L’histoire oubliée de la première championne de afro-américaine,

Maureen Songne L’US Open a dévoilé lundi, pour l’ouverture du tournoi, une statue en l’honneur de cette athlète méconnue qui a reçu onze titres du Grand Chelem dans les années 1950.

Publié le 30 août 2019 à 14h49 - Mis à jour le 30 août 2019 à 15h07

Althea Gibson soulève son trophée après sa deuxième victoire en finale du tournoi de Wimbledon contre la joueuse britannique Angela Mortimer, le 5 juillet 1958. AP

Rien, et certainement pas le contexte de l’Amérique des années 1950, ne prédestinait cette athlète hors norme à mener cette impressionnante carrière. En brisant, barrière après barrière, les obstacles dans une Amérique profondément marquée par la ségrégation raciale, la tenniswoman Althea Gibson a ouvert la voie à de nombreux champions afro-américains, avant de tomber dans l’oubli, rappelle le New York Times, qui lui consacre un long portrait. Un oubli qui a été réparé, lundi 26 août pour l’ouverture du tournoi de l’US Open, soixante ans après ses exploits, avec l’inauguration d’une statue à son effigie au Centre national de tennis Billie-Jean-King, devant le stade Arthur-Ashe, dans le Queens, à New York. La première, , est considérée comme l’une des meilleures joueuses de tous les temps quand le deuxième, , fut le premier homme noir à remporter un titre du Grand Chelem.

La statue d’Althea Gibson, inaugurée devant le stade Arthur-Ashe, à New York, durant le premier round de la compétion US Open, lundi 26 août 2019. FRANK FRANKLIN II / AP

Quelques chiffres permettent de mesurer l’importance d’Althea Gibson dans l’histoire du jeu et de la lutte pour l’égalité dans le sport. Douze ans avant Arthur Ashe, et plus de quatre décennies avant l’avènement des sœurs Williams, Gibson fut la première femme noire à remporter un titre du Grand Chelem, à Roland- Garros en 1956, puis à Wimbledon et aux Internationaux des Etats-Unis, à Forest Hills – l’ancêtre de l’US Open, l’année suivante. Elle réalise ainsi une première historique en soulevant à 30 ans le trophée sur le gazon londonien que la reine d’Angleterre Elizabeth II, assistant à sa première compétition, lui remettra en personne.

Onze victoires en Grand Chelem

En trois ans, entre 1956 et 1958, l’Américaine remportera pas moins de cinq tournois du Grand Chelem en simple, onze en comptant les doubles. Malgré cette carrière hors du commun, son parcours n’est pas entré au panthéon des légendes du sport, et très peu d’hommages lui seront rendus.

En France, un petit gymnase parisien du 12e arrondissement a bien été baptisé en son honneur en 2017, un tournoi de tennis pour seniors (joueurs de 35 ans et plus) porte également son nom en Croatie, et elle a reçu quelques prix à titre honorifiques. Mais rien qui soit réellement à la hauteur de son incroyable palmarès. Si bien qu’aujourd’hui, « Althea Gibson est pratiquement inconnue du grand public et des Parisiens », reconnaissait il y a trois ans au Monde Nicolas Bonnet, conseiller municipal de Paris, qui a porté la proposition de donner son nom au complexe sportif parisien.

Cette occultation a pris fin cette semaine dans son pays quand la Fédération de tennis des Etats-Unis a dévoilé un buste d’Althea Gibson émergeant d’un bloc de granite. « Il était temps, parfait ! », a salué , amie et partenaire d’Althea Gibson à The Undeafeated :

« Je pense que pour plus de 50 % des gens, ça sera une révélation, parce que dans mon pays [l’Angleterre], ils ne s’en souviennent pas du tout. Elle a accompli un grand travail pour améliorer la place des Noirs. Même avec les deux parades triomphales qui ont eu lieu en son honneur, elle n’était toujours pas autorisée à aller dans un hôtel où les Blancs dormaient ni de boire dans une fontaine où les Blancs buvaient, mais elle a aidé à combattre cet état de fait. » Le 11 juillet 1957, Althea Gibson revient triomphale à New York après avoir remporté la compétition féminine de Wimbledon. Elle sourit et salue ici a foule lors d’un défilé grandiose en son honneur, à Broadway. AP

L’athlète, qui est morte en 2003, était née en 1927 en Caroline du Sud de parents métayers dans une ferme de coton, un statut les plaçant à peine au-dessus de celui d’esclave. Sa famille déménage rapidement dans le quartier new-yorkais d’Harlem lorsqu’elle est encore bébé. Très vite, elle montre de grandes aptitudes pour le sport et s’entraîne régulièrement avec son père à la boxe, joue au basket-ball et au tennis…

« Tout a commencé quand on jouait au padel [sport de raquettes sur terrain plus petit que le tennis] dans la rue, sponsorisé par la Police Athletic League, avec deux raquettes et une balle en éponge, un petit court et un petit filet », expliquait Althea Gibson en 1989 à la BBC.

A 12 ans, elle gagne le championnat de padel pour filles de la ville. Avec son allure longiligne et athlétique, elle sera repérée quelque temps plus tard par Buddy Walson, l’organisateur des jeux de rue, grâce auquel elle rejoindra le Harlem’s Cosmopolitan Tennis Club, un club de tennis privé pour les classes moyennes afro-américaines de West Harlem.

Orage et insultes

Dr Hubert Eaton et Dr Robert Johnson, deux éminents militants pour les droits civiques, la repèrent lors de la compétition nationale de tennis réservée aux Noirs (American Tennis Association), ségrégation oblige. Convaincus de son talent bouillonnant, ils la prennent sous leur aile. Avec un objectif : en faire la première championne noire de tennis.

Le 6 juillet 1957, la reine Elizabeth II remet en personne le titre de Wimbledon à Althea Gibson. AP

Entre 1947 et 1956, elle gagnera dix de ces compétitions réservées aux Noirs, mais reste longtemps interdite de jouer avec des Blancs au tournoi de Forest Hills. Sous la supervision de ces protecteurs, elles envoient tout de même des candidatures, qui seront toutes rejetées ou « perdues », relate le New York Times. Tout bascule en 1950, lorsque , 18 Grands Chelems au compteur, décide de prendre parti et envoie une lettre à l’American Lawn Tennis Magazine :

« Si Althea Gibson représente un défi pour la génération actuelle de joueuses, il n’est que juste qu’elles relèvent ce défi. L’entrée des Noirs dans le tennis national est tout autant inévitable que cela est déjà arrivé dans le base-ball, le football ou dans la boxe. […] Je pense qu’il est temps de faire face aux faits. Si le tennis est un jeu pour les femmes et les hommes, je pense qu’il est temps que nous agissions un peu plus comme des gens décents et moins comme des moralisateurs hypocrites. » Une lettre au vitriol qui aura pour conséquence, un mois plus tard, l’entrée de Gibson au championnat national de Forest Hills. A l’été 1950, elle y dispute son premier match contre la favorite, , une blonde californienne qui règne alors sans partage sur le tournoi de Wimbledon. Sous les insultes racistes qui tombent des tribunes, elle mène (1-6, 6-3, 7-6) avant que le match soit interrompu par un violent orage, rapporte le New York Times dans une archive. Elle perdra finalement le match le lendemain, mais sa carrière est lancée.

Celle que l’on a surnommée la « Jackie Robinson du tennis » – bien qu’elle n’aimait pas ce titre et refusait d’être perçue comme une représentante des Noirs – cumulera onze titres du Grand Chelem et devint une inspiration pour des générations de joueuses. En 2016, soixante ans après sa première victoire en Grand Chelem, , qui fut la première Afro-Américaine depuis Gibson à remporter un tournoi du Grand Chelem, à l’US Open, en 1999, rendit hommage à son aînée à Roland-Garros : « Althea m’a donné du bonheur et la fierté d’être noire. (…) Elle a été pionnière pour tout le tennis, pas seulement le tennis féminin. »