Alphonse Daudet Et La Provence. Thèse Pour Le Doctorat D'université
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
THÈSE POUR LE DOCTORAT FACULTÉ DES LETTRES DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS ALPHONSE DAUDET ET LA PROVENCE THÈSE POUR LE DOCTORAT D'UNIVERSITÉ PRÉSENTÉE PAR Alexander KRUGLIKOFF M. A. University of Manitoba PARIS JOUVE & Cie, ÉDITEURS 15, RUE RACINE, 15 1936 La Faculté n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les Thèses; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. TO MY FATHER AND MOTHER ALPHONSE DAUDET ET LA PROVENCE AVANT-PROPOS Le succès des romans de mœurs parisiennes d'Alphonse Daudet, les relations espacées qu'il a eues avec son pays natal, le fait qu'il a vécu presque toute sa vie à Paris, qu'il l'a adopté et qu'il a été adopté par lui, ont souvent fait ou- blier à ses critiques l'importance prépondérante de l'élé- ment provençal dans sa personnalité. Nous nous proposons, dans cette étude, de mettre en lumière, par un examen minu- tieux de ses œuvres et de toute la matière critique et documen- taire à notre disposition, cet élément que nous considérons comme la base virtuelle de sa vie et de son art, d'expliquer l'homme et son talent par ses origines méridionales. Nous mon- trerons d'abord le rôle important que joue la Provence dans le développement et l'évolution de son caractère et de son art ; nous préciserons ensuite l'importance de son œuvre d'inspiration provençale, et nous considérerons la description qu'il nous a laissée de son pays et de ses compatriotes ; et enfin nous essaierons de retrouver le Provençal dans l'homme et dans l'artiste. Partout nous insisterons sur l'importance et le rôle essentiels de cet élément provençal. Au mois de juin dernier, la France et le monde des lettres tout entier se réjouissaient à l'occasion de l'inauguration du musée Alphonse Daudet qui se trouve aménagé dans un des vieux moulins sur les collines qui dominent Fontvieille. On a alors chanté la beauté et le charme de l'œuvre de ce Pro- vençal qui est une des gloires de la littérature française. Qu'il soit permis à un jeune Canadien — d'autant plus sensible à ce charme et à cette beauté qu'il les a lui-même perçus et comme respirés dans l'atmosphère où ils ont pris naissance, pendant un séjour mémorable dans le pays des cigales — qu'il lui soit permis d'ajouter ses humbles louanges, avec toute son admiration sincère et émue, fruit de deux ans de constante communion avec ce poète de la vie et de la lumière. Notre travail terminé, nous tenons à exprimer tout d'abord notre profonde et sincère gratitude à M. Albert Pauphilet, Professeur à la Sorbonne, notre directeur de travail, pour l'accueil bienveillant qu'il nous a toujours réservé, pour les conseils et les sûres directives qu'il nous a prodigués ; à M. Firmin Roz, Membre de l'Institut, Directeur de la Maison Canadienne à Paris, pour l'intérêt si personnel qu'il a pris à notre travail, pour ses nombreux et précieux conseils ; à M. Léon Daudet, et surtout à M. Lucien Daudet, fils de l'au- teur, pour les renseignements et précisions utiles qu'ils ont bien voulu nous transmettre, et enfin à l'Université de Mani- toba et au Gouvernement français qui nous ont fourni les moyens de poursuivre nos recherches à Paris. A. K. Paris, le 20 avril 1936. PREMIÈRE PARTIE L'Influence de la Provence sur la Formation et l'Évolution du Caractère et de l'Art d'Alphonse Daudet A. — ORIGINES ET ENFANCE 1. Sa famille. — Les Daudet. Les Reynaud. Ses parents. Son héritage : les deux aspects du caractère provençal. 2. Son enfance. — Foyer malheureux. Nîmes. Distractions du dehors. Dévelop- pement des qualités maîtresses de son caractère. Premières années d'école. Bezouces : introduction à la vraie Provence. 3. Son adolescence. — Séjour à Lyon. Ses études. Ses goûts littéraires. Influence de Lyon sur son développement. Désorganisation du foyer familial. Alès, son « bagne ». Alphonse Daudet était méridional de naissance. Son tem- pérament, son caractère personnel et artistique, sa vie entière furent modelés par le milieu où évolua son enfance et gar- dèrent toujours l'empreinte de leur origine. Nous allons essayer, dans les quelques pages qui suivent, de préciser et de dégager les principaux éléments de cette influence incon- testable, qui se trouve à la base même de sa vie et de son art. Le nom de Daudet est assez répandu dans le Languedoc. Ernest Daudet, le frère d'Alphonse, après des recherches minutieuses (1), a constaté que la branche d'où sa famille est issue est originaire de Coucoules, un petit village près de Villefort, dans la Lozère. Le grand-père paternel d'Alphonse, Jacques Daudet, qui était de souche paysanne, fils de gens rudes, hardis, venus des montagnes cévenoles, s'était installé à Nîmes avec son frère Claude, comme tisseur de soie. C'était aussitôt après la Révo- lution : Claude, ardent royaliste, fut massacré en 1790 ; son frère, non moins impétueux, non moins royaliste que lui, réchappa et réussit plus tard à se faire un nom dans les affaires. 1. Ernest Daudet, Mon Frère et Moi, Paris, 1882, in-16, chapitre I. Vincent Daudet, père d'Alphonse, était le quatrième enfant de ce brave tisseur qui garda toujours les passions vives de ses montagnes sauvages. Très jeune, ayant un minimum d'ins- truction, il entra dans les affaires de son père. Tout feu, tout flamme, il parcourut une grande partie de la France en qua- lité de représentant de la firme paternelle. Mais il avait « la cervelle fumeuse, comme il y en a beaucoup dans le Midi, et particulièrement à Nîmes » (1), et ne possédant pas le sens des affaires aigu et perspicace de son père, il changea conti- nuellement de métier. « C'était », nous dit notre auteur dans l'autobiographie un peu romancée qui est la première partie du Petit Chose, « c'était dans l'habitude une nature enflam- mée, violente, exagérée, aimant les cris, la casse et les ton- nerres. » (2) Au fond, un homme droit, honnête, aux convic- tions inébranlables en matière de religion et de politique (il était catholique et royaliste), qui souffrait profondément des résultats fâcheux, voire des revers de fortune successifs que ses idées fougueuses et chimériques suscitaient à sa famille. En 1830, Vincent Daudet épousa Adeline Reynaud, dont le père était le chef d'un établissement important de soieries avec lequel les Daudet étaient en relations commerciales. Les Reynaud aussi étaient d'une vieille famille méridionale, d'une race forte et courageuse qui venait des montagnes de l'Ardèche. Un frère du grand-père maternel de Daudet, « l'oncle Guillaume de Russie », mena une vie des plus aven- tureuses. Il s'en alla à Londres où il fit fortune, puis il émigra en Russie d'où, pour des raisons politiques, on le déporta en Sibérie, et ce ne fut que par pur hasard qu'il put rentrer en France sain et sauf ; une fois de retour, cet homme extraor- dinaire rétablit ses affaires qui prospérèrent de plus en plus. Un autre frère, « l'oncle abbé », émigra en Angleterre et ren- tra sous le Consulat ; un troisième mourut en soignant les cholériques. Si Antoine Reynaud, le père d'Adeline, ne suivait pas la vie un peu désordonnée de ses frères, c'était en partie à cause de l' influence prédominante de sa femme, une plébéienne au sang chaud, royaliste convaincue — elle fut traquée à travers les champs par les gendarmes de la République — au tem- 1. Henri d'Alméras, Avant la Gloire, 1 série, Paris, 1902, in-18, p. 50. 2. Le Petit Chose, p. 12 (Fasquelle). pérament vigoureux et à l'esprit de décision peu commun chez les femmes. Adeline Reynaud, sa fille, ne ressemblait guère à cette mère ardente et orageuse « C'était une personne mince et frêle », écrit Ernest Daudet, « avec un teint olivâtre et de grands yeux tristes, dont une enfance maladive avait retardé le déve- loppement physique ; une nature rêveuse, romanesque, pas- sionnée pour la lecture, aimant mieux vivre avec les héros des histoires dont elle nourrissait son imagination qu'avec les réalités de la vie. » (1) Son mariage la changea peu. Elle donna naissance à dix-sept enfants dont Alphonse ne connais- sait qu'Ernest, le frère abbé et une fille. Pour échapper aux désillusions de sa triste vie de ménage, elle se réfugiait dans la lecture et dans une piété fervente. Telles furent les origines d'Alphonse Daudet. Nous allons retrouver, dans le développement de son caractère, l'influence nette et bien marquée de ses aïeux, la sensibilité fine de sa mère, la vivacité méridionale, les excentricités bruyantes de son père, son tempérament ardent qu'il ne put réprimer qu'avec beaucoup de difficultés dans sa maturité. N'y a-t-il pas, chez ce lointain parent que fut Guillaume, l'oncle de Sibérie, dont la vie si aventureuse se déroula d'un bout à l'autre de l'Europe, « un peu du tzigane que sera Daudet à son printemps, livré aux inspirations du moment, errant comme la feuille que le vent emporte » ? (2) Ne verrons-nous pas, dans l'idéalisme enthousiaste du jeune romancier, et dans la verve satirique, mordante et poussée de l'artiste mûr, les passions violentes de cette race cévenole de royalistes et de catho- liques exaltés, dont étaient la grand'maman Reynaud, Claude et Jacques Daudet ? C'est donc par sa naissance que Daudet a hérité des deux aspects du caractère de la race méridionale — de sa poésie fine et gracieuse, et de son enthousiasme mâle et hardi. Nous verrons plus tard comment ces deux éléments, de nature si opposée, se trouveront renforcés par degrés, et fusionneront enfin dans le plein épanouissement de son talent.