A Simone, mariée avec moi depuis vingt-trois ans pour le meilleur et pour le pire, qui hélas ne nous a pas épargné. A Olivier, notre fils aîné, étudiant en histoire et qui fera sans aucun doute en professionnel ce que son père faisait en modeste amateur. A Jean-Louis et Sylvain, nos autres fils, « des enfants qui ne seront jamais comme les autres, des enfants pas tout à fait pareils » qui malheureusement ne liront jamais ce livre mais qui nous donnent leurs rires, leur joie, et leur amour. Et à la mémoire de tous les nôtres, trop tôt partis, mais qui vivent toujours en nos cœurs.

Couverture : Tableau de Huescar 1986. Place du Châtel à Provins, marché début xixe siècle. R.C. PLANCKE

HISTOIRE DE SEINE-ET-MARNE

Vie paysanne du Moyen-Age au début du xxe siècle

agrémentée de 360 illustrations

Editions Amatteis 7 7350 Le Mée-sur-Seine 1986 Remarque préliminaire Sous de nombreuses illustrations vous trouverez la mention « cité depuis ou cité dès » ; la date indique que le nom de la localité est mentionné dans des archives pour la première fois, cette année-là. Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'existait pas avant. Est-il utile de préciser qu'il n'y a des cartes postales que depuis la fin du xixe siècle, et si des chapitres traitant de notre histoire départementale antérieure à cette époque sont illustrés de cartes postales beaucoup plus tardives, c'est qu'il y a un rapport (plus ou moins lointain) entre le texte et l'illustration. Le nom du canton, pour chaque commune citée correspond à celui du début de siècle. P réface

Il y a quatre ans Monsieur Plancke publiait aux Editions Amatteis son livre La Vie Rurale en Seine-et-Marne. Montrer aux Seine-et-Marnais par des cartes postales retrouvées les racines rurales de chacun d'entre eux. Ce projet était ambitieux mais remarquablement illustré, il était rendu simple. Aujourd'hui, l'auteur nous propose son Histoire de Seine-et-Marne sous-titrée La Vie Paysanne. Ici, apparaît la vie du paysan au travers des âges. Représentation, que l'auteur a voulue sans prétention, des difficultés, des joies et des rythmes de la vie des ancêtres des Seine-et-Marnais. Ainsi, chacun pourra mieux comprendre aujourd'hui l'environ- nement dans lequel il vit en reconnaissant les traces laissées par ce passé. La Seine-et-Marne deviendra ainsi plus familière aux nouveaux venus parmi ses habitants. Terre d'accueil, ce département chargé d'histoire retrouve sa tradition. Le Crédit Agricole par ce parrainage souhaite confirmer sa volonté de rester la banque de la Seine-et-Marne.

François BONGARD Président du Conseil d'Administration de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie 001 - Liverdy (Canton de Tournan). La Grande Rue, avant 1906. A l'époque, le village a 508 habitants. Dans le fond, la voiture de livraison d'un boucher. A droite, un gamin joue au cerceau avec un cercle de tonneau. (Collection Amatteis).

6 002 - Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux (Canton de la Ferté-sous-Jouarre). Ferme de Montplaisir vers 1914. La commune (SANCTUS JOHANNES de GEMELLIS) est citée depuis 1172. Le hameau des Deux-Jumeaux n'est cité qu'en 1249. La ferme de Montplaisir ne figure dans les archives qu'en 1538. Le cliché de cette carte a été pris avant 1914, elle a été envoyé par le soldat Prat (S.P. 56) le 29 avril 1915, en repos ici. Le temps lui durait que cette guerre finisse au plus vite. En 1913, la ferme Montplaisir appartient à Billard, son fermier est Margotteau. (Collection Amatteis). Présentation

E pays briard n'a longtemps été qu'une immense forêt souvent marécageuse, patiem- ment gagnée à la culture, par un défrichement progressif et la création d'un réseau de ruisseaux destinés à évacuer les eaux excéden- taires et à drainer les sols. Cette conquête agricole a commencé à l'ouest avant l'ère chrétienne. Les défrichements n'ont été d'abord que des clairières qui se sont lentement élargies pour finir par se rejoindre. Les ceintures boisées qui entouraient primitivement les terres de culture se sont progressivement amenuisées pour être enfin dépecées 7 par de larges trouées. Il en subsiste des lambeaux, hélas menacés, sous la forme de longues files de beaux arbres, de bois et de boqueteaux épars. L'horizon des terres cultivées reste le plus souvent limité par des lisières boisées que l'aurore ou le crépuscule voilent d'une brume bleutée. Rappelons que, pendant plusieurs siècles, la forme typique de l'établissement agricole briard était la ferme carrée, ceinte de murailles parfois garnies de tourelles, entourée de fossés comme de petites forteresses. De place en place s'agglomèrent des villages ou des hameaux de maisons basses, habitées par des tâcherons, des manouvriers, des artisans, des bûcherons, des vignerons qui furent toujours un sous-prolétariat agricole, et aussi par des bricoliers, mi-ouvriers agricoles mi-exploitants, les gros cultivateurs restant le plus souvent en dehors de l'agglomération. Dans les vallées, la grande exploitation fait place à la petite culture. Ce petit peuple de paysans et d'artisans se groupe dans des villages échelonnés à flanc de coteaux ; certaines de ces localités sont 003 - Médaille d'argent au nom de Roveca, 004 - Demi sol mérovingien, frappé à Lieusaint. trouvée à Lizy-sur- Ourcq (S.etM.) (Collection Amatteis). (Collection Amatteis).

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005 - La Gaule Indépendante. (Collection Amatteis). devenues bourgs et marchés ; l'un de ces foyers locaux, Coulommiers, s'est haussé jusqu'à la dignité de petite ville.

La Gaule, au moment de la conquête romaine, était en grande partie couverte de forêts dont les vainqueurs défrichèrent de larges étendues. Ce furent les ordres religieux qui recueillirent les débuts de la civilisation romaine après la chute de l'Empire romain. Grâce aux monastères nombreux sur notre sol, les défrichements des forêts s'intensifièrent tandis que l'agriculture prenait un nouvel essor : dans les siècles qui suivirent le règne de Clovis, les communautés religieuses continuant l'œuvre agricole des Romains. Les Bénédictins puis les Templiers devinrent possesseurs de grands domaines dans la Brie. Ils y exercèrent leur influence créatrice et attirèrent autour d'eux une population toujours plus nombreuse. Ce défrichement dura plusieurs siècles. C'est en 1225 seulement qu'il fut accompli autour de Vernou-sur-Seine et de Rozay. Les terres défrichées se partageaient par moitié entre les religieux et les 9 concessionnaires, accomplissant le travail pour le compte de la congrégation. Parfois, l'autorisation d'édifier un village sur ces terres nouvelles était accordée : c'était la création des « villes-neuves » qui sortirent du sol un peu partout en Brie, surtout dans la seconde moitié du xiie siècle et la première du XIIIe. Chez les Gaulois, les villes proprement dites n'existaient pas alors que les maisons isolées étaient très répandues, construites à la lisière des bois en cours de défrichement et sur le bord des cours d'eau qui servaient alors de voies de communication. Les notables gaulois y vivaient entourés de leurs gens (serviteurs et guerriers) se livrant à l'élevage, à la chasse, à la pêche, à la culture... et à la préparation de la guerre. Au contraire, les Romains aimaient les grandes agglomérations et les villes. C'est aux coutumes latines ainsi qu'aux besoins nouveaux, nés d'une propriété croissante, que les villes-neuves durent leur origine, souvent créées d'un commun accord entre les pouvoirs civils et religieux. Par exemple en vertu d'une convention passée entre le Chapître de Notre-Dame de Paris et son chanoine, ce dernier s'engagea à construire à partir du mois d'octobre 1234 une ferme sur la partie 006 - Vernou-sur-Seine (Canton de Moret-sur-Loing). La Ferme de Champroud avant 1914. Cet ancien fief est cité dès 1249 (CAMPI ROTUNDI). En 1913, sa propriétaire est la veuve Dauvin qui posséde aussi la grande maison et la basse-cour, soit trois des quatre grosses fermes de Vernou. Son fermier est le fils Mireux. (Collection Amatteis). 10

récemment défrichée à Vernou, ferme qui comprenait une habitation avec tourelles, une grange, un pressoir, avec cour et grand verger, le tout clos de mur de six mètres de haut et d'un périmètre de deux cent soixante-treize mètres, enceinte percée d'une porte et d'une poterne surmontées de greniers vastes et solides. Depuis très longtemps, Paris a beaucoup d'influence sur notre région, non seulement comme le principal marché des produits naturels de la Brie : céréales, farine, viandes, produits laitiers, bois, pierres de construction, mais dès le XIIIe siècle, il est devenu pour elle une source de capitaux en quête de terres fertiles, considérées comme le meilleur et le plus honorable des placements. Ce furent d'abord, les communautés ecclésiastiques parisiennes, puis la bourgeoisie, celle des riches marchands et des hommes de loi, enfin la noblesse de cour qui garnirent la Brie de sa parure de châteaux, dont le plus bel exemple reste Vaux-le-Vicomte. Après la Révolution, ce fut à nouveau la grande bourgeoisie, la noblesse d'Empire puis les grandes fortunes issues des milieux d'affaires, de l'industrie. A la suite de la guerre de 1914-1918, qui ruina pas mal de familles « traditionnelles », la terre passa parfois dans des mains enrichies lors du conflit, quelquefois d'origine étrangère. Voulez-vous des exemples sur la propriété de la terre ? Voici Grisy-Suisnes en 1824.

Fermes Propriétaires

Chapelle Saint-Martin Général marquis Lelièvre de la Grange du Château Baron de Cussieux fils du marquis de la Grange Chevrette Héritiers du marquis de la Grange Solaire Domaine de la Couronne Fermeté Collège des catholiques irlandais

007 - Grisy-Suisnes (Canton de Brie-Comte-Robert). La Ferme du Château, vers 1930 Elle est exploitée par Dumaine. Le paon regarde le départ des tombereaux. (Collection R.C Plancke). 11 Voici d'autres exemples encore plus parlant, car si je n'ai pas su actualiser les propriétaires des fermes de Grisy, j'ai pu le faire pour d'autres communes. 008 - Pontcarré (Canton de Tournan). Une Ferme avant 1910. En réalité une pâture de moutons devant une maison rurale ! La commune n'a qu'une grosse exploitation qui appartient au baron Ed. de Rothschild (Paupert, régisseur). (Collection Amatteis).

13 009 - Pontault-Combault (Canton de Tournan). La Ferme de Combault, vers 1913. C'est le dé- part pour la moisson. Un ouvrier a sa sape et son crochet, à moins que la scène ait été posée... A la moisson, les ouvriers sont aux champs avant que le père Lescombe, le facteur, ne commence sa jour- née ! Il tend une lettre à Guillaume Abel, le fermier. La ferme appartient à Georges Omnet, 14 avenue Trudaine à Paris. (Collection Amatteis). 010 - Chaumes-en-Brie (Canton de Tournan). Ferme de Forest avant 1904. La ferme est située à l'emplacement d'un ancien manoir (LA FOREST) vers 1222. Les batiments, au style curieux, au- raient été construits ainsi par un colonial revenu d'Indochine et nostalgique des constructions asiati- ques. En 1903 Forest appartient à M. Cottin, son régisseur est Trémet. (Collection Amatteis). 14

011 - Courquetaine (Canton de Tournan). La Ferme de Montgazon avant 1907. Cet ancien fief est cité dès 1343 (MALGASON). Montgazon appartient, à l'époque de la prise de vue à M. Couton de Bondy et est exploité par M. Pottier. (Collection Amatteis). Le paysage rural du plateau briard est très caractéristique, bien que ne lui étant pas propre : c'est un pays de « champs ouverts », encore caractérisé au XVIIIe siècle par la forme étroite et allongée des champs labourés et par le morcellement des propriétés qui existe parfois encore de nos jours, comme la ferme du Saulnier à Combs-la-Ville qui a trente hectares, appartenant à un très grand nombre de micropropriétaires et la ferme Gauthier, dans la même commune, dont l'exploitation possède dix-sept hectares et loue pour les cultiver, trente-neuf autres appartenant à quatorze propriétaires différents. 012 - Serf au Travail. Le paysan, souvent, n'est pas libre. Il est serf. Le seigneur est son maître. Le serf n'a pas de charrue. Lui et sa famille travaillent la terre avec la bêche, avec la pioche. (Collection Amatteis).

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013 - La Croix-en-Brie (Canton de Nangis). La Commanderie vers 1920. Le village est cité depuis 700 (CRUX). La commanderie de l'ordre de Malte a eu entr'autres commandeurs Nicolas de Ciresme (1420) Villiers de l'Isle Adam (1504), François Pied de Fer (1522). (Collection Amattéis). Le monde rural

Cet ouvrage se veut être. l'historique du monde rural seine-et- marnais. Mais qui étaient considérés, en , comme ruraux ? 1) Les seigneurs disparus en 1789, mais dont cinquante mille à soixante mille petits et moyens travaillaient, avant la Révolution, leurs terres avec leur personnel. 2) Les communautés religieuses, possesseurs de domaines, disparues elles aussi avec la Révolution, et participant au travail de leurs terres. 3) Les esclaves jusque sous les premiers Mérovingiens et les serfs nombreux durant les premiers siècles. 4) Les agriculteurs : propriétaires, exploitants, fermiers, métayers, et des ouvriers, dont beaucoup possédaient de petits biens et qui allaient travailler dans les grands ou les petits domaines. 5) Les artisans très nombreux jusqu'en 1914 sinon 1940. 6) Les aubergistes, maîtres d'école, prêtres, notaires, chirurgiens, barbiers, médecins et à partir du xvie siècle, les marchands 17 sédentaires. Soit, au cours des siècles 80 à 85 % de la population française. 015 - Carte de Tassin, 1640. Plan de la province de Brie au XVIIème siècle. Brie et Gâtinais

«La Brie, vaste plateau de 125 km sur 60, s'incline en montant vers l'Est. C'était à l'origine, un pays entièrement couvert de forêts et d'étangs. Terre de grands labours, de pâtures artificielles, de grosses fermes et de grands domaines, plaine ondoyante sous ses champs d'épis d'or. On distingue dans la Brie deux régions n'en faisant qu'une par nature : à l'ouest, la Brie française, à l'est la Brie champenoise, la première avec ses céréales, ses pâturages, ses vins, ses fromages renommés, dépendait du gouvernement de l'Ile-de-France. Brie-Comte-Robert en était la petite capitale ; l'autre Brie fut comprise dans le gouvernement général de Champagne ; son territoire, un peu moins fertile, plus boisé, plus giboyeux comprenait : la Haute-Brie, avec Meaux et Coulommiers, la Basse-Brie groupée autour de Provins, enfin la Brie pouilleuse ou Galvèse (Galeuse) se rattachant à Château-Thierry. » P. JOUSSET, La France, géographie illustrée, tome second, Larousse (avant 1914).

A surface du plateau de Brie est imperméable et humide. Aux temps anciens c'était une forêt. Dans la 19 partie orientale qui est la plus élevée, la fréquence des marnes et des glaises, l'absence de revêtement limoneux entretiennent de nombreux étangs. En s'inclinant graduellement vers le centre du bassin parisien, le plateau devient à la fois plus homogène et plus fertile. Le travertin de Brie avec ses meulières et surtout l'épais limon qui le recouvre prend définitivement possession du sol. On voit se former sa physionomie opulente et grave : dans la régularité des champs, de beaux arbres distribués par file ou par groupe, et ces grands horizons au bout desquels il est bien rare que l'œil ne s'arrête encore à quelques lisières de bois estompées dans la brume. La mise en valeur de la Brie fut une conquête agricole de grande importance, pour le développement de toute la région : il fallut aménager l'écoulement des eaux, surmonter les obstacles opposés par l'horizontalité fréquente du niveau, drainer et égoutter le sol par des cavités naturelles ou creusées de main d'homme par des rus artificiels. Sans ces opérations, la Brie serait restée ce qu'était encore le Gâtinais au milieu du xixe siècle : une terre misérable où des 016 - Dhuisy (Canton de Lizy-sur-Ourcq). La Ferme vers 1903. Les bâtiments sont édifiés en pierres du pays : la meulière. En 1903 l'exploitation appartient à M. Dassy et est exploitée par M. Lamiche. Dix ans plus tard elle appartient au vicomte Espivent de la Villeboisnet dont le fermier est M. Gaillard. (Collection Amatteis).

20 manouvriers agricoles vivaient dispersés dans l'air lourd et malsain des étangs. Quand se firent ces premiers travaux d'assainissement, facilités par la présence de l'épaisse couche de limon fertile, nous l'ignorons. Ce fut, sans nul doute, très ancien, car une peuplade gauloise, les Meldes, s'était fixée dans la partie occidentale du plateau. La population s'y répartit, à l'état disséminé, mais d'après un mode original représenté par la grande ferme carrée, à l'inverse de la Picardie où la rareté de l'eau fit dominer le village au xixe siècle. Durant des milliers d'hectares, au nord et au sud de Coulommiers, il n'y avait pas d'autres formes d'établissement humain, que ces fermes qui se répartissent à 7 ou 800 m de distance, au milieu des champs, rarement au bord des routes, chacune avec ses chemins d'exploita- tion (1). Un bouquet d'arbres ou un petit verger, des rangées de meules coniques la signalent. Les quatre murailles nues de l'enceinte n'avaient autrefois qu'une seule ouverture. Quelques fermes étaient de vraies citadelles, entourées de fosses, garnies de tourelles, capables de soutenir un siège.

(1) De nos jours avec la banlieusardisation qui sévit en Seine-et-Marne, le paysage a changé et pas toujours en bien ; on trouve des « lotissements » dans les endroits les plus reculés. Au début du xxe siècle, cet aménagement stratégique, qui n'était plus qu'une curiosité historique, commença à disparaître : les fossés furent comblés, des ouvertures percées, des hangars - pratiques mais disgracieux - en bois ou métalliques adossés aux murailles, la maison du maître modernisée quand elle n'était pas entièrement reconstruite, sa toiture en tuiles mécaniques rouges jurant avec les tuiles plates et brunes des autres bâtiments. Pourtant le contraste subsistait entre l'enceinte muette et la cour grouillante avec au centre le fumier où picore la volaille, et autour les étables, les écuries, la bergerie, le toit à porcs, et la maison, cette habitation où se maintenait la hiérarchie de cette « République agricole ». Là se dressaient les deux tables dans la même salle, l'une pour les fermiers, l'autre pour le personnel : manouvriers, bergers, vachers, charretiers, etc., présidée par le maître charretier. C'était jadis un « peuple » attaché en permanence à la ferme, qui mettait en valeur les 100 ou 150 ha qui en dépendaient, morcelés ou réunis selon les cas. Dans les exploitations plus modestes, par contre, fermiers et agriculteurs mangeaient à la même table, servis par les femmes,

21 017 - Compans (Canton de Claye-Souilly). La Ferme du Parc avant 1913. Le bâtiment du fond « modernisé » a amélioré le cadre de la vie du fermier, mais a perdu tout son caractère. Le parc appartient aux héritiers Leroy à Boiscommun (Loiret) et est cultivé par M. Jullemier, le maire de la commune. (Collection Amatteis). 22 maîtresse et servantes qui grignotaient debout pendant le repas des hommes. Mais cette physionomie rurale de la Brie se modifia - déjà à la fin du siècle dernier - aux approches de Paris. La région de Château-Landon était une vaste plaine sans pente offrant à perte de vue sur le limon à défaut d'arbres et de prairies, l'opulence des moissons qui y étendaient un « tapis d'or blondissant et mûrissant ». Après les récoltes, les grands troupeaux de moutons prenaient possession des jachères et en hiver, de grands vols de corbeaux s'abattaient sur les champs. En effet, le Gâtinais occidental, prolongement direct de la Beauce, est une campagne triste, sans relief et sans arbres. Le manteau de limon qui recouvre la Beauce se prolonge en Gâtinais mais son épaisseur y est plus faible et même en quelques endroits il fait complètement défaut. Depuis longtemps, précise Vidal de la Blache, la grande culture était installée, constituée sur les campagnes de Beauce, que le pays voisin n'était qu'un pauvre terroir semé d'étangs et noyé de brouillards où s'établissaient au hasard, le plus souvent incapables de payer la rente dont ils étaient grevés, quelques manouvriers misérables, précision qui rejoint l'opinion d'Ernest Lavisse évoquée plus haut. 23

Le Gâtinais ne tirait-il pas son nom de la gâtine nature du sol dans des temps très anciens, c'est-à-dire terre boisée et marécageuse ? Il semblerait que cette région ait été défrichée à l'époque carolingienne. Quoi qu'il en soit, la « Champagne » gâtinaise, au sud d'Aufferville, n'avait aucune valeur et au xvine siècle était le terroir le plus misérable du Gâtinais. A la fin du xixe siècle cette région a été partiellement plantée de pins selon les méthodes éprouvées en Champagne pouilleuse. De nos jours, grâce à l'usage des amendements et à la technique des labours profonds elle porte d'assez riches moissons. Le Gâtinais oriental, au contraire, offrait un paysage plus varié et plus pittoresque dont le nom de « Lorrez-le-Bocage » est une parfaite illustration. Dans ce relief plus accentué, les arbres se multipliaient. Avec le sol plus lourd, plus imperméable « la verdure couvre la terre comme un manteau : c'est le bocage ». Dans cette région argileuse, le rendement est plus intense, bien 019 - Chenoise (Canton de Provins). La Ferme du Château le 27 janvier 1917 (propriété de M. Lefévre-Pigneaux comte de Behaine) est exploitée par E.Bégis. Devant le très beau pavillon central sont rassemblées deux sections du train des équipages : une automobile et une hippomobile. Admirez à gauche le camion Berliet, c'est peut-être celui-là qui est conservé au Mémorial de Fleury-devant- Douaumont ? (Collection Amatteis). 24

que parfois le drainage y fut mal assuré. Des marécages et des étangs occupent les creux faisant penser, par endroit, à la Sologne.

Les traditions, coutumes, corporations ont disparu en plusieurs temps. D'abord la Révolution déchristianisa peu ou prou le pays. Puis l'introduction des techniques nouvelles a tout bouleversé : à partir du Second Empire les façons de vivre ont été transformées. Ensuite après la Première Guerre mondiale - non contente d'avoir saigné à blanc le pays au propre comme au figuré - les us et coutumes de nos villes, villages et campagnes ont complètement été modifiés. Enfin les traditions qui avaient pu survivre à tout cela ne résistèrent pas - à de rares exceptions - à la Seconde Guerre mondiale. La plupart des coutumes rappelées dans ce livre sont antérieures à 1870. CHAPITRE 1 Les origines

L'histoire que l'on connaît communément n'est que l'un des aspects de l'histoire de France. Elle oublie systématiquement ou n'évoque que d'une manière superficielle et généralement peu fiable l'histoire de la terre de France. Paul ANTIER

N a trouvé, en Brie, des traces de défrichements contemporains de l'installation des domaines ruraux et des villas de l'époque gallo-romaine ; ce sont les hautes terres et les vastes plateaux des régions marginales qui paraissent en avoir le plus souvent bénéficiés tandis que les bois des carnutes, c'est l'historien G. Bloch qui l'affirmait en 1900, couvraient le Gâtinais.

25 020 - Paley (Canton de Lorrez-le-Bocage). Trouvailles archéologiques avant 1150. Si le village est cité depuis 1150 (PALEIUM) il est habité depuis longtemps comme le prouvent ces trouvailles. En 1820, on y voyait les ruines considérables de thermes romaines à la Fontaine Carrée consacrée à Apollon. (Collection Amattéis). 021 - Rumont (Canton de la Chapelle-la-Reine). Dolmen. Le village est cité en 1134 (RUE- MUNT), mais la présence du dolmen est une preuve d'occupation humaine beaucoup plus ancienne. (Collection Amattéis).

022 - Diant (Canton de Lorrez-le-Bocage). Avant 1914, si Diant est cité dès le Xlème siècle (DEDENZ), ce monu- ment préhistorique n'apparait dans les écrits qu'en 1832 (ca- dastre). Pourquoi la Pierre aux couteaux ? Est-ce que depuis des siècles on y aiguisait cou- teaux, poignards, épées, lames de faux ? Mon explication sim- pliste en vaut une autre. (Collection Amattéis). Les débuts des domaines agricoles

Le domaine gallo-romain comprenait deux parties : l'une exploitée directement par le propriétaire, c'est le dominium, l'autre est exploitée indirectement, c'est le manse, comme on dira plus tard. La première part se rétrécissait au profit de la seconde. Le dominium était cultivé par des esclaves sous l'autorité directe du maître. Ne tirant aucun profit personnel de ses efforts, l'esclave travaillait mal n'ayant ni initiative ni zèle. Pour les intéresser au labeur, on donna aux esclaves les plus méritants un lopin de terre qu'ils pouvaient cultiver à leur compte moyennant redevance : ce furent les esclaves casés car ils demeuraient dans des cases, leur domicile propre. Ils formaient à la fin de l'Empire une faible minorité, et on ne pouvait vendre sans eux la terre qu'ils 27 occupaient. La partie exploitée indirectement était confiée à des fermiers de naissance libre. Ces fermiers furent transformés en colons, on lira plus loin dans quelles circonstances, c'est-à-dire qu'ils ne pouvaient quitter, ni eux ni les leurs, la terre qu'ils travaillaient. Ils y étaient rivés à perpétuité. Ils étaient, en réalité, les esclaves de leur terre. Le propriétaire ne pouvait renvoyer ses colons, ni vendre le domaine sans eux. Le nouvel acquéreur ne pouvait installer de nouveaux colons au préjudice des anciens. Cette forme de culture avait des antécédents gaulois : César vit dans les campagnes des hommes endettés ne pouvant quitter le sol qu'ils travaillaient. Puis il y eut des colons volontaires, travailleurs en quête d'ouvrage installés sur les territoires à défricher, ne pouvant offrir à un propriétaire que leurs bras et leurs journées de corvées en échange d'une part des récoltes à venir. La condition des colons volontaires ne différait guère de ceux qui l'étaient devenus par contrainte ou nécessité. Enfin il y eut une troisième catégorie composée de barbares transplantés de force ou admis - sur leur sollicitation - à l'intérieur de l'empire. Fréquemment en Gaule à la fin du Ille siècle sur des territoires dévastés et dépeuplés et qui donnèrent parfois de bons résultats, bien que l'empereur Probus (272-282) ait essayé en vain de faire cultiver ces terres abandonnées par des Germains venus avec leurs boeufs et leur matériel (les Germains viennent toujours avec leur matériel mais rarement dans des buts pacifiques) et de faire replanter les vignes qui avaient été arrachées par ordre de Dioclétien. Notons en passant l'origine de cette politique agricole nationale qui dure de Dioclétien - ce qui ne nous rajeunit pas - à nos jours et qui consiste à faire arracher les vignes puis à en faire replanter, avec primes dans les deux cas à l'appui. Ceux qui disent qu'il n'y a pas de continuité dans la politique agricole de la France sont de mauvaises langues ! Un peu plus tard, nobles romains et germains possédaient sur leurs terres un grand nombre d'esclaves puis les nombreuses campagnes francques en territoires romains ou germaniques alimentaient en main-d'œuvre domestique et rurale les petits et grands propriétaires mais la condition des esclaves se rapprochait alors de celle de ces paysans « libres » romains appelés colons. Ils avaient donné 28 leurs terres à un grand propriétaire qui devait, en échange, les protéger et les garder héréditairement dans leurs anciennes possessions. L'essentiel des ressources économiques venait de la terre, c'est pourquoi les barbares cherchèrent à s'en emparer sans abolir toutefois le système agraire romain : Le grand domaine : la villa (de 2 à 4 000 ha) - l'ager : terres cultivées et bâtiments d'exploitation - le saltis : terres non cultivées utilisées pour les produits de cueillèttes, le ramassage du bois, la chasse et la pêche. A côté de ce grand domaine, souvent morcelé par héritage, des paysans libres cultivaient des « manses » de 5 à 30 ha. Le manse devait nourrir une famille de paysans avec une araire, et une - ou deux - paire(s) de bœufs. Le manse appartenait au maître. CHAPITRE 2 Le M oyen Age

OUS les premiers Mérovingiens, la Brie restait une étendue boisée coupée de marécages, tant sur le plateau que le long de la Marne et de la Seine avec cet aspect sylvestre qui avait épouvanté les légionnaires de César. Seule la vallée moyenne de l'Yerres était peuplée. Sous Clovis, à l'abri de châteaux édifiés sur des coteaux, des hommes d'armes quittèrent leur vie nomade et guerrière et se fixèrent dans le Montois pour s'adonner à l'agriculture. Une organisation nouvelle allait surgir de cet ordre des choses : la campagne abandonnée allait voir l'édification de villages prenant 29 place à côté des villes. A la mort de Clovis, ces anciens soldats qui cultivaient le sol pour leurs chefs, en avaient reçu quelques lopins en propriété mais de nouveaux troubles vinrent entraver leurs efforts : profitant de la faiblesse et de l'indolence de Childebert, la noblesse et le clergé s'emparèrent de l'autorité. L'agriculture fit peu de progrès jusqu'en 614 où la situation s'améliora. Mais les descendants de Clovis, en s'installant au milieu de ces solitudes giboyeuses, à Bonneuil, à Brunoy, à Noisy, à Chelles, accrurent le nombre de clairières humanisées et commencèrent une œuvre de défrichement qu'allaient poursuivre les monastères parisiens. Sous les Mérovingiens, les paysans se nourrissaient de légumes du potager et de pain. Ils trouvaient un appoint indispensable dans le miel, les venaisons, le poisson de rivière et d'étang ainsi que dans les baies sauvages (économie de cueillettes) mais le rendement de leurs céréales était insuffisant (3 pour 1), leur outillage rudimentaire car ils manquaient de fer. Il y avait une absence totale de fumure sauf pour le potager et la rotation triennale des cultures était peu répandue.

024 - Chelles. La Pierre de Chilpéric, vers 1920. (CALA VILLA) est cité au VIème siè- cle, mais est habitée dès la pré- histoire. La pierre indique l'emplacement où fut perpétué l'assassinat du roi Chilpéric en 584. (Collection Amatteis). Il en découlait une menace constante de sous-alimentation et les domaines, parfois surpeuplés, étaient des îlots de culture au milieu d'espaces vides. A l'avènement de Charlemagne les propriétaires des châteaux fortifiés et des couvents avaient déjà fait cultiver une certaine étendue de leurs terres à charge de payer la dîme laïque et ecclésiastique : c'est là qu'il faut placer la cause et l'origine de nos villages et de nos fermes. A cette époque le système agraire, du moins entre Seine et Rhin, reposait sur le grand domaine. Au milieu se trouvait la réserve (terre indominicata) ensemble de terres labourables, vignes et pâtures, avec un centre d'exploitation appelé curtis, la cour, avec ses maisons d'habitations, le bâtiment d'exploitation, le moulin, le pressoir, la brasserie, etc... Dans les domaines de l'empereur Charles qui étaient cultivés par des métayers appelés les « mesnils » il y avait des champs, de la vigne, des prés, des jardins où l'on cultivait plantes potagères, fruitières et florales ; les basses-cours devaient posséder cent poules (cinquante dans les métairies) et trente oies, volailles les plus estimées de l'époque. Dans l'autre partie des domaines normaux, il y avait des manses dont les tenanciers devaient, comme loyer, une corvée pour aider aux travaux de la réserve, trois jours par semaine, ou pour y accomplir les 31 grands travaux : labours, semailles, moisson, vendanges, battage, ou de faire les charrois avec leur propre attelage. Les autres prestations donnaient lieu à des redevances en nature, rarement en argent. Les terres incultes et les forêts servaient à engraisser les troupeaux de porcs du maître et du tenancier.

L'origine de nos villages

La construction des villages n'eut pas d'autre utilité que de faciliter les travaux agricoles. La vie dans nos campagnes se déroula jusqu'à la Révolution au sein d'un double cadre : la paroisse, circonscription à l'origine ecclésiastique puis administrative et la seigneurie, organisme semi-public qui régissait le statut de la propriété roturière, l'une et 025 - Vert-Saint-Denis (Canton de Melun). Le Château de Pouilly-le-Fort, avant 1913. Le ha- meau qui s'appela un moment Pouilly-le-Gay, est cité depuis 1230 (POLIACO ). En 1820, le château, devenu métairie, appartient au baron Aubernon. En 1913, c'est la propriété de Mme Arnette. (Collection Amatteis).

32 l'autre ayant une origine commune fort ancienne le fundus, ancien domaine foncier gallo-romain, lui-même héritier de la chefferie des villages gaulois. Le fundus, grande propriété de l'aristocratie, était d'une étendue variable, oscillant entre 1 000 et 2 000 ha, soit à peu près, la superfie de nos communes rurales, elles-mêmes héritières des paroisses de l'Ancien Régime. Les fundi, qui n'occupaient aucune place dans l'administration romaine, conservèrent en dépit des siècles et des invasions, une remarquable stabilité qui défia même les héritages, les partages successoraux et les aliénations en raison de deux causes : - une cause d'ordre fiscal : le fundus, établissement privé, bénéficia d'une existence légale du fait de son inscription au terrier et qu'il servait de base à l'établissement de l'impôt foncier. A cette occasion, il reçoit un nom officiel, celui du propriétaire primitif avec le suffixe « acum » transformé plus tard en « y » si bien que certaines agglomérations portent encore le nom de ces lointains parrains, qu'ils soient romains ou gaulois, car ceux-ci prirent des noms latins ou latinisèrent leurs noms celtiques et appliquèrent à leur propriété ces noms transformés en adjectifs. Aubigny fut le lieu d'Albinus (Aubinacum cité en 1194). Fleury celui de Florius (Flori cité en 1217). Pouilly celui de Paulus (Pouli cité en 1204). Juilly celui de Julius (Juliacum cité en 1191). Qjiincy celui de Quinitus (Villa Quinci cité en 1165). Savigny celui de Sabinius (Saviniaca potestas en 986). Lesigny celui de Licinius (Lisinni en 1112). Blandy celui de Blandius (Parrochi Blandiaci 1219). Precy celui de Pricius (Prissiacum en 1222). Marcilly celui de Marcilius (Marcilliaco villa en 1001). Lagny celui de Latinus (Villam cui vocabulum est Latiniacum sita in territurio Meldinae 700). Preuve éclatante d'une indestructible continuité, continuité fiscale et administrative qui aurait été assez fragile si elle n'avait été étayée par une solide structure économique car le fundus constituait une unité extraordinairement cohérente et difficile à morceler sans la désorganiser si bien que les héritiers multiples préféraient rester dans l'indivision.

33 026 - Savigny-le-Temple (Canton de Melun). La Ferme vers 1920. Savigny (SA VIANIACA) est cité en 986. Le Temple (à cause des Templiers) n'apparait qu'en 1249. Cette très belle ferme an- cienne, défigurée malheureusement par le pavillon central, appartient à Piolet et est cultivée par Noblet. Remarquez le wagonnet-basculant Decauville et la voiture de livraison du boulanger. (Collection Amatteis). Toutefois tous nos villages ou hameaux ne portent pas le nom d'un Romain : Villemeneux, Villemain, Coubert, Courquetaine, Villepatour sont d'origine franque. Pourtant si le village moderne est sorti du fundus, le fundus n'est pas le village au sens actuel du mot : une institution romaine. Pour nous, le village n'est pas une simple agglomération rurale, c'est une division du sol et une commune, double caractère étranger aux agglomérations rurales des Romains. La paroisse est apparue par une évolution naturelle de l'introduction progressive du christianisme dans les campagnes ; les premières églises rurales, fondées dès le Ive siècle soit par des moines, soit par des évêques sur des terres appartenant à l'Eglise, soit par de simples particuliers dans leur propriété, dans la villa ou ses abords. Or la villa carolingienne ne faisait que continuer le fundus gallo-romain. Du fundus à notre commune en passant par la villa et la paroisse, la continuité est constante.

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027 - Coubert (Canton de Brie-Comte-Robert). La Grande Ferme avant 1914. Elle appartient alors, comme celle du château et la petite ferme à Mme veuve Desmarias, c'est Charles Legras qui l'exploite. (Collection Amatteis). 028 - Rampillon (Canton de. Nangis). Le Portail (XIIIème siècle). Ce portail est un des plus remarquables de la région parisienne. Des bas-reliefs figurent les travaux des douze mois : Octobre : les semailles, Novembre : la glandée, récolte des glands pour nourrir les porcs. (Collection Amatteis). 35 Le paysan, le bourgeois-cultivateur, le petit noble vivant sur ses terres, l'artisan obscur dont l'utile besogne ne s'interrompait pas, c'est-à-dire ceux qui ont maintenu la France et l'ont plusieurs fois restaurée, tout ce petit monde se tient : de la campagne au bourg rural, où le bourgeois passe une partie de l'année, se nouent des relations de foires, de marchés, d'affaires. La petite ville recrute son « aristocratie » ou ses notables plus exactement dans un monde de propriétaires, d'ecclésiastiques et d'hommes de loi.

Les moyens de transport n'existant pratiquement pas, aucune contrée ne pouvait imaginer confier à une contrée éloignée le soin de nourrir ses habitants. Entre le paysan qui ne quittait pas son champ et le bourgeois ou le hobereau qui vont vivre à la ville ou au bourg voisin des revenus de leurs terres, s'il y a une différence d'habit, d'éducation et de conditions sociales, les sources des revenus et de la vie sont les mêmes : c'est « l'héritage ». 029 - Dammartin-en-Goële (Canton de ). Vue cavalière vers 1610, (carte postale éditée par G.Le- marié, photographe local vers 1913). A droite, le château qui existait déjà en 1107 (CASTRUM DOMN1 MARTINI), en 1220 la ville est cité (DOMNUS MARTINUS IN GOELLA). (Collection Amattéis).

36 Du laboureur et du métayer au bourgeois et au noble existe une hiérarchie terrienne se superposant et se dédaignant mutuellement. La terre et son travail étaient le centre de toute vie sociale et économique à tel point que les artistes inconnus qui ont décoré nos cathédrales et nos églises, qu'ils soient verriers ou sculpteurs, ont souvent puisé leur inspiration dans les scènes de la vie rurale. Les villas - ou grands domaines - romaines se multiplièrent sous les Mérovingiens et, rappelons-le, furent à l'origine de nos villages modernes. La villa prenait souvent le nom du saint à qui la paroisse dont elle dépendait était consacrée : Dammartin veut dire Domnus Martinus. Lorsqu'à la suite de ventes, de donations, de partages entre héritiers, la villa se démembrait, elle continuait à former un tout qui avait sa vie propre. Le propriétaire continuait les usages romains : son sol était divisé en deux. Il en exploitait une partie, l'autre, partagée en divers lots, était concédée à des tenanciers. A côté de la maison d'habitation se trouvaient les dépendances : étables, pressoirs, boulangerie, et les ateliers où des ouvriers affranchis et serfs, menuisiers, charrons, bourreliers, forgerons, fabriquaient le matériel nécessaire à l'exploitation de la villa. Les femmes cardaient la 030 - Villeneuve-le-Comte (Canton de Rozay-en-Brie). La Ferme de la Pointe avant 1909. Villeneuve-le-Comte est cité dès 1217. Le château dont dépendait la ferme, ne l'est que depuis 1757, sur la carte de Cassini. La ferme de la Pointe-le-Comte appartient en 1913 au baron de Rothschild avec Pionet comme fermier. (Collection Amatteis). 37 laine, filaient et tissaient les vêtements. Autour des bâtiments s'étendaient la terre domaine, le jardin, les vergers, les champs, les vignes. Le manse domanial était exploité par des serfs attachés à la personne du maître et les tenanciers de l'autre moitié du domaine y venaient travailler par corvée. Enfin, édifiée sur le manse par le maître, s'élevait l'église ou la chapelle de la villa qui deviendra le chef-lieu de la paroisse rurale. Le maître mettait à la disposition des habitants du domaine un moulin, un pressoir, une forge, un four, qui sont à l'origine des banalités, les tenanciers étaient obligés de s'en servir. Le défrichement fut aussi à l'origine de villages. Ce fut d'abord l'élargissement de terroirs anciens, soit par des paysans isolés créant un essart, soit une communauté villageoise attaquant, sous la conduite du seigneur, la forêt, les friches, les broussailles, c'est le cas dans notre région car le grand nombre de « Villeneuve » rappelle quelle part les rois, seigneurs, monastères et cités ont eu dans la création de nouveaux lieux habités, villes ou villages. Ce fut entre 1100 et 1200 que la Brie, jadis vide, sauf dans les vallées qui découpent son plateau, fut bien colonisée par quelques 20 à 30 000 personnes venues de terroirs proches. Elle n'aura pourtant au 031 - Villeneuve-Saint-Denis (Canton de Rozay-en-Brie). L'ancienne grange aux Dîmes, vers 1920. Commune cité déjà en 1225 ( VILLA NOVA BEA TI DYONISII) citée en 1300 dans un cartu- laire de Pont-aux-Dames (la VILLE NUEVE SAINT DENIS) pris aussi le nom de « Villeneuve la Lionne en Brie » en 1735, et « Vilneuve LUnion » ou « Franciade », en l'an II. (Collection Amattéis).

38 début du xive siècle qu'une densité égale au tiers seulement des autres secteurs de la région de Paris qui étaient notablement peuplés depuis, peut-être, les temps gaulois et romains. Dans le Bassin Parisien, le défrichement s'arrêta vers 1230-1250 car les bois étaient indispensables pour assurer un fragile équilibre alimentaire tant pour les hommes que pour les bêtes ; trop de terres médiocres avaient été livrées à la culture sans payer le paysan de sa peine. L'accroissement du cheptel rompit l'équilibre entre pâtures et labours multipliés par la croissance démographique. Toutefois ce défrichement avait transformé le paysage rural. Des noms comme «Villeneuve», «Bordes», « Essart » (terre défrichée d'où l'on a ôté toutes les broussailles par arrachage ou brûlage) attestent l'ampleur des défrichements des XIe, XIIe et XIIIe siècles. Qui étaient ces artisans de la conquête du sol ? - Des ermites agrandissant leur jardin, comme saint Fiacre évoqué plus loin. - Des charbonniers ouvrant des clairières l'une après l'autre. - Des paysans isolés grignotant sur les bois proches, les friches ou s'installant au cœur des marais. - Des groupes ruraux installés par des maîtres soucieux d'obtenir des redevances. - Des frères convers et des paysans salariés utilisés par les ordres religieux (Cîteaux par exemple) à créer des « granges » (centres d'élevage). Des paysans quittent des régions surpeuplées à l'appel de seigneurs, communautés ecclésiastiques ou autres entrepreneurs de défrichement ; ces hôtes (locatores) obtiennent des terres et des redevances allégées.

Villeneuve

On en trouve vingt en Seine-et-Marne dont Villeneuve-aux-Anes, ancien nom de la paroisse de Brou, ou Villeneuve-les-Bordes, autrefois Ville-Neuve-le-Comte puis Villeneuve-Ies-Bordes-Ies-l'Abbé, Ville- neuve-le-Comte fondée par Gaucher de Châtillon, comte de Champagne et sa « symétrique » Villeneuve-Saint-Denis créée par les moines de Saint-Denis.

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032 - Villeneuve-sur-Bellot (Canton de Rebais). Place de la Poste vers 1905. On installe le télé- phone au bureau de poste, dont Mme Legros est receveuse. C'est l'attraction h A droite, la maison Griffaut, chaussures-bonneterie. (Collection Amatteis). Borde

On trouve quarante-sept « Bordes » dont la Borde aux Lépreux à Cucharnoy, la Borde aux Moines, ferme, ruinée en 1669, à Fontaine-le-Port, la Borde-Fournier à Brie-Comte-Robert citée en 1343 et toujours exploitation agricole, ainsi que quarante-deux «les Bordes ».

Essarts

On trouve dans notre département dix-huit « Essarts » dont l'ancienne Grange de l'Abbaye de Preuilly à Vernou citée en 1234. On trouvait aussi l'alleu qui était une terre dont le statut était le plus proche de la pleine propriété car les droits de celui qui la possédait n'étaient pas limités par un pouvoir supérieur. Il existait, d'ailleurs, une exception au principe de « nulle terre sans seigneur » : c'était les terres tenues en « franc-alleu » ; elles avaient été concédées en franchise aux premiers âges de la féodalité aux manants privilégiés et jusqu'en 1790 elles seront exemptées des redevances féodales et des 40 dîmes. Il n'en existait dans le Montois que quelques arpents sur les paroisses de Vanvillé, Dontilly et Vimpelles. Par contre dans les régions de Nangis, Mormant et Rozay, il y avait des « climats » entiers en franc-alleu. Il en reste, de nos jours, des appellations de lieux-dits : le Franc-Allet à Samois, Franc-Aloi à la Chapelle-la-Reine, Franc-Aloy à Maincy, le Franc-Arpent à Meilleray.

A partir de 1225 la dernière vague de peuplement dissémina les écarts dans les secteurs encore vides. 033 - Villeneuve-les-Bordes (Canton de Donnemarie-Dontilly). La Grande Rue, avant 1914. Vil- leneuve est cité dès 1176 ( VILLANOVA). D'abord Villeneuve-le-Comte (1241) elle est devenue Ville- neuve les Bordes en 1793. Le photographe a réussi là un beau groupement....de figurants à 2 ou 4 pattes!. (Collection Amattéis). 41

034 - Egligny (Canton de Donnemarie-Dontilly). L'ancienne Abbaye Bénédictine. Fondée en 1118 par Saint-Etienne Harding. En 1912, date du cliché, Preuilly appartient à Husson, la ferme attenante est cultivée par Le Thairon. (Collection Amattéis). Table des matières

Avant-propos 5 Présentation 7 Brie et Gâtinais 19 Chapitre 1 Les origines 25 Le début des domaines agricoles 27 Chapitre 2 Le Moyen Age 29 L'origine de nos villages 31 L'agriculture au XIe siècle 42 Les améliorations au XIIe siècle 43 Quelques mesures agraires 45 L importance des exploitations 46 Le régime féodal 47 La jacquerie 59 La vie quotidienne 63 La Guerre de Cent ans 67 La vie rurale 70 La condition paysanne 72 Les foires 73 Chapitre 3 La Renaissance et le « Grand siècle » 75 Le XVIe siècle en Brie 76 La vie rurale auxxvneetXVIIIesiècles 78 L'agriculture briarde et gâtinaise 109 La grande exploitation 122 Les marchés au blé de la Brie 138 Les causes de la disette 147 Chapitre 4 1750-1800 149 La guerre des farines 154 Nouvelles cultures 159 429 L'élevage 161 Les capitaineries 166 Les paysans à la veille de la Révolution 172 La Brie à la veille de la Révolution 176 Les voyages d'Arthur Young 184 Les cahiers de doléances 191 La disette de 1789 194 La grande peur 196 L'insécurité dans les campagnes 201 Chapitre 5 Lexix'-siècle 205 Lavieruraleauxixesiècle 206 La ferme du Bois-Saint-Père en 1815 208 Fortunes terriennes 212 Les débuts du modernisme agricole 217 Faits divers et méfaits d'hier 225 La main-d'oeuvre étrangère 230 L'agriculture seine-et-marnaise en 1847 233 L'agriculture en 1862 241 Un cultivateur briard : Parfait Giot 245 Chapitre 6 Lexxesiècle 251 Une ferme pendant la Grande Guerre 252 Une ferme des années folles 261 Chapitre 7 « Monsieur saint Fiacre » patron de la Brie ...... 282 Chapitre 8 Superstitions et croyances populaires 290 Chapitre 9 Les prédictions du temps 325 Chapitre 10 Du berceau à la tombe 351 Source bibliographique 426 Index des communes illustrant le texte ...... 428 OUVRAGES SUR L EST PARISIEN

PROMENADES DANS LE PASSÉ

Série d'ouvrages nous témoignant de la vie d'autrefois d'une ville et toutes ses communes environnantes. Illustration par de très nombreuses photographies et cartes postales anciennes se situant entre 1900 et 1930 ; toutes ces photos sont très largement commentées.

- CLAYE-SOUILLY et ses environs; 272 p. 325 photos 120F - LA FERTÉ-SOUS-JOUARRE et ses environs. 120 F

- BAZIN - Notice historique de Guerard, 1891, réédition 1984, 16 X 24, 130 p., 3 cartes géo, plus de 50 photos anciennes. Historique de la commune de Guerard et ses hameaux. Tirage 500 exemplaires numérotés. 80 F - CARON Bernard - Histoire de Saint-Germain-Laxis (près Melun), 1984, 16 x 24, 200 p., 110 illustrations. L'origine du nom, son présent, son passé, ses anciens seigneurs, son hameau de Pouilly-Gallerand. Tirage 600 exemplaires numérotés. 150 F

- CHAUVET Ernest - Recherches historiques sur Nantis, 1910. Réédition intégrale de cette édition, augmentee de 57 reproductions de cartes postales anciennes, sur papier 110 g bouffant, 16 x 24, 194 p. 110 F - CLEMENT - Saint-Mammès, le village et l'ancien prieuré 1900, réédition, 1985, 16 X 24, 200 p., 75 illustrations Histoire du village des temps les plus anciens jusqu'à la fin du XIXe siècle. Tirage 700 exemplaires tous numérotés 110 F - DE LAVAL (abbé) - Esquisse historique sur le château de Vincennes, 1985, 16 X 24, 208 p. Réédition de l'ouvrage de 1891, augmentée de nombreuses photos et gravures. 80 F - DELETTRE - Histoire de la province du Montois (comprise dans les cantons de Bray, Donnemarie, Provins et Nangis) en deux tomes, 1849-1850, réédition 1983. Tome 1 : 460 p. Tome 2 : 530 p. Tirage limité. 16 x 24. Les deux volumes 290 F - FATOUX Hélène - Si Chambry m'était conté, 1984, 16 x 24, 192 p., plus de 100 illustrations. Histoire d'un village du Multien (près de Meaux) à travers les siècles. Tirage 400 exemplaires numérotés. 135 F 430 - FIE VET Paule - Chemin faisant... un regard sur Montereau, 1983. Promenade historique dans Montereau à travers 26 dessins originaux de Neu- mann et texte de Fievet. Tirage 1 000 exemplaires numérotés. 110 F - FOURTIER A. - Les dictons de Seine-et-Marne, 1872. réédition 1984, 16 x 24, 130 p., sans illustrations. Réunion de dictons et proverbes de la Brie par localités. Pèlerinages légendaires. 60 F - GRENIER Jules - La Brie d'autrefois, 1883. in-16, 238 p., nombreuses illustrations, broché, réédition 1979. ° Etudes des mœurs briardes et coutumes villageoises dans le département au début du XIXe siècle - Les noces de nos grands-parents - Le baptême du nouveau-né - La « Veille » au village - Le vin des morts - Les 0 de l'Avent - La Rinette - Le gaufrier ensorcelé - La fête des vignerons - Le réveillon - Le carnaval - Les enfants de choeur et le Tartellage -L'eau bénite du maître d'école -Une journée de vendange - Le Marc - Payer à la dragonne - Battre la charrée - Le congé - Les Feux de Saint-Jean. 110 F - HOUSSON René - Histoire du Tramway-Sud de Seine-et-Marne. Melun- Barbizon-Milly, 1985, 16 X 24, 120 pages, 70 photos + plans des , gares et stations. Cet ouvrage permet de revivre les 40 années de service du Tacot de Barbizon qui a vite fait d'être dépassé par des moyens de transport plus propres et plus modernes, mais les anciens l'ont encore en mémoire. 80 F - HUGENIN Albert - Chansons Melunaises, 1895. réédition 1980, 14 x 20, 128 p., nombreuses illustrations. Chansons sur les usages, chroniques de Melun à la fin de ce siècle.Tirage 700 exemplaires. 50 F - HUSSON Georges - Promenades à travers la Vallée du Grand Morin, d'Esbl'l à Mortcerf. - Promenades sous forme d'excursions avec historique et anecdotes sur ha- meaux et localités traversés. Réédition de l'ouvrage de 1893, illustré de 144 gravures, 2 cartes dépliantes (plan de Crécy, vallée du Grand Morin), 1983, 16 x 23, 286 p. Tirage 500 exemplaires. 110 F - LEBOEUF Louis - Précis d'histoire de Seine-et-Marne. Réédition de l'ouvrage de 1888 (3e réédition), 17 x 24, 384 p., agrémenté de gravures. La Seine-et-Marne depuis les temps préhistoriques jusqu'à la fin du XIXe siècle. Divisions politique, administrative. Instruction, éducation, monuments, antiqui- tés, usages, coutumes, poids et mesures, biographies et un dictionnaire des com- munes. 95 F

- LOGRE Bernard. - jozon - Menier - Récit d'une campagne électorale.. Les élections législatives de 1876 dans l'arrondissement de Meaux 1968, 20 x 22, 120 pages, 46 illustrations, affiches 2.000 exemplaires numérotés. ' 80 F