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PROJET D’ÉDUCATION POPULAIRE 2020 – 2024

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« Il faudra choisir un jour entre le matérialisme économique assoiffé de jouissances vulgaires, sans idéal, et l’amour de la Vie qui réclame une Organisation Sociale simple et naturelle. Car le progrès véritable réside dans l’amélioration de la personne humaine. Pas dans les « créations » plus ou moins étonnantes, plus ou moins merveilleuses, de l’homme économique. » Marcel Kienné de Mongeot (1897-1977)

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SOMMAIRE

I. INTRODUCTION à l’éducation populaire

II. AUX SOURCES DU NATURISME – Un cheminement philosophique à partager 1- Introduction : C’EST TOUJOURS LA PENSÉE QUI GUIDE L’ACTION 2- LE NATURISME ENTRE DEUX GRANDES FAMILLES DE PENSÉE – Idéalisme et matérialisme 3- HÉDONISME ET EUDÉMONISME  Démocrite d’Abdère  Cyrénaïques et Cyniques  Épicurisme 4- Stoïcisme  Zénon de Kition  Gymnosophistes  Jaïnisme 5- Scepticisme  Pyrrhon d’Élis 6- Gymnosophistes et jaïnisme

7- Hippocrate – Thermalisme antique et éducation physique  Hippocrate  Thermalisme antique  Activités physiques et sportives dans l’Antiquité gréco-latine  Le gymnase  Les jeux d’Olympie

8- L’INTERDIT VISUEL DES « PARTIES HONTEUSES »  L’Ancien Testament et la doctrine de Paul  Le péché originel chez Saint Augustin

9- DU GNOSTICISME AU PROTESTANTISME  Le Gnosticisme  Des Gnostiques hédonistes et licencieux

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 Franciscanisme et mouvements qui en découlent  Le Joachimisme au XIIIe siècle  François d’Assise  Les Fraticelles (Fraticelli – « Petits Frères »)  Les Apostoliques et le dolcinisme  Libre-Esprit et Adamites  Concile de trente – Les mœurs catholiques sous la contrainte

10- De la RENAISSANCE AUX LUMIÈRES RADICALES  La libre pensée  Les Lumières radicales  La Mettrie  Helvétius  Le sensualisme  Les premiers naturistes 11- LES TEMPS RÉVOLUTIONNAIRES  Nicolas de Condorcet  Les dégâts du libéralisme  John Stuart Mill

12- ANARCHISME ET COMMUNISME D’ASSEMBLÉE  L’anarcho-naturisme  Henry David Thoreau  Élisée Reclus  Le nudisme révolutionnaire  L’anarchisme chrétien  Les Doukhobors

13- LEBENSREFORM ET HYGIÉNISME  La Naturphilosophie  La Lebensreform  L’alimentation  Les hygiénistes  Le mouvement hygiéniste en France

14- FRIEDRICH WILHEM NIETZSCHE

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15- RÉVOLUTION RUSSE ET NUDISTES RADICAUX

16- COMMUNISME ET NATURISME EN FRANCE  Maurice Fuszka « Communisme et naturisme » - 1932  De l’éducation populaire à l’école Moderne de Vence des époux Freinet

17- MOUVEMENTS D’ÉMANCIPATION ET NATURISME  Féminisme  Mouvements Gay

18- CONTRE-CULTURE ET RÉVOLUTION DES MOEURS  Le mouvement Hippie  Rainebow Gathering - Quand la nudité se fait amour de la vie

19- ÉCOLOGIE ET NATURISME

20- QUELQUES DATES CLEFS DU NATURISME CONTEMPORAIN

III. DES VALEURS HUMANISTES ET UN ENGAGEMENT POUR LA PLANÈTE

IV. L’ORGANISATION DE NOTRE PROJET D’ÉDUCATION POPULAIRE 1- Un projet décliné selon 4 axes : a) RESPECT DE SOI b) RESPECT DES AUTRES - ÉGALITÉ / CITOYENNETÉ c) RESPECT DE L’ENVIRONNEMENT d) DROIT & LIBERTÉS

2- La reconstruction d’une architecture dédiée à la jeunesse et à l’éducation populaire

3- Un projet co-construit par la fédération, les régions et les associations a) LE PROJET NATIONAL et ses outils b) LE PROJET EN RÉGION

4- Un projet qui vise à créer des liens et des partenariats pour faire société a) AVEC DES ASSOCIATIONS ET STRUCTURES LIÉES AUX 4 AXES DU PROJET

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b) AVEC LES ASSOCIATIONS D’ÉDUCATION POPULAIRE

5- Un projet pour obtenir la reconnaissance des institutions nationales et européennes a) LES LABELS et/ou AGRÉEMENTS  utilité publique  mouvement de la jeunesse et d’éducation populaire  création d’un label « Territoire FFN – Culture du corps libre »

b) LES SUBVENTIONS ET AIDES PUBLIQUES  s’inscrire dans le programme européen « DROITS ÉGALITÉ CITOYENNETÉ – 2014-2020» (DEC)  solliciter les aides financières auprès de l’état et des collectivités territoriales

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I. INTRODUCTION À L’ÉDUCATION POPULAIRE

"L’Éducation Populaire, c’est l'ensemble des moyens qui permettent de donner à tous les hommes l'instruction et la formation nécessaires afin qu'ils deviennent des citoyens aptes à participer activement à la vie du pays." Bénigno Cacérès - fondateur de Peuple et Culture en 1944. « Personne n’éduque personne, personne ne s’éduque seul, les Hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde ». Paulo Freire

Issue d’une conception humaniste de l’homme, de projets sociaux et culturels émancipateurs, l’éducation populaire agit pour l’avènement d’un homme plus conscient des enjeux du monde dans le uel il vit, a n d’y tre pleinement acteur Elle doit perme re chacun de par ciper la construc on d’un projet de société et la réduc on des inégalités sociales, culturelles et économi ues, aux uelles s’ajoutent aujourd’hui les enjeux planétaires liés l’urgence écologi ue

Le mouvement naturiste, de par son histoire, ses valeurs et sa philosophie de vie, doit aujourd’hui retrouver toute sa place au sein de ce grand courant de l’éducation populaire et des pédagogies alternatives. Il doit pouvoir aujourd’hui comme hier, à partir de sa spécificité, contribuer à la formation du citoyen de demain.

QU’EST-CE QUE L’ÉDUCATION POPULAIRE ? C'est « l'éducation du peuple par le peuple » Dans cette visée, Il n’existe ni professeurs ni élèves, mais seulement des personnes ui s’informent et se forment mutuellement. C'est une éducation permanente, tout au long de la vie. L'éducation populaire est un courant d'idées qui milite pour une diffusion de la connaissance au plus grand nombre afin de permettre chacun de s'épanouir, de s’émanciper et de trouver la place de citoyen qui lui revient. Elle vient ainsi compléter les actions de l'enseignement scolaire et universitaire. C'est aussi une éducation aux loisirs qui reconnaît à chacun la volonté et la capacité de progresser et de se développer, à chaque instant de la vie. Elle ne se limite pas à la diffusion de la culture académique ni même à l'art au sens large, mais également aux sciences, aux techniques, aux sports et aux activités ludiques... En réalité tous ces apprentissages sont l'occasion de développer ses capacités au vivre ensemble : confronter ses idées, partager une vie de groupe, s'exprimer en public, écouter, respecter les différences, etc....

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C’est au XVIIIème siècle, l’épo ue des Lumières ue l’on fait communément remonter l’origine de l’idée d’une « éducation populaire ». Mais on donne généralement trois dates à la naissance de l'éducation populaire : la Révolution française avec le rapport Condorcet, la création par Jean Macé de la Ligue de l'enseignement en 1866 et le Front Populaire suivi de la Résistance.

LES COURANTS DE L'ÉDUCATION POPULAIRE Au XIXème siècle, marqué en France par les révolutions de 1830, 1848 et 1871, naissent trois courant ui prati uent, chacun leur façon, une forme d’éducation populaire : un courant laïc républicain ; un courant chrétien humaniste et social ; et un courant ouvrier révolutionnaire.

Le courant laïc est issu de la pensée de Condorcet qui pensait que l'instruction devait être accessible à tous et former les citoyens ; u’elle devait tre prise en charge par la République. Pour Condorcet « il n'y a pas de démocratie du pouvoir sans démocratie du savoir ». En avril 1792, Condorcet remet un rapport intitulé «L'organisation générale de l'instruction publique». On peut notamment y lire : « tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d'utiles vérités ; le genre humain n'en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves ». Cette déclaration reconnaît à l'éducation une finalité civique : « L'instruction permet d'établir une égalité de fait et de rendre l'égalité politique reconnue par la loi ». À la suite de Condorcet, le courant laïc républicain estime u’il faut faire reculer l’obscurantisme entretenu par l’Église pour établir solidement une Républi ue Se créent alors les grandes associations laï ues ui visent développer l’éducation pluridisciplinaire des adultes pour créer les conditions du progrès social. Ainsi, au lendemain de 1830, est fondée l’association polytechni ue, dont l’un des animateurs est Auguste Comte, le philosophe du « positivisme » En 1848, c’est la création de l’association philotechni ue Dans la m me lignée, il n’est pas interdit de citer aussi John Stuart Mill (1806 – 1873) Il est anglais, mais c’est un fervent défenseur de la liberté individuelle et de l’égalité entre les femmes et les hommes Classé ses débuts comme libéral au sens anglo-saxon, l’évolution de sa pensée permet de le ranger dans le camp des réformistes radicaux, des hédonistes altruistes Mill pense en effet ue le bonheur individuel est d’abord affaire de volonté. Pour jouir de ce bonheur, il faut un goût marqué pour la vie, un amour de la vie, une soif et une passion pour la vie. Sans ce moteur, rien n’est concevable pour un individu Ce principe individuel vaut pour la communauté des êtres humains : pas de bonheur social sans une envie de ce bonheur Or, par nature, la société veut l’uniformité Elle vise la fusion dans un groupe homogène ui engloutit les particuliers et s’en nourrit Mais Mill veut un individu totalement libre… dans la limite où sa liberté ne constitue pas une nuisance pour autrui Mill défend une liberté totale de conscience et d’expression Il propose ainsi de nouvelles possibilités d’existence : chacun dispose d’un droit absolu inventer sa vie, selon les modalités de son choix Mill affirme l’utilité des différences d’expériences dans la façon de vivre L’invention existentielle produit du bonheur personnel, et c’est déj en tant ue tel une position ui se justifie pleinement Mais pour JS Mill, c’est aussi un exemple susceptible de générer du bonheur pour des personnes ui n’auraient pas songé ces façons inédites d’existence JS Mill revendique également l’idéal grec du développement personnel (il est notamment influencé par Épicure et Diogène), ui permet les fortes sensibilités, les caractères énergiques, excentriques et originaux. Il veut pour chacun « la plénitude de vie dans sa propre existence » L’utilitariste veut le bonheur du plus grand nombre, la réduction des souffrances et misères de son temps Pour ce faire, il considère ue l’instruction sur le terrain éthique et politique est indispensable : c’est l’idée d’un enseignement universel

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JS Mill n’aime pas la pauvreté car elle génère souffrance et déplaisir De m me, il est soucieux de santé publi ue et considère ue l’on pourrait faire reculer grandement la maladie en activant un vaste projet de prophylaxie, de prévention, d’éducation Il participe ainsi de la démarche des hygiénistes de son temps, fondée sur les conceptions hippocratiques. Enfin, JS Mill s’engage résolument contre l’assujettissement des femmes (titre d’un de ses ouvrages), pour l’égalité totale, absolue et intégrale des femmes. Le constat u’il fait sur la société de son épo ue est impitoyable : « les femmes vivent en véritable esclave, d’autant ue contrairement ceux des colonies, elles ne disposent pas d’un temps de répit, car leur servitude dure vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et ce toute leur vie ; servitude sexuelle, domestique, ménagère ; servitude d’épouse et de mère de famille ; servitude politique car le statut de citoyenne leur est refusée avec le droit de vote ; servitude sociale, quand on les prive d’emplois dignes correspondant à leurs capacités ; servitude intellectuelle car privées de formations, d’éducation et de culture, elles évoluent entre la totale inculture des illettrées et les obligations mondaines, ce ui leur interdit toute dimension créative… ». Voil comment JS Mill conçoit son vaste projet ue l’on pourrait aussi ualifier « d’éducation populaire ». En 1868, alors ue le Second Empire s’adoucit, une loi autorise les réunions publi ues, dès lors u’elles ne traitent ni de politique ni de religion. Évidemment, cet interdit est vite contourné, et l’on voit se multiplier les espaces permettant au peuple de s’instruire et m me d’aborder les questions sociales. Ces réunions publi ues de l’Empire finissant sont de réels lieux d’éducation populaire, déterminants dans la formation politique et la diffusion des idées de celles et ceux qui deviendront des Communards. En 1871, la Commune de Paris décrète certaines réformes, parmi les uelles l’enseignement laïc et gratuit, ainsi ue l’enseignement professionnel assuré par les travailleurs eux-mêmes. Dix ans plus tard, Jules Ferry créera l’école républicaine pour soustraire les enfants l’influence des religieux certes, mais également pour empêcher le mouvement ouvrier d’édu uer ses enfants, comme il l’avait fait en 1871…

Le second est issu du mouvement chrétien humaniste et social Le christianisme social est un mouvement qui réunit fils de notables et jeunes ouvriers et paysans, qui se structure autour de la lutte contre la misère et la pauvreté. Après le ralliement des protestants au premier courant laïc et républicain pour sa vision de l’éducation, le versant catholi ue est incarné par le journal Le Sillon, fondé en 1894 par Marc Sangnier Dans les années 1900, il devient l’organe d’un vaste mouvement ui prend une tournure hétérodoxe vis-à-vis de la doctrine de l’Église, contre l’exploitation des femmes par exemple Ce courant du christianisme va découvrir peu à peu la problématique de l'exploitation et finir par être excommunié en 1910, pour avoir incité à rejoindre la CGT. Il s’auto-dissoudra la même année. Par ailleurs, la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) est fondée en Belgique en 1925 par Joseph Cardjin, un pr tre issu d’un milieu modeste Elle est créée en France deux ans plus tard (1927), et la JOCF (féminine) dès 1928. La JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne), est créée en 1929, dans la foulée de la JOC. Toutes deux jouent un rôle important de conscientisation social de la jeunesse, notamment dans les zones urbaines pour la première et en zone rurale pour la seconde. Ces mouvements connaissent leur âge d’or dans les années 1960, avant d’entrer en déclin La JOC est encore active aujourd’hui, sur des bases plutôt progressistes. Ce courant,

9 orienté vers la problématique actuelle du lien social, pourrait s'incarner aujourd'hui dans des formes d'actions telles que celles défendues et mises en œuvre par les centres sociaux. L’annexe au livre de Paul Masson Chemins et mémoires, nous apprend également u’en 1935, des couples d’anciens de la JOC et JOCF fondent la LOC (Ligue ouvrière chrétienne) pour continuer l’âge adultes l’action de promotion humaine individuelle et collective de la classe ouvrière en référence au message évangélique. Pendant la guerre, en 1942, la LOC se transforme en MPF (Mouvement populaire des familles). Le mouvement élargit sa base sociale et touche, bien au-delà des ouvriers chrétiens, des non-croyants. En 1942, ce courant militant crée le COEI (Centre ouvrier d’études et d’information) dans le but de maintenir « un esprit à la fois de syndicalisme et de résistance ». Après guerre, en 1945, l’ICO (Institut de culture ouvrière) est fondé pour développer une formation économique, sociale, civique, artistique et scientifique des travailleurs. Pres ue en m me temps, l’initiative de la JOC, est créée l’Université populaire de Marly-le-Roi, un lieu où sont proposés des cycles de formation syndicale, des stages relatifs à la vie des travailleurs, des collo ues, des congrès… À cette épo ue où se reconstruit la France, il s’agit de former des militants ouvriers pour faire vivre les ac uis démocrati ues et de justice sociale du Programme du Conseil National de la Résistance (CNR). https://cache.media.eduscol.education.fr/file/droits_homme/19/8/Programme_du_Conseil_national_de_la_Resistance_319198.pdf La Sécurité Sociale, nouvellement créée, est administrée majoritairement par des représentants élus par les travailleurs. La direction des Comités d’entreprises, également nouveaux, nécessite des compétences en négociation, en économie, et en gestion pour les activités sociales. En 1950, deux grands changements 1- La laïcisation Le MPF, qui devient Mouvement de libération du peuple (MLP) se laïcise Ses références ne sont plus celles de l’évangile et de l’église catholi ue, mais celles, plus larges, d’humanisme et de promotion collective de la classe ouvrière À noter que le syndicat CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens), créé en 1919, opérera en 1964 un changement de même nature (élargissement et laïcisation) en devenant CFDT (Confédération française démocratique du travail). Les militants du MPF, pour améliorer concrètement les conditions de vie des familles populaires, s’organisent localement en Associations familiales ouvrières (AFO). Cette m me année 1950, se crée l’ACO (action catholique ouvrière), mouvement d’action catholi ue dans le uel les militants chrétiens, engagés dans l’action ouvrière, peuvent « approfondir la vision du rôle providentiel que la classe ouvrière a, en tant que telle, à jouer dans le plan de Dieu. La notion de promotion ouvrière collective, humaine, chrétienne de la classe ouvrière doit colorer notre ACO. » 2- La scission

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Toujours en 1950, le congrès du MPF-MLP est l’objet d’affrontements Le débat se cristallise autour d’une opposition entre la conception du « politique d’abord » et la conception de « la promotion collective d’abord ». Le courant MLP privilégie le « politique d’abord ». Il participera en 1960 à la création du PSU (Parti socialiste unifié). Les associations familiales de ce courant s’organisent nationalement dans les AFO (Associations des familles ouvrières) qui en 1959 deviennent la CSF (Confédération syndicale des familles). En 1952, le courant privilégiant « la promotion collective d’abord » et refusant l’action directement politi ue décide de faire scission pour fonder le MLO (Mouvement de libération ouvrière). Les associations familiales de ce courant s’organisent nationalement dans les APF (Associations populaires familiales) qui, en 1976, deviennent CSCV (Confédération syndicale du cadre de vie) puis CLCV (Consommation, logement et cadre de vie). En 1954, l’ICO devient CCO (Centre de culture ouvrière), mouvement d’éducation populaire dont le but est la promotion sociale des personnes par la formation. Pour répondre aux besoins en matière d’animation et de tourisme social en plein essor, le CCO donne naissance, uel ues années plus tard, l’INFAC (Institut national de formation professionnelle à l’animation et à la gestion des collectivités à caractère social), qui deviendra INFA. Il s’agit de former des animateurs, des gestionnaires et des cadres de direction, issus du milieu populaire pour accompagner l’organisation collective des habitants dans les é uipements (Foyers de jeunes travailleurs, Centres sociaux, MJC…), le tourisme social (Maisons familiales de vacances, Villages vacances familles…) et dans les Comités d’entreprises Après 1968, le MLO et le CCO décident de se rapprocher et de fusionner en une seule organisation : Culture et Liberté. Il faudra deux ans de négociation entre l’assemblée constitutive (1970) et le véritable lancement de l’association Culture et Liberté en 1972 Culture et Liberté construit sa propre personnalité en bénéficiant de la richesse des deux associations fondatrices et de l’arrivée de jeunes de la génération de 68. À noter ue l’ADELS (Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale) contribuera également à la création et au tout début de Culture et Liberté.

Enfin, le troisième courant est né avec le mouvement ouvrier au XIXe s. À cette épo ue, les syndicats sont interdits mais le mouvement ouvrier s’organise en amicales, mutuelles et coopératives Les ouvriers se demandent s'il convient d'envoyer leurs enfants à « l'école de la bourgeoisie » ou de leur dispenser une culture et des valeurs propres à leur monde. Les enjeux de l'instruction sont importants : quels contenus ? Qui éduque ? Quel type de formation ? Qui doit-on éduquer ? Qui contrôle l'école ? La menace d'une nouvelle guerre dans les années 1930, la montée du fascisme et de « tous les périls » permet l'arrivée du Front Populaire et la relance des mouvements d'éducation populaire, notamment grâce à l'action du Secrétariat d'État aux Sports et aux Loisirs de Léo Lagrange (un proche des époux Lecocq). On assiste à la naissance des CEMEA (Centre d'entraînement aux méthodes d'éducation active), des CLAJ (Club Loisirs Action Jeunesse), des Auberges de jeunesses, des chantiers de jeunesse. À la libération, le mouvement ouvrier est puissant et organisé. On assiste à la naissance de Travail et Culture, de Tourisme et Travail. L'éducation populaire est florissante. La ligue de l'enseignement se reconstitue et engage à nouveau une défense de la laïcité.

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Mais l'arrivée de la Cinquième République provoque des modifications importantes pour l’éducation populaire : la jeunesse est séparée de l'éducation et est confiée Maurice Herzog La culture s'émancipe également sous la tutelle d’André Malraux 1968 marque aussi un nouveau tournant de l'éducation populaire. Le 25 mai, les responsables des Maisons de la Culture publient la Déclaration de Villeurbanne : « nous refusons délibérément toute conception de la culture qui ferait de celle-ci l'objet d'une simple transmission. Non point que nous tenions pour nul, ou contestable en soi, cet héritage sans lequel nous ne serions peut-être pas en mesure d'opérer sur nous-mêmes, aujourd'hui, cette contestation radicale : mais parce que nous ne pouvons plus ignorer que, pour la très grande majorité de nos contemporains, l'accès à cet héritage passe par une entreprise de ressaisissement qui doit avant tout les mettre en mesure d'affronter et de pratiquer, de façon de plus en plus efficace, un monde qui, de toute façon, n'a pas la moindre chance de s'humaniser sans eux. ».

De ce ces trois courants qui se mêlent et s’entrecroisent, il n'est pas aisé de tirer une définition claire et précise de l'éducation populaire. Quel ues citations peuvent cependant tre retenues afin d’en dessiner les contours : "Si tu refuses ton propre combat, on fera de toi le combattant d'une cause qui n'est pas la tienne." Jean Rostand "L'idée essentielle est de réaliser une culture générale des jeunes par eux-mêmes. Il importe que se fasse, entre les jeunes, la véritable éducation démocratique, c'est-à-dire la recherche, en groupe, d'une solution à tous les problèmes posés. La recherche de la Vérité dans l'esprit d'humilité qui est celui de la véritable recherche scientifique avec le sentiment qu'aucun d'entre nous n'est capable d'atteindre jamais la vérité totale mais que chacun peut la rechercher." André Philip - Président-Fondateur de la "République des Jeunes" à la Libération. "Nous appellerons Éducation Populaire la préparation des Esprits et la mise en place des structures associatives permettant le développement communautaire de l'ensemble de la population..." Jean Laurain - "l'Éducation Populaire ou la vraie révolution"

Sans qu’elle ne soit rattachée à l’histoire des mouvements d’éducations populaires, la pensée du philosophe indien Jiddu Krishnamurti (1895 - 1986), peut également apporter un éclairage intéressant sur le rôle de l’éducation permanente, tout au long de la vie : « L'éducation doit aider l'individu à mûrir librement, à s'épanouir en amour et en humanité » – dans De l'éducation (1953) « L'éducation à pour but d'apporter à l'esprit la liberté totale, afin qu'il soit capable de mettre de l'ordre dans sa propre vie, mais aussi, par ce processus même, de faire émerger des structures sociales différentes » – dans Apprendre est l'essence de la vie (2009)

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Un spectacle à découvrir impérativement, sur Internet à défaut de pouvoir le voir en direct : Franck LEPAGE, Conférence gesticulée – « L’éducation populaire monsieur, il n’en ont pas voulu » On y apprend beaucoup de choses et on rit, sans jamais s’ennuyer Subversif et jubilatoire souhait C’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=vVrCR6wF3LU

Longtemps placée sous la tutelle du ministère de la jeunesse et des sports, l’Éducation populaire est aujourd’hui passée sous celle du ministère de l’Éducation Nationale. Au niveau territorial, les collectivités deviennent les piliers des politi ues de jeunesse et d’éducation populaire (article 54 de la loi Égalité Citoyenneté, compétence partagée Éducation populaire, …) La recomposition du territoire français et la territorialisation des politi ues publi ues appellent à la vigilance : elles peuvent tout autant renforcer les inégalités territoriales ou favoriser des politiques plus adaptées et proches des citoyennes et citoyens. Ceci oblige une réflexion globale d’articulation entre les politi ues publi ues européennes, nationales et territoriales

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II. AUX SOURCES DU NATURISME – une histoire philosophique à partager

Le naturisme se définit aujourd’hui comme « une manière de vivre en harmonie avec la nature, caractérisée par la pratique de la nudité en commun, et qui a pour conséquence de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et de l’environnement » (définition internationale, retenue en 1974 par la Fédération Internationale de Naturisme, et mise à jour en 2009).

Le naturisme est une philosophie que l'on vit et non une activité que l'on pratique. On EST naturiste parce que l'on adhère à cette forme de pensée, en partie ou à fond, chacun selon ce qui constitue son idée du bonheur.

On PRATIQUE la nudité (nudisme) car elle constitue aujourd'hui la pierre angulaire de notre art de vivre et en synthétise ses valeurs, ainsi que son essence. Elle en est le symbole.

Cette nudité vécue simplement et sereinement, permet de se ressourcer physiquement, physiologiquement et psychologiquement, en activant les principes hygiénistes de la médecine hippocrati ue Plus encore aujourd’hui, la nudité en commun permet aussi de dépasser toutes les formes de body-shaming (honte du corps), de combattre la nudophobie (rejet/haine « culturelle » de la nudité), ou de traiter la gymnophobie (pathologie psychiatrique).

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Si l’aspect le plus visible reste, bien sûr, le modus vivendi de la nudité, le naturisme d’aujourd’hui participe aussi, des mouvements de libération et d’émancipation, notamment vis vis des courants de pensée idéalistes, en particulier théistes / monothéistes, ui l’ont toujours combattu. Il participe pleinement de la mise en œuvre des valeurs humanistes et républicaines inscrites dans la culture française, de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité.

Il milite aussi pour un mode de vie plus simple et naturel, plus respectueux de la nature dans toutes ses composantes. Le naturisme, est donc porteur d’un projet écologi ue, d’où ses liens privilégiés avec France Nature Environnement.

La perception u’en ont pourtant encore nos concitoyens est pour l’essentiel liée la façon de vivre ses loisirs ou de prendre des vacances, notamment dans le cadre d’une société néolibérale (au sens économi ue), où l’offre liée cette spécificité peut tre considérée comme un produit… une marchandise comme une autre Certes, l’essor de la société de consommation, le développement du temps libre et du tourisme à partir de la deuxième moitié du XXe siècle pourraient donner l’illusion de ce tropisme Mais ce serait oublier ue le naturisme s’inscrit dans un continuum de la pensée humaine, occidentale et orientale, au sein d’une famille philosophi ue ui s’est construite au fil des ans, depuis l’Anti uité, pour constituer aujourd’hui un ensemble ui appartient ce ue Michel Onfray appelle « la constellation hédoniste et Eudémoniste » (dans Contre- histoire de la philosophie).

I. C’EST TOUJOURS LA PENSÉE QUI GUIDE L’ACTION. Pour bien saisir ce u’est véritablement le naturisme et éviter les pièges, les lieux communs, il convient donc d’en rechercher l’essence m me ; de revenir aux origines de cette forme de pensée, pour en comprendre la dynami ue, ses sources d’inspiration et ce qui a bien pu motiver des personnes braver les interdits, les tabous de la société, au point parfois d’en perdre la vie dans d’atroces souffrances

Quelles sont ces sources qui constituent le « génome », en quelque sorte, du mouvement naturiste contemporain ? Pour le savoir, il convient de s’intéresser l’histoire des philosophies et de comprendre les influences ue celles-ci ont pu exercer les unes sur les autres.

L’exceptionnelle « cartographie » réalisée par Simon Raper (https://io9.gizmodo.com/the-complete-history-of-philosophy-visualized-in-one-gr-5923583 ), nous montre les liens qui relient les différents courants de cette histoire. En effet, rien ne naît spontanément du néant en la matière. Les changements s’opèrent par apport de couches successives et par sédimentation

https://merlinccc.org/wp-content/uploads/2014/06/History-of-Philosophy.png

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À voir cette énorme « nébuleuse » constituée d’autant d’étoiles u’il existe de philosophes, on se sent un peu perdu et on se demande bien par uel bout commencer notre enquête.

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Marc-Alain Descamps dans son livre Vivre nu (1987), considère que « Les mouvements nudistes ont été créés par le christianisme. Avant lui il n'existait ni interdiction ni proscription du nu dans toute l'antiquité, que ce soit chez les Celtes, les Grecs, les Romains ou les Germains, donc personne ne cherchait à le défendre ». En outre, dans les sociétés où la nudité n'est pas réprimée, il n'y a sans doute pas d'intérêt à vouloir se regrouper pour la défendre.

« Sème nu, moissonne nu, laboure nu, si tu veux achever en leur temps tous les travaux de Demeter afin que pour toi chacun de ses fruits croisse aussi en son temps, et que tu n’aies pas plus tard, indigent, à mendier à la porte d’autrui »

Hésiode / Les Travaux et les Jours De son côté, Marcel Kienné de Mongeot (1897-1977), un des pères fondateurs du naturisme en France, nous montre une piste à explorer. Celle des gymnosophes : « Je ne suis ni naturiste ni encore moins nudiste, mais terme que j'ai lancé et qui semble prendre beaucoup : gymnosophe. C'est-à- dire sage vivant nu, recherchant la vérité et luttant contre tout ce qui est néfaste à l'homme, physiquement et moralement… »

(Kienné de Mongeot, 1952)

D’autres mar ueurs peuvent aussi tre recherchés, parmi les uels le rapport au corps et à la nudité bien-sûr ; mais aussi l’hygiénisme et ses sources ; les pratiques sportives et le thermalisme ; la façon de s’alimenter et le végétarisme ; les rapports éthi ues et moraux entre l’homme, l’animal et la nature ; les rapports humains et notamment l’égalité entre les femmes et les hommes, ou plus généralement le respect d’autrui sans discriminations d’aucune sorte ; le pacifisme ; bref, tout ce ui constitue l’ensemble des valeurs portées aujourd’hui par le naturisme et ue l’on retrouve synthétisées dans sa définition internationale.

Alors allons-y et cheminons ensemble dans cette épopée philosophique…

II. LE NATURISME ENTRE DEUX GRANDES FAMILLES DE PENSÉE - IDÉALISME ET MATÉRIALISME « il n’y a que les peuples barbares pour croire que la vue d’un homme nu est un spectacle honteux et affreux » - Platon

La philosophie nous dit-on, est née des courants de l’Anti uité grec ue ui a connu trois périodes :

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 les penseurs présocratiques, entre le milieu du VIIe et le Ve siècle avant J.-C., comme Thalès, Anaximandre, Pythagore, Héraclite, Parménide, Anaxagore, Empédocle, Zénon, Leucippe et Démocrite (même si ces deux derniers sont nés après Socrate et morts 30 ans plus tard…), ue l’on considère comme les fondateurs de la philosophie occidentale ;  la philosophie grecque classique, (au Ve et IVe siècle avant J.-C ), ui fleurit Athènes, d’abord avec Socrate, puis avec son disciple Platon et avec l’élève de ce dernier, Aristote, ainsi ue les quatre écoles dites « socratiques » (Cyni ues, Cyrénaï ues, Mégari ues et d’Élis) ;  la philosophie hellénistique, (après la mort d’Alexandre le Grand, en 323 av J -C.), qui comprend trois écoles principales : l’Épicurisme, le Stoïcisme et le Scepticisme.

Michel Onfray nous rappelle cependant, dans sa Contre-histoire de la philosophie que la philosophie grec ue n’est pas ue platonicienne. « Platon, c’est la préférence à l’Idéal et le rejet du réel matérialiste. D’où ses inimitiés avec les autres. L’idéalisme, en faisant prendre les vessies mythologiques pour des lanternes philosophiques , interdit de penser le monde tel qu’il est, nous projetant dans un arrière-monde inventé. Le Phédon de Platon nous enseigne l’immortalité de l’âme, elle-même constituée d’un subtil mélange de terre, d’eau, de feu et d’air. Il déconseille les plaisirs, prône une vie austère. La récompense viendra après. Pourtant, Démocrite parlait déjà d’atomes et Épicure peaufinera sa théorie. Avec Lucrèce, on s’approche de l’athéisme. Saint Augustin prendra beaucoup plus tard le sillon de Platon, sur la haine du corps, des plaisirs, des désirs et l’excellence de la mort, thanatophilie paulinienne de rigueur (saint-Paul ou Paul de Tarse). Le matérialisme, étouffé, ne refera jamais vraiment surface et son corollaire l’hédonisme sera mal vu dans l’ordinaire ».

Michel Onfray, nous donne ainsi des clefs de compréhension de cette histoire philosophique et du « match entre deux grandes tendances : l’idéaliste et la matérialiste. D’un côté Leucippe, Démocrite, Aristippe, Diogène, Épicure, Lucrèce, Horace, etc. De l’autre, leurs contemporains, Pythagore, Parménide, Cléanthe, Chrysipppe, Platon, Marc Aurèle, Sénèque, etc. : atomistes, monistes abdéritains, matérialistes et hédonistes contre idéalistes, dualistes, éléates, spiritualistes et tenant de la ligne ascétique. »

« Les seconds sont sortis vainqueurs et ce sont eux qui ont écrit l’histoire… peu crédible » nous dit-il. Mais « C’est aussi en lisant leurs détracteurs (des vaincus) qu’on a pu imaginer qui étaient ces philosophes que le temps a écarté » précise-t-il.

Ces philosophes l de l’Anti uité, ainsi réhabilités, ne se constituent pas contre le corps, malgré lui ou sans lui, mais avec lui. Ils y sont pour beaucoup dans le naturisme d’aujourd’hui

III. HÉDONISME ET EUDÉMONISME

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L’hédonisme est une doctrine selon la uelle la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance constituent le but de l’existence humaine. Elle est revendiquée de manière absolue par le cyrénaïsme L'hédonisme se différencie de l’eudémonisme, théorisé notamment par les Épicuriens et les Stoïciens, qui considèrent le bien-être, la sérénité et le bonheur, et non le plaisir, comme le but de la vie humaine. Les Épicuriens adoptent toutefois une position particulière car s'ils considèrent effectivement le bonheur comme le but de la vie humaine, ils perçoivent les plaisirs, lorsqu'ils sont naturels et nécessaires, comme un intermédiaire permettant de l'atteindre. La doctrine épicurienne peut donc être perçue soit comme un eudémonisme, soit comme une forme d'hédonisme raisonné.

Les penseurs hédonistes ont orienté leur vie en fonction de leurs dispositions propres, mais on retrouve des thèmes communs : l'amitié, la tendresse, la sexualité, les plaisirs de la table, la conversation, une vie constituée dans la recherche constante des plaisirs, un corps en bonne santé. On peut aussi trouver la noblesse d'âme, le savoir et les sciences en général, la lecture, la pratique des arts et des exercices physiques, le bien social…

Dans le même temps, les douleurs et les déplaisirs à éviter sont : les relations conflictuelles et la proximité des personnes sans capacités relationnelles, le rabaissement et l'humiliation, la soumission à un ordre imposé, la violence, les privations et les frustrations justifiées par des fables, etc.

Ainsi, il n'y a pas d'hédonisme sans discipline personnelle, sans connaissance de soi, du monde et des autres. Les fondations directes d'une philosophie hédoniste sont la curiosité et le goût pour l'existence d'une part, et d'autre part l'autonomie de pensée (et non la croyance), le savoir et l'expérience du réel (au lieu de la foi).

Démocrite d’Abdère

« La liaison fortuite des atomes est l’origine de tout ce qui est. »

« Rien n’existe dans notre intelligence, qui n’ait été d’abord dans nos sens »

Démocrite d'Abdère (en grec Δημόκριτος / Dêmókritos, « choisi par le peuple »), est né vers 460 à Abdère et mort en 370 av. J.-C. Il a été un disciple de Leucippe. Ses contributions exactes sont difficiles à démêler de celles de son mentor, car ils sont souvent mentionnés ensemble dans les textes des doxographes. Selon Hippolyte, « Démocrite d’Abdère, fils de Damasippos, s’était entretenu avec de nombreux gymnosophistes aux Indes et avec les prêtres en Égypte, ainsi qu’avec les astrologues et les mages chaldéens à Babylone ». Il aurait donc fait de très nombreux voyages avant de poser les bases de ses concepts philosophiques. (extrait de « Les penseurs grecs avant Socrate » - GF Flammarion – 1964).

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C’est aussi un penseur matérialiste, considéré aujourd’hui comme l’un des fondateurs de l’atomisme Tous ses contemporains évoquent sa très grande culture mais aussi son caractère rieur : « Toute rencontre avec les hommes fournissait à Démocrite matière à rire. » (Juvénal, Satires, X, V, vers 47).

C'est cette hilarité qui inquiéta ses concitoyens les Abdéritains qui firent alors venir Hippocrate pour soigner le philosophe, à leurs yeux devenu fou. En effet, le Sénat et le peuple d'Abdère envoyèrent des lettres à Hippocrate pour l'inviter à examiner et soigner Démocrite. Par chance, ces lettres nous sont restées. Spécialement venu de son île de Cos, Hippocrate trouva son amis Démocrite l’ombre d’un platane dans le jardin de sa maison, justement occupé à écrire un traité sur la folie.

Au cours d'un entretien, il expliqua à Hippocrate : « Tu attribues deux causes à mon rire, les biens et les maux ; mais je ris d’un unique objet, l’homme plein de déraison, vide d’œuvres droites, puéril en tous ses projets, souffrant sans nul bénéfice des épreuves sans fin, poussé par ses désirs immodérés à s’aventurer jusqu’aux limites de la terre… ». Après cela, Hippocrate décréta ue Démocrite était l’homme le plus sain d’esprit et le plus sensé qui soit comme il le dit dans sa lettre racontant ses entretiens avec Démocrite.

Les cyrénaïques et les cyniques

« Il y a une voie intermédiaire, que je m’efforce de suivre et qui ne passe ni par le pouvoir, ni par l’esclavage, mais par la liberté, qui est la voie la plus sûre vers le bonheur »

« Ce n’est pas celui qui mange le plus, mais celui qui mange le mieux, qui jouit de la meilleure santé »

Aristippe de Cyrène

Aristippe de Cyrène (435-356 av. J.-C.) définissait le but et la fin de la vie comme « un mouvement lisse qui débouche sur une sensation ». C'est la définition du plaisir et il défend donc un hédonisme sans excès dans la sensualité. Les Cyrénaïques se différencient de la définition d’Épicure en prenant le plaisir comme un mouvement avec sensation et non pas une ataraxie (la tran uillité de l’âme ou encore la paix de cette dernière résultant de la modération et de l’harmonie de l’existence) Ils reprochent à celle-ci d'être non pas un plaisir mais une anesthésie et une simple privation de douleur. Tout être recherche son plaisir et le plaisir est toujours en soi un bien, même si sa cause est mauvaise. « Les plaisirs du corps sont plus importants que ceux de l'âme». Après la mort de Socrate, dont il était l’élève, Antisthène ( 445-365 av.J.-C.) s'installe dans un gymnase, le Cynosargue, où sont acceptés les demi- citoyens, un lieu dédié à Héraclès (correspondant à Hercule dans la mythologie romaine). C'est l'une des raisons pour lesquelles ses élèves portent ensuite le nom de « Cyniques ».

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Antisthène enseignait ue la seule philosophie est éthi ue, ue la vertu s’enseigne et suffit au bonheur du sage Elle se manifeste dans les actions, elle se passe des discours et des théories. En conséquence, il faut mener une vie aussi simple et morale que possible et se détacher des conventions sociales. Il énonce ainsi les fondements du stoïcisme (à venir ensuite), à savoir que le bonheur se trouve dans le bon usage des représentations, autrement dit, dans ce ui dépend de nous Il professait ue seul le plaisir lié l’effort et résultant d'une ascèse personnelle peut contribuer au bonheur : « le plaisir est un bien, et il ne faut pas s'en culpabiliser » (Athénée, Deipnosophistes Livre XII).

Diogène de Sinope (413-327 av. J.-C.) grâce sa persévérance fut le disciple d’Antisthène, ui avait pourtant dit u’il n’en voulait pas Un jour où Antisthène le menaçait d’un bâton pour u'il s'en allât, Diogène tendit sa t te et lui dit : « Frappe, tu n’auras jamais un bâton assez dur pour me chasser, tant que tu parleras ! ». Également appelé Diogène le Cynique, il est le plus célèbre représentant de cette école.

Les portraits de Diogène qui nous ont été transmis divergent parfois, le présentant tantôt comme un philosophe, débauché, hédoniste et irréligieux, tantôt comme un ascète sévère, volontaire, voire héroïque. Le cynisme est une attitude face à la vie et connue principalement pour les propos et les actions spectaculaires de son disciple le plus célèbre. Cette école a tenté un renversement des valeurs dominantes du moment, enseignant la désinvolture et l’humilité aux grands et aux puissants de la Grèce anti ue Radicalement matérialistes et anticonformistes, les cyni ues proposaient une autre pratique de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire, comme en témoigne la conversation u’aurait eue Diogène avec le jeune Alexandre Le Grand :

« — Demande-moi ce que tu veux, je te le donnerai. — Ôte-toi de mon soleil. — N'as-tu pas peur de moi ? — Qu'es-tu donc ?... Un bien ou un mal ? — Un bien. — Qui donc pourrait craindre le bien ? »

Le même Alexandre aurait avoué un jour : « Si je n'étais Alexandre, je voudrais être Diogène » (Plutarque - Les vies parallèles des hommes

illustres).

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L'école cynique prône la vertu et la sagesse, qualités qu'on ne peut atteindre que par la liberté. Cette liberté, étape nécessaire à un état vertueux et non finalité en soi, se veut radicale face aux conventions communément admises et ce, dans un souci constant de se rapprocher de la nature. « Cet enfant qui boit dans le creux de sa main, m’apprend que je conserve encore du superflu.”

«L’homme doit vivre sobrement, s’affranchir du désir, réduire ses besoins au strict minimum.»

«La science, les honneurs, les richesses sont de fausses richesses qu’il faut mépriser.

Loin de s'encombrer de discours théoriques abstraits, Diogène et ses disciples pratiquaient une philosophie « concrète », particulièrement inconciliable avec l’idéalisme platonicien, inutile et bien trop loin de la vérité « matérielle » du monde pour être pris au sérieux.

L'autosuffisance

Le sage est celui qui est capable de se contenter du minimum, de manière à ne souffrir d'aucun manque et de pouvoir facilement faire face aux situations les plus difficiles Il choisit donc de vivre dans l’abstinence et la frugalité Il ne recherche aucune richesse, ni honneur, ni célébrité, ni privilège, il n'a pas de maison, il se contente des nourritures les plus simples et refuse tout ce qui ne lui semble pas nécessaire. Il se pare ainsi d'une simple besace et d'un unique manteau pour l'hiver et l'été. Il dort dans les temples. Il mendie sa pitance.

« Eh toi ! pourquoi donc portes-tu une barbe et de longs cheveux mais point de tunique ? Qu'est-ce qui te prends de t'exposer tout nu, d'aller sans chaussures et de mener ce e vie errante, sauvage, semblable à celle des bêtes ? »

Le Cynique, texte a ribué Lucien de Samosate, in Les Cyniques grecs, Fragments et témoignages, Léonce Paquet, p. 317

La voie la plus courte vers la vertu

Seules comptent la sagesse et la vertu, double finalité de la philosophie cynique. Face aux écoles philosophiques dispensant un apprentissage long et technique, le cynisme se présente comme « la voie la plus courte vers la vertu ». Pour les cyniques, le simple fait de survivre dans le dénuement suffit à devenir sage. Il n'y a pas de savoir technique supplémentaire nécessaire. Les philosophes de l'école cynique se refuseront toujours aux grands discours, préférant les maximes sibyllines et ironi ues, l'efficacité du uotidien, la preuve par le fait et non par la parole En d’autres termes, la vérité éthique, démontrée par l'expérience et non les vérités théoriques résultant de systèmes complexes.

Selon Antisthène, aucun discours n'a de valeur, aucune étude ni savoir. Cependant il soutient, à la suite de Socrate, que la vertu s'enseigne. Une fois cette vertu atteinte, le philosophe peut se considérer comme libre, car vivant dans l’atuphia, l’« absence de vanité » et l’ataraxie « tranquillité de l’âme ou la paix ».

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Nature, universalité et cosmopolitisme

La société est perçue comme corruptrice et changeante, là où la nature est vertueuse et universelle. Diogène se revendique ainsi cosmopolite, c'est- à-dire citoyen du monde. Son souci est de vivre selon des règles de vertu universelles. Les armes du cynique sont la transgression, l'ironie et le quotidien de façon plus générale. En transgressant tous les interdits, le cynique peut démontrer qu'aucune des règles sociales n'est essentielle et ue seule compte l’éthi ue naturelle, universelle : la vertu. On lui prête aussi le raisonnement suivant : « Tout appartient aux dieux ; or les sages sont les amis des dieux et entre amis tout est commun ; donc tout appartient aux sages. »

Le cynisme a profondément influencé la morale stoïcienne qui développera à sa suite, avec Zénon de Kition et ses successeurs, à partir de 301 av. J.- C, les notions de « vie selon la nature », de « l'indépendance du sage » et de « cosmopolitisme ». L'école cynique a été vivace durant toute l’Anti uité gréco-latine.

Épicurisme

Épicure

« Parmi les choses dont la sagesse se munit en vue de la félicité de la vie toute entière, de beaucoup la plus importante est la possession de l’amitié. »

« Seul celui qui peut se passer de la richesse est digne d'en jouir » Quand Épicure fonde son école du Jardin à Athènes, la pensée philosophique est encore dominée par les deux grandes doctrines issues de l’enseignement de Socrate : le platonisme et l’aristotélisme Mais Épicure n’a pas fré uenté les écoles dominantes

Il sera tout l’inverse de Platon sur de nombreux points : le machisme et la phallocratie viscérale ( les femmes sont en effet admises au Jardin, à l’égale des hommes) ; la supériorité d’Athènes ; l’aristocratisme électif ; l’élitisme radical ; le conservatisme politique ; l’ésotérisme pédagogi ue ; le dualisme idéaliste…

Le réel épicurien procèdera de la terre, d’un réel incarné, d’une causalité phénoménale réductible à des enchaînements rationnels.

Le projet épicurien est simple : développer, partir d’une physi ue atomiste empruntée Démocrite d’Abdère, une morale du bonheur permettant de nous délivrer des maux qui nous accablent. Le seul guide dans cette recherche du bonheur est la sensation et les plaisirs (ou les peines) qui l’accompagnent L’ensemble des événements ui constituent la réalité relevant de cette causalité atomi ue, il en va de m me pour la réflexion, la parole, le langage, la philosophie.

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L’Épicurisme part au combat pour attaquer les mythes, les superstitions, les croyances, les fictions, les religions, les dogmes, les lieux communs et se propose comme thérapie de l’âme et du corps

L’amitié est présentée par Épicure comme un bien précieux, indispensable au bonheur En cette épo ue de décadence de la cité grec ue, l’amitié remplace l’ancien esprit civi ue Le bonheur a pour condition de fuir le trouble des affaires publi ues : « pour vivre heureux, vis caché, à l’écart de la vie politique », enseigne Épicure ui, jus u’ sa mort, mettra en prati ue ce précepte

On résume assez couramment la pensée d’Épicure selon uatre thèses : . il n’y a rien craindre des dieux, . ni de la mort, . la douleur est supportable, . le bonheur est accessible.

Cependant, Michel Onfray souligne que cette pensée se construit autour : . « d’une physique éthique car en dehors de la matière rien n’existe, . d’un athéisme tranquille car si les dieux existent ils n’interagissent pas avec les hommes, tout indifférents qu’ils sont à leur égard, . d’une algodicée païenne - le bien et le mal n’existent pas - où s’organise une perpétuelle célébration de la pulsion de vie, sans culpabilité originelle, . et d’un ascétisme hédonique qui évitera les mauvais plaisirs, réfrènera les désirs vains ».

L’épicurisme est donc un eudémonisme ui place le bonheur dans le plaisir sensible du corps Le but de l'épicurisme est d'arriver à un état de bonheur constant, une sérénité de l'esprit, tout en bannissant toute forme de plaisir non utile. Il repose également sur la pratique de la philosophie, seul moyen de libérer l'âme de ses tourments et d'atteindre la sérénité et l’amitié

La modernité de la philosophie épicurienne réside dans son respect de l’individu, la valeur u’elle accorde l’existence heureuse et l’extr me simplicité de ses buts : non pas savoir pour savoir, mais savoir pour obtenir dès maintenant la paix de l’âme, l’ataraxie (absence de trouble), qui définit le bonheur du sage et lui permet de vivre « tel un dieu parmi les hommes ».

Épicure considère aussi ue la sensation est l'origine de toute connaissance et annonce ainsi l’empirisme ui émergera au moment des Lumières.

Ses écrits furent détruits lors de l'avènement du christianisme, instauré religion d’État de l’Empire romain, partir du règne de Constantin Ier, mais surtout sous le règne de Théodose Ier (379-395). Car ses écrits n'étaient pas compatibles avec la conception chrétienne de l'Homme et du monde.

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Cet autodafé fut si fort, ue de nos jours, il ne subsiste ue des fragments de l'œuvre d'Épicure, souvent rapportés par Diogène Laërce, auteur du IIIe siècle.

Des trois cents rouleaux écrits par le maître du Jardin, il ne reste que trois lettres d’Épicure ( Pythoclès, Hérodote et Ménécée) ainsi ue les Maximes et sentences vaticanes (Michel Onfray – Contre-histoire de la philosophie).

Après Épicure, la philosophie deviendra romaine. Épicure a influencé Lucrèce, Horace, Ovide, Marc Aurèle, Érasme, Montaigne, Gassendi, Rousseau, Voltaire, Hume, Bentham, Schelling, Mill, Marx, Nietzsche.

Titus Lucretius Carus

« Mais quand même je ne connaîtrais pas la nature des éléments, j’oserais assurer, à la simple vue du ciel et de la nature entière, qu’un tout aussi défectueux n’est point l’ouvrage de la Divinité. Tant la religion fut capable de conseiller de mauvaises actions ! » On ne sait prati uement rien de cet élève d’Épicure, poète et philosophe né vers 94 avant J -C. à Pompéi et mort vers 55 avant J.-C. Mais beaucoup de choses ont été inventées son sujet afin de discréditer son œuvre On lui doit un uni ue ouvrage « De natura rerum », véritable ode à la vie, composé partir de l'ouvrage d’Épicure, La Nature.

Le poème se présente comme une tentative de « briser les forts verrous des portes de la nature », c’est-à-dire de révéler au lecteur la nature du monde et des phénomènes naturels. Selon Lucrèce, qui s'inscrit dans la tradition épicurienne, cette connaissance du monde doit permettre à l'homme de se libérer du fardeau des superstitions, notamment religieuses, constituant autant d'entraves qui empêchent chacun d'atteindre l’ataraxie, c’est-à-dire la tranquillité de l'âme.

« Au seuil de la science est assis ce principe : Rien n’est sorti de rien. Rien n’est l’œuvre des dieux. C’est à force de voir sur terre et dans les cieux Des faits dont la raison cherche en vain l’origine, Que nous plaçons en tout la volonté divine. De là ce e terreur qui nous accable. Eh bien ! Quand nous saurons que rien ne peut sortir de rien, Nous verrons s’éclairer notre route, et les choses, Sans miracle et sans dieux, nous révéler leurs causes. Que tout vienne de rien ? Tout peut venir de tout, Et la loi de l’espèce en hasard se résout ».

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Le De rerum natura est d’abord un traité de physi ue, m me si l’enjeu essentiel de cette explication scientifi ue de la nature est, pour les épicuriens et pour Lucrèce, de montrer ue le surnaturel n’existe pas, tournant philosophi ue majeur, à l'origine du matérialisme et de la séparation de la science et de la religion.

« Si tu possèdes bien ce savoir, la nature t’apparaît Aussitôt libre et dépourvue de maîtres tyranniques, Accomplissant tout d’elle-même sans nul secours divin. »

En se rencontrant, les atomes composent les agrégats, c’est-à-dire les composés ui font le monde Pour u’ils se rencontrent, il faut u’ils subissent dans leurs trajectoires des déviations dues au hasard car s’ils tombaient parallèlement dans le vide sous l’effet de leur poids, ils ne se rencontreraient jamais : « Tous sont en mouvements incessants et divers Soit qu’ils s’écartent loin après s’être heurtés, Soit qu’ils restent voisins tout en s’entrechoquant. Pendant qu’ils tombent droit, entraînés dans le vide Par leur poids, en un lieu et un moment quelconques, Les atomes dévient, mais très peu, juste assez Pour que leur mouvement puisse être dit changé. S’ils ne déviaient ainsi, tous tomberaient tout droit, Comme gouttes de pluie, dans le vide sans fond : Il n’y aurait entre eux ni rencontres ni chocs ; La nature jamais n’aurait rien pu créer »

Le monde ne résulte ainsi que de la matière et du hasard. La nature est libre, sans maître, sans dieux, sans contraintes et nous sommes libres, nous aussi, comme tous les animaux.

L’atomisme de Lucrèce, ui reprend celui d’Épicure, lui-même repris des philosophes présocratiques, notamment Leucippe et Démocrite, est évidemment une intuition sans confirmation et n’a guère de rapports avec l’atomisme moderne

Cet atomisme est un matérialisme, « un des plus radicaux de toute l’Antiquité », écrit Comte-Sponville, « il faudra attendre le XVIIIe siècle, et encore, pour trouver quelque chose d’approchant ». L’examen de la nature et son explication (naturae species ratioque), formulation quatre fois reprise par Lucrèce dans son poème, exclut toute théologie, tout idéalisme, tout spiritualisme.

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« Etablissons encore ceci, que la Nature Rend à leurs éléments les corps qu’elle dissout. Tout meurt, rien ne périt. Si la mort prenait tout, La forme brusquement s’en irait tout entière, Sans qu’un travail, minant les groupes de matière, Eût préparé leurs nœuds au divorce mortel. La forme est périssable et l’atome éternel ». Cette philosophie est aussi qualifiée de naturalisme1 moniste2.

1- Naturalisme : position selon la uelle rien n’existe en dehors de la nature : il n’y a rien de surnaturel Le naturalisme peut prendre diverses teintes selon l'acception du mot nature mais disons que, dans l'une de ses formulations les plus étendues, la nature est ici envisagée dans le sens de tout ce qui existe en devenir. Les systèmes philosophi ues panthéiste, comme celui des Stoïciens de l’Anti uité, de Giordano Bruno et de Spinoza sont naturalistes. Pour le panthéisme, souvent lié au naturalisme, Dieu est le monde.

2- Monisme : notion philosophique métaphysique, fondée sur la thèse selon laquelle tout ce qui existe est principalement un, sans second. Le monisme s’oppose au dualisme ui sépare le monde matériel et le monde spirituel

Lucrèce a influencé Giordano Bruno, Spinoza, Montaigne, Marx, Nietzsche, Althusser, Deleuze, Schopenhauer.

IV. STOÏCISME AVEC ZÉNON DE KITION (332-262 AV. J.-C.) « Un ami est un autre nous-mêmes »

« La beauté est une courte tyrannie »

Philosophe grec d'origine phénicienne, disciple du cynique Cratès de Thèbes, et fondateur en 301 avant J.-C. du stoïcisme avec l'école du Portique, sa doctrine avait pour nouveauté de tenter une jonction de deux traditions jusqu'alors séparées, à savoir la théorie de la sagesse et la physique. Zénon pose ainsi les bases d'un système matérialiste, moniste et déterministe (doctrine philosophique suivant laquelle tous les événements, et en particulier les actions humaines, sont liés et déterminés par la chaîne des événements antérieurs), dont le rayonnement fut considérable.

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Les Stoïciens partent du principe que « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses mais les opinions qu'ils en ont ». Ainsi, pour ne plus se laisser atteindre par ce qui ne dépend pas de nous et pouvoir nous concentrer sur ce qui est en notre pouvoir, le stoïcisme exhorte à la pratique d'exercices de préparation aux difficultés (præmeditatio malorum), de travail sur nos représentations erronées, nos conditionnements, nos désirs et nos aversions conduisant à vivre et agir en accord avec la nature, grâce à la raison (faculté de discernement basée sur la connaissance scientifique).

L'objectif est de parvenir l’ataraxie (« absence de troubles ») grâce l’apatheia (absence de passion, dans leur sens philosophique), conditions de la sagesse et du bonheur. Épictète résume cette conduite stoïcienne par le précepte Sustine et abstine, qui signifie « Supporte et abstiens-toi ǃ ». En s'appuyant sur le Logos (la raison), les stoïciens adoptent une conception déterministe (fatum stoicum) de l'organisation du Cosmos (l’univers), ui est uniquement le résultat de la succession rationnelle des causalités (nexus causarum).

La personne humaine, pour vivre heureuse n'a d'autre choix ue d’accepter ce déterminisme basé sur les lois de la nature, cette attitude est appelée l’amor fati par Nietzsche. La nature est présentée comme un tout unique au sein duquel l'ensemble des éléments, dont les êtres humains, évolue constamment en interdépendance.

Les Stoïciens reprennent ainsi logiquement le cosmopolitisme initié par les philosophes cyniques qu'ils approfondissent considérablement faisant de l’humanité une unité au sein de la uelle l’homme, en tant u'animal naturellement social, doit prendre sa place

La République (Politeia) de Zénon de Kition est considérée par certains comme une œuvre de la maturité ui aurait été délibérément antidatée, en raison de ses audaces, par Panétios et les siens, désireux de collaborer avec les Romains et donc enclins au conservatisme politique et social. Il est sûr que l'ouvrage choqua, sinon les contemporains de Zénon, du moins les représentants du Moyen Stoïcisme (IIe–Ier siècle. av. J.-C.) : il parut « trop scandaleux pour ne pas éclabousser l'école et réduire à néant les efforts de certains Stoïciens du IIe siècle, en particulier Panétius, pour se détacher des aspects les plus radicaux du naturalisme zénonien ». Embarrassés, les uns tentèrent d'expurger le texte, d'autres présentèrent l'ouvrage comme une erreur de jeunesse du maître tandis qu'un dernier groupe préférait en nier l'authenticité. De fait, l'ouvrage contient indéniablement bon nombre de traits cyniques (Kynika) et plus précisément diogéniens, mais il faut se rappeler que certains de ces traits figuraient déjà chez Platon et relevaient en fait du genre. En voici quelques éléments :

 Inutilité du cursus des études générales ;  Communauté des femmes ;  Ne construire ni temples, ni tribunaux, ni gymnases ;  Inutilité de la monnaie ;  Un seul et même vêtement pour les deux sexes ;  Ne cacher aucune partie du corps, tant chez les hommes que chez les femmes

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Pierre Haes, Docteur en philosophie – épistémologie, nous dit aussi dans sa thèse de doctorat « Stoïcisme et bouddhisme, une réflexion des origines à nos jours- 2016 » (pages 43 à 50) que le groupe de philosophes accompagnant Alexandre Le Grand dans sa campagne en Inde, comprenait également Onésicrite d'Égine. Ce dernier va porter sur la rencontre avec les gymnosophistes, un éclairage à la fois d'historien et de philosophe. On ne sait pas grand-chose sur Onésicrite, mais il fut assurément un personnage remarquable. Outre ses talents d'écrivain qui le firent sans doute choisir comme historien, il fut l'élève de Diogène de Sinope, ce dont il se vantait beaucoup et qui justifia sa présence dans le groupe.

À cette époque, quatre religions avaient cours dans cette région : le brahmanisme et l'hindouisme (dans la droite ligne du védisme et des Upanishads) ; le bouddhisme et le jaïnisme. La singularité du mode de vie de ces derniers, en particulier leur nudité, permet d'avancer l'hypothèse que les gymnosophistes en question appartenaient à la secte des disciples de Bhadrabahu, un patriarche très important, le second de l'Église jaïna, qui vécut au IVe siècle av. J.-C. et qui allait être à l'origine d'un schisme d'où sortira la secte des Digambara, les « nus », qui faisaient de la nudité une condition indispensable de la Délivrance.

Bien que ses textes ne nous soient pas parvenus, ils ont été repris par des auteurs ultérieurs qui nous en donnent une idée assez précise. Ce qui semble ressortir des descriptions d'Onésicrite, c'est que les gymnosophistes vivaient à la manière des cyniques, et qu'ils recherchaient un état proche de l'ataraxie que les Grecs connaissaient bien, qui semble correspondre d'assez près au concept indien de sukha (état de bonheur associé à un état de profonde tranquillité tant corporelle que mentale). Mais si Onésicrite s'attarde à décrire leur comportement, le caractère religieux ou spirituel de ce groupe n'apparaît absolument pas dans ces descriptions.

À partir d’un extrait du récit de Strabon (F 17 der griechischen Historiker de Jacoby), et de ceux de Plutar ue et d’Arrien de Nicomédie dans leur Histoire d'Alexandre, il est toutefois possible, en les confrontant, de reconstituer les faits de façon satisfaisante. Ces récits vont concerner essentiellement deux épisodes : la rencontre avec les gymnosophistes proprement dite, et la fin spectaculaire de l'un d'eux.

En voici un résumé élaboré en croisant les trois textes.

« Séjournant dans la plaine de l'Indus, Alexandre avait entendu parler de sages indiens qui vivaient nus et, souhaitant en savoir plus à leur sujet, il chargea Onésicrite de les inviter à venir le rencontrer. Celui-ci partit à la tête d'une ambassade, accompagné de trois interprètes, vêtu et coiffé de riche manière. C'est au milieu d'un pré qu'il les trouva, à une douzaine de kilomètres (« vingt stades ») de la ville, au nombre de quinze, entièrement nus sous la chaleur écrasante du soleil. Ils se maintenaient immobiles, dans diverses positions : assis, debout, étendus... positions qu'ils pouvaient garder, paraît-il, une journée entière avant de regagner la cité. La seule réaction qu'ils avaient eue à l'approche de l'ambassade avait été de frapper le sol du pied. Après avoir salué l'un des ascètes qui était allongé sur des pierres, Onésicrite lui expliqua que son roi souhaitait apprendre leurs enseignements et qu'il voulait qu'une délégation se rendît jusqu'à lui. Pour toute réponse, il fut gratifié d'un grand éclat de rire, et le gymnosophiste le tança pour son luxe ostentatoire, signe pour lui d'une grande arrogance. Il ajouta qu'il pourrait suivre les

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enseignements à condition de se dévêtir lui aussi, et de s'allonger sur les mêmes pierres. Onésicrite était décontenancé et hésitait sur ce qu'il allait faire, lorsque le plus âgé des gymnosophistes s'approcha et réprimanda le premier, lui conseillant de blâmer sa propre arrogance avant d'oser dénoncer celle des autres. Il se tourna alors vers Onésicrite et engagea avec lui la conversation sur leur philosophie, demandant pour finir si de telles doctrines étaient aussi enseignées chez les Grecs. Onésicrite lui parla de Pythagore, de Socrate et de Diogène, précisant qu'il était élève de Diogène. Le gymnosophiste reconnut la profondeur d'esprit des Grecs, mais il leur donna tort sur un point : ils préfèrent les coutumes (ou les lois) à la nature. Onésicrite donne encore quelques détails sur la simplicité et la frugalité de la vie de ces sages, sur l'attention qu'ils portent aux phénomènes naturels, sur leurs habitudes de mendicité visiblement bien accueillies par la population du pays... Au décours de ces récits, nous apprenons que le plus âgé (présenté aussi comme le plus sage) des gymnosophistes auxquels s'est adressé l'émissaire s'appelle Mandanis (ou encore Dandamis, selon les versions). Le premier est désigné tantôt par Calamus, ou encore Calanos ou Kalanos. Nous avons vu qu'il se démarquait du groupe par une certaine arrogance, et Arrien nous apprend que les autres sages lui reprochaient son manque de maîtrise de soi. Il va accepter de suivre Alexandre jusqu'en Perse, et c'est là que va se produire un événement qui a beaucoup frappé les esprits.

Tombé gravement malade et se sentant à bout de forces, Calamus expliqua à Alexandre qu'il lui était préférable de mourir avant que son état ne s'aggrave encore. Le roi essaya bien de le dissuader, mais le sage persista. Alors, conformément à sa demande, Alexandre fit dresser un bûcher, puis organisa une cérémonie grandiose : procession des cavaliers et fantassins, les uns en armes, d'autres portant au bûcher toutes sortes d'offrandes : parfums, coupes d'or et d'argent, tenue royale. Il devait être amené au bûcher par un cheval, mais, trop faible pour y monter, il y fut transporté sur un brancard, « couronné à la manière indienne et chantant des chants en indien ». Avant de monter sur le bûcher, il fit don du cheval à l'un de ses disciples, et répartit les autres dons d'Alexandre entre les autres. Ce qui marqua beaucoup les esprits, ce fut l'impassibilité avec laquelle il monta sur le bûcher puis ordonna la mise à feu, ainsi que l'immobilité qu'il garda jusqu'à la fin. Submergé par l'émotion, Alexandre estima qu'il n'était pas convenable qu'il assiste à un tel spectacle et se retira ».

Pierre Haez, propose une analyse issue de sa thèse.

« Ce qui frappe l'observateur, c'est que, dans leur apparence et leur mode de vie tels que décrits par Onésicrite via Strabon, les gymnosophistes partagent de nombreux traits en commun avec les cyniques grecs de la même époque. Le cynisme est avant tout une manière de vivre, un style de vie, et ceci se traduit d'abord visuellement par un jeu d'apparences. Ce que vise le cynique à travers les apparences, c'est de se montrer tel qu'il est, « à nu » en dépit de la robe grossière qu'il revêt (mais pas toujours !), de se voir reconnaître pour qui il est. Le plus célèbre d'entre eux, Diogène, a laissé l'image d'un ascète parcourant la cité, vivant de mendicité, équipé seulement d'un bâton, d'une besace et d'une écuelle, qu'il abandonnera bien vite. D'ailleurs, l'abandon de cette écuelle est un symbole de la recherche acharnée d'une simplicité aussi intégrale que

30 possible. Ainsi en est-il de ces gymnosophistes qu'Onésicrite dépeint comme en recherche du maximum de simplicité, prônant le dénuement et une vie frugale à l'extrême, « car la meilleure maison est celle qui réclame le moins d'entretien ». Comme les cyniques grecs, les gymnosophistes abordent les passants qui leur donnent toutes sortes d'offrandes et partagent avec eux la conversation autant que les repas. Ils semblent toutefois plus « populaires », puisque l'historien nous dit encore que « toutes les pièces d'une riche maison leur sont ouvertes, même les appartements des femmes » ! Cela tient à n'en pas douter à une différence essentielle avec les cyniques grecs : les sages indiens ne sont pas de véritables excentriques, et c'est sans agressivité qu'ils abordent les passants ; ils n'expriment ni hargne, ni mépris, ni subversion envers la société. Ils possèdent cependant en commun avec les cyniques un goût incontestable pour certaines formes d'extrémisme, tant physique (ils s'exposent à un soleil écrasant des heures durant, « tellement chaud qu'à midi personne n'aurait pu marcher nu pieds sur le sol »), que mental (comme l'atteste le choix radical de Calamus pour sa mort). Bien que cela ne soit en rien décisif, on notera un goût commun de Calamus et Diogène pour les bons mots et une certaine forme d'humour, ce qui traduit une capacité de distanciation par rapport aux choses et aux événements du monde. En commun encore, cette assurance qui pousse des racines profondes dans l'ascèse. Mais cette ascèse poussée trop loin confine aussi à l'effronterie et à l'orgueil, ce que reconnaît volontiers Mandanis qui va jusqu'à tancer Calamus de faire preuve d'arrogance en reprochant aux autres d'être arrogants. Au-delà de l'ascèse qui apparaît d'abord comme une discipline du corps, il y a une finalité qui est l'apprentissage de soi. La subversion seule (évidente chez les cyniques, beaucoup moins flagrante chez les gymnosophistes) empêche de définir précisément les limites d'une doctrine, ou du moins d'un système (ce qui serait d'ailleurs sa propre négation) ; en revanche, ces deux attitudes complémentaires que sont l'ascèse et l'apprentissage de soi excèdent déjà la seule apparence, et nous acheminent vers une ébauche de théorisation. Avec l'ascèse, on est encore dans l'apparence, mais il y a une fin rationnelle, cohérente au sein d'un fatras d'incohérences affichées (même si tout n'est pas incohérence, ni réellement). Si les cyniques grecs, en plein accord avec leur non-conformisme principiel, n'ont jamais permis l'élaboration d'un système, il n'en va pas de même avec les gymnosophistes chez qui nous voyons aussi se dessiner des traits de caractères déjà stoïciens.

Autre point sur lequel passent le plus souvent les commentateurs occidentaux : la méditation. « Et là il trouva quinze hommes qui se tenaient à une distance de vingt stades de la cité, qui étaient dans diverses postures, debout ou assis ou allongés, nus et sans bouger jusqu'au soir, et ensuite ils rentraient à la ville. » On peut avancer que ces hommes étaient en pleine pratique de méditation. La littérature indienne, qu'elle soit brahmani ue, bouddhi ue ou jaïn, est pleine d'exemples de ce genre de postures depuis des siècles avant notre ère, et cela n’a pas de quoi surprendre. Socrate lui-même pratiquait ce genre d'exercice.

Ce qui apparaît au terme de cette brève analyse, c'est que ces modes de vie qui s'appuient sur l'ascèse et l'apparence et qui semblent très semblables, n'ont pas la même finalité. Le mode de vie des cyniques est un moyen subversif de mettre en cause l'organisation de la cité, de contester la hiérarchie sociale fondée sur la richesse. La finalité cynique, si elle possède un fond philosophique, passe aussi par un acte politique. Et, s'ils contestent les institutions qui sont au fondement de la cité, ils le font au sein de la cité même. Les gymnosophistes au contraire fuient la cité car elle leur apparaît comme le lieu privilégié du trouble de l'esprit. Pour ce faire, ils éliminent les besoins qui rendent la

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cité nécessaire et vivent dans l'autarcie la plus complète. Contrairement au mythe de Protagoras qui voit la technè comme le complément indispensable de la phusis (la nature), ils considèrent la technè comme l'adversaire d'une phusis qu'elle contribue à détruire. Aussi condamnent-ils la cuisson des aliments, l'agriculture et la construction des maisons. Ils préconisent une utilisation rationnelle de la nature plutôt que sa transformation.

Ainsi, le mode de vie des gymnosophistes, dans sa radicalité, correspond bien plus à la perfection d'un idéal cynique d'une vie autarcique et conforme à la nature que la vie cynique telle qu'elle nous est connue.

Enfin, les dissemblances de finalités laissent apparaître une différence essentielle entre les pensées indiennes et les philosophies grecques : la finalité des pensées indiennes est avant tout sotériologi ue (en l’occurrence, pour les jaïns, la fin du karma et libération du cycle de transmigration de l’âme) l où les Grecs visent un souverain bien (comme le plaisir chez Épicure ou la vertu chez les stoïciens). Néanmoins, la réalisation de ces deux fins ultimes passe par un idéal commun, celui de la sagesse ».

(Pierre Haes – Thèse de doctorat « Stoïcisme et bouddhisme, une réflexion des origines à nos jours- 2016 »)

V. SCEPTICISME AVEC PYRRHON D’ÉLIS « Le scepticisme, c’est la capacité d’opposer les apparences (ou phénomènes), et les concepts, de toutes les manières possibles » - Sextus Empiricus

« Indifférentes, indécidables sont les choses »

Pyrrhon d’Élis

Pyrrhon d’Élis, né vers 365 av J -C. et mort vers 275 av. J.-C , est originaire d’Élis, ville provinciale du nord-ouest du Péloponnèse. Il fut l'élève d’Euclide de Mégare puis d’Anaxar ue d’Abdère

Pyrrhon est considéré par les sceptiques anciens comme le fondateur de ce que l'on a appelé le pyrrhonisme. Il est admis par les spécialistes que le scepticisme était alors uel ue chose de tout nouveau en Grèce, sans ue uoi ue ce soit ne puisse l’annoncer Il est donc possible que Pyrrhon ait acquis ses conceptions en Inde, notamment suite à la rencontre avec les ascètes nus Jaina Digambara.

Ces acètes jaïns respectent en effet une doctrine de nécessaire pluralité de points de vue nommée « Anekantavanda », ce qui, selon certains auteurs, aurait pu tre une source d’inspiration pour les concepts venir du scepticisme

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La coïncidence n'a évidemment pas échappé aux observateurs... De là à en déduire une relation de cause à effet, il y a un pas que certains auteurs ont franchi. Edward Conze est à la fois précis et affirmatif sur cette troublante correspondance des deux formes de pensée :

C'est un fait que Pyrrhon a fondé son école aussitôt après son retour d'Asie, où il était allé, en même temps que son maître Anaxarchos, dans le train de l'armée d'Alexandre. Robin et d'autres autorités ont en outre fait valoir que la philosophie sceptique était quelque chose de tout nouveau en Grèce, que rien dans les développements proprement grecs qui ont précédé n'y conduisait. On peut donc inférer avec quelque probabilité que Pyrrhon a acquis ses conceptions dans l'Inde ou en Iran. [...] Elles n'ont évidemment pas été, de manière nécessaire, transmises à Pyrrhon par des moines bouddhiques. Il est plus probable qu'il a été en contact avec les Jaina Digambara qui, dans les récits des Grecs, sont désignés sous le nom de « gymnosophistes », les ascètes nus. Les Jaina et les bouddhistes vivaient en étroit contact les uns avec les autres, et la doctrine des deux atteste l'influence des autres. (Edward Conze – Le Bouddhisme)

La notion d'Anékantavada des « sages nus » de l’Inde, est cependant assez semblable au concept de « réalité relative » développé par les sceptiques.

Le scepticisme (du grec σκεπτικός, skeptikos, « qui examine ») est une méthode d'examen et une école philosophique selon laquelle il semble que rien n'est vrai, pas même cette expression (car elle se réfute d'elle-même). « Le scepticisme est une faculté ou une méthode d'examiner qui compare et oppose, de toutes les manières possibles, les choses apparentes, ou sensibles, et celles qui s'aperçoivent par l'entendement ; par le moyen de laquelle faculté nous parvenons (à cause du poids égal qui se trouve dans des choses ou dans des raisons opposées) premièrement à I'épochè, c'est- à-dire à la suspension de l'assentiment, et ensuite à l'ataraxie, c'est-à-dire à l'exemption de trouble, à la tranquillité de l'âme. » (Esquisses pyrrhoniennes, Livre1 – Sextus Empiricus ) Nous ne savons que peu de choses sur scepticisme de Pyrrhon et de Timon de Phlionte son élève, considéré comme le théoricien de Pyrrhon, et qui organisait l'école sceptique là où son maître n'avait fait que donner l'exemple par sa manière de vivre. Le scepticisme des origine paraît n'être essentiellement qu'un scepticisme pratique.

Les sceptiques divisent la Philosophie en trois : 1. Dogmatiques sont ceux qui prétendent avoir trouvé la vérité ; 2. Académi ues sont ceux ui prétendent dogmati uement ue la vérité est incompréhensible (et s’inclue donc d'elle-même dans la catégorie précédente) ; 3. Sceptiques sont ceux qui cherchent toujours. Cette dernière s'oppose aux deux précédentes car elle est adogmatique. Dans sa version antique, le principal objectif du scepticisme n'est pas seulement de nous faire éviter l’erreur, mais de nous faire parvenir la quiétude (ataraxie), loin des conflits de dogmes et de la douleur que l'on peut ressentir lorsqu'on découvre de l'incohérence dans ses certitudes. Le

33 scepticisme dit que nous ne pouvons trouver aucune réponse aux questions qui se rapportent aux affaires humaines, ni aucune certitude en ce qui concerne les réponses aux questions philosophiques et énigmes de la nature et de l'univers, de la pensée, de Dieu et de l'âme et ce, même en supposant leur existence.

En ce sens, lorsqu'un sceptique s'exprime sur quelque chose, c'est selon ses impressions sensorielles (ou affects) : le sceptique dit peut-être que rien n'existe, car il semble qu'il ne comprend rien et ne peut rien définir avec certitude jusqu'à présent. Les moyens (ou modes) pour atteindre cette constatation se nomment l'Époque, et leur nombre varie. Par exemple, il peut être pris de la dissemblance des sens qui, du fait que les sens n'ont pas le même objet de traitement, comme l'oreille ne voit pas et les yeux n'entendent pas, ou du fait que les théories dogmatiques se contredisent d'elles-mêmes, et que les définitions que les dogmatiques donnent à leurs propres concepts se contredisent elles aussi, alors il n'existe pas de moyen objectif de définir un quelconque critère de vérité (voir Esquisses pyrrhoniennes).

Le scepticisme a eu une grande influence sur des philosophes modernes comme Montaigne, David Hume, Friedrich Nietzsche, Bertrand Russel (qui prône un « scepticisme modéré » par opposition à celui de Pyrrhon), ou Ludwig Wittgenstein qui ont redéfini le terme et l'ont séparé de la recherche antique de l'ataraxie (sauf dans le cas de Montaigne).

Bertrand Russel résume dans ses Essais sceptiques la position du scepticisme à « ne rien admettre sans preuve et suspendre son jugement tant que la preuve fait défaut ». C'est une position proche de Descartes dans son Discours de la méthode.

VI. LES SADHU DIGAMBARA DU JAÏNISME C’est ainsi ue le naturisme prendrait donc sa source dans l’Anti uité gréco-indienne, avec la rencontre entre les philosophes grecs de la branche matérialiste, hédoniste et eudémoniste et ces fameux gymnosophistes indiens, auxquels faisait référence Kienné de Mongeot. Mais qui étaient donc ces « sages nus » et uel était le fondement de leur pensée, pour u’ils aient eu autant d’influence sur les débuts de la philosophie matérialiste ? Comme on vient de le voir, la doctrine des gymnosophistes de l’Anti uité nous est parvenue par un certain nombre de récits dont la Géographie de Strabon et d’autres écrits ui se faisaient l’écho de la campagne d’Alexandre le Grand Il s’agissait donc d’adeptes du jaïnisme ou Jinisme, du sanskrit jina « victorieux » (de ses sens). Jusqu'au milieu du XXe siècle, en , les historiens des religions avaient tendance à considérer le jaïnisme comme une dissidence de l'hindouisme. Ils situaient son apparition tantôt au IXe siècle avant notre ère, avec l'enseignement de Parhvanatha, et tantôt (le plus souvent) au VIe

34 siècle avant notre ère, avec l'enseignement de Mahâvira (le mot signifie grand héros), un contemporain plus âgé de Gautama Siddharta, le Bouddha historique. De nos jours, les historiens des religions commencent à accorder plus de crédit à la version traditionnelle jaïn. Celle-ci soutient que le jaïnisme n'est pas une dissidence de l'hindouisme. La justice indienne semble lui avoir donné raison : suite à l'appel civil n° 8595 de 2003, en 2006, la Cour Suprême de l'Inde a décidé que la religion jaïn n'est pas une part de la religion hindoue.

Selon la version traditionnelle, le jaïnisme « serait la religion la plus ancienne de l'Inde avec des origines pré-aryenne et pré-védique. Des données archéologiques donnent à penser que la civilisation de la Vallée de l'Indus (qui va de 2500 à 1750 avant l'ère chrétienne) était une civilisation végétarienne basée sur le principe d' ou non-violence. » Détail important : le jaïnisme suit la tradition ascétique et non pas la tradition sacerdotale et sacrificielle.

Le Jaïnisme est une religion athée

Pour les jaïns, l'âme pure rayonne comme un soleil, mais elle est obscurcie par les atomes de matière qui se collent à elle. La victoire consiste à triompher pas à pas de toute cette matière..."

"Il s'agit d'une doctrine complètement athée », explique Chris De Lauwer, directrice du Musée ethnographique d'Anvers. « La vie et la mort ne sont pas considérées comme l'œuvre de Dieu mais comme un système scientifique. Ce qui m'attire dans le jaïnisme, c'est la conviction que tout est relatif et variable selon les circonstances. Dans un monde de plus en plus rigide, c'est un message séduisant » Les Jaïns se divisent en deux branches : celle des Shvetambara (qui signifie « vêtu de blanc ») et celle des Digambara. (qui veut dire « vêtu du ciel »). Les nonnes Digambara portent elles aussi des robes blanches, Par contre, les moines-ascètes Digambara vivent nus en signe de détachement du monde et vivent des dons et de l’aumône

On devient jaïn en suivant la voie des Trois Joyaux : de la foi juste, de la connaissance juste et de la conduite juste Ceci en faisant des vœux caractère moral. La propagation en Inde de la non-violence, du végétarisme ou du véganisme, de la charité universelle à toutes les époques et envers toutes les créatures du vivant, personnes ou animales, sont le résultat d’une foi très pacifiste et humaniste Le jaïnisme est en fait plus un matérialisme éthi ue u’une religion, car sans dieux.

Le code moral du jaïnisme est considéré comme la simplicité m me Il s’exprime dans les cin vœux de base, les 4e et 5e vœux étant réservés aux moines : 1. Le vœu de non-violence : c'est le respect impérieux de toute vie ; la volonté de ne faire souffrir aucune créature ; la fraternité et la compassion ;

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2. Le vœu de sincérité : en termes simples, c'est ne pas dire de paroles qui font du tort, mais le sens est beaucoup plus large ; 3. Le vœu d’honnêteté, de refus du vol : voler, c'est prendre ce qui n'est pas donné, mais un sens large est attribué à ce mot. Les jaïns disent qu'il ne faut prendre que ce que l'on nous a donné ; 4. Le vœu de chasteté : Le manque de chasteté est une faute qui peut prendre des formes diverses. Pour les laïcs, le couple jaïn doit pratiquer la fidélité absolue son conjoint Pour les ascètes (moines et nonnes), le vœu de pureté signifie le célibat absolu et l'absence de toute pratique sexuelle. 5. Le vœu de non-attachement aux choses du monde ou non-possessivité : L'attachement aux choses du monde consiste à ne pas désirer plus que ce dont on a besoin. Ainsi, l'accumulation de choses, même nécessaires, en grand nombre, l'émerveillement devant la richesse des autres, l'avidité, la transgression des limites des possessions et l'augmentation de celles existantes sont des fautes à ne pas commettre. Chez l’ascète, cela se traduit par la non-propriété et une non-possession d'objets pure et simple. Les jaïns d’adonnent la méditation et au jeûne Ils prati uent le Yoga et les uatre vertus suivantes : 1. L'Amitié pour tous les êtres vivants ; 2. La Joie de voir des êtres plus avancés que soi sur la voie de la libération (Moksha) du cycle des réincarnations ; 3. La Compassion pour les créatures malheureuses ; 4. La Tolérance envers ceux qui sont discourtois ou qui se conduisent mal. Pour ce ui est de l’alimentation, d'après Matthieu Ricard, essayiste et photographe français-Moine bouddhiste tibétain, le jaïnisme est la seule grande religion à avoir « toujours prescrit le strict végétarisme et la non-violence absolue envers tous les animaux ». Outre les cin petits vœux du laïc, les vertus de base du jaïn s'incarnent dans l'abstention de consommer les « trois M » que sont : 1. mâmsa (la viande, la « chair » des créatures) ; 2. madya (le vin) ; 3. madhu (le miel) ; Le terme de chemin de purification est utilisé de nos jours pour décrire la route que doit suivre le pèlerin afin d'atteindre cette illumination.

VII. HIPPOCRATE – THERMALISME ANTIQUE ET ÉDUCATION PHYSIQUE Hippocrate (460-377 av. J.-C.)

« C’est la nature qui guérit les malades »

« Que ton aliment soit ta seule médecine ! »

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Avec le développement de la médecine an ue, le sujet de la santé devient une préoccupa on importante. Les premiers médecins grecs qui eurent une certaine réputation venaient de Crotone dans le sud de l’Italie et de Cyrène en Lybie (VIe siècle avant J -C.). Au Ve siècle avant J.-C., on vit apparaitre d’excellentes écoles de médecine dans le sud-ouest de l’Asie Mineure et sur l’île de Cos, tout près, avec le fameux Hippocrate

C'est l'initiateur d'un style et d'une méthode d'observation clinique et le fondateur des règles éthiques pour les médecins, à travers le Serment d’Hippocrate et d'autres textes du Corpus hippocrati ue Si la médecine hippocrati ue est influencée par les philosophes présocratiques et sans doute aussi par la médecine indienne de l’époque (Médecine grec ue et médecine indienne dans l’œuvre de Jean Filliozat – Jacques Jouanna – 2018), elle cherche aussi à affirmer son autonomie.

Aux sources des mouvements hygiénistes du XIXe siècle, on retrouve les concepts d’Hippocrate Ce médecin grec est aussi philosophe et considéré traditionnellement comme le « père de la médecine ». Il a en effet révolutionné intellectuellement la médecine en Grèce antique, en la rendant distincte et autonome des autres domaines de la connaissance, comme de la théurgie, pour en faire une profession à part entière.

Les fondamentaux de la médecine hippocratique

Des textes dits « de médecine philosophique », s'appuient sur la primauté de la philosophie naturelle pour établir la nature de l'homme afin de pratiquer la médecine On y retrouverait les influences diverses d'Anaxagore, d’Héraclite, d’Empédocle, de Démocrite, etc Ainsi le Traité Des vents fait de l'air l'élément constituant essentiel Ce ui est proche d’Anaximène de Milet, ui chercha comme tous les philosophes ioniens de la nature, le principe de toute chose, l’origine et la structure de l’univers D'autres traités se basent sur les autres éléments eau, terre et feu, en les associant par deux ou par trois. Mais Hippocrate considère que la « vraie médecine » doit se baser sur les humeurs corporelles telles qu'on peut les observer selon la constitution individuelle et le tempérament de chacun, le régime, les lieux, le climat, les saisons... Il est également intéressant de noter u’Hippocrate avait lui aussi rencontré les gymnosophistes dans le cadre de la campagne d’Alexandre le Grand, en Inde De plus, en tant ue bibliothécaire de l’école de Cos, « il avait l’habitude de citer les écrivains anciens et parlait même d’une façon particulière des gymnosophistes ou des médecins des gymnases ». (Traités d’Hippocrate : du régime dans les maladies aiguës – des airs, des eaux et des lieux - LII de l’existence). Malgré les divergences ou contradictions qui peuvent exister dans le corpus hippocratique, les historiens ont déterminé des constantes communes et « révolutionnaires » qui introduisent une nouvelle vision de l'homme et de sa place dans l'univers, où la médecine doit se définir par ce qu'elle fait et plus important encore, par ce qu'elle ne fait pas. La médecine hippocratique et sa philosophie constituent une médecine « sans anatomie, ni physiologie » du point de vue moderne. Elle se situerait dans le cadre plus général des médecines traditionnelles d'autres civilisations, notamment indiennes, plus proche des médecines naturelles (Médecine grecque et médecine indienne dans l’œuvre de Jean Filliozat – Jacques Jouanna).

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Causalité naturelle : la mise à l'écart du divin

Le Traité de la maladie sacrée est un texte emblématique dans l'histoire des idées, car c'est le premier texte où une médecine rationnelle s'oppose à une médecine religieuse ou magique. L'épilepsie, par exemple, était alors appelée « maladie sacrée » en étant perçue comme une sanction divine pour une souillure indéterminée. Hippocrate entend démontrer que cette maladie n'est pas « plus divine ou plus sacrée que n'importe quelle autre maladie ».

Son dernier argument est d’ordre « physiologique » : la maladie ne s’en prend u’aux « phlegmatiques » (cf. théorie des humeurs). Or, si la maladie était véritablement une visitation divine, tous devraient pouvoir en être atteints. Il ajoute que cette maladie vient du cerveau. « Toutes les maladies sont divines et toutes sont humaines », précise le médecin philosophe car si la nature est divine, toutes les maladies peuvent être aussi bien divines que naturelles et humaines. Sa conclusion étant qu'il faut « distinguer l'opportunité des moyens utiles, sans les purifications, les artifices magiques et tout ce charlatanisme ».

De fait, on ne trouve pas mention d'une seule maladie mystique dans la totalité du corpus hippocratique. Le médecin se distingue du prêtre guérisseur en évitant les moyens magiques ou sacrés, qui viseraient à apaiser la colère des dieux ou à purifier le malade. L'auteur hippocratique n'est pas un athée, il considère que si la nature (physis ou phusis) a bien un caractère divin, elle n'est pas le jouet des caprices des dieux, elle est soumise à un processus logique de causalité que les dieux eux-mêmes ne brisent pas, et qu'il est possible de connaitre.

La maladie : une histoire logique du corps dans son environnement

La maladie est un processus corporel sous influence combinée de facteurs environnementaux (air, eaux, lieux), de l'alimentation et des habitudes de vie. Il s'agit d'une nouvelle vision de l'homme qui n'est plus en relation plus ou moins conflictuelle avec les dieux, mais en rapport avec son environnement. Ainsi les changements du corps ne dépendant pas d'une justice divine, mais du déroulement des saisons, du milieu social, géographique et climatique. Solidaire de son milieu, l'homme jouit de la meilleure santé quand les influences extérieures sont équilibrées et modérées. Cette nouvelle perspective est présentée dans le Traité des Airs, Eaux, Lieux, considéré aussi comme un premier traité d'anthropologie, car l'auteur applique son analyse des individus malades à l'ensemble des peuples, expliquant leur diversité par les différences de climat et de lois (régime politique). Cependant, Hippocrate a travaillé cliniquement de façon empirique, en se basant sur son expérience et ses observations, et sur la foi de principes qui seront contestés par la médecine moderne en anatomie et physiologie (tel est le cas de la théorie des humeurs). Toutefois, outre les principes éthiques, ce qui reste le plus souvent d'Hippocrate en médecine moderne, sans avoir été oublié, sont les principes d'observation et d'analyse logique des maladies appréhendées dans leur histoire et leur déroulement par enchaînement de causalités.

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Le thermalisme antique Cette conception de la santé va entrainer le développement du thermalisme antique, ui articule les notions de santé et d’hygiène dans un premier temps, puis s’élargie la notion de prati ue sportive et de culture, voire d’hôtellerie ensuite

La tradition médicale antique accorde une place de choix à la pratique des bains. En effet, Hippocrate y consacre tout le chapitre 18 du Régime des Maladies aiguës, Oribase tout le chapitre X de sa Collection médicale. Soranos et Galien pour leur part, sans consacrer à la méthode un chapitre particulier, l'emploient fréquemment dans leurs conseils thérapeutiques. La tradition est donc continue du Ve-IVe siècle avant J.C. jusqu'au IVe siècle après J.C. (Oribase), sans avoir été interrompue ni au IIe siècle après J.C. (Soranos) ni au IIIe (Galien).

Il semble bien en effet que ce soit au nom de véritables théories médicales que les bains soient employés. On distinguera de grands principes généraux de réflexion qui évoquent tant chez Hippocrate, qu'encore chez Oribase, le rôle du chaud, du froid, de l'humide et du sec, dans l'équilibre nécessaire à la santé ; et des fonctions plus particulières, comme celle d'aide à la croissance.

Les médecins semblent reproduire pour le corps humain les théories que les philosophes appli uent l'univers Avec Soranos d’Éphèse, médecin grec du début du IIe siècle apr. J.-C et chef de file de l’école méthodi ue, les bains sont toujours associés une sorte d'hygiène de vie ui se préoccupe à la fois de diététique, d'activité physique et de détente intellectuelle.

Les premiers bains romains

La pratique du bain chez les Romains s'inspire de celle attestée en Grèce depuis la fin du Ve siècle avant J.-C. Les Thermes de Stabies de Pompéi, fonctionnels dès le IVe siècle avant J.-C., s'organisent autour d'une palestre centrale, élément typiquement grec, mais ne se composent au départ que de bains froids alimentés avec l'eau d'un puits. Les premiers bains tièdes et chauds apparaissent durant la deuxième moitié du IIe siècle avant J.- C. avec la diffusion du principe de l’hypocauste (système de chauffage par le sol) dans le monde romain ue Pline l’Ancien attribue Caius Sergius Orata. Les premiers bains sont peu éclairés et lugubres, le nombre et la taille des fenêtres étant réduits au minimum afin d'éviter les déperditions de chaleur. Ce problème est partiellement résolu avec l'apparition des tegulae mammatae (littéralement « tuiles à mamelons »). Ces tuiles plates équipées de pattes coniques permettent la création d'une cloison creuse où circule l'air chaud provenant de l'hypocauste. Ce principe est par la suite amélioré avec l'utilisation de conduits tubulaires dissimulés qui permettent une récupération de la chaleur plus efficace. Cette évolution technique, associée à l'invention des fenêtres en verre, entrainent une rapide transformation architecturale des bains qui deviennent plus vastes et plus lumineux à partir du Ier siècle.

L'ouverture au public et l'évergétisme impérial

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Les premiers thermes sont privés et seules les villas des classes aisées disposent de bains et de latrines. Les premiers thermes publics n'apparaissent qu'au Ier siècle avant J.-C. lorsque des particuliers commencent à proposer des bains froids et chauds et parfois des . Mais il faut attendre 19 avant J.-C pour voir apparaître des thermes pensés pour accueillir un large public avec ceux construits sur l’ordre de Marcus Vipsanius Agrippa, proche conseiller et gendre de l’empereur Auguste Peu peu, aux bains froids s'ajoutent des salles tièdes et chaudes et les thermes se répandent dans toutes les provinces de l’Empire, y compris en Gaule comme Chassenon en Charente (Cassinomagus) ou à Bliesbruck-Reinheim, deux sites archéologiques particulièrement bien conservés qui permettent de bien en comprendre le fonctionnement. La pratique thermale devient une caractéristique de la pax romana et même les villes romaines les plus modestes s'équipent en établissements thermaux comme la colonie de vétéran de Timgad qui ne compte que 5 à 6 000 habitants mais qui possèdent huit établissements balnéaires. Parfois, de riches citoyens font construire des thermes luxueux u'ils mettent gratuitement la disposition du public, une prati ue ualifiée d’évergétisme par les historiens modernes, sorte de mécénat « obligatoire » pour ceux qui aspirent à une fonction publique. Dès le Ier siècle, les premiers empereurs romains s'approprient cette pratique et font construire de grands thermes, à Rome et dans les provinces, dont l'accès gratuit (ou très peu cher) et ouvert à tous, est considéré comme un cadeau de l'empereur à son peuple. Vers la fin du Ier siècle avant J.-C., Rome compte environ 200 balnea. Au IVe siècle, on en compte 856 pour la ville de Rome, dont la plupart sont de dimensions modestes mais dont certains rivalisent avec la magnificence des dix ou onze thermes impériaux recensés. Si toutes les villes romaines possèdent des bains privés ou publics (certaines comme Trèves, Lutèce, Carthage, Éphèse ou Antioche, possèdent des établissements rivalisant en taille et en luxe avec ceux de Rome), cette profusion restant caractéristique de la ville de Rome. Caracalla avait construit dans la capitale de l’Empire, en 217 ap J -C , des termes ui s’étendaient sur 140 000 m², et c’est vers 300 ap J -C. que Dioclétien fit élever à Rome les plus grands et les plus beaux de tous. Étalés sur une superficie de 150 000 m² et pouvant accueillir 3000 personnes à la fois. Avec leurs annexes et leurs jardins, les thermes n’étaient donc pas seulement des palais de chaleur et l’eau : ils étaient aussi des lieux de sport, de rencontre et de culture Le musée côtoyait le gymnase et les plaisirs du corps, ceux de l’esprit Soutenu par le puissant courant de l’hellénisme, la nudité entra donc progressivement dans les habitudes et dans les mœurs romains. La mixité en revanche ne fut jamais totalement admise. Les chrétiens fulminaient. Quand, avec Constantin, leur pouvoir devint plus fort (à partir de 313, avec sa conversion au christianisme et l’édit de Milan ui permettait la liberté de culte), ils obtinrent finalement l’interdiction complète des bains… aux femmes Car ils criti uaient le luxe insolent des termes et les changements u’ils apportaient dans le comportement uotidien des citoyens de l’Empire Ils dénonçait une certaine forme de « décadence », celle ue produit l’excès de confort uand il ramolli les corps Ils trouvaient u’on se baignait trop et tort et travers, considérant ue pour beaucoup, la passion du bain était devenue comme une drogue… Caracalla voulut ainsi que ses thermes fussent ouverts jour et nuit et facilita les choses en faisant éclairer toutes les rues de Rome à grands frais. Ces fantaisies coûteuses et impériales ne sont peut-être que purs ragots malveillants. Elle donne cependant une image grossie du comportement de

40 gens plus ordinaires et plus modestes Très souvent, en effet, la frénésie des bains s’associait d’autres plaisirs u’on pouvait toujours satisfaire aux thermes ou non loin d’eux Cette évolution hédoniste et fataliste était manifestement entretenue par un pouvoir soucieux depuis Néron de procurer aux peuples des raisons de croire son bonheur L’idée en elle-même était habile et les grands thermes furent un puissant agent de romanisation. Après leur matinée de travail, les Romains vont couramment aux thermes pour se détendre et suivent alors un parcours plus hygiéniste avec un échauffement progressif suivi d’un refroidissement La conception des premiers établissements ne permet pas d’avoir un itinéraire bien réfléchi, c'est-à-dire que le baigneur passe par les mêmes pièces à l'aller et au retour. Elle a ensuite évolué afin de ne pas faire repasser le baigneur par les mêmes salles et de limiter les croisements entre baigneurs. L'itinéraire est devenu circulaire pour les grands thermes et semi-circulaire pour les installations plus petites. Tout d'abord, le baigneur dépose ses vêtements dans les vestiaires (apodyterium ou spoliatorium), puis s'échauffe dans les palestres (extérieures) ou au gymnase (intérieur) en faisant du sport pour transpirer : jeux de balles, course à pied, lutte ou haltérophilie et se « décrasse » dans le destrictarium avant de s’engager dans le parcours du bain, notamment pour enlever l’huile ou la cendre dont il s’est enduit avant les exercices physiques. Celui qui ne souhaite pas réaliser d’effort musculaire se rend dans le tepidarium, la salle tiède, puis aux bains chauds, les natatio pour s’immerger, puis au caldarium (étuve sèche) ou au sudatorium (étuve humide) afin de transpirer. Il passe ensuite aux frigidarium afin de créer le choc thermique nécessaire au resserrement des pores puis se rend au destrictarium pour finir de s’enlever les impuretés, l'aide d'un strigile, une sorte de racloir en fer recourbé (ils n'utilisent pas le savon, cependant connu et utilisé par les Gaulois). Le bain est alors terminé. Après s'être reposé dans le tepidarium, le baigneur peut enfin aller se faire masser, épiler, ou encore parfumer avec des onguents. Au Ve siècle cependant, Sidoine Apollinaire célébrait encore la beauté des bains de Narbonne, mais le christianisme évolua vers une ascèse u’il éloigna des termes au moment même où la religion musulmane, en rendant les ablutions rituelles obligatoires avant la prière, en sauvegardait le principe. La pratique des bains publics se poursuivra jusqu’ la n du XVe siècle, où un changement de mentalités s’opère et l’eau considérée jus ue- l comme bienfaisante, est pe t pe t considérée comme responsable des épidémies et des maladies Désormais, il faut se méfier de l’eau et ne se baigner que très modérément.

Activités physiques dans l’Antiquité gréco-latine

« Mens sana in corpore sano » - (Juvénal, Satires, 10, 346-366, trad. Henri Clouard)

Selon Clarence Forbes, « l’entrainement physique occupait au moins la moi é des systèmes d’éduca on dans les états helléniques, ou in uencés par les philosophes grecs. Nous nous rendons compte ainsi que la rèce était unique. ne telle importance accordée à l’éduca on physique aurait été impensable en Mésopotamie, en Égypte ou en Asie Mineure. Et il est impossible de trouver quelque chose de comparable dans le monde antique, au Moyen-Âge ou dans le monde moderne » (Histoire du sport de l’Antiquité au XIXe s. – Jean-Paul Massicote et Paul Lessart - 1971).

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La ville d’Athènes enseignait ses citoyens ne pas tre « beaux, gras et forts mais libres, en bonne condition et pleins de courage » C’est au début du Ve siècle av. J.-C ue les Athéniens se persuadèrent et persuadèrent beaucoup d’autres de la valeur civi ue de l’éducation physi ue Les Athéniens, tout comme les autres cités, avaient le culte de la beauté. Ils la cultivaient comme ils la voyaient dans la création, dans les œuvres d’art et en l’ tre humain lui-même. La religion grecque favorisait cette esthétisation du corps humain. Elle était de nature plutôt anthropomorphique et liée à la mythologie. Du coup, le statuaire grec représentait les dieux sous la forme de parfaits spécimens physiques. Pour inciter les humains à les admirer et à leur ressembler, il y avait des statues des dieux dans les édifices et lieux publics De sorte ue les jeunes grecs ui faisaient de l’exercice avaient toujours devant les yeux la perfection physique sculptée dans la pierre. Le messager Hermès, dieu des coureurs aux pieds légers, était généralement le dieu des sports légers. Héraclès, le lutteur musclé, était le dieu des sports lourds tels que la boxe et le pancrace. Hermès et Héraclès étaient partout vénérés des Grecs et surtout des gymnastes. Les artistes peintres ou sculpteurs étaient fascinés par la beauté divine de la plas ue des athlètes Et comme ils exécutaient tous les exercices, uels u’ils fussent, en restant complètement nus, les ar stes pouvaient étudier loisir l’anatomie humaine dans toute sa splendeur et observer le mouvement vigoureux et gracieux de ces corps développés dans la meilleure condition physique qui soit. Les jeux olympiques sont la première manifestation des jeux panhelléniques qui se déroulent régulièrement en Grèce, avec des cycles de deux ou quatre ans. À partir du VIe siècle avant J.-C. sont créés trois autres concours, l'ensemble constituant la « période » : . Les jeux isthmiques à Corinthe ; . Les jeux néméens à Némée ; . Les jeux pythiques à Delphes. L'archéologie conforte la tradition selon la uelle les cultes sont très anciens sur les sites : un grand nombre d'offrandes de l’épo ue géométri ue (entre 900 et 700 av. J.-C.), ont notamment été retrouvées à Olympie. Le premier culte rendu par les premiers habitants de la vallée de l'Alphée, au XIe siècle avant J.-C. est en l'honneur de la déesse Gaïa, la Terre Mère. Au siècle suivant, un autel est dressé à Zeus et se voit associer un oracle qui lui préexistait peut-être ; un culte héroïque est ensuite rendu à Pélops sur sa tombe présumée, tandis que le culte rendu aux déesses de la fertilité, Déméter, Aphrodite et Artémis se poursuit. Vers 700 avant J.-C., le festival en l'honneur de Zeus olympien gagne en renommée, conduisant à la création d'un stade. Ainsi, des jeux sont instaurés dans le programme olympique parce que le sanctuaire est réputé, et non l'inverse : les cérémonies religieuses précèdent les jeux sportifs et restent prédominantes dans le programme des Jeux. Le jour où les jeux doivent commencer, les athlètes se rendent, dès le point du jour, dans la chambre du sénat où siègent les huit présidents des jeux en habits magnifiques et revêtus des insignes de leur dignité. Là, au pied d'une statue de Jupiter les athlètes prennent les dieux témoin u’ils se sont exercés pendant dix mois aux combats auxquels ils vont se livrer. Ils promettent de ne point user de ruse; leurs parents et leurs amis font le même serment. Cette cérémonie achevée, les athlètes se rendent au stade, s'y dépouillent entièrement de leurs vêtements. Ils se frictionnent

42 d'huile, invention attribuée là encore aux Spartiates. Il s'agit très probablement d'échauffer les muscles avant l'effort (des participants à la reconstitution des jeux néméens en 1996 ont également témoigné que l'huile limitait la déperdition d'eau pendant l'épreuve). Aussitôt ue les présidents ont pris place, un héraut s'écrie : « Que les coureurs du stade se présentent. » Les concurrents se placent alors sur une ligne suivant le rang que le sort leur a assigné. Le héraut proclame leurs noms et ceux de leur patrie, et ajoute cette formule : « Quelqu'un peut-il reprocher à ces athlètes d'avoir été dans les fers ou d'avoir mené une vie honteuse ? » Puis, si nulle réponse ne sort de la foule, la trompette donne le signal et les athlètes s’élancent. On fixe traditionnellement les derniers jeux en 393, ap. J.-C., peu après l'édit de Thessalonique décrété par l'empereur romain Théodose 1er le 27 février 380 Il fait du christianisme l'uni ue religion licite de l’Empire romain, interdisant l'ensemble des cultes dits « païens ». En plus des adeptes des religions préchrétiennes, les philosophes stoïciens, épicuriens, néoplatoniciens et sceptiques étant également perçus comme une menace pour la nouvelle religion, sont également persécutés.

Le Gymnase (selon l’Encyclopédie de Diderot) « S. m. gymnasium, (Littér. greq. & rom.) édifice public chez les Grecs & les Romains, où ceux qui vouloient s'instruire & se perfectionner dans les exercices, trouvoient tous les secours nécessaires. Ces lieux se nommoient gymnases, à cause de la nudité des athletes ; palestres, à cause de la lutte, qui étoit un des exercices qu'on y cultivoit le plus ; & quelquefois chez les Romains thermes, parce que l'appartement des bains & des étuves en faisoit une des parties principales.

Les différentes pieces qui composoient ces grands édifices peuvent, suivant M. Burette, se réduire à douze principales, savoir :

1°. les portiques extérieurs, où les Philosophes, les Rhéteurs, les Mathématiciens, les Medecins, & autres savans, faisoient des leçons publiques, disputoient, ou lisoient leurs ouvrages.

2°. L'éphébeum, où les jeunes gens s'assembloient de grand matin, pour y apprendre les exercices dans le particulier, & sans spectateurs.

3°. Le coryceum, autrement nommé l'apodyterion ou le gymnastérion, qui étoit une espece de garderobe où l'on quittoit ses habits, soit pour les bains, soit pour les exercices.

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4°. L'élaeothésium, l'aliptérion, ou l'unctuarium, destiné aux oignemens qui précédoient, ou qui suivoient l'usage des bains, la lutte, le pancrace, &c.

5°. La palestre proprement dite, où l'on s'exerçoit à la lutte, au pugilat, au pancrace, & autres exercices.

6°. Le sphaeristérium ou jeu de paume, réservé pour les exercices où l'on employoit une balle.

7°. Les grandes allées non-pavées, lesquelles occupoient le terrein compris entre les portiques & les murs qui entouroient tout l'édifice.

8°. Les xystes, (xysti) qui étoient des portiques, sous lesquels les athletes s'exerçoient pendant l'hyver & le mauvais tems.

9°. D'autres xystes, (xysta) qui étoient des allées découvertes, destinées pour l'été & pour le beau tems, & dont les unes étoient toutes nues, & les autres plantées d'arbres.

10°. L'appartement des bains composé de plusieurs pieces.

11°. Le stade qui étoit un terrein spacieux, demi-circulaire, sablé, & entouré de gradins pour les spectateurs des exercices.

12°. Le grammatéion, qui étoit le lieu destiné à la garde des archives athlétiques.

Pour les Athéniens, il ne pouvait y avoir d’intelligence saine et vigoureuse ue dans un corps sain et en bonne santé Nous avons le texte d’un discours de Socrate Épigène sur ce sujet Dans ce discours recueilli par Xénophon, il a rme u’une mauvaise condi on physi ue peut tre l’origine de la perte de la mémoire et m me de la folie Pour lui, celui ui est faible sera incapable d’un effort intellectuel soutenu Mais c‘était aussi une activité ui procurait du plaisir Et pour des enfants, ce bonheur est certainement plus accessible ue les jeux de l’esprit ou les questions philosophiques. Le rôle des entraineurs sportifs était donc particulièrement important. Les Grecs les nommaient pedotribes. Socrate explique à un jeune ami que le choix d’un tel éducateur pouvait prendre des jours de discussions et de consultations intenses avec des amis et des parents Ils espéraient ue grâce la ualité de l’enseignement, les enfants se développeraient harmonieusement et avec un bon mental, ui devait servir de garan e contre la lâcheté la guerre ou dans les autres circonstances de la vie. Le pedotribe avait plusieurs responsabilités. Il pouvait aussi bien être masseur que diététicien et apporter les premiers soins médicaux (Ils sont les médecins du gymnase). Il devait naturellement entraîner et superviser de nombreux exercices Un des derniers écrivains grecs a dit u’il « ne suffit pas ue le pedotribe parle des exercices, il doit aussi en faire la démonstra on ceux qui les apprennent ».

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Cet enseignement se pratiquait dans la palestra, du nom de la lutte qui en grec se disait palê. Ce qui nous montre que cette discipline constituait un des principaux exercices enseignés aux jeunes garçons et ue c’était un sport très populaire Elle fait partie de la conception hellénique de l'homme accompli, conception reprise plus tard par les Romains et que Juvénal synthétisa par son « mens sana in corpore sano » (Un esprit sain dans un corps sain). Il existait également quelques sports collectifs comme le phéninde (ou Harpastum chez les romains), l’anc tre du rugby ; l’aporrhaxis (ou épiscyre à Sparte), ancêtre du football. Il faut établir clairement ue seuls les citoyens étaient admis la palestre comme au gymnase Les métè ues (résidents étrangers) n’avaient pas ce statut La loi de l’Athénien Solon excluait également les esclaves de l’éducation physi ue pour la m me raison Au grand déplaisir de Platon, les femmes en étaient également exclues uels ue fussent leur état et leur milieu social… sauf Sparte où elles avaient accès l’éducation physi ue et sportive au même titre que les hommes en pleine mixité. Dans le reste de la Grèce, une stricte séparation des sexes est de mise dans la société, et le sport n'échappe pas à cette règle. Les femmes peuvent ainsi pratiquer librement, mais n'ont pas accès aux compétitions masculines, pas même en tribunes. Les Jeux Héréens constituent le rassemblement sportif féminin le plus important. Une course à pied d'environ 160 mètres est la seule épreuve de ce rendez-vous sportif qui se tient au mois de septembre tous les quatre ans. Les gagnantes, classées selon des catégories d'âge, reçoivent une couronne d'olivier et une portion de la vache sacrifiée à Héra. Ces épreuves ont une importance certaine. Sapho nous indique ainsi avec fierté qu'elle fut la monitrice d'une grande championne de course à pied. Seule exception à l'interdit grec concernant les Jeux masculins, la course de chars. Dans cette épreuve, c'est le propriétaire des chevaux qui reçoit le titre olympique et non le cocher. C'est toujours le cas aujourd'hui dans les courses hippiques. Ainsi, il était possible à une femme propriétaire de chevaux d'aligner un attelage aux Jeux masculins et de remporter un titre. C'est notamment le cas de Bilistiche de Macédoine qui est couronnée en 268 avant notre ère dans l'épreuve des biges (chars à deux chevaux) ou de la fille d'Agésilas II (396 et 392 avant notre ère). À Rome, la présence des femmes en tribunes ne pose aucun problème. Elles peinent toutefois à entrer en lice dans les épreuves sportives masculines. La pratique sportive des romaines est toutefois attestée par des textes et des mosaïques, les jeunes filles au bikini de la Villa romaine du Casale près de la Piazza Armerina (Sicile) au premier chef. Il s'agit essentiellement de sports loisirs et non de compétition. Les jeux de balle ont connu une grande popularité chez les Romains ui les pra uaient souvent l’occasion des bains Mar al a men onné uatre différents jeux de balle : le pila paganica, une balle remplie de plumes ; le pila trigonalis, ui servait jouer le jeu du trigon et le follis, un ballon- vessie. Des compé ons spor ves avaient aussi lieu Rome Cependant, ces compétitions ne suscitaient pas le m me intér t u’en Grèce Les jeux actiens étaient organisés tous les quatre ans Nicopolis Par ailleurs, c’est en 86 ue furent organisés les jeux uin uennaux capitolins selon le modèle grec

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C’est vers la fin de l’Empire ue le professionnalisme a atteint sa pleine croissance ; il y avait des villes ui donnaient des pensions aux athlètes Ce mécénat ne su sait pas aux athlètes ui formèrent un corps de mé er Quant aux épreuves l’occasion des concours, on choisissait les mêmes que les Grecs. Cependant, le gant de boxe ou cxstus avait été modi é. Il était plutôt devenu une arme Néanmoins, nous avons la preuve ue les exercices suivants ont été pra ués : la course, le saut, le pancrace, la lutte, la boxe, le lancer du javelot, le lancer du disque, le lever de poids ainsi que des épreuves destinées aux garçons et aux filles. Les Romains pra uaient la nata on et par ailleurs, il était conseillé toutes les recrues de l’armée d’apprendre nager. Tout indique que les Romains ont fait du canotage. De m me, u’ils soient jeunes ou plus âgés, ils ont aussi pra ué l’acrobatie, le jonglage, la marche sur câble tendu, le saut sur un taureau, le jeu du cerceau et des jeux avec filet (Histoire du sport de l’Antiquité au XIXe s. – Jean-Paul Massicote et Paul Lessart - 1971).

VIII. L’INTERDIT VISUEL DES « PARTIES HONTEUSES » Avant l'ère chrétienne, la nudité humaine n'est donc pas un problème en soit et il n'y a pas d'interdit comme le rappelait aussi Marc-Alain Descamps, psycho-sociologue et expert du naturisme. Mais tout change avec l'avènement du christianisme. La nudité nous renvoie fatalement au récit célèbre du paradis perdu de la Genèse Ce récit nous dit u’ l’origine l’homme et la femme étaient nus et u’ils n’en éprouvaient nulle honte (pudor en latin).

« Y-a-t-il un code plus rigoureux et plus rituel que celui du vêtement ? Il classe, il distingue, il hiérarchise, il garantit les contrats secrets du groupe. Il maintient les distinctions sociales, les statuts culturels et les distances entre classes. On ne peut briser ce code ou porter atteinte à la pudeur sociale sans porter atteinte à un ordre établi »

Michel de Certeau (1925-1986) – prêtre jésuite, théologien, philosophe et historien

Sur le plan du rapport au corps, l’idée ui domine depuis 2000 ans dans la civilisation occidentale, est ue la nudité peut tre assimilée sur le plan de la symbolique à «un état présocial ou degré zéro de la culture (le sauvage ou le barbare), par opposition à l’habillement symbolisant un état de culture et une marque d’appartenance à la communauté ». (Pierre Cordier – Les nudités romaines, un problème d’histoire et d’anthropologie).

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Régis Bertrand dans La nudité entre culture, religion et société – quelques remarques à propos des temps modernes, nous explique que cette première allusion biblique faite à la nudité est fondatrice. Mais u’il importe aussi de lire la suite (Genèse 3, 7) : lorsque Adam et Ève mangent le fruit de l’arbre défendu, « alors leurs yeux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus ; ayant cousu des feuilles de figuier ils s’en firent des pagnes ». Ils couvrent donc les parties du corps u’ils perçoivent désormais comme honteuses La Bible donne ensuite une indication capitale en Genèse (3, 21) : « Le seigneur Dieu fit pour Adam et sa femme des tuniques de peau dont il les revêtit » Puis il les chassa du jardin d’Éden Ce grand récit mar ue l’origine divine des v tements, ui sont bien destinés avant tout dans notre aire culturelle dissimuler la nudité et non protéger d’un froid éventuel. Cette deuxième référence, plus couvrante mar ue la volonté d’en faire une obligation morale imposée par Dieu Un terrible récit, un peu plus loin dans la Genèse (9, 18-28) montre à quel point la vision des organes génitaux en cas de nudité intégrale peut constituer un interdit majeur considéré comme un crime s’il est enfreint : c’est le récit de l’ivresse de Noé et de la malédiction de Canaan Après le déluge, Noé plante la vigne, fait du vin et s’enivre Dans son ivresse, « il se dénuda à l’intérieur de sa tente ». Or, un de ses trois fils, Cham, père de Canaan, entre dans la tente et voit la nudité de son père. Il avertit les deux autres, Sem et Japhet, qui trouvent une solution : mettant un manteau sur leurs épaules, ils en couvrent leur père et se retirent en marchant à reculons sans se retourner. Louis-Isaac Lemaistre de Sacy traduit dans la Bible de Port-Royal ce passage de façon plus explicite encore : « Mais Sem et Japhet, ayant étendu un manteau sur leurs épaules, marchèrent en arrière et couvrirent en leur père ce qui devait y être caché. Ils ne virent rien en lui de ce que la pudeur défendrait de voir, parce qu’ils tinrent toujours leur visage tourné d’un autre côté » Lors ue Noé se réveille et apprend ce ui s’est passé, il maudit le fils de Cham, Canaan : « qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves »...

Le péché originel chez Saint Augustin

« Le corps, sujet à la corruption, alourdit l'âme, et cette maison de boue abaisse l'esprit qui se disperse en mille pensées »

Les Confessions de Saint Augustin

Le raisonnement d’Augustin (354 – 430) est particulièrement éclairant pour comprendre le rapport ambivalent u’entretient l’Église avec le corps humain Il est le penseur ui l’on attribue la tradition chrétienne de détestation du corps, du rejet de la sexualité terrestre et tout naturellement de la nudité, source de tentation et symbole de la sexualité. Il souhaitera trouver une harmonie entre le corps et l’âme À la fin du IVe siècle, Augustin fait face au problème suivant : « comment condamner le caractère corrupteur du corps sans pour autant condamner le corps lui-même ? » En souhaitant résoudre une telle contradiction, il fait face à un second problème : « pourquoi notre corps est-il source de mal alors même que Dieu l’a créé pur et sain ? Le corps fait de terre et d’argile, donc fait de

47 matière ne peut pas être responsable de son propre mal. Il n’est pas acteur mais, support de nos passions, des vices et vertus, qui proviennent elles de notre âme. Seule l’âme est moralement responsable du tort que cause notre corps : celle-ci porte en elle la marque du péché ». Augustin, pour répondre à ce problème, crée donc le concept de « péché originel : en ayant croqué la pomme, Adam et Ève ont commis un péché qui se transmet dans l’âme humaine de génération en génération par l’acte sexuel. Par le péché originel, ils se rendent ainsi responsable de la corruption de notre corps. » Dans le grand succès d’édition ue fut Les règles de la bienséance et de la civilité chrétienne de Jean-Baptiste de la Salle, au chapitre « De la manière de s’habiller et de se déshabiller », le rappel du récit du péché originel se conclut par : « Héritiers de son crime, nous sommes astreints aux mêmes besoins ; nos habits, en couvrant nos corps, nous apprennent que le péché y a empreint sa difformité et que nous ne rougirions pas si nous étions innocents : nous devons donc couvrir avec exactitude ce qui peut faire naître la honte et la confusion ».

IX. DU GNOSTICISME AU PROTESTANTISME Le Gnosticisme Ses disciples lui disent : " Quel jour nous apparaîtras-tu, et quel jour te verrons-nous ? Jésus dit : " Lorsque vous vous dépouillerez sans que vous ayez honte, que vous oserez vos vêtements et les déposerez à vos pieds à la manière des petits enfants, et que vous les piétinerez ! Alors vous serez les fils du Vivant, et vous n'aurez plus de crainte. "

Logion 37 – Évangile de Thomas

Il ne reste pas grand-chose des origines de ce courant de pensée, et sans leurs détracteurs, nous ne saurions rien ou presque. On peut donc remercier les sectateurs Justin de Rome (vers 160), Irénée de Lyon (vers 170), Hippolyte de Rome (vers 230), Clément d’Alexandrie (vers 200) et saint Épiphane (vers 375) d’avoir décrit et condamné ces différents mouvements comme « hérétiques ».

Mais la découverte en 1945 de la bibliothèque de Nag Hammadi, dans une jarre gnostique du Ve siècle exhumée à proximité du site archéologique de Louxor, relance le débat sur les origines du Christianisme. Une première traduction complète a été finalisée en 1977 et a permis de renouveler la recherche sur le sujet.

Il y eu ensuite la découverte des Manuscrits de la Mer Morte, entre 1946 et 1956, près du site archéologique de Qumrân en Cisjordanie. La mise au jour de ces quelque 970 manuscrits, copiés entre le IIIe siècle avant J.-C.et le Ier apr. J.-C. a été faite dans douze grottes où ils avaient été entreposés. Parmi les documents découverts figurent de nombreux livres de l'Ancien Testament. Antérieurs de plusieurs siècles aux plus anciens exemplaires du

48 texte hébreu connus jus u’alors, ces manuscrits présentent un intér t considérable pour l'histoire de la Bible Ils ont été fréquemment attribués à l’Ordre des Esséniens (hypothèse la plus probable actuellement selon Katell Berthelot, historienne des religions - CNRS et Isabelle Raviolo, Docteur en philosophie et en théologie – « Qumrân, les Esséniens et les défis du monothéisme »).

On sait que les esséniens de Qumrân s'y établirent pendant deux à trois siècles, en tant que communauté monastique. Pour Philon d’Alexandrie, les esséniens sont des mystiques juifs. Ils composent une société idéale, habitant les campagnes et fuyant les villes considérées comme des lieux de perdition. Vivant sans argent, ce sont des modèles de piété et de sainteté : « ils renoncent aux richesses et vanités de ce monde, partagent tout, ne fabriquent ni n'utilisent d'armes, ne parlent pas sans rien dire ».

Selon André Dupont-Sommer, les Esséniens de Palestine et les Thérapeuthes d’Alexandrie seraient aussi des communautés fondées sur le modèle du monasticisme bouddhique : "C'est l'Inde qui serait, au départ de ce vaste courant monastique qui brilla d'un vif éclat durant environ trois siècles dans le judaïsme même ». Cette influence serait même contributrice, toujours selon André Dupont-Sommer, de l'émergence du christianisme : "Ainsi s'était préparé le terrain où prit naissance le Christianisme, cette secte d'origine juive, essénienne ou essénisante, qui devait si vite et si puissamment conquérir une très grande partie du monde." (Essénisme et Bouddhisme, Dupont-Sommer, André, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Année 1980).

La gnose (du grec gnosis = connaissance révélée) est une doctrine syncréti ue héritées de l’hellénisme, du judaïsme, de philosophies orientales et des premiers temps du christianisme. Elle propose à ses initiés une voie vers le salut par la connaissance de certaines vérités cachées sur Dieu, le monde et l'homme. Dans ces théories, « l’homme est un être divin, qui par suite d'un événement tragique, est tombé sur terre d'où il peut se relever pour retourner à son état premier par la Révélation ».

Les gnostiques assimilaient le dieu du Mal au Dieu de l'Ancien Testament qu'ils interprétaient comme le récit des efforts de ce dieu pour maintenir l'humanité dans l'ignorance et le monde matériel et pour punir leurs tentatives d'appropriation de la connaissance. C'est ainsi qu'ils comprenaient l'expulsion d'Adam et Ève hors du Paradis, le Déluge et la destruction de Sodome et de Gomorrhe.

Les gnostiques chrétiens refusaient d'identifier le Dieu du Nouveau Testament au père de Jésus, et ils élaborèrent une interprétation non orthodoxe du ministère de Jésus. Ils écrivirent les évangiles Apocryphes (comme les Évangile de Thomas, de Marie-Madeleine, de Vérité, de Philippe de Judas) pour étayer leur thèse selon laquelle Jésus révéla à ses disciples l'interprétation juste, gnostique, de ses enseignements : le Christ, esprit divin, habitait le corps de l'homme Jésus et ne mourut pas sur la croix mais retourna dans le royaume divin d'où il venait. Les gnostiques rejetaient donc les souffrances et la mort expiatrices du Christ, ainsi que la résurrection du corps. Ils rejetaient aussi d'autres interprétations littérales et traditionnelles des Évangiles.

Les gnostiques évacuaient l'attente chrétienne de « l'accomplissement eschatologique » (discours sur la fin du monde et la fin des temps), mais croyaient en la métempsycose (ou réincarnation) et avaient un équivalent karmique (récompense des bonnes actions, sanction des mauvaises).

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La doctrine selon laquelle le corps et le monde matériel sont « mauvais » amena certaines sectes à renoncer au mariage et à la procréation. D'autres gnostiques prétendaient que du fait que leur âme était totalement aliénée à ce monde, peu importait ce qu'ils faisaient.

Les gnostiques rejetaient généralement les commandements moraux de l'Ancien Testament u’ils considéraient comme faisant partie de la stratégie du mauvais dieu pour prendre l'humanité au piège.

Les gnostiques vivent en communautés qui respectent une discipline de vie, une ascèse. Les femmes sont les égales des hommes. Elles peuvent enseigner, discuter, exorciser, guérir et même baptiser.

Certaines sectes gnosti ues refusaient tous les sacrements, tandis ue d'autres observaient le bapt me et l’eucharistie u’elles interprétaient comme les signes de l'éveil de la gnose.

Dès les temps apostoli ues, l’Église s'opposa cette forme de pensée pour des raisons évidentes et la considéra comme une hérésie Augustin d’Hippone dressera une liste exhaustive de toutes les hérésies (88 au total) u’il fallait combattre, le gnosticisme y apparaissant en 6e position.

Les gnostiques antiques ont ainsi progressivement disparu à partir du IVe siècle, mais ont influencé d'autres mouvements comme le Manichéisme (dont les cathares en seront probablement les héritiers via le paulinisme ), le marcionisme, ou encore le bogomilisme.

Des gnostiques hédoniste et « licencieux » La philosophie des borborites, koddiens, phibioniens ne détestaient pas la vie et ne prati uaient pas l’ascèse, n’avaient aucun préjugé sur les désirs, passions et pulsions du corps au uel ils n’interdisaient jamais le plaisir

Pour ces hérétiques de la première heure, le péché originel adami ue n’a donc jamais eu lieu L’ontologie gnosti ue disculpe donc les humains ui peuvent disposer ainsi d’une entière liberté hédoni ue dans cette vallée de larmes Bien et Mal n’y sont pas dissociés et l’on peut agir par-delà ce concept, indifférent au corps, dont il faut épuiser tous les possibles en vue du salut À l’inverse de l’ascétisme platonicien, les gnostiques « licencieux » profitent des bienfaits de la vie.

« À la fois platoniciens, ce qui leur aurait été pardonné et hédonistes, ce qui a signé leur arrêt de mort auprès de leurs vainqueurs, les derniers gnostiques disparaissent au plus tard vers le IXe siècle. Ils auront pour héritiers les Frères et Sœurs du Libre-Esprit de la fin du XIIe siècle ».

(Michel Onfray – Contre-histoire de la philosophie) Parmi tous ces groupes gnostiques, nous ne retiendrons que ceux qui nous intéressent au regard de notre sujet, à savoir une spécificité quant au rapport au corps et la nudité, et ui déboucheront sur l’émergence des Adamiens.

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Simon le Magicien et la grâce (mort en 65 à Rome)

Gnosti ue paléochrétien du premier siècle de notre ère, on sait u’il vient de la ville de Gitton en Samarie On lui pr te l’ouvrage « Révélation de la grande puissance » En prenant appui sur l’Épître aux Romains (VI-14) ui affirme l’absence de prise du péché sur un individu né sous le signe de la grâce et non de la loi, puis sur les Proverbes (I-14) prônant la mise en commun de tout ce u’on possède, Simon y enseigne la liberté d’agir sa guise et d’aller jus u’au partage des femmes Bien et Mal ne relevant ue de l’arbitraire ; juste et injuste n’étant ue conventions ; seule la grâce sauve. Le monde est mauvais, ses valeurs et sa morale le sont également. Il faut donc faire le contraire de ce qui est préconisé pour retrouver le chemin du Bien : laisser libre cours ses désirs, prati uer une sexualité sans bride avec ui l’on souhaite Amour absolu du prochain uel u’il soit Le libre arbitre n’existe pas, car il n’y a ni choix ni liberté et ue la morale ne vaut ue relativement son propre arbitraire ; le corps n’est pas un ennemi, le désir doit se résoudre dans le plaisir.

Carpocrate et l’amour

Philosophe de la fin du premier siècle de notre ère, Carpocrate enseigne Alexandrie, sous le règne d’Hadrien Pour M E Amelineau dans Les gnostiques, Carpocrate n’apporte pres ue aucun dogme particulier, si ce n’est « le communisme le plus effréné ».

Comme de nombreux gnosti ues, il pense ue ce monde est raté dès sa création et u’il est fait pour abriter le Mal Comme Pythagore, comme Platon, il croit en la réincarnation. Mais, au contraire de ceux-ci qui assurent que la qualité du nouveau support de l’âme dépend des bonnes actions menées par le défunt et notamment de son ascèse durant l’existence, lui, il dit l’inverse : « c’est dans la débauche et après avoir commis tous les péchés possibles que l’âme trouve son salut. Et une seule vie peut suffire pour accomplir cette négativité absolue ! ». La débauche idéale, il la voit dans l’amour Pas l’agapè de l’amour du prochain mais l’éros sexuel et sensuel Les carpocratiens rejettent la propriété privée tout comme le mariage. En parfait accord avec ce point de la Républi ue de Platon, ils prônent la communauté des biens et… des femmes Clément d’Alexandrie dénonce leurs libertinage en les ualifiant de « pratiques de chiens, de porcs et de boucs ». Selon le livre des Hérésies de Saint-Augustin, « Les Carpocratiens suivent les enseignements de Carpocrate : toute action honteuse, tout raffinement d'immoralité leur sont connus. Il est, selon eux, impossible d'éviter les principautés et les puissances, de traverser leurs légions pour atteindre à un ciel plus élevé, sans assouvir toutes les convoitises de la chair, car elles plaisent à ces esprits. On raconte aussi que, d'après l'opinion de Carpocrate, Jésus n'avait été qu'un simple homme, né de Joseph et de Marie, mais doué d'un esprit si élevé, qu'il connaissait les choses célestes et devait les annoncer à ses semblables. La Loi et la résurrection des corps étaient, l'une et l'autre, une pure chimère, et la création de l'univers n'avait point Dieu pour cause : elle n'avait eu lieu que par le pouvoir de je ne sais quelles intelligences. Cette secte a, dit-on, compté parmi ses membres, une femme nommée Marcelline, qui rendait un culte d'adoration à Jésus, à Homère et à Pythagore, et brûlait de l'encens devant leurs images ».

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Épiphane et le désir impérieux

Fils de Carpocrate, Épiphane écrit un ouvrage intitulé « De la justice » avant de mourir l’âge de 17 ans Il prônait l’abolition de la propriété, anticipant ainsi de 19 siècles les théories de Proudhon (M.E Amelineau dans « Les gnostiques ») ; critiquait radicalement l’injustice et effectua un éloge du désir impérieux (selon Clément d’Alexandrie) sur le principe que Dieu ne peut avoir donné aux hommes le désir et le plaisir pour les leur reprendre.

Voici ce ue nous en dit Clément d’Alexandrie propos de la pensée d’Épiphane (dans Les Gnostiques - M.E Amélineau ) :

« La jus ce de Dieu, dit Épiphane, n’est autre chose que l’égalité dans la communauté. Le ciel entoure la terre également sans être plus d’un côté que de l’autre, la nuit montre à chacun ses étoiles sans favoriser l’un plus que l’autre, et Dieu fait luire également le soleil, cet auteur du jour et ce père de la lumière, sur tous ceux qui le peuvent voir (et chacun voit également), car Dieu ne distingue pas entre les pauvres, les riches et les princes de la terre, entre les ignorants ou les savants, entre les femmes et les hommes, entre les hommes libres et les esclaves. Il agit de la même manière à l’égard des animaux, il confirme sa justice sur les bons et les méchants en faisant que personne ne puisse posséder ce e lumière plus que son voisin, ou l’enlever à son prochain afin d’en posséder pour lui-même une double mesure. Le soleil fait pousser également pour tous les animaux les aliments qui leur sont nécessaires ; une justice égalitaire a été rendue à chacun d’eux en ce point, et en vue de ces aliments tous les animaux qui appar ennent à l’espèce des bœufs agissent comme des bœufs, ceux qui sont de l’espèce des porcs agissent comme des porcs, ceux qui sont de l’espèce des brebis agissent comme des brebis, et de même pour toutes les espèces d’animaux. Car pour eux la jus ce ne semble être autre chose que la communauté. De plus, par ce e communauté , toutes choses se sèment également selon leurs espèces, une nourriture commune naît pour tous les animaux qui paissent l’herbe de la terre, et tous peuvent la paître dans la plus stricte égalité, car aucune loi ne vient leur imposer des bornes, et celui qui la leur donne a ordonné de la leur distribuer avec profusion et de faire en sorte que la jus ce et une même harmonie soient gardées à leur égard. »

D’autre-part, le Livre sur les hérésies à Quodvultdeus, de Saint Augustin, nous donne les explications et raisons du classement dans les religions et pratiques hérétiques :

« Les Carpocratiens viennent de Carpocrate qui enseignait toutes sortes de pra ques infâmes et tous les péchés imaginables. Il disait qu'on ne pouvait pas autrement échapper aux mains des principautés et des puissances à qui ces choses plaisent, ni passer outre et parvenir au ciel supérieur. n le représente comme ayant tenu ésus pour un pur homme, né du rapprochement des deux sexes, mais ayant reçu une âme capable de connaître et d'annoncer les choses d'en haut. Il rejetait la résurrection des

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corps en même temps que la loi. Il disait que le monde a été fait, non par Dieu, mais par je ne sais quelles vertus. On prétend qu'une certaine Marcelline, qui rendait un culte aux images de Jésus, de Paul, d'Homère et de Pythagore, les adorait et leur offrait de l'encens, appartenait à ce e secte ».

Les Adamiens

La démarche des premiers Adamiens est issue de la philosophie de Carpocrate et de son fils Épiphane.

Saint Épiphane de Salamine (315-403), est le premier qui parle des Adamiens, et les place dans son Catalogue des Hérétiques après les Montanistes & avant les Théodotiens, c'est-à-dire, sur la fin du IIe siècle :

« Quoi qu'il en soit, ils prirent le nom d'Adamites, parce qu'ils prétendoient avoir été rétablis dans l'état de nature innocente, être tels qu'Adam au moment de sa création, & par conséquent devoir imiter sa nudité. Ils détestoient le mariage, soûtenant que l'union conjugale n'auroit jamais eu lieu sur la terre sans le péché, & regardoient la joüissance des femmes en commun comme un privilège de leur prétendu rétablissement dans la Justice originelle. Quelqu'incompatibles que fussent ces dogmes infames avec une vie chaste, quelques-uns d'eux ne laissoient pas que de se vanter d'être continens, & assûroient que si quelqu'un des leurs tomboit dans le péché de la chair, ils le chassoient de leur assemblée, comme Adam & Eve avoient été chassés du Paradis terrestre pour avoir mangé du fruit défendu; qu'ils se regardoient comme Adam & Eve, & leur Temple comme le Paradis. Ce Temple après tout n'étoit qu'un soûterrain, une caverne obscure, ou un poële dans lequel ils entroient tout nuds, hommes & femmes; & là tout leur étoit permis, jusqu'à l'adultere & à l'inceste, dès que l'ancien ou le chef de leur société avoit prononcé ces paroles de la Genese, chap. 1. v. 22. Crescite & multiplicamini. Théodoret ajoûte que, pour commettre de pareilles actions, ïls n'avoient pas même d'égard à l'honnêteté publique, & imitoient l'impudence des Cyniques du paganisme. Tertullien assûre qu'ils nioient avec Valentin l'unité de Dieu, la nécessité de la priere, & iaitoient le martyre de folie & d'extravagance. Saint Clément d'Alexandrie dit qu'ils se vantoient d'avoir des livres secrets de Zoroastre, ce qui a fait conjecturer à M. de Tillemont qu'ils étoient adonnés à la magie ». Epiph. hoers. 52. Théodoret, liv. I. hicar. fabular. Tertull. contr. Prax. c. 3. & in Scorpiac. c. 15. Clem. Alex. Strom. lib. 1. Tillemont, tome Il. page 280.

Tiré de ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

On les connaît aussi à partir du « Livre sur les hérésies à Quodvultdeus », écrit par Saint Augustin, qui les définissait ainsi :

« Les Adamiens, ainsi appelés d'Adam, dont ils imitent la nudité dans le paradis terrestre avant son péché. Ils réprouvent les noces, par la raison que Adam n'a point connu sa femme avant son péché ni avant d'être chassé du paradis terrestre. Ils croient

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donc qu'il n'y aurait point eu de mariage si personne n'avait péché. Les hommes et les femmes, dans cette secte, s'assemblent donc nus, entendent les lectures nus, prient nus, célèbrent nus les sacrements et pour cela regardent leur église comme le paradis terrestre ».

Un peu plus tard, c’est Tommaso Campanella (un moine dominicain lui aussi accusé d’hérésie pour avoir écrit Philosophia Sensibus Demonstrata, une œuvre mar uée par les théories naturalistes), ui en parlera dans son projet de cité utopi ue, La Cité du Soleil – 1568. Le fond de leur proposition était, dit-il, sans jugement négatif, que « l'homme doit être aussi heureux ici-bas qu'il sera un jour dans le ciel ».

De ces adamiens de la fin du IIe siècle, on ne sait rien de plus. Par contre, à la lecture de la page de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers qui y est consacrée, on découvre que ce mouvement ressurgira au XIVe siècle.

Franciscanisme et mouvements qui en découlent D’après Ernest Renan, « on n’a pas encore assez montré toute la signification historique de l’ordre de Saint-François. L’institution monacale, qui a surtout préoccupé les historiens des ordres religieux, l’incomparable élan poétique, qui a surtout frappé les hommes d’imagination et de goût, n’ont point permis d’apprécier à leur juste valeur les aspirations politiques et sociales qui se cachaient sous ce mouvement en apparence purement ascétique. Le fait est que, depuis les premiers jours du christianisme, on n’avait jamais osé concevoir de telles espérances. Le livre des Conformités, de Barthélemy de Pise (franciscain et amis de Luther), n’est pas une œuvre isolée ; c’est le manifeste tardif de la plus secrète pensée de l’ordre. Le but de saint François ne fut pas d’ajouter une règle nouvelle à la liste déjà longue des règles monastiques ; son but fut de réaliser l’idéal chrétien, de montrer ce qui pouvait sortir du discours sur la montagne pris à la lettre comme loi de la vie. Au fond de la tentative franciscaine, il y avait l’espérance d’une réforme générale du monde, d’une restauration de l’Évangile. n admettait que pendant douze cents ans l’Évangile n’avait pas été bien pratiqué, que le précepte essentiel de ésus, le renoncement aux biens terrestres, n’avait pas été compris ; qu’après des siècles de veuvage la Pauvreté avait enfin retrouvé un époux. N’était-ce pas avouer que la naissance de François d’Assise avait été l’ouverture d’une ère nouvelle pour le christianisme et pour l’humanité?

Ces prétentions audacieuses, dominées chez le fondateur par une grande tendresse mystique et par un tact souvent très fin, ne se dévoilèrent que peu à peu ; mais la pensée que la sainteté est tout entière dans le renoncement à la propriété devait porter ses fruits. Quand on soutenait que l’homme a le droit de chercher une perfection plus élevée que celle dont l’église a le secret, ne disait-on pas assez clairement que l’église allait finir pour faire place à la société qui enseignait cette nouvelle perfection? Du vivant même du fondateur, et surtout au premier chapitre tenu après sa mort, deux partis se manifestèrent dans l’ordre. Les uns, incapables de soutenir l’entreprise surhumaine qu’avait rêvée le sublime mendiant, et plus sages selon la chair que ne le voulait l’esprit de l’institut séraphique, croient que la rigueur primitive de la règle est au-dessus des forces de l’homme,

54 que cette règle admet des adoucissements, que le pape peut en dispenser. Les autres soutiennent avec une surprenante audace que l’œuvre de saint François n’a pas encore donné tous ses fruits, que cette œuvre est supérieure au pape et à l’église de Rome, que la règle est une révélation qui ne dépend que de Dieu. Au fond de leur cœur était, sans qu’ils l’avouassent, cette croyance, que l’apparition de François n’était ni plus ni moins que l’avènement d’un second Christ, aussi grand que le premier, supérieur même par la pauvreté. De là cette étrange légende où le séraphin d’Assise, égalé en tout au Christ, est mis au-dessus de lui, parce qu’il n’a rien possédé en propre, pas même les choses qui se consomment par l’usage. De là enfin cette prétention hautement avouée, que l’institut de Saint-François était destiné à absorber tous les autres ordres, l’église universelle elle- même, et à devenir la forme définitive de la société humaine à la veille de finir. » ( oachim de Flore et l’Évangile éternel – Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 64, 1866 -p. 94-142).

Livre des Conformités et autres documents sur le franciscanisme https://www.lexilogos.com/francois_assise.htm

Le Joachimisme au XIIIe siècle Le Joachimisme (dont les membres sont appelés Joachimites ou pirituels) est un courant millénariste né des Franciscains et disciples de l’abbé Joachim de Flore, initiateur d'un mouvement hétérodoxe apparu au XIIe siècle, qui proposera au XIIIe siècle la stricte observance de la Règle franciscaine. Joachim est le détenteur d'une « double réputation » qui le classe à la fois comme prophète et comme hérétique (Mottu [1977], p. 12). Pourtant, Joachim de Flore (1130 ou 1135 - 1202) (wikipédia – Joachim de Flore), est un moine cistercien et théologien catholique, à qui le martyrologe de Cîteaux donne le nom de « bienheureux ». Sa division de l’histoire de l’humanité en trois âges u’il développe dans son Évangile éternel, entraîne la renaissance du millénarisme chrétien au Moyen Âge. C’est l’épo ue une véritable révolution de la pensée de laquelle vont sortir de nombreux autres courants, car la théorie de Joachim de Flore des « trois états », annonce la venue du troisième, celui de l’Esprit (Saint) après celui de la Loi (le Père) et celui de la Grâce (le Fils). Ce temps serait celui de l’intelligence, de la liberté, des groupements d’amis, donc la réalisation d’un monde de « justes et de parfaits » : une sorte de millénium de paix et de prospérité L’ tre individuel et matériel serait reconnu intégralement, m me si la démarche est d’abord spirituelle L'humanité serait libérée des «lois de l'Église, de l'État et de la moralité traditionnelle» (CLARK John Anarchy and the dialectic of utopia, -in-DAVIS Laurence/KINNA Ruth Anarchism and Utopianism, Manchester-New York: MUP, XVIII+286p, p.09-29, 2009, p.14). Alors ue les visions eschatologi ues de Joachim effrayent et secouent toute l'Italie, François d’Assise apparaît comme un disciple direct venu pour accomplir l'annonce d'une ère nouvelle. L'abbé de Flore devient en quelque sorte le « saint Jean de saint François d'Assise » (Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p. 10, 155, 157, 310, Gallimard, 1987). Saint Bonaventure lui-même identifie François d'Assise avec l'ange du sixième sceau de l’Apocalypse de St Jean (Lázaro Iriarte, Histoire du franciscanisme, Cerf, 2004, p. 85-88). Au XIIIe siècle, les écrits de Joachim de Flore inspirent

55 profondément les franciscains Jean de Parme, Pierre de Jean Olivi et Hugues de Digne. Pour Pierre de Jean Olivi, le nouvel ordre annoncé par l'abbé de Flore n'est autre ue l’Ordre Franciscain En 1254 est introduit à Paris le Liber Introductorius ad Evangilium Aeternum (Introduction à l'Évangile éternel), écrit par le Franciscain hérétique Gérard de Borgo San Domino. D'après ce livre, l'avènement du troisième règne abroge les deux Testaments et donne l'autorité religieuse à l'Évangile éternel contenu dans les œuvres de Joachim À la suite de la commission réunie Anagni en juillet 1255, le Liber Introductorius est condamné le 23 octobre de la même année par le pape Alexandre IV. Selon Ernest Renan, l’étude de tous les documents existants conduisent aux conclusions suivantes : 1° L’Évangile éternel désigna dans l’opinion du XIIIe siècle une doctrine, censée être de l’abbé oachim, sur l’apparition d’un troisième état religieux qui devait succéder à l’Évangile du Christ et servir de loi définitive à l’humanité. 2° Le nom de l’abbé oachim fut relevé vers le milieu du XIIIe siècle par la fraction ardente de l’école franciscaine. n lui fit prédire la naissance de saint François et de son ordre ; on lui prêta à l’égard de François d’Assise un rôle analogue à celui de Jean-Baptiste à l’égard de ésus ; enfin on donna à la doctrine qu’on lui attribuait le nom d’Évangile éternel. Le joachimisme n’est pas vraiment considéré comme une utopie, car Joachim de Flore lui-même est plus un analyste de la Bible et un théologien de l’histoire u’un utopiste Les idées de Joachim de Flore sont ra acher aux millénarismes et aux visions apocalyp ues. Cependant sa pensée est plus riche, moins violente que la plupart de ses prédécesseurs, ce qui explique la relative tolérance dont il bénéficie au départ, son propre ordre étant largement reconnu. Il faut attendre presque un demi-siècle après sa mort pour que la condamnation papale soit patente et totale. Très vite ses textes sont repris, interprétés, modifiés, exaltés... par une foule de mouvements souvent très cri ues vis- -vis de l’Église mère, ou m me vis- -vis de Joachim de Flore lui-même (Michel Antony – Traces libertaires dans l’espace et le temps – 2014). Ses idées se répandent vraiment dès le XIIIe siècle, grâce aux «Franciscains Spirituels » (les Fraticelli ou Fraticelles), aux Frères du Libre Esprit (Bégards et Béguines, Amauriciens et Adamites), aux Apostoli ues (Fra Dolcino) et Cathares On sait ce u’il adviendra de ces courants de pensée, totalement anéantis par les premières croisades ou sur d’immenses bûchers Ernest Renan nous apportera cette conclusion sur cette période très riche de nouvelles idées : « Quand on songe que la Grèce était le foyer du catharisme, dont les analogies avec les doctrines de l’Évangile éternel ne peuvent être méconnues, quand on voit d’ailleurs l’école de l’Évangile éternel suivre une voie toute semblable à celle du catharisme et s’identifier presque avec lui, on est tenté d’envisager la première de ces doctrines comme une branche détournée de la seconde, formée non par affiliation directe, mais par des influences secrètes et non avouées. Le catharisme semble ainsi avoir pénétré en ccident par deux routes et avoir déterminé au moyen âge deux courants d’hérésies parallèles, qui aboutissent presque au même résultat, se confondent dans l’opinion et sont arrêtées par les mêmes moyens.

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Ces affinités deviennent plus frappantes encore quand on surprend les auteurs contemporains attribuant à Amaury de Chartres, dans les premières années du XIIIe siècle, des doctrines analogues à celles de l’Évangile éternel, doctrines qui avaient elles-mêmes la plus grande analogie avec celles des hérétiques d’ rléans de 1022, que M. Schmidt rattache sans hésiter à l’église cathare ». « L’atrocité des moyens employés pour anéantir ces étranges doctrines nous révolte ; une foule d’instincts louables furent enveloppés dans la condamnation qui les frappa; on peut dire néanmoins que le véritable progrès n’était pas avec ces bons sectaires. Il était dans le mouvement parallèle qui portait l’esprit humain vers la science, vers les réformes politiques, vers la constitution définitive d’une société laïque. Dès 1255, on put déjà reconnaître que le progrès, comme l’entendent les sociétés modernes, vient d’en haut et non d’en bas, de la raison et non de l’imagination, du bon sens et non de l’enthousiasme, des hommes sensés et non des illuminés qui cherchent dans de chimériques rapprochements les secrets de la destinée. Certes le penseur ne peut que saluer avec respect l’homme qui, pénétré d’une haute idée de la vie humaine, proteste contre l’imperfection nécessaire de tout état social et rêve une loi idéale conforme aux nobles besoins de son cœur ; mais tous les efforts humains ne sauraient déplacer la limite du possible. Le monde est le résultat de causes trop compliquées pour qu’on puisse espérer de le faire tenir dans les cadres d’un système absolu. Aucun symbole ne saurait exprimer la marche de l’humanité dans le passé, encore moins contenir la règle de son avenir ». « oachim de Flore et l’Évangile éternel » – Revue des deux mondes, 2e période, tome 64, 1866 (p. 94-142) Presque tous ses écrits, et notamment les prophéties, ont été imprimés dans la première moitié du XVIe siècle, époque de la Réforme et de troubles religieux. Joachim est une source d'inspiration pour les réformateurs allemands, comme Thomas Munzer et Martin Luther. Des auteurs comme Benz et Mottu font de Joachim le précurseur de Hegel. En Allemagne, Lessing parle d'un troisième âge qui ne sera plus celui du Nouveau Testament. L’idéalisme allemand se réclame ainsi de l'héritage de l'abbé Joachim Au XIXe siècle, un nombre important d'auteurs se réclament de Joachim de Flore et de l’Évangile éternel : Jules Michelet, Edgar Quinet, Georges Sand, (dans son roman Spiridion), Ernest Renan, et d'autres

(https://fr.wikipedia.org/wiki/Joachim_de_Flore ).

François d’Assise (1181 -1226) Personnage majeur du Moyen Âge occidental, Saint François d'Assise a illustré par sa vie et son œuvre les vertus d'amour et d'humilité, et a proposé à la chrétienté de son temps le modèle de la pauvreté. Son idéal de simplicité évangélique et son désir de partager les souffrances du Christ avaient une portée réformatrice ; ils contestaient aussi bien l'ordre social fondé sur les privilèges, le pouvoir de l'argent, que l'Église, gagnée par l'ambition politique. Le message intransigeant de ce gêneur inspiré a souvent été dénaturé par le culte organisé autour de sa personne et de sa mémoire.

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Né sous le nom de Giovanni di Pietro Bernardone Assise (Italie) en 1181 ou 1182 et mort le 3 octobre 1226, François d’Assise est un religieux catholi ue, diacre et fondateur de l’ordre des Frère Mineurs (communément appelé Ordre franciscain). « Aborder la question de la nudité et du vêtement au travers de Saint François d’Assise, c’est entrer de plain-pied dans une idéologie qui a érigé la pauvreté d’abord en règle absolue et, secondairement, a placé la nudité à l’horizon d’une pratique, à savoir d’une façon d’être par le paraître » nous dit Jean Lacroix dans L’aventure vestimentaire dans les écrits de St François d’Assise et de ses disciples et épigones (XIIIe siècle).

Giotto –Saint François renonce aux biens terrestres

L’acte de dénudation de ce fils de marchand drapier, sur la place publi ue et sous les yeux d’un père u’il défie est un acte fondateur du vêtement comme signe de rupture et de renoncement. Furieux des excentricités de son fils, Pietro Bernardone exigeait qu'il lui rende des comptes et n’a pas craint de l'assigner en justice pour le déshériter. François, se réclamant d'un statut de pénitent qui le fait échapper à la justice laïque, sera alors convo ué par l’év ue d’Assise Lors de son audition sur la place de la ville, au printemps 1206, François rend l'argent qu'il lui reste ainsi que ses vêtements et, se retrouvant nu, il dit à son père et à la foule rassemblée : « Jusqu'ici je t'ai appelé père sur la terre ; désormais je peux dire : Notre Père qui êtes aux cieux, puisque c'est à Lui que j'ai confié mon trésor et donné ma foi »

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Par ce geste, il renie ouvertement et solennellement l’héritage, il dénonce officiellement ce mode de vie et de subsistance fondé sur une soif d’enrichissement De surcroît, la scène se déroule, nous disent les chroni ues, également sous les regards de l’év ue Guido d’Assise, ce ui lui confère une majesté sacramentelle supplémentaire. Celui-ci, l'enveloppant de sa cape, couvre sa nudité, non par pudeur, mais pour signifier que l'Église le prend sous sa protection. Saint François est alors âgé de vingt-cin ans L’habit ainsi refusé, rejeté, constitue donc la révolte de ce fils de nanti ; et cette scène de dénudation symbolise la conversion recherchée en vue d’un tout autre mode de vie ; elle matérialise la naissance d’une vocation « à la pauvreté ». Un autre fait, relatif un geste identi ue de renoncement l’habit « profane », serait ce pr che effectué totalement nu, dans une église d’Assise, d’un symbolisme plus accusé encore étant donné ue la provocation est passée de l’extérieur (de la place publi ue) l’intérieur d’un édifice consacré. En revanche, d’autres faits, attestés ceux-l , font état d’un don de sa tuni ue un lépreux, épisode ou anecdote divulgué par un certain nombre de textes notamment (la scène aurait eu lieu en 1206) et ui gratifie cette fois l’habit d’une valeur charitable de don, de la part de celui qui possède peu en réalité, en direction de celui ui, beaucoup d’égards, est pour le moins démuni L’habit se trouve cette fois tre l’enjeu et la croisée d’une triple rencontre : pauvreté, humilité, générosité (ou fraternité). Le tout dernier acte de la vie de Saint François coïncide avec ses dernières volontés, respectées, de reposer « nu sur la terre nue », le corps seulement recouvert d’un drap, Avoir mis en conformité ses écrits avec sa conduite, revient à dire une évidence. Cependant, la valeur moins directive absolue u’indicative des préceptes de Saint François, et ui n’oublient pas d’inclure la nature, la fonction et la finalité du vêtement « franciscain », dit assez aux yeux du fondateur de l’Ordre un désir de ne garder sur soi ue le strict minimum plus ue celui de ne rien posséder Ces textes ont tous en commun une grande homogénéité de penser l’habit en l’intégrant une vie communautaire, partagée confraternellement sans aucune hiérarchie ni exclusive de modes de vie l’air libre, tournée vers le message public fondamentalement oral, ui s’exerce travers une constante itinérance L’habit rev t donc une signification comportementale pragmatique : le paraître étant appelé à se confondre avec une manière d’ tre sans fard, authenti ue et sans cache En d’autres termes, l’habit du « frère en pauvreté » expérimente la notion d’un minimum vital, la lisière de la nudité. On en retrouve la source notamment dans l’œuvre Sacrum commercium sancti Francisci cum domina Paupertate (Les noces mystiques du bienheureux François d’Assise avec madame la Pauvreté – 1227), qui constitue une éloge de la nudité. Typi ue de l’intention de l’auteur anonyme du Sacrum Commercium est la cohérence d’un schéma idéologi ue ui relie la nudité originelle de nos premiers parents, d’avant la Faute, et la tentation du Serpent une nudité finale entendue comme purgation in extremis et volonté de ressourcement au terme d’un parcours long et difficile

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Tel est le caractère dominant du Sacrum commercium même si – ultime recommandation (celle du chap XIV, & 5, p 153) d’un écrit édifiant, spiritualisé au maximum – l’auteur anonyme prône la pratique du vêtement parcimonieux (« in vestitu parcissimi »). Précisés de la sorte, le principe par excellence de la pensée et du message franciscains, portera l’empreinte indélébile d’une telle relation nu- vêtement ramenée à un état initial, édénique et adamitique qui pourrait ainsi se résumer à grands traits : dépouillement maximum (mais progressif c’est-à-dire, l’horizon, total dénuement et, en termes de militantisme, auto-élimination de formes déviantes et malignes (spoliation). Ce dépouillement vestimentaire devenant la mar ue d’une démarche confraternelle et égalitaire, puis ue l’un des codes du nouvel ordre (masculin) est la stricte égalité de tous les membres et adeptes entre eux. La fondation des ordres franciscains Il fonde une confrérie primitive en 1209 sur le vieil adage ascétique médiéval « suivre nu le Christ nu ». Dans l'esprit de Saint François, les frères devaient être à la fois mendiants et prédicateurs, comme les apôtres des origines, vivre de la pauvreté absolue sans former pour autant de communautés cloîtrées : une règle qui tout de suite rencontra des oppositions. En 1210, le pape Innocent III, valide verbalement la première règle régissant la fraternité naissante. Saint François choisit le nom de Frères mineurs par référence aux « plus petits d'entre nous » dont parlent les Évangiles (Mt 25:40-45). En 1212, il fonde le second ordre franciscain celui des Pauvres dames, plus connu sous le nom de Clarisses. En 1217, une première structuration de l’ordre est créée L’Italie est partagée en provinces avec leur t te un « ministre provincial ». François s'oppose à toute forme d'organisation plus poussée. Parallèlement, des missionnaires sont envoyés en Palestine. Saint François lui-même part, laissant l'ordre entre les mains de deux vicaires généraux, parmi lesquels Pierre de Catane. Ceux-ci décident Honorius III à publier une bulle imposant un noviciat d'un an, une profession de vœux formelle et un contrôle de la prédication À son retour en 1220, saint François s'oppose à ces changements. Contraint de donner une constitution formelle à l'ordre, il rédige la Regula Prima. Jugée trop longue et trop stricte, elle est remplacée en 1223 par une seconde règle, elle aussi de la main de Saint François, approuvée par une nouvelle bulle d’Honorius III ( Regula bullata ). Cette règle beaucoup moins sévère est rédigée à la suite de tensions à l'intérieur de l'Ordre. Une partie des frères considère que la pauvreté évangélique est trop dure à supporter et souhaite posséder des couvents ou encore des livres. En 1221, les franciscains s'agrandissent par la fondation du Tiers-ordre, réservé aux séculiers. C’est en 1225 u’il écrit le Cantique de Frère Soleil aussi appelé Cantique des Créatures. Considérant l’univers et les éléments naturels, la terre, l’air, l’eau et le feu ainsi ue tout animal, comme des créations vivantes de Dieu, il les élève au rang de frère de l'homme. Ainsi prêche-t-il aux bêtes et aux oiseaux, comme ici : « Mes frères les oiseaux, vous avez bien sujet de louer votre créateur et de l’aimer toujours ; Il vous a donné des plumes pour vous vêtir, des ailes pour voler et tout ce dont vous avez besoin pour vivre. De toutes les créatures de Dieu, c’est vous

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qui avez meilleure grâce ; il vous a dévolu pour champ l’espace et sa simplicité ; Vous n’avez ni à semer, ni à moissonner ; il vous donne le vivre et le couvert sans que vous ayez à vous en inquiéter. » Il devient ainsi le saint patron des animaux. Le jour de sa fête, le 4 octobre a été instauré comme Journée mondiale des animaux lors d'une convention d'écologistes à Florence en 1931. (Wikipédia – François d’Assise). Malgré sa très grande notoriété populaire, aucun pape ne choisira de s’identifier Saint François d’Assise… jus u’au 13 mars 2013 Ce jour l , c’est le cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio qui est élu et sera le premier à prendre le nom de François Dans l’introduction son encycli ue Laudato si, il écrit : « ’ai pris son nom comme guide et inspiration au moment de mon élection en tant qu’évêque de Rome. e crois que François est l’exemple par excellence de la protection de ce qui est faible et d’une écologie intégrale, vécue avec joie et authenticité. (…) En lui, on voit à quel point sont inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure. » Il n’est pas inintéressant non plus de relever par uels mots le Pape François a accueilli lors d’une audience pontificale, les représentants de l'Institute of Jainology de Londres le 1er juin 2016. Il souligne ainsi les liens existant entre le jaïnisme (et les gymnosophistes) et Saint François d’Assise : « Je vous souhaite la bienvenue et cette rencontre me fait plaisir, une rencontre qui augmente notre responsabilité dans le soin de la création, de ce don que nous avons tous reçu - le don de la création - afin que nous en prenions soin. La création est le miroir de Dieu, c'est le miroir du Créateur, c'est le miroir de la nature, de toute la nature, c'est la vie de la nature et aussi notre miroir. À nous, à tous, la mère Terre nous plaît, car elle est celle qui nous a donné la vie et nous protège; je dirais aussi la sœur Terre, qui nous accompagne dans notre chemin d'existence. Mais notre tâche est un peu d'en prendre soin, comme on soigne une mère ou comme on soigne une sœur, c'est-à-dire avec responsabilité, avec tendresse et avec la paix. Je vous remercie de tout ce que vous faites dans cette tâche et nous restons unis dans cet idéal, dans cette tâche, dans ce travail pour faire que notre mère, notre sœur la Terre soit gardée ; dans la conscience que soigner, protéger la création, la Terre, c'est soigner et protéger toute l'humanité ».

Les Fraticelles (Fraticelli – « petits frères ») Les Fraticelles étaient des Franciscains de la branche dite des Spirituels. Opposés à la « normalisation » de doctrine du ministre général de l'Ordre, le Père Bonaventure, ils prônent eux aussi un mépris absolu des richesses et, par l’affrontement avec les puissances temporelles, évoluent peu à peu vers l'insoumission. Ils furent déclarés hérétiques par le pape Boniface VIII en 1296.

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Dès la mort de François d’Assise, le 03 octobre 1226, les conflits doctrinaux éclatent propos de son héritage spirituel et, en particulier la question du vœu de pauvreté Ses adeptes se divisèrent en deux branches, les Zelanti ou Spirituels, et les Relaxati, connus plus tard sous le nom de Cordeliers. En 1230, le pape Grégoire IX dispense les Franciscains de suivre le testament du fondateur : « il s'agit alors d'insister davantage sur les activités intellectuelles et pastorales que sur le vœu de pauvreté ». La controverse ui oppose les mouvements issus du franciscanisme l’Église, porte notamment sur l’affirmation ue le Christ et ses apôtres ne possédaient m me pas leur tuni ue dont ils n’avaient ue l’usufruit Cette idée soutenue par les franciscains ui revendi uaient la « sublimità della altissima povertà ». Mais ces idées ont évidemment, aux yeux de l’Église, une portée radicalement subversive Elles procèdent de la recherche d’une nudité édénique en tant que gage de liberté mentale. On peut comprendre combien cet idéal de pauvreté, déjà sous sa forme franciscaine originale, mais à fortiori sous une forme « extrême », « hérétique », mettait l’Église dans une situation difficile et totalement inacceptable pour elle Michel de Césène (1270 – 1342) et Pierre de Jean Olivi (1248-1298) furent les initiateurs de ce mouvement, dont les foyers spirituels étaient situés en Languedoc (avec Pierre de Jean Olivi), en Toscane (avec Ubertin de Casale) et dans les Marches (avec Ange Clareno et Pierre de Macerata). Ces franciscains sont aussi très marqués par la pensée de Joachim de Flore (1130 – 1202). En 1323, Jean XXII relativise la portée du vœu de pauvreté : par la bulle Cum inter nonnullos, il déclare ue la pauvreté de Jésus et des apôtres n’a pas été absolue Bon nombre de Spirituels sont emprisonnés et les Fraticelles sont livrés l’In uisition Les principaux dirigeants meurent sur le bûcher. Malgré cette brutale répression, ce mouvement perdurera jusqu'au XVe siècle. Leur origine s'expli ue donc par la lutte de tendances ui déchire l’ordre après la mort de François d’Assise, par la vogue du millénarisme joachimite et par les progrès, parmi les plus déshérités, d’une prati ue de Libre-Esprit (de type libertaire) où est exaltée la liberté de nature (Raoul Vaneigem – Dictionnaire de l’Histoire du christianisme Encyclopaedia Universalis)

La persécution des Fraticelli est un des sujets du roman d’Umberto Eco, Le nom de la Rose.

Les Apostoliques ou Frères apostoliques et le dolcinisme Tandis ue certains Fraticelles se réfugient au sein des ordres Bégards et Béguines, d’autres l’instar de Gérard de Groote (1340-1384), un clerc (non-prêtre) néerlandais, fondent un nouveau courant spirituel : la Devotio moderna, ou « dévotion moderne ». Un mouvement de réforme personnelle et de spiritualité chrétienne, diffusé par la communauté des Frères et sœurs de la vie commune, u’il a créée et ue l’on assimile au mouvement des Dolciniens (1300 à 1307).

Les Apostoli ues ont la conviction d’ tre le véritable ordre mendiant ui ouvrira les portes du 3e âge Une partie des Spirituels Franciscains, regroupés au sein des Fraticelles leur est acquise.

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Ce mouvement Apostolique, initié par Gherardo Segarelli et poursuivi par Fra Dolcino (1250 – 1307) était déjà, lui aussi, influencé par les théories millénaristes de Joachim de Flore. Celui-ci donnait 1260 comme la date du début du règne des Saints.

De naissance modeste et sans éducation, Gherardo Segarelli demanda à devenir membre de l'ordre franciscain et vit sa demande rejetée. Il décida finalement de se consacrer à la restauration de ce qu'il considérait être le mode de vie apostolique.

Dans sa Chronique Fra Salimbene de Adam de Parme (moine franciscain adepte de Joachim de Flore) décrit cette situation : « Alors que j'étais à Parme, dans le couvent des frères mineurs, comme sacerdote et prédicateur, un jeune se présenta, natif de Parme, d'origine humble, illettré, sot et ignorant, qui s'appelait Gherardino Segarelli, et il demanda d'être accueilli dans l'ordre des frères mineurs. N'ayant pas été exaucé, jusqu'à ce que cela fut possible, il s'attardait toute la journée en méditation dans l'église et il lui vint l'idée de faire de sa propre initiative ce qu'il demandait inutilement aux frères. Comme au-dessus du couvercle de la lampe de la fraternité du bien heureux François étaient peints tout autour les apôtres en sandales, parfois avec le manteau sur les épaules, il restait de long moment à les contempler et de là il prit sa décision. Il laissa pousser sa barbe et ses cheveux, il porta des sandales et il bordone des frères mineurs parce que tous ceux qui se proposent de créer une nouvelle congrégation volent quelque chose à l'ordre franciscain. Puis il se fit faire une tunique de toile rêche et un manteau en fil très gros qu'il portait parfois autour du cou et sur les épaules, convaincu ainsi d'imiter les habits des apôtres. » Salimbene, âpre ennemi de Segarelli, ajouta qu'il « distribuait le peu d'argent qu'il possédait et d'habiles coquins profitèrent de sa naïveté, après quoi il commença à vivre d'aumône et à prêcher, invitant le peuple à la pénitence. » Il eut un succès certain auprès des humbles de toute l’Émilie (Italie) et ses disciples les fratres et sorores apostolicae vitae ou simplement apostoliques ou minimi, devinrent même plus populaires que les franciscains.

Les apostoliques menaient une vie de jeûnes et de prières, travaillant ou demandant la charité, il ne donnait pas de valeur à la chasteté : la cérémonie d'acceptation de nouveaux disciples prévoyait que publiquement ils se déshabillent nus comme l'avait fait Saint François ; ils prêchaient la désobéissance au pape, la possibilité du prêche ambulant des laïcs, l'imminence de la punition céleste provoquée par la corruption des coutumes ecclésiastiques, la stricte observation des préceptes évangéliques et la pauvreté absolue.

Au nombre des idées apostoliques, on compte notamment :

. Le refus de la hiérarchie ecclésiasti ue et le retour aux idéaux originaux de pauvreté et d’humilité . Le refus du système féodal . La libération de toute contrainte et de tout assujettissement. . L’organisation d’une société égalitaire d’aide et de respect mutuel, mettant en commun les biens et respectant l’égalité des sexes.

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. Un rapport libre au corps et la considération que les relations amoureuses (homosexuelles comme hétérosexuelles), n’étaient en rien des péchés et u’elles étaient parfaitement compatibles avec la recherche de « l’homme parfait ». Tout ceci ne pouvait être toléré par l'Église, ainsi le pape Grégoire X (1271-1276), ouvrit le 7 mai 1274 le IIe Concile de Lyon, désavoua les congrégations religieuses non autorisées et lança une nouvelle croisade. Avec le canon Religionum diversitatem nimiam, le concile interdit la constitution d'une quelconque nouvelle congrégation et imposa aux ordres créés après 1215, l'obligation de rejoindre un ordre choisi parmi ceux approuvés. Gherardo Segarelli et les apostoliques refusèrent, provoquant le début du procès pour hérésie : ils furent condamnés en 1286 avec la bulle du pape Honorius IV (1285-1287) Olim felicis recordationis, en 1287 depuis le concile de Wurtzbourg et en 1290 par le pape Nicolas IV (1288- 1292).

Segarelli fut d'abord emprisonné à Parme puis libéré par l'évêque Obizzo Sanvitali qui semble avoir été un admirateur secret ; de nouveau emprisonné en 1294 et condamné aux travaux forcés à perpétuité, il réussit à s'enfuir pendant que quatre apostoliques, deux hommes et deux femmes, furent brûlés vifs sur le bûcher. Enfin, ne profitant plus de la protection de Sanvitali devenu évêque de Ravenne, il fut de nouveau capturé en 1300 et jugé par l'inquisiteur Manfredo da Parma.

Il existe quelques traces du procès verbal :

« Demander si un homme peut toucher une femme qui ne soit pas son épouse et une femme puisse toucher un homme qui ne soit pas son mari et se palper mutuellement sur les zones impudiques en s'étendant nu et que cela puisse être fait sans l'ombre du péché… répondit qui si un homme et une femme même n'étant pas unis par le mariage, et un homme avec un homme et une femme avec une femme peuvent se palper et se toucher mutuellement sur les zones impudiques. Il dit que cela peut advenir sans l'ombre d'un péché à condition qu'il y ait intention de parvenir à la perfection… il ne pensait pas que de tels tâtages impudiques et charnels fussent coupables, au contraire ils pouvaient être fait sans péché chez un homme parfait. » Ceci était donc déjà suffisant pour l'envoyer sur le bûcher à Parme, le 18 juillet 1300.

Fra Dolcino prendra ensuite le relai. Doté d'un plus grand talent, fils d'un prêtre du diocèse de Novare, cet homme pris alors la tête des apostoliques. Il était membre de l'ordre depuis 1291, et son éloquence se manifestait dans les proclamations enthousiastes qu'il faisait de prophéties apocalyptiques.

À la tête du groupe, qui vivait dans l'expectative quotidienne de voir l'Église frappée par le jugement de Dieu, il perpétua dans les districts montagneux de Novare et de Verceil une campagne de guérilla contre les croisés convoqués pour l'abattre. Mais le froid et la faim étaient des ennemis plus redoutables, et le reste de ses forces furent finalement capturées par l'évêque de Verceil : environ 150 personnes au total, dont Fra

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Dolcino lui-même et sa « sœur spirituelle » Margherita Boninsegna (qui avaient tous deux refusé d'abjurer), furent brûlés sur le bucher le 1er juin 1307.

Libre-Esprit et Adamites La période du Xe au XIIIe siècle fut donc déterminante dans l'histoire du Catholicisme.

Entre la mort d’Averroès (1198) et la naissance de Thomas d’A uin (1225) apparaît le courant du Libre-Esprit. Le mouvement se propagea le long du cours du Rhin jusqu'en Flandre et aux Pays-Bas.

Il n’est pas encore uestion d’athéisme, de matérialisme, d’épicurisme et encore moins d’hédonisme ou d’eudémonisme Cependant, l’émancipation par rapport la théologie fait son chemin avec Boèce de Dacie ( ui commence douter de la conception créationniste), et l’idée de séparation du temporel et de l’intemporel ui naît discrètement avec Marsile de Padoue (défenseur de la Paix et de l’égalité des hommes)

C'est à Jean Scot Erigène (IXe siècle) qu'on attribue en général les idées directrices de ce mouvement dont la première condamnation papale remonte à 1204. Mais les idées de Joachim de Flore circulaient également parmi les Libre-Esprit.

Amaury de Bène, professeur de théologie à Paris, s'en tira par une simple abjuration et mourut en paix en 1207. Ses partisans, qualifiés d’amauriciens, furent moins heureux : une dizaine d'entre eux finirent sur le bûcher en 1209 et 1211. Ce fut le début d'une persécution de cinq siècles à laquelle échappa cependant la Bruxelloise Bloemardine que sa renommée locale protégeait dans le premier tiers du XIVe siècle.

Ce mouvement englobe les bégards et béguines belges et néerlandais, les Alumbrados espagnols, les Picards et les Adamites de Bohême, le Nouvel Esprit souabe, les amauriciens (disciples d’Amaury de Bène), les loïstes d’Anvers (ceux d’Eloi de Pruystinck) et d’autres libertins d’Europe

Par opposition au Saint-Esprit, le Libre-Esprit (ou Nouvel Esprit, Esprit de Liberté, Liberté par l’Esprit) manifeste la puissance de l’homme sur le monde Il désigne l’intelligence et la raison humaine, appli uées au réel De la sorte, il explique ce que le clergé fait passer pour des mystères au commun des mortels Aux yeux des Frères et Sœurs du Libre-Esprit, le plan de Dieu est moins linéaire que cyclique : le temps du Fils est dépassé, un autre est advenu ui permet l’abolition des Écritures.

Leurs prémisses philosophiques sont panthéistes. Dieu est partout et en tout. Même le criminel devient sacré. Le crucifié aura racheté toutes fautes passées mais aussi venir De fait, le péché a disparu, uoi ue l’on fasse, tout comme le remord et la culpabilité. Mais tandis que les panthéistes spéculatifs comme Amaury de Chartres ou Maître Eckhart concluaient une morale ascéti ue, les frères et sœurs du libre-esprit définissent leur pensée centrale en s’appuyant sur les versets des Évangiles ou des Épîtres. Saint Paul, disaient-ils, affirmait que : « Le Seigneur, c’est l’esprit et, là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Cor. 3, 17), et aussi que : « Si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes pas sous la loi » (Gal. 5, 18). Se

65 croyant tre Dieu par nature, ils n’avaient pas besoin ue Dieu s’humanisât pour leur rachat L'Incarnation et la Rédemption n’avaient ni sens ni valeur pour eux, que la perfection faisait sans péché, les rendant égaux au Christ.

Tauler disait d’eux :

« Ils se dépouillent tellement qu’ils ne veulent ni penser, ni louer Dieu, ni avoir, ni savoir quelque chose, ni vivre, ni demander, ni désirer. Tout ce qu’ils peuvent demander, ils l’ont et ils pensent être ainsi pauvres en esprit parce qu’ils sont sans volonté propre. Ils ont abandonné toute propriété. Ils veulent aussi être libres de la pratique de la vertu et ils ne veulent obéir à personne, ni au pape, ni à l’évêque, ni au curé. Ils veulent être libres de tout ce qui est du domaine de la Sainte Église. Ils disent publiquement que, tant que l’homme s’efforce vers des vertus, il est encore imparfait et ne sait rien de la pauvreté en esprit ni de la liberté de l’esprit... Ils se considèrent comme au-dessus des anges et de tout mérite humain. Ils croient qu’ils ne peuvent ni grandir en vertu ni commettre des péchés. Ce que la nature désire, ils peuvent, selon leur idée, le faire librement, sans péché parce qu’ils sont parvenus à l’innocence suprême et qu’il ne leur est imposé ni commandement ni loi. Ils obéissent à ce que leur nature désire pour que l’esprit puisse demeurer dans une liberté sans obstacle » (cit. Delacroix, p. 123). Ruysbroeck, quant à lui, dénonçait leur hérésie, car ces adeptes du Libre-Esprit déclaraient :

« Nous sommes Dieu par nature ; dans notre être éternel, nous étions sans Dieu ; par l’effort de notre libre arbitre nous sommes sortis de l’être absolu pour paraître dans le monde ; Dieu ne sait, ne veut rien sans nous ; nous avons créé avec lui l’univers. Nous ne croyons pas en Dieu, nous ne l’aimons pas, ne le prions pas, car ce serait avouer qu’il est autre chose que nous. Il faut s’affranchir de toute loi, ne se préoccuper ni de connaissance ni d’amour » (Delacroix). ( acques Henri Prévost – Les hérétiques de la Liberté) L'Église officielle hiérarchisée, riche et jalouse de sa situation et de son pouvoir ne pouvait tolérer ces contestations et le concile de Vienne condamna en 1311 les frères du Libre-Esprit avec les Béguines et les Bégards Il en est ainsi du cas de Marguerite Porète qui, brûlée vive avec son livre Le Miroir des simples âmes le 1er juin 1310 à Paris, a laissé l'un des rares témoignages de première main sur les opinions qui caractérisent le mouvement du Libre-Esprit. Son livre, qui soutient des thèses proches de celles de Maître Eckhart et de la mystique rhénane, est de plus en plus considéré comme l'une des œuvres majeures de la littérature médiévale (Présentation du colloque Marguerite Porète - Paris, 30 mai-1er juin 2010 / http://gas.ehess.fr/document.php?id=240 ). Son enseignement, perpétué par Bloemardinne de Bruxelles (morte en 1335), identifie Dieu à un éternel flux d'amour, dont chaque être humain participe dès l'instant qu'il épure sa nature des obligations spirituelles et matérielles, entraves à sa liberté.

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Originaire du Hainaut, Marguerite Porète (ou Porrette, ou Poirrette) est qualifiée tantôt de béguine clergesse très savante, tantôt de pseudo-mulier, terme appliqué aux béguines errantes. Elle-même se décrit comme une « mendiante créature » en désaccord avec l'ensemble du clergé : « Les Béguines disent que je suis dans l'erreur, ainsi que prêtres, clercs et prêcheurs, augustins et carmes et les frères mineurs. » Un premier ouvrage, écrit par elle sur « l'être de l'affinée amour », est brûlé vers la fin du XIIIe siècle, à Valenciennes, sur les ordres de l'évêque de Cambrai, qui interdit à Marguerite de diffuser d'autres livres et doctrines sous peine d'être jugée hérétique et relapse. Dénoncée à l'inquisiteur de Haute-Lorraine pour avoir récidivé avec un ouvrage intitulé Le Mirouer des simples âmes anienties et qui seulement demourent en vouloir et désir d'amour, elle est arrêtée et comparaît en 1307 devant Guillaume Humbert, inquisiteur général de France et futur responsable du procès des Templiers. Fidèle à « cette âme libre qui ne répond à nul si elle ne le veut », elle refuse de prêter serment et, après un an et demi d'emprisonnement, est condamnée comme hérétique et relapse. Les extraits incriminés du Miroir serviront de base à la rédaction du décret Ad nostrum dont le concile de Vienne (1311) se servira contre les bégards et béguines. https://www.universalis.fr/encyclopedie/marguerite-porete/

Le roi Charles IV le Sage (1338 – 1380) publia en 1369 un édit qui aggrava encore leur répression et leur persécution. Les Chrétiens considéraient en effet que les Frères et Sœurs du Libre-Esprit ne se situaient pas seulement hors de l’Eglise mais aussi hors du Christianisme

Quasiment plus aucun texte ne subsiste donc aujourd’hui, dont on pourrait dire u’il constitue un manifeste du Libre-Esprit. Tout écrit choquant aussi bien le pouvoir temporel ue le spirituel (confondus l’épo ue) pouvait conduire au bûcher Il valait mieux ne rien conserver de tel chez soi.

Le Libre-Esprit bataillera en cachette contre l’Église en pr chant le plaisir et le désir libres, le corps libéré. Cette pensée et philosophie hédoniste s’exerceront de manière très clandestine de Rabelais Montaigne, du XIIIe au XVIe siècle (Le Mouvement du Libre-Esprit – Raoul Vaneigem).

Les Adamites et Picards

Sous le règne du roi Charles V le Sage, dans les années 1370, les routes du Sud de la France virent apparaître des bandes d'hommes et de femmes nus. Les Adamites ou Pauvres Frères (ou « Turlupins » un sobriquet dont ils étaient aussi affublés) apparurent en Dauphiné, en Savoie et dans les montagnes italiennes. C'était un ordre mendiant qui s'inscrit dans la lignée des courants de pensée dits de "libre-esprit" qui essaimèrent en Europe à partir du XIIème siècle.

L’Encyclopédie scientifique des arts et métiers nous dit u’ils :

« … soûtenoient que l'homme arrivé à un certain état de perfection, étoit affranchi de la loi des passions, & que bien loin que la liberté de l'homme sage consistât à n'être pas soûmis à leur empire, elle consistoit au contraire à secouer le joug des Lois divines. Ils alloient tous nuds, & commettoient en plein jour les actions les plus brutales. Le Roi Charles V. secondé par

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le zele de Jacques de Mora, Dominicain & Inquisiteur à Bourges, en fit périr plusieurs par les flammes; on brûla aussi quelques - uns de leurs livres à Paris dans la Place du marché aux pourceaux, hors la rue Saint Honoré. »

Tout comme les Cathares, les Vaudois, les Templiers et les Franciscains, les Adamites prônaient un idéal de pauvreté Ils avaient poussé ce e no on jus u' vivre nus la plupart du temps. « La pauvreté, disaient-ils, lave l'homme du péché et ressuscite le Christ en lui. Et c'est en écoutant ses désirs que l'homme entre dans l'Esprit libre. La charité peut parfois se confondre avec l'amour charnel ».

La pudeur doit donc être considérée comme une marque de corruption intérieure, comme la preuve de l'assujettissement à la domination de la sensualité La liberté de mœurs et le libertinage affichés des Adamites leur attirèrent un grand nombre de partisans.

Ils vivaient un retour à l'état « d'avant la chute », à la nudité primitive et pure du Paradis terrestre. On prétend aussi qu'ils envahissaient parfois les églises, car pour eux, le culte divin devait se célébrer dans le grand temple naturel sans oraison et la prière seulement faite avec la pensée.

Tous ces mouvements aspiraient donc philosophi uement la pauvreté intellectuelle (l'esprit vacant permettant de mieux recevoir Dieu).

Unis immédiatement Dieu, ils rejetaient la médiation de l'Église comme n’étant pas celle de l’Esprit, mais celle du Monde et des clercs. Ce que l'Église enseignait et commandait était donc sans valeur et il était inutile de prier, de se confesser à des prêtres, puisque Dieu leur parlait directement Se considérants parfaits, ils n’avaient rien demander ni rien se faire pardonner La prati ue des sacrements est superflue quand on est déjà uni à Dieu et leur administration ne doit pas être réservée à des prêtres car des laïcs parfaits sont bien dignes de la faire. Il ne convenait pas non plus d’avoir un culte pour les saints puis ue chacun pouvait tre aussi saint, sinon plus saint u’eux

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Selon Tommaso Campanella, le fond de leur proposition était que « l'homme doit être aussi heureux ici-bas qu'il sera un jour dans le ciel » (La Cité du Soleil, 1568 / Socialisme utopique et humanisme).

Mais les Adamites s'échappèrent souvent et se maintinrent longtemps sans que l'on sache si le mouvement a réellement pris fin. On retiendra de ce courant, Jeanne Daubenton, qui fut brûlée vive, en place de Grève, en 1372, en raison de son engagement en tant que prédicatrice de la Compagnie de la Fraternité des Pauvres. Vers 1350, Jeanne d'Aubenton est une jeune bergère qui rentre en contact avec le mouvement « hérétique » dit du Libre-Esprit par l'intermédiaire de béguines, probablement celles du béguinage de la commune d'Aubenton en Picardie. C'est à partir de ce cette époque qu'elle va commencer à se faire connaître par son volontarisme et son éloquence peu commune. Elle pensait notamment qu'il n'y avait nul péché à satisfaire toutes ses passions quand elles sont honnêtes et tous les désirs de ses sens lors u’ils sont légitimes Une partie de l'idéalisme de Johanne s'apparenterait donc plutôt aujourd'hui au naturisme ou au nudisme. Elle écrivit en 1350 le Parchemin de l'Esprit, sortes de pensées sur la vie. https://fracademic.com/dic.nsf/frwiki/869695

Jeanne Daubenton aurait donc joué un rôle des plus actifs au sein des Adamites de Paris. Devenue l'éloquente interprète de leur doctrine qui se rattachait notamment aux philosophes de l’Anti uité, antinomistes, cyni ues cyrénaï ues ainsi u’épicuriens

Leur supplice aura lieu principalement à Paris, au Marché-aux-Pourceaux, près de la porte Saint-Honoré, sur la butte Saint-Roch. Les derniers Adamites y furent sacrifiés aux flammes en 1372. On ignore leur nombre, les circonstances de leurs exécutions et le comportement du peuple à leur égard. Le procès précise aussi « qu'ils furent brûlés en même temps que leurs hardes ».

Mais ce mouvement ne disparut pas entièrement après les bûchers. Si les enfants de Jeanne Daubenton échappèrent aux flammes, ils durent vivre misérablement sous les loques dont ils consentirent prudemment à se vêtir. Leur sobriquet subsista pour désigner la pauvreté la plus infecte. « Enfant de Turlupin » devint une expression courante Mais, les juges de l’In uisition nous ont-ils transmis l'image réelle des Adamites ? Il est curieux de constater que Jean Charlier Gerson (1363- 1429) le principal théologien du concile de Constance (1414-1418), s'inscrivit en faux contre les sévérités formulées contre ce mouvement lors de leur procès. Il estime qu'on les a calomniés et qu'il y avait en eux autre chose que cette « apparence de bêtes lâchées et que derrière cette bouffonnerie se cachait autre chose ».

Vers 1520, les Frères du Libre-Esprit, chassés de Hollande et d'Allemagne, trouvèrent un terrain plus clément en Bohême. Ils disaient que « Quiconque fait usage d'habits ne possède pas la liberté. » Les uns furent passés au fil de l'épée, les autres allèrent au bûcher en chantant.

Dans la culture populaire, les mystiques « Turlupins » sont aujourd'hui un très lointain souvenir dans l'inconscient collectif, toutefois ils ne sont pas totalement oubliés du parler populaire, où leur rébellion contre l'église établie et leurs façons de vivre (nudité, amour libre, opposition aux pouvoirs ecclésiastiques en place) ont laissé quelques traces. Georges Brassens dans sa chanson Le Pornographe a glissé ces vers :

« À présent que mon gagne pain C'est d'parler comme un turlupin Je ne pense plus "merde" pardi Mais je le dis. »

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L’Encyclopédie scientifi ue des arts et métiers nous renseigne aussi sur l’existence d’un mouvement similaire, désigné sous l’appellation de Picards, du nom de celui ui en fut l’inspirateur :

« Un fanatique nommé Picard, natif de Flandre, ayant pénétré en Allemagne & en Boheme au commencement du XV. siecle, renouvella ces erreurs, & les répandit surtout dans l'armée du fameux Zisca malgré la sévérité de ce Général. Picard trompoit les peuples par ses prestiges, & se qualifioit fils de Dieu: il prétendoit que comme un nouvel Adam il avoit été envoyé dans le monde pour y rétablir la loi de nature, qu'il faisoit sur - tout consister dans la nudité de toutes les parties du corps, & dans la communauté des femmes. Il ordonnoit à ses disciples d'aller nuds par les rues & les places publiques, moins réservé à cet égard que les anciens Adamites, qui ne se permettoient cette licence que dans leurs assemblées. Quelques Anabaptistes tenterent en Hollande d'augmenter le nombre des sectateurs de Picard: mais la séverité du Gouvernement les eut bientôt dissipés. Cette secte a aussi trouvé des partisans en Pologne & en Angleterre: ils s'assemblent la nuit; & l'on prétend qu'une des maximes fondamentales de leur société est contenue dans ce vers : Jura, perjura, secretum prodere noli. » (Jurez, parjure-vous, mais gardez le secret)

Selon le Dictionnaire historique et critique de Bayle de 1715, p. 249, l'hérésie dirigée par un certain Picard allait plus loin que les adamites dans le sens du libertinage. Son mouvement gagna au XIVe siècle les Flandres et l'Allemagne, puis la Bohème. Une quarantaine de "picards" s'installèrent à 7 lieues de la place forte de Thabor où ils se livrèrent à des pillages et furent massacrés par le chef de guerre des hussistes Zizka. Selon Bayle, quand un homme de la secte voulait coucher avec une femme, il la prenait par la main, l'amenait au chef en lui disant "Mon esprit s'est échauffé pour celle- ci". Picard répondait "Allez croissez et multipliez". Ils considéraient les gens habillés comme des esclaves et c'est ce que dirent, d'après Varillas en 1420 cité par Bayle, des femmes picardes retenues en prison par un seigneur de Bohème. Elles accouchèrent en prison et furent condamnées au feu avec leurs maris ce qu'elles acceptèrent avec joie sans renoncer à leur libertinage.

Cette philosophie hédoniste s’exercera de manière très clandestine, bataillera en cachette contre l’Église, de Rabelais à Montaigne, du XIIIe au XVIe siècle, en prêchant le plaisir et le désir libres, le corps libéré.

Avec ces divers mouvements qui émergent, on sent poindre une envie sérieuse de réformes ainsi u’un souffle de liberté et un besoin d’émancipation, tous annonciateurs de bouleversements majeurs.

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Persécution d’adamites dans un s uare – Amsterdam - anonyme

Avec la Réforme Protestante, l’homme se libère de la conception « corps-prison, ennemi de l’âme ». Les protestant reconnaissent quant à eux l’Évangile de Thomas et Luther enseignait que « l’homme était pécheur et pardonné : nous sommes à la fois, nus, et sans honte devant Dieu », une formule qui sera reprise plus tard, et détournée à sa façon, par F.W. NIETZSCHE. La prédication du Pasteur Louis Pernot au temple de l'Etoile à Paris en avril 2000, nous donne également un éclairage intéressant sur le mythe du péché originel : « ils ont été chassés du Paradis parce qu'ils avaient honte de leur nudité et qu'ils avaient essayé de la cacher par des feuilles de figuier. Dieu a refusé ce masquage hypocrite pour leur faire des pagnes de cuir, de « peau » selon le texte. Or en hébreu il y a un seul mot pour dire la « peau » » et la « nudité » et donc Dieu les habille de nudité autrement dit, il ne les habille pas vraiment... ». Avec cette explication, on comprend mieux du coup la conception plus libérale du rapport au corps et à la nudité que l'on retrouve dans tous les pays de culture protestante.

Concile de Trente – les mœurs catholiques sous la contrainte Convoqué par le pape Paul III le 22 mai 1542, en réponse aux demandes formulées par Martin Luther dans le cadre de la Réforme Protestante, il débute le 13 décembre 1545 et se termine le 4 décembre 1563. Étalées sur dix-huit ans, ses vingt-cinq sessions se tiennent à Trente et à Bologne.

En réponse aux nouvelles théories, le concile confirme la doctrine du péché originel affirmée lors du 16e concile de Carthage en… 418 L'Église catholique y restreint la valeur du nu, en le considérant dans le dogme comme « indécent », alors que les protestants n'ont d'autre intermédiaire de Dieu que la nature où se manifeste le divin, d'où l'existence de pratiques de nudité collective en Europe du Nord. Ces pratiques relèvent de valeurs mystiques ou religieuses, mais aussi d'hygiène rituelle (toilette collective en des pays scandinaves).

Parmi les nouveautés u’a introduites le style de vie chrétien, il en est une ue souligne Michel Despland : « Dès lors que le corps individuel doit être oblitéré par les vêtements, chacun devrait au moins théoriquement être vêtu, même les esclaves, les malades et surtout les pauvres. Mais il s’agit moins d’un droit que d’un devoir que l’Église réussira à imposer en dernier lieu, avec l’article 330 d’outrage public à la pudeur, du code pénal napoléonien en vigueur jusqu’en 1994…».

X. DE LA RENAISSANCE AUX LUMIÈRES RADICALES La Libre-pensée n’est pas une doctrine, mais une méthode, celle du libre examen ui rejoint l’empirisme. La devise pourrait être : « Ne tenir pour vrai que ce qui est vérifiable et vérifié ». L'année 1600 est souvent considérée comme fondatrice de la libre-pensée moderne C’est en effet le 17 février 1600, que l'ancien moine dominicain et apostat, Giordano Bruno, est brûlé vif pour hérésie. Les concepts de la Libre-Pensée se développent

71 en effet, à partir de celles de Giordano Bruno (1548-1600) et nous conduiront au Grand Siècle et à Baruch Spinoza, puis aux philosophes radicaux des Lumières avec Jean Meslier (1664–1729), La Mettrie (1709-1751), Helvétius (1715-1771) et D’Holbach (1723-1789). On assiste alors à la construction d’une raison occidentale m me de contrebalancer les assertions de la foi, les enseignements religieux ui recourent aux arguments d’autorité

Sur la base des travaux de Nicolas Copernic et Nicolas de Cues, il développe la théorie de l’héliocentrisme et montre, de manière philosophique, la pertinence d'un univers infini, qui n'a ni centre ni circonférence, peuplé d'une quantité innombrable d'astres et de mondes identiques au nôtre. Et c'est bien à une véritable subversion des fondements de la théologie chrétienne que se livre un texte comme L'Expulsion de la bête triomphante. Sous la forme d'une fable mythologique, Bruno y développe les conséquences morales de sa conception d'un univers infini, dépourvu de centre et composé d'une infinité de mondes. Il s'en prend sur un ton satirique aux dogmes de l'Éden et du péché originel, réhabilitant ainsi la nature un siècle avant Spinoza.

« Toutes les âmes font partie de l'âme de l' nivers, et tous les êtres à la fin sont ns. […] Chaque acte apporte sa récompense ou sa punition dans une autre vie. Le passage dans un autre corps dépend de la façon dont il s'est conduit dans l' n […]. Le but de la philosophie est la découverte de cette unité. » Ayant élaboré une forme de panthéisme philosophique, Giordano Bruno considère que les animaux ont une place respectable et à respecter dans l'univers Ce ui l’amène la prati ue du végétarisme « Être boucher doit être estimé comme un art et un exercice plus lâche que ne l'est celui de bourreau […] parce que ce dernier […] administre parfois la justice ; en ce qui concerne les membres d'une pauvre bête, toujours obtenus en blessant la gorge, pour celui qui ne se suffit pas de la nourriture ordonnée par la nature [la nourriture végétale], plus convenable à la complexion et à la vie de l'homme, j'abandonne les autres raisons plus dignes d'un chant. » L’Expulsion de la Bête triomphante Tout ceci n’est pas sans rappeler la philosophie Jaïn rencontrée précédemment Plongeant ses racines dans l’Antiquité grecque avec Diogène, Épicure bien-sûr, mais aussi Protagoras qui proclama que « l’homme est la mesure de toute chose », la libre-pensée a connu un essor formidable. On la retrouve aussi à la Renaissance avec Rabelais.

Notre philosophie naturiste se nourrie ensuite de la théorie éthique de Baruch SPINOZA (1632 -1677). Celle-ci s’oppose frontalement à l'idée que le mal serait le fruit de la faiblesse de l'homme ou d'une « défectuosité de la nature humaine », faiblesse qui elle-même serait due au péché originel d'Adam et à la Chute. Contrairement à Saint Augustin, Spinoza ne considère pas qu'il y a deux états de la nature humaine, l'un qui précèderait la Chute et l'autre qui serait post-lapsaire (La Cité de Dieu, livre XXII). Selon lui, « il ne dépend en effet pas davantage de nous d'être sains d'esprit que de

72 corps », puisque la liberté ne s'oppose pas au déterminisme, et Adam n'avait, pas plus que nous, le pouvoir de raisonner correctement. L'idée de « chute » est radicalement étrangère à l'éthique spinoziste.

Le spinozisme est un eudémonisme qui place le bonheur, selon une interprétation traditionnelle, dans la joie de comprendre la nature, l'amour de soi et du monde et la puissance de la raison qui permet de vivre libre des passions. Pour d'autres, le bonheur par la joie visé par Spinoza ne peut être qu'une joie en acte, c'est-à-dire une joie dans tous les actes concrets de la vie, et selon sa modalité psychique comme corporelle. (Wikipédia – eudémonisme)

Le spinozisme se caractérise par un rationalisme absolu laissant une place à la connaissance intuitive, une définition de l'homme par le désir, une conception de la liberté comme compréhension de la nécessité, une critique des interprétations théologiques de la Bible aboutissant à une conception laïque des rapports entre politique et religion. Il s'inscrit dans l'école de pensée philosophique matérialiste qui se distingue par une distance avec Platon ou Aristote.

Les Lumières radicales Les Lumières sont un mouvement littéraire et philosophique européen du XVIIIe siècle fondé sur la raison qui permet, selon les philosophes des Lumières, de sortir des préjugés et de l'intolérance, et de faire progresser les hommes vers le bonheur, la liberté et le savoir.

Pour Jonathan Israel, c'est la période 1650 -1750 ui formerait le cœur des Lumières Selon lui, les développements philosophi ues d’après 1750 ne sont « qu’une consolidation, une vulgarisation et un commentaire des concepts révolutionnaires introduits précédemment ». ll justifie son choix d'avoir comme point de départ non pas la Révolution anglaise, mais « plutôt les révolutions philosophique et scientifique des années 1650, 1660, 1670, l'impact de Descartes, Hobbes et Spinoza. (Jonathan Israel, Radical Enlightenment, Philosophy and the making of modernity 1650-1750, Oxford, Oxford University Press, 2001, p.31). C'est la distinction croissante entre le naturel et le surnaturel, entre raison et superstition, entre philosophie et théologie qui constitue le véritable point de départ des Lumières radicales en tant que mouvement intellectuel. » Ce professeur d’histoire moderne d’Europe rend compte d'un ensemble de travaux qui se donnent l'objectif de repenser la charge subversive des Lumières.

Eva Devrière nous explique que depuis la découverte du Nouveau Monde (avec les « sauvages » des Amériques notamment, comme Voltaire a pu en décrire dans L’Ingénu), le XVIIIe siècle voit son rapport aux corps et à la nudité changer progressivement. De fait, les Européens découvrent des peuples totalement différents d’eux, aux coutumes ui leur semblent plus proches de l’homme « originel » puisque plus proches de la nature. Pierre de Ronsard (1524-1585) écrivait déjà à la Renaissance que le peuple des Amériques découvert par Villegaignon :

« Erre innocemment tout farouche et tout nu,

D’habit tout aussi nu qu’il est nu de malice,

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Qui ne connaît les noms de vertu et de vice,

Mais suivant sa nature et seul maître de soi,

Soi-même est sa Loy, son Sénat et son Roy ».

Buffon (1707-1788) nous définit ces peuples du Nouveau Monde « en état de pure nature » ainsi : « ni vêtement, ni religion, ni société ». Et Jean- Jacques Rousseau (1712-1778), dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754), prend en compte l’invention du v tement dans le passage de l’état de nature celui de culture : « le premier qui fit des habits et un logement se donna en cela des choses peu nécessaires ». Dans la vision du « bon sauvage » ui est celle d’une partie des Lumières, la nuditas naturalis tend à confluer avec la nuditas virtualis, pour reprendre anachroniquement les catégories médiévales( La nudité entre culture, religion et société - quelques remarques à propos des Temps modernes par Régis Bertrand)

Mais une pensée radicale, « c’est prendre les choses à la racine » (Marx - Contribution à la critique de la philosophie de Hegel). De fait, les ultras constituent un nouveau paysage intellectuel et philosophique. Michel Onfray nous explique que « quatre continents radicalement neufs émergent dans cette période fortement tellurique que caractérise une formidable tectonique des plaques : l’athéisme, le matérialisme, l’hédonisme et la révolution ». Le philosophe ui les contient tous, c’est paradoxalement un curé de campagne ui a pour nom Jean Meslier (1664-1729). Sans en utiliser les termes, il invente la désobéissance civile chère à Henry David Thoreau ue l’on retrouvera bien plus tard Il pose les bases du communisme des Égaux de Gracchus Babeuf ; l’incorruptibilité de Robespierre ; la justice de l’abbé Grégoire Son hédonisme social propose le bonheur de tous et de chacun « Un bonheur non pas idéal, mais concret, dans un siècle ou le peuple survit misérablement au quotidien, enveloppé dans des guenilles, dormant dans les étables ou sur le fumier de paillasses rongées par la vermine, subissant les pénuries ou la famine, victime désignée des épidémies et de pandémies. Le bonheur se doit d’être susceptible d’une réalisation ici et maintenant. Saint-Just dira plus tard que le bonheur est une idée neuve en Europe : Meslier signe l’acte de naissance de cette pensée forte » (Michel Onfray – Les Ultras des Lumières –Contre-histoire de la philosophie T4).

Avec La Mettrie (1709-1751), l’homme ne culmine plus au sommet de la création Dans la logi ue du monisme, vitaliste et dynami ue, il pulvérise la hiérarchisation chrétienne de la nature, ui part du minéral, passe au végétal, parvient l’animal et conclut avec l’humain au sommet de la pyramide Dans la nature, rien n’est supérieur ou inférieur, tout est égal (L’Homme-Machine – L’Homme-Plante et Les Animaux plus que Machines). Pour lui, le déterminisme est la loi et il enterre les fables chrétiennes du péché originel, de la faute et de la responsabilité collective de l’humanité.

Helvétius (1715-1771) considère la croyance en Dieu et en l’âme comme le résultat de notre incapacité à comprendre le fonctionnement de la nature. « Dans le salon d’Helvétius, se retrouvent tous les mardis à partir de quatorze heure, les grands noms de la philosophie du siècle, parmi lesquels : Buffon, l’inventeur du naturalisme français ; Raynal, abbé anticlérical et farouche anticolonialiste ; Morellet, écrivain, philosophe et collaborateur de L’Encyclopédie ; Diderot ; Condorcet, mathématicien spécialisé en statistique, mais aussi et surtout parangon de l’optimisme des

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Lumières et futur maître d’œuvre des réformes pédagogiques désirées par Helvétius (l’éducation populaire dirons-nous plus tard) ; David Hume et Adam Smith, considérés comme les plus importants penseurs des Lumières écossaises, ce dernier étant sans conteste le père des sciences économiques modernes et, en particulier le libéralisme économique ; Condillac, l’abbé sensualiste ; Beccaria, le théoricien de la suppression de la peine de mort ; Rousseau ; d’Holbach, l’athée radical… (Les ultras des Lumières – Contre-histoire de la philosophie T4, Michel Onfray) C’est l et chez ce dernier ue se construit la pensée des Lumières ui irradie l’Europe

Son livre De l’esprit est jugé impie, contraire aux bonnes mœurs, athée et matérialiste bien u’Helvétius était croyant sa façon, c’est dire en déiste considérant ue l’âme est « la capacité de sentir ». Sa définition de Dieu ? C’est « la cause encore inconnue de l’ordre et du mouvement » (dans De l’Homme 2,2). Helvétius transforme l’empirisme de Locke en matérialisme sensualiste. Il prétend que nous sommes uniquement ce que nous font les objets qui nous environnent. L'Être sensible prend ainsi conscience de ses besoins et recherche des moyens de les satisfaire. L'homme est le produit de son environnement et de son éducation.

Le sensualisme va plus loin que l’empirisme de Locke : il affirme non seulement u’il n’y a pas d’idées innées, mais u’il n'y a pas non plus de capacités mentales innées. Pour le sensualisme, sensation et connaissance sont coextensives, et toute connaissance, toute réflexion, tout jugement, tout acte d’imagination n’est, en dernière analyse, u’une sensation mémorisée, modifiée, associée ou comparée avec d’autres sensations.

Ainsi Helvétius affirme-t-il que « penser, c’est sentir ». Mais le représentant le plus influent du sensualisme, Condillac, propose une formulation complète et rigoureuse du sensualisme dans son Traité des sensations de 1754. Être, ce n'est pas « penser », comme l'affirmait Descartes ; mais « être, c'est avant tout sentir » :

« Toutes nos connaissances et facultés viennent des sens. »

« Les sens ont les uns sur les autres le même empire que l'imagination a sur nous. »

« Nous sommes toujours mûs par le plaisir et la douleur. » Condillac - Traité des sensations p285, 57 et 58

Les uestions u’aborde le sensualisme concernent les relations entre les sensations, les idées, les jugements et le langage « L'intellect de l'enfant ne travaille pas seul, mais, partout et toujours, en liaison intime avec son corps, et plus particulièrement avec son système nerveux et musculaire. »

Cette doctrine sera condamnée par le pape Pie X dans l’encycli ue Pascendi (1907), considérant que c'est une forme d’immanentisme. Pourtant, cette philosophie influencera la pédagogie Montessori ue l’on retrouve à la base des approches de la psychologie cognitive et des courants de

75 l’Éducation Nouvelle. Pour Maria Montessori, le corps a en effet une importance dans le développement intellectuel de l'enfant, ce qui peut être bénéfique notamment pour les enfants qui ont une mémoire kinésique.

C’est au sein de la Ligue Internationale de l’Éducation Nouvelle, que se croiseront Maria Montessori et les époux Freinet. Du brassage des idées et du partage des expériences ue cette association permet, en sortira l’école de Vence. La boucle est bouclée en ce domaine.

Les premiers naturistes

Le terme de « naturisme » apparaît pour la première fois en 1768, dans l’ouvrage intitulé « Recherches sur l’histoire de la médecine », du docteur Théophile de Bordeu. Il est ensuite utilisé en 1778 comme titre d’ouvrage, par le médecin belge Antoine Planchon, ui définit le naturisme comme associant les idées de santé et de nature : « Le naturisme, ou la Nature considérée dans les maladies et leur traitement conforme à la doctrine et à la pratique d'Hippocrate et de ses sectateurs ». Cette philosophie du soin repose principalement sur « la confiance dans une nature médicatrice [et réparatrice grâce à ses] agents naturels (air, eau, soleil) diététiques et de l'exercice physique ».

Il est ensuite utilisé dans la langue française, pour lequel, le Littré donne dans ses différentes éditions du XIXe siècle les définitions suivantes :

« Naturisme : Synonyme de naturalisme. Terme de philosophie. Système dans lequel la nature est considérée comme auteur d'elle-même. Terme de médecine. Système ou opinion de ceux qui attribuent tout à la nature médicatrice, comme souverainement sage et prévoyante » — Émile Littré (1873), Dictionnaire de la langue française.

Diderot (1713-1784) et D’Alembert (1717-1783) sont qualifiés de « naturistes qui, tout en admettant de loi morale qu’une certaine affection, une certaine chaleur muable et propre à la nature de chaque animal », par le camp adverse (Port-Royal - Tome deuxième p382 - De Charles Augustin Sainte-Beuve). Diderot explique que « l’indécent n’est pas le nu mais le troussé ».

En attendant, la société occidentale tend réclamer plus de libertés, ue ce soit dans les mœurs et dans la politi ue Ainsi, cela a conduit en France la Révolution en 1789 et avec elle, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen Le mouvement intellectuel des Lumières en est le précurseur, revendi uant la fin de la tyrannie du catholicisme, plus d’égalités sociales, tout cela sous une monarchie absolue de droit divin.

XI. LES TEMPS RÉVOLUTIONNAIRES Viennent ensuite les temps Révolutionnaires et l’avènement dans notre société d’une nouvelle culture de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, mar uée par une idée du bonheur ui renoue avec celle des philosophies hédonistes et eudémonistes de l’Anti uité grec ue Avec l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, qui proclame que : « Le but de la société est le bonheur commun », l’eudémonisme individuel devient collectif. « Le bonheur est une idée neuve en Europe » affirme Saint-Just en 1794.

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Nicolas de Condorcet (1743 – 1794) crée les bases de l’éducation populaire, avec l’idée ue « tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d'utiles vérités ; le genre humain n'en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves ».

Mais le libéralisme triomphant provoque tellement de dégâts, u’en réactions s’expriment de nouveaux modèles de société visant la protection des hommes et des femmes qui la font vivre. Le « socialisme utopique » apparaît avec Robert Owen (1771 – 1858) en Grande-Bretagne, Saint- Simon (1760 – 1825), Charles Fourier (1772 – 1837), Étienne Cabet(1788 – 1856) et Philippe Buchez (1796 – 1865) en France. Avec les débuts de l’ère industrielle et les dégâts ui en découlent, Charles Fourier invente l’écologie (dès 1822, dans Théorie de l’unité universelle III.105). Il met en perspective le nouveau mode de production et la mauvaise qualité des aliments, des boissons et autres produits, en particulier pour les citadins. La Civilisation détruit la planète, l’Harmonie la uelle il aspire rétablira l’é uilibre entre tous les constituants de la Nature Dans Le Nouveau Monde industriel, il parle explicitement de la « détérioration matérielle de la planète » et en liste les symptômes : « la température se vicie rapidement ; les excès climatériques deviennent habituels ; des régions voient disparaître leurs cultures ancestrales ; les saisons s’inversent ; l’hiver surgit au printemps, le printemps arrive en hiver ; la fin des forêts ; le tarissement des sources ; le déclenchement des ouragans… ». Fourier s’oppose également à « la morale répressive » u’impose l’Église, en criti uant les désirs, en atta uant le corps humain et en célébrant « l’amour du mépris de soi-même »…

John Stuart Mill (1806 – 1873) poursuit l’œuvre de Bentham en posant les bases d’un socialisme libéral « Mill pense que le bonheur individuel est d’abord affaire de volonté : pour en jouir, il faut un goût pour la vie, un amour de la vie, une envie de vie et une passion pour la vie » (Michel Onfray – L’Eudémonisme social – Contre-histoire de la philosophie t 5) Il est partisan d’un « hédonisme volontariste » (créer les conditions nécessaires) quand Bentham défendait un « hédonisme du laisser-faire » Mill plaide pour l’invention de nouvelles possibilités d’existence : chacun dispose d’un droit absolu à inventer sa vie, selon les modalités de son choix. Il revendique « l’idéal grec du développement personnel », « la plénitude de vie dans sa propre existence ». Il jette les bases d’un hygiénisme futur, en considérant ue l’on pourrait grandement faire reculer la maladie en activant un vaste projet de prophylaxie, de prévention, d’éducation et d’hygiène

XII. ANARCHISME ET COMMUNISME D’ASSEMBLEE Pour de nombreux théoriciens de l’anarchisme, l'esprit libertaire remonte aux origines de l’humanité À l'image des Inuits, des Pygmées, des Santals, des Tivs, des Piaroas ou des Mérinas, de nombreuses sociétés fonctionnent, parfois depuis des millénaires, sans autorité politique (État ou police) ou suivant des pratiques revendi uées par l'anarchisme comme l’autonomie, l’association volontaire, l’auto-organisation, l’aide mutuelle ou la démocratie directe.

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Les premières expressions d'une philosophie libertaire peuvent être trouvées dans le taoïsme et le Bouddhisme. Au taoïsme, l'anarchisme emprunte le principe de non-interférence avec les flux des choses et de la nature, un idéal collectiviste et une criti ue de l’État ; au bouddhisme, l’individualisme libertaire, la recherche de l'accomplissement personnel et le rejet de la propriété privée. Une forme d’individualisme libertaire est aussi identifiable dans certains courants de la Grèce Antique, en particulier dans les écrits épicuriens, cyniques et stoïciens. Les cyniques se distinguent par le rejet de peu ou prou toutes les conventions sociales de la cité grecque. Les anarchistes, particulièrement les individualistes, partagent cette vision du monde et cherchent à s'affranchir le plus possible de toute contrainte sociale, en tant qu'elles sont une entrave « à la libre expansion de l’être individuel » (E. Armand Petit Manuel anarchiste individualiste). Plus généralement, les anarchistes partagent avec les cyniques un esprit subversif et de révolte contre le pouvoir établi.

Plusieurs idées et tendances libertaires émergent dans les utopies françaises anglaises de la Renaissance et du siècle des Lumières. Pendant la Révolution française, le mouvement des Enragés s'oppose au principe jacobin du pouvoir de l’État et propose une forme de communisme. En France, en Allemagne, en Angleterre ou aux Etats-Unis, les idées anarchistes se diffusent par la défense de la liberté individuelle, les attaques contre l’État et la religion, les criti ues du libéralisme, et du socialisme Certains penseurs libertaires américains comme Henry David Thoreau, Ralph Waldo Emerson et Walt Whitman, préfigurent l’anarchisme contemporain de la contre-culture, de l’écologie, ou de la désobéissance civile

En France, les bases de l’anarchisme ayant été posées par Fourier, Proudhon, Bakounine et uel ues autres, la voie est alors ouverte ce u’Irène Pereira présente comme « l’Humanisme libertaire » avec Kropotkine et Élisée Reclus d’une part, et « l’Anarchisme individualiste » avec Ernest Armand (L'anarchisme dans les textes. Anthologie libertaire, Textuel, col. « Petite encyclopédie critique », 2011, 144 p., @ean : 9782845974098). Ces deux courants seront d’un apport considérable pour le naturisme d’aujourd’hui, car débouchant sur diverses expérimentations en Milieux Libres ou colonies libertaires.

L’anarcho-naturisme Celui-ci s’est développé très tôt sous l’influence d’Henry David Thoreau, Léon Tolstoï et l’anarchisme chrétien, et Élisée Reclus. Henry David Thoreau (1817-1862) était un philosophe, arpenteur, historien, poète et naturaliste américain Son œuvre majeure, Walden ou la Vie dans les bois, est une réflexion sur l’économie, la nature et la vie simple, menée en ermite l'écart de la société Ce livre aux innombrables répercutions avait été écrit lors d'une retraite dans une cabane qu'il s'était construite au bord d'un lac. Son essai La Désobéissance civile, qui témoigne d'une opposition personnelle face aux autorités esclavagistes de l'époque, sera une source d’inspiration pour Gandhi et le Pasteur Martin Luther King contre la ségrégation raciale Thoreau abhorre l’esclavage des noirs, ui démontre selon lui que le christianisme qui prévaut officiellement n'est que superstition, et que les politiciens ne sont pas motivés par des « lois élevées ». Il envisage une réforme morale de la société par la non-collaboration aux injustices des gouvernements.

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Sa pensée est très tôt une influence sur l'anarchisme vert, mais en mettant l'accent sur l'expérience individuelle du monde naturel, ce qui va aussi influencer le mouvement naturiste. Surnommé le poète-naturaliste par son ami William Ellery, Thoreau est fasciné par les phénomènes naturels et les formes de vie, notamment la botanique, et il consigne dans son journal, qui couvre plus d'une vingtaine d'années, ses observations détaillées et les sentiments personnels qu'elles font naître en lui. Il adoptait avec les années une approche de plus en plus systématique, scientifique et, celui qui était arpenteur à ses heures, a pu aussi inventer, la protection des forêts et l'écologie. L'amour et le respect de la nature qu'il transmet sont devenus, mesure ue son œuvre a été publiée et connue, une source d'inspiration constante pour des naturalistes amateurs et des écologistes ; tout autant que ses idées économiques et politiques intéressent des activistes sociaux et des adeptes de la simplicité volontaire. Pour certains, « cette attitude peut également être motivée par certaine idée de la résistance au progrès et du rejet du matérialisme croissant qui est la nature de la société américaine au milieu du 19ème siècle. »

Élisée Reclus (1830 -1905) - « L’homme est la nature prenant conscience d’elle-même » Pour cet homme politi ue français, issu d’une famille protestante, ancien Communard géographe et précurseur de la géopolitique, philosophe, le naturisme « était en même temps un moyen physique de revitalisation, un rapport avec le corps complètement différent de l'hypocrisie et les tabous qui prévalait à l'époque, d'une manière plus conviviale pour voir la vie en société, et une incitation à respecter la planète ». C’est sous son influence ue se développe en France le naturisme, avec en particulier les communautés libertaires « Il n’est pas douteux que la peau reprend de sa vitalité et de son activité naturelles quand elle est librement exposée à l’air, à la lumière, aux phénomènes changeants du dehors. La transpiration n’est plus gênée, les fonctions de l’organe rétablies ; il redevient plus souple et plus ferme à la fois ; il ne pâlit plus comme une plante isolée privée de jour »

(L’Homme et la Terre – 1905)

LA QUESTION DES VÊTEMENTS ET DE LA NUDITÉ « La question des vêtements et de la nudité est certainement celle qui a le plus d’importance à la fois au point de vue de la santé physique, de l’art et de la santé morale : aussi est-il nécessaire de préciser ce que l’on pense à cet égard, car le temps est venu de ne plus reculer devant aucune discussion. C’est là une conquête récente de la liberté humaine : il y a peu d’années on eût repoussé d’avance comme attentatoire à la morale toute proposition où la nécessité des vêtements eût pu être contestée. Sous l’influence de cette idée d’origine immémoriale, consacrée par la religion, indiscutée par la morale, on se laissait aller à croire dans la société actuelle, dite civilisée, que les convenances se trouvent chez les différents peuples en proportion directe avec les vêtements…

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… L’équilibre de la santé, le fonctionnement normal du corps ne peuvent se rétablir complètement, les maladies provenant des alternatives du froid et du chaud continueront de menacer l’individu civilisé aussi longtemps que la statue humaine ne sera pas « délivrée de ses linceuls », tant que l’homme ne sera pas redevenu « entièrement face », comme le disait un indigène de la côte du Chili. Mais, c’est au point de vue de la santé morale surtout que la restitution de la beauté nue serait nécessaire, car l’artifice du costume et de la parure est de ceux qui, par la sotte vanité, le servile esprit d’imitation et surtout par les mille ingéniosité de vice, entraînent le plus souvent à la corruption générale de la société... … n certain progrès s’est positivement accompli dans le sens de la liberté du costume et malgré tout on s’est quelque peu rapproché de l’hygiène. Mais la grande révolution esthétique et morale qui laissera au civilisé moderne le droit qu’avait le rec autrefois de se promener débarrassé de langes à la lumière du soleil, cette grande révolution est encore, parmi toutes les ambitions de l’homme moderne, celle qui paraît la plus difficile à réaliser ».

Extrait de L’homme et la terre, Librairie universelle, 1905, t 6, chap XI, p 485-491.

Élisée Reclus mettait aussi en garde, déjà, ses contemporains sur les enjeux écologiques : « Les développements de l’humanité se lient de la manière la plus intime avec la nature environnante. ne harmonie secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir… » « …Parmi les causes qui dans l’histoire de l’humanité ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des nations traitaient la terre nourricière ».

Du Sentiment de la nature dans les sociétés modernes,

La Revue des deux Mondes, n° 63, 15 mai 1866

Pour lui, l’homme doit trouver sa place dans la nature, sans la bouleverser : « Notre liberté, dans nos rapports avec la Terre, consiste à en reconnaître les lois pour y conformer notre existence ».

Témoin de la révolution industrielle, il a fois en le progrès mais s’en méfie Pour lui, le progrès, s’accompagne de « regrès », notamment des conséquences environnementales Il ne s’oppose pourtant pas aux grands aménagements du territoire condition u’ils répondent des critères moraux et sociaux : « C’est aux hommes de compléter l’œuvre de la nature en imitant dans leurs travaux quelques-uns des moyens qu’elle emploie ».

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Il est aussi très sensible la dimension esthéti ue de la nature et redoute l’uniformisation paysagère : « Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent ».

Ses préoccupations de développement durable sont indissociables de ces idéaux libertaires et anarchistes qui lui valent, avec sa participation à l’insurrection de la Commune, d’ tre mis au ban du monde universitaire Élisée Reclus est également un végétarien convaincu, il se définit comme « légumiste ». Élisée Reclus appelle de ses vœux une langue universelle qui ne viendrait pas se substituer aux langues maternelles mais qui serait une langue vraiment commune l’humanité entière Cette langue ne peut pas tre une langue ancienne : « à de nouveaux penseurs il faut un instrument nouveau. Nulle langue moderne ne convient non plus au rôle de véhicule universel de l’intelligence humaine ». En 1897, il cite l’Espéranto en exemple et se réjouit du fait que dix ans seulement après son invention, il réunisse déjà quelque 120 000 locuteurs.

Ernest JUIN, dit E. ARMAND (1872-1963) LE NUDISME RÉVOLUTIONNAIRE « Qu'on considère le nudisme comme "une sorte de sport, où les individus se mettent nus en groupe pour prendre un bain d'air et de lumière comme on prendrait un bain de mer" (Dr Toulouse), c'est-à-dire à un point de vue purement thérapeutique; qu'on l'envisage, comme c'est le cas pour les gymnosmystique (gymnos en grec signifie « nu » ), comme un retour à un état édénique, comme replaçant l'homme dans un état d'innocence primitif et "naturel", thèse des adamites d'autrefois, - ce sont deux points de vue qui laissent place à un troisième qui est le nôtre, c'est que le nudisme est, individuellement et collectivement, un moyen d'émancipation des plus puissants . Il nous apparaît comme tout autre chose qu'un exercice hygiénique relevant de la culture physique ou un renouveau "naturiste". Le nudisme est, pour nous, une revendication d'ordre révolutionnaire. Révolutionnaire sous un triple aspect d'affirmation, de protestation, de libération. Affirmation : Revendiquer la faculté de vivre nu, de se mettre nu, de déambuler nu, de s'associer entre nudistes, sans avoir d'autre souci, en découvrant son corps, que celui des possibilités de résistance à la température, c'est affirmer son droit à l'entière disposition de son individualité corporelle. C'est proclamer son insouciance des conventions, des morales, des commandements religieux, des lois sociales qui nient à l'humanité, sous des prétextes divers, de disposer des différentes parties de son être corporel comme il l'entend. Contre les institutions sociétaires et religieuses que l'usage ou l'usure du corps humain est subordonné à la volonté du législateur ou du prêtre, la revendication nudiste est l'une des manifestations la plus profonde et la plus consciente de la liberté individuelle. Protestation : Revendiquer et pratiquer la liberté de l'anudation est, en effet, protester contre tout dogme, loi ou coutume établissant une hiérarchie des parties corporelles, qui considère par exemple que l'exhibition du visage, des mains, des bras, de la gorge est plus décente, plus

81 morale, plus respectable que la mise à nu des fesses, des seins, du ventre ou de la région pubienne; c'est protester contre la classification en nobles et en ignobles des différentes parties du corps : le nez étant considéré comme noble et le membre viril comme ignoble, par exemple. C'est protester, dans un sens plus élevé, contre toute intervention (d'ordre légal ou autre ) qui nous oblige à nous vêtir, parce que cela plaît à autrui, alors qu'il n'est jamais entré dans nos intentions d'objecter à ce qu'autrui ne se dévête pas, s'il y trouve davantage son compte. Libération : Libération du port du vêtement ou plutôt de la contrainte de porter un costume qui n'a jamais été et ne peut être qu'un déguisement hypocrite puisque reportant l'importance sur ce qui couvre le corps - donc sur l'accessoire - et non sur le corps lui-même, dont la culture cependant constitue l'essentiel. Libération d'une des principales notions sur lesquelles se fondent les idées de "permis" et de défendu, de "bien" et de "mal". Libération de la coquetterie, du conformisme à un étalon artificiel d'apparence extérieure qui maintient la différenciation des classes. Qu'on s'imagine nu le général, l'évêque, l'ambassadeur, l'académicien, le garde-chiourme, le garde-chasse ? Que resterait-il de leur prestige, de leur délégation d'autorité ? Les dirigeants le savent bien et ce n'est pas un de leurs moindres motifs d'hostilité au nudisme. Délivrance du préjugé de la pudeur, qui n'est autre que "la honte de son corps". Délivrance de l'obsession de l'obscénité, actuellement provoquée par la mise à découvert des parties corporelles que le tartufisme social prescrit à tenir cachées - affranchissement des réserves et des retenues impliquées par cette idée fixe. Nous allons plus loin. Nous maintenons, en nous plaçant au point de vue sociabilité que la pratique de l'anudation est un facteur de meilleure camaraderie, de camaraderie moins étriquée. On ne saurait nier que nous est une, un camarade moins distant, plus intime, plus confiant, non seulement celle ou celui qui se fait connaître à nous sans arrière-pensée intellectuelle ou éthique, par exemple, mais encore sans aucune dissimulation corporelle. Les détracteurs du nudisme - les moralistes ou hygiénistes conservateurs d'État ou d'Église - prétendent que la vue du nu, que la fréquentation entre nudistes des deux sexes exaltent le désir érotique. Cela n'est pas toujours exact. Cependant, contrairement à la plupart des théories gymnistes - chez lesquelles l'opportunisme ou la crainte des persécutions est le commencement de la sagesse, - nous ne le nions pas, mais nous maintenons que l'exaltation érotique engendrée par les réalisations nudistes est pure, naturelle, instinctive et ne peut être comparée à l'excitation factice suscitée par le demi-nu, le déshabillé galant et tous les artifices de toilette auxquels a recours le milieu vêtu, mi-vêtu ou court- vêtu où nous évoluons. » L'Encyclopédie anarchiste 1934 Texte extrait de l’étude « Communautés, naturiens, végétariens, végétaliens, crudivégétariens dans le mouvement anarchiste français » (1895- 1938).

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Émile Gravelle (1855-1920) était anarchiste individualiste et naturiste militant, écrivain et peintre. Il a notamment publié la revue L'État Naturel (1894-1898), Le Sauvage (1898-1899), L'Ordre naturel (1905) et La Vie Naturelle (1907-1914). Ses idées étaient importantes dans les milieux anarchistes individualistes en France, ainsi u’en Espagne, où Federico Urales (pseudonyme de Joan Montseny) fait la promotion des idées de Gravelle et Zisly dans La Revista Blanca (1898-1905).

Henri Zisly (1872-1945) vise principalement à soutenir un retour à la « vie naturelle » par l'écriture et l'implication pratique. Il a suscité beaucoup de vives controverses à l'intérieur comme en dehors du milieu anarchiste. Zisly critique vivement le progrès et la civilisation, qu'il considère comme « absurde, ignoble et sale ». Il a ouvertement opposé l'industrialisation, en faisant valoir que les machines étaient intrinsèquement autoritaires, défendu le nudisme, prôné une adhésion non dogmatique et non-religieuse aux « lois de la nature », a recommandé un mode de vie en fonction des besoins limités et l'autosuffisance, et étaient en désaccord avec le végétarisme, qu'il considérait comme «anti-scientifique. »

Henri Baylie (1870-1944), communiste libertaire et naturien, antimilitariste, est quant à lui le cofondateur avec Henri Zisly et Émile Gravelle de la revue mensuelle du mouvement naturien : La Nouvelle Humanité. Il est de ceux qui, avec Georges Butaud et Sophia Zaïkowska, Henri Zisly, Émile Armand, Marie Kugel, Henri Prost, Georges Deherme et Paraf Javal, fondent le premier milieu libre anarchiste en France. Le projet se réalise en 1902, à Vaux, un hameau de la commune d'Essômes-sur-Marne, dans l'Aisne, à quelques kilomètres de Château-Thierry.

La Clairière de Vaux ou Milieu Libre de Vaux Une Société pour la création et le développement d'un milieu libre en France est créée et animée notamment par les promoteurs du projet, avec en plus Élisée Reclus, Jehan Rictus, Lucien Descaves et Émile Armand. Le but unique de l'association est de « tenter une expérience de communisme libre ». Des conférences sont organisées, des encarts publiés dans la presse libertaire afin d’en promouvoir la création. Le principe central en est « Chacun produira selon ses forces. Chacun consommera selon ses besoins ». Ce groupe est pluraliste. On y retrouve des libertaires, des anarchistes individualistes, des naturiens et des communistes. Ils seront environ 250 sociétaires à la fin de 1902 et 400 en 1903. Mais en 1905 il n'y a plus que sept « colons » : quatre hommes, deux femmes et un enfant, jus u’en février 1907, date de son autodissolution À la fin de l'expérience, Le Libertaire essaie d'en dresser le bilan et met en avant le rôle déterminant des discordes : « L'intolérance et l'autoritarisme sont les principaux facteurs de discorde et de désunion. C'est l'esprit bourgeois qui subsiste jusque dans le Milieu Libre, le sale état d'âme consistant à critiquer ce que fait le voisin, à mesurer son effort, à peser son travail et à discuter sur la somme d'activité de pensée ». La conclusion est sans appel

83 selon le journal : « Dès qu'on oublie la formule De chacun selon ses forces on retombe forcément dans le plus sale patronat ou dans le plus puant collectivisme ». Pour H. Zisly dans Le Libertaire du 24 février 1907, la fin de l'expérience est marquée « par l’incohérence, le parasitisme, parfois l’imbécilité … ». Après cet échec, G. Butaud mène une nouvelle tentative (la troisième) en 1911, à 800 mètres de Vaux : La colonie naturiste et végétalienne de Bascon.

Colonie de Bascon

Élisée Reclus, avait pourtant mis en garde contre ces « îlots libertaires » voués, selon lui, l’échec car, dans la société, « tout s’enchaîne » et « il est impossible à toute tentative, si isolée soit-elle, de se soustraire complètement à sa funeste action » (La Révolte, 4 mars 1893).

L’ANARCHISME CHRÉTIEN

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Certains éléments libertaires du Christianisme ont influencé le développement de l’anarchisme, en particulier l’anarchisme chrétien (Esseniens, Gnostiques, Hussites ou anabaptistes), dont Léon Tolstoï en est le principal représentant, avec des conceptions proches de celles de Bakounine. Il sera d’ailleurs un des principaux défenseurs des Doukhobors Les Doukhobors ou Douchoboris apparaissent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle chez les « paysans d’État » du Gouvernement de Voronej et sont cités pour la première fois en 1785 par l'archev ue orthodoxe russe Ambrosii Ils ne sont pas sans nous rappeler, d’ailleurs, les Adamiens du IIe et Adamites du XIVe siècle, issus du mouvement du Libre-Esprit. Doukhobors signifie lutteurs de l'esprit en russe. Les doukhobors rejettent le gouvernement des hommes, le clergé, les icônes, tous les rituels ecclésiastiques, les écrits bibliques autres que les quatre Évangiles et le caractère divin de Jésus. Ils sont persuadés que nul n'a besoin d'intermédiaire entre Dieu et l'homme, car chaque homme porte en lui un morceau de divinité. Ils sont d'ardents pacifistes, ce ui leur valut double titre, religieux et politi ue, une dure répression dans l’Empire russe et plus encore en Union soviétique, subissant tortures, déportation et privations de liberté. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les doukhobors quittèrent la Russie en masse. La plupart trouvèrent refuge aux frontières de l’Empire russe, et en particulier en Géorgie, dans la région inhospitalière de la Samtskhé-Djavakhétie, la frontière de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan À la fin du XIXe siècle, une partie d'entre eux choisirent le Canada comme pays d'immigration, pour son isolement et son caractère pacifique, et parce que ce pays était disposé à les accueillir. Ils s'y installèrent en 1889.

Doukhobors « manifestant nus pour le Christ », au Canada, en 1903. Leur voyage de Batoumi (Géorgie) vers l’Améri ue fut payé par des Quakers, par des tolstoïens sous l'action de Vladimir Tchertkov qui avaient pitié de leurs malheurs, et par le romancier Léon Tolstoï (1828 – 1910) lui-même, qui fit abandon des droits d'auteur de Résurrection pour alimenter le fonds de leur émigration. Il collecta également de l'argent auprès d'amis aisés. Au Canada, les doukhobors établirent un mode de vie communautaire semblable à celui des Huttérites et, n'étant pas réprimés, ont aujourd'hui environ 30 000 descendants et convertis. En revanche,

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après sept décennies de répression, la communauté connue en Géorgie ne compte plus qu'environ 500 personnes, vivant simplement de l'agriculture comme à ses origines, en traitant de manière égale hommes, femmes et enfants. Kropotkine s’intéresse aux immigrants Doukhobors installés au Canada et les étudie, lors de son voyage en Sakatchewan la fin du XIXe siècle. Il va observer dans cette communauté leur style particulier d'auto-détermination locale (self-government) et d'agriculture. Dans « Journal canadien » et « Le Canada et les Canadiens » il se fait écho de leur mode de vie de style anarchiste.

XIII. LEBENSREFORM ET HYGIÉNISME En parallèle à tous ces mouvements révolutionnaires apparait en Allemagne, la Lebensreform (la réforme de la vie en allemand). Ce terme désigne un mouvement ui influença de nombreuses communautés jus u’au milieu du XXe siècle, en Allemagne et en Suisse Ce courant philosophique était particulièrement criti ue vis vis de l’urbanisation et de l’industrialisation Son slogan était « retour à la nature ». La Naturphilosophie Fortement marquée par la pensée de Spinoza, la Naturphilosophie se veut une « science spéculative », capable d'aller et venir entre la natura naturata (« nature naturée ») et la natura naturans (« nature naturante »). Selon Gœthe, précurseur de cette approche, la nature est travaillée par une force vivifiante et rajeunissante dans laquelle se retrempent tous les êtres ; cette force « schellingienne », de nature quasi-divine, rapproche la Naturphilosophie de la doctrine panthéiste. Dans la perspective schellingienne, la « Nature naturante » est moins un objet d'étude pour le philosophe, que le véritable sujet d'un procès dynamique se développant et se réfléchissant lui-même à travers les objets naturels. Cette interprétation de la nature s'oppose à celle de Hegel, qui est étranger à l'idée d'un monde conçu comme un « Tout », le Tout représentant pour lui l'œuvre divine par excellence

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Schelling vers 1800 Tout le projet de Schelling fut de tenter une réconciliation entre le kantisme et la pensée de Fichte avec celle de Spinoza, c'est-à-dire de dévoiler les deux faces de l’Absolu que sont l'esprit et la nature. La Naturphilosophie est également liée au projet esthétique du romantisme allemand, de chercher dans la nature ce qui la rapproche de l'art et vice versa.

Dans une synthèse originale, il conçoit la nature, cet « être total », comme traversée par une dynamique de forces originaires commandant l'ensemble de ses métamorphoses et encadrée par des polarités. Schelling y voit une puissance intégratrice telle qu'elle en vient à constituer, au- del m me de son œuvre, « l'un des principaux programmes de recherche de la philosophie et de la science allemande entre 1790 et 1820 ».

La Lebensreform À l’instar du mouvement hippie des années 1960 aux Etats-Unis, dont elle apparait comme un précurseur (notamment via la traduction du Retour à la nature d’ -1896), elle n’était pas particulièrement organisé. L'idée centrale était qu'un mode de vie plus proche de la nature était plus sain que celui de la société industrielle. À partir de cette base commune, un grand nombre de traditions, de pratiques et d'idéologies se sont développées, touchant à des domaines extrêmement divers et sans réel souci de cohérence. Parmi les grands théoriciens du mouvement, outre la

87 reprise de la tradition Goethienne, de la Naturphilosophie on retrouve des auteurs comme Adolf Just, , Rudolf Steiner (ainsi que d’autres auteurs issus de la Théosophie), Karl Wilhelm Diefenbach, Hugo Höppener, ou encore Gustav Graser

L'alimentation était un élément important de la Lebensreform et elle a contribué à la diffusion précoce du végétarisme en Allemagne L’agriculture biodynamique de Rudolf Steiner, apparue un peu plus tard, s'inscrit également dans ce courant, ainsi que les autres pratiques du philosophe et pédagogue autrichien. Enfin, le nudisme et la pratique du yoga, sont également associés à la Lebensreform.

Les concepts décrits par n'ont pas mis longtemps avant d'être mis en pratique. Au début du XXe siècle, les Wandervogel – « oiseaux migrateurs » (mouvement de jeunesse allemand créé par Karl Fischer, comprenant 25 000 membres en 1914), répandent en premier ce concept de retour à la nature par la nudité. Ils prennent pour habitude lors de leurs excursions en pleine nature de se dévêtir entièrement pour profiter d'un bain rafraîchissant au bord d'un lac ou d'une rivière Ils prati ueront rapidement d’autres activités nus, telles ue la gymnastique en tenue gymni ue Il s'agit l bien plus ue d’une simple nudité : ces jeunes hommes et femmes cherchent fuir l’enfer des villes, sa pollution et ses excès, souhaitent vivre plus sainement et adoptent le sport et la danse en liberté.

Dans le m me temps, les médecins hygiénistes utilisaient l’héliothérapie, l'exposition la lumière du soleil, pour traiter des maladies telles que la tuberculose, les rhumatismes, et la scrofule.

Des hygiénistes « non-médecins » reprennent la croyance dans la capacité de l'organisme à se guérir lorsqu'il est soumis à des éléments naturels, en particulier l'eau froide. Ces « guérisseurs » que sont (1799-1851) et le prêtre (1821-1897) fondent la cure d'eau : hygiène de vie très stricte avec sudation, bain froid, douche, enveloppements humides, bains de siège et de jambes. Cette démarche réinvente les principes du thermalisme gréco-romain, ui s’étaient développés sous l’influence des concepts hippocrati ues et des sports anti ues jus u’ ce ue les thermes soient purement et simplement interdits au Moyen-âge pour des uestions de morale, par l’Église chrétienne ui devient religion d’état partir du règne de l’Empereur Constentin 1er (271 -337).

Les adeptes de ces traitements se rassemblent dans les années 1830 dans des sociétés appelées naturheilvereine, qui représentent un courant de médecine naturelle opposé à la médecine médicamenteuse et aux modes de vie moderne. Ces sociétés connaissent un vif succès commercial. En 1888, « l'Union des sociétés allemandes pour une manière de vivre et se soigner conformément à la nature » est créée.

À partir de 1902, des magazines paraissent régulièrement avec pour thème la culture naturiste comme le mensuel allemand Die Schönheit (« La Beauté ») où travaillent des artistes réputés comme Walter Helfenbein. La photographie connaît également un renouveau dans le domaine du nu où les corps sont photographiés en pleine nature, simplement et sans aucun érotisme.

En 1903, le sociologue hygiéniste Heinrich Pudor invente le terme allemand « Nacktkultur » (traduisible en français par : culture du nu), afin de lutter contre la confusion entre la nudité et la pornographie Il édite également l’une des premières publications prôner les bienfaits de la nudité sociale Selon lui, l’homme a perdu le corps de vue et s’en trouve affaibli Heinrich Pudor effectue parallèlement un combat contre la mode des

88 corsets, démontrant ses dangers sur le corps féminin S’ensuit la création de nouveaux types de v tements féminins, plus amples, dits « réformistes », que les femmes confectionnaient souvent elles-mêmes.

À Lubeck, on assiste à la création du premier centre gymnique, le Freilichtpark (parc de plein air) par Paul Zimmermann (qui fonctionnera jusqu'en 1981). Ces espaces consacrés à la pratique de la nudité collective se développent beaucoup, la plupart du temps de manière associative.

De nombreux éléments de la lebensreform ont ainsi survécu à la chute du nazisme, et sont aujourd'hui encore caractéristiques de la culture allemande, notamment bavaroise : naturisme, véganisme, ou encore le recours aux médecines « naturelles », comme l’homéopathie, ou la naturopathie (le diplôme d’État allemand fut créé en 1939)

Le mouvement hygiéniste en France Au début du XIXe siècle, en France, la médecine naturiste et vitaliste de Théophile de Bordeu est en déclin, en partie à cause de l'influence croissante de l'École de Paris qui fonde la médecine moderne.

Les pratiques hydrothérapiques allemandes viennent enrichir les traitements déjà existant dans les stations thermales et balnéaires. Des médecins français se regroupent pour défendre et développer les thèses naturistes (création de l'Institut Kneipp à Lyon, en 1891). Aux cures d'eau initiales, s'ajoutent les cures d'air et de soleil entraînant une dénudation plus importante, ainsi qu'un régime alimentaire à dominante végétarienne.

Le naturisme, en tant que mouvement hygiéniste, se diffuse alors à d'autres secteurs sociaux, comme l'école, l'éducation physique et les sports, dans les milieux anarchistes, libertaires ou végétariens comme on l’a vu.

Au début du XIXe siècle, on peut donc distinguer un naturisme allemand échappant en partie à la médecine officielle et un naturisme français le plus souvent contrôlé par des médecins de tradition hippocratique.

Il faudra attendre le siècle suivant pour que soit mis en avant une certaine éthique et une hygiène de vie à travers la « pratique des bains d’air, d’eau et de soleil pris dévêtus, l’exercice physique en plein air, une alimentation végétarienne et une médecine sans médicaments chimiques ».

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La Croix, 29.08.1929 XIV. FRIEDRICH WILHEM NIETZSCHE (1844-1900) - « Être libre, c’est vivre nu et sans honte ».

Arrive enfin notre époque qui pense la libération humaine avec l’existentialisme nietzschéen et se poursuit avec le mouvement de la Contre- culture hippie des années 60.

La conception protestante du rapport la nudité est reprise par le philosophe prussien, père de l’existentialisme, en la débarrassant… de toute considération spirituelle et religieuse : « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! », proclame-t-il dans Le Gai Savoir et dans Ainsi parlait Zarathoustra.

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La théorie nietzschéenne de la mort de Dieu s'inscrit à la fin du XIXe siècle, suite à la Révolution industrielle, donc après que les humains eurent considérablement transformé leurs milieux de vie (urbanisation massive, développement de la machine, bureaucratie, etc.). Marqués par les théories de Saint-Simon, Comte et Renan, beaucoup célèbrent le « progrès ». Or Nietzsche lui-même critique l'idée de progrès, la qualifiant d'idée fausse : « L’humanité ne représente nullement une évolution vers le mieux, vers quelque chose de plus fort, de plus élevé au sens où on le croit aujourd’hui. Le progrès n’est qu’une idée moderne, c’est-à-dire une idée fausse. L’Européen d’aujourd’hui reste, en valeur, bien au-dessous de l’Européen de la Renaissance ; le fait de poursuivre son évolution n’a absolument pas comme conséquence nécessaire l’élévation, l’accroissement, le renforcement. » — L'Antéchrist. Trad. Jean-Jacques Pauvert, 1967, p.79 Avec l’Existentialisme, l’ tre humain prend en main sa destinée et forme l’essence de sa vie par ses propres actions, celles-ci n’étant pas prédéterminées par des doctrines théologi ues, philosophi ues ou morales L’existentialisme considère cha ue personne comme un être unique, maître de ses actes et des valeurs u’il décide d’adopter Le projet nietzschéen de réévaluation embrasse donc une partie criti ue, omniprésente dans son œuvre, ui doit conduire la destruction des valeurs de l’idéalisme platonicien et chrétien ui font obstacle l'épanouissement créateur de l'homme et ui, selon Nietzsche, menacent de conduire l’Humanité au dernier homme Nietzsche pense que tous les idéaux, qu'ils soient religieux, philosophiques ou politiques, ont la même finalité, celle d'inventer un au-delà meilleur que l'ici-bas et d'imaginer des valeurs « transcendantes ». Nier le vrai réel au nom de fausses réalités au lieu de l'assumer et de le vivre tel qu'il est, c'est cela que Nietzsche nomme le « Nihilisme ». D’après lui, au principe de toute vie, se trouve la volonté de puissance, c’est-à-dire, au delà d'un élan désirant « persévérer dans son être » comme le pensait Baruch Spinoza (dans L’Éthique), ou la nécessité aveugle du « vouloir-vivre » de Schopenhauer (dans Le monde comme Volonté et comme Représentation), une pulsion, une force, qui veut indéfiniment augmenter sa puissance. Renverser les valeurs préalablement inversées, c’est très précisément remplacer les valeurs de mort par des valeurs de vie Se dessaisir des valeurs qui nous entravent, qui nous affaiblissent, qui nous détruisent en supprimant la vénération des idoles (des idéaux), en devenant soi-même créateur de valeurs, en inventant des formes nouvelles, en développant notre côté artiste. Au fond, la question que nous pose Nietzsche est : « avez-vous essayé toutes les possibilités qui accroissent votre puissance de vie ? ». Selon Max Leroy, ce u’il y a de commun entre la pensée de F W NIETZSHE et celle des anarchistes, peut se résumer aux sept points suivants : . Le réalisme opposé l’idéalisme : Pour Nietzsche comme pour les anarchistes, le monde n’est constitué que de matières. Le rapport aux choses est uni uement celui de l’immanence, la transcendance n’étant u’une manufacture d’idoles abstraites et nébuleuses

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. « Ni Dieu… Ni maîtres » : Les libertaires parlent ainsi d’un instrument de domination se prévalant du peuple pour mieux s’en jouer . L’anticapitalisme : il ne faut pas s’emparer du système mais en sortir, ou en recréer un . La vie modeste : se dépouiller de biens matériels, vivre en solitaire…Le malaise est le m me face au consumérisme et libéralisme économique émergents . La vitalité : « Le grand enseignement nietzschéen réside dans l’amour de la vie : trop d’existences renâclent vivre » S’il réhabilite les jouissances du corps contre « l’idéal ascétique », cet élan vital diffère des célébrations mondaines ou de l’hédonisme consumériste . « Poétiser l’existence » : nietzschéens et anarchistes, ont ceci d’actuel et d’optimiste u’ils rappellent « [qu’]il faut encore porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. »

XV. RÉVOLUTION RUSSE & NUDISTES RADICAUX Lorsque Lénine prend le pouvoir en octobre 1917, les idéaux sont grands, les rêves sont fous et le chemin qui mène à la libération sexuelle est encore long. La révolution promet la libération de l'homme, et elle passe par celle de la femme. Le leader de la révolution bolchévique a cependant été devancé : quelques mois auparavant, peu après la révolution de Février, le gouvernement provisoire a déjà fait inscrire dans le règlement électoral, le 20 juillet 1917, « le suffrage universel, sans distinction de sexes ». Les femmes soviétiques peuvent enfin voter et ce, trois ans avant les Américaines et vingt-sept ans avant les Françaises !

"Ouvrières, prenez les armes!"

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Les bolchéviques et Lénine en tête continuent sur cette lancée, adoptant coup sur coup, les 19 et 20 décembre 1917, deux décrets sur « le divorce » et « l'union civile, les enfants, et l'inscription à l'état civil ». Il s'agit ici de révolutionner le concept de la famille nucléaire et d'affranchir les femmes de « l'esclavage de la cuisine », selon les termes employés à l'époque. En 1920, c'est enfin l'avortement qui est légalisé. Toutes ces réformes offrent ainsi de nouvelles perspectives à une frange de la population en quête de liberté. 1922, sur la place Centrale de Krasnodar (ville du sud de la Russie). Un orateur qui se trouve être aussi nu qu'un ver s'est pressé à la tribune. L'homme a pour seul apparat un ruban portant l'inscription « À bas la honte ». Il hurle avec force conviction à quelques passants interloqués : « Nous, Communards, n'avons pas besoin de vêtements qui couvrent la beauté du corps ! Nous sommes les enfants du soleil et de l'air ! ». Les Soviétiques découvrent le mouvement « A bas la honte », mouvement dont le grand poète futuriste et constructiviste, Vladimir Maïakovski, est un ardent militant. Sa philosophie peut se résumer ainsi : « les vêtements sont de caractère bourgeois puisque l'homme descend du singe. En effet, les animaux ne portent pas de vêtements. Donc les hommes ne devraient pas en porter non plus ». Pour étayer leurs arguments, ces nudistes radicaux se réunissent régulièrement à travers le pays dans le plus simple appareil. À la tête du mouvement, Karl Radek, un proche de Lénine, organise au début des années 1920 des manifestations un peu partout en Russie, dont l’une a réuni pas moins de 10 000 personnes Alexandre Trouchnovitch, un monarchiste, s’est rappelé l’un de ces rassemblements : « À bas les Philistins ! À bas les prêtres trompeurs ! Nous n’avons pas besoin de vêtements, nous sommes des enfants du Soleil et de l’air ! s’écriait un porte-parole nudiste depuis une estrade sur la principale place de Krasnodar [Sud de la Russie]. En passant par cette place dans la soirée, j’ai vu l’estrade démontée … et quelqu’un tabassant l’enfant du Soleil et de l’air ». Lénine lui-même considérait le nudisme comme un « puissant principe prolétaire ». Ces réunions totalement nues sont perçues, dans l'historiographie soviétique, comme la suite logique de la déconstruction de la société bourgeoise. Alors que la religion est mise au ban, que l'homosexualité est dépénalisée ou encore que la masculinité est questionnée, le mouvement a pour but d'assurer l'égalité totale des sexes en débarrassant l'être humain du sentiment de honte à l'égard de sa propre nudité.

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L’attitude détendue l’égard de la nudité a par ailleurs été l’une des caractéristi ues de cette période : sur les berges de la Moskova, près de la cathédrale du Christ-Sauveur, une plage nudiste a vu le jour, une d’un genre dont les Européens de l’Ouest n’aurait alors pas m me pu rêver à la même époque. Après la mort de Lénine (21 janvier 1924), changement radical d’atmosphère : la monogamie est obligatoire, le sexe avant le mariage officiellement proscrit Staline interdit l’avortement, l’adultère, l’homosexualité, la masturbation. En 1925, « A bas la honte » sera interdit par les autorités soviétiques sous prétexte que les réunions troublent l'ordre public. Staline prit des mesures pour interdire le nudisme et la pornographie. Désormais, les corps doivent être au service du travail, du sport et de l’édification du communisme… La société Soviétique restera assez conservatrice pour le reste de son existence. Après l'effondrement de l'Union Soviétique en 1991, le climat social s'est libéré, permettant l'apparition de clubs et de plages naturistes en Russie.

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XVI. COMMUNISME & NATURISME EN FRANCE Maurice FUSZKA : brochure « Communisme et naturisme » - 1932 De l’Éducation Populaire à l’École Moderne des époux Freinet

XVII. MOUVEMENTS D’ÉMANCIPATION ET NATURISME Féminisme Mouvement LGBT+

XVIII. CONTRE-CULTURE ET RÉVOLUTION DES MŒURS Le mouvement Hippie Fiche Wikipédia Diogène de Sinope, le premier véritable Cynique, est parfois présenté comme un précurseur de la philosophie hippie. Même si le phénomène hippie à proprement parler naît véritablement aux États-Unis au début des années 1960, il existe des similitudes avec les philosophes cyniques, tel le Grec Diogène de Sinope, au ive siècle av. J.-C.13. Le mouvement hippie a également des racines communes avec l'amour libre du mazdakisme iranien du vie siècle14 et on pourrait également citer Jean-Jacques Rousseau parmi ceux qui l'influencèrent15. Mais les prémices les plus claires se manifestent au XIXe siècle. La Désobéissance civile (1849), œuvre de Henry David Thoreau théorisant un radicalisme qui refuse l'autorité de l'État, deviendra une référence pour les pacifistes des années 1960. Plus tard, en 1854, il publiera Walden ou la Vie dans les bois, un pamphlet contre le monde occidental, que la pensée écologiste moderne voit comme le roman du retour à la nature et de la conscience environnementale. Les milieux de la contre-culture deviendront d’avides lecteurs de Thoreau. En Allemagne, dès 1896, la Lebensreform, inspirée du paganisme ancien, avec les wandervogel et les naturmensch, précédait les hippies de plusieurs décennies. Adolf Just ouvrit son premier centre en 1896 dans les montagnes du Harz et publia son livre best-seller intitulé Retourner à la nature !, qui devint le modèle des « enfants de la nature » la même année17 Les photographies de l’épo ue, si elles n’étaient pas en noir et blanc,

95 pourraient ainsi donner l’impression d’avoir été prises dans une communauté hippie des années 1960 aux États-Unis18. Un immigrant allemand, Bill Pester, s'installa en 1906 à Palm Canyon en Californie dans une hutte pour vivre un mode de vie en tout point identique à celui qui allait surgir au sein de la société américaine soixante ans plus tard18. Un autre Allemand, Maximillian Sikinger, s'installa à Santa Monica Mountains à partir de 1935 pour inspirer les Américains à devenir des « nature boys » (des « garçons de la nature ») et fut très actif au sein du mouvement hippie des années 1960. Les précurseurs directs dans les années 1950 sont les membres du mouvement littéraire de la Beat generation, dont les figures emblématiques William Burroughs, Allen Ginsberg et Jack Kerouac furent des références pour le mouvement hippie. Le mouvement hippie est considéré par l'historien de l'anarchisme Ronald Creagh comme la dernière résurgence spectaculaire du socialisme utopique19, qui se caractérise par une volonté de transformation de la société non pas à travers une révolution politique, ni sur une action réformiste impulsée par l'État, mais sur la création d'une contre-société socialiste au sein même du système, en mettant en place des communautés idéales plus ou moins libertaires. Cette filiation est par ailleurs revendiquée par certains d'entre euxa 1,a 2, comme les Diggers de San Francisco dont le nom est une référence à un collectif de squatteurs du xviie siècle. Révolutions de 1968 En France, les situationnistes prônaient l'autogestion et la révolution de la vie quotidienne, projet libertaire et hédoniste résumé par ce slogan : « Vivre sans temps mort et jouir sans entraves ». Contre-culture hippie . Refus de l'autorité . Pacifisme : « peace and love » . Communautés . Retour à la nature : Après les premières manifestations pacifiques contre la pollution en 1968 à San Francisco, et leur répression, de nombreux hippies rejoignirent des communautés ruralesa 12. Ce retour à la terre amenait l'idée d'un plus grand respect de la planète incluant produits bios, utilisation d'énergies renouvelables et recyclage64. Le Whole Earth Catalog, un guide créé par Stewart Brand, un des Merry Pranksters, décrivait les techniques pour tout faire soi- même, en privilégiant la récupération et les moyens non polluants ; il fut ensuite repris en français sous le nom de Catalogue des Ressources65. Selon Timothy Leary, les hippies sont à l'origine du mouvement écologique dans le monde66. Dans la filiation de l'hypothèse Gaïa, formulée par James Lovelock à cette période où les premières craintes pour l'environnement commençaient à s'exprimer67, se sont bâties des croyances écologistes mystiques, nommées les « théories Gaïa » par Lynn Margulis.

. Société humaine et de son rapport à la nature

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Le « mouvement hippie », bien que peu structuré, portait en lui les germes d'un bouleversement du mode de vie des années d'après- guerre qui arrivait, à la fin des Trente Glorieuses, à un essoufflement particulièrement perceptible par la jeunesse. Dans différents domaines, des idées nouvelles perçaient comme l'autogestion, l'écologie et le rejet, attitude rarement affichée à cette époque aux États- Unis, des religions traditionnelles. Il est difficile de déterminer précisément quelle influence peut être exclusivement attribuée aux hippies, mais ils sont, entre autres, crédités de l'émergence des communautés écologiques et des coopératives78. Le collectif « Don't make a wave », qui est devenu ensuite Greenpeace, a été fondé par des hippies à en 1971108 et les écovillages peuvent être vus comme l'aboutissement de certaines de leurs propositions109. Plus récemment, les adeptes de la permaculture ont repris de nombreuses valeurs du mouvement hippie.

. Mœurs : Il est difficile de déterminer dans les changements de mœurs survenus dans les années 1960 et 1970 ce ui peut tre attribué aux hippies, à la jeunesse en général, ou au mouvement féministe. Mais ils ont joué un rôle considérable à cette époque dans l'évolution des mentalités concernant la sexualité105. Selon une enquête de l'institut Gallup, le nombre d'Américains pensant qu'il était « mal de faire l'amour avant le mariage » avait chuté de 68 % en 1969 à 48 % en 1973106, un changement généralement attribué aux bouleversements initiés par le courant hippie107.

Rainbow Gathering et hippies : Quand la nudité se fait amour de la vie 29 SEPTEMBRE 2012 | PAR SARAH BARRY Dans le cadre de notre dossier consacré au « nu positif », il était difficile d’oublier ceux qui depuis plusieurs décennies déjà, se montrent en costumes d’Adam et d’Eve lors de rassemblements où les tabous religieux, les enjeux politiques, les préoccupations sexuelles et l’embarras moral n’ont pas de prise. Si depuis les années 1960 on parle de hippies, il faut aujourd’hui élargir notre regard au-delà du cliché et de ce mouvement de contre-culture fait d’amour libre, de rejet de la guerre et de psychédélisme. Les Rainbow athering (rassemblements arc-en-ciel) attirent les hippies d’aujourd’hui mais aussi toutes sortes de gens désireux de faire une expérience particulière, éloignée de celle de la société moderne. Et l’alcool et les drogues y sont déconseillés. Amour, nature, liberté, paix sont toujours au cœur de l’intention, mais prennent un sens nouveau tandis que l’histoire avance. Il en va de même pour le rapport à la nudité. Ces rendez-vous sont en quelque sorte orchestrés par ce que les participants appellent la « Rainbow Family » ; dans une mouvance alternative, cette « non-organisation » qui ne se reconnaît aucun chef, aucun porte-parole, rien ui soit désigné ou structuré, se contente de prôner l’amour et la paix sur terre Formée en 1972 l’occasion du premier Rainbow Gathering, la Rainbow Family reste mar uée par un refus des lois de la société de consommation, une excrétion de la violence et un désir de célébrer la diversité et l’échange Mais les débats autour de l’environnement, de la bio- culture, du commerce, de la technologie y prennent un sens nouveau, tandis que le monde s’in uiète de plus en plus de l’avenir de la planète, u’il remet en cause le système capitaliste, u’il vit dans l’angoisse du matérialisme et du progrès comme perversion de la nature (OGM, clônage, etc ) C’est ainsi ue certains esprits ouverts tentent l’expérience de la vie en communauté en pleine nature, sans électricité, sans eau courante,

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sans téléphones portables, sans engins électroni ues, bref dans un confort très précaire mais ui rappelle l’homme ses origines et son statut d’animal Et les animaux d’ailleurs, moins d’ tre les peluches prisonnières de femmes dégénérées, ne portent pas de v tements Nous avons pris contact avec des participants plus ou moins assidus des rainbows et évoqué avec eux la question de la nudité. Pour les vrais adeptes de ce mélange naturisme/vie sauvage, les motivations sont multiples et se manifestent plutôt comme des impulsions naturelles que comme des attitudes méditées : d’abord cette idée selon la uelle nous sommes tous venus au monde dans le plus simple appareil et ue rien ne saurait être plus naturel que la nudité ; on s’en trouve ainsi dans un état de communion réelle avec la nature ; ensuite interviennent des considérations écologiques, puisque vivre nu réduit la quantité de vêtements à laver ; viennent également sur le tapis les uestions d’hygiène, le corps étant ainsi mieux aéré, libéré de toute entrave Il s’agit également de pur confort, et c’est l ue les prati uants moins convaincus du naturisme rejoignent le mouvement : quand le groupe se rend à la rivière pour se baigner ou pour prendre le soleil, rien ne vaut mieux u’ tre complètement nu, et personne n’aurait l’idée de sortir un maillot de bain Car la nudité deviendrait alors un synonyme de liberté, d’échange franc et total N’existerait alors plus aucune barrière entre les personnes, toutes se retrouveraient à égalité. Aucune marque prestigieuse, aucune matière hors de prix, aucun élément matériel pour marquer sa différence. Les déshabillés du rainbow se fichent du regard d’autrui, ils n’ont rien à cacher. On ne se promène pas forcément nu toute la journée et dans chaque activité, le phénomène se montre moins extr me ue dans les camps de nudistes, d’autant u’il ne concerne u’une minorité des participants Certains portent des colliers, arborent des peintures corporelles et des tatouages. Des jeunes femmes dansent seins nus devant le feu le soir, sans u’il n’y ait l une uelcon ue intention de séduire En gros, il n’existe pas de ligne de conduite Tolérance et respect sont les seules règles C’est le nu décomplexé dans toute sa splendeur. Évoquons pour finir un exemple de revendication parmi les différents prolongements que connaissent les phénomènes de « naturismes hippies ». Il s’agit des marches végétariennes nues, ui utilisent la nudité comme symbole de protestation contre la consommation d’animaux par l’homme Ici, être nu signifie être fragile, désarmé. La première marche végétarienne nue en France a eu lieu le 14 juillet 2003 à Toulouse, en contraste du défilé militaire de la fête nationale. Se montrer nu impli uerait alors un geste d’expression de soi, de remise en uestion et d’exaltation de la vie, celle de l’homme et de tout autre animal Alors tenez-vous-le pour dit : vivre nu, c’est être un amoureux de la vie !

XIX. ÉCOLOGIE & NATURISME

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XX. QUELQUES DATES CLEFS DU NATURISME CONTEMPORAIN… 1903 : S. Gay crée en France, au Bois-Fourgon à Villeconin, une colonie naturiste.

C’est en 1918 ue le nom de Freikörperkultur (FKK, culture du corps libre) est adopté Ce mouvement se diffuse alors dans les pays germaniques (Autriche, Suisse (Ascona), pays scandinaves, Pays-Bas) avant de gagner la France dans l’entre-deux-guerres, puis l’Améri ue du Nord partir des années 1950.

1920 : Marcel Kienné de Mongeot (1897-1977) et Yvan de Laval créent au Manoir Jan à Fontenay-Saint-Père le Sparta-Club, premier club naturiste en France. Le mouvement naturisme fait sa véritable apparition en France avec la publication de la revue “Vivre intégralement”, éditée par Kienné de Mongeot.

1922 : Jacques Demarquette fonde un camp naturiste à Chevreuse.

1930 : les docteurs André et ouvrent le centre Physiopolis dans l’Île de Platais Villennes-sur- où se tint le premier congrès nudiste L’hydrothérapie était préconisée par le docteur , fondateur de la revue Naturiste (Enseignements et traitements naturistes pratiques 1936).

1931 : Création du Club Gymnique de France (CGF) à Villecresnes, qui perdure de nos jours. Albert Lecocq (1905-1969) créé le Club Gymnique du Nord au Fort de Seclin, près de Lille. Il rejoint Marcel Kienné de Mongeot et ses idées. Le Front populaire, avec ses réformes sociales et l’engouement pour le plein air, inspire le “nudisme populaire” Albert Lecoc Il entrevoit alors les fondements d’un naturisme social, reprenant les principes de régénérescence de l’homme de Kienné de Mongeot

1932 : Les docteurs Durville fondent sur l’île du Levant, Héliopolis

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1936 : Léo Lagrange (premier sous-secrétaire d’État aux Sports et Loisirs), dont les époux Lecocq étaient proches, reconnaît officiellement le mouvement naturiste comme étant « d’utilité publique ».

1944 : Albert Lecocq et son épouse Christiane créent le Club du Soleil à Carrières-sur-Seine (Yvelines), grâce l’apport des Sections "Vivre" de De Mongeot ; avec l’idée « d’un club pour cha ue ville, un terrain pour cha ue club ».

1949 : Albert et Christiane Lecocq bousculent le puritanisme en ouvrant le premier camping naturiste de France : le Centre Héliomarin CHM à Vendays-Montalivet, sur le littoral aquitain. Ils créent la même année la revue La Vie au soleil dont le premier numéro paraît le 1er février 1949.

Le 19 février 1950, Albert Lecocq fonde la Fédération française de naturisme (FFN) Elle fixe les concepts du naturisme L’unité fut érigée en principe fondamental : tous les clubs se regrouperaient au sein d’une seule fédération En 5 ans le nombre d’associations adhérentes passe de 9 à 86. La FFN est l’une des premières fédérations nationales naturistes à voir le jour dans le monde.

1953 : Création au CHM-Montalivet, sous l’impulsion des époux Lecoc , de la Fédération Naturiste Internationale qui regroupe les fédérations de tous pays reconnues pour leur prati ue d’un naturisme « familial et organisé ».

1958 : Création des CCF (Compagnons Campeurs de France) par Lucien AUZIAS. C'est l'un des plus vieux club naturiste d'Île-de-France (3,5ha), situé à Étréchy au sud de Paris.

1974 : Adoption de la définition internationale du naturisme.

1975 : Ouverture d’Euronat Grayan-et-l’Hôpital (Gironde). La poussée touristique aidant, des plages sont ouvertes ou autorisées au naturisme alors u’il n’est encore ue toléré La présence naturiste la plus forte se situe sur le littoral a uitain

1983 : Le mouvement naturiste français, par sa Fédération, la FFN, fut reconnu Mouvement de Jeunesse et d'Éducation Populaire par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. La vie sociale de certains fut simplifiée, le naturisme étant banalisé, les problèmes professionnels inhérents disparurent. Des piscines municipales ouvrent des créneaux horaires aux pratiquants un peu partout. Ses buts atteints, la Fraternelle Naturiste Maçonnique se dissout d'elle-même. La FFN formait alors ses propres cadres par des BAFA spécialisés « naturistes » et mettait en place sa section Jeunes ALIZEE. Ceux-ci animaient les activités d’été des jeunes enfants des centres de vacances et offraient des spectacles À Paris, la municipalité ouvre un créneau horaire aux naturistes à la piscine Roger Le Gal. En province aussi, les naturistes obtiennent des créneaux dans les piscines municipales et les .

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1993 : La Maison du naturisme ouvre à Paris.

1994 : Entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1er mars 1994, ui dépénalise la simple nudité en abrogeant l’ancien article 330 et le remplace par le 222-32 sur « l’exhibition sexuelle » Avec cette nouvelle écriture, il n’est plus uestion « d’attentats aux mœurs » ni « d’outrage public la pudeur », mais uniquement de réprimer les « agressions sexuelles ». Henri Nallet, Ministre de la justice et Garde des Sceaux en charge de la réforme du code pénal avait l’épo ue expli ué aux parlementaires « qu’en application de cette nouvelle disposition, seuls les comportements sexuels présentant le caractère d'une exhibition imposée à des tiers tomberont sous le coup de la loi pénale, et ne seront incriminées que les attitudes obscènes et provocatrices qui sont normalement exclues de la pratique du naturisme ».

1998 : Création du "Club Français du Naturisme" qui a pour vocation de promouvoir les centres naturistes français et leurs offres.

2001 : Début des World Naked Bike Ride (WNBR) en Espagne Ce mouvement s’étend très vite plus d’une centaine de villes d’une trentaine de pays, d’Europe, d’Améri ues et d’Asie (sauf en France où les deux tentatives, Paris et Marseille, se sont soldées par des interventions policières). La WNBR se crée en 2003 pour coordonner l’ensemble des manifestations Le but est « de défendre l’homme en tant que tel dans un univers déshumanisé et mécanique ; de favoriser aussi souvent que possible le vélo comme mode de circulation et réduire la dépendance au pétrole ; de faire prendre conscience de la fragilité de l’être humain en milieu urbain ; d’assumer son corps et sa nudité en public ».

2002 : Des centres (commerciaux) naturistes cessent d’exiger la licence de la FFN et créent France Espace Naturisme (FEN)

2003 : CHM-Montalivet et le camping de Cap d’Agde, restés fidèles la FFN président la création de l’Organisation naturiste européenne (ONE) qui délivre sa propre licence.

2007 : création de l’Association pour la promotion du naturisme en liberté (APNEL) Son but principal est de promouvoir ce que les allemands appellent la FreiKorperKultur (culture du corps libre) et soutenir les personnes qui seraient injustement poursuivies en justice du fait de leur pratique hors des centres et « lieux dédiés ». Son objectif à terme est d'obtenir une modification de la loi, ui vise protéger la liberté d’ tre partiellement ou intégralement nu et de lutter contre la gymnophobie ; de clarifier l’article 222-32 en le dotant d’une définition claire et sans ambiguïté de ce u’est « l’exhibition sexuelle » ; et enfin, qui organise cette liberté. Certains de ses membres organisent des randonues mixtes (nu/textile) afin de mettre en œuvre l’universalité de la démarche et ne pas se replier ni s’enfermer dans un communautarisme ui n’a strictement aucun sens pour les nouvelles générations. Le mode opératoire est de prendre appui sur le développement des réseaux sociaux dédiés aux rencontres amicales, comme OVS-On Va Sortir.

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2016 – 2017 - 2018 : Participation des Naturistes (APNEL/FFN) la F te de L’Humanité, ce ui provo ue un énorme buzz médiati ue L’APNEL invente et diffuse le slogan : « Fiers de notre humaNUté », en écho à la citation de Friedrich NIETZSCHE « Être libre, c’est vivre nu et sans honte », et en référence aux luttes pour l’égalité des droits, défendue par le mouvement international LGBT (qui organise les « Marches des Fierté » – Gay Pride en Anglais).

2018 : le naturisme urbain gagne en visibilité. Première visite naturiste au Palais de Tokyo à Paris ; ouverture du premier restaurant naturiste dans le XIIe arrondissement de Paris, sous le nom de O’ Naturel ; la capitale française comble son retard sur le littoral et certaines grandes villes européennes, en organisant un espace dédié au naturisme dans le Bois de Vincennes (mais dans un endroit très… reculé), sur le modèle des « plages libres » des années 1980 ; la FFN organise la journée mondiale du naturisme au Parc Aventure Land de Magny-en-Vexin et les activités urbaines se développent : bowling-nu, yoga-nu, cyclonue, etc.

Un développement sans précédent

La France, est ainsi devenue la première destination touristique naturiste au monde. Cela représente alors : . 4 millions de pratiquants réguliers, dont 2 millions de français et 2 millions d'étrangers, vivent le naturisme chaque année en France (13,8 millions de pratiquants en Europe et près de 16 millions de naturistes réguliers dans le monde). . 11 millions de français seraient pr ts tenter l’expérience (Sondage IFOP 2015 pour le Cluster Tourisme et Naturisme d’Atout France). . 6%, soit près de 4 millions de français ont déjà passé des vacances naturistes. . Près de 43% des vacanciers naturistes ont moins de 30 ans (enquête menée auprès des principaux centres de vacances en 2014). . 460 espaces dédiés au naturisme dont :  155 établissements recevant des vacanciers,  155 associations et 16 délégations régionales  73 plages naturistes autorisées dont 9 plages au bord des fleuves, rivières et lacs,  35 gîtes ou chambres d'hôtes naturistes.  24 piscines urbaines avec un créneau naturiste.  2 ports naturistes : Cap d’Agde et Port Leucate, situés en Méditerranée  20 000 emplacements en hôtellerie de plein-air, 60 000 lits disponibles. 2019 : le mouvement naturiste engage une démarche afin de sortir de son isolement et dans le but de faire société Il reprend l’initiative de l’organisation d’une WORLD NAKED BIKE RIDE (cyclonue), en lien avec les uestions environnementales, et principalement la uestion du réchauffement climatique et la 6e extinction animale de masse Pour cet événement inscrit dans le projet d’éducation populaire alors en cours d’élaboration, il s’associe au tout jeune mouvement Extinction Rebellion La manifestation est interdite au motif de l’article 222-32 d’exhibition

102 sexuelle, et l’arr té préfectoral sera atta ué devant les tribunaux par la FFN et l’APNEL Les deux associations sont déboutées en juin 2020 et font appel de la décision.

2020 : La FFN recrée les liens avec France Nature Environnement et siège au CA de la fédération écologiste.

2021 : Le premier Festival NATURIST’ por nova mondo est organisé à Baugé-en-Anjou près d’Angers, au domaine du Château de Grésillon – Maison Culturelle Espéranto

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III. DES VALEURS RÉPUBLICAINES, HUMANISTES ET UN ENGAGEMENT POUR LA PLANÈTE (à co-rédiger et développer dans les ateliers de l’AG et en Région)

Les valeurs du naturisme sont celles de la Républi ue française, de Liberté, d’Égalité, de Fraternité et de Laïcité. Elles représentent le pacifisme, la simplicité, l’humilité, la modération en toutes choses et ont notamment inspiré des courants d’éducation dont la pédagogie Freinet, comme on l’a vu précédemment.

Les naturistes sont aussi des personnes généreuses, bienveillantes et, en général, avec une conscience plus développée des enjeux écologiques. Cet attachement étant « inscrit dans ses gênes »

DES VALEURS RÉPUBLICAINES

 La Liberté

 L’Égalité

 La Fraternité

 La Laïcité

DES VALEURS HUMANISTES

UN ENGAGEMENT POUR LA PLANÈTE

À l’heure de notre entrée dans une ère particulièrement menaçante pour notre écosystème et le devenir de l’Humanité, l’Anthropocène, les naturistes s’interrogent plus ue jamais sur ce ue cela signifie aujourd’hui de « vivre en harmonie avec la nature ».

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Tous les ans, l’ONG Global Footprint Network calcule en partenariat avec le WWF « le Jour du dépassement » (Overshoot day), sur la base de trois millions de données statistiques de 200 pays. C’est la date à partir de laquelle l’empreinte écologique dépasse la biocapacité de la planète.

Depuis les années 1970, cette date arrive de plus en plus tôt. En 1998, elle avait lieu le 30 septembre. En 2018, elle arrive le 1er août. Cette date est marquée cette année par une nouvelle augmentation des émissions de CO2.

Le 1er août 2018, l'humanité aura donc dépensé l'ensemble des ressources que la Terre peut régénérer en une année. Et si le monde entier vivait comme les Français, ce même jour aurait eu lieu le 5 mai 2018. Il faudrait 2,8 Terre !

L’épuisement des ressources naturelles ne cesse donc de décroitre quant, dans le même temps, la population humaine mondiale ne cesse de croître dans des proportions vertigineuses.

Le mouvement naturiste est naturellement tout particulièrement sensible et attentif l’appel de 15 000 scientifi ues du monde entier, publié le 13 novembre 2017 dans la revue BioScience, et aux « 13 mesures efficaces et diversifiées que l'humanité pourrait prendre pour opérer sa transition vers la durabilité ». https://www.franceculture.fr/environnement/alerte-de-15000-scientifiques-leurs-9-indicateurs-de-degradation-de-la-planete-analyses

Communiqué de presse du GIEC du 8 octobre 2018, sur son rapport (en annexe X) : http://ipcc.ch/pdf/session48/pr_181008_P48_spm_fr.pdf

LE CORONAVIRUS, SYNDROME DU SPÉCISME ? https://rev-parti.fr/le-coronavirus-syndrome-du-specisme/ Par Gwenaëlle Delcros, membre REV des Hauts-de-France Au moins 75% des maladies infectieuses humaines émergentes sont d’origine animale1 Ce n’est pas un phénomène nouveau puis u’un virus de grippe aviaire a provoqué la grippe espagnole de 19182 Plus récemment, les chimpanzés auraient transmis l’hépatite B aux humains3. Actuellement, la vague du Covid-19 déferle sur le monde, bouleversant nos vies quotidiennes et engendrant des impacts socio-économiques à grande échelle. Comment en est-on arrivé là ? Quels rôles jouent nos rapports aux animaux et la nature dans l’apparition des zoonoses ?

LA DESTRUCTION DES HABITATS NATURELS

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La destruction des habitats naturels des animaux au profit de l’agriculture et du développement urbain favorise les zoonoses car elle augmente la proximité avec les animaux sauvages4. Ainsi, suite à la déforestation et aux activités minières, des cas de rage ont été détectés en Amérique du Sud chez des chauves-souris dans des zones où la maladie avait pourtant disparu. De même, plusieurs maladies transmises par les tiques ont été diagnostiquées en Inde dans des zones déforestées pour la culture du riz et la construction d’habitations4 Enfin, des cas d’hépatite B ont été constatés chez plusieurs espèces animales présentes près de villages en Amérique du Sud5. Les humains peuvent aussi propager des maladies vers les animaux sauvages, soit directement, soit par le biais des animaux d’élevage Les animaux sauvages contaminés peuvent à leur tour devenir des réservoirs potentiels pour des infections vers les humains (et les animaux domesti ues) C’est par exemple le cas du virus de la tuberculose qui peut infecter des mammifères vivants autour des habitations2. La tuberculose peut aussi provenir des élevages bovins qui contaminent les blaireaux, alors injustement massacrés6 L’Organisation Mondiale de la Santé Animale recense plus de 50 maladies affectant les animaux sauvages et susceptibles de contaminer les humains1. Si la destruction des surfaces naturelles liée à la croissance de la population humaine continue, on ne peut u’envisager une augmentation de ce nombre dans les années venir

L’EXPLOITATION DES ANIMAUX A DES FINS RECREATIVES

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Les animaux sauvages captifs forment un autre réservoir de pathogènes. Les NAC, ces nouveaux animaux de compagnie tels que les iguanes ou les gerbilles, sont responsables de nombreuses maladies infectieuses humaines. Ce phénomène est accentué par le commerce illégal d’espèces protégées, un trafic qui rapporte autant que celui de la drogue7. Par exemple, le virus de la grippe aviaire a été observé chez des oiseaux exotiques transportés illégalement4. En outre, les élevages d’animaux sauvages constituent un environnement idéal au développement des zoonoses Cela a été montré en Nouvelle- Zélande dans des élevages de cerfs contaminés par la tuberculose bovine4. Les animaux exotiques élevés pour leur fourrure sont aussi des vecteurs potentiels de maladies Ainsi, des chiens viverrins échappés dans la nature en Europe de l’Est et porteurs de la rage constituent un réservoir supplémentaire pour ce virus en plus des populations d’espèces sauvages endémi ues Enfin, dans les zoos et les cirques, le personnel et les visiteurs au contact des animaux peuvent être infectés par des bactéries (Escherichia coli, salmonelles) provoquant des maladies diarrhéiques graves, ou par la tuberculose4.

LA CONSOMMATION DE VIANDE D’ANIMAUX SAUVAGES De nombreuses zoonoses sont apparues suite la consommation de viande d’animaux sauvages C’est le cas par exemple d’Ebola et du Sida qui ont été transmis l’homme par des primates non-humains (chimpanzés, gorilles, singes)3, et aussi des maladies liées aux coronavirus Plusieurs d’entre eux ont déjà provoqué des pandémies, dont le SARS-CoV1 en 2002-2003, le MERS-CoV en 2012-2013 et actuellement le SARS-CoV2. Le SARS-CoV1 est apparu en Chine en 2002 avant de se propager dans plus de 30 pays. La maladie s’est d’abord déclarée chez des personnes travaillant dans les restaurants et les marchés d’animaux vivants8. Dans ces marchés, les scientifiques ont isolé un virus SARS-CoV génétiquement très proche de celui touchant les humains chez des civettes, des blaireaux-furets et des chiens viverrins8,9. De plus, un virus SARS-CoV similaire existe chez les chauves-souris10,11, indi uant u’elles seraient l’origine de l’apparition du virus chez l’homme La contamination notre espèce pourrait donc se faire de deux façons. Premièrement, par contact direct avec les chauves-souris : les asiatiques utilisent leurs excréments en médecine traditionnelle, et capturent ces animaux pour les manger11. Deuxièmement, par contact avec un hôte intermédiaire telle que la civette. Les animaux incarcérés dans les marchés augmentent donc fortement les risques de transmission de maladies aux humains en jouant le rôle d’hôtes intermédiaires. Le MERS-CoV a été identifié la première fois en Arabie Saoudite en 2012 avant de toucher 27 pays12. Là encore, des virus apparentés au MERS-CoV responsable de la maladie chez les humains ont été observés chez des chauves-souris en Afrique et en Europe13,14. En Afrique, la transmission directe du virus des chauves-souris aux humains se ferait via l’utilisation du guano comme engrais et de l’eau des grottes abritant ces animaux, et par la consommation de leur viande13. Cependant, comme dans le cas du SARS-CoV, d’autres espèces auraient joué le rôle d’hôtes intermédiaires Il s’agit des chameaux utilisés pour les courses, le tourisme et la consommation de viande15,16, et des chèvres domestiques17. Ces animaux pourraient donc transmettre le virus aux humains via la consommation de viande et de lait et par exposition aux urines et excréments13, 16. Enfin, le virus SARS-CoV2 ui provo ue l’épidémie actuelle de Covid-19 a infecté en premier des personnes travaillant au marché d’animaux situé Wuhan en Chine. Encore une fois, les chauves-souris seraient l’origine du virus ui a infecté l’homme par l’intermédiaire d’une autre espèce dont

108 l’identité est encore incertaine mais ui a probablement été commercialisée sur le marché1 Ces exemples nous montrent clairement que l’exploitation des animaux pour leur viande et autres produits dérivés représente un danger sanitaire important quant à la propagation des maladies infectieuses humaines.

L’ELEVAGE INDUSTRIEL

Dans les élevages, le ris ue d’infections zoonoti ues est directement corrélé la densité d’animaux18,19. Pour limiter ces risques et contrer les infections bactériennes, la nourriture des animaux est supplémentée en antibioti ues D’ailleurs, l’agriculture est le premier consommateur d’antibioti ues dans le monde18 Mais le confinement d’un grand nombre d’animaux favorise l’apparition de foyers de résistances aux antibiotiques au sein des élevages Les bactéries résistantes se dispersent ensuite via la consommation de produits animaux et via l’air, l’eau et les sols18, ce qui représente des enjeux de santé publi ue et environnementaux majeurs L’antibiorésistance est (ironiquement) notamment problématique dans les cas de maladies diarrhéi ues bactériennes dues la consommation de produits d’origine animale ui touchent 550 millions de personnes chaque année dans le monde1. UN CHANGEMENT DE PARADIGME EST VITAL

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Nos relations envers les animaux autres u’humains et la nature contribuent l’émergence de zoonoses travers deux facteurs. Premièrement, la destruction des habitats naturels augmente la proximité entre les humains et les autres espèces et donc les risques de transmission des maladies. Deuxièmement, l’exploitation des animaux pour notre confort ou pour la nourriture crée des conditions idéales au développement des pathogènes. Or comment justifier l’extermination du vivant, ou les conditions avec les uelles nous sé uestrons et tuons les animaux pour leur chair, leurs œufs, leur lait, leur peau, notamment dans les élevages industriels et les marchés d’animaux vivants ? Ces comportements violents se retournent contre nous lorsque nous tombons malades et nous mourrons d’épidémies ui pourraient pourtant tre évitées si nous accordions plus de valeur la vie Alors il est temps de construire des sociétés antispécistes où l’empathie et la compassion envers tous les tres vivants remplaceront la cruauté et l’arrogance humaines

1. OIE – World Organisation for Animal Health. https://www.oie.int/fr/. 2. Worobey, M., Han, G.-Z. & Rambaut, A. A synchronized global sweep of the internal genes of modern avian influenza virus. Nature 508, 254–257 (2014). 3. Wolfe D., N., Panosian Dunavan, C. & Diamond, J. Origins of major human infectious diseases. Nature 447, 279–283 (2007). 4. Chomel, B. B., Belotto, A. & Meslin, F.-X. , Exotic Pets, and Emerging Zoonoses. Emerg. Infect. Dis. 13, 6–11 (2007). 5. Vieira, Y. R. et al. Evaluation of HBV-Like Circulation in Wild and Farm Animals from Brazil and Uruguay. Int. J. Environ. Res. Public. Health 16, 2679 (2019). 6. Tuberculose bovine le blaireau a bon dos – Actualités – LPO. https://www.lpo.fr/actualites/tuberculose-bovine-le-blaireau-a-bon-dos-dp1. 7. Guarric, A Le braconnage d’espèces sauvages, 4e marché illégal au monde Le Monde fr (2012) 8. Guan, Y. et al. Isolation and Characterization of Viruses Related to the SARS Coronavirus from Animals in Southern China. Science 302, 276–278 (2003). 9. Song, H.-D. et al. Cross-host evolution of severe acute respiratory syndrome coronavirus in palm civet and human. Proc. Natl. Acad. Sci. 102, 2430–2435 (2005). 10. Li, W. et al. Bats Are Natural Reservoirs of SARS-Like Coronaviruses. Science 310, 676–679 (2005). 11. Lau, S. K. P. et al. Severe acute respiratory syndrome coronavirus-like virus in Chinese horseshoe bats. Proc. Natl. Acad. Sci. 102, 14040–14045 (2005). 12. World Health Organisation. WHO http://www.who.int/csr/en/. 13. Annan, A. et al. Human Betacoronavirus 2c EMC/2012–related Viruses in Bats, Ghana and Europe – Volume 19, Number 3—March 2013 – Emerging Infectious Diseases journal – CDC. doi:10.3201/eid1903.121503. 14. Ithete, N. L. et al. Close Relative of Human Middle East Respiratory Syndrome Coronavirus in Bat, South Africa. Emerg. Infect. Dis. 19, 1697–1699 (2013). 15. Reusken, C. B. et al. Middle East respiratory syndrome coronavirus neutralising serum antibodies in dromedary camels: a comparative serological study. Lancet Infect. Dis. 13, 859–866 (2013). 16. Perera, R. A. et al. Seroepidemiology for MERS coronavirus using microneutralisation and pseudoparticle virus neutralisation assays reveal a high prevalence of antibody in dromedary camels in Egypt, June 2013. Eurosurveillance 18, 20574 (2013). 17. Eckerle, I. et al. Replicative Capacity of MERS Coronavirus in Cell Lines. Emerg. Infect. Dis. 20, 276–279 (2014). 18. Silbergeld, E. K., Graham, J. & Price, L. B. Industrial Food Animal Production, Antimicrobial Resistance, and Human Health. Annu. Rev. Public Health 29, 151–169 (2008). 19. Chung-Hsu Lai et al. Association of Human Q Fever with , Taiwan, 2004–2012. Emerg. Infect. Dis. 21, 2217–2220.

LA LUTTE CONTRE LE SPÉCISME Comme l’expli ue Michel Onfray « Les fondations ontologiques de l’antispécisme sont radicalement antimonothéistes puisque les trois monothéismes proposent un récit légendaire de la création dans lequel l’animal est présenté comme une quantité négligeable par rapport à “l’homme” dont on affirme qu’il est le sommet de la création. Pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, le monde est séparé : entre Dieu et la nature, entre la nature et l’homme,

110 entre l’homme et la femme, entre l’homme et l’animal. D’un côté le créateur, de l’autre, sa création. Dans la création, d’un côté les créatures humaines, de l’autre, toutes les autres créatures, dont les animaux. Il existe un certain nombre de philosophes, négligés par l’institution philosophique, qui pensent le monde en monistes et affirment qu’il n’existe pas une différence de nature entre l’homme et l’animal, mais une différence de degrés. Ainsi, l’homme et l’animal sont, pour les matérialistes (de Démocrite aux derniers épicuriens en passant par Épicure et Lucrèce, et jusqu’aux neurobiologistes que sont, par exemple, Jean-Didier Vincent ou Jean-Pierre Changeux), redevables d’un agencement atomique différent, certes, mais seul l’agencement diffère : le matériau est le même. Darwin fonde scientifiquement cette intuition philosophique en 1859 avec L’origine des espèces qui affirme que les humains sont des animaux d’un genre particulier… L’ ccident, même athée, est globalement resté chrétien et nous n’avons pas encore tiré les conclusions du travail de Darwin ».

VERS LA 6e EXTINCTION DE MASSE DES ANIMAUX, en lien avec l’activité humaine https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/zoologie-sixieme-extinction-masse-animaux-sous-estimee-58704/

Un questionnement : parole de https://www.l214.com/antispecisme

L’ANTISPÉCISME, UNE ÉTHIQUE QUI PREND AU SÉRIEUX LES INTÉRÊTS DES ANIMAUX . Depuis quelques décennies, nous comprenons que les animaux attachent de l'importance à éviter le malheur et à rechercher bonheur et plaisirs. Nous prenons davantage au sérieux leurs intérêts. . De ce fait, nous remettons en cause le spécisme : la discrimination d'individus fondée sur le critère de l'espèce. En effet, ce critère ne peut justifier que l'on attribue un statut supérieur exceptionnel à l'humain, tandis que l'on néglige les intérêts des autres animaux. . Une éthique antispéciste accorde une considération égale aux intérêts de tous les êtres qui éprouvent des sensations, qui sont sensibles à la douleur et au plaisir. . Elle conduit à rejeter la production et la consommation de produits d'origine animale, qui ne sont obtenus qu'au prix des souffrances de milliards de victimes chaque année, pour un seul pays comme la France.

UNE PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE Dès le VIe siècle avant notre ère, Pythagore défiait la société de son temps en refusant de manger de la viande et du poisson et de prendre part aux sacrifices sanglants qui rythmaient la vie de la cité. Tout au long de l’histoire, des individus et de petits groupes se sont élevés contre l’exploitation et la mise à mort des animaux1. Le souci de ce que subissent les animaux était néanmoins majoritairement perçu comme de la sensiblerie, c’est-à-

111 dire une préoccupation irrationnelle Or, depuis uel ues décennies, c’est au contraire notre refus de prendre en compte ce u’ils endurent ui paraît de plus en plus déraisonnable L’exploitation des animaux et la consommation de leur chair ne vont plus de soi Le uestionnement moral sur ces prati ues prend de l’ampleur, en France et dans le monde

LA REMISE EN QUESTION DU SPÉCISME Au début des années 1970, un étudiant en philosophie morale, , entreprend de réfléchir aux fondements moraux de l’idée d’égalité L’un de ses amis, végétarien, lui demande pourquoi celle-ci se limiterait aux seuls humains. Ne trouvant aucun argument valable pour défendre que seuls les intér ts des humains auraient de l’importance, il devient son tour végétarien et rend compte de son raisonnement dans un ouvrage d’éthi ue ui paraît en 1975, Animal Liberation2 Celui-ci s’est vendu depuis plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dans le monde Ainsi, La Libération animale (le titre français de l’ouvrage) a établi les bases théori ues modernes du mouvement animaliste. Passant en revue les arguments utilisés pour justifier de ne pas prendre en compte les intérêts3 de tous les êtres sensibles, Singer en distingue deux : « ils ne sont pas de notre espèce » et « les humains ont des capacités mentales spécifiques » Le premier argument est ce u’on appelle aujourd’hui en philosophie morale le « spécisme direct » Selon cet argument, parmi l’ensemble des animaux sensibles, on ne devrait se soucier ue des vies et souffrances de ceux de notre espèce, donc des humains et de personne d’autre Cet argument a longtemps paru tellement évident ue peu de gens pensaient l’interroger Lors ue Singer l’a uestionné, il a réalisé u’il n’y avait en fait aucun lien logi ue entre l’espèce d’un tre et le traitement u’on devrait lui accorder Un critère moral doit en effet se baser sur des particularités réelles de l’individu considéré, qui nous donnent une raison valable, logi ue, de le traiter de telle ou telle façon Or l’espèce ne nous dit pas plus ue la « race » quelle importance accorder aux intér ts d’un individu Dire simplement u’un tre n’est pas humain ne nous apprend rien sur ce u’il est, sur ce u’il vit, et sur l’importance ue l’on doit accorder ses intér ts Vouloir conditionner la manière dont on traite un individu à son appartenance au même groupe biologique que nous est spéciste, de la même manière que privilégier les membres de sa supposée « race » est raciste Le fait u’il soit sensible suffit justifier ue l’on considère ses intérêts.

LE « SPÉCISME INDIRECT », OU « LE PROPRE DE L’HOMME » De fait, en philosophie morale, plus personne ne défend aujourd’hui le critère d’espèce Néanmoins, un « spécisme indirect » continue d’ tre invoqué : certaines caractéristiques censées constituer « le propre de l’Homme » (la raison, l’intelligence, la conscience de soi, l’autonomie morale, la liberté humaine…) feraient de nous des « êtres supérieurs » par rapport aux autres animaux. Au nom de cette éminente dignité humaine, nous devrions être les seuls à bénéficier de droits fondamentaux : ne pas tre tués, ni torturés, ni emprisonnés À l’inverse, nous aurions toute latitude de faire souffrir et mourir les autres êtres sensibles.

IL N’Y A PAS DE FOSSÉ ENTRE LES HUMAINS ET LES AUTRES ANIMAUX

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Il y a déj un siècle et demi, Darwin montrait l’existence de profondes similitudes de capacités et de comportements entre les humains et les autres animaux Aujourd’hui, les éthologues admettent tous l’existence d’une intelligence élaborée des animaux vertébrés et au moins de certains invertébrés (comme les pieuvres) Ils reconnaissent ue se référer simplement l’idée d’actes guidés par l’instinct4 emp che de bien comprendre leur sensibilité et leurs comportements Il n’y a pas d’un côté les animaux totalement déterminés par la nature, et de l’autre les humains dotés de liberté5. De très nombreux animaux non seulement vivent intensément leurs plaisirs et leurs souffrances, mais éprouvent des relations très fortes, font preuve d’empathie, connaissent des émotions esthétiques, préparent des stratégies élaborées, construisent des relations sociales complexes, instruisent leurs petits et leurs proches et développent de véritables cultures Les différences u’on peut trouver entre les humains et les autres animaux sont de degré, et non de nature.

LES DIFFÉRENCES NE SONT PAS PERTINENTES DU POINT DE VUE DE L’ÉTHIQUE Surtout, ces différences d’aptitudes ne sont pas des différences pertinentes pour ce ui concerne l’éthi ue : ce n’est pas parce u’un tre est intelligent u’on doit prendre en compte ses intér ts, mais parce u’il ressent des sensations et des émotions positives ou négatives, auxquelles il attache de l’importance Or tous les tres sensibles veulent désespérément éviter le malheur et la souffrance et recherchent au contraire le bonheur et le plaisir. On doit donc prendre en compte leurs intérêts, quelles que soient leurs performances intellectuelles. C’est d’ailleurs déj le raisonnement ue l’on tient lors ue l’on affirme u’il est évident ue les joies et souffrances d’une personne humaine l’intelligence moyenne comptent moralement autant ue celles d’une personne surdouée L’INVOCATION DE CES DIFFÉRENCES EST DANGEREUSE ET INJUSTE Les capacités prétendument liées à notre sexe, notre « race » ou notre espèce, servent et ont abondamment servi à justifier des dominations, en plaçant les individus sur une prétendue échelle naturelle des êtres (qui va des « êtres inférieurs » aux « êtres supérieurs »). Nous refusons désormais largement ce type de hiérarchie lors u’on parle d’humains (par exemple en luttant contre le capacitisme6, le racisme, le sexisme ) et adoptons ainsi une morale de l’égalité Pourtant, nous continuons de défendre une morale élitiste l’encontre des animaux, vus comme des êtres inférieurs, auxquels nous pouvons infliger chaque jour par millions de l'ennui dans des cages ou des bassins, de la peur, de l'angoisse (séparation des mères et de leurs petits...), de la souffrance (mutilations à vif...), comme nous souhaiterions n'avoir jamais à en ressentir nous-mêmes.

UN MÉPRIS QUI CONDUIT À VOIR LES ANIMAUX COMME DES RESSOURCES À EXPLOITER En philosophie morale, le spécisme désigne donc la discrimination arbitraire, injustifiable et de ce fait injuste, opérée sur le critère de l’espèce des individus Mais c’est aussi une réalité culturelle, une idéologie ui imprègne profondément notre société et autorise l’exploitation et la tuerie des animaux en les excluant de notre sphère de considération morale. Notre culture distingue complètement les humains des « animaux » – comme si nous n’étions pas nous aussi des animaux Lors u’un couteau sert tuer une personne humaine, on le désigne comme une arme, mais s’il sert tuer un animal d’une autre espèce, il est vu comme un outil : on entérine ainsi l’idée que tuer « un animal » n’est pas un meurtre, mais un travail sur de la simple matière. Les mots « meurtre » ou « assassinat » sont d’ailleurs bannis, voire tabous lors u’on parle des non-humains : leur « mise à

113 mort » n’est pas un problème moral Cela va très loin, puisque si un élevage de 300 000 poules en batterie est entièrement détruit par un incendie, les médias peuvent écrire u’« aucune victime n’est déplorer » Notre culture véhicule constamment l’idée ue les animaux sont absolument différents de nous et que pour cette raison, ils ne comptent pas. Dès lors, on peut les élever et les tuer par milliards sans que cela ne pose de problème moral.

PRENDRE ACTE DU FAIT QUE LE SPÉCISME N’EST PAS DÉFENDABLE L’éthi ue consiste prendre en compte les intér ts d’autrui, les peser sur la m me balance ue les nôtres, et les considérer de façon égale Comme le soutient Singer, nous devrions considérer également les intérêts de tous les êtres qui éprouvent des sensations, qui sont sensibles à la douleur et au plaisir, c’est-à-dire tous ceux dont la vie peut se passer bien ou mal et dont on peut dire u’elle leur importe7 Cela concerne au moins l’ensemble des animaux vertébrés, poissons compris Il s’ensuit u’il est difficilement justifiable de les utiliser comme matériel ou comme aliments sans nécessité La production et la consommation de poissons, de viandes, d'œufs et de laitages engendrent des milliards de victimes chaque année, pour un seul pays comme la France : il est temps de s’atteler y mettre un terme, individuellement et collectivement.

1 Lors u’on parle ici des animaux, c’est un raccourci pour désigner les tres sensibles, sentients, c’est-à-dire, qui éprouvent des sensations et des émotions. Certains animaux (les éponges, les méduses…) ne sont pas sentients, n’éprouvent rien, et cela n’a donc pas de sens de dire u’on veut tenir compte de leurs souffrances, par exemple. 2. La Libération animale, Grasset, 1993 ; pour une présentation résumée de ses thèses, cf. L’égalité animale expliquée aux humains, éd. tahin party, 2002 ; plus détaillée et plus générale : Questions d’éthique pratique, Bayard, 1998.

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3 C’est-à-dire tout ce qui leur importe : ne pas souffrir, continuer à vivre... 4 On lira une belle criti ue de la notion d’instinct dans Animal, mon prochain de Florence Burgat, éd. Odile Jacob, 1997. 5. Des textes critiques de nombreux auteurs (, , Steve Sapontzis, , , Estiva Reus…) sont disponibles sur le site des Cahiers antispécistes Ils arrivent des conclusions très similaires ; ainsi Regan, ui, s’appuyant sur une analyse de la notion philosophi ue de personne, conclut que de très nombreux animaux doivent se voir reconnaître des droits fondamentaux. 6. « Forme de discrimination, de préjugé ou de traitement défavorable envers les personnes vivant un handicap, que celui-ci soit physi ue, mental ou psychi ue Parce u’une personne ne dispose pas, ou moins, de telle ou telle capacité, on donnera moins d’importance ses droits ou ses intér ts » (L'Amorce). 7 Notons u’il ne s’agit pas de dire, par exemple, u’un rat vaut un humain La uestion n’est pas de savoir ce ue valent les êtres, si tant est que cela ait un sens, mais de prendre en compte ce u’ils vivent, ce ui leur importe

Droit animalier – Jean-Pierre MARGUÉNAUD / professeur à la Fac de Limoges

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IV. UN PROJET DÉCLINÉ SELON 4 AXES : à écrire A. RESPECT DE SOI B. RESPECT DES AUTRES - ÉGALITÉ / CITOYENNETÉ C. RESPECT DE L’ENVIRONNEMENT D. DROIT & LIBERTÉS

Chacun de ces différents axes étant décliné en « objectifs » et « actions ». Ces actions pouvant être mises en œuvre par différents moyens :  Conférences et ateliers  Communication (publications diverses, sur supports papiers ou dématérialisés)  Formation (sessions ou conférences vidéo, mises en ligne sur le Net – Web TV… - articles et/publications scientifiques) et notamment la création d’une Université Populaire Naturiste  Expérimentation (organisation de stages – manifestations)  Organisation d’évènements culturels, artistiques (festival de la nudité – happenings – body-painting), sportifs avec les JO naturistes à Paris, plus politique et/ou de promotion (cyclonue – jardinu – Journées mondiales du Naturisme, etc).

UNE CO-CONSTRUCTION PAR LA FÉDÉRATION, LES RÉGIONS ET LES ASSOCIATIONS NATONALES

LE PROJET N

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V. LA RECONSTRUCTION D’UNE ARCHITECTURE DÉDIÉE À LA JEUNESSE et à l’ÉDUCATION POPULAIRE

UNE ORGANISATION INTÉGRÉE 1- Avec un axe général, dédié à tous, 2- Et un axe plus spécifiquement dédié à la jeunesse.

L’objectif est donc de dissoudre l’AJNF et d’intégrer l’activité Jeunesse / Éducation populaire l’activité des régions FFN Cela suppose d’avoir en premier lieu une stratégie de développement d’un réseau de responsables régionaux et d’organiser leur monté en compétences.

Former des cadres dirigeants Les diplômes de l'animation L'accès aux formations à l'animation, qui dépendent du ministère de la jeunesse sports, n'exige pas de diplôme. Le BAFA est une porte d'entrée.

© Olesia Bilkei

Avec le BAFA, faire ses premiers pas Détenir le BAFA (brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur) est un atout pour être admis dans une formation à l'animation, et plus largement dans un cursus préparant aux métiers avec des enfants. Ce brevet permet d'encadrer des jeunes en centre de loisirs ou de vacances, à titre occasionnel et non professionnel. Ajouter cette ligne à son CV est un bon moyen d'ac uérir une expérience d’animation et de gagner un peu d'argent pendant les vacances.

Profil : Accessible dès l'âge de 17 ans. Durée de la formation : 1 mois de formation théorique et pratique, réparti sur 3 sessions. Le BAFA peut se préparer pendant les congés scolaires ;

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Coût : entre 800 et 1000 €

BPJEPS, le diplôme de référence Le BPJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport) est le diplôme de référence pour l'animation. Il est reconnu de niveau bac et propose 2 spécialités, éducateur sportif ou animateur, à choisir selon son projet.

Profil : Accessible dès l'âge de 18 ans, avec le BAFA ou une expérience d'animateur. Durée de la formation : 1 an à 18 mois dans un organisme agréé par les Directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS). Coût : de 4500 à 11 000 €

DEJEPS : Vers l’encadrement De niveau bac + 2, le DEJEPS (diplôme d'État de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport), spécialité animation socio-éducative ou culturelle, mène à des fonctions de coordination de projet.

Profil : Accessible aux titulaires du BPJEPS, aux titulaires d’un diplôme de niveau bac avec 6 mois d’expérience dans l’animation, ou aux titulaires d’un diplôme de niveau bac + 2 inscrit au RNCP. Durée de la formation : 10 à 12 mois environ. Cette formation peut être suivie en apprentissage. Les frais d'études sont alors à la charge de l'employeur. Coût : de 5 000 9 000 €

DESJEPS, diplôme des cadres de décision De niveau bac + 3, le DESJEPS (diplôme supérieur d'État de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport) forme à la direction d'une structure ou de projet. À ne pas confondre avec le BAFD (brevet d'aptitude aux fonctions de direction) qui permet de travailler à titre occasionnel et non professionnel comme directeur de centre aéré ou de colonie.

Profil : Accessible aux titulaires du DEJEPS, d’un diplôme de niveau bac + 2 du champ de l’animation inscrit au RNCP, ou d’un diplôme de niveau bac + 3 inscrit au RNCP. Durée de la formation ? 10 à 12 mois environ éventuellement en apprentissage. Les frais d'études sont alors à la charge de l'employeur. Coût : de 5 000 9 000 €

AXE ÉDUCATION POPULAIRE « pour tous » Création d’une Université Populaire Naturiste - (UPN) C’est le moyen de faire société avec le reste du monde (ou pas selon les différents sujets) L’idée est d’utiliser ce vecteur pour diffuser des éléments de connaissance et de savoirs, en lien avec nos valeurs, notre éthique et notre démarche, selon les 4 axes (Respect de soi, des autres, de l’environnement et Droits et libertés)

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Dans ce cadre, la forme que cela pourrait prendre consiste en l’organisation de conférences, d’ateliers, ou de cycles de formations. Ceux-ci peuvent être organisés soit en milieu naturiste (clubs, terrains, centres), ou dans un espace public/privé (maison des associations, salles polyvalentes, théâtres, centre d’art ou musée, etc).

Cette UPN aura un projet national (programmation l’année) ui sera publiée sur le site internet de la FD. Ceci dans le but de faire savoir aux naturistes et non naturistes, les heures et lieux de ces actions Les conférences, dans l’idéal, devront tre retransmises par vidéo en direct ou différé, à partir de notre site Internet. On pourrait peut-être à cet égard créer un partenariat avec Naturisme TV.

Cette UPN aura une antenne dans chaque région, avec sa propre programmation. Les activités proposées par ces antennes régionales seront également communiquées sur le site Internet de la FFN.

Le principe des Universités populaires, est pour l’intervenant, de réaliser sa prestation gratuitement (mais il est quand même nécessaire de prévoir des défraiements pour celles et ceux qui viendraient de loin). Il est donc nécessaire de créer un réseau de référents régionaux, et d’é uipes, pour ue puisse vivre cette UPN.

 L’impulsion étant donnée par le Chargé de mission Éducation populaire, avec le concours du réseau constitué de référents régionaux Le projet de la FFN pourra ainsi s’enrichir d’un travail collectif.

L’adhésion au Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (Cnajep) http://www.cnajep.asso.fr

Celle-ci est indispensable pour s’inscrire dans la dynami ue collective, faire société et faciliter la reconnaissance institutionnelle. Cela impliquera, si celle-ci nous accepte, de participer aux structures et instances de cette Coordination. Cette adhésion nous permettra de créer des liens, de nous enrichir des prati ues et de l’expérience des autres fédérations et association de l’Éducation Populaire, et de leur apporter notre singularité Annuaire de ses membres : http://www.cnajep.asso.fr/annuaire/

Les membres du Cnajep inscrivent leur démarche dans une perspective :  d’émancipation individuelle et collective et selon un principe d’action privilégiant une éducation par toutes et tous et pour toutes et tous dans un échange réciproque des savoirs, dans une égale considération des individus.  de transformation de la société, luttant contre les déterminismes sociaux, les discriminations et les racismes, dans une opti ue d’éducation à la paix.

Ses MISSIONS Le Cnajep agit pour la représentation, l’organisation, la défense et le soutien des intér ts communs en matière de relations nationales et internationales. Ceci étant organisé en trois missions :

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 Être un observatoire des prati ues et un laboratoire d’idées sur la jeunesse, l’éducation populaire, et les politi ues publi ues afférentes  Représenter et porter la voix des associations de jeunesse et d’éducation populaire.  Valoriser et promouvoir l’actualité, la modernité et l’utilité de l’éducation populaire

AXE DÉDIÉ PLUS SPÉCIFIQUEMENT À LA JEUNESSE

UN PROJET à réfléchir et écrire  DROITS DE L’ENFANT  PÉDAGOGIE FREINET  ÉDUCATION À L’ÉCO-RESPONSABILITÉ

DES PARTENAIRES  LES CLUBS NATURISTES AGRÉÉS  LES CENTRES DE VACANCES FFN/INF  AUTRES ASSOCIATIONS D’ÉDUCATION POPULAIRE (Fédération des Œuvres Laï ues - Ligue de l’enseignement ; FRANCAS ( http://www.francas.asso.fr ) ; CNAJEP…

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VI. UN PROJET POUR OBTENIR LA RECONNAISSANCE DES INSTITUTIONS NATIONALES ET EUROPÉENNES

A. LES LABELS et/ou AGRÉEMENTS 1. utilité publique 2. mouvement de la jeunesse et d’éducation populaire

Loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel (1) - TITRE IV : DISPOSITIONS RELATIVES À LA JEUNESSE ET À L'ÉDUCATION POPULAIRE. Article 8

Les associations, fédérations ou unions d'associations régulièrement déclarées ayant une activité dans le domaine de l'éducation populaire et de la jeunesse peuvent faire l'objet d'un agrément par le ministre chargé de la jeunesse ou par l'autorité administrative compétente. L'agrément est notamment subordonné à l'existence et au respect de dispositions statutaires garantissant la liberté de conscience, le respect du principe de non-discrimination, leur fonctionnement démocratique, la transparence de leur gestion, et permettant, sauf dans les cas où le respect de cette dernière condition est incompatible avec l'objet de l'association et la qualité de ses membres ou usagers, l'égal accès des hommes et des femmes et l'accès des jeunes à leurs instances dirigeantes. Les conditions de l'agrément et du retrait de l'agrément sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. Seules les associations, fédérations ou unions d'associations agréées d'éducation populaire et de jeunesse peuvent recevoir une aide financière du ministère chargé de la jeunesse. Toutefois, les associations non agréées peuvent recevoir une aide pour un montant et pendant une durée limités. Les conditions de l'octroi d'une aide financière aux associations non agréées sont déterminées par décret en Conseil d'Etat.

3. création d’un label « Territoire FFN – Culture du corps libre » (comme Villes fleuries)

B. LES SUBVENTIONS ET AIDES PUBLIQUES 1. s’inscrire dans le programme européen « DROITS ÉGALITÉ CITOYENNETÉ – 2014- 2020» (DEC) 2. solliciter les aides financières auprès de l’état et des collectivités territoriales

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NOTES SUR LE PROJET FÉDÉRAL NATIONAL

1- Pédagogie Freinet et naturisme : « Élise Freinet : de l’expérience naturiste aux pratiques de l’École Freinet » - XAVIER ET RIONDET p. 133-148 2- Anthropocène : https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthropoc%C3%A8ne - terme relatif à la chronologie de la géologie proposé pour caractériser l'époque de l'histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l'écosystème terrestre. Ce terme a été popularisé à la fin du XXe siècle par le météorologue et chimiste de l'atmosphère Paul Josef Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995, pour désigner une nouvelle époque géologique, qui aurait débuté selon lui à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle, et succéderait ainsi à l'Holocène. 3- L’altérité est un concept utilisé dans de nombreuses disciplines comme la philosophie, l’anthropologie, l’ethnologie et la géographie Il renvoie ce ui est autre, ce ui est extérieur à un « soi », à une réalité de référence, qui peut être l'individu, le groupe, la société, la chose, le lieu. Selon Angelo Turco, elle « s'impose à partir de l'expérience » et elle est « la condition de l'autre au regard de soi ». Le mot provient du bas-latin alteritas, qui signifie différence ; l'antonyme d' « altérité » est « identité » ou la reconnaissance de l’autre dans sa différence aussi bien culturelle que religieuse (https://fr.wikipedia.org/wiki/Altérité ), ou physique pour ce qui concerne nous concerne nous naturistes et la gymnophobie. 4- Docteur Jean SEIGNALET : https://www.seignalet.fr / Clinicien, biologiste, maître de conférence, chercheur, il s'intéresse à la nutrition depuis 1985, date à laquelle son régime est mis au point. Les nombreux patients volontaires, ses multiples aptitudes médicales et sa conception "globale" du corps humain, lui ont permis d'identifier les mécanismes qui provoquent de nombreuses maladies chroniques d'origine inconnue. Une des causes principales de toutes ces pathologies reste, chez de nombreux sujets, une alimentation moderne dénaturée à laquelle ils ne s'adaptent pas. Médecin émérite, reconnu par ses pairs en particulier pour ses travaux de recherche en immunologie et en rhumatologie, Jean Seignalet a déjà publié de nombreux articles dans des revues de pointe et il est déjà l'auteur d'un ouvrage spécialisé en immunologie dont la qualité est soulignée par toute la profession. Mais d'un autre coté, la presse spécialisée lui refuse ses articles sur la nutrition et il publie en 1996 la première compilation de ses résultats et de ses hypothèses dans "L'alimentation ou la troisième médecine". Il publiera 5 autres éditions de cet ouvrage, éditions augmentées et revisitées, jusqu'à son décès en 2003. 5- L’agriculture paysanne : L'agriculture paysanne telle qu'elle est entendue en France s'appuie sur une charte, 10 principes, et 6 thèmes. Les dix principes de l'Agriculture paysanne :  Principe no 1 : répartir les volumes de production afin de permettre au plus grand nombre d'accéder au métier et d'en vivre.  Principe no 2 : être solidaire des paysans des autres régions d'Europe et du monde.  Principe no 3 : respecter la nature.  Principe no 4 : valoriser les ressources abondantes et économiser les ressources rares.  Principe no 5 : rechercher la transparence dans les actes d'achat, de production, de transformation et de vente des produits agricoles.  Principe no 6 : assurer la bonne qualité gustative et sanitaire des produits.  Principe no 7 : viser le maximum d'autonomie dans le fonctionnement des exploitations.  Principe no 8 : rechercher les partenariats avec d'autres acteurs du monde rural.

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 Principe no 9 : maintenir la diversité des populations animales élevées et des variétés végétales cultivées.  Principe no 10 : raisonner toujours à long terme et de manière globale. http://www.agriculturepaysanne.org Avec une très bonne BD pédagogiques de la Confédération Paysanne ici : http://www.agriculturepaysanne.org/files/BDAP-A5-REIMP-2015-BD.pdf

6- L’agroécologie apparaît en Amérique latine, lorsque des mouvements sociaux commencent à s'intéresser aux prati ues agroécologi ues C'est le cas, au Brésil, du mouvement de l’agriculture alternative et du mouvement des sans-terre qui constatent dans les années 1980-1990 l'incapacité des paysans à sortir de la misère, même après l'accès à la terre, en raison d'une production trop faible et d'une incapacité à acheter des intrants. Ils se tournent alors vers les pratiques agroécologiques. MAELA (Movimiento Agroecológico de América Latina y el Caribe) et La Via Campesina font également partie de ces mouvements. https://fr.wikipedia.org/wiki/Agroécologie /

Autre source très intéressante : https://osez-agroecologie.org/l-agroecologie

7-

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ANNEXE 1

LES 13 PROPOSITIONS DE L’APPEL DES 15 000 https://www.franceculture.fr/environnement/alerte-de-15000-scientifiques-leurs-9-indicateurs-de- degradation-de-la-planete-analyses 2017 https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-inedit-15000-scientifiques- lancent-cri-alarme-etat-planete-69220/ 2019

1. Privilégier la mise en place de réserves connectées entre elles, correctement financées et correctement gérées, destinées à protéger une proportion significative des divers habitats terrestres, aériens et aquatiques – eau de mer et eau douce ; 2. Préserver les services rendus par la nature au travers des écosystèmes en stoppant la conversion des forêts, prairies et autres habitats originels ; 3. Restaurer sur une grande échelle les communautés de plantes endémiques, et notamment les paysages de forêt ; 4. Ré-ensauvager des régions abritant des espèces endémiques, en particulier des superprédateurs, afin de rétablir les dynamiques et processus écologiques ; 5. Développer et adopter des instruments politiques adéquats pour lutter contre la défaunation, le braconnage, l’exploitation et le trafic des espèces menacées ; 6. Réduire le gaspillage alimentaire par l’éducation et l’amélioration des infrastructures ; 7. Promouvoir une réorientation du régime alimentaire vers une nourriture d’origine essentiellement végétale ; 8. Réduire encore le taux de fécondité en faisant en sorte u’hommes et femmes aient accès à l’éducation et à des services de planning familial, particulièrement dans les régions où ces services manquent encore ; 9. Multiplier les sorties en extérieur pour les enfants afin de développer leur sensibilité la nature, et d’une manière générale améliorer l’appréciation de la nature dans toute la société ; 10. Désinvestir dans certains secteurs et cesser certains achats afin d’encourager un changement environnemental positif ; 11. Concevoir et promouvoir de nouvelles technologies vertes et se tourner massivement vers les sources d’énergie vertes tout en réduisant progressivement les aides aux productions d’énergie utilisant des combustibles fossiles ; 12. Revoir notre économie afin de réduire les inégalités de richesse et faire en sorte que les prix, les taxes et les dispositifs incitatifs prennent en compte le coût réel de nos schémas de consommation pour notre environnement ; 13. Déterminer à long terme une taille de population humaine soutenable et scientifiquement défendable tout en s’assurant le soutien des pays et des responsables mondiaux pour atteindre cet objectif vital.»

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ANNEXE 2

Quelques citations pour méditer sur la cause animale

"Je suis en faveur des droits des animaux autant ue des droits de l’homme " Abraham Lincoln (1809-1865)

"Nous n’héritons pas de la Terre de nos anc tres, nous l’empruntons nos enfants " Antoine de Saint-Exupéry

"Un seul oiseau est en cage et la liberté est en deuil." Jacques Prévert (1900-1977)

"Quand un animal fait quelque chose, nous appelons cela instinct ; si nous faisons la même chose pour la même raison, nous appelons cela intelligence." Will Cuppy (1884-1949)

"Lorsque nos intentions sont égoïstes, le fait ue nos actes puissent paraître bons ne garantit pas u’ils soient positifs ou éthiques." Dalaï Lama

"L’homme a peu de chances de cesser d’ tre un tortionnaire pour l’homme, tant u’il continuera apprendre sur l’animal son métier de bourreau." Marguerite Yourcenar (1903-1987)

"Tant u’il n’étendra pas le cercle de sa compassion tous les tres vivants, l’homme ne trouvera pas de paix " Dr Albert Schweitzer (1875-1965)

"Nous pouvons juger le cœur d’un homme par son comportement envers les animaux." Emmanuel Kant (1724-1804)

"Tant ue les hommes massacreront les b tes, ils s’entretueront Celui ui sème le meurtre et la douleur ne peut en effet récolter la joie et l’amour " Pythagore (570-480 av. JC)

"L’homme est le seul animal qui rougit, ou a besoin de le faire." Mark Twain (1835-1910)

"S’élever contre les corridas, c’est défendre notre part d’humanité, une part ui dans notre société est en grave danger." Albert Jacquard

"Les naturels sanguinaires l’endroit des b tes témoignent d’une propension naturelle la cruauté " Michel de Montaigne (1533-1592)

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"La uestion n’est pas : peuvent-ils raisonner ? Peuvent-ils parler ? mais : peuvent-ils souffrir ? ." Jeremy Bentham (1748-1832)

"La cruauté envers les animaux est la violation d’un devoir de l’homme envers lui-même." Emmanuel Kant (1724-1804)

"Les animaux, dont nous avons fait nos esclaves, nous n’aimons pas les considérer comme nos égaux " Charles Darwin (1903-1987)

"L’animal ne possède rien, sauf sa vie, que si souvent nous lui prenons." Marguerite Yourcenar (1900-1977)

"Vous ne serez jamais, et dans aucune circonstance, tout à fait malheureux si vous êtes bon envers les animaux." Victor Hugo (1802-1885)

"Le raisonnement justifiant la vivisection, le sacrifice de créatures que nous considérons comme des êtres "inférieurs", diffère peu de celui qui justifie le camp de concentration ou le commerce des esclaves." Prince Sadruddin Aga Khan , journal The Observer, 16 août 1981.

"Auschwitz commence partout où uel u’un regarde un abattoir et pense : ce sont seulement des animaux." Theodor Adorno (1903-1969)

"Demandez aux chercheurs pourquoi ils expérimentent sur les animaux et leur réponse est : parce que les animaux sont comme nous. Demandez aux chercheurs pour uoi c’est moralement acceptable d’expérimenter sur des animaux et leur réponse est : parce ue les animaux ne sont pas comme nous L’expérimentation animale repose sur une contradiction logique." Charles R. Magel

"Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui " Claude Lévi-Strauss

"C’est des hommes et d’eux seulement u’il faut avoir peur Toujours " Louis-Ferdinand Céline

"La science a fait de nous des dieux avant ue nous méritions d’ tre des hommes " Jean Rostand

"La grandeur d’une nation et ses progrès moraux peuvent tre jugés par la manière dont elle traite les animaux." Gandhi (1869-1948) "Quel u’un ui s’est habitué considérer la vie de n’importe uelle créature vivante comme sans valeur, finit par penser u’une vie humaine ne vaut rien." Dr Albert Schweitzer (1875-1965)

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"Un jour nos petits-enfants nous demanderont : où étiez-vous pendant l’Holocauste des animaux ? Qu’avez- vous fait contre ces horribles crimes ? Nous ne serons pas capables de donner la même excuse une seconde fois, que nous ne savions pas." Dr. Helmut Kaplan

"De nos jours, nous ne pensons pas beaucoup l’amour ue peut porter un homme un animal ; nous rions des gens ui sont attachés aux chats Mais si nous arr tons d’aimer les animaux, ne serions-nous pas également forcés d’arr ter d’aimer les gens ? " Alexandre Soljenitsyne

"L’animal ne demande pas u’on l’aime, il demande u’on lui fiche la paix" Théodore Monod

"Qu’est-ce ue l’homme sans les b tes ? Si toutes les b tes disparaissaient, l’homme mourrait, car ce qui arrive aux b tes arrive bientôt l’homme " Déclaration attribuée au Chef Indien Seattle (1854)

"Quand un homme désire tuer un tigre, il appelle cela sport. Quand un tigre le tue, il appelle cela férocité." George Bernard Shaw (1856-1950)

“Les animaux du monde existent pour leurs propres raisons Ils n’ont pas été créés pour les humains, pas plus ue les noirs n’ont été créés pour les blancs ou les femmes pour les hommes ” Alice Walker, auteur de La Couleur Pourpre

"Depuis longtemps, les pygmées sont déconsidérés par les autres ethnies, bien u’ils soient les premiers citoyens de ce pays Mais le fait d’ tre mangés, spécialement, les a convaincus u’ils ne sont pas considérés comme des humains. Les soldats du MLC disent que manger de la viande de Pygmée, ou boire de leur sang rend fort." Benoît Kalume, du Programme d’Assistance aux Pygmées - Journal Le Monde, 27 février 2003

"Prenez parti ! La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime Le silence encourage le bourreau, jamais l’oppressé " Elie Wiesel

"L’homme croit uel uefois u’il a été créé pour dominer, pour diriger Mais il se trompe Il fait seulement partie du tout L’homme n’a ni pouvoirs, ni privilèges, seulement des responsabilités " Oren Lyons, Iroquois.

"L’ultime espoir est dans l’efficacité de la pression populaire : chaque individu est sans doute impuissant, mais en nous rassemblant, nous pouvons faire basculer l’histoire " Professeur Albert Jacquard "Je ressens de la tristesse pour ces femmes qui continuent d’acheter des manteaux avec de la vraie fourrure Il leur manque les deux plus importantes choses nécessaires à une femme : du cœur et de la sensibilité " Jayne Meadows

"On me demande parfois : Pourquoi dépensez-vous autant de votre temps et d’argent parler de la

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bonté des animaux quand il y a tant de cruauté faite aux hommes ? Je réponds : Je travaille à ses racines." George T. Angell (1823-1909)

"Chaque fois que les gens disent : Nous ne devons pas tre sentimentaux, cela signifie u’ils sont sur le point de faire uel ue chose de cruel Et s’ils ajoutent : Nous devons tre réalistes, ils veulent dire u’ils vont en faire de l’argent Ces slogans ont une longue histoire Ils furent utilisés pour justifier les commerçants d’esclaves, les industriels impitoyables ( ) On les a maintenant passés, comme un héritage, aux fermiers d’usine " Brigid Brophy, Unlived Life

"L’homme ne se soucie pas de la douleur d’un animal uand son plaisir est impli ué Il pille la terre pour satisfaire ses appétits." Clarence Darrow (1857-1938)

"Les militants du bien-être animal sont nos pires ennemis." , l’un des pères de l’anti-vivisectionnisme

"Celui ui n’hésite pas vivisé uer, n’hésitera pas non plus mentir " George Bernard Shaw (1856-1950)

"Je déteste et crains la Science à cause de ma conviction que, pour longtemps sinon pour toujours, cela détruira toute la simplicité et la douceur de la vie, toute la beauté du monde ; je la vois rétablissant la barbarie sous le masque de civilisation ; je la vois obscurcissant les esprits des hommes et durcissant leurs cœurs " George Gissing (1857-1903)

"Si nous avons de véritables principes moraux concernant les animaux, ceux-ci ne différeront pas en substance de ceux que nous avons pour les gens. Si les gens ont naturellement des droits, les animaux en ont également." Roslind Godlovitch, Animals, Men and Morals "Je pense que la tendance rapidement croissante à considérer les animaux comme nés seulement pour servir d’esclaves la soi-disant humanité est absolument répugnant." Sir Victor Gollancz (1893-1967)

"Des hommes intellectuels et instruits ont été coupables des plus grands crimes de l’histoire L’ini uité de la procédure (vivisection) est aggravée par le fait u’elle a démontré son inutilité " Docteur W.R. Hadwen (1854-1932)

"Supposons ue demain un groupe d’ tres d’une autre planète atterrissent sur la Terre, des tres ui se considèrent aussi supérieurs vous, ue vous l’égard des autres animaux Auraient-ils le droit de vous traiter comme vous traitez les animaux, tre élevés, par ués et tués pour l’alimentation ?" John Harris, Animals, Men and Morals

"Il n’est pas nécessaire d’ tre un spécialiste pour avoir et exprimer son opinion au sujet de la vivisection Il n’est pas nécessaire d’ tre un scientifique ou un naturaliste pour détester la cruauté et aimer la pitié." Robert Green Ingersoll (1833-1899)

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"Notre traitement l’encontre des animaux sera un jour considéré comme barbare Il ne peut pas y avoir de civilisation parfaite tant ue l’homme ne se rende compte que les droits de chaque créature vivante sont aussi sacrés que la sienne." Docteur D. Starr la Jordanie (1851-1931)

"Nous ne pouvons pas avoir deux cœurs, un pour les animaux, un autre pour l’homme Dans la cruauté envers l’un ou l’autre il n’y a aucune différence, sauf pour la victime " Lamartine (1790-1869)

"La Biologie est la science de la vie, pas de la mort." Dr Robert Sharpe

"Le fait d’enfermer dans une cage des animaux libres et fiers est l’un des procédés les plus abominables de la colonisation." Aragon

VÉGÉTARISME - VEGAN

"Rien ne peut être plus bénéfique à la santé humaine et augmenter autant les chances de survie des espèces sur la Terre ue l’évolution vers un régime végétarien " Albert Einstein (1879-1955)

"Tant u’il y aura des abattoirs, il y aura des champs de bataille." Léon Tolstoï

"Les gens répètent souvent que depuis toujours les hommes ont mangé des animaux, comme justification pour continuer cette pratique. En suivant cette logique, nous ne devons pas essayer d’emp cher les individus de tuer d’autres personnes, puis ue cela aussi se fait depuis la nuit des temps " Isaac Bashevis Singer (1904-1991)

"J’ai renoncé depuis des années l’utilisation de la viande, et le jour viendra où le fait de tuer un animal sera condamné au même titre que celui de tuer un humain." Léonard de Vinci (1452-1519)

"Maintenant je peux te regarder en paix, désormais je ne te mange plus." Franz Kafka (1883-1924) Remar ue faite pendant u’il admirait un poisson

"Je ne vois pas comment je pourrais digérer de l’agonie " Marguerite Yourcenar à propos de la viande

"Si un homme cherche sérieusement une vie droite, son premier acte d’abstinence sera l’alimentation animale." Léon Tolstoï (1828-1910)

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"Quand je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin de la viande pour vivre ou tre en bonne santé, j’ai commencé voir comment tout cela est triste ( ) J’ai vu des cochons attendant pour tre abattus, et leur hystérie et leur pani ue furent uel ue chose ue je n’oublierai jamais pour le restant de ma vie." Cloris Leachman, The Vegetarians "La plupart des gens accepte le fait de consommer de la viande la seule condition ue l’animal ait du plaisir pendant son existence puis ensuite soit abattu avec humanité. En aucun cas ces deux critères peuvent être aujourd’hui garantis Beaucoup de gens, tellement révoltés par cette situation, ont fait le premier pas en devenant végétariens J’emploie l’expression "premier pas" parce ue la production laitière crée beaucoup de souffrance." Ruth Harrison, Animals, Men and Morals

"Personne ne peut prétendre avoir un véritable intérêt au bien- tre des animaux s’il continue pardonner leur abattage inutile - en tout cas, sans tre accusé d’hypocrisie Continuer de manger l’objet de votre préoccupation est un stupéfiant exemple d’aveuglement " John Harris, Animals, Men and Morals

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ANNEXE 3

LA FILIATION LIBERTAIRE DU NATURISME Quel ues textes essentiels pour se réapproprier l’histoire

Élisée RECLUS (1830-1905) « LA QUESTION DES VÊTEMENTS ET DE LA NUDITÉ »

La uestion des v tements et de la nudité est certainement celle ui a le plus d’importance la fois au point de vue de la santé physi ue, de l’art et de la santé morale : aussi est-il nécessaire de préciser ce ue l’on pense cet égard, car le temps est venu de ne plus reculer devant aucune discussion C’est l une con u te récente de la liberté humaine : il y a peu d’années on eût repoussé d’avance comme attentatoire la morale toute proposition où la nécessité des v tements eût pu être contestée Sous l’influence de cette idée d’origine immémoriale, consacrée par la religion, indiscutée par la morale, on se laissait aller à croire dans la société actuelle, dite civilisée, que les convenances se trouvent chez les différents peuples en proportion directe avec les vêtements. La dame élégante affecte de ne pas même voir celui qui marche pieds-nus ; les mains, qui sont par excellence les organes de l’action, les metteurs en œuvre de la pensée humaine, sont fré uemment revêtues de gants ; la plupart des femmes chrétiennes non obligées au travail physi ue vont jus u’ voiler leur visage, la façon des mahométanes, sans y tre forcées par d’autres tyrans ue la mode : ainsi même la tête ne se montre pas librement, un brouillard de tulle ou de cr pe s’interpose entre le regard et la nature ; m me les pois noirs ou rouges brodés sur l’étoffe semblent jeter une taie sur les yeux ou parsemer des boutons sur la joue Les conventions le veulent ainsi, comme aussi en d’autres circonstances les mœurs de la société exigent que la femme apparaisse en pleine lumière les épaules et les seins nus À l’entrée de Charles Quint dans sa bonne ville d’Anvers, les âmes les plus nobles familles se disputaient l’honneur de paraître nues dans le cortège du maître, de même que sous le Directoire, il fallait se v tir d’étoffes transparentes pour satisfaire aux exigences du bon ton Toutefois, il faut le dire, la religion, la morale officielle n’approuvent point ouvertement ces écarts de la coutume et s’accommodent beaucoup mieux des vêtements traditionnels qui, en certains pays comme le Tyrol, la Bretagne, recouvrent absolument le corps et en rendent la forme méconnaissable. Tel était le but de la « Sainte Eglise », qui voyait dans la femme la plus grande incitatrice au péché.

Au fond, il s’agit de savoir le uel, du nu ou du v tement, est le plus hygiéni ue, le plus sain pour développement harmoni ue de l’homme au physi ue et au moral Quant au premier cas, il ne peut y avoir aucun doute Pour les hygiénistes, c’est une uestion jugée ue celle de la nudité Il n’est pas douteux que la peau reprend de sa vitalité et de son activité naturelles quand elle est librement exposée l’air, la lumière, aux phénomènes changeants du dehors La transpiration n’est plus gênée ; les fonctions de l’organe sont rétablies ; il redevient plus souple et plus ferme la fois ; il ne pâlit plus comme une plante isolée privée de jour. Les expériences faites sur les animaux ont prouvé aussi ue, lors ue la peau est soustraite l’action de la lumière, les globules rouges diminuent de m me ue la proportion d’hémoglobine C’est dire ue la vie devient moins active et moins intense Encore un exemple de ce fait, que les progrès de la civilisation ne sont pas nécessairement des progrès et u’il importe de les soumettre au contrôle de la science.

Prenons des exemples parmi les peuples : tous les voyageurs s’accordent dire ue les Polynésiens étaient les plus beaux hommes avant que les missionnaires, zélés distributeurs de lainages et de cotonnades, eussent sévi dans les parages océaniques ; on sait également que nulle part les artistes

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n’eurent plus noble compréhension de la beauté ue dans la merveilleuse Hellade, où les jeunes et forts luttaient, couraient, jouaient au grand air, les membres nus, devant le peuple assemblé. On n’ignore pas non plus ue les hygiénistes actuels, désireux de restituer la beauté et la santé humaine mises en danger par le manque de méthode dans la nourriture et le vêtement, se mettent à déshabiller leurs patients pour les accoutumer l’air et la lumière Dans toute l’Europe occidentale et jusque dans la septentrionale Écosse, des établissements se sont ouverts, où des invalides riches viennent exposer leur peau nue l’action vivifiante du vent et du soleil

Sans doute que les contrées froides, telle la Scandinavie, et même les pays tempérés, comme pres ue toutes les régions populeuses de l’Europe, ont un climat d’hiver très âpre en comparaison de ceux dont jouissent les Océaniens, mais les abris et les draperies, qui sont tout autre chose que les v tements, permettent aussi de se garantir du froid Jus u’ une épo ue récente, les Japonais, ue les mœurs du cant anglais n’avaient pas encore contaminés, ne se sentaient nullement obligés par les convenances de cacher leur nudité et se baignaient en commun ; c’est la vue du libre jeu des muscles et des membres que les artistes du Nippon durent certainement leur franchise de mouvement dans l’usage du pinceau Ce sont des peintres et statuaires ui ont sauvé la civilisation de notre vieille Europe en gardant le culte de la forme humaine malgré les malédictions de l’église contre la chair Ils ont, du reste, con uis de haute lutte le droit de représenter l’homme sans les voiles auxquels la loi nous astreint.

L’é uilibre de la santé, le fonctionnement normal du corps ne peuvent se rétablir complètement, les maladies provenant des alternatives du froid et du chaud continueront de menacer l’individu civilisé aussi longtemps que la statue humaine ne sera pas « délivrée de ses linceuls », tant ue l’homme ne sera pas redevenu « entièrement face », comme le disait un indigène de la côte du Chili Mais, c’est au point de vue de la santé morale surtout que la restitution de la beauté nue serait nécessaire, car l’artifice du costume et de la parure est de ceux ui, par la sotte vanité, le servile esprit d’imitation et surtout par les mille ingéniosité de vice, entraînent le plus souvent à la corruption générale de la société.

On peut en juger facilement dans les écoles des Beaux-Arts où les jeunes hommes, souvent dépravés, dessinent religieusement d’après le modèle féminin, avec un parfait respect de la forme humaine, et se laissent aller aux pensées libertines que plus tard, au contact des femmes revêtues de leurs atours et colifichets : la mode a donné aux habits la coupe faite spécialement pour exciter les convoitises. La beauté nue ennoblit et purifie ; le vêtement, insidieux et mensonger, dégrade et pervertit.

Or la mode règne encore, de même que règnent toujours le Seigneur Capital et les antiques survivances de l’Église et de l’État Il n’est donc point espérer ue la mode, ui représente les intér ts d’innombrables fournisseurs et ui répond un ensemble infini de petites passions personnelles, abdique de gré ou de force devant un régime nouveau d’art et de bon sens On peut l’espérer d’autant moins ue la mode est l’héritage de tout le passé Elle change de siècle en siècle, de saison en saison, mais cependant beaucoup moins u’on se l’imagine d’ordinaire : elle saute brus uement d’un extr me l’autre, mais en prenant toujours des formes précédemment connues Aucunes des anciennes manière de se parer et de s’embellir n’a complètement disparu, m me dans nos sociétés élégantes Nombre d’hommes se tatouent encore, et, parmi les amiraux actuels, on pourrait en voir dont les gants de cérémonies cachent une ancre marquée en bleu à la racine du pouce La femme européenne ne se passe pas d’anneau dans la narine, comme l’Hindoue, mais elle le suspend à son oreille ; elle garde le collier de la sauvagesse et porte le bracelet de la captive, reste la chaîne ui l’attachait au poteau de la tente Le soldat, ui dans la société actuelle représente le primitif, l’homme de vanité guerrière et de combat, s’orne d’épaulettes, de franges, de galons aux couleurs voyantes, de plaque, de croix en émail ou en métaux étincelants, de plumes multicolores, au ris ue d’attirer dans la bataille les regards et les balles de l’ennemi

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Mais si, chez les classes riches qui veulent à toute force se distinguer du commun des hommes, l’amour du luxe maintient la séparation des classes ou m me cherche l’augmenter encore force de dépenses, les foules démocrati ues tendent se ressembler de plus en plus par le costume : c’est déjà un progrès. En nombre de pays, on ne distingue plus guère entre le riche et le pauvre, car l’homme de goût, m me opulent, s’habille avec simplicité, et la propreté est de règle chez tous, même pour les peu fortunés. De plus, le vêtement des femmes laborieuses se rapproche de celui des hommes : celles qui veulent conquérir la liberté pleine de leurs mouvements trouvent le moyen de se débarrasser des robes lourdes, des corsets étroits, des chapeaux fleuris.

Un certain progrès s’est positivement accompli dans le sens de la liberté du costume et malgré tout on s’est uel ue peu rapproché de l’hygiène Mais la grande révolution esthéti ue et morale ui laissera au civilisé moderne le droit u’avait le Grec autrefois de se promener débarrassé de langes la lumière du soleil, cette grande révolution est encore, parmi toutes les ambitions de l’homme moderne, celle qui paraît la plus difficile à réaliser.

Extrait de L’homme et la terre, Librairie universelle, 1905, t.6, chap.XI, p.485-491.

Ernest JUIN, dit E. ARMAND (1872-1963) « LE NUDISME RÉVOLUTIONNAIRE »

Qu'on considère le nudisme comme "une sorte de sport, où les individus se mettent nus en groupe pour prendre un bain d'air et de lumière comme on prendrait un bain de mer" (Dr Toulouse), c'est-à- dire à un point de vue purement thérapeutique; qu'on l'envisage, comme c'est le cas pour les gymnosmystique (gymnos en grec signifie « nu » ), comme un retour à un état édénique, comme replaçant l'homme dans un état d'innocence primitif et "naturel", thèse des adamites d'autrefois, - ce sont deux points de vue qui laissent place à un troisième qui est le nôtre, c'est que le nudisme est, individuellement et collectivement, un moyen d'émancipation des plus puissants . Il nous apparaît comme tout autre chose qu'un exercice hygiénique relevant de la culture physique ou un renouveau "naturiste". Le nudisme est, pour nous, une revendication d'ordre révolutionnaire. Révolutionnaire sous un triple aspect d'affirmation, de protestation, de libération.

Affirmation : Revendiquer la faculté de vivre nu, de se mettre nu, de déambuler nu, de s'associer entre nudistes, sans avoir d'autre souci, en découvrant son corps, que celui des possibilités de résistance à la température, c'est affirmer son droit à l'entière disposition de son individualité corporelle. C'est proclamer son insouciance des conventions, des morales, des commandements religieux, des lois sociales qui nient à l'humanité, sous des prétextes divers, de disposer des différentes parties de son être corporel comme il l'entend. Contre les institutions sociétaires et religieuses que l'usage ou l'usure du corps humain est subordonné à la volonté du législateur ou du prêtre, la revendication nudiste est l'une des manifestations la plus profonde et la plus consciente de la liberté individuelle.

Protestation : Revendiquer et pratiquer la liberté de l'anudation est, en effet, protester contre tout dogme, loi ou coutume établissant une hiérarchie des parties corporelles, qui considère par exemple que l'exhibition du visage, des mains, des bras, de la gorge est plus décente, plus morale, plus respectable que la mise à nu des fesses, des seins, du ventre ou de la région pubienne; c'est protester contre la classification en nobles et en ignobles des différentes parties du corps : le nez étant considéré comme noble et le membre viril comme ignoble, par exemple. C'est protester, dans un sens plus élevé, contre toute intervention (d'ordre légal ou autre ) qui nous oblige à nous vêtir,

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parce que cela plaît à autrui, alors qu'il n'est jamais entré dans nos intentions d'objecter à ce qu'autrui ne se dévête pas, s'il y trouve davantage son compte.

Libération : Libération du port du vêtement ou plutôt de la contrainte de porter un costume qui n'a jamais été et ne peut être qu'un déguisement hypocrite puisque reportant l'importance sur ce qui couvre le corps - donc sur l'accessoire - et non sur le corps lui-même, dont la culture cependant constitue l'essentiel. Libération d'une des principales notions sur lesquelles se fondent les idées de "permis" et de défendu, de "bien" et de "mal" . Libération de la coquetterie, du conformisme à un étalon artificiel d'apparence extérieure qui maintient la différenciation des classes. Qu'on s'imagine nu le général, l'évêque, l'ambassadeur, l'académicien, le garde-chiourme, le garde- chasse ? Que resterait-il de leur prestige, de leur délégation d'autorité ? Les dirigeants le savent bien et ce n'est pas un de leurs moindre motifs d'hostilité au nudisme.

Délivrance du préjugé de la pudeur, qui n'est autre que "la honte de son corps". Délivrance de l'obsession de l'obscénité, actuellement provoquée par la mise à découvert des parties corporelles que le tartufisme social prescrit à tenir cachées - affranchissement des réserves et des retenues impliquées par cette idée fixe.

Nous allons plus loin. Nous maintenons, en nous plaçant au point de vue sociabilité que la pratique de l'anudation est un facteur de meilleure camaraderie, de camaraderie moins étriquée. On ne saurait nier que nous est une, un camarade moins distant, plus intime, plus confiant, non seulement celle ou celui qui se fait connaître à nous sans arrière-pensée intellectuelle ou éthique, par exemple, mais encore sans aucune dissimulation corporelle.

Les détracteurs du nudisme - les moralistes ou hygiénistes conservateurs d'État ou d'Église - prétendent que la vue du nu, que la fréquentation entre nudistes des deux sexes exaltent le désir érotique. Cela n'est pas toujours exact. Cependant, contrairement à la plupart des théories gymnistes - chez lesquelles l'opportunisme ou la crainte des persécutions est le commencement de la sagesse, - nous ne le nions pas, mais nous maintenons que l'exaltation érotique engendrée par les réalisations nudistes est pure, naturelle, instinctive et ne peut être comparée à l'excitation factice suscitée par le demi-nu, le déshabillé galant, et tous les artifices de toilette auxquels a recours le milieu vêtu, mi- vêtu ou court-vêtu où nous évoluons.

L'Encyclopédie anarchiste 1934 Texte extrait de l’étude « Communautés, naturiens, végétariens, végétaliens, crudivégétariens dans le mouvement anarchiste français » (1895-1938).

Gérard de LACAZE-DUTHIERS (1876-1958) « LE NU FAIT PARTIE DES REVENDICATIONS RÉVOLUTIONNAIRES LES PLUS PRESSANTES »

Que l'on soit obligé d'exposer en public la question du "nudisme", de prendre la défense de celui-ci et de militer en sa faveur, cela semble insensé. Voilà une question qui devrait être résolue depuis longtemps, dans le sens de l'affirmative. Être contraint d'en parler, cela prouve l'imbécillité de nos mœurs ui n'ont pu s'en accommoder et condamne la morale de "la feuille de vigne" ui ramène le nu tout entier au sexe, dont la vue seule l'offusque et le met en fureur...

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- Le "nu" fait partie des revendications "révolutionnaires" les plus pressantes. Prétendre avoir le droit de se mettre nu, quand bon vous semble et où bon vous semble, c'est faire acte d'insoumission et de révolte, du moment que l'autorité s'oppose à ce droit. Celui qui préconise le nu se met en dehors, non seulement de tous les codes des sociétés dites civilisés, mais des préjugés les plus sots et des coutumes les plus ridicules...

- Le nu finira par vaincre l'hostilité des moralistes et l'hypocrisie des religions. Un jour viendra où il sera pratiqué sans contraintes, dans une société meilleure. Mais ce jour est encore lointain : il faut que la mentalité humaine se transforme du tout au tout pour que le nudisme devienne une réalité...

- Mille raisons militent en faveur du nudisme, dont les meilleurs sont les raisons d'hygiène et de santé. Quant aux raisons invoquées par la morale, elles ne comptent pas. Elles sont idiotes...

- Comment pouvons-nous prendre au sérieux la guerre faite au nudisme par l'État Français, quand nous voyons qu'il est toléré dans certains pays? Il ne faut pas chercher à comprendre, ici comme ailleurs. C'est une énigme.

- Qu'on laisse les gens aller et venir nus, si cela leur plaît, au lieu de les accabler d'injures et d'exiger que l'autorité intervienne pour les punir. L'impuissance et la sottise ne savent que faire pour entraver cette manifestation de la liberté individuelle...

- L'homme nu, c'est l'homme réel, sorti des mains de la nature, libre et vivant, et non anémié et déformé par un vêtement qui n'est qu'un déguisement grotesque et absurde...

- Libérer le corps du vêtement, c'est libérer l'esprit du mensonge...

- Il y a tant d'imbéciles dans notre société qu'on ne peut voir un homme nu sans le traiter de "satyre" et sans mettre les gendarmes à ses trousses. Que d'attentats à la pudeur on fait commettre à des gens qui ne réclament qu'une chose : Qu'on leur fiche la paix, comme ils la fichent aux autres !

(Tiré de L'En Dehors, décembre 1928).

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ANNEXE 4

Élise Freinet : de l’expérience naturiste aux pratiques de l’École Freinet XAVIER ET RIONDET p. 133-148

Source : https://journals.openedition.org/rechercheseducations/1569 Site Recherches et éducation – Revue généraliste de recherches en éducation et formation (S’y rendre pour retrouver toutes les notes et références)

RÉSUMÉ Dans le contexte de l’École Freinet Vence (06), Élise Freinet (1898-1983) a continuellement évoqué l’influence de Basile Vrocho (1892-1936), professeur naturiste d’origine grec ue, ui la soigna dans les années 30 L’objet de notre contribution porte sur l’influence histori ue de l’expérience naturiste d’Élise Freinet sur l’École Freinet, sur les savoirs et les prati ues en jeu dans cette expérience

PLAN Problématique De l’expérience naturiste d’Élise aux réseaux naturistes en pédagogie La précarité de l’école républicaine et la menace de la tuberculose Rencontre avec Vrocho Vulgarisation et constitution d’un réseau naturiste en pédagogie Le naturisme prolétarien Criti ue d’une vie humaine contre-nature Criti ue d’une civilisation aux mains du capitalisme Vers un naturisme prolétarien et matérialiste Les prati ues de l’École Freinet Vence Un naturisme à réaliser Retour sur uel ues prati ues dans l’histoire de l’École Freinet (1935-1966) Missions et publics spécifiques Quelle légitimité pour ces pratiques alternatives ? Conclusion : L’éducation la santé depuis le naturisme prolétarien, repères histori ues et problématiques Arrière-plan historique et philosophique La santé, un enjeu de « luttes » et une question éducative

TEXTE INTÉGRAL Afin de revenir sur les circonstances et l’arrière-plan ui rendirent possible l’alternative de la pensée Freinet1, nous étudions un système de pensée (le naturisme), des déductions pratiques (techniques corporelles) et l’influence de ce complexe sur les uestions éducatives (l’influence de ces prati ues dans l’École Freinet)

L’histoire de l’École Freinet de Vence, fondée par le couple Freinet en 1935, se caractérise aujourd'hui par la constitution d’un patrimoine, la fois matériel et immatériel (Go & Riondet, 2013), comprenant des influences en jeu dans cette œuvre : notamment, Hébert, Carrel, Vrocho et Carton (et plus tard Violet). Cette étude veut contribuer à la compréhension de ces influences dans les prati ues éducatives dans l’histoire de cette école « réserve d'enfants » (Freinet, É, 1974 ; Go, 2007).

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PROBLÉMATIQUE

L’enjeu étant de saisir en uoi l’École Freinet2 est singulière, nous avons choisi un arrière-plan épistémologi ue d’influence foucaldienne (Go & Riondet, 2013). Les travaux de Foucault permettent d’appréhender la uestion du corps comme résistance aux mécanismes du pouvoir, notamment au sujet des uestions de santé Ensuite, l’historiographie foucaldienne porte une grande attention l’archive pour ce u’elle est, pour saisir des ruptures et des discontinuités Enfin, la référence Foucault permet une posture philosophi ue partir de l’actualité afin de la problématiser Nous suivrons un plan en trois parties : l’expérience naturiste des Freinet, le concept de naturisme prolétarien et la uestion des prati ues spécifi ues de l’École Freinet En conclusion, nous dégagerons les lignes de force l’œuvre dans notre actualité partir de cette étude histori ue

DE L’EXPÉRIENCE NATURISTE D’ÉLISE AUX RÉSEAUX NATURISTES EN PÉDAGOGIE

La précarité de l’école républicaine et la menace de la tuberculose Élise3 entre l’École normale d'institutrices de Gap en 1916 Jeune enseignante, elle est très engagée, et ses contestations face aux conditions médiocres d’exercice heurtent rapidement l’administration Lors u’elle rencontre Freinet en 1925, Élise hésite entre deux carrières : enseignante ou artiste. Après un premier congé pour convenances personnelles, elle retourne en classe et cherche en vain à être nommée dans la même école que Freinet à Saint-Paul-de-Vence. En avril 1931, le Docteur Audion lui prescrit repos et grand air4. Son état se dégrade rapidement (dépression générale)5 et en juin, elle présente « des signes cliniques non douteux de tuberculose pulmonaire spécialement marqués à droite dans la fosse sus-épineuse »6. Le docteur Audion précise « ue le repos, l’air, la montagne si possible, lui étant nécessaires, il est indispensable ue son congé maladie soit prolongé du 9 juin au 9 juillet 1931 »7. Elle obtient une série de congés de « longue durée », avant d’essayer de faire reconnaître cette maladie comme ayant été contractée pendant l’exercice de son métier

Rencontre avec Vrocho Ce serait par l’intermédiaire d’amis communs8 que les Freinet rencontrent Vrocho. De son vrai nom Basile André Vrochopoulos9, « Vrocho » est un professeur de culture physique inspiré par les méthodes de Kuhne, Kneipp, Bier, et Muller10. À partir de ces apports, il conçoit une méthode (méthode Vrocho) qui se développe principalement dans le Sud de la France dans les années 1930, et en particulier dans un Institut naturiste créé Nice en 1928 Ce réseau naturiste est d’influence marxiste, voire anarchiste11.

Outre les techni ues d’hydrothérapie et de sudation, cet ensemble de pratiques corporelles s’accompagne de prati ues d’alimentation (focalisation sur la consommation de fruits) et de techni ues de respiration par le nez, pour réédu uer le cœur, et également des fins d’apaisement12 Selon Élise, c’est l’utilisation de cette méthode ui l’aurait guérie de la tuberculose

VULGARISATION ET CONSTITUTION D’UN RÉSEAU NATURISTE EN PÉDAGOGIE

La vulgarisation de cette méthode est favorisée par la publication de l’ouvrage Cultiver l’énergie, du pédagogue suisse Ferrière, aux éditions de l’Imprimerie l’École en 1933 La revue L’Éducateur Prolétarien fait un court résumé de l’ouvrage et de ses enjeux en mai 1933 Si l’ouvrage ne traite pas directement des questions éducatives, mais de la recherche de la santé par les pratiques naturistes de la méthode Vrocho, c’est la uestion de l’harmonie ui intéresse ici les éditeurs, en tant ue

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préalable aux questions éducatives13 L’hypothèse naturiste est envisagée pour rechercher les conditions physiques et psychologiques possibles de la relation éducative14.

Une rubrique spécifique, « Pour un naturisme prolétarien », apparaît en décembre 1933 dans la revue L’Éducateur Prolétarien autour de réflexions sur un lien possible entre naturisme, éducation et politi ue L’idée de cette rubri ue repose sur une articulation, axée sur les lois rationnelles de la nature, penser entre conceptions naturistes et système d’éducation et de philosophie prolétariennes15 L’enjeu de ces réflexions sur le naturisme et l’éducation est d’ordre révolutionnaire, « sous l’emprise d’une civilisation qui nous étreint étrangement » (Lagier-Bruno, 1933a : p. 162).

La chronique naturiste se développe en octobre 1934 autour d’un appel la recherche et au développement des lois fondamentales (alimentation, hydrothérapie, mouvement, vie mentale) à partir des uelles chacun pourra découvrir sa techni ue personnelle L’enjeu étant de « faire œuvre pratique », un encart « Propos Vrocho » est envisagé pour répondre aux questions et demandes de détails éventuelles16 En janvier 1936, alors ue l’enthousiasme croît autour du système Vrocho17, Freinet annonce la disparition de Vrocho et la fermeture de facto de l’Institut naturiste (Freinet, 1936 : p. 210).

LE NATURISME PROLÉTARIEN

Critique d’une vie humaine contre-nature Revenons sur ce que signifie « naturisme prolétarien ». « L’homme est, de par sa constitution organique, un mangeur de fruits et de graines », écrit Vrocho (1934a : p. 222). Ses sens, sa constitution dentaire, son tube digestif, son corps ne le rapprochent ni des herbivores, ni des carnivores Ce sont des conditions anormales ui ont poussé l’homme consommer de la viande. Plusieurs facteurs expliquent la survivance de cette habitude : « ignorance », « faiblesse de caractère », « causes financières » Or, le problème s’est complexifié car l’homme a associé la viande d’autres produits nocifs : « alcool, tabac, alcaloïdes, sel, chaleur des plats cuisinés, etc… » (id.). Cette association contribua à une « désharmonie circulatoire »18.

Toute la vie du civilisé moderne est « tissée d’hérésies d’un bout à l’autre de ses journées » (Freinet, É , 1936b : p 332) et c’est ce fait ui représente « la cause de la maladie et de la stérilité intellectuelle » ; là est « le grand gaspillage d’énergie » (id.). La grande erreur du civilisé moderne est de croire la possibilité et la pertinence du phénomène d’adaptation

Parmi les préjugés les plus néfastes, l’idée selon la uelle l’industrie alimentaire aurait ac uis « une perfection inégalée » est légitimé par l’émergence du frigorifi ue, ui « paraît conserver les denrées les plus fragiles, les viandes les plus délicates, les pâtisseries les plus légères » (Freinet, É., 1937d : p. 115). Or, ces pratiques sont « contre-nature » :

« […] pour conserver un aliment naturel, il faut le soustraire à la fermentation vers laquelle il tend, c’est-à-dire, il faut dénaturer cet aliment, en détruire le pouvoir de vie » (id.). »

Critique d’une civilisation aux mains du capitalisme La complexité du capitalisme réside dans sa manière de se rendre légitime en produisant des évidences dont l’individu n’arrive pas se détacher (la consommation de viandes pour se réchauffer, les associations alimentaires, etc.). Le naturisme prolétarien veut mettre à jour un triple point de tension (usage restreint de la révolution pastorienne, dogmatisme scientifique et médecine classi ue) ui illustre ce processus de légitimation d’une forme de civilisation.

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Dans ce contexte, la découverte de la théorie microbienne de Pasteur, par exemple, s'appuie sur la conception du microbe comme responsable de la maladie et sur l’idée de santé artificielle immunisant le corps humain (ou comme solution au microbe et la maladie). Le dogmatisme scientifi ue aurait alors éclipsé un certain nombre de travaux s’inscrivant dans la lignée de la médecine naturelle d’Hippocrate (empiristes non scientifi ues et scientifi ues) Pour Vrocho, le malade va chercher un diagnostic, le médecin lui apporte une réponse et un jugement Or, l’enjeu n’est pas de savoir « ce qu’on a » mais au contraire « ce qu’on a fait ». La conception fragmentée de la médecine constitue un premier problème (considérer les fonctions organiques comme entités indépendantes), qui en entraîne un second : le malade se trouve victime, à la fois de cette erreur de conception et de la domination à travers laquelle elle se perpétue19. Coup double : dans sa peur du microbe et de la maladie et face aux promesses de l’immunité, l’homme se dépossède de son propre corps devenu objet du savoir médical classique.

Le naturisme prolétarien explique que ce processus complexe a contribué à ensevelir les diverses avancées travers l’Histoire au sujet de la santé naturelle20 L’ensemble de l’industrie alimentaire s’est développé partir de l’usage du toxi ue21 car « l’homme omnivore a voulu mangé de tout, sous toutes les latitudes et en toutes saisons de l’année » (Freinet, É , 1937d : p 116) C’est donc l’ensemble d’un système capitaliste ui est dénoncé ici ; un système où la science est entre les mains des exploiteurs et constitue « un moyen d’oppression terrible » contre la vie22. La justification et la caution scientifi ue de cette idée d’adaptation contribueraient à brouiller les rapports de la civilisation à la nature « jusqu’à récuser les survivances de l’animalité » (Freinet, É., 1936d : p. 117). Pour Élise, il reste à penser un art de guérir, lequel se confondrait en fait avec un art de vivre, à travers « une technique à l’appui d’une philosophie et tout homme est compétent en la matière qui aura assez d’intuition et de sagesse pour comprendre que tout organisme est une unité dans la grande Unité de la Nature » (Freinet, É., 1936a : p. 308).

Vers un naturisme prolétarien et matérialiste Le naturisme de ce réseau est d’abord prolétarien Non u’il s’adresse telle ou telle population exclusivement, ce naturisme estime que les malades sont de tous milieux, mais la « dégénération » touche bien plus durement l’ouvrier23 Le naturisme, partir des années 1920, s’est considérablement développé partir de revues, d’ouvrages, d’instituts médicaux, de maisons d’alimentation, de restaurants et de centres de vacances, et délimite un « mode de vie » particulier (Villaret & Saint-Martin, 2004 : p 22) Le naturisme est alors en passe d’ tre récupéré par le capitalisme24. Ainsi, il apparaît fondamental pour Élise de distinguer le naturisme prolétarien des naturismes bourgeois25.

La seconde particularité est u’il s’agit d’un naturisme matérialiste car il cherche également se singulariser des développements idéalistes du naturisme C’est la référence Marx ui conditionne cette distinction : « Nous sommes des disciples de Marx. Nous voyons la Nature sous un autre aspect plus dialectique, plus matérialiste aussi. Oui, la Nature est aux différentes saisons une source de joies saines et vivifiantes. Elle plait à nos yeux et à notre âme, nous l’aimons. En son sein, nous retrouvons les instincts de l’animal dont nous fûmes issus. La Nature est bienfaisante. Pourtant, elle n’est pas unilatéralement bonne. Elle est le milieu indifférent, favorable ou défavorable qui fait éclore la vie et qui la broie. Les tempêtes passent comme les aubes de mai, la terre roule vers l’éternité des choses, elle crée des hécatombes d’hommes. Elle n’a de comptes à rendre à personne » (Freinet, É., 1939, p. 188).

Loin d’adhérer au mythe du retour la nature26 et à un militantisme fermé (de type secte en marge de la société), ces réflexions et recherches se déploient à partir de deux objectifs : la reconstruction

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de la société et la libération de l’homme Le naturisme prolétarien et matérialiste est donc une expérience de pensée dans une société au sein de laquelle il convient de lutter27.

LES PRATIQUES DE L’ÉCOLE FREINET A VENCE

Un naturisme à réaliser Partie immergée de la pensée politique de Freinet, le naturisme a peu à peu modifié le quotidien des Freinet28. Élise souhaitait pousser le naturisme matérialiste vers une réalisation29. La conquête de la santé repose sur la volonté et un parcours menant la connaissance, car l’homme est son propre ennemi30.

La contribution décisive d’Élise au naturisme consiste dans cette attention pour l’enfance « en exaltant les potentialités vitales et mentales qui résident dans tout organisme fort, vigoureux et bien équilibré » (Freinet, É., 1946/1955 : p. 221-222) car si l’homme représente le « capital le plus précieux dans l’aventure de l’humanité », ce capital prend bien naissance dans l’enfance Le naturisme est envisagé pour permettre l’enfance de découvrir et de développer des techni ues de vie dans un milieu spécialement agencé à cet effet31.

Retour sur quelques pratiques dans l’histoire de l’École Freinet (1935-1966) L’École Freinet se présente dès sa création comme un laboratoire recherchant l’efficience des pratiques en jeu32, à travers une organisation matérielle spécifique33 et un travail sur les corps. Dès 1935, les baignades et les bains de soleil sont des prati ues uotidiennes et l’alimentation se caractérise par un régime alimentaire centré le plus possible sur la consommation du fruit34.

Il est intéressant de noter combien ces pratiques ont perduré dans l'histoire de l'École Freinet35. En 1964 par exemple, les éducateurs se devaient d’ tre végétariens, les matinées commençaient 06h30 par un bain d’eau froide pour les enfants (choc froid dans la piscine) et les fins de matinée (11h30-12h) étaient consacrées aux soins (Bonbonnelle, Faligand & Gilbert, 1966 : p. 30). Une de ces prati ues de soins était la consommation de l’Eau Electro-Vibrée de Marcel Violet36 à des fins thérapeutiques et de bien-être (Violet, 2009 : p. 120-121 et p. 165-166). Ces pratiques corporelles se sont accompagnées de techni ues particulières liées l’idée d’é uilibre corporel et de rééducation des sens Lors des années 1964 et 1965, l’École Freinet utilisait l’Oreille électroni ue37 du Docteur Tomatis pour expérimenter la rééducation de l’audition, du langage et de l’expression38.

Mission et public spécifiques Entre 1935 et 1966, l’école semble avoir accueilli principalement trois profils d’enfants : les enfants de la famille ou des proches du réseau, mais également des enfants réfugiés (réfugiés espagnols) parfois orphelins, et des enfants malades39. Une ébauche de sociologie des premiers élèves de cette école montre que les enfants proviennent de milieux acquis aux idées naturistes et prolétariennes, ou ue l’entrée dans cette école est d’une certaine manière la dernière chance pour guérir ou se régénérer40. La principale difficulté apparue dans les années 1960 est en réalité de trouver des éducateurs en accord avec ces principes de vie, puis de résister à l'envahissement de l'école par des milieux d'artistes ou bourgeois cherchant pour leur enfant une alternative à l'école classique41.

Quelle légitimité pour ces pratiques alternatives ? Si leur apport est difficilement mesurable42, une partie de ces pratiques de santé43 font pourtant référence à certaines pratiques actuellement admises44 (les bains de soleil contre la tuberculose à la

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base du sanatorium, l’apport du thermalisme contre le stress dans la balnéothérapie) et des postures s’inscrivant la fois dans une tradition ancienne (médecine naturelle hippocratique) et dans un contexte scientifique établi (les critiques du darwinisme et de la réduction de la théorie microbienne de Pasteur sont des thématiques particulièrement développées en histoire des sciences et en histoire de la médecine). Cet arrière-plan permet de saisir un autre Freinet (en lien avec Élise) et d’appréhender de manière plus complexe le militantisme des Freinet et leur pensée politi ue, en lien avec des réseaux alternatifs et scientifiques (Carton45, Violet, Tomatis).

CONCLUSION : L’EDUCATION A LA SANTE DEPUIS LE NATURISME PROLETARIEN, REPERES HISTORIQUES ET PROBLEMATIQUES

Arrière-plan historique et philosophique La fin du XVIIIe siècle voit l’apparition d’une prati ue de médecine préventive (inoculation variolique) dans certains établissements scolaires, soutenue notamment par « les parents aisés et cultivés » considérant l’inoculation « comme une défense pour la vie et une avancée médicale de leur temps » (Parayre, 2010 : p. 27-29). Durant le XIXe siècle, hommes d'état et pédagogues se confrontent à deux problèmes sanitaires importants ui touchent l’École : « l’insalubrité des locaux et les épidémies récurrentes de variole, de choléra et de fièvre typhoïde » (Ibid., p. 31). Les questions de santé, d'hygiène et de propreté deviennent progressivement des préoccupations scolaires de premier ordre On peut lire cette évolution autour de la santé comme l’émergence d’une régulation des populations dans le but d’accroître leur rentabilité dans un climat de rationalisation liée au libéralisme, faisant de la santé publique « un biopouvoir essentiel à ce dispositif biologique » (Klein, 2010 : p. 55).

Vers 1935, la tuberculose fait encore beaucoup de ravages (Villaret & Saint-Martin, 2004 : p. 26) et ce fait permet de comprendre la percée du naturisme dans l’institution scolaire, tout en situant cette percée en marge de l’évolution des uestions de santé l’École évo uée ci-dessus. On trouve, dès la fin du XIXe siècle, la trace d’une demande très forte (venant de médecins et de pédagogues) de changements l’intérieur de l’école, et ui se traduit dans les années 30 par l’apparition et le développement des écoles de plein air (E P A ) C’est ici ue se joue la singularité et la radicalité des débats sur le naturisme prolétarien (expérimenter ces pratiques depuis un lieu propre et en lien avec l’éducation) travers la création et la sauvegarde de l’École Freinet ( ui représente l’expérimentation d’un autre cadre scolaire, entièrement articulé autour de la question de la santé naturelle, mais à destination de tous).

La santé, un enjeu de « luttes » et une question éducative La santé apparaît trois niveaux : elle est une condition de possibilité puis u’elle permet l’éducateur de penser autrement et avec lucidité ; elle est un moyen car il s’agit de concevoir un milieu naturel et sain ; elle est un enjeu : l’éducation doit permettre de vivre en bonne santé sans rentrer dans des dispositifs qui capteraient la vie pour alimenter une machine économique.

L’éducation la santé naturelle représente un enjeu pédagogi ue (assainir la vie scolaire), mais également politique. Pour reprendre une formulation foucaldienne, nous pouvons décrire Élise, Vrocho et leurs proches comme un réseau d’hommes et de femmes cherchant à dissocier les « biopouvoirs » du capitalisme d’une « biopolitique » subversive. Dans cette question des « techniques de vie », nous sommes devant « l’affirmation de la puissance de la vie contre le pouvoir sur la vie » (Revel, 2010 : p. 313).

La prise en compte de ces enjeux permet de saisir le sens de l’École Freinet « réserve d’enfants » 46 et le champ de réflexions ue cette expérience peut suggérer Le topi ue du naturisme, s’il peut tre un

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outil d’analyse de l’évolution de l’éducation physi ue (Villaret & Delaplace, 2004 : p 31), peut tre utilisé ici pour rendre compte des limites des pratiques éducatives institutionnelles actuelles, mais également des possibilités inexploitées de certaines propositions (école saine, bien- tre l’école, architecture, sorties scolaires, etc.).

Au sujet d’une mère dont la fillette est atteinte d’entérite chroni ue : « Confiez votre enfant à l’École Freinet pendant un mois ou deux. Elle y sera heureuse et vous la reprendrez en excellence santé, pouvant satisfaire un robuste appétit » (Freinet, É., 1938c, p. 373).

Le Docteur Paul Carton (1875-1947) a notamment théorisé la question de la dégénérescence et vulgarisé la médecine naturelle.

BIBLIOGRAPHIE

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Référence Xavier Riondet, « Élise Freinet : de l’expérience naturiste aux prati ues de l’École Freinet », Recherches & éducations, 8 | 2013, 133-148.

NOTES 1 Pour reprendre des formulations propres aux excellents travaux de l’historien des sciences Klein sur Binet (2008, 2011), nous essayons d’appréhender un autre Freinet en essayant de ne pas tomber dans une historiographie trop internaliste ou trop externaliste L’enjeu est de considérer les Freinet comme des objets historiques et de saisir à nouveaux frais leurs multiples influences (médecine alternative, philosophie orientale, biologie, etc.).

2 . Précisons qu'Élise réservait les droits du nom « École Freinet » à son école de Vence.

3 Le nom de jeune fille d’Élise est Lagier-Bruno.

4 . Certificat médical du Docteur Audion du 30 avril 1931. AD de Nice 1T338.

5 . Certificat médical du Docteur Audion du 25 mai 1931. AD de Nice 1T338.

6 . Certificat médical du Docteur Plannat du 8 juin 1931. AD de Nice 1T338.

7 . Certificat médical du Docteur Audion du 5 juin 1931. AD de Nice 1T338.

8 . Martin Nelk, militant communiste hollandais, et Caroline Nelk, institutrice, habitent au Pioulier, la colline en face de Vence (Freinet, M., 1997, p. 193-194). Élise se serait orientée vers le médecin naturiste niçois (Vrocho) qui aurait guéri Caroline Nelk de la tuberculose.

9 . « Vrocho » est né le 28 février 1892 à Athènes (Grèce). En janvier 1936, il tombe malade dans un bateau qui le ramenait de Grèce et décède brutalement.

10 . Parmi les influences de Vrocho (1934b) : Vincenz Priessnitz (1799-1851) et Johannes Schroth (1859-1923) ont permis par exemple de renouveler la question du naturisme curatif dans leurs

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régions respectives (Graefenberg et Lindewiese) Les moyens utilisés étaient l’eau, le soleil, l’air, le mouvement, ainsi que les végétaux (comme alimentation). Vrocho cite également : (1823-1906), utilisant les cures atmosphériques et la cure de soleil à en Slovénie ; Schlickeysen (1835-1901) faisant la promotion du frugivorisme via les éditions « Brot und Frucht » ; Balzer ; l’abbé Kneipp (1821-1897) avec, entre autres, la rénovation de l’usage des sandales. Vrocho se référencie aussi Louis Kuhne de Leipzig ( ui défendait l’idée ue les déchets intérieurs et extérieurs étaient la cause des maladies) et à la théorie des globules blancs de Powell qui faisait des microbes les « nettoyeurs » et les « gendarmes » de l’organisme Vrocho aborde la guérison en prenant la santé comme une paix intérieure résultant d’une lutte uotidienne et rigoureuse, au contraire de la mithridatisation, phénomène où l’homme, cherchant s’immuniser, fait de son corps une machine qui ne réagit plus aux agressions.

11 . Sur cette question du naturisme anarchiste, voir les développements dans Go & Riondet, 2013.

12 . Lettre de Roger Lallemand (1933-1934) dans le dossier Vrocho : « Ne jamais retenir [la respiration] longtemps ; inspirer à fond, vite ou lentement, cela ne fait rien ; retenir un instant seulement le souffle ; expirer lentement et à fond ; tout par le nez » (AD de Nice 161jOO48). Ce mouvement est utilisé dans les pratiques de respiration et de méditation asiatiques, et plus précisément dans la respiration prani ue et notamment l’anuloma viloma

13 « Nous n’oublions pas, surtout, u’il ne peut guère y avoir d’excellente éducation sans calme et sérénité, sans joie de vivre, sans gaieté… sans harmonie » (Les éditeurs, 1933, p. 420).

14 . Lettre de Célestin Freinet à Adolphe Ferrière du 12 décembre 1933. AD de Nice 161J0063.

15 « […] le prolétariat a besoin plus ue jamais d’énergie et de lucidité pour mener bien cette œuvre de transition histori ue ue l’évolution des sociétés modernes a rendue fatale Nous pensons aussi u’au-del de la révolution sociale, l’homme ne sera jamais assez fort, jamais assez pur pour dégager du chaos les moyens de son propre perfectionnement dans le sens des lois naturelles que les civilisations ont progressivement voilées à nos yeux » (Lagier-Bruno, 1933b, p. 159).

16 . Lettre de Célestin Freinet à Adolphe Ferrière du 12 décembre 1933. AD de Nice 161J0063.

17 « L’animation était grande l’Institut naturiste de Nice Comme l’ordinaire les malades arrivaient de demi-heure en demi-heure l’heure ui leur avait été indi uée Mais, chose inaccoutumée, une dizaine d’hommes et de femmes, l’air absorbé, se tenaient aux côtés du Professeur Vrocho, attentifs à ses gestes et ses paroles, notant sur un papier u’ils tenaient la main les prescriptions du Maître C’étaient des élèves ui venaient se perfectionner dans la connaissance de la méthode. Guéris par elle, ils voulaient la propager. Leur stage terminé, ils se répandaient dans le pays et, ardents prosélytes, ils allaient délivrer le monde de la maladie… » (Leroux, 1936, p. 209).

18 L’homme jouerait au carnivore mais sans en épouser l’exactitude des prati ues (manger cru ; dévorer la totalité de la viande) puis u’il la prépare avec des accompagnements et que la digestion humaine, différente de celle des carnassiers, ne lui permet pas d’aller jus u’au stade de l’ammonia ue (ce ui permet l’élimination) mais au stade précédent, l’acide uri ue, ui constitue un poison pour l’organisme

19 « L’esprit et surtout l’esprit du malade, est la proie et la victime d’une fausse science médicale d’allure pompeusement rationnelle et déductive et ui n’est en réalité ue lamentable indigence d’esprit » (Freinet, É , 1936a, p 309).

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20 . Pour Vrocho, la question microbienne peut être abordée différemment que ne le fait la médecine classi ue d’influence pastorienne La focalisation portée sur la découverte du microbe a éclipsé le fait u’une infection se produit en réalité selon deux conditions: « un microbe et un organisme en état de réceptivité ». Une « imminence morbide » précède toujours une infection. Nos « insuffisances réactionnelles », qui constituent « les symptômes morbides des maladies », sont la conséquence de « nos conditions illogiques de vie et de comportement » (Lagier-Bruno, 1934, p. 220) Par consé uent, en s’appuyant sur les travaux d’Hoffmann, d’Allinson et de Carton, si les symptômes pathologi ues sont perçus comme « la manifestation d’une force vitale réparatrice et conservatrice », la maladie peut être envisagée comme une « crise de nettoyage ».

21 Conception cartonienne de « l’aliment toxi ue » (Freinet, É , 1938a, p 140)

22 . « Cette science capitaliste dirigée contre le bonheur des hommes par quelques gangsters de marque, doit tomber aux mains des masses socialistes pour être assagie et soumise aux lois de la vie heureuse » (Freinet, É., 1937a, p. 199).

23 « L’ouvrier n’a ue trop souvent, le taudis, la rue sombre, l’estaminet, le petit restaurant bon marché où l’on mange, hélas ! la nourriture bon marché ui conduit l’hôpital Oui, la santé aussi a un aspect de classe : les hôpitaux regorgent de cette misère prolétarienne sans issue, si poignante, si désespérée, u’elle justifierait elle seule la recherche d’une vérité de classe spécialement faite pour arrêter ce lamentable fléau de la maladie des prolétaires sans espoir » (Freinet, É., 1938d, p. 43).

24 « Le Naturisme se vend, s’achète, s’accommode la mode, la science, au commerce Le Naturisme ui n’est ue l’expression d’une parfaite sagesse, est devenue la spécialité de uel ues praticiens hauts-placés ui le dispensent prix d’or » (id ) Depuis, on peut dire ue cette idée naturiste a été intégrée par le capitalisme et son idéologie libérale.

25 . « Mais oui, camarade, il y a un naturisme bourgeois, celui qui participe à la plus-value honteuse du moment et il y a aussi un naturisme prolétarien, celui de Vrocho, le nôtre, ui ne vise u’ mettre inlassablement sous vos yeux, les quelques vérités essentielles, si simples, si catégoriques que si vous voulez bien faire le simple effort de la compréhension, vous aurez l’assurance uotidienne de la santé, toujours » (id.).

26 . Élise prend toutes ses distances des considérations naïves sur la vie dans la nature et envisage au contraire l’action de l’homme partir de la nature

27 Pour Élise, ce u’offre le capitalisme ne doit pas tre considéré comme pur mais purifier

28 . Lettre de Célestin Freinet à Adolphe Ferrière du 12 décembre 1933. AD de Nice 161j0063.

29 « Nous ui revendi uons jus u’au sacrifice de notre vie, notre titre de matérialistes ; nous ui nous sommes jurer de pousser jus u’ l’abnégation notre souci de la recherche, nous voulons une fois encore dans ce courant de vie en déroute, faire œuvre de réalisation » (Freinet, É , 1936c, p 20)

30 « L’homme devient prisonnier de l’excitant, comme il devient prisonnier de la sexualité déréglée, du cinéma américain et des dancings… Sous l’effet de la surexcitation ne se posent pas les problèmes de la durée de la vie et de son équilibre ». (Freinet, É., 1938e, p. 71). Pour approfondir cette question, voir Go & Riondet, 2013.

31 . Voir sur cette question de l'agencement du milieu à l'École Freinet l'enquête de Go (2007). Notons u’en juin 2013, un élève de l'École Freinet devrait porter au parlement des enfants une proposition de loi sur l'architecture scolaire.

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32 . « Après vingt-cinq ans de pratiques naturistes dans notre École Freinet où sont passés des centaines d’élèves, après l’élargissement de cette expérience des milliers d’enfants, nous pensons u’il est possible aujourd’hui de proposer sur le plan de l’expérience une synthèse simple et maniable de pratiques naturelles qui octroient à coup sûr la santé » (L’Éducateur Prolétarien,1936b, p. 6-7).

33 . « Placés, on le voit, dans des conditions strictement prolétariennes, nous avons, à force de privations et d’efforts, réalisé une installation prolétarienne : aucun luxe superflu, mais de l’air, du soleil, de l’eau, de l’espace, des champs, la tran uillité et le calme, des locaux confortables où nul n’a souffert de l’hiver, ui s’ouvrent tout grand l’été sur des terrasses et des jardins, avec des locaux scolaires spécialement conçus pour les fins que nous nous proposons et dont nous reparlerons » (L’Éducateur Prolétarien, 1936a, p 2-3)

34 « Nous ne sommes pas végétariens, mais fruitariens Nous ne mangeons u’accidentellement des légumes, la plupart du temps comme condiment. La base de notre alimentation est le fruit, de saison autant que possible, sec à défaut, et les céréales (pain cuit à la maison), riz décortiqué non glacé, maïs, semoule, pâtes » (L’Éducateur Prolétarien, 1936b, p 5-6).

35 . Pour avoir une vue d'ensemble de cette histoire jusqu'à nos jours, voir Go & Riondet, 2013.

36 Marcel Violet (1886-1973), ingénieur des Arts et Métiers, est l’origine de l’Eau Electro Vibrée, un procédé visant garder les propriétés vitales de l’eau partir d’un appareil électro vibratoire En mettant l’eau dans un état vibratoire et ionisé, Violet envisageait de retrouver la « forme d’énergie organisatrice » ui caractérise les eaux d’orage (Violet, 2009) Si l’empirisme de Violet prétend décrire les conséquences de ces processus, il ne décrit pas précisément la nature de cette énergie.

37 Suivant l’idée d’un lien entre audition et langage, le Docteur Tomatis (1920-2001), oto-rhino- laryngologiste, conçut une Oreille électroni ue, mécanisme visant réédu uer l’audition et travailler sur l’inconscient par le biais d’ondes particulièrement harmoni ues Il est fait Chevalier de la Santé Publique en 1951.

38 Il faut souligner, dans les références utilisées par les Freinet, l’apport de lectures au sujet du yoga, de la médecine chinoise et de la philosophie indienne.

40 « En revanche, nous avons assisté des régénérations ui ont fait brus uement d’enfants tarés, des gosses superbes et vigoureux, pleins de santé et d’allant » (Freinet, É , 1938b, p 347)

41 . Aujourd'hui, la sociologie des familles à l'École Freinet est la même que celle des autres écoles de la commune.

42 Notamment l’Oreille électroni ue

43 Au sujet des enjeux de l’auto-santé et des questions épistémologiques autour du sujet médical, nous renvoyons le lecteur l’ouvrage L’autosanté d’Andrieu (2012) et la thèse en philosophie de Klein (2012) intitulée « Du corps médical au corps du sujet. Etude historique et philosophique du problème de la subjectivité dans la médecine française moderne et contemporaine ».

44 L’Académie de Médecine reconnut dès 1957 les effets possibles des procédés de l’Eau Electro- Vibrée.

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46 La formulation « réserve d’enfants » est issue du titre de l’ouvrage d’Élise Freinet, L’école Freinet réserve d’enfants (1974) Élise justifie cette formulation dans l’avant-propos de l’ouvrage (pp 7-21).

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ANNEXE 5

COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU GIEC - 8 octobre 2018

Approba on par les gouvernements du Résumé à l’inten on des décideurs rela f au Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C

INCHEON, Républi ue de Corée, 8 octobre – Pour limiter le réchau ement planétaire 1,5 degrés, il faudrait modi er rapidement, radicalement et de manière inédite tous les aspects de la société , a déclaré le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolu on du climat (GIEC) dans le cadre d’une nouvelle évalua on Outre les avantages évidents pour les popula ons et les écosystèmes naturels, le fait de limiter le réchau ement 1,5 C et non 2 °C permettrait également de faire en sorte ue la société soit plus durable et plus é uitable, a précisé le GIEC lundi.

Le Rapport spécial du GIEC sur les consé uences d’un réchau ement planétaire de 1,5 C a été approuvé samedi par le GIEC Incheon, en République de Corée Élément scien ue clé , il sera au cœur de la Conférence sur les changements climati ues ui se tiendra dans la ville polonaise de Katowice en décembre et lors de la uelle les gouvernements feront le point sur l’Accord de Paris sur les changements climatiques.

«Fort de plus de 6 000 cita ons de références scien ues et grâce la contribu on dynami ue de milliers d’experts, ainsi ue d’évaluateurs d’institutions publi ues du monde entier, ce rapport remarquable témoigne de la portée du GIEC et de son importance pour l’ac on des pouvoirs publics» a déclaré Hoesung Lee, président du GIEC.

Le rapport, dont l’élabora on avait été demandée par les Par es la Conven on-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) lors de l’adoption de l’Accord de Paris en 2015, est le fruit de la collaboration de quatre-vingt-onze auteurs et éditeurs-reviseurs issus de 40 pays.

Son titre complet est : Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d'un réchau ement planétaire de 1,5 C par rapport aux niveaux préindustriels et les pro ls connexes d'évolu on des émissions mondiales de gaz e et de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lu e contre la pauvreté .

«Un message important ressort tout par culièrement de ce rapport, savoir ue les consé uences d’un réchau ement planétaire de 1 C sont déj bien réelles, comme l’attestent l’augmentation des extr mes météorologi ues, l’éléva on du niveau de la mer et la diminu on de la ban uise arc ue» a souligné Panmao Zhai, coprésident du Groupe de travail I du GIEC.

Le rapport met en exergue un certain nombre de conséquences des changements climatiques ui pourraient tre évitées si le réchau ement était limité 1,5 degrés, et non 2 degrés ou plus Ainsi, d’ici 2100, le niveau de la mer l’échelle de la planète serait, si le réchau ement était limité 1,5 degrés, inferieur de 10 cm celui ui ris uerait d’ tre enregistré s'il était limité 2 C La probabilité ue l’océan arc ue soit libre de glace en été serait d’une fois par siècle si le réchau ement est limité 1,5 C, mais d’au moins une fois tous les dix ans s’il est limité 2 C Avec un réchau ement de 1,5 C, 70 90 des récifs coralliens disparaitraient, alors u’avec un réchau ement de 2 C, la uasi- totalité (> 99 %) serait anéantie.

«Toute augmentation supplémentaire de la température, aussi minime soit-elle, a son importance, d’autant plus u’un réchau ement de 1,5 C ou plus augmentera le ris ue associé des changements

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pérennes ou irréversibles, tels ue la dispari on de certains écosystèmes» a ajouté Hans-O o Pörtner, coprésident du Groupe de travail II du GIEC.

«En outre, le fait de limiter le réchau ement planétaire donnerait la possibilité aux popula ons et aux écosystèmes de s’adapter et de rester en-dessous des seuils de ris ue per nents» a ajouté O Pörtner. Dans ce rapport, les auteurs ont également étudié les solu ons suscep bles d’ tre mises en œuvre pour limiter le réchau ement 1,5 C, les modalités de leur mise en œuvre et leurs conséquences éventuelles.

«Si l’on regarde le bon côté des choses, certains des types de mesures ui seraient nécessaires pour limiter le réchau ement 1,5 C sont déj mis en œuvre dans le monde, mais il faudrait néanmoins accélérer le rythme» a précisé Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du Groupe de travail.

Il est indi ué dans le rapport ue la limita on du réchau ement planétaire 1,5 °C nécessiterait des transitions «rapides et de grande envergure» dans les domaines de l’aménagement du territoire, de l’énergie, de l’industrie, du bâtiment, du transport et de l’urbanisme Les émissions mondiales ne es de dioxyde de carbone (CO2) d’origine anthropi ue devraient tre réduites d’environ 45 par rapport aux niveaux de 2010 d’ici 2030, et il faudrait atteindre un «bilan nul» des émissions aux alentours de 2050, ce qui signifie que les émissions restantes devraient être compensées en éliminant du CO2 de l’atmosphère

«Du point de vue des lois de la physi ue et de la chimie, la limita on du réchau ement planétaire 1,5 °C est possible, mais il faudrait, pour la réaliser, des changements sans précédent» a précisé Jim Skea, coprésident du Groupe de travail III du GIEC.

Laisser le réchau ement dépasser temporairement l’objec f de 1,5 C impli uerait une plus grande dépendance vis- -vis des techni ues d’élimination du CO2 atmosphéri ue si l’on souhaite ensuite revenir en dessous des 1,5 C en 2100 L’e cacité de ces techni ues reste prouver grande échelle, certaines étant m me suscep bles de représenter un ris ue considérable pour le développement durable, est-il précisé dans le rapport.

Comme l’indi ue Priyardarshi Shukla, coprésident du Groupe de travail III, «la limita on du réchau ement planétaire 1,5 C et non 2 C minimiserait les e ets, lourds de consé uence, sur les écosystèmes, la santé et le bien-être des populations, et il serait ainsi plus facile d’atteindre les objectifs de développement durable définis par les Nations Unies».

«Les décisions ue nous prenons aujourd’hui sont indispensables si l’on souhaite assurer chacun d’entre nous un monde sûr et durable, aujourd’hui comme demain» a souligné Debra Roberts, coprésidente du Groupe de travail II.

«Ce rapport présente aux décideurs et aux professionnels les informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions relatives aux changements clima ues en tenant compte des spéci cités locales et des besoins des popula ons Les années venir seront sans doute les plus importantes de notre histoire» a-t-elle ajouté.

Le GIEC est le principal organisme interna onal chargé d’évaluer les ac vités scientifiques consacrées aux changements climatiques, les conséquences de ces changements, les risques potentiels qui y sont liés, ainsi ue les mesures susceptibles d’ tre prises pour y faire face

Le rapport a été élaboré sous la direc on scien ue des trois groupes de travail du GIEC, ui sont respec vement chargés des éléments scien ues du changement clima ue (Groupe de travail I),

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des incidences, de l’adapta on et de la vulnérabilité (Groupe de travail II) et de l’atténuation du changement climatique (Groupe de travail III).

Adopté par 195 États lors de la 21ème Conférence des Par es la CCNUCC en décembre 2015, l’Accord de Paris vise en par culier renforcer la riposte mondiale la menace des changements climatiques «en contenant l’éléva on de la température moyenne de la planète ne ement en dessous de 2 C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’ac on menée pour limiter l’éléva on de la température 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels».

Dans la décision portant adop on de l’Accord de Paris, le GIEC était invité présenter, en 2018, un rapport spécial sur un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de gaz e et de serre Le GIEC a donné suite ce e demande, indiquant que, dans le Rapport spécial, ces questions seraient étudiées dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lu e contre la pauvreté .

Le rapport Réchauffement planétaire de 1,5 C est le premier d’une série de rapports spéciaux ui seront élaborés par le GIEC dans le cadre de son sixième cycle d’évaluation L’année prochaine, le GIEC publiera le Rapport spécial sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, ainsi que Changement climatique et terres émergées, lequel portera sur les incidences des changements climati ues sur l’utilisation des terres

Synthèse des principales conclusions du Rapport spécial, le Résumé l’inten on des décideurs est fondé sur l’évalua on des ouvrages et ar cles scien ues, techniques et socio-économiques présentant un intér t pour l’étude des consé uences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C. Le Résumé l’inten on des décideurs rela f au Rapport spécial sur un réchau ement planétaire de 1,5oC (SR15) peut tre consulté aux adresses suivantes: http://www.ipcc.ch/report/sr15/ ou www.ipcc.ch.

Le Rapport spécial en quelques chiffres 91 auteurs (44 nationalités et 40 pays de résidence) - 14 auteurs coordonnateurs principaux; - 60 auteurs principaux; - 17 éditeurs-réviseurs. 133 auteurs collaborateurs Plus de 6 000 références citées 42 001 observations formulées par les experts et les gouvernements (Premier projet de texte: 12 895; Second projet de texte: 25 476; Version finale destinée aux gouvernements: 3 630)

Pour de plus amples renseignements, veuillez contacter: Le Bureau de presse du GIEC, courriel : [email protected] Werani Zabula +41 79 108 31 57 ou Nina Peeva +41 79 516 70 68 Unité d’appui techni ue du Groupe de travail I du GIEC: Roz Pidcock, +44 7746 515669 Suivez l’actualité rela ve au GIEC sur  Facebook, Twitter,  LinkedIn et  Instagram

Notes l'inten on des rédacteurs L’élabora on du Rapport spécial sur les consé uences d’un réchau ement planétaire de 1,5 C, ui porte la cote SR15, avait été demandée l’occasion de la 21ème Conférence des Par es (COP21) la Conven on-cadre des Na ons Unies sur les changements clima ues (décembre 2015), lors de la uelle l’Accord de Paris avait été adopté Ce rapport sera un élément central du dialogue Talanoa ui sera organisé lors de la 24ème Conférence des Par es (COP24) Le dialogue Talanoa perme ra de

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faire le point sur les e orts collec fs déployés par les Par es en vue d’a eindre l’objec f long terme énoncé dans l’Accord de Paris et d’éclairer l’établissement des contribu ons déterminées au niveau na onal Des renseignements plus détaillés sur le rapport, en par culier les grandes lignes ui ont été approuvées, sont a chés sur la page du GIEC consacrée au rapport Le rapport spécial a été élaboré sous la direction scientifique conjointe des trois groupes de travail du GIEC, en collaboration avec l’Unité d’appui techni ue du Groupe de travail I Qu’est-ce que le GIEC?

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est l’organe des Nations Unies chargé d’évaluer les travaux scien ues consacrés aux changements clima ues Créé en 1988 par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) et l'Organisation météorologique mondiale (OMM), il a pour mission de fournir aux décideurs, intervalles réguliers, des évalua ons scien ues liées aux changements clima ues, leurs consé uences et aux ris ues susceptibles d’y tre liés et de présenter des stratégies d’adaptation et d’atténuation Le GIEC compte 195 États Membres.

Grâce aux évalua ons du GIEC, les autorités, tous les niveaux, disposent d’informations scientifiques qui peuvent être utilisées pour mettre en place des politiques relatives au climat. Ces évaluations occupent une place centrale dans les négociations interna onales sur les mesures prendre pour faire face au changement climati ue Dans un souci d’objectivité et de transparence, les rapports du GIEC sont rédigés et révisés en plusieurs étapes.

Le GIEC évalue les milliers d’articles scientifi ues publiés cha ue année, en vue d’informer les décideurs de nos connaissances et de nos lacunes dans le domaine des ris ues liés aux changements clima ues Il détermine les éléments sur les uels la communauté scien ue s'accorde, ceux propos desquels les opinions divergent et ceux qui nécessitent de plus amples recherches. Le GIEC ne conduit pas ses propres travaux de recherche.

Pour établir ses rapports, le GIEC mobilise des centaines de scien ues et autres responsables, issus d’horizons très divers Une dizaine d’employés permanents seulement travaillent au Secrétariat du GIEC.

Le GIEC compte trois groupes de travail: le Groupe de travail I, chargé des éléments scien ues du changement clima ue ; le Groupe de travail II, axé sur les incidences, l’adapta on et la vulnérabilité , et le Groupe de travail III, ui étudie l’a énua on du changement clima ue Il compte également une É uipe spéciale sur les inventaires na onaux de gaz e et de serre, qui élabore des méthodes pour mesurer les émissions et les absorp ons de gaz e et de serre. Les rapports d’évalua on du GIEC sont élaborés par r des contribu ons de chacun des trois groupes de travail, aux uelles s’ajoute un Rapport de synthèse Les uestions intersectorielles ui relèvent de plusieurs des trois groupes de travail font l’objet de rapports spéciaux, plus courts et plus ciblés que les évaluations présentées dans les principaux rapports. Sixième cycle d’évaluation

Le GIEC est convenu, sa 41ème session (février 2015), de produire un sixième Rapport d’évalua on (AR6) À sa 42ème session (octobre 2015), il a élu le nouveau Bureau chargé de superviser la rédaction de ce rapport ainsi que des rapports spéciaux qui seront publiés au cours du présent cycle d’évaluation À sa 43ème session (avril 2016), il a décidé d'élaborer trois rapports spéciaux et un rapport méthodologique en plus du sixième Rapport d'évaluation. Quant au rapport méthodologique, conçu pour actualiser les Lignes directrices 2006 du GIEC pour les inventaires na onaux de gaz e et de serre, il sera publié en 2019 Outre le Réchau ement planétaire de 1,5 C, le GIEC établira la version dé ni ve de deux autres rapports spéciaux en 2019 : le Rapport spécial sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement clima ue, ainsi ue

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Changement clima ue et terres émergées : Rapport spécial du GIEC sur le changement clima ue, la déser ca on, la dégrada on des sols, la ges on durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz e et de serre dans les écosystèmes terrestre En n, la version dé ni ve du rapport de synthèse a érent au sixième Rapport d'évalua on paraitra au premier semestre de 2022 et sera fondé sur les contribu ons au sixième Rapport d’évalua on ue les trois groupes de travail finaliseront en 2021.

De plus amples renseignements, notamment des liens perme ant d'accéder aux rapports du GIEC, sont disponibles l’adresse suivante: www.ipcc.ch .

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ANNEXE 6

SOURCE : http ://dormirajamais.org/vegetarisme/

À PROPOS DU VÉGÉTARISME, PAR ÉLISÉE RECLUS.

Des hommes d’une si haute valeur, hygiénistes et biologistes, ont étudié fond les uestions relatives à la nourriture normale, ue je me garderai bien de faire ici preuve d’incompétence en donnant aussi mon opinion sur l’alimentation animale et végétale À chacun son outil N’étant chimiste ni médecin, je ne parlerai point d’azote ni d’albumine, je ne reproduirai point les dosages fournis par les analystes et me bornerai simplement à raconter mes impressions personnelles, qui certainement coïncideront avec celles de beaucoup de végétariens. Je flânerai dans ma propre vie et m’arr terai l’occasion pour faire une remar ue suscitée par les petites aventures de l’existence Tout d’abord, je dois le dire, la recherche de la vérité pure ne fut pour rien dans les premières impressions qui firent un végétarien virtuel – en puissance – du petit gamin ue j’étais, portant encore une robe d’enfant Je me rappelle distinctement l’horreur du sang versé Une personne de ma famille, me mettant une assiette en main, m’avait envoyé chez le boucher du village, avec prière d’en rapporter je ne sais quel débris saignant. Innocent et peureux, je partis allègrement pour faire la commission, et pénétrai dans la cour où se tenaient les bourreaux de la bête égorgée. Je me la rappelle encore, cette cour sinistre, où passaient des hommes effrayants, tenant à la main de grands couteaux u’ils essuyaient sur des sarreaux aspergés de sang. Sous un porche, un cadavre énorme me semblait occuper un espace prodigieux ; de la chair blanche, un liquide rose coulait dans les rigoles. Et moi, tremblant et muet, je me tenais dans cette cour ensanglantée, incapable d’avancer, trop terrorisé pour m’enfuir Je ne sais ce ue je devins ; ma mémoire n’en garde pas la trace Il me semble avoir entendu dire ue je m’évanouis et ue le boucher compatissant me rapporta dans la demeure familiale : je ne pesais pas plus u’un de ces agneaux u’il égorgeait cha ue matin D’autres tableaux assombrissent mes années d’enfance et, comme celui de la boucherie, mar uent autant de dates dans mon histoire Je vois le porc des paysans, bouchers d’occasion, et d’autant plus cruels : l’un d’eux saigne lentement l’animal pour ue le sang s’écoule goutte goutte, car il est indispensable, paraît-il, pour la bonne préparation des boudins, que la victime ait beaucoup souffert. Elle crie en effet d’un cri continu, coupé de plaintes enfantines, d’appels désespérés, pres ue humains : il semble ue l’on entende un enfant, et le cochon domesti ue ne fut-il pas en effet pendant une année l’enfant de la maison, gavé en vue de l’engraissement, et répondant par une affection véritable à tous ces soins ui n’avaient pour but ue de lui donner une épaisse couche de lard ? Et uand le cœur répond au cœur, uand la ménagère, chargée de soigner le porc, se prend l’amitié de son pupille et le caresse, le flatte et lui parle, ne paraît-elle pas ridicule, comme s’il était absurde, pres ue déshonorant d’aimer un animal ui nous aime ! Une de mes fortes impressions d’enfance est d’avoir assisté l’un de ces drames ruraux : l’égorgement d’un cochon, accompli par toute une population insurgée contre une bonne vieille, ma grand’tante, ui ne voulait pas consentir au meurtre de son gras ami. De force la foule du village avait pénétré dans le parc à cochon; de force elle emmenait la b te l’abattoir rusti ue où l’attendait l’appareil d’égorgement, tandis que la malheureuse dame, affalée sur un escabeau, pleurait des larmes silencieuses. Je me tenais à côté d’elle et je voyais ces pleurs, ne sachant si je devais compatir sa peine ou croire avec la foule ue l’égorgement du porc était juste, légitime, commandé par le bon sens aussi bien que par le destin. Chacun de nous, surtout ceux qui ont vécu dans un milieu populaire, loin des villes banales, uniformes, où tout est méthodiquement classé et caché, chacun de nous a pu être le témoin de uel u’un de ces actes barbares, commis par le carnivore contre les b tes u’il mange Il n’est pas

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besoin d’aller dans telle Porcopolis de l’Améri ue du Nord ou dans un saladero de La Plata pour y contempler l’horreur des massacres ui constituent la condition première de notre nourriture habituelle Mais ces impressions s’effacent avec le temps : elles cèdent cette éducation funeste de tous les jours ui consiste ramener l’individu vers la moyenne, en lui enlevant tout ce ui en fait un être original, une personne. Les parents, les éducateurs, officiels et bénévoles, les médecins, sans compter le personnel si puissant u’on appelle « Tout le monde », travaillent de concert à endurcir le caractère de l’enfant l’égard de cette « viande sur pied », ui pourtant aime comme nous, sent comme nous, et pourrait progresser aussi sous notre influence, moins u’elle ne régresse avec nous. Car c’est l précisément une des consé uences les plus fâcheuses de nos mœurs carnivores, ue les espèces d’animaux sacrifiées l’appétit de l’homme aient été systémati uement et méthodiquement enlaidies, amoindries, avachies dans leur intelligence et leur valeur morale. Le nom m me de l’animal en le uel a été transformé le sanglier est devenu la plus grossière des insultes : la masse de chair ue l’on a vue se vautrer dans les mares nauséabondes est si laide regarder u’on évite bien volontiers toute analogie de nom entre la b te et les mets u’on en tire Quelle différence de forme et d’allure entre le mouflon ui bondit sur les rochers des montagnes et le mouton qui, désormais dépourvu de toute initiative individuelle, simple chair abrutie livrée la peur, n’ose plus s’éloigner du troupeau, se jette de lui-même sous la dent du chien qui le poursuit. Même abâtardissement pour le bœuf, ue nous voyons maintenant se mouvoir péniblement dans les prairies, transformé par les éleveurs en énorme masse ambulante aux formes géométriques, comme dessinées d’avance pour le couteau du boucher Et c’est produire des monstres pareils ue nous appliquons l’expression d’« élevage » ! Voil comment les hommes accomplissent leur mission d’éducateurs l’égard de leurs frères, les animaux ! Au reste, n’est-ce pas ainsi que nous agissons envers la nature entière ? Lâchez une meute d’ingénieurs dans une vallée charmante, au milieu des prairies et des arbres, sur les rives de quelque beau fleuve, et vous verrez bientôt ce u’ils en auront fait ! Ils auront mis tout leur soin à rendre leur œuvre personnelle aussi évidente ue possible et mas uer la nature sous leurs amas de pierrailles et de charbon ; de m me ils seront tout fiers de voir la fumée de leurs locomotives s’entrecroiser dans le ciel en un réseau malpropre de bandes jaunâtres ou noires. Il est vrai que ces mêmes ingénieurs prétendent aussi l’occasion embellir la nature C’est ainsi ue les artistes belges ayant récemment protesté contre la dévastation des paysages riverains de la Meuse, le ministre s’empressa de leur faire savoir ue désormais ils seraient contents de lui : il s’engageait faire bâtir toutes les nouvelles usines avec des tourelles gothiques ! De même les bouchers exposent les cadavres dépecés, les viandes sanguinolentes sous les yeux du public, au bord même des rues les plus fréquentées, à côté des magasins fleuris et parfumés ; même ils ont l’audace d’enguirlander de roses les chairs pendantes, et l’esthéti ue est sauvée ! On s’étonne la lecture des journaux ue toutes les atrocités de la guerre de Chine soient, non un mauvais rêve, mais une lamentable réalité ! Comment se fait-il que des hommes ayant eu le bonheur d’ tre caressés par leur mère et d’entendre dans les écoles les mots de justice et de bonté, comment se peut-il que ces fauves à face humaine prennent plaisir à nouer des Chinois les uns aux autres par leurs vêtements et leurs queues pour les jeter dans un fleuve ? Comment se fait-il u’ils achèvent des blessés et u’ils fassent creuser leurs tombes aux prisonniers avant de les fusiller ? Et quels sont ces effroyables assassins ? Ce sont des gens qui nous ressemblent, qui étudient et lisent comme nous, qui ont des frères, des amis, une femme ou une fiancée ; et, tôt ou tard, nous sommes exposés à les rencontrer, à leur serrer la main sans y retrouver la trace du sang versé ! Mais n’y a-t-il pas une relation directe de la cause l’effet entre la nourriture de ces bourreaux ui se disent « civilisateurs » et leurs actes féroces ? Eux aussi se sont accoutumés à glorifier la chair sanglante comme génératrice de santé, de force et d’intelligence Eux aussi entrent sans répugnance dans les boucheries où l’on glisse sur le pavé rougeâtre et où l’on respire l’odeur fade et sucrée du sang ! Y a-t-il donc si grande différence entre le cadavre d’un bœuf et celui d’un homme Les membres coupés, les entrailles entrem lées de l’un et de l’autre se ressemblent fort : l’abatage du premier facilite le meurtre du second, surtout uand retentit l’ordre du chef et ue l’on entend de loin les paroles du maître

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couronné: «Soyez impitoyables.» Un proverbe français dit que « tout mauvais cas est niable ». Ce dire avait une certaine vérité quand les soldats de chaque nation commettaient leurs cruautés isolément ; ils pouvaient ensuite mettre sur le compte de la jalousie, des haines nationales, les faits atroces u’on leur imputait ; mais en Chine, Russes, Français, Anglais, Allemands ne se cachent plus modestement les uns des autres : les témoins oculaires et les auteurs eux-mêmes nous ont renseignés dans toutes les langues, les uns avec cynisme, les autres avec réticence La vérité n’est plus niable ; mais on a dû créer une nouvelle morale pour l’expli uer Cette morale est u’il y a deux droits des gens, l’un ui s’appli ue aux jaunes, l’autre ui est le privilège des blancs Assassiner, torturer les premiers semble désormais permis, tandis u’il serait mal de le faire aux seconds Mais l’égard des animaux, la morale n’est- elle pas également élastique ? En excitant les chiens à déchirer le renard, le gentilhomme apprend à lancer ses fusiliers sur le Chinois ui fuit Les deux chasses ne sont u’un seul et même sport ; toutefois, uand la victime est un homme, l’émotion, le plaisir sont probablement plus vifs Qu’on le demande celui ui évo ua récemment le nom d’Attila pour donner ce monstre en exemple ses guerriers ! Ce n’est point une digression de mentionner les horreurs de la guerre à propos des massacres de bétail et des ban uets pour carnivores Le régime d’alimentation correspond bien aux mœurs des individus. Le sang appelle le sang. A cet égard chacun peut consulter ses souvenirs sur les hommes u’il a connus, et nul doute ne pourra subsister dans son esprit sur le contraste ue, d’une manière générale, les végétariens présentent avec les gros mangeurs de viande, les avides buveurs de sang, par l’aménité des moeurs, la douceur du caractère, l’égalité de la vie Il est vrai que ce sont là des qualités tenues en médiocre estime par les « superhommes » qui, sans tre supérieurs aux autres mortels, ont au moins plus d’arrogance et comptent se rehausser par le mépris des humbles, par l’exaltation des forts D’après eux les doux seraient des faibles et des malades encombrant la voie, et ce serait faire œuvre pie ue de les écarter Si on ne les tue pas, du moins u’on les laisse mourir ! Mais c’est ue, précisément, les doux pourraient bien tre plus résistants au mal que les violents : les sanguins et les hauts en couleur ne sont point d’ordinaire ceux qui vivent le plus longtemps ; les vrais forts ne seraient pas ceux qui portent la force tout en surface, dans la pourpre de la figure, la saillie des muscles ou les rotondités de la graisse reluisante D’ailleurs, la statisti ue pourra nous renseigner bientôt d’une manière positive cet égard ; elle l’aurait fait déj si tant de gens intéressés n’étaient occupés grouper en bataille les chiffres vrais ou faux, pour défendre leurs théories respectives. Quoi u’il en soit, nous disons simplement ue pour la grande majorité des végétariens, la uestion n’est pas de savoir si leurs biceps et triceps sont plus solides ue ceux des carnivores, ni m me si leur organisme présente contre les heurts de la vie et les chances de la mort une plus grande force de résistance, ce ui d’ailleurs est fort important : pour eux il s’agit de reconnaître la solidarité d’affection et de bonté ui rattache l’homme l’animal ; il s’agit d’étendre nos frères dits inférieurs le sentiment ui déj dans l’espèce humaine a mis fin au cannibalisme Les raisons ue pouvaient invo uer les anthropophages contre l’abandon de la chair humaine dans l’alimentation usuelle avaient la même valeur ue celle dont usent aujourd’hui les simples carnivores ; les arguments que l’on fit valoir contre la monstrueuse coutume sont justement ceux ue nous invo uons aujourd’hui ; le cheval et le boeuf, le lapin de garenne et le «lapin de gouttière», le cerf et le lièvre nous conviennent plus comme amis que comme viande. Nous tenons à les conserver soit comme compagnons de travail respectés, soit comme simples associés dans la joie de vivre et d’aimer « Mais, nous dira-t-on, si vous vous abstenez de la chair des animaux, d’autres carnivores, hommes ou bêtes, les mangeront à votre place, ou bien la faim et les éléments se chargeront de les détruire. » Sans doute, l’é uilibre des espèces se maintiendra comme jadis, conformément aux chances de la vie et à l’entre-lutte des appétits ; mais au moins dans le conflit des races, c’est d’autres u’appartiendra le métier de destructeur Nous aménagerons la part de terre ui nous revient en la rendant aussi plaisante u’il nous sera possible, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les bêtes de notre entourage ; nous prendrons au sérieux le rôle d’éducateurs ue dès les épo ues préhistori ues l’homme s’est attribué Notre part de responsabilité dans les transformations de

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l’ordre universel ne s’étend pas au delà de nous-mêmes et de notre milieu immédiat. Si nous faisons peu de chose, du moins ce peu sera notre œuvre Il est certain ue si nous avions l’idée chiméri ue de pousser la prati ue de la théorie jus u’ ses conséquences ultimes et logiques, sans souci de considérations d’autre nature, nous tomberions dans l’absurdité pure À cet égard le principe du végétarisme ne diffère point de tout autre principe : il doit s’accommoder aux conditions ordinaires de la vie Evidemment, nous n’avons pas l’intention de subordonner toutes nos pratiques et les actions de chaque heure, de chaque minute au respect de la vie des infiniment petits ; nous ne nous laisserons pas mourir de faim et de soif comme tel lama boudhiste, lorsque le microscope nous aura montré une goutte d’eau toute frémissante d’animalcules Nous ne nous g nerons m me pas l’occasion pour couper un bâton dans la for t, ni m me pour cueillir une fleur dans un jardin ; m me nous irons jus u’ prendre des salades, des choux et des asperges pour notre nourriture, quoique nous reconnaissions pleinement la vie chez les plantes aussi bien ue chez les animaux Mais il ne s’agit nullement pour nous de fonder une nouvelle religion et de nous y astreindre avec un dogmatisme de sectaires : il s’agit de rendre notre existence aussi belle u’il est possible et de la conformer autant u’il est en nous aux conditions esthétiques du milieu. De même que nos ancêtres ont été dégoûtés de manger la chair de leurs semblables et cessèrent un beau jour d’en charger leurs tables, de même que parmi les carnivores, il en est beaucoup ui se refuseraient manger la chair du noble cheval, compagnon de l’homme, ou celle du chien et des chats, les hôtes caressés du foyer, de même il nous répugne de boire le sang et de broyer sous notre dent le muscle du boeuf, l’animal laboureur ui nous donne le pain Il nous tarde de ne plus entendre les voix bêlantes des moutons, les mugissements des vaches, les grognements et les cris stridents des porcs u’on mène l’abattoir ; nous aspirons au temps où nous ne passerons plus en courant, pour abréger la hideuse minute, devant un lieu de tuerie aux ruisseaux sanguinolents, aux rangées de crocs aigus où pendent des cadavres, au personnel taché de sang, armé de hideux couteaux. Nous avons le souci de vivre enfin dans une cité où nous ne risquerons plus d’apercevoir des boucheries pleines de cadavres côté des magasins de soieries ou de bijoux, en face de la pharmacie ou de l’étalage de fruits parfumés, ou de la belle librairie, ornée de gravures, de statuettes et d’oeuvres d’art Nous voulons autour de nous un milieu ui plaise au regard et ui s’accorde avec la beauté Et puis ue les physiologistes, puis ue — mieux encore — notre expérience personnelle nous disent que cette vilaine nourriture de chairs dépecées n’est pas nécessaire pour entretenir notre existence, nous écarterons tous ces hideux aliments qui plaisaient à nos ancêtres, et ui plaisent encore la majorité de nos contemporains Nous espérons bien u’avant longtemps ceux-ci auront du moins la politesse de cacher leur nourriture. Les abattoirs sont déjà relégués dans les faubourgs écartés : que les boucheries suivent le même chemin, en se blottissant comme les étables dans les coins obscurs ! La laideur, telle est aussi la raison qui nous fait abhorrer la vivisection et toute expérience périlleuse, si ce n’est uand elles sont héroï uement prati uées par le savant sur sa propre personne C’est aussi parce ue l’œuvre est laide ue le naturaliste pi uant des papillons vivants dans sa boîte, détruisant toute la fourmilière pour compter des fourmis nous inspirent le dégoût. Nous nous détournons avec répugnance de l’ingénieur ui enlaidit la nature en emprisonnant une cascade dans ses tuyaux de fonte, et du bûcheron californien abattant un arbre de quatre mille années et de cent mètres de haut, pour en montrer les rondelles dans les foires ou les expositions. La laideur dans les personnes, dans les actes, dans la vie, dans la nature ambiante, voil l’ennemi par excellence Devenons beaux nous mêmes et que notre vie soit belle ! Quels sont donc les aliments qui semblent le mieux répondre à notre idéal de beauté aussi bien dans leur nature ue dans la préparation dont ils devront tre l’objet ? Ces aliments sont précisément ceux qui de tout temps furent les plus appréciés par les hommes simples de vie et qui peuvent le mieux se passer des artifices menteurs de la cuisine Ce sont les œufs, les grains et les fruits, c’est dire les produits de la vie animale et de la vie végétale qui représentent à la fois dans les organismes l’arr t temporaire de la vitalité et la concentration des éléments nécessaires la formation de vies nouvelles Les œufs de l’animal, les graines de la plante, les fruits de l’arbre sont la fin d’un organisme ui n’est plus, le commencement d’un organisme ui n’est pas encore L’homme les

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recueille pour sa nourriture sans tuer l’ tre ui les lui donne, puis u’ils se sont formés au point de contact entre deux générations D’ailleurs les savants ui s’occupent de chimie organi ue ne nous disent-ils pas ue l’œuf, de l’animal ou de la plante est le réservoir par excellence de tout élément vital ? Omne vivum ex ovo.

La Réforme Alimentaire, Vol V, N°3, mars 1901, p. 37-45. PUBLIÉE PAR UN GROUPE DE VÉGÉTARIENS Directeur : Dr Ern. NYSSENS Paraissant le 15 de chaque mois. Organe des Sociétés Végétariennes de France et de Belgique.

Giuseppe Pelizza da Volpedo, Lo specchio della vita, « e ciò che fa la prima, e l’altre fanno » (Le miroir de la vie. « Ce que l’une fait, les autres le font. » Vers tiré du Purgatoire de Dante), 1895. On me pardonnera ce détour par l’image pour signifier les désagréments qu’il peut y avoir à évoquer un avis divergent de celui communément admis, pour sensé qu’il puisse être -je fais exclusivement référence, cela va sans dire, à la vie tumultueuse du géographe communard et anarchiste Élisée Reclus.

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