BORNAGES AUTOUR DE LA SEIGNEURIE DE MARIGNY : LES TERRES DE LA BUSSIÈRE ET LES TERRES DE G1TEAUX A GERGUEiL

par M. Albert COLOMBET

Autour de la Baronnie de Marigny s'étendaient les domaines de deux importantes abbayes. La Bussière et son vaste finage, Cîteaux qui possédait Gergueil. Les seigneurs de Marigny entrèrent à plusieurs reprises en conflit avec leurs voisins. Nous avons voulu retrouver sur le terrain l'écho de ces contestations, terminées par des bornages matérialisés par de nombreuses bornes armoriées. En même temps nous avons procédé à la recherche de toutes les anciennes limites de la terre de la Bussière, ce qui nous fit découvrir d'autres bornes armoriées, à la limite de la Bussière et des seigneuries de Veuvey et de . Nous espérons que cette étude enrichira nos connaissances sur les bornages d'autrefois.

LA BUSSIÈRE

Le territoire de La Bussière correspond à peu près à celui qui était possédé par l'Abbaye. On sait que celle-ci put être fondée grâce à une donation d'un Seigneur de Garnier II qui lui assura un vaste domaine allant de l'Oizerolle jusqu'à la vallée de l'Ouche (Très Vallès). Les limites de ce territoire étaient jalonnées de bornes ainsi qu'il résulte d'un procès-verbal de reconnaissance des limites et confins de la seigneurie de La Bussière en 1561 et de plans dressés en 1579 et à la fin du xvne siècle 1. L'acte de 1561 signale au moins 38 bornes dont 7 armoriées. Il y en avait 5 entre les territoires de Grenand, Barbirey et Jaugey et deux dans les bois dits de Bouhey aujourd'hui.

1. Arch. dép. Côte-d'Or, 12 H 78, 79, 80. Copie de l'acte de 1561 dans 12 H 180 162 ALBERT COLOMBET

II était tentant de suivre les limites actuelles et d'essayer de les retrouver l. Nous en trouvâmes même plus qu'il n'en était signalé. De plus l'acte omet certainement de dire que certaines bornes étaient armoriées. Les plans facilitèrent aussi nos investigations et nous aidèrent à repérer diverses bornes.

* * * Avant de décrire ces bornes, prenons donc connaissance de l'acte de 1561. Le rédacteur et les personnes qui l'accompagnaient se transportèrent au nord du territoire de La Bussière, du côté de la Justice de Grenand. Là ils trouvèrent une grosse borne armoriée au blason de La Bussière. Cette borne a disparu. Il n'existe à la limite de Grenand et de La Bussière qu'une seule borne, paraissant d'ailleurs ancienne, mais sans aucune gravure. Etant d'accès facile, elle a pu être martelée complètement à la Révolution (hauteur : 0,35 m, largeur : 0,25 m). Le groupe se transporta ensuite sur les limites de La Bussière et du territoire de Jaugey (Barbirey), en Terre Blanche, puis en Chaume Cormot. Lors de son trajet, il reconnut trois bornes armo- riées. Au dessus de la montée de Comberainbœuf-le-Haut, autre borne armoriée. Nous avons retrouvé trois de ces quatre bornes. Du côté de Jaugey (seigneurie de Marigny) on voit un blason en forme d'écu bandé à trois traits. Du côté de La Bussière, une crosse (fig. J). Le groupe a suivi un très vieux chemin venant de Sombernon et descendant à La Bussière, considéré par certains comme une vieille piste gauloise. La limite suit à peu près le fond du vallon de Comberaimbœuf, mais son tracé exact fut sujet à contestation ainsi qu'en témoigne tout un volumineux dossier, à compléter par un plan établi en 1579 2. Pourtant en 1259, Guillaume, Seigneur de Marigny, en présence de Renaud de Grancey, seigneur de Larrey, avait abandonné les droits qu'il prétendait avoir sur les bois du Bouchet et de Combe- raimbœuf et surtout déclaré qu'il ne possédait rien au-delà de la Serrée. La limite alors partait « a dente rupis de Buyes » (de la pointe de la roche de Bœuf), descendait jusqu'au « Vadum de Noa »

1. Recherches poursuivies au cours d'une douzaine de sorties, en collabo- ration avec M. Charrier, de Barbirey-sur-Ouche, membre associé de l'Académie de , et M. Yves Theurot. 2. Arch. dép. Côte-d'Or, 12 H 160 et 12 H 79.

164 ALBERT COLOMBET

(plus tard Gué de la Nouhe) en partageant le bois du « Boichat » (Bouchet), passait au « Pré Agé » et gagnait « Cumba Raimbeu ». Mais La Bussière dut verser au seigneur de Marigny 120 livres. Sans doute cette limite resta indécise dans le vallon. D'où le procès que déclencha l'arrachement de plusieurs bornes en 1576. Le Seigneur de Marigny prétendait que la limite quittait le ruisseau de Comberaimbœuf et le fond du vallon pour se rapprocher de La Bussière, passait sur la « montagne » de Beauregard (sur laquelle •étaient plantées autrefois les fourches patibulaires de La Bussière, à l'endroit où le chemin venant de Comberaimbœuf s'incline pour redescendre à La Bussière ; on y voit d'ailleurs encore un amas circulaire de pierres) puis arrivait non loin de la Tuilerie (celle-ci subsiste presque intacte avec sa salle sur piliers) pour gagner le Pré . La Bussière prétendait que la limite suivait à peu près le fond du vallon jusqu'au Pré Bragny, traversait les prés de Char- moy et aboutissait au Pré Agey. Les terrains contestés ne repré- sentaient pas de grosses surfaces, mais en ce temps là la moindre parcelle soulevait une question de principe. L'affaire fut portée à la Chambre des Requêtes du Parlement. Nous avons l'enquête organisée par La Bussière. Tous ses témoins vinrent déclarer que la limite passait au coin du jardin d'Emilan Vignolle à Comberaimbœuf le Haut (borne) puis suivait une haie de saules et de frênes (borne) jusqu'à un poirier, près duquel il y a une autre borne. Puis la ligne tirait au Pré Guenant, ou Pré Bragny et au champ de la Serrée (autre borne dans une brosse), au Champ Charmoy (autre grand poirier) et de là au gué de la Noue jusqu'à la Roche de Bœuf. Tous ces témoins avaient l'habitude de passer par là venant de , Echannay, Sombernon et autres lieux pour se rendre à , Verdun, Chalon, Nuits, etc. Plusieurs précisèrent que le juge de La Bussière tenait ses jours près du Poirier du Pré Charmoy. Ils indiquèrent encore que si leurs chevaux allaient pâturer sur Marigny au-delà de la limite qu'ils indiquaient, ils avaient affaire aux gardes de ce seigneur, et inversement. Ils n'avaient vu aucune autre borne finagère sur le tracé prétendu. S'il y a des bornes, celles-ci ne sont que séparatives d'héritages. Le 6 août 1579 le Seigneur de Marigny était débouté de ses prétentions et les religieux réintégrés dans leur justice. Cependant le 4 août 1580, le Seigneur de Marigny et l'abbé transigèrent et décidèrent que, pour matérialiser la limite, des bornes armoriées seraient plantées. Cela ne dut pas être réalisé car on trouve un arrêt du 14 août 1614 ordonnant l'exécution de la sentence de 1579 et de la transaction de 1580. BORNAGE AUTOUR DE LA SEIGNEURIE DE MARIGNY 165

Quoiqu'il en soit, la thèse de La Bussière dut prévaloir puisque c'est la limite actuelle. Revenons à notre procès-verbal qui dès 1579 consacre évidemment ce tracé. Après la borne du pré Agey, le groupe rencontra plusieurs bornes fixées « au bout du rocher Jalise » puis une autre au Champ de la Plante, puis grimpa le bois du Bouchet jusqu'à une croix appelée « la Croix de Messire Estienne » où à deux pieds de la roche se trou- vait une borne. En raison de ce que le creusement du canal et l'établissement de la ligne de chemin de fer ont bouleversé un peu la topographie,, il nous a été difficile de retrouver les bornes signalées. Un autre texte 1 nous précise que la limite séparait le bois du Bouchet et le Bois de la Planche. Une « grosse roche » servait de borne. Le plan % indique quatre bornes. Elles existent encore parfaitement conservées ainsi que plusieurs pierres qui, bien plan- tées, ont pu aussi servir de bornes. Ces bornes sont formées d'un bloc de rocher brut, plus ou moins taillé. La première en forme de cône est le long d'un chemin rural à travers le bois (hauteur : 0,75 m) (fig. H). Plus haut, borne de 0,60 m de hauteur, puis une borne renversée, puis une borne équarrie de 0,50 m de hauteur sur 0,60 m de largeur. La dernière « à deux pieds du rocher » existe toujours, solidement implantée. Elle dépasse les éboulis de 0,25 m. La Croix Messire Estienne devait s'élever probablement à l'extré- mité de l'éperon, à la cote 489. « La Roche de Bœuf » de 1259. Il y a à cet endroit un très beau belvédère au dessus de la roche, mais nous ne repérâmes aucune trace de croix. De cette roche le groupe descendit vers le Sentier de Bœuf en suivant une murée où il y a encore une borne. En fait, la murée faisait la lisière du bois. La borne signalée, toujours debout, est l'une des plus belles que nous avons rencontrées car elle paraît assez bien équarrie. Elle est haute de 0,55 m, large de 0,50 m et son épaisseur de 0,40 m. Elle n'est pas évidemment armoriée (fig. G). Le groupe gagna les fontaines de Brise-Gasteau où se dressait une autre borne. Le sentier de Bœuf existe toujours mais envahi par la végétation. Tout ce secteur est en friche et il est malaisé de s'y reconnaître. Quant aux fontaines de Brise-Gasteau, elles ont été captées. Leur nom est pittoresque. Est-ce le sobriquet d'un

1. Arch. dép. Côte-d'Or, 12 H 180. 2. Arch. dép. Côte-d'Or, 12 H 80. 166 ALBERT COLOMBET ancien propriétaire ou ce toponyme fait-il allusion à la nature tuiïante de la source ? De cette source, le groupe gagna une murée tendant à une borne sise au-dessous du Champ Moreau, puis longea une grande murée allant jusqu'au finage d'. Là une borne faisait la limite des seigneuries de La Bussière, d'Antheuil et de Marigny. Nous pourrions aussi ajouter de celle de Veuvey, puisqu'actuellement le territoire de Veuvey finit aussi à cet endroit et qu'un texte de 1584 fait allusion à quatre Seigneurs K

LA BUSSIÈRE Ancienne borne côté Ouche

Le groupe arriva alors sur la Montagne de Chastoillon (qui tire son nom d'un éperon barré protohistorique assez bien conservé) et descendit sous les roches jusqu'à un « thillot » près duquel était une borne. Sur un plan de la fin du xvne siècle les bois sis à droite du parcours des enquêteurs se dénomment Ruère, puis le Murot (allusion au rempart de Chastoillon). Une borne est figurée au début : c'est sans doute la borne sise au-dessous du Champ Moreau. A peu près à l'emplacement indiqué existe une grande borne sans inscription. La borne des quatre seigneuries semble avoir disparu. Par contre,

1. Arch. C.-Or, 12 H 174. BORNAGE AUTOUR DE LA SEIGNEURIE DE MARIGNY 167

à l'endroit où s'élevait la borne du Thillot « au milieu [de la lisière] du bois de Chastoillon » côté vallée de l'Ouche (dit une autre version), existe une borne, qui paraît plus récente que le milieu du xvie siècle. Cette borne est haute hors de terre de 0,62 m et large de 0,38 m. Elle porte gravés un D et une crosse sur la face regardant Veuvey. D'après le plan de la fin du xvne siècle, cette borne était aussi marquée sur l'autre face, côté La Bussière, des lettres T et B, qui restent pour nous énigmatiques. Mais ces lettres n'apparaissent plus car tout le côté s'est délité. On notera la disposition des gravures. Généralement la crosse de La Bussière devrait être du côté de l'abbaye. Mais non, ici, elle se présente au visiteur qui aborde le territoire comme pour lui dire : vous entrez maintenant dans le domaine de La Bussière. La limite actuelle traverse, comme je l'ai dit, le bois de Chastoillon (nom aujourd'hui défiguré en Champoillon) et le procès-verbal semble confirmer que telle était aussi la limite au xvie siècle. Le plan de la fin du xvne siècle cité est aussi conforme. Or, au cours de nos investigations, nous avons rencontré deux bornes timbrées d'une crosse dans le vallon, au sud, comme si La Bussière avait aussi possédé la portion sur Veuvey du bois de Chastoillon. La première de ces bornes, en amont, est haute de 0,70 m et large de o,37 m (fig. F) ; la seconde, en aval, haute de 0,58 m et large de 0,40 m. La crosse est accompagnée de la lettre D. La borne en amont offre un simple V de l'autre côté. On songe à l'initiale de Veuvey. Peut-être ces bornes furent remployées. Continuons à suivre nos prudhommes. Du Thillot la limite tirait contre le pré des Angles et le grand chemin de Beaune, où il y avait une borne. Outre l'Ouche, le goupe rencontra le Pré du Charme, puis escalada le Ray appelé Corte Espée. La Fontaine des Angles, Courte Epée figurent sur la carte de l'IGN. Par « ray » il faut entendre sans doute ravin. Le creusement du canal, l'ouverture de carrières de chaux ont perturbé ce secteur. En montant le long de ce ray existait une haute et apparente borne avec crosse gravée. Nous n'avons pu la retrouver. Au-dessus de la Combe de Corte Espée, le procès-verbal signale une borne ; puis au milieu du Bois de la Brosse, une autre ; puis au Champt de Veuvey et à la Cosme de Créault encore deux autres. Fait curieux, il n'indique pas que ces bornes sont gravées. Or, à cet endroit, il existe quatre belles bornes crossées que nous décrirons tout à l'heure. Le plan de la find u xvne siècle marque cinq bornes. En effet, il y en a une cinquième mais non gravée (hauteur : 0,85 m). La limite suit alors une murée effondrée et celle-ci suffisait pour assurer la démarcation. 168 ALBERT COLOMBET

Le groupe gagna le bout du Bois du Fay, au Seigneur de Château- neuf, les Usages de Bouhey, le dessus de la Comme au Lièvre où il y a aussi une borne armoriée. Nous n'avons pu retrouver cette borne ancienne, à moins que ce ne soit, près de la limite du bois, une très grande borne que les intempéries ont délitée (hauteur : o,65 m). La face sculptée a pu disparaître ainsi. Par contre, il existe sur ce parcours deux bornes, plus récentes, bien équarries et gravées d'une crosse. La Coupe des Lièvres, sur la carte IGN doit rappeler la Corne au Lièvre. De là le groupe arriva au Chemin du Moulin venant de Bouhey et se dirigeant vers LaBussière (nous pouvons nous demander quel intérêt les habitants de Bouhey pouvaient avoir à aller moudre leur grain aux moulins de La Bussière [il y en avait au moins deux], alors qu'ils en avaient un ; sans doute en raison de ce que les moulins monas- tiques étaient plus avantageux). Une borne y est signalée ainsi que plus loin une autre en un Chaumeau appelé le Fol Pignard, une autre encore au bout du Champ de Bryon, une autre aussi au pied d'un poirier au lieu appelé le Grand Cormont, une autre enfin près du Buisson à la Ratte. Au cadastre de Bouhey figure : le Vau Pignard. Les prudhommes atteignirent le grand chemin allant au Bois de Chaumont appartenant au Seigneur de Châteauneuf, suivirent la lisière de ce bois jusqu'à la Maison de la Borde. Au cours de leur trajet, ils rencontrèrent quatre bornes. De là, ils gagnèrent la Croix Humbert, qui devait se trouver à la cote 508, puis la Roche de Vauljuin, les Bordes, le Fol au Prêtre, où il y avait une borne, atteignirent une murée le long du Chemin de Vandenesse (borne), suivirent le long des Champs des Roches de Crosson, la Charrière- ès-Loups (borne), gagnèrent le Poirier de la Brosse, le long du chemin allant à , puis des Forches, longèrent la lisière du Bois de la Brosse jusqu'à une fontaine dénommée Roche Veuve et atteignirent le chemin qui venait de Sombernon et de là se retrouvèrent à leur point de départ. Tout cet itinéraire est assez malaisé à suivre sur le terrain. D'ailleurs la limite a dû se modifier car actuellement elle ne passe pas à la ferme de la Borde. Ca et là nous n'avons pu repérer que quelques petites bornes sans caractère. Les Bordes, après Vauljuin, doivent se rapporter à des restes de constructions dans les bois au sud du Vallon de Champ Piquet. Le vieux chemin de Vandenesse mérite quelques notes. Il accède au plateau par un trajet encaissé, bordé par deux énormes murs, constitués par des assises ordinaires et dans leur partie supérieure par cinq assises en oblique. Je n'ai jamais vu de telles structures pour un chemin rural. BORNAGE AUTOUR DE LA SEIGNEURIE DE MARIGNY 169

Certains lieux-dits existent toujours plus ou moins transformés : Combe Créau (Créa), le Bois du Fays, les Usages de Bouhey, le Grand Cormont, le Bois de Chaumont, la Borde, la Roche de Vau- juin (Vaugien), les Roches de Crosson ; la Charrière au Loup doit être voisine de la Fontaine-au-Loup. D'autres lieux-dits ne se retrouvent plus. La Fontaine Roche Veuve doit être celle qui sourd dans le parc de l'Oizerolle. Les bornes que nous avons pu reconnaître au cours de nos pro- spections sont de trois types différents : A) Les plus anciennes (entre La Bussière et Veuvey).

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De Courte Epée aux Cendrières : 1° Crosse avec lettres L BO. Hauteur : 0,55 m ; largeur : 0,55 m ; épaisseur : 0,20 m. (E du plan). 2° Crosse avec lettres LA BOY. Hauteur : 0,85 m ; largeur à la base : 0,80 m ; épaisseur : 0,15 m. (D du plan). 3° Crosse avec lettres LA BO. Hauteur : 0,50 m ; largeur : 0,70 m. (C du plan) 4° Crosse avec lettres L BO, mais inversées. Hauteur : 0,65 m ; largeur : 0,50 m ; épaisseur : 0,15 m. (B du plan). Le lapicide avait sans doute entre les mains un dessin qui d'ailleurs ne correspond pas à celui des trois premières bornes. Il l'a calqué à l'envers. La crosse a sa volute à gauche. Ce qui tendrait à prouver qu'il n'était pas nécessaire aux graveurs de ce temps de savoir lire et écrire..., fait d'ailleurs que l'on peut induire de la lecture de certaines inscrip- tions ou de certaines suscriptions de pierres tombales. Il n'y a rien sur l'autre face de ces bornes. 170 ALBERT COLOMBET

De quand peuvent-elles dater ? Je n'ai trouvé aux Archives aucune pièce se rapportant à un conflit de limites entre les deux Seigneuries de La Bussière et de Veuvey. La forêt se dénomme aujourd'hui : Forêt de Bouhey. Est-ce parce qu'autrefois les seigneurs et habitants de Bouhey avaient des droits même sur les bois situés sur le territoire de Veuvey ? Rien dans les Archives ne le laisse supposer. Cependant dans cette hypothèse nous pouvons faire valoir que les religieux furent à plusieurs reprises en lutte aux prétentions des Seigneurs et habitants de Bouhey (en 1191, 1229, 1259, 1277). Mais je n'ai pas trouvé d'acte de bornage. D'ailleurs nos bornes ne paraissent pas dater de cette haute époque. D'après la forme des lettres ainsi que d'après la grossièreté de la taille de ces bornes, j'avais pensé au xive siècle, d'autant plus qu'on n'a écrit LA BOY (ssière) qu'au xme siècle. B) Bornes paraissant assez anciennes. Elles se trouvent sur la limite de La Bussière et de Barbirey- Jaugey. Ces bornes sont petites et assez bien équarries. Du côté de La Bussière, une crosse au dessin assez renflé mais avec volute — du côté de Jaugey, un écu bandé. La forme de cet écu est celle qui fut en usage jusqu'au xvie siècle. De la justice de Grenant à Comberainbœuf-le-Haut : 1° hauteur : 0,30 m ; largeur : 0,27 m ; épaisseur : 0,23 m (fig. J) 2° — : 0,35 m ; — : 0,30 m ; : 0,20 m 3° — : 0,25 m ; — : 0,30 m ; : 0,20 m 4° — : 0,25 m ; — : 0,26 m ; : 0,23 m II est fait mention de contestations entre La Bussière et Jaugey au xive et au xvne siècle \ C) Bornes plus récentes. Deux se trouvent à la limite des territoires de Bouhey et de La Bussière. Elles n'offrent qu'une crosse gravée d'un type assez renflé mais sans volute. Des Cendrières au Creux de l'Essart : 1° hauteur : 0,45 m ; largeur : 0,35 m ; épaisseur : 0,15 m (fig. L) 2° — : 0,40 m ; — : 0,25 m ; : 0,15 m (fig. K) On trouve en 1526 une enquête faite au sujet du Bois de Créa et de Justice prétendue en icelui par le seigneur de Bouhey contre

1. Arch. C.-Or, 12 H 59-60. BORNAGE AUTOUR DE LA SEIGNEURIE DE MARIGNY 171

La Bussière1. Ce différend se termina par un accord en 1536. Peut-être fut-il suivi d'une plantation de bornes. La forme de la crosse gravée peut remonter au xvie siècle. Trois autres existent du côté du Bois de Chastoillon, vers Veuvey- Antheuil. J'ai donné leurs dimensions plus haut (fig. F). Elles peuvent dater du xvne siècle. En effet elles figurent sur le plan de la fin du xvne siècle 2. D) Bornes sans gravure. Nous en avons cité au cours de cet exposé un certain nombre. Les unes sont de véritables blocs de roche brute, les autres sont plus ou moins dégrossies. Je fais remarquer que quelquefois c'est une murée plus ou moins effondrée qui tient lieu de limite. Le procès-verbal cité en signale plusieurs. Cette étude montre que, contrairement à ce qu'on peut penser, les territoires des seigneuries n'étaient pas totalement délimités par des bornes. En fait, les bornes et principalement celles armoriées n'existent surtout que s'il y a pu avoir une contestation. A vrai dire les habitants d'un village avaient autrefois une fréquentation intime de leur terroir et connaissaient exactement par où une limite passait. Aujourd'hui encore, les vieux paysans, même dans les terrains en bois ou en friche savent retrouver la limite. Aussi les contestations ne devaient guère être possibles.

GERGUEIL

Le territoire de Gergueil appartint à l'Abbaye de Cîteaux dès sa fondation 3. On sait que Gergueil est un modeste village du plateau qui s'étend entre la Côte et la Vallée de l'Ouche. C'est une région un peu deshéritée, cultivée avec peine, entourée de bois. Notre confrère de Barbirey, M. Charrier m'avait signalé l'existence de bornes figurées à proximité du chemin de Saint-Jean-de-Bœuf à Gergueil. En fait, le chanoine Chaume en avait entretenu notre Commission à la séance du 15 mai 1940, mais il n'avait présenté que quelques

1. Arch. C.-Or, 12 H 88. 2. Arch. C.-Or, 12 H 80. 3. Cf. J. RAZAFINAMDIMBY-ROOZEBOOM, Recherches sur trois granges de l'abbaye de Cîteaux au Moyen Age. Gergueil, Détain et Crépey, D.E.S., Dijon, 1967. 172 ALBERT COLOMBET croquis et il n'avait pas pu donner par la suite les éclaircissements qu'il avait annoncés x. Aussi, nous reprîmes la question et ayant suivi la limite, nous résolûmes de repérer méthodiquement toutes les bornes. Notre prospection fut fructueuse puisque nous parvînmes à retrouver une quarantaine de bornes dont 18 figurées. Toutes s'échelonnent uniquement sur la limite du territoire de Gergueil avec ceux de Saint-Jean-de-Bœuf, Saint-Victor et Gissey- sur-Ouche. Cette limite nécessitait un bornage assez précis car elle se trouve à flanc de coteau et il était nécessaire qu'elle soit marquée très exactement. Nous avons parcouru vainement les limites avec les autres territoires de Ternant, , Quemigny-Poisot, et Arcey, sans rencontrer la moindre borne figurée 2. Il est vrai que, sur la majeure partie du trajet, la limite suit une combe et un bornage était moins nécessaire. Il apparaît donc que ces bornes durent être posées à la suite de différends entre Cîteaux et les barons de Marigny, puisque ces der- niers étaient seigneurs de Saint-Jean-de-Bœuf, de Saint-Victor et de Gissey-sur-Ouche. Ces bornes sont de plusieurs types : Les plus anciennes sont rectangulaires et souvent fort hautes. L'une d'elles à 1,15 m de hauteur, mais en général leur hauteur est de 0,60 m à 0,80 m. Un certain nombre sont nues. D'autres portent seulement du côté de Gergueil une crosse, d'autres encore portent, en plus, du côté de la baronnie de Marigny un blason vairé ou un fascé nébulé. Enfin quelques bornes plus petites et au sommet arrondi portent au lieu des blasons précités une simple croix. Nous avons la bonne forture de posséder un procès-verbal de reconnaissance de bornes de 1737 3 avec plan. Cette reconnaissance fut faite, d'accord, par Cîteaux et par Henry Anne de Fuligny- Damas Comte de Rochechouard, baron de Marigny. Elle ne concerne évidemment que les limites des territoires dont j'ai parlé. Je n'en ai pas trouvé d'autres ; ce qui confirme que le territoire de Gergueil ne fut borné qu'à l'ouest, sans doute à la suite de diffé- rends avec les barons de Marigny, qui ne furent pas toujours accommodants.

1. Cf. Mémoires de la Commission, t. XXII, p. 114-115. 2. Le plan de Gergueil de l'Atlas de Cîteaux (xvm0 s.) indique sept bornes, une entre Ternant et Gergueil, et six entre Semezanges-Quemigny et Gergueil. Nous en avons retrouvé quelques-unes, mais elles sont nues et sans caractère. 3. Arch. C.-Or, 11 H 590. BORNAGE AUTOUR DE LA SEIGNEURIE DE MARIGNY 173

Ce procès-verbal fait état : 1° de grandes bornes anciennes portant du côté de Gergueil une crosse et de l'autre côté un blason attribué par le texte aux Rochechouard, 2° de bornes anciennes brutes, 3° de bornes nouvellement plantées, dont certaines portaient du côté de Cîteaux une crosse et de l'autre la Croix des Damas. Les bornes anciennes, au blason fascé-nébulé, des Rochechouart, peuvent remonter au débornement de 1534 effectué par Christophe de Rochechouart, qualifié de seigneur de la Motte de Chandenier, mais qui était aussi seigneur de Gissey et de Marigny 1. Le blason vairé est le blason propre des Marigny-Beaufremont : les bornes qui le portent pourraient remonter au bornage de 1224. En effet, l'acte de débornement de 1534 fait état de bornes existant de temps immémorial. Une partie des bornes ne portant pas de blason paraissant très patinées et notamment une en forme de petit menhir grossier, doivent aussi remonter à ce bornage réalisé en 1224 entre Guillaume de Marigny et Cîteaux, bornage au cours duquel il fut posé un certain nombre de bornes, mais le texte ne précise ni leurs formes, ni si elles étaient blasonnées 2. Le procès-verbal de 1737 mentionne 43 bornes. Nous en avons retrouvé 35. Sur les 43, 22 étaient signalées comme figurées. Nous en avons retrouvé 18 ; 9 étaient blasonnées ; nous en avons re- trouvé 8. Le plan de Cîteaux de Prinstet indique seulement 22 bornes. Ce sont celles qui existaient avant le bornage de 1534. Le bilan est donc assez satisfaisant. Ces bornes ne sont pas évidemment toutes en excellent état de conservation. Parfois la pierre s'est dégradée, et même fendue. Les surfaces ont été quelquefois rongées et les crosses ou les blasons sont peu apparents. Ce qui frappe c'est la variété des formes des crosses représentées. Même variété de facture dans les blasons vairés et nébulés pourtant tous identiques. Le graveur n'a donc pas utilisé un même modèle ni servilement copié. Les crosses en particulier sont fort diverses. Les plus anciennes sont gravées d'un trait, la crosse a sa volute tantôt à droite, tantôt à gauche. Cette volute est tantôt ouverte, tantôt fermée. Les plus

1. Arch. C.-Or, 11 H 591. 2. Arch. C.-Or, 11 H 589. 174 ALBERT COLOMBET

GERGUEIL GERGUEIL Borne de Cîteaux Borne de Cîteaux Blason côté Marigny

GlïRGUIill. GERGUEIL Borne de Cîteaux Borne de Cîteaux BORNAGE AUTOUR DE LA SEIGNEURIE DE MARIGNY 175 récentes sont gravées de deux traits et la hampe est prise dans un C, l'initiale de Cîteaux (voir photographies).

* * * Souhaitons que toutes ces bornes vénérables soient toujours respectées et protégées notamment au cours des travaux forestiers. Elles constituent en plein cœur de nos campagnes de petits monu- ments sinon artistiques du moins d'une grande valeur archéologique et historique.