Lettre de l'Editeur

Pour une vive mémoire

AMMAR KHELIFA [email protected]

es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’évé- nements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique. L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés. En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est éga- lement un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Trans- mettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre. Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahi- date et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque dispari- tion d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoi- gnage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’inté- gration dans le processus de développement. C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objec- tive, à plus de recherche, d’authenticité et de constance.

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LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 3 ) www.memoria.dz Supplément N°52- Déc./Janvier- 2017 P.7P.07 P.15 Fondateur Président du Groupe AMMAR KHELIFA

Direction de la rédaction Zoubir KHELAIFIA

Coordinatrices Meriem Khelifa

Reporter - Photographe Abdessamed KHELIFA zone autonome d’alger Yacef saâdi

Rédaction zone autonome d’alger P.19 Adel Fathi Dr Boualem Touarigt P.07 Histoire Dr Boudjemaâ Haichour ZAA : la Zone Autonome d’Alger Leila BOUKLI L’invention de la guérilla Dr Mohamed Mokrani P.11 Histoire Hassina AMROUNI Zoubir Khélaifia ZAA, Berceau de la bataille d’Alger P.15 Histoire Direction Artistique ZAA : les hommes-clés commandant azzedine Halim BOUZID yacef saâdi Salim KASMI P.19 Histoire P.9 ZAA : les hommes-clés Impression le commandant azzedine SARL imprimerie Ed Diwan P.23 Histoire Contacts : ZAA: les hommes-clés SARL COMESTA MEDIA benyoucef benkhedda N° 181 Bois des Cars 3 Dely-Ibrahim - Alger - Algérie guerre de libération Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 P.29 Histoire guendriche dit zerrouk + 213 (23) 30 46 57/52 59e anniversaire de la grève des huit jours Fax : + 213 (23) 30 46 53 P. 53 grève des huit jours et mémoire d’enfant E-mail : [email protected] [email protected] P.51 Histoire Mustapha Fettal à la tête de la ZAA d’octobre 1955 à mai 1956 Le « fennec » condamné à la peine capitale

P.53 Histoire Mokhtar Bouchafa dit « Si Mokhtar »…« L’indiscipliné » L’un des premiers responsables de l’action

directe à Alger mokhtar bouchafa www.memoria.dz

n lgérie A resse et icatio Edité par : par Edité ELDJAZAIR.COM SSN : 1112-8860 ISSN n ommu Dépôt légal : 235-2008 C roupe de P SOMMAIRE Supplémentmagazine du de e G Consacré à l’histoire de l' L ahmed bouda ahmed kamel bouchama kamel ane ramdaneane b a P71 P. 57 P9 commandant yaha commandant erté b P.77 ération b enkhedda

our la li enyoucef b b P. 23 E VILLE attant p N b rès continue sa mort, d’exister p le com b lalla zoulikha oudaï zoulikha lalla roduit de laroduit de révolution OIRE D'U istoire... ! H T en m’hidi i b ionnier dans la lutte li de ûr p b HIS lar istoire istoire elle qui, a istoire khemis colonia ou la augusta romaine P.65 H Ahmed Bouda un p H CommandantYaha Abdelhafidh l’infatiga Toudja C Lalla Zouleikha Oudaï, la mère des résistants H Portrait Kamel Bouchama un p dans l’ P.8 P.97 P.71 P.77 P.65 P.57

Z.A.A Zone Autonome d’Alger

L’invention de la guérilla

Par Adel Fathi Zone Autonome d’Alger Histoire

Pourquoi la Zone autonome d’Alger n’est-elle jamais incluse par- mi les wilayas historiques, alors qu’elle avait, dans les faits, non seulement le même statut, mais surtout joué un rôle parfois plus important, du double point de vue politique et stratégique ? Il faudrait revenir aux échanges ayant présidé à sa création, lors du congrès de la Soummam, tenu le 20 août 1956, pour savoir le pourquoi de ce concept. En tout cas, l’idée de créer une zone tam- pon séparant la Wilaya IV, qui est le prolongement géographique du grand Alger, des autres wilayas, s’avérera aussi ingénieuse que salutaire pour l’issue de l’insurrection. Les événements qui s’y sont déroulés de 1957 jusqu’en 1962 l’ont largement prouvé.

’idée, lancée et mise en œuvre par les deux architectes des assises, Abane Ramdane et Larbi Ben M’hidi, étaitL de porter la révolution dans les centres urbains et de gagner, ainsi, l’adhésion de la petite bourgeoisie citadine et de la classe ouvrière au mot d’ordre de la lutte pour la libé- ration du pays, qui était jusque-là l’apanage de la paysannerie. Aussi, les dirigeants de la Révolution esti- maient-ils pouvoir bénéficier des avantages que procurait une grande ville comme Alger pour avoir une Abane Ramdane Larbi Ben M’hidi plus grande emprise sur les militants la bataille d'Alger. Les membres de quitter Alger le 25 février 1957, du FLN, de meilleures liaisons. Ils du CCE, Abane Ramdane, Larbi juste après l'arrestation de Ben M'hi- étaient surtout persuadés que la Ben M'hidi, Krim Belkacem, Saad di, le CCE avait délégué ses pou- capitale était propice à la clandesti- Dahlab et Benyoucef Benkhedda, se voirs sur la Zone autonome d’Alger nité totale, avec ses « planques », ses « caches » multiples, ses nombreux sont réunis secrètement dans la mai- à Abdelmalek Temmam, membre agents de liaison confondus dans son de Yacef Saadi en haute Casbah, suppléant du CNRA, aujourd’hui la masse et les protections de toute pour tracer un plan d’action et une très peu médiatisé. Celui-ci sera très sorte dont ils pourraient bénéficier. répartition des tâches. Le comman- rapidement arrêté et remplacé par La Zone autonome d’Alger sera dement politico-militaire était au dé- Yacef Saâdi, un homme aguerri et structurée, peu avant la grève de but assumé par Ben M’hidi, secondé jouissant de la confiance totale des huit jours de janvier 1957 durant par Benkhedda, mais, au moment dirigeants. Il héritera d'une organi-

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Les membres du CCE

Larbi Ben M’hidi Krim Belkacem Abane Ramdane Benyoucef Benkhedda Saâd Dahlab

sation durement éprouvée prendra les rênes de l’organi- Yacef Saâdi par les attaques répétées de sation, mais il sera très vite la 10e division parachutiste localisé, dans une rue de la du général Massu. Casbah, où il sera tué, avec Yacef Saadi réussira, ses compagnons : Hassiba néanmoins, à réorganiser Ben Bouali, Hamid Bouha- les cellules du FLN et à midi et P’tit Omar, dans une intensifier les actions ar- cache plastiquée par les pa- mées, grâce à un bon enca- ras du 1er REP, le 8 octobre drement des fidayine (et 1957. fidayate), qui ébranlèrent La bataille d'Alger les états-majors de l’armée s'achève et, avec elle, la pre- coloniale. Il sera malheu- mière étape de la ZAA. Pen- reusement trahi par les dant la crise de l’été 1962, « bleus » enrôlés par le capi- cette zone se trouvera au taine de sinistre réputation centre des grands tiraille- Paul-Alain Léger, à travers le ments qui déchiraient les or- fameux agent double nom- ganes de commandement de mé Hacène Guendriche dit la Révolution. Avec la venue Zerrouk qui a collaboré à la du commandant Azzedine, capture du chef de la ZAA, un des trois adjoints du chef le 24 septembre 1957. Cette histoire est aujourd’hui sujet d’une vive polémique qui sort une nouvelle fois le hé- ros de la bataille d’Alger de son silence pour répondre à ceux qui l’accusent d’avoir « balancé » ses compagnons suite à son arrestation. Après Yacef Saadi, Ali Ammar dit , unique rescapée de la rafle, Hacene Guendriche dit Zerrouk La maison de Yacef Saâdi en haute Casbah, rue des Abderrames

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Paul-Alain Léger Ali Ammar dit Ali La Pointe Commandant Azzedine Zerrari Casbah, à une coriace tentative de non officielles) et des blessés, dont rébellion menée par les combattants de nombreux civils. L’issue de l’af- de la Wilaya IV qui avaient investi frontement a permis aux partisans la capitale et y ont régné jusqu’au du Bureau politique, conduits par dernier jour, mais vite contenue par l’ancien chef de la ZAA, Yacef Saa- les hommes de Yacef Saadi, ancien di, de s’emparer de certains points maître des lieux et dont le rôle a été stratégiques comme la radio, le capital. port, toutes les administrations stra- Dans son offensive, l’Etat-major tégiques. général sous la conduite du colonel Une situation chaotique règne Boumediene, s’est appuyé sur ces pendant plusieurs jours à Alger, deux anciens dirigeants de la Wi- au point que la France a, de nou- laya IV : le commandant Azzedine, veau, menacé d’intervenir pour ancien chef du mythique bataillon « protéger ses ressortissants ». L’inter- Omar Oussedik Ali-Khodja et Yacef Saâdi, ancien vention de l’UGTA appelant à une de l’état-major général de l’ALN, chef de la Zone autonome d’Alger. grève générale est venue alourdir Yacef, détaché à Alger dans le cadre Sur décision du conseil de la Wi- le climat déjà délétère. Mais ce fut de la lutte contre l’OAS, les hommes laya IV, le commandant Azzedine, l’occasion pour le peuple algérien, de la ZAA, menée par Yacef Saadi, nommé alors chef de la Zone auto- meurtri par les drames de la guerre fraîchement libéré, ont grandement nome d’Alger, est placé en résidence et de la colonisation, de descendre facilité la tâche aux unités com- surveillée alors que son adjoint, le dans la rue et de scander son cé- battantes de l’armée des frontières commandant Omar Oussedik, est lèbre slogan resté dans les annales : pour écraser les ultimes poches de arrêté. D’ultimes combats ont eu « Sebaâ s’nin barakat ! » (Sept ans ça résistance et conquérir Alger en un lieu à la Casbah d’Alger, le 29 août suffit !). temps record. Ils se sont notam- 1962, et ont laissé plusieurs morts ment confrontés, au niveau de la (une trentaine selon des statistiques Adel Fathi

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 10 ) Supplément N°52 -Décembre 2016. Z.A.A Berceau de la bataille d’Alger Par Adel Fathi Zone Autonome d’Alger Histoire

Avril 1955. Conférence Afro-Asiatique de Bandoeng. A droite les observateurs du FLN, Hocine Ait Ahmed et M’hamed Yazid

Il est établi que la création de la Zone autonome d’Alger, dans le cadre d’un nouveau découpage territorial, était sous-jacente au lancement de la guérilla dans la capitale, qui était préconisé au congrès de la Soummam, par le tandem Abane-Ben M’hidi. Alors que la « question algérienne » était inscrite à l’ordre du jour des débats à l’ONU, les deux architectes de la Soummam, décident, pour donner à l’insurrection une envergure nationale et interna- tionale, d'intensifier et de concentrer les opérations armées sur la capitale.

Cela dit, il s’agissait moins de mener des actions symboliques que d’ébranler les états-majors des forces coloniales et de dévoi- ler dans le même temps leur brutalité, et celle du colonialisme, devant l’opinion publique internationale. C’est certainement cette double projection politico-militaire qui amena les deux dirigeants du FLN à se charger directement, au démarrage, du commandement de cette zone tampon

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our les militants, de « vulgaires terroristes assoiffés l’apprentissage de sang » et « enrôlés par des diri- de la guérilla les geants irresponsables ». amena à passer Yacef Saadi, qui était alors plusieurs étapes, le chef militaire de la Zone avantP d’arriver à la célèbre autonome d’Alger, expliquera grève des huit jours (mode de cet engrenage à la journa- lutte pacifique) qui coexistait liste Marie-Monique Robin avec une lutte armée portée : « Jusqu'au massacre de la rue héroïquement par les fidayine de Thèbes, nous ne faisions des et les fidayate, et qui était en attentats à Alger qu'en réponse à fait antérieure aux assises de des arrestations massives ou à des la Soummam. Car, il faut rap- exécutions. Mais là, nous n'avions peler que la première action a plus le choix : fous de rage, les ha- été perpétrée à Bab El-Oued, bitants de la Casbah ont commencé quartier européen d'Alger, le à marcher sur la ville européenne 19 juillet 1956 par le com- pour venger leurs morts. J'ai eu mando FLN de Boudries qui beaucoup de mal à les arrêter, en a fait un mort et trois blessés. les haranguant depuis les terrasses, En représailles, les plus radi- pour éviter un bain de sang. Je leur caux des militants de l'Algé- ai promis que le FLN les venge- rie française s'organisent en rait. » Attentat de la rue de Thèbes, à la Casbah le 10 août 1956 groupuscules paramilitaires, S’ensuivit un cycle d’ac- sous la direction d’un ex- tions-répression qui s’achè- officier du SDECE. Avec vera par la neutralisation ses miliciens, celui-ci monte celle des chefs opération- l'attentat de la rue de Thèbes, nels (Yacef Saadi, Ali La- dans la Casbah d’Alger, dans pointe…), et surtout par l’ar- la nuit du 10 août 1956, qui restation, puis l’élimination fait 16 morts et 57 blessés, et du chef politique de la Zone marque un tournant dans la autonome d’Alger et tête guerre de Libération natio- pensante de cette bataille, nale. Larbi Ben M’hidi, alors que Le 30 septembre 1956, les autres chefs politiques, deux bombes explosent au membres du CCE, avaient Milk Bar et à la Cafétéria, fai- déjà, à cette époque, quitté sant 4 morts et 52 blessés : les Alger pour Tunis. D’aucuns hostilités sont ouvertes, et la ont pointé cette faible solida- machine de propagande co- rité des autres responsables loniale se met en branle pour de la Révolution avec les res- tenter de ternir le combat des capés de la bataille d’Alger. Algériens pour la libération Les officiers français de leur pays, en présentant les ont baptisé l’opération de auteurs des actions comme répression contre les ré- Attentat à l’automatic le 30 septembre 1956

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Attentat du Milk Bar le 30 septembre 1956 guerre. Parmi elle, des Françaises de souche, à l’image de Danielle Min- ne, devenue Djamila Amrane, après son mariage avec le moudjahid martyr Khalil Amrane, ou encore Raymonde Peschard, tombée au champ d’honneur en Wilaya III, le 26 novembre 1957. Tuée le 8 octobre 1957, avec Ali La Pointe, P’tit Omar et Hamid Bouhamidi, à l’intérieur de cette fameuse casemate dans laquelle ils s’étaient refugiés, encer- clés par les parachutistes du général seaux du FLN dans la capitale réussi à réduire la résistance algé- Massu, Hassiba Benbouali est deve- « la Bataille d’Alger». Elle fut menée rienne dans la capitale. nue l’icône du martyre. D’autres ont par la 10e division des parachutistes, Face donc à une mobilisation de eu un autre sort, moins tragique, sous le commandement du général plus de 10 000 parachutistes, sans mais vont souffrir le martyre dans Massu. C’est face à une armada de compter les autres forces de sécurité les geôles coloniales, sous les sup- près de 10 000 parachutistes aguer- (police, gendarmerie, auxiliaires…) plices de bourreaux inhumains. ris, et à tout un système phagocyté et la systématisation de Adel Fathi par les plus extrémistes de l’armée, la torture dès 1956, les 10e division parachutiste du général Massu (Bataille d’Alger 1957) dotés de tous les pouvoirs et de tous dirigeants de la Révolu- les moyens (les fameux pouvoirs tion au niveau de la capi- spéciaux voulus et obtenus par tale créèrent un réseau Guy Mollet), que les combattants de femmes chargés de de l’ALN étaient confrontés : une poser des bombes dans bataille inégale, où les militaires, im- des lieux choisis, pour bus de leur puissance et de l’impuni- riposter aux exactions té dont ils étaient couverts, faisaient odieuses et quotidiennes montre d’un incroyable zèle en gé- de la soldatesque fran- néralisant notamment le recours à la çaise dotée désormais des torture et aux exécutions sommaires, pleins pouvoirs. Le recru- et en faisant fi de toutes les règles tement rapide et facile de du droit dont se vantaient les poli- ces jeunes volontaires tiques du gouvernement. Le général dénote le degré de révolte Massu dira dans un témoignage, de larges couches de la après l’Indépendance de l’Algérie, population contre l’occu- que lui-même et ses hommes étaient pant et sa soldatesque. « contraints » d’en faire usage, dès lors Une douzaine de qu’ils avaient la charge de rétablir fidayates ont laissé une l’ordre dans la capitale. Autrement empreinte indélébile dans dit, sans la systématisation de ces l’histoire de cette bataille méthodes décriée au temps des na- d’Alger, dont huit seu- zis, l’armée coloniale n’aurait jamais lement ont survécu à la

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Yacef Saâdi

Par Adel Fathi Zone Autonome d’Alger Histoire

Infatigable, et surtout indomptable, le héros de la bataille d’Alger, âgé aujourd’hui de 88 ans, est sans doute l’un des derniers acteurs et témoins de cette épopée. Il prit part à toutes les étapes de création et révolution de la Zone autonome d’Alger, jusqu’aux premiers jours de l’Algérie indé- pendante, lors de la crise de l’été 1962.

oin d’avoir eu raison dans un livre publié en 2016 (Ma 1er novembre 1954, il est contacté de lui, les différentes Bataille d’Alger), accuse Yacef Saa- par les membres du CRUA pour polémiques qui le di d’avoir donné ses compagnon. créer la Zone autonome d’Alger ciblent périodique- Si toutes ces controverses enri- (ZAA). Il est alors désigné comme ment n’ont fait que chissent parfois le débat sur l’his- conseiller politique et militaire de Lle renforcer dans ses convictions. toire de la guerre de Libération la ZAA, sur laquelle se sont succé- Ainsi, après avoir été confronté, nationale, il faut toujours appré- dé des chefs politiques de premier une première fois, à la remuante hender ces événements dans leur rang comme Abane Ramdane, moudjahida Louiza Ighilahriz, il contexte général, qui est celui de Benyoucef Benkhedda et Larbi s’est accroché avec la moudjahi- l’insurrection armée et de son en- Ben M’hidi. Yacef Saadi est chargé da , au sujet de lettres vironnement politique. Car le par- de structurer le FLN/ALN et de que celle-ci aurait envoyées, alors cours de Yacef Saadi se confond créer des réseaux de fidayine dans qu’elle était arrêtée en même temps avec celui de la Zone autonome les quartiers de la capitale. En 1955, que lui par les autorités coloniale, à d’Alger dont il était le chef militaire il est chargé par Abane Ramdane Hassiba Benbouali, au moment où et l’organisateur depuis sa création. d’une mission auprès de la direc- celle-ci était réfugiée avec d’autres Yacef Saadi est né à la Casbah le tion de l’Extérieur en Suisse, mais compagnons de lutte dans la cé- 20 janvier 1928. Très jeune, il re- il sera vite expulsé, puis arrêté par lèbre cache à la Casbah. Le voici, joint le PPA et adhère à l’OS dès les autorités françaises. Après six depuis quelques moins, en guerre sa création, en 1947, pour servir mois de prison, il sera libéré en contre un ex-journaliste franco- dans sa branche paramilitaire. Au septembre 1955 « contre la promesse américain, Ted Morgan, lequel, déclenchement de la Révolution, le d’informer la DST sur les activités

Louiza Ighilahriz Zohra Drif Hassiba Benbouali

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du FLN Alger ». Mais le militant Yacef Saadi trouva le subterfuge pour échapper à ce chantage, et décide d’entrer en clandestinité. Suite à quoi, il créé son premier commando de l’ALN à Alger, avec 21 militants aguerris, et attend le feu vert de ses chefs pour passer à l’action. En octobre 1955, il recrute Am- mar Ali dit Ali La Pointe, qu’il tira des milieux de la pègre, et qui va jouer un rôle névralgique dans les événements qui vont se dérouler plus tard. Après un échange avec Abane Ramdane et Larbi Ben M’hidi, notamment, Yacef Saadi Arrestation de Yacef Saâdi le 24 septembre 1957 arrive à les convaincre de la perti- nence de sa stratégie qui consistait à assainir, d’abord, la Casbah des éléments suspects, et d’entamer le combat pour faire entendre la voix de l’Algérie à l’étranger : « Pour qu'on nous prenne au sérieux, dira-t-il à Abane, il faut qu'Alger bouge. Qu'on parle de nous. Un pétard rue Miche- let fera plus de bruit qu'une embuscade meurtrière en Kabylie. Ici, tout le monde en parlera. La presse fera des titres. Il y aura la radio, le cinéma. C'est ici que tout devra se passer ! » En mai 1956, Yacef Saâdi est désigné comme chef FLN de la Zone autonome d'Alger et devient le bras droit de Larbi Ben M'Hidi, Démantèlement du réseau bombes de Yacef Saâdi, le colonel Godard présente à la presse 33 bombes chef du FLN pour la zone militaire récupérées lors d’une fouille à la Casbah d’Alger d'Alger, avec le grade de colonel. La célèbre bataille d’Alger n’était néral Massu, appelé à la rescousse. morts parmi la communauté euro- pas encore déclenchée. Après une Face à la répression féroce qui péenne, ébranlent les états-majors première action à Bab El-Oued, s’abat sur la population civile algé- de l’armée coloniale. La vraie « ba- le 25 juin 1956, les réseaux dirigés rienne, Yacef Saadi et ses hommes taille d’Alger » – dénomination don- par Yacef Saadi sont poursuivis mettent en place un « réseau bombes née par les Français à l’opération par les brigades de « la Main rouge », » confié à des jeunes femmes mi- de répression – commence en jan- une milice constituée des ultras et litantes. Une série d’attentats à la vier 1957, avec l’arrivée de quelque des colons européens, avant d’être bombe entre l’automne 1956 et 10 000 parachutistes conduits par confrontés aux parachutistes du gé- l’été 1957, faisant des dizaines de le général Massu, chargés de qua-

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 17 ) www.memoria.dz Zone Autonome d’Alger Histoire

et justifiera sa position par le souci de faire cesser la guerre fratricide. Il sera de nouveau amené à diri- ger des hommes pour assurer la sécurité des quartiers populaires et points stratégiques occupés par l’armée des frontières, à son arri- vée à Alger, en septembre 1962. Après 1963, il est nommé par Ben Bella président du Centre national d’amitié avec les peuples (CNAP), destiné à faire connaître à l'étranger les réalisations de l’Al- gérie indépendante, puis créé une

Arrestation de Zohra Drif le 24 septembre 1957 société de production, Casbah Films, première société d’audio- nale et qui lui demandait d’arrêter visuel privée en Algérie. Elle pro- ses actions, Yacef Saadi lui fit cette duit notamment le film de guerre proposition : « Je m'engage à mettre fin devenu culte : la Bataille d’Alger, au terrorisme contre les civils si la France en 1966. En 2001, il est nommé accepte d'arrêter les exécutions capitales membre du Conseil de la nation ». le 24 septembre 1957, il fut ar- (Sénat), par le président de la Ré- rêté, lui et sa collaboratrice Zohra publique, . Drif, par les éléments du 1er REP, Ses témoignages sont incon- dans sa cache à la Casbah, suite à tournables pour les chercheurs et une « trahison », selon de nombreux témoignages. Lui-même accuse, les historiens sur une des phases documents à l’appui, le double les plus douloureuses de la révolu- agent Hacene Guendriche dit Zer- tion algérienne : la bataille d’Alger. rouk, dont le nom est largement Il a déjà laissé un premier témoi- cité dans l’affaire de la Bleuite. Les gnage écrit : Les Souvenirs de la deux détenus seront condamnés Bataille d’Alger, écrit en prison, et à mort. Mais sa peine sera com- publié en 1962, puis un second en Hacène Guendriche dit Zerrouk muée après le retour de Charles de trois tomes : La Bataille d’Alger, paru en 1997 chez Casbah édition driller les principaux quartiers Gaulle au pouvoir, en 1958. Il sera (Alger) et Publisud (Paris), et une « chauds » d’Alger, et dotés de tous libéré après les accords d’Evian du 18 mars 1962. œuvre cinématographique histo- les pouvoirs, policiers et judi- A sa sortie de prison, il se re- rique dont il est à la fois le scéna- ciaires. Ce fut la porte ouverte à trouve au centre des tiraillements riste et le producteur : le film culte la torture et les exécutions som- qui déchiraient les rangs de l’ALN, La Bataille d’Alger, réalisé en 1966 maires. Lors d’une rencontre avec suite au conflit entre le GPRA par l’Italien Gillo Pontecorvo, et la sociologue et l’Etat-major général sous la dans lequel il campe son propre (1907-2008), venue à la tête d’une conduite de Boumediene. Yacef rôle. commission d’enquête internatio- Saadi choisit rapidement son camp, Adel Fathi

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 18 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Z.A.A Les hommes-clés

Kaid Ahmed

Commandant Azzedine

Houari Boumediene

Le commandant Azzedine

Par Adel Fathi Zone Autonome d’Alger Histoire

De son vrai nom Rabah Zerari, le commandant Azzedine était le chef opérationnel de la Wilaya IV (Algérois et Ouarsenis) en 1957-1958, sous le commandement du colonel M’hammed Bouguerra, il se distingua par sa grande capacité d’organisation et eut à conduire la légendaire compagnie Ali-Khodja en 1957, avec laquelle il mena d’innombrables attaques contre des cibles de l’armée française dans les régions d’Aïn Bessam et de Lakhdaria (ex-Palestro). Il contribua à former des cen- taines de moudjahidine sur les techniques de la guérilla, et était connu pour sa bravoure et son esprit de combativité. On lui doit aussi le suc- cès de ses troupes dans la mise en échec d’une tentative de contre- maquis menée par des ralliés regroupés dans ce qui était appelé la « Force K », conduite par le sinistrement célèbre Abdelkader Belhadj.

rrêté en novembre 1958, il réussit à regagner le maquis en feignant d’ac- cepter « la paix des Abraves » proposé par le général de Gaulle aux combattants de l’ALN, et à laquelle certains officiers de la Wilaya IV, comme le colonel Salah Zamoum, furent tentés d’adhé- rer. Après deux mois et demi de marche, il réussit à gagner Tunis, où il intégra vite le CNRA, puis le

commandement militaire sous la 2 1 direction du colonel Boumediene. 3 En 1960, il est désigné adjoint au chef de l’Etat-major général, avec notamment les commandant Ali Mendjeli et Si Slimane (Kaïd Ah- med), et dont le siège était au Ma- roc. Et c’est à partir de là que tout le staff de l’EMG s’est déplacé en Tunisie, à Ghardimaou plus pré- cisément, où il a installé son PC, jusqu’à l’indépendance. Ghardimaou 1961. 1- Ali Mendjeli. 2- Commandant Azzedine. 3- Abdelaziz Bouteflika

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Début 1962, à quelques mois, 1- Le colonel Si M’hamed Bougara chef de la wilaya IV historique. de la proclamation du cessez-le feu, 2- Si Lakhdar. 3- Commandant Azzedine Zerrari le 19 mars 1962, le commandant Azzedine fut détaché à Alger, avec comme mission de recréer la Zone autonome d’Alger, afin de tenir en échec l’OAS, qui avait entamé sa politique de la guerre brûlée. Il aura des contacts fréquents avec le pré- fet d'Alger, Vitalis Cros et Michel Hacq, directeur de la police judi- caire, tous deux responsables de la « Mission C » (Choc) pour la lutte contre l'organisation criminelle 2 3 française. Une mission difficile dans 1 un contexte miné. Il fallait à la fois protéger les populations algériennes des exactions de cette organisation et accélérer le processus d’indépen- dance qui était enclenché. Mais comment faire face à des groupuscules terroristes qui frap- paient aveuglément, et dont l’objec- tif final était d’empêcher justement que ce processus aboutisse ? L’OAS concentra ses attaques contre les symboles du pouvoir. Sa première victime fut le commissaire central d’Alger le 31 mai 1961. Un symbole fort par lequel les ultras se mon- que le FLN/ALN, désigné par les autorités coloniales pour assurer la traient décidés à déclarer la guerre à tout l’Etat français. Pour preuve, autorités coloniales comme une stricte application des accords de ils fomenteront plusieurs attaques « organisation terroriste », n’aurait cessez-le feu signés entre les deux contre le général de Gaulle lui- jamais osé perpétrer, pour contre- parties. Même si les réseaux de même, jusqu’après le 5 juillet 1962. balancer le système de terreur fidayine, formés depuis la bataille Ils s’attaquèrent aussi aux « porteurs qui s’écharnait sur la Révolution d’Alger, se tenaient toujours prêts de valises », aux anticolonialistes et et ses partisans. Le commandant au combat et qu’ils étaient encore aux communistes. Azzedine lui-même, dans sa mis- capables d’agir. Cela dit, il y eut une L’OAS est surtout connue pour sion, se garda de tout contre-terro- seule réplique, à une série d’atten- avoir été l’une des premières orga- risme, parce que non seulement il tats, dont celui à la voiture piégée du nisations terroristes à avoir organisé savait que cela ne pouvait qu’aggra- 2 mai 1962, au port d'Alger, perpé- des attentats à la voiture piégée : ver une situation déjà complexe, tré par l'OAS, fait 110 morts et 150 25 morts à Oran le 22 février et 62 mais surtout parce qu’il fallait coor- blessés, en majorité des dockers et morts à Alger le 2 mai 1962. Chose donner, au nom de l’ALN, avec les des demandeurs d'emploi. Au vaste

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Le chef d’Etat-major, le colonel Houari Boumediene, en compagnie de ses 3 adjoints en 1961. 1- Commandant Ali Mendjeli. 2- Commandant Si Slimane (Kaïd Ahmed) . 3- Commandant Azzedine Zerrari

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élan de solidarité déclenché à partir plusieurs fois à mobiliser ses sympa- durant la crise de l’été 1962, il refuse des différents quartiers par toute thisants dans des manifestations de de s’y impliquer et décide de quitter la population, européens et musul- rue, pour protester contre les négo- définitivement l'armée de libération mans confondus, ont répondu les ciations de paix et à provoquer des et la vie politique. Il consacrera son tirs des ultras de l’OAS provoquant émeutes meurtrières, comme celle temps à écrire ses Mémoires, en ainsi un véritable carnage. de la rue d’Isly, le 26 mars 1962 qui publiant trois récit qui restent des Cette politique dite de la terre fit 54 morts chez les pieds noirs pris références : On nous appelait fel- brûlée, amena les instigateurs de sous le feu des forces françaises. laghas (1978, Paris), Alger ne brûla l’OAS aussi à ordonner des opéra- Le 5 juillet, le commandant pas (1980, Paris, réédité en 1997, Al- ger) et enfin C'était la guerre (1993, tions de plasticage ciblant les équi- Azzedine revient à la capitale à la Paris) avec Jean-Claude Carrière. pements collectifs, les écoles ou les tête de 12 bataillons, pour assurer Il reviendra sur la scène poli- bibliothèques, dont celle de l’uni- le passage à l’armée des frontières tique, au milieu des années 1990, versité d’Alger incendiée le 7 juin qui était confrontée à quelques pour fonder avec notamment Salah 1962, faisant des victimes parmi foyers de résistances, notamment Boubnider le Comité des citoyens au niveau de la Wilaya IV, dont la les Algériens. Ce qui ne devait pas pour la défense de la République laisser le FLN/ALN représenté par Zone autonome d’Alger était consi- (CCDR). Tout récemment, il est de les dirigeants de la Zone autonome déré comme le prolongement natu- nouveau monté au créneau pour d’Alger. Or, c’est sur le terrain poli- rel. Mais son rôle s’arrêta tout d’un défendre l’honneur de son compa- tique que se jouait la grande bataille. coup là. Très peiné par les affron- gnon, Yacef Saadi, diffamé par un Bénéficiant d’un soutien massif des tements fratricides qui ont marqué auteur franco-américain. pieds-noirs d’Algérie, l’OAS réussit les premiers mois de l'indépendante Adel Fathi

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 22 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Z.A.A Les hommes-clés Benyoucef Benkhedda

Par Adel Fathi Zone Autonome d’Alger Histoire

Militant du PPA/MTLD dans sa région natale à Blida, Benkhed- da n’était pas considéré parmi les plus radicaux du parti qui vont ensuite, comme on le sait, constituer le premier noyau de l’Organisation spéciale (OS) dès la fin des années 1940. Pour- tant, dès 1956, il se retrouve au premier cercle des décideurs qui mirent au point la stratégie de la guerre de libération, à com- mencer par son implication dans la création de la Zone auto- nome d’Alger, détachée désormais de la Wilaya IV, puis dans la bataille d’Alger, avant d’être propulsé à la tête du deuxième gouvernement provisoire.

l’heure de la crise du parti nationaliste en 1953-1954, Benkhedda choisit son camp, qui Aétait celui des « centralistes », du nom des membres du Comité central du parti qui contestaient ouvertement l’autoritarisme de Messali Hadj, mais tout en se tenant à l’écart des fougueux «activistes» qui voulaient accélérer l’avènement de la lutte armée. Plus proche idéologique- 2 3 ment des modérés de l’UDMA de 1 4 Ferhat Abbas et de l’élite libérale, Membres du CCE à madrid en 1957. 1- Benkhedda. 2- Dahlab. 3-Abane. 4- Krim il adhéra finalement au mot d’ordre de la révolution, grâce à l’appui ger, qui avait, à l’issue du congrès Dans la répartition des tâches d’un Abane Ramdane fraîchement de la Soummam du 20 août 1956, du CCE, organe exécutif de la sorti de prison, et qui avait réussi un statut de wilaya à part entière. Révolution, Benkhedda, qui y sera à convaincre tout le gotha des an- Les trois s’attelèrent à mettre en admis comme membre un peu plus ciens assimilationnistes (udmistes, place des réseaux de militants et tard, se réserva les contacts avec les communistes et ouléma) de rejoindre de fidayine dans les quartiers de Européens et la direction de la nou- l’insurrection et de participer, plus la capitale, dont la responsabilité velle Zone autonome d’Alger, tandis tard, au congrès de la Soummam. a été confiée à Yacef Saadi. Mais, que Larbi Ben M’Hidi choisit d’être Benyoucef Benkhedda s’engage à la création du CCE, Benkhedda responsable de l’action armée à Al- rapidement avec Abane Ramdane sera appelé, au même titre que ses ger, alors que Abane Ramdane, en et Larbi Ben M’hidi, mais aussi compagnons, à quitter le territoire sa qualité de responsable politique avec tous les autres membres du national, pour continuer à diriger et financier, chapeautait toute cette CCE, à assurer l’encadrement poli- cette haute instance de la Révolu- nouvelle stratégie de guerre urbaine tique de la Zone autonome d’Al- tion, à partir de Tunis. lancée dans la capitale.

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Cela dit, Benkhedda, au vu de ses qualités intellectuelles et militantes avérées, eut des mis- sions plus diversifiées liées à la mobilisation de la population, à la propagande et l’information, à la diffusion des directives et des mots d’ordre du FLN et à la rédac-

tion des tracts et affiches divers à 3 2 l’usage des militants et des sympa- 1 thisants. C’est ainsi qu’il participa, par exemple, à la confection et à la rédaction du journal El-Mou- djahid, organe central de la Révo-

lution et outil de sensibilisation Au maquis : 1-Ali Kafi. 2- benyoucef Benkhedda. 3- Krim Belkacem essentiel pour la cause algérienne, avec notamment Abane, Redha Malek et Frantz Fanon. Les trois politiques : Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi et Benyoucef Benkhedda œuvreront ensemble durant cette période à consolider la primauté du politique sur le militaire (principe cardinal de la plateforme de la Soummam) sur le terrain, à travers la réorga- nisation de la guérilla urbaine, dans la Zone autonome d’Alger, et tout le travail d’encadrement qui a accompagné la Bataille d’Alger, la grève des huit jours et la mobi- lisation populaire qui va aboutir aux grandioses manifestations du 11 décembre 1960. Avec d’autres militants chevronnés et acquis à La délégation du GPRA en Tunisie cette philosophie, ils y ont prouvé l’inéluctabilité de la lutte politique pousser la direction de la Révolu- On sait que, avant de par- dans le combat libérateur. tion à se retrancher dans une vi- tir, Benyoucef Benkhedda avait La répression féroce qui s’est sion plus radicale qui devrait pri- échappé miraculeusement aux abattue sur l’insurrection urbaine, vilégier l’action armée, au moment mains des « paras » du général puis la mort d’Abane et de Ben où l’instance exécutive (le CCE), Massu. Il décide de quitter défini- M’hidi au cours de la même an- installée à Tunis, s’en retrouve de tivement la capitale après l’assassi- née (1957) ont eu comme effet de plus en plus éloignée. nat de Ben M’Hidi dans sa cellule

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 25 ) www.memoria.dz Zone Autonome d’Alger Histoire

Le 9 août 1961, alors que les pourparlers pour l’indépen- dance de l’Algérie étaient enga- gés, Benyoucef Benkhedda sera désigné par ses pairs à la tête du deuxième GPRA, en remplace- ment de Ferhat Abbas. Il res- 4 tera à ce poste jusqu’au 3 juillet 1962, date de la proclamation de l’Indépendance qui a suivi auto- matiquement le référendum pour l’autodétermination. Mais, tout ne

3 s’est pas passé comme souhaité. 2 La course au pouvoir déchire irré- 1 médiablement le commandement de la Révolution, et Benkhedda dut affronter une situation inex- tricable pour éviter le chaos total. En assumant son rôle et ses pré- rogatives jusqu’au bout, il va vite s’accrocher avec le commandant de l’Etat-major, sans savoir qu’il allait commettre le geste qui lui sera fatal.

1- Saâd Dahleb. 2- Benyoucef Benkhedda. 3- Mohamed Boudiaf. 4- Krim Belkacem Adel Fathi de prison par les sbires de Bigeard, et dont le meurtre, comme on le sait maintenant, a été revendiqué par le sanguinaire commandant Paul Aussaresses. A l a c r é at ion du pr e m ie r GPR A , en septembre 1958, Benyoucef Benkhedda fut désigné ministre des Affaires sociales. Il accomplit avec succès plusieurs missions au nom du FLN, et effectue un grand périple qui l’amène dans de nom- breux pays du monde arabe, d’Eu- rope et d’Amérique latine. Le 3e GPRA

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 26 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. 59ème Anniversaire de la

GRéVE DES HUIT JOURS Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre

28 Janvier au 04 Février 1957 Gréve des huit jours et mémoire d’enfant

* MOBILISATION POPULAIRE ET SENS POLITIQUE D’UNE GRèVE * LA 10e DIVISION PARACHUTISTE TENTE DE CASSER LA GRèVE * RETENTISSEMENT DE LA GRèVE DE 1957 DANS LE MONDE Grève des huit jours Histoire

Je me rappelle comme si cela datait d’hier dans ma mémoire d’enfant la brutalité des soldats français qui arrachèrent par une chaîne accrochée à un half-track, les rideaux des locaux d’épiciers dans notre quartier. Nous habitons à Constantine au 14 de l’avenue du 11 Novembre en souvenir de l’armistice. Aujourd’hui c’est l’avenue du 20 Août 55 marquant l’historique journée où Zighoud Youcef et ses compagnons décidèrent de porter en plein jour la Révolution contre les forces coloniales.

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 28 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Grève des huit jours Histoire

Images indélébiles et mémoires d’enfant

On était enfants à peine neuf ans et déjà on se posait la question sur les ratonnades, les brimades et les exactions contre les habitants de notre quartier arabe parce que la po- pulation répondait au mot d’ordre de grève pour montrer l’adhésion du peuple à la lutte déclenchée par le FLN pour notre liberté et notre indépendance. L’avenue du 20 Août 1955 se trouve être à l’entrée du centre ville qui nous conduit vers « Aouinet al Foul » où mon ami Ba- dredine Mili avait rédigé sa trilogie. Nous sommes en plein dans le quartier arabe comme celui de Belcourt. Aouinet Foul est un pas- sage obligé pour les fidaiyines pour se frayer le chemin vers le maquis. Quel sentiment chez l’enfant qui

regarde les soldats coloniaux briser Un commerçant contraint par la force d’ouvrir son magasin la grève avec tant de haine ? Cela laisse des traces indélébiles dans son déclenchement de la grève des huit drait que cette grève soit longue imaginaire. jours. Nous sommes à la veille de pour lui donner tout son impact et A l’adolescence on revoit le l’examen de la question algérienne sera sans nul doute un défi contre film de Yacef Saadi avec le réalisa- par l’Assemblée générale de l’ONU. les autorités coloniales pouvant teur Gillo Pontécorvo qui relate les L’idée de préparer cette grande ma- marquer psychologiquement l’opi- mêmes scènes de ces militaires qui nifestation de désobéissance géné- nion française et internationale. insultent, frappent ces malheureux rale contre le colonialisme prenait propriétaires de magasins en les for- forme après la tenue du congrès de Un défi contre les çant à ouvrir cassant ainsi la grève. la Soummam. Il faut se rappeler autorités coloniales que le CCE ordonna la création de Le peuple algérien se l’Union générale des commerçants Selon les propos rapportés par souvient des huit jours algériens (UGCA) en septembre Gilbert Meynier dans son ou- de grève 1956. vrage Histoire intérieure du FLN Le CCE inscrivait dans son 1954/1962 (Editions Casbah), Saâd Aujourd’hui le peuple algérien ordre du jour ce point qui fut dé- Dahlab par réalisme soutint l’idée et son union nationale des com- battu pour arrêter les conditions de qu’un jour ou deux seraient ample- merçants célèbrent le 59e anniver- sa réussite au plan national et inter- ment suffisants. Ali Yahia Abden- saire du 28 janvier 1957 date du national. Larbi Ben M’Hidi vou- nour au nom de la centrale UGTA

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Intervention musclée des parachutistes pour casser la grève

était du même avis. Finalement, le respecté. Après le succès de cette CCE opta pour une grève des huit Alger vit ses huit jours de grève, le CCE de peur des repré- jours dans les principales villes d’Al- grève dans la solidarité sailles prit le chemin de l’exil et gérie. s’installa à l’étranger le 27 février Il faut se rappeler qu’à la fin de Ainsi dans toutes nos villes, 1957. En fait, le CCE avec Larbi l’année 1956 la tension est à son l’ordre de la grève décrétée par Ben M’hidi et Benkhedda joua le paroxysme et le 24 décembre 1956, Amédée Froger, président de l’inter- le CCE fut massivement suivi et rôle d’un comité de zone de ZAA fédération des maires d’Algérie, fut tué. Il représentait dans l’esprit des travailleurs le symbole du colonat réactionnaire. Ce fut un autre test pour exprimer à la face du monde que le peuple était en parfaite sym- biose avec le FLN. Le ministre résident Robert La- coste en plein accord avec le gou- vernement socialiste de Guy Mollet avait donné pleins pouvoirs au gé- néral Massu de mobiliser le 7 janvier 1957 huit mille soldats de la 10e DP de retour d’Egypte où ils venaient de participer à la campagne de Suez. C’était quelques jours avant le jour « J » pour saper la grève à Alger. Massu était assisté notamment des colonels Bigeard, Trinquier et Go- dard. Tout Alger était encerclé et corsé de fils barbelés où les habi- tants des quartiers arabes passaient à la fouille systématique.

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 30 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Grève des huit jours Histoire

supervisant une branche politique confiée à Brahim Chergui et une branche militaire confiée à Yacef Saâdi. Il faut dire que l’organisation du FLN revenait au CCE tant que son instance se trouve être à Alger. Mais avec l’arrestation de Ben M’hidi le 23 février 1957 et le démantèlement répressif qui brisa un tant soit peu la première ZAA et fit fuir le CCE, l’organisation du FLN se reconstitua d’une ma- nière plus élaborée et les attentats Yacef Saadi chef militaire de la ZAA Brahim Chergui chef politique de la ZAA reprirent à nouveau. Un conseil de la ZAA fut créé et supervisait toutes les actions tant politiques que militaires.

La base militante se restructure et se renforce

L’organigramme théorique de l’ensemble des militants et des groupes armés auraient dû avoisi- ner les 5000 hommes et femmes tel rapporté dans le livre de Serge Bromberger Les rebelles Algériens (Plon, 1958). Le transport et la pose des bombes se faisaient grâce au concours des femmes militantes et moudjahidates dans le réseau bombes telles Djaouher Akrour,

Hassiba Bent Bouali, Djamila Samia Lakhdari, Zohra Drif, Djamila Bouhired et . Photo prise par Ali la pointe en 1957 Bouazza, Djamila Bouhired, Zohra Dhrif, Baya Hocine, Samia Lakh- les sinistres villas Sisini ou des chez leurs familles enterrés dans dari, Djamila Amrane (Danièle tourelles, le tunnel du Ravin de la certains cas dans des fosses com- Minne), Annie Steiner… Le haïk Femme sauvage, la villa des Roses. munes. Paul Teitgen qui fut un était l’habit qui dissimulait les couf- Pierre Montagnon reconnaît grand résistant torturé par la Gesta- fins. le recours généralisé de la gégène. po à Nancy, raconte alors qu’il était Les arrestations après la grève Par milliers, les gens furent arrêtés secrétaire de la préfecture d’Alger, des huit jours furent systématiques. et dirigés vers des camps tels celui la ressemblance des méthodes co- Les para de Massu excellaient dans de Béni Messous ou Paul Gazelles. lonialistes françaises à celles des la systématisation de la torture dans Nombreux ne sont plus revenus nazis.

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 31 ) www.memoria.dz Grève des huit jours Histoire

turé. Maurice Audin enlevé, torturé et probablement étranglé par les parachu- tistes en Juin 1957. »

Larbi Ben M’hidi dignité et pûreté d’un grand dirigeant

L’assassinat de Larbi Ben M’hi- di fut ordonné par le commandant Aussaresses qui commandait la section de liquidation qui décla- rait avoir exécuté Larbi Ben M’hidi par pendaison dans une ferme iso- lée à une vingtaine de kilomètres au sud d’Alger. Cette version a été contestée par Yacef Saâdi pour lequel Larbi Ben M’hidi aurait été fusillé (El Watan 4-5 mai 2001). Ben M’hidi Larbi était un militant convaincu de la cause nationale. Il était d’une grande pureté et d’une foi entière en la patrie et nullement un homme de calculs. Après la répression qui s’est abat- tue sur Alger en cette année 1957, il de Pierre Montignon La guerre eut le départ de quatre membres du La torture et la d’Algérie. Genèse et engrenage CCE (Abane, Dahlab, Benkhedda, Krim). Désormais, le CCE s’ins- comptabilité macabre d’une tragédie, paru aux Editions talle à l’étranger. L’effet politique Pygmalion-Gérard Watelet à Paris des disparus et médiatique de la grève des huit en 1984). jours à travers l’ensemble des villes En relisant le livre de Gil- D’ailleurs il nous donne un de notre pays aurait abouti à une bert Meynier Histoire intérieure chiffre effarant dans le décompte adhésion du peuple au FLN en du FLN 1954/1962, page 328 de officiel du 28 janvier au 2 avril attendant les manifestations du 11 l’Edition Casbah il est dit : « Moha- 1957 dans le département d’Alger décembre 1960 et l’adoption d’une med Ouamara dit Rachid dont la villa où il était enregistré 3024 cas de résolution par l’Assemblée générale servait de réunion du CCE, fut torturé personnes définitivement dispa- de l’ONU qui n’était pas défavo- rus alors qu’Yves Courrière parle à mort. Il eut les yeux crevés et le cuir rable à l’indépendance de l’Algérie. de 3994 disparitions. Les prison- chevelu arraché. Me Ali Boumendjel A partir de 1957/1958, le FLN se niers pouvaient être liquidés dans assommé d’un coup de manche de pioche transforme progressivement en un les forêts d’Alger, dans le puits du et précipité sur ordre du sinistre Com- Etat reconnu. jardin Sésini, les cadavres finiront mandant Aussaresses du haut d’une Dr Boudjemâa HAICHOUR dans le four crématoire de Zéralda passerelle reliant au sixième étage deux Chercheur universitaire ou en pleine mer (cité dans le livre immeubles d’El Biar où il avait été tor- Ancien ministre

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 32 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Le 24 septembre 1957 est arrêté Yacef Saâdi, chef de la ZAA

Par Djamel Belbey Zone Autonome d’Alger Histoire

Yacef Saâdi, chef militaire des réseaux FLN de la Zone autonome d'Alger, a été arrêté en même temps que Zohra Drif, le 24 septembre 1957

our mettre fin à la L’histoire nous raconte ainsi que la torture dont ont fait l’objet des révolution, notam- Yacef Saâdi, le chef politico-mili- militants nationalistes et fidayines ment dans la Zone taire dans la ZAA, né dans la Cas- par l’armée coloniale. Les interroga- autonome d’Alger, bah à Alger le 20 janvier 1928, et toires ont permis de mettre la main les autorités colo- de nombreux autres fidayines, qui sur des éléments clés de l’organisa- niales ont mis en constituaient le réseau des poseurs tion et de remonter la chaîne pyra- œuvre des méthodes aussi machia- de bombes, ont été arrêtés, à la midale jusqu’aux élites de l’organi- Pvéliques que perfides, en recourant suite d’une action d’infiltration et sation politico-militaire du FLN de d’abord à la torture puis à la « guerre de retournement d’anciens militants la Zone autonome d'Alger. Tout a du FLN, opérée par le Groupe de commencé en juillet, lorsque le capi- psychologique », notamment à la renseignements et d'exploitation taine parachutiste Paul-Alain Léger, manipulation et à la terrible « bleuite (GRE). Un service spécial chargé sous le commandement du colonel », à l’origine des conflits internes du renseignement, créé par les ser- Yves Godard d'Alger Sahel, inter- dans les rangs des combattants al- vices secrets français en 1957, mis cepte des livraisons d'armes, mais gériens et des exécutions au sein du en place par le capitaine Léger, un surtout, met la main sur Alilou, FLN/ALN. L’infiltration a été, dans agent du Service de documentation principal agent de liaison de Yacef ce cadre, un des moyens utilisés par extérieure et de contre-espionnage Saâdi. Alilou est « retourné » et ensuite (SDECE), avec l’accord du colonel incorporé au Groupe de renseigne- l’ennemi, dans son action. Résultat : Godard. ments et d'exploitation (GRE). Ce les principaux commandements de L’arrestation de Yacef Saâdi a été fut le tour de Guandriche Hacène, la révolution ont été soit contraints à le résultat de l’exploitation des ren- plus connu sous le pseudonyme de l’exil, ou ont fait l’objet d’arrestation. seignements extorqués à la suite de Zerrouk, le chef de la région 3 de la

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Amara Ali dit Alilou zone d’Alger, de tomber aux mains des mêmes services du GRE. Ils l'incorporent dans l'équipe des « bleus-de-chauffe », qui sont des an- ciens combattants FLN faits pri- sonniers et « retournés ».

La nouvelle du retournement Le 24 septembre 1957, les légionnaires du 1er REP accompagnés par la de Guandriche, alias Zerrouk, est Gendarmerie arrêtent Yacef Saâdi gardée sécrète, même auprès de sa femme. Car le capitaine Léger comptait en user pour arriver à localiser Yacef Saâdi, notamment à travers l'infiltration du réseau de courriers de ce dernier. Ce faisant, le capitaine Léger en- voie Houria, qu’il présente comme sa collaboratrice, se cacher dans la maison de Zerrouk, afin d’observer les gens qui s’y présentent. Un jour, elle transmet un message à Léger, en décrivant un homme qui venait très souvent sonner chez son hôte. Il se promène toujours en tenant une petite fille par la main. Grâce à ce renseignement, l’homme est rapidement identifié et son domi-

cile repéré n° 4 rue Caton dans la Conférence de presse du colonel Yves Godard, après l’arrestation de Yacef Saâdi Casbah. et de sa compagne Zohra Drif

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 35 ) www.memoria.dz Zone Autonome d’Alger Histoire

A droite : Yacef Saâdi, Colonel Bencherif, Ould Hocine Chérif, officier de l'ALN, Mustapha Blidi, Salah El-Houaoui. Assis à gauche : Moussaoui Mohamed et Berkani Mohamed. Deuxième indice. Le 23 sep- sables du FLN. Etant reconnue par non sans avoir brulé des documents tembre, les gendarmes d’Alger ar- les « retournés », comme faisant par- de la Zone autonome d'Alger. Ils rêtent un homme nommé Djamel, tie des réseaux de soutien au FLN jettent leurs armes par la lucarne, lequel, interrogé par le GRE, avoue dans la ZAA, la femme qui a fait avant de se rendre. Son arrestation a connaître Yacef Saâdi et ajoute qu’il preuve d’un courage exemplaire est servi l’alibi de l’action psychologique l’a rencontré rue Caton. Ces deux arrêtée et horriblement torturée par des services coloniaux, qui préten- renseignements, qui se recoupent, les paras. La fouille de la maison a daient que ses aveux auraient permis donnent la conviction que Yacef permis de découvrir que Yacef Saâdi l’arrestation de plusieurs membres Saâdi loge bien dans cette rue. Le était présent dans l’immeuble avec du FLN. Mais, Yacef et Drif sont lendemain, mardi 24 septembre, à 2 sa collaboratrice Zohra Drif. Ils se condamnés à mort. Yacef doit sa h 30, une opération est lancée ; les cachent dans un petit réduit au fond survie à l'ancienne résistante Ger- paras du 1er Régiment étranger de d’une salle de bain. Repéré, Yacef maine Tillion, déportée à Ravens- parachutistes (REP) sous le com- Saâdi lance une grenade dans le cou- brück, ethnologue, ancien membre mandement du colonel Jean Pierre loir, dont les éclats blessent le colonel du cabinet de Jacques Soustelle, qui et les « bleus » du capitaine Léger Jean-Pierre. Sous la menace de faire se battra pour le sortir des mains des bouclent la rue Caton. Les hommes exploser l’immeuble, et après de lon- parachutistes. Elle témoignera en sa pénètrent dans la maison au n° 3. gues heures de négociation, Yacef faveur lors d'un de ses trois procès – La propriétaire proteste énergique- Saâdi et Zohra Drif, qui partage la où il sera par trois fois condamné à ment contre cette intrusion. C’était cachette, se rendent à 6 heures du mort –, puis interviendra pour obte- Fatiha Bouhired, veuve du chahid matin, au colonel Godard qui dirige nir qu'il ait la vie sauve. Mustapha Bouhired, un des respon- l’opération et sortent de la cachette, Djamel Belbey

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 36 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Arrêtée en La cache qui a servi de refuge, rue des Abderrames compagnie de Yacef dans la cache de la rue Caton

Zohra Drif… victime des bleus

Par Djamel Belbey Zone Autonome d’Alger Histoire

on arrestation marque la fin de la bataille d’Alger. Elle avait été arrêtée dans les mêmes circonstances que Yacef Saadi, dans le Srefuge de la rue Caton de la Casbah d'Alger. Elle c’est Zohra Drif qui, à coté de Hassiba Ben Bouali, de Dja- mila Bouhired, de Yacef Saâdi, de Ali la Pointe, de Samia Lakhdari, …, est l’une des icones de la bataille d’Alger. Née en 1934 à Tiaret dans une famille bourgeoise, elle passe toute son enfance à Vialar (actuellement Tissemsilt). Son père cadi à Vialar l'envoie terminer ses études à Alger, au lycée Fromentin et par la suite à la faculté de droit d'Alger. Avec la littérature, elle découvre le Siècle des Lumières, la Révolution fran-

çaise de 1789 et les libertés indivi- Debout de g. à dr. : Djamila Bouhired, Yacef Saâdi et Hassiba Ben Bouali duelles, ce qui l'amène à réfléchir à Assis : Samia Lakhdari, P’tit Omar, Ali la Pointe et Zohra Drif la situation en Algérie, révoltée par Maurétania qui n'explosera pas, la colonisation et par la différence celle du bar de la cafétéria de la rue de traitement entre colons, indi- Michelet, et celle qu'elle dépose elle- gènes juifs et indigènes musulmans. même dans un café-bar, le « Milk Le 30 septembre 1956, la cellule Bar », fréquenté par des pieds-noirs dont elle fait partie est chargée de : l'attentat tue trois jeunes femmes et placer trois bombes dont celle du fait une douzaine de blessés, dont de nombreux enfants. L’arrestation d’un élément du ré- seau FLN à la Casbah d’Alger, puis son retournement par les services spéciaux français ont permis sa lo- calisation puis son arrestation le 24 septembre 1957, par les légionnaires du 1er REP dans son repaire au n°3 de la rue Caton, maison qui faisait face à celle où se trouvaient Hassiba Ben Bouali et Ali la Pointe. Dans son témoignage à l’occasion d’une conférence, Zohra Drif revien- dra sur les circonstances, mais aussi les enseignements de son arrestation Ali la Pointe

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çaise. Nous avons alors été recueillis par Fatiha Bouhi- La deuxième erreur fut de rame- red, de son nom de jeune ner Hadj Smail dans le refuge, alors fille Attali qui venait de qu’« il n’était pas sur la liste des gens perdre son mari assassiné qui pouvaient passer la nuit dans par les parachutistes. Nous le quartier ». La troisième erreur de Yacef fut « celle d’écrire, de ses avons décidé que cet abri ne propres mains la lettre que nous devait être connu que par la devions envoyer à Tunis et que Hadj maîtresse de maison. Nous Smail a laissée chez lui pour aller y allions de temps en temps, travailler ». Or, raconte-t-elle, « un Ali la Pointe, Hassiba Ben concours de circonstances a fait Bouali, P’tit Omar, Yacef que les paras ont fait une descente Saâdi et moi-même. Quand chez lui et ont trouvé la lettre posée Athmane et Si Mourad sont sur un meuble. C’était un rapport morts, c’étaient les adjoints détaillé de la situation de la Zone directs de Yacef, ce dernier autonome d’Alger, écrit donc et si- reprit contact avec Zerrouk gné de la main de Yacef ». Et enfin, Fatiha Bouhired qui était l’adjoint de Si Ath- « nous avions l’habitude de recevoir le courrier tout les jours à 5 heures, mane et Mourad. Or, nous : « Nous étions un petit groupe avec c’était très important parce que si le peu de moyens. Le grand problème l’apprendrons malheureusement courrier n’arrivait pas au moment était de trouver un lieu d’héberge- plus tard, Zerrouk avait été arrêté prévu, ça voulait dire que quelque ment. Non pas que le peuple de la quelque temps auparavant par les chose n’allait pas. Nous devions re- Casbah nous rejetait, mais toutes les Français qui l’avaient retourné. Il cevoir une lettre de Hadj Smail qui maisons étaient quotidiennement travaillait donc avec eux. » Pour elle, devait prendre un avion pour Paris visitées et fichées par l’armée fran- c’était la première erreur fatale. et Tunis ensuite. La lettre n’est pas

Dégâts de l’attentat du Milk-Bar

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Arrestation de Zohra Drif Zohra Drif, jeune étudiante en droit arrivée, alors je suis allée voir Yacef. tu es là. Que tu es malade... tu as l’exigeaient nos règles strictes de Au lieu de partir immédiatement, la grippe. » Zohra avait vite compris clandestinité », précisera-t-elle dans il nous a dit d’attendre. » C’était sa qu’elle avait été balancée par Ghan- ses Mémoires d’une combattante quatrième erreur. « Et dans la nuit driche plus connu sous le pseudo- de l’ALN, Zone autonome d’Alger du 24 au 25 septembre, les paras nyme Zerrouk, auquel elle avait (Chiheb Editions, 607 pages). Zohra sont venus directement à la cache et écrit le dernier message , expliquant Drif et Yacef Saâdi, chef FLN de la nous ont arrêtés… » que Yacef avait la grippe et que la Zone autonome d’Alger sont pré- fièvre l'empêchait de tenir lui-même sentés à la presse, lors d’une Confé- Les détails de son le stylo. rence de presse du colonel Yves arrestation Yacef avait bien tenté de résister Godard, adjoint opérationnel du en lançant d’abord une grenade qui général Massu, commandant de la 10e DP (division parachutiste), suite Le quartier de la rue Caton fut explosa à quelques mètres du colo- à leur arrestation le 24 septembre encerclé très tôt le matin vers 5 nel Jean-Pierre. Il vida aussi un des 1957, qui avait été présentée comme heures, le 24 septembre. Alertés par cinq chargeurs qu'il avait sur lui. une victoire. la propriétaire de la maison, Fathia Deux paras s'écroulèrent foudroyés, Zohra Drif est alors condam- Bouhired, de son nom de jeune fille un troisième fut blessé. Zohra, née, en août 1958, à vingt ans de Attali, Yacef et Zohra se précipi- quant à elle, prit le soin de mettre le travaux forcés par le tribunal mili- tèrent dans la cache qui se trouvait feu à tous les documents qui étaient taire d'Alger. Enfermée alors au dans la salle de bains et qui ouvrait dans sa cache. quartier des femmes de la prison de l'autre côté sur l'escalier de l'im- Après avoir reçu les assurances de Barberousse, elle est transférée meuble. Yacef avait une mitraillette, du colonel Godard d’être traités en ensuite dans diverses prisons fran- un pistolet et une grenade. Zohra, prisonnier de guerre, Yacef Saâdi et çaises. En 1960, toujours en prison, qui était en sous-vêtements pris les Zohra Drif se rendirent aux para- elle écrit son témoignage intitulé la archives dans sa cache. Le colonel chutistes français, qui menaçaient Mort de mes frères. Zohra Drif est Jean-Pierre, le capitaine Chabanne de plastiquer l’immeuble. Ils durent finalement graciée par le général de entrèrent les premiers. Le colonel ensuite mis au secret à la villa Nador Gaulle lors de l'indépendance de Jean-Pierre lança à Yacef : « Yacef, d’El Biar, « en sachant que Hassiba l'Algérie en 1962. rends-toi. Sors de là. On sait que et Ali allaient changer d’abri comme Djamel Belbey

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Arrêtée lors d’un accrochage à la casbah

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jamila Bouhired, qui s’est engagée dans les rangs de la révolution à la fleur de l’âge, dans Dles années 1950 alors qu’elle était étudiante, faisait partie du « réseau bombes » du FLN. Agent de liaison du Comité de coordination et d'exécution (CCE) et assistante personnelle de Yacef Saadi, chef de la Zone autonome d'Alger pendant la bataille d'Alger, Djamila Bouhired dépose, le 30 septembre 1956, une bombe qui n'explose pas dans le hall du Mauré- tania. Elle recruta Djamila Bouazza qui, elle, déposa le 26 janvier suivant une bombe très meurtrière au Coq- Hardi. Le 9 avril 1957, au cours d'un ac- crochage dans une ruelle de la Cas- Les fidayate. De g. à dr. : Samia Lakhdari, Zohra Drif, Djamila Bouhired et Hassiba Ben Bouali. bah d'Alger, Djamila Bouhired, est blessée. Une balle transperce son Les paras viennent, tous les quarts plaça des électrodes dans le sexe, dos, lui fracasse la clavicule et lui d'heure, vriller un couteau dans sa dans les mains, les oreilles, sur le perfore le sein gauche. Elle ne peut plaie. La torture qu’elle subit est des- front, dans la bouche, au bout des fuir et est donc arrêtée par les para- tinée à lui faire avouer l’endroit où seins. Vers trois heures du matin, chutistes de la 4e compagnie du 9e Yasef Saadi se cache, mais elle ne je m'évanouis, puis délirai. » Le 21 régiment des zouaves. dit rien. Elle tente bien de faire ces- avril 1957, elle est dirigée à El Biar ser la torture en donnant quelques (Alger) dans un autre centre de tor- Arrestation et adresses sans importance et des ren- ture et jusqu’au 25 avril 1957 elle est condamnation seignements contenus dans les pa- encore battue, même si l'administra- piers saisis. Lors de sa détention, la tion coloniale l’a nié durant des an- Transportée à l'hôpital, elle est jeune fille de vingt et un ans subira nées même après l'indépendance de interrogée quatre heures plus tard les pires atrocités, elle est suppliciée l'Algérie. Les sévices ont été consta- environ, puis conduite dans une à l'électricité. Elle témoigne : « Les tés par le médecin du FLN Janine maison inconnue, non loin de la trois capitaines, qui m'avaient em- Belkhodja. Le médecin légiste Go- capitale, où elle est atrocement tor- menée de l'hôpital vers 21 heures, dard, quant à lui, ne reconnaitra pas turée. Dès son arrestation, les paras et les deux parachutistes me mirent de traces de violences. Le diagnostic des services spéciaux, ayant trouvé nue et l'on me banda les yeux. On officiel évoque une fistule tubercu- sur elle des papiers qui prouvent m'attacha sur un banc en prenant leuse ancienne. qu'elle est en relation constante avec soin de disposer sous les liens des Djamila Bouhired est condam- Yacef Saadi, le chef de l’organisation chiffons humides aux poignets, aux née à mort par le Tribunal perma- ALN/FLN à Alger, la torturent sur bras, sur le ventre, aux cuisses, aux nent des Forces armées, le 15 juillet la table d'opération du 9 au 26 avril. chevilles et aux jambes et l'on me 1957. Elle éclate de rire à l'annonce

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de cette condamnation. Cependant, Djamila Bouhired soumise à l’interrogatoire son exécution est stoppée par une campagne médiatique menée par Jacques Vergès et Georges Arnaud. Ils écrivent un manifeste, publié la même année aux Editions de Minuit, Pour Djamila Bouhired. C'est avec le livre d'Henri Alleg La Question, l'un des manifestes qui alerteront l'opinion publique sur les mauvais traitements et les tortures infligés par l'armée aux combattants algériens. Devant le tollé internatio- nal soulevé par sa condamnation, elle est finalement graciée et libérée en 1962.

L’Intox des services spéciaux

Les services spéciaux français, relayés par une campagne d’intoxi- cation qui avait touché tous les révolutionnaires, ont bien tenté de jeter le trouble sur les circons- tances de son arrestation, d’abord en avançant la thèse, qu’elle l’avait été suite à une dénonciation, sans pour autant donner le nom de l’au- teur, et ensuite, prétendus qu’elle avait été blessée par une balle tirée par Yacef Saâdi. Il s’en trouvait même ceux qui – révisionnisme quand tu nous tiens – avaient dis- tillé des allégations qu’elle n’aurait jamais été torturée. Zohra Drif, qui était présente lors de l’accrochage, témoigne ainsi que « Djamila a été blessée par Algérois connaissaient les méthodes d’in- M’hidi, Yacef Saâdi et Ali La Pointe, balle et elle a été arrêtée, seule. À par- terrogatoire ». Selon elle, « nos ennemis qui étaient encore en vie et en activité tir de ce moment, plus aucun combattant savaient à l’époque qui était Djamila à l’époque. Les parachutistes savaient n’a eu accès à elle jusqu’à son incarcéra- Bouhired, à quel niveau de l’organisa- qu’ils venaient de faire « une prise » de tion. Elle était seule, entre les mains des tion elle se trouvait, ce qu’elle faisait et première importance ». « Aussi, raconte- tortionnaires de la 10e Division para- avec quelles personnes elle était en rela- t-elle, dès son arrestation, le travail chutiste du général Massu dont tous les tion permanente, c’est-à-dire Larbi Ben « psychologique » de l’armée en direction

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De g. à dr. : Baya Hocine, Djamila Bouhired et Zohra Drif

du peuple algérien a commencé. Tout de suite, Djamila, comme tous les militants ar- rêtés, a été salie et dénigrée pour démoraliser la population et la couper des militants. » Cela étant, même l’ennemi le recon- naît, Djamila Bouhired aura été un exemple de courage. A telle enseigne qu’elle a inspiré pas mal d'écrivain et de cinéastes, de ce monde.

Djamel Belbey

Djamila Bouhired et Zohra Drif au Caire en 1972

Djamila Bouhired entourée par les artistes égyptiens : Abdelhalim Hafez, Djamila Bouhired en voyage officiel au pays du Golfe à droite, et Mohamed Abdel Wahab, à gauche.

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L’auteure de l’attentat du « coq hardi » torturée par le capitaine Graziani

Par Djamel Belbey Zone Autonome d’Alger Histoire

tentat. « Il est 17 h 10 lorsque Dja- line Guerroudj et Zora Drif. Au mila Bouazza fait volontairement cours de sa détention, « les avocats tomber son mouchoir à la terrasse, demandent un examen psychiatrique vitrée en hiver, de la brasserie du de Djamila Bouazza, qui donne des Coq-Hardi, située rue Charles signes d'aliénation mentale. Ils esti- Péguy, près du plateau des Glières. ment invraisemblable qu'un agent En se baissant pour le ramasser, la de liaison ait été chargé de poser jeune fille glisse rapidement son des bombes. Ils démentent que Dja- « truc » sous le pied en fonte du mila Bouhired ait signé des aveux. guéridon sur lequel un garçon en Le président Roinard refuse examen veste blanche a déposé un coca- psychiatrique et graphologique ». cola. (…) Après avoir ramassé sa e 25 avril 1957, Maitre Vergès qui prend sa dé- monnaie, Djamila Bouazza se lève, Djamila Bouazza, fense, a beau clamer que « cette mili- l’agent de liaison et sort et va se mêler aux passants de la rue Michelet ». tante a accompli, sous l’ordre de ses membre du « réseau chefs, une action de guerre», Djamila bombes » de Yacef Les forces spéciales, rompues à Bouazza est condamnée le 15 juillet Saadi, avait été ar- l’art de la désinformation ont laissé 1957 à la peine de mort par le Tri- rêtée. Transférée à El Biar, elle est croire, tantôt que, c’était Djamila bunal Permanent des Forces Armées Linterrogée par l'OPJ Fernand le 9 Bouazza, qui avait dénoncé Bouhi- mai 1957 et torturée par le capitaine red en avouant aux enquêteurs avoir d'Alger, présidé par M. Roinard. Le Graziani. déposé les bombes de la rue Miche- procès s’est terminé tard dans la nuit. Djamila Bouazza, est née en 1938. let, le 9 novembre 1956, et du Coq Mais, devant la campagne menée par Elle est employée au Centre des Hardi, que Djamila Bouhired qu’elle jacques verges, et Georges Arnaud chèques postaux à Alger, quand lui avait remises, et tantôt qu’elle qui signent un manifeste, publié aux elle recrutée par Djamila Bouhired avait été dénoncée par Djamila Bou- Editions de Minuit, suivi de l’ou- par l’intermédiaire de Habib Réda hired. Pour donner du crédit à cette vrage d’Henri Alleg, qui ont alerté (Mohamed Hattab) et de son frère thèse, l’on fait appel au sinistrement l’opinion internationale, sa peine fut Madjid. Djamila Bouazza était fian- célèbre tortionnaire le capitaine commuée en travaux forcés à perpé- cée à Madjid, ils devaient se marier Graziani, celui là même qui avait tuité. Elle est graciée le 8 mars1962. été accusé par Djamila Bouhired de en aout 1957. Djamel.Belbey Elle à 19 ans, quand Djamila tortures. Dans un entretien recueil- Bouazza avait reçu pour tâche de lis par Jean Larteguy , dans l’écho poser le 26 janvier 1957 une bombe à d’Alger, du 11/04/1958, le capi- la terrasse du « Coq Hardi » brasserie taine Graziani, n’a pas trouvé mieux située rue Charles Peguy. La bombe pour se défendre, que de narrer ses réglée pour exploser à 17heures, a « exploits » à l’encontre d’une faible fait 4 morts et 60 blessés. Pour cette dame, en affirmant avoir interrogé mission, Djamila Bouazza, cette Djamila Bouhired le 17 avril 1957, jeune fille charmante, aux longs che- « deux gifles étaient à même de lui veux noirs, aux yeux marron clair, arracher l’aveu. Elle aurait dévoile surnommée « Miss cha cha cha. », alors trois caches où se trouvent 13 s’était fait teindre en blonde pour bombes et dénoncé Djamila Bouaz- passer inaperçue. za ». Dans un récit publié par une revue Elle est incarcérée à la prison de historia magazine en 1972, Francis maison-carré (El Harrach) où elle Attard, retrace les détails de cet at- retrouve Djemila Bouhired, Jacque-

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 46 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Djamila Boupacha Arrêtée chez elle, et abominablement torturée

Par Djamel Belbey Zone Autonome d’Alger Histoire

», d’après Gisèle Halimi. Malgré cela, Djamila Boupacha est arrêtée chez elle par Gisèle Halimi prend en l'armée française, en compagnie de son père charge l’affaire (71 ans) et de son beau-frère.» Djamila Boupacha est torturée Arrêtée en compagnie de par des parachutistes français pen- sa famille à son domicile dant 33 jours avant d'être présentée à la justice. C’est à ce moment-là que Dans la nuit du 10 au 11 février Gisèle Halimi décide de prendre en 1960, une cinquantaine des harkis, charge sa défense. « Djamila Boupa- des policiers, des gardes mobiles dé- cha, militante du FLN, n’a que 21 ans, barquent au domicile de ses parents musulmane, très croyante (…) Elle a été où elle demeure à Alger, Dely Ibra- arrêtée puis abominablement torturée par him. Djamila est malmenée, insul- des parachutistes, jour et nuit. Elle a été tée et sauvagement battue devant violée avec une bouteille d'abord, elle qui son père Abdelaziz Boupacha et était vierge et musulmane ; elle m'écrivait son beau-frère Ahmed Asbdelli, qui des lettres : Je ne sers plus à rien, je suis Djamila Boupacha par Picasso subissent presque aussitôt le même à jeter », raconte-t-elle. Et d’ajouter : « mmortalisée par Picasso, sort. Puis, tous les trois sont emme- Quand je l'ai vue, j'ai été absolument… défendue par Simone de nés au centre de tri d'El Biar. enfin comme n'importe qui l'aurait été, Beauvoir et Gisèle Halimi, Dès l'arrivée, Djamila Boupa- bouleversée. Elle avait encore les seins brû- Djamila Boupacha est cette cha est à nouveau battue. Coups de lés, pleins de trous de cigarettes, les liens, « inoubliable héroïne de la Guerre poing, de pied se succèdent, la font ici (elle montre ses poignets), tellement forts d’AlgérieI », arrêtée à 22 ans, par l’ar- vaciller et tomber à terre. De leurs qu'il y avait des sillons noirs. Elle avait des mée française, en compagnie de sa talons, plusieurs militaires, dont un côtes cassées... Elle ne voulait rien dire, et famille, puis abominablement tortu- capitaine parachutiste, lui écrasent puis elle a commencé à sangloter et à racon- rée, en 1960. les côtes. Quatre mois après, la jeune ter un petit peu. » Gisèle Halimi rentre Djamila, née à Saint-Eugène (Bo- fille souffre toujours d'une déviation à l'hôtel pour préparer le procès du loghine, Alger) le 9 février 1938, costale. lendemain. Le soir même la police s’est engagée dans la politique, à 15 Quatre ou cinq jours après, Djami- l’arrête et l’expulse. Elle ne peut plus ans déjà, en adhérant à l’Union des la Boupacha est transféré à Hussein plaider le procès. femmes de l’UDMA (Union démo- Dey, pour y subir la gégène. Mais les En rentrant, Gisèle Halimi dé- électrodes placés au bout des seins ne cratique pour le Manifeste algérien), clenche un énorme élan de soli- tenant pas, un des tortionnaires les un parti créé par Ferhat Abbas en darité. Elle rencontre Simone de mai 1946. Grâce à sa volonté et à colle sur la peau avec du ruban adhé- Beauvoir, avec laquelle elle crée un son courage, elle deviendra aide- sif. De la même manière, les jambes, comité de défense pour Djamila soignante à l’hôpital de Beni-Mes- l'aine, le visage, le sexe sont atroce- Boupacha qui a été le plus impor- sous (Alger) où elle se procurait des ment brulés. Pour obtenir les aveux tant pendant la guerre d'Algérie, Il médicaments au profit du maquis de souhaités, les parachutistes lui admi- comprenait Aragon, Sartre, Gene- la Wilaya IV. Elle est accusée d'avoir nistrent toutes sortes de tortures ; viève de Gaulle, Germaine Tillion. posé un obus piégé à la Brasserie des brûlures de cigarettes et baignoire et Djamila Boupacha est amnistiée Facultés, à Alger, le 27 septembre la bouteille. A soixante-dix ans, son en 1962, en application des accords 1959. Pourtant, elle n'avait commis père n’est pas épargné non plus. Ab- d'Évian. aucun attentat. « Elle était sur le point delaziz Boupacha subit les tortures d’en commettre un, mais elle ne l'a pas fait de l'eau, de l'électricité, les coups. Djamel.Belbey

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 48 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Mustapha Fettal Il était à la tête de la ZAA d’octobre 1955 à mai 1956

De g. à dr. : Aït El Hocine, Ben Hamida, Hadj Ben Alla, Mustapha Fettal (en médaillon) et Belamane, après l'indépendance. Le « fennec » condamné à la peine capitale

Par Djamel Belbey Zone Autonome d’Alger Histoire

ustapha Fet- la SFRA, mais cette action a échoué. Hadj Othmane Ramel tal, surnommé Ses camarades de lutte retiennent, affectueusement toutefois, que ces groupes ont tout « le Fennec », de même instauré un climat de peur est l’un des diri- chez les colons européens et l’admi- Mgeants de la branche militaire de la nistration coloniale à Alger. Et c'était ZAA d’octobre octobre 1955 à mai là l'objectif recherché, note-t-on. 1956, qui ont réussi a réactiver la lutte armée à Alger, dans le prolongement Son arrestation des premières actions armées perpé- trées par les « novembristes », mais Mustapha dut se cacher d’abord qui finirent presque tous par être chez Fatiha Bouhired, dite « oukhiti arrêtés par la police française. Inter- », elle-même, femme d’un militant pellé en mai 1956, il a été condamné nationaliste, arrêté et tué par l’armée à mort par l'administration française. française. « Un responsable était caché Avec son copain de quartier Mo- dans ma chambre, je lui apportais à man- Pensionnaire du couloir khtar Bouchafa, ils étaient déjà prêts ger. Mon mari travaillait avec lui », racon- à se lancer dans l’action directe, dès de la mort tait-elle, dans le livre Des femmes septembre 1954, c'est-à-dire près de dans la guerre d'Algérie : entretiens, deux mois avant le déclenchement A la prison de Serkadji, Mustapha de Djamila Amrane. de la lutte. Mais, il a dû attendre, Fettal était le plus grand pension- l’année suivante, soit 1955, pour voir Mais à la découverte de sa cache naire du couloir de la mort. Il avait l’organisation réactivée par Arezki par l’armée coloniale, Mustapha est passé 22 mois à attendre, chaque Bouzrina, Krim Belkacem et Amar monté au maquis, « mais sans laisser jour, qu’on le conduise (enfin) à la Ouamrane. Ces derniers réussissent passer. Les maquisards n’ont pas voulu guillotine, selon Anne-Marie Stei- l’accepter, il y avait au maquis son cousin, il à implanter des groupes armés, les ner. Mme Steiner témoigne de cette a été envoyé à Ain Bessam pour le retrou- uns sous la responsabilité de Musta- image des condamnés : « Ils (les mili- ver. Il est tombé dans un ratissage, il a été pha Fettal et de Bouchafa Mokhtar, tants condamnés) partaient à la guillotine blessé et arrêté et ils l’ont ramené à Alger», les autres sous celle de Hadj Otmane avec un courage extraordinaire, et je ne ajoute-t-elle. Ramel. Ils organisent Alger en trois sais pas d’où ils puisaient ce courage. Peut- régions, et ce, dès 1956. Bien avant « Chez lui, ils avaient trouvé la cache, être si, ils lançaient des Allahou Akbar l’instauration de la Zone autonome l’acide et les bombes. Et lorsqu’ils ont arrêté et des chants patriotiques et on sait ce que d’Alger en 1957. Mustapha, ils l’ont torturé pour qu’il leur cela veut dire », lance-t-elle, pleine En mars 1956, alors que l’Assem- montre d’autres caches. Il leur a dit qu’il en blée venait de voter « les pouvoirs spé- connaissait pour qu’ils l’amènent rue Aka- d’admiration. ciaux » au gouverneur d’Alger, Mustapha cha, et pendant qu’ils creusaient pour cher- Mais, en définitive, grâce à l’ac- Fettal «le Fennec » – un sobriquet affec- cher une autre cache dans la maison d’Ab- tion de Germaine Tillion, de Gaulle tueux dont il a été affublé par Zohra derrazak, il s’est sauvé avec les menottes en a fini par gracier 181 condamnés à Drif et Samia Lakhdari – et ses com- main. Il avait frappé un gardien avec les mort, parmi eux Mustapha Fettal et pagnons organisent une série d’atten- menottes. Les militaires qui étaient sur la Yacef Saâdi. tats synchronisés à Alger. Mustapha terrasse l’ont vu, et les autres qui étaient en Fettal devait incendier les garages de bas ne l’ont pas vu ». Djamel Belbey

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 50 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Mokhtar Bouchafa dit « Si Mokhtar »…« L’indiscipliné »

L’un des premiers responsables de l'action directe à Alger

Par Djamel Belbey Zone Autonome d’Alger Histoire

l est, de juin 1955, jusqu'à Colonel Ouamrane à droite son arrestation en août 1956, le chef des comman- dos armés de la branche militaire de la Zone auto- nome d’Alger, sous les ordres d’Amar Ouamrane. Il venait Ide succéder à son compagnon de lutte Mustapha Fettal, qui avait été arrêté en mai 1956. Il dirige en 1956 l’intégration des groupes armés des combattants de la liberté au sein du FLN. Né le 16 avril 1927 à Rekkada (Texenna, wilaya de Jijel), il habitait le quartier de Belcourt. Mokhtar Bouchafa, mécanicien de son état, avait même envisagé avec Fettal de se lancer dans l'action directe dès septembre 1954, c'est-à-dire près de deux mois avant le déclenchement de la lutte à l'échelle nationale. Son impatience à passer à l’action à être utile à la révolution lui valut une prévention de la part de Abane, point de demander au premier de face à l’ennemi, il était fier et intran- qui, contrairement à lui, avancent liquider physiquement le deuxième, sigeant. Ainsi, face aux gendarmes, certaines historiens, aurait cherché à qu’Ouamrane accusait de trahison, qui l’encadraient au Palais de jus- faire de la capitale une base arrière, a marqué les deux hommes. tice, au lendemain du détournement ou comme sanctuaire pour fortifier Abane lui aurait reproché, en d’avion des cinq dirigeants du FLN, les maquis. fait, d’avoir failli à deux reprises effectué par l’armée coloniale qui Le malentendu est né de sa viva- à sa mission, qui consistait à des- lui disaient : « C’est fini pour vous, Ben cité patriotique qui l’aurait conduit cendre l'inspecteur Abane. « Une Bella a été arrêté », selon un de ses compa- à malmener au café de Tanger fois, la cartouche était mouillée, la gnons, qui relate l’événement, il lancera : d’Alger Amara Rachid qui était à seconde, M. Bouchafa aurait hésité « Il y a des milliers d´autres Ben Bella au l’époque le logeur et l’intermédiaire », témoigne-t-on. maquis. » d’Abane Ramdane. Bouchafa avait Mais l’échec de ses actions, cer- Notre héros est arrêté au mois été alors convoqué dans les maquis tains historiens l’expliquent par l’ab- d’août, 1956, trois mois environ d’Ouamrane à Palestro sur ordre sence de stratégie adaptée à la gué- après sa prise de responsabilité, et d’Abane Ramdane, pour y être en- rilla urbaine, auprès de la direction. emprisonné à Serkadji (Alger) avant tendu. Sa rencontre avec Ouamrane, Pour ses compagnons de lutte, ce de s’évader le 29 janvier 1961 de qu’il connaissait auparavant, l’aurait militant hors-pair jouissait du total l´hôpital Mustapha-Bacha d´Alger ainsi sauvé d’une liquidation qu’il respect de ses chefs, et de leur res- où il était hospitalisé. Il rejoint aussi- croyait certaine. pect sans faille malgré une certaine tôt le maquis pour ne le quitter qu’à Cette méfiance d’Abane à l’égard « indiscipline » dont il faisait preuve la fin de la Révolution. de Bouchafa et de Yacef Saâdi, au dans certaines missions. Pis encore, Djamel Belbey

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 52 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Kamel BOUCHAMA

Un pur produit de la Révolution

Par Leila Boukli Guerre de libération Portrait

Homme politique, homme de lettres, et particulièrement fécond en œuvres politiques, historiques et culturelles, Kamel Bouchama a assumé de grandes responsabilités dès son jeune âge. Il a été succinctement responsable national de la jeunesse, commissaire national du parti du FLN, secrétaire permanent du CC du FLN, ministre et ambassadeur. Il a publié de nombreux articles dans la presse nationale et dans des journaux du Moyen-Orient et est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages.

Kamel Bouchama debout à droite en compagnie de son père et son jeune frére Youcef

’est le 5 septembre 1943 que vient au monde dans cette belle et an- cienne ville de Cherchell, un en- fant que l’on prénommera Kamel. VilleC de villégiature aujourd’hui, où la pierre atteste et avoue, comme dirait le poète chilien Neruda, « avoir vécu ». Cette cité consigne en effet sur ses flancs le rappel des heures de gloire ou de tumultes qu’elle a connues des siècles durant. Elle a été fondée au IVe siècle av. J.-C. par les Phéniciens, devenue capitale de la province romaine de Mauritanie Césa- rienne sous Juba II, terre de refuge aux XVIe et XVIIe siècles pour une importante com- munauté de Maures traqués par l’impitoyable inquisition de l’époque et finalement expulsés d’Andalousie. Cet homme hyper actif a été tout au long de sa carrière militant, ministre, Kamel Bouchama à l’âge de huit mois ambassadeur… Il a pour violon d’Ingres

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Zhor Ounissi, Kamel Tolba, il arabe qu’en français », qu’il n’a jamais sera dans la première section de oubliés. Il cite, avec une pointe de nostal- Djil El Djadid, prélude à la créa- gie à l’œil, les professeurs Merad, Ould tion de l’organisation de la JFLN, Rouis, Agha, Aouissi dit El Mecheri, que présidera le défunt Abdallah Causse, Mme Le Blé … Tous bilingues Fadhel. et hautement qualifiés, dit-il fièrement. « Le lycée franco-musulman était pour Il se souvient de leur côté humain, de nous le sanctuaire du savoir. Nous avons l’osmose qui existait dans le temps entre eu la chance de bénéficier de l’enseigne- enseignants et étudiants, de cette am- ment d’excellents professeurs tant en biance de partage, de tolérance, de cet îlot

...Au lycée de Ben Aknoun à 16 ans l’écriture et compte plus de 25 ou- vrages et de nombreux articles de presse. Actuellement, il travaille sur la Syrie, un pays qu’il a bien connu et parallèlement sur un roman autobiographique où il revient sur son enfance à Cherchell, ville qui regorge de traditions ancestrales. La famille Bouchama a été de tout temps partagée entre Cher- chell d’où elle est originaire et où Kamel fera ses classes primaires et Alger où réside une partie de Kamel Bouchama, jeune commisaire national du FLN recevant le président Boumediene la fratrie. C’est à l’illustre Médersa dans un village agricole à Bouira de la capitale qu’il poursuivra ses études secondaires, juste après la grève de 1956. Il faut dire que bien que jeunes, ces élèves avaient bien ancré dans leurs esprits la Révolu- tion et Kamel militera activement dans la SU (la Section universitaire du FLN) de 1959 à 1962. Juste après l’indépendance, Kamel Bou- chama sera parmi les fondateurs de la toute première organisation des lycéens et collégiens d’Algérie (UNLCA) et peu de temps après, aux côtés des Omar Chaou, Ma- djid Benaceur, Boualem Makouf, Kamel Bouchama et Zhour Ounissi sur le terrain

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d’exception dans cette Algérie meurtrie. Il y passe la première partie d’un bac Lettres. C’est au Caire qu’il obtiendra haut la main en tant que candidat libre la seconde partie du Bac. « Mme Le Blé, notre professeur d’Histoire-Géo, nous a fait aimer cette civilisation pharaonique, confortée par les quelques films qui par- laient de cela ». Kamel Bouchama doit poursuivre ses études. Il a conscience que l’Algérie avait besoin de cadres en ce début d’indépendance. Lui rêve de participer au lancement des Kamel Bouchama, Cherif Messaâdia, Yasser Arafat et Abou Djihad à Alger 1982 programmes d’édification. Alors, comme beaucoup de jeunes, il ar- pente les couloirs de l’actuel Palais du gouvernement où les princi- paux ministères du nouvel Etat se trouvaient. La chance lui sourit. Nous le retrouvons dans un Ins- titut relevant de la Ligue arabe, celui des Télécommunications du Caire. Il s’y inscrit à l’instar d’une centaine de jeunes algériens à la demande du gouvernement algé- rien qui avait sous Moussa Hassa- ni, alors ministre du secteur, pos- tulé pour l’arabisation des postes La visite officielle en Algérie en 1984 du président burkinabé Thomas Sankara et télécommunications. Quelques mois après, il est versé à l’Uni- versité du Caire, parce qu’Alger avait changé d’option concernant l’arabisation de la poste et des té- lécommunications, après la venue au gouvernement d’Abdelkader Zaibek. Il ne reviendra à Alger qu’au début de l’année universi- taire 1965, après l’ouverture de la faculté de lettres et sciences humaines, option arabe. Parallè- lement, il enseignera l’arabe dans un établissement secondaire puis Visite officielle en Corée du Nord avec Mohamed Said Mazouzi et Mohamed Djeghaba sera affecté à l’Académie militaire

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interarmes avec les officiers supé- rieurs, pour une période déter- minée. Il reprend ses études et ses anciennes responsabilités au sein de la JFLN et du FLN dont il était le plus jeune militant dans la kasma de Cherchell. Il sera suc- cessivement responsable régional de la jeunesse, membre fédéral et membre du Conseil national, et avant le 19 juin, il aura le privilège en tant que jeune d’être membre de la Kasma FLN. En 1968, il est membre de la Commission de restructuration du FLN pour Yasser Arafat à son arrivée à Alger en Juin 1982 la Fédération de Cherchell, tout en restant membre du Conseil national de la JFLN. Cette même année, il fait son premier long périple en Corée du Nord avec la délégation gouvernementale, présidée par le regretté Dr Tedji- ni Haddam, alors ministre de la Santé. Nommé par la suite Com- missaire national adjoint du FLN, avec deux autres jeunes, Hamid Sidi Said – qui sera plus tard plu- sieurs fois wali et ministre – et

Abdelkader Neghra qui aura le Le ministre Kamel Bouchama élu président du CSSA remet des présents privilège de diriger le Mouvement au président burnikabé sortant 1986 panafricain de la jeunesse (MPJ). Kamel Bouchama dirigera à cette époque la délégation algérienne au premier Congrès Mondial de la Jeunesse qui s’est tenu au siège des Nations unies à New York et parlera également au nom de la Jeunesse du Vietnam combattant, parce que mandaté, à partir de Rome par la direction du FLN du Sud Vietnam. En 1971, il quitte l’éducation pour se consacrer uni- quement au parti et à la jeunesse. Il se spécialise dans le monde Au salon d’honneur lors du départ de l’équipe nationale au Mexique en 1986

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A l’ouverture de la coupe de Football de palestine avec Yasser Arafat, le prince Kamel Bouchama reçoit le président du CIO Juan Antonio Samaranch en 1985 Fayçal d’arabie saoudite et le SG de la ligue arabe

arabe et se charge de plusieurs l’application de la gestion socia- Jeunesse et des Sports. Son tra- missions, surtout celles ayant trait liste des entreprises (GSE). Une vail au profit de la jeunesse fait aux mouvements de libération de année plus tard, le FLN se réunit dire au président, bien après 1988, par le monde. En 1978, il est appe- en Congrès extraordinaire et Bou- devant un parterre de responsables : lé à Alger, au siège central, au ni- chama sera confirmé en sa qua- « Ce secteur a eu deux véritables veau de la Commission nationale lité de membre de CC et nommé ministres, Fadhel et Bouchama ». organique pour superviser, avec membre du Secrétariat permanent La réponse de Messadia, se rap- d’autres hauts responsables, la pré- avec Si Mohamed Chérif Messa- pelle-t-il, a été aussi prompte que paration du 4e Congrès du FLN dia, Salah Louanchi, Mustapha lapidaire : « Ces deux-là, Si Chadli, qui n’aura lieu qu’après la mort du Benzaza et autres. Kamel Bou- ont fait la bonne école. Fadhel a été le Président Boumediene. Là, il est chama restera à ce poste, jusqu’à premier Secrétaire général de la JFLN élu membre du Comité central et janvier 1984, après le 5e Congrès et Bouchama a été un élément dynamique deviendra président de la Com- du FLN, où il sera nommé par le au sein de cette organisation depuis sa mission nationale qui supervise Président Chadli, ministre de la création. »

Remise des trophées aux athlètes 1986 ...Avec l’artiste comédien Asaâd Faddah

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A l’ouverture de la coupe de Football de palestine avec Yasser Arafat, le prince Kamel Bouchama avec le premier ministre tunisien Mohamed Keraim et l’ambassadeur Kamel Bouchama et Mohamed Drici à la conférence mondiale Fayçal d’arabie saoudite et le SG de la ligue arabe d’Algérie en Tunisie le Dr Messaoud Ait Chaâlal de la Jeunesse des pays producteurs de pétrole en 1972

Le ministre Kamel Bouchama en compagnie de Messaâdia et Benzaza lors du départ de l’équipe nationale de football au Mexique en 1986

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Il a de plus été le premier président al- gérien du Conseil supérieur du sport en Afrique (CSSA) et c’est pendant son mandat de ministre qu’a été orga- nisé le 1er Conseil des ministres afri- cains de la jeunesse et des sports, le Congrès de la jeunesse arabe à Alger ainsi que le premier Festival national de la jeunesse et les deux éditions des Jeux Sportifs nationaux où ont été découverts les futurs champions du monde du 1500m Morseli et Boulmer- ka. Après les événements d’octobre, il reprend son violon d’Ingres, l’écri- ture et compte aujourd’hui plus de 25 Kamel Bouchama, l’ambassadeur de l’Irak en 2002 et Ahmed Benbella ouvrages. Il prépare actuellement un travail sur la Syrie qu’il a bien connue et dont la situation actuelle le rend littéralement malade. « On est en train de détruire les instituions et structures de ce beau pays et à travers lui toute la civilisa- tion millénaire du Moyen-Orient. Il ne m’a jamais effleuré l’esprit qu’un jour Damas et Alep subiraient ce martyre au nom de la démocratie. Je vois plutôt le dessein de la reconfiguration d’une région jadis fleuron sur plusieurs plans. Bien qu’aujourd’hui la situation semble s’arranger, reste le spectre de la division entretenu au profit d’Israël pour sa paix et sécurité. Diverses informa- L’ambassadeur Kamel Bouchama chez le président syrien Bachar El Assad tions confirment que le plan de la division est belle et bien entamé ; celui de Yinon de février 1982 pour le partage de la Syrie et la refondation de la région accepté par les Américains va dans le prolongement du plan Sykes-Picot. » Cet homme à la fois sensible et réa- liste est père de trois enfants, un archi- tecte, un ingénieur et la toute dernière, sa fierté, cadre supérieur à l’étranger. Elle a obtenue sa Licence en écono- mie à 20 ans, a été major de promo à l’ESSEC et plus tard à HEC.

Leila Boukli L’ambassadeur de l’Algérie à Damas recevant les actrises Chafia Boudraâ, Mona Wassaf, Baya Rachdi et la moudjahida Fadhela Messli

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 60 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Lalla Zouleikha Oudaï, la mère des résistants Celle qui, après sa mort, continue d’exister dans l’Histoire... !

Par Le Dr. Mohamed Mokrani Guerre de libération Histoire

Notes de lecture :

Par Le Dr. Mohamed Mokrani

« Cet ouvrage, je le publie pour rappeler au peuple le souvenir de la Grande Lalla Zouleikha, celle qui a été parmi les architectes de la révolution, une héroïne qui est tombée dans un inexorable mouvement du don de soi dont le sacrifice suprême en était la meilleure traduction. Elle nous laisse en héritage des valeurs et le souvenir impérissable d’une Femme – que l’on écrit en majuscule – qui a tout donné à notre pays, sans rien demander en retour, sauf la fidélité à sa mémoire, et à la mémoire de tous les chouhada... » K.B

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’emblée, l’auteur Zoulikha et son fils Lahbib Kamel Bouchama plante le décor. Il nous assure de sa Ddisposition de vouloir lutter contre cette amnésie qui nous mure, qui nous relègue au stade de l’indif- férence, voire de l’oubli. N’est-ce pas le travail de l’intellectuel, au- jourd’hui..., ce producteur d’idées qui doit agir et «parler en tant que maître de vérité et de justice» ? C’est ce que j’ai senti, tout au long de son ouvrage qui raconte une femme, que dis-je, une grande Dame qui mérite d’être connue par tous les jeunes de notre pays, afin qu’ils comprennent – avant même de la découvrir à l’école, quand nous déciderons de leur enseigner leur propre Histoire – que l’Algérie a enfanté des com- battantes de cette propension dont l’exemple doit les stimuler et les mobiliser, de même que les géné- rations futures, pour plus de tra- vail, de dévouement et de fidélité à nos valeurs afin que triomphent la justice et le progrès au sein de notre société. Revenons à Lalla Zouleikha Oudaï, la mère des résistants, cet de trouver, en son for intérieur, les vers un cheminement en perpé- écrit que j’ai lu d’un trait, telle- réponses aux questions qu’elle se tuel mouvement, depuis sa prime ment il est passionnant, envoû- posait. jeunesse. Et là, on sent que l’au- tant en différents endroits, surtout Lalla Zouleikha, la mère des quand l’auteur fait parler la mou- teur a mis tout son poids dans ce djahida, dans des dialogues avec résistants mérite d’être lu et relu travail de recherches, mais égale- ses militants, avec son époux Si parce que c’est un ouvrage qui, ment de mémoire, pour expliquer Larbi Oudaï, avec son fils Lahbib au-delà de ses grandes émotions, aux jeunes et aux moins jeunes ou avec sa fille Khadidja, avec la- remarquablement restituées, ra- – ceux qui veulent connaître leur quelle elle s’est commandé un long conte ce combat au féminin, qui a vraie Histoire – ce qu’était Lalla chemin, ou encore dans ses soli- été longtemps recélé, sinon ignoré Zouleikha, cette héroïne, dans la loques quand elle interrogeait son pour des raisons inexpliquées. Il conduite de nombreux hauts-faits. cœur et sa conscience dans le but présente une combattante à tra- Eh oui, elle en a eu, ces hauts-faits

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L’époux, El hadj Larbi Oudaï dit Ahmed la période du Prophète Moha- son ouvrage, en belles lettres. med (QSSSL). Il nous rappelle les «Elle est en bonne place, dans la Noussayba Al ‘Ansariya, lors des mémoire collective qui, demain, batailles de «Khaïbar», de la prise sera confortée par des textes de de la Mecque, de «Hounaïn», du spécialistes, dans des ouvrages siège de Taïf, « d’El-Yamama » avec qui élagueront des « excédents de ses deux fils Habib et Abdallah, fioritures , » pour ne laisser que le de même que Safia, la fille d’Abdel vrai, le juste et le crédible. Mais en Mottalib qui a brillé, comme son attendant, elle côtoie, aujourd’hui, frère Hamza, lors des batailles avant que l’Histoire ne l’écrive de- d’« El Khendeq » (le fossé) et main, en lettres d’or, les grandes d’« Ohod », par sa bravoure, sa vail- figures féminines de la révolu- lance et son héroïsme. tion algérienne, telles les Malika Il nous assure que Lalla Zou- Gaïd, Hassiba Benbouali, Fadila leikha, tout comme ces « sahabiyate Saâdane, Meriem Bouattoura, ou » (*), est rentrée dans l’Histoire, encore les sœurs Sahnoun, Farida à l’image de ses aïeules, la Reine et Fadhéla, dont l’aînée Farida est guerrière des Aurès, Dyhia Tad- tombée en martyr, dans un accro- mut (la belle gazelle) en langue chage à Ouled Bouachra, à l’ouest berbère des Chaouias, appelée de Médéa, en 1959, à l’âge de 17 et..., beaucoup, de par son cou- communément El Kahina, qui ans. Elle est également dans les rage, toujours plus accentué, plus était une cavalière émérite, qui mêmes compartiments de l’Éden, fort, qui la mettait au devant de la maitrisait parfaitement l’art de la que les sœurs Bedj, Messaouda et scène ! guerre, et qui excellait dans le tir Fatima, ces deux militantes qui Il en parle avec vénération et à l’arc et le maniement de la lance. ont rejoint le maquis et choisi la la décrit avec déférence due à son Effectivement, affirme Kamel mort pour l’amour et la liberté de rang : « Elle n’était pas seulement une Bouchama, dans son ouvrage, la leur pays.» dame bien-née, dans la société de la Ca- moudjahida Zouleikha est ren- Cet ouvrage qui vient à point pitale antique des rois Juba, mais une trée dans ce registre, comme Lalla nommé – et qui se veut une noble combattante qui a marqué ce pays Fatma N’ Soumer, l’héroïne de la contribution honnête avec d’autres des martyrs, en son temps et son espace, Haute Kabylie, celle qui a créé son écrits d’historiens –, pour nous et qui s’est imposée comme un véritable propre mouvement de libération faire sortir de notre léthargie, et référent, symbolisant le sacrifice, dans contre la colonisation française, nous activer enfin à reconsidérer toute sa plénitude.» et qui s’est jetée dans des batailles nos vaillants héros et héroïnes de Ainsi, et pour mieux marquer sanglantes, pendant plus de sept la lutte opiniâtre menée contre le la place de la moudjahida Lalla ans, face aux armées du maré- colonialisme, augure une phase Zouleikha Oudaï et son aura dans chal Randon. Et il termine avec concrète d’écriture de l’Histoire, la la lutte pour la vérité, la liberté et ses énumérations, jusqu’à évoquer vraie, avec cette héroïne du Dah- la justice, Kamel Bouchama est les héroïnes chahidate de la Révo- ra..., d’autres l’ont sacrée icône de allé fouiller dans les confins de lution de Novembre. Il en parle la Révolution, et ils ont raison. Cet l’Histoire pour nous édifier, par avec passion et assure que Lalla ouvrage donc, la raconte en diffé- des exemples vivants, sur l’enga- Zouleikha figure d’ores et déjà, rentes étapes de sa vie de patriote, gement des femmes, à travers les dans ce palmarès des élues du Fir- de sa jeunesse à Marengo (Hadjout temps, telles les moudjahidate de daous d’Allah. Oui, écrit-il dans d’aujourd’hui) jusqu’à son entrée

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dans la fournaise du combat libé- Lahbib, le fils de Zoulikha Oudaï rateur, depuis Cherchell, ensuite sa présence active et concrète au maquis et enfin son martyre, en ce 25 octobre de l’année 1957, après avoir été capturée lors d’un impor- tant ratissage et torturée par des procédés sauvages et inhumains. Il serait, peut-être, fastidieux de raconter toutes ces étapes, et priver le lecteur de cette envie et, plus encore, du plaisir de découvrir par la lecture la combattante Lalla Zouleikha, la mère des résistants. Ainsi, contraint de ne pouvoir tout dire, la concernant, dans cette note de lecture, je me contenterai de vous restituer quand même, en les prenant de ce magnifique ou- vrage, quelques informations de faits et performances historiques qui forcent le respect. Et comment ne sommes-nous pas attentifs et respectueux envers cette femme qui est rentrée de plain-pied dans l’Histoire de notre pays ? Ne res- tons-nous pas ébahis, à tout le moins surpris, quand cette dame de principe ordonnait à son fils – qu’elle aimait tant – d’aller faire son devoir, et de penser plus tard à son avenir ? Son fils, Lahbib, pour notre information, s’apprê- tait, à son retour de l’Indochine, armes à la main, et rejoindra son de la mort. Une fois capturée en à convoler en justes noces avec sa père Si Hadj Larbi Oudaï, égale- plein ratissage et crucifiée pour cousine. « Il y a un devoir plus urgent, ment tombé en pleine bataille, où être exhibée sur un half-track, plus important pour nous…, il y a la libération du pays pour aboutir à la joie il rendait coup sur coup aux sol- elle interpellait d’une voix ferme, de tout le peuple. Penser seulement à soi, dats de la colonisation. après avoir craché au visage du ca- aujourd’hui, est un sentiment trop égoïste. Obstinément prête pour plus pitaine qui dirigeait cette sauvage Va rejoindre tes frères les moudjahidine ! de sacrifice et d’abnégation dans opération, en leur lançant en ces Monte au maquis pour faire ton devoir, la loyauté et la fidélité aux idéaux termes : « Mes frères, soyez témoins de et tu te marieras à l’indépendance… ! » de ses ancêtres, de fiers Berbères la faiblesse de l’armée coloniale qui lance Mais Lahbib ne survivra pas, il dans notre Numidie légendaire, ses soldats armés jusqu’aux dents contre tombera au champ d’honneur, les Lalla Zouleikha, n’avait pas peur une femme. Ne vous affalez pas. Conti-

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Echaïb Brahim le père de Zoulikha Oudaï

Zoulikha Oudaï cun parmi nous a dû s’inventer. N’est-ce pas, que « l’imagination gou- verne le monde ! », comme le disait si bien Napoléon Bonaparte…? Mais elle, Lalla Zouleikha, dans sa vie féconde d’hier, n’a pas hésité, dans l’humilité des authentiques héroïnes et héros de la guerre de libération nationale, à tisser celle de son avenir, celle qui fait qu’après sa mort, elle conti- nue d’exister dans l’Histoire... Cette Histoire qui, effectivement, elle l’a bel et bien écrite, par son nuez votre combat jusqu’au jour où flot- biles, inaltérables, perpétuelles. martyre, par celui de sa famille et tera notre drapeau national, sur tous les Mais ce nom, dérobé aujourd’hui de ses proches, au nombre de dix frontons de nos villes et villages. Montez par les vicissitudes du présent, sept pour que vive l’Algérie, libé- au maquis ! Libérez le pays ! Tahya El fera demain, inéluctablement son rée d’une tutelle imposée par les Djazaïr ! » chemin, son long chemin, quand armes, dans le sang et les larmes. De ce fait, la maquisarde était le ton sera donné au temps et que préparée pour accueillir son des- la bravoure des combattants de Dr. Mokrani Mohamed tin, dans le charme de la mort la liberté fera son auguste entrée Spécialiste en Ophtalmologie Alger qui n’existe que pour les braves dans l’arène de la déférence pour indomptables comme elles. Alors, triompher de nos égocentrismes, (*) Les «Sahabiyate» sont comme les compagnons du Prophète Mohamed (QSSSL), en femme de caractère, elle a écrit longtemps arborés dans le seul but celles qui ont vécu et lutté à ses côtés. son nom en lettres d’or, indélé- de faire valoir le chemin que cha-

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 66 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Ahmed Bouda

Par Benyoucef BENKHEDDA

Un pionnier de la lutte de libération nationale Guerre de libération Histoire

cette formation qui revendique I- Ahmed-bouda : ouvertement l’indépendance de Sa vie politique l’Algérie et dont l’activité se pour- suit dans le PPA en 1937 après qu’elle eut été dissoute. En 1944, il est recherché par la police après son refus de rejoindre Boghari (Ksar-el-Boukhari) où il a été as- signé à résidence. Il fait partie du Comité central du PPA clandestin. Il a été l’un des organisateurs des manifestations du 1er mai 1945, prélude à celles du 8 mai une semaine après. Les manifesta- tions du 1er mai 1945 ont été déci- dées par la Direction du PPA par mesure de solidarité avec Messali Hadj arrêté le 18 avril 1945 à Ksar Ghazali El Haffaf Chellala. Voici comment il relate M’hidi (ex-Isly), la police est là ; elle les faits : tire ; quatre hommes tombent, drapeau « Nous avions réparti les militants déployé : Ghazali El Haffaf, Ahmed en trois groupes : Boughlamallah, Abdelkader Ziar et Abdelkader Kadi. Ce furent les quatre – groupe de la Kasbah, rassemblement chouhada du 1er mai 1945 à Alger. Le : Sidi-Abderrahmane ; troisième cortège, parti de Serkadji, est – groupe de Birkhadem, Bir-Mourad- Ahmed Bouda arrivé au bas de la rue Debbih Chérif Raïs, Bouzaréah, El Biar, rassem- (ex-Rovigo). Les manifestants ont en- blement : Bab-Edjedid ; e nom d’Ahmed Bouda tendu les coups de feu venus du cinéma – groupe de Belouizdad (ex-Belcourt), est très peu connu de la «Casino». Ils évitent de passer par cet Ruisseau, Hussein Dey, El Har- génération de l’après- endroit. Ils le contournent, et par la rue indépendance. Il a été rach, Bologhine, rassemblement : Mogador débouchent Place de l’Emir Locculté comme d’ailleurs celui Place des Martyrs. Abdelkader (ex-Bugeaud) ; de là, ils de beaucoup d’autres militants. Il « L’ébranlement des trois cortèges parcourent la rue Ben M’hidi jusqu’à la mérite un long exposé. Je donne- eut lieu à 17 heures précises et leur jonc- Grande Poste où ils se rassemblent. rai seulement un bref aperçu de sa tion était prévue à l’entrée de la rue Ben La police française avait tiré ce jour- vie politique et quelques traits de M’hidi (ex-Isly). là sur les manifestants, bien que la Di- son caractère. « Les deux cortèges, l’un venant de rection du PPA eût donné des consignes Ahmed Bouda, un pieux fellah la Place des Martyrs, l’autre de Sidi strictes de défiler pacifiquement. Les de Boudouaou qui, après avoir été Abderrahmane, se rencontrent à l’en- cortèges étaient conduits et encadrés uni- tourouqui, puis, membre de l’As- droit fixé : l’entrée de la rue Ben M’hidi quement par des militants du PPA qui sociation des oulémas, a rejoint en (ex-Isly). Ils tentent de gagner la Grande brandissaient des banderoles portant les 1933 l’Etoile nord-africaine. Avide Poste, but final de la marche. A hau- inscriptions : Indépendance ! Libérez les d’action politique, il s’engage dans teur du cinéma « Casino », rue Ben détenus !

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Ce fut un événement historique, un cêtre de l’ALN. Dans la direction Lorsqu’en 1953 éclate la crise défi au colonialisme, sans précédent dans issue du Congrès, Bouda détient entre le Comité central et Messali, l’histoire de l’Algérie. » l’organisation politique et Beloui- et après que celui-ci eut réclamé En 1946, au lendemain de la zdad l’organisation spéciale. les pleins pouvoirs pour diriger Deuxième Guerre mondiale, l’am- En octobre 1947, un véritable le Parti, Bouda est de ceux qui nistie est proclamée par le gou- raz-de-marée électoral porta le soutiennent le principe de la Di- vernement français et les détenus rection collégiale. (Annexe 3) Il MTLD à la tête des principales sont libérés. Messali, déporté au s’efforce de contenir la division au municipalités du pays. Ce fut la Congo-Brazzaville, est autorisé sommet afin qu’elle ne descende à rentrer en Algérie. Il préside à majorité du peuple qui avait plé- pas jusqu’à la base. Pratiquement Bouzaréah en octobre 1946 la biscité l’idée d’indépendance re- membre de la Direction depuis réunion du Comité central. Ce- présentée par le MTLD. 1944, il est prêt à assumer ses res- lui-ci décide la participation aux Même victoire attendue aux ponsabilités devant un Congrès. élections au Parlement français élections à l’Assemblée algérienne Voici, à ce propos, le langage qu’il (Annexe 1) Le PPA, dissous en en avril 1948 ; mais cette fois-ci, tient au chef du Parti au cours 1939, présente des candidats sous la fraude électorale était destinée à d’un entretien avec ce dernier, à une nouvelle appellation : Mouve- barrer la route au MTLD : l’admi- Niort (France), où Messali était en ment pour le triomphe des libertés nistration coloniale ne retint que résidence surveillée : démocratiques (MTLD). Bouda neuf élus sur cinquante-neuf can- « Des responsables de la situation, est désigné dans la circonscription didats. Parmi les élus : Bouda. dit Bouda, les uns sont morts, d’autres se du Sud-Constantinois. Par suite sont retirés ; il ne reste guère que quatre A la séance inaugurale de l’As- de la fraude électorale, seuls cinq : Messali, Lahouel, Mézerna et Bouda. semblée algérienne, les délégués députés sur quinze sont élus. Bou- Présentons-nous devant le Congrès, et as- da n’en fait pas partie. Le scrutin du premier collège (européen) ont sumons nos responsabilités ; n’accablons se déroule en novembre 1946. entonné la Marseillaise selon la tra- pas les nouveaux membres du CC ; cer- Le génocide de mai 1945 avait dition française en cours dans les tains n’y ont accédé que depuis quelques fait des dizaines de milliers de assemblées élues ; ceux du MTLD mois. Les premiers responsables, ce sont morts dans le Constantinois. Le deuxième collège (musulman) se nous quatre, et vous, en tête. Rejeter sur Comité central en tira la leçon : levèrent à leur tour, mais pour d’autres la responsabilité de la gestion du l’action politique, bien que néces- leur répliquer, et ils entonnent : Parti, durant plusieurs années, ce n’est saire, était insuffisante, il fallait Fidaou El Djazaïr. Inutile de dé- ni honnête, ni révolutionnaire. Si des la compléter par une organisa- crire la stupéfaction indignée des jugements devaient être prononcées, c’est tion armée. Ce fut chose faite au élus européens qui entendent pour contre nous quatre d’abord. » Congrès du Parti PPA-MTLD qui Au cours de la Guerre de libé- la première fois l’hymne du PPA se tint les 15 et 16 février 1947 à ration, il remplit plusieurs mis- composé par Moufdi Zakaria en Alger. (Annexe 2) Là fut prise la sions dans les capitales arabes et 1937, bien avant Kassamen, qui, décision historique de créer l’orga- musulmanes au profit de la Révo- nisation spéciale (OS). Ainsi une lui, fut composé en 1956. lution. Après l’indépendance, il as- nouvelle structure était née. Il y Depuis, la Marseillaise ne re- sume volontairement la fonction avait l’organisation-mère le PPA tentira plus jamais dans l’enceinte d’enseignant durant une période avec sa branche légale : le MTLD, de l’Assemblée algérienne, ou, ail- limitée à cause du déficit en ensei- et sa branche armée : l’OS, appe- leurs, dans une toute autre assem- gnants. Il fréquente assidûment la lée aussi organisation spéciale, an- blée officielle. mosquée, et c’est à la mosquée du

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Ahmed Mézerna Hocine Lahouel Messali Hadj

Ruisseau que la mort le surprend, « Nous sommes, affirme ce dernier, FLN. Ils ont constitué une équipe le front prosterné dans l’adora- nous aussi, pour l’indépendance. Mais à part pour participer à leur façon tion du Tout Puissant le 20 février nous voulons y accéder par étapes. C’est à la lutte pour la libération du pays 1999. comme l’échelle. Pour arriver au sommet, du colonialisme. Ils ont débarqué on ne peut le faire d’un seul bond. Il faut à Bagdad où ils ont été reçus par gravir les barres une à une. » Bouda, le représentant du FLN en رحم اهلل أخانا بودا و اسكناه اجلنة Réplique de Bouda : Irak. « C’est vrai, dit-il, pour arriver au Le match tombe un jour de II Quelques traits de haut de l’échelle, il faut gravir les barres Ramadhan et il y va du prestige du caractère de Bouda une à une. Mais ce que notre respec- FLN. Nos sportifs doivent être en table frère (le contradicteur) oublie c’est forme à cette occasion. Ne faut-il Si Ahmed Bouda était d’une que l’échelle est fermement tenue en bas pas rompre le jeûne ? « Non », ré- haute moralité. Sa devise se résu- par la France qui peut facilement faire pond Bouda. Les joueurs ont jeû- mait en deux mots : religion et pa- dégringoler quiconque de l’échelle et à né ce jour-là, et ils ont remporté la trie. ). On la re- (Eddine ou el watan n’importe quel moment. » victoire. trouve dans les différentes phases de sa vie militante. Le souci d’économiser les Sur le plan des moyens de lutte, Affirmer sa personnalité deniers de la Révolution entre le réformisme et la voie révo- sans complexe lutionnaire, il a choisi la dernière. En 1952, la Direction du PPA- Au cours de la campagne élec- Les Algériens sont en pleine MTLD a envoyé au Caire deux de torale de novembre 1946 pour la guerre contre la France depuis ses membres, dont Bouda, pour députation à l’Assemblée légis- 1954. Les prestigieux joueurs de une mission déterminée. Mis- lative française, un orateur d’un football algériens qui ont fait la sion accomplie, les deux délégués parti adverse de tendance réfor- gloire de l’équipe de France ont sont de retour à Alger. Ils font miste lui apporte la contradiction : quitté celle-ci et ont rejoint le un compte-rendu de leurs activi-

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tés au Bureau politique. D’entrée la division qui existe entre les diri- de jeu, Bouda fustige son compa- Logement geants du FLN, entre ceux d’Alger gnon de voyage pour avoir pré- et ceux du Caire. Un danger pour féré dans leur déplacement par Bouda a habité le même loge- l’avenir de la Révolution. Ce sen- train, la classe première à la classe ment qu’avant 1954, un apparte- timent est partagé par un autre économique : « Un préjudice causé ment de l’immeuble Hélène Bou- ancien membre du Comité cen- aux finances du Parti ,» souligne Si cher, face au stade du 20 août tral du PPA-MTLD. Au moment Ahmed. 1955. Il continuera à monter et de se séparer, les deux hommes à descendre les huit étages sans prennent l’engagement, chacun L’utilisation des biens du chercher à habiter ailleurs malgré de son côté, de lutter de toutes ses Parti à des fins personnelles son passé de militant. forces pour éviter l’éclatement au Son logement a servi plus d’une sommet du FLN, et resserrer les Un membre de la Direction a fois de lieu de réunion au Comité utilisé le véhicule du Parti (une central du PPA-MTLD rangs des militants. unique Traction-avant Citroën) pour transporter sa femme ma- Austérité avant tout Palestine lade, d’un endroit à un autre. Colère de Bouda qui soulève la En Libye, il est le représen- Bouda est un visionnaire. Il question au Bureau politique. Il ne tant du FLN. L’arrivée de Krim perçoit les choses d’une manière supporte pas que les biens du Parti Belkacem, personnalité connue intuitive. (Le croyant perçoit les soient utilisés à des fins person- de la Révolution, est annoncée et choses avec la Lumière de Dieu.) nelles ou familiales. L’exemple est Bouda doit recevoir le personnage Sa préoccupation principale ne contagieux et risque de s’étendre à d’une manière officielle. se limite pas à l’Algérie en guerre. la base. Il porte une vieille paire de Il y a la Palestine occupée par les chaussures ; l’une est percée. Bou- Juifs. Au moment où l’opinion Les cadeaux offerts au Parti da l’a bouchée à l’aide d’un mor- arabe est focalisée sur la Guerre sont sa propriété ceau de carton. « Il ne sied pas à d’Algérie, il soutient : un représentant du FLN de porter des « Le conflit central des Arabes et des 1958. Une délégation du FLN chaussures rapiécées », lui fait remar- Musulmans, ce n’est pas tant l’Algérie, vient de rentrer d’une mission quer quelqu’un de son entourage. mais la Palestine et Al Aqça. » dans les capitales arabes du Moyen Réponse de Bouda : « Il y a en ce Les événements, aujourd’hui, Orient. En Arabie Saoudite, elle moment en Algérie des personnes qui lui donnent raison. a été reçue par le Souverain qui marchent pieds nus ou avec des chaus- a offert à chaque membre : une sures déchirées. » Le multipartisme montre en or et une abaya style lo- cal. Pour Bouda, il n’est pas ques- Recherche constante tion de garder le cadeau pour soi de l’Union Bouda a salué avec ferveur et il en fait don au FLN. L’exemple l’avènement du multipartisme est suivi par un autre membre de Fin 1955, Bouda est chargé par dans les années 1980. la délégation. Malheureusement, il Abane de se rendre au Caire avec A certains militants islamistes s’arrête là ; il ne constitue pas un mission de renforcer la Délégation qui tiraient à boulets rouges sur les précédent dans les annales de la extérieure du FLN. Il constate, hommes du pouvoir, il conseille la Délégation extérieure du FLN. non sans amertume et inquiétude, modération et le réalisme.

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Benyoucef Benkhedda Un exemple de droiture

Il se rendait compte de son défi- cit culturel. Il suivait avec intérêt les colloques sur « La pensée islamique » qui se tenaient fréquemment en Al- gérie et il n’hésitait pas à prendre la parole dans les assemblées. Bouda demeure un exemple de droiture pour nous tous et pour nos enfants. Faisons-le connaître. Pourquoi ne pas penser à « une Fon- dation Bouda » chargée de collecter les témoignages sur les différentes étapes de sa vie militante où il a su joindre le dévouement et le cou- rage à la modestie et à l’humilité. Cela pourrait constituer une base de données en vue de l’écriture de sa biographie. Je m’excuse de ne m’être pas étendu davantage sur le sujet. Cela mérité des efforts de nous tous qui l’avons connu. Après l’indépendance, il se porte volontaire pour un poste d’enseignant, les enseignants man- quaient terriblement à la suite du vide laissé par les pieds-noirs. Son but était de contribuer à la diffusion du Savoir (El-Ilm), à sa mesure, dans les limites de ses connaissances, ce Savoir dont il avait été sevré durant toute son existence, engagement totalement pour une Algérie « libre » (disait-il) « Le multipartisme, disait-il, possibilités qui nous sont offertes. dans le cadre de l’Islam c’est un bienfait (Ni’ma). Il ouvre Diffusons nos idées, recomman- la voie à la liberté d’expression, à dons le bien, interdisons le mal, Que Dieu répande sa clémence sur la liberté d’organisation, après les luttons contre l’analphabétisme, la notre frère Ahmed Bouda. années noires de la pensée unique, pauvreté. » et du parti unique. Exploitons les Benyoucef Benkhedda

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Abdelhafidh Yaha

l’infatigable combattant pour la liberté

Par Hassina Amrouni Guerre de libération Histoire

Militant infatigable et révolutionnaire de haut acabit, Abdelhafidh Yaha fait partie de ces hommes qui ont porté la révolution de no- vembre à bout de bras. Il nous a quittés il y a tout juste une année.

3 2 1

1- Hocine Ait Ahmed. 2- Colonel Mohand Oulhadj. 3- Commandant Yaha

’est au sein d’une famille emportés par les maladies. Il se ma- Hammam Sidi Yahia, sur le versant de révolutionnaires que rie très jeune à Ouada Djedjiga du Est de la Soummam. Il fut surnom- Abdelhafidh Yaha voit village Tizi Oumalou. Cultivateur et mé Abdelhafidh. le jour le 26 janvier 1933 marchand de bétail, il possédait des Son village étant dépourvu Cau pied de l’à-pic d’Azrou n’thour, terres et des centaines de têtes de d’école, le jeune Hafidh rejoint à dans le petit village de Takhlijt Ath bétail. Dda Lbachir comme aimait l’âge de 7 ans la mosquée, sous la Atsou, au sein de la tribu des Ath à l’appeler son entourage était aussi direction de l’imam. Mais il n’y reste Illilten. un philanthrope très respecté par la pas longtemps, ce dernier « usant un Quand son père Bachir vint au communauté. Il avait une passion peu trop de son bâton d’olivier ». monde en 1907, les familles kabyles pour la politique bien qu’il fût anal- Dès l’âge de 13 ans, il suit son n’arrivaient pas à se relever des phabète. père dans les marchés où il apprend conséquences de l’insurrection de Troisième d’une famille de huit les choses de la vie. « Cette expérience 1871. Bachir Yaha était le seul sur- enfants et premier garçon, Hafidh de petit commerçant sur les marchés fut ma vivant de ses 8 frères et sœurs, tous est baptisé par le marabout d’El première école, la vraie, celle de la vie qui

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m’ouvrit les yeux sur les hommes et notre Si Abdelhafid à droite commune condition. Elle me sera d’une grande utilité plus tard dans ma vie de maquisard ». Abdelhafidh Yaha intègre à l’âge de 14 ans la petite cellule de scouts du village. C’est là qu’il entame son apprentissage militant. « Très vite, je fus chargé de prendre la tête d’un petit groupe. Le chant avait pris une place im- portante de nos activités. C’était notre arme subversive, en attendant d’autres armes révolutionnaires ». Plus tard, plusieurs jeunes scouts rallieront les rangs de l’ALN/FLN, certains mourront en martyrs. En 1947, Messali Hadj effec- tue une visite à Michelet, toute MTLD. Abdelhafidh fait partie de d’une soirée», écrit-il dans le pre- la région est en effervescence. la cellule de Mohand Ameziane mier tome de ses Mémoires. Abdelhafidh Yaha faisait partie des Ouzellaguène, militant farouche, Les militants décident de pas- jeunes scouts qui avaient fait une fusillé au début de la guerre de libé- ser à l’action revendicative dès haie d’honneur au leader natio- ration nationale dans son village de 1950. Une première manifestation naliste. Pour le jeune adolescent Kabylie. réprimée le 20 mai 1952 sera suivie qu’il était –14 ans –, cet événement Abdelhafidh Yaha occupe un d’une seconde au début de l’année marquant déterminera, plus tard poste de tourneur-mouleur aux ate- 1953, cette fois, pour réclamer la quelques-uns de ses choix poli- liers Moreaux, le soir, il prenait des libération de Messali Hadj placé en tiques. cours, les week-ends, il assistait aux résidence surveillée. Yaha fait partie réunions de militants organisées des organisateurs. Sur le chemin de au café de la famille Belkacem Aït Cependant, au sein du parti, l’émigration Abdelaziz auprès de laquelle il for- c’est la confusion totale après le gera son parcours de militant. «Les congrès d’Hornu. Yaha tente d’y Au lendemain de la Seconde cafés algériens étaient des foyers voir plus clair et décide de rentrer Guerre mondiale, la misère fait d’agitation nationaliste. Nous nous au pays en septembre 1954. Une fois rage dans les villages et hameaux, y retrouvions pour discuter du pays au village, il se rend compte que le aussi beaucoup d’hommes Kabyles, en toute confiance. Le café de la fa- fossé séparant les Messalistes et les tentent l’aventure de l’émigration. mille Belkacem Aït Abdelaziz était Centralistes ne cesse de se creuser. En 1949, son père Bachir émigre en particulièrement animé. Il recevait « Pendant des mois, la Kabylie n’arrivait France et s’installe à Charleville-Mé- souvent l’immense chanteur Sli- pas à s’affranchir de l’autorité tutélaire de zières (Ardennes) où il y avait une mane Azem. Quand il venait c’était Messali Hadj. En dépit de ses agissements forte communauté kabyle. Il revient toujours la bousculade dans le café. autocratiques et ses tergiversation sur la quelques mois plus tard, marie son Ses soirées étaient synonymes de question de la lutte armée, celui-ci avait fils qui n’a que 16 ans qui émigre convivialité et de grande nostal- gardé une influence intacte sur de nombreux à son tour. En France, père et fils gie pour les émigrés. Ses chansons militants de la région ». Au cœur de ces se joignent aux militants du PPA/ nous transportaient au pays, l’espace querelles politiques, le CRUA (Co-

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Commandant Yaha au 1er plan de la famille dans la lutte pour l’indépen- dance de l’Algérie était totale, hommes et femmes, sans distinction ». Abdelhafidh occupe d’abord la fonction de chef de front et chef des volontaires armés du village. Ce- pendant, étant également membre du comité politico-militaire des aârchs (Illilten, Ath Itsoura et Illou- lène), il s’occupait, en compagnie de Ouali Saâdi et Saïd Aït Benaissa de l’organisation des actions politico- militaires dans tout le secteur. Les comités de villages sont lancés avec mité révolutionnaire pour l’Union Dès les premiers mois de la pour mission de « fédérer la population et l’Action) voit le jour, dirigé par guerre de libération, toute la fa- autour du groupe de révolutionnaires et d’anciens militants du MTLD qui mille s’était engagée dans le com- l’arrimer au combat de libération ». se démarquaient des Messalistes et bat. Abdelhafidh Yaha et son père Début 1955, une réunion est Centralistes. seront les premiers, suivis par Lar- organisée dans la région de Tizit bi, cadet de Hafidh qui s’engagea en présence de Krim Belkacem et 1er Novembre 1954 comme moussebel dès son retour Amar Ouamrane afin d’établir un de France, au printemps 1956. Il diagnostic exact de l’organisation Abdelhafidh Yaha rejoint le sera rejoint par son autre frère, dans la région. maquis à l’âge de 21 ans. Il prend Amrane. Les femmes ne restent pas Durant l’été 1956, Merzouk Aït contact avec les militants nationa- en marge de la lutte. Mère, épouse Ouamarane est affecté à Haïzer, il tombe quelques mois plus tard au listes de la région d’Aïn El Ham- et sœurs apportent leur soutien à la guerre de libération. « Pour nous champ d’honneur. Yaha collabore mam, dont Amar Ath Cheikh. les Yaha, rejoindre l’insurrection armée, quelque temps avec son rempla- Les premières actions engagées c’était comme épouser une religion. Nous çant, Belaïd Amejtouh avant que seront celles convoyées par Amar n’en sortions que de deux façons : la mort lui-même ne soit promu au grade Ouamrane « pour participer à la mise au combat pour certains, ou alors pour de sergent-chef en 1956, et de faire à feu de la révolution dans les régions de les plus chanceux, assister en acteurs à la partie des premiers commandos de Blida et de l’Algérois ». Les réseaux de fin de la guerre de libération », note-t-il la région I. soutien à la Révolution se mettent encore dans son livre. en place. « Restait toutefois la question La maison des Yaha se trans- Dans les maquis du la plus cruciale qui se posera tout au long forme en refuge pour les maqui- Djurdjura de la guerre : pourvoir les nouvelles recrues sards. « Ce refuge avait accueilli et nourri en armes, en munitions, en chaussures et en vaille que vaille plusieurs centaines de ma- Dès les premiers mois du déclen- tenues de combat si possible (…) L’autre quisards. Rien, ni la destruction de notre chement de la guerre de libération difficulté était l’organisation de refuges, maison en mars 1956, ni la mort de mon nationale, l’organisation politico- c’est-à-dire des maisons offrant un maxi- frère Larbi, ni celle de mon père en janvier militaire des maquis sur toute l’éten- mum de sécurité à l’intérieur des villages 1960, ni celle d’Amrane quelques jours due de la région de la commune et des personnes déterminées et courageuses plus tard, n’eurent raison de notre engage- mixte du Djurdjura est confiée à pour les tenir (…) » ment pour l’ALN/FLN. L’implication Cheikh Amar dit Amar Ath Cheikh

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ou Si Salah et ce, jusqu’à sa mort au combat en août 1956. A ses côtés, un autre homme marquera de son empreinte la Haute Kabylie : Ali Mellah. A ces deux grands révolu- tionnaires, vient s’ajouter Saïd Ba- bouche, « un autre militant, guillotiné trop tôt durant la révolution ». Yaha se dira marqué par « leurs valeurs hu- maines, leur foi en la révolution et enfin leur souci d’organisation de la population qu’ils partageaient tous trois ». Après être tombé en martyr, Si Salah est remplacé par Boudjemaâ Lounis et c’est sous sa houlette que plusieurs actions armées seront menées jusqu’à sa mort en 1957.

La 1ère compagnie du Djurdjura d’un complot ourdi par un certain Création de la wilaya VI Ben Saïdi, ancien sous-officier C’est vers la fin de 1956 que la de l’armée française. Arrêté par première compagnie du Djurdjura Cheikh Amar et Ali Mellah les hommes de Si Cherif car sus- est formée. Réunissant les com- partageaient le même engagement pecté de travailler avec l’ennemi, il mandos de choc de la région, elle révolutionnaire. A la tête de l’orga- parvient à gagner la confiance de était constituée de moudjahidine nisation du FLN/ALN de toute tous. « Convaincu par sa connaissance des tribus d’Illilten et Ath Itsoura, la haute Kabylie, Ali Mellah ren- des hommes et du terrain, le colonel Si notamment. Elle se distinguera par contrait souvent Cheikh Amar, Cherif le chargea de recruter des hommes des actions spectaculaires dans sa menant ensemble des actions du cru pour constituer les maquis locaux zone d’opération qui s’étendait de la fracassantes comme l’attaque de (…). Pour arriver à ses fins, il mit en tribu des Illoulène (Azazga) jusqu’à la poste de Tizi Ljemaâ en 1955. place un plan diabolique. Il s’employa à Draâ El Mizan et les limites des En 1956, Ali Mellah dit Si Che- retourner ses nouvelles recrues contre les plaines de la Wilaya IV, à l’ouest. rif est chargé d’étendre l’organi- hommes de l’ALN, sous prétexte qu’ils La compagnie sera renforcée par sation FLN/ALN au sud car la étaient Kabyles et étrangers à la région un groupe de combattants « ber- découverte de pétrole à In Ame- ». S’en suit un climat de suspicion bères marocains qui faisaient déjà partie nas puis à Hassi Messaoud cette entre les hommes du cru et ceux des groupes de choc d’Illilten, Ath Tsoura année-là, en faisait un territoire de la Wilaya III et fin mars 1957, et Illoulène avant de rejoindre la première très convoité par le colonisateur. il assassine le colonel Ali Mellah « compagnie du Djurdjura qu’on appelait Pour cela, les premiers maqui- Si Cherif ». Il en fait de même avec le aussi Première compagnie de Michelet. sards de la Wilaya VI partent de capitaine Rouget, un des officiers Ces maquisards par ailleurs hors pair et la Wilaya III, une centaine au to- de la wilaya. « Plus jamais puissant, très courageux sont tous tombés au champ tal, volontaires pour cette mission Ben Saïdi lança ses hommes contre les d’honneur dans différentes contrées reculées périlleuse. Un an après son arri- derniers maquisards venus de la Wilaya du Djurdjura ». vée au sud, Si Cherif est victime III. Plusieurs dizaines d’hommes, venus

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ouvrir le front dans le Sahara, furent tués Quelques semaines avant la procla- que sa caution. Mais Aït Ahmed en quelques semaines ». Une enquête mation de l’indépendance, il mène décide, quelques jours plus tard, de est diligentée par un groupe d’of- une autre opération contre le poste rejoindre secrètement la Kabylie, ficiers de la Wilaya IV. « Confondu de harkis du village Aït Lqaïd. Là en compagnie de Yaha. Sa décision par une série de faits implacables dont encore, il parvient à vider le poste de rallier le mouvement d’opposi- il était l’auteur, comme l’assassinat du militaire de ses armes sans se faire tion est prise après discussions avec colonel Ali Mellah, le lieutenant Ben prendre. Mohand Oulhadj et d’autres mili- Saïdi perdit la confiance des maquisards tants des anciennes Wilayas III et qui l’avaient suivi pour nombre d’entre Création du Front des IV, dont le commandant Lakhdar eux par crédulité ». Prenant la fuite, Forces Socialistes Bouregaa, à Michelet (actuellement il finira sa carrière dans l’armée Aïn El Hammam), où il s’est installé française, dont il sortira en retraite Au lendemain de l’indépen- dans la clandestinité. avec le grade de colonel. dance, et face à la « terrible situation Après la démission du colonel » socio-économique (chômage, Mohand Oulhadj du FFS en oc- Dans l’enfer de la misère, dénuement des familles de tobre 1963, une réorganisation du « Bleuite » chouhada…), Abdelhafidh Yaha es- parti s’impose. Au printemps 1965, time que la lutte n’est pas terminée. les négociations de cessez-le-feu Sur ce triste épisode, Yaha Après quelques mois d’observation, avec les représentants de Ben Bella confiera que ce complot diabolique les officiers en charge de la transi- sont, en partie remises en cause, est « né dans le côté obscur du cerveau du tion dans la Wilaya III, à leur tête le après sa destitution. Yaha part en capitaine Paul-Alain Léger, officier du colonel Mohand Oulhadj, décident exil à la fin de cette même année, groupe de renseignement et d’exploitation alors de joindre leurs voix à celles d’où il continue à activer. Après un ». Ce dernier avait lancé en 1958 une d’autres figures politiques, pour différend avec Hocine Aït Ahmed, véritable opération d’intoxication, créer un mouvement d’opposition : il rentre seul au pays en 1989 pour en distillant de fausses informations le FFS est proclamé le 29 septembre poursuivre son chemin politique. sur des responsables de l’ALN. Le 1963. Selon Yaha, la naissance de ce Il finit par quitter le parti pour capitaine Ahcène Mahiouz lance front de l’opposition « a mis le pouvoir créer le Front des forces démocra- alors des purges au sein de la zone en place à Alger en alerte ». tiques (FFD), au début de la décen- 4. Yaha sera l’un des rares respon- Durant cette période, les ren- nie 1990. sables de la Wilaya III à se dresser contres entre anciens dirigeants de Abdelhafidh Yaha a consacré contre les purges de la « bleuite », la Révolution se multiplient. Dans le les dernières années de sa vie à la interpellant le colonel Amirouche et second opus de ses mémoires, Yaha rédaction de ses Mémoires. Deux Si Abdallah et les prévenant sur les relate les discussions qui ont eu lieu ouvrages résument son parcours de assassinats de valeureux moudjahi- au siège de l’état-major de la l’ex- militant révolutionnaire et ses hauts dine. Au péril de sa vie, car refusant Wilaya III (devenue la 7e Région faits d’arme. d’obtempérer aux ordres de ses su- militaire), toujours sous le comman- périeurs, Si Abdelhafidh expliquera dement de Mohand Oulhadj, dis- Hassina Amrouni que la purge était en train de viser cussions auxquelles il était lui-même Sources : les meilleurs éléments de la wilaya. présent. Chargé par Krim Belka- -Abdelhafidh Yaha, « Au cœur des maquis de Kabylie. En 1960, Abdelhafidh Yaha cem et Mohand Oulhadj de prendre Mon combat pour l’indépendance de l’Algérie. Tome 1 : 1948-1962 », récit recueilli par Hamid Arab, éd. mène une attaque contre un poste attache avec Hocine Aït Ahmed, Inas, Alger 2011, 315 pages militaire à Taskenfout, un village Yaha témoigne que ce dernier avait, - https://www.memoria.dz/oct-2015/guerre-liberation/ -Divers articles de la presse quotidienne et électronique de Ain El Hammam, emportant au au départ, montré des réticences, -www.aps.dz passage toutes les armes des soldats. n’apportant, dans un premier temps

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 78 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. CHANSONS DU TERROIR GENRE HAWZI

Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre

« EL OUARCHANE » ( Le ramier )

du chantre BEN SAHLA Chansons du Terroir Histoire

Dans la série des pièces de chants interprétés par l’Ecole de Constantine, nous vous présentons un thème du genre hawzi. C’est un poème traduit comme de coutume du chantre Bensahla intitulé El Ouarchane ou le ramier, où l’auteur décrit son amante au front à l’éclat étincelant et aux jambes fermes qui ont la lumière brillante de l’ivoire. Ses yeux décochent leurs flèches à l’abri sous des sourcils dont chacun rappelle le croissant de lune. C’est au ramier de porter le message à la bien-aimée, de porter le salut à celle des quartiers de Sidi El Haloui. Avec un style d’exécution propre, nous allons vivre une interprétation qui nous emmène vers el Eubbad du saint Sidi Boumediene dans une harmonie toute constantinoise. Mais c’est de Tlemcen rivale de la ville des passions que nous allons savourer ce hawzi à la hauteur de la dignité des habitants de Tlemcen et de Constantine. Tlemcen, ville des hadhar (citadins) fut une contrée où s’installèrent de nombreux Maures venus de l’Andalousie au XIVe siècle et XVe siècles dans la capitale des Béni Zeïane. Favorisant un brassage ethnique des communautés musulmane et juive fuyant les persécutions des Rois d’Espagne, Tlemcen, au plan de la culture musicale, a donné le genre hawzi dont nous allons étudier ce poème d’El Ouarchane d’Ibn Sahla. C’est sans doute le mot hawz, la périphérie limitrophe à la ville de Tlemcen, qui étymologiquement, a donné cette musique, sera interprétée par les différentes écoles andalouses y compris dans le genre chaâbi où El Ouarchane est reprise avec brio par El Hadj Mohamed El Anka. Cette poésie amoureuse magnifiant les beautés de la maîtresse et le charme merveilleux et captivant de l’amante aux yeux noirs est composée tout au long du texte dans plusieurs modes dans l’école de Constantine, M’Haïr, Zeïdane/Seïka, Iraqi, Seïka, Mezmoum, Zeïdane/Raml et le Khlas. Alors qu’à Tlemcen, les poètes du hawzi habitaient les quartiers tels Sidi Haloui, Bab Zir ou Derb Méliani, à Constantine c’est aussi dans la vieille ville que se développait la musique citadine profane dans les fnadeks de Sidi Gsouma, Benazieb, Belhadj etc. les chants mystiques dans les confréries d’El Aïssaouia, Hansala, Rahmania.

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Groupe de hawzi du début du xIxe siècle

de dialectologie sur les phonèmes, la prononciation EL OUARCHANE OU LES YEUX pour relever la différence pos-palatal sonore /g/, ty- FARDES DE LA TOURTERELLE pique des parlers bédouins et un phonème uvulaire sourd /q/ inhérent aux dialectes citadins, le parler Fils de Mohamed Ibn Sahla, lui-même poète tlem- Hawz s’est introduit dans la locution citadine comme cenien du XVIII è siècle, le cheikh Boumediene Ibn à Constantine où le comportement linguistique in- Sahla a vécu la fin de la présence turque. Dans El tègre une toute autre expression. Ouarchane (le Ramier ou la tourterelle), il consacre son talent à décrire la femme séduisante, aux yeux M’hair fardés par le k’hol, avec un cœur fragile que torture la langueur. Narslek lamdebel layaân ya el ourchane Dans El Ouarchane chanté par Raymond Ley- Kaanek rdjiel aw sissani wa dhrif tabat ris, on retrouve la magie d’un style recourant à des Fi ben adem ma takra amen ya el ourchane implorations où les larmes d’allégresse font baigner Khod sah elsani wa ahfed djmi’à echiat l’amour dans une tendresse aux embrasements d’un Wasal slami lalaâdhra iamem lebnet cœur que seul le Ramier va pouvoir servir de messa- Nareslek bism el kahar el krim la yakhfa ger pour le soulager. Wa trouh lemdhablet lachfar toulet alam achorfa Dans cet essai de traduction d’El Ouarchane pour Rah akli liha tar kamlet ezzin el haifa la première fois, nous allons malgré les remarques Akoutni kia bla nar wa ertadjef akli rajfa

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Talaa Talaa

Ankoua kalbi bla niran ya el ourchane Men ahawaha djraât mhane ya el ourchane Fi samim ahchaya narha etkaouat Hin chafet lia lahd el ghazel wa edjfet Wa el akl tar bla jenhan ya el ourchane Byadha charatli taîane ya el ourchane Andha rafdetou tadj erriam wa mchat Tabaâtha saâ fi saâ liloussoul la bat Wasal esslami leladra imam lebnat Wassel esslami la^dra imam lebnat

LA MADONE DE SES FILLES DANS Mode Zeïdane/ Sika : EL OUARCHANE REGARD FURTIF DE LA GAZELLE Mode M’Haïr : Je t’envoie à celle aux yeux languissants , ô ramier ! Je t’envoie au nom de l’Adoré , celui qui t’a créée et façonnée Si tu es courageux , frondeur et vraiment élégant Tu iras vers celle connue aux yeux langoureux, Au fils d’Adam ne fais point confiance ,ô ramier ! Dis-lui ô créature d’allégresse , de grâce aie pitié de celui qui Prends ma vraie version et conserve là de toutes les choses t’aime Porte mon salut à la vierge , Madone de ces filles. Mon âme troublée ne peut t’oublier tant que vivant.

ENVOL DE L’AME ET SURSAUT Celle que j’aime m’afflige par tant de souffrances, ô ramier ! FREMISSANT Par un regard furtif de la gazelle se délaissant de moi

D’un geste de main elle me salua ô ramier ! Je t’envoie au nom de Dieu , le Bienfaisant , l’Omniprésent Et moi la suivant heure par heure , à l’arrivée elle me refusa . Tu t’en vas vers celle aux yeux langoureux , signe de noblesse Mon âme s’envole entièrement vers la beauté sveltesse Porte mon salut à la vierge , Madone de ces filles. Me brûlant sans feu , mon esprit troublé d’un sursaut frémis- sant . Mode iraqi

Mon cœur brûle sans flammes , ô ramier ! Ya el ourchane errabi taâml edjmil alia Au profond de mes instincts , s’ embrase ma passion Trouh el ghayat hobbi ou tasalha ouch hia Mon âme s’est envolé sans ailes, ô ramier ! Sir wa ezzam bejouabi el ghzala el hamia Refusant la couronne des blanches gazelles et partit Hobha adeb kalbi wa hram ennoum elia Porte mon salut à la vierge , Madone de ces filles . Talaa Mode zeidane / sika Hobha djani belgoumen ya el ouarchane Narslek bism el moutaâl elladi khalkek wa achaak Hram ennoum alia adit sahrane enbat Etrouh lilchafr el medbal ain el adami la takhfak Djabni nahou walfi btaâiane ya el ourchane Koulalha ya zahou el bel wa atf an men yahouak Koul youm tradna ma atani la btahiat Rah akli fi tahwal toul omri ma nensak Wassal esslami laladra imam lebnat

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 82 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Chansons du Terroir Histoire

Mode Iraqi : Mode Zeïdane/Raml : MARCHE CHEVALERESQUE DU RAMIER Cet amour clairvoyant ne peut me laisser indifférent , O ramier de grâce , fais moi ce plaisir Que de chevaliers et d’esprits amenés délaissant le butin Vas chez l’être aimé et demande de ses nouvelles Mon cœur oppressé m’étouffant ô seigneurs ! Remets mon message à la charmante gazelle Puis-je trouver la vierge , remède à mon deuil et mes vexa- Son amour fait souffrir mon cœur empêchant mon sommeil . tions ?

Son amour venant en marche chevaleresque ô ramier ! Puis-je trouver un rameau de saule ô ramier ! Me privant du sommeil je passais mes nuits blanches Ni chanson ô pigeon ne convient aux paroles , Me ramenant fièrement auprès de mon amante ,ô ramier ! Celui qui aura fauté finira par être montré ô ramier ! Chaque jour me renvoyant sans aucun salut . Sur sa haute poitrine , oubliant le passé , nous nous récon- Porte mon salut à la vierge, Madone de ces filles. cilions . Porte mon salut à la vierge , Madone de ces filles . Mode Seïka : VIERGE, MADONE DE SES FILLES Khlas : EL OUARCHANE :YEUX PERCANTS ET O pigeon , rends-toi avec fermeté au-delà des intrigues LEVRES ENFLAMMEES Soumets-toi et fais l’éloge de la bien-aimée Lorsque le juge rend la sentence Peut-on entonner une mélodie avec celle aux yeux langoureux ? Déballe le secret à l’amante aux mains couleur pourpre Que d’attentes , que d’espérances , errant souffrant et endeuillé , Révèle-lui toutes les confidences ô ramier ! Séduit par les yeux noirs me disant qu’elle est l’unique beauté Dis-lui que l’âme de ton amant par ton amour périt , Sans esprit tu l’as laissé étourdi ô ramier ! De front ses yeux noirs perçants torturent mon cœur . Pour toi je m’engage à partir ô injuste si je mourrai Le front de mon amante aux yeux doux ô ramier ! Porte mon salut à la vierge , Madone de ces filles . Dépasse la haute lune se distinguant par sa beauté , Et les joues ressemblant aux coquelicots ô ramier ! Mode Mezmoum : Et les lèvres enflammées ont brûlé mon corps . LE MESSAGER DE L’AMOUR Porte mon salut à la vierge , Madone de ces filles .

O ramier ! va en médiateur vers celle que j’aime , Possédant un cou éclatant d’or chantant la romance , Envole-toi dans les airs et descends sur sa chambre , D’un corps pur comme l’ivoire , son mollet blancheur cristal Retrouve la lueur de mes yeux et implore toi devant elle O Dieu !, mon âme se trouble , pardonnez moi , mon esprit Sois prudent et en gentlemen , sache comment l’entretenir . s’envole Consumé par la taille cahotante en voyant la nouvelle lune . Sois prudent , intelligent , éveillé ô ramier ! Arrête mon discours et fais connaître avec preuve ô ramier ! Rappelle lui avec constance mon secret ô pigeon ! Mon nom Ibn Sahla paraissant être l’amoureux de ces filles , Jure-lui au nom de Dieu le Miséricordieux ô ramier ! Déplorant Dieu le Miséricorde ô ramier ! Qu’aucune femme à part elle ne me séduise . Pour qu’il puisse me pardonner et effacer mes pêchés . Porte mon salut à la vierge , Madone de ces filles . Porte mon salut à la vierge , Madone de ces filles .

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 83 ) www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire

Cette première et exclusive traduc- On voit bien qu’à Tlemcen, les Brosselard connu par l’étude de 84 tion d’El Ouarchane du chantre de chants d’amour rassemblent un pièces ou répertoire de chants dont l’amour Ibn Sahla , de l’échanson nombre appréciable de « Aroubi » et de 17 poésies religieuses, 56 poésies des beautés appartient à la tradition « Hwaza » lié à un patrimoine hagio- profanes et 11 genre Hawzi . Il s’agit littéraire tlemcenienne du Hawzi graphique attestant de la vigueur en fait d’une Anthologie poétique ,qui fait référence dans une langue et de l’originalité de la thématique dont presque la majorité des auteurs dialectale à l’univers et au langage proposée. Dans ce cadre une thèse sont inconnus . de la poésie amoureuse , se chante de 3ème Cycle de Yelles-Chaouche Ainsi l’éclosion du Hawzi avec différemment dans les trois écoles . « Un aspect de la poésie populaire Ibn Msaïb, Ibn Triki, Saïd El Men- Cheikh Hamou Reggani dit Fergani tlemcénienne dans le genre Hawfi- daci et surtout Ibn Sahla père et fils, , père de Hadj Med Tahar Fergani , Etude linguistique et Ethnogra- consacre le triomphe de la poésie passe pour être un Hawaz émérite . phique » soutenue à Paris en 1978 . populaire citadine Ibn Sahla perdra De même que l’ouvrage de Abdel- la vue et se consacrera au recueille- OH ! LUMIERES DE hamid Hadjiat, un recueil de poésie ment et aux louange à Dieu, après MES YEUX OU L’AMOUR populaire « Al Djawahir Al Hissan avoir été libéré par Bacha l’épouse PUDIQUE Fi Nadhm Awlyia Tilamçan » (Les du Bey, qui intercéda en sa faveur Perles précieuses , ou poèmes des lors de la pétition adressée au Bey La technique expressive de Saints de Tlemcen ). d’Oran par les gens de Tlemcen sur chaque interprète lui donne toute son comportement jugé impudique une variété saveurs. La jeune gé- UNE ANTHOLOGIE DE nération est en quête de dépasser LA POESIE POPULAIRE et indécent à l’égard de la popula- les maîtres dans la déclamation et CITADINE tion . Il quittera le profane défini- l’exécution du mahdjouz, aroubi ou tivement et s’inscrit dans la voie hawzi. De cette poésie –texte , poé- Selon Hadjiat, il n’existe qu’un du mysticisme et de la dévotion. El sie –chant ,proche au melhoun, Ibn seul manuscrit d’un ouvrage sur Ouarchane reste dans l’imaginaire Sahla, ne cite pas moins de trente la poésie citadine du Maghreb, populaire le Messager de l’Amour femmes tlemceniennes qui atti- conservé à la Bibliothèque Natio- et des sentiments pudiques. rèrent platoniquement son regard nale de Paris, copié en Juillet 1852 dans « Ya Dhaoui Ayani « oh ! lumière par un certain Mohamed Ben Mo- Dr Boudjemâa HAICHOUR de mes yeux ) hamed M’Rabet, à la demande de Chercheur-Universitaire .

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 84 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Hasna Hini l’interprète du m’Adh et de la Prosodie

UNE POéTIQUE DU CŒUR ET DE LA SPIRITUALITé

Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre Chansons du Terroir Histoire

La chanteuse Hasna Hini

أسق العراق صرف العراق و أمنح عبيدك طيب الوصال O Beauté de tous les temps (1 وليس عندي لنفس أشهى يا واحدة العصر فى الجمال سواك يا منتهى أمالي * * « O Beauté de tous les temps » O Pleine lune accomplie Cet Inklab Raml Maya est chanté par Hasna sous Je te vois détourner ton regard de moi la direction du Chef d’orchestre son père, Maître Et dédaigneusement m’ignorer Héni Smaïn à la cithare. Une douce voix dans une Ai-je commis une faute sans le savoir musique savante interprétée avec une maîtrise par- Ou est-ce une fine coquetterie de ta part faite d’une langue qui nous laisse entrevoir l’esthé- Arrose mes veines de ta pleine limpidité tique d’une déclamation féminine venant d’Alger. Accorde à ton petit esclave le délice d’une rencontre. Mon âme n’émeut d’autres vœux que toi Discrétion et pudeur valorisent l’originalité de A toi mon ultime espérance. l’interprétation grâce à une gorge généreuse. Elle a * chanté le soleil du matin entre les bras d’une lune « comme une aubade. Dans « A’dirouni Ya Sadate يا واحدة العصر فى الجمال» chanté par Reinette l’Oranaise, Hasna reprend cette وطلعة البدرى فى الكم sérénade sans se détourner de la volonté de Dieu. Et اراك تلوى فى كل حين comme dira la poétesse « c’est un salut qui fait éclore طرفك عني وال تبال le calice des fleurs et qui fait roucouler les colombes sur les أذاك مما قد جنيت جهال .« branches perchées ام ذاك من نخوة الداللي

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 86 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Chansons du Terroir Histoire

Il faut dire que Raml- maya est exécuté jusqu’à Dans Sika, Ibn Temin El Iraqi l’insère dans le la fin du XVIIIe siècle exclusivement en profane. Il mode Iraq Al A’jam (Mi) Fi Inchad Tawil : fallait attendre le XIXe siècle pour que tout son cor- pus soit remplacé par des poèmes religieux et mys- * اذا ما شذا شاذ بصيكة لحنه tiques. Seules les compositions musicales resteront تحن له أرواح كل مهذب .inchangées فنغمته الحسناء تنعش من شذا -Cette Nuba utilise quatre modes : Raml maya يذكر النبي الهادي الحبيب المقرب -Hamidan-Hsein-Inklab Raml. Le Raml maya s’ap puie sur le Ré et s’apparente au mode Hamidan. Les * quatre modes peuvent apparaître épisodiquement dans la même sanâa qui entraîne une variation d’ex- Sans trop réfléchir Hasna interprète à merveille pressions. le poème comme le soleil à qui la pleine lune prend La troupe Ibn Baja l’exécute dans le mode Mizan la lumière à tout jamais pour finir par l’éclipser. Son Qayim Wa Nasf dans la Nuba Bassit Al Astihlal talent envoûte l’assistance et enchante son papa à tra- . Elle est également interprétée dans une Touchia vers cette litanie Ghribet El Hsin qui est une branche du Mezmoum du poète Sidi Hamdoun Belhadj. Ce mode a été com- A’DIROUNI YA SADAT DE REINETTE posé par une courtisane du nom de « Ghariba » Do L’ORANAISE اعدرونى يا سدات سلطنة داود : dans une mélodie de Bahr Tawil

* 2) DHAÏF ALLAH DE CHEÏKH MTIRED ABDELDJALIL رعى اهلل منشدا جاد بغريبة ضيف االه لشيخ متيرد عبد علينا ونحن في مقام معظم وأنس من كان الغرام بقلبه Cheïkh Abdeldjalil Mtired El Merrakchi est un فجاء على قصد الحبيب محكم * grand poète rénovateur de son temps. Il est l’auteur de « El Fedjr Hab Aâla Erriadh Tanassem », « El Harraz Alors que l’orchestre sous la direction de Hadj », « Echamâa », « Dhief Allah Rad Ledjawab Essgha Li » Abdelkrim Raïs l’exécute dans la Nuba El Istihlal qui « Khalkhal A’ouicha »… est classée la 5ème dans le recueil d’El Hayek qui est * سالوني يا اهل الهوى كيف جرى لي يامس في الداج يا كرام un mode qui s’appuie sur deux degrés : Do tonique شديت وصايدي و بلجت اقفالي و بديت نساهر المنام .et Sol بين منام و فياق و الضو طفى لي نسمع من دق في الرسام : Dans le morceau suivant notamment شكون اللي يدق في الثلث التالي و الليل ليال و الظالم لحت غطايا و نضت مبهوض ناللي و رميت يدي على الحسام * سميت و زدت باسم الحي العالي سلمنا قلت يا سالم Ô mon soleil, ô pleine lune, ô ma lune nouvelle » حليت الباب ما فقهت أش قبالي ضيف اهلل قال لي قوام Ô mine de générosité et de perfection, pitié سولته قلت له من تكون زاد في تنخالي انزرع مطروح كسهام Soumets mon cœur à la torture Mais ne le délaisses pas, ne sois pas injuste أ ضيف اهلل رد الجواب اصلي ال تحشم واجب السالم Toi qui m’as possédé, toi qui m’as rejeté Eperdu avec l’insomnie pour seule compagne ». في الحين شعلت شمعتي * و اسبلت فراش قبتي * للزهو و طيب الحديث *

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نزلت تفاكهي و طبخي و شغالي و رفعت الطاس كالغالم * قلت بشوقي و ليعتي * اجلس يا روح راحتي مد يدك قلت له يا شاطن بالي و استجب واجب الطعام نزها و بكل ما نويت ماني في طعام قال لي شوف لحالي في العشبة * سبعين سنة في ليلتي * قرب نسطاب فرجتي ما وفيت عام و رد جوابي اال دويت امياه الواد قلت له طيب حاللي و الضامن فيه ابوعالم درت الشمعة قبالته دون شمالي انحقق فيه بالنيام أ ضيف اهلل رد الجواب اصغى لي ال تخطا رد لي سالم نحدق ذاك الحبيب و نبدل حالي زاد الشملة على اللثام و عقد عبسة تذوب منها الجبالي و رجع لي من والد سام * يغضب المليح و يرضى * و انت يا راحة االعضا كوري مغلوق او شلح في تمثالي و اال عجمي من العجم مالك من جانبي مريض هذا زيزون قلت و اال جهالي و اال سكران بالمدام هزيته هزة الغضا * صيح مقياس الحضا * حزته لي بكل غيظ قلت أ عجبي الضيف يغضب محالي و بال سبة بال خصام * حتى سخنا على الفضا * من حر الشوق و اللظا االضياف و كلها في الوجاب تشالي و انت ال صوت ال كالم انكشف الحجاب الغليظ أ ضيف اهلل رد الجواب اصغى لي ال تحشم واجب السالم نجبر تاج الريام عراض الفالي ولفي سلطانة الريام و ظهر ذاك الجبين كبدر ياللي و الخدادة مع الوشام * أ سيدي قلت له كفى * اترك التيهان و الجفا انت هو الضيف يا شاطن بالي و الكذوب في دينا حرام االجواد بجودها تروف قلت له يا سايلني نفيدك بسآلي من بعد غبطت في المنام * ذك الخزرة العاصفة * قسمت قلبي مناصفة أ شاطن عقلي هواك يا عز أبطالي و خرجت نهيل باالقدام احر من مضاوة السيوف و خفيت على عيون العدا عدالي لحضرتك شادة حزام * اشف ياضيف و اشف * و اكشف تنكارة الخفا هات الصفرة و زد غدر قمصالي أروا ما لذ من المدام و اعطف بمكارم العطوف يا ليلة من ليلها اعز ليالي ال ريح يهب ال غيام انت في مرسمي و زايد تنخالي واش جابك ليا بال غرام أ ضيف اهلل رد الجواب اصغى لي ال تخطا رد لي سالم أ سبة ليعتي و هولي و هوالي يا تارك مهجتي اقسام العن الشيطان قلت يا نور هاللي أما في الغيب من احكام * خد أ حفاظ واستوا * ضيف من ضياف الهوى دوى بعد ما استفصل في اقوالي صوت سمعته بال انغام الهوى زهوة لمن زهاوا كان صوت قنيص في دواخل ادخالي من ضيق الثوب * و اللي ما شاف ما هوى * حبة خردل ما سوى و الزكام مثله للنظم ما قواوا لكن في ذا البالد مفقود الوالي ال بو ال خو ال اعمام * و اللي بجهالته دوى * لعلته ما يله دوى و نفتش في العلوم مدوب حاللي حافظ السوار بالتمام مطموس نواجله عماوا أ ضيف اهلل رد الجواب اصلي ال تخطا رد لي سالم قال فصيح اللغة الحبر الجياللي غواص جواهر النظام زواق رقايقي و طراز و غالي و شجيع الحرب في اللطام * طالب مفروق بلدنا * اطلبتك ضيف ربنا شيخ بال شيخ لو عمر شبحه خالي ما له مبدا و ال تمام ألق و اصرف باالحسان هذا بحرنا عميق و طميم و مالي و عظم بفراتنه وهام ارماني ليك وعدنا * و ارفع بقدر عزنا * ال حكم لخارج االوطان طاب رياضي بفرجة القلب السالي و السعد على الرضا سقام * الطلبة معدن الغنا * نكتب لك سر حرزنا غنى نحلي و طعم شهدي بمصالي و عبق بقاليد الريام يجلب الرزق للمكان عمر سوقي و باع و شرى داللي سوق ال فرغ له زحام و سالمي لالشياخ بمسك و غوالي ما طال الحال بالدوام الطالب قلت له ما يخفى لي محتوم يذكر الرسام و على االدبا الفاهمين استفصالي طلبة و اشراف و العوام و أنت كصيد فوق الفضا ضيالي و المسافر ما رجى مقام و عليهم قد النجوم و الف فالي ما رام الحال بالدوام نغزل غزل الهوى على حكم فصالي نبرمت بخفة العظام

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 88 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Chansons du Terroir Histoire

Nous voilà avec Abdeldjalil Mtired qui nous ra- « Najbar Taj Aryam ‘Aradh Al Fali* Walfi Soltanat conte son histoire dans le pur style du Melhoun. Est- Aryam* Wa Dhahar Dhak Al Jbin Ka Badr Yalali* Wal ce un rêve ou une réalité que d’évoquer la venue d’un khadada M’a Al Wcham* Anta Houa Adhaïf Ya Chatan visiteur anonyme ? Le poète nous conduit à travers Bali* Wal kdoub Fi Dinna Hram ». cette chanson interprétée par les maîtres du Chaâbi (J’ai retrouvé ma belle au diadème illuminant tels Hadj El Anka, Abdelkader Chaou ou encore Ez- comme la lune le front de ma reine aux joues tatouées, zahi dans ce qsid qu’aiment écouter les mélomanes de c’est toi l’invité qui m’a troublée et le mensonge est la Casbah d’Ager. chose interdite dans notre religion, alors j’ai fui de Le fait de remettre ce poème dans une interpréta- nuit par passion et amour pour toi. tion féminine renvoie à un sens élevé de l’écoute musi- Ainsi se termine cette chanson écrite par Cheïkh cale qui embellit cette chanson populaire. Mtired dans une langue populaire loin des mouwa- Hasna prend la voie d’une jeune Diva en s’affirmant chahates et de la prosodie arabe. L’auteur essaie de en maîtresse par le charme éclatant d’une voix douce rendre agréable son songe rêvant des lieux imagi- et ensorcelante. A demi éveillé l’auteur de la qacida naires ou parfois de visions mystiques. nous embarque dans une rêverie quand soudain on Il sombre dans un état d’alanguissement auquel frappa à sa porte. Il se demanda qui pourrait venir en il n’est d’autres remèdes que la complainte. Il est cette heure tardive de la nuit ? presque dans une quête de spiritualité. Dans la poè- Il s’arma de son sabre et accueillit son visiteur avec tique du melhoun d’Abdeldjalil des paroles de bienvenue dans le strict respect de nos Mtired s’est cristallisé dans l’espoir d’une visite traditions islamiques. Alors qu’il lui prononça le salut inattendue. Il est ébloui par la lumière d’une bou- de paix, le visiteur ne répondit point au poète. Ainsi gie qui lui donne le reflet de cette femme scintillante commença l’énigme que laisse apparaître son visiteur. dont le désir rallume son souvenir. Il s’adressa à lui par ce vers devenant le refrain de la C’est l’aube qui cède au crépuscule obscur lorsque chanson : le visage de sa bien-aimée brilla comme un astre « Ya Dheïf Allah Red Ledjouab Sghali La Tahchem dans ce bel éclat d’une nuit qui couvrait sa passion. Wadjab Aslam » (Ô Invité de Dieu, écoutes-moi et Et comme dira Ibn Khattib : réponds à mon Slam). Le chantre allume alors sa bou- gie et invite son hôte de franchir la porte de la maison. Il fut surpris lorsqu’il découvrit le visage voilé de son * invitée. Merveilleuse fut cette surprise lorsqu’il aperçoit le « Ô mon soleil, ô pleine lune, ô ma lune nouvelle visage d’une créature féminine dont la beauté renvoie « Ô Yeux, lèvres de miel, charmes qui pénétrez à une Houri. Cette beauté exceptionnelle ne peut que Comme un souffle vital en mon âme étrangère ! s’abreuver de coupes de nectar qui ravivent une pas- Elle a visé, crié mon nom, lancé son trait sion et une sensation de charme et de séduction. Après Quand ce cœur fou d’amour romprait sous les efforts, plusieurs tentatives pour la faire parler, elle se décida Elle reste l’unique objet de ma ferveur. pour enclencher la discussion. Tant la femme adorée est exempte de torts ». Je suis de passage et c’est le destin qui m’a dirigée vers cette maison. Par l’hospitalité que vous m’offrez * je vous écrirais un talisman qui vous rendra richissime personnage. Il lui répliquera que lui aussi appartient à Pour revenir à Hasna qui a su interpréter avec brio la même secte qu’elle. Le masque tomba et il décou- cette chanson de Cheïkh Mtired dans une autre mélo- vrit que c’était sa bien-aimée qui lui rendait visite. Très die s’éloignant de l’interprétation traditionnelle, elle a heureux de la retrouver : rendu ce texte du melhoun plus éclectique et sublime.

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 89 ) www.memoria.dz Chansons du Terroir Histoire

La chanteuse Hasna Hini

Quant aux Mdayah, Hasna Nizhâm, par sa pureté et sa grande l’absence (Ghayba)et lorsque la nous émeut par ces chants soufis beauté, symbolise la sagesse divine rencontre se réalise, il y a une sorte qui nous rappellent Ibn El Arabi à et incarne l’Amour Divin qui d’extase, un ravissement où l’être travers son œuvre « Tourjouman Al anime tout l’univers. Tout ceci aimé se rapproche de Dieu.La Achwaq » (l’Interpréte des désirs ). est rapporté dans la traduction de pleine lune se lève dans la sombre Dans ses traces de lumière Ibn Al l’œuvre d’Ibn Arabi par Maurice nuit des cheveux, elle est plus Arabi nous parle des êtres aimés Gloton (Haqaïk Ilahyia). éblouissante que clarté de soleil. qui s’en vont lentement à l’aube. Ainsi la pleine lune symbo- Sur ses joues, la lueur du crépus- Il introduit le taschbih ou ana- lise (Attajalli) ou théophanie et la cule, c’est un rameau sur les dunes. logie dans une transcendance du sombre nuit (Addouja) représente Elle se dérobe sérieuse et se plait Beau et du Vrai du fait que les ce qui est Mystére. Le désir amou- à faire, jamais la nuit ne s’évanouit descriptions de la jeune iranienne reux (Shawq) se consume durant sans que le souffle frais de l’aube ne viennent lui succéder. Ô Lune dans le rose du crépuscule colorant ta joue, sous l’effet de la timidité, tu luis en te voilant à nous. L’orchestre que dirige le Maes- tro Smaïn Heni en réalisant l’har- monie de ce CD par l’interaction de sa cithare, rassemble Djedai Nacer à la Derbouka, Oukil Bena- cer au Tar, Amor Bouras, Silhat Nasreddine au Luth, Karim Bou- ras au Bendir, Kareb Ahmed, Bou- chaoui Mhamed, Zaarir Hocine au violon, Aït Ameur Mounir, Arup Aït Kaci, Hazem Djamel à la Man- doline, Djazouli Wahab, Karim Bouras Chorale.

Présentation et Commentaires Dr Boudjemâa HAICHOUR La boutique Ibn El Arabi Chercheur-Universitaire

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 90 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Par Hassina Amrouni Histoire On confond souvent Khemis Miliana et Miliana. Bien que d'une dépendant toutes deux du même chef-lieu de wilaya – Aïn Defla, en l’occurrence –, elles restent deux villes bien distinctes dont Ville chacune est marquée par son riche parcours historique.

Présence romaine ous avions déjà consacré un large Située à un peu plus de 100 km dossier à Miliana, la à l’ouest d’Alger, Khemis Miliana a belle du Zaccar, au- d’abord été conquise par les Romains Njourd’hui, nous allons tourner qui lui donnent pour nom Colonia Au- quelques nouvelles pages d’his- gusta avant de la baptiser Malliana. toire afin de mieux connaître

Khemis Miliana Mais de cette période de l’Histoire, il Khemis Miliana désignée par le ne reste plus aucune trace, les Fran- passé sous le nom d’Affreville ou çais ayant choisi de construire leur ville des Cinquante feux. ville sur les ruines de la cité romaine.

Période phénicienne Période musumlane

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 92 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Histoire Plaines de Khemis Miliana d'une Ville

Même si les manuels d’histoire n’évoquent guère le passé de cette région du temps des Romains ou même avant, il nous est impossible de croire qu’aucune âme vivante ne se soit établie dans cette région plus

tôt. Quoi qu’il en soit, la ville s’est Khemis Miliana forgée au fil des époques et a puisé sa force et sa richesse dans les dif- férentes civilisations étrangères qui s’y sont succédé. Selon l’historien Pline, Malliana ou Colonia Augusta était désignée par les populations locales (indigènes) sous le nom d’Azaliakar, ce qui, en langue amazighe, signifie le mont le plus élevé de la région. Selon les localités ou les tribus Azaliakar de- vient Azaliakeur ou Azakeur,… Marquée ou pas, la présence arabe dans la région sera absente dans les manuels d’histoire, idem Période turque

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 93 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville

pour la période d’occupation ottomane. Lorsque les troupes françaises ar- Pourtant, ce sont les Turcs qui utili- rivent dans la région, elles sont fas- cinées par les terres qui s’offraient

Khemis Miliana seront les pierres de Colonia Augusta pour ériger les murs de Madinat Sidi à elles, à perte de vue. Des terres Ahmed Benyoucef, en l’occurrence la qu’elles espéraient fructifier, en y se- toute voisine, Miliana. mant toutes sortes de graines dont les fruits des récoltes seraient exportés vers l’hexagone, voire dans d’autres pays d’Europe. Alors tout commence par cinquante feux, représentant les cinquante premières familles fran- çaises venues s’installer dans la région, constituant le premier noyau colonial. Originaires de Paris, elles sont expé- diées là par la France en 1848, dans le cadre des fameuses colonies agricoles. Une fois installés, les premiers

Mosquée Sidi Ahmed Benyoucef colons se lancent dans la culture du

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 94 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Histoire d'une Ville

Affreville, mûrier, palmiers nains et jujubier, ils capitale régionale du blé élèvent des vers à soie et fondent une magnanerie, entre le hameau de cin- Au fil des années, les colons finissent quante feux et Miliana, qui n’était alors, par s’habituer à leur nouvelle vie et au Khemis Miliana qu’un modeste douar arabe où l’armée climat de la région. Ils décident alors de française avait installé une petite garni- se lancer dans la culture du blé, afin de son. La même année, plus exactement, nourrir des millions de bouches outre- le 14 novembre, le général Lamoricière mer. D’ailleurs, quelques décennies décide de baptiser ce bourg Affreville, plus tard, Affreville deviendra l’une des du nom de Monseigneur Denis Auguste plus grandes gares du blé, contrôlant Affre, archevêque de Paris, mort sur les toute la plaine dotée de docks silos. Les barricades. Devenant ainsi une com- trains, notamment le train Alger-Oran, mune de plein exercice, Affreville est passent par la gare d’Affreville et y dotée d’un grand marché qui devient font un arrêt. Cela fait sortir la ville de un carrefour commercial pour toute la l’enclavement, voire de l’anonymat et région. La ville érigée au pied du Zaccar lui donne un statut particulier, faisant accueille après la révolte de 1848, un d’elle le centre d’une région de culture camp de détenus, déportés politiques. de céréales.

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 95 ) www.memoria.dz Histoire d'une Affreville, Khemis miliana dans les années 1950 Ville

Peu à peu, la ville prend toutes les allures d’une belle ville colo- niale, avec toutes les commodités (église, école,…) et loisirs (piscine, stade, cinéma, salle des fêtes…), nécessaires à une vie confortable pour les dizaines de familles de colons venues notamment d’Al- sace et de Lorraine pour grossir le noyau d’habitants initial. Khemis Miliana Un siècle plus tard, en 1948, à la faveur d’un premier recen- sement effectué, la population d’Affreville est de 12061 habi- tants dont 2082 Européens. Dix ans plus tard, ils seront 11 453 habitants dont 2 426 européens et 11 727 autochtones. Ce n’est qu’après l’indépen- dance, qu’Affreville devient Khe- mis Miliana.

Hassina Amrouni Sources : www.algermiliana.com/ standardstation.blogspot.com

Ancienne photo de la poste

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 96 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. M’hamed Bougara

Hassina Amrouni Histoire d'une Lors de la Révolution algérienne, plusieurs Khemissi ont été sacrifiés sur l’autel de la liberté parmi lesquels Si Belahcene Belkebir, Si Abdelkader Belsaâdi, Si Hamdane Kelkouli, Ville Si Mohamed Bouamrani mais aussi le colonel M’Hamed Bougara.

Si M’hamed Bougara n’a que 16 ans. Jeune et impétueux, il n’hésite pas à braver les dangers, conscient que la liberté ne s’arrache qu’au prix du sacrifice de ceux qui la désirent. Arrêté au lendemain des évé- nements du 8 mai 1945, il séjourne en prison, ce qui ne fera qu’accentuer sa rage envers le régime colonial. Une fois libéré, il n’hésite pas à devenir membre de l’Organisation Secrète (OS), mettant à nouveau sa liberté en péril puisqu’il sera arrêté en 1950 et placé en rési- dence surveillée jusqu’en 1954. Dès sa libération, il monte au maquis, au Djebel Amrouna dans la région de The- niet El Had, convaincu que sa place est là, parmi ses frères combattants, les armes à la main. Il gagne ses galons grâce à son courage, son abnégation et sa vaillance. En effet, nommé com- mandant en 1956, il prend part en août de la même année, au Congrès de la Soummam, en tant que membre de

Khemis Miliana la délégation de la Wilaya IV. Sa ren- contre avec quelques-unes des figures ssu d’une modeste famille, origi- de proue de la révolution de l’époque naire de Titest en Petite Kabylie, telles que Abane Ramdane, Larbi Ben Ahmed Bougara dit Si M’Hamed a M’hidi, Amirouche et Krim Belkacem vu le jour le 2 décembre 1928 à sera déterminante pour la suite de son KhemisI Miliana où son père, employé parcours révolutionnaire. Quant à celle des P.T.T., dans les années 1920, avait du colonel Ammar Ouamrane, elle le été muté. Cadet d’une fratrie de six mettra sur la trajectoire du comman- enfants, M’Hamed entame ses études dement de la Wilaya IV. dans sa ville natale puis rejoint Alger Si M’Hamed Bougara jouera un grand pour une formation technique, suivie rôle dans l’organisation de la Wilaya IV d’un cursus au sein de l’université Zei- et sera associé à plusieurs événements, touna de Tunis (en 1946). visant la dynamisation des maquis de D’abord membre actif des Scouts l’ALN et le renforcement des capacités musulmans algériens, il rejoint ensuite militaires d’autres régions, notamment, les rangs du PPA-MTLD, alors qu’il dans les Wilayas V, I, etc. En fait, le

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 98 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Histoire d'une Ville

De dr. à g. : Ben Ali, Si Ahmed Bougara, Bachir Rouis, Med Bounaâma, Omar Ben Mahdjoub, Si Belahcen Belkbir

colonel M’Hamed Bougara jouissait d’une grande aura qui faisait que son auto- rité allait bien-au-delà les frontières de la Wilaya IV qu’il présidait et qui s’éten- dait des Issers dans l’actuelle wilaya de Boumerdès, jusqu’au massif de l’Ouarse- nis, en passant par la plaine de la Miti- dja, les monts du Zaccar au nord et Ksar-Chellala au sud. Encourageant sans cesse ses troupes à s’engager pleine- ment pour la cause algérienne, même

au péril de leur vie, il répétait souvent Khemis Miliana qu’ « il faut épouser une cause juste et lutter pour la justice, sans chercher de récompense, sans chercher à savoir s’il y en a une ». Il s’adressait également aux nouveaux citadins et lettrés qui re- joignaient les maquis de l’ALN, en leur disant : « Vous qui venez des villes, qui avez des diplômes, qui disposez d’une éducation acquise sur les bancs de l’uni- versité ou du lycée, vous serez étonnés de ce que vous apprendrez auprès de votre peuple, car l’enseignement acquis à l’école du peuple n’est dispensé par aucune université. Apprenez-leur ce que vous savez, mais apprenez aussi tout ce qu’ils savent ! Vous en serez étonnés. » A droite Si M’hamed Bougara

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 99 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville les djounoud. Un mystère planait ; les Ultime combat combattants encore vivants, revenus sur les lieux de l’accrochage retrouvèrent les Alors qu’il a su faire face à plusieurs corps de tous leurs compagnons morts opérations militaires de l’armée colo- au combat, qu’ils enterrèrent, sauf celui niale, à Blida ou Khemis Miliana avec de Si M’hamed. » Bien que les Français une rare maîtrise, le colonel Si M’Hamed tentent de semer la discorde au sein des Bougara sera engagé dans une ultime rangs des combattants de l’ALN faisant bataille le 5 mai 1959 à Ouled Bouachra, croire à un complot interne, il s’avère- près de Médéa. ra que le colonel Bougara a été fait pri- L’affrontement sanglant se soldera sonnier et torturé. Dans un tract, il est par d’importantes pertes humaines tant expliqué que, « blessé lors de la bataille du côté algérien que du côté français. Au de Ouled Bouachra, Si M’hamed a été lendemain de la bataille, les moudjahi- fait prisonnier par les troupes du colonel dine reviennent sur les lieux afin d’en- Challe et mourra sous la torture ». Son terrer leurs morts, cependant, le corps corps demeure jusqu’à ce jour introu- du chef de la Wilaya IV demeure introu- vable. vable. Dans son ouvrage intitulé Frères La Fondation de la Wilaya IV, présidée contemplatifs en zone de guerre : Algé- par le colonel Si Hassan, a vainement rie 1954 : 1962 Wilaya IV, Si Mohamed tenté de réclamer les restes du chahid, Teguia témoigne de cet épisode doulou- du temps de la mandature de Chirac reux : « La disparition du colonel Si M’ha- mais cette requête n’a reçu aucun écho. med, au sens propre et au sens figuré, car son corps ne fut pas retrouvé, fut un Hassina Amrouni coup rude pour l’état-major de la wilaya, Sources : http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/05/06 dont il représentait l’élément d’équilibre, www.algermiliana.com/ celui qui se conformait le plus aux prin- standardstation.blogspot.com

Khemis Miliana cipes d’équité, de sagesse ; sa perte, en ce temps trouble, ne fut pas connue par

En médaillon chahid Si M’hamed Bougara et ses compagnons d’armes

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 100 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Hassina Amrouni Histoire d'une Ville

Khemis Miliana qui a pris une part active à la guerre de libération nationale a offert en sacrifice pour l’Algérie ses plus jeunes et ses plus vaillants enfants.

Stéle du martyr à Khemis Miliana

utre le colonel M’Hamed med (1935-1958), Messous Benaissa Bougara, chef révolution- (1941-1961), Belmechri Ahmed et Aïs- Khemis Miliana naire et martyr sans sépul- sa, Hadj Ahmed Djilali (1935-1960), ture, ils sont nombreux à Mazouz M’Hamed (1929-1961) et son êtreO tombés pour la liberté. Pour les frère Ahmed (1938-1961), Noura Ali, Khemissi, en particulier et les Algé- Dis Saïd, Ouedani Benaissa (1940- riens, en général, ces martyrs ne 1960), Benmira Boukritaoui M’Hamed peuvent être oubliés car ils ont donné (1933-1959), Braham Djelloul Ab- leur vie en sacrifice pour que vive l’Al- delkader, Belkebir Abdelkader Kosa, gérie libre et indépendante. Chaichi Abdelkader (1936-1958), Ghi- Belsaâdi Abdelkader dit « Belaredj da Benyoucef (1927-1957), Djitli Mus- » (1919-1957), Boukera Abbaci Moha- tapha (1936-1956), Gherbi Mohamed med (1941-1960), Skiken Abdelka- (1939-1961), Kouidri Filali Ahmed, der (1933-1957), Messous Mohamed Larbi Bouamrane Mohamed (1939- (1934-1957), Malki Serhane (1927- 1961), Ramadlia Abdelkader (1938- 1961), Halaimi Mohamed (1931-1961), 1960), Boucheffa Saïd (1927-1961), Messaoudi Ahmed (1907-1958), Bou- Ahmed Zouaoui Djelloul (tombé au kerra Abbaci Ahmed, Larbi Moha- champ d’honneur en 1959), Kadaoui

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 102 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Histoire d'une Ville Mohamed (1933-1960), Kerdjili Djilali Les soldats étaient à la recherche (1934-1959), Ghida Benyoucef (1927- d’armes dans le but d’incriminer mon 1957), Messaoudi Ahmed (1907-1958), père, absent ce jour-là. Ma mère tenait Gacem Mohamed dit « Guessoum », dans ses bras mon frère encore bébé. les frères Hadji Mohamed et Ahmed, Sentant le danger imminent, elle eut Kacedali Ahmed, Djaâdane Abdelka- juste le temps de cacher l’arme dans der dit « Ouahrani » figurent sur la le lange du nourrisson. Les soldats longue liste des martyrs de la région, avaient tout essayé pour obtenir des tous tombés au champ d’honneur, les renseignements ; en vain, car ma armes à la main, la plupart à la fleur mère, très sûre d’elle, leur avait tenu de l’âge. tête. » Dès le déclenchement de la guerre Madjen Kheira, de libération nationale, Kheira n’hésite « la mère des martyrs » pas à endosser le rôle d’agent de liai- son. Elle se voit, pour cela, confier dif- Originaire du douar Lira, dans la férentes tâches comme le transport commune de Djelida au sud de la wi- d’armes en compagnie de ses enfants laya de Aïn Defla, où elle a vu le jour en Mohamed et Baghdad. 1915, la petite Kheira apprend l’arabe Le domicile devient également un et le Coran au sein de la zaouïa pa- lieu de rencontre pour les moudjahi- ternelle. C’est au sein de cette famille dine de la Wilaya IV. Soupçonné d’acti- conservatrice mais aussi nationaliste vités politiques, Messous est arrêté le que la petite fille acquiert la notion de 6 novembre 1956 et condamné à deux patrie, de justice et de nationalisme. A ans de prison. Ce qui ne fait qu’attiser 17 ans, elle épouse Benaïssa Messous, la hargne et la haine de sa femme et de propriétaire d’une entreprise de maté- ses enfants envers le régime colonial

riaux de construction à Khemis Miliana et de les encourager à continuer leur Khemis Miliana et militant du PPA et du MTLD. Bien engagement pour la cause nationale. qu’il mène une vie confortable, Be- A peine âgé d’une vingtaine d’années, naissa Messous ne se sent pas moins Mohamed le fils aîné de Kheira et Be- très concerné mais aussi très impliqué naissa est à son tour arrêté à Boufarik, dans la vie politique. Pour sa part, son transportant des armes dans la roue épouse voit ses convictions nationa- de secours. listes se renforcer au contact de cet Sa sœur Fatma se souvient encore autodidacte plein de fougue et de cou- : « Mohamed, chauffeur au sein de rage. Le domicile du couple ne tarde l’entreprise de mon père, était chargé pas à être à surveillé par l’armée colo- de transporter et de livrer des armes niale et leurs allers et venues pistés. sur l’axe Khemis Miliana-Alger. Soup- Cependant, à partir des événements çonné, il fut arrêté à Boufarik où les du 8 mai 1945, les perquisitions et les soldats lui intimèrent l’ordre d’éven- descentes de police se multiplient. La trer un à un les sacs de ciment qu’il fille du couple se souvient : « Un jour, transportait, pensant que les armes la villa fut fouillée de fond en comble. s’y trouvaient. Déçus et très en colère,

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 103 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville ils le tabassèrent, le laissant au bord de jettent ensuite son manteau taché de la route dans un état semi-comateux. » sang sur les prisonniers, dont son frère L’acharnement des militaires fran- Baghdad. Le jeune Bénaïssa, à peine çais contre Kheira et sa famille ne prend âgé de 15 ans est à son tour arrêté, pas fin pour autant. En 1957, elles sont torturé. Après un séjour à la prison de nombreuses fois torturées par les de Lalla Aouda, à Orléansville, Chlef hommes du sinistre Bigeard qui es- actuellement, il est contraint à l’exil pèrent à chaque fois, les faire craquer dès sa sortie mais il choisit le front. Il et leur soutirer de précieuses informa- tombe en 1961 dans une embuscade tions. Kheira subit l’abjection coloniale du côté de Oued Bda (ouest de Aïn De- à répétition. Sa fille raconte à ce sujet fla), puis fusillé. Mohamed meurt sous : « Un jour, lors de leurs nombreuses la torture. incursions, ma mère eut juste le temps Le 23 août 1961, veille du Mawlid En- d’arracher un drap rose étendu à la nabaoui, Kheira décide de procéder à terrasse pour se voiler et fuir les pieds la circoncision de son jeune fils Ahmed. nus. » Une scène déchirante pour la Mais la sinistre organisation terroriste, petite fille qui n’a, alors que 8 ans. l’OAS, décide d’en finir avec cette fa- Soupçonné de collecter des armes mille de valeureux combattants. Après pour l’ALN, le fils Baghdad est lui aussi avoir encerclé la maison, elle fait ex- torturé à plusieurs reprises, souvent ploser les murs. La grand-mère meurt, sous le regard de sa mère. Les scènes ensevelie sous les décombres, Aïcha et Fatma seront blessées et garderont de tortures se déroulaient souvent au des séquelles indélébiles de cet acte domicile familial. Une horreur. Aïcha, terroriste. Quant à Kheira, gravement l’aînée des filles et bras droit de sa atteinte, elle succombe à ses blessures mère, subissait maints harcèlements. à l’hôpital de Miliana. De peur d’un sou- Au mois d’octobre 1957, Mohamed Khemis Miliana lèvement populaire, la martyre sera vient voir sa mère après une longue enterrée à 10 heures, dans l’urgence, absence, tout en l’informant qu’il fait sans attendre la prière du dohr. Ce l’objet de recherches de la part de l’ar- jour-là, la ville de Khemis Miliana était mée coloniale, elle le prie de repartir quadrillée, y compris le domicile mor- mais sur le chemin le conduisant à la tuaire, et l’armée coloniale avait pris gare, il rencontre l’une de ses connais- position de la maison des Messous sances qui lui demande de l’accompa- jusqu’au cimetière. gner au magasin de son père, situé à Pour pérenniser le souvenir de cette l’ex-rue Richard-Le-Noir, aujourd’hui, Grande Dame de la révolution algé- avenue du 1er Novembre 1954. C’était, rienne, le nom de Kheira Madjen a été en réalité, un piège puisqu’une fois sur donné à une école. L’ex-boulevard du place, les soldats l’attendaient. Il est Sud, quant à lui, porte le nom des embarqué et conduit vers une ferme Frères Messous. à Aïn Soltane, près de Khemis Milia- Hassina Amrouni na. Torturé à mort, il rend son der- Sources : http://el-khemis.blog4ever.com/ nier souffle dans la nuit. Ses assassins El Watan du 7/11/2004

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 104 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Par Hassina Amrouni Histoire d'une Ville

On ne connaît pas beaucoup de choses sur les origines de Sidi Boudergua, peu de travaux de recherches lui ayant été consacrés.

Sidi Boudergua

e qui est certain, c’est que Soumata (dans la wilaya d’El Affroun), celui qui était également est connu pour avoir farouchement appelé Sidi Boutriq, combattu les troupes turques qui, à Khemis Miliana Soumata ou Soufay, naquit son époque, ne cessaient d’asservir auC début du XVIe siècle, entre 1490 les populations autochtones. et 1510 et mourut aux alentours de En effet, dès son arrivée sur les 1560 ou 1580. terres d’El Djazaïr, l’empire ottoman Bien que son tombeau, situé à déploya ses hommes dans toutes Khemis Miliana, soit visité par de les villes et villages qui leur étaient nombreux fidèles, beaucoup disent accessibles. Installés dans leurs que ce n’était pas un véritable citadelles construites sur des terres saint. Cependant, ses qualités de appartenant à des Algériens qui chef militaire, sa grande sagesse se retrouvaient ainsi spoliés de et sa bravoure faisaient de lui un leurs biens par la force, les beys et personnage très respecté et très aghas imposaient leur hégémonie à écouté par sa communauté. une population sans défense, qu’ils Maître des routes, d’où son surnom appauvrissaient chaque jour un peu « Sidi Boutriq », Sidi Boudergua, plus, en lui imposant toutes sortes que l’on dit originaire de la tribu des de taxes et d’impôts. Et gare à ceux

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 106 ) Supplément N°52 -Déc./Janvier 2017. Histoire d'une Ville qui osaient réclamer leurs droits, ils il s’était signalé souvent et pendant s’exposaient aux pires châtiments. longtemps dans la paix et dans la Certains rois étaient plus féroces que guerre. Il s’était fait surtout connaître d’autres et leur despotisme était sans pour son habileté et son courage au limites. moment où l’empereur Charles Quint Après le départ pour Constantinople avait assiégé Alger. Il était alors en 1533 de Kheireddine Barberousse, capitaine général de la milice et les premier gouverneur d’Alger, ce dernier Turcs avaient été en grande partie laisse le commandement d’Alger à redevables de leurs succès à ses soins Hassan Agha. Ce dernier n’hésite pas et à ses conseils. » à lancer des expéditions sur les côtes et les îles espagnoles et italiennes, Sidi Boudergua décide d’où il ramène un gros butin. Grâce de se rebeller à sa victoire contre Charles Quint lors de son expédition punitive sur La nouvelle de la mort de Hassan Alger en 1541, il obtient le ralliement Agha réjouit plus d’un car il était de certaines tribus en Kabylie, dans autant haï que craint. Mais bien que le Hodna, le Constantinois et le Zab, son successeur jouisse d’une certaine tandis que d’autres refuseront de lui respectabilité, il n’en demeura pas faire allégeance. C’est le cas du roi du moins un envahisseur qu’il fallait royaume de Koukou Ahmed Ben El- combattre. Kadi qu’il décide châtier en organisant « Au moment où la nouvelle de une expédition punitive en avril 1542. la mort de Hassan Agha parvint aux Face à une armée de 6000 hommes, tribus de l’intérieur qui le redoutaient le roi de Koukou n’a pas d’autre choix extrêmement, il existait un cheikh que se soumettre à Hassan Agha, nommé Sidi Boutereque, prince de

payant un tribut en argent et en bétail. nombreux Arabes, voisins de Miliana, Khemis Miliana Hassan Agha lance l’année d’après ville située à un peu plus de douze une autre expédition sur Tlemcen. Son lieues à l’ouest d’Alger ; les douars et armée de 14000 hommes réussit sans les tentes de cette tribu se trouvent grande résistance à faire soumettre aux bains de Hammam-Ri’ra. Ce le roi Moulay Ahmed. A son retour de cheikh crut que l’occasion était bonne Tlemcen, il tombe gravement malade, pour accomplir ce que beaucoup son remplaçant est tout désigné. d’Arabes désiraient depuis longtemps, Selon Diego de Haëdo : « Le jour c’est-à-dire pour se révolter contre même de la mort de Hassan Agha, les les Turcs qui les opprimaient et les Turcs et les janissaires d’Alger, sans maltraitaient continuellement. En attendre que le Sultan leur eût envoyé conséquence, il réunit vingt mille un roi, élurent d’un commun accord Mores, cavaliers ou fantassins, tant un des principaux d’entre eux, qu’on parmi les siens que dans d’autres appelait El Hadji, c’est-à-dire le pèlerin tribus qu’il avait excitées à se joindre (…). Celui dont nous parlons était très à lui, et marcha sur Alger à la tête respecté et très populaire à Alger où de cette armée à la fin mars 1544.

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 107 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville Il s’avança en pillant, en détruisant près, tenaient les Turcs bloqués tout, coupant les chemins, et inspira dans Alger. Il sortit à la fin du mois une si grande terreur aux Algériens de mai avec quatre mille Turcs ou que personne n’osait plus sortir de la renégats armés de mousquets, cinq ville. » (*) cents Andalous ou Spahis algériens. En fait, Sidi Boudergua ou Sidi Il donna le commandement au caïd Boutreque qui avait secrètement Rabadan et nomma capitaine général préparé cette révolte avait rallié à son de l’infanterie un brave renégat sicilien combat la tribu des Soumata dont il nommé Catania, natif de Catane (…). Le était originaire mais aussi celles des pacha s’avança avec tout son monde, Beni Menacer et Beni Menad qu’il n’eut bien décidé à mettre Boutereque à aucun mal à convaincre de la justesse la raison ; la rencontre advint à huit de sa mission. lieues d’Alger et quatre de Miliana, au C’est alors que le caïd nommé pied d’une montagne qu’on appelle au commandement de la garnison Mata (très probablement Soumala, un de Miliana décida de relever le défi peu au-delà d’El Affroun). La bataille et d’affronter Sidi Boutereque avec commença et les Turcs firent un grand seulement une quarantaine de carnage des Mores, ayant beaucoup janissaires armés de mousquets. de mousquets contre un ennemi qui Les tentatives de Hadji Pacha pour ne combattait qu’avec la lance et le le retenir furent vaines, aussi « il bouclier. L’armée de Boutereque fut n’avait pas fait un jour de chemin que battue et mise en fuite, et les Turcs Boutereque, prévenu de sa marche, poussèrent l’ennemi si vivement que se porta sur lui et le massacra avec leur chef fut forcé de s’enfuir à Fez tout son monde ». ayant tout perdu. » Sidi Boudergua continua sa marche Reçu avec respect et déférence par Khemis Miliana sur Alger à la tête de son armée vers la le sultan de Fès, Moulay Mohammed fin du mois de mars 1544, détruisant Cheikh Cherif, qui lui reconnaissant sur son passage tout ce qui pouvait ses hautes qualités militaires l’entraîna symboliser la présence turque, puis avec lui dans plusieurs batailles. C’est entreprit le siège d’Alger pendant deux d’ailleurs lui qui « l’amena avec lui, dix long mois. Une période trop longue ans plus tard, quand il s’empara de pour ces paysans qui s’inquiétaient Tlemcen ». tant pour leurs familles et leurs terres Lorsqu’il décède, Sidi Boudergua mais surtout épuisés par les difficultés sera enterré dans sa région et son d’approvisionnement des 20 mille tombeau se trouve aujourd’hui, à la hommes en eau et en nourriture. sortie nord-est de Khemis Miliana. « Cet événement hâta le départ de Hassina Amrouni Hadji Pacha qui avait déjà rassemblé Sources : une armée pour aller châtier les *Diego de Haëdo, « Histoire des rois d’Alger », GAL éditions, Alger 2004, pages 235 (réedition) Arabes qui, depuis deux mois à peu http://www.algermiliana.com/

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