Basque Médiéval.Veleia
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1 LA LANGUE BASQUE AU MOYEN AGE (IXe-XVe siècles) par Jean-Baptiste ORPUSTAN Professeur à l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux III * En annexe: Du basque médiéval au basque antique: les inscriptions de Veleia-Iruña en Alava. 1 2 IN T R O D U C T I O N Il a été si souvent dit et répété qu’on ne savait rien sur la langue basque, ou si peu, avant le temps des premiers livres imprimés au XVIe siècle (Dechepare 1545 à Bordeaux, Lissarrague 1571 à La Rochelle, proverbes en dialecte biscayen 1596 à Pampelune pour les textes les plus importants), que prétendre le contraire et y consacrer un ouvrage spécifique même de dimensions modestes pourrait passer, aux yeux du lecteur non prévenu, pour une gageure sinon tout à fait pour une plaisanterie. Il y a pourtant plus d’un siècle déjà que les chercheurs sérieux, et au premier rang Achille Luchaire qui fut professeur d’histoire à l’Université de Bordeaux, pouvaient attirer l’attention des linguistes et historiens des langues sur les témoignages antiques et médiévaux, dont l’essentiel restait pourtant, du moins pour le Moyen Age, à découvrir, et en déduire quelques traits propres à la langue basque au cours de son histoire aussi longue que méconnue. L’un de ceux-là était précisément la stabilité phonétique de la langue au cours des siècles, si peu familière aux langues indo-européennes latino-romanes en particulier: les citations médiévales et antiques, pour relativement peu étendues qu’elles fussent encore par rapport à la somme documentaire dormant dans les archives, venaient ainsi appuyer ce qui se déduisait déjà aisément en comparant la langue littéraire du XVIe et du XVIIe siècles aux dialectes modernes, et principalement au navarro-labourdin avec ses diverses facettes dialectales qui avait bénéficié le mieux de l’intérêt des bons écrivains et des premières publications imprimées. Rendant l’hommage dû à ces recherches et intuitions pionnières, L. Michelena a apporté, dans de nombreux articles et surtout des ouvrages essentiels cités dans les notes bibliographiques qui suivent, un éclairage nouveau et déterminant au passé médiéval et pré-médiéval de la langue. C’est le fruit d’une connaissance vaste et précise à la fois du système général de la langue perçu dans ses caractères principaux, et dans leurs changements - car il n’y a pas de langue qui ne change pas, quoique toutes ne changent pas au même rythme ni à toutes les époques et dans tous les lieux au même rythme - et leurs variations dialectales. Il y a peu à ajouter, sinon dans le détail et le classement des faits, à la somme de sa phonétique historique, où il savait, au-delà des citations médiévales déjà nombreuses - et presque exhaustives pour les dialectes d’Espagne, beaucoup moins il est vrai pour ceux de France - connues alors, établir la relation entre le basque actuel et l’onomastique ibéro-aquitaine de type basque éparse dans les incriptions de la fin de l’Antiquité, et qui avait déjà attiré l’attention de Luchaire. Les citations médiévales, si ponctuelles et brèves soient-elles pour la plupart, imposent une stratégie d’archéologue, et, de même qu’un 2 3 éclat d’os permet à ce dernier de redessiner tout un squelette, un fait linguistique unique, d’ordre phonétique, morphologique ou lexical, permet souvent d’induire sans grand risque d’erreur toute une chaîne de faits plus fournie et significative qu’il n’y paraîtrait à première vue. On en verra plus d’un exemple dans les pages qui suivent. Si l’on ajoute à l’œuvre de L. Michelena et de ses prédécesseurs des travaux réalisés ou publiés dans la dernière décennie, mais portant parfois sur des textes qu’il avait lui-même utilisés, la documentation publiée à ce jour peut être tenue pour proche de l’exhaustivité quant aux citations basques médiévales conservées dans les archives, tant pour les provinces péninsulaires que continentales, et sans doute réellement exhaustive au moins pour les époques les plus anciennes antérieures au XIIème siècle, qui sont aussi les plus avares de textes. On sait que ce corpus intéresse seulement pour l’essentiel le lexique onomastique: noms de lieux et noms de personnes; c’est-à-dire que des parts considérables du lexique commun d’usage à toute époque, et des catégories aussi importantes que celle des verbes en presque totalité, lui échappent. De plus, la recension ne pourra être tenue pour complète et achevée que lorsque la totalité des archives, et en particulier celles de Navarre à Pampelune et parmi celles-ci la totalité des comptes annuels du milieu du XIIIe à la fin du XVème siècle, aura été publiée, ou tout au moins exploitée par les chercheurs, ce qui n’est pas encore le cas. Les dernières décennies ont vu la publication de textes parfois de première importance, parfois d’intérêt - tout au moins linguistique - plus ponctuel, qui ont apporté beaucoup, notamment, à la connaissance de la langue basque des provinces de France: tels furent, parmi d’autres, les documents bas-navarrais, labourdins, souletins de 1249, 1316, 1337, 1350- 53, 1435, Censier de Soule, restés impubliés et inexploités jusqu’en ces toutes dernières années. Même s’il est peu probable que ce qui reste à publier apporte désormais beaucoup d’éléments nouveaux, en phonétique, morphologie ou morpho-syntaxe, lexique, susceptibles de modifier ou d’enrichir sensiblement la configuration du basque médiéval telle qu’elle peut être dessinée aujourd’hui, on ne peut dire pour autant que cette part de la langue basque médiévale pouvant être définie et connue par la documentation existante le soit encore dans son intégralité et sous tous ses aspects. Le plan général choisi pour cette présentation du basque médiéval était, sauf pour certains détails, préétabli: phonétique d’abord, morpho- syntaxe et syntaxe, procédés de composition et modes et morphèmes de dérivation suffixale, lexique enfin. Ces chapitres principaux restent, vu la nature des citations qui les nourrissent et les procédés d’écriture médiévale, assez inégaux quant à la précision des faits linguistiques, et encore davantage en étendue. L’abondance réelle du corpus lexical obtenu, quoique très éloignée de l’ensemble du lexique fondamental 3 4 ancien (emprunts latino-romans anciens compris) aujourd’hui connu avec une réelle précision, se heurte d’une part au caractère parfois incertain des réalisations phonétiques - tribut dû aux fantaisies et irrégularités diverses des écrits eux-mêmes - , de l’autre aux grandes lacunes touchant certains faits grammaticaux. L’extrême rareté des textes suivis en langue basque, même sur un segment de phrase, à plus forte raison sur des phrases complètes, écarte la plupart des éléments grammaticaux touchant, non seulement le verbe comme il a été dit, mais d’autres catégories (déterminants, pronoms, adverbes) et qui n’avaient pas à entrer dans des citations réduites presque toujours à l’onomastique basque. Encore faut-il se féliciter que quelque texte même court et tardif, et tardivement découvert, comme la lettre de 1415, permette d’en fixer quelques éléments: ces derniers, même peu nombreux, pouvant se révéler alors très significatifs. Quant au thèmes lexicaux, la désignation presque exclusive des lieux et des personnes ne pouvait que laisser de côté, comme il a été dit aussi, des champs sémantiques considérables. En toute circonstance, l’analyse des citations impose une grande attention au contexte linguistique. C’est un fait que le même élément, si l’on veut le même mot, apparaîtra sous des formes et des orthographes différentes selon au moins deux conditions. La première, bien connue, consiste dans la variation de l’écriture elle-même selon les temps, comme la transcription de l’aspiration romane par la consonne latine -f- , dont on savait que, dans nombre de mots romans, elle procédait, mais transcription étendue aussi couramment aux mots basques non latins durant une longue période (du XIe au XIVe siècle). La seconde tient au contexte linguistique des citations basques: celles-ci apparaîtront différemment réalisées selon la langue administrative (qui ne fut jamais le basque pour de multiples raisons pratiques) où elles s’insèrent: non seulement latin, mais castillan ou navarro-castillan dans les provinces d’Espagne, gascon dans celles de France, très rarement français pour quelques textes de la chancellerie navarraise aux XIIIe et XIVe siècles. Variations auxquelles il faut encore ajouter les manières propres aux scribes, soit par ignorance du basque pouvant entraîner de curieuses mais fréquentes cacographies, soit au contraire lorsque, étant selon toute apparence bascophones, ils croyaient sans doute bien faire en procédant, assez souvent, à des ajustements comme la décomposition des composés anciens, au grand dam de la morphologie ou phono-morphologie, ou à la pure et simple - mais parfois ô combien fantaisiste! - traduction. Parfois en effet, une expression ou un mot en latin ou roman, au vu de réalisations avérées en basque dans un autre texte, signale une traduction, qui peut avoir du reste son utilité quand elle informe sur le sens. Si la traduction prend, rarement, la forme d’une glose, comme dans le fameux subtus penna (“sous le rocher”) du XIe siècle traduisant Izpea, elle confirme les formes variées que le mot aitz avait pu, du fait bien connu de l’instabilité des diphtongues, adopter à une époque déjà 4 5 ancienne, et inviter du même coup à donner sans risque la traduction littérale “le bas du rocher”. Mot apparemment simple, et même banal en toponymie basque (et en tout autre domaine linguistique), mais qui informe aussi, outre la réduction de la diphtongue de aitz, 1° sur deux lexèmes “pierre” et “dessous”, 2° sur le morphème suffixal et déterminant -a, et donc sur le premier élément de la déclinaison nominale, 3° sur les conséquences phonétiques de la composition et la “variante combinatoire” sourde de l’occlusive sonore -b- réalisée -p- après sifflante.