Exode de 1939 A tous les habitants de TETERCHEN qui ont subi les aléas de l'évacuation,

A SAULGE Terre d’ Accueil

A Jean Poncelet … Introduction

Le 3 septembre 1939 à 17h, la , à l'exemple de l'Angleterre, déclare la guerre à l'Allemagne, dont l'armée a, deux jours plus tôt, franchi la frontière polonaise sans déclaration de guerre préalable. En France, c'est le début de la " Drôle de Guerre ". La population n'est qu'à moitié surprise de ce dénouement. Certes, les accords de Munich ont laissé l'espoir d'une paix acquise, mais chacun suppose que les prétentions d' Hitler ne s'arrêteront pas là. Partout, on parle de la guerre.

Toutefois, une partie de la population frontalière est directement touchée par cette nouvelle situation. En effet, si elle se veut rassurante, La ligne Maginot à des conséquences directes pour les gens habitant à l'avant de cette dernière. Construite à partir de 1929, la ligne Maginot est la réponse logique d'une conception défensive élaborée dès l'Après Grande Guerre par les responsables politiques et militaires. L’arrondissement de Boulay se transforme en l’une des régions les plus puissamment fortifiées : 9 entreprises exécutants sur un front de 25 km. La construction de casemates, des travaux auxquels sont occupés jusqu’à 7000 ouvriers.

L'hypothèse d'un futur conflit avec le voisin allemand n'est pas totalement écartée. C'est dans cette optique que le 17 janvier 1929, le ministre de la guerre, Paul Painlevé, arrête le projet définitif d'organisation défensive des frontières du Nord-Est et du Sud-Est, et le fait approuver par le Président du Conseil, Raymond Poincaré. Toutefois, ce projet de loi reste rattaché dans la mémoire collective à son successeur, André Maginot, qui le présente à l'assemblée le 28 décembre.

La construction d'une ligne fortifiée va soulever un problème. Souhaitant se prémunir d'une attaque potentielle de l'Allemagne, mais également soucieux de ne pas provoquer d'incidents diplomatiques, il est décidé que cette ligne défensive sera édifiée à une dizaine de kilomètres à l'intérieur des frontières. Ainsi, pour le seul département mosellan plus de 200 communes se retrouvent agglutinées entre la frontière franco-allemande et cette fameuse ligne Maginot. Pire encore, au printemps 1936, Hitler décide la construction sur la frontière allemande, face à la France, d'un ensemble fortifié allant du Luxembourg à la frontière Suisse: La ligne Siegfried ou Westwall qui sera achevée en mai 1938. Ainsi les populations françaises et allemandes se trouvant à l'avant de ces deux lignes risquent d'être prises entre deux feux.

Dès lors, afin de préserver la population de ces communes, mais aussi afin d'éviter la cohabitation entre civils et militaires durant une guerre pensée comme une guerre de position, et dans le but de faciliter la concentration et les manœuvres des troupes, les autorités politiques, en liaison avec les autorités militaires, s'appliquent à élaborer plans et instructions devant permettre d'organiser de manière ordonnée l'évacuation de cette zone avant, ou zone rouge, dès les premiers dangers pressentis. L'entreprise est donc colossale. Il faut, dans un laps de temps très court, évacuer 210.000 ressortissants des arrondissements de , , Boulay et pour le seul département de La qui, en 1939, compte environ 700.000 habitants. Le Projet concret

L'évacuation de cette zone rouge n'est pas décidée sur un coup de tête, du jour au lendemain. Elle est le fruit d'instructions, plans, circulaires successifs, maniés et remaniés, émanant autant de l'autorité civile que militaire. Dans l' Entre-Deux guerres, l'éventualité d'un nouveau conflit avec le voisin allemand n'est pas écartée. Dès 1926, tenant compte du déficit démographique engendré par le premier conflit mondial, l'état-major français opte pour la stratégie défensive. Ceci se traduit par l'élaboration d'une organisation défensive des frontières, qui se matérialise par l'édification, entre 1929 et 1936, de la ligne Maginot. Parallèlement et avant même l'option de la stratégie militaire avancée, on se penche sur l'élaboration d'un plan de protection contre les bombardements aériens. Il s'agit surtout de protéger des attaques aériennes les principaux centres économiques, notamment ceux de la région Nord-Est. Au fil des années, le champ des préoccupations va évoluer vers une protection totale des ressources et des populations qui risquent d'être menacées. On envisage les possibilités d'évacuation vers l'intérieur des habitants dont la présence serait inutile ( enfants, personnes âgées, malades hospitalisés … ) ainsi que le repli des personnes pouvant travailler pour la défense nationale. Le terme de " repliement " risquant de déclencher un vent de panique, il est présenté comme une mesure limitée dans le temps et l'espace, applicable en dernier recours seulement.

La dégradation accélérée de la situation internationale engendre l'élaboration d'une succession de plans qui vont davantage s'adresser à cette population de la " zone rouge ". En effet, un tel repli des régions frontalières, dès le début d'un conflit potentiel, engendrerait des difficultés d'organisation et d'exécution. On envisage donc une préparation tatillonne dès le temps de paix, pour éviter un mouvement chaotique et désorganisé. Tous les degrés de l'administration tendent dès lors vers cet objectif. Autre problème posé par le repli ferme: le risque de propagation de l'information. Alors que le voisin allemand n'hésite pas à impliquer la population et a entretenir une véritable " psychose de guerre ", le gouvernement et l'armée française, afin d'éviter de jeter le trouble dans la population, souhaitent garder toutes ces mesures préventives secrètes. En outre, à la veille de la seconde Guerre Mondiale, une inquiétude particulière anime les dirigeants français: la présence d'espions à la solde du IIIe Reich. Or, si les plans développent le concept de protection des personnes et des ressources, c'est bien pour éviter que ces dernières tombent entre les mains de l'ennemi. L'implication des autorités militaires ne fait que conforter l'option du secret. Ces dernières redoutent que des informations portant sur l'organisation défensive du territoire filtrent de l'autre côté de la frontière. Mais, lorsque le secret commence à entraver l'organisation d'une éventuelle évacuation, la décision est prise de lâcher du lest. La destination des informations est toutefois contrôlée, et des stratagèmes sont employés pour qu'elles ne parviennent que de façon partielle aux intéressés.

L'obligation de garder toutes ces mesures secrètes n'est pourtant pas simple. Comment faire avec les mairies? Dans un premier temps, il a été jugé préférable d'en révéler le moins possible aux maires des localités évacuables. C'est seulement après un exercice sur les évacuations et les repliements, réalisé en 1936 à Strasbourg, que l'état-major de l'armée propose de leur donner davantage d'informations. L'après Munich verra l'apogée des recommandations faites aux maires. Toutefois, il est fort probable, comme l'a souligné Jacques Kleiser dans " 1609 jours sous la botte" que le caractère secret de ces instructions, mêlé à l'espoir d'un second Munich ont pu dissuader les maires de ces communes de préparer l'évacuation sérieusement. La quantité déconcertante de circulaires, notes et des modifications incessantes permettent davantage de comprendre la " capitulation "de certaines édiles. Le 18 juin 1935, Pierre Laval publie trois nouvelles instructions, dont une qui met en relief le problème des transports. L'instruction indique la mise en place de priorités dans l'utilisation des moyens de locomotion. Les nécessités militaires et celles du repliement passent avant celles des " convenances personnelles ". En outre, il faudra développer les étapes avant la destination finale, et même étendre sur la durée les départs, en privilégiant les personnes les plus proches de la frontière. Les maires sont également autorisés à procéder à des réquisitions au sein de leurs villages. Chevaux et voitures hippomobiles ne pourront être réquisitionnés par l'armée qu'après le franchissement de la ligne Maginot. Toutefois, le problème relatif aux moyens de transport ne s'estompera que faiblement et ainsi, en 1938, une série d'exercices devant permettre de vérifier l'efficacité des plans soulignera encore que dans toutes les régions fortifiées frappées d'évacuation totale, de repliement, d'éloignement ou de dispersion, les moyens de transport et les capacités des chemins de fer ne seront pas suffisants pour acheminer tout le monde en même temps.

La nouvelle instruction du 10 mai 1936 adressée aux préfets a une importance capitale. Pour la première fois le terme " évacuation " est employé et défini. L'évacuation y est appréhendée comme une mesure d'ordre militaire consistant dans le retrait à l'arrière des populations de la zone de combat des armées. Cette mesure est destinée à permettre la mise en place de la couverture et, éventuellement, la mise en œuvre des plans de feux. L'autorité militaire partage la tâche de préparer et d'encadrer cette évacuation avec l'autorité civile. Cette instruction organise également divers aspects de l'évacuation, tels que les modalités de départ, le sort du bétail, les affaires à emporter … Ainsi est-on passé d'un déplacement de ressources à un déplacement de personnes. Il est vrai qu'en mai 1936, la construction de la ligne Maginot est en voie d'achèvement. En effet, c'est entre 1926 et 1936 principalement que les autorités militaires, par le biais de la C.O.R.F. ( Commission d'Organisation des Régions Fortifiées ) édifient cette ligne composée de gros et de petits ouvrages, de blockhaus, de casemates, entre Longuyon et le Rhin, sur une longueur de 250 km et à environ 13 km à l'intérieur de la frontière. Elle est également prolongée jusqu'à la frontière Suisse et jusqu'au Nord. La ligne Maginot va couper la Moselle en deux parties entre la zone rouge, c'est-à-dire la partie en avant et sur la ligne, et la zone en arrière. Ainsi c'est un large pan du territoire national qui se trouve confronté au danger d'être envahi ou pris entre deux feux. Cependant, c'est seulement avec l'instruction générale sur les mouvements et transports de sauvegarde du 1er juillet 1938, arrêté par le ministre de l'intérieur Albert Sarraut, que l'étendue du territoire concerné par les mesures d'évacuation est précisée. Il s'agit d'une bande de 5 à 8 km de large le long du Rhin, s'approfondissant jusqu'à 13 km et davantage en Moselle, au Nord du Bas-Rhin et au Sud du Bas-Rhin qui doit être évacuée dès la mobilisation générale. Pour faciliter l'évacuation et la prise en charge des populations, une note annexée à l'instruction du 1er juillet 1938, décide de diviser la zone rouge, mais aussi la zone arrière en tranches. Pout Téterchen, ce fut la tranche n° 3.

La délimitation des tranches est effectuée en fonction de la capacité d'absorption des centres de recueil qui sont respectivement affectés à chacune d'entre elles : pour la tranche n°3, c’est Thiaucourt. Il s'agit donc de segmenter le territoire de manière à faciliter l'organisation du cheminement des réfugiés. L'évacuation doit être totale et tout doit être mis en œuvre pour dégager entièrement ce terrain, même contre le gré des habitants. Ce document qui ne doit être divulgué qu'aux autorités militaires et aux préfets, impose à ces derniers la date butoir du 1er octobre 1939 pour établir, en liaison avec les autorités militaires régionales, le plan d'évacuation de leur département. Fixation de la zone des départements de correspondance

Le principe de déplacement induit de trouver un ou plusieurs lieux dans lesquels personnes et ressources seront placées en sécurité. Un point est fixé rapidement: il faut replier les personnes menacées par un conflit franco-allemand loin de cette frontière. Évacuer la population vers l'intérieur représente un double avantage: faciliter, dès le début, le mouvement des troupes dans la zone des armées et dans la ligne elle-même, tout en permettant la mise à l'abri de la population dans une région loin de la zone des combats. Dans son ouvrage intitulé " L'évacuation de la zone rouge du département de la Moselle " Henri Hiegel signale que dès 1933, un plan prévoit l'hébergement des mosellans en Savoie. Mais l'alliance germano-italienne de 1936 va poser le problème d'une éventuelle entrée en guerre de l'Italie aux côtés de l'Allemagne. Le choix définitif est alors porté sur les départements du Sud-Ouest. L'instruction particulière est signalée par Laval en juin 1938 à un rôle fondamental dans la répartition des départements de correspondance pour chaque secteur à évacuer. Ainsi tous les départements-frontières de l'Est se voient attribuer pour leurs ressources un département de repli. Si cette instruction fait seulement état de repli des ressources, en fait, les départements de correspondance attribués se voient également recevoir les populations des zones touchées par " l'évacuation humaine ". Seuls la Moselle, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, en contact avec l'Allemagne, sont concernés par les mesures d'évacuation humaine. Les départements de correspondance désignés pour accueillir ces réfugiés sont donc, le Lot et Garonne, le Gers, les Basses-Pyrénées pour le Haut-Rhin; la Haute-Vienne et la Dordogne pour le Bas-Rhin; la Vienne et La Charente et, dans une moindre mesure, La Charente inférieure ( actuelle Charente-Maritime ) pour la Moselle. De leurs côtés, les autorités préfectorales de ces départements, en liaison avec les différents ministères ayant un rôle à jouer dans l'évacuation et l'installation des réfugiés dans l'Ouest de la France, doivent donc organiser cet accueil. Un long travail de préparation est nécessaire afin que l'évacuation et la réception des évacués se fassent dans les conditions les plus propices. Ambiance de guerre

Il est nécessaire de replacer l'évacuation dans le contexte international qu'est la marche à la guerre. En effet, sans la montée des menaces extérieures, un projet d'une telle ampleur n'aurait sans doute pas abouti.

Selon Henri Hiegel, un climat de méfiance et d'inquiétude est apparu chez les mosellans, dès l'arrivée d'Hitler à la tête de la chancellerie allemande, le 30 janvier 1933. L'auteur signale, dès lors, des incidents dans le département, notamment des agressions sur des touristes allemands. Le 7 mars 1936, Hitler dénonce le pacte de Locarno et réoccupe la Rhénanie. Alors que le traité de Versailles limite largement la puissance militaire allemande, notamment en réduisant les forces terrestres à 100 000 hommes et en interdisant certains armements ( artillerie lourde, aviation de guerre …). L'Allemagne commence son réarmement en octobre 1933. Hitler multiplie les épreuves de force: les 12-13 mars 1938 ne trouvant plus personne sur son passage pour l'en empêcher, il réalise l'Anschluss, rattachant ainsi l'Autriche avec le Reich. La même année s'ouvre la crise des Sudètes. La guerre menace.

Début septembre, la ligne Maginot reçoit ses pleins effectifs. Finalement, Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler se rencontrent à Munich le 29 septembre. Le 30 septembre, à 1h30 du matin, l'accord est signé: Hitler annexe, avec l'accord des trois autres, les Sudètes. A l'automne 1938, Ribbentrop propose à la Pologne le rattachement de Dantzig avec le Reich. Devant le refus de cette dernière, Ribbentrop transforme, au début de l'année 1939, sa requête en ultimatum. L'Angleterre et la France assurent toutes les deux leur appui militaire à la Pologne. Devant le blocage de la situation, la France décide la mobilisation partielle le 25 août; la Pologne se mobilise à cette même date. Le 1er septembre au matin, les troupes allemandes franchissent, sans déclaration de guerre préalable, la frontière polonaise. Le 3, l'Angleterre et la France déclarent la guerre à l'Allemagne. Toutes ces étapes sont connues de nos futurs évacués, du moins de ceux qui suivent l'actualité.

D’ après le témoignage de René Schneider, « A Téterchen, les charettes pour le transport étaient prêtes depuis plusieurs semaines. Nous y avions bricolé des arceaux pour y mettre une bâche. Il ne restait plus qu’à charger les bagages et à atteler les chevaux. «

En outre, cette ambiance de guerre est palpable au sein des villages de la zone rouge. Tout d'abord, ces gens ont vécu la construction de la Ligne Maginot, et ils sont conscients de se trouver en avant de cette dernière, donc inabrités par ses fortifications.

Dès le 6 septembre 1938, la Ligne Maginot se voit occupée par ses pleins effectifs. Par mesure de sécurité, des réservistes sont rappelés sous les drapeaux. Certains hommes se trouvent mobilisés dans une catégorie particulière: les gardes frontaliers.

Bouzonville, le 25 .10. 1937 : Remise des fanoins aux différentes sections par le général Giraud.

Le fanion des gardes frontaliers de Téterchen Ce corps est composé de réservistes habitant en résidence stable dans les communes situées entre la Ligne Maginot et la frontière. Les gardes militaires sont mobilisés sur place en cas de mise en alerte des troupes de forteresse. En cas de violation du territoire, ils sont chargés d'assurer la surveillance de la frontière et la couverture des destructions. Présents dans de nombreuses communes de l' arrondissement, la taille du groupe varie selon l'importance de la commune. Il y avait environ 27.000 gardes frontaliers mobilisés. A partir du 23 août 1939, ils prennent position dans les communes de la zone rouge. De même, les autorités civiles invitent, par le biais de la presse, les gens qui en auraient les capacités, et dont la présence en Alsace-Moselle n'est pas nécessaire, à quitter les départements menacés d'évacuation, tant que les facilités de transports sont encore garanties. Il s'agit en fait de pousser au départ ceux dont l'absence passerait inaperçue.

Le départ des communes

Le 1er septembre, les troupes allemandes attaquent à l'aube la Pologne. Un télégramme envoyé par l'état-major et signé par le président du Conseil, Édouard Daladier, demande la fermeture de la frontière avec l'Allemagne. A 10h, les préfets reçoivent un télégramme de l'état-major. Il indique que le plan général d'évacuation peut entrer en vigueur d'un moment à l'autre. Ainsi, de part et d'autre doivent commencer les préparatifs de l'évacuation et de l'accueil. Le même jour, en début d'après-midi, un deuxième télégramme annonce le déclenchement de l'évacuation. Dès 14h, la zone rouge passe sous l'autorité militaire pour en devenir le " no mans land opérationnel". L'état de siège est décrété. Les habitants de la zone n'ont plus le choix, ils se préparent à quitter les communes. L'ordre d'évacuer et les préparatifs de départ

La plupart des instructions adressées aux maires sont d'abord déposées sous enveloppes scellées dans les gendarmeries. Se présentant sous la forme d'un pli EZF ( évacuation zone frontière ) l'ordre préparatoire doit quant à lui être remis par les gendarmes aux maires concernés, au moment des premières tensions. L'objectif est de suggérer aux maires un certain nombre de principe devant servir de colonne vertébrale à l'élaboration d'un plan d'évacuation de leurs communes. C'est seulement à la réception d'un deuxième pli EZF donnant l'ordre d'évacuation, et grâce en partie à son contenu, que les maires peuvent alerter les populations.

Dès réception de l'ordre, le garde-champêtre, muni de sa cloche est chargé de passer dans les rues de la commune afin d'alerter la population. Ce dernier annonce l'heure de départ de la commune et donne quelques consignes quant aux affaires à préparer. Alors qu'ils quittent leurs communes et tous leurs biens, des évacués pensent encore qu'ils vont revenir dans la semaine. Certains persuadés de cela, n'emmènent presque rien lors de leur départ.

Chaque cultivateur eut la liste des personnes qu'il avait en charge. Dans certaines communes, le maire informe lui-même la population et donne des instructions. L'annonce de l'ordre d'évacuation se fait parfois sur fond de tocsin et l'atmosphère est lourde, dramatique. L'emploi des cloches a un intérêt certain: il permet d'alerter les habitants occupés aux travaux des champs. Des affiches, provenant du pli EZF, et sur lesquelles sont indiqués divers renseignements tels que la nature et le poids des bagages à emporter, le point de première destination à rejoindre, etc … Pour Téterchen, le 1er point de destination fut la commune de Varize. L'arrivée de l'ordre d'évacuation dans les premiers villages provoque un grand émoi et les préparatifs du départ se font souvent dans un climat d'agitation mêlé de panique. Les femmes préparaient des sacs pour y entasser le linge et les vêtements, elles rouvraient leur baluchons régulièrement, en retiraient quelques affaires, puis y mettaient que ce qui leur paraissaient utile. Les gens qui n'ont pas pris cette précaution et qui se trouvaient dans les premiers villages évacués n'ont souvent pas pu emmener grand chose. Le contenu, non réfléchi à l'avance est souvent composé de choses inutiles au détriment de l'indispensable. Le récit que fait de ces préparatifs Marguerite Jolivalt dans son carnet de bord est assez révélateur de l'affolement qui règne dans les villages au moment de l'évacuation " On court d'une chambre à l'autre. On ouvre les tiroirs, les armoires, on ne peut pas dépasser les 30 kg de bagages prescrits. Et pourtant il y a tant de choses! On emporte des choses inutiles, encombrantes, et on oublie au fond des armoires des choses de valeur … " Un peu plus loin dans son récit, Marguerite Jolivalt décrit parfaitement cette image d'un village laissé à l'abandon en un temps très bref " on sort de la maison sans refermer les portes. La table n'a pas été débarrassée. Les tasses de café, la confiture, sont restées sur la table. Il fallait emmener le jambon fumé. C'était primordial! On roulait les matelas des lits, et on mettait 2-3 ficelles autour pour en faire un ballot. "

L'indication d'un poids pour les bagages, auquel il faut ajouter quatre jours de vivres, un couvert individuel et des couvertures a surtout pour but d'éviter les abus.

Pendant ce temps, à la mairie, il y a énormément de choses à préparer puisque c'est au maire, ou à son premier adjoint, d'organiser le départ. Ils sont surtout chargés d'organiser la répartition des personnes à évacuer en fonction du nombre et de la nature des moyens de transports disponibles. Ils doivent, en outre, prévoir la constitution de groupements de marche de même vitesse ( en distinguant voitures hippomobiles, automobiles, piétons …) tout cela afin de permettre aux mouvements de se dérouler dans l'ordre. Toutefois, le manque de moyens de transport est effectif. L'organisation de ce départ est une réelle épreuve pour les maires. La plupart d'entre eux relèvent le défi, d'autres se montrent incompétents. Parfois c'est l'absence d'une partie de l'affectif des cadres communaux qui pose problème. L'heure du départ

Enfin l'heure du départ arrive. Souvent un dernier rassemblement s'effectue; il permet au maire de vérifier que tout le monde a bien quitté le village, à l'exception de la sauve-garde. Dans certaines communes un rassemblement à lieu à l'église où l'abbé donne une bénédiction.

Les derniers bagages sont chargés. Les cultivateurs attèlent leurs chevaux aux charrettes. Ceux qui peuvent monter, y prennent place. Parallèlement à cela, dans de nombreuses communes, s'effectuent le regroupement et le départ des bovins pour des parcs de la zone arrière, situés au niveau du point de la première destination. Là, des commissions de réception et d'achat procèdent, pour le compte de l'état, à l'achat du bétail et de son triage. L'arrondissement de Boulay étant majoritairement agricole, nombreux sont les villages dans lesquels la question du sort du bétail se pose. Dans toutes les communes concernées par l'évacuation doit être mise en place, à cet effet, une commission de repliement du bétail.

D’après un rapport sur l’évacuation du bétail pour la tranche n°3 (canton de Boulay) 2200 bovins furent achetés. Un train de 700 de ces animaux est parti pour Neufchateau, le reste a été réparti sur une vingtaine de communes en attendant l’embarquement. L’intendance a prélevé une faible partie des bovins pour ses besoins, le reste a été pris en charge par le ravitaillement général.

Dans d'autres, le manque de temps ou des problèmes d'organisation laissent comme seule alternative l'ouverture des étables afin de laisser les bovins se débrouiller par eux-mêmes, tout comme les volailles. Les gens ouvrent les clapiers des lapins, les poulaillers, les portes des maisons avant de partir pour permettre à ces animaux de s'alimenter. Monsieur Pierre Sindt se rappelle cette image de désolation dans un des villages qu'il a traversé: " Il n'y avait déjà plus personnes lorsque nous sommes passés le soir. C'était vers 8h-9h avant la nuit. Là, on a vu beaucoup de bêtes qui étaient dehors, qui étaient mortes d'avoir trop mangé ". Lorsque les gardes frontaliers ou la troupe sont présents dans un village, ils sont chargés de fourrager les animaux. Mais dans bien des cas, ces derniers ont servi à améliorer l'ordinaire de la troupe en cantonnement. Le départ, lorsque le convoi est composé de différents véhicules et que son organisation est orchestrée par la mairie, se fait en plusieurs étapes en tenant compte des divers groupements de marche ( chevaux, automobiles, piétons …). Comme conseillé dans la lettre confidentielle aux maires, chaque convoi doit être encadré par des " chefs " munis de l'itinéraire à suivre jusqu'au point de la première destination. Des " sous-chefs " doivent être répartis dans la colonne d'évacués. La marche doit être fermée par des " serre-files " afin d'éviter que certaines personnes ne se perdent ou ne suivent pas le bon itinéraire.

L'abandon du village éveille une vive émotion, attisée par le fait que ces gens partent vers l'inconnu sans connaissance de la date de retour.

Dès lors que le départ est effectif, les autorités militaires prennent la direction du mouvement. La surveillance de l'itinéraire suivi par les évacués est nécessaire puisque les autorités doivent faire face à un nombre important de personnes sur les routes et que, dans le même temps, les troupes arrivent en sens inverse dans ce secteur. Pour ce qui est de l'itinéraire, seul le point de première destination est connu et du maire et de la population puisqu'il est normalement indiqué sur les affiches ordonnant l'évacuation.

Itinéraire suivi par la majeure partie

Pour ceux partis avec le convoi communal, le trajet est long et souvent chaotique. Durant le trajet, aucun arrêt non programmé n'est possible. Il était dit qu'à tel ou tel endroit, on s'arrêtait se souvient Monsieur Sindt. Seulement, parfois certains n'arrivaient pas à suivre. Il fallait les attendre pour qu'on soit un peu rassemblé. L'arrêt prolongé, en revanche, est interdit avant la zone d'hébergement provisoire.

Pour notre village Téterchen, le départ a été fixé à 6 h du matin. Ce samedi 2 septembre, les cloches ont sonné pour la dernière fois. L’itinéraire était - puis le croisement de Bettange. La longueur du trajet n'était pas là pour améliorer la situation et l'état d'esprit des évacués. Les routes principales sont réservées aux convois militaires. Les évacués doivent donc se contenter des itinéraires secondaires. Ces derniers sont généralement des petites routes, ou des chemins caillouteux, qui accentuent, du même coup, la pénibilité du trajet. Dans bien des cas, le passage par ces chemins, provoque quelques accidents, tels que des roues cassées, mais aussi des chevaux affolés. Itinéraire suivi par les caravanes de réfugiés pour rejoindre la gare de Thiaucourt

A la date du 17 février 1939, un document émanant de la préfecture de la Moselle indique le nom de la commune chef-lieu de chacun des six gîtes d'étapes de la Moselle: il s'agit des localités de Morville-sur-Nied, , Aube, Liéhon, Sorbey et Verny. Ces gîtes d'étapes accueilleront, normalement seulement les réfugiés obligés de faire le trajet à pied. Mais revenant à notre village, la première halte était à Varize où les réfugiés arrivèrent tôt le matin. Les propriétaires des attelages en profitèrent pour abreuver, nourrir leurs bêtes et tirer le lait des vaches. Après 2 heures de repos, le convoi se remit en marche. La deuxième étape fut plus dure: Varize, Courcelles-Chaussy, , , Sorbey soit environ 22 kilomètres. C'était donc " Sorbey " qui avait été désigné comme gîte-étape pour Téterchen. Le samedi 2 septembre, le soleil brillait fort dans le ciel. Tout le monde, hommes et bêtes souffraient dans la grande côte de Courcelles. Les bêtes avaient soif. Les femmes et les enfants courraient devant le convoi à la recherche d'un puits ou d'une fontaine, puisaient de l'eau dans des seaux et revenaient vers le convoi pour abreuver les bêtes. A Sorbey, d'autres convois étaient déjà sur place. Tout le monde passa la deuxième nuit en dormant dans les charrettes ou à même le sol. Le lendemain, le convoi se remit en route vers Thiaucourt. Arrivés sur place, des trains les attendaient pour la suite du voyage. C’est là que les cultivateurs ont dû se résigner à se séparer de leurs bêtes favorites. Il y eut encore beaucoup de larmes sur les joues de nos paysans. Pour les chevaux, c’est le service des remontes qui prélève les chevaux propre aux besoins de l’armée. Le reste est pris en charge pour l’agriculture et est réparti sur les communes environnantes (pour Téterchen à Thiaucourt) .

Le trajet en train

La composition des trains devait être composée de 2 fourgons, 30 wagons aménagés, c'est-à-dire des wagons à bestiaux ou de marchandises dont le plancher était recouvert de paille ou de matelas, 5 voitures de voyageurs pour accueillir les malades … et toujours de 5 tombereaux pour les bagages. Il semble que cette répartition n’ait pas souvent cours. Ainsi, lors des premiers départs, l'acheminement se fait souvent à bord de wagons à bestiaux.

Dans tous les cas, au départ des trains, si les adultes sont souvent désespérés de quitter leur région, pour les enfants et les adolescents, c'est le début d'une aventure, des premières vacances.

Embarquement donc à THIAUCOURT: 20 à 30 personnes étaient entassées dans ces wagons, où l'hygiène et la pudeur étaient oubliées. Les itinéraires d'acheminement des évacués

Les réfugiés ignorent leur destination, et c'est seulement à bord des trains qu'ils apprennent leur point de chute. Tout cela avait été défini par les préfectures de départ et d'arrivée. Comme pour le reste de l'itinéraire, les réfugiés ne connaissent pas le parcours entrepris par le train; ils le découvrent en cours de route et encore, cela n'est pas toujours possible. En effet, les trains, par mesure de sécurité face aux risques d'attaques aériennes, roulent surtout de nuit, ce qui rend la découverte de l'itinéraire mal aisée. Ajoutons à cela le passage dans des localités où, par l'application des mesures de défense passive, l'éclairage est interrompu la nuit et où les panneaux indiquant le nom des localités sont masqués. On comprend alors aisément le désarroi de nos évacués qui, serrés dans les wagons ne savent pas où ils se trouvent. Les arrêts en train se succèdent, parfois en pleine campagne, les évacués en profitent pour se dégourdir les jambes. Globalement, le trajet est le même pour tous: Vitry le François, Melun, Étampes, Orléans, Châtellerault, Poitiers puis MONTMORILLON pour notre village.

Petite histoire vraie

A cette époque, dans toute la région on ne parlait que le platt, il n’y avait que les jeunes qui avaient appris le français à l’école.

Lors d’un arrêt dans une gare, le petit Pierre demande à mon père : “ Wo sén ma dann ? “ (Où sommes-nous ?). Mon père lui demande de lire une pancarte devant eux. “ Hommes-Dames “ déchiffra-t-il en lisant toutes les lettres. “ Eh bien voilà ! nous sommes à HOMESS-DAMESS “ fit mon père. Tout content, le petit Pierre courut le dire à son grand-père.

L'arrivée des convois dans la Vienne

L'arrivée successive des convois de réfugiés dans la Vienne a lieu, tout comme pour le départ de Moselle, dans un certain climat d'effervescence. Le préfet de la Vienne est informé du départ des convois par son homologue mosellan. Cela lui permet de se préparer à accueillir cette population " Les premiers trains de réfugiés sont arrivés à Poitiers le 4 septembre. Dès le 1er septembre, prévenu par mon collègue de la Moselle de la mise en route des ces trains, j'ai mis à exécution le plan, préparé de longue date … ". Dans ces lettres, le préfet de la Moselle transmet au préfet du département d'accueil toutes les informations nécessaires à la bonne réception des évacuées. Il arrive que la gare d’ arrivée coïncide avec la commune poitevine qui accueille la commune mosellane comme par exemple Chauvigny qui a accueilli . " Vers 8h, nous arrivons à destination. Une petite gare entourée de gros blocs de pierre provenant des carrières qui se trouvent à Chauvigny. Comme je me trouve en bout de train, je ne remarque pas que c'est la gare d'arrivée." note Alphonse Meyer dans son journal. Pour d'autres réfugiés, la gare d'arrivée est encore distante de quelques kilomètres de là ou des communes d'accueil, et il faut donc encore parcourir ce trajet avant l'arrêt définitif. Dans les deux cas, le premier contact avec des représentants de la commune d'accueil se fait lors de l'arrivée des convois en gare de débarquement. L'organisation de ce premier accueil en gare d'arrivée du train est préparée de longue date, l'instruction du 27 avril 1939 du préfet de la Vienne recommandant aux maires de son département de laisser, le moins de questions possibles à l'improvisation. Toutefois, cette instruction laisse une grande autonomie aux maires des communes d'accueil qui, dès cette date, doivent déterminer la répartition numérique des réfugiés, par village, hameau et foyer; le mode d'acheminement et le transport de ces derniers et de leurs bagages et l'organisation du personnel chargé de guider les réfugiés depuis la gare jusqu'à la commune. Après avoir été informé par le maire de l'heure d'arrivée des réfugiés à la gare la plus proche, le personnel de guidage les attend donc avec charrettes et automobiles devant la gare. Nos chers habitants de TETERCHEN arrivèrent vers 4h du matin d'après le témoignage de Monsieur René Schneider. Mais ils doivent encore attendre plusieurs heures sur les quais de la gare, l'arrivée des Tombereaux, pour le transport de leurs bagages pour ensuite prendre la direction de " SAULGE". Ce beau village de SAULGE avait donc était désigné comme village d'accueil.

Accueil et premières impressions

Arrivés dans les communes de correspondance, les réfugiés sont regroupés en un lieu suffisamment vaste pour tous les accueillir. C'est donc généralement sur la place de l'église ou de la mairie que s'établit le premier contact avec leurs hôtes. Toutefois, comme en témoigne l'article paru dans le Lorrain du 19 janvier 1940, certaines communes ont anticipé le risque d'intempérie et ont prévu de regrouper les réfugiés en un lieu couvert. Mais à Saulgé il fait beau. On sort donc les bancs sur la grande place de l'église.

L'aspect des réfugiés après un si long voyage laisse souvent à désirer. Extrait d'un témoignage "Trois jours de voyage sans pouvoir faire sa toilette ne nous avaient pas donné un aspect reluisant". Mais, d'autres raisons poussent les accueillants à la méfiance : " Les gens nous observent avec méfiance … et certaines réflexions nous viennent aux oreilles: ils viennent de l'est. Il y en a qui ne parlent pas le français, est-ce-que ce sont des boches? ". Certes, les poitevins ont été informés préalablement de l'origine géographique des réfugiés, ils savent que se sont les premiers menacés par une attaque allemande, mais, comme le soulèvent Roger Picard dans son ouvrage intitulé " La Vienne de la préhistoire à nos jours ", les poitevins comprennent mal qu'un français puisse être de langue allemande. Cela peut paraître choquant pour des français de l'intérieur de se retrouver face à des gens dont on a exacerbé depuis la défaite de 1870 le patriotisme et qui pour certains ne parlent que l'allemand ou un dialecte germanique. Il est vrai que, pour des raisons de sûreté nationale, les départements d'accueil ne sont pas informés avant la déclaration de guerre du parler des réfugiés. Cependant, dès les premières évacuations effectives, le vice président du conseil, chargé des affaires d'Alsace et de Lorraine, Camille Chautemps, demande lui-même aux préfets des départements de correspondance d'informer leur administrés des difficultés linguistiques qui vont inévitablement se poser. Ainsi, la préfecture de chaque département d'accueil demande à ses concitoyens de réserver un accueil qui se veut le plus fraternel possible à ces réfugiés de l'est, et d'éviter toutes réflexions pouvant être mal interprétées par les repliés. Cette demande se fait essentiellement sous deux formes: par voie d'affichage bilingue, et par voie de presse. Tout a donc été préalablement mis en œuvre pour que les accueillants ne se focalisent pas sur les difficultés linguistiques qui pourraient se poser avec les réfugiés. Cependant et bien que des différences importantes au niveau du mode de vie vont se faire jour entre les deux populations, les difficultés à comprendre et à se faire comprendre, surtout pour les personnes âgées, restent la différence la plus handicapante dans une France où l'utilisation des patois prime sur celle du français. La méfiance que suscite le parler mosellan et certains Poitevins ne disparaît jamais totalement et les autorités doivent intervenir à plusieurs reprises afin d'apaiser les craintes émanant de cette question. On peut donc penser que, la curiosité et la phase d'observation réciproque passée, les rapports entre les deux populations, sauf exceptions de part et d'autre sont aussi bons que possible, au vu des évènements et le surpeuplement des commune poitevines.

La prise en charge administrative

Une fois le contingent des réfugiés arrivé et regroupé, et, avant même de procéder à sa répartition, les maires des communes d'accueil doivent faire établir pour chaque réfugié, quelque soit son âge, une fiche dont un exemplaire doit être conservé en mairie, et l'autre à expédier à la préfecture, au service des réfugiés. Ce recensement rapide à trois finalités: veiller tout d'abord au regroupement des familles au sein de la commune d'accueil; permettre d'effectuer des recherches dans l'intérêt des familles. Enfin, il permet de connaître les ressources exactes en main-d'œuvre, afin de pouvoir rapidement munir d'un travail ceux d'entre eux jugés aptes. Ainsi, l'identification des réfugiés a, sur le long terme, pour les organes concernés de la préfecture, un intérêt majeur. Elle sert à la constitution d'un fichier général pour tout le département qui doit permettre à ces organes de connaître le domicile exacte de tous les réfugiés et d'enregistrer, le cas échéant, leurs déplacements. Mais ce recensement doit tout d'abord faciliter une répartition judicieuse dans la commune d'accueil des réfugiés, en tenant compte des liens familiaux. " Famille par famille, les réfugiés entrent dans la salle et, table par table, se voient assigner un logement … Il fait beau. On sort donc les bancs dans la grande cour, et là, dans le soir finissant, pour la première fois depuis leur départ, les pauvres gens, harassés de fatigue, prennent enfin le repos qui précède l'installation des foyers". (extrait du journal d'un maire rural de l'ouest).

Une fois le recensement effectué, la municipalité poitevine aidée en cela par le comité d'accueil, fait procéder en hâte à la répartition des réfugiés pour la nuit. Monsieur Pierre Sindt, quant à lui, se souvient que la composition de sa famille et la profession de ses parents (cultivateurs) ont joué un rôle dans le choix de son logeur: " Nous étions tombés chez un paysan. Il m'a emmené tout de suite. Et puis, le lendemain, le même paysan est venu chercher mes parents pour les loger chez lui. Il avait un commis mobilisé. Alors le bonhomme a pensé qu'il lui faudrait de la main- d'œuvre, et il savait que mes parents avaient deux fils …". Il faut dire, que tout comme dans la population mosellane arrivante, la majorité des hommes poitevins est mobilisée, créant ainsi un déficit de main-d'œuvre. Il est donc naturel que les agriculteurs susceptibles de loger des évacués choisissent parmi-eux des évacués ayant les mêmes centres d'intérêt et susceptibles de fournir l'aide nécessaire en pleine période de moissons.

Dans la majorité des cas, les habitants pouvant être logés de suite, sont emmenés, avec leurs maigres bagages en voiture. Les villages poitevins sont en effet très étendus, il est donc malaisé de déplacer les gens à pied. Cette différence dans l'agencement des communes est l'une des premières choses qui marque le plus nos exilés. Les villages mosellans sont, pour la grande majorité, organisés selon un plan immuable: les habitations sont concentrés et regroupées autour de l'église, la religion gardant un rôle actif dans la vie quotidienne des villageois. Seules quelques grosses fermes siègent à l'écart du centre-village. Tout au contraire, les villages poitevins s'étirent dans la campagne, si bien que la taille du bourg est souvent dérisoire et le nombre des hameaux qui en dépendent nombreux. Souvent les réfugiés se retrouvent logés dans un lieu-dit à 5-6 kilomètres du bourg. Yvan Nouy, dans un article du 24 avril 1940 abordant l'adaptation progressive des Alsaciens et Lorrains aux méthodes de travail des pays du centre, résume parfaitement le sentiment qui peut être celui des réfugiés " L'éparpillement des petites bourgades où ils ont été répartis les déconcerte. L'obligation de faire plusieurs kilomètres pour trouver l'église ou l'école leur donne une impression d'exil …". Certains réfugiés vivent mal cette distance et cherchent par la suite à se rapprocher du bourg.

Évacués dans une région loin de chez eux, dans des habitations différentes des leurs, les réfugiés souhaitent tout de même conserver quelques-unes de leurs habitudes et, en tout premier lieu, ils désirent donc faire de la cuisine lorraine. Nous avions l'habitude de boire du café au lait avec des tartines au beurre et de la confiture. Là, on nous servait de la soupe au vin, déconcertant! Si maintes instructions et mesures sont mises en place afin d'organiser le travail des réfugiés et de réglementer, certains évacués cherchent spontanément, dès les premiers jours de leur arrivée, à se rendre utiles en offrant notamment leurs services dans des exploitations industrielles ou agricoles. Dans son journal de bord, un maire d'une commune rurale de l'ouest raconte ses souvenirs quant à ces premières manifestations spontanées des réfugiés de sa commune, pourtant seulement arrivés le 7 septembre dans la mi-journée: " 8 septembre: ce matin, impression réconfortante. Ma première rencontre dans le bourg est celle d'un jeune homme qui demande du travail pour tout de suite. Après cinq jours d'un voyage épuisant, c'est du cran! Sans désemparer, je le prends en voiture et je le conduis dans un village où la batteuse fonctionne à personnel réduit. Il y est accueilli d'emblée".

La mise au travail des réfugiés est très tôt réglementée. Cependant, parallèlement à cela, certains réfugiés prêtent main forte aux poitevins sans que cet acte n'entraîne la mise en place d'un accord ou d'une rémunération quelconque. Il s'agit alors seulement d'échanges de bons et loyaux services. La pratique religieuse dans le poitevin

Les poitevins, même les plus laïcs, respectent les convictions religieuses des réfugiés et leur besoin de se rendre à la messe " Nous qui avions souffert, on cherchait quand même du réconfort dans la religion". Témoignage de Monsieur Joseph Herber. Du reste, la messe dominicale a un autre intérêt puisqu'elle permet ax réfugiés, éloignés les uns des autres dans les habitations poitevines, de se rassembler.

Parallèlement à cela, le clergé mosellan sauvegarde sa cohésion. Les curés évacués écrivent régulièrement à leur évêque et, à plusieurs reprises, le clergé se réunit. Ainsi le 6 septembre 1939 a lieu, au grand séminaire de Poitiers, une réunion de plus de 50 prêtres évacués dans la Vienne, sous la présidence de l'évêque de Poitiers, Monseigneur Mesguen. De même, les autorités religieuses mosellanes et locales tiennent à conserver des contacts étroits avec les évacués. Ainsi les nombreuses visites viennent interrompre la quotidienneté de ces derniers, comme celle de l'évêque de Monseigneur Heintz à la mi-novembre 1939 et à la fin avril 1940. Cependant, les visites des représentants de l'église ne sont pas les seules que reçoivent les évacués mosellans dans la Vienne. Robert Schuman est sans doute le premier à rendre visite à ses congénères dans leurs communes de correspondance le 27 septembre. Toutes ces visites sont l'occasion pour les réfugiés de faire connaître leurs nombreuses doléances. Cependant, un type de visiteur est particulièrement attendu par les réfugiés: le permissionnaire. A partir du 1er novembre 1939, les permissions de détente accordées tous les quatre mois, ainsi que les permissions exceptionnelles, sont rétablies. Dès lors, de nombreux membres mobilisés de famille évacuées se rendent dans la Vienne rejoindre les leurs. Les autorités apportent un soin tout particulier à l'accueil et au confort des permissionnaires durant leur séjour auprès de leur famille. Le gouvernement souhaite que ces derniers ne repartent pas avec les sentiments que leurs familles vivent dans une détresse matérielle. La perception de certains poitevins est positivement modifiée à la vue de ces mosellans en uniforme français. Cependant, ces visites accentuent la nostalgie. Les permissionnaires ramènent avec eux le récit des destructions et de certaines exactions portant atteinte à leur propriété.

Réunion des prêtres réfugiés autour de l’évêque de POITIERS ( Abbé REUTER, curé de TETERCHEN à gauche au 1erer rang ) La barrière linguistique

Des avertissements officiels préviennent la population accueillante de la particularité du parler mosellan, mais les poitevins sont surpris de voir arriver dans leur région une population dont le langage est à forte consonance germanique. En pleine guerre avec l'Allemagne, le dialecte mosellan peut en effet paraître déconcertant, d'autant plus qu'une grande partie de la population évacuée, composée pour l'essentiel de jeunes, de femmes et de vieillards, ne parle, ni ne comprend le français, ou demeure, dans le meilleur des cas, médiocrement bilingue, faute de l'avoir appris à l'école. Le premier contact n'est donc pas toujours le meilleur souvenir des réfugiés, le patois germanique n'attirant pas la sympathie. Cela vaut aux mosellans, dans certaines communes d'accueil, le surnom de " ja ja ".

Les plus handicapés en la matière sont les personnes âgées. Un représentant mosellan jouant, dans bien des cas, le rôle d'interprète auprès de la commune d'accueil. Dans leurs tâches quotidiennes, les mosellans dialectophones tentent de se faire comprendre par le langage gestuel ou par l'emploi de quelques mots de français. Toutefois, il ne convient pas d'exagérer le nombre et l'importance des incidents survenus entre les hôtes et réfugiés. Afin de sortir certains mosellans de leur isolement, plusieurs remèdes sont proposés. De nombreuses notes et communications incitent ceux des évacués sachant parler le français à négliger le dialecte au profit de la langue nationale, les discussions en dialecte faisant le plus mauvais effet sur les accueillants. Un autre remède: la création de journaux spécifiques aux réfugiés. Par ce biais, leur déracinement se trouve doublement atténué, ces journaux donnant en allemand, à la fois des nouvelles de la Moselle et notamment de la Zone Rouge.

Bien que des efforts soient faits et des mesures soient prises afin de limiter l'isolement, il semble que les différences, tant culturelles, socio-économiques, que linguistiques ainsi que le maintien de certaines règles délaissées dans le reste de la France, contribue à maintenir un fossé entre les évacués mosellans et les poitevins. Cependant, à l'inverse, certaines situations permettent a ces derniers de se rapprocher.

Les facteurs de liens

La seule circonstance de la répartition des évacués dans des logements poitevins occasionne la mise en place de liens. Cependant, le caractère obligatoire de l'évacuation, pour les uns et de l'accueil, pour les autres, s'ils provoquent nécessairement la création de liens, n'aboutissent en revanche pas forcément à des échanges amicaux. Dans de nombreux cas, les relations se limitent à des rapports de bon voisinage. Il n'est pas possible de dresser un bilan général des relations entre poitevins et mosellans, ces derniers variant selon les individus concernés. Dans l'optique de renforcer les liens entre poitevins et mosellans, les autorités cherchent à les rassembler lors de manifestations solennelles. La commémoration de l'armistice, le 11 novembre 1939, est l'occasion de rassembler les deux communautés devant le monument aux morts et de symboliser l'unité française. Enfants mosellans et poitevins en costumes régionaux le 11 novembre 1939

Des amitiés se tissent, ces dernières étant surtout le fait de la jeunesse, la maîtrise, de part et d'autre, de la langue française le permettant davantage. Si de nombreux réfugiés souffrent dans les premiers temps de l'assimilation que font certains poitevins, des mosellans avec les allemands, cette perception s'estompe largement par la suite. Toutefois, la fin de la drôle de guerre, puis l'arrivée des allemands dans le département de correspondance, vont de nouveau, mais d'une façon moins massive, raviver chez certains poitevins le sentiment de méfiance, et donc, modifier les liens contractés. Alors que leur évacuation doit permettre aux habitants de la zone rouge de se trouver éloignés du conflit, ce dernier les rattrape.

L'arrivée des Allemands dans la Vienne

Des éléments de la Wehrmacht pénètrent dans la Vienne par le nord dès la mi-juin 1940. Le 22 juin, un peu avant midi, Châtellerault est déclarée ville ouverte, les premiers éléments de troupes allemandes faisant leur entrée dans la ville en fin d'après-midi. Le lendemain Poitiers tombe à son tour. Dès lors, l'installation des allemands est rapide. Le département de la Vienne, se trouve également scindé en deux parties: les deux-tiers du département, dont le chef-lieu se trouvant au nord de la ligne, donc en zone occupée; l'est du département, qui représente la plus grande partie de l'arrondissement de Montmorillon, se situant, quant à lui, en zone libre. Ainsi, la ligne de démarcation est la cause de la disparition de l'unité politique et économique de la Vienne. Le préfet Moulonguet reste le représentant du département pour la zone occupée tandis que le sous- préfet de Montmorillon, Monsieur Poggioli fait fonction de préfet pour la zone libre du département.

Progressivement donc, des éléments de l'armée allemande pénètrent dans les villes et villages de la Vienne. Leur arrivée laisse à chaque fois un vif souvenir aux poitevins et mosellans. En règle générale, l'accueil réservé dans les communes à l'armée allemande est froid, voire hostile. La position des mosellans évacués prend alors un nouveau tournant, soit que ces derniers, par leur connaissance de l'allemand, jouent un rôle de liaison entre poitevins et allemands, soit, qu'au contraire cette connaissance de la langue de l'occupant joue en leur défaveur auprès des poitevins. Dans les deux cas, les relations entre poitevins et mosellans se modifient. A l'arrivée de l'armée allemande dans le département de refuge, la majorité des mosellans gardent leur distance avec l'occupant.

Les préparatifs du retour en Moselle

L'annonce du droit des réfugiés alsaciens-mosellans de regagner leurs départements d'origine occasionne le départ de la grande majorité d'entre eux. Toutefois, tous les réfugiés mosellans ne choisissent pas de regagner la Moselle. Plusieurs raisons incitent les réfugiés à retourner dans leur petite patrie, le manque de celle-ci étant sans doute la plus forte. " Nous nous sommes posés la question aussi. Ma mère voulait rester. Nous n'étions pas malheureux, mais l'amour du pays était plus fort, alors on est revenu. Mais ma foi, après coup, on s'est dit qu'on aurait eu mieux fait de rester là-bas. On ne pouvait pas tous rester. Notre patrie était ici, et cela, malgré le fait que l'on soit devenu allemand ", dit Joseph Herber. En effet, les évacués mosellans sont très nostalgiques de leur " Heimat ", d'autant plus qu'ils ont fort peu de nouvelles. De plus, les mosellans veulent retrouvrer leurs biens. Ils voulaient retourner dans leurs foyers, ils avaient tout abandonné là-bas. La propagande allemande tente de persuader les mosellans des avantages qu'ils tirent en quittant le Poitou pour la Moselle. Les rumeurs qui circulent relatant qu'en cas de refus de retour, des allemands s'installeront dans leurs maisons, font davantage pencher la balance vers une option de départ. Ainsi, leur retour a non seulement pour conséquence d'éviter l'installation d'allemands, mais aussi de maintenir sur place une présence française. Puisque les allemands étaient partout, presque tous les réfugiés ont décidé de rentrer chez eux. Cependant, nombre d'entre eux vont vite déchanter à l'arrivée en Moselle.

Attente du départ en gare de MONTMORILLON Le retour par le train

Comme pour l'aller, le rapatriement des réfugiés en train bénéficie d'une solide préparation, tant pour les autorités allemandes que françaises. De plus, cette organisation préalable est cette fois-ci doublée par une meilleure qualité dans le transport, comme le rappelle justement Monsieur Sindt " C'était un peu mieux, parce que tout le monde ne partait pas en même temps. C'était organisé: tel jour telle commune, ou plusieurs communes. Ils remplissaient un train".

Le jour de départ arrivé et les réfugiés ayant achevé leurs préparatifs, la mise en route vers la gare d'embarquement peut donc avoir lieu. En règle générale, cette dernière est celle qui vit arriver, un an plus tôt, les mosellans dans la Vienne. Il semble que dans certaines communes, le maire charge, voire réquisitionne certains des agriculteurs de sa commune afin de transporter les familles à la gare. Les instructions du préfet fixent l'embarquement des voyageurs une heure au moins avant le départ. Le service de gendarmerie, chargé du service d'ordre, et muni par le maire de la liste nominative complète des réfugiés, doit contrôler leur présence. Avant de quitter la commune qui les a accueilli durant près d'un an, les réfugiés sont d'abord témoins du départ de leurs bagages. Une fois le village quitté, et les premiers adieux faits à ceux des poitevins qui ne font pas le trajet jusqu'à la gare, les réfugiés prennent donc à leur tour le chemin de la gare où les derniers préparatifs doivent avoir lieu avant le départ.

Les adieux à la Vienne

Une fois les voyageurs arrivés en gare d'embarquement et rassemblés sur le quai, il faut constituer le convoi de départ. Pour cela, un service d'ordre en chemin de fer, composé d'un chef de convoi et de chefs de wagons, choisis parmi les réfugiés par le maire de la commune évacuée, doit être mis sur pied. Sa tâche consiste, avant toute chose, à attribuer, une place à tous les voyageurs, à raison de sept à huit personnes par compartiment, en tenant compte du type de wagons mis à la disposition. Outre cette mission, le chef de convoi se tient en rapport constant avec les infirmières, ou les sœurs qui, accompagnant le convoi, qui sont chargées de venir en aide aux personnes souffrantes et de veiller à la santé des enfants. Cette répartition préalablement effectuée, chaque chef de wagons doit dresser la liste nominative des personnes dont il a la charge.

Une fois ces derniers points réglés, il ne reste donc plus aux mosellans qu'à attendre l'heure de départ. Ces derniers instants sont mis à contribution pour effectuer selon Joseph Herber, un dernier repas froid, assis sur les malles, mais aussi pour célébrer une dernière fois les liens d'amitiés crées entre certains mosellans et certains poitevins qui ont souhaité accompagner jusque sur les quais ceux qu'ils ont côtoyé pendant plus d'un an. Ainsi, l'ambiance est généralement bonne à la gare d'embarquement, ainsi qu'en témoigne ce qu'en écrit Catherine Cordel " Ambiance de fête sur le quai. Dernières photos avec les habitants de la Vienne, beaucoup d'habitants du village nous avaient accompagnés. Le petit café de la gare a beaucoup de clients: on se payait le dernier verre de l'amitié, de l'adieu ". Toutefois, cette bonne ambiance s'associe à celle de la tristesse de certaines personnes de se quitter: " Lorsque nous sommes repartis après un an, nous avions des amis. Ils sont venus à la gare avec nous, et l'un a pleuré, l'autre aussi. En un an ,on avait fait des connaissance ", précise Jeanne Krier. Puis vint l'heure du départ. Cet instant est souvent émouvant, de part et d'autre beaucoup de personnes pleuraient. " On agitait nos mouchoirs " se remémore Catherine Cordel.

Commence alors le trajet en train qui doit les ramener dans leur foyer. La plupart des mosellans s'accordent à dire que les conditions de retour sont meilleures que pour l'aller. L'échelonnement des rapatriements est la cause principale de cette amélioration, qui permet en outre au trajet d'être effectué dans des voitures et non plus dans des wagons à bestiaux. Si tous affirment que les conditions sont meilleures qu'en septembre 1939, certains se voient une nouvelle fois acheminés en wagons à bestiaux. Le type de compartiment n'est pas la seule raison du sentiment d'amélioration partagée par tous. La nécessité de l'évacuation a exigé des mosellans de la zone rouge qu'ils quittent en un laps de temps très court leurs habitations, la grande majorité de leurs affaires pour une destination qui leur était encore inconnue durant le trajet. Cette fois-ci, si une appréhension relative à l'état dans lequel ils risquent de retrouver leurs villages et, bien sûr, la peur du sort de leur département vis-à-vis de l'occupant est palpable, les réfugiés restent tout de même heureux à la pensée du moment où ils vont pénétrer dans leurs villages, moment qu'ils ont vivement souhaité durant leur présence dans la Vienne. En revanche, du fait de l'état des voies et des travaux hâtivement menés, les trains se déplacent avec lenteur. Des ponts provisoires en bois jalonnent l'itinéraire car nombre d'entre eux ont sauté ou ont été sacrifiés par l'armée française afin de retarder l'avancée allemande. Le voyage continue de nuit par Orléans, Montargis, Troyes et Saint-Dizier, qui est atteint vers midi le lendemain du départ. Là, une surprise de tailles, marquée par un arrêt nettement plus long, attend les réfugiés.

Saint-Dizier: un accueil sélectif et mitigé

Saint-Dizier demeure le souvenir le plus vivace et le plus symbolique du retour en Moselle. C'est à partir de cet arrêt que ces derniers prennent réellement conscience, par le contrôle strict de germanité, ainsi que par la propagande active menée par les nazis auprès d' eux, de ce qui va les attendre en rentrant chez eux. Point de passage obligatoire tant par voie de train que par la route, la ville de Saint-Dizier est choisie par l'occupant comme poste de contrôle, pour sa position géographique dans le nouveau découpage de la France en zones. Situé en zone occupée, à la limite ouest de la zone réservée, dernière zone à traverser avant l'arrivée en Moselle, Saint-Dizier représente donc le dernier point frontière au niveau duquel, les mosellans considérés comme francophiles ou n'étant pas de souche allemande, peuvent encore être refoulés. Toutefois, seuls les témoignages des évacués passés par Saint-Dizier, ou ceux des gens du cru, permettent de préciser ce que représente cette halte forcée de plusieurs heures, tout registre allemand sur ce contrôle ayant disparu. A Saint-Dizier donc, les convois s'arrêtent et les allemands prient les mosellans de descendre. Le lieu de ce contrôle reste quant à lui, très vague. Certains le situent directement sur le quai de la gare, tandis que d'autre, le place dans l'enceinte même de la gare. Cependant, au vu des nombreuses recherches et témoignages effectués par Monsieur Jacques Gandebeuf à ce sujet, il est plus que probable, selon lui, que ce contrôle n'ait pas eu lieu dans la gare proprement dite, mais à quelques centaines de mètres en direction de Vitry-le-François, dans une sorte de dépôt haut de plafond. Étant relié par rail à la gare, il est effectivement fort possible que ce dernier soit le théâtre de ces investigations pointues que mène l'occupant auprès de chaque réfugié mosellan adulte souhaitant rentrer avec sa famille en Moselle. Si les mosellans ne replacent plus avec certitude le lieu du tri, leur mémoire, en revanche, sur la procédure menée par les allemands, reste très fidèle, les témoignages se recoupant.

" Mettez vous en ligne. L'un après l'autre, vous passerez à cette table. " Tout le monde passait: le père, la mère, la grand-mère, par famille. Les allemands avaient tous des grands bouquins. Ces livres décrits par tous les réfugiés sont, semble-t-il des registres d'état civil, contenant donc tous types de renseignements relatifs à l'état civil d'une personne, mais complétés, au vu des questions posées aux réfugiés, par des renseignements d'ordre divers touchant à la religion, à la langue, mais aussi au service militaire et au sentiment qu'inspire le IIIè Reich à ces derniers. Ils savaient tout sur chacun. On ne savait pas d'où ils tenaient leurs renseignements. Sur le quai, ils avaient des tables roulantes, avec cafés et boissons chaudes. Les allemands nous ont offert du café et puis du "Kommissbrot". Le" Kommis", c'était le terme allemand pour le pain complet ou pain noir. C'étaient des militaires et la croix-rouge allemande. Une fois ravitaillé et après plusieurs heures d'attente, le train s'ébranle de nouveau, direction Bar- le-duc, Thiaucourt, Pagny-sur-moselle. Puis, c'est l'entrée en Moselle.

L'arrivée en Moselle

La nouvelle frontière passée ( la frontière de 1871 a été unilatéralement rétablie par les allemands dès le 24 juillet 1940 ), les réfugiés traversent encore quelques gares avant d'arriver à celle où doit s'effectuer leur débarquement.

Avant même leur arrivée dans leur propre commune, les évacués ont l'occasion de constater, le changement qu'apporte l'occupation allemande et, notamment la germanisation des noms de localités. La joie qu'éprouvent les habitants de la zone rouge en regagnant leur village s'estompe vite face au spectacle de désolation qui les attend. En entrant dans les villages, la première chose qui frappe, c'est une impression d'abandon, les rues sont envahies d'herbes hautes, les rats attirés par la nourriture délaissée, ont pullulé. Selon qu'elles aient été ou non le théâtre de combats ou qu'elles s'en soient trouvées à proximité, les bourgades mosellanes sont plus ou moins touchées. Ainsi, après le constat que la nature a repris ses droits, les revenants peuvent constater avec tristesse les nombreuses destructions dont souffrent leurs localités. L'état des villages fait regretter à bon nombre de mosellans leur départ de la Vienne.

De plus, les villages n'ont pas uniquement souffert des combats ou de leur abandon; l'intérieur des maisons s'est vu vider de leurs contenus. Malheureusement, il semble que certains mosellans, revenus plus tôt, se sont livrés également à des récupérations dans des maisons encore inoccupées, ou n'ont pas rendus à leurs propriétaires légitimes les affaires qu'ils trouvèrent chez eux et qui ne leur appartenaient pas. Le cumul entre les conséquences de l'abandon, des destructions du fait des combats et du pillage, donnent à ces villages un aspect peu reluisant. Partout on ne voyait que des mines tristes et inconsolables. Toutes les maisons avaient les portes grandes ouvertes. Tout le monde pouvait entrer. Les carreaux des fenêtres étaient cassés. Rien n'a été respecté, il fallait pratiquement tout recommencer à zéro.

Très rapidement, les anciens réfugiés tentent, dans la limite de leurs possibilités, d'apporter des remèdes à leur situation, en commençant par désencombrer les rues des villages de toutes herbes, mais aussi de tous objets entravant la circulation. D’après le témoignage de René Schneider, dans certaines rues, comme la rue Saint Rufe et la rue des Alliés par exemple, des barrages en forme de chicanes avait été formé à l’aide de machines agricoles. Ainsi les entrées ou les passages du village avaient certainement pût être filtrés. De même, ils s'attaquent aux habitations, tentant de réparer à la hâte et de mettre de l'ordre dans les intérieurs. Dès les premiers jours, des ouvriers vinrent réparer les toitures, poser des portes et des fenêtres. Puis ils s'organisent afin que le peu d'affaires restant dans les maisons puissent revenir à leurs propriétaires respectifs. Il fut demandé à chacun de mettre devant sa porte tout ce qu'il trouvait chez lui et qui ne lui appartenait pas pour que les habitants du village puissent retrouver leurs biens restants. Cependant, énormément de choses restent à faire et requièrent l'aide des autorités.

En ce qui concerne la nourriture, les habitants de Téterchen se sont tous retrouvés au lieu-dit “ Rick “ pour se servir en pommes de terre. La récolte de 1939 n’ayant pas eu lieu et suite à un hiver particulièrement enneigé, les pommes de terre furent protégées et non pas gelées. Les habitants sont tous, sans exception, allés se servir. Il fallait bien se nourrir. Une entraide formidable s’est ainsi mise en place. Ceci nous a été témoigné par Jean-Pierre Molter.

Certains cultivateurs, toujours tristes d’avoir dû abandonner leurs bêtes au départ, se sont à nouveau rendus à Thiaucourt. Et à leur grande surprise, quelques uns ont eu la chance de retrouver leur cheval. Et part solidarité, les “ nouveaux propriétaires “ ont naturellement rendu le bien à ceux qui une année auparavant avaient dû les abandonner. C’est ainsi que Jean-Pierre Crauser retrouva son plus vieux cheval de trait qui s’appelait “ Mademoiselle “.

Conclusion

Si les manuels d'histoire mentionnent souvent le phénomène de l'exode de mai-juin 1940, l'évacuation reste, quant à elle, souvent méconnue, voir passée sous silence. Des liens se maintiennent ou se recréent par la suite entre les deux populations. Ainsi, dès le retour en Moselle, les représentants des municipalités mosellanes, mais aussi de simples villageois, écrivent à ceux qui les ont hébergés ou à ceux avec qui ils se sont liés d'amitié, afin de les rassurer sur les conditions de leur trajet et de les remercier de leur accueil. Certains de ces contact s'étendent dans le temps, des initiatives privées ou publiques confortent ces contacts ou tentent de réactiver les liens. Ainsi, des associations organisent encore à l'heure actuelle des rencontres entre les deux populations. De même, les années qui suivent la fin du second conflit mondial, ainsi que les décennies suivantes voient se développer les jumelages entre communes poitevines et mosellanes, comme SAULGE et TETERCHEN.

Ce récit n’a pas la prétention d’être complet. Nous ne sommes qu’une équipe d’amateurs qui souhaitions retracer la période de l’exode qu’ont vécu nos anciens. Malgré tout, il est le fruit d’un an de recherches de témoignages auprès des habitants de Téterchen, ainsi qu’aux archives départementales de Moselle.

Vincent GUILLAUME Nous les Evacués Texte paru dans le journal “ L’Ami des Foyers Chrétiens “ Fin 1939 ou début 1940

Unser liebes Heimatland Notre chère patrie War bedroht durch Feindeshand A été menacée par l’ennemi Niemand weiß, wie es geschah Nul ne sait comment cela se passa Jäh war Mobilorder da. Mais la mobilisation était là.

Nun galt Haus und Hof verlassen Maintenant, il fallait quitter maison et ferme Alles stehen und liegen lassen Et tout ce qu’elles referment Keine Schränke, keine Betten Pas d’armoire, pas de lit Nur das nackte Leben retten. Seulement sauver sa vie.

Und mit tränenschweren Blicken Le regard triste,les yeux pleins d’eau Unser Bündel auf dem Rücken Notre petit paquet sur le dos Unser Herz voll Kümmerniss Le coeur plein de chagrin Fuhren wir ins Ungewisse. Nous voilà partis dans l’incertain.

Arm und traurig, ganz verlassen Pauvres, tristes et abandonnées Standen wir auf fremden Gassen Nous voilà postés sur d’étranges chaussées Wussten wir weder ein noch aus Ne savions plus où nous allions Gar kein Obdach, gar kein Haus. Pas de refuge, pas de maison.

Gute Menschen sind gekommen Quelques bonnes âmes sont venues Haben manche mitgenommen Et ont emmené tous ceux qu’ils ont pu Doch nicht alle hatten Glück Mais tous n’avaient pas cette chance là Viele blieben noch zurück. Et il fallait rester là.

Scheune, Ställe und Remisen Grange, remise et écurie Wurden vielen angewiesen, Il fallait qu’on s’y réfugie Schlafen mussten sie auf Stroh Sur la paille on dormait Und der Wind, die Kälte so … Alors que dehors le vent hurlait.

Mutter, sagt ein kleiner Bub, Maman, dit un petit garçon, Das ist doch nicht unsere Stub Ca n’est pas notre maison In dem Fenster keine Scheiben Les fenêtres pas vitrées Nein, hier können wir nicht bleiben. Ici nous ne pouvons pas rester.

Doch wir wollen nicht ganz verzagen Mais nous ne voulons pas désespérer Nicht mehr weinen, nicht mehr klagen Cessons de nous plaindre et de pleurer Tapfer und mit Gottvertrauen Avec espoir en Dieu et un grand soupir Mutig in die Zukunft schauen. Regardons dans l’avenir.

Sei es im Süden, sei es im Osten Que ce soit au Dud, à L’Est et n’importe où Jeder steht auf seinem Posten Les postes sont tenus partout, Tue jeder seine Pflicht Son devoir chacun fait Jeder wandle brav und richt’. Droit, juste et vrai.

Schlagen dann einmal die Stunden Mais lorsque l’heure aura sonné Wo dieses alles überwunden Où tout cela sera du passé “ Adieu Charente und Vienne “ Charente et Vienne, adieu à vous Rufen wir dann, “ nix wie hèm! “. Nous rentrons vite chez nous.