me la glaise, complètement imperméable". La situation n'avait donc guère évolué depuis 1602 (en effet dans le "cahier fait pour le 2e vingtiesme" (31), on relève que pour Auberch-chatellenie (Weppes) "la plus grande partie des jardins et prairies sont terre potriaches" (32) ni depuis 1749 où Monsieur BOUCHER médecin de LILLE, indique dans un mémoire que les environs de LA BASSEE, les alentours de SAINGHIN-en-WEPPES sont considérés comme un canton marécageux (33). N'oublions pas d'autre part que le Bas-Aubers était étroite- ment imbriqué dans le Pays de l'Alleu. Celui-ci est ainsi représenté en 1877 ' "Ce pays est borné au Nord par la rivière de la Lys, au Sud par le fossé des Layes - (qui le sépare d'AUBERS) - à l'Est par les territoires d'ERQUINGHEM et d'ARMENTIERES (Chatellenie de LILLE) et à l'Ouest par les territoi- res de RICHEBOURG et de LESTREM (...) Entrecoupé de milli ers de rigo- les, partagé en enclos bordés de beaux arbres, il offre l'aspect le plus agréable. Dans la plupart des villages, les habitations sont dis- séminées sur toute l'étendue du territoire" (3*0 • On peut comparer cet état de chose avec celui de 1718 "les habitants de ce pays sont sur la frontière de Flandre, de la Chatelle- nie de LILLE et de l'Artois, ce qui peut mériter quelque considéra- tion et encore qu'ils n'aient ny château, ny forteresse, la disposi- tion de leur terrain, la grande quantité de hayes, d'eaux et de fos- sés qui s'y trouvent ne laisse pas de leur fournir les moiens de se déffendre au besoin contre les premières incursions". (35) Longtemps cette contrée a été de pénétration difficile, "ce pays, si fertile, est inabordable une grande partie de l'année. Chaque maison est en quelque sorte isolée et abandonnée pendant l'hiver. En cas de maladie, d'incendie, etc ... on ne peut obtenir de secours. L'accès des villages est interdit aux voitures, aux chevaux et même aux gens de pied qui n'ont pas l'habitude de voyager dans ce pays. Des pierres, placées sur les chemins à une certaine distance sont les seuls moyens de communication" (36). On trouve ces faits confirmés par Monsieur le Chanoine DEPOTTER : "Les haies qui bordent les chemins, les arbres qui les ombra- gent rendent les routes fort humides en toute saison ; elles ne sont vraiment bonnes que pendant l'été ; elles deviennent impraticables à l'approche de la mauvaise saison et se transforment en affreux bour- biers où les plus hardis n'osent engager leurs voitures. On en est alors réduit aux pierres d'appas qui bordent les chemins. Aussi pen- dant l'hiver, les habitants de MAUQUISSART (37) conduisent leurs morts au cimetière de NEUVE-CHAPELLE. Le seul véhicule qui puisse circuler est la charrette-à-queue, petite voiture à deux roues portant à l'ar- rière une longue pièce de bois qui l'empêche d'enfoncer dans la boue. Elle est du reste à l'usage presque exclusif des garçons-meuniers qui vont "quester-monée", c'est-à-dire chercher dans les fermes le blé des- tiné au moulin" (38). De tels souvenirs subsistent encore à AUBERS. Ainsi voici quelques dizaines d'années, étaient encore en usage les voies d'égli- se, sentiers dallés de pierres qui permettaient aux habitants des é- carts de se rendre à l'office sans se souiller de boue. Quant aux pierres de pas, certaines personnes rapportent les récits d'anciens, selon lesquels la Rue de Le Val n'était pas empier- rée, de sorte que pour se rendre au bourg les piétons devaient emprun- ter ce chemin de grosses pierres placées à longueur d'enjambée la rou- te étant réservée aux chevaux de bât car les chariots n'y pouvaient passer (39). L'état des routes a d'ailleurs de tout temps été un objet de préoccupation pour l'administration. En 1683, par exemple, Monsieur LE PELLETIER de SOUZY, Intendant de la Flandre Wallonne, devait pren- dre toutes mesures à cet égard (40). Et l'histoire d'AUBERS abonde en litiges qui naissent de l'é- tat de délabrement des routes (41). A la Révolution les chemins de terre de cette contrée sont si mauvais que, durant la mauvaise saison, les charrois sont presque pa- ralysés (42) . Aussi, il y a quelque cent trente ans encore "c'était une opi- nion tellement accréditée que la nature du sol ne se prêtait à l'éta- blissement d'aucune espèce de route dans le Pays de l'Alleu, qu'en 1838, lorsqu'on mit en adjudication le pavé reliant LAVENTIE à AUBERS, il ne se présenta personne pour entreprendre le travail" (43) . Bien sûr le paysage rural et le cadre géographique ont-ils profondément été modifiés depuis le siècle dernier. L'évolution qui s'est opérée pourra être imaginée à travers les tableaux ci-après, surtout si l'on se souvient que jadis toute cette contrée était cou- verte par d'immenses et impénétrables forêts (44). En conclusion, il est permis de penser qu'AUBERS-en-WEPPES, ancré dans une aire forestière et marécageuse, doublement frontalière, a pu sauvegarder, grâce à son intercalation géographique, certains carac- tères spécifiques qui se sont maintenus de façon plus prolongée qu'en d'autres terroirs circonvoisins.

(1) SAINT-GERAN, "Esquisse historique, archéologique et statistique de la commune d'AUBERS" (MOULINS, DESROSIERS, 1866) - Th.LEURIDAN "Statistique féodale du Département du Nord, La Chatellenie de LILLE, Le Weppes" (LILLE 1897) - Statistique archéologique du Département du Nord (LILLE, 1867) (2) DUGUE de BAGNOLS, Intendant de la Flandre Wallonne, mémoire (bulletin de la Commission Historique du Département du Nord, Tome X, 1868) (2 bis) Rappelons à ce sujet le blason d'AUBERS : "Pays des belles filles et des laides vaches". (3) BOULAINVILLIERS "Etat de la France - Extrait des Mémoires dressés par les Intendants du Royaume par ordre du Roi Louis XIV, à la sollicitation de Monseigneur le Duc de Bourgogne" (LONDRES, T. WODD et S. PALMER, 1735) ; Tome III. (4)"Mémoires historiques sur la ville de LILLE et ses environs depuis sa fondation jusqu'à la mort de Louis XIV en 1774"- "Manuscrit n° 1111 p. 55, Bibliothèque Municipale de LILLE". (5) Manuscrit n° 452 de la Bibliothèque Municipale de LILLE (6) Manuscrit n° 452, p. 186 (7) Manuscrit n° 452, p. 386 à 395 (8) Manuscrit n° 452, p. 221 à 228 (9) Manuscrit n° 452, p. 431 à 439 (10) HENNEBERT "Histoire générale d'Artois" (LILLE 1786) Tome 1 p. 68 (11) Revue des Flandres, 1906, page 320 (12) Recueil d'arrêts du Parlement de Flandres, arrêté n° 77 (LILLE 1773) (13) Archives Départementales du Nord, Tabellion 6721 (14) Archives Départementales du Nord, Série L 8256 (15) Archives Départementales du Nord, Série L 8249 (16) DIEUDONNE "Statistique du Département du Nord" Tome 1er p. 442 (17) DIEUDONNE "Statistique du Département du Nord" Tome 1er p. 26 (18) Ces variétés sont encore cultivées à AUBERS. (19) Des vestiges de ce passé subsistent dans les appellations de champs ou de lieux-dits. Voir à ce sujet : Pierre DESCAMPS "Elé- ments pour une nomenclature de la toponymie d'AUBERS", dans "Bulletin de la Société de Dialectologie Picarde" n° 13 et 14) et notre supplément ; on y relève une vingtaine de noms impli- quant l'idée de bois ou bosquet. (20) Statistique archéologique du Département du Nord (LILLE, QUARRE et LELEU, 1867). (21) Statistique archéologique du Département du Nord (LILLE, QUARRE et LELEU, 1867). (22) On désigne à AUBERS ces sortes de gallinacées sous le nom "d'es- pèces" : ch'est d ' s'espèces". Leur race n'est pas totalement dis- parue. (23) Statistique archéologique du Département du Nord (LILLE, QUARRE et LELEU, 1867) (24) LILLE, Imprimerie de LELEUX, Grand'Place, 1864. (25) BEAUCARNE-LEROUX, "Le laboureur de la Flandre Française, mémoire présenté au concours régional de LILLE en 1863" (LILLE, Imprimerie LELEUX, 1863). (26) J.B. DUPONT "Topographie historique, statistique et médicale de l'Arrondissement de LILLE " (DELARUE, PARIS 1833, p.262) (27) Archives Départementales du Nord, Série 0-25, n° 116 (28) Archi ves Départementales du Nord, Série 0-25, n° 116 (29) Archives Départementales du Nord, Série 0-25, n° 117 (30) Extrait des Archives du Comice Agricole de l'Arrondissement de LILLE (LILLE, Imprimerie BLOCQUEL-CASTIAUX) document fourni par Monsieur le Conservateur des Archives Départementales du Pas-de- Calais. (31) Archives Départementales du Nord - Série C, Flandre Wallonne, Registre 1542 (32) On désigne encore à AUBERS sous ce nom, les terres lourdes et argileuses, difficilement perméables et dures à travailler. (33) Journal de médecine, chirurgie, pharmacie - juillet-octobre 1762, Tome 17 (Bibliothèque Municipale de LILLE, Série P.218) (34) Louis et Narcisse CAVROIS "Histoire du Pays de l'Alleu et des communes du Canton de LAVENTIE (Imprimerie H. SCHOUTHEER, ARRAS, 1877) ; citant Monsieur HARBAVILLE, "mémorial historique et ar- chéologique du Pas-de-Calais". i(35) Louis et Narcisse CAVROIS, op. cit., mentionnant "mémoire pour les Baillys, Eschevins, manans et habitans des quatre communautés du Pays de l'Alloeue, 1718 - M SS. n01 du Cabinet de Monsieur BECQUART" (36) Louis et Narcisse CAVROIS, op. cit., mentionnant "la Feuille heb- domadaire de SAINT-OMER du 20 Juin 1807" (37) Hameau de LAVENTIE, contigu à Piètre et aux Sablonnières, hameaux d'AUBERS. (38) Chanoine J. DEPOTTER "Le Pays de Lalloeu" (GIARD, LILLE, 1910) P- 153 (39) Notamment le témoignage de Monsieur Marcel LESAFFRE, cultivateur au Hameau de Le Val, relatant les paroles de Monsieur Pierre FRULEUX, cultivateur audit lieu, né vers 1850. (40) Mémoires des Intendants de la Flandre et du Hainaut Français sous Louis XIV. Intendance de la Flandre Wallonne. Instructions de LE PELLETIER de SOUZY pour 1683 - Bulletin de la Commission Histori- que du Département du Nord - Tome X, 1868. (41) Voir notamment : Archives Départementales du Nord - Série C - Intendance Flandre Wallonne, p. 269, 2409 et registre 1456, 205 - voir aussi de ST GERAN, op. cit. (42) Archives Départementales du Nord, Série L, 8838. (43) Louis et Narcisse CAVROIS, op. cit. (44) Louis et Narcisse CAVROIS op. cit. - MANNIER "Recherches sur la Ville de LA BASSEE et ses environs (CARION - PARIS, 1854) •

DEUXIEME PARTIE : Aperçu historique. 27

Vers l'an 870, un affranchi nommé EUNGER, par reconnaissance de la liberté qu'il avait reçue de Saint-André, donne à cette collé- giale la moitié de l'église de la Villa de Fluringehem, avec d'autres biens à' Fruulingehen et à EVERLINGHEM (domaine situé à.HERLIES, WICPSS et AUBERS, dans le quartier de Weppes). (1) Piètre, hameau d'AUBERS, est cité sous le nom de "Petrosa becca", en 1066, dans une charte de donation de Saint-Pierre de LILLE par le Comte BAUDOIN. (2) En 1111, il est fait mention des maires d'Espumerel (Pommereau) et Everlengehem, domaines de la collégiale de DOUAI. (3) En 1123, dans deux bulles du Pape Calixte II, sont énumérées des localités de notre région dont Pommereau (Spumerel) et Piètre (Petrosa becca). (4) En 1135, le Pape Innocent II confirme le Siège épiscopal d'ARRAS dans ses prérogatives et dans ses possessions, dont AUBERS (Altare de Otbertio) (5) En 1152, le pape Eugène III donne une bulle par laquelle l'au- tel d'AUBERS appartient aux évêques d'ARRAS. Deux évêques d'ARRAS, St Waast et St Aubert sont les patrons de la paroisse (6). En 1184, Guillaume d' AUBERS fait donation à l'Abbaye de Maroeuil de deux parties de la dîme d' HERLÏES(7) • En 1210, Wautier de VOORMEZEELE rend au chapitre de Saint-Pierre des dîmes sises à FORMELES et OBERCH (FROMELLES et AUBERS) (8). La même année, au mois de Juillet, Robert II, prévôt de Saint- Amé, cède à Robert CRESPIN, Chapelain, toute la dîme qu'il possédait au terroir de Spumerel (Pommereau) sur la paroisse d'Oberch (AUBERS) (9). Le premier de ces actes est contresigné par Pierre de Oberc, che- valier . En décembre 1217, Amobricus de BERTENCOURT, seigneur d'AUBERS et Adeluya sa femme s'engagent à ne plus troubler l'abbaye de Maroeuil dans la possession des dîmes de HERLIES qu'elle avait achetées à Guil- laume d'AUBERS, chevalier (10). En Octobre 1240, BERTOUL sire de BAILLEUL donne une charte con- tenant "les loix, franchises, coustumes et usaiges de la seignourie de Pièttre" aux habitants de ce hameau (11) En 1250, RENIER d'AUBERS participe à la septième croisade (1248-1268) (12) Entre 1302 et 1304, la région de LA BASSEE est continuellement ravagée au cours des guerres que se livrent la France et la Flandre (13). De 1324 à 1346, période sans cesse troublée, le territoire de la chatellenie est dévasté et ruiné de fond en comble. Représailles, excursions se succèdent. On pille, on saccage. Le gouverneur de LILLE dut même permettre à , son lieutenant, de fourrager dans les vil- lages de sa propre chatellenie (14). Le 6 Octobre 1324, commission est donnée par André de CHAROL- LES, chevalier du Roi, bailli d'Amiens, à Jacques LE CARRON, sergent royal en la prévôté de Beauquesne pour ajourner ès assises d'AMIENS la Comtesse d'ARTOIS et ses officiers du baillage de LENS pour entre- prises faites au préjudice de la haute, moyenne et basse justice qui appartient à Robert de FLANDRE, chevalier en la terre de Monseigneur Amauri d'AUBERC (15). Le 2 Juin 1329* nouvelle commission est donnée par le Roi de France Philippe de VALOIS à Hugues de SAINT-POL, dit PAILLARD, chanoine de Térouanne et à Pierre de MACHERY, pour faire une enquête afin de savoir à qui appartient la haute justice à AUBERCH ,(16). C'est vers cette époque que le village d'AUBERS aurait appar- tenu aux Châtelains de LILLE qui y auraient résidé notamment en 1324 et 1327. (17) On remarque qu'en 1357, le dénombrement servi par Jean de Luxembourg, châtelain de LILLE, au Roi de France, porte sur plus de vingt bonniers de "tière" ou de "riestailles" (pâtures) gisants à AUBERS (18). Le 13 Mai 1336, sont bannis Amauri d'AUBIERCH, Pierre d'AU- BIERCH, son frère, Robert de , Jehan de HAUBIERCQ et Jehan LI POIVRE qui avaient assailli Jehan et Jacquemon FENART, "occis" leur frère Robiert, et blessé "plusieurs autres bonnes gens" (19). De tels faits ne devaient pas être l'exception. Dans la seconde partie du XIVème siècle, une haine profonde divise les d'ENGLOS et les NEUVE- EGLISE. Leur atroce rivalité se greffant sur de violentes antipathies de races (querelles des Flamands et des Wallons) ensanglante le pays de Lalloeu et ses environs, notamment RICHEBOURG et les communes pro- ches. Sans doute AUBERS eût-il à souffrir peu ou prou de ces guerres de familles et de ces vengeances privées (20). Le pays est d'ailleurs propice à cet état de chose : couvert de bois et entrecoupé de fossés et de petits canaux, il servait de refuge aux malfaiteurs et offrait un champ favorable aux conflits particuliers et aux brigandages. Banni du royaume pour homicides, un nommé Jehan d'ENGLOS, vers 1440, se tient, avec sa bande composée d'une trentaine d'hommes, dans l'église de LA- VENTIE. Il n'en sort que pour battre, rançonner, piller et assassiner. Une décision de justice lui reproche de multiples crimes, extorsions de fonds et incendies de maisons, granges, censes, situées à NEUVE-CHAPELLE, laventie, LORGIES, RICHEBOURG, ILLIES et très vraisemblablement AUBERS (21) . En Juillet 1340, Pierron d'AUBERS et son écuyer, et Guillaume de PLOUICH d'AUBERS se rangent parmi les chevaliers de Picardie, d'Ar- tois et de Flandre marchant sous le commandement du duc de Bourgogne contre Robert d'Artois, allié à l'armée anglaise, qui faisait le siège de SAINT-OMER (22). L'année 1347 fut une année terrible. Philippe de VALOIS, roi de France, engage une expédition contre les Flamands ; il rassemble une armée de 10 000 hommes et entre dans le pays de Lalleu où s'engage une effroyable bataille. Les Français furent mis dans la déroute la plus complète et la noblesse du pays y perdit la fine fleur de sa che- valerie. L'action se passa entre FLEURBAIX et SAILLY. On se doute des excès auxquels se portèrent les vainqueurs contre les pauvres habitants de cette contrée, et le carnage qu'ils en firent lorsque l'on sait que, d'après une tradition du pays, il y aurait 1 800 femmes qui seraient devenues veuves ce jour-là. Le Bourg de LAVENTIE fut brûlé et les vil- lages environnants dont AUBERS en éprouvèrent le contrecoup. "Toute la région a conservé le souvenir de ce sanglant épisode que la tradition a localisé dans une rue de SAILLY, la Rue Bataille. On raconte que les Nos "anciens" ne sont plus les seuls à s'intéresser à l'évocation des temps révo- lus. Au-delà de la nostalgie, un livre comme celui-ci répond à une attente, liée à l'heureux engouement dont bénéficient aujourd'hui les traditions populaires. Fouiller son terroir pour chercher ses racines, ce n'est pas succomber à la tenta- tion du passéisme. C'est se rassurer, enrichir le présent donc préparer le futur. Le cher Nord, qui fait tant d'efforts pour être un peu moins méconnu, a besoin de redécouvrir son identité...... Le présent livre apporte des éléments folkloriques et onomastiques incontesta- blement utiles. Le chercheur pour nourrir ses synthèses d'ethnolinguistique ou de psychologie sociale, a besoin de monographies ou l'identification des faits de terrain exactes et précises. Les micro-toponymes extraits des mémoires vives et des archives locales (moins poussiéreuses que jadis) prendront place dans des fichiers nationaux informatisés. Les gens de la région, eux, s'amuseront des sobri- quets collectifs, dont la verdeur est parfois bien caustique. Ces pages évoquent une culture paysanne d'apparence grossière où l'observateur attentif décèle pas mal de finesse. Plaisir du souvenir et intérêt culturel se conjuguent : jeunes et moins jeunes, gens de Weppes et d'ailleurs, remerciez Pierre DESCAMPS, qui a encore sauvé un peu de la mémoire de ce vigoureux terroir.

Femand CARTON Ancien Président de l'Université de NANCY Directeur de l'Atlas linguistique et ethnologique Picard

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