NUMÉRO 42 MARS - AVRIL 2020 LETTRE 3AF La revue de la société savante Association Aéronautique et Astronautique de France de l’Aéronautique et de l’Espace crédit studio Harcout studio crédit

GÉNÉRAL PHILIPPE STEININGER, CONSEILLER MILITAIRE DU PRÉSIDENT DU CNES

SATELLITE CSO1, 2 ET 3 AUTOUR ET AU-DELÀ DU B737 MAX DOSSIER ESPACE ET ENJEUX

TABLE RONDE ESPACE PROJET RYVOK 2 D’ TESTS DE MOTEURS FUSÉES AU LE 30 JANVIER À L’HÔTEL FAUGA DE L’INDUSTRIE NUMÉRO 42 MARS - AVRIL 2020 TABLE DES MATIÈRES

3 ÉDITORIAL 55 RÉFLEXIONS SUR LE PROJET RYVOK 2 D’ENERGIA, VOL HABITÉ 4 MESSAGE DU PRÉSIDENT TERRE - LUNE D. Valentian POINTS DE VUE 5 LA POLITIQUE INDUSTRIELLE SCIENCES ET TECHNIQUES DOIT SE RÉINVENTER À L’AUNE DE AÉROSPATIALES L’AUTONOMIE STRATÉGIQUE 58 AUTOUR ET AU-DELÀ DU M. Scheller et B. de Montluc B737 MAX 7 ÉVOLUTIONS DE LA BASE F. Guimera et CT 3AF Aviation INDUSTRIELLE DES LANCEURS Commerciale CHINOIS B. de Montluc, J-P. Perrais et A. Jacquart COLLOQUES 10 ENJEUX ET RÉSULTATS DU 63 SYMPOSIUM INTERNATIONAL CONSEIL MINISTÉRIEL DE OPTRO 2020 DU 28 AU 30 JANVIER L’AGENCE SPATIALE À PARIS EUROPÉENNE DE SÉVILLE C. Besson J. Jamet, P. Charruyer, B. de Montluc et 65 LE DIXIÈME CONGRÈS EUROPÉEN A. Wagner (ERTS) SUR LES SYSTÈMES 13 LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU EMBARQUÉS EN TEMPS RÉEL DU DROIT DE L’ESPACE – PARTIE II F. Guimera P. Clerc 68 LE COLLOQUE EUROPÉEN « AEC2020 » ESPACE J-P. Sanfourche 27 TABLE RONDE L’ESPACE ET SES ENJEUX VIE 3AF B. Chanetz 72 LE GR LANGUEDOC-ROUSSILLON ÉDITEUR 29 ESPACE, ENJEUX DE DEFENSE J-P. Dedieu Association Aéronautique B. de Montluc et Astronautique de France 31 CONNECT BY CNES, HISTOIRE 6, rue Galilée, 75116 Paris LE NEW SPACE MADE IN FRANCE 75 LES AÉROSTIERS DE LA Tél. : 01 56 64 12 30 C. Astorg-Lépine RÉPUBLIQUE – DE 1794 À LA [email protected] 35 LA RECHERCHE SPATIALE A GUERRE DE 14-18 L’ONERA ET LE CADRE DE L’UNION A. Dégardin DIRECTEUR DE LA EUROPÉENNE 86 QUAND LA SEPR TESTAIT SES PUBLICATION P. Cymbalista MOTEURS-FUSÉES AU FAUGA Louis Le Portz 37 QUELLES SOURCES DE J-J. Serra FINANCEMENT POUR LES 89 TRÉSOR D’ARCHIVES RÉDACTEUR EN CHEF ACTEURS FRANÇAIS ? M-C. Coët Bruno Chanetz LES GRANDS ENJEUX FINANCIERS M. de Dampierre IN MEMORIAM COMITÉ DE RÉDACTION 39 L’EXPORT : PRÉSENTATION DES 92 PAUL KUENTZMANN (1940-2020) Pierre Bescond ENJEUX ET STRUCTURATION DE F. Hirsinger, M. Scheller, B. Sainjon et Jean Délery L’ÉCOSYSTÈME B. Chanetz Jean-Yves Guédou G. Pradels, E. Jolivet et P. Lattes 94 PROFESSEUR BLAMONT Bertrand de Montluc 45 ÉCOSYSTÈMES INTERNATIONAUX B. de Montluc et J-P. Sanfourche Jean-Pierre Sanfourche D’ENTREPRENEURIAT SPATIAL : Jean Tensi LA DOMINANCE DU MODÈLE NOTE DE LECTURE Pierre Tréfouret AMÉRICAIN ET L’ÉMERGENCE DU 96 INNOVER COMME ELON MUSK, Bernard Vivier NEWSPACE JEFF BEZOS ET STEVE JOBS A. Dupas D’ALAIN DUPAS, JEAN- CONCEPTION GRAPHIQUE 48 LE NEWSPACE ET L’ÉCONOMIE CHRISTOPHE MESSINA ET CYRIL ICI LA LUNE SPATIALE DE SOUSA CARDOSO www.icilaLune.com W. Ricard et P-E. Morel de Westgaver M. Fontaine 52 LE SYSTÈME CSO, ATOUT- Droit de reproduction, textes et MAÎTRE DE LA DÉFENSE POUR 97 ÉVÉNEMENTS 3AF illustrations réservés pour tous SE RENSEIGNER, ANTICIPER ET pays. INTERVENIR Général P. Steininger

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 2 ÉDITORIAL

Si la 3AF est la société savante de l’aéronautique et de Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre l’espace, elle se revendique également comme un think aurait dit Churchill. À l’heure du Covid 19 que nous tank, dont la Commission stratégie et affaires internatio- apprend l’histoire au regard des précédentes épidémies ? nales (CSAI) est le fer de lance. En témoigne le recueil 1 des Au milieu du XIVe siècle, la peste noire aurait tué entre travaux effectués par la CSAI entre 2017 et 2019. 30 % et 50% des européens. Pour autant le commerce méditerranéen s’était poursuivi. De même les échanges Signe de cette production féconde, la présente Lettre mondiaux reprendront, mais avec davantage de débute par quatre articles dont une tribune signée de précautions. Il y a juste trois siècles, en 1720, la peste notre président d’honneur Michel Scheller. atteignit Marseille, via le Grand Saint-Antoine, en dépit d’un protocole très strict qui ne fut malheureusement Dans la continuité de la table ronde organisée le 30 pas respecté. Les intérêts financiers des édiles de la cité y janvier dernier, cette Lettre se poursuit par un dossier sur eurent leur part, mais aussi le laxisme dû à la non-propa- l’Espace et ses enjeux. Explorer cette thématique à l’heure gation de maladies contagieuses depuis deux générations. où la situation internationale compromet le développe- La grippe espagnole qui venait en fait des États-Unis, ment du NewSpace peut paraître déplacé. La faillite de fut responsable, durant l’hiver 1918-1919, de la mort de OneWeb est un sérieux coup de frein à la réalisation d’une beaucoup plus de personnes que la guerre elle-même, constellation de connectivité Internet de 648 satellites si meurtrière fut-elle. Elle avait gagné l’Europe avec les en orbite basse d’ici 2021. Cependant, l’effondrement de troupes américaines engagées aux côté de la France et du la bulle Internet au début de ce siècle n’a pas empêché le Royaume-Uni. Et moins grave puisque seuls les végétaux développement de nouvelles technologies au cours des sont concernés : à la fin du XIXe siècle, le phylloxera, deux décennies écoulées. De même, l’essor du secteur importé des Etats-Unis dans des plants de vigne, a spatial continuera d’autant plus que la crise a conforté le totalement détruit le vignoble français et plus près de caractère primordial des liaisons internet. nous, la pyrale venue de Chine il y a deux ans, a ruiné dans l’indifférence générale, la plupart des allées de buis Le redémarrage du secteur aéronautique sera sans de France. doute plus difficile. Avant la crise du Covid 19, un avion décollait dans le monde à la cadence des battements du Le président de la République Emmanuel Macron cœur et le domaine était en pleine croissance. À la honte a annoncé dans son discours précédant les élections de prendre l’avion pour des raisons écologiques pourrait municipales : Cette crise sanitaire sans précédent aura des désormais s’ajouter celle, pour les touristes ou les hommes conséquences humaines, sociales, économiques majeures ... d’affaires d’être montrés du doigt comme des vecteurs de retenons cela, le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce maladie. Mais c’est un problème antérieur à cette crise, ne sera pas un retour aux jours d’avant. Dans le domaine celui du Boeing 737 Max, qu’aborde dans cette Lettre la aéronautique les répercussions seront sensibles. Aussi la Commission technique Aviation civile. Une réflexion 3AF apportera sa contribution aux réflexions engagées et concernant les conséquences pour Airbus de l’immobili- déjà un membre de la CSAI est impliqué dans un groupe sation de cet avion complète cette analyse. de travail national sur la résilience organisationnelle. Nous en reparlerons, ainsi que des initiatives des autres La rubrique Vie de la 3AF est riche des comptes rendus Commissions techniques qui s’impliqueront dans l’après- des trois congrès qui ont marqué ce début d’année : OPTRO crise. 2020 à Paris (360 participants), ERTS 2020 à Toulouse (300 participants) et AEC 2020 à Bordeaux (500 partici- Les membres du comité éditorial se joignent à moi pour pants). À cela s’ajoute la présentation du Groupe régional vous souhaiter une bonne santé à ces temps troublés. ■ Languedoc-Roussillon. Bruno Chanetz Enfin l’histoire ayant toujours une place de choix dans président du Haut conseil scientifique, rédacteur en chef nos colonnes, ce numéro vous propose une suite à l’article sur les aérostiers de la République paru en début d’année, puis un article sur le test de moteurs-fusée sur un terrain situé en région Toulousaine, qui fut ensuite cédé à l’ONERA pour y créer son centre du Fauga-Mauzac.

1 https://www.3af.fr/system/files/recueil_csai_pour_le_site_internet_3af.pdf

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 3 LE MESSAGE DU PRÉSIDENT

Chers Amis,

Mes premières pensées vont vers ceux d’entre vous que Depuis la mise en place du confinement, les modalités de la terrible épidémie que nous affrontons a cruellement fonctionnement de la 3AF ont été adaptées conduisant à touchés et à la douleur desquels nous nous associons. généraliser l’utilisation des visioconférences et le recours Notre famille 3AF est endeuillée et nous avons hélas à pour le personnel du Secrétariat éxécutif au télétravail déplorer la disparition de certains de nos membres et amis ainsi qu’à des mesures de chômage partiel afin d’assurer de toujours. une permanence via le courrier électronique et le site.

Paul Kuentzmann nous a quittés le 30 mars dernier. La programmation de notre Assemblée générale initia- Jusqu’à la fin 2019, il fut président du groupe régional lement prévue en juin est également remise en question Ile-de-France. Il avait également beaucoup apporté à notre et sera reportée vraisemblablement en fin d’année. association au niveau du Haut conseil scientifique et du comité de rédaction de la Lettre 3AF. Tous ses amis à la 3AF Dans ce contexte, nous travaillons sans relâche à vantent unanimement ses grandes qualités humaines et maintenir le lien qui nous unit et notre passion commune professionnelles. Il nous manquera beaucoup. pour l’Air et l’Espace. Vous trouverez ainsi dans cette Lettre la synthèse des colloques OPTRO 2020, ERTS 2020 Jacques Blamont, membre de l’Académie des sciences, et AEC 2020 qui ont eu lieu au premier trimestre 2020. est décédé le 13 avril 2020. Il était l’un des fondateurs du CNES et plus récemment le « père » du projet FEDERATION Cette Lettre présente également un dossier sur l’Espace que la 3AF accompagne depuis son lancement 1. et ses enjeux, résultant de la table ronde du 30 janvier 2020, organisée à l’hôtel de l’industrie. Je rappelle que Nous avons également appris la mort de Jean-Marie cette table ronde avait été filmée par la chaineCo-working Luton, le 16 avril. Il fut directeur général du CNES, channel 2. directeur général de l’ESA, président-directeur général d’Arianespace et président d’Arianespace. Jean-Marie La crise que nous vivons va accélérer le virage Luton a toujours soutenu la 3AF et a activement participé numérique de beaucoup de sociétés. Nous allons donc à ses manifestations. C’est lui qui, en 1992, à l’occasion d’un nous atteler à la nécessaire refonte de nos services en colloque 3AF à Bordeaux, avait jeté les bases de la création ligne, vaste chantier pour lequel nous allons avoir besoin de CEAS (Council of European Aerospace Societies). de coordonner nos énergies et nos moyens. Je me réjouis qu’à la 3AF, des initiatives aient été déjà prises et salue par Toute la communauté aérospatiale internationale est exemple celle de Nicolas Bérend d’avoir créé une chaine touchée de plein fouet par la crise du Covid-19. L’activité youtube pour le groupe régional Ile-de-France 3. de notre association ne déroge pas, hélas, à la règle. Pour surmonter toutes ces épreuves et construire son Nous avons ainsi été contraints d’interrompre la plupart avenir, notre association va avoir besoin, plus que jamais, de nos travaux, réunions de commissions, conférences de recueillir un soutien financier exceptionnel de ses et d’ajourner nos colloques. La conférence internatio- membres individuels et collectifs. Je fais dès à présent nale AERO 2020 qui devait se tenir en mars à Poitiers appel à votre générosité et aux dons que vous pouvez est reportée à avril 2021 rebaptisée d’AERO2020+1. La adresser par courrier ou via notre site internet. programmation de nos conférences d’octobre et novembre est pour l’heure maintenue mais risque d’être remise Je forme le vœu que cette épidémie vous épargne, en question en fonction des mesures de déconfinement épargne vos familles et ceux qui vous sont chers. adoptées par la France et nos voisins européens. Avec toute mon amitié, ■

Louis Le Portz Président de la 3AF 1 https://www.3af.fr/sites/default/files/lettre3af-n26.pdf 2 https://coworkingchannel.news/coworking-channel-presente-la-conference-espace-et-enjeux-organisee-par-bruno- chanetz-alumni-onera/ 3 https://www.3af.fr/nouvelle-chaine-youtube-du-groupe-idf

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 4 POINT DE VUE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE DOIT SE RÉINVENTER À L’AUNE DE L’AUTONOMIE STRATÉGIQUE par Michel Scheller, président d’honneur de la 3AF et Bertrand de Montluc, membre émérite de la commission stratégie et affaires internationales (CSAI)

Aujourd’hui les grands acteurs et intervenants de notre Les temps modernes ne sont pas à la nostalgie. Il est communauté aérospatiale ne sont plus, tout au moins en vrai que les Trente glorieuses, le Commissariat au plan, la Europe, dans le domaine public. Dans les années 1990, DGA de rang ministériel, ne reviendront pas. La dérégu- le credo s’est imposé aux décideurs que le service public lation est passée par là, d’abord, puis la mondialisation devait se cantonner aux activités régaliennes et de souve- économique…Nous avons eu de beaux succès dans l’élec- raineté, les forces du marché prenant en main tout ce tronucléaire, l’énergie, l’industrie chimique, la sidérurgie, qui pouvait relever du domaine compétitif. Les services l’électronique grand public ; ou les sous-marins et avions de l’Etat (la célèbre DGEMP par exemple) et les agences de chasse, Ariane, l’aéronautique civile, etc. Et nous avons elles-mêmes (DGA) ont été re-dimensionnées. Depuis construit des « grands Instruments » de l’Europe en marche 2000, la dynamique s’est accélérée avec la politique du temps d’Eureka, l’Agence spatiale européenne, le CERN, de privatisation/européanisation de grands groupes l’OCCAR, et bien d’autres. Mais on se lasse et quand tout industriels. Il est vrai que dans un domaine un peu va bien, le recours au marché, suivant la loi de du libre particulier - le spatial - très lié à la recherche, à la R&D et échange des physiocrates, s’impose comme solution aux à l’exploration, les financiers et donneurs d’ordre restent Etats membres de la »Vieille Europe » encouragés en cela dépendants de l’argent public pour les commandes (ESA par une certaine technostructure européenne veillant à et CNES) comme elles le sont encore aux Etats-unis, en la mise en œuvre de principes règlementaires sanctuari- Russie et en Chine. L’intérêt des industriels n’est donc pas sés par les traités sur la libre concurrence. de voir s’écrouler les soutiens publics. Quand tout va mal – crises financières, attentats Aux Etats-Unis, si nombre d’industries ont été fusionnées terroristes, pandémies aujourd’hui – le pendule bascule : dans le domaine de l’aérospatial et de l’armement et si les on réclame à longueur de notes, tribunes ou rapports agences ont été rajeunies, les « dividendes de la paix » n’ont d’alerte, plus d’Etat, plus d’autonomie, plus de protection ; pas empêché des croissances importantes des budgets de et même parfois plus d’Europe, quand bien même les défense, d’armement, de recherche et d’études. En cas de Etats membres ont tout fait pour maintenir leurs mains nécessité, la puissance publique à Washington n’hésite sur le volant de direction et que le bilan en prix Nobel pas à se substituer au marché comme l’illustre le soutien des centres de recherche européens ne font pas florès. continu à Boeing à travers les commandes militaires. Il va Car il est vrai que peser à l’échelle internationale, face de soi qu’en Russie et en Chine, tout en tenant compte de à des grandes puissances populistes ou dictatoriales, grandes difficultés économiques de l’après 1989, l’Etat ne n’est pas une mince affaire. La lutte pour la suprématie s’est jamais vraiment désarmé. scientifico-technologique a bel et bien débuté entre les deux superpuissances actuelles - le système multilatéral On peut se réjouir de cette politique suivie en France Onusien étant, avec le retrait croissant des Américains, - qui visait à dynamiser les organisations, à lutter contre décrédibilisé. Va-t-elle favoriser l’émergence de deux blocs les traditions de l’arsenal, à limiter la bureaucratie géopolitiques correspondant aux écosystèmes industriels étatiste. Il est vrai que l’Etat n’était pas toujours un bon américains et chinois ? L’Union européenne (UE) semble actionnaire, écartelé qu’il était entre les impératifs de ses privilégier une troisième voie, mais ne risque- t-elle diverses « casquettes » (actionnaire, employeur, client, pas de devenir si elle reste paralysée par des divisions aménageur du territoire). On peut regretter l’époque internes non résolues ou entretenues par des puissances des capitaines d’industrie, tant il est vrai que nombre de extérieures un terrain de jeu dans le grand affrontement, joyaux industriels sont finalement passés sous contrôle en sous estimant la portée des rivalités de puissance et étranger ou de fonds de pension ; et nombre d’opérations la propension à l’alignement pur et simple de certains d’européanisation, à quelques notables exceptions, ont sur les positions américaines ? La Commission est-elle en conduit à livrer des sociétés de tradition, jadis pilotées mesure de changer ses méthodes et ses règles d’une autre par de grands ingénieurs portés par la passion sincère du génération pour revenir à des procédures plus simples et projet, à un management essentiellement financier néces- éprouvées par les acteurs de la génération Eureka, guidées sairement obsédé par les dividendes, le cours de l’action par le principe de l’excellence ? Le pendule va-t-il basculer ainsi que le jargon à la mode dans les cercles dirigeants. alors que nous sommes confrontés à des crises de toute De plus, la logique financière et boursière ne permet plus sorte sanitaires, économiques, sécuritaires et diploma- semble-t-il les grands investissements à long terme dont tiques ? l’Etat actionnaire assumait les risques (exemple d’Airbus ou Ariane au démarrage).

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 5 POINT DE VUE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE DOIT SE RÉINVENTER À L’AUNE DE L’AUTONOMIE STRATÉGIQUE

Au cours de cette réflexion, reviennent en mémoire acquisitions sont faites aux Etats-Unis nous ne sommes concernant notre pays des exemples récents de pas certains de pouvoir les utiliser partout et en tout perversions de l’ordre et du droit international : chantages temps ; si nos armements comprennent des composants à l’éthique, via le biais juridico judiciaire, exercés sur des américains ou chinois pourra t on les approvisionner en joyaux de l’industrie, Alstom, Airbus et bien d’autres ; cas de besoin en cas de conflit (exemple vécu lors de la rôle croissant des cabinets d’audit juridique et comptable, première guerre du golfe) ? de lobbying, à Paris et à Bruxelles. Quand par chance survient une opportunité à saisir pour nos dirigeants Le grand chantier à conduire au plan national et industriels (typiquement une branche d’Alstom par européen nous semble consister à replacer les projets exemple à racheter), à quel guichet s’adresser à Paris (matière grise et force de travail) au cœur de l’entre- ou à Bruxelles ; sans négliger les dissensions internes prise, et pas uniquement sous l’angle financier (leçon à l’Europe comme par exemple l’opposition à l’alliance à tirer des difficultés de Boeing). En termes de politique d’Airbus avec British Aerospace ? A Paris, le Trésor, la industrielle, nous ne devons pas hésiter à partir à la DREE, le Ministère de l’Industrie ne sont plus là pour reconquête de certains fleurons perdus de l’industrie réveiller l’aiguillon gaulliste, préparer des plans, lancer qui par les aléas financiers se retrouvent sur le marché : des actions de sauvegarde de l’autonomie stratégique, branches d’Alstom, constellations satellitaire One Web… de protection de la BITD critique. À Bruxelles, l’Union Il ne s’agit pas là à court terme de milliards à lever mais européenne n’est pas naïve, nous en avons pour preuve de quelques centaines de millions dans l’immédiat (alors le leadership qu’elle a su prendre (il est vrai il y a vingt que le gouvernement va devoir emprunter 245 Mds €). ans et avec beaucoup de peine) sur la Navigation par C’est une question de résilience industrielle. Les buts de la satellite GNSS-Galileo. Mais est-elle à même, à ce stade, compétition internationale des puissances sont largement de se lancer à conduire un grand chantier de planification économiques et industriels comme le démontre la crise stratégique et de politique industrielle (rappelons-nous actuelle résultant de la pandémie. Il est ainsi inimaginable la Stratégie de Lisbonne) pour entrer dans la course à la que dans ce contexte dramatique on laisse s’épanouir la suprématie technologique. En 2009, la Commission avait désinformation – par exemple le transport aérien, qui est marqué un point en affirmant l’importance des industries la clé de l’industrie de la construction aéronautique et technologiques pour la défense et la sécurité des Etats un domaine envié d’excellence française et européenne, membres, mais en restant dans une approche libre-échan- étant actuellement la cible favorite de lobbies prétendu- giste, en considérant les dépenses de Etats pour soutenir ment écologistes qui méconnaissent les données de base la R&D et la base industrielle comme des distorsions de et s’opposent au progrès technique par principe. concurrence : résultat pratique, pénalisation des Etats soucieux d’autonomie stratégique, encouragements aux Dans ces conditions, il est urgent de s’assurer des Etats d’acheter aux Etats-Unis. « assets », des cartes maîtresses : avion de combat futur (SCAF, avec les allemands et les anglais), armement et Depuis, l’UE, tirant des leçons de l’expérience, a décidé technologie de missiles haut de gamme, aéronautique de mettre en place un Fonds Européen de Défense bien civile, successeur du lanceur de transition , doté si le budget est adopté, centré sur la R&T/R&D qui énergie, sécurité, santé, recherches amont, IA. En devrait d’ici quelques années avoir un effet dans les se positionnant à la pointe de l’innovation à chaque domaines capacitaires. L’association EuroDefense présidée fois que cela est encore possible notamment pour les par P Bellouard, un des artisans du succès de Galileo, industries du futur, les domaines du numérique et les propose maintenant que l’UE lance un véritable plan de applications dans le domaine de la sécurité, la France relance industriel qui serait mis en ouvre par la DG de et l’Europe se donneraient des moyens concrets de ne Th. Breton 1. Le Général Desportes, ancien directeur de pas être vulnérables aux chantages ou à la force. Il faut l’Ecole de guerre, explique pour sa part que nos nations, reconnaître que ce plaidoyer pour l’autonomie stratégique considérant le découplage transatlantique, ne survivront n’est pas partagé par tous en Europe, et que tous n’ont que si elles savent échanger un peu de souveraineté pas envie de payer pour des dépenses faites hors de leur contre l’édification d’une confédération européenne frontière nationale à des prix parfois supérieurs aux prix autonome capable de s’opposer aux diktats des très américains, russes, ou chinois. Espérons que les lacunes grands : autonomie de décision, de régulation, de sécurité, critiques et les dépendances mises en évidence par la économique et financière dans le grand marché mondial présente crise sanitaire serviront d’exemples à ne pas – sauf à devoir supporter pour toujours notre situation suivre et constitueront des leçons pour d’autres domaines de dépendance industrielle 2. D’ores et déjà une certaine que la santé. ■ dépendance existe au plan opérationnel militaire ; si nos

1 Eude IFRI, « L’Europe face à la rivalité sino-américaine… », T. Gomart, EA Martin & al. 2 Tribune Idées dans Le Monde, 15 avril 2020, p 29

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 6 POINT DE VUE ÉVOLUTIONS DE LA BASE INDUSTRIELLE DES LANCEURS CHINOIS par Bertrand de Montluc, Jean-Paul Perrais et Annick Jacquart, Commission Stratégie et affaires internationales de la 3AF

Une publication récente de la revue « Asia trends 1 » parmi ces entreprises d’une taille relativement restreinte constitue une occasion de faire un point du contexte (de 20 à 200 personnes), une dizaine se distinguent selon actuel dans le domaine des lanceurs spatiaux civils le document cité d’Asia Centre. en Chine, permettant ainsi de documenter certaines évolutions récentes - au-delà de ce qui est généralement Onespace, entreprise spécialisée dans le lancement connu au sujet des lanceurs classiques Longue Marche 2. de micro et nanosatellites fondée en août 2015 par La présente note sera ultérieurement complétée par des Shu Chang, un jeune entrepreneur de 33 ans, est sans informations plus techniques dans la mesure de leur doute celle qui a fait l’objet de la plus forte couverture disponibilité. médiatique. Réunie autour d’une équipe d’une centaine de personnes, la société est parvenue en moins de trois ans Le dynamisme du très jeune secteur des lanceurs à réaliser en mai 2018 le premier lancement commercial commerciaux chinois, relayé avec enthousiasme par « privé » chinois de satellite en orbite basse. Plus discrète, les médias nationaux, en dit long sur les évolutions en Linkspace, fondée en 2014, se place sur le marché des Chine des secteurs aéronautique suivies à la 3AF par lanceurs réutilisables. Landspace se spécialise sur les Jean-Paul Perrais 3 et spatial suivi par Annick Jacquart. lancements depuis des bases mobiles. Les technologies Les entreprises non étatiques chinoises se sont en effet de départ d’iSpace sont des fusées sondes. ExPace est à multipliées dans le secteur spatial ces cinq dernières part : dépendante de la Aerospace Science and années ; cela est peu connu, attirant un nombre croissant Industry Corporation (CASIC), elle vise à commercialiser d’investisseurs. Elles se sont concentrées sur la mise au les dernières versions de la série . point de microsatellites et de lanceurs adaptés à la mise en orbite des méga-constellations pour les télécom- La « ruée vers l’espace » des entreprises commerciales munications. L’essor récent de ce secteur en Chine a été permis par l’évolution du cadre réglementaire et Source: Jean Deville, China aerospace blog, Asia trends stratégique. Il s’inscrit dans les objectifs de « montée en 2019, Asia Centre gamme » de l’économie chinoise et du « développement national de l’innovation » deux mots d’ordre lancés lors du 13e plan quinquennal et réaffirmés lors du 19e Congrès du Parti communiste chinois en octobre 2017). L’enjeu pour la Chine est d’ouvrir le secteur des lanceurs aux capitaux privés pour stimuler l’innovation, dynamiser et diversifier l’aérospatial national, encourager les investis- sements et être concurrentiel sur le marché international. Si cette évolution suit une tendance mondiale calquée sur le modèle américain, une spécificité chinoise se dessine entre libéralisation et encadrement de l’État, dans le cadre d’une concurrence différenciée entre les secteurs étatique et privé.

UNE CROISSANCE RÉCENTE DU SECTEUR SPATIAL COMMERCIAL CHINOIS

Aperçu des entreprises en lice

Les experts évaluent entre 60 et 100 le nombre actuel de startups présentes dans le domaine spatial en Chine, et

1 Lancements spatiaux commerciaux chinois, L. Sénéchal, C. Liffran, Asia trends, juin/octobre 2019, Asia Centre. 2 Rappelons que le lanceur chinois n’a pas accès à la compétition commerciale ouverte. 3 Comment envisager l’évolution future e l’industrie aéronautique et de défense en Chine ? Partie I, chapitre I, page 40 et S du document de synthèse des Etudes de la CSAI, décembre 2019.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 7 POINT DE VUE ÉVOLUTIONS DE LA BASE INDUSTRIELLE DES LANCEURS CHINOIS

La vague d’investissements massifs de 2018 en quant à lui soutenu par le fonds d’investissement d’État de témoigne : pour cette seule année, au moins 17 levées de la zone de développement et d’ouverture et de Chongqing fonds auraient été annoncées dans le secteur aérospatial Liangjiang New Area. Les nouvelles entreprises sont aussi commercial chinois, dont au moins six portant sur des encouragées à participer à des projets de recherche explo- montants supérieurs à 100 millions de yuans. D’après ratoires qui étaient initialement confiés uniquement à des les données du fonds d’investissement américain Space agences et des grandes entreprises d’Etat. Angels, ce sont aux alentours de 300 millions de dollars d’investissements de capitaux qui ont été réunis pour la Le Bureau des sciences et des technologies du seule année 2018, une augmentation de 57% par rapport ministère de la Défense chinois joue un rôle clef dans à l’année précédente. Si ces investissements ne repré- la mise en œuvre de programmes de recherche et de sentent qu’une infime fraction des placements dans le tests de lancement en partenariat avec les entreprises monde, c’est parce que la commercialisation des activités non étatiques. Les centres de lancement militaire de spatiales est une tendance récente en Chine, a fortiori Jiuquan, Wenchang, et Xichang coopèrent depuis mai pour les activités de lancement. 2018 avec les entreprises commerciales de lanceurs en mettant à disposition leur site ou en envoyant des équipes Ces orientations sont évoquées dans le Livre blanc sur d’experts et d’officiels pour mener à bien les opérations de les activités spatiales diffusé en décembre 2016 par le lancement. Gao Chongwu, ancien directeur de la Sixième Bureau d’information du Conseil des affaires de l’État. Ce Académie des sciences et technologies de l’aérospatiale document définit notamment la « voie spéciale pour l’inno- désormais à la retraite, rappelle à cet égard que le secteur vation » comme un système de planification à laquelle est caractérisé par une forte circulation des ressources sont associées les entreprises innovantes. Ces orientations humaines entre les sphères publique et non étatique. Les se sont concrétisées notamment par un assouplissement dirigeants actuels d’entreprises commerciales de l’aéros- des mesures pour obtenir des permis. Ainsi, le document patiale sont souvent d’anciens cadres et techniciens issus sur les permis autorisant les programmes de lancement du secteur public ou des militaires en reconversion. spatiaux civils publié en janvier 2018 par le Conseil des affaires de l’État, vient assouplir d’anciens règlements La règlementation du secteur passe par une mission datant de 2002. d’harmonisation des procédures, normes et systèmes de production et de gestion du secteur. La CASC, entreprise La libération du secteur des lanceurs suit aussi une d’État de référence dans le spatial réunissant divers tendance internationale calquée sur le modèle américain centres de recherche et de production nationaux, doit (Space X notamment). Mais surtout, c’est une orientation faire figure de modèle 4. C’est en effet sur ses épaules spécifique à la Chine qui se dessine dans les relations entre de géant que repose le développement futur du secteur le complexe militaro-industriel d’État et ces nouvelles aérospatial privé. Fort de ses soixante années d’expé- entreprises. rience, le géant national du spatial sert de référence pour établir le cadre réglementaire mais aussi un modèle Un secteur commercial encadré d’entreprise avec ses normes de gestion et procédures que les autorités entendent systématiser au sein de l’ensemble L’ouverture du secteur spatial aux capitaux privés du secteur. Il s’agirait à terme d’intégrer les entreprises s’inscrit directement dans la logique de la politique d’inté- privées au secteur aérospatial existant, sous la houlette gration militaro-civile mise en avant dès le 18e Congrès d’un département. Cet alignement avec les standards fin 2012 par Xi Jinping. Ce dernier soulignait en juin 2017 étatiques et le renforcement de l’autorité gouverne- que « l’intégration militaro-civile dans le domaine spatial » mentale doivent permettre de pallier les insuffisances devait être un « modèle à suivre pour l’armée nationale ». dont souffre le tout jeune secteur des lanceurs de petits satellites (notamment le fossé générationnel existant entre Le soutien des entités étatiques aux entreprises les équipes dirigeantes formées au sein de la machine commerciales se manifeste par la création de fonds étatique et les jeunes employés fraichement diplômés des d’investissements thématiques ou régionaux émanant de grandes universités ; si ces derniers sont dotés d’un grand l’État. iSpace a ainsi bénéficié d’un investissement de 200 esprit d’innovation, ils manquent d’expérience en termes millions de yuans d’un fonds spécial pour l’intégration de concepts et de systèmes d’ingénierie éprouvés par le militaro-civile de la province du Zhejiang. Le centre de secteur d’État). À l’occasion des sessions parlementaires recherche et de production de Onespace à Chongqing est de mars 2019, plusieurs propositions ont par ailleurs été

4 CASC (China Aerospace Corp.), divisée en : CASTC, (China Aerospace Science & Technology Corp.), établie en 1999, développe lanceurs et satellites, et drones. Effectifs environ110 000 personnes. CASIC, (China Aerospace Science & Industry Corp.), satellites, missiles et drones militaires, 150 000 personnes, avec centres de R&D et production ; et CGWIC (China Great Wall Industry Corp.) pour les activités d’import- export des lanceurs.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 8 POINT DE VUE ÉVOLUTIONS DE LA BASE INDUSTRIELLE DES LANCEURS CHINOIS

émises pour encadrer davantage le développement du soit l’entreprise amenée à se distinguer. secteur aérospatial commercial. Celle de Hu Shengyun, déléguée au Congrès national du peuple et concepteur Perspectives en chef du Quatrième Institut de recherche de la société aérospatiale chinoise, préconise notamment l’élaboration Les débuts du secteur des lancements commerciaux d’un plan national de développement de l’industrie aéros- chinois sont révélateurs des enjeux contenus dans la patiale commerciale et une plus ferme règlementation du stratégie d’innovation chinoise. La libéralisation, dans secteur… une certaine mesure, de ce secteur est avant tout conçue « Concurrence différenciée » comme un outil au service des intérêts de l’innovation nationale. Au-delà des progrès technologiques et des Pour le PDG de Onespace, l’État doit avant tout avoir défis techniques, elle soulève la question des modes de pour mission de garantir un environnement compétitif gestion et de gouvernance de l’innovation : réforme des équitable fondé sur la loi du marché. Il invoque par entreprises d’État, encadrement du secteur privé, planifi- exemple la nécessité d’ouvrir davantage le secteur à la cation centrale à long terme. sphère civile en se référant au système américain d’appel d’offre mis en place au sein de sa base industrielle et L’essor de ce secteur devenu concurrentiel interroge technologique de défense. L’entrepreneur est également sur sa viabilité à long terme, notamment en termes soucieux de se démarquer de son concurrent américain de débouchés. Les entreprises commerciales chinoises Space X et défend une vision extrêmement pragmatique réalisent avant tout des lanceurs légers, avec une concen- de son projet entrepreneurial, à l’opposé selon lui des tration sur les petits satellites en orbite basse. Cela « rêves de grandeur » sur Mars à l’américaine. Son correspond d’une part à une demande croissante des entreprise cherche avant tout à se concentrer sur l’accessi- maîtres d’œuvre chinois, d’autre part à une tendance bilité financière, la rentabilité des produits commerciaux globale 5. Les petits satellites sont plus accessibles pour et leur adaptation aux besoins du marché. Shu Chang les entreprises et PME nationales, mais aussi pour les se réfère directement à la philosophie d’entreprise de autorités locales et les universités dont la demande Huawei qu’il prend pour modèle. Il évoque en particulier explose. D’après Huo Jia, vice-président d’iSpace, ce sont la notion de « compétition différenciée » pour désigner la tous ces acteurs nationaux qui sont directement visés en relation entre entreprises commerciales et entreprises tant que public cible. du secteur traditionnel. Les secteurs étatique et non étatique doivent être complémentaires et non se concur- Si le moteur principal du secteur du micro et des nano rencer, l’État restant le chef d’orchestre de l’écosystème satellites reste la demande intérieure, il est également spatial militaro-civil. L’offre commerciale a ainsi en partie porteur au plan international : d’après Euroconsult, il pour objectif de compléter les programmes nationaux : pourrait générer 15 milliards USD d’ici à 2027. La Chine entre les gros et les petits lanceurs d’une part, entre les tend ainsi à multiplier les partenariats commerciaux dans programmes de prestige et les plus rentables d’autre part. le secteur des lancements spatiaux, notamment dans Chu Longfei, directeur technique de Linkspace, explique le cadre du programme des Nouvelles routes de la soie. quant à lui vouloir développer de petits lanceurs réutili- Elle propose à des pays tiers, souvent des pays émergents sables en complément des lanceurs lourds développés par sous embargo américain pour les technologies duales, en les entreprises publiques. particulier de télécommunications, des contrats « clefs en main » qui incluent la conception, la construction et Si, à terme, seules deux ou trois entreprises qui rassem- le lancement des satellites. S’agissant des lanceurs lourds bleront ressources sociales, soutien gouvernemental, plus classiques, elle est en mesure de faire valoir son mobilité des talents et investissement en capital finiront savoir-faire puisque le 27 décembre 2019 elle a réussi le tir par détenir le futur marché de l’aérospatial privé en du lanceur CZ-5. Chine, la direction de l’État n’a pas désigné de favori pour le moment. Elle préfère laisser le marché designer Toutefois, il faut rappeler que l’internationalisation un champion national, comme cela a pu être le cas avec des entreprises de lancement chinoises reste confrontée Tencent Holdings Ltd. pour les messageries de smartphone à des limites. Elle se heurte en premier lieu au durcisse- et Alibaba Group Ltd. dans le e-commerce et le soutien aux ment du contrôle à l’export par les États-Unis et des règles entreprises à la fois commerciales et d’État - indiquant qu’il entourant les transferts de technologies américaines s’agit d’une stratégie nationale dont le but est de stimuler vis-à-vis des technologies à usage dual (ITAR) dans le l’innovation dans les capacités de lancement, quelle que secteur spatial. Par ailleurs, si la Chine, sur le plan inter-

5 Voir l’étude 3AF pour l’OPECST L’innovation comme perspective stratégique de valorisation des services par satellites, Notes et Études CSAI 2017-2019, page 30. Et actes de la table-ronde organisée à la Maison de l’Industrie le 30 janvier 2020 sur le thème « new space » dans cette Lettre n°42.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 9 POINT DE VUE ÉVOLUTIONS DE LA BASE INDUSTRIELLE DES LANCEURS CHINOIS

POINT DE VUE ENJEUX ET RÉSULTATS DU CONSEIL MINISTÉRIEL DE L’AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE DE SÉVILLE (27/28 NOV 2019) par Jean Jamet, Philippe Charruyer et Bertrand de Montluc, commission Stratégie et affaires internationales (CSAI)

La note ci-dessous expose de façon résumée les principaux sur 3 ans, le solde sur 4 ans), en augmentation de 40% en résultats de la CM/ESA qui a fixé à la fin de l’année 2019 les volume total par rapport au précédent. La France investit priorités pour les 3 à 5 ans à venir du programme spatial plus de 3 milliards en 2020, plus de 1 milliard en 2021 et européen, notamment pour les lanceurs. Elle comprend un 2022. Le financement français est sur-determiné par le début d’analyse de la réaction des partenaires de l’industrie et programme Ariane, y compris la partie « soutien à l’exploi- pose quelques questions pour l’avenir plus lointain. tation » dite EGAS (déficitaire structurellement depuis des années) que les Etats membres rechignent à payer, sauf la Elle sera ultérieurement complétée par un résumé des France. À noter que la conférence a été préparée au niveau réunions délibératives tenues au parlement français national français de façon rigoureuse et dynamique avec notamment de l’Office parlementaire d’évaluation des choix présentation parlementaire et instruction dans le cadre scientifique et technique (OPECST) préalablement à la tenue du COSPACE en liaison avec l’industrie. Une partie de de la Conférence ministérielle européenne de Séville. La 3AF cet investissement est malheureusement obérée par pour sa part avait contribué à l’information de l’Office par la couverture de la dette CNES à ESA. Il reste un peu une note analytique portant sur l’importance des nouveaux inférieur à ce qui était demandé par la communauté services par satellites 1. industrielle, avec une compensation partielle de 300 M € de la part du budget national (CNES, PIA). À noter Airbus LES PRINCIPAUX RÉSULTATS CHIFFRÉS France pour sa part a gagné Mars Sample Return, Earth DE LA CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE DE Return Orbiter. SÉVILLE S’ÉTABLISSENT AINSI : À signaler que le budget souscrit par l’Allemagne (forte En premier lieu, une très grande première : le budget de son PNB et habile manœuvrière), plus élevé que prévu qui a été voté à l’unanimité est de 14,38 Md€ (12.5 Md€ à hauteur de 3,29 Md€, représente 22,9% du budget total ;

1 Rapport AN N°2409, Sénat N° 118, du 13/11/2019. La contribution 3AF/CSAI sur les satellites a été publiée dans le cahier des études CSAI de novembre 2019, p.30.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 10 POINT DE VUE ENJEUX ET RÉSULTATS DU CONSEIL MINISTÉRIEL DE L’AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE DE SÉVILLE (27/28 NOV 2019)

elle devance ainsi la France qui contribue à hauteur de consistant à envoyer un véhicule vers Mars pour y 2,664 Md€ auquel il convient d’ajouter 160 M€ au titre collecter des échantillons et les ramener. de Kourou. Le CNES argue qu’en additionnant contri- • Accroissement des activités de R&T, mais l’industrie butions anciennes et nouvelles, la France reste devant reste déçue par le budget R&T/telecom ARTES à 1511 l’Allemagne au moins jusqu’à la prochaine ministé- M€ (le CNES s’efforcera de compenser) et les investis- rielle. Viennent ensuite l’Italie très ambitieuse (volonté sements insuffisants au titre de la Future EO (earth de se payer une place dans le programme exploration obsevation, 545 M€) Martienne notamment) qui talonne la France avec 2,282 • Participation aux activités de la station spatiale ISS Md€ ; le Royaume Uni, finalement à 1,655 Md€ et l’Espagne jusqu’en 2030, 850 M€. Au total il faut noter que dans le domaine des • Envoi de spationautes vers la Lune, satellites (télécoms, navigation, observation de la terre) • Soutien à la compétitivité européenne, l’ESA la France se situe derrière l’Allemagne et dans certains promouvant l’exploitation commerciale de l’espace, secteurs derrière l’Italie ou le Royaume Uni. tout particulièrement au titre du New space (à titre d’exemple le développement de systèmes satellitaires LES PRINCIPAUX POINTS À SOULIGNER associés à la 5G). Cela concerne également le dévelop- DANS LE DOMAINE DE LA PROGRAMMA- pement de technologies optiques intégrées au réseau TIQUE pour constituer ce qui est appelé « la fibre optique de l’espace » - ce qui constitue un tournant dans les • L’autonomie de l’accès à l’espace, avec Ariane 6, et télécommunications par satellite (jusqu’à maintenant C, obtient 2238 Md€ (dont 1Md€ de la France), plus 512 « point à point »). Ces technologies seront utilisables M€ pour le CSG. pour la navigation GNSS et assureront plus tard la mise • Les programmes scientifiques dits programmes obliga- au point du système de navigation pour l’exploration de toires (financement au prorata du PNB) sont à 2823 Md€ la Lune. sur 4 ans: à titre d’exemples Lisa (mise en orbite du • Le Space Rider a également été souscrit pour financer laboratoire spatial d’études des ondes gravitationnelles), un véhicule spatial de transport en orbite basse réuti- Juice (lunes de Jupiter), les missions (telescope lisable. d’astrophysique haute énergie) et Euclid (étude de la • L’ESA s’engage enfin à une utilisation responsable de matière noire). l’environnement. Onze missions sont prévues portant • S’agissant de Mars, le programme MSR (Mars Sample sur les thèmes liés au changement climatique principa- Return, Earth Return Orbiter) dont le « Surface Fetch lement en Arctique et en Afrique. Rover » (pour collecter des échantillons et les ramener sur Terre) est sous maitrise d’œuvre Airbus France. Ce sera donc depuis Toulouse que sera réalisée la première

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 11 POINT DE VUE ENJEUX ET RÉSULTATS DU CONSEIL MINISTÉRIEL DE L’AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE DE SÉVILLE (27/28 NOV 2019)

À L’ISSUE DE CE CONSEIL DES MINISTRES Au final, en vue d’élaborer une appréciation critique ESA/ASE, QUELQUES POINTS MARQUANTS plus détaillée à partir des résultats de la conférence SONT À RELEVER : ministérielle ESA/ASE (ce qui pourrait constituer un prochain sujet d’étude pour la commission CSAI en • Le gap grandissant en volume entre le spatial américain 2020), il nous semble que certains choix programma- et européen surtout si on inclut les budgets spatiaux de tiques ou questions pour l’avenir de l’industrie et les défense même s’ils sont en augmentation en France. bureaux d’étude paraitraient intéressants à être étudiés, • Le résultat des discussions budgétaires à Bruxelles pour notamment : connaitre la contribution UE au budget spatial européen (Galileo, Copernicus, R&T) qui s’ajoute au budget ESA en • La gouvernance institutionnelle de l’Espace avec le pluri annuel n’est pas encore connu. CNES, l’ESA et la CE est-elle toujours optimale dans une • La volonté de l’Allemagne de monter en contribution. conjoncture qui a beaucoup changé ? • La priorité de la France pour le financement du lanceur • L’emprise traditionnelle des pouvoirs publics français lourd Ariane 6, poursuivant une double ambition ne diminue- t-elle pas sous la pression de la conjoncture de servir le marché institutionnel et le marché favorable à la croissance du secteur privé comme commercial international - cette priorité étant peut être « donneur d’ordre » (comme on l’a vu dans les années au détriment, comme le craignait le parlement français, passées pour l’OT) ; dans cette hypothèse, comment du soutien à certains programmes satellites ? être certain que la politique d’ensemble tant au niveau • S’agissant de l’horizon au-delà de 2030 pour la suite de national qu’européen préserve nos intérêts, alors que la filière Ariane, les programmes R&T sont Prometheus dans le passé même récent nous avons consacré des (moteur à propulsion liquide potentiellement ré-utili- efforts considérables pour maintenir une politique sable, Thémis (démonstrateur 1er étage ré-utilisable) et favorable à nos intérêts souverains et industriels ainsi Icarus (étage supérieur économique). qu’au développement d’une compétence européenne. • Participation à la mission de retour d’échantillons Sommes-nous assurés que le retour sur investissement martiens en coopération avec la NASA. est favorable à notre pays ? • L’avenir du CSG en Guyane est durablement assuré sur • Si dans l’avenir la gouvernance évolue vers moins d’Etat la période2020/2024 selon le mode habituel (les et moins de France, plus de privé et plus d’européen, activités dites obligatoires sont financées par tous les conserverons nous l’avantage de nos audaces passées ?■ Etats membres), avec une augmentation substantielle des dépenses d’investissement afin de moderniser les infrastructures dont le vieillissement a été relevé par la Cour des Comptes.

Souscriptions par thémes

Souscriptions par Etats

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 12 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE 1 par Philippe Clerc, CNES, Référent Conformité et Ethique, membre de la commission Stratégie et affaires internationales de la 3AF

RAPPEL INTRODUCTIF de ses divers programmes spatiaux nationaux ou en coopération européenne et internationale. La première partie de cette étude, publiée dans la Lettre 3AF n° 40, analysait deux grandes tendances La première vague de privatisation du secteur spatial qui nous amènent à repenser l’évolution du droit des des années 1980-90 a conduit à la mise en place de la loi sur activités spatiales. La première, de source économique, les opérations spatiales de 2008 et de ses décrets d’applica- se caractérise par ce que l’on appelle communément tion, lesquels ont en quelque sorte codifié et généralisé des aujourd’hui le New Space ou le Nouvel Age des activités engagements et usages déjà acceptés ou reconnus par ce spatiales. secteur.

La seconde découle de nouveaux équilibres géopo- Nous développerons ci-après le contenu, les atouts et litiques internationaux et s’exprime par le retour des limites du cadre juridique régissant les activités spatiales, grandes ambitions étatiques pour l’exploration et dans son contexte international, européen et national 3. l’implantation humaine sur les corps célestes comme la Lune, Mars ou les astéroïdes, avec les nouveaux enjeux 2.1 – UN CADRE INTERNATIONAL OUVERT ET économiques, stratégiques et de défense qui en résultent. RESPONSABLE Ces ambitions portent le développement de nouvelles technologies, d’infrastructures et de services associés Sur sa forme, ce droit de l’espace, relève du droit public dans un cadre public-privé restant à adapter. Les carac- international en ce qu’il régit des relations entre États téristiques de cette évolution ont alors été analysées en souverains. Il a pour particularité d’avoir accompagné, en termes de menaces et d’opportunités juridiques. temps quasi réel, le développement de cette activité dans le double contexte de la guerre froide et de la course à la Cette seconde partie se concentre maintenant sur l’état Lune engagée entre l’URSS et les États-Unis au début des du droit applicable aux plans international, européen et années 1960. national afin d’en analyser les atouts et les limites et de proposer en synthèse quelques pistes de réflexion dans Il a été élaboré dans le cadre de l’ONU et figure parmi la perspective d’une évolution, voire d’une refondation, l’un des plus grands succès de construction juridique à de ce corpus afin de répondre à la nouvelle donne. l’actif de cette organisation inter-gouvernementale.

PARTIE 2 – LES ATOUTS ET LIMITES DU Ce droit s’applique à des opérations portant sur des DROIT APPLICABLE AUX ACTIVITÉS véhicules spatiaux (l’objet spatial) ou à des activités SPATIALES humaines réalisées dans l’espace extra atmosphérique (EEA) ou sur des corps célestes (la Lune, les autres planètes Le droit qui s’applique aux activités spatiales contem- du système solaire et les astéroïdes). poraines est issu des grands traités des Nations Unies sur l’Espace, et pour la France, s’additionne de ses En revanche, il ne concerne pas directement les appli- engagements avec l’Agence spatiale européenne et du cations spatiales, à savoir les services délivrés sur Terre droit de l’Union européenne. depuis l’Espace. Ces services aval relèvent du droit s’appliquant à cette même activité sur Terre (droit de En France, il s’est d’abord forgé dans le sillage des l’information, de la propriété intellectuelle, droit public instruments juridiques, accords, contrats, référentiels et économique, droit de la sécurité et de la défense…) ou du organisations ou filiales construits par le CNES à la faveur droit commun.

1 La première partie de l’article de Philippe Clerc, intitulée Une nouvelle donne pour l’espace et ses enjeux juridiques a été publiée dans La Lettre n°40 (novembre-décembre 2020). Les analyses et opinions figurant dans cet article n’engagent que leur auteur. 2 Lui-même issu d’une loi spécifique en date du 19 décembre 1961 sous le statut d’établissement public scientifique et technique à caractère industriel et commercial. 3 Pour une étude d’ensemble, par le présent auteur, sur le cadre juridique des activités spatiales en France : Ph. Clerc, Space law in the european context – national architecture, legislation and policy in France, edited by Marietta Benkö – Series n°20 – The essential air and space law – Eleven International Publishing, The Hague.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 13 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

VII). Cette responsabilité est portée par le(s) État(s) de Dans son contenu, ce droit a pour racine le fameux lancement concerné(s), à savoir celui/ceux qui assure(nt) traité de l’Espace du 22 avril 1967 4. Il développe des ou fait/font réaliser le lancement ou celui/ceux dont les solutions favorables au développement de ces activités installations servent au lancement. Deux régimes de dans un respect équilibré des droits et devoirs de chacun. responsabilité sont prévus suivant le lieu du dommage. Ses principes directeurs peuvent se résumer comme suit : La responsabilité est absolue, illimitée et solidaire si le dommage survient à la surface de la Terre ou dans • Liberté d’exploration et d’utilisation de l’Espace et des l’espace aérien. La responsabilité est basée sur la faute si corps célestes (Art. I). Cette liberté s’applique aux États, le dommage survient en orbite ou sur un corps céleste. qui ont la responsabilité par ailleurs (Art. VI) d’encadrer celle de leurs ressortissants privés pour leurs activités • L’utilisation pacifique de l’Espace et des corps célestes spatiales. La liberté d’exploitation commerciale n’est (Art. IV). Ceci vise à interdire (seulement) les armes de pas mentionnée explicitement, mais rien ne s’y oppose destruction massive en orbite circumterrestre et toute a priori. Les États doivent cependant s’abstenir de activité militaire sur les corps célestes. On notera à cet contaminer l’Espace (protection planétaire, Art. IX). égard le principe de légitime défense qui découle plus généralement des règles des Nations Unies qui a permis • Coopération et assistance mutuelle (Art. I). Les États en France de fonder la nouvelle doctrine de défense ont notamment une obligation de sauvetage et de active déclarée en juillet 2019 6. restitution des astronautes ou des objets spatiaux atterris sur leur territoire. Ils s’efforcent également de • L’Affectation de l’Espace à l’Humanité toute entière coopérer de bonne foi et de s’alerter lorsqu’ils risquent (Art. I). Se posent ainsi une notion d’intérêt général des de causer des activités préjudiciables. activités spatiales et une éthique de la conquête spatiale au service d’abord de l’Humanité. C’est ce principe • Non appropriation de l’espace extra-atmosphérique (EEA) qu’illustre la célèbre déclaration du premier homme sur et des corps célestes ou renonciation à toute souveraineté la Lune, Neil Armstrong : « un petit pas pour l’homme territoriale par les États (Art. II). Cette réserve a permis de un grand pas pour l’Humanité ». Il inspire certaines prévenir toute velléité de colonisation par ces derniers initiatives internationales comme la Charte Space and sur les territoires extra-terrestres et l’espace extra- Major Disaster initiée par le CNES et l’ESA en 2000 atmosphérique avec les tensions militaires que cela ou l’Observatoire Spatial du Climat (SCO) de 2019 au aurait pu engendrer. Toutefois, elle ne couvre pas expli- service de la bonne application du traité COP 21. citement les ressources minières et autres non renou- velables qui s’y trouvent, d’où le débat actuel autour des • L’Espace et les corps célestes comme patrimoine commun législations spatiales nationales autorisant récemment de l’Humanité. Ce principe, plus ambitieux et contrai- les appropriations au profit de ressortissants privés. gnant que le précédent, encadre la possibilité d’appro- priation des ressources sur des sols et sous-sol extra- • Responsabilité exclusive des États, au sens « responsibility terrestres par les États, et par ce biais celle de leurs » d’autoriser et de contrôler les activités de leurs ressor- ressortissants privés. Il pose le principe d’une autorisa- tissants. Ces derniers ont le devoir d’autoriser et de tion préalable pour toute exploitation qui serait donnée surveiller les activités spatiales sous leur juridiction dans un cadre multilatéral. Ce principe issu de l’accord (Art VI traité 67). Cette obligation est retranscrite en sur la Lune du 18 décembre 1979 (Art. 11 7) reste en débat France par la loi du 3 juin 2008 pour les activités privées aujourd’hui. Il est défié notamment par certaines légis- et pour celles du CNES suivant sa propre gouvernance lations nationales comme celles récentes des États-Unis en tant qu’établissement public sous tutelle de l’État 5. ou du Luxembourg qui se proposent d’autoriser ces activités pour leurs ressortissants. • Responsabilité exclusive des États, au sens « liability » pour les dommages causés aux tiers par leurs lancements (Art.

4 Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes. 5 L’article 27 de cette loi de 2008 exclut le CNES de son régime d’autorisation et de contrôle, pour ses propres opérations spatiales. Ces dernières sont autorisées et contrôlées suivant sa propre loi (L. 331-2 b, c, et d du Code de la recherche). 6 Le 13 juillet 2019 par le Président de la République annonçant une nouvelle stratégie spatiale de défense active, dont les grandes lignes ont été présentées par un discours public de la ministre des armées à la base aérienne de Lyon Mont-Verdun le 25 juillet 2019. 7 Cet accord n’a pas été signé ou ratifié par les grandes puissances spatiales. La France l’a pour sa part signé mais ne l’a jamais ratifié.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 14 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

2.2 – UN CADRE EUROPÉEN EXEMPLAIRE, appropriés pour en assurer la continuité opérationnelle À DEUX NIVEAUX ou commerciale. En témoignent le programme Ariane avec la création d’Arianespace, le premier opérateur de L’Agence spatiale européenne et l’Union européenne, lancement commercial mondial, le maintien en condition chacune dans le cadre de leurs compétences propres, opérationnelle du Centre Spatial Guyanais en relation ont forgé un cadre juridique particulièrement fertile au avec le CNES 8, Eutelsat pour les télécommunications, développement des activités spatiales institutionnelles et Eumetsat pour la météorologie, et plus récemment économiques de ce continent. Copernicus pour l’observation de la Terre et Galileo GSA pour la navigation, en liaison avec l’Union européenne. 2.2.1 – L’Agence spatiale européenne (ASE – ESA) 2.2.2 – L’Union européenne (UE) L’ESA est issue de la fusion finalisée en 1975 de deux agences européennes de développement dont la création L’Union Européenne a forgé sa compétence spatiale à la était contemporaine à celle du CNES au début des années fin des années 1980 grâce aux nouvelles attributions qui 1960 : l’une dans les lanceurs (CECLES – ELDO), l’autre lui étaient confiées par « l’Acte Unique » (1983) en matière dans les satellites (ESRO – OERS). de recherche et développement technologique en général (le PCRD). L’ESA a construit son succès autour de deux types de programmes, l’un dit « obligatoire » pour des projets scien- Elle s’est rapidement imposée dans les applications tifiques d’excellence, financé en proportion de la richesse spatiales, en se positionnant comme « proxy » (représen- des États membres (PIB), et l’autre « facultatif » à souscrire tant) des communautés d’utilisateurs, dans le prolonge- à la carte pour des projets de systèmes spatiaux à vocation ment de ses propres politiques de transports, agriculture, d’intérêt général (exploration, observation, météorolo- environnement, aménagement territorial, infrastruc- gie, navigation, stations sol, fonctionnement de base de tures essentielles européennes. Parmi ses projets phares, lancement, etc.) ou précompétitifs (lanceurs, télécommu- on retiendra, comme précurseur (1995), l’instrument nications, etc.). Vegetation embarqué sur Spot 4 en coopération avec le CNES et la société Spot Image (aujourd’hui groupe Airbus), L’un des principaux atouts de l’ESA est d’être une les programmes Galileo et Copernicus en partenariat avec organisation permanente pour la coopération intergou- l’ESA. vernementale européenne qui élève toutes ses décisions de programme au rang juridique d’un traité international L’article 189 du traité de Lisbonne (TFUE) a consacré ratifié et opposable aux lois nationales. en 2007 sa compétence spatiale, sur les plans politique et programmatique, en partage avec les États membres et Le principe du retour géographique, parfois critiqué l’ESA, tout en lui interdisant d’intervenir en matière de comme facteur de morcèlement et de duplication de législation spatiale. l’industrie européenne, reste un dispositif attractif au vu de l’ensemble des États et de leurs ministres respectifs de Cette restriction ne l’empêche pas de réguler, au titre de l’Industrie, de l’Economie et des Finances. En effet, l’argent sa compétence législative et règlementaire ordinaire ou de qui est investi dans l’ESA par un État reste au pays et à droit économique, les activités spatiales concurrentielles, son industrie, moins les frais de gestion de l’Agence, tout les interventions des États (aides publiques), la dérégu- en permettant aux acteurs nationaux de participer à des lation des télécommunications, des services publics, les projets de grande ampleur, européens ou internationaux, applications spatiales comme services et la politique des inatteignables au niveau interne. données en général pour en imposer l’ouverture (INSPIRE, PSI, etc.) ou pour protéger la vie privée (RGPD). La compétence de l’ESA se limite généralement aux programmes de recherche et de développement, mais On notera toutefois l’échec lié au retrait du projet de celle-ci sait aussi générer des instruments juridiques directives d’harmonisation des législations nationales sur

8 Pour le port spatial européen de Kourou, dans sa version en vigueur, l’Accord entre le Gouvernement de la République Française et l’Agence spatiale européenne relatif au Centre Spatial Guyanais et aux prestations associées, signé à Paris le 18 décembre 2008, publié en France par décret n° 2017-1619 du 27 novembre 2017. Pour la concession de l’exploitation commerciale des lanceurs Ariane et suivants, dans sa version en vigueur, la Déclaration de certains gouvernements européens relative à la phase d’exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre Spatial Guyanais, adoptée à Paris le 30 mars 2007, publiée par décret n° 2016-1778 du 19 décembre 2016.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 15 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE le contrôle de la diffusion des données satellites d’obser- L’opérateur spatial est en réalité celui qui dispose juridi- vation de haute résolution (HRSD) de 2014. Peut-être quement, à un moment donné, du pouvoir absolu, ou que l’angle d’intervention choisi par la Commission qui est sensé l’avoir, pour donner toutes les instructions (Art. 114 TFUE), fondé sur une potentielle distorsion de critiques pour la vie de l’objet spatial ou impactant les la concurrence sur le marché intérieur, n’était pas le plus tiers relativement aux risques et dommages que pourrait pertinent pour réguler cette activité face aux prérogatives causer son activité. Cette responsabilité commence dès le souveraines des États et aux risques encourus en Europe décollage de l’objet et couvre la maîtrise en orbite jusqu’à en matière de sécurité et de défense. la réalisation de ses opérations de fin de vie ou de son retour sur Terre. Il faut sans doute considérer ici, sous l’angle du droit public, les limites d’intervention du droit économique Cette responsabilité d’opérateur est dérivée de celle dans le domaine régalien. du maître d’œuvre en droit français 10. Elle exonère ou décharge en amont le maître d’ouvrage, à savoir le client, 2.3 – LES APPORTS DE LA LOI SUR LES le propriétaire de l’objet, le spécificateur du besoin (requi- OPÉRATIONS SPATIALES (LOS) DE 2008 EN rements), pour autant que ce dernier n’interfère pas dans FRANCE les opérations.

Conçue au début des années 2000 pour s’adapter à Il en est de même en aval de l’exonération du fournisseur l’ouverture au secteur privé des services de lancement, de ou du mandataire, lesquels, même en charge techni- télécommunications spatiales et d’observation de la Terre, quement de la conduite de l’objet dans les opérations la loi du 3 juin 2008 a plus globalement posé un « socle courantes ou de maîtrise de routine, n’ont pas le dernier juridique générique » pour toutes les opérations portant mot sur l’engagement des manœuvres critiques 11. sur des objets spatiaux. Cette exemption vise plus particulier l’industriel On notera en introduction que cette législation, au-delà fabriquant de l’objet spatial (lanceur, satellite ou autre de la sphère économique française ou européenne, reste véhicule) qui a livré son système à l’opérateur lors d’une l’une des plus appliquées au monde spatial 9. réception ou recette (« acceptance »), au sol ou dès le début du lancement, en y transférant la propriété et les 2.3.1 – La responsabilité centrale de l’opérateur spatial risques associés. Ce fabriquant bénéficie de toute façon d’une présomption de non recours opposable à son client Cette loi a d’abord ancré solidement le concept laquelle est quasi irréfragable (art. 20 de la LOS) 12. d’opérateur spatial. Ce dernier est celui qui opère sous sa responsabilité et de façon indépendante un objet spatial. Cette responsabilité de l’opérateur se compare également à celle du transporteur, qui est celui qui a la maîtrise du Cette caractéristique de la maîtrise de l’objet vaut déplacement 13. Ce critère est utilisé notamment dans le indépendamment de la titularité de sa propriété, de contrat d’affrètement aérien pour déterminer le trans- son immatriculation ou de la prise en main technique porteur responsable de la gestion aéronautique, entre effective de cet objet. Cette conduite technique, comme et le fréteur et l’affréteur de l’aéronef et a autorité sur chacun sait, s’effectue actuellement depuis le sol, sous l’équipage 14. la responsabilité d’une personne morale ou physique, par voie de télémétrie, de télémesure ou suivant des algorithmes, logiciels ou automatismes prédéfinis.

9 Pour des raisons factuelles d’abord, compte tenu de la cadence des lancements depuis le Centre Spatial Guyanais sous la responsabilité de l’opérateur Arianespace et du siège en France de grands opérateurs internationaux comme Eutelsat, pour les satellites de télécommunications, ou d’Airbus Defence & Space (ADS) et de Thales Alenia Space, pour la livraison de tout système en orbite ou pour l’observation de la Terre. 10 Étude du Conseil d’État, Section du rapport et des études, « pour une politique juridique des activités spatiales », adopté par l’Assemblée générale du 6 avril 2006, publié par la Documentation Française, Paris ; France ISBN : 2-11 006205-3, page 72, et note de bas de page n° 15 citant l’étude d’A. Benabent sur le Contrat d’entreprise, J.-Cl. Contrats-Distribution, fasc. 425, n° 15. 11 Par exemple : désorbitation ou passivation d’un satellite en fin de vie, changement de position orbitale, évitement de collision, etc. 12 Une stipulation contractuelle contraire ne peut être valide que pour les dommages en orbite. 13 Ibid ; étude du Conseil d’État, page 72, renvoi n°14, citant l’ouvrage de Léopold Peyrefitte, Contrats de transport – Généralités, J.-Cl. Transport, fasc. 610, n° 49 et s. 14 Le fréteur est celui qui donne en location un aéronef (ou un navire dans un transport maritime) en contrepartie d’une somme convenue, le fret. L’affréteur est le preneur de la location du bien (à savoir le client ou le locataire). Ce véhicule est parfois loué avec son équipage d’où l’intérêt de déterminer qui en a autorité.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 16 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

On peut également y transposer la dialectique du ligence artificielle embarquée ou l’intervention humaine rapport commettant/préposé du code civil, applicable in situ ou en champ proche ! notamment dans le droit du travail ou le droit financier, suivant laquelle le commettant est celui qui donne des Il y a donc là une véritable réflexion à engager sur le instructions, consignes ou ordres à ses préposés afin qu’ils statut futur des opérateurs extra-terrestres, pour des effectuent la mission qui leur a été demandée de remplir. opérations réalisées en autonomie ou de façon indépen- Il en résulte une responsabilité du fait d’autrui 15 des dante depuis l’Espace, car ces derniers n’en restent pas commettants du fait de leurs préposés, par exemple dans moins liés à une juridiction nationale 16 ou à la responsa- la situation dans laquelle un employé ou salarié cause un bilité d’un ou plusieurs Etats de lancement 17. dommage à un tiers et engage dès lors la responsabilité délictuelle de son employeur. En cela, la généralisation de l’intelligence artificielle, des automatismes ou des approches probabilistes, dans Pour ce qui concerne les évolutions à envisager autour la conduite des opérations spatiales à risque ou en temps de ce concept, on retiendra qu’il repose sur des bases réel, pose question sur le caractère indépendant ou juridiques traditionnelles et solides, largement inspirées responsable de l’opérateur. des autres transports internationaux, et par référence aux usages contractuels existant au sein de la communauté 2.3.2 – La transférabilité de la maîtrise des opérations spatiale chez les grands opérateurs de services interna- tionaux (Arianespace, Eutelsat, Intelsat, SES, etc.) et leurs Parmi les autres avantages découlant de la définition clients et fournisseurs. de l’opérateur spatial, figure la possibilité de transférer à tout moment la maîtrise d’un objet spatial entre différents Les nouvelles constellations de nano satellites non prestataires. Ce transfert de responsabilité, dans tous les pilotables par conception posent toutefois la question sens du terme, peut se réaliser, de façon réversible ou sur la réalité ou l’effectivité de la maîtrise des opérations non, pour une manœuvre orbitale critique, des opérations spatiales par l’opérateur, notamment au regard de la régle- de routine, voire une prestation affectant l’intégrité du mentation technique (cf. § 2.3.4 ci-après). satellite lui-même 18, et ce indépendamment de l’origine de la propriété, de l’immatriculation, de la nationalité (Art. 3 Il faut enfin rappeler que, dans les faits actuellement, la de la LOS) ou de l’état physique ou technique de l’objet notion d’opérateur spatial ne s’apprécie que par référence spatial. à une personne physique ou morale pilotant son véhicule et sa charge utile depuis le sol moyennant des télémesures Un opérateur peut ainsi, par exemple, opérer son objet ou télécommandes. N’est pas explicitement envisagé le devenu inactif (débris), en utilisant l’objet spatial d’un cas d’une personne qui serait située dans l’espace extra autre propriétaire (un remorqueur ou Space Tug) dont il atmosphérique ou sur un corps céleste agissant en temps aurait reçu la maîtrise pour la réalisation et la durée de réel et disposant d’une large autonomie par rapport aux cette seule opération. instructions de sa base arrière terrestre, ne serait-ce qu’en raison du décalage de temps de communications lié à la Cette faculté de transfert permet de favoriser des distance. nouveaux investissements ou transactions économiques sur des systèmes déjà placés en orbite Elle sert ainsi le Sans entrer dans le détail des lois de la physique, on développement des systèmes réutilisables et l’essor de rappellera que la vitesse d’un signal radio électromagné- tous les futurs services en orbite 19. Elle peut contribuer tique avoisine celle de la lumière, soit 300 000 km par également à un but d’intérêt général de nettoyage, d’opti- seconde. Ce décalage de temps, qui est négligeable sur misation des ressources orbitales, de prévention des Terre, devient critique dès que l’on s’en éloigne. Il faut risques de collision et de réduction de la pollution des par exemple vingt minutes pour transmettre un signal débris spatiaux. radio entre la Terre et Mars lorsque ces astres sont au plus éloigné. Il est donc impossible de piloter des rovers La seule condition est d’en faire la demande au martiens en temps réel depuis la Terre. Reste alors l’intel- préalable et de respecter les critères administratifs et

15 Article 1242 du Code Civil (ex 1384). 17 En application du traité de l’ONU de 1967, notamment ses articles VI et VIII, qui restent toujours applicables en la circonstance. 18 Ibid. Traité 67, article VII ou au titre de la convention de ONU sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux, conclue le 29 mars 1972. 19 Réutilisation, remorquage, maintenance, réparation, industrialisation, réapprovisionnement, réorbitation, désorbitation, évitement d’un tiers, élimination, ou mise au rebut de véhicules, d’installations, de leurs composants, ou de débris spatiaux, etc.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 17 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE techniques édictés pour la sécurité suivant la LOS, en Chaque objet peut donc ainsi être considéré, selon s’assurant notamment qu’il n’y aura qu’un seul opérateur la séquence visée, comme une charge utile passive, responsable à la fois dans la chaîne des opérations. destinée à être maîtrisée après séparation d’avec son vecteur (lanceur, étage lanceur) ou de la plateforme 2.3.3 – Deux phases d’opérations et de responsabilités (une base de lancement fixe ou n’importe quel objet déjà distinctes : le lancement et la maîtrise en déplacement 23) qui a généré son mouvement ou sa trajectoire balistique vers ou au sein de l’espace extra- La loi instaure aussi une distinction utile entre la phase atmosphérique. Cet objet maîtrisé peut ensuite devenir de lancement et la phase de maîtrise afin de marquer, à lui-même le vecteur actif ou la base de lancement d’une défaut de stipulation contractuelle précise en ce sens, autre charge utile, et ainsi de suite, avec à chaque fois un le transfert des risques et des responsabilités civiles et possible transfert 24 de risques et de responsabilité civile contractuelles entre les différents opérateurs concernés, vis-à-vis des tiers, ou contractuellement avec d’autres tant vis-à-vis des tiers qu’à l’égard du client de l’opérateur parties. de lancement (satellite). La phase de lancement, autrement dit le début d’application du régime spécial de respon- La loi française ne ferme donc la porte en théorie à sabilité de la LOS, commence à partir du moment où le aucune situation opérationnelle ou économique ! lancement devient irréversible 20. Avant ce moment, si le tir a été interrompu ou avorté, et qu’il y a un dommage Un même objet peut avoir un nombre illimité d’opé- causé, le régime spécifique de la LOS ne s’y applique pas21 . rateurs successifs, et un même opérateur peut utiliser plusieurs objets pour réaliser une ou plusieurs opérations Ensuite, les dommages causés pendant la phase de dans son intérêt. L’essentiel en toute circonstance est lancement relèvent d’un régime de responsabilité sans qu’il n’y ait qu’un opérateur responsable à la fois, afin de faute ou objective et sont couverts par la garantie de l’État préserver le principe d’une imputabilité de la responsabi- au-delà de 60 M€, alors que pendant la phase de maîtrise, lité à un auteur unique ! les dommages en orbite relèvent de la responsabilité pour faute, et sans la garantie de l’État au-delà de 60 M€. Cette gamme des possibles au niveau de la loi, dans le respect de la sécurité et de l’environnement, peut être Là aussi, il faut considérer la situation de façon développée au bénéfice des nouveaux systèmes spatiaux générique, sous l’angle de la fonctionnalité ou de la et rendre cette loi particulièrement attractive auprès des finalité du service. Le lancement se définit ainsi comme acteurs de la nouvelle économie spatiale. toute activité consistant à lancer ou à tenter de lancer, ou à placer un objet dans l’espace extra-atmosphérique, 2.3.4 – Une réglementation technique pour garantir la autrement dit en vue de stabiliser sa trajectoire sur une sécurité et préserver l’environnement orbite circumterrestre assignée ou au-delà (orbites hyper- boliques 22). Peu importe à ce titre que le lancement soit Les caractéristiques techniques de l’objet spatial utilisé effectué depuis une base terrestre, plateforme maritime, (lanceur, satellite ou de tout autre véhicule ou installation aéronef, étage inférieur, satellite ou station spatiale. dans l’espace extra-atmosphérique) n’interviennent pas a priori au niveau de la qualification légale de l’opération La phase de lancement s’achève à la séparation du et du régime de responsabilité qui s’y attache. Une fusée lanceur et de l’objet destiné à être placé dans l’espace peut en effet techniquement être utilisée à des fins extra-atmosphérique. non spatiales, comme les fusées sondes ou les missiles balistiques. Inversement, comme nous l’avons vu ci-avant, un avion, un bateau ou un autre véhicule spatial peuvent être utilisés comme base de lancement.

20 Soit, techniquement, à l’allumage des moteurs à poudre ou à l’ouverture des crochets de stabilisation ou de remplissage des fluides. 21 Il y a là une différence avec le transport aérien où le décollage d’un aéronef ne saurait être irréversible, ce véhicule devant nécessairement être capable d’atterrir aussi pour bien mener sa mission de transport, en sécurité et dans le respect du contrat. 22 C’est-à-dire à partir d’une vitesse de libération qui permet à l’objet spatial d’échapper à l’attraction terrestre suivant les lois physiques de la mécanique spatiale (Newton et Kepler). 23 Le concept de base de lancement a aussi son importance, puisque au niveau de la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux, suivant la convention des Nations Unies du 29 mars 1972 (Art. 1er c. ii), l’État de lancement responsable peut être celui dont le territoire ou les installations servent au lancement, aux côtés ou indépendamment de (cf. le i du même article 1 c., celui qui procède (opérateur de lancement) ou fait procéder (le client satellite ou charge utile) audit lancement. 24 Si les opérateurs concernés sont des personnes différentes.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 18 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

C’est sur une approche fonctionnaliste, reconnue inter- 2.3.5 – Un dispositif de licences évitant la redite des nationalement par le plus grand nombre de puissances informations à déclarer spatiales dont la France, que se fonde l’application du droit de l’espace à une activité donnée, et donc de la LOS sous Au-delà des autorisations accordées au cas par cas pour notre juridiction. Exprimé simplement, ce critère repose des opérations uniques ou spécifiques, la LOS a instauré sur l’intention ou non de mettre en orbite extra-atmos- un dispositif de licences pour éviter la redite des informa- phérique un objet (véhicule, station, etc.). tions administratives ou techniques à déclarer, lors des opérations récurrentes, par un même opérateur, ou pour Les critères techniques sont donc considérés au second un même système ou pour une mission semblable. niveau et n’interfèrent que lors de la demande d’autorisa- tion d’opérer un système spatial, au titre de l’examen de Le dispositif pourrait maintenant évoluer pour couvrir la conformité des systèmes et procédures à la réglemen- également les nouvelles constellations de satellites tation technique 25. Cette normalisation technique est (contrôlables ou pas en orbite), les vols en formation, des édictée et mise en œuvre sous la responsabilité de l’admi- hypothèses d’interventions ponctuelles critiques (mises nistration, en lien avec le CNES 26, afin de statuer sur la à poste, réorbitation, désorbitations, fin de vie, etc.), les délivrance des autorisations ou des licences d’opérer un nouveaux services en orbite (interventions physiques système spatial, et ce dans l’intérêt de la sécurité des biens sur un satellite, accostage, remplissage, réparation, et des personnes et de la protection de la santé publique et évacuation, etc.) et bien sûr les véhicules réutilisables. de l’environnement et de la protection de la santé. 2.3.6 – Le caractère évolutif et adaptatif Cette réglementation est de nos jours considérée de l’autorisation comme des plus exemplaires dans le monde car elle agrège les meilleures pratiques internationales en matière de La procédure d’autorisation technique et administra- prévention des risques de collision et de pollution dans tive a été conçue pour favoriser un dialogue constructif l’espace. entre les pouvoirs publics et les acteurs industriels et économiques, à tout moment de la préparation à la Ces exigences techniques sont également perçues réalisation des opérations, jusqu’à leur fin de vie. comme un label de qualité, d’exigence éthique et environ- nementale, qu’apprécient les clients, assureurs et autres Le but est de veiller en permanence à la sécurité des ayants-droits économiques. activités en cours tout en évitant un effet couperet qui serait critique pour la poursuite du programme ou à la En conséquence, ces contraintes, qui pouvaient être réussite de la mission visée. perçues au premier degré comme des freins à la liberté d’entreprendre ou à l’innovation, sont devenues au fil Suivant cette logique, le décret autorisation 28 n’impose des temps un atout de fiabilité et de compétitivité au pas de préavis particulier au demandeur d’autorisation ou bénéfice de notre tissu économique spatial, notamment à de licence. La seule contrainte porte sur l’administration l’exportation. et le CNES qui doivent rendre leur avis au maximum dans les 4 mois pour une autorisation simple, ce délai pouvant Elles sont, en tout état de cause, la juste contrepartie de la être réduit à moins de deux mois en cas de licence. garantie accordée par l’Etat aux acteurs privés concernés pour les éventuels dommages causés aux tiers, et ce dans le strict respect des règles d’intervention étatiques dans les secteurs concurrentiels en application de la législation européenne encadrant les aides publiques 27.

25 Arrêté du 31 mars 2011 relatif à la réglementation technique en application du décret n° 2009-643 du 9 juin 2009 relatif aux autorisations délivrées en application de la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales, JORF n° 0126 du 31 mai 2011. 26 L’autorité administrative, pour les opérations civiles est, suivant le décret d’application « autorisation » de la LOS (décret n° 2009-643 du 9 juin 2009), le ministère chargé de l’Espace, à savoir actuellement le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Le CNES pour sa part est chargé, suivant la LOS (Art. 28 modifiant sa loi constitutive codifiée aux L. 331-2 f et g du code de la recherche), d’assister l’État dans la définition de la réglementation technique relative aux opérations spatiales et d’exercer, par délégation du ministre chargé de l’Espace, le contrôle de la conformité des systèmes et des procédures mis en œuvre par les opérateurs spatiaux avec ladite régle- mentation technique. 27 En ce sens, pour la LOS, l’avis favorable de la Commission européenne sur la garantie de l’Etat pour les dommages causés aux tiers dans le cadre d’opérations spatiales, le 23 octobre 2007, C (2007) 5093 Final, Aide d’Etat N 208/2007 – France. 28 Décret n° 643 du 9 juin 2009.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 19 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

Une autorisation administrative d’opérer peut donc des risques techniques à maîtriser pour la bonne sécurité être accordée avant que l’industrialisation des systèmes du système et des tiers et la préservation de l’environne- soit achevée ou même engagée. Dans ce cas, l’autorité peut ment. édicter des « prescriptions », à savoir des jalons de nature technique ou juridique, qui seront à respecter lors d’étapes Ceci permet de corriger la conception à tout moment et ou de revues prédéfinies tout au long de la préparation des les certificats obtenus pourront être valablement opposés systèmes et des opérations jusqu’au décollage du lanceur. lors de la demande d’autorisation d’opérer. Chacun pouvant ainsi mieux anticiper le résultat de celle-ci. Dans le même temps, le futur opérateur, pour lui-même et ses fournisseurs, est astreint par le décret autorisation Ceci permet également en parallèle aux autorités (Art. 7) à un devoir de bonne foi qui l’oblige à déclarer de faire évoluer la réglementation technique, suivant spontanément à l’autorité administrative tous les faits la nature des questions soulevées par les nouveaux techniques (événements non prévus, tout incident systèmes, ou d’engager à temps pour leurs promoteurs technique) pouvant affecter la bonne réalisation de privés, les compléments nécessaires de recherche et l’opération spatiale telle qu’autorisée. de développement technologiques (RDT) qui pourront être soutenus par ailleurs par le secteur public concerné Le règlement concernant la préparation et la réalisation (agences spatiales, autres centres de recherche publics, des activités de lancement au Centre Spatial Guyanais PCRD de l’UE). (le REI-CSG du 9 décembre 2010) prévoit une procédure équivalente de soumission sauvegarde. Cette procédure Ce dispositif est utilisé notamment avec l’ESA, pour est utilisée pour encadrer et valider les dérogations qui les nouveaux lanceurs destinés à être opérés sur le CSG peuvent s’avérer nécessaires, le cas échéant lors de la (Ariane 6, Vega C). campagne de lancement. Il est bien sûr aussi ouvert aux nouveaux projets de Une procédure d’urgence (Art. 8 et 21) permet enfin, remorqueur (Space Tug) et aux systèmes réutilisables si nécessaire, de réaménager un dialogue actif en temps dans le contexte du New Space. réel avec l’opérateur en cas de situation mal maîtrisée. Celle-ci va jusqu’à permettre une reprise de contrôle des 2.3.8 – Un régime équilibré de responsabilité et de opérations par la puissance publique, y-inclus le CNES, en couverture bénéficiant de toute l’ampleur des moyens à sa disposition : logistiques, humains, réglementaires, diplomatiques et Le système de responsabilité de la LOS est en tout point coercitifs, le tout dans le respect de l’Etat de droit. conforme avec celui défini par les engagements inter- nationaux de la France, que ce soit au regard des traités 2.3.7 – Un dispositif amont de certification accessible à des Nations-Unies que de ses engagements avec l’ESA et tout concepteur de système ses Etat membres, ou avec la réglementation européenne concernant les garanties d’État. Le décret d’application de la LOS (Art. 11) a instauré un dispositif original de pré-certification ou d’attestations Il reprend aussi les découpages traditionnels du Code préliminaires. civil entre la responsabilité pour faute pour les dommages dans l’Espace (Art. 1240, ex 1382) et la responsabilité Il a pour double objectif de ne pas maintenir un objective (gardien de la chose ou pour autrui) pour les avantage injustifié aux acteurs ou systèmes en place, dits victimes au sol ou dans l’espace aérien (Art. 1242, ex 1384). qualifiés, grâce aux programmes soutenus par les agences spatiales, tout en encourageant les nouveaux entrants Le régime LOS y ajoute des exemptions supplémen- qui proposent des systèmes ou équipements critiques taires, dans l’intérêt des opérateurs spatiaux et sans innovants. préjudice pour le droit des victimes.

Cette procédure est ouverte, en amont de celles de Il y a d’abord une limite de responsabilité dans le temps l’autorisation ou de la licence d’opérer, à tout concepteur pour l’opérateur, bénéficiant aussi à l’assureur, qui prend d’un nouveau système, qu’il soit industriel, agence, futur fin au plus tard un an après la durée des opérations opérateur, laboratoire ou start-up. autorisées, sauf faute intentionnelle du premier.

Elle consiste à certifier, au niveau du CNES comme Un telle limite temporelle découle d’une caractéris- autorité en charge de la conformité à la réglementation tique essentielle du risque spatial : le décalage potentiel technique, et tout au long du développement du projet, la important entre le fait générateur ostensible d’un bonne réalisation des jalons critiques du projet au regard dommage (défaillance, explosion, perte de contrôle, etc.) et

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 20 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

la réalisation effective de ce dernier vis-à-vis de la victime contrepartie à l’opérateur le respect d’une règlementation concernée. Le dommage spatial peut en effet intervenir technique édictée pour limiter les risques d’accidents ou plusieurs années, voire plusieurs siècles plus tard avec de dommages à l’environnement et leurs coûts induits un système déjà en orbite, alors même que l’entreprise ou pour la société. l’individu responsables auront disparu 29. On retiendra cependant que la garantie de l’État de la C’est notamment pour cette raison que les traités LOS ne joue pas au bénéfice des responsables de dommages de l’ONU sur l’Espace ont prévu de faire porter cette en orbite. Cette solution tient au fait que leur responsa- responsabilité sur les États de lancement 30 et non sur les bilité découle de leur propre faute dans cet espace et que opérateurs privés concernés directement. Les Etats ayant, les victimes sont elles-mêmes d’autres acteurs spatiaux. juridiquement au moins, une durée de vie présumée L’État Français reste en tout état de cause responsable illimitée, il sont sensés pouvoir répondre indéfiniment internationalement vis-à-vis de l’Etat de cette victime en aux dommages causés par leurs ressortissants. cas de faute reconnue en application de la convention de 1972 précitée. Il s’abstient toutefois dans cette hypothèse, L’autre limitation qui vise les entreprises privées est leur suivant sa propre législation à exercer une action solvabilité aléatoire ou relative. Cette limite ne saurait récursoire vers l’opérateur privé responsable au-delà de pourtant être invoquée valablement pour se soustraire 60 M€ (Art. 14. 2 de la LOS). à l’indemnisation des tierces victimes de dommages spatiaux. De leur côté, les États qui doivent y suppléer La question de l’extension de cette couverture de l’Etat suivant les traités internationaux ont intérêt à faire devra toutefois nécessairement se poser au bénéfice des supporter une juste part des coûts engagés aux opérateurs nouveaux opérateurs de services en orbite, pour ceux privés concernés pour ne pas encourager leur négligence amenés à servir des missions d’intérêt général comme ou être eux-mêmes sanctionnés pour aide publique illicite la désorbitation des débris, le nettoyage des orbites, les en protection de leur industrie nationale. manoeuvres anticollision, les réparations, le réapprovi- sionnement, les secours et sauvetage, etc. Ce plafond de responsabilité des opérateurs doit donc être suffisamment important pour être incitatif pour la Il serait équitable en effet que de tels opérateurs, amenés bonne sécurité des systèmes et opérations mais pas trop à prendre des risques importants en orbite et pour une élevé pour correspondre aux capacités d’assurance sur le bonne cause, soient au moins aussi bien couverts par la marché et ne pas rebuter des nouveaux entrants, certes garantie de l’État que ceux qui réalisent actuellement les moins solvables, mais pouvant proposer des solutions plus lancements commerciaux. innovantes, moins risquées ou moins onéreuses. Enfin, on retiendra que la LOS (Art. 20) a sécurisé juridi- En cela, la LOS a fixé à 60 M€ la garantie d’indemnisa- quement la validité des clauses limitatives de respon- tion de la victime ou absence de recours de l’État contre sabilité ou des pactes de garantie qui étaient en usage, l’opérateur en cas de dommage causé au sol, dans l’espace depuis l’origine des lancements spatiaux commerciaux, aérien ou pendant la phase de lancement. Cette garantie entre tous les contractants et parties prenantes à cette découle d’un accord intergouvernemental au sein de opération. Cette opposabilité posait question car certains l’ESA mis en place au début des années 1980 pour la phase doutaient auparavant, au regard de la jurisprudence d’exploitation des lanceurs initialement développés par applicable, que les différents partenaires puissent être cette organisation 31. Ce type de garantie existe dans la reconnus comme professionnels d’un même métier ou plupart des législations étrangères sur les lancements. Il a secteur d’activité. Ceux-ci pointaient par exemple une été explicitement validé pour la France par la Commission différence entre fabricants de lanceurs et de satellites et européenne (DG concurrence) en 2007 comme aide leurs clients respectifs opérateurs spatiaux ou de médias. publique autorisée 32. La LOS a donc mis fin à cette incertitude juridique d’une L’octroi de cette garantie, comme soutien substantiel de grande importance économique et a même rendu ces l’État à une activité économique et pour une bonne gestion clauses obligatoires, en empêchant toute clause contraire, publique, justifie aussi que ce dernier puisse imposer en sauf pour le cas des dommages en orbite.

29 Il a là une grande différence avec tous les autres transports ou autres risques industriels majeurs (nucléaire, risques Seveso, marées d’hydrocarbures, etc.) où ce délai est en général instantané ou de quelques heures au plus. 30 Convention du 29 mars 1972 sur la responsabilité internationale. 31 Cf. note de renvoi n° 8 supra. 32 Cf. note de renvoi n° 27 supra.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 21 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

Sur ce point, de nouvelles questions se posent désormais des équipages ou des passagers à bord ou de leurs ayant- dans le contexte de la nouvelle économie du récupérable droits qui seraient blessés ou tués lors d’opérations en et des services en orbite s’agissant du caractère systéma- orbite. tique ou de la validité de telles clauses. Il faudra donc plus globalement compléter la LOS pour Ces nouvelles activités vont rapprocher, sur le plan y intégrer un régime spécifique d’autorisation, de contrôle contractuel, à savoir au niveau des parties concernées, et de responsabilité s’appliquant aux activités humaines l’opération spatiale du transport classique comme on au sein ou à partir d’un véhicule spatial ou sur des infras- l’a vu ci-dessus (§ 1.1.2). On notera que, contrairement à tructures extra-terrestres. l’opérateur spatial, la responsabilité contractuelle du transporteur pour vice caché et son obligation de résultat Enfin, il reste impératif d’établir un régime uniforme de pour la livraison sont présumées et qu’aucune clause responsabilité pour faute en orbite. Au-delà des préoccu- d’exclusion ne saurait être d’application automatique au pations légitimes qu’elle suscite aux plans inter-gouver- profit de ce dernier. nemental environnemental et éthique, la prolifération anarchique de constellations de véhicules non contrôlés, A partir du moment où les véhicules spatiaux sont et ses effets à retardement compte tenu de l’accroissement conçus pour être réutilisables comme tout autre véhicule exponentiel des risques de collision en orbite, menacent de transport, il devient nécessaire de reconsidérer l’appli- aussi la pérennité même des activités commerciales ! cation entre les parties des clauses de non recours en ce qu’elles protègent systématiquement actuellement les Cette question juridique intéresse maintenant tous les opérateurs en responsabilité, sauf faute intentionnelle, acteurs spatiaux et doit d’abord être traitée à l’échelle même concernant les vices propres à leur lanceur ! internationale. Comme nous l’avons déjà également indiqué, la solution dépend pour une grande part du bon Il serait légitime de s’interroger dans ce contexte sur la avancement des initiatives programmatiques, techniques possibilité d’opposer à l’opérateur, dans le contrat, sa faute ou normatives actuellement engagées entre les Etats et lourde ou sa mauvaise foi, et ce d’autant plus que la loi de leurs agences relativement à l’élaboration d’une codifi- finance du 30 décembre 2008 33 le prévoit déjà explicite- cation internationale de la circulation couvrant toute ment, pour ce qui touche aux exclusions de la garantie de opération spatiale (STM) 35, à la standardisation des l’État pour dommages aux tiers « en cas d’inobservation procédures d’évitement des collisions (SSA) 36 ou à la grave des prescriptions de l’autorisation » 34. prévention des débris (SDMG) 37.

Dans le même esprit, les tiers garants de l’opérateur, PARTIE 3 – SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES comme l’État (au-delà des 60 M€) ou les assureurs (en-deçà des 60 M€), pourraient devenir plus enclins à exercer une L’examen des nouveaux enjeux économiques et action récursoire (Art. 14 de la LOS) ou en subrogation étatiques affectant l’activité spatiale sous le prisme du contre l’opérateur convaincu d’une faute établie grâce aux droit existant montre que ce dernier résiste bien par ses nouveaux moyens de preuve offerts par l’observation des racines internationales, européennes, nationales et sa satellites de services en orbite. reconnaissance des usages commerciaux établis au sein des parties prenantes. Il offre donc un excellent socle pour Dans ces conditions, la rédaction des articles de la LOS construire tous les compléments nécessaires permettant relatifs à la responsabilité contractuelle (Art. 19 et 20) sera de satisfaire les nouveaux besoins et aspirations de à réexaminer en détail pour ce qui concerne les domaines chacun. d’application de la présomption des clauses de non recours, des exclusions possibles au-delà de la faute intentionnelle Il n’est ni nécessaire, ni souhaitable, ni possible sur la et enfin de leur caractère systématique. scène internationale, de revenir sur les équilibres créés par les traités des Nations Unies sur l’Espace dans les Il convient également de noter que toutes ces exclusions années 60-70. Cela ne pourrait que conduire à des débats ne valent que pour des dommages aux véhicules spatiaux clivants ou stériles. et qu’elles resteront toujours inopposables aux victimes

33 JORF 31 décembre 2008, P. 20518, Art. 119. 34 A rapprocher avec l’obligation de bonne foi pour le signalement des « faits techniques » au § 2.3.5 ci-avant (décret autorisation article 7). 35 Space Traffic Management. 36 Space Situational Awarness. 37 Space Debris Mitigation Guidelines.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 22 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

Nous devons donc rechercher à compléter ce qui éclairer l’intervention des assureurs et investisseurs ; existe déjà, et fonctionne correctement, en engageant • Suivant la même logique, au niveau des standards un dialogue ouvert et sincère auprès de toutes les parties contractuels, la reconsidération de l’application systé- prenantes, à l’instar de la méthodologie consultative matique des clauses de non recours ou de limitation de déployée par le ministère chargé de l’Espace en France de garantie entre les parties prenantes à une opération. 1999 à 2008 pour l’élaboration de la loi française sur les Ceci concernerait d’abord les lanceurs réutilisables, les opérations spatiales. vols habités, les services en orbite commerciaux ; • La normalisation des réglementations techniques Cette recherche pourrait s’inspirer des meilleures s’appliquant aux services en orbite, aux constellations solutions en vigueur au sein du secteur spatial ou de celles de nano satellites non maîtrisables, aux bases spatiales utilisées dans d’autres secteurs privatisés ou par d’autres (terrestres, maritimes, aériennes, en orbite, ou sur des organisations restructurées pour faire face aux mêmes corps célestes) et aux véhicules spatiaux réutilisables ; défis sous l’angle juridique. • Les transports suborbitaux et les opérations hybrides circulant entre les espaces aérien et extra-atmosphé- Retenons aussi que dans le domaine spatial toute rique ; solution doit d’abord être acceptée, explicitement ou • La convergence des critères d’autorisation gouverne- implicitement, aux divers niveaux internationaux et mentaux d’autorisation et de contrôle de véhicules européens avant d’être généralisée au niveau de la spatiaux entre le droit de l’Espace, le droit des fréquences législation nationale. et celui des télécommunications ; • En aval, la cohérence du droit s’appliquant aux appli- Sans prétendre à l’exhaustivité, rappelons d’abord cations spatiales, notamment dans la définition des les principales problématiques politiques, stratégiques, politiques des données d’origine spatiales. Ces politiques économiques et juridiques qui se posent aujourd’hui : imposant selon le cas, pour des données équivalentes, • L’exploration et l’exploitation économique des un accès libre et gratuit obligatoire ou de multiples ressources de sols extraterrestres ; restrictions (vie privée, défense et sécurité, secret des • Les opérations spatiales habitées privées et toute affaires, propriété intellectuelle) avec une imprévisibili- activité exercée par des personnes physiques ou té juridique préjudiciable au développement du marché. morales agissant sous leur responsabilité et en grande Le statut et les privilèges des sentinelles de l’Espace autonomie depuis l’espace extra-atmosphérique ou des comme le SCO gagneraient également à être formalisé bases extra-terrestres ; pour renforcer leur action pour l’intérêt général 40 ; • Le régime des services en orbite (OOS) 38, y compris • L’harmonisation des règles de commerce international le nettoyage d’orbite (ADR) 39, les règles de secours, régissant l’intervention économique des États sur les de sauvetage, d’évacuation des débris et de gestion activités spatiales ouvertes au marché. En particulier d’affaires au profit d’autrui dans l’espace. L’essor de ces celles des agences spatiales (achats, partenariats, parti- services pourrait appeler une extension du régime des cipations financières, subventions, services rendus, etc.) garanties étatiques couvrant les dommages aux tiers vis-à-vis des projets conçus, développés ou conduits en orbite, afin de soutenir les activités qui participent à sous la responsabilité d’entreprises privées ; l’intérêt général (ADR notamment) ; • La place de l’Intelligence Artificielle et des systèmes • La conduite des opérations gouvernementales civiles et probabilistes dans la conduite des opérations spatiales. militaires ouvertes au secteur commercial et concur- rentiel, et par extension celles réalisées pour le compte Compte tenu de la diversité des sujets, on peut essayer d’organisations intergouvernementales comme l’Union de ramener la réflexion autour de deux piliers : d’une européenne ; part, la convergence des droits régaliens et économiques • L’élaboration d’un code international de circulation et au niveau des Etats et d’autre part, la construction d’un de conduite couvrant toutes les opérations spatiales droit international dédié aux investissements et services (STM), la standardisation des procédures d’évitement spatiaux à l’égard des acteurs privés. des collisions (SSA) et de prévention des débris (SDMG). Une synthèse de ces initiatives devant favoriser l’éta- blissement d’un régime juridique universel pour carac- tériser la faute en orbite, responsabiliser ses auteurs et

38 On-Orbit Services, à savoir réorbitation ou la désorbitation, l’entretien, la réparation, le réapprovisionnement, la transformation, la fabrication de véhicules ou de stations en orbite. 39 Active Debris Removal. 40 Space Climate Observatory.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 23 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

3.1 – CONVERGENCE ENTRE LES DROITS Les Etats sont donc appelés à clarifier et à harmoniser RÉGALIENS ET ÉCONOMIQUES DES ETATS leurs critères d’éligibilité tant pour assurer la sécurité des systèmes entre les parties prenantes, vis-à-vis des En dépit des aspirations libertariennes prêtées aux tiers et des environnements terrestres et spatiaux, que acteurs du New Space ou même des législations qui pour soutenir l’accès à ces nouveaux marchés dans des reconnaissent explicitement l’appropriation privée de conditions équitables et acceptables pour tous. ressources de sols extra-terrestres 41, le droit pour le secteur privé d’explorer et d’exploiter l’espace extra- Ce deuxième objectif relève de la sphère du droit atmosphérique ne peut s’abstraire des autorisations et économique qui organise de façon générale la prise en contrôles gouvernementaux 42. charge de l’économie par la puissance publique.

Cette situation, rappelons-le, découle d’abord du traité Cette discipline agrège de nombreuses probléma- de l’Espace lequel oblige, depuis 1967, les Etats à autoriser tiques juridiques comme la protection et le contrôle préalablement puis contrôler toute activité spatiale de des investissements, la régulation de la concurrence, leurs ressortissants et à en assurer in fine le risque en cas des aides, des marchés et des concessions publiques, de dommage aux tiers ou à l’environnement, et ce sans la libre circulation des biens et des services, l’organi- limitation de durée ni de montant. L’accès aux fréquences sation des réseaux et infrastructures nationalisés ou du spectre radio-électromagnétique est également soumis privatisés, la gestion comptable et budgétaire des établis- à autorisation gouvernementale suivant les règles de sements publics à caractère industriel et commercial, l’Union internationale des télécommunications (UIT). Il en les politiques et programmes publics de recherche, les est de même, pour ce secteur, de la majorité des transferts autorisations administratives, la labélisation, la normali- de biens, de technologies et de main d’œuvre entre les sation technique ou commerciale de tout bien ou service pays en raison des législations de contrôle export ou de commercialisé, les douanes et la fiscalité des entreprises, protection du patrimoine scientifique et technologique43 . etc.

Aucune activité économique ou concurrentielle liée à Les Etats vont devoir conjuguer ces différents leviers un système spatial ne peut donc s’affranchir de l’accord pour servir les enjeux de la nouvelle économie spatiale. d’un ou de plusieurs Etats. Il en est de même de leurs D’abord en interne entre les différentes administrations et divers soutiens, et de ceux de leurs agences, compte tenu agences concernées, civiles ou de défense, puis au niveau de l’ampleur des risques techniques et économiques à européen, en coopérant entre les programmes nationaux surmonter. et en coordonnant leur gouvernance vis-à-vis de l’Agence spatiale européenne et de l’Union européenne 44.

41 Aux Etats-Unis, l’US Commercial Competitiveness Act, en date du 25 novembre 2015. Au Luxembourg, la loi du 20 juillet 2017 sur l’exploration et l’utilisation des ressources de l’Espace. 42 Ibid. Aux Etats-Unis, CSLCA, Sec. 51301 : « b) Report. Not later than 180 days after the date of enactment of this section, the President shall submit to Congress a report on commercial exploration for and commercial recovery of space resources by United States citizens that specifies: 1) the authorities necessary to meet the international obligations of the United States, including authorization and continuing supervision by the Federal Government. » Au Luxembourg, art. 2 de la loi : « Aucune personne ne peut explorer ou utiliser les ressources de l’Espace sans être en possession d’un agrément de mission écrit du ou des ministres ayant dans leurs attributions l’économie et les activités de l’Espace ». 43 Cf. Législation ITAR aux Etats-Unis ou régime d’autorisations CIEEMG en France, etc. 44 Pour une étude d’ensemble sur les relations triangulaires entre les Etats, l’ESA et l’UE en matière spatiale, cf. Ph. Achilleas (sous la direction de), T. Royal, M. Roca de l’IDEST, « Le futur visage de la gouvernance du spatial en Europe – Éléments de réflexion juridique », novembre 2011, contribution complémentaire (annexe V) au rapport « Une ambition spatiale pour l’Europe » de la mission du Centre d’analyse stratégique, présidée par Emmanuel Sartorius, présenté le 11 octobre 2011 à Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, in Documentation française, n° 42-2011, www.stratégie.gouv.fr.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 24 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

Cette convergence est également à structurer au niveau véhicules (OOS), les réentrées, les transports de personnes international, au-delà de la communauté spatiale tradi- et de fret (Terre-Espace, Espace-Espace, Espace-Terre, tionnelle, notamment au sein de l’Organisation mondiale Terre-Corps célestes, etc.) selon que les moyens soient du commerce (OMC – WTO) 45 ou de l’Organisation de réutilisables ou non. coopération et de développement économiques (OCDE – OECD) 46. Seraient à standardiser les clauses usuelles des contrats, les spécifications générales et optionnelles courantes en En dépit de leurs contingences actuelles, ces deux matière d’obligation et de responsabilité, le partage et le organisations ont su démontrer dans d’autres domaines transfert des risques (type Incoterms, etc. 47 ), les finan- souverains ou stratégiques comme la fiscalité, les droits cements, les modalités de paiement, les assurances, les de douanes, la propriété intellectuelle ou la commande dommages aux tiers, sans oublier la gestion d’affaires publique, qu’elles pouvaient rassembler des approches (quasi contrats), solution qui, si elle était généralisée à nationales divergentes de façon progressive, et conta- l’échelle internationale, permettrait l’essor de systèmes minante au bons sens du terme, à partir de mécanismes de secours et d’assistance indispensables à la sécurité des bilatéraux comme la réciprocité, la reconnaissance activités dans l’espace. mutuelle, les accords-types ou le principe de la nation la plus favorisée. Elles devront être appréhendées comme Au plans civil, commercial et contractuel, on signalera le des fora facilitant l’émergence de solutions consensuelles rôle que pourrait jouer l’Institut international pour l’uni- et non comme des organisations prescrivant leur norme fication du droit privé (UNIDROIT) qui a déjà été chargé par le haut ! de l’élaboration d’un cadre juridique uniformisé régissant la constitution de sûretés et de garanties facilitant le 3.2 – UN DROIT INTERNATIONAL DÉDIÉ AUX financement de biens spatiaux48 . INVESTISSEMENTS ET SERVICES SPATIAUX Au plan de la responsabilité civile pour dommages aux L’effort des Etats doit trouver ses prolongements au tiers dans l’Espace, la question se focalise comme nous sein des acteurs industriels et commerciaux afin de l’avons indiqué, sur une définition acceptée par tous de la construire un droit spécial aux plans civil et commercial faute en orbite et, le cas échéant, des obligations qui en apte à répondre directement à leurs attentes. Le but est découlent pour son auteur. Un telle instruction dépendra non seulement d’améliorer la sécurité des échanges entre des solutions retenues relativement au Space Traffic eux, mais de favoriser l’ouverture à d’autres clients ou Management (STM), au Space Situational Awareness partenaires de l’industrie traditionnelle, des services (SSA) ou aux Space Debris Mitigation Guidelines (SDMG). numériques, de l’assurance, des banques et des grands Elle implique au niveau des agences les travaux du Comité investisseurs sur les marchés financiers. inter-agence de coordination des débris spatiaux (IADC) 49 et intéresse au niveau multilatéral les compétences des Une telle lex mercatoria spatialis pourrait déjà agréger sous-comités juridiques et techniques du Comité pour les différents standards et options contractuels applicables l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique 50 aux opérations spatiales. Cette normalisation couvrirait des Nations Unies. L’Union européenne et l’ISO se sont de façon plus lisible l’ensemble des missions : lancement, également saisis de ces sujets. maîtrise de véhicules orbitaux, y compris entre plusieurs

45 Organisation créée en 1995, en prolongement de l’accord international du GATT sur le commerce des marchandises (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce signé en 1947) et suivant les accords de l’« OMC » négociés et signés en avril 1994 à Marrakech. Elle régit le commerce international des biens et services entre les pays, en favorisant l’ouverture des marchés internes, qu’ils soient publics ou concur- rentiels. Pour ce faire, elle s’efforce de réduire toute forme d’obstacle au libre-échange (douanes, fiscalité, réglementation et normalisation nationales…). Elle dispose d’une instance de règlement des différends. 46 Organisation internationale d’études économiques créée en 1961, regroupant des pays développés, pour la plupart de la sphère occidentale, basés sur un fonctionnement démocratique et une économie de marché. 47 InCoTerms, acronyme de International Commercial Terms, se traduit en français par CIV ou Conditions internationales de vente. Ces Incoterms, mis en place par la Chambre de commerce internationale (CCI), proposent une codification des différentes options ou modalités possibles d’une transaction commerciale. 48 Cf. « Protocole portant sur les questions spécifiques aux biens spatiaux à la convention relative aux garanties internationales portants sur des matériels d’équipement mobiles », texte arrêté à Berlin le 9 mars 2012 lors la conférence des plénipotentiaires. 49 Inter-Agency Space Debris Coordination Committee. 50 Plus couramment désigné sous l’acronyme CUPEEA, ou COPUOS en anglais, il fédère deux sous-comités, l’un technique l’autre juridique qui se réunissent séparément sous des ordres du jour distincts, la synthèse étant faite en comité plénier avant examen chaque année à l’Assemblée générale des Nations Unies.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 25 POINT DE VUE LES ENJEUX D’UN RENOUVEAU DU DROIT DE L’ESPACE

Le défi actuel pour ces organisations est de coordonner Ce prolongement pourra bénéficier de l’expertise du leurs agendas respectifs autour de ces questions priori- monde académique, des chercheurs et spécialistes du taires en privilégiant les axes où leur vision est la mieux droit, de la philosophie, de la sociologie, de la prospective, partagée. de l’histoire des sciences, des techniques et des grandes découvertes, et enfin de l’éthique. Par ailleurs, il est également indispensable que ces organisations ouvrent leurs instances, de façon formelle En conclusion, retenons que les enjeux que nous venons et systématique, à la participation de représentants du de considérer sont de taille. Le défi est de favoriser le secteur industriel et commercial, des anciens comme des développement de la nouvelle économie spatiale en nouveaux. perpétuant l’attractivité de notre législation, et ce dans le respect de la sécurité, de l’environnement, de l’intérêt Le défi subséquent, pour le secteur professionnel, est général et du bien de l’Humanité ! de se structurer à tous les échelons entre les différents métiers, intérêts et pays, pour organiser ses propres Gageons qu’une démarche constructive puisse bientôt mécanismes de concertation, disposer d’une représentati- s’amorcer en France entre toutes les parties prenantes vité solide et porter, face aux Etats et à leurs agences, une dans le but de soutenir ceux qui portent la responsabi- vision commune de ses intérêts au service du développe- lité de promouvoir la position de notre pays à l’échelle ment économique. européenne et internationale et qui initient l’élaboration des textes nécessaires. ■ Pour terminer, notons que ces réflexions devront se prolonger de façon plus prospective aux questions liées aux futures expéditions publiques-privées vers les autres planètes du système solaire, à l’installation de bases extra- terrestres habitées et productives, aux interactions entre celles-ci, aux relations professionnelles ou privées entre les personnes qui y travaillent et y résident, le tout dans un contexte de grande autonomie d’intervention par rapport à la Terre.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 26 ESPACE TABLE RONDE L’ESPACE ET SES ENJEUX par Bruno Chanetz, rédacteur en chef

Le 30 janvier 2020 se déroulait à l’hôtel de l’industrie, Des documents avaient été mis à disposition des parti- place Saint-Germain des Prés, la première table ronde cipants : organisée conjointement par la 3AF, Alumni-ONERA et la • la Lettre 3AF n°38, spéciale ESPACE, parue pour le salon Société d’encouragement pour l’industrie nationale (SEIN). du Bourget 2019, préfacée par les ministres des Armées et de la Recherche : Mesdames Parly et Vidal ; Cette table ronde l’Espace et ses enjeux s’est déroulée • La Lettre 3AF n°40, parue fin 2019, comportant un au siège de la SEIN, société présidée par Olivier Mousson, dossier ESPACE ; conseiller-maître à la cour des comptes. Olivier Mousson • un recueil émis par la commission Stratégie et affaires nous a accueillis dans la salle Chaptal de l’hôtel particulier internationales (CSAI) de la 3AF, qui rassemble notes, occupé par la SEIN. Il a rappelé l’ancienneté de cette études et articles émis par la CSAI. Beaucoup d’entre eux société dont la fondation remonte à 1801 sous l’impulsion, ont trait à l’espace et en particulier une note intitulée entre autres, du Premier consul Bonaparte qui en fut l’innovation comme perspective stratégique de valori- actionnaire. sation des services par satellites demandée au président Michel Scheller avant l’été 2019 par le sénateur Gérard Longuet, président de l’Office parlementaire d’évalua- tion des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Ce document, rédigé sous la direction de Bertrand de Montluc a été remis à l’OPECST en septembre 2019 https://www.3af.fr/article/communication-adherents/ recueilinterieur-csai

Florin Paun, consultant, membre de Joint European Disruptive Initiative (JEDI) et membre du conseil d’admi- nistration d’Alumni-ONERA a animé cette table ronde avec le brio et l’enthousiasme que lui connaissent ses anciens collègues de l’ONERA. Ce fut une prestation remarquable et nécessaire pour une table ronde qui réunissait sept intervenants : • Bertrand de Montluc, commission stratégie et affaires Olivier Mousson, président de la SEIN internationales de la 3AF L’espace et ses enjeux défense • Christelle Astorg-Lepine, CNES Rôle du CNES dans le Bruno Chanetz a ensuite remercié Olivier Mousson de soutien étatique de l’écosystème spatial français nous recevoir dans ce prestigieux hôtel de l’industrie. Il a • Patricia Cymbalista, ONERA La recherche spatiale de également remercié Rémi Capoulade de filmer cette table la prochaine décennie dans le contexte européen ronde pour la chaîne Co-working Channel : • Mathias de Dampierre, Starburst Quelles sources de https://coworkingchannel.news/coworking-channel- financement pour les acteurs français ? Les grands presente-la-conference-espace-et-enjeux-organisee-par- enjeux financiers bruno-chanetz-alumni-onera/ • Philippe Lattes, Aerospace Valley L’export : présenta- tion des enjeux et structuration de l’écosystème • Alain Dupas, consultant en stratégies spatiales Comparaison des écosystèmes internationaux d’entre- preneuriat spatial, avec un focus sur les États-Unis et la Chine • Pierre-Elie Morel de Westgaver, PwC Space Practice Le NewSpace et l’économie spatiale

La soirée s’est poursuivie par un cocktail dinatoire qui a permis de prolonger les échanges.

Notons également, parmi les auditeurs, la présence De gauche à droite : Florin Paun, Bruno Chanetz, Christelle d’Ingrid Vaileanu, qui dès le lendemain publiait dans Astor-Lepine, Philippe Lattes, Pierre-Elie Morel de Interview francophone une synthèse de la soirée : Westgraver https://www.interviewfrancophone.net/new-space

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 27 ESPACE TABLE RONDE L’ESPACE ET SES ENJEUX

De gauche à droite : Florin Paun, Patricia Cymbalista, Christelle Astorg-Lepine, Philippe Lattes, Pierre-Elie Morel de Westgraver, Bertrand de Montluc, Mathias de Dampierre (masqué par la caméra) et Alain Dupas (à droite de Rémi Capoulade [Co-working channel] lui-même de dos)

De gauche à droite : Florin Paun, Christelle Astorg-Lepine, Philippe Lattes, Pierre-Elie Morel de Westgraver, Bertrand de Montluc, Mathias de Dampierre, Patricia Cymbalista et Alain Dupas (masqué par Rémi Capoulade) ■

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 28 ESPACE ESPACE, ENJEUX DE DEFENSE par Bertrand de Montluc, commission Stratégie et affaires internationales

Nous sommes confrontés, vous le savez, à une Menace Aujourd’hui, où en sommes-nous : les systèmes spatiaux à géométrie variable - couvrant un éventail allant des sont véritablement utilisés par les Forces sur le théâtre à petits groupes terroristes disparates, aux organisations des fins tactiques ; c’est une sorte de révolution puisque structurées étatiques ou non utilisant des armes conven- dorénavant les satellites sont une composante essentielle tionnelles et parfois des missiles de croisière et balistiques des opérations militaires. Cette évolution a pris plus de 20 avec en plus des capacités d’action dans le cyberespace. ans à se concrétiser.

La bonne nouvelle est que nous sommes en mesure de On peut raisonnablement imaginer qu’en 2050 relever ces défis. Cela n’est possible que parce que nous plusieurs autres évolutions seront survenues : disposons d’un spectre complet de capacités spatiales : • L’observation et la localisation nécessaires pour la 1) La première à envisager est une « démocratisation » géographie. encore plus forte de l’accès aux capacités spatiales, qui • L’observation et l’écoute (démonstrateur de ROEM pourrait se traduire en opérations par : ELISA ; mini-satellites CERES à lancer en 2020) • la capacité pour une force tactique au sol de commander nécessaires pour le renseignement. directement des données spatiales aux satellites • L’observation et la localisation précise, permettant un approchant de la zone d’opérations (satellites/constella- ciblage de précision (HELIOS-IIB et CSO-1 et la famille tions d’observation ou d’écoute dédiés à ce type d’emploi de satellites duaux Pléiades). tactique) ; • La navigation (Galileo/PRS, programme UE/ESA) et les • la possibilité pour un centre d’opérations de suivre en Satcom (Syracuse 4 et Athena-Fidus avec les Italiens, temps réel le déroulement d’une opération (observation dans le futur satellite tout numérique Castor) sont enfin permanente géostationnaire, et vidéo). indispensables pour le commandement et le contrôle des opérations. 2) La seconde évolution se matérialise par la conduite • Auxquelles il faut ajouter des capacités nouvelles de d’opérations spatiales défensives et offensives : surveillance et d’action dans l’espace. • défensives pour protéger nos satellites des agressions dans l’espace ; La disponibilité de toutes ces capacités spatiales, pour • offensives pour recueillir du renseignement sur les tous les combattants, permet aujourd’hui aux forces satellites adverses et priver l’adversaire de son soutien armées françaises de mener des opérations militaires AU spatial. BON MOMENT, avec le bon TEMPO, quel que soit le type d’ADVERSAIRE contre lequel elles doivent se battre. C’est À noter que dans les deux cas, les armes mises en œuvre dans ces conditions que la Ministre des armées a mis en ne produiront pas de débris spatiaux. place en 2019 au sein de l’Armée de l’air à Toulouse un « Commandement » Espace. En complément, il faut aussi relever que les armées seront impliquées dans le Space Traffic Management Si vous voulez mesurer l’importance de cette transfor- (STM) - la gestion du trafic spatial. Elles seront chargées mation, il faut se souvenir que « l’espace pour la défense » de faire respecter les règles internationalement agréées et était à l’origine dans les années 80 (c’est l’année où je aussi d’intervenir s’il y a des infractions. suis entré au siège du CNES) conçu dans la logique de dissuasion et à partir d’un instrument construit à l’origine pour la télédétection terrestre (le duo SPOT/SAMRO- HELIOS).

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 29 ESPACE ESPACE, ENJEUX DE DEFENSE

Voilà pour l’effort politique, institutionnel (DGA/ Car le New Space, offre de nombreux avantages pour CNES) et industriel national. Et l’effort européen me les applications de Défense (fréquence d’accès aux orbites, dira-t-on ? répétitivité du recueil d’information, moindre coût des programmes et des services) La coopération européenne a été recherchée depuis deux décennies, avec des succès dans l’observation (dans Le versant négatif bien connu est que prolifération des le jargon MUSIS) mais il faut le reconnaitre limités (mutua- initiatives qu’il génère en orbite va effectivement, à terme, lisation par échanges de données). poser des questions d’encombrement orbital, aggravé par la petite taille des objets lancés. Une régulation internatio- Comment imaginer une meilleure mise en commun des nale sera nécessaire pour réduire les risques de collision données et capacités ? et d’interférences. L’Europe devra rapidement être active sur ce sujet afin d’éviter qu’il ne lui échappe et que les Les programmes spatiaux européens devraient être modalités de contrôle lui soient inaccessibles. conçus d’une façon différente : ils devraient être aptes à répondre sans restriction tant aux besoins ponctuels Revenons, pour terminer, au plan national en essayant et occasionnels des petits pays qu’aux exigences straté- de se projeter vers l’avenir en tenant compte du passé. giques des grandes puissances. À l’exception des grandes puissances, qui garderont des objectifs de souveraineté Après le rapport GOSPS de 2003 (Mme Alliot-Marie), de nationale, la majorité des pays européens pourraient nombreux rapports ou revues stratégiques, y compris au se satisfaire suivant les besoins exprimés par le niveau du Parlement récemment, ont formulé des recom- Service Européen d’action extérieure (SEAE) de l’Union mandations sur la politique spatiale. La dynamique en européenne. Bien entendu, chaque pays membre devrait faveur des programmes spatiaux de défense et de sécurité disposer d’un droit de programmation des instruments parait de nouveau assurée. Comment amplifier encore les spatiaux, garanti selon des quotas fixés et équitables. actions de conviction auprès des décideurs et du public Le SEAE serait l’autorité centrale chargé de l’optimisa- au sujet de l’utilité des systèmes spatiaux, alors que les tion et des arbitrages. Les grandes puissances (France, États-Unis, la Chine, l’Inde multiplient les annonces ? La Allemagne, Italie) dotées de systèmes spatiaux qualifiés meilleure sensibilisation viendra sans doute des actions - du moins celles qui ont gardé des velléités de souverai- externes à propos desquelles il faudra réfléchir en toute neté (Sécurité, Défense, Diplomatie) - devraient se voir clairvoyance et sans langue de bois, à l’instar de la attribués des droits particuliers, en termes de garantie ministre des Armées en septembre 2018 à Toulouse. d’accès, de priorité et de confidentialité. Après analyse et consultation de nombreux experts Au-delà du cadre européen, il faut remarquer que, institutionnels, industriels et des forces (JDT), nous depuis quelques années, surtout aux États-Unis, le pensons que les services spatiaux futurs devront renforcer domaine spatial s’ouvre à l’initiative privée ou semi privée l’intégration de tous les acteurs du niveau tactique, toutes (Space X, constellations), tandis que d’autres puissances armées confondues. Les unités élémentaires interarmées (Russie, Chine, Inde) privilégient l’investissement public (section de l’armée de Terre, bâtiment de la Marine souverain. La multiplication des équipements spatiaux nationale, aéronef) devront être interconnectées dans pour la défense ou la sécurité pourrait conduire à une une bulle d’information utilisant les systèmes spatiaux forme d’anarchie inconnue jusqu’alors, la question étant (GNSS, COMMUNICATION, RENSEIGNEMENT). par voie de conséquence posée d’une régulation interna- tionale nécessaire, sans être coercitive (règles du jeu et de Afin de tirer le meilleur parti des services offerts, les bonne conduite), et avec des instruments de contrôle ? systèmes d’armes conventionnels devront évidemment avoir été conçus pour cela par anticipation. Deux Pour répondre à ce questionnement, il faut d’abord domaines d’effort semblent particulièrement essentiels : accepter l’idée que les initiatives privées type New Space • La constitution des bases de données de référence aux États-Unis (voir les exposés de William Ricard et (Géographie de haute précision, dont le 3D urbain). Alain Dupas) ont complètement redynamisé les activités • Renseignements sur les systèmes d’armes adverses, y spatiales et relancé des objectifs ambitieux dans les compris leurs paramètres techniques et leur localisa- domaines les plus emblématiques comme les lanceurs, tion. le transport, les télécommunications, l’exploration. • La possibilité de traiter une quantité considérable Leurs succès, auxquels beaucoup n’ont jamais cru, sont de nouvelles données en temps réel (en incorporant aujourd’hui avérés. Et les armées sont intéressées. de l’intelligence artificielle et les techniques les plus élaborées de data mining et du machine learning). ■

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 30 ESPACE CONNECT BY CNES, LE NEW SPACE MADE IN FRANCE par Christelle Astorg-Lépine, Connect by CNES Program Manager 1

Connect By CNES a pour vocation d’ouvrir le potentiel TROIS THÈMES PRIORITAIRES des technologies et solutions spatiales à l’ensemble de l’économie nationale. Les usages du spatial connaissent un essor exponentiel grâce à un nombre de satellites grandissant, des données Lancée en 2018, l’initiative se veut une nouvelle plus accessibles, avec une récurrence et une précision porte d’entrée et un outil de proximité pour permettre croissantes… Le contexte global est également très à l’ensemble d’acteurs économiques (actuels et à venir) favorable (développement de l’intelligence artificielle, d’accéder à l’expertise du CNES et au potentiel du spatial. algorithmes puissants, financements spécifiques, coopé- C’est un outil terrain créé pour tisser des liens entre les rations internationales…) start-ups, les petites et moyennes entreprises, les grands- groupes spatiaux et non-spatiaux, les collectivités, les L’objectif de Connect by CNES est de mettre cette acteurs économiques et institutionnels… et les experts du richesse au service de la société civile et des acteurs CNES. économiques et institutionnels dans 3 domaines priori- taires : Toute l’équipe Connect by CNES est au service de • Mobilité –pour plus de précision et d’intégrité au bénéfice cette communauté d’utilisateurs du spatial (y compris des transports intelligents, des nouvelles mobilités, de les nouveaux entrants et les futurs utilisateurs) pour l’optimisation des déplacements, de la réduction des échanger sur leurs projets, expliquer ce que le spatial émissions en CO2, du véhicule autonome… peut apporter, accompagner vers les bons interlocuteurs, • Santé – pour les applications telles que la e-santé, l’épi- matérialiser les idées innovantes, faciliter les mises en démiologie ou l’innovation technologique pour les vols relation, ouvrir des réseaux... lointains • Environnement – pour rendre le spatial vecteur d’opti- En créant Connect by CNES, le CNES se dote d’un misation au service de la protection de l’environne- outil agile et de terrain pour se rapprocher davantage ment, de la transformation agricole et du changement des acteurs économiques, institutionnels et de la société climatique civile ; afin de mieux comprendre leurs problématiques, d’être en ligne avec les usages et de rendre le spatial plus Reliés autour des principaux enjeux accessible. Nous signons des partenariats stratégiques avec de grands acteurs en ces domaines comme l’INRAE et Vedecom en 2019, Lyon Biopôle en 2018. De façon générale, Connect by Cnes s’appuie sur une stratégie d’alliances avec les incubateurs (dont le réseau ESA-BIC), les pôles de compétitivité et les territoires. 2020 sera notamment consacrée à former des ambassadeurs territoriaux à l’utilisation des données spatiales.

Connect by CNES c’est avant tout une Offre de services

Connect By Cnes agit comme une « offre de services » au bénéfice des acteurs économiques et de la société civile. Une offre de services spécifiques a été définie pour accompagner de manière optimale les différentes Equipe du Hackaton ActInSpace Tourisme à la Rochelle typologies de structure, quelles que soient leur taille ou en 2019 (photo © Sylvie CURTY) leur nature : Start-up, PME/ETI, grands groupes, collec- tivités territoriales. Cette offre se décline selon 5 modes d’actions :

1 Contact : Christelle Astorg-Lepine, Connect by CNES, Program Manager => [email protected]

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 31 ESPACE CONNECT BY CNES, LE NEW SPACE MADE IN FRANCE

L’offre de Service « Connect, by CNES »

DE L’IDÉATION À L’INCUBATION, UN COUP DE POUCE POUR LES NOUVELLES IDÉES

ActInSpace, hackathons, start-up weekends, En 2018, Act In Space a généré la création de 17 challenges, défis thématiques… Nous organisons avec start-ups. nos partenaires de nombreux événements pour faire émerger de nouvelles idées et les transformer en projets d’avenir!

Pour les start-up, PME/ETI, grand groupe ou collec- tivité, ces rendez-vous restent des moments privilégiés pour mettre le spatial au service de notre société.

Dans ce cadre, l’organisation d’Act In Space fait l’objet d’un investissement particulier de la part de nos équipes. ActInSpace est le hackathon international de référence dans le domaine des applications du spatial. Ce concours est organisé par le CNES depuis 2014 et en collaboration avec l’ESA depuis 2016.

Ouvert aux personnes de tous horizons, ActInSpace vise à développer l’esprit d’entrepreneuriat et à tisser des liens entre les professionnels du spatial et les citoyens en proposant aux équipes des défis à résoudre sur la base de données et technologies spatiales brevetées par le CNES et ses partenaires.

Toutes les années paires, en simultané et dans le monde entier (50 pays en 2020), les participants du concours travaillent pour proposer des projets de startups répondants à des problématiques de la vie de tous. Accompagnés par des coachs business et d’experts techniques, ils ont 24 heures pour imaginer et concevoir les produits et services de demain à partir de solutions spatiales. Affiche ActInSpace 2020

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 32 ESPACE CONNECT BY CNES, LE NEW SPACE MADE IN FRANCE

UNE EXPERTISE POINTUE POUR LES logiques. Sur le volet spatial, un consortium piloté par le DOMAINES TELECOM, OBSERVATION DE LA CNES détecte les pépites à fort potentiel et leur délivre un TERRE ET GÉOLOCALISATION Space Ticket.

Nos laboratoires et plateformes accompagnent tous Lors de son lancement en 2019, et en l’espace de ceux qui le souhaitent dans l’accès et le traitement de seulement 5 mois, deux Space Tickets ont été délivrés à données d’observation de la Terre, géolocalisation et deux start-ups. télécommunications. • CESARS, le laboratoire télécommunications par satellite XSun, start-up spécialisée dans les drones solaires du CNES, accompagne les porteurs de projets et les (incubée Atlanpole) a obtenu un financement de 250.000€ professionnels dans la réalisation, le test et le dévelop- en juillet pour un dossier déposé en mars. pement de projets intégrant des données de télécommu- nications. À n’importe quel stade d’un projet, les experts Weatherforce, qui fournit des services météorolo- de CESARS aident à définir et analyser les besoins, giques et climatiques dans des régions reculées (incubée identifient les solutions satellitaires et/ou terrestres NUBBO), a décroché un financement en obligations adaptées en vérifiant la faisabilité technique ainsi convertibles à hauteur de 200.000€. Le dossier, déposé que la pertinence économique. Grâce à sa plate-forme en juillet, a obtenu l’accord de principe de BPI France en technique, CESARS permet non seulement la mise en septembre. place de services prototypes mais aussi des tests avec les équipements ou applications du « client ». Au-delà du Space ticket, le CNES participe activement • EOLAB, le laboratoire d’observation de la Terre du au comité de sélection de l’ESA BIC France et agit en CNES, accompagne les projets faisant appel aux tant que membre du comité de pilotage. L’ESA BIC Nord données d’observation. Il s’adresse à tous les utilisateurs France a permis la labellisation de 9 start-ups depuis fin ayant besoin de soutien pour l’utilisation de ce type de 2018 et l’ESA BIC Sud France 71 start-up depuis 2013. données ; qu’ils soient en phase de recherche d’informa- Ce programme d’incubation est également associé à un tions ou à un stade avancé du projet. financement. • Avec le soutien et l’expertise du Laboratoire d’Essais en Géolocalisation GUIDE GNSS, Le CNES a mis en Un Next40 pour les futures licornes place un service spécifique destiné à promouvoir le développement d’usages basés sur la géolocalisation. Partenaires depuis 2018, Connect by Cnes apporte Ce service permet aux porteurs de projets de bénéficier à la French Tech la composante spatiale indispensable d’une batterie de services spécifiques, et d’accéder aux pour faire de la France un berceau d’innovation et de dernières avancées en matière de géopositionnement technologies de pointe. En soutien à cette dynamique, le gouvernement a annoncé un accompagnement DES POSSIBILITÉS DE FINANCEMENT POUR premium des services publics pour le Next40, une LES START-UPS EN LEVÉE DE FOND sélection de futurs champions français de la tech avec un fort potentiel de croissance à l’international. Dans la vie d’un projet, l’obtention de financement constitue un élément primordial. Conscients de ce besoin clé, Connect by CNES propose un dispositif de DES FORMATIONS POUR NOS AMABASSA- financement qui aidera les projets à se concrétiser et DEURS DU SPATIAL à devenir des réalités sur le marché : Space Ticket, un mécanisme destiné aux start-ups. Le spatial et ses applications constituent un secteur à fort potentiel générateur de métiers d’avenir. Formations En juin 2019, nous avons créé le Space Ticket, délivré initiales, continues, à la carte, modules spécifiques… aux pépites à fort potentiel et en lien avec le spatial, pour les équipes Connect by CNES sont mobilisées aux côtés prétendre au nouveau fonds d’investissement French des professionnels pour les aider à trouver les sessions Tech Seed (opéré par Bpifrance). Ce fond mobilise 400 adaptées à leurs besoins et proposer des solutions pour millions d’euro pour le financement des start-ups techno- mieux comprendre la donnée spatiale et ses applications.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 33 ESPACE CONNECT BY CNES, LE NEW SPACE MADE IN FRANCE

En partenariat avec ISSAT pour accéder à un catalogue de formation applications.

Le CNES propose également une formation ambassadeur du spatial pour nos partenaires dans les régions. En 2020, plus de 50 membres des collectivités territoriales pourront en bénéficier.

DES ACTIONS DE PROMOTIONS POUR UNE MEILLEURE VISIBILITÉ ET UN RESEAU DYNAMIQUE

Le CNES présent à Station F (Paris) et au B612 (Toulouse)

La première démarche consiste à sortir de nos murs pour développer la communauté des utilisa- teurs du spatial, avérés et potentiels. En deux ans, les sept «marketers» de Connect by Cnes ont participé à plus 100 évènements et noué près de 500 contacts. 100 start-ups, 220 PME, 20 grands groupes, 135 établis- sements publics et collectivités, 50 structures à l’inter- national ont ainsi été accompagnés par nos équipes qui, selon les besoins, proposent expertise, ressources technologiques et/ou financières, formation, incubation ou encore animation.

Grace à ces actions et à celles de nos partenaires, chacun profite d’occasions privilégiées et adaptées pour se faire connaitre et rencontrer d’autres acteurs.

Connect by CNES est présent sur les réseaux sociaux et bénéficiera en 2020 d’un site collaboratif pour animer le réseau. ■

Journée de l’innovation – CNES – Séquence start-up Connect by CNES – 11 février 2020

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 34 ESPACE LA RECHERCHE SPATIALE A L’ONERA ET LE CADRE DE L’UNION EUROPÉENNE par Patricia Cymbalista, ONERA, membre senior 3AF

L’ONERA, établissement national de recherche public, L’ESRE : ASSOCIATION OF EUROPEAN remplit une mission d’orientation et de développement SPACE RESEARCH ESTABLISHMENTS des recherches dans le domaine aérospatial. Il s’agit de recherche et d’innovation à visée applicative dans un L’ESRE, association établie depuis 2016, est constituée de environnement industriel et sociétal. Cette recherche est 8 centres de recherche dans le domaine spatial en Pologne résolument coopérative et collaborative et s’inscrit, dans (CBK), Italie (CIRA), Allemagne (DLR), Roumanie (INCAS), le cadre européen, comme une contribution active aux Espagne (INTA), aux Pays Bas (NLR), France (ONERA) et programmes et projets de la Commission européenne, de République Tchèque (VZLU). l’Agence spatiale européenne et de l’Agence européenne de défense.

Dans le cadre du programme Horizon 2020 (2014-2020) de l’Union européenne, l’ONERA coordonne ou participe à des projets collaboratifs dans les domaines traditionnels des lanceurs et des satellites ainsi que dans les domaines des services en orbite et de l’apport du spatial aux grands défis sociétaux. Parmi ces projets on peut citer le projet ALTAIR portant sur un système aéroporté de lancement de petit satellite, le projet MINOTOR sur la propulsion électrique à tuyère magnétique pour les satellites et le projet PULSAR pour l’assemblage autonome de grandes structures en orbite. Dans le domaine de l’apport du spatial par l’observation de la Terre, il convient de citer le projet LEMON portant sur un instrument de mesure des gaz à effet de serre et le projet SCARBO sur un observa- toire spatial du carbone.

Les membres de l’ESRE

L’ESRE regroupe 14000 personnes dont 3200 chercheurs dans le domaine spatial, avec un budget annuel de 1,5 Md€, le budget annuel de la recherche spatiale étant d’environ 0,5 Md€. Elle est actuellement présidée par Pascale Ehrenfreund, présidente du comité exécutif du Les projets Horizon 2020 à l’ONERA : DLR. Bruno Sainjon, président du conseil d’administra- exemple de coordination/participation tion de l’ONERA, en est le vice-président.

L’expertise que l’ONERA apporte et les solutions qu’il Les établissements de l’ESRE ont pour but de renforcer développe dans ces projets collaboratifs contribuent leur coopération et de proposer des actions communes aux actions d’accompagnement des acteurs publics et de de R&D pour développer les sciences et les technologies, l’industrie européenne et au rayonnement du secteur pour aborder les grands challenges sociétaux et soutenir aérospatial français sur la scène internationale. la compétitivité du secteur spatial européen.

C’est dans cet esprit que l’ONERA est un des membres Les domaines de recherche de l’ESRE couvrent les fondateurs de l’ESRE, association d’établissements de constellations collaboratives de petits satellites, les futurs recherche européens dans le domaine de l’espace. systèmes de lancement, les technologies de sous-système satellite économiques ainsi que la surveillance satellitaire des gaz à effet de serre et la surveillance de l’environne- ment à l’échelle locale. www.esre-space.org

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 35 ESPACE LA RECHERCHE SPATIALE A L’ONERA ET LE CADRE DE L’UNION EUROPÉENNE

LA RECHERCHE ET L’INNOVATION SPATIALE LE LIVRE BLANC 2020 DE L’ESRE : 2021-2027 DES PROPOSITIONS DE RECHERCHES

La Stratégie spatiale de l’Union européenne, publiée en L’ESRE a identifié et proposé à l’Union européenne 2016 par la Commission européenne et endossée conjoin- des vecteurs pour la recherche et l’innovation spatiale tement en 2017 par le Conseil de l’Union européenne et 2021-2027, dans les domaines du SRIA de la Commission par le Parlement européen, inscrit l’apport de l’espace européenne. aux citoyens de l’Union européenne et la contribution aux politiques et à l’économie de l’Union européenne En particulier, le livre blanc de janvier 2020 de l’ESRE via quatre objectifs : maximiser les bénéfices pour la est une contribution active au processus de mise en œuvre société et l’économie européennes, développer un secteur de la Stratégie Spatiale de l’Union européenne pour la globalement compétitif et innovant, renforcer l’autonomie décade à venir et plus directement une contribution à la d’accès et d’utilisation de l’espace et consolider la position déclinaison du SRIA. Il constitue une vision structurée de l’Europe en tant qu’acteur sur la scène mondiale. sur une ligne d’activités commune basée sur les techno- logies permettant de travailler les grands challenges Les instruments clés pour la mise en œuvre de cette sociétaux et pour soutenir la compétitivité du secteur stratégie seront d’une part le programme spatial de spatial européen. l’Union européenne (dont les composantes sont Galileo/ EGNOS, Copernicus, SSA et GovSatCom) et d’autre part Les grandes tendances du secteur spatial et ses la partie « recherche spatiale » dans le programme de principaux champs d’activité sont explorés selon neuf recherche Horizon Europe. axes qui sont l’observation de la Terre, la navigation, les communications, la défense, les sciences et l’exploration Afin d’orienter la partie recherche spatiale, la de l’espace, la recherche dans les conditions spatiales et la Commission européenne a établi un Agenda stratégique robotique, l’accès à l’espace, les domaines transverses (tels de recherche et d’innovation (SRIA : Strategic Research que les constellations ou les débris) et les synergies avec and Innovation Agenda) pour la recherche spatiale les autres secteurs. financée par l’Union européenne, soutenant la compé- titivité et l’accès à l’espace. Cet agenda a été adopté le 7 L’ESRE propose pour chacun d’eux des projets de novembre 2019 en présence d’acteurs de la recherche et de recherche collaborative, similaires aux actions de l’innovation incluant l’industrie, les centres de recherches, recherche actuellement menées dans le programme les acteurs académiques, et des acteurs institutionnels tels Horizon 2020, ainsi que des projets de recherche à plus que les agences spatiales. Parmi les participants, citons grande échelle, basés sur des feuilles de route, ces derniers Eurospace, EARTO, ESRE, SME4SPACE et EASN, les pouvant être conduits dans le cadre d’un partenariat principales agences spatiales nationales (ASI, CDTI, CNES, co-programmé sur l’espace. L’ensemble de ces proposi- DLR, etc.) ainsi que l’Agence spatiale européenne. tions de recherche concerne tous les niveaux de maturité technologique (TRL) de manière ciblée : principalement Le SRIA est une base structurelle forte pour le prochain les bas TRL pour les organisations de recherche technolo- programme cadre de recherche et d’innovation européen gique et en association avec des industriels pour des TRL Horizon Europe (2021-2027). Il fournit des lignes plus élevés. directrices et des recommandations relatives aux besoins stratégiques de recherche et d’innovation pour soutenir LE SPATIAL ET LA CRISE DU COVID-19 la compétitivité du secteur spatial européen et renforcer l’autonomie d’accès à l’espace et d’utilisation de l’espace. Cet article parait dans un contexte très différent de Dans le domaine du soutien à la compétitivité, il cible celui dans lequel s’est tenue la table ronde « l’espace et ses les axes de recherche et d’innovation pour les systèmes enjeux » du 30 janvier 2020 qui lui a donné naissance. Les spatiaux tels que les systèmes satellitaires de télécommu- enjeux de santé publique ont pris le pas sur les autres. La nication ou ceux d’observation de la Terre, mais également crise sanitaire mondiale du coronavirus Covid-19 affecte des besoins des futurs écosystèmes spatiaux, incluant aujourd’hui nos activités et nos relations et plus largement notamment les opérations en orbite, des nouveaux nos vies. Les réponses d’urgences médicales et d’organi- procédés industriels et des besoins de contribution à la sations sociétales se multiplient aux niveaux national, science spatiale. Dans le domaine de l’accès à l’espace, il européen et international. propose les axes de recherche et d’innovation pour des capacités opérationnelles en 2030, pour des solutions de Dans le domaine spatial, les satellites d’observation de transport spatial commercial ainsi que des besoins de la Terre fournissent des images de la diminution de la tests, de production et de sites de lancement. pollution atmosphérique liée à l’arrêt des activités indus- trielles.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 36 ESPACE LA RECHERCHE SPATIALE A L’ONERA ET LE CADRE DE L’UNION EUROPÉENNE

Les données d’observation des satellites Sentinel du programme européen Copernicus permettent également des analyses de la qualité de l’air ou des explorations de liens entre température/humidité et propagation du virus tant en France, qu’en Europe ou ailleurs dans le monde. https://www.copernicus.eu/en/covid-19-nitrogen-dioxide- over-china L’Agence spatiale européenne, en coordination avec la Commission européenne ainsi que la NASA multiplient les initiatives et les appels à idées dans le but de contribuer à apporter des analyses mais aussi des réponses sociétales, environnementales et économiques.

Les réponses de demain seront les fruits de la recherche d’aujourd’hui. ■

Niveaux de dioxyde d’azote mesurés au-dessus de la Chine

ESPACE QUELLES SOURCES DE FINANCEMENT POUR LES ACTEURS FRANÇAIS ? LES GRANDS ENJEUX FINANCIERS par Mathias de Dampierre 1, Directeur chez Starburst

Starburst est le seul et unique accélérateur mondial tissements privés dans le secteur ASD. Depuis cette date, dédié au secteur de l’Aéronautique, du Spatial et de la le nombre de deals a fortement progressé et les deals se Défense (ASD), mettant en relation les startups avec les sont généralisés à toutes les branches de l’industrie ASD grands donneurs d’ordre industriels et institutionnels et (nouvelles plateformes de mobilité urbaine et de drones, les investisseurs du secteur. Avec 9 bureaux en Europe expérience passager, enabling technologies, etc.) pour (Paris, Munich), en Amérique du Nord (Los Angeles, atteindre plus de 5 Md$ d’investissement en capital-risque San Francisco, Montréal), en Asie (Singapour, Séoul) en 2019. et au Moyen-Orient (Tel-Aviv, Abu Dhabi), Starburst a construit un écosystème d’acteurs clés de l’innovation Si l’on s’en tient au seul secteur spatial, approximative- dans le secteur ASD comprenant plus de 6 000 startups. ment 10 Md$ ont été levés sur la période 2015-2019 auprès de fonds de capital-risque, de business angels, d’établisse- Depuis 2012, Starburst a bâti un écosystème mondial ments financiers et de grands groupes industriels. Après unique de startups et d’innovateurs actifs dans le secteur une année 2015 exceptionnelle à plus de 2 Md$ marquée de l’Aéronautique, du Spatial et de la Défense (ASD), ce qui par les levées de SpaceX, OneWeb et O3b, la progression lui donne une position de premier plan dans l’analyse des des investissements s’est faite de manière régulière et flux d’investissement en capital-risque dans le secteur. robuste depuis 2017 pour atteindre pratiquement 3 Md$ en 2019. Sur la période, les segments des lanceurs et de la Le secteur du NewSpace a historiquement servi de communication par satellite représentent respectivement catalyseur aux investissements en capital-risque dans 40% et 35% des investissements, l’observation de la terre l’industrie ASD au sens large. En 2015, les levées de fonds arrivant en 3ème position avec 17% des investissements, de 1 Md$ pour SpaceX et 500 M$ pour OneWeb ont été l’exploration de l’espace fermant la marche. à l’époque des signaux forts de l’accélération des inves-

1 adresse courriel : [email protected]

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 37 ESPACE QUELLES SOURCES DE FINANCEMENT POUR LES ACTEURS FRANÇAIS ? LES GRANDS ENJEUX FINANCIERS

La répartition de ces investissements par zone géogra- Uni, à titre d’exemples, la startup Reaction Engines a levé phique fait apparaître une nette domination des Etats-Unis 70 M$ en deux tours de financement en 2015 et 2018 qui représentent 55% du nombre de transactions (plus de pour le développement d’un nouveau moteur hyperso- 400 sur la période) mais pratiquement 80% des inves- nique visant à disrupter l’accès à l’espace, tandis qu’ tissements en valeur. Au-delà de SpaceX qui continue à Space a levé 40 M$ en 2018 pour le développement d’un lever plusieurs centaines de millions de $ chaque année, nouveau lanceur pour smallsat. de nombreux acteurs du NewSpace ont réalisé des levées d’importance aux Etats-Unis. À titre d’exemples : Space- La France apparaît ainsi globalement encore en retard flights Industries (services et solutions intégrées d’accès à en termes de nombre de projets et d’entrepreneurs se l’espace) et (micro-lanceurs) ont levé respecti- lançant sur le secteur du spatial. Peu de fonds de capital- vement 150 M$ et 140 M$ en 2018, tandis que Relativity risque investissent le secteur et préfèrent parfois miser Space (impression 3D de lanceurs) et Loon (communica- sur le digital/software plutôt que sur le hardware. Les tions) ont levé respectivement 140 M$ et 125 M$ en 2019. initiatives se multiplient cependant. La création par le CNES du fonds CosmiCapital dédié à l’investissement La Chine arrive en seconde position avec 5% des inves- early stage dans les technologies spatiales vise à combler tissements en valeur sur la période. La Chine est parti- ce manque. Bpifrance a lancé son programme d’accompa- culièrement active sur le segment des lanceurs avec des gnement des startups deeptech, mais le spatial n’est pas startups comme iSpace ou OneSpace qui ont chacune levé encore un domaine d’application clairement identifié. plus de 100 M$ sur la période. Les Pays-Bas arrivent en 3e position avec notamment un investissement de 460 M$ Mais c’est bien du secteur public que doit venir dans O3b en 2015. l’impulsion pour favoriser un flux d’investissement plus massif et plus focalisé sur les projets à fort potentiel du En France, les investissements sur la période sont à la secteur spatial. Si les pratiques en vigueur aux Etats-Unis fois moins nombreux et d’un ordre de grandeur moindre. ne sont pas forcément transposables telles quelles en À titre d’exemples : France et en Europe, il est néanmoins à remarquer qu’un • 4,7 M$ pour ThrustMe (propulsion satellites) en trois dispositif comme le SBIR (Small Business Innovation tours de financement en 2017 et 2018 Research), qui vise à soutenir les entreprises de moins de • 5,8 M$ pour Exotrail (propulsion satellites) en deux 500 personnes dans leurs activités de R&D en allouant tours de financement en 2018 et 2019 un certain pourcentage du budget des grandes agences • 4,5 M$ pour EarthCube (analyse d’images satellitaires fédérales (comme le Department of Defense) à l’attribu- par IA) en plusieurs tours de financement en Seed en tion de subventions et contrats, permet chaque année 2016 et 2017 à des dizaines de startups du secteur spatial américain • 8,3 M$ pour Unseenlabs (surveillance de trafic de bénéficier d’un flux de financement important et maritime) en 2018 récurrent.

Certains projets arrivent néanmoins à se financer Les difficultés actuelles de OneWeb rappellent le de manière plus conséquente. Grâce à une implanta- caractère encore fragile de certains modèles économiques tion à San Francisco, l’équipe dirigeante française de dans le secteur du NewSpace et sont peut-être l’oppor- Loft Orbital (opérations satellitaires as a service) a levé tunité de remettre sur le devant de la scène la question 16,2 M$ en deux tours de financement en 2017 et 2019. d’une approche européenne (combinant soutiens publics Elle a récemment ouvert de nouveaux locaux à Toulouse et privés) aux grands projets spatiaux du futur. ■ fin 2019. La constellation Kineis visant à mettre sur orbite 25 satellites dédiés à l’internet des objets à partir de 2023 a bouclé en début d’année un financement de 100 M€, avec CLS, le CNES et Bpifrance comme investis- seurs principaux, et la participation d’acteurs industriels comme Thales Alenia Space ou Hemeria.

En Europe, certains pays apparaissent comme plus dynamiques avec des projets de nouveaux lanceurs et de space-ports. En Allemagne, les sociétés Rocket Factory Augsburg (RFA) et Isar Aerospace développent un lanceur et un service de lancement à bas coûts, tandis que PTScientists vise la diminution des coûts dans l’explora- tion spatiale avec des atterrisseurs dédiés. Au Royaume-

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 38 ESPACE L’EXPORT : PRÉSENTATION DES ENJEUX ET STRUCTURATION DE L’ÉCOSYSTÈME par Grégory Pradels 1, Aerospace Valley, Eric Jolivet 1, Toulouse School of Management, et Philippe Lattes 1, Aerospace Valley

Notre industrie spatiale s’affiche comme un leader soit 42% des emplois européens. Même si les relations sur la scène mondiale, garantissant l’indépendance de géostratégiques demeurent, la période récente a vu l’Europe. La construction progressive de cette filière s’est l’émergence et le développement d’enjeux nettement plus accompagnée de la mise en place de barrières à l’entrée économiques, d’abord dans l’industrie des télécommuni- fortes et d’un marché de rente pour les acteurs en place. cations, puis globalement à l’ensemble du secteur, selon Depuis 10 ans, cette position est challengée par l’arrivée une dynamique dénommée NewSpace. Comme nous de nouveaux entrants qui cassent les codes. Abaissant allons le voir, ces changements se traduisent avant tout les barrières, ces acteurs ont pour ambition de rendre le par de nouveaux défis institutionnels et organisationnels spatial accessible à tous. Aujourd’hui, après avoir suscité (Jolivet, Pradels, 2019). beaucoup d’intérêt, ils n’ont pas encore produit une rupture de marché aussi forte que celle annoncée, mais ils LE SUCCÈS HISTORIQUE DE LA FILIÈRE constituent une réelle force vive menaçant les acteurs en SPATIALE FRANÇAISE place. Ainsi, à l’enjeu historique de dominance/indépen- dance s’ajoute désormais un enjeu de compétitivité indus- Dans un premier temps, il est intéressant d’analyser les trielle poussée par la mondialisation d’une offre standar- raisons du succès français, dans un domaine fortement disée et accessible (Jolivet, Pradels, 2019). Le principal stratégique. La volonté forte et stable de l’État est un enjeu pour l’industrie française est de nature organisa- élément, favorisant la création et la capitalisation de tionnelle. Il s’agit de combiner innovation incrémentale compétences hautement qualifiées, complémentaires et innovation disruptive afin de s’adapter à cette nouvelle et spécialisées. Depuis 1960, le budget alloué au secteur donne mondiale. La démarche Export, outre son intérêt spatial a en effet toujours été maintenu à un niveau stable commercial, se trouve être un vecteur tout à fait adapté et important en regard du PIB du pays (OCDE, 2014). pour stimuler ce changement organisationnel au sein de Les projets liés à la défense ont joué un rôle structurant l’écosystème. majeur. Plus globalement, c’est le modèle d’organisation verticale des grands projets industriels qui est à souligner. INTRODUCTION Dans ce modèle, on retrouve à la tête un État comman- ditaire de grands projets structurants, accompagné de L’industrie spatiale est née dans un contexte de guerre partenaires stratégiques. Au second étage, se trouve une froide. Outil de dominance pour les uns, d’indépen- agence nationale, ici le CNES, en charge de piloter la mise dance pour les autres, elle a représenté avant tout un en œuvre de ces décisions. Au troisième étage se trouvent outil géopolitique pour les Etats. L’enchaînement rapide les champions nationaux, ici Airbus D&S et Thales des premières réalisations démontre l’intensité de ces Alenia Space, accompagnés d’un tissu de spécialistes ambitions : du premier satellite artificiel mis en orbite composé de PME, de laboratoires et d’universités. Cette en octobre 1957 (Spoutnik) au premier pas sur la Lune en chaîne alimente un marché étroit composé d’utilisateurs juillet 1969 (Apollo 11), il aura fallu seulement 12 ans pour directement concernés par le projet, et potentiellement passer du rêve à la réalité. Affirmant leur suprématie, les un marché plus large stimulé par des produits et services Etats Unis, l’URSS et l’Europe ont durant 30 ans été les seuls dérivés. Ce modèle d’organisation vertical, largement à maîtriser l’ensemble de la chaîne de la valeur, de l’accès utilisé dans plusieurs secteurs (transport, santé, énergie), à l’espace à la fourniture des données. L’OCDE fournit permet d’assurer l’acquisition des compétences et le quelques chiffres permettant de prendre conscience de maintien des ressources nécessaires à la réalisation de l’importance de cette industrie pour les gouvernements : premières scientifiques et technologiques. La mobilité 0,24% du PIB aux États-Unis, 0,25% du PIB en Russie, 0,1% des acteurs décisionnaires entre les services de l’État, la du PIB en France (OCDE, 2014). En 2013, l’OCDE publie recherche et l’industrie est un autre élément qui a permis une cartographie illustrant l’origine des inventions dans d’assurer une cohérence d’ensemble, rendant homogène le le secteur spatial, montrant qu’environ 12% des brevets point de vue sur le secteur spatial, notamment en matière étaient issus des États-Unis mais qu’autant étaient issus de coûts et de délais. Cette forte complémentarité et de notre pays, situant ainsi la France comme un leader perméabilité entre État stratège, agence publique, grands mondial. Le secteur spatial est aujourd’hui une fierté et industriels a permis à la France d’assurer son indépen- un enjeu national, représentant environ 15 000 emplois, dance et de tenir tête aux grandes nations.

1 [email protected] ; [email protected] ; [email protected]

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 39 ESPACE L’EXPORT : PRÉSENTATION DES ENJEUX ET STRUCTURATION DE L’ÉCOSYSTÈME

DU SUCCÈS A LA MISE EN QUESTION : ÉMERGENCE DU NEWSPACE

Dans ce contexte, les réactions mêlées d’ironie et de surprise se sont succédées chez les acteurs historiques lorsqu’en 2006, Elon Musk indiquait au salon SATELLITE de Washington vouloir fabriquer, avec sa société SpaceX et sur fonds propres, un lanceur permettant de diviser par dix le coût d’accès à l’espace. Cette annonce fut suivie en 2008 et 2009 par les startups Skybox Imaging et Planet annonçant la création de constellations pour l’observa- tion de la Terre avec des dizaines de petits satellites. Ces propositions ont fortement surpris tant par le profil de leur porteur que par leur contenu. SpaceX proposait un lanceur pour petits satellites alors que l’industrie en place focalisait ses efforts sur l’envoi de plus de masse en orbite. Skybox et Planet proposaient de prendre des images entre 1 et 5 mètres de résolution quand le secteur ciblait la haute et très haute résolution.

La réalité a fini par dissiper le scepticisme, puisqu’en 10 ans, Space X est devenu un acteur incontournable du marché des lanceurs, et ce notamment sur le marché américain comme le montrent les figures 2 et 3. De Figure 1. Illustration de l’usage d’un programme spatial pour même, l’écosystème des petits satellites s’est rapidement la construction européenne. rassemble plus de développé : le site www.nanosats.eu recense plus de 460 1000 fournisseurs, dont 200 de rang 1 et 2. Source : CNES. nouveaux fournisseurs, provenant autant des États-Unis que de l’Europe ou de l’Asie (Pradels, 2016) Parmi les grands projets, citons en 1973 le programme Ariane pour l’autonomie d’accès à l’Espace, en 1974 le Au-delà de l’impact sur le modèle organisationnel, la programme Symphonie pour les premières solutions de promesse des nouvelles entreprises apparues depuis cette télécommunications spatiales, en 1978 le programme période était de fonder une nouvelle économie du spatial Argos pour un système mondial de localisation et de – le NewSpace – notamment basé sur l’accroissement des collecte de données, en 1986 le programme SPOT pour des débouchés commerciaux de la filière en complément des solutions d’observation de la Terre depuis l’Espace. marchés plus institutionnels. Une des caractéristiques du NewSpace est aussi d’avoir une vision ambitieuse Avec les réussites se développent également au sein assumée (SpaceX veut conquérir Mars, Planet veut photo- de l’écosystème concerné des constantes sur ce que graphier toute la planète quotidiennement). En effet, une représente un projet spatial : un projet à haute valeur multitude d’investissements, et de créations d’entreprises ajoutée, dont l’intégration nécessite des organisations nouvelles ont été observées depuis la déclaration d’Elon complexes et de grande taille, intensif en R&D, long Musk, semblant attester de la validité de cette vision. en développement, lourd en investissements pour des marchés sommes toutes très étroits, et au potentiel Pourtant, force est de constater que le bilan, après commercial faible. Par exemple, le développement du une quinzaine d’années, est plutôt mitigé. Des acteurs projet Ariane 5 a impliqué plus de 1000 sous-traitants nombreux et innovants ont en effet vu le jour mais ils (CNES, voir figure 1), le vaisseau ravitailleur ATV a requis restent globalement tributaires des puissances publiques plus d’un milliard d’euros d’investissement pour un coût et le développement de marchés commerciaux nouveaux, récurrent de 300 millions (ESA). Cette organisation n’est s’il est indéniable, demeure limité en volume. Ainsi, en pas propre à la France, et a souvent été le fil rouge de la seconde analyse, le carnet de lancement de SpaceX ou les plupart des pays ayant dominé l’industrie jusqu’à une annonces de Planet montrent que leur chiffre d’affaire est période récente, même si notre pays, avec ses atouts principalement issu de la commande publique américaine. et ses talents propres y a excellé. Dans le même temps, Les missions spatiales à base de petits satellites sont en cette construction progressive d’une filière efficace s’est très grande majorité des missions financées par un acteur accompagnée de la mise en place de barrières à l’entrée public (source www.nanosats.eu). La renommée mondiale fortes pour les nouveaux entrants et donc d’un marché de ainsi acquise par SpaceX et Planet montre que pour les rente pour les acteurs en place. États-Unis l’industrie spatiale reste avant tout un vecteur

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 40 ESPACE L’EXPORT : PRÉSENTATION DES ENJEUX ET STRUCTURATION DE L’ÉCOSYSTÈME de domination technologique. de mettre rapidement en lumière le savoir-faire de leur pays, en réalisant des explorations rapides, risquées et inédites. Globalement, c’est toute la filière qui pourrait devenir plus compétitive.

Pour comprendre ce point, il est utile de revenir sur les sources de compétitivité de ces nouveaux entrants, vis-à-vis des acteurs traditionnels.

LES DÉFIS OUVERTS PAR LE NEWSPACE, ÉLÉMENTS D’ANALYSE

Rappelons qu’un des paris stratégiques les plus utilisés Figure 2. Progression de Space X () face à l’acteur dans le milieu des entreprises innovantes est la chasse aux historique United Launch Alliance ( V). Source : https:// rentes. L’objectif pour ces entreprises est de casser le statu www.theatlas.com/ quo d’une situation subie pas tous. Dans le cas du secteur spatial, les décisions de programmes sont prises par les États pour 2/3 des projets d’infrastructure (Bryce, 2017), et leurs mises en œuvre toujours par les mêmes champions industriels. Cette situation oligopolistique, identique dans les grandes nations du secteur spatial, est donc un terreau fertile pour des entrepreneurs audacieux. Un autre élément de contexte à prendre en compte est très certaine- ment la mondialisation et la révolution du digital, facteurs combinés, qui ont affaibli les avantages liés à la grande taille, aux économies d’échelle et à l’intérêt de concentrer au sein d’une même organisation des actifs accumulés et complémentaires, transformant les entreprises établies Figure 3. Comparaison du nombre de lancements réussis en cibles. En effet, il n’a jamais été aussi facile d’accéder entre 2013 et 2017 entre le nouvel entrant Space X et les à l’information, aux connaissances et aux compétences. acteurs historiques que sont United Launch Alliance et Tout ce savoir-faire autrefois capté par les grandes Arianespace. Source : https://www.theatlas.com/ entreprises a été tenté par un autre mode de management et par des projets à forte ambition disruptives proposés De la même façon, en Europe, les grands projets par les startups. De même, ces startups ont été en mesure financés tels qu’Ariane 6, Galileo, Copernicus ou plus d’attirer des investissements et des financements considé- récemment Kineis ont été soutenus en réaction à leurs rables fléchés sur des projets visionnaires, ambitieux et concurrents américains, toujours dans une logique de court terme, dans une mesure proche des moyens des d’indépendance stratégique. L’Europe n’est donc pas grands groupes, et largement supérieurs à ce que peuvent inerte dans le NewSpace mais intervient, comme à espérer des entreprises de plus petites dimensions. L’un l’origine dans le secteur, en réaction, dans une logique de des enjeux pour la filière est donc de trouver des moyens suiveur rapide, lorsque les développements ouvrent des de combiner les atouts de ces différents acteurs et de enjeux réellement avérés. Ainsi, il y a fort à parier que favoriser l’émergence de formes inédites de coordination/ le succès d’une constellation américaine comme OneWeb coopération telles que l’open innovation. ou Starlink poussera l’Europe à se doter d’une capacité similaire. D’un point de vue plus académique, les travaux de Joseph Schumpeter permettent de comprendre la forte En synthèse, l’apparition de nouveaux acteurs après complémentarité des deux modèles d’organisation. avoir suscité beaucoup d’intérêt, n’a pas encore, à ce jour, L’auteur indique que les innovations ‘disruptives’ agissent produit une rupture de marché aussi forte que celle comme une force de destruction créatrice renversant les annoncée, mais elle a contribué à relancer l’intérêt des industries existantes au profit de nouvelles activités. Plus pouvoirs publics et de la société pour l’industrie spatiale proche de nous, Clayton Christensen a mis en exergue en faisant évoluer son mode de fonctionnement. On peut le phénomène de disruption au niveau de la stratégie ainsi se demander si à l’avenir, le succès de la filière ne des entreprises établies. Selon cet auteur, les entreprises reposera pas sur l’hybridation d’un modèle classique, tenu ayant réussi dans un domaine de haute technologie par les organisations historiques, et de sa bonne symbiose deviennent fortement vulnérables à la génération d’inno- avec des initiatives et des acteurs plus disruptifs, capables vation disruptive suivante. La disruption serait un état

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 41 ESPACE L’EXPORT : PRÉSENTATION DES ENJEUX ET STRUCTURATION DE L’ÉCOSYSTÈME d’inversion des pôles’ où ce qui a fait l’avantage stratégique nalité qui va permettre d’agrandir le marché avec de d’une entreprise se transformerait en source de nouveaux consommateurs. désavantage : c’est lorsqu’une entreprise est leader sur son 2. Une fois établis les premiers succès, les nouveaux marché qu’elle est la plus fragile, car prise au piège de son entrants mettent en œuvre une amélioration rapide modèle de ressources, de processus et de valeur (modèle de leurs produits/services au point de conquérir RPV). Les entreprises dominantes n’ont pas d’incitation à rapidement leur cœur de cible. Dans le premier cas, engager une disruption, mais à survendre la technologie le nouvel entrant doit maintenir un haut niveau établie sur laquelle ils sont dominants et à maintenir le de compétences très spécifiques pour maintenir à plus longtemps possible leur situation de leader (la rente). distance les acteurs historiques. Dans le second cas, le Ils focalisent ainsi pour la plus part leurs efforts sur l’inno- nouvel entrant doit convaincre rapidement le nouveau vation incrémentale, cherchant toujours à faire mieux segment client avant d’épuiser toutes ses ressources. qu’avant, selon les mêmes critères de décision. Selon le Dans les deux cas, il s’agit de démarrer sa propre courbe modèle de Christensen les acteurs historiques focalisent d’évolution, en parallèle de la courbe suivie par les leur effort sur le High Tech, délaissant les solutions alter- acteurs historiques. Ces nouveaux acteurs, devenus natives soit moins performantes, soit en dehors de leur les leaders de leur marchés, pourraient à terme être segment de marché (voir figure 4). Ce faisant, ces acteurs challengés à leur tour de la même manière. créent deux phénomènes : le premier est de passer de promoteurs à experts, réduisant ainsi de plus en plus leur Pour illustrer le graphe de Christensen avec trois segment de clients. Le second est de faire un appel d’air exemples du secteur spatial, nous pouvons considérer à d’autres types de propositions. D’après Christensen, les qu’Ariane 5 est un projet High Tech visant à améliorer nouveaux entrants couronnés de succès respectent deux l’existant, Falcon 9 est un projet Low Cost visant à réduire étapes : les coûts en optimisant l’appareil de production et les projets CubeSats une technologie NewTech ouvrant un 1. Les nouveaux entrants ciblent en priorité des clients nouveau marché constitué par les universités et les mal servis ou délaissés sur des marchés de niche. Pour laboratoires. Pour tenir à distance les acteurs historiques, le premier type, il s’agit de développer une offre moins SpaceX a dû développer des compétences très spécifiques, performante (Low Cost), c’est-à-dire inférieure à ce que comme l’approche d’un lanceur réutilisable. Pour peuvent proposer les acteurs historiques. L’innovation convaincre les universités et les laboratoires, les porteurs porte dans ce cas principalement sur les processus de projets CubeSats ont changé la finalité d’usage grâce d’industrialisation et le modèle économique afin de à des technologies très simplifiées et standardisées. faire baisser les coûts, tout en maintenant un niveau de Pour ces nouveaux clients, l’objectif n’est pas de réaliser performance acceptable. Pour le second type de cible, une mission spatiale opérationnelle mais d’attirer des il s’agit de créer un accès direct à une technologie pour talents et d’utiliser l’espace comme support de formation des utilisateurs autrefois écartés faute d’expertise ou (étudiants/chercheurs). d’intérêt. L’innovation consiste à créer une nouvelle offre via les nouvelles technologies disponibles (New Tech) pour faciliter l’usage ou ajouter une fonction-

Figure 4. Illustration du modèle de C. Christensen (d’après Christensen, 1997) avec l’ajout de 3 types dénomination : le High Tech, le Low Cost et le New Tech

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 42 ESPACE L’EXPORT : PRÉSENTATION DES ENJEUX ET STRUCTURATION DE L’ÉCOSYSTÈME

Enjeux pour le secteur spatial français, trouver de États se sont mis à développer leur propre industrie nouveaux modèles d’organisation efficace de la filière spatiale : on compte désormais la création de 2 nouvelles combinant innovation incrémentale et disruptive agences spatiales par an dans le monde depuis 10 ans, portant le total à près de 80 (CNES). Cette extension du En synthèse, les éléments précédents permettent nombre de financeurs publics a conduit mécaniquement de montrer que le secteur spatial français est reconnu à un plus grand nombre de fournisseurs industriels comme l’un des meilleurs au monde, grâce à un mode soutenus et à une mondialisation de l’offre, menaçant d’organisation vertical qui a fait ses preuves pour assurer ainsi l’industrie en place. Ainsi, à l’enjeu historique de la maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur. On dominance/indépendance, s’ajoute désormais un enjeu constate également depuis 2008 l’émergence de nouvelles de compétitivité industrielle poussée par la mondia- tendances venues majoritairement d’Outre Atlantique, lisation d’une offre standardisée et accessible (Jolivet, fragilisant cette position dominante, en opérant une Pradels, 2019). Les maîtres d’œuvre Airbus D&S et Thales rupture par le bas : il ne s’agit plus de dominer le marché Alenia Space partagent désormais le marché avec de plus en proposant des premières technologiques accessibles à en plus de concurrents dans le monde. Or sur le plan un petit nombre d’acteurs mais de focaliser l’innovation commercial le marché mondial ne grossit pas, voire est en sur l’appareil de production pour faire baisser les coûts et contraction. D’une moyenne de 15 satellites de télécom- sur les standards pour ouvrir de nouveaux marchés. Ainsi, munication par an, le marché est passé à 5 satellites par depuis 2008, apparaissent dans les salons spécialisés une an ces 2 dernières années. Un risque est de voir demain multitude de nouvelles entreprises développant une ces grands industriels acheter des équipements auprès de approche de volume (constellation de satellites, lanceurs ces nouveaux entrants et non plus dans le tissu national réutilisables, par exemple) ou d’équipements standards (le historique afin de garantir leur propre compétitivité. La CubeSat, par exemple). chaîne de fournisseurs actuelle doit réagir. Certains font le choix de la diversification sur d’autres secteurs nationaux Les éléments du chapitre précédent nous apprennent comme l’aéronautique ou le nucléaire. D’autres s’attaquent aussi que l’enjeu principal pour l’industrie française n’est au marché international, notamment le marché spatial pas technologique car la France a démontré détenir tous nord-américain, la Chine et plus récemment l’Inde. les atouts pour y faire face. Il n’est pas financier non plus car les budgets nationaux et européens, même si l’ordre L’approche pyramidale française servant à capitaliser de grandeur est plus faible que ceux des Etats Unis, sont des efforts de R&D sur plusieurs années grâce à des conséquents et stables. Le principal enjeu est de trouver projets structurants doit désormais être complétée par les nouvelles formes d’organisation et les nouvelles une approche en réseaux exploitant ces acquis et ceux modalités de coopération efficace entre acteurs plus d’autres filières, tirée par d’autres acteurs, afin d’ouvrir variés permettant de combiner innovation incrémentale le champ des possibles. En d’autres termes, il ne s’agit pas et innovation disruptive afin de s’adapter à la nouvelle de se substituer les uns aux autres, mais de trouver des donne mondiale. méthodes de coopération, permettent de valoriser les compétences présentes dans une entreprise au travers de En effet, pour se faire une place, les nouveaux entrants projets externes que l’organisation seule ne permettrait doivent utiliser des compétences spécifiques, hors du pas. Il s’agit, on le comprend, de modifier les comporte- champ de celles des acteurs historiques. Une des forces ments pour aller vers de la ‘coopétition’, tout en respectant des acteurs type startups est leur capacité à travailler les fondamentaux tels que la propriété intellectuelle, le en réseau, et de combiner des ressources issues de secret, la conformité. domaines jusque-là séparés. Ce modèle d’organisation, adopté par la nouvelle génération née avec Internet et les nouvelles technologies du numérique, permet de connecter rapidement des savoir-faire et des technologies exogènes à la sphère spatial, pour servir des besoins du spatial ou d’autres marchés, le tout dans un esprit frugal afin de développer, très rapidement et à moindre coût, des prototypes fonctionnels, des tests expérimentaux du marché et de la technologie.

Grâce à cette capacité à fédérer la diversité, les nouveaux entrants ont challengé les positions solidement acquises Modèle d’organisation historique permettant le dévelop- par l’industrie actuelle et sont devenus les nouveaux pement de compétences en cascade sur un tissu d’acteurs outils du jeu historique de dominance/indépendance. En homogènes et liés par l’opportunité de grandir dans la chaine abaissant fortement les barrières à l’entrée, de nouveaux de compétence. L’organisation est rigide mais résiliente.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 43 ESPACE L’EXPORT : PRÉSENTATION DES ENJEUX ET STRUCTURATION DE L’ÉCOSYSTÈME

fabriquées par le canadien Sinclair faisant désormais référence sur le marché des petits satellites illustre parfai- tement ce propos.

D’autre part, la démarche export impose une organisa- tion tournée vers le développement de produits standards. Notre industrie, habituée à développer des produits uniques définis sur la base de spécifications clients, doit désormais prendre le risque de proposer elle-même ses produits, en cohérence avec la demande du marché. Cela Modèle d’organisation combinant l’expertise d’acteurs très implique un changement fort d’état d’esprit et d’organisa- variés, reliés par des standards et des normes partagés. tion interne. L’organisation est réactive, mais impose à chacun de démontrer à tout instant sa plus-value au réseau. Enfin, la confrontation au marché international impose une organisation ouverte car elle confronte l’industrie L’acteur public de référence pour le secteur spatial en à de nouvelles normes et de nouveaux usages, dont France, le CNES, a pris la mesure de cet enjeu en modifiant certains sont à inventer. Pour relever le défi de l’export sa propre façon d’interagir avec l’industrie. Au côté des un industriel n’a donc pas d’autre choix que de se mettre grands projets scientifiques et techniques pilotés selon le en réseau. modèle vertical historique, de nouveaux projets en mode réseaux ont été initiés. Citons par exemple ArianeWorks Pour rebooster l’écosystème spatial régional, le pôle pour le co-développement de futurs lanceurs, Connect- Aerospace Valley a ainsi créé en 2018 la marque Newspace ByCnes pour la promotion de l’usage du spatial dans les Factory, qui rassemble 12 PME/PMI non concurrentes secteurs avals ou encore Angels pour le co-développe- et souhaitant relever ensemble le défi de l’export. Il ne ment d’une filière de nanosatellites industriels. s’agit pas de proposer des offres collectives mais plutôt d’offrir un catalogue complet, de partager ses réseaux, CONCLUSION : L’EXPORT COMME STIMULI son expérience, ses doutes. Certains ont déjà engagé une POUR RÉINVENTER LES ORGANISATIONS nouvelle politique produits, d’autres sont en cours d’élabo- - EXEMPLE AVEC L’INITIATIVE NEWSPACE ration. Depuis sa création, l’initiative Newspace Factory a FACTORY ainsi permis à ces 12 entreprises d’être présentes sur plus de 10 salons internationaux, de rencontrer un réseau Le pôle Aerospace Valley, en tant que pôle de compéti- jusque-là inaccessible ou désintéressé, et d’accumuler une tivité régional de la filière aérospatiale, devait répondre vision marché très stimulante. Fort de cette dynamique, à cet enjeu de changement organisationnel. Rappelons de nouveaux produits sont apparus, et des projets qu’un quart de l’industrie spatiale européenne se situe ambitieux sont en cours d’élaboration. en effet à Toulouse, ainsi appelée Capitale Européenne du Spatial. Outre l’animation d’un dispositif d’incuba- tion de startups, le pôle s’est également attaché à fédérer les acteurs spécialisés, notamment les PME historiques, les plus à risque, afin de les accompagner dans les changements en cours. Dans cet objectif, nous avons misé sur une démarche collective. La démarche Export, outre l’intérêt commercial, se trouve être un vecteur tout à fait adapté pour stimuler ce changement organisationnel au sein de l’écosystème.

D’une part la démarche export impose une organisa- tion agile pour aller vite car force est de constater que les positions stratégiques se prennent très tôt sur le marché. Le nombre d’heures de vol en orbite d’une technologie reste un argument commercial déterminant. Être parmi les premiers à proposer un produit sur le marché signifie Slogan de Newspace Factory en 2018, avec un style de prendre de l’avance sur les suiveurs. Aujourd’hui de communication décalé. nombreuses places ont déjà été prises sur des parts de marché équipements pourtant accessibles à l’industrie Grâce à Newspace Factory, les états d’esprits ont évolué française. L’exemple du développement des roues à inertie et pour la première fois en France, le tissu de PME/PMI du

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 44 ESPACE L’EXPORT: PRÉSENTATION DES ENJEUX ET STRUCTURATION DE L’ÉCOSYSTÈME

secteur spatial, jusque-là caché derrière les grands projets Business School Press. nationaux, s’affiche fièrement au premier plan, sur les • CNES, www.cnes.fr salons et sur internet : www.newspace-factory.com • ESA, www.esa.int • OECD (2014), The space economy at a glance. OECD Références • Jolivet, Pradels (2019) Quel avenir pour la filière spatiale • Bryce Space and Technology (2017) Global Space industry française ? Un essai d’analyse prospective fondé sur la dynamics. Research Paper, Bryce Space and Technology. théorie de la disruption stratégique. Annales des Mines, Publié sur brycetech/reports Réalités Industrielles, mai 2019, pp. 49-53. • Christensen, J. Clayton (1997) The innovator’s dilemma. • Pradels (2016), L’innovation dans le secteur spatial. Rapport When new technologies cause great firm to fail. Harvard CNES. ■

ESPACE ÉCOSYSTÈMES INTERNATIONAUX D’ENTREPRENEURIAT SPATIAL : LA DOMINANCE DU MODÈLE AMÉRICAIN ET L’ÉMERGENCE DU NEWSPACE par Alain Dupas, consultant en stratégies spatiales

Comment serait-il possible de faire effectivement de la Tencent (réseau social comme Facebook, mais avec un France le pays des géants du numérique de demain, et plus spectre d’activités plus large) et Xiaomi (inspiré d’Apple). généralement des nouveaux géants industriels capables en quelques décennies de transformer des secteurs tradi- La croissance extrêmement rapide des GAFA et d’autres tionnels comme l’automobile, l’aérospatial, ou l’énergie ? super-licornes ou titans est liée à des pratiques entrepre- neuriales liées aux personnalités des grands entrepreneurs La première étape est de favoriser l’émergence de de l’âge numérique, et seraient très difficiles à transposer licornes, autrement dit de startups valorisées à plus d’un en Europe pour des raisons sociales et culturelles. Mais milliard de dollars. Mais cela n’est pas suffisant : pour cela n’interdit pas d’essayer de comprendre comment transformer un secteur, voire le monde, comme l’on fait il serait possible de s’inspirer de ces pratiques, tout en Apple, Amazon, Google, Facebook, il faut que les startups respectant les modèles sociaux européens, pour améliorer poursuivent une croissance très rapide au-delà du stade les procédures de soutien et de financement des startups. de licorne. Une croissance exponentielle à deux chiffres est la clé du succès. Or, en Europe, l’expérience de ces Le problème est de libérer l’énergie créative des entre- dernières années montre que cela ne marche pas. On ne preneurs, le plus souvent étranglée par des réglementa- sait pas, en Europe, créer un écosystème entrepreneurial tions handicapantes et absurdes. Il faudrait créer une comparable à celui qui s’est mis place aux Etats-Unis, dans culture de l’entreprenariat à l’européenne, qui est déses- la Silicon Valley tout d’abord, mais aussi plus largement pérément absente, et qui conduit de nombreux entre- en Californie, dans l’État de Washington, et dans d’autres preneurs, après être passés à l’acte en Europe, à s’exiler régions. au véritable pays des licornes, en premier lieu sur la côte Ouest des Etats-Unis. Les géants du numérique sont généralement classés en super-licornes (plus de 10 milliards de dollars de valori- L’entrepreneur de la côte Ouest des États-Unis peut sation, avant ou après l’introduction en bourse) et en en général se concentrer sur son projet sans perdre titans (plus de 50 milliards de valorisation). Les leaders à son temps à faire la chasse à des investissements et à ce niveau sont tous américains ou chinois. Leur liste est des subventions qui exigent, en contrepartie des fonds dominée pour les Etats-Unis par les fameux GAFA : Google investis, des garanties personnelles, des comptes rendus (en fait, le groupe Alphabet), Apple, Facebook et Amazon, d’activités aussi fréquents qu’inutiles, et des retours qui exaspèrent tant les gouvernements européens. Pour rapides sur investissement qui se prêtent mal à une la Chine, on a d’une certaine manière l’équivalent des activité vraiment disruptive, visant à transformer, voire GAFA avec les BATX : Baidu (moteur de recherche comme à révolutionner, tout un secteur économique. C’est là un Google), Alibaba (commerce en ligne comme Amazon), avantage immense, qui lui laisse toutes les chances de

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 45 ESPACE ÉCOSYSTÈMES INTERNATIONAUX D’ENTREPRENEURIAT SPATIAL : LA DOMINANCE DU MODÈLE AMÉRICAIN ET L’ÉMERGENCE DU NEWSPACE croître vite, ou d’échouer tout aussi vite, car l’échec fait est la seconde à avoir dépassé une valorisation boursière partie, au pays des licornes, du parcours entrepreneurial, de 1000 milliards de dollars, en septembre 2018, et qui est contrairement à l’Europe, où tout est fait pour limiter le pourtant l’une des entreprises les plus « shortées » (dans risque pour les investisseurs. le jargon boursier, les fonds spéculatifs qui prennent des positions vendeuses à court terme, en pratiquant la Le refus du risque explique largement le nombre très « vente à découvert », sont appelés des Short Sellers). modeste des licornes européennes. Une autre incom- préhension culturelle de l’entreprenariat numérique en Que ce soit pour des sociétés entrepreneuriales cotées Europe est l’incompatibilité entre cet entreprenariat et le (Public) ou bien non cotées (Private), la clé du succès au retour rapide sur investissement, qui conduit les inves- pays des licornes est la présence d’investisseurs capables tisseurs publics ou privés à exiger des business plans de comprendre la vision d’un entrepreneur vraiment précis leur assurant (en principe) des dividendes rapides disruptif et de lui donner les moyens et la liberté de et la possibilité de « sortir » avec un substantiel bénéfice donner forme à sa vision, sans attendre aucun retour à du capital de l’entreprise innovante, par une introduc- court terme, mais en pariant sur les qualités personnelles tion en bourse de celle-ci, ou par une acquisition par une de l’entrepreneur, sur ses idées et sur sa capacité à faire autre entreprise. Cette stratégie à court terme traduit une croître très rapidement l’entreprise bâtie autour de sa incompréhension complète, voire une méfiance profonde, vision. L’intuition joue une grande part dans le choix de ce envers l’entrepreneur visionnaire, dont l’objectif est type d’investissements, et le risque d’échec est élevé. Mais si disruptif qu’il ne peut se traduire en business plan, telle est la règle au pays des licornes. et ne peut prévoir des distributions de dividendes car la poursuite d’une croissance très forte implique de L’écosystème startups-investissements fonctionne réinvestir toutes les marges dégagées sur les activités. souvent en France d’une manière dans laquelle les startups consacrent l’essentiel de leurs efforts à obtenir Mais que peut attendre un investisseur d’un entrepre- des financements, puis à justifier leurs activités auprès des neur qui ne prévoit aucune distribution de bénéfices, et investisseurs, en particulier publics, qui considèrent que ce d’autant plus qu’il va perdre de l’argent et s’endetter leur rôle est de protéger l’argent du contribuable et non pendant des années, et qu’il n’envisage pas forcément une de simplifier les choses pour permettre aux startups de introduction en bourse rapide ? La réponse est la valori- réussir, et donc de croître jusqu’à devenir éventuellement sation de l’entreprise, qui a un sens dans l’écosystème des licornes, ou plus. entrepreneurial américain, même en l’absence d’intro- duction en bourse. Ce concept de valorisation des licornes, L’écosystème du financement et de la valorisation des super-licornes ou mêmes titans, en l’absence de cotation sociétés entrepreneuriales au pays des licornes, dont nous boursière, est souvent mal, ou pas du tout, compris en venons d’esquisser quelques principes et grandes lignes, Europe. Il repose sur la pratique de la Private-IPO, c’est- est redoutablement efficace. Les GAFA en sont les fruits, à-dire la création autour du capital de l’entreprise d’une en passe de devenir des instruments de domination du sorte de marché privé d’actions, qui s’apparente à un club monde (en dehors de la Chine) au service des Etats-Unis. d’investisseurs (incluant fondateurs et employés), qui se Peut-on s’en inspirer ? mettent d’accord sur le prix des actions constituant le ticket d’entrée d’un nouvel investisseur. L’efficacité de l’écosystème vient surtout du fait qu’il donne aux entrepreneurs les moyens de développer La méthode de Private IPO (ou plus simplement leur vision en toute liberté, en appliquant des principes d’investissement en Private Equity – expression dont la d’organisation et de fonctionnement révolutionnaires par traduction française la plus proche est Capital Développe- rapport aux méthodes utilisées dans les industries tradi- ment) permet de donner une valeur à une société entre- tionnelles, et qui peuvent être différentes selon l’entre- preneuriale, sans qu’elle se soumette aux contraintes prise et l’entrepreneur. Dans tous les cas, derrière chaque réglementaires d’une cotation boursière, et surtout sans GAFA, et d’autres sociétés innovantes comme SpaceX et qu’elle puisse être attaquée par des fonds spéculatifs Tesla Motors (deux créations d’Elon Musk), il y a un entre- (Hedge Funds), qui parient sur la baisse du cours d’une preneur avec une vision profondément disruptive, mais action (et donc sur l’échec de l’entreprise) et qui sont parti- claire, et un caractère marqué, souvent difficile. culièrement offensifs vis-à-vis d’entreprises visionnaires et disruptives, lesquelles prennent de toute évidence des Même s’il n’est pas, sur le plan financier, dans la risques, sont souvent très endettées et visent à un succès catégorie des grands fondateurs et patrons des GAFA, considérable, mais à long terme (de l’ordre de 10 ans). Elon Musk est devenu ces dernières années l’entrepre- Le phénomène peut concerner d’énormes entreprises, neur emblématique de la côte Ouest des États-Unis. Pour comme Amazon par exemple, fondée par Jeff Bezos, qui quelles raisons ? Pour sa capacité à exposer sa vision, aussi

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 46 ESPACE ÉCOSYSTÈMES INTERNATIONAUX D’ENTREPRENEURIAT SPATIAL : LA DOMINANCE DU MODÈLE AMÉRICAIN ET L’ÉMERGENCE DU NEWSPACE bien pour sa société spatiale SpaceX, que pour sa société une colonie martienne. Le problème n’est pas de savoir dans le domaine des voitures électriques et de l’énergie si ce projet est réaliste, ou même s’il a un sens, mais de solaire, Tesla. Mais aussi pour les risques, jugés souvent comprendre comment, pour poursuivre cet objectif a inconsidérés, qu’il n’hésite pas à prendre. priori très utopique, il a réinventé, non pas la propulsion par fusée, mais la manière de développer et de produire En 2008, après trois échecs du premier petit lanceur des lanceurs spatiaux, et ce d’une manière qui s’est avérée, de SpaceX, le Falcon 1, la société était au bord du gouffre. en dépit du scepticisme profond des acteurs traditionnels Elle n’aurait pas survécu à un quatrième échec. Mais le – aux États-Unis mais aussi en Europe – extrêmement tir suivant fut un succès. La même année, Tesla se trouva disruptive. SpaceX a réussi à mettre fin au monopole de à huit heures du dépôt de bilan. Mais Elon Musk trouva l’entreprise United Launch Alliance (ULA) sur le marché une solution. L’entrepreneur d’origine sud-africaine est très profitable du lancement des satellites militaires un homme de défis impossibles, comme celui qu’il tente américains, et a obligé l’Europe et sa principale société de aujourd’hui, à savoir faire de Tesla un constructeur de transport spatial, ArianeGroup, à faire évoluer radicale- voitures électriques en grande série, avec son nouveau ment sa stratégie avec le développement de la nouvelle Model 3. Ariane 6, et des plans ambitieux pour les années 2020.

Le pays des licornes offre aux entrepreneurs vision- Le second est celui de l’automobile électrique, avec Tesla, naires comme Jeff Bezos ou Elon Musk la possibilité qui va bien au-delà du mode de propulsion de la voiture de franchir très rapidement les étapes qui vont de la en incluant aussi la conduite autonome, et son intégration startup à la licorne puis à la super-licorne (SpaceX, non dans une société électrique, avec d’immenses usines de cotée, et Tesla, sont toutes les deux devenues des super- fabrication de batteries, et un habitat solaire. Un projet licornes une quinzaine d’années après leur création) écologique global donc, au moins en apparence… voire bien au-delà (Amazon est valorisée 950 milliards le 3 avril 2020). Mais ces étapes ne sont franchies que Nous prenons comme modèles les sociétés entrepre- grâce aux modes de fonctionnement, très différents de neuriales américaines, et non pas leurs équivalentes ceux des entreprises traditionnelles, que les entrepre- chinoises, car la notion d’entrepreneur dans le régime neurs visionnaires définissent et introduisent dans leurs autoritaire chinois est très différente de ce qu’elle est startups, et ce sont certaines de ces pratiques originales, dans le monde libéral occidental. Le pouvoir chinois a qui seules permettent d’assurer croissance forte et marge fait le choix de privilégier le développement technolo- importante. gique et de favoriser, ou même d’initier, l’émergence de sociétés ressemblant beaucoup aux GAFA américaines, et La question n’est pas en effet de savoir si les entrepre- souvent issues du complexe militaro-industriel du pays. neurs visionnaires sont des modèles managériaux sur le En s’appuyant sur son énorme marché intérieur, et en plan humain (Jobs ne l’était pas et manifestement, à des limitant de manière autoritaire la pénétration des GAFA degrés différents, Mark Zuckerberg et Elon Musk ne le sur ce marché, il crée artificiellement les conditions de la sont pas non plus), mais de chercher à comprendre les croissance des BATX. Cette approche dirigiste n’a rien à modes de fonctionnement originaux de leurs entreprises, voir avec l’entreprenariat tel que nous le connaissons en et d’en extraire des leçons pouvant augmenter l’effica- occident. Elle s’inscrit dans la perspective d’un affron- cité des sociétés françaises et européennes, qu’il s’agisse tement technologique avec les Etats-Unis, qui explique d’entreprises établies ou bien de startups cherchant à largement le bras de fer commercial engagé par l’Adminis- croître rapidement. tration du président Donald Trump contre le rival chinois. Elle correspond aussi à l’utilisation des BATX pour mettre Pourquoi se reposer principalement sur les conceptions en place une surveillance systématique des individus par et les actions d’Elon Musk ? Sans doute parce que, à la les autorités chinoises, qui va au-delà de tout ce que l’on fois physicien et informaticien, il a longuement expliqué peut imaginer. comment, en cas de problème, il remontait toujours à des principes premiers simples pour trouver des solutions. L’écosystème de l’entrepreneuriat spatial aux Etats-Unis Mais aussi du fait que, à la différence des autres grands n’est qu’une toute petite partie du système entrepreneu- entrepreneurs visionnaires, il a décidé, avec l’argent retiré rial général, mais cela suffit à générer des investisse- de la vente de Paypal, de transformer d’autres industries ments très importants. En outre, il se trouve que deux que celles de l’information. Il a décidé de révolutionner des entrepreneurs les plus emblématiques, Elon Musk et deux domaines industriels traditionnels. Le premier, Jeff Bezos, sont passionnés par les activités spatiales, et avec SpaceX, est celui du transport spatial, qu’il jugeait qu’ils ont chacun créé leur propre société spatiale : SpaceX beaucoup trop cher, et dont il voulait casser les prix pour le premier et Blue Origin pour le second. SpaceX pour réaliser un jour son grand projet personnel : créer est largement financé par des contrats publics (NASA,

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 47 ESPACE ÉCOSYSTÈMES INTERNATIONAUX D’ENTREPRENEURIAT SPATIAL : LA DOMINANCE DU MODÈLE AMÉRICAIN ET L’ÉMERGENCE DU NEWSPACE

Pentagone) et Blue Origin est entièrement financé par les fonds personnels de Jeff Bezos qui, grâce à ses actions dans Amazon, est l’homme le plus riche du monde. ■

ESPACE LE NEWSPACE ET L’ÉCONOMIE SPATIALE par William Ricard et Pierre-Elie Morel de Westgaver, PwC Space Practice

Le terme NewSpace a fait son apparition dans la Les activités liées au NewSpace se retrouvent tout le dernière décennie, devenant aujourd’hui une notion long de la chaîne de valeur du secteur spatial tant côté incontournable dans toutes les discussions ayant trait à lanceur et manufacturier que sur l’exploitation de la l’économie spatiale. Ainsi, nous sommes en droit de nous donnée produite par les satellites. Le marché démontre ces interroger sur l’impact du NewSpace sur l’économie dernières années un intérêt croissant de l’investissement spatiale, le rôle du gouvernement dans ce contexte mais privé pour les acteurs du NewSpace, pour l’ensemble des également sur le rôle et l’avenir des acteurs dit « tradi- domaines spatiaux (accès à l’espace - c’est-à-dire lanceurs, tionnels » pour le futur de l’économie spatial. communication par satellite, observation de la Terre par satellite, etc.). En effet, sur la période 2013 – 2018 par QU’EST CE QUE LE NEW SPACE ? exemple, plus de 13 milliards (US$) ont été investis dans le New Space, incluant notamment 7,5 milliards (US$) de Tout d’abord, commençons par définir le concept même la part de Venture Capitalists. L’année 2019 a par ailleurs de NewSpace. Le NewSpace est généralement défini marqué un nouveau record, avec 5,7 milliards (US$) comme un mouvement ou une philosophie comprenant investis dans le NewSpace, soit une augmentation de 34% l’émergence à l’échelle globale d’une économie et industrie comparé à 2018 ; sur cette somme, plus de 70% proviennent spatiale privée. Les entreprises constituant le NewSpace de fonds de Venture Capitalitst 1 . Il est à noter qu’environ sont en majorité des start-ups s’appuyant sur un fort 70% de cette enveloppe de 5,7 milliards (US$), soit environ investissement financier externe pour développer leurs 4 milliards (US$), se résume à quatre entreprises : SpaceX, activités. Blue Origin, OneWeb et Virgin Galatic.

Figure 1: Exemple de compagnie du «NewSpace» pour certains domaines Spatiaux (Source : PwC)

1 Source: Bryce, 2020. Start-Up Space – Update on Investment in Commercial Space Ventures.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 48 ESPACE LE NEWSPACE ET L’ÉCONOMIE SPATIALE

On retrouve dans cette catégorie d’acteurs des Starlink et le vaisseau interplanétaire Starship : Elon entreprises de toutes tailles, allant de grandes entreprises Musk a réussi à collecter près de 2,5 milliards (US$) sur comme Space X (plus de 7000 employés) ou BlueOrigin les deux dernières années pour financer ces projets 4. Ces (environ 2500 employés) à des entreprises telles que deux projets phares pour SpaceX ne sont cependant pour Planet (480 employés), Moon Express (450 employés) ou le moment pas encore assez matures pour être jugé, et Orbital Insights (100 employés). Des exemples d’acteurs ainsi considérés comme des succès commerciaux. du NewSpace sont illustrés figure 1 pour quatre domaines d’activités de l’économie spatiale. QU’EN EST-IL DES ACTEURS DIT « TRADI- TIONNELS » ? QUEL EST LE RÔLE DU GOUVERNEMENT DANS CE NOUVEAU PHÉNOMÈNE ? Cette notion de NewSpace a été développée afin d’illustrer une notion de contraste avec l’économie Si l’entrée dans le marché de l’Espace des acteurs du spatiale dite « traditionnelle », une économie menée par NewSpace tels que SpaceX, Blue Origin, Planet, Orbital des entreprises soutenues par l’investissement public Insights ou Amazon Web Services peut faire croire à un et donc dépendantes de cette source de financement. recul de la nécessité du secteur public dans l’économie Ce changement de paradigme s’appuie notamment sur spatiale, de nombreuses études 2 ont démontré que le la mise en place de nouveaux modèles d’affaire offrant gouvernement joue toujours un rôle prépondérant dans des produits et services à plus faible coût, via l’utilisa- le succès ou l’échec de ces entreprises privées, notamment tion d’approches de fabrication design-to-cost et/ou l’uti- via le financement précoce de ces initiatives (par exemple lisation de technologies off-the-shelf en rupture avec subvention R&D, capital de départ – c’est-à-dire seed l’industrie spatiale traditionnelle. Cette diminution des money, etc.) par de l’argent public. On note d’ailleurs coûts permet notamment de diminuer les barrières à que la capacité à aller chercher du financement public, l’entrée pour les nouveaux arrivants sur les différents notamment auprès d’acteur de renom comme les agences marchés de l’économie spatiale, attirant les investisseurs spatiales (la NASA aux Etats-Unis, le CNES en France, le et accroissant la concurrence sur ces mêmes marchés. DLR en Allemagne, l’ESA pour ses états membres, etc.), est une caractéristique de plus en plus critique au sein du En revanche, peut-on réellement mettre en complète paysage des investissements dans les start-ups. En effet, il opposition les acteurs traditionnels et les acteurs du s’agit là d’un véritable rôle habilitant joué par le gouver- NewSpace ? Peut-on dire que ces acteurs du NewSpace sont nement, à la fois en tant que source de financement direct plus innovants ou qu’ils ont plus de succès commerciaux mais surtout en tant que sceau d’approbation de la part que les entreprises traditionnelles ? Afin d’illustrer cette d’experts renforçant ainsi la confiance des investisseurs réflexion, regardons plus en détails un marché spécifique privés. de l’économie spatiale attirant beaucoup d’intérêts privés ces dernières années, le marché de l’Observation Si l’on prend l’exemple de la compagnie d’Elon Musk de la Terre, afin d’étudier le rôle joué par les acteurs du Space Exploration Technologies Corp, plus connu sous le NewSpace. nom de SpaceX, c’est en premier lieu un besoin exprimé par la NASA d’avoir accès à un service de transport de LE CAS DU MARCHÉ DE L’OBSERVATION DE marchandise et d’astronautes vers la station spatiale LA TERRE internationale qui a permis le développement de cette initiative privée. La NASA a d’ailleurs apporté une grande Le marché de l’Observation de la Terre par satellite, partie des financements : au cours de sa première décennie communément appelé Earth Observation dans la d’exploitation, SpaceX a fonctionné avec 1 milliard (US$), littérature anglophone, est en complète métamorphose et environ la moitié de cet argent provenait de contrats depuis ces 5 dernières années, notamment vis-à-vis de la gouvernementaux de la NASA 3. Maintenant que cette facilitation de l’accès à la donnée d’Observation de la Terre première phase de développement est terminée, nous et à son exploitation. voyons désormais fleurir chez SpaceX des initiatives à vocation privées, et ne correspondant pas à des demandes Tout d’abord concernant l’accès à la donnée, l’imagerie gouvernementales américaines, telles que la constellation est en train de devenir une commodité. En effet, de plus en de satellite de télécommunication en orbite basse (LEO) plus de données sont disponibles gratuitement grâce aux

2 Sources: Space Angels, 2019. U.S. Government Support of the Entrepreneurial Space Age. Bryce, 2020. Start-Up Space – Update on Investment in Commercial Space Ventures. 3 Source: Space Angels, 2019. U.S. Government Support of the Entrepreneurial Space Age. 4 Source : Stefan Barensky, 2019. Un milliard de dollars de plus pour les projets de SpaceX. AeroSpatium, 19 Mai 2019.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 49 ESPACE LE NEWSPACE ET L’ÉCONOMIE SPATIALE programmes de données ouvertes à grande échelle tels ouvrant ainsi de nouvelles opportunités commerciales que l’emblématique programme européen Copernicus, à un nombre exponentiel de cas d’usage. Finalement, la les missions ESA Earth Explorer ou encore le programme possibilité d’accéder à des algorithmes open source sur américain Landsat. De nombreux projets de constellations des plateformes comme GitHub facilite l’utilisation et de petits satellites d’acteurs du NewSpace sont en train de l’exploitation de l’imagerie. Ces nouvelles tendances sont réduire le coût d’accès à l’imagerie de haute et très haute résumées dans le graphique de la figure 2. résolution, offrant un temps de revisite et une couverture géographique améliorés. On compte parmi ces acteurs des On remarque dès lors que le NewSpace, hormis pour entreprises telles que Planet, IceEye, Satellogic, Capella le développement des constellations de micro-satellites, ou HEAD (China Head Aerospace Technology Co.). n’est pas forcément le driver principal de ces nouvelles Finalement, le développement de nouveaux capteurs, tendances transformant le secteur de l’observation de la tels que les technologies hyper-spectrales, sont en train Terre. En fait, la plupart des tendances sur l’exploitation d’ouvrir de nouvelles perspectives via le développement de la donnée sont exogènes, puisqu’elles proviennent de nouvelles applications dans divers domaines comme la d’avancées technologiques en informatique et technologie surveillance des émissions carbones. de l’information (stockage cloud, capacité de calcul, intelli- gence artificielle, etc.). Lorsque l’on observe les entreprises Vis-à-vis de la facilitation de l’exploitation de la donnée, les plus avancées en termes de plateformes de distribution les progrès récents de l’informatique et des technologies et d’analyse, il ne s’agit pas d’acteurs du NewSpace mais de l’information disruptent complètement le marché aval bien des acteurs dit traditionnels tels que Maxar, et sa de l’Observation de la Terre, appelée downstream chez plateforme GBDX, ou Airbus, et ses plateformes Up42 nos amis d’outre-Atlantique. La disponibilité de technolo- et OneAtlas. Les acteurs du NewSpace tels que Planet, gies cloud facilite l’accès et la manipulation de très gros UrtheCast ou IceEye n’offrent pas de plateformes aussi volumes d’images, et les avancées en intelligence artifi- avancées et matures technologiquement. En revanche, cielle et en automatisation de l’analytique permettent pour ce qui a trait à l’analytique pure, on remarque que le de développer l’appropriation de ce type de technolo- NewSpace a permis de faire émerger quelques champions, gies par un nombre croissant d’utilisateurs finaux, hors tels que Orbital Insights ou Descartes Labs, qui offrent des communautés d’utilisateurs traditionnels tels que désormais des services de Big Data Analytics (BDA) à très les scientifiques et les experts du secteur de la Défense. forte valeur ajoutée et avec un fort succès commercial ; Il est également possible aujourd’hui de fusionner un ces deux entreprises ont d’ailleurs respectivement levé grand volume de données satellites avec d’autres sources 128,7 millions (US$) et 58,3 millions (US$) ces 5 dernières de données (telles que des données vectorielles, des années 5. informations socio-économiques, des statistiques, etc.),

Figure 2: Grandes tendances disruptant le marché de l’Observation de la Terre (Source : PwC)

5 Sources: CrunchBase, consulté le 25/03/2020 https://www.crunchbase.com/organization/descartes-labs https://www.crunchbase.com/organization/orbital-insight-inc

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 50 ESPACE LE NEWSPACE ET L’ÉCONOMIE SPATIALE

Figure 3: Résumé des dynamiques de marché s’opérant sur le marché de l’Observation de la Terre (Source: PwC)

Si l’on s’attarde aux dynamiques de marché sous- éprouvés, ce qui n’est pas le cas des nouveaux arrivants. On jacentes, on réalise qu’entreprises traditionnelles et notera notamment que certaines entreprises du NewSpace NewSpace semblent suivre les mêmes approches. Les tel que Planet et Urthecast ont soutenu leur croissance à acteurs traditionnels évoluent en grande majorité vers court terme via l’acquisition d’entreprises traditionnelles, une intégration verticale vis-à-vis de leur cœur de métier respectivement BlackBridge et Deimos Imaging, dans le d’origine, soit la construction de satellites et leur opération. but d’acquérir un réseau commercial déjà établi sur lequel Les deux plus grands acteurs ont évolué de cette façon : ces acteurs pouvaient connecter leurs offres. On voit Airbus a intégré ses capacités de fabrication (Airbus également de plus en plus de stratégies de commerciali- D&S) et ses capacités de distribution et de traitement des sation conjointe entre entreprises traditionnelles et du données (Spot Image) ; DigitalGlobe a fusionné avec MDA, NewSpace, comme Airbus Intelligence et Orbital Insights devenant ainsi Maxar, afin de récupérer les capacités de via l’offre Earth Monitor ou encore Maxar et Ecopia qui fabrication de la filiale SSL (acheté par MDA en 2012) offrent les capacités d’extraction de bâtiments sur la en vue de s’intégrer verticalement. Ces deux acteurs plateforme GBDX. Les nouvelles dynamiques du marché descendent maintenant dans la chaîne de valeur afin de l’Observation de la Terre sont illustrées dans le graphique capturer des parts sur les marchés liés aux applications et de la figure 3. à l’analytique. On note la même approche chez les acteurs du NewSpace : les nouveaux entrants sont entièrement En conclusion, il est vrai que les acteurs du NewSpace intégrés verticalement, de la fabrication des satellites à la impactent fortement l’économie spatiale, sur l’ensemble de vente de la donnée, et même jusqu’à l’offre de services et la chaîne de valeur et l’ensemble des domaines spatiaux. d’applications. En revanche, certains acteurs du NewSpace Toutefois, cela ne signifie pas la mort ou la substitution préfèrent toutefois se focaliser sur la partie purement complète de l’industrie spatiale dite traditionnelle, qui analytique de la chaîne de valeur afin de se concentrer sur s’adapte à ces nouvelles tendances et travaillent souvent l’intégration des technologies de pointe liées à la donnée directement avec ces acteurs afin d’internaliser ces (fusion de données hétérogènes, deep-learning, automati- nouvelles pratiques pour leur clientèle déjà établie. ■ sation, etc.), appliquées à l’Observation de la Terre.

Enfin, on observe également une forte convergence des acteurs traditionnels et du NewSpace, vis-à-vis des stratégies de croissance et de commercialisation. En effet, les entreprises traditionnelles sont établies sur le marché depuis très longtemps et disposent d’un accès privilégié au marché, incluant des réseaux commerciaux étendus et

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 51 ESPACE LE SYSTÈME CSO, ATOUT-MAÎTRE DE LA DÉFENSE POUR SE RENSEIGNER, ANTICIPER ET INTERVENIR par le général Philippe Steininger, conseiller militaire du Président du CNES

« Savoir pour prévoir afin de pouvoir » Opérationnels depuis bientôt dix ans, les satellites (Auguste Comte) Pléiades intègrent de nombreuses innovations reprises et améliorées dans CSO. Il n’échappe d’ailleurs pas à l’obser- A la fin de l’année 2005, alors que le renseignement vateur averti que la géométrie générale de la plateforme spatial militaire français est encore incarné par sa CSO est fortement inspirée de celle de Pléiades. On y première génération de satellites, en l’occurrence Hélios 1, retrouve en effet la même architecture fondée sur un l’état-major des armées publie un objectif de performances instrument encastré dans la plateforme et le même beaucoup plus ambitieux pour le futur. Une année plus concept de panneaux solaires disposés en pétale, deux tard, naît l’initiative européenne MUSIS (Multinatio- éléments retenus par le CNES qui confère à Pléiades une nal Space-based Imaging System) visant à offrir à ses agilité sans commune mesure avec celle d’Hélios. Pléiades promoteurs (France, Allemagne, Italie, Belgique, Espagne a aussi marqué l’avènement de l’imagerie spatiale très et Grèce) un accès fédéré à une nouvelle génération de haute résolution couleur et stéréoscopique en France. satellites militaires optiques et radar d’observation de la Autant d’éléments qui font dire à certains, non sans Terre. Au sein de MUSIS, la France prenait la responsabili- raison, que CSO est un « super Pléiades avec une capacité té de la réalisation de sa composante spatiale optique, dite infrarouge ». CSO, sur la base de l’objectif d’état-major publié en 2005.

En 2010, prenant acte de l’échec des partenaires de MUSIS à établir un accord de coopération et afin d’éviter toute rupture capacitaire dans le domaine du renseigne- ment spatial, la France décide de lancer dans un cadre national le programme CSO. Celui prévoit à l’époque la réalisation de deux satellites, l’un pour conduire des missions de reconnaissance, l’autre d’identification. En 2015, un accord avec l’Allemagne permet d’ajouter un troisième satellite au système CSO, moyennant une contribution financière allemande et un financement complémentaire français.

Ainsi était lancé le programme CSO dont le premier Le Satellite CSO satellite a été placé en orbite en décembre 2018. © CNES/Mira Productions/PAROT Rémy, 2016

L’EXCELLENCE EN HÉRITAGE En dépit d’une masse significative (3,5 tonnes), CSO est, en premier lieu, une plateforme orbitale extrêmement Au tout début de l’année 1986, est diffusée la première agile. Elle le doit à sa configuration générale et à des image de la Terre vue de l’Espace qui ne soit ni américaine, actionneurs gyroscopiques de très hautes performances. ni soviétique. Prise par le satellite civil Spot 1, elle est Il en résulte des avantages opérationnels incontestables française et marque l’entrée de plein pied de notre pays comme de permettre des modes de prise de vue multiples dans l’imagerie spatiale. Depuis, la France n’a cessé de (couples stéréo, triplet stéréo, mosaïque en une seule faire la preuve de son exceptionnel savoir-faire dans ce passe) et aussi de prendre un très grand nombre d’images domaine. Moins de dix ans plus tard, en 1995, le premier (plusieurs centaines chaque jour). Doté d’un contrôle satellite militaire d’observation optique européen est d’orbite autonome, CSO calcule et décide par ailleurs à nouveau français. C’est Hélios 1, qui fait accéder les lui-même des manœuvres à effectuer pour se maintenir armées françaises à l’imagerie spatiale à haute résolution, correctement à poste sans impact négatif sur la mission. Il bientôt suivi par Hélios 2 au milieu des années 2000, s’agit là d’une innovation qui simplifie substantiellement qui apporte un important gain de performance, puis le la tâche des opérateurs sol. système dual Pléiades développé par le CNES. CSO, c’est aussi une charge utile remarquable qui ouvre l’accès à une qualité image visible et infrarouge sans équivalent en Europe. Des innovations technologiques

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 52 ESPACE LE SYSTÈME CSO, ATOUT-MAÎTRE DE LA DÉFENSE POUR SE RENSEIGNER, ANTICIPER ET INTERVENIR appliquées à son miroir de grand diamètre et ses plans interarmées et le soutien à la géographie militaire vont focaux permettent ainsi d’acquérir des images couleur en ainsi pleinement bénéficier de l’apport du système CSO. extrêmement haute résolution, autrement dit des images qui permettent non seulement de détecter des éléments S’agissant du renseignement stratégique, CSO va d’intérêt, mais aussi d’en comprendre la nature et de les permettre un suivi plus précis de certains sites d’intérêt identifier. Grâce à sa capacité infrarouge, qui capte la militaire et un contrôle plus serré du respect des traités signature thermique des scènes observées, l’instrument internationaux. Il permettra aux autorités françaises de CSO permet également la prise de vues nocturnes à d’évaluer les menaces de manière plus fine, de mieux un niveau de performances sans commune mesure avec anticiper les crises et de se déterminer en pleine celui obtenu avec Hélios II. Mais pour un militaire, voir, autonomie. caractériser et identifier n’est pas suffisant en soi. Il s’agit également de géolocaliser avec la meilleure précision les Grâce à sa réactivité et sa capacité importante de objets observés et, de ce point de vue, la performance recueil, le système CSO va aussi marquer une avancée obtenue par CSO lui permet de répondre aux exigences très nette par rapport à Hélios II dans le domaine de militaires les plus élevées. l’appui aux opérations militaires. En un seul passage sur un théâtre d’opérations, il permettra de satisfaire un La constellation CSO prévoit trois satellites identiques nombre considérablement accru de demandes de prises évoluant sur une orbite polaire héliosynchrone ; deux de vues exprimées par les forces engagées. L’information à 800 kilomètres pour la mission de reconnaissance et dont disposeront celles-ci sera en outre peu datée et donc un à 480 kilomètres pour la mission d’identification. Le en phase avec leur tempo opérationnel. premier CSO est déjà opérationnel, le deuxième le sera cette année et le troisième en 2022. Avec des images d’extrême haute résolution très précisément géoréférencées, CSO va aussi grandement UN ATOUT POUR LA DÉFENSE bénéficier à la géographie militaire. Des modèles numériques de cible d’une grande précision vont pouvoir Toutes les heures et demie, le premier CSO, qui sera être réalisés grâce à la capacité de CSO à réaliser des bientôt rejoint par les deux autres, transmet à haut débit images 3D. Le guidage terminal des missiles de croisière vers ses utilisateurs sa précieuse cargaison de renseigne- français s’en trouvera ainsi encore amélioré et ce grâce à ments d’origine image (ROIM). Une fois la constellation un moyen totalement souverain. De manière générale, entièrement constituée, le ROIM spatial français aura ce sont de meilleurs produits cartographiques qui vont non seulement fait un bond qualitatif considérable en pouvoir être mis à la disposition des armées. Ainsi, les avant grâce à la qualité intrinsèque des satellites CSO missions, en particulier de frappes aériennes, pourront mais il se sera aussi renforcé en termes de volume d’infor- être préparées avec un degré accru de précision au niveau mations obtenues et aura gagné en réactivité. Le recueil du ciblage. du renseignementLe Système stratégique, CSO l’appui : Principales aux opérations composantes

Réseau multi mission Stations de réception images du CNES

Listes d’acquisitions

Acquittements Centre de Contrôle satellites Segment utilisateurs (SSU) Toulouse Creil Opérations technologiques Données de calibration instruments

Centre d’expertise Centre d’Orbitographie Forces qualité image (CEQUI) Opérationnel Le Système CSO : Principales composantes 1

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 53 ESPACE LE SYSTÈME CSO, ATOUT-MAÎTRE DE LA DÉFENSE POUR SE RENSEIGNER, ANTICIPER ET INTERVENIR

UN SUCCÈS COLLECTIF Au-delà de la France, CSO est aussi un programme dont la dimension européenne doit être reconnue. Il n’est pas, Le système CSO, qui incarne de manière si brillante comme ses prédécesseurs Hélios I et II, un programme le savoir-faire national dans le domaine de l’observation mené en coopération multilatérale avec d’autres pays optique et infrarouge de la Terre depuis l’Espace, est le européens, mais il fait l’objet de plusieurs accords fruit d’un travail collectif débuté dix années avant le bilatéraux de coopération. Avec l’Allemagne, tout d’abord, lancement du premier satellite. L’Etat et l’industrie spatiale qui a contribué financièrement au programme, et avec française ont su en la circonstance unir leurs talents pour laquelle un accord d’échanges d’images a été conclu qui réaliser un système au meilleur niveau mondial. permettra à celle-ci de bénéficier de l’imagerie CSO et à la France des images de la constellation radar allemande La DGA assure la direction du programme CSO et la SARah. Avec l’Italie ensuite, avec laquelle un accord de mise en place de coopérations européennes. Elle prend même nature a été conclu, mais aussi la Belgique, qui également à son compte la maîtrise d’ouvrage du segment a apporté une contribution financière au programme sol utilisateur (SSU) du système. Implanté à Creil, celui-ci et la Suède, dont le territoire accueille une station de collecte toutes les demandes d’imagerie émanant des télémesures pour CSO idéalement placée près du pôle. forces et assure le traitement et la diffusion des données D’autres accords sont envisagés et la communauté CSO collectées. Il a été développé en apportant un soin pourrait s’élargir à d’autres partenaires européens particulier à sa protection vis-à-vis du risque cyber et prochainement. est dimensionné pour livrer plus de neuf téraoctets de données chaque jour et produire 800 images. La mise en service opérationnelle du système CSO en 2019 a marqué le début d’une phase de renouvelle- Avec la DGA, le CNES tient un rôle de co-architecte ment complet de nos moyens spatiaux militaires. Dans d’ensemble du système CSO garantissant la cohérence les trois années qui viennent, la constellation CSO aura des différentes activités de maîtrise d’œuvre confiées à été entièrement déployée en remplacement des deux l’industrie. La maîtrise d’ouvrage de la réalisation des satellites Hélios II, le système d’écoute électronique Ceres satellites et du segment sol de mission (SSM) lui a été aura remplacé le démonstrateur Elisa et les deux satellites déléguée par la DGA. Le CNES est également chargé de télécommunications Syracuse III auront cédé la place à du lancement, de la mise à poste et des opérations de deux Syracuse IV bien plus performants. En complément, recette en vol et d’exploitation des satellites. Le SSM est la défense française pourra disposer, à compter de 2023, dédié à la mise en œuvre des satellites CSO depuis le d’un modèle numérique de surface mondial très précis CNES et s’articule autour de deux entités : un centre de et d’une capacité d’observation optique de la Terre de programmation et de commande-contrôle (CPCC) chargé résolution submétrique (50 cm) avec un fort taux de du maintien à poste des satellites, de leur bon fonction- revisite grâce à la constellation CO3D, un programme nement et de l’élaboration de leurs plans de travail d’une mené conjointement par le CNES et Airbus Defence & part et, d’autre part, un centre d’expertise qualité image Space. (CEQI) dont la mission est d’optimiser les performances de prises de vues. Au-delà de ces renforcements capacitaires très substan- tiels, la stratégie spatiale de défense, voulue par le Président L’industrie nationale a su aussi répondre aux défis de la République, a introduit en 2019 une inflexion technologiques du programme CSO en mobilisant importante dans notre posture stratégique vis-à-vis des des compétences de haut niveau au sein de plusieurs questions spatiales, en particulier en affichant clairement entreprises du secteur spatial. Airbus Defence & Space la volonté de défendre nos intérêts dans l’Espace. Dans a notamment assuré la maîtrise d’œuvre des satellites et cette perspective, d’autres programmes spatiaux seront du SSU ; Thales, dans ses différentes composantes, celle réalisés qui mobiliseront, à l’instar de CSO, le meilleur des de l’instrument optique, du CEQI et des dispositifs de compétences nationales dans le domaine. ■ chiffrement et le groupement Cap Gemini / CS-SI celle du centre de programmation de mission. Ces industriels se sont appuyés sur un tissu d’équipementiers réalisant des produits de haute valeur technologique comme Sodern, Sofradir, Alat et quelques autres. C’est bien un effort collectif de l’industrie nationale qui a permis la réussite technique du programme CSO. Quant à Arianespace, elle est l’opérateur des services de lancement des trois satellites CSO depuis Kourou au moyen de lanceurs Soyouz pour les deux premiers et d’Ariane 6 pour le troisième.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 54 ESPACE RÉFLEXIONS SUR LE PROJET RYVOK 2 D’ENERGIA, VOL HABITÉ TERRE - LUNE. par Dominique Valentian, membre de la commission technique Espace

Le projet Ryvok 2 est décrit comme un vaisseau de 1483 m/s (propulsion biliquide stockable, impulsion habitable partant de l’orbite terrestre et y revenant sans spécifique égale à 310 s). C’est un peu faible, mais devrait freinage atmosphérique en effectuant plusieurs avitail- permettre l’arrimage à une station en orbite circulaire (à lements en orbite. Il s’agit donc d’un véhicule de type LM plus de 300 km) autour de la Lune puis le retour vers la (Lunar Module). Il faut d’abord revenir à la genèse de ce Terre. projet. Le point faible de ce projet était la méthode de retour vers PROJET RYVOK DE 2016 l’ISS. Un bouclier déployable en parapluie de 55 m2 devait assurer le freinage atmosphérique. C’est extrêmement Le projet d’origine portait sur une « navette »capable délicat car il faut ensuite assurer le rendez-vous avec la de transporter 4 cosmonautes entre l’ISS et une station station ce qui nécessite plusieurs tirs de circularisation. En lunaire [1] (voir figure 1). cas de mauvais freinage l’équipage risque la destruction dans la rentrée atmosphérique ou l’échec du rendez-vous avec la station.

Le bouclier devait résister à 1300°C pour un coefficient balistique de 140 kg/m2.

PROJET RYVOK 2 DE 2020

Conscient du risque de cette procédure, Energia a proposé une mission ne comportant que des phases propulsées [4]. L’incrément de vitesse totale est beaucoup trop élevé mais la solution de pleins successifs permet de Figure 1 Le projet Ryvok initial (Document Energia) se contenter d’un véhicule à un seul étage.

Avec un volume de 30 m3, il promettait d’être beaucoup L’analyse des incréments de vitesse (ΔV) de la mission plus spacieux que les vaisseaux ORION ou Federatsia Apollo 12 montre en effet qu’aucune phase propulsée ne (19 m3 chacun). La masse totale devait être 11,4 tonnes dont demande plus de 3050 m/s. La solution des pleins successifs 3,4 tonnes d’ergols. Ryvok devait être injecté en orbite de après chaque tir est compatible avec les ΔV d’une mission transfert lunaire par un étage Block DM (21 800 kg de type Apollo (tableau 1). C’est donc à la portée d’un étage masse initiale). LOX – hydrocarbures.

Avec son moteur à combustion étagée de 349 s Cette idée est intéressante. Le V total est inférieur d’impulsion spécifique, cet étage pouvait fournir un ΔV de de 800 m/s à celui demandé par le passage au Lunar 2883 m/s à Ryvok, ce qui est juste suffisant pour atteindre Outpost et on peut viser n’importe quel point de la Lune l’orbite de transfert Terre - Lune. La masse d’ergols (pas seulement le cratère Aitken). contenue dans Ryvok autorise un incrément de vitesse

Tableau 1 : Incréments de vitesse Apollo 12

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 55 ESPACE RÉFLEXIONS SUR LE PROJET RYVOK 2 D’ENERGIA, VOL HABITÉ TERRE - LUNE

En prenant la pleine capacité d’ 5 ou lunaire. Le ΔV peut atteindre 6000 m/s (comme dans le d’ARIANE 64 en orbite basse (22 000 kg), on peut proposer cas de l’étage H10 d’) un véhicule avec une masse d’ergols de 15 000 kg, un étage de 2400 kg (indice de structure de 16%) et un module Avec une charge utile de 9500 kg et un étage de 5500 kg habité de 4600 kg. Le ΔV atteint 3930 m/s (impulsion (indice constructif 12,4%) le ΔV atteint 6080 m/s. Il spécifique égale à 350 s). Il pourrait permettre pratique- faudrait un propulseur de la classe Vinci (160 kN) pour ment l’injection sur l’orbite Terre –Lune et l’insertion sur assurer l’atterrissage avec une décélération suffisante orbite lunaire. (5,25 m/s2).

On peut en effet remarquer qu’un seul vol d’Angara 5 ERGOLS IN-SITU permet de lancer le véhicule habité en orbite basse, mais il en faut au moins 4 autres pour mettre en orbite les « Il est évidemment intéressant d’utiliser les ergols stations-service », ainsi qu’un lancement Soyouz pour in-situ, surtout le LOX (l’hydrogène liquide est plus amener l’équipage sur l’ISS. compliqué à produire sur le Lune et ne représente que 15% de la masse). L’oxygène peut être produit par électrolyse INTÉRÊT DE LA PROPULSION de l’eau issue de la glace lunaire (détectée dans les fonds CRYOTECHNIQUE (LOX – LH2) de cratères polaires) ou à partir de la décomposition de roches lunaires. Il représente 73% de la masse totale Avec la propulsion cryotechnique, on peut passer à pour la combinaison LOX / hydrocarbure et 85% pour la plus de 5000 m/s entre pleins (par exemple, passer de solution cryotechnique : c’est donc l’ergol à produire en l’orbite terrestre basse au posé sur la Lune). Toujours avec priorité. une masse initiale de 22 000 kg et une masse de module réduite à 3600 kg, le ΔV passe à 5734 m/s (Isp égale à CONCEPTION DES MODULES 450 s). Il est alors possible de partir de l’orbite terrestre D’AVITAILLEMENT basse et de se poser sur le Lune (sans orbite circulaire intermédiaire).On peut aussi passer de l’orbite terrestre à Il n’est pas nécessaire de suivre le chemin des modules l’orbite lunaire. Dans le même esprit, on peut utiliser un habités pour envoyer sur orbite les modules d’avitail- module dédié orbite lunaire – sol lunaire à un seul étage. lement. S’agissant de missions automatiques, on peut Le ΔV demandé (4690 m/s) est tout à fait à la portée de la prendre plusieurs mois pour atteindre l’orbite lunaire propulsion cryotechnique. comme l’a proposé l’ESA [2] en passant près des points de Lagrange Terre – soleil, puis Terre – Lune ; un ΔV de Cette approche a trois avantages : 3300 m/s pourrait être suffisant (au lieu de 3920 m/s). • Le module de liaison Terre – orbite lunaire n’est pas On peut encore faire mieux en utilisant partiellement la alourdi par un train d’atterrissage. propulsion électrique. Du point de vue technique, il sera • Les avitaillements sont réduits au nombre de deux : en judicieux de s’inspirer des véhicules habités pour réaliser orbite terrestre et en orbite lunaire. les modules d’avitaillement. On utilisera le même module • Le module lunaire peut être beaucoup plus léger que le de propulsion avec des réservoirs allongés, autorisés par module de liaison car il sera utilisé pendant un temps la suppression du module habité. très court. Contrairement au LM d’Apollo, il y aura une infrastructure mise en place par moyens robotiques Dans le cas de la propulsion LOX – hydrocarbures, la avant la présence de l’équipage pour permettre la vie de masse d’ergols passerait à 19 500 kg et la masse d’ergols ce dernier sur la Lune. restante en orbite lunaire serait de 5500 kg.

Ce concept de propulsion cryotechnique a été aussi En utilisant deux modules en série, la masse en orbite proposé par Robert Zubrin et Elon Musk [3]. Le lanceur en lunaire passe à 10 500 kg. C’est encore insuffisant pour orbite basse serait un Falcon 9 Heavy (sans récupération avitailler le module avant retour sur Terre. Il faut faire des étages). appel à la propulsion électrique, comme dans le cas de Smart-One, pour atteindre la masse de 15 tonnes d’ergols La navette Terre - Lune serait un véhicule à propulsion en orbite lunaire. cryotechnique de 60 tonnes avec 10 tonnes de charge utile (cargo ou véhicule de retour). Le véhicule de retour serait une cabine de 2 tonnes avec 8 tonnes d’ergols assurant le retour depuis la Lune jusqu’à l’orbite terrestre. Comme dans le projet Ryvok 2, les ergols seraient produits à terme sur la Lune par électrolyse de l’eau provenant de la glace

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 56 ESPACE RÉFLEXIONS SUR LE PROJET RYVOK 2 D’ENERGIA, VOL HABITÉ TERRE - LUNE

ORBITE POLAIRE LUNAIRE SYNTHÈSE

Les choses se compliquent si l’on vise le cratère Aitken. Le profil de mission proposé par Energia peut être C’est logique si on veut produire du LOX à partir de aussi réalisé dans un cadre européen. Chaque mission la glace contenue dans le cratère. Il faut une orbite devrait coûter 4 à 10 fois moins cher que l’ensemble lunaire circulaire quasiment polaire alors que l’orbite de SLS + Orion (près de 2500 millions de Dollars). Même la transfert a une inclinaison de 51° (orbite de l’ISS ou de son NASA ne pourra longtemps supporter un tel niveau de successeur). dépenses. Ce genre de mission lunaire « légère » est donc un moyen complémentaire essentiel. Le développement Deux solutions : devrait aussi coûter un ordre de grandeur de moins que • Viser un point à 51° dans le plan polaire de la Lune celui d’Orion. Ce profil de mission utilise des lanceurs contenant l’apogée de l’orbite elliptique (voir figure 2). commerciaux existants ce qui contribue à diminuer les • Effectuer une correction d’inclinaison à proximité du coûts. Il n’est pas non plus nécessaire de développer une point de Lagrange L1 Terre – Lune pour passer à une capsule type Apollo capable de retourner dans l’atmos- orbite d’approche lunaire dans le plan polaire. Il ne phère à 11 km/s, une simple capsule Soyouz suffit. faut pas perdre de vue que l’attraction de la Lune va déformer l’orbite elliptique, ce qui va demander des La propulsion cryotechnique semble plus intéressante corrections (voir figure 3). que la propulsion LOX – hydrocarbures en raison de son impulsion spécifique plus élevée, permettant de simplifier les avitaillements.

RÉFÉRENCES

[1] Communiqué de l’agence Tass. RKK Energia propose le projet Ryvok. 25 mai 2016 (international conference on manned . Korolyov. Russia) [2] Ways to the Moon? R. Biesbroek, G. Janin. ESA bulletin 103. 08-2000 [3] Lunar Gateway or Moon Direct? Robert Zubrin, SpaceNews, 04.17.2019 [4] Communiqué de l’agence Tass. Russian space firm offers lunar transportation system independent of US orbital platform Ryvok 2. 21.01.2020 (44ème conférence sur Figure 2 : Passage de l’orbite Terre – Lune à l’orbite polaire la cosmonautique Sergei Korolyov). ■ lunaire

Figure 3 : Correction d’inclinaison à proximité du point de Lagrange L1

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 57 SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALES AUTOUR ET AU-DELÀ DU B737 MAX par Francis Guimera et les membres de la commission Aviation Commerciale 1

PRÉAMBULE B737 MAX, dans un bref intervalle de temps, les publica- tions parues et tout ce qui a été révélé à ce jour, ont secoué Le contexte. L’expérience catastrophique de la mise en le secteur aéronautique, jetant un voile sombre mêlant service du B737MAX a bouleversé le monde du transport stupéfaction, émotion, incompréhension et indignation. aérien et au-delà, matériellement, moralement et psycho- logiquement. Certaines répercussions seront de longue Le B737 MAX est un avion très éloigné de la version durée. originelle du B737, dérivé plus proche des B737-800/900 ; cependant il a été l’objet de modifications majeures pour L’histoire de l’aviation commerciale a montré qu’à satisfaire les exigences de performances, en « corrigeant » chaque nouvelle génération d’avion le taux d’accidents les impacts sur les qualités de vol par introduction de mortels ne cessait de baisser en moyenne pour la flotte modifications systèmes et logiciels. Le B737 MAX n’est mondiale, quoiqu’un pic relatif du taux d’accidents prenait pas à proprement parler un représentant d’une nouvelle place dans la phase initiale en service. Les dernières génération d’avions. Le calcul statistique indiquerait sans générations semblent refléter de façon nettement moins doute un pic très élevé en termes de taux d’accident par sensible cette tendance, comme illustré par les deux heure de vol de cette version, mais ceci correspond à une diagrammes ci-dessous extraits du rapport A Statistical situation très spécifique, non généralisable, liée selon Analysis of Commercial Aviation Accidents 1958-2019 toute apparence à des déficiences graves « hors-norme » d’Airbus. dans l’application des modifications, faites sans tenir compte des règles de l’art, en matière de sécurité mais Dans ce contexte « globalement rassurant » au niveau aussi en matière d’information fournie aux compagnies de la sécurité aérienne, les deux accidents fatals du aériennes, en particulier à leurs pilotes.

Taux d’accidents fatals annuel par millions de vols

Taux moyen d’accidents fatals (par millions de vols) et par génération d’avion

1Jean Pierre Jung, Jacques Gatard, Jean Baptiste Rigaudias, Alain Jozelson, Philippe Jarry, Jean Claude Ripoll, Laurent Mangane, Manola Romero, Philippe Chenevier, Carsten Doll

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 58 SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALES AUTOUR ET AU-DELÀ DU B737 MAX

Objectif de la réflexion. Il ne s’agit pas ici de replonger Un « Major Change ». On peut en effet se poser des dans les circonstances, séquences, analyses des faits et questions fondamentales sur le principe de certifica- causes ou explications, déjà largement couvertes par la tion qui a été suivi : faire évoluer un type au préalable presse générale et spécialisée, objets en outre d’analyse certifié, en changeant les moteurs par des plus gros, les de la part des instances réglementant la Navigabilité. portant plus avant en allongeant les mâts réacteurs et Il ne s’agit pas non plus de porter des jugements hâtifs par conséquent, avoir un impact direct sur le centre de ou accusations définitives, qui anticiperaient sur les gravité et un effet important sur la stabilité longitudi- conclusions qui ressortiront des rapports formels encore nale (moment à cabrer bien plus important), constitue une attendus. évolution significative du type. De notre point de vue, elle doit être considérée comme un « major change » (modifi- Ces événements tragiques donnent et obligent cation majeure), à examiner en tant que telle par l’autorité cependant à réfléchir au-delà des analyses immédiates. de certification. Sans prétendre aucunement à l’exhaustivité, il est seulement ambitionné ici, de s’interroger en particulier En outre, pour éviter un effet de « pitch-up » (cabré), non sur la question de la délégation d’autorité dans les récupérable en lisse à grande incidence, un automatisme processus de certification, puis d’initier une réflexion de récupération a été introduit, non redondant, donc non mettant l’ensemble du sujet dans une perspective élargie. surveillé, dont les équipages de conduite n’ont pas été informés, les laissant sans moyen de surpassement, en JUSQU’À QUEL POINT L’EXERCICE DE contradiction totale avec les règles de l’art. CERTIFICATION PEUT-IL ÊTRE DÉLÉGUÉ? Une Certification par délégation. D’un point de vue Le cas du B737 MAX . « Une Agence de certifica- certification, comment se satisfaire de savoir que ce tion défaillante, des procédures désuètes, un manque constructeur a certifié ce que nous considérons comme d’expertise qui la rend incapable d’examiner en une modification majeure par application de la délégation profondeur les changements de conception du système d’approbation donnée par la FAA selon l’ODA (Organiza- anti-décrochage… » : les conclusions de la Joint Authorities tion Designation Authorization) 3 basée sur la reconnais- Technical Review (JATR) 2 sont très sévères pour la sance de leur propre personnel (DER et/ou DAR) ? Federal Aviation Administration. Les experts de la JATR, la structure internationale nommée en mars 2019 pour « L’extension de délégation ne compromet pas en enquêter sur la certification du Maneuvering Characte- elle-même la sécurité si elle est suivie et supervisée par ristics Augmentation System (MCAS) impliqué dans les l’Autorité de tutelle. Mais dans le cas du programme accidents mortels de Lion Air et d’Ethiopian, reprochent B737 MAX, la FAA ne devait pas avoir une connaissance notamment à l’agence fédérale américaine chargée des suffisante du MCAS ce qui, associé à sa faible implication, réglementations et des contrôles, d’avoir délégué des l’a rendue incapable de fournir une évaluation indépen- tâches de certification « de haut niveau » aux construc- dante. » dit encore le JATR. teurs eux-mêmes. Une pratique ancienne qui devra être revue en profondeur. Le panel JATR ne remet pas en cause le principe du transfert par la FAA de l’évaluation de certains systèmes et logiciels du 737 MAX à Boeing.

Mais comment ne pas s’étonner qu’à l’intérieur de la FAA et chez le constructeur, parmi ceux qui étaient « investis de l’autorité FAA » pour approuver les modifications de conception, des personnes aient pu être soumises à de très fortes pressions internes (à en juger par de multiples articles, rapports et témoignages), qui, si c’est avéré, les auraient conduites à donner un feu vert ?

2 la JATR réunit des experts de la FAA, de la NASA et de neuf autres autorités de régulation du trafic aérien : l’Agence européenne de la sécurité aérienne et des représentants de l’Australie, du Brésil, du Canada, de la Chine, du Japon, de l’Indonésie, de Singapour et des Emirats arabes unis. 3 ODA, ou Organization Designation Authorization, a été adoptée en 2005 sous la pression du lobby aéronautique sur fond de dérégulation et de baisse du budget de l’agence américaine. Elle permet à l’avionneur de choisir les ingénieurs devant inspecter ses avions (DER, Designated Engineering Representative, ou DAR ( Designated Airworthioness representative) la FAA apposant seulement son imprimatur.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 59 SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALES AUTOUR ET AU-DELÀ DU B737 MAX

Le concept DOA

Le concept DOA- Organization Designation Authorization)

Un DOA (Design Organization Approval), supporté par stricte vérification de conformité aux bases règlemen- l’EASA, basé sur un Système d’assurance du système, avec taires. un DOM (Design Organisation Manual) manuel reflétant les impératifs de surveillance de l’autorité, aurait pu Il deviendra crucial dans le futur de préserver et de normalement empêcher cette situation de par sa propre renforcer le principe d’évaluation indépendante dans la fonction d’assurance au niveau de la conception. perspective de l’incorporation de systèmes avioniques très complexes faisant appel à l’apprentissage profond Le concept « DER » ou « DAR » utilisé dans le ODA ne (peut-être dès 2024), pour lesquels la validation indis- devrait pas se satisfaire d’une appréciation individuelle, pensable couvrant tous les cas critiques exigera du temps sans le support d’un système d’assurance de la conception, et des ressources qui ne devront pas être amputés, faute qui lui, prendra ou fera prendre toutes les garanties d’incompatibilité avec les exigences de sécurité. nécessaires avant de donner un accord par délégation de l’autorité. La navigabilité des avions équipés de ces systèmes futurs et son maintien dépendront d’une telle capacité Un mandat limité pour la JATR. Présidé par d’évaluation indépendante, non biaisée, non tronquée, Christopher Hart, l’ancien président du National Trans- activée en permanence, apte à compenser la perte de portation Safety Board (NTSB), l’agence civile indépen- maîtrise déterministe inhérente à des systèmes ayant des dante du gouvernement qui enquête sur les accidents comportements plus difficiles à prévoir. Ceci est aussi une d’avion, la JATR.est mandatée pour se prononcer sur la condition nécessaire à l’acceptabilité de tels systèmes, aux façon dont le MCAS a été approuvé en 2017 et faire des plans sociologique et psychologique. propositions. Ce panel n’a en revanche pas son mot à dire sur les améliorations que Boeing doit apporter à son DES LEÇONS À TIRER EN PROFONDEUR logiciel afin d’obtenir le feu vert de la FAA. Feu vert qui DE L’EXPÉRIENCE DU B737 MAX permettrait aux 737 MAX cloués au sol depuis mars 2019 de revoler aux Etats-Unis et dans le monde entier. Dans Certaines évolutions engendrent-elles potentielle- un communiqué publié alors, le nouvel administrateur ment des effets délétères ? Les ingénieurs en aéronau- de la FAA, Steven Dickson, fait savoir qu’il examinera les tique nés du baby-boom qui a suivi la seconde guerre recommandations et « prendra les mesures appropriées ». mondiale, dont le parcours professionnel s’est effectué dans la période 1970 - 2010, ont vécu les mutations Position de la CT Aviation Commerciale sur la profondes de leur secteur (sans doute similaires à celles question de la délégation. Nous ne considérons pas que le survenues dans d’autres domaines). D’une manière très principe de délégation est à rejeter, et préconisons plutôt schématique, le secteur était dominé d’abord par les d’en apprécier son contexte en rendant indépendant la « techniciens » (culminant avec le produit d’exception « conception » du « design assurance ». Concorde), puis ce monde a petit à petit évolué, en lien avec l’essor considérable de l’aviation commerciale (en termes Un DOA tel que prôné par l’EASA a fait ses preuves : de trafic, marché et chiffres d’affaires), spectaculaire il assure l’indépendance de la décision. Certes le en Europe qui partait d’une position très modeste, mais cheminement est complexe et lourd, mais est garant d’une très important aussi aux USA. Ce secteur a ainsi connu

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 60 SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALES AUTOUR ET AU-DELÀ DU B737 MAX une emprise devenue industrielle (Airbus Industrie en La situation s’est développée autour du cas bien l’espèce, avec forte implication encore des États, concen- particulier d’un avion dérivé d’une version ancienne, tration de l’aviation commerciale aux Etats-Unis) puis a poussée aux limites, dans le but de produire en temps connu, comme conséquence évidente une concurrence utile un concurrent, parce qu’un nouvel avion arriverait commerciale très intense qui s’accompagne aujourd’hui trop tard sur le marché. On connaît l’ordre de grandeur de la prégnance des objectifs financiers dans le duopole du coût final pour Boeing : 20 ou 25 milliards de $, ou mondial. plus ? (du même ordre de grandeur que pour le dévelop- pement d’un nouvel avion !), 1 an ½ ou 2 ans de retard (?), En lien avec la montée exponentielle des enjeux une image de marque écornée… Ce fiasco est une sévère financiers, les états-majors, les organigrammes et le travail leçon pour toute l’industrie, les constructeurs, avionneurs quotidien ont reflété les changements, avec de nos jours, et motoristes, toutes les autorités de certification, et dans le management, une part plus grande des activités évidemment au-delà du périmètre de l’aviation. consacrées par des ingénieurs hautement qualifiés à alimenter des données de gestion, de statistiques et de On notera au passage que le principe de la délégation « reporting ». Ceci a pour effet potentiel d’amputer l’appro- de certification en soi n’est pas remis en cause, pourvu fondissement des questions techniques, le risque étant qu’il soit accompagné comme en Europe d’un système de alors de substituer à la réflexion approfondie et collective, « design assurance » indépendant de la conception (voir une communication élaborée, pouvant conduire à une plus haut). illusion sur le niveau réel de technicité sous-tendant le travail effectué, avec en conséquence un impact sur la On notera également que l’automatisation des systèmes transmission de l’expérience et du savoir-faire, même à en soi n’est pas perçue comme facteur d’accroissement l’heure d’outils numériques sophistiqués. des risques : au contraire, elle est un atout qui permet de les diminuer, comme l’indique l’amélioration du niveau Certes, la situation décrite ici de manière caricatu- de sécurité d’une génération d’avion à la suivante, et rale ne s’applique pas uniformément, ni systématique- cela se poursuivra, mais ces évolutions ne dispensent ment. Toutes les évolutions n’ont pas que des effets pas d’appliquer les principes et les méthodes intangibles délétères, certaines sont inévitables, d’autres bénéfiques. d’assurance de la sécurité, en les adaptant chaque fois que Par ailleurs, jusqu’à un certain point, il était nécessaire nécessaire aux nouvelles technologies et configurations. qu’avec la montée des enjeux concurrentiels, la gestion financière soit contrôlée de manière plus exigeante Penser au futur… Le constat du cas du B737 MAX est qu’elle ne l’était. Il semble probable qu’une situation d’autant plus inquiétant que les tendances à des choix de telle que schématiquement dépeinte ait pu jouer un rôle court terme sous très fortes contraintes financières parce dans le cas du B737 MAX, sur la base de ce que l’on en que concurrentielles, vont être de plus en plus prégnantes. connait aujourd’hui, en termes de perte des règles de l’art Il est donc crucial que l’expérience douloureuse du de l’industrie, ce dont il faut prendre conscience et se B737 MAX soit mise à profit pour faire un véritable prémunir. « examen de conscience », impliquant tous les acteurs concernés, le suivi des correctifs indispensables à tous les Effets globaux des pressions indues dans le cas du niveaux, ce qui n’est évidemment pas une mince affaire… B737 MAX. Le cas du Boeing 737 MAX (deux accidents fatals, 346 morts) est révélateur, illustrant de manière Il est tentant de rapprocher ce qui est décrit ici de la tragique un enchaînement funeste de décisions liées, situation qui existe dans d’autres domaines et filières, selon toute apparence, à une pression commerciale, partout en fait où il est essentiel de préserver un équilibre donc financière, énorme pesant non seulement sur les entre les divers critères de fonctionnement, notamment processus de certification comme expliqué ci-dessus, dans les domaines scientifiques, techniques, industriels et mais déjà à la base sur la définition des modifications opérationnels, où la sécurité est une exigence. Pondérer majeures de cette version (lancée « en urgence » pour les critères techniques, économiques, commerciaux affronter la concurrence). Il en a résulté des lacunes dans et financiers, en fonction des objectifs poursuivis, est les analyses de sécurité, au mépris des principes les plus impératif dans les structures organisationnelles, la mise élémentaires (cas de pannes, redondances, etc.), à un point en œuvre des moyens, les mécanismes de prise de décision. qui reste incompréhensible à ce jour, le tout aggravé par Ceci est indispensable, comme l’équilibre des pouvoirs en des pratiques de délégation « sans filet » de l’agence de démocratie, la prédominance de l’un sur les autres dans la sécurité au constructeur, des procédures d’information gouvernance, comme au sein de toutes les organisations, et d’entraînement des équipages incomplètes, un manque étant très dommageable. Il est néanmoins essentiel, au de réaction aux avertissements des ingénieurs d’essais de moment de prendre des décisions, que les critères dont Boeing semble-t-il, aux incidents précurseurs en service, dépendent les objectifs de sécurité restent prioritaires. ■ au premier accident.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 61 SCIENCES ET TECHNIQUES AÉROSPATIALES AUTOUR ET AU-DELÀ DU B737 MAX AIRBUS PROFITE-T-IL DU MAINTIEN AU SOL DES 737 MAX ? par Bernard Vivier, membre du comité de rédaction de la Lettre 3AF

On ne sait toujours pas quand les 737 Max seront remis En effet, il se trouve que, même si la situation du en vol. Peut-être cet été… et encore faudra-t-il que les 737 Max se normalise d’ici à 2023, Airbus se trouvera régulateurs mondiaux, notamment européens et chinois, alors en position de force, en ayant profité de ce délai veuillent s’aligner sur la FAA, ce qui est moins que certain. pour absorber les problèmes de production de l’A321. Airbus pourra alors augmenter ses cadences. Et prendre Et puis, il faudra remettre en service, après les avoir de nouvelles commandes avec des délais de livraison plus modifiés, les quelques 400 appareils qui volaient déjà et les courts. Le hall d’assemblage des A 380 à Toulouse est, 400 autres que Boeing a continué de construire jusqu’à fin d’ailleurs, en cours de reconversion pour produire des A décembre, Il va aussi falloir que Boeing remette en route 321. le processus de production et le retour à une cadence de sortie de chaîne de l’ordre de 50 avions par mois sera long. Alors que la famille A320 dominait déjà le 737 Max avant ses problèmes, Airbus est donc bien parti pour Enfin, il ne faudrait pas que les passagers, ni d’ailleurs creuser l’écart et atteindre, selon certains experts, plus de les pilotes, boudent l’avion. Ce point reste une incertitude 60 % de parts de marché. majeure. Si Boeing décidait d’arrêter le 737 Max, Airbus serait S’il est certain qu’Airbus ne peut pas, actuellement, devant un « boulevard » et si Boeing décidait de lancer augmenter ses cadences, déjà tendues, pour proposer ses un nouvel avion, Airbus aurait la possibilité d’attendre avions aux clients de Boeing, l’on peut cependant s’inter- tranquillement avant de réagir et en ayant la capacité de roger sur les gains potentiels d’une telle situation pour proposer mieux. l’avionneur européen. Quoi qu’il arrive et même sans pouvoir actuellement Tout d’abord, Airbus a livré 863 avions en 2019, contre substituer des Airbus aux Boeing en commande, Airbus 345 pour Boeing. Ceci conforte son statut de premier semble devoir tirer parti, à moyen et long terme, de la avionneur mondial. Et puis, Boeing, assommé par l’affaire crise sans précédent du B 737 Max. du 737 Max, a reporté sine die le lancement de son « New Midsize Aircraft », un projet de mono-couloir de 220 à 250 Enfin, il n’y a pas d’échéance proche pour que soit mis places, capable de franchir 9000 Km. fin au duopole de fait actuel.

Cet appareil destiné à remplacer les anciens B757 et Par contre, si l‘état des compagnies aériennes, que la crise B767, au positionnement un peu délicat par rapport mondiale du coronavirus impacte fortement pourrait au 737 Max, est directement concurrencé par Airbus inquiéter dans la mesure où la pandémie durerait, il est avec ses A321 LR, déjà en service et les A 321 XLR (200 actuellement bien difficile de parler d’impact à long terme passagers sur 9000 Km), annoncés au dernier salon du sur les constructeurs. ■ Bourget et déjà commandés à plus de 600 exemplaires. Les compagnies US American Airlines et United Airlines viennent d’en commander 50 chacune !

Il est donc bien possible que Boeing ait déjà perdu cette bataille-là.

Mais une autre se joue aussi sur le très gros marché des monocouloirs de moins grande capacité (segment A 320 – A 321 classique).

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 62 COLLOQUES SYMPOSIUM INTERNATIONAL OPTRO 2020 DU 28 AU 30 JANVIER À PARIS par Claudine Besson, ONERA, chairwoman du symposium, membre du Haut conseil scientifique de la 3AF

OPTRO, le Symposium International de l’Optronique pour la Défense et la Sécurité, s’est tenu à Paris du 28 au 30 janvier 2020, sous l’égide de la 3AF et en partenariat avec la SFO (Société Française d’Optique) et EPIC (European Photonics Industry Consortium).

Lors de cette 9e édition, sous la présidence d’honneur de Emmanuel Chiva, directeur de l’AID (Agence pour l’Innovation de Défense), OPTRO 2020 a réuni plus de 350 chercheurs et spécialistes des laboratoires, de l’industrie, des institutions européennes et nationales, et provenant de plus de 12 pays.

Philip Russell, expose l’avènement des fibres photoniques et leurs perspectives pour des applications en télécommunica- tions, en métrologie optique, en senseurs, etc.

Allocation de Monsieur Emmanuel Chiva, Directeur de l’AID (Agence pour l’Innovation de Défense), président d’honneur OPTRO 2020. Les fibres à cristal photonique permettent de concevoir des objets excitants, lasers et composants, autorisant Louis Le Portz et Michel Scheller, respectivement de nouvelles fonctionnalités, telles que la conversion de président et président d’honneur de la 3AF, ont accueillis fréquence par diffusion Raman stimulée. les orateurs et participants de la session plénière en réaffirmant les valeurs de la 3AF qui, notamment par le Lors de cette séance plénière, sont intervenues des biais de OPTRO, soutient une technologie dont les apports personnalités d’organismes nationaux et internationaux. sont majeurs dans les domaines de la défense, de l’aéro- Les premiers orateurs ont présenté les enjeux et outils de nautique et de l’espace. financement de la recherche en optronique au niveau européen et les investissements sur les programmes Ensuite, la conférence invitée du professeur Philip optronique pour la défense et de sécurité. En particulier, Russell a porté sur l’avènement des fibres photoniques Jean François Ripoche, en tant que directeur de la dont il fut l’inventeur dans les années 90 et l’incroyable recherche et de l’innovation de l’Agence européenne de créativité en optique guidée qui en a résulté. défense Européenne (EDA), a exposé les résultats obtenus par les projets du CapTech (groupe capacitaire/techno- Il a montré avec humour comment ce champ d’investi- logique constitué d’experts étatiques et industriels) gation sur les guides d’onde permet de concevoir des objets « senseurs électro-optiques ». Puis, Erno Vanderweert excitants, lasers et composants, autorisant de nouvelles représentant la nouvelle Direction Générale Défense fonctionnalités avec des perspectives d’applications en Industrie et Espace de la Commission européenne, a télécommunications, en métrologie optique, en senseurs, exposé les enjeux et objectifs du fond européen de défense etc. (EDF).

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 63 COLLOQUES SYMPOSIUM INTERNATIONAL OPTRO 2020 DU 28 AU 30 JANVIER À PARIS

Les présentations suivantes ont porté sur les stratégies Les jours suivants, la conférence s’est poursuivie par et programmes de recherche en optronique d’orga- trois sessions techniques se déroulant en parallèle. Les nismes tels que le NVESD (Night Vision and Electronic 90 présentations portaient sur les thèmes suivants : Sensors Directorate, US Army) représenté par Michael senseurs et composants, systèmes laser, imageurs, Groenert, le Fraunhofer IOSB (Allemagne) représenté technologies émergentes, simulation, traitement d’image Marc Eichhorn, le DSTL (Defence Science Technology et intelligence artificielle, applications spatiales, applica- Laboratory, UK) représenté par Paul Kealey, l’OTAN tions aéroportées et enfin une thématique portant sur la représenté par Angelo Volpi et Gianluca Gagliardi du recherche en technologies de Défense avec l’EDA. CNR italien. Ingmar Renhorn a présenté des perspectives sur des imageurs hyperspectraux et Michele Cirasuolo de Le centre de conférence hébergeait également une l’ESO (European Southern Observatory), a exposé l’avan- vingtaine de stands situés dans la pièce de réception, ce cement de la construction de l’ELT, l’Extremely Large qui permettait aux exposants et participants d’échanger telescope au Chili. sur les produits et derniers équipements notamment à l’occasion des pauses café, de la soirée cocktail ou du lunch de clôture.

Monsieur Michele Cirasuolo de l’ESO (European Southern Observatory), expose l’avancement de la construction de l’Extremely Large telescope. Le centre de conférence hébergeait une vingtaine de stands qui permettait d’échanger sur les produits et derniers Pour clore cette première journée, la table ronde animée équipements. par Jean-François Coutris a rassemblé des officiers des forces armées françaises autour du sujet de l’apport de Lors du cocktail clôturant la deuxième journée, Ingmar l’optronique comme différenciateur capacitaire dans la Renhorn s’est vu remettre le prix OPTRO 2020 en recon- Défense. Le capitaine Thomas de l’état-major de la Marine, naissance de ses contributions notables sur les imageurs le lieutenant-colonel Berthillot du Commandement de pour la Défense. Ses recherches ont en particulier porté l’espace, le lieutenant-colonel Pappalardo de l’état-major sur la mise au point de techniques originales pour les de l’Armée de l’air et le lieutenant-colonel Devouge senseurs hyperspectraux, pour l’imagerie infra-rouge du Commandement des forces spéciales ont présenté polarimétrique ou pour la caractérisation de la les concepts d’emploi et les équipements optroniques propagation optique à travers l’atmosphère. à leur disposition pour assurer leurs missions. Ils ont également exposé les évolutions et besoins pour le futur et ont montré de façon très concrète le rôle majeur que joue l’optronique dans l’engagement de nos forces au quotidien en décrivant les capacités de détection ou d’identification requises pour des missions aussi variées que la surveillance de zone ou l’anti-terrorisme. La table ronde a ainsi illustré le caractère transverse de la filière optronique dont les briques technologiques sont déclinées La salle des exposants accueille la pause café. en solutions adaptées à chaque mission afin d’assurer la supériorité opérationnelle de nos forces. Le prix du meilleur papier de thèse a été décerné à Julie Cancreff pour sa communcation sur une méthode En soirée, le restaurant « La Péniche » a accueilli les d’impression 3D pour les préformes de fibres chalcogé- conférenciers à son bord pour une croisière sur la Seine nure et le deuxième prix à Louis Duveau pour sa commu- qui s’est achevée à 23 h sous les scintillements de la Tour nication sur les stratégies de conception de télescopes à Eiffel. base d’optique freeform.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 64 COLLOQUES SYMPOSIUM INTERNATIONAL OPTRO 2020 DU 28 AU 30 JANVIER À PARIS

Le troisième jour, l’association EPIC (European Ce compte rendu paraît alors que nous sommes au cœur Photonics Industry Consortium), partenaire d’OPTRO d’une crise sanitaire qui éprouve nos institutions comme 2020, a organisé un évènement « be to be » sur le thème chacun d’entre nous. Je me fais l’écho du comité d’organi- de l’optique quantique. La séance animée par José Pozo sation d’OPTRO pour souhaiter que vous et vos proches a permis aux participants d’échanger sur les nouvelles soyez préservés. Souhaitons par ailleurs que l’Optronique perspectives de ce secteur en pleine expansion qui fasse émerger au plus vite des solutions de lutte contre bénéficie de politiques volontaristes au niveau national cette pandémie et les suivantes. comme au niveau européen. Nous espérons vous retrouver nombreux pour l’édition OPTRO 2020 a été une nouvelle fois l’occasion de 2022 qui se tiendra comme à l’accoutumée en début rassembler les acteurs de la filière Optronique, allant d’année. ■ des maîtres d’œuvre intégrateurs aux fabricants de composants en passant par les équipementiers, les établis- sements de recherche et de formation ainsi que les repré- sentants des forces armées, d’organismes nationaux et internationaux.

COLLOQUES LE DIXIÈME CONGRÈS EUROPÉEN (ERTS) SUR LES SYSTÈMES EMBARQUÉS EN TEMPS RÉEL À TOULOUSE par Francis Guimera, président de la commission technique Aviation civile et du groupe régional Midi-Pyrénées

La dixième édition d’ERTS (Embedded Real Time Francis Guimera (3AF) et Dominique Mary (SEE) en Software), le congrès international des systèmes furent les « régisseurs » bien aidés par Joëlle Stella, Jean embarqués pour applications temps-réel critiques, s’est Claude et Alice Torgue, Laurent Mangane, Jean-Pierre tenu à Toulouse du 29 au 31 janvier 2020. Jung (côté 3AF), Jean-Paul Porret, Marianne Emorine, Mohamed Kaaniche, Juslan Lo, (côté SEE) et l’équipe Au programme : le développement de systèmes de d’ABE dirigée par Xavier Sicard pour l’exposition. Un plus en plus complexes, plus connectés et évoluant vers comité de programme conduit par Jean Arlat, étoffé de toujours plus d’autonomie. 60 personnes venues de tous horizons, fut à l’origine d’un programme alléchant et remarqué par les spectateurs. Organisé tous les deux ans, le congrès ERTS est « Ce fut l’occasion de faire le point sur l’état de l’art, mais un événement unique en Europe, un événement de aussi de réunir industriels et chercheurs pour échanger et référence dans le secteur des systèmes embarqués et des jeter les bases de nouvelles collaborations », ont exposé les logiciels pour les universités, les centres de recherche et organisateurs de cette dixième édition. l’industrie. Organisé par le groupe régional 3AF Midi- Pyrénées et la SEE Midi-Pyrénées (Société de l’électricité, En introduction, Louis Claude Vrignaud (directeur des de l’électronique et des technologies de l’information et de partenariats public-privé pour la France chez Continental) la communication), le Congrès ERTS s’est tenu au Palais en tant que « Monsieur loyal » a tenu à honorer cette 10e des congrès Pierre Baudis à Toulouse. édition avec un hommage appuyé à Jean Claude Laprie, premier président de comité scientifique, disparu depuis.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 65 COLLOQUES LE DIXIÈME CONGRÈS EUROPÉEN (ERTS) SUR LES SYSTÈMES EMBARQUÉS EN TEMPS RÉEL À TOULOUSE

Cyrille Colmar (ADACORE) Andreas Sczepansky (QA Systems) Jean-Paul Blanquart (Airbus)

Il a remis trois prix spéciaux lors du diner de gala à des Comme dans chacune des éditions précédentes, participants de la première heure, à savoir les présidents ce nouvel événement scientifique a été supporté par de ADACORE (Cyrille Colmar) , QA Systems (Andreas une soixantaine d’articles présentée par près de 300 Sczepansky ) et de Jean-Paul Blanquart (Airbus), l’homme chercheurs internationaux. Véritable lieu de rencontre clé des ERTS passés. entre professionnels et scientifiques, les participants de ce 10e Congrès proviennent d’instituts de recherche, de Hubert Monthubert (Conseil Régional), Jean-Claude l’aérospatiale, de l’automobile, mais aussi du nucléaire et Dardelet (Toulouse Metropole), Jean-Paul Porret (SEE du ferroviaire. Cette année, l’accent fut mis sur la sécurité Paris) et Francis Guimera (3AF-MP) ont procédé aux et l’ingénierie des systèmes, ainsi que sur les méthodes allocutions d’usage, représentant leurs entités propres. formelles, les plates-formes multi cœurs et la certification.

Pour sa 10e édition, le congrès ERTS fut un « lieu d’être » Ayant participé à l’organisation du congrès internatio- pour les acteurs des universités, des centres de recherche nal de l’ERTS pendant de nombreuses années, Jean Arlat et des industries : (ci-contre) a présidé le comité de programme de cette 10e • Aucun autre événement n’a ce mélange particulier de conférence scientifique. représentants scientifiques et industriels, agissant dans plusieurs domaines. • La moitié des 60 membres du comité de programme représente tous les domaines où les systèmes embarqués sont centraux, y compris : • transport : aéronautique, automobile, ferroviaire, métro et maritime, • exploration par satellite et spatiale, • e-soins de santé, Jean Arlat, président du comité de programme • agriculture intelligente, • industrie, Il a abordé les temps forts de l’ERTS 2020 et a dévoilé les • énergie de défense, principaux sujets scientifiques qui ont été présentés : • domaines télécoms. « Ce congrès se fonde sur le savoir-faire et l’histoire de la Ce congrès a été complété par une exposition région Occitanie en ingénierie et en systèmes embarqués. Il spécialisée : une sélection de prestataires d’outils, PME traite des domaines de l’avionique, de l’espace et de l’auto- spécialisées dans le développement et l’intégration de mobile qui sont au cœur de cette activité. Mais elle va bien systèmes embarqués dédiés à vos besoins exacts (56 au-delà, car aujourd’hui ce congrès s’attaque à des domaines stands). Ce fut une occasion unique d’en apprendre d’application de plus en plus vastes comme les chemins de fer, davantage sur les derniers progrès et perspectives de ce la santé et l’agriculture. Cette manifestation s’appuie sur les secteur en constante évolution vers plus d’autonomie, de acteurs de notre tissu industriel qui se développe localement connectivité et d’intelligence artificielle. depuis longtemps. Elle résulte de fortes collaborations - souvent construites grâce à des laboratoires communs - entre les chercheurs du CNRS et de l’Université de Toulouse et des

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 66 COLLOQUES LE DIXIÈME CONGRÈS EUROPÉEN (ERTS) SUR LES SYSTÈMES EMBARQUÉS EN TEMPS RÉEL À TOULOUSE entreprises comme Airbus, Continental, Thales. L’IRT Saint- Exupéry est également un important facilitateur de cette collaboration. Ce congrès est donc un événement internatio- nal unique à la croisée de la recherche universitaire et de la recherche d’entreprise ».

Cette année, parmi les 105 papiers reçus en réponse à l’appel de communication, le comité du programme a sélectionné 56 contributions qui ont été présentées ainsi que 11 en tant que posters. Intervention de Marta Kwiatkowska (université d’Oxford)

ERTS 2020 a abordé aussi le thème des propriétés Marc Mortureux, le général manager de la PFA dites « non fonctionnelles » essentielles à la qualité des (Plateforme Nationale de l’Automobile et de la Mobilité, services fournis. Il s’agit de la fiabilité et de la résilience une association professionnelle qui regroupe les construc- des systèmes : c’est-à-dire d’anticiper et/ou de détecter teurs automobiles et équipementiers, ainsi que tous les les conséquences d’éventuelles erreurs et modifications fournisseurs de l’industrie automobile et son écosystème du système intégré afin de minimiser les risques de d’innovation : environ 4000 entreprises en France et défaillance. L’autre défi consiste à garantir que le système 400.000 salariés), expliqua que la PFA vise à partager une traitera l’information strictement dans les délais impartis. vision commune de l’avenir de notre industrie, à identifier Cette année, l’événement a mis en évidence les services les principaux défis à relever, à élaborer et à mettre en émergents des systèmes embarqués à forte intensité œuvre des plans d’action d’une manière collective pour logicielle et leurs capacités de communication croissantes. réussir dans les transformations dramatiques que nous En effet, les technologies informatiques et numériques devons réaliser. L’intervention vise à illustrer les grands se déploient dans de nombreux domaines d’application. défis auxquels l’industrie automobile doit faire face. En Cela génère une grande quantité de données à gérer ; on fait, l’industrie automobile est frappée par trois perturba- l’appelle Internet des objets ou Cyber-Physical Systems. tions majeures : La montée en puissance de l’IA et la généralisation de la • La transition écologique, avec le moteur électrique, et connectivité se sont retrouvées naturellement dans le un changement dans le mix énergétique qui aura des congrès. impacts majeurs sur l’industrie. • La révolution numérique, avec le véhicule intelligent, « Si les premières éditions d’ERTS étaient principale- connecté et autonome, et le développement de nouveaux ment dédiées à la sûreté de fonctionnement informa- services de mobilité tique, on constate une évolution autour du déploiement • La perturbation sociétale, avec un changement profond de systèmes de plus en plus autonomes et connectés », a dans la relation avec la voiture. témoigné Jean Arlat. Marc Mortureux a mis l’accent sur l’importance Le Conseil européen de l’innovation a été présenté croissante des systèmes intégrés en temps réel dans les par Jean David Malo de la Communauté européenne grands développements technologiques et fonctionnels pour la recherche et l’innovation. Cette initiative, lancée du véhicule de l’avenir. au printemps 2019, vise à transformer les succès de la recherche fondamentale en entreprises et produits Des enjeux communs à l’automobile et à l’aéronautique innovants. L’ERTS a l’avantage de favoriser les passerelles entre Marta Kwiatkowska (chercheuse de premier plan en les filières, qui partagent les problématiques et les enjeux systèmes informatiques à Trinity Université d’Oxford) s’est de systèmes embarqués. « Pour mettre en œuvre des exprimée sur l’apprentissage profond qui est nécessaire systèmes d’assistance au pilotage, l’aéronautique et l’auto- dans les applications, en particulier dans les réseaux mobile ont les mêmes challenges à relever », insistent neuronaux qui sont des objets très complexes et où il y a de concert Charles Champion, ancien vice-président encore beaucoup de travail à faire en ce qui concerne les exécutif en charge de l’engineering et R&D pour l’aviation méthodes de vérification et de validation des mécanismes commerciale chez Airbus et Alexandre Corjon, vice- d’apprentissage. Une étape de simulation est en effet président électrique, électronique et systèmes au sein essentielle pour valider et évaluer le niveau de sécurité de l’alliance Renault-Nissan et aussi Marina Angel de ces produits et doit être obligatoire. Il est également Journaliste à l’IT industrie et Technologie. important que cette phase de test soit effectuée par une entité indépendante, car les concepteurs eux-mêmes ne peuvent pas prendre du recul et avoir la vue d’ensemble.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 67 COLLOQUES LE DIXIÈME CONGRÈS EUROPÉEN (ERTS) SUR LES SYSTÈMES EMBARQUÉS EN TEMPS RÉEL À TOULOUSE

En résumé, cette 10e édition a bien atteint son objectif Charles Champion Alexandre Corjon d’événement incontournable des systèmes embarqués, soulignant avec précision les aspects essentiels à Comme l’a souligné Louis-Claude Vrignaud : « Avec le considérer quand on s’intéresse aux logiciels qu’ils soient développement de véhicules de plus en plus connectés embarqués sur nos avions ou bien sur nos véhicules et autonomes, la question de la résilience des systèmes terrestres. D’une manière générale, les participants ont embarqués, leur capacité à tolérer et à rectifier des erreurs reconnus l’avancée technologique telle que présentée et dues à des fautes ou à des malveillances, est devenu un adhèrent sans réserve au prochain congrès annoncé en enjeu majeur ». Février 2022. ■

COLLOQUES LE COLLOQUE EUROPÉEN « AEC2020 » par Jean-Pierre Sanfourche, membre du comité de rédaction 3AF

AEC2020, l’édition 2020 du colloque biennal organisé S’agissant d’une première, il était impératif qu’elle soit par le CEAS (Council of European Aerospace Societies) se un succès, et ce fut le cas. tint du 25 au 27 février à Bordeaux, dans son prestigieux Centre des Congrès situé à Bordeaux-Lac.

Précédemment, cette manifestation s’appelait tout simplement CEAS Conference. Cette année et pour la première fois, elle est désignée sous le nom de « AEROSPACE EUROPE CONFERENCE » (AEC) et non plus CEAS Air & Space Conference, une initiative très importante parce qu‘elle marque la volonté d’instituer en Europe l’organisation régulière d’un grand symposium rassemblant les acteurs du milieu aérospatial, la dénomi- nation AEROSPACE EUROPE n’étant pas sans évoquer le « AEROSPACE AMERICA » des USA … Le Centre de Congrès de Bordeaux

Après recherche de candidature du CEAS pour 500 DÉLÉGUÉS organiser le colloque AEC, la 3AF pour le compte de la France, a été chargée de cette importante organisation. En effet elle fut suivie par quelque 500 participants C’est pourquoi le discours inaugural a été prononcé par venant du monde entier : France 115 ; Allemagne 80 ; Michel Scheller, Président d’honneur de la 3AF. Vous le Royaume –Unis 39 ; Italie 29 ; Belgique 28 ; Pays-Bas 28 ; retrouverez page 71. Japon 20 ; Roumanie 18 ; Espagne 17 ; USA 16 ; Russie 14 ; Pologne 9 ; Portugal 9 ; Suède 8 ; Israël 7 ; Chine 6 ; et en

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 68 COLLOQUES LE COLLOQUE EUROPÉEN « AEC2020 »

outre un certain nombre de congressistes venus des pays Le déroulement suivants : Irlande, République Tchèque, Turquie, Corée du Sud, Suisse, Autriche, Taïwan, Ukraine, Algérie. • 25 février matin - Session Plénière 1 : Ouverture, par Christian Mari, président du colloque - Discours 200 délégués appartenaient à l’industrie et 300 de bienvenue, par Louis Le Portz, président de la 3AF venaient du monde académique. – Allocution d’Alain Rousset, président de la Région Nouvelle Aquitaine. Début des trois sessions techniques. Par ailleurs nous avions le plaisir de remarquer la présence d’une bonne proportion d’étudiants et de jeunes professionnels.

Sans l’épidémie du coronavirus Covid-19, l’assistance eût été évidemment plus importante. En particulier, 6 Chinois seulement étaient présents alors que la Chine avait prévu une délégation de 70 personnes.

Christian Mari ouvre le colloque AEC2020

Une vue du grand amphithéâtre du Centre de Congrès

350 PRÉSENTATIONS TECHNIQUES DE HAUT NIVEAU

Le colloque était articulé autour de trois grands thèmes : Louis Le Portz présente la 3AF • La réduction du bruit et des émissions. • Vers une aviation plus verte ; • Espace et environnement.

Le premier thème était traité dans le cadre de la 8e édition du symposium ANERS (Aviation Noise and Emission Reduction Symposium) organisé conjointement par le CEAS et l’AIAA.

Les travaux du second thème constituaient la 3e édition du colloque Greener Aviation que la 3AF organise en colla- boration avec Clean Sky JU. Alain Rousset, président de la Région Nouvelle Aquitaine La partie spatiale était traitée dans le même esprit que lors des précédentes CEAS Air & Space Conferences mais • 25 février après-midi – Session Plénière 2, présidée par plus spécialement concentrée sur les questions environ- Christophe Hermans, NLR, Pays-Bas. nementales et les relations de plus en plus étroites entre espace et aéronautique. Deux discours d’ouverture furent prononcés : L’obser- vatoire satellitaire du climat, un challenge majeur 5 SESSIONS PLÉNIÈRES (SCO : Satellite Climate Observatory, a great New Deal), par Jean-Yves Le Gall, président du CNES – Clean Sky vers Le colloque était structuré autour de 5 Sessions Plénières, une aviation propre (Clean Sky towards climate-neutral chacune d’elles comprenant les trois thématiques : aviation), par Axel Krein, Directeur Exécutif de Cleansky ANERS, Greener Aviation et Espace : JU.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 69 COLLOQUES LE COLLOQUE EUROPÉEN « AEC2020 »

Déroulement des trois sessions techniques en parallèle. Déroulement des trois sessions techniques en parallèle.

• 26 février – Session Plénière 3, présidée par Rafael • 27 février après-midi : Session Plénière 5 – Clôture du Bureo-Dacal, ESA. Deux discours d’ouverture furent colloque, présidée par Zdobyslaw Goraj, président du prononcés : Programmes de recherche communs à CEAS. l’aéronautique et à l’espace, par Pascale Ehrenfreund, présidente du Board Exécutif de la DLR, Allemagne La synthèse conclusive du colloque fut présentée – Les travaux de l’ESA en matière de propulsion par Hervé Martin, Chef de l’Unité « Low Emissions électrique, par J. A. Gonzalez del Amo, Responsable des Future Industries » à la Direction Générale Recherche & programmes de propulsion électrique à ESA/ESTEC. Innovation, Clean Planet, Commission Européenne. Son exposé avait pour titre : « Clean Aviation in Horizon Europe Table Ronde I : modérateur Philippe Landiech, CNES : – status and views from the European Commission ». « De la recherche au vol, en enjambant la Vallée de la Mort – From Research to Flight, bridging the Death Valley » Le discours de clôture fut prononcé par le président du CEAS Zdobyslaw Goraj, terminant en adressant ses vifs Déroulement des trois sessions techniques en parallèle. remerciements à la 3AF pour l’organisation remarquable du colloque et ses chaleureuses félicitions à Dominique • 27 février matin – Session Plénière 4, présidée Nouailhas qui en a été la principale cheville ouvrière. ■ par Valérie Guénon, Safrangroup – Deux discours d’ouverture furent prononcés : Les développements technologiques relatifs à l’avion d’affaires « vert » menés dans le cadre du programme CORAC, par Bruno Stoufflet, CTO Dassault Aviation – En route vers une aviation durable (Towards a sustainable aviation), par Paul Stein, CTO Rols-Royce.

Table Ronde 2 : modérateur Rolf Henke, Director DLR : Electric hybrid propulsion. Le président du CEAS adressant ses félicitations à Dominique Nouaihas.

LE CEAS, EN BREF du Sud), EREA (Europe), EASN (Europe), AAE - Académie de l’Air et de l’Espace (Europe), STTE-EC Le CEAS (Council of European Aerospace Societies) (Europe). est une Association Internationale à but non lucratif. Cette organisation crée un cadre permettant aux AEROSPACE EUROPE différentes associations aéronautiques et spatiales En outre depuis 2018 et à l’initiative de la nationales de faire connaître mutuellement leurs Commission Européenne, le CEAS est étroitement travaux, d’échanger entre elles leurs points de vue sur associée aux associations scientifiques aérospatiales les grandes questions du moment et de conduire des suivantes : EASN, ECCOMAS, EUCASS, EUROMECH, études au sein de commissions spécialisées rassemblant EUROTURBO et ERCOFTAC. Ensemble, ces 7 les experts du sujet. organisations constituent la plateforme dénommée Elle comprend à l’heure actuelle : AEROSPACE EUROPE. L’une des missions prioritaires • 12 associations nationales de plein exercice : 3AF de cette organisation est de rationaliser et d’impulser (France), AIAE (Espagne), AIDAA (Italie), AAAR la diffusion de l’information aérospatiale scientifique (Roumanie), CzAES (République Tchèque), DGLR et technique. (Allemagne), FTF (Suède), NVvL (Pays-Bas), PSAA (Pologne), RAeS (Royaume-Uni), SVFW (suisse), LES PUBLICATIONS DU CEAS TsAGI (Russie). • CEAS AERONAUTICAL JOURNAL édité par • 4 institutions associées : ESA, EASA, Springer : 6 numéros par an EUROCONTROL, EUROAVIA. • CEAS SPACE JOURNAL édité par Springer : • 8 associations européennes et internationales 6 numéros par an liées au CEAS via un Memorandum of Understan- • AEROSPACE EUROPE Bulletin : le bulletin ding : AIAA (USA), ICAS, CSA (Chine), KSAS (Corée trimestriel du CEAS

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 70 COLLOQUES LE COLLOQUE EUROPÉEN « AEC2020 »

ÉVÉNEMENTS • And, from a transversal point of view, respect of the Tous les deux ans le CEAS organise un grand colloque Environment. international appelé AEROSPACE EUROPE Hence, this 1st conference CEAS organized by 3AF, under the triple denomination: Aeronautic, Space and CONFÉRENCE Environment, is dealing with many rapidly evolving Par ailleurs le CEAS organise des colloques spécialisés subjects of concern and analysis. sur différents secteurs d’activité, généralement en associations avec d’autres organisations : Hélicoptères I wish to thank the Presidents of CEAS, each one in en association avec ERF, ANERS (Réduction de bruit et charge of a vital organization, who were really building it, des émissions) en liaison avec l’AIAA, etc. and to help them in communication, we have to address many thanks to Jean-Pierre Sanfourche, for his passion and dynamism. Many thanks also to past President Hermans who initiated the complex organization of the DISCOURS INAUGURAL DE MICHEL present conference, our friend Goslav, following the same SCHELLER, PRÉSIDENT D’HONNEUR DE line with energy. LA 3AF Our job is to contribute to keep Europe strong and, Bonjour à tous, without weakness, that’s what we aim to do.

It is a great pleasure, and it is a great time for me to be The present meeting - you have a good knowledge of here, in Bordeaux for this AEC conference. the program after Christian Mari’s presentation - will give you, I hope, a scope of its effective importance. And, And, I want to tell you the main reason for it. The at that time, I had to thank very strongly Dominique conference is a CEAS manifestation, organized by the Nouhailas, which was a colleague of mine for more than learned Society 3AF, and, let’s not forget it, with the 25 years, for her fantastic commitment to organize a AIAA’s participation. I believe, it’s the first one of this successful meeting. So, thank you Dominique ! importance, organized under the umbrella of CEAS. At last, after a long experience, I wish to tell each of you At the beginning of my 3AF presidency, just after the that life, your own life, will be successful if you follow change of century, with the vice President Jean-Michel an objective. In French, we say ‘se réaliser’. And with CONTANT, of course with the agreement of the other the objective of building a Strong Europe, in particular presidents of the European learned Societies, and with the through the subjects of this AEC conference, you will help of a lawyer, we have elaborated the precious status find all the ingredients for that. And doing so, you will of CEAS. enable our decision-makers to take the best orientations for Future. The opportunity was given during one of those yearly diners, between the presidents of learned Societies! But the This Conference will be great. It’s your conference and outcome was nothing less than defining a new organiza- it will be even greater if your participation is very active. I tion for all future achievements, in the field of technology wish you a very fruitful moment. and system, structuring Aeronautics and space projects, with the strong objective to maintain Europe leadership To the end, I would like to thank warmly and with in these industrial fields. Today, the AEC conference, here, respect, Alain Rousset, the President of the “Région is somehow resulting from what we decided fifteen years Nouvelle Aquitaine” He has always been supporting the ago. 3AF’s activity of and, moreover, he is supporting all that may contribute to strengthen Europe. Of course, themes of studies have been constantly changing, some new subjects are appearing and those President Rousset, dear Alain Rousset, thank you for all who are figuring the future are revealing surprising ideas your contributions. of what we can call ‘Progress’ ! And now, I let you the stage. At 3AF, three new lines of studies are being developed: • An Observatory for Digital technologies. Merci ■ • A Technical Commission dealing with human resources management – defining the best orienta- tions regarding human resources.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 71 VIE DE LA 3AF LE GROUPE RÉGIONAL LANGUEDOC-ROUSSILLON par Jean-Pierre Dedieu, président du groupe régional

LE FONCTIONNEMENT adhésions ou renouvellements d’adhésions.

Le groupe Languedoc-Roussillon de la 3AF est assez Nous avons terminé l’année 2019 avec 34 adhérents à atypique au sein de la 3AF. Il n’y a pas dans notre région jour de cotisation, en forte progression par rapport aux d’industriel de l’aéronautique ou de l’espace. Quelques années précédentes (20 à 25 adhérents), progression essen- PME/PMI travaillent bien en sous-traitance pour les tiellement due à la qualité et à la régularité du programme grands industriels installés en Midi-Pyrénées ou en proposé. Cette augmentation n’a cependant pas permis de Provence mais elles ne permettent pas de constituer résoudre le problème du manque de bénévoles participant le socle local d’adhérents, actifs et retraités, travaillant à la vie de l’association. Le bureau reste réduit à sa plus ou ayant travaillé essentiellement dans l’aérospatial, et simple expression, c’est à dire 3 personnes : suffisamment motivés pour s’engager activement dans le fonctionnement de la 3AF. • Président : Jean Pierre Dedieu (retraité d’Airbus Helicopters) L‘origine de nos adhérents est donc très variée : quelques • Trésorier : Patrick Messabis (chef d’entreprise retraité) actifs ou retraités de l’aéronautique ou des armées • Secrétaire : Philippe Mairet (ancien d’Airbus) venus se (ré)installer dans la région ou tout simplement intéressés par notre programme, des ingénieurs ou Auxquelles viennent se rajouter au cas par cas 1 ou 2 scientifiques de tous horizons s’intéressant au domaine autres membres. aérospatial et attirés par des communications scienti- fiques ou historiques de bon niveau, et des passionnés Les Assemblées générales régionales n’ont pas beaucoup d’aviation pour beaucoup inscrits aux aéro-clubs de la plus de participants mais les pouvoirs permettent région. Les enseignants et les élèves des collèges, lycées, d’atteindre la majorité des inscrits. université, grandes écoles sont ponctuellement intéressés selon les thèmes, mais ne deviennent que rarement des Le groupe régional dispose d’un local permanent à adhérents fidèles. l’ENAC Montpellier où nous pouvons nous réunir et stocker notre matériel. Il a aussi le grand privilège de La deuxième particularité de la région est son étendue, pouvoir utiliser le petit amphi de l’ENAC (50 places) à depuis l’extrémité Est de la Lozère jusqu’à la frontière titre gracieux et c’est là que se tiennent nos conférences. espagnole au Sud Roussillon (Aude, Gard, Hérault, Lozère, En retour, nous tenons compte dans la programmation Pyrénées-Orientales), avec trois pôles urbains significatifs des conférences des périodes de présence des élèves de mais assez indépendants : Montpellier, Nîmes, Perpignan. l’ENAC (il s’agit pour la plupart de formations ingénieurs par alternance) car les sujets sélectionnés s’intègrent Compte tenu de ces particularités les activités de notre parfois dans leur programme pédagogique. groupe se sont focalisées depuis 5 ans sur la diffusion et la promotion de la culture aéronautique et spatiale au LES ACTIVITÉS travers de conférences et de visites d’entreprises, parfois en coordination avec les régions voisines, Midi-Pyrénées Le Groupe 3AF-LR organise 5 types d’activités : les et Provence. Ces activités sont organisées pour l’essentiel conférences du soir, les visites de sites opérationnels, à Montpellier, ou au départ de Montpellier, ce qui limite les actions auprès des jeunes, la participation à certains le nombre d’adhérents régionaux pouvant participer à événements régionaux, et la rédaction d’un bulletin ces manifestations. Depuis 2018 nous avons inauguré en régional. Roussillon la formule de co-organisation de conférences (choix du thème et du conférencier), à Mont-Louis(66), à LES CONFÉRENCES DU SOIR Quillan(11) et à Reynès(66) avec des associations locales, ce qui a permis de garantir une participation raisonnable C’est certainement le point fort de notre groupe, car mais presque exclusivement non 3AF. depuis quelques années nous avons pu organiser 4 à 6 conférences par an avec toujours des conférenciers de très Les conférences sont ouvertes à tous, ce qui permet bon niveau et des thèmes choisis en fonction de l’actualité d’élargir le périmètre des participants et d’identifier et traités de manière compréhensible pour un large public les opportunités d’adhésions futures. Les visites sont en respectant un équilibre entre aéronautique et espace, strictement réservées aux adhérents à jour de cotisation, passé, présent et futur... Le programme annuel est établi ce qui offre quelques possibilités de concrétiser des au plus tard en début d’année et diffusé aux adhérents et

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 72 VIE DE LA 3AF LE GROUPE RÉGIONAL LANGUEDOC-ROUSSILLON sympathisants avec les titres et les noms des conféren- Parmi les dernières visites nous pouvons citer les ciers. Les dates sont fixées au moins 3 mois à l’avance, la hélicoptères Guimbal à Aix-en-Provence, la chaîne A350 communication plus détaillée est faite un mois avant. à Toulouse, la chaîne d’assemblage du H160à Marignane, Les conférences, ouvertes à tous et sans réservation etc. préalable, se tiennent en général en milieu de semaine, de 17h30 à 19h30 pour satisfaire les impératifs des actifs, LES ACTIONS AUPRÈS DES JEUNES des retraités et des étudiants, dans l’amphi de l’ENAC Montpellier, sur la zone de l’aéroport. Elles permettent Contrairement au tissu industriel, l’enseignement de rassembler en général 20-30 personnes, parfois prend largement en compte les domaines de l’aéro- 40-50. Certaines conférences font l’objet d’un compte nautique et de l’espace. L’académie de Montpellier est rendu dans le bulletin régional destiné aux adhérents très active dans ces domaines, prépare de nombreux excentrés peu enclins à se rendre à Montpellier pour une collégiens et lycéens au BIA, et organise chaque année les conférence de 2 heures. En 2020 nous comptons expéri- Journées Académiques Espace et Aéro, sous un format de menter l’enregistrement vidéo permettant d’avoir une trois jours, pour intéresser les élèves aux métiers de l’aéro- diffusion plus large de ces conférences, y compris pour nautique et de l’espace. Un ou deux membres de notre des élèves et des enseignants. Certains sujets auraient groupe y participent et essayent de répondre aux attentes pu sans doute avoir, et auraient mérité, une plus grande (nombreuses et très variées) de ces jeunes. En revanche audience si nous avions eu une plus grande salle située nous n’avons pas les moyens (nombre de bénévoles et en ville mais nous n’avons pas trouvé de solution finan- compétences) permettant de répondre à des demandes cièrement acceptable. Pour pouvoir attirer les conféren- plus systématiques d’intervention dans les établissements ciers, il faut pouvoir prendre en charge les éventuels frais scolaires de la région et n’avons pas été en mesure de de déplacement (transport et hôtel) et il est de tradition signer de convention avec l’académie. d’inviter le conférencier à un dîner après la conférence. À l’issue de certaines conférences il nous arrive d’organiser Coté enseignement supérieur il y a l’ENAC, qui nous met « un pot » pour prolonger les discussions avec le conféren- parfois à contribution pour ses élèves ingénieur et pour cier et entre participants. Cette pratique, pourtant très les élèves de 3ème en stage d’une semaine, l’ESMA voisine conviviale, est de plus en plus limitée faute de bénévoles. qui nous envoie des participants aux conférences, et le CSU (Centre Spatial Universitaire), très orienté «Nanosa- Pour 2020 le programme initialement prévu de 6 tellites», que nous essayons d’intéresser à nos conférences conférences comprend des sujets variés comme les sur le domaine spatial. recherches sur la réduction du bruit par l’ONERA, l’hybri- dation des moteurs d’avion, la mission spatiale JUICE, PARTICIPATION À DES ÉVÉNEMENTS l’histoire de Turbomeca, etc. RÉGIONAUX

À noter que nos conférences sont pratiquement les Le groupe a tout le matériel nécessaire pour tenir un seules sur Montpellier dans le domaine aéronautique et «stand» en intérieur ou en extérieur dans des salons ne sont donc pas en compétition avec celles proposées par ou meetings mais les occasions sont assez rares. Étant d’autres associations. Tout au contraire nos conférences enregistrés comme une association sur Montpellier, (et nos visites) sont largement diffusées par l’IESF-OM à nous participons chaque année en octobre à la foire aux l’ensemble de ses adhérents et associations partenaires. Associations, ce qui permet de faire mieux connaître localement la 3AF, mais ne débouche que rarement sur de LES VISITES DE SITES OPÉRATIONNELS nouvelles adhésions.

C’est le deuxième point d’attraction pour nos adhérents. BULLETIN DE LIAISON RÉGIONAL Les visites organisées pour un groupe 3AF sont en effet souvent encadrées par les responsables des secteurs visités Depuis 2018, sous l’impulsion de notre secrétaire et pas uniquement par les relations publiques de l’entre- Philippe Mairet, nous avons mis en place un bulletin prise et présentent donc un grand intérêt pour les parti- régional pour mettre un peu plus de lien entre les cipants. Compte tenu du faible tissu industriel aérospatial adhérents, en particulier ceux qu’on ne voit jamais à local, certaines visites se font dans les régions voisines, cause du manque de proximité et de disponibilité. Avec 3 dans un rayon de 200 km, parfois en complémentarité publications par an, directement envoyées aux adhérents avec les groupes 3AF Midi-Pyrénées et Provence. et mises à disposition sur les pages régionales du site web 3AF, ce bulletin permet de rappeler le contenu des dernières conférences, de développer des actualités régionales, de faire découvrir des volets régionaux insoupçonnés de l’histoire de l’aviation ou de l’espace et

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 73 VIE DE LA 3AF LE GROUPE RÉGIONAL LANGUEDOC-ROUSSILLON de rappeler le programme d’activités pour les mois à venir.

POUR CONCLURE

Petit en nombre d’adhérents et très petit en nombre de bénévoles notre groupe régional 3AF Languedoc Roussillon assume cependant, au milieu des autres associations «scientifiques», son rôle de diffusion et de promotion de la culture scientifique aérospatiale dans une région où les priorités sont globalement ailleurs (médecine, numérique, etc.).Son mode d’intervention, essentiellement basé sur des conférences et des visites, Conférence dans l’amphi de l’ENAC Montpellier repose entièrement sur le budget annuel alloué par la 3AF.

En forte progression en 2019 au niveau des adhésions, le groupe régional 3AF-LR reste néanmoins fragile par son manque chronique de bénévoles et par sa dépendance à la bonne volonté et au carnet d’adresses d’une ou deux personnes.

Toute initiative de partage entre groupes régionaux (liste de conférenciers, visites groupées, démarches auprès des administrations, etc.) serait la bienvenue pour alléger la charge des bénévoles. En outre un contenu scienti- fique plus «grand public», rendu accessible sur le site web 3AF, directement ou en partenariat avec d’autres médias, permettrait d’attirer d’autres adhérents, bénévoles potentiels, ce qui permettrait de développer significati- vement l’activité auprès des jeunes dont notre industrie a tant besoin pour le futur. ■ Après la visite de la chaîne H160 d’Airbus Helicopters

Les journées académiques Espace et Aéro

Le stand 3AF-LR

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 74 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE 1 : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918 par Alain Dégardin, ancien conservateur au Musée de l’Air et de l’Espace Le Bourget

CRÉATION DE LA DEUXIÈME COMPAGNIE, compagnie d’aérostiers et recevront également la solde de 23 JUIN 1794 canonnier de première classe.

Le Comité de salut Public, convaincu de l’utilité des aérostats, n’a pas attendu le résultat de la campagne et a Les soixante aérostiers seront divisés en trois sections, décidé la création d’une deuxième compagnie, le 23 juin chacune de vingt hommes. Il y aura pour chaque 1794. section, un officier ayant le grade de sous-lieutenant, un sergent et deux caporaux, lesquels seront assimilés aux Le lieu de formation et le choix du directeur sont vite personnels d’artillerie du même grade et jouiront des fixés : « Il sera formée une deuxième compagnie d’aéros- mêmes traitements et soldes qui leur sont attribués. tiers composée de la même manière que celle qui est actuellement en service de l’aérostat de l’Armée du Nord. L’école d’aérostiers aura pour chef, un directeur chargé Cette compagnie sera établie à Meudon où, sous les ordres de diriger toutes les opérations de construction et de du citoyen Conté, elle sera occupée d’abord aux travaux réparation des aérostats, de régler et ordonner les exercices de la construction des aérostats et ensuite à toutes les et manœuvres et de maintenir l’ordre et la discipline. Il opérations relatives au service des machines. Le citoyen correspondra avec la Commission des Armes et Poudres, Conté est chargé de prendre toutes les mesures nécessaires lui adressera les demandes de matières nécessaires et à l’exécution du présent arrêté ». Il n’y a rien qui diffère l’informera de ce qui pourra être mis à sa disposition pour par rapport à la formation de la première compagnie. Les le service des aérostats en campagne. Le citoyen Conté, aérostiers de la seconde reçoivent la formation militaire chargé de la conduite des travaux de Meudon relatifs à définie par rapport à leur arme très particulière et ils l’aérostation, est nommé directeur. Le citoyen Bouchard, restent des ouvriers exécutant les travaux nécessaires reçu aérostier de la deuxième compagnie, est nommé pour fabriquer les matériels utilisés par leur arme. sous-directeur.

L’ÉCOLE D’AÉROSTATION DE MEUDON, Il y aura pour les trois sections, un quartier-maître 1794 – 1799 chargé du décompte de la solde et des mêmes dépenses du matériel, pour lesquelles il lui sera remis un fonds La deuxième compagnie a été placée sous les ordres de d’avances sur la proposition de la Commission des Armes Jacques-Nicolas Conté qui a remplacé Jean-Marie Joseph et Poudres. Coutelle envoyé aux armées, en raison « du zèle et de l’intelligence avec lesquels, il a coopéré depuis plusieurs UN TAMBOUR SERA ATTACHÉ À LA DITE mois aux épreuves aérostatiques ». Pour en faciliter le ÉCOLE recrutement et les conditions de formation, le Comité de Salut Public décide la création d’une Ecole d’Aérostation Il y aura dans l’Ecole, un garde-magasin chargé de tenir à Meudon, le 31 octobre 1794. Examinons les principaux registre de l’entrée et sortie de toutes les matières, soit de articles de l’arrêté : Il sera établi dans la Maison Nationale consommation, soit destinées aux épreuves et construc- de Meudon une école d’aérostiers dans laquelle, indépen- tions ainsi que de veiller à la construction des meubles, damment des exercices pour les former à la discipline ustensiles et livres et machines servant à l’instruction ; militaire et des travaux de construction et de réparation il lui sera donné un aide ou sous-garde lorsqu’il sera jugé des aérostats auxquels ils seront employés, ils recevront nécessaire ». des leçons de physique générale, de chimie, de géographie et des différents arts mécaniques relatifs à l’aérostation. Ainsi, tout est prévu dans le moindre détail. Une notice manuscrite apporte des renseignements supplémentaires. Cette école sera composée de soixante aérostiers y Elle a été rédigée par l’aérostier Rouvenat. Il indique que : compris ceux déjà reçus pour entrer dans la nouvelle « la chapelle du château servait de salle d’étude. C’était sur compagnie que le comité avait été chargé de former. l’autel que l’on plaçait le tableau destiné aux démonstra- Ils seront logés dans la partie de la Maison Nationale tions. Le nombre des élèves était de 60 à 70. C’était parmi de Meudon qui leur sera assignée ; ils auront le même eux qu’on recrutait pour les deux compagnies actives. Sept uniforme que celui qui a été réglé pour la deuxième ou huit élèves étaient chargés sous la direction spéciale

1 Un premier article d’Alain Dégardin Les aérostiers de la République : Des origines à la bataille de Fleurus a été publié dans La Lettre n°41.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 75 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918 de Conté de la confection des ballons destinés aux armées ses dons d’artiste. Il peint plusieurs aquarelles de grand ou aux expériences qui avaient lieu très fréquemment format pour que ses indications soient comprises visuel- à Meudon. Parfois, c’étaient les membres du Comité de lement. Il représente les différentes phases de la construc- Salut Public ou des députés de la Convention, d’autres tion des ballons : la fabrication des vernis, le découpage fois des généraux qui venaient, des savants qui venaient des fuseaux de toile et leur assemblage pour fabriquer visiter l’établissement. Presque toujours, quelques-uns l’enveloppe, le vernissage de celle-ci, le montage d’une des visiteurs désiraient faire une ascension captive. Ils tente de campement autour du globe. Il rend compte de la étaient accompagnés d’un élève dans une petite nacelle construction des petits ballons en baudruche. Il détaille qui pouvait contenir deux observateurs ». aussi quelques éléments comme ceux des fours en briques, de la nacelle et représente les drapeaux ou flammes On utilisait les pelouses, on l’a vu, pour le gonflement et servant à donner des indications aux aérostiers qui les ascensions des ballons. Les élèves organisés militaire- maintiennent les câbles au sol. Ces précieuses aquarelles ment, avaient la solde et la nourriture des soldats. Celle-ci font partie des collections du Musée de l’Air et de l’Espace était préparée par un restaurateur de Meudon ! au Bourget. Elles sont des témoignages historiques sans équivalents. Conté les utilisait pendant ses cours, un Jacques Nicolas Conté est le personnage-clé de Meudon, peu à la façon des projections qui illustrent de nos jours il en est véritablement l’âme. Il se dépense sans compter. des démonstrations. Conté se sert des travaux connus Il est enthousiaste, désintéressé et dévoué à la tâche qu’on de l’époque, en particulier ceux du projet de dirigeable lui a confiée. Ses élèves lui sont tous attachés. Il leur a du général Meusnier datant de 1785. Il a laissé lui aussi adressés un préambule à ses cours plein d’émotion. Dans un magnifique album aquarellé, conservé au musée du le style dithyrambique que l’on appréciait à l’époque, il Bourget. leur déclare : « Vous avez dans la première compagnie, des émules difficiles à suivre ; ils ont frayé le chemin, mais A côté de son rôle d’instructeur, le savant poursuit ses le sort vous réserve sans doute des succès aussi heureux. recherches. Celles-ci ne sont pas sans danger. À la suite Vous les obtiendrez ces succès, j’ose le promettre, si d’un accident survenu au cours d’une expérience en vous ne négligez aucun moyen d’acquérir la somme de 1795, il est blessé par l’éclatement d’un matras rempli connaissances nécessaires. Il faut apprendre à tout faire, d’hydrogène et perd l’usage de son œil gauche. Cela ne va il faut le savoir. Nous avons suivi nous-mêmes cette utile pas arrêter le chercheur dans la poursuite de ses travaux expérience dès son principe, servir les maçons, tailler pendant tout le temps qu’il passera à Meudon. En 1796, il les briques, préparer toutes les manières propres à la va perfectionner la production du gaz et le 28 mai de cette confection des ouvrages ; il n’est si petit détail qui nous ait année-là, il adresse au Directoire une longue lettre dans échappé, parce que aucun ne nous a paru inutile. Comme laquelle il donne des détails sur un système de télégraphie nous, vous aurez des répugnances à vaincre, comme nous qu’il appelle « aérographe ». Il consistait à élever à de vous aurez à supporter, lors de la décomposition de l’eau, très grandes hauteurs des ballons de petites dimensions la fatigue et la chaleur et le sommeil à repousser ; mais manœuvrés au sol qui portaient des signaux. ces peines sont légères et nous ne devons jamais envisager que les avantages que la Patrie peut retirer de nos travaux. L’invention qui va faire connaître son nom du grand Le Comité de Salut Public m’a chargé de votre instruction, public est celle des crayons artificiels en avril 1795. mes moyens sont faibles, citoyens, mais ne voyez en moi qu’un ami qui s’instruira avec vous et dont l’unique La France, à l’époque était tributaire de la Grande- ambition, est de procurer à la République des défenseurs Bretagne qui possédait les plus grandes réserves de zélés pour le succès de ses armes ». plombagine dans le Cumberland. La plombagine ou mine de plomb n’est autre qu’une variété terreuse de graphite, Ce préambule rend compte de sa personnalité : un carbone pur cristallisé. Il fallait doter le graphite des homme volontaire, toujours avide d’apprendre, capable Alpes ou de Bohême des caractéristiques de la plombagine de tout exécuter, au service entièrement de sa patrie. Il au moyen de plusieurs manipulations. Conté y parvint souhaite que ses élèves soient investis de la même mission en réalisant un mélange de graphite pulvérisé et d’argile grâce à leur travail. En même temps, ils sont prévenus, purifiée. En huit jours, le procédé de fabrication était celui-ci sera pénible et ingrat. Conté fait preuve de parfaitement au point. Conté prit un brevet et s’associa véritables dispositions pédagogiques. Si les élèves sont avec son frère cadet qui prit la direction de l’entreprise à tout de suite plongés dans les activités techniques pour Paris. À la mort de l’inventeur en 1805, celle-ci sera dirigée qu’ils soient prêts à rejoindre sans attendre les armées, il par son gendre Arnould Renaud Humblot. La société a va leur donner aussi des cours théoriques et rédige à leur été achetée par la société Bic en 1979 qui a conservé une intention, un « cours d’épreuves nationales aérostatiques » partie de sa gamme, celle des crayons et feutres. C’est en six leçons qui concernent la fabrication, le gonflement pourquoi, aujourd’hui encore, le nom de Conté apparaît et la manœuvre des aérostats. Pour cela, il fait appel à toujours sur des crayons.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 76 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918

Tout au long de ses recherches, Jacques-Nicolas Conté le sulfure de carbone ou les hydrocarbures chlorés ou a porté beaucoup d’attention à la préparation des vernis benzéniques étaient inexistants. pour imperméabiliser les enveloppes. L’école de Meudon étant tenue au secret militaire, la composition de ceux-ci L’huile de lin siccative devenant dure et cassante avec ne peut être connue avec certitude, mais certaines le temps, elle fut mélangée avec des élastomères tel que sources nous laissent entrevoir les secrets des vernis. l’hévéa ou la glu mélangés à de la cire, ce qui apportait On sait que Conté avait travaillé auprès du physicien une certaine souplesse au vernis, mais avec des risques Charles qui possédait un laboratoire aux Tuileries. Il est de collage lorsque l’enveloppe était pliée. Il fallait aussi le premier à avoir gonflé un aérostat avec de l’hydrogène se méfier de l’apparition de rongeurs. Les feuilles de que l’on appelait « gaz subtil » à l’époque. Ce petit ballon baudruche (paroi fine d’intestin animal) étaient très chères de 35 m3 fut lâché du Champ-de-Mars à Paris, le 27 août à l’achat. Elles furent réservées à la confection de petits 1783, et vint semer le trouble dans le village de Gonesse au aérostats non montés servant à indiquer la direction et nord de la capitale. Les habitants crurent voir un monstre la vitesse des vents. Les aérostiers profitent de l’appui du descendre du ciel ! Comité de Salut Public. On imagine facilement aussi que l’entremise de Guyton de Morveau n’est pas étrangère à Le 1er décembre 1783, Charles partit du jardin ce soutien. des Tuileries à bord d’un ballon de 400 m3, gonflé à l’hydrogène. Ce voyage en aérostat était le second après Conté reçoit commande ainsi de plusieurs aérostats. À celui de la montgolfière de Pilâtre de Rozier et du marquis Meudon, on employait un ballon captif de 10,5 mètres de d’Arlandes, le 21 novembre 1783. Charles l’effectua en diamètre que l’on élevait à 150 mètres environ et jusqu’à compagnie de Marie-Noël Robert, fabricant d’appareils 230 mètres pour les exercices. Le ballon l’Entrepre- de physique. Ils se posèrent à Nesles-la-Vallée dans la nant avait été préparé pour l’armée du nord. Six ballons région de l’Isle-Adam, parcourant 36 km pendant deux sphériques vont être construits à Meudon. Leur diamètre heures de vol. C’était extraordinaire. On a vu que ce fut sera de 10 mètres et ils auront 523 m3 de volume. À la suite en s’inspirant du ballon de Charles que l’on imagina ceux de l’Entreprenant, on trouve les noms du Vétéran, du de la République. Précurseur, du Svelte, de l’Hercule et du Télémaque.

Les premiers aéronautes s’aperçurent vite que Sur l’intervention de Guyton de Morveau, Conté est l’hydrogène s’échapperait à travers les toiles des chargé par le Comité de Salut Public de fabriquer aussi des enveloppes. La seule solution pour les rendre imper- ballons cylindriques : « Le citoyen Conté est chargé de faire méables consistait à les vernir. Jacques Charles avait exécuter à Meudon dans le plus bref délai, six aérostats acheté un lot de tissus chez un dénommé Bernard. Celui-ci munis de leur nacelle, tente, agrès et instruments. Ces avait enduit la soie avec une dissolution de caoutchouc aérostats seront de forme cylindrique, terminés par deux amalgamée avec des huiles siccatives. L’idée était bonne. hémisphères de même diamètre, leur diamètre sera de Son assistant Conté en pris connaissance. Il reçut aussi dix-sept pieds (5,25 mètres); la partie cylindrique aura dix des informations sur la formule employée pour le ballon pieds de longueur (3,25 mètres) ». Rappelons en passant de Guyton de Morveau, à Dijon. Ses collaborateurs, que la tente indiquée était un moyen de protéger au repos Chaussier et Bertrand employaient une dissolution à un ballon captif ou cylindrique. Autour de l’aérostat, on chaud de résine de copal dans de l’essence de térébenthine fixait des toiles à l’équateur, puis au sol. Elles permettaient mélangée à de l’huile de lin, cuite en présence de litharge, de maintenir l’aérostat lorsqu’il n’était pas employé au et une dispersion à chaud de glu (latex issu du houx) dans cours des campagnes. De cette façon, l’ensemble pouvait de l’huile de lin. résister au vent et être protégé des intempéries. Conté a reproduit ce système dans une de ses aquarelles. Le procédé utilisé à Meudon dérive des précédents. Les ballons fabriqués à Meudon en 1794 étaient en taffetas Revenons à l’idée de Guyton de Morveau. Trois ballons de soie écrue de Florence, de haute résistance mécanique. cylindriques sur les six commandés virent le jour : le Chacun des fuseaux étaient préalablement collé bord à Martial, l’Emule et le Céleste. Leur emploi fut peu concluant bord à l’aide d’un adhésif composé de colle de poisson, de et l’on abandonna vite la forme cylindrique pour revenir caoutchouc d’hévéa, de glu. Ces constituants étant dissous à la forme sphérique. Coutelle et son second Lhomond dans de l’essence de térébenthine et dans de l’huile de qui étaient montés à sept reprises à bord de la nacelle lin très siccative. Il semble que Conté et Coutelle aient du Martial à Liège, du 14 au 18 septembre 1794, se sont préféré un enduit essentiellement formé d’huile de lin, à empressés dès le lendemain de leur dernière ascension, de une dissolution unique de caoutchouc. L’hévéa importé le dégonfler et de plier l’enveloppe. Jamais l’aérostat peu d’Amérique du Sud était rationné, soumis aux aléas des confortable, ne fut réemployé. Les innovations proposées transports maritimes menacés par les navires britan- par le savant Guyton de Morveau allaient pourtant dans niques. Les solvants classiques du caoutchouc tels que le bon sens. Elles marquaient un progrès que les moyens

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 77 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918 de l’époque, hélas, ne permettaient pas encore de réaliser. Mayence. C’est encore le valeureux ballon l’Entreprenant Le savant avait déjà proposé de rendre dirigeables les qui va être de la partie. On lui apporta de nombreuses ballons libres. À présent, il s’était rendu compte, combien réfections pendant les quartiers d’hiver à Aix-la-Chapelle. les ballons sphériques étaient ballottés, secoués dans tous La première compagnie sous les ordres de Lhomond les sens par des vents forts. Rendons-lui hommage pour reste attachée à l’armée de Sambre-et-Meuse. ses propositions. Coutelle signale que le premier vol captif se passa sans Il faudra attendre la Première Guerre mondiale pour incident au-dessus de Mayence. Il décrit même une scène voir opérer des ballons d’observation captifs, cylindriques. pittoresque, très particulière quand on connaît l’âpreté Le capitaine Renard, responsable du centre militaire de des combats qui se déroulaient alors : « Les généraux Chalais-Meudon avait déjà installé une longue suspension autrichiens ayant demandé un armistice, vinrent hors aux ballons sphériques que les Français allaient encore de la place assister à notre opération. L’ascension fut fort déployer sur le front en 1914. À cette époque, les Allemands belle : le capitaine et un officier du génie planèrent de dressaient des ballons cylindriques, appelés Drachen, qui bonne heure à portée des canons des remparts et nous leur étaient bien supérieurs. Ils supportaient des vents fîmes galamment les honneurs de ce qui restait à terre; jusqu’à 16 m/s. On fut obligé de les copier. Ils reçurent on causa assez cordialement et, après avoir assisté à la l’indice H. D’un volume de 800 puis 900 m3, ils furent descente des observateurs, chacun se retira chez soi fort mis en service en décembre 1914. Le capitaine Albert satisfait de ces civilités réciproques ». Caquot pensa alors qu’on pouvait faire mieux. Il étudia sur le front et fit construire à Chalais-Meudon, le type L de 720 m3. Poussant plus loin ses études, il perfectionna son ballon qui devint le ballon M de 900 m3. Il supportait des vents jusqu’à 20 m/s. Il fut copié à son tour par tous les belligérants. Les empennages gonflés d’air assuraient une parfaite stabilité à ce qu’on appela rapidement« des saucisses » 2.

Les aérostiers de la République n’auraient jamais pu atteindre ce stade de réalisation. La carrière d’Albert Caquot fut remarquable à plus d’un titre. Il édifia de nombreux ponts en France, il participa à la politique de réarmement de la France avant la Seconde Guerre mondiale et on lui doit l’usine marémotrice de la Rance entre Saint-Malo et Dinard. Ces événements dépassent notre sujet, mais il semble intéressant de mettre en perspective l’histoire des aérostiers de la République.

LA DEUXIÈME COMPAGNIE AU SIÈGE DE MAYENCE. 1795

A la fin de l’année 1794, Jean-Marie Joseph Coutelle est promu chef de bataillon et commandant du corps des aérostiers. Les deux compagnies sont placées ainsi sous ses ordres. Lhomond est capitaine de la première compagnie, Delaunay de la seconde. Chaque compagnie comporte quarante-quatre hommes, quatre officiers, cinq sous- Siège de Mayence 1795 aquarelle de Conté officiers et un tambour. Le début de l’année 1795 semble (Musée de l’Air et de l’espace) favorable aux armées françaises. La Hollande, la Prusse et l’Espagne se sont vues contraintes de signer les traités de La seconde ascension, à l’inverse, est très désagréable. Bâle et de la Haye. Les combats se poursuivent cependant « Lorsque je m’élevai devant Mayence, à demi-portée de encore sur les bords du Rhin, l’Autriche demeure un canon de la place, j’étais seul parce que le vent était fort. ennemi redoutable. En mars 1795, Coutelle à la tête des Trois bourrasques successives me rabattirent jusqu’à terre aérostiers de la seconde compagnie rejoint une nouvelle à la longueur des cordes qui me retenaient. Chaque fois fois les troupes du général Jourdan qui assiègent la ville de que la nacelle avait touché terre, l’aérostat se relevait

2 Voir Lettre 3AF n°30 – article sur Albert Caquot (1881-1976) par Bruno Chanetz

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 78 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918 par un mouvement accéléré avec une vitesse telle que vous engage donc à me permettre de diminuer l’armée de soixante-quatre personnes, trente-deux à chaque corde, cette troupe qui ne peut être qu’à sa charge ».Le ministre, étaient entraînées à une grande distance et plusieurs heureusement, est plus circonspect que le général et ne restaient suspendues. L’ennemi ne tira point, cinq licencie pas les aérostiers, mais ceux-ci vont continuer à officiers, au contraire, sortirent de la place en montrant le être maintenus dans l’inaction. drapeau parlementaire. Nos généraux allèrent au-devant d’eux et lorsqu’ils se rencontrèrent, le général, qui Les choses ne vont d’ailleurs pas s’arranger pour eux. commandait, dit au nôtre : « Monsieur le général, je vous prie de faire descendre ce brave officier, le vent va le faire La première compagnie continue de suivre l’armée du périr, il ne faut pas qu’il meure par un incident étranger nord et les aérostiers ascensionnent devant Bruxelles à la guerre, c’est moi qui ai fait tirer sur lui à Maubeuge. et Liège. La tournure des événements va leur être Lorsque le calme fut rétabli et le vent calmé, je donnai le défavorable. Le général Jourdan qui protège le flanc de signal de descendre et je trouvai ma petite troupe pâle et l’armée du Rhin est contraint à la retraite. Les Autrichiens consternée... » en profitent pour prendre la ville de Wurtzbourg, le 3 septembre 1796. C’est là que se trouvaient les aérostiers. Coutelle avait fait preuve d’un courage admirable, Ils sont faits prisonniers et leur matériel passe aux mains mais les détracteurs des ballons pouvaient justifier la de l’ennemi. Leur ballon, l’Intrépide, aujourd’hui encore, difficulté d’employer des ballons à la guerre. Il était est exposé au musée militaire de Vienne, l’Arsenal. hasardeux, sinon impossible d’ascensionner par mauvais Son enveloppe très fragile avec le temps, a été très bien temps, surtout en raison de vents puissants qui rendaient préservée par les responsables qui l’on placée sur une nulles les observations et pouvaient entraîner la perte de étagère, suspendant une réplique au-dessus de la nacelle l’aérostier. Pour une part, cela expliquera la dissolution en bois. C’est une pièce inestimable, le plus vieil aérostat des deux compagnies. au monde, la plus ancienne machine aérienne, depuis que la nacelle de Jean-Pierre Blanchard a disparu. C’est LA MISE À L’ÉCART avec elle qu’il avait réussi la traversée de la Manche avec Jeffries, le 7 janvier 1785. Malheureusement, elle a été Les ascensions par gros temps s’avèrent être de détruite dans le musée de Calais, lors des bombardements véritables exploits sportifs. L’observateur est secoué dans de la ville, en 1940. la nacelle comme on vient de le décrire. Il subit les tirs de l’ennemi alors qu’il se trouve sous un globe de toile gonflé Pendant longtemps, on a hésité sur le nom du ballon à l’hydrogène, gaz inflammable. Coutelle est épuisé par ainsi récupéré. Il est longtemps passé pour l’Hercule, mais un long surmenage. Il est obligé de retourner à Paris. Les Jules Duhem, dans son livre, Histoire de l’arme aérienne aérostiers restent encore à Mayence sous la direction de avant le moteur, datant de 1964, précise qu’il ne peut s’agir Lhomond, puis rejoignent Mannheim. L’Entreprenant, que de l’Intrépide. Pour justifier son choix, il s’appuie sur rendu inutilisable après une agression, est transporté à les dimensions de l’appareil. Elles correspondent à celles de Molsheim près de Strasbourg. Réparé, il est transporté par l’Intrépide qui était plus grand que l’Hercule. Le diamètre les aérostiers qui suivent l’armée jusqu’à Augsbourg. C’est de son enveloppe en soie est de 9,08 mètres. La nacelle là qu’ils reçoivent l’ordre de se replier. Le ballon qui n’a mesure avec la galerie, 1,05 m de hauteur et 1,14 mètres pas été utilisé depuis deux mois est alors dégonflé et placé de longueur. La largeur dans la partie basse mesure 5,70 sur un fourgon. Les aérostiers qui suivent la retraite de m et 7,5 m dans la partie haute avec galerie. Elle comporte l’Armée du Rhin atteignent Strasbourg. Ils vont y rester un plancher et une galerie en bois, tapissée de grosse toile trois ans sans emploi, malgré les démarches de Lhomond, teinte en bleu. Les aérostiers de la première compagnie ne ulcéré par cette inaction. seront libérés qu’en avril 1797, après le traité de Leoben.

À Meudon, Conté a fait construire de nouveaux ballons, Les choses ont évolué dans le mauvais sens pour mais eux aussi restent sans utilisation. l’aérostation militaire. À la fin de l’année 1796, ceux-ci ne suscitent plus la même faveur auprès des militaires Hoche qui vient de remplacer Jourdan à la tête de et des politiques. On est passé d’une guerre de siège à l’Armée de Sambre et Meuse, n’y va pas par quatre une guerre de mouvements. Elle met bien en lumière chemins, quand il écrit au ministre de la Guerre, le 30 les difficultés de déplacement et de cantonnement d’un août 1797 : « Citoyen Ministre, je vous informe qu’il existe ballon, la complexité de construire un four en briques, le à l’Armée de Sambre et Meuse, une compagnie d’aéros- danger encouru pendant les ascensions, les contraintes tiers qui lui est absolument inutile. Peut-être pourrait- rencontrées pendant une mauvaise météo. On peut t-elle servir utilement dans la 17ème division militaire où penser cependant que les généraux auraient dû considérer le voisinage de la capitale et du télégraphe pourrait lui avec plus d’attention cette arme nouvelle et ils l’auraient faire faire des découvertes essentielles au bien public ; je utilisée ainsi avec plus de profit.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 79 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918

Guyton de Morveau note ainsi, en juin 1796, l’hostilité Thilorier. que l’invention avait rencontré auprès des généraux atteints dans leur gloire : « Mon opinion sur les aérostats comme machine de guerre n’a pas changé depuis la bataille de Fleurus, et comment aurait-t-elle changé ? C’est comme si on mettait en question si les cartes et les lunettes sont utiles à un général pour diriger ses mouvements et observer ceux de l’ennemi ? Aujourd’hui, l’ambition de la gloire est plus éveillée qu’en l’an III. Les circonstances ne sont plus les mêmes, alors que le territoire français était envahi, on ne songeait qu’au salut. Des généraux qui ont tant et tant prouvé qu’ils savaient gagner des batailles sans aérostats auraient-ils besoin de cette machine ? Cela pourrait diminuer les palmes du vainqueur du tournoi en faisant croire que les armes n’étaient pas égales ».

Un exemple encore plus visible fut celui du général Jourdan qui n’hésita pas à déprécier l’intervention du ballon l’Entreprenant à Fleurus. Le représentant Saint Just n’était plus là pour apporter un témoignage contra- dictoire, lui qui avait pu l’apercevoir pendant toute la bataille. De plus, on sait très bien que Jourdan ne refusa pas de monter à son bord à Sombreffe, et d’examiner le déroulement des combats, le 5 juillet 1794. Cela ne l’empêcha pas de déclarer : « Vous désirez, citoyen ministre, que je vous fasse part de mon sentiment sur l’établisse- ment des compagnies d’aérostiers. Je vous dirai d’abord que les aérostats n’ont jamais rendu à l’armée de services essentiels, que celui d’étonner les soldats ennemis lors de La Thirolière, montgolfière militaire leur première apparition. Je vous laisse à penser si cette pour envahir l’Angleterre surprise peut encore se renouveler et jusqu’à quel degré elle peut ébranler l’ennemi... En définitif, j’estime, citoyen, Cette « thilorière » était capable d’enlever un grand que les aérostats ne sont pas nécessaires à l’armée, à moins nombre d’hommes et de chevaux. L’inventeur, ne doutant qu’on ne trouve d’autres moyens de les utiliser ». Jourdan de rien, il était prévu d’y suspendre une lampe qui repré- insiste sur le fait qu’avait souligné Selle de Beauchamp : sentera une nappe de flamme suffisante pour empêcher l’effroi que le ballon avait jeté chez les Autrichiens, mais il le refroidissement. Il fallait pour lui que sa montgol- oublie de signaler tous les renseignements que celui-ci lui fière profite d’un réchaud bien réglé pour atteindre les avait fournis sur les déplacements ennemis. côtes anglaises. On reste bien sûr au niveau de l’utopie. Un autre projet assez répandu dans les livres, préconise Le rôle de l’aérostation n’est pourtant pas terminé l’emploi d’aérostats chargés de troupes en même temps heureusement. En août 1796, une gravure italienne est que le passage de soldats à travers un tunnel sous la là pour nous rappeler que Bonaparte utilisa un ballon au Manche. C’est le 5 mars 1798, que le Directoire, devant siège de Mantoue. Après la signature du traité de Campo- l’impossibilité d’envahir les îles britanniques, décide d’un Formio avec l’Autriche en 1797, la Grande-Bretagne autre moyen de briser leur puissance. Pour entraver leur reste seule en guerre avec la France. C’est un adversaire commerce avec les Indes, il va envoyer un corps d’armée redoutable, dont la marine domine les mers, alors que la en Egypte ! Le général Bonaparte est désigné pour devenir belle marine héritée du roi Louis XVI est désorganisée le général en chef de cette armée d’Orient. C’est une façon par l’émigration de ses cadres. Le projet d’invasion de la aussi de se débarrasser d’un militaire ambitieux et bien Grande-Bretagne est abandonné. Ce projet a donné lieu encombrant pour les directeurs. à des propositions par mer, mais aussi par air, tout à fait délirantes, qui vont durer jusqu’au Consulat. On peut Bonaparte est bien convaincu de la gloire qu’il pourra s’y arrêter un moment, car elles montrent combien « la tirer de cette expédition. Il a su se donner l’image mode au ballon » née en 1783 a envahi tous les esprits. d’un général compétent et énergique ; il va pouvoir Entre autres, en 1803, on découvrait dans « le Publiciste » maintenant se donner celle d’un homme de culture et du jeudi 13 prairial de l’An XI, une gravure représentant de progrès. L’antiquité est à la mode et Bonaparte a bien une montgolfière imaginée par un avocat à la Cour d’État, compris ce que le talent et le zèle des savants ont apporté

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 80 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918

à la République. Il demande à Gaspard Monge de réunir amiral l’Orient va achever ce qui restait du matériel une « armée de savants » qui partira avec les troupes des aérostiers, détruisant en particulier leur ballon. Les afin d’étudier la civilisation égyptienne et fera briller aérostiers sont privés de tout ce qui faisait la spécificité l’influence française. S’il est un autre personnage qui de leur arme. Grâce à leur esprit inventif et leur habileté a bien compris aussi ce que cette expédition pouvait lui manuelle, ils ne vont heureusement pas rester inactifs apporter, c’est Jacques-Nicolas Conté ! Il parvient à se faire et vont rendre tous les services qu’on attendra d’eux. accepter parmi le groupe des cent cinquante scientifiques Conté fut sans doute profondément ulcéré par le désastre choisis. À partir de là, avec Coutelle, il insiste auprès de maritime d’Aboukir. En effet, il avait proposé sans succès Bonaparte pour qu’une compagnie d’aérostiers participe d’établir une ligne télégraphique pour prévenir l’amiral à la campagne. Le général en chef connaît leurs capacités français de l’apparition de la flotte britannique. et leur enthousiasme. Ces deux physiciens et les aérostiers qui leur sont dévoués ne seront pas de trop, d’autant qu’ils Les aérostiers vont former le noyau central des ne sont pas employés. techniciens et ouvriers qui vont subvenir à une armée coupée de ses approvisionnements. Dès son arrivée, Aujourd’hui encore, il peut paraître étonnant qu’à la Conté et son équipe sont mis à contribution. Ils vont suite d’une erreur d’écriture des bureaux, cela soit la bronzer les fusils qui commençaient à se rouiller. Conté première compagnie qui reçoive l’ordre de partir, alors que établit ensuite au phare d’Alexandrie des fourneaux à c’était la seconde qui était prévue ! Le 1er mai 1798, elle boulets rouges dont les tirs font disparaître les vaisseaux se met en route pour rejoindre Toulon. Elle est composée anglais et permettent de dégager la ville. À Meudon, de 40 hommes. Ils reçoivent apparemment une tenue il avait eu le temps de voir comment procédaient les originale puisqu’elle est verte, mais pas officiellement artilleurs...Conté établit des ateliers à l’aide des aérostiers décrite. Les revers et parements étaient noirs, passepoilés où l’on va fabriquer les objets nécessaires aux différents de rouge puisqu’ils dépendaient du Génie. C’est le baron corps, civils et militaires. C’est là que seront fabriqués Marc Villiers du Terrage qui en a fait la description à des instruments pour produire de la poudre, des sabres, Toulon. À l’origine, le Comité de Salut Public avait ordonné des appareils topographiques, des machines pour frapper que l’habit soit de drap bleu avec collet bleu passepoilé de des monnaies. Les hôpitaux recevront des ustensiles de rouge, parements noirs et boutons d’infanterie. Ils vont chirurgie, les dessinateurs des compas et des crayons, les être équipés de fusils. Le dessinateur Hilpert a représenté naturalistes des loupes et des microscopes. Des ateliers de la tenue des aérostiers en partance dans la revue Le tissage vont habiller les civils et les militaires. Conté fait Passepoil, puis de la Sabretache pour illustrer un article même construire des moulins à vent, inconnus dans le du commissaire-général Stiot. Rigo historien et peintre a pays, pour produire le pain, nourriture de base des soldats. fait un article au sujet de la description de ces uniformes, dans la Gazette des Uniformes n°30 de mars-avril 1976. Bonaparte est impressionné par l’activité incroyable de Conté. Il va laisser un jugement très chaleureux sur lui : Après huit jours de voyage, le matériel est embarqué « Homme universel, ayant le goût, les connaissances et le à Toulon à bord du navire de transport Le Patriote. Le génie des arts, précieux dans un pays éloigné, bon à tout, ballon rejoint les cales du vaisseau amiral l’Orient. Les capable de créer les arts de la France au milieu des déserts aérostiers montent à bord du Franklin. Après une halte de l’Arabie ». dans l’île de Malte, le Patriote arrive en face des côtes d’Egypte, le 1er juillet 1798. Les marins savent que l’entrée Les aérostiers déploient une activité intense pour du port d’Alexandrie est difficile, mais malgré toutes les satisfaire les besoins de l’armée coupée de ses approvi- précautions prises, le Patriote s’échoue sur un banc de sionnements avec la mère-patrie. Rappelons le nom de sable. Une partie du déchargement est entrepris, le bateau certains d’entre eux : le chef de bataillon Coutelle, les est remis à flot, mais trop profondément endommagé, il se capitaines Lhomond et Plazanet, les sous-officiers Adné, met à couler. Il emporte dans les flots, le matériel d’aéros- Lenoir, Fouquet, Hérault. Les ateliers sont contigus avec tation et une grande partie des instruments scientifiques les locaux de l’Institut d’Egypte qui est créé le 22 août 1798. des savants. L’aventure commence bien mal et ce n’est Conté fit partie de la section de physique et resta ainsi en pas fini. Le sort va s’acharner sur la marine française, relation fréquente avec Monge, Berthollet, Geoffroy Saint préfigurant d’autres catastrophes qui vont se dérouler Hilaire et les autres physiciens et chimistes. La guerre pendant l’Empire. se poursuivait pendant ce temps. Le Caire est le théâtre d’une révolte qui éclate le 21 octobre 1798 et qui dure trois Les navires de l’amiral Brueys, ancrés dans la rade jours. Les aérostiers reprennent les armes pour défendre d’Aboukir, malgré l’avis contraire de certains officiers, leurs ateliers et protéger le palais de l’Institut. Malgré ces sont attaqués par l’escadre britannique de l’amiral événements, les aérostiers vont retrouver leur originalité Nelson. Ils subissent une terrible défaite qui va isoler pendant les quelques fêtes qui sont données au Caire. l’armée d’Egypte de la mère-patrie. L’explosion du navire Conté va lancer des montgolfières pour agrémenter les

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 81 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918 spectacles comme cela s’était fait en France. Il construit En 1802, pour accroître leur amertume, le matériel une montgolfière en papier de 12 mètres de diamètre qui de Meudon est vendu aux enchères. Il semble qu’un des est lancée au cours de la fête publique, place Ezbékyeh, le ballons fut acheté par l’aéronaute Robertson. À son bord, 10 décembre 1798. Une seconde ascension d’une montgol- il put faire des mesures du champ magnétique terrestre fière en toile de 13 mètres a lieu sur la même place, le 14 en 1803. Un autre, en 1804, permit au savant Gay Lussac janvier 1799, jour anniversaire de la bataille de Rivoli. de réaliser des mesures scientifiques plus sérieuses à plus de 7000 mètres d’altitude. Belle preuve d’efficacité ! A côté de leurs activités militaires, Conté et Coutelle vont participer à la naissance d’une nouvelle science, Les archives de Meudon furent transférées sans l’égyptomanie. Comme Conté, Coutelle va faire partie de beaucoup de soins en 1799, à l’école de Metz. C’est le cas l’Institut d’Egypte. Membre de la commission des sciences de l’album d’aquarelles de Conté et de celui du général et des arts, il est désigné pour accompagner les troupes et Meusnier. En 1915, ils appartenaient encore à la Biblio- les savants envoyés en Haute Egypte, avec pour mission thèque de la section technique de l’Aéronautique militaire. de rechercher les monuments de l’Egypte antique. Il fait Ils sont par la suite déposés dans les collections du Musée preuve encore de la même énergie. Malgré les conditions de l’Air dont ils font aujourd’hui partie des « trésors ». pénibles du voyage, il visite Louxor, Thèbes, Esnèh, Philae, Memphis. Conté retrouve lui aussi ses passions de scien- Nous voici à la fin du récit de cette épopée des aérostiers tifique. Il mesure la grande pyramide de Gyseh à l’aide de la République. Ils auront été les acteurs enthousiastes d’un baromètre et trouve 428 pieds, mesure confirmée d’un élan patriotique au service d’une invention qu’ils par les instruments de géométrie. Il retrouve aussi ses ont essayé d’adapter aux habitudes militaires de l’époque. dons d’artiste. Il va laisser un ensemble de peintures sur Cette innovation technique était lourde à mettre en l’Egypte de très grande valeur. place, elle aurait mérité une attention plus soutenue des autorités. L’élan ne va pas s’arrêter, il allait perdurer, Après la victoire terrestre d’Aboukir, le 25 juillet 1799, profitant du développement de l’aérostation pendant le Bonaparte décide de retourner en France. Il laisse le XIXe siècle, avant que la naissance du plus lourd que l’air commandement de l’armée d’Egypte au général Kléber. ne vienne apporter un élément qui se superposera à lui. Il s’embarque à Alexandrie, le 22 août. Les aérostiers reçoivent une tenue de drap conforme à l’ordre du jour LES HÉRITIERS du général en chef Kléber à partir de novembre 1799. Ils sont vêtus de bleu, veste sans revers, collets, parements, L’idée d’utiliser les ballons à la guerre va continuer retroussis verts, passepoilés de blanc. Le peintre de pendant le XIXe siècle, l’exemple des aérostiers de la l’armée, Lucien Rousselot leur conserve un chapeau de République apparaissant en sous-main, comme l’exemple feutre noir. Il est très possible qu’ils aient touché à la fin de à suivre. la campagne, une casquette à pouffe. On a vu les projets au moment où l’on projetait Les événements vont se précipiter et malheureuse- d’envahir l’Angleterre sous le Consulat. Pendant les ment pas en faveur des Français. Le 14 juin 1800, Kléber guerres de l’Empire, la rapidité des mouvements n’incitait est assassiné et l’année suivante, l’armée française est pas à employer des observatoires aériens. Il a paru battue à Canope. C’est le repli à Alexandrie dans le but pertinent de faire pourtant remarquer que si Napoléon de rejoindre la France. Les sources, en notre possession, en avait employé un à Waterloo, il aurait pu s’aperce- ne nous apprennent rien de précis de ce que devenait voir rapidement de l’arrivée de l’armée prussienne. On l’école de Meudon en l’absence de Conté. Il est resté en ne refait pas le passé, mais constatons qu’aucune armée Egypte pendant trois années et demie. On a vu par contre ennemie n’éprouva pas non plus le besoin d’utiliser des que la commande de ballons avait été interrompue alors ballons captifs. La guerre de siège était plus adaptée à qu’il était encore directeur et que les aérostiers commen- l’usage d’un ballon d’observation. çaient à subir la disgrâce des autorités militaires. Ce n’est certainement pas l’impéritie du Directoire qui aurait pu Il a été rapporté que Lazare Carnot, bien placé depuis y changer quelque chose. Grande va être la déception les débuts de la Révolution pour savoir le bénéfice d’une des aérostiers quand ils vont apprendre à leur arrivée à observation aérostatique, aurait utilisé un ballon captif Marseille, le 18 février 1802, que leurs deux compagnies au siège d’Anvers, en 1815. Il semble avéré aussi que ont été dissoutes et que l’école de Meudon était fermée, l’aéronaute Jean Margat a effectué une ascension captive par décret du Directoire, trois ans auparavant, le 18 au-dessus d’Alger le 4 juillet 1830. L’aéronaute profession- février 1799. nel avait vu son offre acceptée d’accompagner l’expédi- tion d’Afrique, en emportant un ballon pouvant soulever deux personnes.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 82 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918

Reconnaissance des fortifications de Peschiera par Eugène Godard (1859)

En mars 1848, les Milanais assiégés par les Autrichiens Lowe, de mettre sur pied un corps d’aérostation. Il était firent usages de montgolfières en papier pour envoyer des constitué d’aéronautes civils ayant une équivalence de messages dans la campagne. Les Autrichiens, eux aussi, grades, chargés de la partie technique et des ascensions. employèrent des ballons pour transmettre des signaux À côté de chacun d’eux, un capitaine commandait une de télégraphie aérienne. En 1849, au siège de Venise, les cinquantaine d’hommes pour la manœuvre. Dix ballons Autrichiens calculèrent mal la direction des vents ce qui étaient déployés en 1863. Le service disparut à ce leur procura une mauvaise surprise ! Ils envoyèrent sur moment-là, les opérations prenant plus de mouvements la cité des Doges, une centaine de petits aérostats portant et certains observateurs n’ayant pas assez de formation. chacun une bombe qu’une mèche devait faire déclencher. Une seule bombe tomba près de la place Saint Pierre, la On peut rappeler le nom des aéronautes qui s’illus- plupart des ballons furent ramenés par un vent contraire trèrent : Lowe, Allen père et fils, La Moutain, Steiner, sur le camp autrichien... Paulin, Eber, Seaven, le lieutenant Comstock. Ils étaient les dignes continuateurs de Coutelle et Conté. Pendant la guerre d’Italie en 1859, le célèbre aéronaute Eugène Godard proposa ses services à l’empereur Le matériel aérostatique était de qualité. Il prouvait les Napoléon III. Les 10 et 11 juin 1859, il réalisa deux avancées techniques depuis 1793. Des voitures étaient ascensions captives devant Milan, à bord d’une montgol- destinées à la fabrication de l’hydrogène. De plus, les fière. Une autre ascension devant Ponti, permit une ballons furent partiellement équipés de fils télégra- reconnaissance de Peschiera. Son ballon de 300 m3, gonflé phiques, permettant des correspondances directes avec à Milan et transporté jusqu’à Gorgonzola fut incendié les états-majors. Lowe envoya même un message aérien sans avoir pu servir. Le 20 juin, Godard s’éleva pour un au président Lincoln, dès 1861. Des relevés photogra- vol libre de Castelnodolo à bord d’une montgolfière. phiques furent essayés. Le 4 octobre 1861, La Moutain Il atteint 400 mètres ce qui lui permet d’examiner les poussa plus en avant. Il effectua une ascension libre, au installations de l’ennemi. Il renouvela un vol semblable à bord du Potomac. Elle lui permit de traverser les lignes Castiglione le 23 juin. Il s’éleva avec un officier grâce à une ennemies et de rapporter des informations importantes nouvelle montgolfière, le 28 juin. La paix de Villafranca au général Mac Clellan. Lowe lui aussi se lança dans des ne lui donna pas le temps d’utiliser un ballon de 800 m3, vols libres. l’Impérial qu’il avait fait construire à Paris. On le voit, l’épisode des aérostiers de la République La référence qui allait se rattacher le plus aux n’était pas oublié. Il faisait des émules. Pendant la guerre compagnies de la République vint des Etats-Unis. L’armée désastreuse du Brésil et du Paraguay, en 1866, l’empereur fédérée allait s’inspirer d’elles et effectuer de nombreuses Don Pedro fit venir les frères Allen qui obtinrent de très ascensions captives, entre 1861 et 1863. Au début de 1861, bons résultats avec un ballon préparé par Lowe. le président Lincoln décidait en accord avec l’aéronaute

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 83 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918

Ateliers Godard à Paris (1870)

Un autre épisode marquant pour les applications Les aéronautes avaient retrouvé la même ferveur militaire de l’aérostation fut celui-ci des ballons du Siège patriotique que leurs ancêtres de 1793, la même fougue, le de Paris en 1870. Le désastre de Sedan, le 2 septembre même courage pour vaincre une destinée qui s’annonçait 1870, marque la fin du Second Empire. La République est implacable. Après cette guerre malheureuse, mal engagée proclamée le 4 septembre. Les derniers envois de wagons- depuis le début, le gouvernement imposa tous les moyens postes qui précèdent l’investissement de Paris par l’armée nécessaires au redressement du pays en vue de prendre prussienne datent du 18 à la gare Montparnasse. Dès lors, une revanche militaire sur l’Allemagne. Les ballons du l’administration des Postes est contrainte de rechercher Siège de Paris bénéficiaient d’un jugement favorable d’autres moyens pour maintenir les communications auprès de l’opinion publique. Ils avaient été les seuls à entre la capitale et les départements. Ne restaient que l’emporter sur l’ennemi, en le survolant, bravant ses les ballons...Déjà des aéronautes avaient proposé leurs soldats, le plus souvent impuissants et encourageant ainsi services pour effectuer des ascensions captives pour le moral de la nation. observer les mouvements ennemis autour de Paris. Il s’agissait de Nadar, Dartois, Duruof, des frères Tissandier et Fonvielle. L’administration des Postes conclut un accord avec les constructeurs Yon, Dartois, Godard. Ils devaient construire des ballons de 2000 m3 et fournir des aéronautes pour les diriger. Les halls des gares du nord et d’Orléans offrirent la place pour étendre des enveloppes et des câbles servirent à la construction des ballons. Les marins, sans emploi, furent formés comme pilotes ou servirent comme ouvriers.

Du 23 septembre 1870 au 28 janvier 1871, 66 ballons quittèrent Paris. 58 missions furent des succès, 6 ballons furent capturés, 2 se perdirent en mer. Le plus illustre passager fut Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur. Départ de Léon Gambetta à bord de l’Armand-Barbès le 7 octobre 1870 – peinture de Nadar (Musée de l’Air et de l’espace)

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 84 HISTOIRE LES AÉROSTIERS DE LA RÉPUBLIQUE : DE 1794 À LA GUERRE DE 1914-1918

Le ministre de la Guerre crée en 1875, une commission La guerre de front était appropriée à l’utilisation afin d’organiser une aérostation militaire. Sur l’initia- d’observatoires constitués de ballons à gaz. Encore une tive du capitaine du Génie Charles Renard, l’Etablisse- fois, la guerre de mouvements en 1918 et surtout en ment Central d’Aérostation Militaire fut installé sur le 1940 a marqué leur déclin. Les plus légers que l’air n’ont site de Chalais-Meudon en 1877. Quel plus bel hommage pourtant pas fini de nous étonner. Leur emploi est devenu pouvait-on rendre à l’Ecole d’Aérostation de Conté ! plus ludique. Les montgolfières actuelles sont des balcons Meudon redevenait un centre d’essais et de fabrication incomparables pour les passagers qui se livrent aux joies de matériels d’aérostation. Renard s’attacha à produire des voyages aériens de tourisme. des ballons captifs et leurs équipements pour équiper des compagnies d’aérostiers. Il s’intéressa aux dirigeables. Le dirigeable La France de Renard et Krebs, dirigé par ses inventeurs, fut le premier à accomplir le premier vol en circuit fermé, le 9 août 1884.

Manœuvre d’un ballon captif militaire de type Renard – Le dirigeable La France au dessus de Chalais-Meudon – aquarelle de M. Pallandre fin XIXe siècle gravure anonyme (Musée de l’Air et de l’espace) (Musée de l’Air et de l’espace) Le ballon captif installé de nos jours au parc André On l’a évoqué plus avant : les compagnies d’aérostation Citroën à Paris, comme ceux à travers le monde, démontre équipées de ballons captifs sphériques, puis cylindriques encore combien la vue aérienne d’une ville ou d’un de type Caquot, vont être en service sur les différents paysage peut être intéressante et enrichissante. Du point fronts à partir de 1914. Ils vont rendre des renseigne- de vue militaire, les avions, les drones et les satellites ont ments très utiles aux états-majors, malgré le danger de remplacé les ballons captifs. On sait combien leur rôle leur gonflement à l’hydrogène, car ils étaient des cibles d’observation et de repérage est primordial. de choix pour la chasse ennemie. On en verra même évoluer au-dessus des bateaux de guerre. Les dirigeables Les aérostiers de la République ont été des précurseurs. prouvèrent leur utilité surtout sur mer, en particulier Ils restent des modèles. ■ pour la chasse aux sous-marins. Des ballons de protection retenus par des câbles, vont survoler les villes pour empêcher le passage des avions, puis à nouveau pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le 6 juin 1944, le jour du débar- quement, on en utilisera, maintenus captifs, au-dessus des navires alliés.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 85 HISTOIRE QUAND LA SEPR TESTAIT SES MOTEURS-FUSÉES AU FAUGA par Jean-Jacques Serra, membre senior 3AF du Groupe régional Languedoc-Roussillon et de la commission histoire

C’est sous le nom de SCEPR (Société Civile d’Études de pour les usinages en série, des corps, tuyères, et autres la Propulsion par Réaction) que la SEPR (Société d’Études composants, la chaîne d’assemblage du Fauga se met en de la Propulsion par Réaction) a vu le jour le 30 mai 1944. place. En juin, les premiers propulseurs chargés sont Si les premières années ont été consacrées à l’étude et stockés dans les locaux prévus à cet effet. la reconstitution de matériels allemands récupérés, la société disposait dès 1950 du personnel et du matériel En octobre 1952, alors que 4500 T 10 ont été produits, lui permettant d’entreprendre l’étude de moteurs-fusées survient l’arrêt complet de la fabrication. nouveaux. La Direction de la SEPR avait bien compris les avantages En 1951, la SEPR répond ainsi à l’appel d’offre du présentés par la propulsion à poudre pour les applica- ministère de l’armement pour la fabrication et le tions militaires. En 1953, une nouvelle étude, portant sur chargement de roquettes air-sol T 10. Cette roquette avait un propulseur de 400 mm de diamètre, est entreprise. Il été conçue par la SERAM (Société d’Études, de Recherches s’agit du SEPR-50 qui doit équiper l’engin MATRA R.042 et d’Applications Mécaniques) dirigée par Jean Tercé, sur et délivrer une poussée de 10 tonnes pendant 3 secondes 3. la base de travaux qu’il avait débutés avant la guerre. La SERAM était une petite entreprise, qui ne fabriquait Les poudres disponibles à l’époque ne permettaient pas d’ailleurs que le propulseur 1, et quand la demande a d’obtenir des blocs d’un tel diamètre ; aussi la SEPR a-t-elle explosé, des moyens de production industriels supplé- proposé un moteur chargé de 7 blocs SD tubulaires de mentaires se sont avérés nécessaires. 130 mm de diamètre et 1300 mm de long dans une virole d’environ 400 mm de diamètre. Ce propulseur de 1,69 m La SEPR a d’abord obtenu un marché de fabrication de long, chargé de plus de 200 kg de poudre, comportait et montage de 3000 propulseurs T 10. Ces propulseurs trois tuyères 4. mesuraient environ 1 m de long pour 80 mm de diamètre et pesaient près de 15 kg. La fabrication était réalisée dans Le Centre du Fauga, avec son équipe Essais-Poudres l’usine d’Argenteuil, mais le stockage de pareilles quantités réduite à 12 personnes, se voit confier l’expérimentation au de propulseurs devait absolument être délocalisé. C’est banc du SEPR-50. Les moyens de mesure, bien que réduits, ainsi qu’à la fin de 1951, la SEPR a décidé d’établir son permettent la détermination des ordres de grandeur de nouveau centre dédié à la propulsion à poudre dans une poussée, pression et durée. Les essais, réalisés à un rythme poudrerie désaffectée s’étendant sur un terrain de 200 ha de un ou deux par mois, s’effectuent sans incident. Après de la commune du Fauga 2. les essais au banc, des propulseurs SEPR-50, équipés d’une pointe conique et d’un empennage, seront testés en vol En mai 1952, huit des seize bâtiments de la poudrerie par l’équipe du Fauga au camp de Mailly. sont aménagés. Pendant que l’usine d’Argenteuil s’équipe

Banc d’essais des propulseurs T10

1 Les têtes explosives de la roquette T 10 étaient fournies par Brandt et par la STRIM. 2 Depuis 1949, une petite équipe expérimentait au Fauga des propulseurs fonctionnant avec un monergol, le nitrométhane. 3 Une commande de 20 propulseurs a été passée en janvier 1953, suivie d’une commande de 25 propulseurs en juillet. 4 Le moteur SEPR 50 était également utilisé pour propulser l’engin air-sol expérimental MATRA R.062.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 86 HISTOIRE QUAND LA SEPR TESTAIT SES MOTEURS-FUSÉES AU FAUGA

Avant l’essai de SEPR-50 au sol au Fauga ; en dessous en vol à Mailly Propulseur SEPR-50 (parfois désigné 1OT-3S)

L’accélérateur du MATRA R.042 était constitué par un groupe de quatre SEPR-50 reliés entre eux par un système d’interconnexion afin d’équilibrer les pressions et donc les poussées. Un empennage cruciforme stabilisait l’ensemble avant la séparation.

Des essais au sol de propulseurs interconnectés seront réalisés au Fauga avant la première campagne d’essais en vol du R.042. Celle-ci se déroule du 10 au 30 mai 1953 à Hammaguir. L’équipe du Fauga y rejoint celle des Liquides, déjà aguerrie par de nombreuses campagnes de lancements de M.04 et R.04. Trois engins, équipés de leurs boosters quadruples et d’une maquette d’étage supérieur sans propulseur de croisière 5, seront testés lors de cette campagne. Une seconde campagne R.042 aura lieu en octobre, dans des conditions identiques. Les accélérateurs MATRA R.042 : à gauche, le 12 tuyères du booster ; SEPR-50 donneront entière satisfaction. à droite l’engin prêt à lancer

5 Le propulseur de croisière SEPR-441 à liquides n’étant pas prêt, l’étage de croisière était propulsé par un groupe de petits moteurs à poudre de la STRIM.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 87 HISTOIRE QUAND LA SEPR TESTAIT SES MOTEURS-FUSÉES AU FAUGA

Pendant l’année 1953, le Centre d’essais du Fauga mène en Epictète, seront encore réalisés au Fauga avant la une série d’essais de propulseurs de différents types avec fermeture définitive. Le Centre d’Istres prendra le relais poudres diverses, destinés au chariot du SNCASE SE.5000 le 17 octobre 1954. Baroudeur 6.

Le SEPR-55 chargé de poudre APK du type JATO n’a jamais donné satisfaction en raison des difficultés d’obtenir des poudres de composition suffisamment homogène.

Le SEPR-57 chargé d’un bloc de Plastolite (poudre composite à liant PVC) de 200 mm de diamètre. Ce premier propulseur à bloc Plastolite a nécessité la mise en service d’un nouveau banc d’essai. Un essai de deux SEPR-57, accouplés par intercommunication, a également été réalisé à Hammaguir.

La dernière campagne d’essais en vol de R.042 intervient en février 1954. Les études SEPR portent alors sur la propulsion du nouveau missile MATRA R.422. Par rapport au R.042, l’étage de croisière, dont le diamètre est passé de 600 mm à 400 mm, emploie à présent un moteur à poudre. L’accélérateur est composé, dans sa première version, de trois moteurs appartenant à une version améliorée du SEPR-50. Il s’agit du SEPR-505, à tuyère unique, dans lequel la longueur des 7 blocs passe de 1,30 m à 1,60 m. Les chargements correspondants, avec toutes leurs servitudes, occupent la moitié de l’effectif du Fauga. La seconde moitié se consacre à la mise au point du SEPR-504 chargé d’un seul bloc «Mathurin» en Plastolite pesant plus de 200 kg. Malheureusement, cette mise au point s’avère extrêmement délicate, comme l’explique Georges. Traverse : « Le seul contact d’une charge d’allumage aux mamelles du bloc communiquait une telle réaction que, bloc et propulseur s’évanouissent. Désorientés au début, nous retrouvions leur point de chute, les yeux fermés, après la 3e ou 4e explosion. » De fait, le SEPR-504 ne sera jamais utilisé en tant que booster du R.422. Ce n’est qu’à Le tir d’un des premiers Matra R.422 où l’on voit bien le partir de juin 1955 que quelques SEPR-504 seront testés booster composé de 3 moteurs SEPR 505. en vol à Hammaguir sur des engins d’essais R.045 équipés https://www.ina.fr/video/AFE85008177/une-camera-a- d’un empennage et d’une pointe avant. bord-de-la-fusee-francaise-matra-422-video.html

C’est en mai 1954 que le Service des Poudres résilie le PRINCIPALES SOURCES : bail d’occupation du site du Fauga : un délai de six mois G. Traverse, «Ombres et lumières de nos fusées à poudre», est accordé à la SEPR pour quitter les lieux. La Direction SEPR Union n°4, Janvier 1960 réagit rapidement et décide de réunir la Section Poudres G. Lusson, entrevue avec H. Moulin et J-J. Serra, le 2 février et la Section Liquides des Essais en Vol sur un terrain de 2007 la base aérienne d’Istres. L’équipe Essais-Poudres du Fauga et, pour missiles sol-air MATRA : s’en trouve passablement désorientée et quatre seulement J-J. Serra, J. Robert, Ph. Jung, «MATRA R.422 and Surface- de ses 15 membres vont demeurer à la SEPR. to-Air Missiles of the 1950s», 45th History Symposium of the IAA, 3–7 Oct. 2011, Cape Town, SA. Paper IAC-11. L’activité du Centre du Fauga cesse progressivement de E4.3.06 ■ septembre à octobre 1954. Quelques essais du moteur de croisière du MATRA R.422, le SEPR-703 à bloc «Jericho»

6 Le chariot du SE 5000 Baroudeur a finalement été équipé de moteurs de la STRIM.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 88 HISTOIRE TRÉSOR D’ARCHIVES par Marie-Claire Coët, ONERA, membre senior 3AF de la commission information stratégique et prospective

Quiconque a côtoyé professionnellement Paul l’armée à Châtellerault, honorera à jamais son auteur et Kuentzmann au cours des trente dernières années n’a pas l’ONERA. Le 5 mars 2019, Paul Kuentzmann fit don de ses manqué de remarquer qu’il prenait, systématiquement et cahiers à l’ONERA. Des sommaires, en cours d’élaboration avec un soin extrême, des notes sur un gros cahier à petits pour chacun des 29 volumes de cette collection, feront carreaux. Au fil du temps et depuis 1985 - il œuvrait alors office d’instrument de recherches à destination ceux qui au sein de la direction de l’énergétique (OE) - Paul emplit s’y pencheront un jour … ainsi chronologiquement près d’une trentaine de cahiers, dans lesquels les réunions succèdent aux réunions. À la fois synthétiques, précises et illustrées de nombreux croquis, ses notes constituent un précieux témoignage de l’activité d’un ingénieur de l’ONERA, et au-delà, de la conduite en France des recherches scientifiques dans un domaine disciplinaire spécifique, à la charnière des XXe et XXIe siècles.

Il m’est très tôt apparu que les fameux cahiers de KTZ devraient absolument être archivés afin que cet ensemble remarquable soit conservé puis signalé, pour enfin pouvoir à l’avenir être rendu public. Trop modeste, Paul Les 29 cahiers de Paul Kuentzmann actuellement à l’ONERA commença par minimiser la valeur de ce trésor d’archives, (Châtillon) qui pourtant, une fois versé au centre des archives de

Notes prises le 12 juin 1986 pendant un exposé de Jean Délery, chef de la division d’Aérodynamique Fondamentale (OAf)

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 89 HISTOIRE TRÉSOR D’ARCHIVES

Notes prises le 7 décembre 1999 lors d’une réunion impliquant l’ONERA et des représentants du Ministère de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie (MENRT). Le sujet abordé est l’hypersonique. Du côté ONERA : Paul Kuentzmann est Directeur de la Branche mécanique des Fluides et Energétique, Jean-Pierre Taran, Directeur scientifique général adjoint, Jean-Claude Traîneau, coordinateur Espace, Philippe Novelli, chef du projet « Joint Airbreathing Propulsion for Hypersonic Application Research » (JAPHAR), Bruno Chanetz, chef du projet Hypersonique hyperenthalpique et chef de l’unité Simulation expérimentale et physique des écoulements

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 90 HISTOIRE TRÉSOR D’ARCHIVES

Extrait pour montrer la prise de note avec schémas et équations (sans date ni noms par volonté de discrétion)

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 91 IN MEMORIAM PAUL KUENTZMANN (1940-2020) par Francis Hirsinger, Michel Scheller, Bruno Sainjon et Bruno Chanetz

Il a adhéré à la 3AF (Association aéronautique et astro- nautique de France) en 1962 (Société française d’astro- nautique à l’époque), en est devenu membre émérite en 2004 et a participé activement à ses activités (bureau, présidence du groupe régional Ile-de-France, commissions techniques propulsion, PAN, environnement).

Il est aussi membre titulaire de l’Académie de l’air et de l’espace et de l’International Astronautics Academy. Il a été récipiendaire de l’Ordre national du Mérite (Chevalier, Ministère de la Défense, 1992), des Palmes académiques (Chevalier, ministère de l’Éducation nationale, 1998) et de Paul Kuentzmann la Légion d’honneur (Chevalier, Ministère de la recherche, 2002) et a reçu le Prix Plumey de l’Académie des sciences Francis Hirsinger, membre émérite 3AF et ancien (1974), le Prix Science et Défense (1995) et la Médaille directeur du département d’énergétique fondamentale et Montgolfier (2005). appliquée (DEFA) à l’ONERA : Il a su donner le ton dans cet organisme où tous les scien- Paul Kuentzmann est décédé le 30 mars. Tous ses amis tifiques sont désignés comme Ingénieurs de recherche, ce en ressentent une grande tristesse. Il avait su tisser un qui est un facteur de cohésion ultime de l’activité menée lien très fort avec ses amis et le monde de la recherche dans cet Office. aérospatiale. Il associait une très grande rigueur avec beaucoup de chaleur humaine. Il était en même temps un grand scientifique, reconnu sur le plan internatio- Michel Scheller, président d’honneur de la 3AF et nal dans le monde de l’énergétique et de la propulsion, ancien président de l’ONERA : et un animateur efficace. Son parcours exceptionnel en témoigne. J’ai rencontré Paul, pour la première fois début 1995, quand j’ai rejoint l’ONERA… Ce qui m’a immédiatement Il est né le 21 novembre 1940 à Paris. Sa formation a marqué en lui, c’est sa gentillesse et générosité, ce sont associé l’ingénierie (brevet d’ingénieur Arts et Métiers ses compétences et la pédagogie qui était la sienne, pour en 1963, maîtrise ès sciences aérospatiales de SupAéro expliquer des choses compliquées, c’était son écoute et son en 1965) et les sciences universitaires (licence ès sciences attention à noter tout ce qui était essentiel - je me souviens en 1962, doctorat d’ingénieur en 1967, doctorat d’état de ses cahiers et de son écriture.... ès sciences physiques en 1973, habilitation à diriger les recherches en 1992). Paul a été pour moi un maître dans ses domaines de compétences, domaines dans lesquels mon savoir était Il débute à Sud Aviation (Laboratoire des Structures inexistant !! Nouvelles puis Plan à Long Terme) avant de rentrer à l’ONERA en 1967 où il passera l’essentiel de sa carrière Mais Paul, pour moi a toujours été un conseil pertinent professionnelle. Il intègre la Direction scientifique Énergie et disponible. Vous l’avez compris, Paul était devenu un et propulsion. D’abord spécialisé dans la propulsion par Ami, pour lequel j’avais en outre beaucoup de respect. propergol solide, il occupera le poste de Chef de division Nous nous sommes complètement retrouvés, début des de ce domaine, il étendra progressivement son domaine années 2000, dans le cadre de la société savante 3AF, la d’activité aux autres types de propulsion aérospatiale Société savante nationale des domaines de l’aéronautique et assurera la responsabilité de la Direction scientifique et de l’espace. de l’Énergétique de 1988 à 1996. Il sera ensuite fes et énergétique jusqu’en 2005. Il a occupé jusqu’à son décès le Paul a fait un travail formidable, en s’entourant d’une poste de Haut conseiller auprès du président de l’ONERA. équipe talentueuse, en donnant vie au Groupe régional Île-de-France, qui représente merveilleusement l’esprit de Ses principales contributions scientifiques ont porté la Société savante. sur la théorie du fonctionnement des différents moteurs aérospatiaux, en particulier dans le domaine des insta- Paul, unanimement apprécié, qui a eu à faire face à des bilités de combustion. Les avancées réalisées ont été problèmes difficiles et préoccupants, nous ne l’oublierons enseignées dans des grandes écoles et à l’université. pas. Paul, tu vas me manquer, tu me manques déjà.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 92 IN MEMORIAM PAUL KUENTZMANN (1940-2020)

Bruno Sainjon, président directeur général de Bruno Chanetz, rédacteur en chef et président du l’ONERA et vice-président de la 3AF : Haut conseil scientifique de la 3AF :

Dans cette période de confinement, c’est avec une Dans la dernière Lettre 3AF de l’année 2019 (n°40), Paul profonde tristesse que nous avons appris le départ de Paul Kuentzmann terminait ainsi l’article sur le groupe régional Kuentzmann, emporté par le virus le 30 mars à l’âge de Île-de-France (GR IDF), dont il laissait la présidence : Si rien 79 ans. ne change, le groupe IDF finira par disparaître par érosion naturelle et il a été entendu. À l’heure où il nous quitte, Il est difficile de résumer une carrière brillante de plus ses paroles résonnent d’un son particulier et montrent le de 40 ans de recherche au plus haut niveau mondial, souci qu’avait Paul d’assurer la pérennité de notre société doublée de qualités humaines incomparables. savante, à laquelle il était si dévoué.

C’est pourtant ce qu’ont fait ses collègues et amis du Outre la présidence du Haut conseil scientifique, qu’il département Multi-physique pour l’énergétique (DMPE) assura pendant de nombreuses années et jusqu’en 2011, 1. Je souhaite simplement introduire cet hommage d’une Paul fut également membre du comité de rédaction de profonde justesse à la fois personnelle et profession- la Lettre 3AF ; il en démissionna il y a 18 mois, tout en nelle, car Paul Kuentzmann est le premier onérien que restant actif pour relire les articles les plus scientifiques. j’ai rencontré, fin 1985. Nous avons ainsi été amenés à Ses critiques toujours constructives étaient appréciées des régulièrement travailler ensemble entre 1987 et 1994, et auteurs, car elles concourraient à une nette amélioration avions fait ensemble plusieurs missions aux Etats Unis. de leurs écrits.

J’avais gardé de lui une impression, professionnelle et Très écouté au sein du comité de rédaction, son retrait humaine, très forte. fut vivement ressenti par l’ensemble des membres dont je me fais ici le porte-parole afin d’exprimer tout ce qu’il a J’avais donc été très heureux de le retrouver à mon apporté à la Lettre et plus largement à notre association. arrivée à Palaiseau. À part bien sûr le passage des années, Toujours pertinents, car fruits de ses vastes connaissances il n’avait pas changé, toujours aussi modeste et compétent, scientifiques, les avis de Paul pouvaient quelquefois être humainement attachant. Nous échangions de temps en tranchés, mais sans jamais se départir de la naturelle temps, entre Haut Conseiller et Président. À quelques bienveillance qui était la sienne. Il n’avait que des amis. reprises également nous avions élaboré ensemble les réponses qu’il souhaitait apporter à des gens défendant Je rappellerai aussi sa générosité : lorsqu’en 2005 il partit des positions qu’il considérait inacceptables, en particulier en retraite de l’ONERA et qu’il réunit ses collègues autour lorsqu’elles attaquaient l’ONERA. C’est un grand Monsieur d’un apéritif, il fit bénéficier une association caritative du qui vient de nous quitter, et nous lui rendrons hommage montant de la traditionnelle collecte alors organisée, geste à l’occasion des 40 ans de la création du laboratoire de qui révèle par excellence son attention aux autres. ■ propulsion au Fauga dont il était à l’origine en 1980.

1 hommage sur site ONERA

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 93 IN MEMORIAM HOMMAGE AU PROFESSEUR BLAMONT par Bertrand de Montluc, membre du Haut conseil scientifique 3AF

En quelques mots, dans ce film sont évoqués avec force les grands thèmes de la vie et de l’œuvre de Jacques Blamont : la part du rêve, de l’action et de la « serendipité » dans la vie et le travail des scientifiques, la part de la passion dans l’avancée de la pensée humaine en dépit des ravages causés par la misère, l’inculture, le mal sous toutes ses formes en particulier au XXe siècle. La science et la morale naturelle invitent aujourd’hui à progresser sur le chemin d’une croissance économique plus respec- tueuse du climat et des milieux naturels.

Jacques Blamont a été un des acteurs majeurs des programmes spatiaux français en liaison avec la NASA (JPL), les centres spatiaux de l’ex-URSS et les centres Jacques Blamont, membre de l’Académie de sciences indiens. Membre de l’Académie des sciences, des Professeur émérite UPMC, ancien directeur du service académies américaines et indiennes, il est professeur d’Aéronomie du CNRS. Photo prise le 19 février 2020 par émérite de l’Université Paris VI et ancien directeur du Bertrand de Montluc. Service d’aéronomie du CNRS. Premier directeur scien- tifique du CNES en 1962, nous lui devons les premiers Le jeudi 19 février 2020 était organisée dans locaux satellites français, l’installation de la base de Kourou prestigieux de la SCAM (Société civile des auteurs en Guyane et quelques-unes des meilleures missions multimédias), avenue Velasquez à Paris, une séance- d’étude de l’atmosphère et de l’exploration interpla- débat autour du film produit par Mme Rina Sherman, nétaire en coopération avec la NASA et l’Académie éditeur, intitulé L’action sœur du rêve, portant sur l’œuvre des sciences de l’URSS. Il est par ailleurs auteur de du professeur Jacques Emile Blamont. De nombreux nombreux livres (Vénus dévoilée, Le chiffre et le songe, chercheurs du laboratoire de Jacques Blamont (Marie-Lise Le siècle des menaces, Réseaux). Il a publié en 2020 une Chanin, Jean-Loup Bertaux, Arlène Ammar-Israël, fiction Mémoires d’un Aspirateur (éd. LGM) Jacques Porteneuve) ou collègues scientifiques (Patrick Léna) et ingénieurs (ONERA), ainsi que de nombreux Un lien d’une vidéo de témoignages : invités de la communauté aéronautique et spatiale se sont https://youtu.be/PaPgpLsuWhM ■ réunis autour du professeur et du président du CNES, Jean-Yves Le Gall, qui a prononcé un discours introductif très éclairant et riches d’anecdotes sur la carrière de Jacques Blamont.

IN MEMORIAM JACQUES BLAMONT N’EST PLUS par Jean-Pierre Sanfourche, membre du comité de rédaction de la Lettre 3AF

En tant que son ancien élève au Service d’aéronomie Depuis lors, j’étais toujours resté en relation avec du CNRS, j’ai souhaité exprimer ici, très simplement, J. Blamont mais de façon très épisodique, jusqu’en 2005 un message de reconnaissance au professeur Jacques lorsque l’IFHE (Institut Français d’Histoire de l’Espace) Blamont, physicien et premier fondateur de l’astronau- décida de mettre en chantier deux ouvrages sur les tique en France. débuts de la recherche spatiale en France : « Les fusées- sondes et les débuts de la recherche spatiale », qui parut J’ai fait la connaissance de Jacques Blamont en 1963 en 2007, puis « Les ballons au service de la recherche lorsque je suis entré au Service d’aéronomie pour y scientifique », qui parut en 2011. Il se trouve qu’en tant effectuer mon stage d’Enseignement Militaire Supérieur que chargé de mission au sein de la 3AF, je me suis Scientifique et Technique (EMSST), étant alors capitaine de énormément investi dans ce travail de , et ceci en l’Armée de l’air. Les travaux que j’avais conduits m’avaient relation permanente avec J. Blamont, sans qui les deux permis d’obtenir le diplôme d’ingénieur-docteur. ouvrages en question n’auraient jamais vu le jour. Ensuite,

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 94 IN MEMORIAM JACQUES BLAMONT N’EST PLUS mes visites à J. Blamont dans son bureau du CNES étaient Le 27 juin 2017, le président du CNES Jean-Yves Le Gall fréquentes, ayant grand plaisir à m’entretenir avec lui de annonçait au Salon du Bourget le lancement officiel de sujets touchant aux programmes spatiaux, mais aussi à FEDERATION. Dès octobre de la même année le chef de des sujets relatifs à la situation du monde actuel et à ses projet CNES Fabio Mainolfi, aidé par Damien Hartmann, évolutions possibles. membre de hackerspace Electrolab, créaient l’Association « Fédération » et récemment, le 4 octobre 2019, Jean-Yves Le Gall et Damien Hartmann devenu président d’Open Space Makers signaient une convention de partenariat. Sous la dynamique tutelle de Fabio Mainolfi et de Damien Hartmann l’entreprise Fédération avance à grands pas.

Notre association 3AF est la première société savante à adhérer à l’Association Fédération, nous nous devons d’y jouer un rôle de premier plan.

Dépassant très largement le thème de l’innovation dans le domaine spatial, Jacques Blamont, non point dans un esprit de « catastrophisme » mais dans un esprit d’analyse rationnelle et de lucidité, me faisait part souvent de ses réflexions sur l’avenir de l’humanité et nous discutions des thèses qu’il avait exposées dans « Introduction au siècle Fin 2015, je lui demandai s’il serait d’accord pour écrire des menaces » en 2004, puis dans « Lève-toi et marche – un article dans lequel il exposerait ses vues sur l’avenir une proposition pour l’avenir de l’humanité » en 2009. du « spatial », dans le contexte actuel d’accélération verti- gineuse des progrès de la technologie, plus particulière- Il travaillait sans relâche et ces derniers temps, il ment de l’électronique, de l’informatique et de l’intelli- m’entretenait sur les progrès fulgurants de l’électronique gence artificielle. « Oui, c’est intéressant, je vais réfléchir – il revenait sans cesse sur la Loi de Moore -, de l’algorith- et repassez me voir dans quelques temps » me répondit-il. mique, et aussi de la compréhension du fonctionnement Et début 2016, il me présenta un projet d’article intitulé du cerveau de l’homme. Déjà il entrevoyait l’apparition « Wikinomie dans l’espace ». La décision fut prise de d’une copie virtuelle du fonctionnement du cerveau et il le publier dans la Lettre 3AF : le projet FEDERATION m’avait annoncé la parution prochaine d’un ouvrage de était né. J. Blamont partait de la constatation qu’il existe science fiction dans lequel décrirait une mission spatiale sur Internet d’innombrables internautes possédant dans l’espace interstellaire vers Alpha du Centaure. Non des compétences demeurant inemployées et qu’en les pas bien sûr avec des hommes à bord du vaisseau spatial extrayant de leur isolement, en les enrôlant dans un projet « Eternité », mais avec deux cerveaux humains sous forme et en les exploitant, on engendrerait une forme inédite de de fichiers et une enfant douée de facultés cognitives, collaboration de masse qui redessinerait complètement d’empathie et de mémoire. Je devais le rencontrer pour les processus d’invention. L’exploration spatiale étant le qu’il me présente son ouvrage. domaine privilégié de l’innovation et des défis techno- logiques les plus hardis, il proposa de commencer cette Hélas cette rencontre n’aura jamais lieu. expérience de l’intelligence collective dans le cadre du CNES en entamant le processus de mise en place du projet Mais grâce à FEDERATION, la 3AF et moi continuerons FEDERATION. La doctrine est exposée dans son ouvrage à travailler pour vous, Monsieur Blamont ! ■ « RESEAUX ! Le pari de l’intelligence collective » paru en 2018 à CNRS EDITIONS.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 95 NOTE DE LECTURE INNOVER COMME ELON MUSK, JEFF BEZOS ET STEVE JOBS D’ALAIN DUPAS, JEAN-CHRISTOPHE MESSINA ET CYRIL DE SOUSA CARDOSO par Mathieu Fontaine, CEO de F-SQUARE et membre 3AF

Lors de la récente table ronde « Espace » 1, j’ai eu le plaisir Ces Licornes, Super d’assister à l’intervention d’Alain Dupas, un des auteurs Licornes et Titans 4 de ce livre. Il a très justement souligné que la valori- s’appuient sur le concept sation d’Apple atteignait désormais 1400 milliards de de design itératif et une dollars 2, soit plus que le cumul des 30 premières sociétés organisation en ruche, dont allemandes du DAX 30 ! les talents/équipes sont motivés par la vision et le Comment, en moins de 25 ans, des visionnaires tels que rêve initial du fondateur, Steve Jobs (Apple), Jeff Bezos (Amazon et Blue Origin) et resté depuis dans sa Elon Musk (PayPal, SpaceX, Tesla Inc.) ont réussi à hisser compagnie en tant qu’in- leurs sociétés à de tels niveaux et surtout à faire trembler novateur-entrepreneur. les acteurs (trop) traditionnels ? Quel rapport entre- Enfin, les auteurs nous tiennent-ils avec l’innovation et comment ces vision- appellent à comprendre naires arrivent-ils à des croissances si exponentielles ? et adapter (rapidement) le Comment sont-ils finalement en passe de transformer le système américain à nos monde … et l’espace ? C’est ce que nous découvrons dans économies et organisations ce livre, à mi-chemin entre réflexion de fond et un recueil européennes. de recettes pour organisations, institutions et innovateurs en herbe désireux de s’inspirer des techniques de ces Ces solides fondations sont communes à Jeff Bezos, grands entrepreneurs-rêveurs. Elon Musk et Steve Jobs, mais aussi à Henry Ford et Thomas Edison à leur époque. Voici un extrait du chapitre Fin 2019, lors du dernier Dubai Airshow, j’ai eu une « Principe de base 2 », que je trouve très représentatif de discussion passionnante avec le Chief Design Officer de l’esprit général du livre et notamment sur « les principes Virgin Galactic. L’impression qui en ressort, tout comme premiers », à l’origine des innovations de rupture : « La avec les autres sociétés du NewSpace, est une très forte légende raconte que peu de temps après la sortie de la culture de l’innovation, couplée à un sens aigu du détail, Ford T, Henry Ford aurait fait cette remarque : « Si j’avais au point que les cartes de visite de chaque employé sont demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient personnalisées par une photographie de leur propre iris ! répondu : des chevaux plus rapides. » […] Nous pourrions Cette ‘passion-obsession’ pour l’innovation disruptive imaginer la même légende concernant Steve Jobs : « Si se retrouve chez ces visionnaires emblématiques et est j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient parfaitement expliquée dans cet ouvrage. répondu : des crayons et des machines à écrire qui leur permettent d’écrire mieux et plus vite. » » Il présente neuf grands principes de base, dont les (futurs) innovateurs-entrepreneurs devraient s’inspirer. Cet ouvrage résolument tourné vers l’avenir, avec des En voici quelques-uns : une volonté très forte de références à Homo Deus 5 et à Zero to One 6, est d’autant changer le monde via des innovations de rupture, en plus d’actualité avec la crise sanitaire planétaire que nous dupliquant le modèle de l’économie numérique ; simplifi- traversons. Il devrait servir d’étincelle pour (r)éveiller les cation à l’extrême des processus et du développement de esprits du Vieux Continent et transformer notre propre nouveaux produits, tout en les rendant le plus esthétique vision de l’innovation disruptive, de la gestion des risques possible. Ces sociétés possèdent avant tout un ADN et et notre capacité à créer des licornes, super licornes et un vocabulaire bannissant le mot « impossible ». Elles titans, afin d’assurer notre avenir tout en limitant notre réalisent une croissance exponentielle et réinvestissent dépendance vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. leurs bénéfices dans la R&T pour encore plus d’innova- Et pourquoi ne pas rêver comme Elon Musk d’aller sur tions…disruptives 3. Mars ! ■

¹ Table ronde ‘Espace’ (Paris, 30.01.2020), organisée par 3AF, Alumni ONERA et la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale. 2 Valorisation d’Apple au 29.01.2020. Lorsque Steve Jobs a repris les commandes d’Apple en 1997, la valorisation était de 3 milliards de dollars. 3 Ceci était aussi vrai pour Apple jusqu’au décès de Steve Jobs, beaucoup moins avec Tim Cook, son successeur. 4 Licorne : startup dont la valorisation dépasse 1 milliard de dollars ; Super licorne : > 10 milliards ; Titan : > 50 milliards. 5 Homo Deus: A Brief History of Tomorrow (Homo Deus: une brève histoire du futur), par Yuval Noah Harari. 6 Zero to One: Notes on Start Ups, or How to Build the Future (De zéro à un: comment construire le futur), par Peter Thiel & Blake Masters.

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 96 ÉVÈNEMENTS 3AF LE 18 SEPTEMBRE 2020 : COLLOQUE EN HOMMAGE À HENRY POTEZ (1891 - 1981) À MÉAULTE (SOMME)

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 97 ÉVÈNEMENTS 3AF LE 9 OCTOBRE 2020 : COLLOQUE EN HOMMAGE À ANTOINE D’ABBADIE (1810-1897) À HENDAYE (PYRÉNÉES ATLANTIQUES) par Bruno Chanetz, rédacteur en chef

S’il est une demeure qui mérite sans conteste le label de « Maison des illustres », c’est bien le château-observa- toire Abbadia à Hendaye. Cette demeure, édifiée d’après les plans d’Eugène Viollet-Le-Duc, est née de la volonté d’Antoine d’Abbadie, savant aux multiples talents qui laissa une œuvre d’astronome, géologue, météoro- logue, métrologue, linguiste, ethnologue, archéologue et géographe !

Métrologue il le fut assurément et Abbadia est le seul observatoire au monde à utiliser le grade comme mesure d’angle. Il parlait 14 langues, dont le basque. Ses travaux linguistiques, dont un dictionnaire basque, valurent le titre de père du peuple basque à celui qui fut également maire d’Hendaye. Pourtant il était né à Dublin, d’un père basque qui avait émigré lors de la révolution française et d’une mère irlandaise. Il ne rejoignit la France qu’à l’âge de 8 ans. Il explora l’Abyssinie durant 11 ans et la société de géographie, dont il deviendra plus tard le président, lui conféra une médaille d’or pour ses nombreux voyages, prouvant qu’un géographe ne dérogeait pas en allant sur le terrain. Ses explorations furent un magnifique démenti par anticipation aux paroles du géographe que rencontrera Le Petit Prince : Je ne suis pas explorateur… Le géographe est trop important pour flâner !

Ce colloque est un hommage à ce savant, membre de l’Académie des sciences, à laquelle il légua un ensemble architectural majeur : Abbadia. La journée commencera par une visite du château Abbadia (participation limitée aux premiers inscrits), puis se poursuivra au centre de congrès Antoine d’Abbadie, gracieusement mis à disposition par la ville. La matinée sera consacrée à l’évocation de la vie d’Antoine d’Abbadie et de son œuvre. Au cours de l’après-midi, des conférences sur des travaux scientifiques en lien avec les passions d’Antoine d’Abbadie seront données : la météorologie, la mesure de la gravité terrestre, la mesure par interférométrie atomique et l’apport de l’optique adaptative aux grands télescopes. ■

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 98 ÉVÉNEMENTS 3AF LES PROCHAINS ÉVÉNEMENTS

COLLOQUE HENRI POTEZ 18 SEPTEMBRE 2020 À MÉAULTE

SPACE PROPULSION 5 - 9 OCTOBRE 2020 À ESTORIL, PORTUGAL

COLLOQUE ANTOINE D’ABBADIE 9 OCTOBRE 2020 À HENDAYE

LES ENTRETIENS DE TOULOUSE 28 - 29 OCTOBRE 2020 À TOULOUSE

15E FORUM EUROPÉEN IES 2020 4 - 5 NOVEMBRE 2020 À PARIS

AERO 2021 12 - 14 AVRIL 2021 À POITIERS

COLLOQUE ISMAËL BOULLIAU 4 JUIN 2021 À LOUDUN

LETTRE 3AF NUMÉRO 42 / MARS - AVRIL 2020 99 Association Aéronautique et Astronautique de France

www.3af.fr