DOMINIC SIMARD

UN MONDE, UNE PROMESSE DE PAIX MAIS LAQUELLE?

Construction collective de l'image de paix chez les participants au 21 e rassemblement mondial du Mouvement (Angleterre, 2007).

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en anthropologie pour l'obtention du grade de maître ès arts (M.A.)

DÉPARTEMENT D'ANTHROPOLOGIE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UNIVERSITÉ LAV AL QUÉBEC

2009

© Dominic Simard, 2009 Résumé

Ce mémoire porte sur le plus grand mouvement de jeunesse dans le monde actuel: le

. Mouvement scout, qui a célébré en 2007 son centième anniversaire. Dans le cadre d'un 21 e rassemblement mondial qui eu lieu en Angleterre au mois de juillet 2007, près de 40 000 scouts provenant de 156 pays ont passé 12 jours ensemble, fidèles au thème de l'évènement: « Un monde, une promesse ». Ils ont fait valoir, collectivement, un discours de paix imprégné de l'envergure et de l'effervescence d'un tel « rendez-vous » mondial. La recherche qui est présentée dans ce mémoire s'est penchée sur la nature du discours de paix construit lors de ce grand « » scout. 111

Avant-propos

Dans le domaine de la recherche en sciences sociales et plus particulièrement au stade embryonnaire d'un projet de maÎtrise en anthropologie sociale et culturelle, il me semble bien que l'aventure commence en profondeur: sous le continent de 'la clarté, dans ,l'eau trouble d'une foule d'idées. Il faut donc savoir s'élancer, sauter, bras ouverts, comme le font ces plongeurs de La Quebrado, du haut de ' leur pierre. La véritable recherche démarre dans la submersion, l'envahissement complet par les idées, leurs vagues et leurs marées. Dans ce complexe du non-dit, ce fouillis de l'imprécis, l'épreuve, le vrai défi - en ce qui concerne l'écriture du mémoire - c'est de remonter un « tout» à la surface. Pour cela, il faut détacher des profondeurs le trésor d'une idée maÎtresse, laquelle doit ensuite permettre

L'épuration et donc l'élévation vers la surface, lieu de compréhension et de cohérence, point par point, de l'ensemble du projet. La recherche présentée dans ce mémoire n'a pas eu peur des profondeurs. Elle a cependant maintenu un objectif précis tout au long de la plongée et surtout durant l'exercice de rédaction: celui de remonter à la surface, zone de compréhension et de partage. collectit pour offrir au monde et à mes proches, des idées claires et accessibles. J'espère avoir rencontré cet objectif.

Bonne Plongée ... et surtout, bonne remontée! IV

Je dédie ce mémoire à tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, à faire de cette recherche une œuvre collective ainsi qu'une remarquable aventure humaine ... Un merci spécial à Martin Hébert, directeur hors pair, à Marie-Christine pour son support e~ son écoute si précieuse, à ma Grande famille et mes amis(es) pour tous les encouragements ... et finalement, à tous les scouts, jeunes et moins jeunes, qui ont cru en ce projet et accepté de se prêter au jeu! v

Table des matières

Introduction ...... ~ ...... 2

1 Première Partie - Orienter et Situer la recherche ...... 7

Théorie - Cadre conceptuel ...... ~...... 7

- Perspective anthropologique sur la paix ...... 7 Paix négative et paix positive Positionner la paix et la violence Vers une anthropologie de la paix - Le concept d'Utopie ...... 14 L'utopie dans le discours occidental Réhabiliter l'utopie L'utopie au service de la paix positive - L' approche interprétative ...... 18 L'interprétation d'une paix positive L'anthropologie interprétative de Clifford Geertz - Synthèse théorique ...... 20

Contexte d'énonciation du discours de Paix ...... 21

- La naissance des « Jamboree » mondiaux ...... 21 - Le Jamboree comme espace utopique...... 24

Le 21 e Jamboree Mondial

- Les et la logique de l'insularité utopique ... ~ ...... 26 La naissance du scoutisme sur l'île de Brownsea Le Jamboree comme espace insulaire utopique - De l'utopie littéraire à l'Utopie vécue ...... 38

- Synthèse contextuelle ...... ~ ...... 40 VI

1 Deuxième Partie - Récolter et Analyser les résultats ...... 42

Méthodologie - Cadre Méthodologiq ue ...... 42

Une approche qualitative Une éthnographie « multi-située » - Outils pour la Cueillette de Données ...... 43

Premier outil: Les groupes de d~scussions Deuxième outil: L'observation participante Troisième outil: La photographie participative Quatrième outil: Les guides d'entretiens électroniques - Organisation et Classification des données ...... 50

Sélection des données à conserver

Classification par filtr~ge sémantique - Analyse des données ...... 52

Analyse de discours Analyse de contenu Interprétation des images photographiques - Synthèse et Objectifs...... 54

Analyse des résultats ...... 55

- Le discours de paix institutionnalisé ...... 55 - Synthèse analytique du discours de paix institutionnalisé...... 67 - Le discours de paix des participants ...... 68 - Synthèse Analytique du discours de paix des participants ...... 86 Vll

1 Troisième partie - Interpréter et Questionner un récit complexe ...... 88

Interprétation...... 88

-L'OMMS et l'UNESCO: Regard Comparé sur une paix complémentaire ...... 90 - La rencontre du discours de paix officiel et de celui des participants ...... 96 - Retour sur le Cadre Théorique ...... 100

- Les limites de l'utopie vécue: critiques constructives du 21 e Jamboree mondial...... 102 - Questionnements et Pistes de réflexion ...... 106 - Synthèse ...... 109

Conclusion Générale ...... 111 Bibliographie ...... 114 Annexe 1 ...... 118 Constitution de l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout Prologue

16 Novembre 2007, Palais des Nations (Nations-Unies), Genève.

« En ce début de 21 e siècle, l'éducation est parfois synonyme de compétition, de course aux diplômes, d'élimination des plus faibles. Il faut l'affirmer clairement: l'éducation doit intégrer, réunir et ne laisser personne au bord de la route.

Je salue le défi de l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout qui organise une confrontation entre le monde de l'université et celui du scoutisme. En fait, les pratiques scoutes vont être un objet d'exploration, de dissection et de dissertation. Elles vont être scrutées et être l'objet d'une véritable analyse de la part des universitaires. En organisant cette confrontation hardie, audacieuse et positive entre deux univers, le comité scientifique suscitera j'en suis convaincu, des projets de recherches universitaires sur le scoutisme et des interrogations passionnantes.

Je suis très heureux de constater votre état d'esprit fait d'ouverture et d'exploration intellectuelle. Je salue votre volonté d'unir, sans aprioris toutes les compétences, les expertises, au bénéfice de la jeunesse et du progrès des idées. C'est pour moi un plaisir d'ouvrir le congrès scientifique mondial de l'Organisation du Mouvement Scout, qui célèbre son centième anniversaire. »

Discours d'ouverture du premier Congrès Scientifique Mondial de l'Organisation du Mouvement Scout. Allocution de monsieur Charles Beer, conseiller d'État en charge du département de l'instruction publique. 2

Introduction

Qu'est ce que l'anthropologie et, surtout, à quoi peut-elle servir? Voilà deux questions qui, bien qu'elles puissent paraître élémentaires, sont en fait fondamentales pour la compréhension du projet de recherche qui suit. En effet, comment présenter une recherche anthropologique sans, au préalable, expliquer et partager de façon claire et précise ce que représente pour moi l'anthropologie sociale et culturelle. Est-ce une scie~ce , un métier, ou encore une simple philosophie de vie? Je dirais qu'elle est à la fois un peu des trois, mais elle reste avant tout, au sens étymologique, un «discours» (logos) sur l'humanité (anthrôpos), vue en tant qu'espèce culturelle. C'est donc cette culture, cette façon d'être au monde, de se représenter soi-même face au~ autres, d'appartenir au social et de s'exprimer en tant qu'individu qui constitue le principal objet de recherche de l'anthropologie dite sociale et culturelle.

Dans ce mémoire, cette perspective anthropologique sera mIse à contribution afin d'apporter un nouvel éclairage sur un phénomène social qui semble transcender à la fois les frontières culturelles et le temps : celui de la paix ou plus précisément, des représentations sociales de la paix (ou encore, l'image de paix). Cette paix, imagée, réelle, fictive ou vécue, je propose ici de l'étudier au sein d'un mouvement social reconnu mondialement: l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout.

Puisque j'ai moi-même passé 12 ans au sein de ce Mouvement, de l'âge de neuf ans à l'âge de 20 ans, je porte en moi cette « culture» scoute qui stimule et facilite ma compréhension de la logique interne du scoutisme. Par ailleurs, il me fut donné de participer, au Chili, à l'hiver 1998-99, à ce qui m'apparaît être le « couronnement» d'une vie scoute, c'est à dire un grand rassemblement scout mondial, communément appelé «jamboree mondial ». Lors de ce « Jam », premier à être tenu en Amérique latine, un record de 157 pays et territoires furent présents avec au total, 30 948 scouts, responsables et membre du « staff» (équipe internationale de service) (OMMS 2002a). Ma participation à cet événement, véritable point culminant de mes douze années passées au sein du mouvement scout, m'apparaît 3 comme une source fiable de données, d'expériences et d'intuitions qui se sont assemblées pour former, par rapport à cette recherche, un « pré-terrain» à la fois riche et souple.

La recherche qui suit a été menée, en grande partie, lors du 21 e Jamboree mondial du mouvement scout qui s'est déroulé du 27 juillet au 8 août 2007 à Hylands Park, Chelmsford, à 50 kilomètres au · nord-est de- Londres, en Angleterre. Ce grand rassemblement s'est avéré être un terrain très fertile car non seulement il rassemblait des dizaines de milliers .de scouts de plus de 150 pays mais il constituait le lieu clé des célébrations du centenaire du mouvement (1907-2007). C'était donc un contexte idéal pour conduire cette recherche puisque les célébrations du centenaire visaient notamment à réaffirmer l'image du mouvement scout, en plus de réfléchir sur ses acquis, ses fondements, et envisager son avenir.

Le statut obtenu pour pouvoir participer à ce Jamboree mondial fut celui de membre de l'équipe internationale de service (EIS). J'ai donc fait partie du «personnel » (staff) rattaché officiellement au contingent national canadien. Mon affectation et mes tâches lors de l'évènement ont surtout concerné l'aménagement du site assigné au contingent canadien

(transport du maté~iel, installation des tentes, aménagement intérieur) et l'animation d'activités sportives et artistiques pour les participan~s au Jamboree. C'est dans ce contexte particulier que j'ai réalisé la majeure partie de ma recherche.

Il existe au sein de la discipline anthropologique une certaine tradition qui s'efforce de repousser la frontière des préjugés. C'est notamment ce que ce mémoire compte faire en ce qui concerne les préjugés persistants à l'endroit du scout et du Mouvement auquel il s'identifie. Jean-Jacques Gauthé, président de « 1907 », du Réseau interdisciplinaire de recherches sur le scoutisme et les mouvements de jeunesse, explore les « idées reçues » par rapport au scoutisme dans son plus récent ouvrage intitulé «Les ScoutS» (2007). Dès l'introduction, il écrit: «le scoutisme laisse rarement indifférent. Peu d'institutions ou d'organismes éducatifs suscitent tant de jugements aussi tranchés et d'opinions définitives » (2007 : 9). On peut difficilement expliquer cette « cécité sociale» qui fait en sorte que la représentation du scoutisme oscille entre des «excès de critiques ou de 4 louanges » (ibid), comme le dit Gauthé. Chose certaine, cela montre avant tout que le scoutisme est mal connu.

L' Organisation Mondiale du Mouvement Scout (OMMS) rassemble à l'heure actuelle plus de 28 millions de scouts, actifs dans 216 pays et territoires. Lors .du 21 e Jamboree mondial en Angleterre, elle est entrée dans le Livre Guinness des records à la suite d'une remise d'un certificat la présentant comme « la plus grande Organisation de Jeunesse du monde» (OMMS 2007a: 12). Ce Jamboree mondial a lui-même permis de rassembler plus de 40 000 participants de 156 pays dans un espace qui établissait un autre record mondial: « the construction of the biggest tented facility in Europe » (OMMS 2007b: 1). Avec un tel

évènement (J~mboree) qui rassemble plus de pays que les Jeux olympiques, le Mouvement scout ne peut que retenir l'attention et incite à une meilleure compréhension de ses intentions.

Comment-définir le scoutisme? Pourquoi ne pas commencer par ce qu'il n'est pas. C'est ce qu'a fait Robert Baden-Powell, fondateur du Mouvement, dans un texte qui date de 1910 :

Voici quelques-unes des choses que le scoutisme n'est pas:

- ce n'est pas une œuvre de bienfaisance dirigée par des gens du monde pour le bien des enfants pauvres ; - ce n'est pas une école avec un plan d'études et des programmes d'examen bien définis; - ce n'est pas une troupe d'officiers et de soldats, destinée à donner de la virilité aux garçons et aux filles à coups d'exercices militaires; - ce n'est pas une agence de petits messagers pour la commodité du public; - ce n'est pas une exposition où des résu~tats superficiels sont obtenus grâce à la distribution d'insignes de mérite, de médaille, etc. Tout cela viendrait de l'extérieur; tandis que l'éducation scoute vient tout entière du dedans.

Baden-Powell [1910] 2007 : 18

Comme le dit Marine Digabel, auteure de « Scout, une piste pour grandir », paru en 2007 dans le cadre du centenaire du scoutisme :

Le scoutisme n'est pas une théorie, c'est une expérience. On y découvre des valeurs: le sens de l'autre, la vie en équipe, l'engagement, l'effort". il [le scoutisme] n' impose rien, il 5

n'enseigne aucune « doctrine », mais ceux qui sont passé par là ont en commun le sentiment que l'engagement compte, que l'avis de l'autre compte aussi, et que tout cela concourt à quelque chose de plus important encore: réussir à vivre ensemble.

Digabel 2007 : 19

On peut aussi trouver une définition du scoutisme et une description complète de ses intentions dans le texte constitutif (la Constitution mondiale) de l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout (OMMS), dont la version actuelle a été approuvée par la 26e Conférence Mondiale du Scoutisme, à Montréal en 1977 (OMMS 2002a). Un des articles de cette Constitution décrit notamment le but de ce mouvement éducatif ouvert à tous et fondé sur le volontariat: « contribuer au développement des jeunes en les aidant à réaliser pleinement leurs possibilités physiques, intellectuelles,' sociales et spirituelles, en tant que personnes, que citoyens responsables et que membres des communautés locales, nationales et internationales» (OMMS 2002a : 28).

Le scoutisme est don~ une méthode, dans le sens où elle propose des moyens'. Plus encore, .c'est une méthode d'éducation active puisqu'elle incite les jeunes à agir eux-mêmes sur leur propre développement et ce, dans chacune des dimensions de l'humain (Le Pesant 1999). Enfin, le Mouvement scout doit être compris non pas comme un simple mouvement de loisir ou de plein air mais bien comme un Mouvement d'éducation non formelle profondément ancré dans le social et le bien-être collectif. C'est dans cette optique qu'il devient très pertinent de se pencher sur le discours social de paix qui se construit lors d'un rassemblement mondial de scouts, telle 21 e Jamboree mondial en Angleterre.

Puisqu'aucune définition officielle de la paix n'est offerte dans la Constitution mondiale ou dans la méthode scoute telle que mise en mot par Baden-Powell dans ces nombreux écrits, il est légitime de se questionner par rapport à la nature et aux contours flous de cette « paix scoute », si on peut l'appeler ainsi. La question de recherche qui constitue le cœur de ce e mémoire est donc la suivante: De quelle façon le discours de paix est7 il construit au 2i Jamboree scout mondial ? 6

Cette question centrale réfère notamment à la façon dont le thème de la paix est élaboré, mis en acte et approprié par les participants lors de l'évènement. De plus, la question de recherche ne doit pas être prise isolément: sa pertinence se mesure notamment par sa capacité à se décliner en d'autres sous-questions. Ainsi, quelle définition le mouvement scout donne t-il à la paix? Comment les jeunes scouts conçoivent-ils la paix? Quelles valeurs sont partagées et soutiennent de façon collective l'image de paix construite lors du Jamboree? Ces trois sous-questions orientent aussi la présente recherche.

Ce mémoire est divisé en trois grandes parties. Tout d'abord, la première partie - orienter et situer la recherche - présente le cadre conceptuel et le contexte dans lequel s'inscrit la recherche. L':l deuxième partie - récolter et analyser les résultats - rassemble la méthodologie utilisée pour la recherche et l'analyse des résultats selon l'origine des discours recueillis. Enfin, la troisième partie - interpréter et questionner un récit complexe - vise l'interprétation de l'ensemble des données recueillies et analysées dans le but d'en dégager une figure globale. Cette partie tentera par ailleurs de répondre à la question de recherche et aux sous-questions qui en découlent. Viendra ensuite un retour sur le cadre théorique pour conclure l'interprétation. Enfin, je présenterai une critique constructive, un questionnement et des pistes de réflexions issues de cette exploration somme toute modeste de la« paix scoute », telle que construite collectivement au 21 e Jamboree mondial. Première partie Orienter et Situer la recherche

Théorie - Cadre conceptuel

« Peace appeals to the hearts; studies to the broin. Both ore needed, indeed indispensable. But equalty indispensable is a valid link between brain and heart. And that, in a nutshelt, is what peace studies and peace practice are alt about ».

Johan Galtung

Le concept de paix est polysémique et sa définition est toujours matière à débat. Face à un tel constat, il est primordial d'exposer clairement la conception de la paix soutenue dans cette recherche, pour autant que l'on prétende faire une recherche scientifique. Comprise en tant que discours social, la paix dont il est question ici se caractérise par son lien étroit à un autre concept tout aussi polysémique: celui de l'utopie. Pour aborder cette paix, le savoir anthropologique sera mis à contribution, tant dans sa réflexion sur la paix positive que par sa capacité à mettre en lumière des représentations sociales complexes. En résumé, la notion de la paix proposée dans ce chapitre est celle d'un discours social de type utopique abordé à travers l'anthropologie interprétative. Examinons donc cette vision de la paix, pour bien délimiter ses contours.

Perspective anthropologique sur la paix

S'il est un sujet qui bénéficie aujourd'hui d'une approche multidisciplinaire, c' est bien celui de la paix. On peut toutefois retracer, en Occident du moins, certains domaines particuliers dans ~esquels se sont ancrées et développées des théories fertiles et porteuses de réflexions sur la paix. Un de ces domaines est celui des relations internationales, qui prend 8 son véritable envol au lendemain de la Première Guerre mondiale. C'est dans ce contexte que se forme une sous-discipline qu'on appelle aujourd'hui les études de sécurité et qui comprend plusieurs champs spécifiques tels la polémologie (littéralement « science de la

l guerre) qui fait l'étude des phénomènes conflictuels et l' irénologie , centré sur l'étude de la paix. Cette dernière - l'irénologie ou « peace research », en anglais - s'est développée en grande partie sous l'impulsion de l' «École scandinave de la Peace Research » dont le représentant le plus connu est le norvégien Johan Galtung. Il fonda en 1959 l'International Peace Research Institute à Oslo, mieux connu sous le nom de PRIO. Galtung est généralement, considéré comme l'un des pionniers des études sur la paix.

Aujourd'hui, on trouve des centaines de centres de recherche sur la paix, à plusieurs endroits dans le monde. Loin de se restreindre aux bases conceptuelles d'une seule discipline, les recherches portant sur la paix se nourrissent d'une grande interdisciplinarité qui associe notamment des politologues, des philosophes, des éthiciens, des sociologues, des juristes et de plus en plus, des anthropologues. Il devient donc pertinent d'explorer plus en profondeur l'apport de l'anthropologie sociale et culturelle dans la compréhension de la paix. Une première question s'impose déjà: comment s'y prendre pour faire l'étude d'un phénomène social aussi ambigu? Une anthropologie de la paix est-elle même possible ? Ces interrogations de départ sont tout à fait légitimes et méritent de s'y arrêter quelques instants. Hébert s'y attarde dès le début d'un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés. Il écrit:

Pour être digne d'attention anthropologique, un phénomène doit avoir à tout le moins une existence sociale. À ce titre la parenté, la religion, l'économie existent, alors que la paix a un statut beaucoup plus ambigu. On peut sans problèmes identifier des sociétés qui ont une parenté, une religion ou une économie. Mais identifier des sociétés qui ont atteint la paix de telle sorte qu'on puisse étudier cette dernière empiriquement est une autre histoire. Hébert 2006 : 8

Nous verrons plus loin que ce même auteur (Hébert) propose lui-même une façon de résoudre cette difficulté. C'est d'ailleurs cette voie que j'emprunterai.

1 L'étymologie du terme « irénologie » renvoie aux grecs « eirene » signifiant « paix» et « logos », qui se rapporte aux mots « discours» et« science ». C'est donc une science de la paix ou encore, une science du discours sur la paix. 9

Paix négative et paix positive

Bien qu'il existe de nombreuses théories sur la paix, plusieurs années de recherche dans ce domaine on conduit les chercheurs et intellectuels à s'entendre sur deux types de paix: la paix négative et la paix positive. Cette distinction, mise de l'avant par Galtung (1969), permet une meilleure orientation quant aux buts visés par l'étude de la paix. Ainsi, la « paix négative» est généralement comprise comme l'absence de guerre ou de conflit violent entre les États, ou à l'intérieur d'un même État. C'est une définition minimale qui sous-entend une paix existante en fonction de l'absence de violence directe et physique entre groupes (un cessez .. le-feu par exemple). À cet égard, on peut dire que les études de sécurité qui cherchent à comprendre pourquoi et comment naissent les guerres, qui les préparent, avec quels moyens, et ce qu'il faut entreprendre pour les empêcher de se développer, s'inscrivent directement dans la recherche"d'une paix négative. À l'opposé, la « paix positive» se définie au-delà d'une simple « absence» de guerre, de conflit ou de violence directe. Elle appelle plutôt à la création de structures et de conditions susceptibles de la faire apparaître et demeurer. Pour bien comprendre la portée de chacun de ces types de paix, il faut s'attarder brièvement sur un autre concept mis de l'avant par Galtung : celui de la violence structurelle (Galtung 1969).

Pour Galtung, la violence dite structurelle est provoquée par les structures ou par les institutions d'une société donnée. Cette violence structurelle ne blesse ou ne tue pas à coup de poings, de fusils ou de bombes, mais à travers des structures sociales qui produisent la pauvreté, la souffrance humaine et la mort. Elle est à la source de ce qui désarticule et brise les liens entre les gens. Enfin, malgré le fait qu'elle demeure en général anonyme ou du moins sans agent immédiat, la violence structurelle produit des effets qui peuvent être tout à fait semblables à la violence directe (ibid).

L'idée d'une «paix positive» comporte en outre le refus de cette violence structurelle. En fait, à la différence de la paix négative, qui se concentre davantage sur la violence directe, la paix positive, telle que conçue par Galtung, revendique la réduction au minimum de toute forme de violence, qu'elle soit directe ou structurelle. De plus, la paix positive doit s'accompagner de structures, de fondations solides, permettant le développement et le 10 maintient d'une justice sociale. On peut donc résumer les concepts de paix négative et paix , . positive de la façon suivante:

• Absence de violences directes = paix négative . • Absence de violences directes et structurelles = paix positive (ou dév. d'une justice sociale).

Pour les fins de cette recherche, c'est ce concept de paix positive défini par Galtung (1969) comme le développement d'une justice sociale (ou l'effort de diminution de la violence structurelle) qui sera priorisé.

La justice sociale n'exclut pas toutes formes de souffrance. Elle vise plutôt une répartition plus équitable des désavantages sociaux qui nourrissent cette part de souffrance, dans la société comme dans le monde. C'est donc dire que la justice sociale tend à la mise en place et le maintien d'une équité sociale - à ne pas confondre avec une stricte égalité sociale - au niveau des avantages et des inconvénients dans la société. Pour Galtung, cette approche particulière de la justice sociale - englobant la justice distributive et plus récemment, la justice environnementale - doit toutefois se concentrer non pas sur les inconvénients (les responsabilités) mais prioritairement sur les avantages, c'est-à-dire la répartition équitable des droits (Galtung 1996). On peut penser ici au droit à l'éducation, aux soins de base ou encore à la reconnaissance symbolique. C'est selon lui l'avenue à privilégier pour permettre l'émergence d'une paix positive durable. Enfin, dans l'optique d'une mise en place de structures nouvelles, la paix positive s'accompagne de plus en plus de cette idée forte de culture de paix ou culture de la paix. Cette forme de valorisation de la paix positive s'inscrit donc dans un ensemble de valeurs et d'attitudes qui, à l'inverse de la violence structurelle, visent un monde où les individus vont de l'avant pour créer des solidarités et des ponts entre les cultures (ibid).

Repositionner la paix et la violence

Certains travaux anthropologiques récents ont remis en question la façon dont la paix et la violence sont habituellement définis et mis en relation. Partant du constat que la notion de violence, comme celle de la paix d'ailleurs, n'est jamais fixe mais constitue plutôt un enjeu de débat, Nancy Scheper-Hughes et Philippe Bourgois (2004) ont proposé récemment de Il considérer la violence et la paix non plus dans une logique dichotomique mais bien sur la base d'un « continuum de violences sociales visibles et invisibles, directes et structurelles, plus ou moins présentes» (Hébert 2006 : 8).

On peut se demander si un tel changement de paradigme ne nous éloigne pas davantage d'une compréhensiop de la violence et de la paix. Mais, comme le souligne Hébert, cette idée d'un continuum des violences sociales peut se révéler très utile dans la mise en place d'une anthropologie de la paix. Elle permet de reconsidérer la paix au-delà d'une logique du « tout ou rien» et de la comprendre dans le rapport intime qu'elle entretient avec certaines violences sociales, lesquelles peuvent dorénavant être identifiées et priori sées parmi l'ensemble des phénomènes violents auxquels se sont intéressés les anthropologues ces dernières années.

Le concept de violence structurelle fait quant à lui son chemin en anthropologie (Brock­ Utne 1989; Kazak 1994; Mathiot 1994; Farmer 1997, 2003, 2004 ; Hébert 2002, 2006). Selon Hébert, ce type de violence mérite qu'on si intéresse prioritairement car il représente une des formes de violence «les plus antithétiques avec un état social véritablement pacifique» (Hébert 2006 : 17). Alors que certains auteurs (dont Thomas Platt) ont tenté de montrer l'effet pervers d'un élargissement de la notion de violence, il en demeure que ce sont les avancées de l'anthropologie de la violence qui ont été, jusqu'à présent, les plus aptes à fournir une base empirique pour penser la paix. L'étude des contextes violents et la compréhension des «effets de violence» (Hébert, 2006) peuvent donc être vues comme complémentaires au développement d'une compréhension anthropologique de la paix. Galtung a lui-même fourni une balise importante en caractérisant de façon générale les effets de violence les plus susceptibles d'être antithétiques à un état pacifique: pour lui, les violences directes, structurelles et culturelles sont présentes « lorsque des êtres humains sont influencés de telle sorte que leurs réalisations somatiques et mentales se trouvent en deçà de leurs réalisations potentielles» (Galtung 1969 : 168 [trad. libre]).

Enfin, la multiplication des recherches dans le domaine de l'anthropologie des conflits et de la violence a notamment permis d'opérer une distinction entre les violences qui limitent le 12 potentiel humain (décrites dans les travaux de Galtung par exemple) et celles qUI ne l'affectent pas nécessairement, telles la violence rituelle, sportive ou artistique. Selon Hébert, cette distinction «permet d'envisager une paix humaine qui ne serait pas nécessairement exempte de violences» (Hébert 2006 : 17). Déjà, nous nous rapprochons de l'un des objectifs de cette recherche qui est de tenter de redonner au concept de paix une dimension plus humaine: une paix certes imparfaite mais qui demeure accessible et dynamique.

Vers une anthropologie de la paix

Si une anthropologie de la paix existe, il faut reconnaître qu'elle est encore très jeune et la plupart de ses objectifs, ses outils et ses moyens restent à développer. Elle semble toutefois vouloir s' autonomiser graduellement de l'anthropologie de la violence. En effet, des approches nouvelles préconisent que la recherche sur la paix se concentre sur la paix et non pas sur la guerre 0:U sur la violence (Johansen 2005). Dans un article intitulé Peace research needs to reorient, Johansen écrit:

In order to understand the mechanisms of Peace it seems natural to study Peace. Peace as defined by Galtung in his book Peace by Peaceful Means is the capacity and skills to act with creativity, empathy and nonviolence in conflict situations. It is the skills, mechanisms and theories for such actions that peace researchers should help us to develop. And that is not done by detailed studies on forms of violence and the consequences of violent actions. Johansen 2005 : 4

Cette revendication a trouvé écho dans la présente recherche qui ne portera pas sur l'analyse de certains « effets de violence» mais visera plutôt - et ce, de façon très humble­ l'exploration et la compréhension anthropologique de'la paix positive, telle que balisée par Galtung. Ce choix tient entre autre au fait qu'on retrouve déjà dans la littérature anthropologique un savoir complexe concernant les champs de la violence sociale et de la paix négative alors que très peu de choses ont été dites concernant la complexité potentielle de la paix positive. 13

Certes, il faut comprendre - et Hébert le formule bien - que l'anthropologie de la paix, telle que conçue ici, «ne peut se prononcer sur son objet utopique - au sens où il n'est pas réalisé empiriquement et se pose en porte à faux par rapport aux idéologies dominantes - qu'à partir d'observations et d'analyses des «paix », «pacifications », interventions pacificatrices, et processus de paix empiriques qui existent dans le monde aujourd'hui » (Hébert 2006 : 9). Pour cette raison, il convient de dire que l'approche « anthropologique » de la paix positive est nécessairement indirecte, bien qu'elle reste dépendante d'une démarche ethnographique (Hébert 2006). La présente recherche vise donc essentiellement la description ethnographique .et la compréhension anthropologique de contextes où des actions humaines sont entreprises pour promouvoir une certaine paix ou pour la mettre en place. C'est dans ce sens que je conçois, dans mon cas, la pertinence d'une anthropologie de la paix: une anthropologie qui vise à comprendre le sens et la force d'un discours de paix émergeant d'une ou plusieurs initiatives réunies dans le but de poser ou réaffirmer les bases nécessaires d'une certaine paix sociale durable. 14

« Franchir le pont nous délivre de la pesanteur et avant que l'habitude quotidienne n'émousse nos sensations, il a dû donner le sentiment étrange de flotter un instant entre ciel et terre»

Georg Simmel

Le concept d'Utopie

Cette partie vise l'exploration d'un concept qui demeure sous-théorisé en. anthropologie: l'utopie. Généralement mal connu ou victime d'opinions tranchées, ce concept pourtant très fertile mérite d'être revisité, plus particulièrement dans l'étroite relation qu'il partage avec le concept de paix. Prenons le temps d'explorer l'utopie dans toute sa richesse.

L'utopie dans le discours occidental

Pour de nombreux occidentaux, le concept d'utopie renVOIe à un idéal inaccessible, imaginaire,. ou encore, au fonctionnement d'une société «parfaite ». Dans tous les cas, l'utopie parait fondamentalement impossible à réaliser. Or, paradoxalement, certains auteurs d'utopies littéraires, en commençant par Platon ou Thomas More, avaient plutôt pour ambition d'élargir le champ du possible ou du moins de l'explorer. Èn faisant voir des cités heureuses bien gouvernées, ces auteurs visaient notamment à convaincre leurs lecteurs que d'autres modes de vie sont possibles: « l'épanouissement du genre utopique correspond à une période où l'on pense, justement, que, plutôt que d'attendre un monde meilleur dans un au-delà providentiel, les hom~es devraient construire autrement leurs formes d'organisation politique et sociale pour venir à bout des vices, des guerres et des misères »2.

Aujourd'hui toutefois, il semble que la mondialisation - perçue par plusieurs comme une immanence absolue (Godin 2000) - , la croissance du néo-libéralisme et les foulées toujours plus grandes du développement technique et scientifique nous poussent de plus en plus à nier l'utilité de l'utopie voire à réclamer sa mort. Mais peut-on vivre sans utopies, sans

2 Utopie, Gallica, bibliothèque numérique, Bibliothèque nationale de France. Consulté sur Internet (http://gallica.bnf.fr/utopie/), le 8 mai 2008. 15

horizon quelconque? Ernst Bloch écrivait en 1976 dans Le principe espérance: « Là où l'horizon prospectif est ignoré, la réalité n'est plus que celle du devenu, c'est une réalité morte» (Bloch 1976 : 269). Dans ce sens, la mort de l'utopie apparaît comme une dangereuse mutilation. L'histoire a peut-être montré les conséquences désastreuses que peuvent générer la poursuite d'une utopie dans une perspective totalitaire (les dérives du communisme sous Staline, par exemple). Mais, l'absence d'utopie est également chargée de totalitarisme (Godin 2000): « Comment accepter le monde tel qu'il ne va pas ? Les guerres, les injustices, -les tyrannies, la malnutrition, l'exploitation des femmes et des enfants, sont­

elles des réalités à ce point nécessaires qu'elles n'induisent aucun dépasseme~t , . même dans nos pensées? » (Godin 2000 : 61). L'utopie, en tant qu'espérance, nous sort à tout le moins d'une vision fataliste de la société. Tenter de la « réhabiliter », comme le suggère Godin, pourrait donc être un premier pas dans la recherche des conditions d'une paix positive.

Réhabiliter l'utopie

En Occident, l'imaginaire utopique demeure très souvent teinté par l'héritage judéo­ chrétien. Il renvoie à l'avènement d'un monde meilleur dans un au-delà providentiel, un monde au-delà du monde, aussi parfait qu'inaccessible de notre vivant. Cette conception idyllique de l'utopie ne contribue pas à redonner à l'idée de paix une dimension plus humaine. Pire encore: comme le disait déjà Ruyer en 1950 : « Les utopies contemporaines tirent de l'humanité quelque chose qui n'est plus tout à fait humain. Elles font de l'Homme un demi-dieu ou un monstre» (1950 : 264). Comment donc redonner à l'utopie un visage humain et une emprise sur le réel ?

En premier lieu, pour ne pas sombrer dans une confusion sémantique, la précision et la rigueur des termes deviennent indispensables. Je m'éloigne ici volontairement de la notion d'utopie telle que fixée dans le genre littéraire utopique puisque celle-ci, comme le signifie son étymologie, est par définition irréalisable car: « Elle échappe aux servitudes de l'espace et du temps qui déterminent les aléas de toutes les activités humaines» (Freund 1979 : 32). Par contraste, la définition de l'utopie que je privilégie ici se rapporte à la « prospective raisonnée, donc de conjectures réalisables avec une certaines probabilité parce qu'elles ont 16 pour condition l'espace et le temps» (ibid: 33). Cette clarification est essentielle puisqu'elle réaffirme, comme le souligne Stéphane Olivési, la « dynamique de l'utopie » qui fait en sorte que « son esprit ne s'épuise jamais en sa lettre: elle appelle toujours, par une nécessité externe, à de possibles et probables réalisations» (1996 : 58).

En quittant ainsi l'univers des utopies littéraires, on s'éloigne des constructions intellectuelles statiques pour s'approcher davantage de l'utopie en tant qu' « instrument de dynamisation de la pensée» (Plum 1975 : 14). Cette vision de l'utopie peut alors se révéler, au sens fort du terme, comme un modèle imaginaire capable d'inspirer l'action par sa puissance attractive.

L'utopie au service de la paix positive

Lorsque Thomas More écrit L 'Utopie en 1516, il semble vouloir faire de son île imaginaire une « île de paix» : « Dans le sizain qui, en tête des deux éditions de Bâle de 1518, précède la carte d'Utopie, More donne à son île le nom d'Eu-topie : elle est l'île du bonheur» (Goyard-Fabre 1987 : 17). Plus remarquable encore, More se penche sérieusement sur la question de la paix et ce, en des termes qui demeurent encore pertinents aujourd'hui: faut-il penser la paix simplement comme une suspension de la guerre ou même au minimum, comme une limitation de celle-ci? Ou bien « est-elle surgissement d'un autre principe - plus originaire - une sortie de la logique de la conservation de soi - , le surgissement de la responsabilité pour autrui? » (Abensour 2000 : 101-102).

Cette interprétation de la paIX fait écho fi la paix positive que j'ai décrite plus haut puisqu'elle ne se réduit pas à la non-guerre mais vise plutôt « un renouveau des relations aptes à créer les conditions de la non-guerre» (Chemillier-Gendreau 2005: 239). Ici, l'utopie vient soutenir l'idée de paix positive en ce sens qu'elle s'efforce d'imaginer la rupture avec l'ordre social (violent) existant pour fonder un ordre nouveau. Elle est donc d'une part un exercice de l'imagination pour penser autrement, une expression de l'imaginaire social (Ricoeur 1986), et d'autre part, une volonté de contestation. Santiso la décrit lui-même comme étant « à la fois projection poétique et revendication critique (... ) 17

[qui] procède à une valorisation d'un futur probable et désirable. Variation sur le pouvoir, elle donne à voir une alternative, dessine un futur qui aspire à devenir» (1996: 67).

L'utopie, écrivait Ruyer, n'explique pas, «elle invente; elle est à la fois spéculative et praticienne» (Olivési 1996 : 62). En se contentant de déterminer des valeurs et non des faits, donc de proposer des moyens possibles et non un modèle rigide, l'utopie peut contribuer à inspirer des formes toujours renouvelées de réflexion et d'action en direction d'un ordre juste et bon. Voilà l'utopie que j 'aimerais réaffirmer: celle des moyens et non celle d'une fin. J'entends par moyens les idéaux comme celui de la paix, qui permettent de concevoir un horizon et d'établir certaines conditions, certaines valeurs, à partir desquelles la possibilité d'une vie authentiquement humaine puisse être mise en actes, selon des modalités indéfiniment diverses (Godin 2000). C'est pourquoi l'utopie, telle que je la décris ici, m'apparaît être un outil essentiel - une sorte de ciment analytique qui sert d'agent de liaisons conceptuelles et de marqueur de relations logiques - dans le cadre de la présente recherche. 18

«Meaning is sociaLly, historicaLly, and rhetoricaLly constructed » Clifford Geertz

L'approche interprétative

L'interprétation d'une paix positive

Déjà, dans le domaine de l'anthropologie de la paix, l'intérêt pour une approche sémiotique de la culture se fait sentir. Selon Goodale, ce type d'anthropologie gagnera à se concentrer sur la façon dont le concept de paix émerge dans les disco\ITs locaux et sur la manière dont il est interprété en tant qu'élément constitutif d'un processus social (Goodale 2006). C'est ce que l'auteur identifie comme «une tentative de traduction de la «paix»» ou « une approche discursive de la « paix» ( ... ) clairement située dans la tradition constructiviste » (Ibid : 175). S'il est vrai que l'approche sémiotique et interprétative de la culture peut « permettre d'accéder au monde conceptuel dans lequel vivent nos sujets afin de converser avec eux, au sens large du terme» (Geertz dans Céfaï 2003 : 227), l'anthropologie interprétative mise à contribution dans l'étude d'une paix positive peut se révéler très utile pour l'observation et l'analyse de l'émergence et de la construction collective d'un discours de paix sans un contexte donné. Le but est donc de mettre en lumière un réseau sémantique de sens qui soit ancré dans l'expérience des acteurs sociaux.

L'anthropologie interprétative de Clifford Geertz

Un des premiers succès de l'anthropologie interprétative fut la formulation d'une définition opérationnelle du concept de culture, en tant que . lieu de construction du sens. À ce sujet, Geertz écrit en 1973 dans son célèbre ouvrage The interpretation of cultures : «Croyant, comme Max Weber, que l'homme est un animal pris dans les réseaux de signifiance qu'il a lui-même tissés, je considère la culture comme assimilable à une toile d'araignée, et par. . suite son analyse comme relevant non d'une science expérimentale en quête de loi, mais d'une science interprétative en quête de sens» (ibid: 209-210). Pour l'auteur, la culture est publique «parce que la signification l'est» (ibid: 216). Elle représente donc un vaste 19 système de significations, de symboles mis en acte, négociés, partagés et transformés par les acteurs sociaux.

L'approche sémiotique de la culture, mise en place par l'anthropologie interprétative, aborde la culture comme un « système imbriqué de signes interprétables », pouvant être « décrits avec intelligibilité, c'est-à-dire avec «densité» (ibid: 217-218). Cette «densité» dont parle Geertz se réfère, au niveau de l'ethnographie, à une approche particulière qui soutient la structure méthodologique et analytique de l'anthropologie interprétative: la description dense (thick description). Celle-ci permet notamment de mettre en évidence une série de concepts culturèls et de référents symboliques reliés les uns aux autres dans une logique de cohérence. C'est sous cet angle plus spécifique que l'anthropologie interprétative sera abordée dans cette recherche.

Bien sûr, le danger de se perdre dans une subjectivité inappropriée reste imminent - comme dans toute approche analytique d'ailleurs - mais Geertz est très clair à ce sujet: « l'analyse culturelle consiste (ou le devrait) à essayer de deviner des significations, à évaluer ces conjectures et à tirer des conclusions explicatives des meilleurs d'entre elles, et non pas de découvrir le continent du Sens et à cartographier son relief invisible» (ibid : 223). Par conséquent, il insiste sur l'importance cruciale de «maintenir l'analyse des formes symboliques aussi près que possible des faits et des évènements sociaux concrets, du monde public de la vie ordinaire, et d'organiser cette analyse de telle manière que l'articulation entre les formulations théoriques et les interprétations descriptives ne soit pas voilée par des sciences obscures» (ibid: 231). 20

« La tâche de comprendre est infinie. Pas plus que le peintre ou le musicien, l'anthropologue n'a la prétention d'épuiser son sujet. Il l'effleure en soulevant des questions, là est son ambition »

David Le Breton

Synthèse théorique

« Le monde est arrivé à un point où seull'u~opie est réaliste », disait L.J. Lebret (Cot 2000 : 25). La paix en Occident semble quant à elle demeurer davantage négative que positive. Bien souvent, cette paix négative, qui légitimisme une certaine forme de violence, ne s'attaque aux problèmes qu'en surface. Il faut réhabiliter l'utopie, nous dit Godin, «ne serait-ce que pour ouvrir 'l'horizon que l'idéologie néo-libérale actuelle, maîtresse du futur comme elle l'est du présent, a bouché» (ibid: 73). La paix positive, entendue comme un effort et une recherche active de justice sociale, fait quant à elle son chemin et trouve de . plus en plus écho dans le domaine de l'anthropologie sociale et culturelle.

En résumé, la paix qui intéresse la présente recherche est celle d'un discours social utopique abordé à travers l'anthropologie interprétative. C'est sous cet angle conceptuel que je propose d'analyser la construction collective d'un discours de paix chez les participants au

21 e Jamboree mondial du Mouvement scout. À présent, passons à la description du contexte. 21

Contexte d'énonciation du discours de paix

Dans cette partie, il sera question avant tout du site du 21 e Jamboree mondial. Nous chercherons d'abord à décrire en profondeur le contexte physique et matériel (l'espace aménagé du jamboree) pour ensuite tenter de voir comment celui-ci se structure et exerce une influence sur l'énonciation et la construction du discours de paix.

Au départ, il faut dire qu'un Jamboree scout mondial, tel celui qui a eu lieu en Angleterre, est aussi éphémère dans l'espace que dans le temps: c'est une véritable « ville » de dizaines de milliers d'habitants qui naît et disparaît en quelques semaines. Ces villes éphémères s'inscrivent, elles mêmes, dans une certaine continuité les unes par rapport aux · autres: à tous les quatre ans, une nouvelle «ville », un nouveau Jamboree tout aussi éphémère, à lieu dans l'une ou l'autres des régions du monde. Posons donc dans un premier temps notre regard sur cette tradition des Jamboree et son lien avec le thème de la paix.

La naissance des « Jamboree» mondiaux

Au lendemain de la Première Guerre mondiale et en réponse à l'expansion internationale du mouvement, de même que pour se démarquer d'une image militariste attribué au Mouvement scout naissant (Springhall 1987), son fondateur, Robert Baden-Powell ressent le besoin de rendre encore plus explicite la « mission» de paix à laquelle doit participer chaque scout du monde. Pour ce faire, B.P. se consacre notamment, dans ses écrits et ses discours, à faire valoir l'idée que le scoutisme est une fraternité universelle, capable d'inspirer des sentiments de tolérance, de solidarité, de compréhension et de justice sur la terre (OMMS 2002a). Par souci de précision, il formule ainsi sa conception de la « fraternité pour tous »: « Un .Scout est un ami pour tous et un frère pour tous les autres Scouts, quels que soient le pays, la classe sociale ou la croyance auxquels l'autre appartient» (ibid: 5). C'est sur la base de cette idée maîtresse que Baden-Powell veut faire germer la paix entre les scouts du monde entier. Il ne reste plus qu'à imaginer une façon de 22

i réunir ces jeunes pour promouvoir cet idéal et tenter de concrétiser l'esprit de fraternité en tant que promesse de paix.

Dès 1916, il proposa d'organiser «un Rallye International marquant en JUIn 1918 le dixième anniversaire du Mouvement, à condition que la guerre soit terminée. Objectifs: faire que nos idéaux et nos méthodes soient plus largement connus; promouvoir partout dans le monde l'esprit de fraternité dans la génération montante ( ... ) » (OMMS 2002a : 5).

Bien que retard~ par la Première Guerre Mondiale qui se prolongea jusqu'en automne 1918, le premier Jamboree scout mondial fut organisé à l'été 1920, à Olympia en Angleterre. B.P. avait choisi le terme «jamboree », provenant semble t-il de la salutation « Jambo », qui signifie « bonjour» dans la langue Swahili3 (OMMS 2002a). Le mot «jamboree» devint donc synonyme de grand rassemblement fraternel de scouts. L'évènement rassembla 8000 jeunes de 34 pays et remporta un immense succès. Lors de la cérémonie de clôture, Baden­ Powell profite de la présence de milliers de scouts du monde entier pour lancer un appel à la paix entre les nations :

Frères Scouts, je vous demande de faire un choix solenneL .. Des différences de pensée et de sentiment existent entre les peuples du monde, comme il en existe dans le langage et le physique. La guerre nous a appris que si une nation essaie d'imposer sa volonté particulière à d'autres, une réaction cruelle s'ensuit inévitablement. Le Jamboree nous a enseigné que si nous exerçons une patience et des concessions mutuelles, il règne alors une sympathie et une harmonie. Si cela est votre volonté, repartons d'ici totalement déterminés à développer parmi nous et nos garçons cette camaraderie, à travers l'esprit universel de la Fraternité Scoute, pour que nous puissions développer la paix et la joie dans le monde et la bonne volonté parmi les hommes ». « Frères Scouts, répondez-moi. Voulez-vous participer à cet effort? OMMS 2002a : 6

L'historien Tim Jeal écrit:« Le« Oui» vibrant qu'il reçut comme réponse en cet après­ midi d'été a été le premier de beaucoup d'autres, après que la promotion de la paix internationale devint sa première priorité» (ibid). En effet, Jealle souligne: « L'année 1924 vit le Jamboree Impérial se dérouler à Wembley, le Camp Mondial à et le deuxième Jamboree International au Danemark. Au cours de ces événements, Baden­ Powell associa les appels pour la paix et la fraternité mondiale et les dénonciations de la

3 En fait, la signification précise du terme «jamboree» reste, encore aujourd'hui, floue . Baden-PoweUlui­ même n'ajamais défmi ou justifié clairement le choix de cette appellation. 23

Grande Guerre» (ibid). En 1926, B.P. écrivait:« La paIX ne saurait être entièrement assurée par les intérêts commerciaux, les alliances militaires, le désarmement général ou les traités bilatéraux, si l'esprit de paix n'est pas présent dans la conscience et la volonté des peuples. Cela, c'est une question d'éducation» (OMMS 2002a : 1). Lors du troisième jamboree mondial qui se déroula en juillet 1929, à Birkenhead en Angleterre, le «chef scout du monde» réaffirme la pertinence de cet événement éducatif pour l'avancement de la paix: . Je recommande instamment que [au Jamboree] nous ne permettions pas que nos garçons se contentent simplement de camper à côté de ceux des autres pays, mais que nous les incitions à utiliser chaque minute du court laps de temps qu'ils passent au camp, pour faire connaissance, et ensuite passer de la connaissance à l'amitié, avec leurs frères scouts, leurs futurs compagnons dans le monde. Chaque garçon pourrait alors partir du Jamboree investi d'une nouvelle responsabilité: celle d'un apôtre de paix et de bonne volonté dans sa région d'origine. OMMS, 2002b : 3

Baden-Powell n'abandonna jamais l'idée de former au niveau international des générations de citoyens concernés par la paix. À plus de quatre-vingt ans, il passa les dernières années de sa vie au Kenya. On peut lire quelques-unes de ses dernières paroles dans la 17e édition de « Éclaireurs » parue en 1965:

Une chose est essentielle à une paix générale et permanente et c'est un changement complet d'esprit parmi les peuples, un changement qui amènera à une compréhension mutuelle plus étroite, à la subjugation des préjugés nationaux et qui fera que nous comprendrons avec beaucoup de sympathie le point de vue des autres. OMMS, 2002a : 7

En 1947; après une interruption de dix ans à cause de la Seconde Guerre Mondiale, la tradition des jamboree renaît avec force et le premier «jam » organisé après la mort de Baden-Powell (décédé en 1941) a lieu à Moisson, en France. Fidèle à la volonté de B.P., l'évènement fut déclaré « Jamboree de la paix» et tâcha d'être, plus que jamais, un effort de paix, de cohésion et une preuve de solidarité internationale. Le jamboree rassembla 24 152 participants. On comptait alors quatre millions de scouts dans le monde (ibid, 2002a). Depuis ce jour, quinze autres Jamboree se sont succédé, touj ours dans la même optique : promouvoir et célébrer la paix entre les scouts du monde entier. 24

Maintenant que nous avons survolé l'histoire des Jamboree et mis en évidence le lien étroit qu'ils entretiennent avec le thème de la paix, il devient important 'de s'attarder sur une autre particularité du contexte physique d'un Jamboree: son caractère artificiel4 et planifié. En effet, il est tout à fait plausible de parler d'un Jamboree m,ondial comme d'un espace artificiel organisé selon un plan conscient, précis et structuré de façon minutieuse. Tentons à présent de découvrir quelle forme prend ce plan.

Le Jamboree comme espace utopique

Au Jamboree, l'espace physique a ceci de particulier: il partage plusieurs ressemblances avec l'organisation spatiale et le contexte matériel décrit dans les utopies littéraires classiques. C'est cette ressemblance surprenante dont je traiterai ici. Commençons par le début: les utopies littéraires classiques montrent à quel point l'imaginaire, en tant que pivot de la pensée humaine, peut servir à décrire avec une minutie inégalée les caractéristiques d'une société idéale. La plus connue d'entre-elles est sans doute celle de Thomas More, aujourd'hui considéré comme l'instigateur de ce genre littéraire. Son célèbre ouvrage intitulé L'Utopie, publié pour la première fois en 1516, donne naissance au concept même d'utopie: du grec «ou », non et « topos », lieux, More invente ce « non-lieux », cette île ou cette contrée qui n'est nulle part. L'île d'Utopie que More situe aux confins du monde connu abrite une société foncièrement égalitaire, régie par un ensemble de lois immuables et par une organisation très rationnelle décrite de façon méthodique par l' auteur, en débutant par l'organisation spatiale des lieux et le détail architectural.

Un exemple de cette tendance du genre littéraire utopique à décrire et organIser l'environnement physique selon un plan structuré et ordonné peut être vu dans cette représentation de la capitale Mecco, tiré de l'utopie littéraire Meccania, the Super-State écrite par Gregory Owen en 1918.

4 Au sens où il est produit par l 'humain et non par la nature. 25

· On retrouve le plan de cette ville imaginaire sur la couverture d'un numéro de la revue

Anthropologie et Societés intitulé Utopies (BruneI 19~5). Ce dessin a attiré mon attention par sa ressemblance frappante avec le plan d'une ville qui n'a rien d'imaginaire, si ce n'est que d'avoir été créée de toute pièce et d'avoir existé pendant un laps de temps très court.

Les deux représentations ci-dessus montrent le plan de l'espace aménagé du 1ge Jamboree scout mondial de 1999, situé «quelque part» au pied de la précordillère des Andes, au Chili. C'est dans cet environnement digne des plus belles villes utopiques que se 26 rassemblèrent, pendant 12 jours, 35 000 jeunes scouts, tous âgés entre 14 et 17 ans et provenant de 157 pays. Le thème officiel de ce Jamboree était: « Ensemble, construisons la paix» !

Il faut comprendre que cette ressemblance entre le plan d'une ville tirée d'une utopie littéraire et celui du 1ge Jamboree mondial n'est · pas fortuite. En fait, au-delà des ressemblances purement physiques, il est important de voir que le Jamboree s'inscrit aussi dans une logique fondamentale qui est à la base de toutes les utopies littéraires classiques: la délimitation de l'ensemble du « territoire utopique» en tant qu'espace clos et coupé du monde extérieur. Le Jamboree partage donc cette logique de l'insularité avec les utopiès littéraires classiques.

Le Jamboree et la logique de l'insularité utopique

Afin d'avancer dans notre compréhension du 21 e Jamboree mondial en tant que contexte fertile pour la construction d'un discours de paix de type utopique, il est essentiel, selon moi, de poser un regard d'ensemble sur le concept de l'insularité utopique associable au contexte de ce Jamboree. Comme je l'ai déjà mentionné, le 21 e Jamboree mondial en r------~~ -~

27

Angleterre a su réunir quarante mille participants scouts de 156 pays dans un même lieu. Aux yeux des organisateurs, ce lieu prend la forme d'un espace où l 'impossible devient soudainement possible: un lieu où le monde entier se côtoie au quotidien, ou les frontières physiques entre les peuples de la terre sont désormais inexistantes. Et pourtant, il existe bel et bien une frontière très visible et c'est celle qui délimite les contours, de ce lieu d'aspect idyllique: celle qui en fait un espace retiré et séparé du monde, à l'instar du contexte insulaire de nombreuses utopies littéraires, en commençant par celle de More.

"Avant de plonger dans la description plus abstraite du 21 e Jamboree mondial en tant qu'espace insulaire utopique, je crois qu'il est important de débuter par un fait historique

qui m'apparaît assez évocateur à cet égard : la naissance même du scoutisme dans un espace et un contexte insulaire.

La naissance du scoutisme sur l'île de Brownsea

L'île de Brownsea se situe près de Poole, dans le Dorset en Angleterre. C'est sur cette

petite île que Baden-Powell a réalisé, du 1er au 9 août 1907, un premier camp expérimental, aujourd'hui considéré comme l'évènement fondateur du scoutisme. 28

Baden-Powell invite sur l'île de Brownsea une vingtaine de garçons de différentes écoles et différentes classes sociales. C'est dans ce contexte « aux couleurs d'utopie» qu'il met à l'essai sa vision d'un programme scout: « le projet d'une pédagogie permettant de faire de ces jeunes des adultes au service de l'Empire, non pas pour en faire des esclaves de l'establishment, mais pour ensemble, toutes classes sociales confondues, « fils de pauvres, fils de rois» (comme dans le «Cantique des étoiles »), devenir les acteurs d'un monde nouveau, fraternel» (Deton, en ligne, 2008). Devant l'immense succès que remporte cette première initiative, Baden-Powell publie en 1908 un livre intitulé « for Boys» à l'intérieur duquel il lance' les premières bases et la méthode du scoutisme.

Aujourd'hui, l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout (OMMS) reconnaît officiellement l'île de Brownsea comme le « berceau» du scoutisme. Cent ans plus tard, cette petite île boisée de 3 km de long sur 2 de large située dans le Sud-ouest de l'Angleterre ne semble rien avoir perdu de son « potentiel utopique » puisqu'elle fut un lieu

central des cérémonies de célébration du centenaire du scoutisme lors du 21 e Jamboree scout mondial. Pour cette occasion, le camp expérimental de 1907 fut recréé, comme pour renouer avec « l'utopie fondatrice» du scoutisme. Par ailleurs, une « utopie» encore plus vaste fut imaginée: celle de réunir au moins un scout de chaque Organisation Scoute Nationale (ou territoire scout) sur l'île de Brownsea pour célébrer le IOOe anniversaire du Scoutisme et l'entrée du Mouvement dans son deuxième siècle. 29

Cette « utopie» prit la forme d'une célébration intitulée « Lever du soleil sur le scoutisme» \ qui débuta à 8hOO le 1er Août 2007, soit exactement cent ans après que Baden-Powell eut inauguré son camp expérimental. À ce moment précis, 300 scouts du monde entier célébrèrent, sur l'île de Brownsea, l'aube d'un nouveau siècle de Scoutisme en renouvelant leur Promesse scoute5 et en lançant au monde entier un message de paix et d'unité entre les nations. Le tout fut transmis en direct6 (relié par satellite) devant 40 000 participants scouts qui renouvelèrent eux aussi leur Promesse scoute, à partir d'une autre « île» qui semble tout aussi enracinée dans l'utopie: celle du 21 e Jamboree mondial.

Le Jamboree comme espace insulaire utopique

J'ai mentionné plus haut la présence de frontières biens réelles faisant du site du 21 e Jamboree mondial un espace retiré et séparé du monde. Ces frontières prennent la forme de grandes clôtures d'acier cumulant 9,5 km au total (OMMS 2007a : 8). Ce sont ces clôtures qui agissent comme barrière avec le monde extérieur, en plus de servir d'architecture interne délimitant les déplacements possibles sur le site.

5 La Promesse scoute est décrite à la fm de ce mémoire, en annexe. 6 Les scouts du monde entier ont pu assister à cette célébration retransmis en direct sur internet et les 28 millions de scouts dans le monde ont été invités à renouveler leur Promesse scoute le 1e r Août à 8hOO. 30

Le site du 21 e Jamboree mondial peut lui-même être comparé à une île au nIveau métaphorique. Le pas n'est pas si dur à franchir, surtout lorsqu'on prend on compte cette grande barrière physique que je viens de décrire et qui isole le Jamboree du reste du territoire, lui assurant ainsi une certaine étanchéité. De façon à bien imaginer cette île métaphorique, lieu du Jamboree, on pourrait très bien lui trouver un nom. On pourrait par exemple l'appelé Umup, en créant un .acronyme à partir du thème officiel du Jamboree: « Un Monde, Une Promesse ».

En comparant cette nouvelle île d'Umup au contexte et à la logique insulaire de certaines grandes utopies littéraires, on y trouve rapidement des principes et des caractéristiques semblables. Prenons seulement quelques exemples: à la ressemblance de l'île d'Utopie de

More, l'île d'Umup offre, jusqu'à un certain point, « un espace clos, même confiné, qui permet d'organiser de façon minutieuse l'étendue» (Freund 1979: 17). Les contacts des participants avec le monde extérieur sont quant à eux réduits au minimum. Chacun sur l'île d'Umup dispose de tout ce qu'il lui faut; il n'y a donc aucun motif d'envier son voisin. Cela fait notamment en sorte qu' « on n'y rencontre pratiquement jamais de crimes, tout au plus de légères infractions que l'exhortation fraternelle redresse rapidement» (ibid: 37). Au fond, l'île d'Umup est « cet espace réduit, propice à la vie communautaire» (ibid) qui «·se donne pour une peinture d'une petite société idéale» (ibid: 39) et à l'intérieur de laquelle on retrouve une « uniformité dans la division de l'espace qui entraîne évidemment une division régulière du temps» (ibid: 43). Tout y est planifié, tout y est ordonné

L' exercice que je viens de réaliser, soit la comparaison entre le 21 e Jamboree mondial vu en tant qu'espace insulaire utopique et la logique insulaire qui régie certaines grandes utopie littéraires classiques peut apparaître risqué puisqu'il nous transporte aux frontières du réel et du fictif. Or, c'est exactement là où se situe le discours social utopique sur la paix: quelque part entre le réel et le fictif, aucœur de l'imaginaire.

À la lumière de ce qui a été dit jusqu'à présent, posons maintenant un regard plus direct sur l'espace du Jamboree. Passons du plan général à une description détaillée de ce plan, tel que pensé et conçu pa~ les organisateurs de l'évènement. Voici une description de 31 l'organisation spatiale et du contexte matériel de ce Jamboree telle qu'elle pourrait être faite par les organisateurs.

Le 2Ie Jamboree mondial

Le site du Jamboree fait 2 kilomètres de long et 1,5 de large. Son périmètre est de 7.4 km et sa superficie totale est de 2 640 313 mètres carré (OMMS 2007a: 8). Il est recouvert, en majeure partie, d'un champ de verdure. Quelques .arbres sont encore présents en périphérie du site et entre les sous-camps. On y trouve aussi un splendide jardin de fleurs nommé jardin d 'un monde. Avant que le site du Jamboree ne soit construit, l'emplacement était un grand parc nommé Hylands Park, situé près de la ville actuelle de Chelmsford, dans le compté d'Essex, au sud de l'Angleterre. Par souci de respect pour le site naturel où se déroule le Jamboree, les organisatell:rs imposent des lois strictes. Par exemple, l'interdiction pour les participants de faire un feu ou, pire, de brûler leur déchets; l'interdiction sur le site de tout objet fait en verre; l'interdiction de creuser un trou dans le sol; l'interdiction d'abîmer les arbres, les plantes ou tout autre élément de la flore (OMMS 2007c : 13). 32

Le Jamboree se divise en quatre principaux « territoires» que les organisateurs ont nommés « Hub ». Chacun de ces « hub » contient quatre sous-camps de tailles semblables. Ces sous­ camps - véritables petits villages en eux-mêmes - portent chacun le nom d'un habitat naturel du monde terrestre, lié au nom de leur «hub » (tropical, Désert, Océan et Montagne). Par ailleurs, chaque sous-camp s'identifie à un animal provenant de l'habitat naturel qu'elle représente. La plupart de ces animaux «totems» ont la caractéristique commune d'être des espèces en danger d'extinction (OMMS 2007d : 26).

Hub: Tropical: Hub : Desert :

Jungle - Lion Oasis - Ostrich Lagoon - Flamingo Dune - dune sand cat Mangrove - Alligator Tundra - Caribou Rainforest - Howler Monkey Wadi - Ibex

Hub: Ocean: Hub : Mountain :

Habour - Porpoise Plateau - Crane Beach - Turtle Glacier - Falcon Atoll - Clown fish Volcano - phoenix Fjord - Blue whale Canyon - Condor

Les' seize sous-camps du Jamboree sont reliés entre eux par 5 kilomètres de routes pavées et autant de chemins non pavés. Chaque sous-camp compte environ 2000 habitants répartis en cinquante troupes d'environ quarante habitants. Chacune de ces troupes est sous la responsabilité d'un ou plusieurs chefs de troupe. À l'instar de chaque sous-camp qui possède une impressionnante arche d'entrée, chaque troupe possède aussi une arche ou une structure (faite la plupart du temps en bois et en cordage) pour marquer l'entrée au terrain qu'elle occupe. Cette structure est souvent ornée d'un drapeau représentant le (ou les) pays d'origine du groupe.

Sur l'espace occupé par une troupe se trouvent des maisons portatives (tentes!) et une cuisine commune abritée sous une grande toile. L'allure, la taille et la couleur de ces maisons portatives sont généralement similaires à l'intérieur d'une même troupe . . Cependant, elles peuvent varier grandement d'une troupe à l'autre: certaines troupes ont 33

par exemple des maisons portatives faites de bois 7 alors que la majorité des maisons sur le site du Jamboree sont presque entièrement faites de toile. À l'intérieur des troupes, chaque habitant partage généralement sa maison avec une, voire plusieurs personnes. Ces petites maisons portatives sont utilisées presque uniquement pour dormir et loger les quelques

1 objets, parures et vêtements précieux des habitants, dont l'uniforme: une tenue officielle obligatoire pour les jours de grandes cérémonies. Enfin, les maisons portatives sont un des rares endroits sur le site du Jamboree qui soit relativement privé: tout le reste est du domaine public et relève d'une logique de partage raisonnable.

Puisque les seize sous-camps du Jamboree sont bâtis sur le même plan, ils possèdent les mêmes établissements et services publics. Le plus important est probablement celui de l'alimentation. Chaque sous-camp possède un point de distribution de nourriture où les participants vont chercher gratuitement une quantité déterminée d'aliments (de base ou transformés) pour ensuite les transporter eux-mêmes vers le lieu de campement de leur troupe. Quand à l'eau, il y en a des points précis sur chaque sous-camp. Les participants en font généralement des réserves en remplissant de gros contenants de plastique et en les transportant au lieu de campement de leur troupe. Enfin, les toilettes et les douches communes prennent la forme de blocs sanitaires - contenant aussi des lavabos et des miroirs - situés à quelques endroits précis dans chaque sous-camp ou entre deux sous­ camps. Elles sont séparées pour les hommes et les femmes et il y a aussi des toilettes et des douches spéciales pour les personnes handicapées.

À l'extérieur des sous-camps Les Hubs

Quand un participant sort de son sous-camp, il accède à une foule de services qui, à la différence de ceux offerts dans son sous-camp, sont généralement payants. Ainsi, un participant qui n'est pas tout à fait satisfait de la nourriture qui lui est offerte gratuitement dans le point de distribution de son sous-camp peut se rendre dans un des quatre centres de ressources (également appelés « hubs ») situés en périphérie des sous-camps. Il y trouvera

7 En référence aux tentes de la République Tchèque nominées « Podsadas ». . 34 des lieu~ de restauration situés à l'intérieur de zones commerciales où il pourra acheter des boissons, des snacks et des plats préparés. Le hub désert et le hub tropical ont aussi des grands supermarchés qui vendent de la nourriture et des éléments à aj outer aux préparations des repas comme des sa~ces , des épices et des herbes. Ils proposent également des articles de toilette, des produits d'hygiène féminine, des produits de nettoyage et de nombreux autres articles utiles dans la vie quotidienne sur le site du Jamboree (OMMS 2007c : 38).

Au-delà de la nourriture, les quatre « hub » du Jamboree sont aussi des centres de services où l'on peut trouver, entre autres, des services payants comme un comptoir de postes, une laverie et un cybercafé (pour l'accès internet, les cabines téléphoniques, l'achat de crédit pour téléphone portable et l'approvisionnement en électricité). Les s~uls services offerts gratuitement dans tous les « hubs » concernent le bien-être physique et psychologique des participants. Ces services se composent de postes de premiers secours, d'une clinique médicale et d'un lieu de soutien affectif et psychologique nommé « Oreille à l'écoute », situé dans la zone de silence de chaque « hub ».

La grande Plaza et ses environs

La grande Plaza se. trouve à quelques centaines de mètres de l'entrée officielle du Jamboree, laquelle présente une énorme arche suivie d'une allée bordée de grands mâts blancs affichant fièrement les drapeaux de tous les pays d'origines des participants du Jamboree.

La Plaza est un lieu d'échange où tout participant peut socialiser, manger et magasiner. On y trouve la grande horloge, la banque, les bureaux de change, la boutique souvenir et 35 l'unique station radio du Jamboree: Promise FM. Il Y a aussi un grand supermarché et des cafés/bistrots (ou restaurants) offrant chacun une atmosphère et un style de cuisine reflétant un des nombreux pays d'où proviennent les participants du Jamboree. Face à la grande Plaza se dresse une impressionnante construction nommée Hylands house (construction permanente à Hyland Park). À quelque pas de cette maison se trouve une zone de foi et de croyance. C'est là que les différentes « communautés de Foi» présentes au Jamboree cohabitent pacifiquement et enseignent leur sagesse.

À l'Ouest de la Plaza se trouve le « World Scout Centre » : un grand centre d'exposition où les participants peuvent conserver, exposer et diffuser les objets et savoirs issus de leur pays d'origine. Ce grand centre prend la forme de multiples pavillons affichant tous leur appartenance à un pays d'origine et offrant tous un accueil chaleureux à quiconque veut découvrir toute la richesse culturelle des participants du Jamboree. La disposition très précise de chaque pavillbn fait en sorte que· lorsque qu'on observe le centre d'exposition depuis le ciel, on distingue la forme d'une fleur de lys: un des symboles d'unité et de cohésion dans la culture commune des participants au Jamboree.

Lorsqu'un participant quitte la grande Plaza, il se peut fort bien qu'il emprunte le boulevard

1 du développement global. Ce boulevard étroit et en forme de « V » est parsemé d'une foule de petites et grandes organisations indépendantes - généralement des Organisations non gouvernementales (ONG) telles l'Unesco ou encore Amnesty intemational- qui offrent des pistes de réflexions et de solutions aux problèmes majeurs auxquels fait face la planète terre. Par le biais d'ateliers interactifs, ces multiples organisations (invitées pour l'occasion sur le site du Jamboree) éduquent les passants et leur enseignent comment chaque individu, une fois qu'il aura quitté le Jamboree, pourra continuer de s'impliquer socialement et faire la différence en ce qui a trait au mieux être de la planète et des êtres vivants qui la peuplent.

À l'extrémité ouest de ce « boulevard de la conscientisation », on trouve un village mondial que tous les participants du Jamboree se doivent de fréquenter: c'est le village mondial du développement. Ce grand village est en quelque sorte le quartier général d'une partie des organisations présentes sur le boulevard du développement. Il est divisé en quatre zones: 36

Paix, Environnement, Droits humains et Santé. Dans chacune de ces zones, des ateliers sont conçus spécifiquement pour les participants et ont comme but de les amener à réfléchir sur des questions auxquelles la communauté mondiale est confrontée. Enfm, les participants qui veulent en savoir davantage sur des sujets tels le VIH / SIDA, les droits des enfants, le transport mondial, l' écotourisme, les droits des femmes, l'eau ou encore l'esclavage, peuvent aussi visiter un des six GloBus, lesquels sont stationnés dans les hubs Montagne et Tropical. Ces bus à double étages sont aménagés de façon à offrir une série d'activités sur les six thèmes mentionnés ci-haut. Au total, plus de 50 organisations prennent part aux activités sur le développement mondial lors du Jamboree (BMS 8 2008 : 43).

Si on suit le boulevard du développement en direction nord, on arrive dans un grand espace de verdure: c'est la grande arène cérémonielle. Tous les participants du Jamboree s'y rassemblent lors de trois grandes cérémonies rituelles qui sont la cérémonie d 'ouverture, la cérémonie du Lever du soleil et la cérémonie de clôture. Ces rassemblements hautement symboliques prennent la forme de grandes fêtes et permettent entre autre de réaffirmer les valeurs communes, la fierté et le sentiment d'unité qui lient tous les participants du Jamboree.

Près de l'arène cérémonielle, on trouve un site nommé Énergie. C'est en somme un espace récréatif qui donne la chance aux participants de développer leurs connaissances par le biais du j eu et de l'action, notamment le cirque, l'art ou encore de la relaxation. Deux autres espaces, non loin de là, proposent aussi un apprentissage par l'action: la zone Déchets et la zone Éléments. La première propose une série d'activités axées sur la réutilisation des matériaux du quotidien (recyclage et récupération) alors que la zone Éléments offre des activités à caractère scientifique et technologique, groupées sous les thèmes du feu, de l'air, de l'eau et de la terre. Enfin, ces deux derniers éléments, l'eau et la terre, sont aussi représentés dans le nom des deux Villages du Monde situées à l'extrémité est du site du Jamboree: Aquaville et Terraville. Dans chacun de ces grands villages, un véritable

« souk »9 mondial envahie tous l'espace publique. C'est l'occasion pour les participants du

8 Bureau Mondial du Scoutisme 9 En arabe, le mot souk signifie un marché. On y trouve aussi bien de l'alimentaire que de l'habillement, des bijoux, des poteries, etc. 37

Jamboree de découvrir des cultures, des passe-temps, des activités manuelles ou sportives, des plats traditionnels, des danses et bien d'autres choses sur les pays du monde. On y trouve en tout plus de 540 activités (OMMS 2007c : 65). Chacune de ses activités invitent au partage de la richesse culturelle des 156 pays d'origine ·des participants au Jamboree. Elles s'ajoutent aux centaines d'autres activités qui s'inscrivent dans la programmation officielle du Jamboree.

Cette description de l'organisation spatiale et du contexte matériel au 21 e Jamboree fl?ondial montre, de toute évidence, une grande similarité avec les descriptions de l'environnement physique·dans les utopies classiques. On le voit très bien à travers le degré de structuration de l'espace et l'organisation minutieuse du contexte matériel. À cet égard, Julien Freud écrivait dans une de ses études que « l'utopie constitue le triomphe du nombre et de la géométrie, comme si les notions mathématiques étaient les principes de l'égalité souhaité» (Freund 1979 : 43). Freund cite en exemple l'Utopie de Thomas More: on y trouve cinquante-quatre villes, toutes bâties selon un même plan et possédant les mêmes établissements et les mêmes services. Par ailleurs, chaque ville est divisée en quatre quartiers égaux, avec des habitations formant des rangs continus.

Nul doute que les villes de More rappellent les « Hubs » du Jamboree, tous deux divisés en quatre parties qui sont les quartiers, pour More, et les sous-camps, au Jamboree. De plus, vers la fin du Jamboree, les organisateurs ont publié des statistiques concernant notamment le contexte matériel et l'alimentation des participants au Jamboree. Tous les participants pouvaient donc s'émerveiller devant l'ampleur, la précision et l'exactitude des chiffres avancés (OMMS 2007a : 8) : 17 litres d'eau utilisée chaque minute 32 tonnes de carton recyclé 20 000 kg de pomme de terre 84 000 miches de pain 102 000 kg de viande 170 000 litres de lait 1,2 millions de repas servis 38

Cette volonté de précision et de calcul de la part des organisateurs ne fait que rendre plus explicite les ressemblances entre le contexte matériel du Jamboree et celui de certaines grandes utopies littéraires. Il faut d'ailleurs comprendre qu'à ce contexte physique s'ajoute une programmation surabondante d'activités, de cérémonies et de tâches qui entraîne une division systématique et rigoureuse du temps. Tout ceci laisse, en bout de compte, très peu de place à l'imprévu. C'est là une autre caractéristique bien connue des utopies littéraires: le refus de l'incalculable.

De l'utopie littéraire à l'Utopie vécue ...

Nous avons vu jusqu'ici que l'organisation spatiale ainsi que le contexte matériel du 21 e Jamboree mondial épouse avec une certaine souplesse les formes et le style des grandes utopies littéraires classiques lO et ce, jusque dans la logique de l'insularité qui les structure. Comme je l'ai énoncé au tout début de ce chapitre, cela tient en partie au fait que ce Jamboree, aussi grand et spectaculaire soit-il, se révèle très éphémère dans l'espace et le temps réel. Voilà peut être une des raisons pourquoi il s'apparente aux utopies littéraires classiques: il se situe dans un espace et un temps presque irréels, c'est-à-dire à la frontière de l'utopie littéraire classique - qui est hors de l'espace et du temps réel - et ce que j'appellerai ici l' « utopie vécue », c'est-à-dire l'expérience concrète d'une représentation de l'utopie dans un espace et un temps réel. Cette observation est très révélatrice et j 'estime important de la schématiser pour en assurer la bonne compréhension :

JO Pensons par exemple à L 'Utopie, de Thomas More, La Nouvelle Atlantide, de Francis Bacon ou La cité du Soleil, de Tommaso Campanella. 39

Espace de l' utopie littéraire classique

Espace du 21 e Jamboree Mondial

Espace de 1 « utopie vécue »

On peut voir dans le schéma ci-dessus que l'espace du 21 e Jamboree mondial est situé entre l'espace de l'utopie littéraire classique et l'espace de ce que j'ai appelé l' « utopie vécue ». On voit aussi que les frontières (grosses lignes pointillées) qui délimitent l'influence entre ces trois espaces demeurent ouvertes et ce, même si chaque espace possède des 1 caractéristiques qui lui sont propres (imagées ici par les trois couleurs distinctes) 1.

Revenons brièvement sur cette notion d' « utopie vécue » Ge prends soin de la mettre entre guillemet pour souligner son ambigüité). Je l'ai définie comme «l'expérience concrète d'une représentation de l'utopie dans un espace et un temps réel ». Mais la notion d'utopie vécue ne doit surtout pas être confondue avec celle d'utopie réalisée, laquelle renvoie souvent à une société totalitaire, prise dans l'illusion de l'accomplissement, de l'absolu. L'utopie vécue dont je parle ici doit plutôt être comprise comme «une tension féconde,

parce que dialectique, entre le rêve et l'éveil» (Chemillier-Gendreau 2005 : 237). Voilà pourquoi je la définis comme l'expérience concrète d'une représentation de l'utopie et non

Il La grosse ligne pointillée (grise) tout autour du graphique vise à montrer que l'espace de l'utopie vécue n'est pas imperméable face au monde extérieur. Par ailleurs, on peut dire qu'avec le temps et les contraintes du monde réel, l' utopie vécue tend à s'éloigner des principes premiers de l'utopie littéraires. Ce mouvement est imagé dans le schéma par le dégradé du vert foncé au vert pâle CI' extérieur du schéma étant fmalement le blanc). 40

comme une utopie concrétisée. Dans ce sens, le 21 e Jamboree mondial peut, selon moi, être vu comme une utopie vécue, notamment aux yeux des participants qui sont des acteurs essentiels dans la construction de cette utopie.

L'utopie vécue, à la différence des utopies littéraires classiques, constitue ce pont qui nous rattache à un espace et un temps réel. Cette notion nous permet donc d'aborder le contexte social du Jamboree dans toute sa complexité, c'est-à-dire en le confrontant au réel. J'entends évidemment par contexte social les rapports sociaux et les relations humaines qui ont lieu entre les participants, lors du Jamboree. Enfin, c'est à travers ces rapports sociaux " et ces relations humaines que nous pourrons étudier la construction collective d'un discours social utopique sur la paix.

Synthèse contextuelle

J'ai exposé dans ce chapitre le contexte dans lequel s'inscrit la présente recherche. Pour bien arrimer ce contexte aux chapitres précédents, j'ai tenté de poser les bases d'un cadre

contextuel bien précis, soit le 21 e Jamboree scout mondial en tant que contexte particulier d'énonciation et de construction d'un discours social utopique sur la paix. Il s'agissait ici de définir ce « contexte particulier» en y décrivant méthodiquement les caractéristiques qui donnent lieux à ce genre de discours sur la paix. Pour ce faire, j'ai d'abord puisé dans l'historique des Jamboree mondiaux pour en démontrer la récurrence"et l'importance qu'y occupe le thème de la paix, non seulement comme réponses historiques aux deux grandes guerres mondiales mais comme véritable aspiration universelle à célébrer et à construire. La tradition des Jamboree s'ancre donc dans une dynamique de promotion et de

valorisation de la paix. Le 21 e Jamboree mondial n'a pas échappé à cette logique et se veut à son tour un puissant médium à travers lequel se construit un discours collectif sur la paix de type utopique.

Afin de bien comprendre cette caractéristique utopique, j'ai procédé à une description du

21 e Jamboree mondial en tant qu'espace utopique partageant certaines ressemblances avec les caractéristiques communes des utopies littéraires classiques. Cet exercice a notamment 41 permis de mettre en évidence le caractère artificiel et planifié de l'espace qu'il occupe. Plus encore, il a fourni un éclairage d'ensemble sur la logique de l'insularité utopique en faisant ressortir de façon cohérente la compatibilité de cette logique avec l'espace utopique qu'est le Jamboree. Une «ethnographie» minutieuse de l'organisation spatiale et du contexte matériel dans lequel évoluent les participants au Jamboree a quant a elle confirmé son rapport à l'utopie. Enfin, la compréhension des composantes utopiques de l'espace du Jamboree a permis d,e faire le lien avec la notion d'utopie vécue, laquelle colore l'ensemble du contexte social, incluant le discours de paix qui s'y construit. C'est là du moins l 'hypothèse qui peut être faite et qui mérite d'être étudiée plus en détail. 42 Deuxième partie Récolter et Analyser les résultats

Cadre Méthodologique

Cette partie vise à expliciter la nature de la recherche, les méthodes de cueillette, d'analyse et d'interprétation des données. Elle débute avec quelques précisions sur le type de recherche que j 'ai menée.

Une approche qualitative Puisqu'elle ne cherche pas, de prime abord, à quantifier le phénomène à l'étude mais bien à le comprendre en établissant le sens de propos recueillis et de comportements observés, la présente recherche se veut qualitative. Par ailleurs, parce qu'elle s'inscrit dans un paradigme interprétatif, l'accent est porté sur la compréhension de la façon dont les gens interprètent leur expérience et comment ils se servent de ces ·interprétations pour guider leurs actions. C'est donc dire que la subjectivité dans la compréhension et l'interprétation des conduites humaines et sociales est mise en valeur, tout en tenant compte du fait que les significations et les interprétations sont élaborées par et dans les interactions sociales (Anadon 2006).

Une ethnographie « multisituée » Cette recherche a été réalisée sur la base d'une ethnographie multi-située (multi-sited ethnography) (Marcus et Fisher 1986 ; Marcus 1995 et 1998). Ce type d'approche permet notamment de dépasser le cadre local pour le ré-enchâsser dans les réseaux qui le nourrissent et les dynamiques globales qui l'encadrent. Dans cette optique, les deux « sites» qui ont été privilégiés dans cette recherche sont, au niveau global, l'espace physique du 21e Jamboree mondial et au niveau local, le poste Koudou: une unité « pionniers-pionnières» du 118e groupe scout de Pintendre (Lévis, Québec), composée de 12 jeunes (5 garçons et 7 filles), un animateur et trois animatrices (et dont une animatrice a 43 accompagné ces jeunes qui ont participé au Jamboree mondial, en Angleterre). Un avantage de cette approche multi-située est qu'elle permet l'éclatement des méthodes de recherche. Dans mon cas, elle a aussi permis l'extension dans le temps des moments de collecte de données ainsi qu'une meilleure compréhension de l'articulation des contextes global et local du phénomène étudié. Les informations et données recueillies par cette ethnographie multi­ située restent donc tout à fait reliées et cohérentes.

Outils pour la Cueillette de Données

Pour conduire une telle recherche sur rimaginaire et le discours de paix au 21 e Jamboree mondial et parvenir à faire une bonne cueillette de données, j 'ai été fidèle à la tradition anthropologique de l'observation participante sur le terrain de recherche (le Jamboree). Par contre, peu d'entrevues semi -dirigées ont été menées au cours de ce terrain. La raison est simple: le contexte du Jamboree, avec sa programmation surabondante d'activités ne me permettait tout simplement pas de mener des entretiens de durée moyenne (disons 1 heure) avec les participants. Ceux-ci n'avaient simplement pas ce temps de disponible et par­ dessus tout, avec mes propres tâches assignées lors du Jamboree - mon travail en tant que membre de l' équipe internationale de service - , je n'avais moi-même pas beaucoup de temps à offrir. J'avais donc convenu que je m'efforcerais en priorité de tisser certains liens de confiance avec des personnes ressources et des participants dans le but de poursuivre, une fois le Jamboree terminé, une correspondance via internet. C'est ce que j 'ai fait.

Sachant d'avance qu'un Jamboree mondial ne dure que 12 jours et laisse peu de place aux temps libres, j'ai pris soin d'organiser ma collecte de donnée sur une période qui a couverte l'avant et l'après Jamboree. Enfin, j'ai créé deux outils de collecte de données spécifiquement adaptés au contexte particulier de mon terrain de recherche. Voici, dans l'ordre chronologique de leur utilisation, la description de ses outils et quelques remarques rapides quand aux résultats obtenus. 44

Premier outil : Les Groupes de dis'cussion

La cueillette d'informations par groupes de discussion est communément appelé « focus group» en anglais. Dans la recherche en sciences sociales, cette méthode qualitative consiste à rassembler des personnes de même milieu ou ayant des expériences semblables pour discuter d'un thème précis présentant un intérêt pour le chercheur. Ce n'est pas une entrevue collective au cours de laquelle le chercheur pose des questions et où les participants apportent leurs réponses de façon individuelle. Au contraire, cette approche vise à stimuler une discussion de groupe sur un thème précis dans le but d'acquérir des informations sur l'éventail des opinions, des croyances, des attitudes et des expériences partagées collectivement (ou non).

Pour ma cueillette de données auprès des 12 jeunes du poste Koudou, cet outil s'est avéré très pertinent puisque ces jeunes scouts .présentaient beaucoup de caractéristiques communes (dont l'origine, l'âge et l'expérience scoute) et fonctionnaient déjà en groupe depuis trois ans lorsque la cueillette de donnée a été réalisée. Ils avaient donc l'habitude de s'entretenir et de débattre les uns avec les autres dans un esprit d'ouverture et de respect. Au total, sept entretiens de groupe ont été réalisés: trois avant le Jamboree (dix jours avant) et quatre après le retour (trois semaines après le retour). Cette démarche a donné la possibilité de mieux saisir l'effet de la participation au jamboree sur le discours et l'imaginaire de paix de ces 12 jeunes québécois. Enfin, chaque entretien devait réunir trois jeunes pour une durée d'environ 75 minutes. Les discussions portaient à la fois sur les thèmes du Jamboree,

de la paix et du scoutisme. Elles suivaient un plan de dis~ussion préalablement construit. Cet outil de cueillette de données a vite révélé sa nature complexe: il s'agit effectivement d'une technique difficile à maîtriser et qui demande une certaine expérience de la part du chercheur qui l'utilise. N'ayant pas cet expérience, j 'ai dû faire de m9n mieux pour stimuler une discussion et un débat de groupe et non pas seulement une réponse, tour à tour, de chacun des participants. Heureusement, étant donné la taille réduite des groupes (seulement trois jeunes dans la majorité des cas) et le degré de proximité entre les jeunes, les entretiens 45

ont donné des résultats satisfaisants et les données recueillies au retour du Jamboree sont particulièrement intéressantes.

Deuxième outil : L'observation participante

L'observation participante consiste généralement à étudier une société en partageant le mode de vie, en se faisant accepter par ses membres et en participant aux activités des groupes et à leurs enjeux. En adoptant cette position de base, le chercheur est en mesure de s'imprégner, établir des contacts, créer des liens, se familiariser au décor et laisser le décor se familiariser à lui. Il peut alors procéder à une collecte de données par le biais, notamment, d'observations systématiques et d'entretiens informels. Enfin, s'il est important de participer activement pour saisir de l'intérieur les activités des individus ou d'un groupe étudié, il faut toutefois savoir trouver l'équilibre entre l'immersion et le détachement.

Pour la présente recherche, mon statut de « membre de l'équipe internationale de service» (staff) pour le contingent canadien m'a assuré une implication suffisante, lors du Jamboree mondial, pour être considéré comme «participant» sans toutefois être au centre des activités, lesquelles étaient réservées, en premier lieu, pour les délégations de jeunes scouts, garçons et filles, de 14 à 17 ans. J'avais donc deux statuts lors de l'évènement: celui de scout, membre de l'ÉIS, remplissant une tâche qui me fut assignée sur place, et celui de chercheur à la maîtrise en anthropologie sociale et culturelle, ayant comme «mission» d'étudier la construction discursive de l'image de paix chez les participants scouts lors de ce rassemblement de dimension internationale.

L'observation participante sur le site du Jamboree devait se concentrer notamment sur un lieu bien précis de «construction» de cette image de paix: le Village Mondial du Développement (VMD). Chaque participant au jamboree passait une demi-journée dans ce grand village et pouvait participer à diverses activités éducatives rassemblées en une centaine d'ateliers. Ces ateliers étaient regroupés sous quatre grands thèmes: l'environnement, la santé, les droits humains et ... la paix. Les ateliers réunis sous le thème 46

de la paix devaient donc constituer le lieu d'observation et de cueillette de données le plus fertile. La réalité fut toute autre. En fait, le site du Village Mondial du Développement était réservé strictement aux jeunes participants. Après quelques jours, j 'ai tout de même pu pénétrer comme simple observateur et grâce à la rencontre fortuite d'une personne chargée d'animation - qui est par la suite devenue un informateur clé et un très bon ami -, j 'ai pu participer à certains ateliers associés au thème de la paix. Le peu de temps passé dans cette section du VMD réduit toutefois la pertinence des observations faites.

Somme toute, ce n'est pas le VMD qui s'est révélé être le lieu le plus fertile pour

l'observation participante mais plutôt les cérémonies (ouverture, « Lever du Soleil » et clôture) et fêtes (particulièrement le Concert des «Dons pour la paix») qui se sont déroulées dans l'arène centrale, en présence de tous les participants du Jamboree. Les observations et les discours et tenus lors de ces moments ont été recueillis soit dans un dans un calepin (prise de notes rapide), à l'aide d'une enregistreuse ou avec un appareil photographique.

Troisième outil : La photographie participative

S'il Y a une chose qui demeure essentielle pour le succès de toute entreprise de recherche qualitative, c'est bien la nécessité pour le chercheur d'être à la fois ouvert, créatif et bricoleur. Dans cet esprit, j'ai imaginé et créé, pour le Jamboree mondial, un outil adapté au « terrain» et à mon sujet de recherche: la photographie participative. Puisque l'intérêt de la présente recherche porte sur la construction collective de l'image de paix, il est pertinent de s'intéresser à cette construction sous une variété de formes discursives, dont celle de la production d'images. Pour cette raison, j 'ai distribué vingt cinq appareils photographiques (24 poses) à des informateurs clés que j'ai ciblés lors de l'évènement et à qui j'ai proposé de contribuer à ma recherche en photographiant, partout sur le site du Jamboree, ce qu'ils considéraient comme des « images de paix ». Parmi ces informateurs, j'avais déjà retenu les 12 jeunes scouts québécois avec qui j'avais réalisé les groupes de discussions. Je prévoyais distribuer les 13 appareils restants à des jeunes de différents pays. 47

Encore une fois, l'expérience concrète s'avéra plus complexe. J'ai vite réalisé qu' il m'était impossible de distribuer les appareils restants à différents jeunes et penser pouvoir les récupérer tous à la fin du Jamboree. En fait, le manque de temps et les difficultés de rencontres (rendez-vous) avec ces jeunes faisaient obstacle. Huit jours après le début du Jamboree, je n'avais distribué qu'un seul des 13 appareils. C'est un jeune scout indien qui avait accepté avec grand enthousiasme de se prêter à l'exercice. Pour les 12 autres, j 'avais à présent une idée claire en tête: je cherchais, parmi 40 mille jeunes participants, deux jeunes tchadiens, dont le rapport au présent projet mérite quelques élaborations.

Une source importante d 'inspiration derrière ce projet de photographie participative vient d'un très bon ami et confrère d'étude en anthropologie: Moïse Marcoux Chabot. Puisque Moïse effectuait un terrain d'anthropologie participative au Tchad quelques mois avant mon propre terrain au Jamboree en Angleterre, je l'ai mis au défi de trouver, dans Djamena (la capitale Tchadienne), les deux seuls scouts qui avaient été sélectionnés pour représenter

leur pays lors du 21 e Jamboree mondial. À ma grande surprise, Moïse releva le défi avec succès : il rencontra les ·deux jeunes scouts, réalisa une courte entrevue avec eux et les informa de moi et de mon projet de photo participative lors du Jamboree.

Il va sans dire que cet exploit en appelait désormais un autre: il me fallait trouver ces deux jeunes scouts tchadiens au Jamboree et les inclure dans mon projet! Après huit jours sur le Jamboree, je tombai finalement sur les deux jeunes en question, et du même coup, sur la

troupe à laquelle ils appartenaient le temps du Jamboree. Cette troupe s~ composait de 14 participants dont 1 animateur (chef) responsable. Il y avait dans cette troupe une caractéristique unique: à la différence des autres groupes sur le Jamboree, cette troupe

n'était pas homogène au niveau de la ~ationalité des participants mais regroupait plutôt des jeunes scouts de six pays, soit le Tchad, le Cameroun, le Niger, le Gabon, le Sénégal et le Sierra Léone.

La raison d'une telle hétérogénéité au sein de cette troupe est à la fois logique et surprenante: aucun des pays qui y étaient représentés ne disposait d'un nombre suffisant de participants pour créer une seule troupe nationale. En fait, il faut dire que la taille des 48

contingents nationaux de participants variait énormément au Jamboree et ce, malgré les opérations d'entraide et les levées de fonds réalisées dans certains pays12 pour permettre à

des jeunes et leaders de mili~ux défavorisés de participer à ce grand rassemblement mondial.

Après un regard rapide sur les statistiques des pays présents au Jamboree, j 'ai pu constater que les 15 plus gros contingents nationaux13 rassemblaient au total 24 253 scouts alors que les 15 plus petits n'en contenait pas plus de 37, au total. Sur ces 15 plus petits contingents nationaux, le plus nombreux ne dépassait pas 4 participants (Niger). Par ailleurs, Il de ces 15 contingents nationaux sont des pays cl ' Afrique. Si je prends le temps de préciser ceci, c'est que mon projet de photographie participative a permis de rassembler plus du tiers des participants scout de ces 15 plus petits contingents présents au Jamboree. Enfin, la diversité, non seulement de nationalités mais aussi de langues (notamment le français et l'anglais), de régions géographiques (par exemple l'Afrique de l'ouest et l'Afrique centrale en zone équatoriale) ou encore de confessions (notamment catholique et musulmane), a confirmé mon intérêt pour les deux jeunes tchadiens et leur troupe. J'ai donc présenté mon projet de photographie participative au chef de la troupe et avec son consentement, je l'ai ensuite proposé aux participants du groupe. Ceux-ci ont tous accepté d'y participer. À présent, il ne me suffisait que de retourner à leur camp avant la fin du Jamboree pour récupérer d'un seul coup les 12 appareils photos.

La phase finale de ce projet de photographie participative était une des plus déterminantes: après avoir récupéré et fait mettre les photos sur support électronique (CD), j 'ai créé un site internet pour exposer ces photos et recueillir les précieux commentaires des participants qui devaient décrire en quoi les images qu'ils ou elles avaient choisis de prendre représentaient

la paix, à leurs yeux. C'est à cette étape qu'une dure réalité m'est soudainement apparue: la

12 Les scouts de l'Angleterre ont amassé près de 500 000 livres sterling (environ 980000 dollars canadiens) dans une initiative nommé « World Frienship Appeal »qui visait à soutenir la venue au Jamboree de participants scouts provenant de pays défavorisés au niveau socio-économique. Source: Official day visitor Guide, 2lth (27 July to 8 August 2007), page 37. 13 Les trois plus grands contingents nationaux de participants étaient dans l'ordre l'Angleterre (6104), les États-Unis (3125) et·I'Italie (2166). Le (Scouts Canada) figurait quant à lui en 2ge place avec un contingent de 243 scouts, dont une cinquantaine représentait l'Association des Scouts du Canada (scouts majoritairement francophones). 49 fracture technologique nord-sud et la grande difficulté voire l'impossibilité pour plusieurs jeunes africains d'avoir accès à internet de façon continue et non dispendieuse. Cette réalité m'a frappé de plein foue~ au retour du Jamboree et bien que les jeunes Mricains se soient pratiquement tous créés une adresse courriel pour le Jamboree, seulement deux d'entre eux ont retourné mes courriels (en plus de l'animateur (chef) responsable, du Gabon) et un seul jeune participant a laissé des commentaires sur le site internet créé pour le projet photo. La situation fut semblable avec le jeune indien: très peu de nouvelles et aucun commentaires accompagnant ses photos sur le site internet.

Devant une telle impasse, j ' ai décidé de tenter ma chance et de faire paraître le site internet sur le site officiel de l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout (OMMS) tout en prenant soin d'expliquer mon projet et l'impasse rencontrée. Quelques jours plus tard, à ma grande surprise, un texte décrivant mon projet se retrouvait sur la page d'accueil (dans la section « nouvelles ») du site de l'OMMS et il invitait' notamment les scouts du monde entier à visiter mon site internet et laisser leur propres commentaires sur les « images de paix» prises par les participants africains, québécois et le jeune scout de l'Inde, au cours du Ja!llboree mondial en Angleterre. Les réponses furent multiples et cela a permis à tout le moins de faire une analyse des photos prises par certains scouts africains (et celui de l'Inde) en s'appuyant notamment sur les commentaires laissés par d'autres scouts de différents pays.

Quatrième outil : Les guides d'entretiens électroniques

Suite aux discussions de groupes réalisées avant et après le jamboree, à l'observation participante et aux entretiens informels lors de l'évènement, j'ai été en mesure de dégager certains grands thèmes et éléments de réponses à partir desquelles j'ai configuré deux guides d'entretiens électroniques pouvant être envoyées par courriel aux informateurs clés et autres connaissances faites par le biais d'évènements scouts. Chacun de ces guides d'entretiens comportait une structure non rigide de 10 questions ouvertes, donnant ainsi la possibilité de rendre plus explicite l'univers du répondant et de mieux saisir la logique qui 50

organise, suivant mon objet d'étude, la construction discursive de l'image de paix chez les participants au 21e rassemblement mondial du mouvement scout. Les guides d'entretiens ont donné de très bons résultats : 33 personnes ont répondu au premier et 19 au second.

Organisation et Classification des données

Une fois les données recueillies, l'étape du classement des données débute et celle-ci est très importante parce qu'elle oriente déjà l'analyse qui viendra par la suite. Dans mon cas, j 'ai d'abord procédé à une division que j 'appellerais technique (ou pratique) : j 'ai séparé toutes les données en trois catégories, soit les «documents écrits», les « documents sonores» et les « documents visuels ». J'ai ensuite procédé à une deuxième division plus stratégique (ou théorique), qui consistait à séparer l'ensemble du corpus de données en deux grandes sources: les données provenant du discours de paix institutionnalisé (le .discours officiel sur le site du Jamboree) et les données provenant du discours de paix construit par les jeunes participants au Jamboree. Cette dernière division est déterminante

\ puisqu'elle permettra de définir dans l'analyse les composantes de chacun de ces discours et ainsi examiner l'influence de l'un sur l'autre dans la dynamique de leur rencontre.

Sélection des données à conserver

Pour trier les données et garder uniquement les parties les plus pertinentes avec le contexte précis de ma recherche, j'ai utilisé un principe de sélection de type sémantique. Comme le dit Izutsu: «Concepts [ ... ] do not stand alone and in isolation but are always highly organized into a system or systems (1980 : 18). J'ai donc isolé, dans les données, toutes les sections où se retrouvait le mot « paix» et ses synonymes (valeurs associées au mot paix). J'ai ensuite recherché les « mots-clés» qui s'organisaient autour du concept de paix. À la suite de cet exercice, j 'ai obtenu un corpus comprenant un ensemble d' « images de paix », c'est-à-dire des signes, des représentations de la paix sous forme de paroles (discours oral), de mots (discours écrit), d'images (photos) ou encore de gestes. La phase suivante était de classifier ces « images de paix ». 51

Classification par filtrage sémantique

Il convient ici d'expliquer les étapes de classification dans leur ordre chronologique. La première étape concerne les « images de paix» appartenant au discoùrs de paix officiel du Jamboree. En premier lieu, pour faire suite à une , hypothèse de départ concernant , l'influence de l'Unesco dans le discours de paix officiel, j ' ai créé un filtre nommé «, Filtre Unesco- Onu ». Pour ce faire, j 'ai puisé dans une recherche que j 'avais préalablement réalisée sur «la paix de l'Unesco» et qui tentait de décrire, au moyen d'une analyse sémantique, les composantes et la définition du concept de paix tel que véhiculé dans les discours et les déclarations de l'Unesco et de l' ONU. Ce filtre consiste en une série de concepts clés associés au mot paix dans la vision de l'Unesco, comme par exemple les concepts suivant: « liberté », « tolérance», démocratie » ou encore «égalité des sexes ».

Après avoir construit le filtre Unesco (ONU), j 'ai fait passer l'ensemble du discours de paix officiel à travers ce filtre. D'une part, les données « retenues» dans le filtre indiquent une compatibilité avec le discours de paix de l'Unesco (Onu) et d'autre part, la grande majorité des données qui sont passées à travers sont logiquement des éléments du discours de paix propres à l'Organisation Mondial du Mouvement Scout (OMMS). À partir ce ces données restantes, il m'était donc maintenant possible de construire, le « filtre OMMS ». Enfin, la suite logique était de reprendre l'ensemble des données du discours de paix officiel et de le faire passer par le filtre OMMS pour en recueillir les données les plus fidèles. Les quelques données qui sont passées à travers le filtre OMMS seront quant à elles soulignées dans la troisième partie de ce mémoire.

- - -- -~ . (~~~ SG~6i.~ -b~) --t DOIJ!·,}{ € S 1) '-" " Di sc N ' f,. S b f..fJ~/ Y. Dr' 5CouR, S ' OF~ ; c. i EL ../ \ Dé lo J OrlHS \, ,------.- '- ~~ - ~ '"\ C/lÉ~ rioIl tJ fI boIJ/./EK QtJ; , ~ ~EC; .' FhT~E OHHS , ï EJlr $t)1i17 1 COlISil( "G~S ~' ~~ 52

La deuxième étape de classification par filtrage sémantique concernait les «Images de paix» appartenant au discours de paix construit par les participants scouts du Jamboree. J'ai fait passer les données de ce discours à travers le premier filtre, soit celui de l'Unesco(Onu). Les « images de paix» qui sont restées « prises» dans ce filtre. témoignent de l'appropriation par les participants du discours de paix de l'Unesco (Onu). J'ai ,ensuite fait le même exercice avec le second filtre, soit celui de l'OMMS. Encore une fois, les données «prises» dans le filtre témoignent de l'appropriation par les participants du discours de paix de l' Organisation Mondiale du Mouvement Scout (OMMS). Quand aux données qui sont passées à travers les deux filtres, elles ont été soumises à un troisième filtre que j 'ai appelé le filtre « théorique », en me référant aux concepts clés qui orientent cette recherche au niveau théorique. En d' autres termes, les données qui n'étaient pas associables ni au discours de paix de l'Unesco ni à celui propre à l' OMMS ont été soumises à une analyse supplémentaire pour y détecter les éléments de paix positive et d'utopie qui n'apparaissent pas dans les autres sources de discours (Unesco et OMMS).

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Analyse des données

L' analyse des données (images de paix) a été faite suivant trois méthodes permettant une analyse en fonction des différents types de données. Voici ces trois méthodes:

1- Analyse de discours L'analyse de discours présuppose l'existence d'une réalité, existante dans l'énoncé, formée à travers l'argumentation, la forme et les enchaînements du discours oral ou écrit. Dans cette 53

étude sur la construction collective de l'image de paix, la part de cette construction qui se logera au niveau discursif a été analysée selon une dimension précise: la construction dite sémiotique (Gee 1999). Cette dimension renvoie à l'étude des pratiques signifiantes dans un domaine de communication. Dans la présente recherche, c'est en quelque sorte la culture et plus précisément la « culture scoute» qui représente le domaine de communication. Ainsi, on peut se demander: dans la construction discursive de l'image de paix, quels signes et système de signes sont pertinents ? Par signe, il faut comprendre « unité de sens » (comme par exemple, un seul mot, une image, isolée) et par système de signes (ou système sémiotique), le mode dans lequel ils apparaissent (par exemple le discours oral, l'écrit, l'image, le geste).

2- Analyse de contenu

Toujours dans une approche SOCIO sémantique, l'analyse de contenu a suivi la même procédure que l'analyse de discours mais fut, quant à elle, utilisée pour l'analyse et l'interprétation des documents imprimés recueillis lors du Jamboree mondial.

3- Interprétation des images photographiques L'analyse et l'interprétation des images photographiques recueillies sur le site du Jamboree ont été faites, en bonne partie, en suivant la méthode de saturations de données, c'est à dire que les images et les données les plus récurrentes ont été interprétées et analysées comme les plus signifiantes. Les photos affichées sur le site intemet14 ont quant à elles été analysées et interprétées en lien étroit avec les commentaires laissés par l' auteur( e) des photos ou ceux d'autres scouts du monde entier qui ont visité le site.

14 www.donspourlapaix.wordpress.com 54

Synthèse et Objectifs

À partir des données qualitatives recueillies suite à l'observation participante (sur le site du jamboree), aux entretiens informels et à la photographie participative, j ' ai été en mesure de dresser non seulement un inventaire des actions concrètes explicitement orientées vers la définition et la communication de l'image de paix lors du Jamboree, mais aussi de mieux circonscrire l'ensemble des idéaux, intentions et objectifs contenus dans le concept de paix transmis lors de cet évènement.

Ces premières données pourront donc nous éclairer quant à la façon dont l'image de paix est présentée ou élaborée par l'OMMS au Jamboree. Cela devrait pouvoir répondre à la sous­ question suivante: quelle définition le Mouvement scout donne t-il à la paix ?

Bien que nous aurons alors une idée plus précise de la nature du «message » de paix transmis de façon explicite lors du jamboree, il nous restera encore à comprendre la façon dont ce «message» est «décodé» et approprié par les jeunes participants lors de l'évènement. Ce sont les données recueillies au niveau du discours lors des discussions de groupes, par les résultats du projet de photographies participatives ainsi que par les résultats des guides d'entretiens électroniques qui permettront, une fois analysées et interprétées, de voir plus en détail l'image de paix telle que construite par les participants au Jamboree. Enfin, avec des données discursives provenant d'un échantillon composé de jeunes scouts québécois mais aussi d'autres scouts francophones de divers pays voire de participants de touts horizons,· il sera possible de comparer les «discours de paix» construit par les participants pour mettre en évidence, s'il y a lieu, les images communes qui sont partagées de façon collective lors du Jamboree mondial. 55

Analyse des Résultats

L'analyse des résultats vise ici à fournir un éclairage sur les composantes principales du discours de paix au 21 e Jamboree mondial. Il s'agit donc d'examiner la constitution de ce discours. Suivant les principes de l'anthropologie interprétative, je procèderai à la description en profondeur d'une première couche de réalité, visible et signifiante. Cette description devrait permettre de « découvrir les structures conceptuelles qui informent les actes de nos sujets [acteurs sociaux], le « dit» du discours social» (Geertz dans Céfaï 2003 : 229). Enfin, tel qu'annoncé dans la méthodologie, cette analyse sera divisée en deux volets: d'abord l'analyse du discours de paix institutionnalisé et par la suite l'analyse du discours de paix provenant des participants au Jamboree.

Le discours de paix institutionnalisé

J'entends par discours de paix institutionnalisé le discours qui était préparé de façon officielle sur le site du Jamboree et qui visait à présenter et faire voir une conception particulière de la paix. Il s'agit donc du discours de paix transmis aux participants de façon structurée et délibérée durant le Jamboree. Ma première tâche en tant que chercheur était de tenter d'identifier sur le site du Jamboree les lieux les plus propices à la transmission de ce discours. En retraçant un à un ces espaces (lieux), je propose d'examiner les composantes particulières de ce discours de paix officiel.

Débutons avec un espace qui, comme je l'ai dit déjà, m'apparaissait à première vue comme le « cœur battant» du discours de paix officiel au Jamboree: la section d'ateliers (workshops) dédiés spécifiquement au thème de la paix dans l'enceinte du Village Mondial du Développement. Tout d'abord, il faut dire que la « texture» du discours de paix qu'on retrouve dans cet endroit est influencée directement par la vision de la paix des Organisations en charge de réaliser les ateliers. Voici ces Organisations avec le choix du thème abordé (OMMS 2007d : 49) : 56

-UNHCR - refugees - Islamic Relief - humanitarian response - Red cross/ Red crescent - humanitarian response - ICCS - conflict - Terre des Hommes - humanitarian response - International Olympique Comitee - international sport - Amnesty International - arms trade - Trade Justice Movement - trade rules - Transparency International - corruption - Peace Child International - peace building

La majorité des ateliers offerts par ces grandes Organisations traitent le thème de la paix dan,s sa dimension négative (paix négative) ou du moins,- dans une perspective qui privilégie la compréhension, l'intervention et la résolution de conflits ou d'effets de violence. Ainsi en est-il de la vision dominante de la plupart des agences de l'ONU ou encore de la Croix Rouge/Croissant Rouge. Le thème de l'aide humanitaire s'inscrit lui aussi dans un contexte de crises, de conflits ou de guerres. Il est relié à une notion d'intervention souvent dépendante d'une situation de violence préexistante. Enfin, on trouve en général à la base de cette conception particulière de la paix un thème récurrent : le droit. C'est donc une vision juridique de la paix qui se concentre sur la compréhension des situations de conflit et fonctionne dans une logique de résolution de problème.

Au Jamboree, d'autres ,espaces abordent la paix sous cet angle. Les plus visibles sont le Boulevard global du développement et les six Globus (bus à double étages aménagés de façon à exposer des enjeux particuliers du développement mondial). À l'instar du Village Mondial du Développement, ces lieux offrent des ateliers et des présentations venant d'une foule de petites et grandes organisations indépendantes - généralement des Organisations non gouvernementales (ONG) telles l'Unesco ou encore Amnesty international. La paix y est abordée à travers une démarche de conscientisation et d'invitation à l'action face aux crises et aux défis auxquelles la communauté mondiale est confrontée. On est encore ici dans une démarche de résolution de problème qui se structure autour du Droit, que ce soit dans les thèmes du VIH/SIDA, du droit des enfants, du droit des femmes, du transport mondial, de l'eau ou encore de l'esclavage. 57

Jusqu'ici, nous avons exploré des lieux dans lequel le discours de paIX est issu d'Organisations indépendantes invitées sur le site du Jamboree pour partager avec les participants un savoir concret sur des enjeux mondiaux précis. Qu'en est-il maintenant du discours de paix officiel provenant spécifiquement de l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout (OMMS) ? Pour tenter de répondre à cette question, la visite d'un lieu devenait incontournable: le Centre Mondial du Scoutisme (World Scout Centre). J'avais appris par plusieurs informateurs qu'on présentait dans cet espace l'histoire des cent dernières années du Mouvement scout et les plus grandes réalisations à travers ce centenaire. C'est aussi là que je pourrais trouver le plus d'informations sur un programme mis en place ·spécifiquement pour le centenaire du scoutisme: les « Dons pour la paix ».

Puisque ce programme fut au centre du discours de paix de l'OMMS lors du 21 e Jamboree mondial, il est crucial de l'analyser en profondeur.

Le programme des « Dons pour la Paix»

Le programme des « Dons pour la paix» vise les scouts de toutes les tranches d'âge. Il a été mis sur pied par l'OMMS et s'accompagne d'un outil pédagogique nommé ScoutPax qui prend la forme d'un site internet contenant toutes les informations nécessaires et la marche à suivre pour planifier et mettre en œuvre un projet concret de «Dons pour la paix ». L'analyse rapide du contenu de cette ressource pédagogique (ScoutPax) met tout de suite en évidence l'importance du thème de la paix dans les célébrations du centenaire: la paix y est présentée dès le début comme « un élément fondamental du Scoutisme» et « un thème clé du centenaire » 15. Des précisions sont apportées :

Ce 100e anniversaire est une occasion privilégiée de commémorer le travail réalisé par le Scoutisme pour promouvoir la paix, de réaffirmer publiquement notre engagement en tant que Mouvement pour l'avènement d'un monde en paix, et de créer des liens avec ceux qui partagent les mêmes objectifs que nous. Le proj~t de Dons pour la Paix a été deve, l' oppe en vue d' accomp1·· Ir cecI ... 16

Chaque pays (Organisation scoute nationale) fut donc invité à faire un « don» pour la paix à travers un projet concret au niveau national ou local. Ces ·projets devaient être réalisés

15 Site internet (ScoutPax) : http://worldnet.scout.org/scoutpax/fr/I/I_introduction_fr 16 ibid 58

avant ou pendant l'année du centenaire (2007). La célébration et le partage de ces « Dons

pour la paix» furent quant à eux prévus lors du 21 e Jamboree mondial. Sur le site internet de ScoutPax, l'OMMS décrit ces projets et ses intentions de la manière suivante: « La « paix» étant un sujet extraordinairement vaste, un certain nombre de domaines d'action particuliers, qui concernent les jeunes et peuvent réellement contribuer à la paix dans le 1 monde ont été recensés » 7 Ces domaines sont :

1. Gérer les conflits sans violence. La paix et la résolution des conflits, y compris la solution des problèmes, la capacité de négociation et de médiation, le refus des sentiments de colère.

2. Lutter contre les préj ugés. Identifier et combattre les préjugés et les stéréotypes, par exemple: le racisme, l'intolérance religieuse, l'intimidation, le harcèlement et la discrimination sexuelle.

3. Encourager une plus grande solidarité.

La solidarité avec les populations défavorisées, par exemple les réfugiés, les populations déplacées à

l'intérieur d'un pays, les demandeurs d'asile, les enfants de la rue et les minorités ethniques. ]8

Puisque ces trois domaines d'actions agissent comme balises pour tous ' les proj ets de « Dons pour la paix », ils «colorent» nécessairement la vision de la paix transmise par l'OMMS. À première vue, on peut déjà voir des ressemblances avec la vision de la paix de plusieurs Organisation indépendantes (ou ONG) présentent sur le Jamboree. On le voit notamment 'à travers le choix du vocabulaire expliquant les trois domaines d'actions : ce qui est visé est la « résolution des conflits », des «problèmes », par la « négociation », la « médiation », la «lutte contre les préjugés », le «combat contre le racisme », « l'intolérance », le «harcèlement », la «discrimination », l'aide aux «réfugiés », aux

groupes minoritai~es, marginalisés ou fragilisés. On reste en effet dans une vision de la paix relié à une notion d'intervention dépendante d'une situation de violence préexistante.

]7 ibid 18 ibid 59

Revenons à présent au Centre Mondial du Scoutisme. Il était facile de constater dans ce lieu toute l'importance attribuée à la promotion et la visibilité des « Dons pour la Paix» : une énorme bannière placée au centre des expositions affichait tous les pays (Associations scoutes nationales) ayant réalisés des «Dons pour la paix» ainsi qu'une description de leurs projets. La bannière rappelait aussi les trois domaines d'actions et annonçait que « des millions de scouts autour du monde ont réussi leurs dons pour la paix ».

À la lecture des projets réalisés dans chaque pays, il était possible de confirmer une approche du thème de la paix qui adopte la logique, le vocabulaire et la vision des Organisations indépendantes et internationales présentes au Jamboree. Je pense notamment aux agences de l'Onu et en particulier à l'Unesco, qui est en quelque sorte l'organe « penseur» de la paix à l'Onu. Enfin, il faut dire que l' Organisation Mondiale du Mouvement Scout entretient un lien étroit avec l'Onu: «Depuis 1947, elle jouit du statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations-Unies» (OMMS 2007e : 4). Il est donc tout à fait possible de voir dans le discours de paix officiel au Jamboree une influence de cette instance internationale. . 60

Pensant trouver au Centre Mondial du Scoutisme des caractéristiques du discours de paix propre à l'OMMS, nous avons pu voir que celles qui définissent le programme des « Dons pour la paix» - analysé en tant qu'élément central du discours de paix de l'OMMS au Jamboree - sont attribuables en grande partie à une vision de la paix déjà connue: celle de l'Onu et de l'Unesco. Nous y reviendrons, plus loin dans cette analyse.

En poursuivant la recherche d'éléments du discours de paix officiel sur le Jamboree, un endroit s'est révélé très fertile: l'arène centrale, lieu de rassemblement de tous les participants scouts, notamment pour l'ouverture et la clôture du Jamboree. Dans la première partie de ce mémoire, j ' ai décrit ce lieu comme un espace cérémoniel. On parle en effet au Jamboree de «cérémonie d'ouverture» et de «cérémonie de clôture », au sens où se . déroule à ces occasions un rituel formel et solennel. À l'occasion du centenaire du scoutisme, une autre cérémonie a permis l'analyse du discours de paix officiel: la « cérémonie ·du Lever du Soleil » pendant laquelle tous les scouts présents au Jamboree - ainsi que des millions d'autres scouts du monde entier - ont renouvelé leur Promesse scoute et donc leur eng~gement à créer un monde meilleur et plus en paix. Lors de cette cérémonie, le petit fils de Baden-Powell, qui porte aussi le nom de Lord Baden-Powell, s'est exprimé devant les milliers de scouts en disant tout d'abord: « Le mouvement que mon grand-père Baden-Pow~ll a lancé est devenu l'un des plus puissants instruments de la paix internationale. Il aurait été ému, il aurait été heureux de réaliser combien la graine qu'il a plantée a grandie lors de ces 100 premières années» (ibid).

Baden-Powell (petit fils) poursuit en citant le dernier message écrit par son grand-père avant sa mort et dans lequel il dit entre autre: « le véritable chemin du bonheur est de donner celui-ci aux autres ». Cette notion de bonheur partagé et relationnel s'inscrit, lors de . la cérémonie du Lever du Soleil, dans un discours de paix qui se réfère à plusieurs reprise àux concepts d'« unité », de «fraternité », d'« amitié» et de «partage ». Enfin, les discours des cérémonies d'ouverture et de clôture viennent réaffirmer cette vision particulière de la paix. On le voit notamment à travers le titre de la chanson thème du Jamboree « you are my brother », chanté à plusieurs occasions lors de ces rassemblements. 61

Quant à la cérémonie de clôture, on y retrouve encore les mêmes éléments du discours de paix, transmis sous la forme d'expressions telles «nouer des amitiés internationales », «partager ensemble », «fournir le meilleur de soi-même », «giving happiness to others ( ... ) to build a better and peaceful world ». Le secrétaire général de l'OMMS termine par ailleurs son discours de clôture en disant: « At this Jamboree, ( ... ) we experienced the joy of brotherhood and sisterhood without borders. May the same orient our everyday lives. Let' s start from here to change the world ». Cette référence à une «fraternité sans frontières» en tant qu'élément de «l'esprit scout» illustre bien cette vision particulière de la paix qui semble venir plus spécifiquement du scoutisme. Pour l'approfondir, quittons l'analyse de discours proprement dite pour appliquer celle-ci à l'analyse de contenu, en particulier celui des journaux officiels du Jamboree.

Le discours de paix dans le journal « One World » et autres écrits

Pour quiconque voulait suivre l~s faits et gestes sur l'ensemble du Jamboree, la lecture quotidienne du journal « One World » était un incontournable. En effet, ce journal, produit

à raison de 40 000 copi~s par jour et livré partout sur le site du Jamboree, permettait d'informer l'ensemble des participants du déroulement du Jamboree, que ce soit en relatant les faits marquants, en annonçant les activités à venir ou encore en exposant les témoignages de multiples acteurs, dont certains participants. Il va sans dire que ce médiuin écrit jouait dès lors un rôle majeur dans la construction et la transmission du discours de paix officiel sur le Jamboree. En me servant des filtres sémantiques (OMMS et

Unesco/Onu) dont j 'ai parlé dans le chapitre précé~ent, j'ai filtré l' ensemble du contenu des douze journaux publiés lors du Jamboree pour en faire ressortir les composantes les plus récurrentes du discours de paix officiel. Les résultats obtenus viennent corroborer la vision de la paix telle que nous l'avons défiriie jusqu'ici dans le discours officiel.

Si on prend par exemple les résultats obtenus après avoir passé le filtre OMMS, on peut voir émerger certains concepts qui sont récurrents et qui sont touj ours associés de près ou de loin au mot «paix ». C'est le cas des concepts de «fraternité », d' « amitié» et de « famille ». Le premier, celui de fraternité, semble avoirtraversé le temps puisqu'il était au 62 cœur de la vision de la paix de Baden-Powell lorsqu'il préparait le tout premier Jamboree. Il définissait en effet la paix comme le développement d'une «fraternité universelle ». Cette « fraternité» colore encore aujourd'hui une grande partie du discours de paix officiel. Ces extraits venant de différents acteurs le montrent bien :

« Ce Jamboree est le départ pour notre mission de frères et sœurs dans le Scoutisme pour apporter au monde paix et compréhension» - Herman Hui, président du Comité Scout Mondial - (OMMS 2007f: 10).

« La fraternité qui se crée est extraordinaire, on a une belle jeunesse mondiale » - Adulte responsable scout du Québec (Canada) - (OMMS 2007f: Il).

« C'est vraiment incroyable de savoir que, pendant cet évènement, on peut enterrer tous les conflits de religion car on est tous frères de scoutS» - un scout de l'Algérie - (OMMS 2007g: 3)

Le concept d'amitié est tout aussi fort au Jamboree: il apparaît comme une condition nécessaire dans la construction d'un monde en paix. Ainsi, les éditeurs du journal « One World» n'hésite pas à le mettre en valeur sur la couverture du journal du 30 Juillet (issu 3) : le grand titre affiche en anglais: « Making new friends ». Juste en dessous du titre en anglais, une traduction française est encore plus explicite: « Fais-toi de nouveaux amis» (OMMS 2007h). L'image de couverture qui vient appuyer ce message vaut à elle seule mille mots: elle montre un scout du Kazakhstan qui tient l'épaule d'un scout des États• Unis. 63

Cette image apporte une précision sur le type d' amitié valorisé dans le discours de paix officiel: c'est non seulement l'amitié qui est prônée mais avant tout l'amitié internationale, donc entre les scouts de différentes nationalités. Cette idée est mise en évidence dans le journal du 3 août dont le grand titre est effectivement « Amitié internationale» (OMMS 2007i: page couverture). En me procurant un autre docul1lent écrit sur le site du Jamboree, soit le «Guide officiel du Visiteur d'un jour» (Official day visitor Guide)19, j 'ai pu confirmer la récurrence de cette association entre la paix et l'amitié internationale. Prenons par exemple cet extrait où le 3em Baron Baden-Powell of Gilwell (petil fils de B.P.) défini l'esprit du Jamboree: « Many things have changed, but the spirit of Jamboree remains the

same - a celebration of peace and international friendship » (OMMS 2007d : 5). Plus loin dans ce même « Guide officiel du Visiteur », un article intitulé « Why join a Jamboree? » donne trois raisons de participer à un Jamboree. Une de celles-ci est décrite ainsi:

International friendship : the jamboree just goes to show that peace is possible in the world. It shows that people can live in har'mony ifthey put their minds to it. Imagine a place where you can walk around and say "hello" to people from over 180 different countries and territories - where they' ll smile and say "hello" back to you. That's Jamboree

OMMS 2007d : 22

On voit très bien dans cet extrait la force du lien entre l'amitié internationale et la paix dans le monde. Plus encore, cet extrait révèle avec force la conception du jamboree en tant qu'espace utopique. C'est donc un endroit où le monde entier se rencontre, se sourit et se salue. À propos des salutations sur le Jamboree, un article du journal «One World» apporte un éclairage très pertinent :

On this Jamboree there is one thing that you can't fail to notice - the « hellos ». In a world where we live in the shadow of violence and misunderstanding between nations, the « hellos » here always come with a smile, and aIl barriers cease to exist. We are aIl having the time of our lives, aware that peace and friendship are essential to creating an environment made up of piece of each country. Who would have thought that a simple « hello» could make such a difference? OMMS 2007j : Il

19 Ce Guide d'informations sur Je Jamboree fut remis à tous les visiteurs (touristes) qui, pourvus d'un laisser passer, avait accès à certaines zones du Jamboree durant une journée. 64

Ces fameux «Hello » offert à tous le monde et en tout temps sur le site du Jamboree apparaissent comme l'incarnation de cette volonté de créer les conditions d'un monde de paix et de bonne entente. Cette salutation devient une norme, un véritable réflexe programmé qui se veut le ciment symbolique d'une amitié et d'une fraternité internationale entre tous les participants du Jamboree.

L'insistance sur le thème de l'amitié internationale dans la programmation du Jamboree peut être vue à travers deux activités hautement symboliques. La première a eu lieu lors d'une cérémonie sur l'île de Brownsea au cours de laquelle les organisateurs invitaient des participants représentants tous les pays présents au Jamboree à traverser un « Pont de l'Amitié ». Ce geste symbolique est décrit par une sc~ute de la Bosnie dans un article du Journal « One World » intitulé « Crossing the bridge of friendship » : « As part of the hour­ long ceremony, we had to go over a bridge of friendship and greet each 'other» (OMMS 2007k : 4). L'autre activité invitait tous les scouts du Jamboree à réaliser une série d'actions (visant le rapprochement amical) dans le but d'obtenir un badge spécialement conçu pour le Jamboree: le « Badge de l'amitié ».

Enfin, le concept de famille utilisé à quelques reprises dans le discours de paix officiel vient en quelque sorte imager le sentiment d'appartenance et d'unité que l'OMMS veut transmettre aux participants: «Even though the challenges facing Scouts today are different, the fellowship of Scouting has stayed the same. It' s a big family, but a very close one »20. Cette notion de grande famille est clairement mise en évidence dans le titre (et le

20 One World (Journal officiel du 21 e Jamboree Scout Mondial), Issue 12 (Mercredi 8 Août 2007), page 10. 65

contenu) d'une brochure disponible sur le Jamboree: « La grande famille du Scoutisme. De l'île de Brownsea à Chelmsford »21. En fait, l'image du Mouvement scout mondial en tant que «grande famille» ou encore comme «véritable communauté mondiale» (OMMS 20071 : 7) semble venir se souder aux concepts de fraternité et d'amitié internationales en formant la logique symbolique suivante: des amis de différentes nationalités qui se considèrent frères et sœurs à travers une même et grande famille humaine. Cette volonté d'exprimer la paix par une démonstration d'unité fut notamment montrée lors de la cérémonie du Lever du Soleil, célébrant avec précision le centenaire du scoutisme: « With over 28 million Scouts around the world renewing their Promise at 8am local time,

Scouting' s Sunrise is the biggest and most significant expression of peace and unity the world has ever witnessed » (OMMS 2007i : 10).

Maintenant que nous avons fait ressortir les composantes du discours de paix de l' OMMS à l'aide d'un filtrage sémantique, il convient de faire le même exercice en filtrant cette fois-ci les composantes du discours d'influence onusienne, si on peut le dire ainsi. Puisque j 'ai déjà mi en évidence une partie de ce discours, je soulignerai seulement le «message » adressé à tous les scouts du Jamboree par nul autre que l'actuel Secrétaire-Général des Nations-Unies, Monsieur Ban Ki-moon :

Chers jeunes amis, comme scouts de tout~ la planète qui prennent part à ce Jamboree Mondial, vous avez beaucoup en commun avec les Nations Unies: vous êtes des gens de milieux divers, joignant leurs mains en toute amitié et à la recherche de connaissance, de compréhension et de solutions aux problèmes du globe. Si l'ONU est l'organisation la plus universelle de la communauté internationale, le Scoutisme fournit, tôt dans la vie, un terrain d'entraînement. Pour chacun de vous, c'est une façon de vous préparer à vos responsabilités comme citoyens du monde. C'est un forum rassemblant idées, valeurs et cultures. C'est une manière d'ouvrir vos esprits et cela vous prépare aux défis de notre temps. Votre Jamboree vous engage envers certains des problèmes les plus urgents de notre temps, et qui sont au premier plan de l'agenda de l'ONU, depuis l'environnement jusqu'aux droits humains et l'éradication de la pauvreté. Peu importe le métier ou la profession que vous choisirez pour gagner vos vies, j'espère que vous serez toujours unis par le lien de citoyen du monde que le Scoutisme aura forgé entre vous. Et j 'espère que vous vous identifierez toujours à l'ONU et à sa mission. Dans cet esprit, veuillez accepter mes vœux les plus chaleureux pour un fructueux Jamboree

OMMS 2007m : Il

2 1 La grande famille du Scoutisme. De l'île de Brownsea à Chelmsford (Brochure), Bureau Mondial du Scoutisme, Secteur Communication & Médias, juillet 2007. 66

Au-delà d'une présence marquée de la vision « onusienne» de la paix dans le journal « One World », ce message du Secrétaire-Général de l'ONU fait voir un phénomène encore plus intéressant: la conjonction ou la rencontre des visions de paix de l'ONU et de l'OMMS. En effet, on trouve dans ce message des composantes que l'ont pourrait très bien associer aux deux Organisations .. Par exemple les références à la « recherche de connaissance» et de « compréhension », 1' « ouverture d'esprit », l'union à travers «le lien de citoyen du monde» et bien sûr, « l'environnement ».

Avant de passé au deuxième volet de cette analyse, soit celle du discours de paix provenant des participants au Jamboree, je tiens à souligner une autre composante du discours de paix officiel. Bien que beaucoup moins visible que celles propres à l'OMMS ou à l'ONU, elle mérite d'être mentionnée: c'est la composante spirituelle et religieuse. Il est crucial de comprendre qu'au Jamboree, un grand respect est prêté aux croyances et aux pratiques religieuses de chacun. Dans cette optique, onze «communautés de Foi» étaient représentées au Jamboree et « plus de 30 rassemblement religieux ont été prévus dans le programme» (OMMS 20071 : 86). Ces rassemblements ont notamment pris la forme des services religieux suivants: Messes (Catholique, Sikh), prière du vendredi (Jumaa) (Islamique), Shabbat Guive), Eucharistie (Anglicane), Service du Sacrement (Mormons), Service Pleine lune (Bouddhiste), Divine liturgy (Orthodoxe), Service du Dharma (Won­ Bouddhiste) (OMMS 20071 : 87). Dans le journal « One World », un article en français exprime bien la vision religieuse de la paix au Jamboree. Il se termine en disant: « Pendant le Jamboree, toutes les religions prieront ensemble pour la paix dans le monde» (OMMS 2007h: 8).

Enfin, bien que surtout visible à travers les activités de la zone « Foi et Croyances» (Faith and Beliefs), les composantes spirituelles et religieuses dans le discours de paix officiel se sont aussi manifestées lors de la Cérémonie du Lever du Soleil. Il va sans dire que cet évènement hautement symbolique qui marquait l'entrée du scoutisme dans un nouveaux centenaire se prêtait bien au recueillement, aux souhaits et aux prières pour la paix: « Combined with this were prayers for peace from Scouts from several religions before white doves were released from the stage, circling overhead almost until the end of 67 the ceremony » (OMMS 2007m: 10). Cet extrait montre que la paix se charge souvent de symboles spirituels et religieux. Au Jamboree, le discours de paix officiel n'y échappait pas. Il faut toutefois le redire: cette composante spirituelle et religieuse ne « colore» que partiellement le discours de paix officiel par rapport aux deux autres composantes constituées des visions de l'ONU et de l'OMMS.

Synthèse analytique du discours de paix institutionnalisé

L'analyse du discours de paIX institutionnalisé (ou officiel) consistait d'abord en une exploration des différents lieux de transmission de ce discours sur le site du Jamboree. Cela a conduit à l'identification de deux approches particulières de la paix. La première montre une vision plutôt juridique de la paix qui se concentre en bonne partie sur la compréhension des situations de conflit tout en fonctionnant dans une logique de résolution de problème. Cette approche de la paix, nous l'avons vu non seulement au V il/age Mondial du Développement et au Boulevard global du développement mais aussi au Centre Mondial du Scoutisme (World Scout Centre) à travers l'analyse des « Dons pour la Paix ». Enfin, cette vision particulière de la paix correspond à celle de l'ONU et de l'Unesco.

L'analyse des discours officiels tenus lors des cérémonies importantes du Jamboree a révélé une vision de la paix différente. L'examen en profondeur du contenu du journal «One World» et des autres documents écrits a permis d'attribuer cette vision à l'OMMS en identifiant notamment des concepts clés tel l'amitié, le partage et la fraternité. Cet exercice réalisé au moyen de filtres sémantiques (OMMS et ONU/Unesco) a fait voir une certaine complémentarité entre les deux composantes les plus récurrentes du discours de paix officiel, soit la vision de paix dite onusienne et celle de l'OMMS. Certains éléments ont finalement été regroupés pour former une troisième composante moins forte mais digne de mention: la paix exprimée à travers un discours de type spirituel ou religieux. 68

Le discours de paix des participants

Maintenant que nous avons analysé les composantes du discours de paix institutionnalisé, reprenons le même exercice avec, cette fois-ci, le discours de paix provenant des participants. La tâche est évidemment plus complexe. D'une part parce que le discours de paix des participants n'étaient pas construits d'avance: il s'est construit en grande partie en fonction de l'appropriation et de la redéfinition du discours de paix officiel transmis lors du Jamboree. D'autre part, la façon d'identifier un tel discours sur le site du Jamboree fut plus difficile, notamment parce que ce discours était très volatile et en constante construction à mesure que l'évènement avançait. Le défi consistait donc à saisir à la fois le discours et le processus de construction de celui-ci.

Le,s outils de cueillettes de données utilisés pour cibler le discours de paix des participants tenaient compte de cette complexité ~ Ainsi, le projet de photographie participative mené lors du Jamboree a permis entre autre d'analyser cette appropriation des symboles et composantes du discours de paix officiel. Les groupes de discussions et les guides d'entretiens électroniques ont quand à eux permis une exploration plus en profondeur, une fois le Jamboree terminé, des particularités propres au discours de paix construit et partagé par les participants.

Je propose de suivre la même trajectoire que dans l'analyse du discours de paix officiel en débutant sur les lieux du Jamboree avec l'analyse des résultats du projet de photographie participative.

Les « images de paix » sur le Jamboree

L'analyse des images qui suivent est faite en fonction d'une caractéristique que ces images ont en commun : elles ont tous été prises dans le but de faire voir la paix, telle qu'elle se présente ou se construit sur le site du Jamboree. Elles révèlent ainsi une vision de la paix qui peut ensuite être analysée de façon semblable à un discours. Par ailleurs, grâce au site internet créé dans le cadre de ce projet, certaines photos bénéficient de commentaires écrits 69 qui expriment en mots ce qui est montré en image. Ces commentaires, qu'ils viennent de l' auteur( e) de la photo ou d'un autre participants au projet, sont analysés en lien étroit avec les images auxquelles ils sont associés. Au total, 120 « images de paix» ont été analysées.

Après un premier tri selon la méthode de saturations de données - signifiant que les données les plus récurrentes sont interprétées comme les plus signifiantes - , j 'ai affiché 68 de ces «images de paix» sur le site internet. Notons qu'elles ont été prises par 17 participants de 7 pays différents. Enfin, ce sont ces 68 photos qui expriment le plus clairement les différentes composantes de la « vision» de paix dévoilée par ce projet.

Pour bien saisir les proportions de chaque « catégorie identifiée » par rapport à l'ensemble des «images de paix », je procèderai à leur analyse en commençant par les catégories rassemblant le plus de photos, pour terminer avec celles qui en contiennent le moins. Débutons donc avec la catégorie qui regroupe le quart (ou 25 %) des 120 « images de paix », soit celle où la paix est montrée par un contact physique d'amitié, de solidarité ou de fraternité entre deux ou plusieurs personnes:

1

3 70

La grande majorité des photos de cette catégorie montre deux personnes ou plus se tenant le bras ou les épaules. Massaye B. N gouangui, chef responsable de la troupe africaine participant au projet, écrit sur le site internet sa propre interprétation de la photo numéro 3 : pour lui, cette photo « présente un groupe d'amis liés par un même idéal (l'idéal scout sans nul doute) » ( ... ) Ils se font l'accolade pour montrer certainement l'abattement des frontières et des barrières culturelles. Bien observer que les quatre qui sont dans le jeu sont deux noirs et deux blancs ... ». Déjà, la référence à une amitié « au-delà des frontières » en tant qu'idéal scout vient refléter un des concepts centraux identifiés dans le discours de paix officiel : l'amitié internationale.

Par rapport à la photo 4 montrant une poignée de mains, le même répondant souligne «qu'en Afrique et peut être dans le reste du monde, la poignée de mains est un signe fort pour symboliser la paix. Quand, à l' église (par exemple), le prête ou le pasteur dit: donnez vous un signe de paix, les gens se serrent les mains ou se font l'accolade ». Enfin, un dernier commentaire d'une participante québécoise tient compte à la fois de la photo 3 et 4 : « La poignée de main et la photo qui montre l'amitié entre les blancs et les noirs sont très représentatives pour moi puisque qu'elles montrent la fraternité qui existait vraiment tout au long du Jamboree mondial ». Une fois de plus on peut voir ressortir dans la description des photos les thèmes centraux associés à l'OMMS et composant une partie importante du discours de paix officiel.

La seconde catégorie créée lors de cette analyse regroupe presque qu'autant de photos (environ 23 %) que la première. Elle montre la paix par l'échange et le partage : 71

7

La photo numéro 5 est décrite ainsi par son auteure :« Lors du Food Festival, notre campement offrait aux gens de se faire faire un tatouage d'une feuille d'érable. Cette photo représente la paix pour moi, car elle démontre bien l'amitié qui se liait sur le site du jam entre tous les participants de pays différents ». À noter que le Food Festival était une grande activité durant laquelle les participants devaient préparer et ensuite partager avec d'autres scouts un ou plusieurs mets typiques de leur pays. Ce contexte était donc propice au partage et à l'échange. La photo numéro 6, prise par la même personne, poursuit dans ce sens: «Des Taïwanaises (qui sont d'ailleurs devenues nos amies!) nous ont proposé d'écrire nos noms dans leur langue. Cette photo est donc aussi symbole de paix pour moi car c' est encore une fois un échange entre culture! ». La photo numéro 7 montre quant à elle l'échange çle signatures sur un foulard bien particulier: celui qui fut remis à tous les scouts du Jamboree dans le cadre de la célébration du centenaire. Lors de cette cérémonie, tous les scouts furent mis au défi de rassembler cent signatures sur ce foulard, en référence aux cent ans de scoutisme célébré. Cela a donc donné lieux à une énorme démonstration d'échanges et de partages de signatures et d'amitiés. Enfin, que ce soit des signatures, des adresses, des souvenirs, de la nourriture ou encore des badges scout, tous les photos dans cette catégorie ont voulu exprimer la paix à travers l'échange et le partage.

La troisième catégorie rassemble environ 15% de l'ensemble des photos analysées. Elle exprime la paix à travers le plaisir de s'amuser en groupe. Cela se fait surtout à travers la musique, les chansons, la danse, les j eux ou encore le sport. C'est ce que montrent par exemple ces deux images : 72

8

La catégorie suivante a .grandement attiré mon attention. En fait, bien qu'elle ne regroupe qu'environ 15% du. total des « images de paix» analysées, soit le même nombre que la catégorie précédente, elle diffère largement de cette dernière sur un point: au lieu d'exprimer un même thème (le plaisir de s'amuser en groupe) par une série de gestes (musique, chant, danse, jeux, sport), elle exprime au contraire une série de thèmes par un seul et même geste': la poignée de main. L'image la plus récurrente de cette poignée de main est celle-ci :

Comme lè soulignait plus haut Massaye dans un de ses commentaires, la poignée de main est un symbole très représentatif de la paix. Celui-ci ajoute· un autre exemple pour l'illustrer: « À la suite de la signature d'un accord de paix, ou à la fin d'un conflit, les belligérants se serrent la main ». Les termes utilisés dans cet exemple rappellent de très près la vision de la paix de l' ONU (ou l'Unesco) qui « colorent» une partie du discours de paix 73

officiel au Jamboree. Par ailleurs, il y a un lien étroit qui relie ces termes à l'image numéro 10 : la banderole (ou encore le « très beau pagne» comme le dit Massaye) qu'on y voit marque l'entrée dans la section dédiée à la paix au Village Mondial du Développement, ce

lieu privilégié du discours de paix de type onusi~n.

Il est difficile de savoir si la poignée de mains figurant sur cette banderole - et qui, je le rappelle, fut photographiée de nombreuses fois par divers participants - a inspiré les autres images reprenant ce même geste. Toutefois, on peut voir une grande ressemblance dans la façon dont la poignée de mains est donnée. En voici trois exemples:

Il

En observant attentivement ces trois photos, on peut sentir une certaine mise en scène, comme si le geste ne venait pas tout à fait naturellement mais reproduisait plutôt une certaine convention, au sens d'un accord officiel passé entre des individus, des groupes ou des États. On peut dès lors convenir que ce type de photos exprime la paix par un signe

'conventionnel qui semble refléter de façon symbolique les accor~s de paix officiels et planifiés tels qu'ils sont définis et illustrés dans le discours de paix de l'ONU et de l'Unesco. Enfin, ajoutons que le tiers des photos de cette catégorie montre une poignée de mains « noire et blanche» (une main noire et une main blanche), un symbole très récurrent 74

dans l'iconographie des documents de l'Unesco, particulièrement dans ceux qui abordent la lutte contre le racisme.

Une autre catégorie peut être associée de très près à la symbolique de paix de l'ONU. Ce sont les images montrant des drapeaux côte à côte:

1 15

. 1

Les photos numéro 14 et 15 montrent quelques uns des drapeaux de tous les pays (présents au Jamboree), alignés côte à côte dans le chemin d'entrée du site du Jamboree. On peut facilement y voir une ressemblance avec la symbolique de paix de l'ONU: une paix de diplomatie entre nations qu'on veut égales et dont l'identité passe par la reconnaissance étatique et juridique. Par ailleurs, on peut voir ce même genre d'alignement de drapeaux au siège des Nations Unis à Genève ou encore à Bruxelles. La photo numéro 16 combine quant à elle, au premier plan, deux participants' se serrant la main et la présence de drapeaux identitaires. Cette mise en scène évoque les accords de paix entre pays et par le fait même une vision juridique ou politique de la paix qui se rapproche de celle de l'ONU. À noter qu'en arrière plan, un participant fait le signe scout qui, dans le contexte de la photo ~ prend 75 la forme d'un signe conventionnel semblable à celui de la poignée de main visible au premier plan.

Il est important de préciser que le drapeau est un symbole très utilisé lors d'un Jamboree mondial. On peut en effet voir un peu partout sur le Jamboree et particulièrement lors des cérémonies d'ouverture et de clôture la présence des drapeaux de chaque pays en tant que symbole fort d'appartenance et d'affirmation de l'identité nationale. Or, il y a un drapeau en particulier qui agit comme symbole . d'unité et de cohésion au-delà des identités nationales: le drapeau de l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout. On le voit ici sur une des « images de paix» d'une participantes québécoises:

1

Cette photo a été prise lors de la cérémonie du Lever du Soleil, durant laquelle seule des · drapeaux de l' OMMS flottaient dans les airs. L'auteur décrit ainsi la photo : « Dans cette foule, il y a des représentants de plusieurs pays et cultures différentes ... et pourtant, ils acceptent tous de porter le même drapeau. Je trouvais que cette image représentait la paix puisqu'elle montre plus de 30 000 participants d'au moins 100 pays sous le même emblème de paix ». Ce commentaire confirme le statut du drapeau de l'OMMS en tant que symbole fort d'une vision de paix reposant sur les principes d'unions et de cohésions à travers le Mouvement scout Mondial. 76

Dépendant du contexte, le symbole du drapeau peut être associé tant à une vision de la paix de l' OMMS que de l' ONU (Unesco). Un autre symbole fort du Jamboree suit le même raisonnement: celui de la colombe. À ma grande surprise, une seule des 120 photos prises dans le cadre du proj et montre clairement ce symbole (photo numéro 18) :

1

Il faut toutefois dire que la colombe, symbole associé de très près à l' ONU et plus particulièrement à l'Unesco, était aussi présente sur une majorité des symboles conçus pour le 21 e Jamboree mondial. Le meilleur exemple est probablement la colombe qui figure en arrière plan sur l'arche d' entrée du Jamboree (photo numéro 19).

Maintenant que nous avons analysé la plus grande partie des « images de paix» prises dans le cadre du projet de photographie participative, nous pouvons voir chez les participants une appropriation des deux composantes majeurs du discours de paix officiel, soit la vision de paix de l' Onu (et l'Unesco) et celle propre à l'OMMS. Nous avons vu par exemple que certains symboles comme la « poignée de mains conventionnepe » reflètent d'avantage le discours de paix onusien alors que les photos montrant diverses formes d'accolades semblent exprimer davantage les concepts d'amitié et de fraternité au cœur du discours de paix de l'OMMS.

Puisqu'un grand nombre des photos affichées sur le site web n'ont pas reçu de descriptions ou d'explications de la part de leurs auteurs - pour les raisons dont j 'ai fait mention dans la section méthodologique de ce mémoire - , il faut admettre que certaines photos demeurent énigmatiques quant à leur véritable signification aux yeux de son auteur( e). C'est le cas par exemple d'une bonne partie des photos du seul participant indien. On peut toutefois voir 77

dans plusieurs de ses «Images de paix» une certaine volonté d'exprimer le calme, la tranquillité, le repos. En voici deux exemples (photo 20 et 21) :

2 21

La construction du discours de paix suite au Jamboree

Au tout début de ce chapitre, j'ai expliqué que la complexité associée à l'analyse du discours de paix des participants au Jamboree venait entre autre du fait que ce discours était très volatile et en constante construction à mesure que l'évènement avançait. Ainsi, hormis le projet de photographie participative, toutes les autres données ont été recueillies soit avant ou après le Jamboree, par le biais des groupes de discussions et ensuite de guides d'entretiens électroniques (à questions semi-ouvertes) envoyés via internet. Au sujet de la construction de ces guides d'entretiens, je tiens à préciser que j'ai utilisé une démarche itérative, c'est-à-dire que j'ai ajusté mes séries de questions (notamment dans le deuxième guide d'entretien) en fonction des premières réponses et refait l'exercice de chercher dans la même direction en reprenant sous des angles nouveaux des questions déjà soulevées.

Puisque la recherche porte avant tout sur une construction collective de l'image de paix au Jamboree, j'ai fusionné les résultats des groupes de discussions à ceux des deux guides d'entretiens électroniques dans le but de faire ressortir les traits communs du discours de paix de l'ensemble de ces participants. La présentation et l'analyse des résultats conservent toutefois l'ordre chronologique d'apparition des résultats pour bien montrer le trajet parcouru durant la cueillette initiale des données. Enfin, je dois dire que les résultats 78

obtenus. avant le Jamboree n'ont pas fournis d'éléments dignes d'intérêt et ne figurent donc pas dans l'analyse qui suit.

Tout d'abord, l'approche du discours de paix chez les participants s'est fait en questionnant l'expérience vécue au Jamboree. La première question invitait les douze participants québécois (lors des groupes de discussions) à décrire ce qu'est un Jamboree.

- Comment décririez-vous un JAMBOREE? Les premières réponses font tout de suite ressortir le concept d'amitié: « Une occasion unique de partir dans un autre pays à la rencontre de jeunes du monde entier en tissant des liens d'amitiés» ou encore, « se faire des nouveaux amis ». Puis la description prend une tournure plus utopique: «Un voyage à travers plein de pays sans parcourir de distance ... »; «Une des seules places où tu peux te promener dans la rue et dire salut à tous le monde sans que personne te regarde croche ». Une participante ajoute qu'au Jamboree, « chaque campement devient « un pays» ... par exemple ... je dit: je vais « en France» pour dire «je vais visiter le campement de la délégation des scouts de la France » ». Ces réponses témoignent en effet d'une conception utopique du site du Jamboree, lequel prend la forme d'un espace idéalisé qui englobe chaque pays et où règne la bonne humeur et l 'harmonie sociale.

La question suivante se voulait une prolongation de la première mais en visant cette fois-ci la description de l'atmosphère au Jamboree:

- Comment décririez-vous l'ambiance d'un JAM ? Une participante répond de prime abord: « c'est quasiment indescriptible ». Puis après un léger moment de silence, tous on une réponse qui exprime une même ambiance: « l'adrénaline au fond »; «toujours en action, il y a toujours de quoi à faire »; «tout le monde t'approche, tout le monde veut te voir, tout le monde veut faire de quoi [quelque chose] »; « tu cours partout jusqu'à épuisement »; «t'aurais envie de te reposer mais tu te dis que si tu te ferme les yeux cinq secondes, tu vas tout manquer ». Les participants expriment à leur façon une certaine « frénésie pacifique» résultant d'une programmation 79 surchargée d'activités et d'un contexte global dans lequel les acteurs sont constamment stimulés. Une ambiance qui ressemble de près à celle d'une utopie vécue, que nous avons défini précédemment comme l'expérience concrète d'une représentation de l'utopie dans un espace et un temps réel.

Passons maintenant à une question qui se veut plus « contraignante », au sens où elle exige des participants de faire un choix plus restreint (et souvent difficile) parmi plusieurs réponses possibles:

- Quel est, selon vous, l'objectif d'un JAMBOREE?

~ne fois de plus, les participants reprennent le thème de la rencontre et de l'amitié: «rencontrer de nouvelles personnes et se faire des amis ». Ils ajoutent aussi: « s'ouvrir aux autres, aux autres cultures, s'ouvrir l'esprit ».

J'ai cru bon de poser à nouveau cette question dans le premIer guide d'entretien électronique sous une forme encore plus « contraignante» :

- Quel est, selon vous, le but ultime d 'un Jamboree mondial? Puisque le premier guide d'entretien a été rempli par plus de 30 scouts d'une dizaine de pays, la réponse est évidemment plus dense. En identifiant les termes les plus récurrents, j'ai pu constater, sans grand étonnement, la présence marquée des concepts de fraternité et de partage. Or, des précisions importantes sont apportées concernant ces deux idées. Tout d'abord, on parle d'une « fraternité internationale» vécue « à travers les valeurs scoutes ». L'idée de partage renvoie quant à elle au partage de l'amitié, de sa culture mais aussi au partage de valeurs communes. On peut voir la persistance de ces références à des valeurs dans les réponses suivantes: « s'entendre sur un même ensemble de valeurs et travailler ensemble »; « Montrer de façon concrète aux participants et au monde entier les valeurs universelles qui sont à la base du scoutisme ». Les références à la paix sont aussi très présentes. Elles décrivent autant le jamboree qu'un souhait utopique qui en découle: « Faire rencontrer le plus de monde possible dans un climat de paix »; « Se découvrir les 80 uns les autres sous le signe de la paix »; «Favoriser la paix dans le monde »; « Global peace ».

Enfin, des répondants reconnaissent que le but ultime d'un Jamboree mondial est de renforcer l'unité du Mouvement. Pour ce faire, une démarche partagée par plusieurs répondants peut être décrite ainsi: d'abord reconnaître, comprendre et respecter les différences, ensuite établir des ressemblances au-delà des différences et finalement, promouvoir l'unité en mettant l'accent sur les éléments de ressemblances. Ces éléments de ressemblances pourraient très bien être les valeurs scoutes dont on a vu la présence récurrente en lien avec les concepts de fraternité et de partage.

Pour vérifier cette idée chez les douze participants québécois, la question suivante leur fut proposée:

- Qu'est ce gui était partagé par tous les scouts au JAM ? Le désir de rencontrer d'autres participants et de créer des liens d'amitié est maintenu comme réponse première. Mais il y a plus: « la bonne humeur, le sourire ... rester souriant même quand ça va moins bien ». D'autres participants s'entendent sur une même idée: celle de la «vie en communauté », qu'ils prétendent être «à la base du scoutisme» et qu'ils expliquent ainsi: « la vie en communauté, ça veut dire accepter les différences des autres, chercher la bonne entente et pas juger l'autre avant de le connaître ». Il est clair que les attitudes et comportements décris ici comme des éléments partagés par tous les scouts au Jamboree sous-entendent une adhésion à certaines valeurs identifiables. Pour mettre en évidence ces valeurs, j'ai posée la question de façon très précise :

- Quelles-sont les valeurs gue tous les scouts avaient en commun au J AM ? Sans nécessairement qu'elles soient des valeurs proprement dites, les douze participants québécois identifient: « la joie de vivre », « la bonne humeur », « le respect », « l'amitié », « la fraternité », « l'optimisme », « la générosité », « la serviabilité ». On peut tout de suite voir que ces attitudes et valeurs sont cohérentes avec les réponses de la question précédentes. Ainsi l'idée de «bonne humeur» est répétée et renforcée notamment par 81

l'idée de la «joie de vivre ». La réponse du « sourire ... même quant ça va moins bien» dans la question précédente peut quant à elle être rattaché à « l'optimisme », défini ici comme valeur. Enfin, la notion de « vie en communauté» telle que décrite plus haut peut être reliée de près aux autres valeurs identifiées dans cette réponses, notamment celles du

~< respect» (respecter les différences) et de 1' « amitié» (chercher la bonne entente).

Une dernière question par rapport au Jamboree concernait le thème officiel de l'évènement: le fameux «One World, One Promise» (Un Monde, Une Promesse). J'ai demandé aux douze participants québécois de qu' elle promesse il s'agissait selon.eux :

- « Un Monde, Une Promesse» ... mais une promesse de quoi? La réponse était prévisible: « une promesse de paix ». Les participants poursuivent: « une promesse d'un monde meilleur, c'est-à-dire plus fraternel ». De toute évidence, le lien entre . . . les termes « paix », « monde meilleur» et « fraternité » est bien ancré dans le discours des participants québécois. Il se peut fort bien qu'il découle directement de l'appropriation de la vision transmise par l'OMMS dans le discours officiel du Jamboree. Toutefois, d'autres réponses attribuables davantage à une vision onusienne viennent balancer la réponse dans son ensemble: «une promesse d'égalité des chances. et des droits »; «une promesse de renoncer à l'idée de supériorité des uns sur les autres ».

La réponse globale à cette dernière question a ceci de particulier: elle place côte à côte les deux composantes les plus importantes du discours de paix institutionnalisé au Jamboree. Les participants reproduisent donc ici le discours de paix officiel tel qu'il leur a été transmis au Jamboree. Cela a certainement quelque chose à voir avec la question posée. En fait, puisque la question visait à compléter le thème « officiel» du Jamboree en y apportant des précisions, il est tout a fait logique que la réponse puise dans le discours officiel transmis au Jamboree. En d'autres mots: les participants ont complété le thème officiel par une réponse tout aussi « officielle ».

Certes, cette première exploration du discours de paix des participants révèle une adhésion au discours de paix officiel transmis lors du Jamboree. On peut voir la prédominance de 82 certains concepts clés tels 1' « amitié » et la « fraternité» qui sont propres au discours de paix de l' OMMS. Mais il y a plus: on y voit apparaître une constellation d'autres termes qui semblent tous vouloir se rattacher à un ensemble de valeurs. Cette piste est évidemment fertile et elle mérite d'être suivie. Pour ce faire, nous quitterons le Jamboree pour explorer le discours de paix à travers la construction même de l'identité scoute chez les participants.

Dans le premier guide d'entretien électronique, les 33 participants étaient invités à répondre à la question suivante:

1 - Quelle est la chose la pl us importante gue le scoutisme vous a apprise? Dans presque la moitié des réponses, les participants font référence soit à l'amitié, la solidarité, l'entraide ou la fraternité. Vient par la suite la notion de responsabilité, le leadership, le sens de l'engagement citoyen et le sens de la communauté. À une question semblable (Qu'est ce que le scoutisme nous apprend ?), les douze participants répondent de façon très similaire: « aller vers les autres et nouer des liens d'amitiés »; « vivre en équipe, avoir l'esprit d'équipe» (référence à la solidarité); « s'ouvrir aux autres ». La capacité à tisser des liens d'amitiés et de solidarité est donc identifiée comme un des apprentissages très importants que le scoutisme apporte à l'ensemble des participants.

Pour plonger droit au cœur de l'identité scoute tout en cherchant à en faire apparaître les caractéristiques les plus prédominantes, j'ai demandé aux répondants du premier guide d'entretien électronique de définir ce qu'est un « vrai »·scout :

- Comment décririez-vous un Vrai scout?

Acceptant de se prêter au jeu, plus de la moitié des répondants ont placé l'importance sur une caractéristique précise: un «Vrai » scout est celui qui «met en pratique et vit les valeurs scoutes dans sa vie quotidienne ». Ce commentaire d'une scoute de la Hongrie vient préciser la pensée commune des répondants: « Someone who does scouting as a life style­ not as a recreation program - and follows the scout laws not only when being a young scout but also in the everyday life as a grownup adult ». Un autre principe important se dégage de l'ensemble des réponses: un vrai scout est « prêt à aider à tous moment ». Ce principe, 83 plusieurs répondants l'associe au « sens du service », à la « solidarité» et au « désir de vouloir répandre le bien autour de soi ».

Enfin, quelques répondants mettent l'importance sur un ensemble de caractéristiques qui sont, à mes yeux, dignes d'attention: ils décrivent un vrai scout comme quelqu'un de « courageux », «loyal », «courtois », «obéissant» et «soucieux de lui-même et des autres ». Un des répondants partageant cette vision décrit ainsi un vrai scout: « a man even if he is 12 years old, a knights ev en ifhe doesn't have a sword ». Cette réponse qui associe le scout à un « chevalier sans épée» apporte un éclairage sur les caractéristiques tout juste mentionnées: courage, loyauté, courtoisie, obéissances, soucie de soi et des autres sont communément attribuées au chevalier. Il y a là une autre piste qui méritera d'être approfondie.

Comme on l'a vu, les réponses à cette question font ressortir en premier lieu l'importance attribuée aux valeurs scoutes. En décrivant plus en profondèurs ces valeurs, les répondants utilisent des termes qui semblent se poser comme les principes de base d'un certain code de vie. Enfin, d'autr-es participants semblent voir ce code de vie comme un véritable code d'honneur. Puisque le commentaire de la répondante hongroise nous mentionne qu'un vrai scout « follows the scout laws » (suit les lois scoutes), penchons nous sur ces lois puisqu'on peut effectivement les retrouver dans ce que l'OMMS reconnaît officiellement comme la Loi Scout (), laquelle comporte dix articles. Pour poursuivre sur la piste du discours de paix des participants, il devient important de s' y attarder. Voici donc une versio~ comportant les dix articles tels qu'ils ont été formulés en anglais par Baden-Powell au' début du vingtième siècle: 84

V oici la traduction française telle qu'on la retrouve dans le texte constitutif de l'Organisél:tion Mondiale du Mouvement Scout:

La Loi scoute

1. Le scout n'a qu'une parole. 2. Le scout est loyal. 3. Le scout se rend utile et aide son prochain. 4. Le scout est un ami pour tous et un frère pour tous les autres scouts. 5. Le scout est courtois. 6. Le scout est bon pour les animaux. 7. Le scout obéit sans discussion à ses parents, à son chef de patrouille et à son chef. 8. Le scout sourit et siffle en toute difficulté. 9. Le scout est économe. 10. Le scout est propre dans ses pensées, ses paroles et ses actes. 85

À .la lecture de cette Loi scoute, on peut comprendre d'où proviennent certains termes utilisés plus haut pour décrire un vrai scout. Plus encore, on retrouve dans cette Loi l'ensemble des principes dégagés dans la réponse précédente, que ce soit le sens du service, la solidarité, la volonté de faire le bien ou encore la loyauté et la courtoisie. Pour explorer davantage la relation entre le discours de paix des participants et la Loi scoute, j 'ai introduit quelques questions à cet égard dans le deuxième guide d'entretien électronique. L'analyse des résultats m 'a conduit à voir que la paix, telle que conçue par les participants, s'ancrait effectivement dans les valeurs exprimées par la Loi scoute.

Deux questions ont été particulièrement révélatrices. La première demandait aux participants d'identifier parmi les dix articles de la Loi scoute celui auquel ils étaient les plus fidèles. Les réponses furent assez partagées. Au final, quatre articles furent nommés dans des proportions égales (chacun représentant environ le quart de l'ensemble des réponses) : l'article 3 : Le scout se rend utile et aide son prochain. l'article 1 : Le scout n'a qu'une parole. l'article 4 : Le scout est un ami pour tous et un frère pour tous les autres scouts. l'article 8 : Le scout sourit et siffle en toute difficulté.

La question qui suivait s'appuyait en quelque sorte sur la précédente pour tenter d'isoler les articles de la Loi scoute qui contribue directement à la paix. La question fut formulée ainsi:

- Quel article de la Loi est le plus indispensable pour assurer la paix dans le monde?

Comme pour la réponse précédente, on pouv~it s'attendre à voir apparaître trois ou quatre articles, ou peut être plus. On pouvait aussi s'attendre à voir réapparaître les quatre articles auxquels les participants se sont dit être le plus fidèle (les articles 3, 1, 4 et 8). Tout cela s'est avéré le cas. Cependant, un détail fait toute la différence par rapport à la réponse précédente: les proportions. En effet, de manière surprenante, plus de la moitié (environ 58%) des répondants ont clairement identifié le même article:

l'article 4 : Le scout est un ami pour tous et un frère pour tous les autres scouts. 86

Aucun des autres articles énoncés ne dépasse 10% de l'ensemble des réponses à cette question précise. La vision de ces participants est donc claire et plusieurs apportent des explications pertinentes pour justifier leur choix. Citons en quelques unes: « L'article 4 est indispensable car à mon avis, l'amitié est un grand atout pour assurer la paix »; « La paix commence avec la paix entre individu. Si tu ne peux pas être ami avec tes semblables, comment peux-tu être un exemple de paix dans le monde? »; « C'est en considérant que les autres sont des amis et des frères que l'on peut s'entendre avec eux et discuter des problèmes que l'on rencontre, en vivant ensemble et trouver des solutions ». Enfin, un dernier extrait apporte une précision très intéressante:

«Il me parait [l 'article 4] être celui qui englobe l'idée générale véhiculée dans la Loi scoute. «Frère de tous» implique l'écoute, le partage, la compréhension, la loyauté, l' intégrité. Être frère de tous, c'est vouloir du bien de tous, donc, nécessairement, c'est désirer la paix et l'harmonie»

Cette dernière explication propose de voir l'article 4 comme l'idée maîtresse derrière la Loi scoute. Cela signifie en quelque sorte que l'amitié et la fraternité se posent comme valeurs « phares» ou comme balises parmi un ensemble d'autres principes (les autres articles) contenant aussi des valeurs et pouvant conduire à la paix. L'analyse menée jusqu'ici ne réfute pas cette idée. Au contraire, elle la confirme en faisant voir la présence marquée des concepts d'amitié et de fraternité tant dans le discours de paix officiel du Jamboree que dans la construction d'un tel type de discours de la part des participants.

Synthèse Analytique du discours de paix des participants

J'ai débuté l'analyse du discours de paix des participants en présentant les résultats du projet de photographie participative. En regroupant les «images de paix» sous des catégories variées et en analysant les commentaires associés à certaines photos, nous avons pu mettre en évidence une série de signes et symboles porteurs d'un « message de paix ». Le ' plus répandu fut l'accolade (ou le contact physique rapproché) entre participants de différents pays exprimant un lien d'amitié ou encore de fraternité. 87

D'autres signes tels l'échange et les moments de plaisir partagé ont révélé une certaine appropriation des concepts clés véhiculés par l'OMMS dans le discours de paix officiel, sur le Jamboree. L'influence du discours de paix de l'ONU et de l'Unesco s' est elle aussi fait voir bien que dans des proportions moindres. Elle a notamment pu être observée à travers le signe conventionnel de la poignée de main ou encore dans la symbolique des drapeaux nationaux alignés côte à côte. Enfin, des éléments inattendus sont ressortis de l'ensemble des « images de paix »LIls seront repris et interprétés dans la partie suivante de ce mémoire.

L'analyse des résultats des groupes de discussions et des guides d'entretiens électroniques a permis d' explorer en profondeur le · discours de paix des participants et ce, une fois le Jamboree terminé. Par une série de questions concernant autant l'expérience vécue lors de l'évènement que l'identité scoute elle-même, nous avons pu voir la prépondérance du discours de paix propre à l'OMMS par rapport à celui de l'ONU et de l'Unesco. Par ailleurs, la récurrence dans le discours de paix des participants des concepts d'amitié et de fraternité, très valorisés à l'OMMS, est venue confirmer la grande importance accordée à la « mise en image» de ces mêmes concepts lors du projet de photo participative.

De la description du Jamboree et de son ambiance comme un espace utopiqué ou une mise en . scène de l'utopie vécue, j'ai suivi la piste la plus fertile: celle qui a conduit à l'identification de valeurs communes en tant que composantes essentielles dans la construction du discours de paix chez les participants. Cela a permis de cibler certaines valeurs scoutes et de les relier à la Loi scoute. Cette Loi comportant dix articles est apparue comme le ciment théorique et l'assise du discours de paix provenant des participants. Enfin, en raffinant le questionnement, nous avons pu mettre en évidence le caractère prédominant des valeurs d'amitié et de fraternité dans la logique identitaire qui est à la base de la construction du discours de paix chez les participants au Jamboree. 88 Irroisième artie Interpréter et Questionner un récit complexe

Interprétation

« C'est la fiction qui permetd'articuler la réalité»

Roger Lewinter

Par l'étude détaillée du contexte du Jamboree, nous avons vu que le discours de paix est avant tout dépendant d'une logique semblable à celle des utopies littéraires. Cette logique fait de l'espace du J?mboree un lieu artificiel et planifié de façon à produire les conditions d'apparition d'une utopie vécue, soit l'expérience concrète d'une représentation de l'utopie dans un espace et un temps réel. C'est de ce bourgeon utopique que s'ouvre et fleurit le discours de paix officiel sur le site du Jamboree. Fidèle au contexte qui le fait naître, il s'enracine à son tour dans une programmation d'activités et de cérémonies tout aussi abondantes que planifiées et jusqu'à un certain point, contraignantes. Ce discours de paix est ainsi dirigé vers (et à travers) les acteurs réels du Jamboree, c'est-à-dire les participants. Ceux-ci reçoivent, s'approprient et reconstruisent le discours de paix selon des modalités diverses.

La construction du discours de paix au Jamboree doit donc être comprise dans une logique de transmission, incluant en quelque sorte un émetteur et un récepteur. Le contexte fait en sorte que l'émetteur et le récepteur n'échangent pas vraiment leur rôle durant le Jamboree. Ainsi, c'est le discours de paix tel que conçu et transmis de façon officielle qui influence la construction du discours de paix des participants et rarement l'inverse. Pour bien voir l'impact de ce discours de paix officiel sur les participants du Jamboree, il faut évidemment 89 comprendre la nature de ce type de discours. C'est ce que j 'ai visé dans l'analyse en faisant ressortir les composantes du discours de paix institutionnalisé (ou officiel) au Jamboree. Puis j'ai tenté le même exercice du côté de la réception de ce discours par les participants.

Maintenant que nous avons mis en lumière les axes de transmission et la structuration du discours de paix au Jamboree, il reste à interpréter ce récit complexe, c'est-à-dire, chercher à le rendre compréhensible en lui donnant du sens. Cela exige nécessairement une vue d'ensemble sur le discours de paix et non plus un regard qui se concentre sur ses composantes spécifiques. Pour utiliser une analogie, nous pourrions dire que l'objectif est à présent de décrire l' ensemble de la forêt et non plus seulement les arbres qui la composent. Pour ce faire, je vais procéder à une seconde description, plus dense, qui cherchera à faire voir la structure conceptuelle qui soutient l'ensemble du discours de paix et en fait émerger, dans la pensée et l'imaginaire, une certaine vision du monde.

Suivant cette démarche, je tenterai avant tout de répondre à la question de recherche et aux sous-questions qui en découlent. Viendra ensuite un retour sur le cadre théorique pour conclure l'interprétation. Enfin, je présenterai une critique constructive, un questionnement et des pistes de réponses issues de la présente réflexion sur la « paix scoute ».

Débutons donc par un rappel de la question de recherche :

De qu'elle facon le discours de paix est-il construit au 21 e Jamboree Mondial?

Nous l'avons dit déjà: le contexte dans lequel s'inscrit le discours de paix en fait un discQurs planifié, du moins en ce qui concerne le discours de paix officiel. Plus encore, ce discours planifié semble s'organiser sur un mode « émetteur/récepteur» : une transmission planifiée du discours de paix officiel vers les participants au Jamboree. Pourtant, nous avons vu qu'une influence externe agit sur le discours de paix propre à l'OMMS. Cette influence visible sur le Jamboree, c'est celle de l' ONU et plus particulièrement du discours de paix de l'Unesco. Mais comment interpréter cette relation dynamique entre l'OMMS, l'ONU et l'Unesco dans la construction du discours de paix officiel au 21 e Jamboree mondial? 90

L'OMMS et l'UNESCO: Regard Comparé sur une paix complémentaire

Tout d'abord, il faut dire que la coopération formelle entre l'OMMS et L'Unesco (Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture) date de plus de 35 ans. En ce qui concerne les Jamboree, elle a tout particulièrement été mise en évidence et appréciée par des milliers de participants et visiteurs lors du 1ge jamboree mondial au Chili. Suite à l'immense succès du Village Mondial du Développement lors de ce Jamboree, la 35e Conférence Mondiale du Scoutisme, qui s'est tenue à Durban en juillet 1999, adopta une résolution (Résolution 18/99) soutenant que « L'OMMS et l'Unesco partagent la même vision sur .la contribution de l'éducation à l'établissement d'une paix durable» et « Invite les Organisations scoutes nationales à s'associer aux programmes et activités organisées sous l'égide de l'Unesco dans le cadre de l'Année Internationale de la Culture de la Paix ( ... ) »(OMMS 2002a: 61).

Depuis l'année 2000, déclarée «année internationale de la culture de la paix », l'ONU a décrété les dix années 2001-2010 « décennie internationale de la promotion d'une culture de la culture de la paix et de la non-violence pour les enfants du monde ». L'Organisation

Mon~iale du Mouvement Scout, qui reconnaît dorénavant partager la même « vision éducative» de paix que l'Unesco, a été une des premières Organisations non­ gouvernementales à signer un Accord de partenariat concernant la promotion d'une ,« culture de la paix» et les initiatives récentes de l'Unesco dans ce domaine.

Les liens avec l'ONU sont tout aussi étroits. D'une part, comme je l'ai mentionné déjà, l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout jouit depuis plus de 60 ans du statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations-Unies» (OMMS 2007e : 4). D'autre part, elle est associée de près aux plus récentes initiatives de l'ONU, notamment la Campagne du Millénaire et les dix Objectifs du Millénaire pour le Développement. On pouvait d'ailleurs le lire dans le journal offic~el du Jamboree: «The Scout Movement committed to support the campaign in April 2005, by signing a memorandum of agreement with the United Nations» (OMMS 2007n : Il). Un autre extrait vient quand à lui confirmer 91 la promotion de cette Campagne du Millénaire sur le site du 21 e Jamboree mondial: « The Campaign has been placed at the core of the Jamboree's activities in the Boulevard and in the Global Development Village, so that participants get the possibility to better understand how young people can take part in this ambitious project » (ibid).

Les «Dons pour la Paix» n'échappent pas n'ont plus à l'influence de l'ONU et de l'Unesco. Bien au contraire, ils visent explicitement l'atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement et se posent comme contribution significative de l'OMMS à la promotion d'une culture de la paix. Voilà qui explique l'utilisation d'un langage et d'une démarche typiquement onusienne en ce qui concerne l' orientation et la structuration de l'ensemble des projets de « Dons pour la paix ». Par ailleurs, le rapport sur le centenaire du scoutisme vient préciser les compétences rechercher pour la création de l'outil pédagogique ScoutPax, ce qui en dit long sur les objectif visés par les « Dons pour la Paix » : « pour le développement de la ressource ScoutPax, des bénévoles possédant une expérience dans le développement mondial ( ... ) ont été recrutés» (BMS 2008 : 43).

Finalement, deux autres initiatives récentes de l'OMMS ont été lancées en partenariat avec la Campagne du Millénaire: la campagne « Jeunesse du monde» et le « brevet Scout du Monde ». Sur le Jamboree, on en faisait notamment la promotion au Centre Mondial du Scoutisme. On décrivait aussi ces initiatives dans le journal «One World» du samedi 4 août: «For disseminating the Millenium Campaign, World Scouting has launched the « Youth of the World »campaign aimed at helping young people aged 15 to 26 to become more aware of development issues. « Scout of the World », an educational programme initiated by World Scouting is based on the fundamentals of the Millenium Campaign » (OMMS 2007n : Il).

À la vue de ces accords formels, ces ententes de collaborations et ces initiatives conjointes concernant la réalisation de programmes et de politiques qui fondent le discours de paix de l'ONU et de l'Unesco, on comprend mieux la présence et l'influence d'un tel discours dans le cadre du Centenaire du scoutisme et en particulier lors du 21 e Jamboree mondial. En effet, quoi de mieux que des instances non-gouvernementales et transnationales comme 92

l'ONU et l'Unesco pour promouvoir une vision internationale et interculturelle de la paix lors d'un tel évènement. Mais il y a plus encore: l'ONU, l'Unesco et l'OMMS ont en commun un point fondamental: ils sont tous porteurs d'une image chargée d'utopie et ce, depuis leur création.

Nous avons déjà illustré l'utopie derrière la fondation du Mouvement scout notamment en décrivant le premier camp expérimental de Baden Powell réunissant des jeunes de touts horizons et classes sociales sur l'île de Brownsea. Inutile de dire que cette expérience n'est qu'une des ' nombreuses représentations de l'utopie qui façonnent en profondeur non seulement l' image mais aussi les rouages de ce Mouvement de jeunesse désormais mondial. Le Jamboree, avec son espace et son langage utopique est probablement le véhicule le plus puissant pour maintenir et réaffirmer à tous les quatre ans cette image chargée d'utopie. Enfin, Baden-Powell a su faire germer, en réponse aux guerres et malgré les accusations de militarisme, un Mouvement mondial portant avant tout l'espoir d'lin monde meilleur et plus en paIX.

L'année même de la mort de B.P., une autre « utopie pacifiste» se met en place. Elle est portée par un président américain: Franklin Roosevelt. En effet, celui-ci définit en 1941 , soit environ un an avant l'entrée en guerre de son pays, «quatre libertés humaines essentielles» qui doivent guider les États-Unis (Achcar 2005). Cette vision allait déboucher, en 1945, sur la création de l'Organisation des nations unies, « dont Roosevelt fut le véritable parrain» (ibid).

L'ONU, tout comme le Mouvement scout mondial d'ailleurs, naît donc en réponse aux guerres et avec l'espoir de résoudre les problèmes internationaux. et de favoriser la paix dans le monde. Il faut retenir - et Marc Agi le rappelle avec force - que « la naissance des Nations Unies, comprise à l'origine comme une véritable union définitive pour la paix, a soulevé les mêmes espérances que s'il se fut agi d'une sorte de religion laïque universelle dont la future Charte des droits de l'homme devait représenter en quelque sorte les nouvelles Tables de la loi» (Agi 1995 : 77). La création de la charte de l'ONU fixe en effet une utopie ou du moins un idéal qui prend la forme d'un « projet entièrement nouveau dans 93 l'histoire de l'humanité, car il la concerne à la fois dans sa totalité d'espèce et dans tous ses secteurs d'activité» (Brelet 1995: 78). C'est pour cette raison que cette Charte fut comprise, selon Brelet, comme « le garant quasi sacré d'un chapitre nouveau et heureux de l'histoire». Depuis 1945, poursuit Brelet, «elle garantit, du moins en principe, qu'une nouvelle forme de coopération internationale « dans son acceptation la plus large » soit effective» (ibid: 77-78).

L'Unesco, en tant qu' Organisation issue de la création de l'ONU, 'est tout aussi porteur d'une « utopie pacifiste ». Un regard sur ses racines idéologiques révèle d'ailleurs une paix reliée à l'esprit et au savoir. On retrouve tout d'abord cette idée dans une formulation célèbre apparaissant dans le préambule de l'Acte constitutif de l'Unesco: «Les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix» (Droit 2005 : 205). Pour le philosophe et journaliste Roger-Pol Droit, cette formulation laisse entrevoir une conviction très ancienne et liée à la naissance de la philosophie: la connaissance (qui se situe dans l'esprit) contribue à une amélioration éthique, et donc à la paix dans les relations humaines (Droit 2005). Droit poursuit sa réflexion en associant la pensée de l'Unesco à celle de la Grèce Antique:

L'Acte constitutif de l'Unesco, dans son intention la plus profonde, repose sur la réactivation de cette très ancienne idée de l' union du savoir et de la morale. Pour la culture des Grecs de l'Antiquité ( ... ) être « savant» et être « sage » n'étaient pas des situations dissociables. Tout progrès dans la connaissance impliquait un progrès dans la morale et donc dans les mœurs. Droit 2005 : 205

Cette volonté de sagesse acquise par le savoir semble être la clé de voûte qui permet au grand et complexe édifice de l'Unesco de tenir fermement. Par ailleurs, le symbole de l'Unesco n'évoque-t-il pas le fronton et les colonnes du Parthénon? Ce temple n'a-t-il pas été érigé pour Pallas Athéné (Athéna), déesse de la Sagesse et de la Force par l'esprit (Droit, 2005) ?

Certes, 1"Unesco se rattache à un idéal de connaissance comme moyen de mettre fin à tous les maux de l'humanité, mais comme nous l'avons vu pour la paix positive, cela ne suffit pas: il faut être en faveur de quelque chose, prendre position et promouvoir avec vigueur 94 une paix sociale durable. À ce sujet, l'Unesco, en tant qu'institution, prend position sur le processus éthique et politique nécessaire à la construction d'une humanité « de paix ». Pour Droit, ce choix d'humanité est fortement inspiré de ce que les romains de l'Antiquité appelaient déjà l'humanitas, soit «l'ensemble du genre humain, conçu comme une unité dont tous les membres sont égaux et possèdent le même statut éthique et les mêmes droits fondamentaux» (Droit 2005 : 22). Encore aujourd'hui, nous pouvons dire que l'Unesco vise en grande partie la réhabilitation et l'édification de cette «utopie humaniste» représentée par l' humanitas. Enfin; on peut dire que la déclaration universelle des droits de l 'homme constitue en quelque sorte le flambeau le plus visible des « symboles utopiques » de la paix imaginée et promue par l'ONU et l'Unesco.

Il y a donc, au cœur de ces trois Organisations que sont l'OMMS, l'ONU et l'Unesco, une « vision du monde» commune qui puise dans l'utopie pour construire un discours sur la paix. C'est cette « vision du monde » qui peut être identifié comme structure conceptuelle ou encore comme fondation sur laquelle repose la construction du discours de paix au 21 e Jamboree Mondial. Pour arriver à l'interpréter dans son ensemble, il reste toutefois à répondre à la sous-question (question de recherche) suivante:

- Comment les participants au Jamboree concoivent-i1s la paix? Cette sous-question renvoie directement à l'interprétation du discours de paIX des participants, tel que construit pendant et après le 21 e Jamboree 1J1ondial en Angleterre. Suite à l'analyse de ce discours, nous avons vu émerger une vision de la paix ancrée dans un cadre symbolique précis : la Loi scoute. Ce cadre symbolique doit être compris comme un code de vie, voire un code d'honneur, fixant des attitudes et des valeurs à mettre en pratique dans la vie quotidienne. Les participants semblent privilégiéS une avenue particulière pour promouvoir la paix à travers ce « code de vie » : celle qui reconnaît l'autre comme un ami et un frère. Déjà, cela fait voir une paix qui dépend du rapport à l'autre, une paix qui cherche à créer les conditions, dans l'imaginaire, d'un rapprochement symbolique entre les êtres humains. 95

Au premier abord, on pourrait définir cette paix comme une paix de valeurs partagées dans l'extension des rapports avec autrui. La reconnaissance de l'autre « comme ami et frère » parait quant à elle être la «représentation symbolique» par laquelle l'extension de ce partage de valeurs est rendu possible. En d'autres mots, le fait de considérer l'autre comme un ami et un frère permet l'éclosion d'une reconnaissance de valeurs partagées. Au Jamboree, cette « représentation symbolique» de l'autre en tant qu'ami et frère s'est fait voir de façon concrète à travers les « hellos » ( salutations) et les sourires offert à tous le monde. Plus surprenant encore, l'effet symbolique s'est manifesté jusque dans la mise en acte, de la part de plusieurs participants au Jamboree, d'une pratique originale qui est en quelque sorte devenue mondiale suite à sa propagation via le médium internet « y outube » :

Cette « ouverture symbolique» à l'autre par le biais d'un rapprochement physique - ou d'un « câlin gratuit» comme le veut la pratique du « Free Hugs »- peut être interprétée sous la forme du don. C'est d'ailleurs en ces tèrmes qu'en parle l'auteur de cette photo issue du projet photo participative:

« La paix est, pour moi une' façon de démontrer notre amour aux autres. On voit sur la photo ce que la plupart des jeunes sur le campement du jamboree entier font, c'est à dire donner de l'amour à tous les passants même sans les connaître, par le biais d'un Free Hugs. J'ai moi-même fait ce don aux autres et je me sent~is toujours débordante de joie et de fierté puisque j 'aimais tous le monde et que je me sentais aussi aimée. Un seul geste peut faire la différence ». 96

La mise en acte du phénomène de « Free Hugs » sur le site du Jamboree peut être comprise comme une façon originale de la part des participants de manifester leur volonté de rapprochement amical et fraternel. Elle apparaît en effet comme une sorte de « don pour la paix », pensé non pas dans une logique de paix onusienne mais bien comme symbole porteur du message central du discours de paix des participants, soit la reconnaissance symbolique d'amitié et de fraternité comme principe fondateur d'un rapprochement possible entre étrangers.

Vision dégagée de la rencontre du discours de paix officiel et de celui des participants

Jusqu'ici, nous avons interprété une série de référents symboliques en tant que composantes d'un même «réseau sémantique ». Nous avons identifié les différents discours de paix, examiné leur portée et leur complémentarité. Il est à présent temps de jeter un regard sur la figure d'ensemble pouvant être dégagée de l'union des deux sources de discours de paix au Jamboree, soit le discours institutionnalisé et celui des participants. L'interprétation de cette rencontre et cette union devrait permettre de compléter la réponse apportée jusqu'ici à la question de recherche. Enfin, nous pourrons mieux comprendre la nature de cette «paix scoute », construite de façon collective par les participants au 21 e Jamboree mondial.

Tout d'abord, revenons sur le cadre symbolique que représente la Loi Scoute. Je l'ai définit comme un code de vie ou encore comme un code d'honneur. Cette dernière référence à l'honneur s'explique de plusieurs façons. En premier lieux, la promèsse scoute repose explicitement sur l'honneur: « Sur mon honneur, je promets de ( ... ) ». Par ailleurs, l'article - premier de cette Loi, dans sa version anglaise, renvoie lui aussi explicitement à l'honneur: « A scout's honor is to be trust» (traduit en français par: le scout n'a qu'une parole). En second lieux, j'ai mentionné déjà les comparaisons faites par certains participants entre le ~cout et le « chevalier)». Le code de Loi emprunte en effet des éléments du code d'honneur des chevaliers d'autrbfois. En effet, Baden-Powell lui-même affirme dans son célèbre ouvrage « Scouting for J oys » avoir trouvé une grande inspiration dans le patriotisme historique de son pays, soit cFlui de la chevalerie. Il enracina donc son projet 97

éducatif dans cet imaginaire chevaleresque en établissant notamment dans la Loi ·Scoute des valeurs provenant du code éthique des chet aliers du moyen âge.

Que reste t-il de cet esprit chevaleresque qui caractérisait le scoutisme à ses débuts ? Peut-

1 . on aujourd'hui décrire le scout comme ub « chevalier de la paix» ? Certes, l'imaginaire chevaleresque, fixé entre autre dans l'espt1t de la Loi scoute, influence encore aujourd'hui le discours de paix de certain scout. À pl4s grande échelle, l'ensemble des participants au Jamboree semble associer la paix à un principe qui découle, à plusieurs égards, de cet imaginaire chevaleresque: la volonté de « servir », plus couramment exprimée par « le sens du service ». Voilà que nous rapprochons Idavantage de la paix telle que conçue et promue sur le site du Jamboree. Cette référence au service renvoi~ notamment à l'article 3 de la Loi Scoute qui indique que « Le scout se rend utile et aide son prochain ». Nous avons là une vision qui, une fois traduite dans le diScolllrs de paix officiel, explique la conception d'une paix d'actions, c'est-à-dire une paix élé[lborée à travers urie série d'actions concrètes.

L'exemple le plus frappan~ de ce type de paix est de toute évidence le . programme des « Dons pour la paix », au cours duquel les scouts du monde entier ont pu se rendre utile - en se mettant notamment au service d'autres Organisations - et aider leur prochain par le biais de projets d'action (pour la plupart ponctuels) visant à promouvoir la paix au niveau local, national et international.

Cette caractéristique de la paix scoute (au Jamboree du moins) en tant que paix d'actions semble être partagée par la majorité des acteurs présents au Jamboree. Par contre, elle doit être mise en équilibre avec une autre caractéristique, soit celle d'une paix de valeurs. Comme nous l'avons montré dans l'analyse, cette caractéristique a été mise de l'avant dans la construction du discours de paix des P'lrticipants et se relie notamment à l'article 4 de la Loi Scoute qui indique que « Le scout est un ami pour tous et un frère pour tous les autres scouts ». Une fois de plus, ce type de pai1k et plus précisément les valeurs qui sont ciblées dans l'article 4 semblent être partagées ~a majorité des acteurs présents au Jamboree. En résumé, nous pouvons attribuer deux carahtéristiques à la paix scoute telle que construite au Jamboree: c'est une paix d'action et une paix de valeurs. Enfin, pour être fidèle à notre 98

intention de fournir la vision d'ensembl9 la plus large possible, il devient pertinent de chercher à identifier ce que ces deux caracteristiques ont en commun.

Nous avons vu jusqu'ici que le Mouvemept scout repose sur le principe d'adhésion à une promesse et une Loi. Cette adhésion - o~ peut le lire dans la Constitution de l' OMMS - doit aussi inclure trois principes reflétés ddns la Loi. Ces principes sont: le « Devoir envers

, 1 Dieu », le « Devoir envers autrui» et le « Devoir envers soi-même ». Alors que le Devoir envers Dieu renvoie avant tout à une « af ésion » volontaire « à des principes spirituels » et le Devoir envers soi-même à « la resppnsabilité de son propre développement », celui envers autrui (le Devoir envers autrui) est Hécrit plus longuement dans la Constitution. Il est formulé ainsi :

«La loyauté envers son pays dans la perspective de la promotion de la paix, de la compréhension et de la coopération sur le plan local, national et international. La 1 participation au développement de la soci~té dans le respect de la dignité de l 'homme et de l' intégrité de la nature »

Si nous revenons aux articles 3 (Le scout se rend utile et aide son prochain) et 4 (Le scout est un ami pour tous et un frère pour tous les autres scouts) de la Loi Scoute, desquelles découlent les caractéristiques de la paiX! scoute que j 'ai énoncées précédemment (paix d'actions et paix de valeurs), on peut voir [que ces articles appartiennent à cet ensemble plus grand que l'OMMS décrit comme le 'principe du « Devoir envers autrui ». En effet, « se rendre utile », « aider son prochain », «être un ami pour tous» et « être un frère pour tous les autres scouts» sont bel et bien des attitudes pouvant être englobées par le principe du Devoir envers autrui.

L'identification de ce principe (devoir envers autrui) apporte un nouvel éclairage sur la paix scoute telle que conçue et promue au Jakboree : il fait' voir une paix qui semble investie davantage par la notion du Devoir que ce Ile, par exemple, du Droit. Que peut-on en déduire ? Certes, nous avons' vu dans l'analyse que la vision de la paix partagée par l'ONU et l'Unesco accorde une grande importance aux droits et libertés. Comme la vision de la paix de l'OMMS, elle s'appuie fondamental ment sur un cadre symbolique puissant qui est, dans ce cas-ci, la Déclaration universell 1 des droits de l'Homme. Or, à la différence de la Loi Scoute, ce cadre symbolique met da antage l'accent sur le principe du « Droit» que celui du « Devoir ».

Bien évidemment, les notions de droits et f e devoirs sont inter reliées et se répondent dans une certaine mesure. Cependant, ce qu ' i ~ faut comprendre, c'est que la construction du discours de paix au Jamboree révèle une l'référence pour une approche fondée en premier

1 lieu sur le devoir, sur l'engagement, et plus particulièrement l'engagement envers autrui. Enfin, puisque l'intérêt de cette recherchl vise aussi à comprendre la nature de la « paix scoute » construite de façon collective p~ les participants, il convient de centrer notre intérêt sur la vision d'ensemble ' qui s'eh dégage. Pour ce faire, on doit réintégrer les 1 éléments clés de ce discours (qui puise aUisi parmi les autres discours). On obtient alors la figure suivante: une paix de valeurs mise en action sur la base d'une reconnaissance symbolique de l'autreen tant qu'ami et frJ e.

Ce type de paix peut être effectif parce q1'une série de mécanismes sont mis en place pour permettre cette reconnaissance symboliqu~. Parmi ceux -ci, l'engagement symbolique face à

1 Loi Scoute et au Devoir envers autrui sdnt très efficace. Un· autre est tout aussi efficace voire indispensable pour assurer la mise ef place d'une telle conception de la paix. C'est en quelque sorte la clé de voute qui soutient Il'ensemble de la construction de l'image de paix chez les participants: la croyance profonde que rien n'est impossible. Cette croyance est au cœur de l'imaginaire de paix des participants et du Scoutisme en entier. Nous l'avons déj à abordé en associant, avec raison, le discours de paix issu du Jamboree au concept d'utopie et plus particulièrement, à celui de l'utopie vécue. Un retour sur le cadre théorique utilisé

1 dans ce mémoire devient à présent très pertinent. 100

Retour sur le cadre théorique

1

1 La « paix scoute », telle que nous l'avons, interprétée jusqu'à maintenant dans ce chapitre semble posséder les principales caractéri ~iqueS d'une paix positive, entendue comme un effort et une recherche active de justice s1ciale. Elle contient en effet l'essence d'une paix positive puisqu'elle ne se contente pas d'J ne absence de violence mais permet au contraire le développement et le maintient d'un1 justice sociale aux moyens d'une pédagogie pouvant être décrite comme une véritable i ducation à la paix.

Parmi les ancrages symboliques de cette éducation, un principe est fondamental: l'engagement formel par rapport à un co+ de vie. Ce code de vie, aussi comparable à un code d'honneur ou un code d'éthique, porfe en lui une caractéristique qui est probablement une des clés de son énorme succès: il est ênoncé de façon positive. En effet, les dix articles de la Loi Scoute sont formulés de maniè~e positive, ce qui, à l'époque où Baden-Powell fixe la méthode Scoute, constitue une n~uveauté dans le domaine pédagogique. La Loi Scoute se pose alors en discontinuité par rapport aux approches traditionnelles d'enseignement du début du siècle puisqu'elle propose non pas un code de règles empreintes d'interdits mais plutôt un code d'honneur faisant appel à l'engagement personnel et volontaire, à la bonne vOlont1 et reposant sur le principe du Devoir.

1 L'identification et l'interprétation d'un ré ~ eau sémantique de sens ancré profondément dans le vécu des acteurs sociaux ont permisl de mieux définir la dimension symbolique de l' imaginaire de paix construit de façon c~llective lors du 21 e Jamboree mondial. Cela nous conduit au dernier concept clé du cad~e conceptuel qui est celui de l'utopie. Dès la description du contexte du Jamboree en teb ps qu'espace utopique et même, d'utopie vécue, on pouvait s'attendre à une influence imJ ortànte de ce type d'espace sur la construction du discours de paix.

Comme le dit Maffesoli, « l'espace façore d'une manière contraignante les habitudes et les coutumes de tous les jours qui, à leur Itour, permettent la structuration communautaire» (1979 : 17). Ce fut le cas au Jamboree: l'espace physique et le contexte matériel structura

1 101 tout autant la société qui s'y créa que 11 « communauté d' idées »22 qui l' accompagnait. Ainsi, dans le guide officiel du visiteur, sur le site du Jamboree, on pouvait lire ceci: « Scouting is open to anyone who accepis the principles and operates in the spirit of friendship and the belief that anything ii possible» (OMMS 2007d : 15). Cette phrase résume de façon très convaincante «l'utopIe scoute» qUI façonne le dIscours de paix émergeant de l'espace du Jamboree. Ce discours, lui-même nourrie par l'imaginaire de l'utopie vécue, prend alors la forme d'10Ptimisme sans faille, d'une croyance profonde qu'un autre monde est possible et que le Jr boree en constitue la preuve tangible.

Cette vision du monde véhiculée dans le discours de paix construit au Jamboree doit être rattachée à un type d'utopie que je nommerai l'utopie prospective. Ce genre d'utopie, qu'on pourrait aussi désigner sous le nom d tutopisme contemporain, se coupe de l'utopie classique (voire littéraire) en ce sens ou i ~ ne vise plus à faire voir « un tableau théorique fixé et achevé de la société la meilleur» (1 'utopie d'une fin) mais se présente plutôt comme « une orientation de l' action» qui « Jntend agir dans notre espace et notre temps

1 empirique» (Freund 1979: 45). La «paix scoute », imaginée de façon collective au Jamboree, prend donc davantage la forme d'une utopie des moyens, par opposition à l'utopie d'une fin.

Ce que l'interprétation du discours de paix au Jamboree révèle en définitive, c'est la nature de cette utopie « à construire ». On y fait ~ oir une société civile capable de mettre en place « un renouveau des relations apte à créeTt les conditions de la non-guerre », comme le dit Chemillier-Gendreau (2005 : 239). Ce f nouveau, cet ordre meilleur, c'est celui d'une société civile basée non pas sur l'individualisme mais sur la reconnaissance symbolique de l'autre en tant qu'ami et frère, permettant ainsi la structuration et la consolidation par la base (au niveau local) d'une véritable cul~ure de la paix positive fondée non seulement sur le Devoir et la responsabilité envers autrJ i mais sur cet engagement symbolique d'amitié et de fraternité envers tous. Enfin, à cette fo l e de valorisation de la paix positive s'ajoute un ensemble de valeurs et d'attitudes qui, à l'inverse de la violence structurelle, visent à

22 Cette référence à une « communauté d' idées» dst attribuée à Durkheim qui définissait ainsi la société. 102

concrétiser, dans l'action quotidienne, cett société civile (voire mondiale) où les individus vont de l'avant pour créer des solidarités e des ponts entre les cultures.

Nous pouvons dire qu'il Y a déj à, dans ette configuration rapide (et incomplète) de la « paix scoute» (conçue au Jamboree), qU9lques pistes fertiles pour tous ceux qui explorent le champ complexe de la paix positivel Que ce soit, les exigences et l'efficacité de

l'engagement et de la reconnaissance sy 1 bolique, la grande pertinence d'un code de vie « positif» ou encore la considération es notions d'amitié et de fraternité comme fondements d'une paix positive, il est clair que cette exploration de la construction

collective de l' image de paix chez les P1 icipants au 21 e Jamboree scout mondial apporte un éclairage nouveau sur la compréhensiof scientifique de la paix positive.

Les limites t e l'utopie vécue:

critiques 1u 21 e Jamboree

Dès le début de ce mémoire, j'ai fait voir le Jamboree comme une entité complexe « prise », dans une certaine mesure, entre ll'utopie littéraire et l'utopie vécue (cette idée fut illustrée dans le schéma de la page 40 ~ . Ainsi, on peut dire que le Jamboree, comme l'utopie littéraire, nous donne à voir 001société idéale rigoureusement organisée. Cette image idéalisée s'accompagne cependant d'une caractéristique partagée avec la majorité des utopies littéraires: celle du contrôle el~ de l'ordre institué faisant en sorte, comme le dit

, 1 Freund, que « l'espace demeure clos ausst bien en ce qui concerne le territoire que les êtres

qui l'habitent» (Freund 1979 : 44). 1

Ce constat laisse entrevoir le côté som, re de la plupart des utopies littéraires: « Sous

prétexte d'instaurer l'égalité, ( ... ) elles 1 introduisent l'uniformité la p lus rigoureuse, en rej etant toute fantaisie et tout choix personnel, tout le monde étant soumis à un dirigisme pointilleux ( ... )) (ibid: 41). Cette vblonté de contrôle constant de l'espace, cette inclination pédagogique et cette passion de l'ordre institué font en sorte qu'en définitive, ce qu'elles proposent est un « régime de libl rté surveillée» qui contraint beaucoup plus qu'il 103

ne permet. Peut -on en dire autant du 21 e Jamboree mondial dont l'espace physique et le contexte matériel ressemblent de très près ceux des utopies littéraires classiques?

Certes, le Jamboree n'épouse pas complè ement la logique qui régit les utopies littéraires. Nous l'avons dit: cet évènement peut aus i être vu comme une utopie vécue, laquelle doit savoir composer avec les contraintes du éel et des subjectivités humaines. Quoi qu'il en

soit, l'espace du 21 e Jamboree mondial, cj mme toutes utopies, qu'elles soient littéraires ou vécues, possède aussi son côté « sombre 1» et celui-ci fut révélé par les commentaires et critiques venant des acteurs mêmes du Jamboree, soit les participants et les membres de l'équipe internationale de services (lEST).

Débutons avec une critique qui met dir9ctement en' cause le contrôle de l'espace et du temps au Jamboree. Lors des groupes de discussions réalisés après le Jamboree, j'ai posé la question suivante aux 12 participants dUébécois: « Quel a été votre moment le plus précieux au Jamboree? ». Une réponse commune s'est tout de suite fait entendre: les temps libres. Cette réponse surprenantr demandait des explications. Les participants répondirent que les moments libres, notamment en soirée, permettaient d'aller voir ses amis ou d'aller à la rencontre d'autres participr tS. Ils permettaient un contact plus facile parce

que, comme le dira une participante qUtêbéCOise, «les gens étaient plus ouvert et moins pressés que lors des activités de la progra mation ».

La discussion soulevée par cette question s'est soldée en un souhait qui s'accompagna d'une critique: « avoir eu plus de temps ~ ibres ( ... ) la programmation n'incluait pas assez de temps libres, de temps pour nous ( ... ) il y avait toujours des activités obligatoires du début jusqu'à la ·fin de la journée ( ... ) ». Cette contrainte de l'espace et du temps imposé par la programmation officielle du Jam oree reflète intimement la «passion de l'ordre institué » que l'on retrouve dans les utoPirS littéraires.

La nature des activités au cœur de cette Pfogrammation ainsi que les services payants sur le jamboree constitue une deuxième critiqhe partagée cette fois-ci par plusieurs scouts de différents pays. D'abord, on peut lire, dans un des seuls commentaires critiques trouvés dans le journal « One World », la réPon~ suivante d'un scout belge à propos de ce qui le 104 surprend le plus au Jamboree :,« Ça ressel ble beaucoup à un festival. Il y a de la musique, la nourriture est très chère, les activités s ~ nt très éloignés du Scoutisme que l'on connaît » (OMMS, 20070 : 5). À noter que ce co~entaire fut publié dans le journal numéro 10 (sur un total de 12), soit vers la fin du JamborJe. La même critique est exprimée par une scoute française dans le premier guide d ' entreti ~n électronique posant ~a question du but ultime d'une Jamboree mondial: « Ce que c'est Isur le terrain ou bien ce que ça devrait être ? Ce que je trouve que ça devrait être c'est uï scoutisme partagé et non une grande foire avec des activités très éloi nées des cam s de scouts ». Enfin, un adult provenant de Malte dira en parlant du Jamboree: «Unfortunatel , it is too commercialised and expensive for most ». Cette critique partagée par plusi iurs autres participants mérite, selon moi d'être prise très au sérieux, elle met en luniière une autre utopie, celle de la société de consommation, qui a aujourd'hui fait son Ihemin dans les pratiques du Jamboree.

Finalement, un ensemble de critiques pa1f1agées par un nombre de ,« lEST» (membres de l'équipe internationale d.e service) a fait surface de façon plutôt inattendue vers la fin du

Jamboree: une affiche intitulée «One 1 Truth» (en lien direct avec le journal «One

World ») fut imprimée en plusieurs copies et collée à des endroits stratégique sur le camp des IEST. Cette affiche a vite attirée l'ar ntion des passants et bien qu'on ne puisse pas confirmer la véracité de tous ce qu'elle d1nonce (en particulier ce qui c?ncerne le recyclage des déchets), elle révèle avec force le côté sombre du Jamboree et impose une réflexion critique sur les limites de 1~ utopie vécue. 105

Le texte sur l'affiche originale est écrit en nglais. Je l'ai traduit en français pour faciliter la compréhension :

U e Vérité

Les choses que nous n'aimons pas de ce amboree:

Le journal de propagande « One Worl ~ » lequel censure touts les articles qui parlent du Jamboree de façon négative (comme œelui-ci). Celui qui veut enseigner la démocratie l (comme le Scoutisme est supposé fair ) devrait respecter la liberté d'expression.

Saviez-vous que tous les déchets que vous triez au restaurent [lieu de repas pour les lEST (membres de l'équipe internationale d service)] après votre repas sont tous jetés, après coup, dans une même grande poubell .

Ce Jamboree ressemble vraisemblablement à une grosse machine à faire de l'argent. Même dans les grandes villes on ne paie pa~ trois Euro pour un chocolat chaud ou plus de cinq Euro pour internet. Alors ne vous dem[sndez pas pourquoi les conteurs de temps sur internet ont été piratés.

Pourquoi une compagnie [Sodexho] q i opère dans 80 pays n'est pas capable d'offrir des assiettes, des fourchettes, des CUillèrjJS, des couteaux et des tasses réutilisables? Cela va vraiment passé à l'histoire comme le ~ Jamborre-Déchets » [(Trash-Jamboree)].

Saviez-vous que les lEST travaillant !J bar n'ont pas droit à une consommation gratuite à la fin de la soirée parce que le bar ne fait pas assez d'argent (avec ces prix ???) ?

Pourquoi 16 lEST doivent faire un trJ ail qui pourrait facilement être fait par quatre personnes et pourquoi ces personnesj n'étaient même pas supposées obtenir une journée de congé?

Pourquoi devons nous payer 1 livre slrling pour charger notre téléphone cellulaire alors que les lumières de rue demeurent allumr s toute la journée.

Pourquoi les organisateurs continuent de parler avec l'accent anglais [(British accent)] alors que la moitié des gens au Jamboree t e les comprennent pas?

Savjez-vous que Sodexho charge cin ~ livres sterling pour son petit « emballage lunch )} [(smalliunch package)]. ? 106

1 Ces critiques nous montrent en effet les timites de l'utopie vécue. Elles font notamment voir le manque de cohérence entre certai s principes démocratiques et environnementaux prônés par l'OMMS et la réalité derrière les choix et les partenariats pour l'organisation d'un évènement d'une telle envergure. La critique concernant le caractère marchand de ce Jamboree (ou du moins une certaine vol nté de capitalisation à partir de cet évènement) révèle les enjeux économiques qui accompagnent souvent les évènements d'une telle

ampleur. Un des buts inavoués du 21 e Jamr oree mondial était-il de faire fructifier un capital monétaire aux moyens de services de cr nsommation payants et non essentiels au bon déroulement du Jamboree ? La question se pose. Chose certaine, le Jamboree, comme toute utopie vécue, contient sa part de contradict ons et d'imperfections.

Questionnementr et pistes de réflexion

1 L'interprétation du discours de paix pror enant du 21 e Jamboree mondial a soulevé des questions importantes qui méritent d'êtrer bordée. Tout d'abord, il est tout à fait légitime

de chercher à comprendre les limites d'u paix n~urrie par l'imaginaire chevaleresque. On peut ainsi se demander: est-ce une Pl1 x qui condamne réellement toute violence ou l'autorise-t-elle en temps de conflit, comme le chevalier qui part combattre pour l'honneur de son pays? Une piste de réponse vient d'un commentaire partagé dans le premIer guide d'entretien électronique à propos de lIa question suivante: Qu'est-ce qu'un scout n'accepterait jamais de faire? Le tiers des répondants ont répondu de façon explicite qu'un scout n'accepterait jamais de faire la gueh e et de tuer des gens. Cela nous pousse à penser que l'esprit chevaleresque qui habite le scbut évacue toutes les caractéristiques de violences qui peuvent être associés au chevalier. S ~nt donc conservé uniquement les caractéristiques positives telles la vaillance, le courage, 111courtoisie , le dépassement et bien sûr, la loyauté, l'honneur et le sens du service (devoir).

Certes, cet imaginaire chevaleresque co stitue une facette tout à fait propre à la «paix scoute» mais elle amène aussi un une autre question qui mérite d'être posée: le code d'honneur inspiré de celui des chevali rs n'entrainent-il pas un certain patriotisme qui 107 favorise le pays d'origine au détriment d'une vision davantage internationale ? Cette question renvoie au piège du nationa isme qui guette les Organisations mondiales regroupant plusieurs entités nationales. Dans le cas Mouvement scout mondial, il semble que la stratégie de maintien et de vall risation des identités nationales permettent de consolider une base culturelle essentielle' la con~truction d'une vision plus large, c'est-à• dire internationale.

Le Jamboree apparaît quand à lui comm l'endroit stratégique où le participant scout est invité à consolider et confirmer son app rtenance nationale pour ensuite l'utiliser comme tremplin vers une identité qui transcende la nationalité: celle d'une citoyenneté mondiale basée sur l'unité du Mouvement scout. Or, ce passage n'est pas si facile à faire et il peut s'avérer impossible si le sentiment . d appartenance nationale sombre dans le repli idéologique et le refus de l'autre. Au Jamboree, la valorisation de l'identité nationale semble bien fonctionner mais un aspect Î oi~ être surveillé: la survalorisation du drapeau national comme marqueur d'identité propre. A ce sujet, une autre piste de réponse est venue de la part d' un répondant à la question s1 vante (toujours dans le premier guide d' entretien électronique) : Qu'est-ce que vous Changr eZ dans le Scoutisme? Pourquoi?

« les drapeaux de pays au Jamboree! Cela nous divise et crée une forte compétition. C'est une course pour tenter de faire voler son . ~1 rapeau national plus haut que celui de son voisin. J'ai observé ceci au Jamboree en Anglete e. Il ne devrait avoir au Jamboree que le drapeau de l'OMMS.Les guerres symboliques de drapeaux nationaux nous divisent alors que le but d'un Jamboree est de s' unir tous et de prl mouVOir la paix ».

Voilà qui exprime clairement ce piège ~u nationalisme et une possibilité de le contrer, durant les Jamboree, lieux privilégiés dr construction d'une fraternité internationales et donc d'une identité qui dépassent les frontières de son propre pays. Un dernier questionnement - et sans aucun doute ~e plus pressant de tous - concerne l'image du Scoutisme dans la société mondiale du ,1e siècle. On peut tout de suite poser la question suivante: comment les scouts de ce mont pourront-ils réellement contribuer à transmettre dans la société civile un discours de paix si celle-ci entretient une image peu crédible voire négative par rapport au Scoutisme lui-mê e?

. 1 108

En premier lieu, il est clair que le Jambor e est un outil très efficace pour prornouvqir une image positive du Scoutisme en tant qu' < instrument de paix ». Or, qu'advient-il de cette « mission .de paix» dont est investit le pa icipant lorsque vient le temps de la partager avec autrui lors de son retour dans son pays, sa ville et sa communauté ? Comment les non- scouts le perçoivent-ils? Une question co sacrée à ce sujet dans les groupes de discussion ainsi que le premier guide d'entretien é ectronique révèlent l'envergure du problème de l'image et ce, dans plusieurs pays. Un rapide tour d'horizon permet de le constater. Par exemple, du Canada jusqu'au Chili, en passant . par Tahiti, des répondants de ces pays soulignent que le scout continue d'être tenfermé dans une image qui le ridiculise : « des

1 jeunes qui vendent des biscuits ou aident 1es vieux à traverser la rue ».

Au Québec, l'image du scout est tout auL i erronée: « les gens ont en général une image assez simpliste du jeune en uniforme - lunettes et broches de préférence - en train de vendre des calendriers ou des chocolats» ; « Ils pel1sent qu'on chante Kumbaya en grillant des guimauves sur le feu. Des p'tits têtj uX de la nature quoi! ». En France, le scout est parfois vu comme « une bonne poire tout /gentil avec sa B.A. »alors que le Mouvement lui- même est frappé de méfiance voire ji gé dangereux. La situation dans certains pays d'Afrique n'est pas beaucoup mieux. AU /Gabon par exemple, un informateur souligne que les scouts sont trop souvent perçus comre des «Amuseurs », « des Clowns» ou encore des «petits voyous qui se cachent danJ les bois au lieux de travailler comme tous les autres ». 1

1

1 Enfin, dans la plupart des pays occidenf ux, le Mouvement scout est perçu par plusieurs comme étant « dépassé» ou encore, « détnodé ». Selon un participant américain de 17 ans, aux États-Unis, certaines personnes diseJt : « Scouting is dead, to join scouting is a social suicide ;>. Ce com~entaire montre de fadon très claire l'ampleur du problème lié à l'image du scout dans la société actuelle et en pkiculier dans la société occidentale. Il invite à se poser des questions concernant la Placej du scoutisme dans la société contemporaine. Les valeurs prônées à l'intérieur de ce mou ( ment de jeunesse vont-elles à contre-courant de celles majoritairement admise par la socfété de consommation? Gauthé y réfléchit en ces termes: 109

Dans un monde où l'individualisme est un valeur dominante, la référence au devoir envers autrui, à l'esprit d'équipe peut être très ma perçue. La difficulté est la même pour le devoir envers soi-même dans un univers qui enco rage à l'hédonisme et à la satisfaction immédiate

t1 de toutes ses envies. Un engagement, quel u' il soit, a·de plus en plus de mal à être vécu dans la durée, le zapping étant la valeur montant ! Gauthé 2007 : 87

Certes, le défi est réel et le Mouvement sc ut se doit de demeurer flexible s'il veut parvenir à transmettre dans la société sa vision et es moyens originaux de contribuer à la création d'une société plus pacifique. L' OMMS t availle fort pour faire connaître et reconnaître la pertinence et l'utilité du scoutisme en tant que Mouvement d'éducation non formelle centré sur la responsabilité citoyenne et la pai . En bout de ligne, ce seront probablement les scouts eux-mêmes qui devront cependa t relever le défi de déconstruire les préjugés et vaincre l'ignorance qui continue de prédOminer au sujet du scoutisme dans de nombreux pays. I . S nthèse

Le discours de paix construit au 21 e J amlJoree mondial peut être traduit en un récit mais ce reclt, . d emeure avant tout comp1 exe et r1 n mterpretatiOn. ,. d··Olt temr compte d e toute sa complexité si elle veut lui être fidèle. C'ert ce que j ' ai tenté de faire dans la troisième partie de ce mémoire en tissant une toile de signification à partir d'un fil conducteur composé des éléments les plus récurrents et les plus si nifiants de cette recherche.

permis de mieux comprendre la logique de transmission planifiée du discours de paix officiel vers les participants au Jamboree. Il fallait ensuite rechercher le sens de la relation dynamique entre les deux composantes essentielles du discours de paix institutionnalisé, soit la vision de la paix de l'OMMS et celle partagé par l'ONU et l'Unesco. Les compatibilités identifiées entre ces troi . Organisations se sont finalement révélées plus grandes qu'on aurait pu le penser ap iori. En effet, au-delà des simples accords et partenariat historiques, on peut voir un~ grande compatibilité des visions notamment au niveau du caractère utopique et de l'imp 'rtance symbolique attribués à la paix, souhaitée et construite. 110

Par la suite, l'interprétation de la façon dont les participants conçoivent la paix devait .permettre de faire voir la paix du point de vue des participants au Jamboree. Elle a montrer une paix qui cherche à créer les con itions, dans l'imaginaire, d'un rapprochement symbolique entre les êtres humains. Ce approchement symbolique qui se traduit par le partage de valeur commune est rendu P1ssible notamment grâce à une « représentation symbolique» de l'autre en tant qu'ami et rère. Enfin, nous avons vu que les participants au Jamboree ont mis en acte cette conceptio particulière de la paix au moyen d'initiatives de rapprochements, que ce soit par les saluta ions, les poignées de mains ou encore, les «free Hugs ».

L'interprétation n'aurait pas été comp ète sans la création d'une figure d'ensemble constituée de l'union des deux sources discours de paix au Jamboree, soit le discours institutionnalisé et celui des participants. Cette figure a révélée des éléments clés qui sont au fondement de la Loi Scoute, nota ent l'imaginaire chevaleresque. Cet imaginaire nous a conduit à voir la « paix scoute» cr nstruite au Jamboree comme une paix de valeurs et d'actions, alignés sur un même Princir e : celui du Devoir envers autrui. En recentrant l'interprétation sur la conception de la (~< paix scoute» provenant des participants, nous avons pu la décrire comme une paix de valeurs mise en action sur la base d'une reconnaissance symbolique de l'autre en t nt qu'ami et frère.

L'identification de cette image de paix crstruite de façon collective par les participants au Jamboree s'est finalement accompagnée t'une mise en lumière des mécanismes permettant l'efficacité symbolique de cette « paix soute ». Parmi ceux-ci, l'engagement symbolique face à Loi Scoute et au Devoir envers alJltrui paraissent les plus ' efficaces. Enfin, un autre

1 mécanisme agit comme ciment symbolique et procure à cette image une force et une durabilité surprenante: la négation. de l' r~ mpoSSible. De cette conception naît l'optimisme face à la vie et la croyance ferme en l'utopie prospective. Enfin, ces par l'efficacité symbolique de cette image de paix qud les participants au Jamboree deviennent apte à créer, en eux-mêmes et avec les autres, e changement qu'il voudrait voir survenir dans le monde entier. 111

Conclus on Générale

« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots»

Martin Luther King

La «paIX scoute», telle qu'elle fut co struite au 21 e Jamboree mondial, est à la fois pragmatique et utopique puisqu'elle contribue à mettre en action une «anticipation qui imagines des « solutions» et élimine l'iml ossible '», pour reprendre les termes de Balandier (1971 : 97). C'est peut être là la plus grande force de ce Mouvement de jeunesse:

promouvoir une éducation à la paix 1 ui s'alimente de l'utopie prospective tout en demeurant ancrée dans l'action.

Selon Eduardo Missoni, ancien secrétair générale du bureau mondial du scoutisme, « la vrai tradition du Scoutisme, c'est l'innovation.l Sans cette capacité à innover au niveau social, laquelle représente la marque de bommerce du Mouvement Scout, celui-ci court le risque de perdre l'intuition originale de Baden-Powell» (Missoni 2007). De là toute l'importance de conserver et réaffirmer l' ~maginaire utopique qui fonde l'expérience scoute car celui-ci est à la source du désir de l'altérité sociale et de la capacité d'innover pour s'adapter et répondre aux besoins de la sdciété. .

Le 21 e Jamboree scout mondial en AnJ eterre marqua le centenaire d'un Mouvement qui aime se représenter comme un catalyseJ r de changements sociaux. Ce grand Jamboree a permis la construction collective d'une mage de paix qui est unique et par le fait même distante des conceptions populaires, de systèmes politiques, juridiques ou des instances supranationales, telle l' Unesco. L'étude f e cette image de paix conduit au constat suivant: en vêtissent la paix du manteau de l 'uto~ ie et en l'analysant en rapport à cette dernière, on peut faire naître une paix positive qui n~ se réduit pas uniquement à s'élever moralement 112

contre toute forme de violence malS cite plutôt à une véritable transformation des

relations apte à créer les conditions de la on violence.

En définitive, la construction collective lel'image de paix chez les participants au 21 e Jamboree mondial révèle un~ concePtio~ e la paix Profo~démen~ anc~ée dans l' imaginaire. Elle prend la forme d'un dIscours SOCI Il de type utopIque qm se Joue avant tout dans l'imaginaire. Cette particularité de la « Raix scoute» confirme l'importance attribuée au cadre symbolique (notamment la Loi scohte) ainsi qu'aux représentations symboliques qui

forment les piliers de ce cadre. Parmi ces représentations, retenons celle qui conduit à la reconnaissance symbolique de l'autre cor e un ami, un frère ou une sœur.

Ce type de reconnaissance et les prinl ipes qui l'accompagnent seraient-ils le chemin

privilégié par le Mouvement scout pour Rermettre cette transformation des relations apte à créer les conditions de la non violence ? '~ar-delà la justice: l'amitié. Est-ce là le secret du scoutisme pour favoriser la paix? certeJ, cette représentation symbolique, ancrée dans le Devoir envers autrui, ouvre la porte à t e réflexion nouvelle qui dépasse largement les conceptions actuelles des sciences sociafes au sujet de la paix positive. D'une part, elle invite à un renouvellement de la réflexi1n sur l'importance des représentations culturelles de l'autre et d'autre part, elle exige une remise en question des modèles sociaux qui. nous place devant un verrouillage de l'imaginaire social et du dépassement par l'utopie.

L'horizon qui s'ouvre avec la mise en PIr e méthodique d'une image de paix basée sur une amitié et une fraternité symbolique n'est rien de moins que le dépassement, tout aussi méthodique, de la conception de l'autre ~n tant que menace ou ennemi. Plus encore, c'est un horizon qui réaffirme la nature vérita le de l'être humain, soit celle d'un être social qui

propos de Thomas More qui proposait e voir la paix non plus dans une « logique de la

. conservation de soi» mais bien comme

« La fin est dans les moyens comme l'arbre est dans la graine» disait Gandhi. La « paix scoute»·construite au 21 e Jamboree mondial contient en elle une utopie des moyens et non l'utopie d'une fin. Elle n' offre pas de solutions miracles pouvant apporter une paix éternelle mais se contente plutôt d'imaginer des façons de « surmonter les réflexes de la culture de la guerre» (Cot 2000: 27). Certes, l'exploration de ce type de paix demeure incomplète puisque la nature d'un fait social n'est jamais fixe. La paix demeure un enjeu de débat constant ou le plus difficile est de s'entendre pour continuer d'avancer. La présente recherche a quant à elle atteint son objectif de faire voir la complexité mais aussi le potentiel humain de la paix positive. Peut être permettra-t-elle à d'autres de faire un pas en avant dans sa compréhension. Bibliographie

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OMMS 20070 : One World (Journal officiel du 21 e Jamboree Scout Mondial), hylands park, Chelmsford, uk; 27 juillet- 8 août 2007, Issue 10. 118 Annexe 1

CONSTITUTION DE L'ORGANISATION MONDIALE DU MOUVEMENT SCOUT·

(Juillet 2008)

PRÉAMBULE

Des représentants accrédités des assocIatIons scoutes nationales, qui avaient adopté et pratiqué le Mouvement scout fondé par Robert Baden-Powell en 1907, se sont réunis à Paris, France, en juillet 1922 et, en vue de coordonner le Mouvement scout à travers le monde, ils ont créé la Conférence Internationale du Scoutisme avec un comité exécutif et un secrétariat.

La présente Constitution régit le fonctionnement de l'Organisation Mondiale du Mouvement Scout dans un esprit fraternel de coopération et d'amitiés mondiales.

CHAPITRE 1 LE MOUVEMENT SCOUT ARTICLE 1 Définition 1. Le Mouvement scout est un mouvement éducatif pour les jeunes, fondé sur le volontariat ; c'est un mouvement à caractère non politique, ouvert à tous sans distinction de genre, d'origine ni de croyance, conformément aux but, principes et méthode tels qu'ils ont été conçus par le Fondateur et formulés ci-dessous.

But 2. Le Mouvement scout -a pour but de contribuer au développement des jeunes en les aidant à réaliser pleinement leurs possibilités physiques, intellectuelles, affectives, sociales et spirituelles, en tant que personnes, que citoyens responsables et que membres des communautés locales, nationales et internationales.

ARTICLE II

* Sont présentés ici seulement les deux premiers chapitres de cette Constitution. Les 7 autres chapitres et règlements additionnels peuvent être consultés à l'adresse suivante: http://www.scout.org/fr/our_ organisation/govemance/constitution 119

Principes 1. Le Mouvement scout est fondé sur les p~incipes suivants:

• Devoir envers Dieu L' adhésion à des principes spirituels, la fidélité à la religion qui les exprime et l'acceptation des devoirs qui en découlent.

• Devoir envers autrui - La loyauté envers son pays dans la perspective de la promotion de la paix, de la compréhension et de la coopération sur le plan local, national et international. - La participation au développement de la société dans le respect de la dignité de l'être humain et de l'intégrité de la nature.

• Devoir envers soi-même La responsabilité de son propre développement.

Adhésion à 2. Tous les membres du Mouvement scout doivent adhérer une Promesse à une Promesse et une Loi reflétant, dans un langage et une Loi approprié à la culture et à la civilisation de chaque Organisation scoutetnationale et approuvé par l'Organisation Mondiale, le Devoir envers Dieu, le Devoir envers autrui et le Devoir envers soi-même, et inspirées de la Promesse et de la Loi conçues à l'origine par le Fondateur du Mouvement scout dans les termes suivants:

La Promesse scoute Sur mon honneur, je promets de faire tout mon possible pour - Servir Dieu et le roi (ou Dieu et mon pays), Aider mon prochain à tout moment, Obéir à la Loi scoute.

La Loi scoute 1. Le scout n'a qu'une parole. 2. Le scout est loyal. 3. Le scout se rend utile et aide son prochain. 4. Le scout est un ami pour tous et un frère pour tous les autres scouts. 5. Le scout est courtois. 6. Le scout est bon pour les animaux. 7. Le scout obéit sans discussion à ses parents, à son chef de patrouille et à son chef. 8. Le scout sourit et siffle en toute difficulté. 9. Le scout est économe. 10. Le scout est propre dans ses pensées, ses paroles et ses actes. 120

Emblème du 3. L'Emblème du Scoutisme mondial est le symbole Scoutisme d'appartenance au Mouvement scout. Il est constitué d'une mondial fleur-de-Iys blanche stylisée entourée d'une corde de même couleur disposée en cercle et nouée à sa partie inférieure par un noeud plat, le tout sur fond violet.

ARTICLE III Méthode La méthode scoute est un système d'autoéducation progressive fondé sur:

• Une promesse et une loi.

• Une éducation par l'action.

• Une vie en petits groupes (par exemple la patrouille), comprenant, avec l'aide d'adultes qui les conseillent, la découverte et l'acceptation progressives par les jeunes des responsabilités et la formation à l'autogestion tendant au développement du caractère, à l'accès à la compétence, à la confiance en soi, au sens du service et à l'aptitude aussi bien à coopérer qu'à diriger.

• Des programmes progressifs et attrayants d'activités , variées fondées sur les centres d'intérêt des participants et comportant des j eux, des techniques utiles et la prise en charge de services à la communauté; ces activités se déroulent principalement en plein air, en contact avec la nature.