SOUS LE DEUXIÈME REICH (1870-1914)

par M. Henri WILMIN, membre associé libre

En 1870, la ville était bien engagée dans la Révolution industrielle et des transports. Sa gare frontalière en faisait une Porte de pour le commerce de transit et le passage de nombreux émigrants se rendant en Amérique via Le Havre. Des agences d'émigration organisant le voyage vers New York et des firmes de commission acquittant formalités et droits, opérations bancaires et réexpédition des marchandises vers l'Allemagne y avaient leur siège. En novembre 1852, l'ouverture de la voie ferrée Paris- Francfort avait incité François de Wendel à activer la recherche de la houille, en cours depuis 1816, et à implanter une usine sidérurgique sur le ban forbachois dont le premier haut fourneau devint productif dès 1853. Les forages de l'ingénieur saxon Kind sortirent le premier charbon au puits Saint-Charles de Petite-Rosselle en 1856. L'industriel bavarois Adt s'empressa de retourner à Forbach en 1853, abandonnant . Napoléon III, revenant de Stuttgart où il avait rencontré le tsar Alexandre II de Russie, visita, le 29 septembre 1857, l'usine de Stiring-Wendel, une ville ouvrière créée la même année sur une partie du ban forbachois. A Forbach,l'Empereur, qui était accompagné du Prince Régent de Bavière et du prince Guillaume de Prusse, le futur empereur allemand Guillaume I, avait honoré de sa visite l'exposition organisée par son ami et condisciple, le baron de Geiger. Elle mettait en valeur la production du nord-est mosel- lan. En 1869, la gare de Forbach avait la première place pour les marchan­ dises dans le réseau de l'Est, le charbon sarrois, le minerai de fer de la Fentsch, les rails de Stiring formant l'essentiel du trafic. La ville manufac­ turière produisait des objets en carton pressé et laqué, des tuiles, des drains, des briques, du savon, des allumettes, des pipes de terre, des peaux de veau ciré, du verre à vitre et de couleur, des bouteilles et des fioles.

La guerre de 1870 a vu la défaite du 2e corps du général Frossard. Le 2 août, en présence de Napoléon et du prince héritier, le général, dont le quartier général se trouvait à Forbach chez le maire Pierre Adt, occupa Sarrebruck, alors limité à la rive gauche de la Sarre, au prix d'une escar­ mouche. La nouvelle de la défaite de Wissembourg amena l'évacuation et le retranchement sur les hauteurs de et devant Stiring-Wendel pour couvrir l'évacuation des énormes stocks accumulés dans la gare de Forbach en vue d'une offensive en Allemagne. Faute impardonnable, Frossard n'a pas détruit les ponts sur la Sarre. La bataille de Forbach s'engag e le 6 août à la suite d'une erreur de reconnaissance de la cavale­ rie prussienne de l'avant-garde de l'armée de von Steinmetz. Croyant les Français en pleine retraite, le général von Kameke les attaque avec sa seule division. De 11 heures à 15 h 30, il attaque dans le rapport d'un contre trois. L'arrivée des renforts inversera l'issue de la bataille. A 21 heures, la bataille était gagnée par un mouvement tournant sur Fobach pour empêcher la retraite sur . L'héroïsme des soldats français évita le désastre. Sans avoir perdu un canon ou un drapeau, la retraite se fit par la route de Sarreguemines à Puttelange. Le prince de Hesse imposa à la ville, qui n'avait reçu que quelques obus, une contribution de guerre de 16 500 francs. Le 11 août, le roi de Prusse Guillaume I s'entretint avec lui devant l'hôtel Troendlé, en face de l'actuel Monoprix.

Aspects d'une petite ville au lendemain de la conquête

Une illustration de la Illustrierte Zeitung, de Francfort du 27 août 1870 nous présente la petite cité de près de 5 000 habitants (4991 au recensement du 1.12.1871). Ses 550 maisons se pressent au pied et sur le flanc du cône faiblement boisé du Schlossberg dont les ruines féodales sont à peine perceptibles. La ville basse n'arrive pas au carrefour de la route de Metz avec celle qui mène à Petite-Rosselle depuis 1900 seulement. La croissance s'était faite dans la ville haute vers la gare, Sarrebruck et Sarre­ guemines. L'emblème de la ville est alors la belle église catholique Saint- Rémi, œuvre de Desgranges, consacrée en 1868 par Mgr Dupont-des- Loges. A proximité, la vieille église du Kappelberg abandonnée, va devenir le manège de l'escadron de chevaux légers bavarois, avant d'être détruite en 1877. Le même architecte avait déjà implanté, en 1843, dans une partie du parc de l'ancienne comtesse de Forbarch, la nouvelle mairie, flanquée de deux nouvelles écoles pour chaque sexe et agrandi fortement la place du marché. La tour de la ville Hubertus, au toit pyramidal, dominait ce qui restait de la vieille enceinte détruite en 1635. A quelques trente mètres de la maison natale du général Houchard, la communauté juive s'était donnée, en 1835, une nouvelle synagogue. La communauté protestante, 273 membres en ville, 550 avec les environs, dispose d'un petit temple à l'entrée de l'usine Adt. Un décret impérial a créé, en 1869, la paroisse protestante de Forbach. Un Forbachois au service d'un Hohen- zollern, le baron Charles de Bauer, a légué sa fortune à la ville pour la doter d'un hospice-hôpital, ouvert en 1842, érigé en Maison de Charité Napoléon en 1857. Il fut d'un grand secours pour les militaires blessés en août 1870. La gare disposait dans la vaste Rotonde d'un atelier ferroviai­ re. Les écoles secondaires se situaient derrière Saint-Rémi sur des terrains cédés par les Adt. La congrégation de (Sœurs de la Divine Provi­ dence), ancienne congrégation de Forbach fondée par l'abbé Gap, avait quitté le Vieux Couvent qui sera la première caserne de Forbach, pour s'installer en 1870 dans son nouveau Pensionnat, à proximité du Collège spécial de garçons, une création de Victor Duruy en 1866, à la demande de l'entreprenant maire Adt. Cette ville de passage sur la route d'Allemagne, alors Route Impériale, avait quelques bonnes tables et auberges : le Café Français qui va disparaître, le Café Démange issu du Café Lecomte où les Altdeutsche fêteront l'anniversaire de leur empereur. L'auberge Troendlé fermera en 1873. ,

Le restaurant Haas attire avec ses bals, son carnaval, la kermesse (Kirb), La Restauration Jansen Grosse loge gens, 20 chevaux et voitures. Le vainqueur amènera sa bière munichoise à déguster à la Restauration Grimmer et à la "Wacht am Rhein" dont le nom agressif fera place à la "Bayerische Bierhalle". La renommée culinaire viendra plus tard en 1881 lorsque Karsch ouvrira son Café-Hôtel et rivalisera avec le Café Dupuy formé dans les cuisines de la grande hôtellerie de Lausanne.

La mentalité des indigènes (Eingeborenen) était française même si la région était germanophone et ils le montrèrent en toute circonstance, à commencer aux élections du 8 février 1871 pour l'Assemblée de Bordeaux selon les clauses de l'armistice. On vota massivement pour les républicains partisans de la continuation de la guerre. Toutefois, contrairement au département qui avait placé, en tête des neuf républicains élus, l'industriel Rehm et Gambetta seulement au second rang, le canton de Forbach, comme l'arrondissement de Sarreguemines auquel il appartenait, plaça en tête Gambetta avec 3372 voix sur 3500 votants, suivi de Rehm (3255 voix), du directeur des salines de Dornès (2640), d'André d'Ars- sur- (2634), de Noblot de Metz (2633), de Humbert de Longeville- lès-Metz (2627), de Bamberger de Metz (2256), de Bardon de Sarregue­ mines (1821) et n'accorda que le 9e rang au général Crémer (1460 voix), alors que le canton de Sarreguemines avait fait un triomphe à cet enfant du pays, le plaçant devant le général Renault, Gambetta ne venant qu'au 3e rang. Pour le canton de Forbach, le nom Gambetta signifiait aussi "Amour du Pays" selon le mot du Courrier de la Moselle. Les notabilités comme les barons de Gargan et de Schmid n'eurent que 937 et 366 voix. La Saarbrûc- ker Zeitung ironisa sur la consonance germanique des patronymes de la grande majorité de protestataires "se comportant en Français pur sang" et formula le vœu que la génération suivante soit formée "d'Allemands pur sang".

L'installation de Padminitration allemande, le nouveau cercle

Sans attendre la signature du traité de paix le commissaire civil ordonna le 13 mars 1871 la création du Kreis (cercle) Forbach. La nouvel­ le circonscription fut définie par la loi du 30 décembre 1871 et fut formée par les cantons de Forbach, Saint-Avold, Sarralbe et soit 705,38 km2, 64 154 habitants, le huitième de la population du Bezirk Lothringen.

L'agriculture restait l'essentiel : 40 000 ha de cultures, 1 800 ha de cultures fruitières, même 43 ha de vigne, un élevage numériquement important mais qualitativement en retard, près de 18 000 ha de forêts. L'artisanat occupait ensuite le plus de personnes. L'industrie comportait les houillères, sidérurgie et métallurgie, le sel et la soude et diverses activités comme les cartonnages Adt, le travail du velours, des soieries et les chapeaux de paille. Le premier directeur de cercle Spiecker (1871-81) se plaignit d'être le plus mal logé de tous les directeurs de cercle lorrain. Effectivement la direction de cercle déménagea trois fois en 3 ans : de la rue Nationale, maison Tonnelier, la direction fut transférée, le 1 septembre 1872 dans la caserne rénovée de la gendarmerie et le 18 septembre 1874 dans les deux maisons des héritiers Gùntz achetées par le Bezirk, rue de la gare. La direction de cercle de la Kaiser Wllhelm Allée (avenue du général Passaga) ne sera construite que de 1897 à 1902 et occupée progressivement qu'à partir de mai 1900. Spiecker était assisté d'un secrétaire de cercle, le comte Tattenbach puis Killinger, d'un greffier de chancellerie, d'un archi­ tecte de cercle, d'un médecin et d'un vétérinaire de cercle, d'un commis­ saire cantonal de police et de l'inspecteur scolaire de cercle Janton. Homme aimable et pieux, Spiecker sera promu, dix ans après, à la tête du cercle de . Le luthérien Albrecht, assesseur de Saverne, dirigea le cercle de 1881 à 1889 et devint conseiller de gouvernement à Metz. L'habile Dieckmann, fils de pasteur, lui succéda jusqu'en 1896. Les trois derniers appartinrent à la noblesse : von Gemmingen-Hornberg, familier des Adt, apparenté aux Roechling, restera jusqu'en 1902 et sera le dernier Président de la Lorraine. Son successeur von Loeper sera remplacé par le Wurttembergeois von Woellwarth-Langenburg. Le gouvernement ne nomma que des protestants. La centralisation se trouva renforcée, le Kreisdirektor ayant des pouvoirs de décision, de tutelle et de police supérieurs à ceux d'un sous-préfet français.

La loi du 24 janvier 1873 organisa le Kreistag (conseil de cercle) exprimant les vœux de la population à la direction. Il y eut 9 conseillers élus au suffrage universel à partir de 25 ans : trois pour le canton de Forbach, deux pour chacun des trois autres canton. Pour les finances, le cercle fut divisé en perceptions ou recettes. Le canton de Forbach en avait deux : celle de Forbach et celle de . Pour la justice, le cercle relevait du Landgericht (tribunal régional) de Sarreguemines. Forbach avait un tribunal cantonal (Amtsgericht) avec une prison cantonale construite en 1873. Primitivement installé dans l'aile droite de la mairie, le tribunal fut tranféré dans l'allée de l'Empereur Guillaume dans un bâtiment neuf contsruit de 1891 à 1895. Une administration de germanistion s'instaura immédiatement non sans rencontrer une vive résistance dans ce cercle presque totalement germanophone mais francophile.

La langue allemande devint langue officielle le 5 mars 1872 les noms de localités, les rues, les routes furent germanisés. Le 18 avril 1871, avant le traité de paix, l'enseignement primaire devint obligatoire jusqu'à 14 ans pour les garçons et 13 ans pour le filles. Le service militaire obligatoire exempta cependant les classes antérieures à 1851 et ceux qui avaient servi dans l'armée française.

L'enseignement du français fut rapidement éliminé dans l'école primaire. A partir du 1 octobre 1872 il fut interdit dans les petites classes et seulement enseigné dans la classe terminale à raison de quatre heures par semaine et uniquement dans les localités industrielles qui en feraient la demande. Les maîtres vinrent surtout du Palatinat, comme le directeur Grentz qui s'intéressa à l'histoire locale. Les instituteurs locaux furent appelés à des stages d'allemand à Metz. Le Kulturkampf permit le 12 février 1873 de placer toutes les écoles privées sous le contrôle de l'Etat. L'inspecteur Janton réclama la révocation des frères enseignants de Stiring pour le 1er janvier 1875. Les maires étaient astreints à la commu­ nication mensuelle des listes d'absence. Les sanctions prévoyaient des amendes convertibles en peine de prison au tarif d'une heure de prison pour six francs impayés. Les pauvres perdaient leur droit aux secours publics.

Le collège de garçons fut l'objet de toutes les sollicitudes de la direc­ tion du cercle et de son directeur Lenzer.il rouvrit en octobre 1871 avec ses quatre classes et s'appela Collegium et fut pratiquement pris en charge par le gouvernement qui payait les neuf dixièmes de son budget. L'enseigne­ ment du français prenait 4 à 7 heures selon la classe. S'il n'y eut que 37 élèves au début, les progrès furent rapides après le départ des optants et, à partir de 1873, Lenzer exprima sa satisfaction dans les comptes rendus annuels. Le 15 février 1874 après la création d'une tertia, l'établissement devint une Ecole réale (Realschule), l'année suivante s'y ajouta la Sekun­ da pour un effectif de 106 élèves. En 1876, le nouveau directeur Knitter­ scheid obtint la Prima et la préparation de 1'Abitur. En septembre 1877 l'établissement délivrait le Einjährig et le 3 juillet 1879 Lévy Moïse devint le premier Abiturient. En même temps croissait le pourcentage des élèves allemands de souche (21 % en 1873, 27 % en 1875), des élèves protestants (26 %) et israélite (13 %). Les frais scolaires variaient de 40 à 70 Mk selon la classe, le 3e fils était gratuit. Un creuset de germanisation était né.

Le service militaire obligatoire de 1871 était la mesure la plus impopulaire. Beaucoup déjeunes, surtout des fils de notables, préféraient partir en France plutôt que de servir trois ans sous drapeau allemand. Ce fut le cas de 23 jeunes de l'annexe Schoeneck qui s'engagèrent dans l'armée française où on faisait cinq ans. Le conseil de révision se tenait à la mairie : sur 320 inscrits de la classe 1852, 126 furent déclarés aptes, après déduction des "Réclamés" il resta 97 appelés. En 1873 ;sur 433 inscrits il n'y eut que 87 appelés. Il y a eu des désertions : en 1873 le Bezirkskommando de Sarreguemines recherche 3 déserteurs de la région forbachoise. Pour la réserve, le Landwehrbezirksbataillon formé de quatre compagnies (Forbach, Puttelange, Sarreguemines, ) dépend du XV. A.K. et a son quartier général à Sarreguemines. La première Compagnie Forbach se recrutait dans les deux cantons de Forbach et de Saint-Avold jusqu'au 1 avril 1890. Elle dépendait du Bezirksfeldwebel siégeant à Forbach.

Les journaux allemands et les sociétés culturelles allemandes contri­ buèrent à la germanisation. Le 4 juillet 1872 parut le premier journal forbachois, la Forbacher Zeitung imprimée à Sarreguemines, l'agence se situant à Forbach, rue de la Chapelle. C'était un journal officiel du cercle de Forbach surnommé "Preussenblatt" par les autochtones. Parution modeste sur quatre pages le mercredi et six pages le samedi au prix de 2,30 à 2,80 F le trimestre. Les textes et avis officiels paraissaient en première page. La presse sarroise et alsacienne avait aussi ses lecteurs tandis que le journal sarregueminois de langue française, le Petit Glaneur, faute de pouvoir déposer la caution, cessa de paraître.

Les Altdeutsche introduisirent leur us et coutumes en se groupant dans des sociétés culturelles. Alors que la haute administration faisait preuve de tact, les fonctionnaires subalternes exaspéraient souvent par leur arrogance. La ville eut son Mannergesangverein, sa Forbacher Lieder- tafel qui organisaient des soirées patriotiques avec un goût prononcé pour les longues randonnées sur les hauteurs sacrées de la côte de Spicheren ou au Ehrental de Sarrebruck. L'anniversaire de l'Empereur était la fête nationale. Dans les écoles alternaient chants et poésies. Le directeur de cercle présidait dans une salle aménagée de la gare la fête patriotique. La Kasinogesellschaft se réunissait sur une colline de la Petite Forêt caracté­ risée par un énorme bloc de grès supposé druidique. Cette hauteur a gardé le nom de Kasinostein. Les autochtones maintinrent la Concordia, née sous le Second Empire, qui organisait à la mairie des bals de bienfaisance et de carnaval. Elle est la doyenne forbachoise des sociétés.

On discerne trois périodes dans l'évolution de la mentalité de la population entre 1870 et 1914 : la Protestation qui dura une vingtaine d'années ; une période de querelles locales entre deux clans : le parti allemand des Adt et le parti plus ou moins francophile des Couturier ; à partir de 1907, l'apaisement. A. - La Période de la protestation : 1870-1891

Elle fut d'abord violente jusqu'au départ des optants (1870-72), pour se transformer en protestation politique pacifique.

1) La protestation violente est truffée d'incidents opposant vaincus et vainqueurs. Les premiers s'en prenaient aux voies ferroviaires et aux lignes télégraphiques. En octobre 1870 on tira sur un train entre Béning et Hombourg-Haut. Les communes furent rendues responsables des dégâts apportés aux lignes télégraphiques. En février 1871 on fit monter des notables sur les locotives. En juillet 1871 les jets de pierres contre les trains valurent au maire de Stiring la menace qu'en cas de récidive la ville serait investie militairement. Le 10 juillet 1871 un fut blessé sur le pont de la rue de la Chapelle à Forbach. Le commissaire de police réfère au procureur : "l'état d'esprit germanophobe de la population de Forbach s'exprime de jour en jour de la façon la plus insolente". Le gouverneur général de Strasbourg prévint la ville que si elle ne livrait pas le coupable, elle serait lourdement imposée et que l'amende serait payée par les fonds municipaux et en cas d'insuffisance par la fortune personnelle des conseillers municipaux, à commencer par celle du maire. La profanation de tombes militaires allemandes à Stiring amena la plainte du sergent des pionniers Ludwig Menzel qui déclare : "c'est la conséquence de la haine germanophobe qui sévit à Stiring et qui se traduit par des insultes ignobles et des jets de pierre en embuscade contre les soldats".

Le directeur de cercle les attribue à "l'esprit brutal et fanatique des basses couches de la population de Stiring". Le 1er septembre, 5 jeunes gens jettent de nouveau des pierres du haut du pont de la Nouvelle-Verre­ rie. Il est impossible de trouver les coupables personne ne voulant passer pour un traître. En mai 1872, on tente de faire dérailler un train près de . Le 1er mai un cheminot est sérieusement blessé par un jet de pierre à Stiring. Le maire, rendu responsable, interdit aux ouvriers de l'usine de se rendre à la gare en dehors du service, sous peine de renvoi, tout en répondant à l'administration qu'il a vu passer un train de voyageurs montrant le poing et criant "Lumpenfranzosen" (gueux de Français). Le directeur de cercle signale encore le 20 avril 1873 dans son rapport qu'à Forbach et environs, dans l'usine de Stiring et dans les houillères de Petite-Rosselle se trouvent des ouvriers francophiles dont une partie est encline à des actes de violence.

A Forbach, la transition fut difficile. Le maire Pierre Adt ayant démissionné le 14 juin 1871 et opté pour la France, un nouveau conseil fut élu en juillet avec Audebert pour maire. Il hérita d'une situation difficile avec 203 000 F de dettes. Il dut réclamer un moratoire d'un an et relever fortement les impôts. En dehors des grands travaux de son prédécesseur, la guerre y était pour beaucoup avec les réquisitions militaires allemandes, le départ de nombreuses familles, la diminution de la circulation, la dispari­ tion du poste douanier. Le commerce local était dans le marasme et la vie avait fortement augmenté. Les artisans locaux se plaignaient de la préfé­ rence accordée par les autorités aux Altdeutsche. Au Collège, les incidents furent fréquents au cours de l'été 1872 entre enseignants et élèves souvent absents. Les parents fulminaient contre l'éducation physique,"le drill prussien", s'indignaient des chants patriotiques et boycottaient l'invitation à la fête de l'anniversaire de l'Empereur. Le directeur Lenzer signalait que certains préféraient l'école privée parce qu'ils ne trouvaient pas au collè­ ge la francophilie et la discipline monastique. La tension augmenta encore avec l'approche de la date limite des options. En été 1872, trois forbachois et trois Stiringeois furent condamnés à 4 semaines de prison pour avoir frappé ou injurié des Prussiens, un autre Forbachois écopa de deux semaines de prison pour avoir traité l'aigle prussien d'un policier de "coucou prussien". Sous le titre "Caractéristique pour Forbach", le journa­ liste de la Forbacher Zeitung écrit qu'un voleur a pu s'enfuir car non seulement les badauds restèrent inactifs mais qu'une femme induisit le policier en erreur en lui indiquant une direction opposée à celle prise par le délinquant.

L'inauguration du monument aux morts militaires tombés dans la guerre de 1870, pour les enfants de Forbach et Stiring, réunit le 25 août 1872 des milliers de personnes à l'église et au cimetière de Forbach. La foule donna libre cours à sa douleur patriotique et à son espoir dans l'avenir. Elle suivit la recommandation du curé Karst de rester calme et digne. Le journal local rapporte que la cérémonie fut digne si on ne tient pas compte "du comportement arrogant de quelques jeunes des environs".

Les documents montrent que dans l'arrondissement de Forbach, le nombre des optants a été modeste. Le pasteur Lange rapporte dans ses mémoires qu'un grand nombre de personnes alla s'incrire à Pont-à- Mousson mais que la plupart ne put ou ne voulut pas changer de domicile. François Roth constate que les optants furent rares dans les cercles ruraux germanophones. Wahl attribue au cercle de Forbach 1255 optants soit 1,9 %, le plus faible pourcentage des huit cercles. Il ajoute 841 émigrants, 1,3 % de la population qui partirent en Amérique sans opter. Le directeur de cercle Spiecker a fait le 1er septembre 1874 un bilan de son cercle et indique 872 personnes ayant fait une option valable avec transfert de domicile. Le Statistisches Jahrbuch fur Elsass-Lothringen 1913/1914 indique au 1er janvier 1873 pour l'arrondissement Forbach 491 options pour 1 255 personnes dont nulles 117 options pour 270 personnes et décla­ re 374 options pour 985 personnes comme reconnues. De 1875 à 1879 huit jeunes Forbachois, qui avaient opté, revinrent et obtinrent la nationalité allemande. Si l'option a été faible à Forbach, la protestation s'est manifes­ tée pendant une vingtaine d'années sous forme de protestation politique à toutes les instances représentatives. 2) La protestation politique municipale fut générale aux élections de juillet 1871 : 23 conseillers protestataires qui choisirent Audebert comme maire. Les élections complémentaires de juillet 1873, portant sur sept sièges, n'amenèrent qu'une nouveauté : l'entrée de Jean-Baptiste Adt au conseil municipal, Bavarois estimé à Forbach, succédant à son frère Pierre, maire optant pour la France, à la tête de l'usine forbachoise. C'était un personnage au réalisme loyal mais soumis à la pression francophile de son frère Pierre. Au maire Audebert malade, succéda l'intransigeant maire protestataire Charles Odinet hostile à tout serment de fidélité, démission­ naire en novembre 1874. Le maire protestant Jean Meder irritait l'administration allemande par son langage arrogant, ses idées social- démocrates, ses relations avec des agitateurs belges. Les élections générales de juillet 1876 déçurent l'administration dont deux candidats immigrés furent battus. Elle constate la disparition de quelques "éléments inutilisables remplacés par d'autres tout aussi inutilisables". Le nouveau directeur de cercle Albrecht discerna un changement aux élections de juillet 1881 où le maire Meder ne venait plus qu'au 17e rang et où s'expri­ mait l'antagonisme politique et social entre la Ville basse, le Vieux Forbach, où dominent les "criards" hostiles à l'Allemagne et la Ville haute moderne des notables riches et instruits. La majorité reste protestataire car la Ville basse est renforcée par les quartiers ouvriers enlevés en 1871 au ban de Petite-Roselle au profit de Forbach. Les notables voudraient des conduites d'eau et des voies améliorées. Le directeur de cercle prépare un plan de découpage (Nordstadt, Sudstadt, Schoeneck, St. Charles) destiné à favori­ ser les notables et immigrés de la Ville Haute. Aux élections de juillet 1886 le découpage en quatre secteurs électoraux amènera le résultat inespéré d'un renforcement des notables modérés par cinq immigrés dont Jacob Wolter obtient le 7e rang des 23 élus. Une majorité modérée acceptable par l'administration est acquise et l'opposition réclamera vainement le retour à l'unité électorale de la Ville alors qu'elle continuait à exister à Sarre- guemines pour une population double. Aux élections de juillet 1891, le directeur de cercle Dieckmann soulignera que les conseillers de franco­ philie notoire ont disparu. S'il existe encore, pour quinze ans, "un parti Couturier" jugé francophile par la société immigrée, s'opposant au parti allemand des Adt, ce jugement est excessif et n'est plus la protestation. Le dernier maire protestataire, Nicolas Heydinger, inspiré par le curé protes­ tataire Hesselmann, est décédé en 1889. L'habile Dieckmann fit accepter au conseil municipal, à l'unanimité moins une voix, le choix d'un maire professionnel allemand, Jacob Wolter, spécialiste des affaires commu­ nales. Dans son rapport, le directeur de cercle souligne que ce choix favorise le "Deutschtum" et le développement de la ville qui en avait grand besoin et "était arrachée à quelques francillons, notables riches et respectés conservant des liens familiaux en France".

3) La protestation fut moins importante dans le Kreistag (conseil de cercle). Elle fut totale le 18 août 1873 à la séance présidée par Killinger remplaçant Spiecker souffrant. Sur 9 conseillers huit furent présents dont Albert de Vaulx d'Achy, maire de Folckling, Hasdenteufel, maire de Diebling et Eugène Weber pour le canton de Forbach. Au nom de tous, Granier, maire de Sarralbe, lut une déclaration refusant le serment d'obéissance à la constitution et de fidélité à l'Empereur. A la séance du 10 août 1874 il n'y eut que cinq présents dont le rentier Tobie, le restaurateur Jansen pour le canton de Forbach, Jean-Baptiste Adt s'étant fait excuser. Le directeur de cercle Spiecker traita les indemnités de guerre, dressa le bilan des options et souligna l'important absentéisme aux conseils de révision ; en dépit de six engagés volontaires. La normalisation militaire prit plusieurs années : en 1876, il y eut 69,4 % présents mais 42 volon­ taires, en 1877 75 % furent présents, en 1879 84 % avec 41 volontaires, ce qui, selon Spiecker, ne dépassait plus le nombre de réfractaires du reste de l'Allemagne. Le tribunal de Sarreguemines condamna en 1876 11 réfrac­ taires de Forbach, en 1877 douze, en 1878 dix, en 1888 cinq qui perdront la nationalité allemande.

Les progrès furent plus spectaculaires dans le domaine scolaire où la condition des instituteurs fut améliorée : L'inspecteur Janton insista sur "l'heureux essor de l'enseignement primaire". L'Etat avait créé 21 biblio­ thèques dont la bibliothèque de cercle de Forbach très fréquentée par les jeunes instituteurs. Le Kreistag émit le vœu d'obtenir la transformation de l'école réale en Progymnasium afin de rendre les carrières administratives accessibles aux enfants des autochtones. Seule ombre, la fréquentation scolaire dans les écoles primaires laissait encore fortement à désirer en hiver.

Dans le domaine agricole, Spiecker créa dès 1871 la Société agrico­ le du cercle de Forbach. Il en passa la présidence au maire de en 1873 bien vu par l'administration. Conformément au vœu du Kreistag l'école d'agriculture de Saint-Avold ne fut pas transférée à Forbach, faute de locaux.

Dans le domaine de la santé, la vaccination obligatoire fit de rapides progrès 1872 22,6 % d'inscrit, en 1875 55,8 %, en 1879 seulement 25 réfractaires. En 1885, le canton de Forbach était représenté au Kreistag par son maire Heydinger et les propriétaires terriens Kloster de Gaubiving et Krause de Morbach. Les séances se déroulaient normalement.

4) La protestation au Bezirkstag (conseil général) comprenant 36 membres, un par canton, s'est traduite par le refus du serment et les abstentions massives. Les élections cantonales de juin 1873 virent la moitié du canton s'abstenir : à Forbach les deux tiers s'abstinrent, à Schoeneck plus de la moitié. Le conseiller protestataire Odinet refusa le serment et démissionna. Jean-Baptiste Adt tenta de se faire élire à l'élection partielle de septembre 1873 mais ne put réunir le quart des voix. Au 2e tour, Odinet se présenta contre lui et fut réélu avec un sixième des incrits. Aux élections de janvier 1874 Adt fut élu avec l'appui des ruraux, les abtentions formaient les deux tiers de votants. Le conseiller Adt fut le premier à prêter serment le 16 janvier 1874. Il refusa de se représenter en 1879 et son siège passa au protestataire de Vaulx d'Achy de Folckling, l'abstention avait porté sur la moitié des insrits. A la suite de sa mort accidentelle le 24 septembre 1882, le siège fut enlevé par l'industriel Léon Couturier, rival de Adt. L'administration le considérait comme protesta­ taire, ami du député protestataire Jaunez. Les élections du 5 août 1888 furent chaudement disputées par les deux familles rivales dont chacune avait sa clientèle politique. Gustave, le fils de Jean-Baptiste Adt, un inconditionnel de la cause allemande, enleva le siège avec 1 682 voix contre 1 314 à Léon Couturier. Gustave Adt gardera le siège de conseiller du canton jusqu'à l'armistice de 1918.

5) La protestation ne s'est guère exprimée au Landesausschuss de Strasbourg. Cette Délégation provinciale a été créée le 19 octobre 1874, chaque conseil général envoyant dix délégués auprès du Statthalter. Jean- Baptiste Adt fut l'un des dix délégués lorrains mais il ne se représenta plus au conseil général en 1879. Cette année, le mode d'élection à la Diète fut modifié pour mieux refléter l'importance des communes qui élisaient des Grands Électeurs (Wahlmànner). L'arrondissement de Forbach élisait 96 Grands Electeurs dont Forbach désignait six, Stiring 3, Petite-Rosselle 2, chaque petite commune au moins un. Le maire de Puttelange Camille Massing fut élu avec 76 voix contre 14 à Eugène Pougnet, ex-député protestataire et 4 au maire de Brulange. Massing fit une belle carrière politique comme conseiller général et délégué et devint Staatsrat (conseiller d'état). Léon Couturier, élu conseiller général en 1882 fut délégué à Strasbourg mais démissionna dès 1883. Massing fut réélu constamment jusqu'à la fin de sa carrière en 1906. Seul Léon Couturier était classé protestataire par l'administration.

6) La protestation aux élections du Reichstag a été soutenue par la majorité des Forbachois pendant vingt ans. L'élection du 1 février 1874 mobilisa une énorme participation et choisit triomphalement Eugène Pougnet dans la circonscription de Sarreguemines-Forbach élu avec 18 646 voix contre 1 587 au maire de Brulange, deux protestataires mais de méthode différente. Le premier préconisait la chaise vide et la démission, le second, Fulter, le maintien avec la défense des intérêts lorrains et l'obtention d'un maximum d'autonomie. Ce sont des personnalités forba- choises qui suscitèrent la candidature du maire de Brulange. Le journal officiel "Saargemùnder Zeitung" cita le "raisonnement naïf d'un Forba­ chois : "nous voulons voter Pougnet pour montrer que notre cœur appar­ tient à la France... nous ne pouvons changer la politique comme une chemise... nous ne pouvons élire qu'un républicain ou un ultramontain". En janvier 1877, l'industriel sarregueminois Edouard Jaunez, protestatai­ re écrasa avec 11 893 voix le candidat gouvernemental Félix Karl 1 071 voix, les abstentionnistes représentant la moitié des inscrits. Après la dissolution du Reichstag en 1878, le directeur de cercle de Sarreguemines succomba avec 3 738 voix contre Jaunez 16 283 voix, appuyé par les prêtres et les notables. A Forbach, Jaunez l'emporta avec 5528 voix contre 292 au directeur von der Goltz. Il est intéressant de noter que Jaunez l'emporta de peu dans la Ville haute de Forbach (236 contre 196). Le canton de Forbach avait voté germanophobe et ultramontain. A la veille des élections de 1881, le directeur de cercle de Forbach signale dans son rapport du 24 septembre 1181 que Jaunez a protesté auprès de lui contre l'étiquette "protestataire" que lui attribue la presse allemande "car il n'appartient pas à ce parti". A l'élection d'octobre Jaunez écrasa avec 14 727 voix une nouvelle voix Félix Karl 1 219 voix.

A Forbach Jaunez l'emporta avec 425 voix contre 237 à Karl et les abstentions furent nombreuses. Le directeur Albrecht était resté neutre et dans son rapport il classa Jaunez : "jusqu'à présent protestataire, mainte­ nant rapproché du parti conservateur". Pour la haute administration, Jaunez était la bête noire à abattre. Il réunissait les mandats de député de délégué provincial, de président du conseil général et de maire. Aux élections de 1884, on ne put rien lui opposer et Jaunez avec 12 093 voix représentait les trois cinquièmes des inscrits. A Forbach, où la Forbacher Zeitung avait souligné l'absence de lutte électorale et la faible participa­ tion, sur 1 291 inscrits 597 avaient voté, Jaunez recueillit avec 553 voix la presque totalité des suffrages exprimés. Albrecht dut rapporter "qu'il avait été soutenu par les personnes les plus hostiles à l'Allemagne". Le Reichs­ tag ayant été dissous pour hostilité à la loi du septennat militaire, l'administration voulut opposer à Jaunez Jean-Baptiste Adt, qui avait accepté, puis s'était défilé sans doute suite à une pression de son frère Pierre. A l'élection de février 1887, l'administration fit répandre par sa presse la consigne du vote blanc. Dans cette période de tension franco- allemande, la protestation connut une dernière flambée : Jaunez avec 19 136 voix recueillit 91 % des suffrages exprimés, qui représentaient 81 % des inscrits. A Forbach la flambée fut moindre : il obtint 650 voix sur 1 379 inscrits soit 47 %, les bulletins blancs et dispersés furent 281 soit 20 % des inscrits, les abstentionnistes formaient un tiers des inscrits. Les directeurs de cercle de Forbach et de Sarreguemines fulminaient contre l'ingérence du clergé en chaire et certains maires comme ceux de Stiring, Puttelange et de Forbach "où Heydinger est un faible dirigé par l'archi- prêtre Hesselmann, curé intolérant et francophile". Le directeur Albrecht soumit tout un programme pour éliminer la protestation : nommer des maires professionnels indépendants des électeurs, révoquer les maires protestataires, implanter des ruraux allemands sur des domaines de 25 ha rachetés par le Domaine, déplacer les instituteurs politiquement douteux, supprimer les écoles privées de de Wendel en les communalisant, dissoudre les sociétés francophiles, expulser les étrangers, interdire les enseignes en français en Lorraine germanophone. Sa santé déficiente lui interdisant de se représenter aux élections de 1890, Jaunez recommanda l'élection de curés modérés pour remplacer les députés sortants de Wendel, Germain et lui- même, ce qui sera le cas. L'archiprêtre de Sarreguemines J.-B. Mangés, passant pour germanophile, pouvait satisfaire autochtones et immigrés ce qui provoqua la candidature du curé protestataire de Neunkirchen, Colbus, celle du directeur de cercle de Sarreguemines von Kramer. Comme défen­ seur des ouvriers et paysans se présenta le mineur sarrois Nicolas Koenig, non social-démocrate, et pour les paysans Jean Scherer, cultivateur à Forbach. Mangés fut élu avec 10 920 voix contre 3 827 à Koenig, les abstentions avaient étaient très fortes : 59,5 %). A Forbach l'archiprêtre obtint 521 voix contre 207 à Koenig qui l'emporta dans tous les centres miniers et... à Sarreguemines. La Frankfurter Zeitung constata que les protestataires étaient "balayés en Alsace-Lorraine". L'apparition d'une force ouvrière coïncidait avec cette disparition.

II - Le bilan de la période de protestation

En vingt ans l'évolution avait été remarquable.

1) L'évolution démographique a été rapide. La population du canton est passée, de 1871 à 1888, l'année des trois empereurs, de 14 586 à 23 756 habitants, une progression de 63 %, la ville de Forbach de 4 312 à 6 021, une augmentation de 40 %, la commune avec son ban de 2 261 ha, de 4 911 à 7 839 habitants, un progrès de 60 %. Les catholiques restaient les plus nombreux : 6 638, mais l'afflux allemand avait fortement renforcé les protestants 1 016, le nombre des israélites avait fortement diminué avec 181 et 4 personnes se déclaraient baptistes. L'émigration était en perte de vitesse et une liste ne concerne plus que 36 personnes parties de 1886 à 1897 (19 pour l'Amérique, 16 pour la France dont Charles Couturier, neveu de l'industriel Léon, 3 Italiens). Une autre indique de 1883 à 1901 l'attribution de la nationalité alsacienne-lorraine à 155 personnes à savoir à 61 Français dont 10 anciens optants avec 29 personnes, mais aussi à 31 Prussiens dont le futur maire Félix Barth, 9 Badois, 16 Américains rentrés au bercail, 6 Suisses, 2 Belges, 1 Luxem­ bourgeois, 5 Autrichiens, 7 Russes israélites et à 7 Italiens.

2) L'évolution urbaine progressa d'abord lentement en raison des difficultés financières de la ville et le directeur de cercle intervint inlassa­ blement pour obtenir des subventions. En 1875 le budget de la ville fut équilibré à 51 216 F. En 1873, la municipalité racheta le Vieux Couvent et le loua comme caserne à l'escadron du 5e régiment de chevau-légers bavarois venu de Saint-Avold et lui affecta la vieille église comme manège. En 1877, l'Empereur se rendant avec le prince héritier à Metz, s'arrêta pour la troisième fois à Forbach, et passa les soldats en revue sur la place de la gare. Après le départ de la garnison en octobre 1877, l'église fut détruite, le vieux cimetière derrière l'usine Adt fut vendu à l'industriel avec charge de participer au coût du transfert des tombes et stèles au cimetière édifié en 1866 au Kaninchenberg, rue Bauer, et de laisser un espace pour la future avenue de Spicheren. En 1876 l'abattoir fut rénové, en 1878 les pompiers eurent leur caserne. Sous le maire Heydinger eurent lieu l'édification de la nouvelle école des jeunes filles catholiques dans l'allée de l'empereur Guillaume, la création de trottoirs, la construction de la Turnhalle en 1886. L'école protestante fut transférée dans l'école vacante de la place du Marché. L'hospice-hôpital Bauer, qui avait soigné 360 soldats après la bataille du 6 août 1870, devint avec 43 lits, le médecin Culmann et 4 Sœurs de Peltre, un hôpital cantonal et un hospice communal recevant de nombreux dons dont les plus importants furent ceux de Staub de l'île Saint-Maurice et de Perdrizet, une subvention régulière du legs Napoléon-Ladoucette.

3) L'évolution culturelle fut la plus remarquable : L'enseignement élémentaire comporte, place du Marché l'école catholique de garçons à six classes, l'école protestante à trois classes et une maternelle dont le gouvernement refusa la fermeture à la municipalité ; dans l'allée de l'Empereur Guillaume l'école des filles catholiques à six classes et deux maternelles. Dans le Vieux Couvent, puis finalement dans la rue de l'Aima, végétait une école israélite dont la fermeture fut décidée par le conseil municipal en 1890 l'effectif étant tombé à douze élèves, la communauté ayant été affectée par l'émigration et les riches préférant envoyer leurs enfants dans les écoles catholiques, protestantes ou à l'école réale. Les établissements secondaires de l'allée de l'Empereur Guillaume avaient une bonne réputation avec le Pensionnat des Sœurs de la Divine Providence et le Progymnasium, rang que prit l'école réale en 1887. Le Dr Atorf dirigea cet établissement de 1881 à 1893 et fut l'auteur de la premiè­ re histoire de Forbach et publia à Metz "Ein Leitfaden fur die lothringische Schule", une histoire lorraine, dont François Roth a signalé le caractère peu objectif. Les deux éditions de l'histoire de Forbach du Dr Max Besler, directeur de 1893 à 1903, promu directeur du lycée de Sarreguemines, puis de A. Ruppel, qui deviendra directeur des Archives du Bezirk Lothringen, sont plus scientifiques. Dans cette école, le latin et le grec étaient faculta­ tifs, l'anglais et le français sérieusement approfondis. De 1874 à 1883 les effectifs plafonnent autour de 125 élèves, de 1884 à 1893 les six classes réaies et les deux classes préparatoires ont un effectif de 184 à 112 dont la suprême récompense était le Reifezeugnis donnant droit au Service militaire volontaire d'un an au lieu de trois. Le directeur de cercle Dieckmann, frappé par l'insuffisante formation artisanale, fonda avec l'appui de Gustave Adt, le 1 décembre 1889, un enseignement professionnel, la "Städtische Handwerker Fortbildungs­ schule" qui débuta avec 91 élèves. Chaque semaine, six heures de cours, placés de 20 à 22 heures, étaient enseignés par l'architecte communal et deux instituteurs pour la formation d'apprentis et de compagnons. En 1903, ils devinrent obligatoires. Logiquement deux associations profes­ sionnelles apparurent : le "Handwerkerverein Forbach und Umgegend" en 1899, et le "Forbacher Kreisgewerbeverein" en 1898 à l'échelle du cercle. Les houillères seront les seules à penser aux jeunes filles et à créer une école ménagère à Petite-Rosselle en 1903.

4) L'évolution économique a conditionné les progrès, mais tout ne fut pas positif. La plus importante entreprise, l'usine sidérurgique de Stiring, disparut de 1877 à 1897. Elle subit la concurrence allemande, la crise économique à partir de 1873, la perte de ses tarifs privilégiés de transport, le procédé Thomas et Gilchrist n'en justifiait plus l'existence. En 1877, ses hauts fourneaux furent arrêtés, à partir de 1895, ce fut l'exode vers la Fentsch. Stiring ne survécut que comme commune-dortoir et grâce à l'ouverture du puits Simon I sur le ban de Forbach en 1904. Il en fut de même des verreries et des piperies de Forbach et Schoeneck. La verrerie de Schoeneck s'arrêta en 1882, la verrerie de Vallet à Forbach qui avait exporté en Allemagne, France, Belgique et Amérique, ferma en 1886 par suite de la concurrence sarroise. Par contre, la loi allemande des mines favorisa la concentration et l'essor des houillères. En 1869, les mines de Petite-Rosselle avec 2222 personnes fournissaient avec 200 000 tonnes les 90 % du charbon lorrain, le puits Saint-Max de Carling étant peu important. La Société fonça six puits : Wendel I (1871), St-Joseph II (1873), Vuillemin I (1876), St-Charles II (1880), Vuillemin II (1889) et Gargan I en 1890. L'année précédente, la Société de Wendel avait absorbé totalement la Cie des Houillères de Stiring. Depuis 1885, une ligne ferro­ viaire Petite-Rosselle- assurait l'évacuation de la production. En 1892 de Wendel occupait 3 420 personnes, une société rivale, Sarre et Moselle, à prépondérance belge, fondée en 1873, n'exploitait à l'Hôpital qu'avec 684 personnes.

Les fabriques, surtout Adt et Couturier occupant 1500 personnes, assuraient la diversification industrielle. Depuis 1860, Adt Frères faisait un commerce mondial d'articles de cartonnages pressés et laqués. En 1889, la firme accupait 2 449 ouvriers et employés dont 1 068 à Frobach et 36 dans la fabrique de carton de Marienau. Une ligne privée reliait l'usine forba- choise à la gare et traversait les rues Nationale et de Schoeneck. L'usine- mère d'Ensheim occupait 548 personnes et 79 travaillaient à la fabrique de carton de Schwarzenacker. La filiale de Pont-à-Mousson employait 640 personnes et le carton venait de la fabrique de Blénod occupant 78 personnes. Les tuileries Couturier produisaient une tuile à rainure (Falzziegel) réputée avec 320 à 500 ouvriers dans la décade des années quatre-vingts.

Dans le domaine social, la condition ouvrière s'était améliorée non sans luttes. En 1874, il avait fallu briser une grève des mineurs de Petite- Rosselle avec la gendarmerie et l'escadron bavarois de Forbach. La loi de 1873 sur les sociétés de mineurs (Knappschaftvereine) donnait de meilleures garanties et une juste parité patron-ouvrier. Les fabriques avaient des caisses de secours et de pensions et la législation bismar- ckienne donnait une forte avance au travailleur allemand par rapport à celui de France.

B. - La rivalité de deux clans (1890-1906) amena le chaos et le scandale

I - Les désordres

Le maire Jacob Wolter se révéla actif, capable mais autoritaire et maladroit, soucieux de ses intérêts personnels. Il avait l'appui du gouver­ nement, de la famille Adt, représentée surtout par Gustave, conseiller municipal et général, des immigrés et du journal gouvernemental, la Forbacher Zeitung. Le directeur de cercle Dieckmann dut intervenir personnellement au conseil municipal pour empêcher le maire de faire construire le nouveau tribunal cantonal sur un terrain personnel dont il voulait tirer un bon prix. Les élections de juin 1896 amenèrent une majori­ té de 16 opposants sur 24 conseillers municipaux et Wolter ne fut réélu qu'au 2e tour. Les ténors de l'opposition étaient le Dr Louis Couturier qui faisait ses débuts en politique, l'ancien maire Meder, Barth Abraham, un israélite allemand. L'opposition prétendait être formée de "bons Allemands" soucieux seulement de remplacer Wolter par Tosca, un fonctionnaire prussien du cadastre. Elle fit de vaines démarches auprès de l'administration supérieure à Metz et Strasbourg, alimenta une campagne de presse dans la Sankt Johanner Zeitung. Wolter ripostait par des procès contre plusieurs membres du conseil municipal. Le nouveau directeur de cercle von Gemmingen-Hornberg défendit le maire contre "une certaine clique gênée dans ses intérêts particuliers par un maire honnête".

En conséquence, le Statthalter renouvela le mandat de Wolter comme maire professionnel le 8 janvier 1897. Un arrêté du Ministère d'Alsace- Lorraine inscrivit d'office le traitement du maire refusé par l'opposition majoritaire. Le Statthalter étant venu à Forbach inaugurer le monument de Guillaume I dont Gustave Adt avait fait don à la ville, Camille Massing intervint pour réconcilier les deux familles rivales Adt et Couturier. Il s'ensuivit une trêve de deux ans où le maire Wolter gouverna avec une voix de majorité, la sienne.

En 1899 se déclencha la guerre des "Jakobiner" (clan du maire et des Adt) contre les "Boxer" (clan Brettschneider et Couturier) dont la presse régionale et même d'Allemagne se fit l'écho. Elle trouva dans la forte personnalité du journaliste Emile Brettschneider un chef agressif, fonda­ teur en 1898 de la Bùrger Zeitung, feuille cléricale selon le directeur de cercle, rivale de la feuille officielle Forbacher Zeitung.

Brettschneider fut aussi le "père spirituel" de la Ordnungspartei (parti de l'ordre) à Forbach et guidait les débuts de l'ambitieux Louis Couturier favorisé alors par Massing. Brettschneider fit irruption dans la mairie en se faisant élire secrétaire de séance du conseil municipal. En 1900, Couturier enleva à Wolter son mandat de conseiller au Kreistag et devint le président d'un "Bùrgerverein" uniquement composé d'autoch­ tones. La "guerre de l'eau" (Wasserkrieg) fut déclenchée par la tentative du maire de faire racheter par la ville le "Wassewerk", l'usine privée fournis­ sant à la ville eau, gaz, électricité de la firme Franke de Bremen dont Wolter était un des gestionnaires. Tumultes et pétition au Bezirksprâsident pour arracher la démission de Wolter, qui se défendait par des procès, furent vains. Couturier réussit à obtenir, sous prétexte de ramener le calme, la démission générale du conseil municipal afin de s'en remettre au jugement des citoyens. Le directeur de cercle ayant ouvertement pris parti contre Couturier et proclamé l'intégrité de Wolter, les élections eurent lieu en 1901 dans une atmosphère empoisonnée par les poursuites judiciaires. Le résultat indécis et contesté devant la justice administrative de Metz puis de Strasbourg, fut finalement validé en janvier 1902 par le Kaiserlicher Rat (conseil impérial).

Brettschneider réussit à se faire réélire secrétaire de séance du conseil municipal ce qui amena la démission du parti Adt : Wolter, abandonné, se trouva seul en face du conseil municipal croupion de douze membres du clan Couturier. Si la pétition Couturier de rétablir l'unité électorale de la ville rompue en 1886 par Albrecht fut rejetée par le Bezirksprâsident v. Zeppelin, celui-ci prévint Wolter que son mandat de maire professionnel ne serait plus renouvelé. Wolter s'y résigna contre la promesse que son adversaire ne serait jamais maire. Aux élections de juin 1902, le parti Adt ne présenta pas de candidat et le parti Couturier triom­ pha.

Le 29 juillet vingt conseillers proposèrent Couturier comme maire. Avant d'accepter, celui-ci eut une entrevue avec von Gemmingen qui lui fit part du veto absolu de l'administration. Les Couturianer crurent tourner la difficulté et gagner du temps en proposant un lieutenant de Couturier, Marx Haas, le 5 août, qui accepta. Malgré l'opposition du directeur de cercle et du Président de Lorraine, le Statthalter nomma Haas maire, le 10 octobre 1902. Faisant valoir l'incapacité du candidat, les deux fonction­ naires avaient réclamé la dissolution du conseil municipal refusée à Stras­ bourg.

Le conflit rebondit de plus belle, lorsque Haas, d'ailleurs encouragé par l'administration et soutenu par le conseiller Boehm, prit au sérieux son mandat. Il se heurta à la même clique que Wolter. Brettschneider l'attaquait dans le journal, comme secrétaire de séance, dans la Bürger Zeitung, le ridiculisant et montrant qu'il lui devait tout. Un rapport du nouveau directeur von Loeper montre que Haas n'avait été élu que pour un an pour garder la place à Couturier. Le maire ne pouvait se défendre que par des plaintes transmises par l'administration au procureur impérial. Le départ de Forbach de Brettschneider n'arrêta pas les tumultes et le chaos. L'entêtement du maire, refusant de démissionner, amena l'opposition majoritaire à pratiquer la politique de la chaise vide. Le 13 juin 1906, le Statthalter prononça la dissolution du conseil municipal de Forbach suivie par la démission du maire.

Le clan Adt n'était pas resté inactif. Gustave Adt avait fondé le "Verein zur Wahrung städtischer Interessen" (société pour la sauvegarde des intérêts communaux) dans lequel Couturier ne fut admis que dans un rôle secondaire. Les élections de 1906 traduisirent la lassitude et l'écœurement des citoyens. Le clan Couturier fut ramené à cinq mandats. La route était dégagée pour une nouvelle expérience de maire profession­ nel à condition d'être indépendant. Ce fut le cas de Wilhelm Stieb, ancien secrétaire de cercle, nommé maire professionnel en janvier 1907.

L'écho de ces désordres locaux se trouva amplifié, à partir de septembre 1903 par le scandale de la "Petite Garnison" dont le retentisse­ ment fut mondial. Depuis 1893 Forbach avait eu une garnison permanen­ te, le 16e Train commandé par le major Fuchs. Le lieutenant Bilse, né en 1878 à Kirn an der Nahe, fils d'instituteur, contre lequel des mesures disciplinaires étaient en cours, avait voulu se venger en faisant paraître, sous le pseudonyme de Fritz von der Kyrburg, un roman de mœurs militaires sous le titre "Aus einer kleinen Garnison". L'éditeur Sattler de Braunschweig ne respecta pas sa promesse de ne pas le vendre en Alsace- Lorraine. Bilse avait brossé un tableau croustillant sur les mœurs dépra­ vées de la plupart de ses camarades officiers négligeant leur service, brutalisant leurs hommes, endettés, adultères, coureurs de jupons et ivrognes. C'était un roman à clef dont l'enquête et la rumeur publique percèrent vite les pseudonymes. Le procès établit le caractère véridique de la plupart des faits, notamment la lâcheté du major Fuchs dans une affaire d'honneur avec un civil (c'était le pharmacien Dreesen) connu comme tireur infaillible. Fuchs fut sauvé par sa maîtresse, la femme adultère d'un Rittmeister, qui prit sur elle la responsabilité des commérages. Ce fut le bestseller de l'année malgré la médiocrité littéraire. Pour la social- démocratie de Bebel et les puissances jalouses, voire ennemies de l'Allemagne ce scandale fut le bienvenu. Bilse fut expulsé de l'armée et condamné à six mois de prison par le tribunal de guerre de Metz. Il les purgea dans la forteresse de Strasbourg. Tous les officiers cités dans l'ouvrage furent mis à la retraite. Quelques mois plus tard les juges militaires connurent le même sort probablement pour avoir fait toute la lumière au lieu d'étouffer le scandale dans la mesure du possible. Le livre fut interdit et les plombs saisis, mais trop tard. A Forbach, le libraire Greiner avait vendu de nombreux exemplaires lus dans tous les milieux. A l'étranger, des éditions à succès parurent à Paris, Londres, Vienne, Saint- Pétersbourg et New York dont Sattler profita bien plus que Bilse. Le 9 décembre et les jours suivants l'affaire fut discutée au Reichstag à l'occasion du vote du budget militaire. En réponse aux interpellations, le chancelier prince Bulow en fit un cas d'exception, le corps des officiers ayant un esprit noble. Le général von Einem, ministre de la guerre déclara dans sa réponse : "Le nom de Forbach, jadis un nom honorable qui remplissait nos cœurs de fierté en souvenir de la bataille de Spicheren du 6 août 1870, répand aujourd'hui une ombre sinistre mais nous pouvons dire, à bon droit, que les officiers qui ont commis de pareils délits, ne sont pas de véritables officiers comme ils doivent l'être en Prusse... Je vous donne la garantie qu'un deuxième Forbach est impossible dans l'armée..." ce que Bebel, chef des social-démocrates, compléta "jusqu'à ce qu'apparaisse un deuxième Bilse" et il reprocha à Biilow de ne pas avoir répondu sur les abus, notamment les brutalités bestiales dans l'armée pouvant entraîner mort d'homme. Le chancelier promit que les brutalités, envers les soldats seraient extirpées. Guillaume II a pris des mesures par ordre de cabinet. La Forbacher Zeitung écrivit : "Forbach a la réputation d'un sale petit trou pour le monde entier". Effectivement le roman traitait la ville de "Drecknest", de "Ende der Welt". Rien n'est plus faux : ce chef-lieu de cercle avait en 1903 8 000 civils et 403 militaires. Les mines et les usines ignoraient tout chômage, deux journaux locaux y prospé­ raient, de nombreuses sociétés y organisaient bals, concerts, variétés dans le Hohenzollernsaal, le conseil des onze de la Forbacher Carnevalgesell- schaft réussissait un carnaval rhénan réputé et les bals masqués attiraient les foules au Lothringer Hof au Café Winter, à la Narhalla de la Wilhelm- shôhe. Forbach était la seule petite garnison où le train conduisait dans la grande ville de Sarrebruck en dix minutes. La Frankfurter Zeitung a publié un reportage, en novembre 1903, sur les petites garnisons frontalières lorraines. Saint-Avold avec 3 000 civils et 2 539 militaires serait : "une ville qui sent l'ennui" avec une gare excentrée de 2,5 km. On y pratique des prix d'usure, un logement de Rittmeister y revient à 1550-1800 marks. Pour tuer le temps, il ne reste que l'ivrognerie ("sich den Buckel vollsau- fen). : "c'est la poussière en été, la boue en hiver", les soldats paient 10 Pf la danse et de plus, faute de jeunes filles, doivent danser entre eux. , où un général s'est suicidé, ne connaît qu'un attrait : "la vraie bière munichoise". Thomas Mann, poursuivi à la même époque pour "Die Buddenbrooks" souligna la médiocrité littéraire de Bilse, dont la gloire fut éphémère.

II. Le bilan

Si l'on excepte l'endettement municipal (462 000 M) et la mutilation territoriale du ban en 1893 au profit de Petite-Rosselle qui diminua la population de 1 258 personnes, la ville ne conservant que Marienau et Schoeneck comme annexes, le bilan est loin d'être négatif. C'est en 1886 que Jean-Baptiste Adt organisa une pétition pour imposer au maire Heydinger une garnison permanente comme stimulant du commerce. Auparavant Forbach n'avait eu que des garnisons éphémères grâce au Vieux Couvent. A partir de 1887 l'effectif fut de l'ordre du bataillon. Le 1er avril 1890 crée le Bezirkskommando Forbach. Le 1er octobre 1893 la nouvelle caserne de la Wilhelmshôhe sur la chaussée de Morsbach vit arriver la première garnison permanente, le 16e bataillon du Train. La population protestante, qui passe à 13 % du total en 1900, dispose depuis le 1er novembre 1892 du beau temple de la rue Sainte-Croix, inauguré en présence de von Hammerstein, président de Lorraine et de trois directeurs de cercle.

Dans le même ordre d'idées, le crédit fut développé. Le 18 novembre 1886 J.-B. Adt et huit personnalités forbachoises fondèrent la Banque de Forbach pour stimuler le commerce, l'artisanat et l'agriculture. Jusque là, seule une agence de la Caisse d'Epargne de Sarreguemines recueillait les fonds. En 1891, le conseil municipal décida la création de la Caisse d'Epargne de Forbach homologuée le 2 janvier 1892 par le Statthalter au nom de l'Empereur. Installée à la mairie, elle ne réalisa la première année qu'un bénéfice de 6,10 marks et dut lutter jusqu'en 1939 contre la concurrence sarregueminoise. Dès 1898, elle put consentir à la ville un prêt de 180 000 M pour développer le réseau de canalisations d'eau potable. En 1906, elle centralisait un dépôt de 1,6 M de marks et à la veille de la Grande Guerre de 1,9 million. Les Adt vendirent à la compa­ gnie Francke de Brème le Gas-und Wasserwerk (usine à gaz et d'eau) que la ville ne pourra jamais racheter. La firme de Wendel s'en rendra maître après la Grande Guerre et disposera d'un instrument de pression dans l'élaboration des tarifs, source de conflits. Les communications furent améliorées dans le domaine postal et ferroviaire. Le 15 juillet 1899, la Poste de la rue Nationale, un vaste bâtiment couronné d'un dôme surmon­ té d'un clocheton, ajoutait, à sa station télégraphique, une station télépho­ nique facilitant les affaires avec Francfort-sur-Main ou Metz. L'année suivante, le maire Wolter obtint un meilleur trafic ferroviaire : cinq trains avec Strasbourg via Béning-Sarreguemines, huit trains avec Metz dont un Francfort-Paris, neuf trains avec Sarrebruck. L'enseignement fut complé­ té par l'ouverture d'une école primaire dans l'annexe de Marienau en octobre 1892. L'immigration allemande favorisa la création, en 1901, d'une "Städtische Höhere Mädchenschule", école communale supérieure interconfessionnelle de jeunes filles, une concurrence pour le Pensionnat des Sœurs de Peltre. L'Etat supportait le septième du budget. L'urbanisme s'embellit de l'achèvement de l'allée de l'Empereur Guillaume. De 1891 à 1895, cette artère scolaire s'enrichit du nouveau tribunal cantonal, la ville étant contrainte d'y contribuer pour 27 000 Mk. De 1897 à 1902 la fonction administrative fut complétée par la nouvelle direction de cercle, la quatrième depuis 1871, l'actuelle sous-préfecture. C'est pendant cette période que le Schlossberg reçut un embellissement définitif. Gustave Adt entreprit de 1886 à 1892 des fouilles archéologiques dégageant les ruines. L'architecte Tornow édifia un Rittersaal avec fenêtre Renaissance et construisit sur le soubassement rond de l'ancienne tour Saareck d'Arnold de Sierck, la tour octogonale devenue l'insigne caractéristique de la ville. Le parc fut embelli en 1900 avec une sapinière, le professeur Stolz de Kaiserslautern aménagea la terrasse et le monument de Bismarck que remplace maintenant le général Houchard. Une ferme modèle, en néo­ gothique, le Burghof, fut érigée en 1901. Le pavillon de chasse servait à Gustave de cadre pour recevoir les plus importantes personnalités, comme en témoigne un Fremdenbuch, ou encore aux fêtes qu'il donnait à son personnel.

Par rapport à Gustave Adt, le Dr. Louis Couturier ne pouvait rivaliser ni par la fortune, ni par les relations politiques ou sociales, ni par leur goût commun des grandes chasses. Il résidait dans sa belle villa de la rue de la gare, construite en Jugendstil et modernisait ses tuileries par la création d'une centrale électrique en 1901 et l'installation d'un téléphérique en 1907. Construit par la firme Bleichert de Leipzig, long de 6 km, il amenait l'argile depuis , , Behren, la descente du Kreuzberg jusqu'au cœur de l'usine de la Verrerie, remplaçant avantageusement les voituriers. Tandis que les Adt et Couturier se disputaient âprement la prééminence à Forbach, la famille de Wendel se contentait de dominer Petie-Rosselle et Stiring-Wendel mais ne jouait encore aucun rôle politique ou social à Forbach. Leur activité minière fut renforcée par l'ouverture en 1907 du puits Simon I, la production des mines de Petite- Rosselle était passée de 957 000 t en 1900 à 1 330 000 t en 1906. Aux élections du Reichstag, en 1893, l'abbé protestataire Colbus de Neunkir- chen sut gagner la confiance des électeurs de la circonscription Forbach- Sarreguemines mais la protestation disparut définitivement en 1898 avec l'élection du baron Xavier de Schmid de Sarralbe, un Lorrain indépendant des partis allemands. Son réalisme et sa modération le firent réélire en 1903. Il abandonnait toute opposition stérile et systématique et réclamait l'égalité des droits pour l'Alsace-Lorraine. Le gouvernement le classait conservateur indépendant. C • L'intégration (1907-1914)

Elle est la conséquence de la prospérité économiques et sociale, de l'arrivée à l'âge d'homme de générations n'ayant pas connu la France, de la percée du Centre allemand soutenu par un clergé effrayé par le combis- me en France.

Sur le plan local, l'ère Wilhelm Stieb (1907-1918) marqué par une gestion ambitieuse et équitable, a apporté apaisement et prospérité. Instruit par ses revers et menacé par le Centre, Couturier se rapprocha de Gustave Adt. De tendance conservatrice du Bloc lorrain, il est réélu en 1906 comme conseiller de cercle avec 2 206 voix et succède, la même année, à Massing comme Délégué à la Dière régionale de Strasbourg, membre du Bloc lorrain. La percée du Centre fut moindre à Forbach que dans le reste du canton. Aux élections du Reichstag, en 1907, le centriste Hoën enleva le siège avec l'appui du clergé hostile aux libéraux et aux socialistes. A Forbach, l'archiprêtre, Stanislas Rigault de Sarralbe, les curés de Spicheren et de Kerbach ne participèrent pas à l'agitation. A Forbach, Hoën obtint 676 voix, le libéral Max de Jaunez soutenu par les notables et le gouvernement, 662, le socialiste 378. Par contre, aux élecions communales générales de 1908, Adt et Couturier firent cause commune dans la Liste de Sauvegarde des intérêts généraux de la commu­ ne contre la liste centriste de l'avocat Schaul qui n'eut qu'un élu. Les deux notables eurent la majorité avec 14 sièges. Couturier fut élu avec 860, Adt avec 825 voix, Schaul n'eut que 350 voix.

Les élections au Reichstag de 1912 virent l'accentuation du succès centriste à Forbach où le Dr Schatz obtint 779 voix contre 552 au candidat progressiste et 287 au socialiste mais rien ne sera changé sur le plan local avant 1935. En 1912, l'adjoint Muller demanda au conseil municipal de proposer au gouvernement de renouveler pour six ans le mandat du maire Stieb : "qui a gagné la confiance de tous les citoyens". La proposition fut adoptée par dix-huit voix contre deux bulletins blancs. Le Statthalter renouvela le mandat de Stieb avec effet du 1er septembre 1913. le 7 mai 1914 se déroulèrent les élections municipales générales dans un calme général. Le dernier conseil municipal de 24 membres reflète toutes les couches sociales : deux sièges à l'industrie (Adt et Couturier), trois au grand commerce, deux au petit commerce, cinq à l'artisanat, trois aux professions libérales (deux médecins et un avocat), un au transport puis trois employés, deux mineurs, un rentier, deux retraités. Le gouvernement agréa la nomination des trois adjoints proposés dont celle de Couturier pourtant vilipendé par le Strassburger Post qui le traita de député nationa­ liste battu en 1911 par le syndicaliste chrétien Collet, suspect par le maria­ ge de ses deux sœurs avec des officiers français. Le Statthalter le considé­ rait comme loyal et favorable à l'Allemagne et le nomma deuxième adjoint en août 1914. La ville a fortement progressé sous la gestion de Stieb par une politique de grands travaux et d'emprunts. Dans son rapport du 15 novembre 1911 Stieb constate que la ville a une des plus mauvaises situations financières des communes du Reichsland, qu'elle ne possède qu'une très petite fortune communale. Selon lui, elle supporte le résultat désastreux de la mauvaise gestion issue des luttes politiques locales de 1896 à 1906. Depuis la dissolution, la meilleure administration et les emprunts ont permis de construire un nouveau bâtiment pour l'école réale promue Oberrealschule (école réale supérieure) le 6 septembre 1909, d'installer l'école supérieure des filles dans l'ancien tribunal cantonal transformé, d'agrandir les écoles des deux annexes, de donner à Marienau un lavoir, à Schoeneck une conduite d'eau potable, d'agrandir la mairie, d'investir 630 000 Mk dans le développement de la canalisation urbaine, de construire un immeuble neuf pour l'administration des Poids et mesures (Eichamt). Pour stimuler le commerce, on envisagea de faire de la ville le centre d'un réseau de lignes de tramways électriques pour le Bassin houiller, l'électricité étant fournie par la nouvelle centrale électrique de la Société de la Houve de . Finalement on laissa dans les cartons les liaisons de Forbach avec Medebach et avec Sarre- bruck, à quoi le commerce local était hostile, l'ingénieur Schulze de Susseldorf construisit la ligne Stiring-Forbach-Petite-Rosselle. Inauguré le 30 mars 1911, le tramway exploité en Régie municipale, dura jusqu'à la Deuxième Guerre Mondiale.

La ville tira grand profit du renforcement de sa garnison. La construction de la caserne Schönblick (Bellevue) nécessita un gros emprunt mais aurait dû être amorti par le loyer payé par l'Etat. Le 1 juillet 1911, la ville reçut deux bataillons du 10e Régiment d'infanterie de Lorraine n° 174, le troisième restant provisoirement à Strasbourg. En 1913, s'y ajouta une compagnie de mitrailleuses et le 16e Train fut rempla­ cé par le 21e Train. La même année fut achevée la construction du nouvel hôpital Marie-Madeleine auquel furent donnés les prénoms de l'épouse et de la belle-sœur de Jean-Baptiste Adt par suite d'un don de 100 000 Mk et du terrain. L'hospice Bauer ne fut plus que maison de retraite, crèche et centre d'une Volksküche (soupe populaire). La Maison de Peltre fournis­ sait à la ville, en 1912, trente Sœurs de la congrégation pour ses écoles, hôpital et hospice.

L'endettement de Forbach passa de 2 194 130 Mk au 1er avril 1911 à 4 861 942 Mk dans le budget de 1912 dus à quatre caisses d'épargne de la Lorraine, à une d'Alsace et à une banque de Francfort sur le Main. Le Président de Lorraine reconnaît dans son rapport, le 22 août 1912 que la situation financière n'est pas bonne mais estime qu'elle n'est pas la pire des grandes villes lorraines. Il oubliait que le centime additionnel rappor­ tait 1 700 Mk à Sarreguemines, 1 800 Mk à Thionville et seulement 990 Mk à Forbach. Toutefois il paraissait supportable au vu des manufac- tures florissantes, de l'essor houiller de Petite-Rosselle : 2 210 000 t sur un total de 3 795 975 t en 1913 avec un effectif de 8 000 mineurs sur un total de 14 000 et on attendait l'ouverture de Simon II pour 1914.

Conclusion

La ville de Forbach, malgré le remaniement de son ban en 1893, a incontestablement profité de 1871 à 1914 de l'essor général allemand. Elle doit à cette période sa fonction de chef-lieu de cercle, de centre administratif, commercial, résidentiel, d'importante ville industrielle et de capitale minière, de garnison frontalière, d'un enseignement secondai­ re de qualité. Sa population a doublé (105,8 %) au même rythme que celle de Strasbourg (108,9 %). L'issue de la Grande Guerre posera à sa munici­ palité de redoutables problèmes financiers, économiques et sociaux source de troubles locaux et d'une lente croissance voisine de la stagnation.

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