ET LES COUTUMES ANCIENNES DU BAS-LIMOUSIN Photo de couverture : Curemonte, éd. du Gabier B.P. 61 27190 CONCHES. Marie-Thérèse GISCARD

CUREMONTE

ET LES COUTUMES ANCIENNES DU BAS-LIMOUSIN

Ce livre n'a aucune prétention littéraire ou scientifique. Son propos est seulement, à partir d'une vie menée tout entière à Curemonte, des racines familiales séculaires et aussi des traditions orales recueillies auprès de nombreuses personnes de la région, de garder le souvenir des coutumes anciennes du Bas-Limousin. Celles-ci risquent d'être bientôt perdues à tout jamais. L'évolution très rapide des modes de vie de l'ensemble de la population, ainsi que la disparition progressive des personnes âgées font que le passé de nos ancêtres, même s'il est relativement récent, sombre peu à peu dans l'oubli général. Il est encore temps de consigner par écrit, non pas l'histoire, cela est déjà fait, mais les histoires, celles de la vie quotidienne de nos aïeux, qui faisaient la trame de leurs jours, leurs joies et leurs peines, leurs traditions, leurs croyances. Ces pages constituent la synthèse de notes collectées au fil des ans sur les différents aspects de la vie à Curemonte et en Bas- Limousin du dix-huitième siècle à l'époque actuelle. On peut espérer que nos petits-enfants seront heureux d'y découvrir les traces de leurs ancêtres. Quant aux visiteurs de notre belle région, ce sera peut-être pour eux une autre manière de faire connaissance avec elle, à travers le temps, en complément de leurs pérégrinations le long de nos routes et chemins. Puisse ce texte, écrit en toute simplicité, dans le respect des personnes d'autrefois et de leurs descendants actuels, contribuer à une meilleure connaissance de nos racines. C'est là ma seule ambition.

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SITUATION GENERALE

Curemonte, petit village du Bas-Limousin, au sud de la Corrèze, se trouve presque limitrophe du département du Lot. Situé très exactement à égale distance entre le Pôle Nord et l'équateur (le quarante-cinquième parallèle passe au bas de la place de l'église), il doit peut-être à cette position géographique particulière son sens de la mesure, qui se manifeste aussi bien dans la douceur de son climat que dans celle des mœurs de ses habitants. Plus simplement, Curemonte se situe à 35 kilomètres au sud-est de Brive et à 40 kilomètres au sud de , respectivement sous- préfecture et préfecture de la Corrèze, auxquelles Curemonte est relié par de très bonnes routes, certes assez tortueuses, mais agrémentées de beaux arbres et de magnifiques paysages champêtres. Cette petite cité, jadis réputée par ses châteaux, garde encore un caractère moyenâgeux avec ses maisons bâties de vieilles pierres grises. Toutes ces demeures sont accrochées à un éperon rocheux qui descend du « Mont Antin », au nord, et semble veiller sur la vallée de la Sourdoire. A l'est, le « Puy Turlaud », qui est aussi un point culminant de la commune de Végennes. Au sud, c'est la Chapelle- aux-Saints, qui sépare Curemonte du département voisin, le Lot. A l'ouest, , qui relie Curemonte à son chef-lieu de canton, . Dans la vallée traversée par un petit cours d'eau, la « Sourdoire », de belles prairies s'étendent depuis Marcillac jusqu'à Vayrac, dans le Lot. Une légende nous apprend qu'il y eut là, autrefois, une grande bataille entre l'armée romaine et les Gaulois. Elle fut si sanglante que cette plaine, située en contrebas de Curemonte, a conservé le nom de « Marsan », ou mare de sang. On raconte aussi que des trésors de guerre y auraient été cachés. De là l'origine d'un dicton : « Du puy Turlaud au Mont Antin est la fortune du Limousin ». D'autres prétendent que ce dicton signifiait que la plaine était très fertile et, par conséquent, devait enrichir ceux qui la cultiveraient. LES MONUMENTS

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LES CHATEAUX

Notre petite cité doit sa notoriété à ses châteaux en ruines, qui sont pour nous un souvenir historique dont les vestiges imposants nous rappellent la splendeur du passé. La hauteur de ces forteresses, la quantité de pierres employées reflètent bien les mœurs et les idées de l'époque. On y retrouve la force brutale qui dominait alors toutes ces petites demeures, qui semblent s'être agglutinées pour contribuer à la richesse du seigneur. Pour bien apprécier la beauté du panorama, il faut regarder Curemonte de loin : lorsqu'on prend la route des Crêtes, de Puy- d'Arnac à Queyssac ou à Végennes, on est rempli d'admiration en voyant Curemonte. Par un beau ciel bleu, on aperçoit, inondées de lumière, les grandes tours, rondes ou carrées, les hautes cheminées qui semblent défier le temps. Alors nos souvenirs s'éveillent : l'ancien manoir apparaît comme un vieux chevalier prêt au combat. Mais si l'on s'approche, on découvre des murs en partie démolis et sur lesquels le lierre a poussé. La vie n'habite plus ces lieux où jadis chantaient de joyeux ménestrels et où résonnaient le cliquetis des armes et les pas des chevaux. En voyant ces témoins muets de gloires passées, de plaisirs, d'orgueil et de force, on se prend à rêver. Des hommes et des femmes remplirent ces demeures. Les uns défendirent leurs droits avec acharnement. D'autres répandirent leurs bienfaits afin que leur mémoire fût honorée. D'autres y vécurent avec soumission, selon les lois et la tradition de l'époque... Je laisse à d'autres, plus érudits que moi, le soin d'exposer la généalogie des seigneurs qui habitèrent les châteaux de Curemonte. En arrivant par le haut du bourg, on aperçoit d'abord le château de Saint-Hilaire aux tours carrées, qui date des XIV et XV siècles. Celui-ci a été restauré par les nouveaux propriétaires avec l'aide des Beaux-Arts. Il était grand temps. Dans la même enceinte, se trouve le château de Plas, du XVI siècle, aux tours rondes encore solides, mais dont les cheminées et les murs s'écroulent peu à peu. Il y avait, autrefois, un corps de logis qui reliait les deux châteaux. On ne peut malheureusement visiter ces châteaux. Les touristes attirés de loin par le panorama sont réduits à faire le tour des murailles d'enceinte. Au portail, « Défense d'entrer ». Ils repartent un peu déçus. Ces châteaux furent habités par les seigneurs de Saint-Hilaire et de Plas. Ces derniers étaient des hommes de guerre et des hommes d'Eglise, dont plusieurs évêques. Certains de ces seigneurs se firent remarquer dans des circonstances historiques, tel Raymond de Curemonte qui prit part à l'une des croisades, en 1096. Les deux châteaux sont entourés par de hautes murailles, qui retiennent le terrain en terrasses servant de cour et de jardin. Sur le côté ouest, il y a une petite habitation, sans doute celle du jardinier. On trouve également deux tours de gué, l'une à l'est et l'autre à l'ouest, cette dernière avait une porte et des escaliers pour descendre à l'église. A l'est aussi, la remise des voitures, local inoccupé qui servit parfois, il y a quelques dizaines d'années, à donner des séances récréatives. En 1828, lorsque la famille de Plas mit les châteaux en vente, c'est M. Dunoyer de Segonzac qui devint le propriétaire, mais il s'empressa de les céder à M. Delor qui était médecin, exerçant sa profession à Curemonte et dans les environs. Le Docteur Delor avait deux enfants : une fille Sara, infirme de naissance, qui mourut prématurément et un fils Joseph Delor. Bel homme, d'un physique agréable, très courtois, et qui resta célibataire faute d'avoir les moyens de se marier, disait-il. Il confiait à l'un de ses amis : « Je suis le plus malheureux des hommes. Je n'ai pas de profession, je ne suis pas assez riche pour subvenir aux besoins d'une famille et ma fortune est en perdition. » Il vendit les châteaux et tous ses biens, terres, prés, ainsi que le moulin de Bannes à la famille Levet. Il acheta au Marché la Villa des Tilleuls à la famille Sol qui partait à Toulouse. Dans cette belle demeure, il devait vivre en solitaire, voyant la valeur de ses rentes diminuer tous les jours après la guerre de 1914-1918. Là, il devait finir sa vie, presque au seuil de la misère. Longtemps, il garda une vieille gouvernante, « la Justine ». Il dut se résigner à vendre sa maison et le parc, en rente viagère au Docteur Poujade. Mais cette vente n'étant pas indexée sur le coût de la vie, il vit ses rentes diminuer très vite. Après la mort de « Justine », Mme Henriette Emblard eut pitié de lui et alla soigner M. Delor, son voisin. Vers la fin, il n'avait plus assez d'argent pour la payer, alors il lui légua son mobilier. Elle fit de son mieux et, très pieuse, obtint sa conversion. Il mourut en 1937. Mme Emblard profita de son héritage pour donner à l'Eglise les deux petits lustres qui sont dans les chapelles de Saint-Antoine et de Saint-Joseph. Après Joseph Delor, c'est M. Henry de Jouvenel qui devint propriétaire des châteaux de Curemonte. Homme éminent, sénateur de la Corrèze, ministre, ambassadeur, qui avait épousé l'écrivain Colette. Celle-ci lui donna une fille, également dénommée Colette. Pas plus que son prédécesseur, il ne fit faire aucune réparation, les toitures menaçaient de crouler, les murs se lézardaient. Mais il n'y venait jamais et semblait avoir oublié ces masures encombrantes. Pendant la guerre de 1914-1918, des pièces encore habitables servirent pour abriter des réfugiés. Quant aux autres, ouvertes à tous les vents, des voisins y élevaient des porcs et des dindons. qui entoure les châteaux est une terre très fertile. Voyant qu'elle était abandonnée, le maire de l'époque engagea un père de famille nombreuse de condition modeste à la mettre en culture. Il y fit un très beau jardin et profita de ce terrain pendant plusieurs années. La destruction des bâtiments privés d'entretien s'aggravait toujours. Des pierres se détachaient à l'intérieur des châteaux. Un jour, le mur entourant la terrasse du côté est menaça de s'écrouler. Les maisons situées en contrebas reçurent des pierres tombées du haut, qui enfoncèrent leur porte d'entrée. Les habitants eurent une grande frayeur, croyant que tout le mur allait les engloutir. Heureusement ce ne fut pas trop grave. Quelques temps avant la guerre de 1939, la jeune Colette, fille de M. de Jouvenel, se manifesta comme propriétaire. Elle fit transformer les communs qui avaient autrefois servi à remiser les voitures. On en vit sortir une belle maison d'habitation avec tout le confortchâteaux. moderne. Mais elle ne fit rien pour arrêter la perdition des Lorsque la guerre éclata en 1939, Mme de Jouvenel vint habiter cette nouvelle demeure, ainsi que sa mère, la grande Colette, l'écrivain, et beaucoup d'autres amis qui cherchaient un lieu sûr pour se cacher des nazis. A la porte d'entrée, le panneau défendant l'entrée « Danger » rappelait aux étrangers que les pierres pouvaient s'échapper des murailles lézardées, les cheminées s'effondrer avec fracas. Mais le « danger » était aussi pour les habitants des lieux, qui ne désiraient pas être reconnus et retrouvés par les Allemands. Colette, l'écrivain, ne sortait pas et ne resta pas longtemps. Elle profita de ce séjour de calme pour finir d'écrire son roman « Journal à rebours ». La jeune Colette, sa fille, avait plus de contacts avec la population. Elle se montra aimable avec ses voisins et généreuse pour les prisonniers de guerre en Allemagne. Avec une amie, elles se promenaient dans la campagne pour faire leurs provisions. Deux beaux chiens les accompagnaient. Quelques années après la guerre, Mme de Jouvenel vendit les châteaux et ses alentours à M. et Mme Rochepierre, un couple âgé venant du Maroc, où ils exploitaient des orangeraies. Ils s'installèrent dans la nouvelle maison, mais ne firent pas beaucoup de réparations aux châteaux, sauf aux murs d'enceinte. M. Rochepierre donna un peu de terrain à la commune pour élargir la Place, à condition que la municipalité lui fasse reconstruire le mur situé en face. En venant à Curemonte, M. et Mme Rochepierre avaient amené avec eux leur boy, « Ahmed », domestique très dévoué, qui ne perdait pas un instant à l'extérieur du château. Lorsqu'on le rencontrait à l'épicerie-tabac et qu'il venait acheter quelque chose, Mme Vayssié, la propriétaire, demandait aux clients « la permission de le servir immédiatement, car s'il avait du retard, il serait grondé ». Il resta quelque temps, puis il repartit dans son pays d'origine. Il fut remplacé par des serviteurs du pays, qu'ils changèrent souvent. Puis M. Rochepierre mourut, Madame se retira pendant un certain temps dans une maison qu'elle avait louée près du château. Une fois de plus, la demeure des seigneurs venait d'être vendue, à M. et à Mme Cantegreil. Les nouveaux propriétaires, plus jeunes et plus fortunés sans doute, ou ayant l'ambition de conserver tous ces vestiges d'un glorieux passé, entreprirent d'importantes réparations avec la participation des Beaux-Arts. L'extérieur du château de Saint-Hilaire a été parfaitement restauré en conservant le style de l'époque. Quant à l'intérieur, quel est l'état des lieux ? et ce qu'ils contiennent ? A part les amis des propriétaires, personne n'a le privilège de le visiter. C'est dommage ! Quant au château de Plas, plus récent, puisqu'il ne remonte qu'au XVI siècle, ses deux belles tours rondes paraissent défier des siècles d'histoire et semblent bien solides ; mais le corps du bâtiment et les cheminées s'écroulent peu à peu. Les propriétaires pourront-ils un jour restaurer ce fleuron de Curemonte ? C'est à souhaiter, pour le renom du village et la beauté du panorama. Le troisième château, « La Johannie », date sans doute du XVe siècle. Il est situé au centre du bourg. Il n'a pas de remparts pour le protéger et sa porte d'entrée principale se trouve au bas de la Place de l'église. Il est moins important que les deux autres, mais il possède une très belle tour carrée et, vu de la route de la Reyne, il est majestueux. Solidement bâti, il n'a rien perdu de sa noble allure, malgré les années.Après la disparition des seigneurs qui l'habitaient, c'est la famille Feix qui en devint propriétaire. Jadis, on disait « le château de chez M. Feix ». Celui-ci était originaire de Saint-Julien Maumont. Pierre Escaravage et son épouse, Philippine Riol, devinrent propriétaires du château, sans doute par héritage. Des personnes de Curemonte se souviennent encore de ce couple très sympathique. Ils moururent, Pierre en 1922 et Philippine en 1925, après avoir fêté leurs noces d'or et élevé cinq enfants, dont un mort à la guerre de 1914-1918. Le château de la Johannie, devenu la propriété de la famille Escaravage, le resta pendant plus d'un siècle. Le dernier descendant, Maître Henri Escaravage, avocat à la Cour d'appel de Paris, le vendit en 1969 à M. Besançon. Ce nouveau propriétaire le remit en parfait état, en conservant tous les vestiges de l'époque où il a été construit. La grange a été rasée, le terrain qui l'entoure bien nettoyé et l'on y voit pousser tout autour de beaux épicéas. Il appartient actuellement à Monsieur Wack. Ainsi, le château de la Johannie, de construction plus récente que les deux autres, a mieux résisté aux intempéries. Les appartements du bas ont toujours été habitables. Ils furent loués par M. Vianne, peintre, un certain temps avant la dernière guerre. Après la mort de Mme Théophile Escaravage, la bonne-à-vie « Maria Mons » et le cocher « Broustassou » devaient s'y retirer. Pendant la guerre, on y hébergea des réfugiés. Ce fut aussi le lieu d'hébergement des prisonniers allemands qui travaillaient à construire la route du Peuch. 3

LA HALLE

Cet édifice très ancien, situé sur la place de l'Eglise, à côté du château de la Johannie, a dû servir autrefois comme halle aux grains. A une époque plus rapprochée, les marchands ambulants s'y installaient pour les foires de Curemonte. Depuis longtemps, la halle était louée à la commune par le boulanger qui y remisait le bois pour chauffer son four. Mais hélas, à Curemonte comme ailleurs, le four ne se chauffe plus au bois et la croûte du pain n'est plus parfumée aux essences de genièvre, de châtaignier ou de chêne. Le boulanger continuait à l'occuper pour remiser ses voitures et tout ce qu'il avait de trop dans son fournil ; aussi ce n'était pas l'ordre parfait. Maintenant, la halle a été restaurée, remise à neuf, enjolivée par les amis de Curemonte et grâce à une subvention du ministère de la Culture. Elle a vraiment changé d'allure, peut-être un peu trop, car les murs qui l'entourent, si beaux soient-ils, ne sont pas d'origine. Toutes les halles de l'époque de celle de Curemonte, celle de Meyssac en Corrèze, tout comme celle de Milly-la-Forêt près de Fontainebleau, qui est très grande et sert de garage pour la moitié de sa surface, et tant d'autres, toutes ces halles ne sont pas entourées de murs et l'on peut y avoir accès par les quatre côtés. C'est ce que disent les touristes, à la fois émerveillés et surpris... Sous cette halle, il y avait un petit garage pour le corbillard municipal et aussi un petit coin très rudimentaire avec une porte branlante, mais au cas où la nécessité se faisait trop pressante, on pouvait aller s'y soulager. Maintenant il n'y a plus rien... L'évacuation se faisait dans le souterrain qui se trouve sous la halle et qui rejoint les caves du château de la Johannie. Certains, curieux de pénétrer dans le souterrain, avaient découvert une porte murée, qui devait avoir une issue dans la campagne pour permettre aux seigneurs en guerre de fuir leurs adversaires. En face de la halle, se trouvait le cimetière où l'on inhumait les morts jusqu'en 1928. La maison d'à côté, très ancienne, est remarquable par sa disposition, sa tour et son bel escalier à vis, elle devait sans doute faire partie des demeures seigneuriales. A l'époque du transfert du cimetière à Necque, on a élargi la place et refait le mur. Celui-ci supportait une pierre en forme de fût de croix à section carrée, qui a été récemment transférée sous la halle. Sculptée sur les quatre côtés, on peut y voir les scènes de la vie du Christ depuis l'adoration des bergers jusqu'au portement de la Croix. Elle est classée par les Beaux-Arts. 4

LES EDIFICES RELIGIEUX

Curemonte possédait plusieurs églises très anciennes. La plus importante est au centre du Bourg, à proximité du château. On voit encore, sur le mur de la tourelle la plus proche, côté sud, les vestiges d'une ouverture qui constituait une descente vers le lieu saint. Cette église dédiée à saint Barthélemy, patron de la paroisse, était aussi la sépulture des seigneurs et des membres de leur famille. Les évêques de Plas y avaient leur tombe. En 1922, le curé Séguy entreprit la restauration du sol de l'église. Les pavés étaient usés, tous disjoints, et on ne savait pas comment placer sa chaise pour qu'elle tienne sur ses quatre pieds. Les anciens pavés furent remplacés par une couche de ciment. A cette occasion, on trouva au centre de l'église, sous des dalles gravées d'une croix et de couleur différente, plusieurs tombes remplies d'ossements. Il y en avait aussi dans les chapelles. Malheureusement, les ouvriers maçons recouvrire de ciment tous ces restes d'illustres personnages et il n'y a plus de traces, même des emplacements. Le chœur fut recouvert de mosaïque, la barrière de communion fut refaite, la main courante et l'agenouilloir furent l'œuvre de notre ébéniste M. Barre, qui y mit tout son talent. Le bois de noyer pour la confection de cet ouvrage fut offert par la famille Perrier du Peuch- Olivier. Les lustres de l'église, en cristaux taillés, furent achetés vers 1850 par Lisette Borie, d'Eynard. Célibataire peu fortunée, elle mit tout ce qu'elle possédait pour les offrir à l'église. Le grand lustre au centre de l'église avait une belle boule en cristal comme pendentif. Hélas, vers 1920, un jour de fête, un jeune homme portant fièrement la croix des processions n'avait pas prévu qu'elle ne passerait pas sous la boule sans la heurter et le désastre se produisit. Le haut de la croix fit sauter en éclats cette magnifique boule qui terminait si bien ce beau lustre. On ne put que ramasser les morceaux et elle ne put être remplacée. Les deux petits lustres qui sont dans les chapelles de Saint Joseph et de Saint Antoine furent offerts plus tard par Mme Emblard, qui avait hérité du mobilier de M. Delor. Sur la route de Curemonte à Branceilles, au lieu-dit « La Combe », se trouve l'église dédiée à saint Hilaire, qui constitua pendant longtemps la deuxième paroisse de la Commune. C'est une construction très ancienne, sans doute du XI siècle. On peut remarquer sur les murs extérieurs des sculptures de personnages naïfs et d'oiseaux, taillés dans la pierre. A l'intérieur, il y avait quelques peintures murales et un baptistère en pierre. Le sous-sol de l'église était rempli d'ossements et l'on se demande si l'on avait bâti l'édifice sur un cimetière ou, ce qui est plus probable, si l'église servait également de cimetière. On y allait en procession plusieurs fois par an. Un petit cimetière entourait l'église où étaient inhumés les morts des villages voisins : Lacombe, Peyre, Le Bouscailloux, Le Rival, La Cabrole, et ceci jusqu'en 1940. Tous les défunts de la famille de Lacoste de La Reymondie y étaient enterrés. Peu à peu, ces gens qui tenaient tant à leur cimetière, avec leurs morts près de chez eux, ont dû se résigner à les faire apporter à Necque, au grand cimetière de Curemonte, érigé en 1928. Maintenant les survivants de toutes ces familles ont fait faire l'exhumation des restes de leurs morts. Quant à l'église, la toiture a été restaurée à peu de frais par une équipe de bénévoles des Beaux-Arts. Mais à l'intérieur rien n'a été fait, si ce n'est que le sol a fait l'objet de fouilles sous les dalles de pierre. Cet édifice, ouvert à tous les vents, a été plusieurs fois la proie des cambrioleurs. C'est ainsi que la cloche a été volée vers 1976. Maintenant il n'y a plus rien à voler, mais l'église est ordinairement fermée. Elle n'est ouverte que durant les mois d'été, pour des expositions d'art religieux. L'église de Saint-Genest constituait la troisième paroisse. On y vénérait saint Laurent. La chapelle est très ancienne et possède deux cloches, dont l'une a pour parrain le comte de Plas et pour marraine la marquise de Guiscard. A l'entrée de l'église, le petit cimetière où devaient reposer les morts de Saint-Genest, de Tillet, de la Marquisie, de Peuch-Olivier, de la Salle, de la Borie et de Fleuret. La famille Perrier y tenait beaucoup et leurs défunts ont été à peu près les derniers à y être inhumés. Maintenant, tous les villages ont rejoint le cimetière de Curemonte. Il y avait un curé et un maire à Saint-Genest. On raconte qu'un habitant du lieu qui aimait bien le bon vin faisait ses commandes à Narbonne. Pour satisfaire son gosier à bon marché, il employait le cachet de la mairie de Saint-Genest comme référence. Le fût du précieux nectar arrivait en gare de Saint-Denis-près-Martel. Lors du premier envoi, il ne paya rien en prenant livraison de la marchandise ; pour le deuxième, cela se passa de même ; mais au troisième, grande surprise : le fût devait être livré « au maire de Saint-Genest, contre remboursement ». Le chef de gare lui remit la fiche pour signer et payer. Mais notre petit malin de lui dire tranquillement : « Ah ! monsieur le chef de gare, j'ai "goublié" mes lunettes ». Il refusa de signer et de payer et repartit à Curemonte sans emporter la barrique de vin, qui retourna à Narbonne. L'histoire ne dit pas s'il paya les deux autres, mais il n'en commanda plus. D'après la tradition, il y avait encore une autre église au bourg de Curemonte, dédiée à saint Jean. Elle devait se situer au « Barry del Tour », toute proche du presbytère, qui devait être à l'époque la maison de Mlle Serre, à côté de l'école libre. Cet édifice aurait été construit sans l'autorisation de l'évêque, qui décida que cette église était inutile à Curemonte et ordonna de la démolir et de vendre son mobilier, y compris la cloche. Celle-ci fut peut-être achetée par la paroisse de Chauffour. Depuis ce temps, sans doute, des ornements liturgiques et des objets du culte étaient conservés dans la maison Billière, au Barry du Tour, les habitants n'en connaissaient pas la provenance. M. et Mme Chastanet-Chauffour, de Curemonte, les derniers acquéreurs de cette maison, très surpris de trouver ces choses, en ont fait don à un prêtre qui voulait édifier une chapelle privée. On ne peut que les féliciter de ce beau geste. Tous ces objets pieusement conservés laissent à penser qu'il n'y a pas de doutes sur l'existence de cette église Saint-Jean au « Barry del Tour ». De tout cela, il reste encore une croix où l'on venait autrefois en procession et qui est encore vénérée par les habitants du quartier. 5

LA GROTTE DE NOTRE-DAME DE CUREMONTE

La tradition orale et les historiens s'accordent à dire qu'il y avait jadis, vers 1700, en haut du bourg, une chapelle dédiée à Notre- Dame, où les fidèles de Curemonte aimaient à venir prier. A sa place présumée, Monsieur le curé Treil, en 1879, avait fait ériger une belle croix en fer forgé posée sur un socle de pierre. Monseigneur Dénéchau, évêque de Tulle, était venu la bénir. Les anciens affirmaient même avoir vu dans la chapelle, autour de la statue de la Vierge, de nombreux ex-votos, témoignages des faveurs obtenues par la Vierge. Mais la Révolution profana comme tant d'autres ce lieu bénit. La légende prétend même qu'un marchand y enferma un soir ses porcs et le lendemain les trouva tous crevés. Que devint la chapelle ? Fut-elle brûlée ou démolie ? On l'ignore. Une famille proche sauva la statue de cette chapelle, une Vierge à l'Enfant, en bois, du XVe siècle. Par suite d'héritage, elle se trouve encore dans une famille, sur le territoire de la commune de Branceilles. Quoiqu'il en soit, l'actif et pieux curé de l'époque, en 1936, le chanoine Séguy, cédant à une inspiration qui était, disait-il, une véritable obsession, voulut ressusciter l'antique chapelle. Il fit édifier ce qui s'appellerait désormais « La grotte de Notre-Dame de Curemonte ». Unanimement, ses paroissiens répondirent à son appel avec générosité. Ils fournirent plus de 40 m de belles pierres calcaires de forme bizarre, qu'on trouva surtout sur le territoire de Branceilles. Les gens qui en avaient déjà récupéré quelques-unes de remarquables furent heureux de les offrir. Le sable, le ciment, tout fut transporté avec des charrettes à vaches ou à cheval. Les voisins de la grotte se chargèrent de nourrir gratuitement les ouvriers maçons, Lucien Bertrand et Edouard Amblard. M. Cheny, le plus proche voisin, déjà en retraite, voulut bien pour la circonstance se faire architecte et bâtisseur. Le terrain fut gracieusement donné par la famille Valette-Foucher. Le travail de tous ces ouvriers fut tout de suite récompensé par la découverte des anciennes dalles de la chapelle détruite, qu'ils trouvèrent en creusant les fondations. Le dimanche 4 octobre 1936, en la fête de Notre-Dame du Rosaire, après un « triduum » prêché par le R.P. Arnaud, rédemptoriste, Monseigneur Castel, évêque de Tulle, assisté du Vicaire général Coissac, vint bénir ce nouveau sanctuaire dédié à Marie, qui faisait l'admiration de tous. Etaient présents l'abbé Perrinet, doyen de , enfant de la paroisse, l'abbé Barrière, doyen de Monpazier, originaire de Marcillac-la-Croze, neveu de Mme Perrier du Peuch-Olivier (il était presque l'enfant de la paroisse, ayant commencé ses études chez le curé Treil à Curemonte), les curés de Branceilles, de la Chapelle et Végennes, de Chauffour. Tous avaient amené beaucoup de leurs paroissiens. C'était une foule très nombreuse qui était venue s'associer à la chorale de Curemonte pour honorer la Sainte Vierge. Un grand jour pour tous. A son arrivée, Monseigneur l'Evêque avait été harangué par Monsieur le maire, Antoine Laumond, en un très beau discours où il disait sa joie d'être à la tête de la commune qui renouait avec les belles traditions de piété envers Marie. Puis M. Perrinet s'adressa à Monseigneur au nom du conseil paroissial. Ensuite, M. Perrier, président de l'Union des hommes catholiques, dit toute sa joie d'être entouré de la plupart des hommes et des jeunes gens de la paroisse, pour une telle circonstance. Monseigneur Castel répondit à tous ces discours en disant combien il était heureux de bénir ce nouveau fleuron de la couronne des nombreuses chapelles édifiées à Marie dans notre Diocèse. Une statue de Marie, remontant au XV siècle, une vierge en bois portant l'Enfant Jésus, fut placée dans la niche appropriée au- dessus de l'autel en pierre. La cérémonie se termina par un cantique en patois, composé par le doyen Barrière sur l'air du « Sarladais à Lourdes ». Depuis, on le chante tous les ans, le 8 septembre ou le dimanche qui suit cette date, moins nombreux, mais avec la même ferveur. Refrain Curomounto t'aïmaro, Vierzo tan qué viouro (bis). Curemonte t'aimera, Vierge, tant qu'il vivra. 1 Per ona o Curomounto, dins oquel boun pois Pour aller à Curemonte, dans ce bon pays Presqué touzour quo mounto, coï coumo ol porodis. Presque toujours ça monte, c'est comme au paradis. II Vierzo nou poudes créïré, t'oublidorein dzomaï Vierge vous pouvez nous croire, nous ne t'oublierons jamais. Lousqué venein té veïré, t'aïmorein mai in maï. Ceux qui viennent te voir, nous t'aimerons de plus en plus. III O Reïno triomphalo, O maïré dé bounta, O Reine triomphale, 0 mère de bonté O l'oumbro dé toun alo, venein nous obrita. A l'ombre de ton aile, nous venons nous abriter. IV Gordorein lo memorio del bravé dzour d'oné Nous garderons la mémoire, du beau jour d'aujourd'hui É per conta ta glorio, tournorein l'an qué vé. Et pour chanter ta gloire, nous reviendrons l'an prochain.

Depuis quelques années, il n'y a plus de cérémonie à la grotte, mais seulement une messe à l'église, le 8 septembre ; on se rend ensuite individuellement ou en groupe à la grotte pour prier Notre- Dame de Curemonte. L'entretien et la décoration de la chapelle sont assurés par les voisins d'une façon remarquable. On ne peut que leur adresser des félicitations. Cette statue qu'on venait de mettre en honneur a tout un passé que peu de gens de Curemonte connaissent. Elle est restée de très nombreuses années dans une très modeste maison, chez Borie, à Aynard de Curemonte. Elle fut transmise par héritage à Mlle Serre, qui en fit don à l'église paroissiale en 1925. On dit que, dans l'inventaire du château de Plas, il y avait une statue en bois, la Vierge à l'Enfant, qui disparut par la suite. C'est probablement celle qui vint trouver refuge chez Borie à Aynard. Le fils, François, était constamment au service des derniers survivants, c'était l'homme de confiance, à qui les descendants des seigneurs pouvaient demander tous les services. Borie mourut célibataire, laissant à sa sœur « Lisette » la belle Vierge que tous les voisins convoitaient, mais elle ne voulut jamais s'en séparer. Elle ne leur avait jamais confié comment cette Vierge était venue s'abriter chez elle. Une seule chose comptait : elle désirait la garder jusqu'à sa mort, ce qui se réalisa. Vers 1889, un « miracle » eut lieu en sa faveur. Après la mort de son frère, Lisette vivait seule, très misérablement, dans sa maison. Elle donnait tout son argent à l'église ou au couvent. On devait croire qu'elle cachait quelque trésor. Une nuit, un homme enfonça sa porte, lui demandant de lui donner de l'argent. Elle lui dit : « Je n'ai que trente francs, prenez-les. J'ai une tourte de pain, emportez-la. J'ai une vache dans l'étable, emmenez-la. Mais laissez- moi la vie. » Elle fut bâillonnée, les bras et les jambes attachées avec des bandes d'étoffe. Cette vilaine besogne terminée, l'homme prit seulement les trente francs, mais il partit sans libérer sa victime. Elle dut rester toute la nuit et la journée suivante jusqu'au soir ainsi ligotée. Quelqu'un passa, par hasard, disait-il, et l'entendit gémir. L'homme lui rendit sa liberté. Peut-être c'était lui-même qui l'avait ainsi ligotée. Si elle l'avait reconnu à la parole, elle ne le dit jamais ; mais la malheureuse, d'un âge avancé, eut du mal à se remettre de cette émotion. La Vierge l'avait sauvée. LES MAISONS, JARDINS ET BASSES-COURS Une petite bourgade médiévale au sud du Limousin, tout près du Quercy : châteaux, manoirs et vieilles maisons, dont l'histoire nous est contée, non par une historienne, mais par une habitante même du village, qui a passé toute sa vie à Curemonte. A travers des centaines d'anecdotes savoureuses, émaillées de quelques mots en patois limousin, on retrouvera tous les aspects de la vie quotidienne à la campagne dans cette région au cours des deux derniers siècles : semailles et vendanges, four à pain, pressoir à huile, processions à travers les champs .... Un livre qui gardera les traces d'un mode de vie disparu.

ISBN 2 - 9504861 - 0 - X

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