L’Algérie profonde / Actualités

Le mouton de l'Aïd focalise les bourses

Quand régule le marché

Tiaret est considérée comme l'une des régions agropastorales les plus importantes du pays, et en dépit de la disponibilité en grande quantité du cheptel ovin qui dépasse largement le million, le prix du mouton de l’Aïd à travers les différents marchés de la wilaya demeure toujours loin de la portée de la majorité des citoyens.

À quelques jours de l’Aïd el-Adha, le sujet qui polarise l'actualité à travers nos contrées est, coutume oblige, le mouton du sacrifice, appelé couramment “laâyada”. Cependant, à l'instar de l'année dernière, les flottements que connaissent les marchés à bestiaux et les fermes d’élevage s’annoncent comme un incontestable “coup de cornes” pour les familles algériennes qui sont, encore une fois, mises à rude épreuve tant il s’agit d’une autre hémorragie qui intervient après celles de la rentrée scolaire, du Ramadhan et de l’Aïd el-fitr. Dans ce sillage, on estime, à juste titre, que la célébration de ce rituel aura pour corollaire l’intronisation d'une multitude de tracas sur la “trésorerie” des bourses moyennes. Ainsi, à Tiaret, considérée comme l'une des régions agropastorales les plus importantes du pays, en dépit de la disponibilité en grande quantité du cheptel ovin qui dépasse largement le million, le prix du mouton de l’Aïd, à travers les différents marchés de la wilaya, demeure toujours loin de la portée de la majorité des citoyens, en témoignent plusieurs d’entre eux ayant déjà effectué une virée au niveau des marchés à bestiaux de , Ksar Chellala, et entre autres. En effet, il est quasiment impossible de trouver au niveau de ces marchés un mouton en dessous de la barre des 18 000 DA, attestent ces derniers, précisant que le poids de cet ovin ne devrait pas atteindre 18 kilos. Ainsi, le prix du mouton varie entre 18 000 et 35 000 DA, alors que le bélier peut atteindre facilement les 45 000 DA. Cependant, les prix pourraient, selon les connaisseurs des marchés à bestiaux, baisser durant les trois derniers jours avant l’Aïd, si les troupeaux d’ovins continuent à affluer au niveau des marchés, ce qui provoquerait un déséquilibre entre l’offre et la demande, qui serait trop bas devant les prix exorbitants affichés par les maquignons. Lors de notre tournée à travers plusieurs marchés de la wilaya, nous avons noté que les appétences vont bon train mais non sans chercher scrupuleusement des interlocuteurs chez lesquels on peut souhaiter une “affaire” censée. Au marché à bestiaux de Sougueur, qui s'attribuait jadis le statut de “marché maghrébin”, aâmi Tayeb, un éleveur de renom, propose des prix intéressants allant de 11 000 à 17 000 DA pour un agneau et jusqu’à 22 000 DA pour un antenais. Il nous relate, en toute connaissance de cause, que cette stabilité des prix due, selon lui, au manque de pluviométrie, est perçue comme une inquiétude pour les éleveurs de la région. “L'alimentation du cheptel est onéreuse à plus d'un titre et la nécessité veut que je liquide tout maintenant.” Pour El Hadj Mohamed, un autre éleveur qui abonde dans son sens, les prix actuellement appliqués sont tributaires des prix de l’alimentation de bétail qui véhicule bien des frayeurs et ce, en dépit des conditions climatiques jusque-là favorables au pâturage. “Avec les prix alignés à 3 000 DA le quintal d’orge et 2 000 DA celui du son gros, nous ne pouvons pas prendre le risque de garder les troupeaux même si, sans pouvoir deviner ce que nous réservent les jours qui viennent, la nature nous a gâtés avec les dernières pluies. Tous ces éléments me poussent personnellement à liquider mon produit sans pour autant en profiter de la situation”, nous affirmera-t-il en enchaînant que “les béliers dont il disposait sont vendus aux prix allant de 28 000 à 45 000 DA pour des acheteurs du centre du pays où de tels ovins sont plus prisés”.

Les béliers très prisés Néanmoins, contrairement à ce que pensent nos deux interlocuteurs, même si les dernières pluies ont flatté les éleveurs, voire adulé les pâturages, source principale de l’alimentation pour le bétail, il n’en demeure pas moins que la plupart des éleveurs campent sur l’idée de garder leur cheptel afin de l’engraisser davantage et préfèrent laisser paître leurs troupeaux plutôt que de les céder à ces tarifs considérés modiques, du moins en ces moments. Dans ce sillage, bien des éleveurs capricieux n’entendent pas les variantes de aâmi Tayeb et El Hadj Mohamed de la bonne oreille et jugent que ces premières pluies leur permettent d’espérer mieux. “Même si les prix moyens oscillent actuellement autour de 20 000 DA, je suis convaincu qu’ils s'illustreront par un accroissement certain durant les prochains jours”, nous dira cet éleveur abordé au niveau du marché à bestiaux de Tiaret. Même son de cloche chez certains éleveurs de Rahouia, notamment Si Lazreg qui estime censés les prix actuellement appliqués. “Je suis persuadé que les prix resteront incertains jusqu’à l’ultime journée”, nous a- t-il révélé en déclarant, dans la foulée, qu’il dispose d’un bétail de première qualité acquis à partir des régions mondialement réputées pour leur élevage ovin, notamment les béliers de race Ouled Djellal (le géant), Hamra (le petit), Taâdmit (le plus beau) et Rembi (le poids lourd) de Biskra, Laghouat et Djelfa. Au demeurant, cet éleveur, encouragé par la qualité de son bétail, fixe les tarifs sans discussions. Il se charge ensuite de l’acheminement des moutons vers l’abattoir où ils seront... sacrifiés aux tarifs pour le moins exorbitants, à savoir que le kilogramme de viande ovine est actuellement affiché entre 700 et 800 DA. Les prix du mouton ainsi apposés restent, pour ce dernier, raisonnables encore que cette “flambée” soit attisée par le climat prédisposé à la pluviométrie qui nourrit chez lui un optimisme inégalé. Toutefois, il va sans dire qu’à Tiaret, le boursicotage menace le marché ovin et empêche beaucoup de smicards de célébrer l’Aïd el-Adha comme le dicte la coutume. “Pourtant, cette fête sera, encore une fois, célébrée dans une conjoncture favorable quand on sait que le marché des ovins est marqué par une disponibilité importante”, laissera entendre un universitaire spécialisé dans la production animale pour qui ce produit est largement suffisant pour satisfaire la demande et répondre aux besoins de la population à l’occasion de cette fête. “À défaut d'une loi régissant cette profession, le boursicotage s’érige en règle alors que les autorités ne se soucient guère de la réplique des marchés à bestiaux informels, voire des transactions illégales avec des partenaires étrangers, marocains, tunisiens et autres”, affirmera-il. Cependant, si les tarifs enregistrés à Rahouia s’avèrent invariables, mais quelque peu abordables, ce n’est pas du tout le cas à Sougueur, Ksar Chellala ou Mahdia, où les prix ont grimpé ces dernières semaines. L’on aura enregistré, au niveau de ces localités, que, bien avant l’Aïd déjà, les prix de la viande ovine sont manipulés par des énergumènes hors circuit avant d’arriver à l’étalage des bouchers. Ainsi, à Tiaret, Frenda, Chellala, Hammadia, Rahouia et Sougueur, même si la nature a gâté les herbages, plusieurs ingrédients sont de mise pour laisser invérifiable le marché de l’ovin et voir l’agneau du sacrifice trouver sur son chemin des spéculateurs de tous bords prêts à s’enrichir sur le dos de l’éleveur et du citoyen. Bien des maquignons, de connivence avec des personnes “converties”, obsédés par l’idée d’accumuler des profits consistants, ont déjà acquis des troupeaux importants à partir de Djelfa, Biskra, Laghouat et même de Tiaret et Tissemsilt pour “asphyxier”, outre les enclos, les hangars et les garages.

Une mercuriale en hausse Selon un citoyen que nous avons abordé à Sougueur, ces pseudos maquignons se font un gain net allant jusqu'à 10 000 DA, et même plus, par tête. À titre illustratif, un maquignon, qui a usé de toute sa sincérité, nous affirme qu’un antenais acquis à Djelfa pour 15 000 DA est écoulé au marché de Tiaret à 24 000 DA et qu’un bélier acheté à Sougueur pour 28 000 DA est cédé à 41 000 DA dans l'Algérois où les clients les plus solides négocient la bête de l’Aïd à des prix allant jusqu’à 48 000 DA et même plus. Par ailleurs, autant dire que le prix de l’agneau vivant a pris son envol depuis quelque temps pour atteindre des cimes inabordables pour des ménages au faible revenu. Les causes continuellement arguées sont l’indisponibilité de l’aliment de bétail et ses prix outranciers, nous rappelle-t-on au marché de Ksar Chellala, et ce, en dépit des pâturages verdoyants suite aux dernières pluies. Ce point de vue n’est pas forcément partagé par tous les citoyens, à l’instar de cet homme d’un certain âge qui maintient que la flambée des prix du mouton a pour cause la spéculation et le boursicotage. “Les gens doivent savoir que les éleveurs et maquignons occasionnels, qui ne se manifestent qu’en de pareilles occasions, usant de leurs liquidités et animés par cette envie inavouable de se faire des fortunes, ne sont que des trabendistes de nouvelle génération. Pour eux, l’astuce est simple : il suffit d’avoir du pognon et se constituer en bailleur de fond vis-à-vis d’un fellah moyen, acheter un troupeau et l’engraisser à base d’aliments composés pour se retrouver "baron" le jour de l’Aïd”, tenait-il à commenter. Cependant, les approximations sont très partagées sur ce sujet par de nombreux citoyens qui trouvent bien du mal à s’approvisionner. Pour Abed, un fonctionnaire de l'administration locale, l’Aïd El-Adha est une fête religieuse qui, par le sacrifice de ce mouton, permet aux musulmans de se rapprocher de Dieu en faisant don de cette viande aux familles nécessiteuses. “Mais, avec ces prix qui nous sont proposés, rares sont ceux qui peuvent se le permettre”, affirmera-t-il. “Peu importe le prix à payer, je suis même disposé à liquider certains objets pour acheter un agneau car mes enfants sont habitués à ce rite que nous célébrons chaque année en réunissant la grande famille”, dira, pour sa part, Kader, un fonctionnaire au revenu moyen qui expliquera que sa famille ne se rencontre qu’en de tels moments… Une manière comme une autre de se sacrifier par le sacrifice… de la bête.

R. S.